Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 2 avril 1833

(Moniteur belge n°94, du 4 avril 1833 et Moniteur belge n°95, du 5 avril 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

(Moniteur belge n°94, du 4 avril 1833)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal qui est adopté.

Pièces adressées à la chambre

Des pétitions sur les distilleries adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1833

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Ecole militaire

Article premier

L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget de la guerre sur le pied de guerre.

La chambre en est au chapitre V.

« Art. 1er. Ecole militaire : fr. 48,000 fr. »

Telle est la proposition de la commission.

La réduction sur la proposition du gouvernement est de 12,000 fr.

Projet de loi organisant l'école militaire

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je crois devoir donner quelques explications sur l’organisation provisoire de l’école militaire, et sur l’indispensable nécessité de régulariser cet établissement, afin qu’il donne de bons officiers.

Messieurs, un arrêté du gouvernement provisoire du 14 novembre 1830 attachait à chaque régiment d’artillerie à organiser, un certain nombre de jeunes gens, admis par suite d’un concours public et classés comme aspirants d’artillerie, avec le grade et la solde de sergent. Ils étaient réunis dans chacun des dépôts de cette arme et y recevaient l’instruction qu’un officier était chargé spécialement de leur donner. Des examens avaient lieu de temps à autre, et les aspirants qui y satisfaisaient étaient nommés sous-lieutenants d’artillerie.

Au mois de septembre 1831, le ministre de la guerre sentit la nécessité de donner plus d’extension et d’ensemble aux études des jeunes gens qui se destinaient à l’artillerie ; ceux des aspirants qui restaient aux dépôts, au nombre de 9, furent réunis à Bruxelles ; 24 autres furent nommés par suite d’un nouveau concours et formèrent avec les premiers le noyau d’une compagnie dont le commandement fut confié à un officier chargé spécialement de la police, de la discipline et de la comptabilité de cette école provisoire. D’autres officiers furent chargés de l’instruction.

Deux autres concours eurent lieu, l’un en juillet et le second en octobre 1832 ; on y admit 33 élèves, ce qui porte à 66 le nombre total des jeunes gens entrés à l’école. Sur ce nombre :

1 est décédé ;

1 a été démissionné ;

14 ont été nommés sous-lieutenants d’artillerie ;

1 sous-lieutenant de cavalerie ;

5 sous-lieutenants d’infanterie ;

Total 22.

Il reste donc en ce moment 44 élèves à l’école militaire ; ils y reçoivent la solde et les allocations de sergent d’artillerie. Ils sont commandés par un major d’infanterie, assisté d’un sous-lieutenant.

Deux officiers sont chargés de l’instruction ; un seul d’entre eux reçoit une indemnité.

Le local occupé actuellement par les élèves est fourni par la régence de la ville de Bruxelles ; le gouvernement n’a qu’à pourvoir aux dépenses d’éclairage, de chauffage, d’ameublement et aux menues dépenses d’entretien. Mais ce local est tout à fait insuffisant ; une salle, qui peut à peine contenir tous les élèves, sert à la fois de classe et de salle d’étude ; les chambres où sont casernés les élèves suffisent tout au plus pour loger le nombre actuel.

C’est d’après cet état de choses que j’avais pensé que la ville de Liége conviendrait mieux à l’école militaire que la ville de Bruxelles, et que j’avais demandé 12.000 fr. pour approprier le local des anciens jésuites de Liége. Pour établir cette école, on m’a fait observer que pour plus de régularité il fallait une loi : en conséquence, j’ai proposé un projet de loi, et le Roi m’a ordonné de vous le soumettre. Ce projet a été délibéré en conseil. Le voici :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut.

« Vu les articles 66, 114, 115 et 118 de la constitution ;

« Sur la proposition du ministre directeur de la guerre, et de l’avis du conseil des ministres,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Le ministre directeur de la guerre est chargé de présenter en notre nom, aux chambres, le projet de loi suivant :

« Art. 1er. Une école militaire destinée à former des officiers pour les armes de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie, et pour le corps de l’état-major, sera établie à Liége, aux frais de l’Etat.

« Art. 2. L’enseignement donné à cette école comprendra :

« 1° Les mathématiques pures, la géométrie descriptive et la mécanique ;

« 2° Les éléments de physique et de chimie ;

« 3° La théorie et la pratique des manœuvres d’infanterie et de cavalerie ;

« 4° L’art et l’histoire militaire ;

« 5° La fortification passagère ;

« 6° L’attaque et la défense des places ;

« 7° L’administration militaire ;

« 8° La géographie et la statistique ;

« 9° L’histoire générale et celle du pays ;

« 10° La littérature française ;

« 11° L’étude des langues étrangères ;

« 12° Le dessin du paysage et de la carte, et le lever du terrain.

« Art. 3. Les cours dureront deux ans, à l’expiration desquels les élèves qui auront satisfait aux examens de sortie, seront promus au grade de sous-lieutenant et classés dans les diverses armes, suivant les besoins du service.

« Les élèves destinés à l’artillerie, au génie et à l’état-major, suivront pendant une troisième année des cours spéciaux, avent de quitter l’école.

« Art. 4. L’admission à cette école aura lieu par suite d’un concours public, qui aura lieu annuellement à Bruxelles et dont le programme sera publié à l’avance.

« Le nombre d’élèves à admettre sera déterminé chaque armée suivant les besoins présumés du service pour chaque arme.

« Art. 5. L’organisation de l’école, le mode d’enseignement, les programmes d’admission et des cours, les examens et le classement des éléves feront l’objet des règlements spéciaux qui seront soumis à l’approbation du Roi.

« Art. 6. Une somme de douze mille francs sera allouée au chapitre 5, art. 1er, du budget du ministère de la guerre, pour frais de premier établissement de l’école militaire. »

- La chambre renvoie le projet devant les sections.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1833

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Ecole militaire

Article premier

M. Dumortier. - Je crois qu’il ne faut pas voter un crédit pour l’école militaire, puisqu’on vient de présenter un projet de loi sur cet objet.

M. Osy. - On votera éventuellement.

M. Dumortier. - Il faudrait laisser les choses dans l’état où elles sont.

Hier, messieurs, je ne me suis pas aperçu, dans la discussion de l’article relatif à la pharmacie centrale, de la retenue qu’on faisait sur le traitement des officiers pour médicaments ; cette retenue est d’un et demi p. c. ; cependant, les officiers paient les médicaments qu’on leur fournit : à quoi sert la retenue ?

On fait encore d’autres retenues sur le traitement des officiers.

M. de Bassompierre, commissaire du Roi. - Si M. Dumortier avait examiné le rapport de la section centrale, il aurait vu que la retenue reste au trésor. Les autres retenues sont pour faite des pensions aux veuves et aux enfants des officiers.

M. Dumortier. - On retient aussi une partie du traitement des officiers quand ils avancent en grade.

M. de Bassompierre, commissaire du Roi. - Il existe une caisse pour les veuves des officiers ; cette caisse est régie par un conseil tout particulier. Toutes les retenues sont versées à la banque. Ils y restent jusqu’à ce qu’ils soient assez considérables pour acheter des rentes sur l’Etat. La révolution a trouvé un assez grand nombre de veuves. La Hollande a emporté leur caisse ; c’est une des réclamations que nous avons à faire valoir contre nos ennemis.

M. de Brouckere. - Si la loi présentée par M. le ministre, relativement à l’école militaire, est adoptée par les chambres, il faudrait un crédit supplémentaire pour l’établir. Nous pouvons donc voter provisoirement les 48,000 fr. demandés.

M. Osy. - Je crois qu’il faudrait voter 60,000 fr., parce qu’alors le ministre de la guerre n’aurait rien à demander pour réparation des bâtiments à Liége.

M. Brabant, rapporteur. - Il n’est pas rationnel d’ouvrir un crédit pour un établissement qui n’est qu’un projet.

- Le chiffre de 48,000 fr. pour l’article premier, mis aux voix, est adopté.

Article 2

« Art. 2. Haras : fr. 13,500. »

Telle est la proposition de la commission.

La réduction sur la proposition du gouvernement est de 13,500 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je demande l’allocation entière. M. le commissaire du Roi va en exposer les motifs.

M. le général Nypels, commissaire du Roi. - Messieurs, M. le ministre de la guerre vous a dit qu’il ne pouvait consentir à la réduction proposée pour le haras, réduction ayant pour but avoué la suppression de cet établissement.

Depuis, différents projets d’organisation ont été envoyés au département de la guerre ; la contrée et les localités où il conviendrait de placer le haras ont été indiquées aussi.

Messieurs, si vous accordez les fonds qui sont demandés, une commission sera nommée pour examiner ces projets et l’utilité qu’il pourrait y avoir de donner plus d’extension à cet établissement. A mon avis, messieurs, il est indispensable de le conserver, tant sous le rapport des avantages qu’il procurera au commerce et à l’agriculture que sous celui de l’amélioration des chevaux de guerre.

La somme demandée est différente de 13,000 fr. de celle que la section centrale propose d’allouer ; mais il faut en déduire encore le traitement du lieutenant-colonel directeur, qui devra être porté à un autre chapitre du budget : ainsi la réduction ne sera que de 6,000 fr.

Messieurs, il ne serait pas difficile de vous prouver que, dans les circonstances où nous nous trouvons, cette perte sera dépassée de quatre fois au moins sur le produit de la vente des chevaux, sans parler de la perte presque totale du matériel.

Je pense donc, messieurs, que, même dans des vues d’économie, la somme demandée doit être allouée.

M. de Robiano de Borsbeek. - La somme de 26,000 fr. n’est pas très forte. Plusieurs localités peuvent donner des chevaux de guerre. Il ne s’agit pas d’un établissement dispendieux. On peut améliorer les races de nos chevaux avec une faible somme. Dans les Ardennes on a déjà produit de bons effets. Qu’on règle l’établissement avec économie, mais qu’on le conserve. Beaucoup de jeunes gens s’occupent de l’éducation des jeunes chevaux : il faut encourager cotte industrie.

M. Vandenhove. - Messieurs, je crois aussi que ce n’est point dans cette discussion que la question du maintien ou de la suppression du haras doit être traitée : son importance exige qu’elle soit ajournée jusqu’au moment où nous serons appelés à voter le budget de la guerre sur le pied de paix. Il peut n’être pas indifférent que cette intéressante partie de l’économie politique soit dans les attributions du ministère de la guerre ou de l’intérieur pour lui donner une bonne direction ; et, l’inutilité du haras fût-elle constatée, il est douteux que sa dislocation immédiate soit une économie, attendu que, dans les circonstances où nous nous trouvons, la vente des chevaux et de son matériel produirait peu de chose.

A cette occasion, je présenterai quelques considérations pour démontrer que le concours du gouvernement est indispensable pour parvenir à améliorer nos races de chevaux, parce que dans notre pays les tentatives d’amélioration de l’espèce chevaline sont hors du domaine de la spéculation particulière, par le nombre restreint des grandes fortunes et leur division au décès du chef de la famille.

Quiconque a réfléchi sur l’élève des chevaux dans notre pays a pu découvrir que les essais faits par les propriétaires, soit pour perfectionner nos races, soit pour en créer une nouvelle, ont échoué à cause des dépenses considérables et du peu de résultats obtenus.

En effet, messieurs, presque tous ces propriétaires ont manqué le but pour avoir acheté des étalons arabes ou de descendance arabe, ou des chevaux anglais appelés de pacotille, toujours petits de taille, pour accoupler avec des juments étrangères souvent ruinées ou tarées, dont à peu près tous les jets étaient petits et chétifs. Et chose remarquable, c’est que, dans les cantons où ces essais ont cessé depuis quelques années, il ne reste presque aucun vestige de ces accouplements pernicieux dus au caprice plutôt qu’à de sages combinaisons.

Ce que les amateurs n’ont pu faire à défaut de capitaux suffisants et de connaissances spéciales, le gouvernement pourra l’exécuter au moyen de personnes et de fonds spécialement destinés à l’établissement d’un haras. Il quittera cette route semée d’écueils parcourue jusqu’à ce jour par des particuliers que leur goût plutôt qu’une étude approfondie portait à modifier notre espèce chevaline ; il en prendra une autre que celle suivie naguère par la France, qui avait fait revenir des étalons du Mecklenbourg, du Holstein, de la Prusse, et d’autres contrées de l’Allemagne qui ne sont nullement propres à l’amélioration de nos races, parce qu’ils sont trop éloignés du type originel.

Pour opérer avec succès, le gouvernement doit faire acheter les régénérateurs de notre espèce chevaline dans la Grande-Bretagne. Là, à force d’argent, de soins, de persévérance pendant plusieurs siècles, on est parvenu à former une des meilleures races de chevaux connues : c’est celle qui, par sa taille, sa construction osseuse et musculeuse très prononcée, sa vigueur, son élégance et sa noblesse, nous conduira plus tard à perfectionner notre espèce chevaline. Pour bien débuter dans cette nouvelle carrière, il faudra choisir les étalons dans les chevaux d’Angleterre et d’Irlande les plus rapprochés de la souche génératrice. Plus tard, lorsque nous aurons des juments issues de deux ou trois croisements, nous pourrons faire revenir des générateurs de pur-sang.

Mais les personnes qui seront chargées de faire les premiers achats ne pourront point perdre de vue que leur choix doit se fixer sur des étalons de grande taille, de forte structure, tels enfin qu’à la première vue ils plaisent à nos cultivateurs, qui, avant tout, demandent des étalons dont les formes leur promettent des productions propres à leur usage journalier.

Il y a des contrées, messieurs, où ces étalons seront peu recherchés, parce que leur lourde et grossière espèce de chevaux se pais très chère pour le roulage ; mais il en est d’autres où ils seront bien accueillis, si leur conformation, quoique noble et élégante, est en harmonie avec celle des juments de labour. Dans cette hypothèse, la réussite du haras est évidente à mes yeux.

Depuis longtemps, messieurs, j’ai médité sur la meilleure théorie à adopter pour améliorer la race de nos chevaux ; j’avais toujours pensé que c’était en Allemagne et en Normandie où nous trouverions les générateurs qui conviendraient le mieux à nos juments poulinières : ce n’est que depuis peu que je me suis convaincu que c’était dans les îles britanniques, terre classique de l’espèce chevaline, que nous devrons chercher les types améliorateurs.

Si nous entrons franchement et promptement dans le vrai système d’amélioration, dans peu d’années les remontes de notre cavalerie se composeront en partie de chevaux provenus de pères de premier et de deuxième sang, et ils pourront concourir avec ceux venant de l’étranger à remplir les besoins du luxe.

Pour arriver plus rapidement à des résultats satisfaisants, il faudrait donner de fortes primes à nos plus belles juments poulinières parce que chez nous, comme dans tous les pays du monde, elles forment toujours le noyau des races ; mais sous la réserve de ne point les vendre au dehors, à peine d’une forte amende. Ainsi vous empêcheriez qu’elles ne passassent en Angleterre, qui les achète des prix très élevés.

Si l’action du gouvernement dans l’élève de l’espèce chevaline est bien dirigée, l’industrie agricole y trouvera un grand avantage par les soins que l’on donnera à l’amélioration des pâturages dans certaines contrées, et par ceux que l’on prendra d’en créer de nouveaux dans d’autres.

Il est incontestable qu’au moyen des croisements, vous donnerez plus d’élégance et de noblesse à vos races de chevaux ; et j’en connais, messieurs, à qui il ne manque que ces qualités pour figurer avec distinction parmi les chevaux de remonte et de luxe.

Messieurs, si vous avez fait attention à la quantité de chevaux de luxe que nos marchands envoient en France, et en grand nombre qui transitent constamment pour ce pays, vous ne tarderez pas à reconnaître que l’appui du gouvernement est nécessaire pour aider nos cultivateurs à atteindre au plus tôt le degré d’amélioration auquel on est parvenu dans les états qui pourvoient si abondamment aux besoins de ceux où l’élève des chevaux a été négligé ou mal entendu.

En mettant le gouvernement en mesure de faciliter aux cultivateurs la voie de la modification de l’espèce chevaline, vous doterez le pays de deux nouvelles catégories de chevaux : vous augmenterez le capital de l’agriculture, de celui qui s’exporte maintenant pour l’achat à l’étranger de chevaux de cavalerie et de luxe, et vous aurez coopéré à rendre moins sensibles les méventes qui se manifestent de temps à autre dans cette branche importante de nos produits ; car elles ne se prononcent point simultanément pour toutes les espèces de chevaux.

Il m’a semblé inutile d’entrer dans de plus grands détails pour provoquer l’ajournement d’une question de cette importance, qu’il faut étudier à fond avant de se prononcer, puisqu’elle a pour but de perfectionner une industrie dont le nouveau développement pour notre pays doit avoir une heureuse influence sur l’agriculture. Les faits ne manquent point pour prouver que le gouvernement doit intervenir en faveur de l’élève des chevaux ; mais j’estime qu’il faut en réserver l’énonciation jusqu’au moment où nous discuterons les principes.

M. A. Rodenbach. - Nous votons un budget de la guerre sur le pied de guerre ; ce n’est donc pas le moment de nous occuper des haras. Dans un mois nous discuterons le budget du ministère de la guerre sur le pied de paix ; alors nous examinerons la question. On peut soutenir, on peut attaquer l’établissement des haras. On pourrait discuter plusieurs jours sans beaucoup avancer la solution de la question : en France elle est encore indécise. Nous avons plusieurs belles races de chevaux ; il ne faut que les croiser pour avoir des chevaux propres à la cavalerie. Les Anglais achètent des juments du Furnambach ; ils les font croiser par leurs chevaux et en obtiennent une race pour les carrosses et pour la chasse. Pour de certaines contrées il conviendrait que les haras fussent dans les attributions du ministre de l’intérieur ; pour d’autres provinces il vaudrait mieux qu’ils fussent dans les attributions du ministre de la guerre.

M. de Brouckere. - Il faut cependant des fonds pour nourrir les chevaux qui sont encore dans les haras.

Si la chambre croit qu’il faut les 27,000 fr., il y aurait imprudence à ne pas les accorder et à détruire un établissement qui peut être utile s’il est perfectionné. On pourra traiter plus tard les questions soulevées par M. Rodenbach : je crois que les haras doivent être placés sous la direction du ministre de l’intérieur, quoiqu’en France on pense qu’ils doivent être sous le ministre de la guerre.

(Erratum inséré au Moniteur belge n°94, du 4 avril 1833 : C’est par erreur que, dans notre n° d’hier, nous avons fait dire M. de Brouckere que les haras doivent être placés sous la direction du ministre de l’intérieur. L’honorable membre a soutenu au contraire qu’il convenait de les laisser dans les attributions du ministre de la guerre).

M. Mary. - Je suis disposé à accorder l’allocation de 27,000 fr., mais je pense que l’on doit ajourner la décision des questions que présentent les haras jusqu’au moment où on discutera le budget sur le pied de paix. Les haras n’ont pas présenté l’utilité qu’on devait en attendre. La Belgique renferme environ 250 mille chevaux ; le roi de Hollande a voulu propager les belles espèces ; mais on ne s’est occupé que des chevaux de selle et point de ceux qui sont employés dans l’agriculture. On donne des primes pour encourager le perfectionnement des races ; les primes sont dans le département de l’intérieur ; il faudrait donc que les haras fussent dans ce département. Je propose l’ajournement de la discussion des haras.

M. de Theux. - Je suis aussi de l’avis qu’il faut ajourner la discussion de cette question. M. le ministre de l’intérieur possède des documents propres à éclairer la matière. L’année dernière j’avais demandé des renseignements dans plusieurs provinces sur les moyens de propager les bonnes races de chevaux ; et ces renseignements ont été envoyés à l’administration.

M. de Robiano de Borsbeek. - Conservons ce que nous avons du haras, en attendant que nous puissions discuter à fond la question.

M. A. Rodenbach. - Il n’y a que 19 chevaux dans notre haras ; si le ministre de la guerre déclare ne pouvoir les nourrir, je voterai les fonds ; je ne veux pas couper les vivres à ces malheureux chevaux.

M. Gendebien. - Il faut que les chevaux vivent.

M. le président. - On a proposé l’ajournement de la discussion.

M. Dumont. - Je demande aussi l’ajournement parce qu’il me semble plus naturel de mettre les haras dans l’administration de l’intérieur. Dans la saison de la monte les étalons sont placés dans les paroisses ; le ministre de l’intérieur est plus à même d’avoir des renseignements sur la manière dont ils sont soignés et employés.

Je ne peux consentir à voter 27,000 fr. pour 16 étalons. Pour ces 16 étalons il y a un personnel administratif qui coûte 15,000 fr., c’est environ 1,000 fr. par cheval. Dans les circonstances actuelles est-ce que nous avons besoin, à la tête des haras, d’un lieutenant-colonel, d’un vétérinaire, de dix palefreniers ? On pourrait placer les chevaux chez les particuliers ; nous ferions une grande économie.

M. de Bassompierre, commissaire du Roi. - Le haras tel qu’il existe est un débris d’un grand établissement créé sous le gouvernement déchu. Le haras était destiné à contenir 60 étalons, et des juments en proportion, afin de relever le type des beaux chevaux chez nous. Le gouvernement hollandais, toujours partial, ne nous laissait que les mauvais étalons, et envoyait les plus beaux en Hollande. Cependant par le haras on a conservé de belles races ; j’en appelle aux députés du Luxembourg. On pourrait, par le haras, obtenir des résultats immenses si on avait des chevaux de pur-sang. Les Anglais prennent, comme l’a dit M. A. Rodenbach, des juments du Furnambach, qui ont un beau coffre ; et elles donnent, croisées par les étalons anglais, des chevaux de chasse et des chevaux de carrosse d’un haut prix.

Il faut que le haras reste dans les attributions du ministre de la guerre : les palefreniers ont besoin de la discipline militaire pour bien tenir les chevaux qui sont 9 mois au haras. Il faut aussi que le haras soit sous la direction d’un officier supérieur de cavalerie, d’un officier qui connaisse toutes les parties de l’hippiatrique.

Je me bornerai à ces réflexions, la discussion au fond devant avoir lieu dans un autre temps.

M. de Brouckere. - Je crois que nous devons voter les 27,000 fr. pour l’entretien de ce qui existe. Il faut ajourner la discussion de la question à l’année prochaine.

M. Gendebien. - Votons les 27,000 fr. et nous n’aurons, dans tous les cas, qu’un transfert à faire d’un ministère à l’autre.

- Les 27,000 fr. mis aux voix sont adoptés.

Chapitre VI. Matériel de l’artillerie et du génie

Article premier

« Art. 1er. Matériel de l’artillerie : fr. 900,000. »

Telle est la proposition de la section centrale.

Le gouvernement demande 1,000,000.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je ne consens pas à la réduction de 100,000 fr. proposée par la section centrale.

M. Desmaisières. - Messieurs, j’ai demandé la parole sur le chapitre 6, parce qu’étant du nombre de ceux qui pensent que notre matériel d’artillerie et du génie est encore loin d’être porté au complet de guerre, auquel on devait le porter, et que, d’un autre côté, ayant voté à la section centrale une réduction de 100,000 fr. sur chacun des articles qui composent ce chapitre, j’éprouve le besoin d’expliquer cette espèce de contradiction, qui, dans le fond, n’est qu’apparente.

Toutes vos sections, à l’occasion de ce chapitre, ont désiré que la section centrale demandât à M. le ministre de la guerre de fournir des renseignements plus détaillés que ceux contenus dans les développements du budget qui vous ont été d’abord distribués. La section centrale n’a pas manqué de faire cette demande. Le ministre a fourni en réponse deux nouveaux tableaux, qui ont été imprimés à la suite du rapport que vous a présenté l’honorable M. Brabant, et que par conséquent vous connaissez tous. (Vous les trouverez d’ailleurs aux pages 20, 21 et 22 de ce rapport.) Ce qui a dû vous frapper, messieurs, en comparant les nouveaux développements avec ceux fournis primitivement, c’est qu’il y a des différences notables dans les chiffres partiels, et que cependant il y a égalité parfaite entre les chiffres totaux.

En effet, l’article premier reste toujours évalué en totalité à 1,000,000 fr., tandis que primitivement on ne portait, dans les évaluations partielles, que 50 voitures à 2,000 fr., par conséquent 100.000 fr., et qu’aujourd’hui on demande 198,000 fr. pour 110 voitures de 1,800 fr. l’une.

Au développement primitif du budget, on ne portait que 2,000 fusils à 30 fr., ce qui donnait une somme de 60.000 fr., et aujourd’hui on demande 360,000 fr. pour 12,000 fusils au même prix.

On demande maintenant 52,000 fr. pour achat de harnais, et on ne demandait primitivement rien à cet égard.

Par contre, on avait demandé d’abord 100,000 fr. pour achat de poudres, et 10,000 fr. pour radoubage de poudres avariées, et aujourd’hui on ne demande plus rien à cet égard.

On avait aussi demandé, en premier lieu, 500,000 fr. pour dépenses diverses et imprévues, tandis qu’aujourd’hui il n’est plus question que de 78,000 fr. pour cet objet.

Quant à l’article 2, on portait au développement primitif 93,067 fr. 23 c. pour les bâtiments militaires à Mons, et on ne porte plus actuellement que 23,153 fr. 58 c. pour cet objet ; par contre, on demande aujourd’hui 570,000 fr. pour travaux de campagne, pour expropriations et autres objets non désignés, tandis qu’auparavant on ne demandait, sous ce titre, que 500.000 fr.

Malgré ces différences dans les détails, le chiffre total de l’article premier est toujours porté à 1,110,000 fr.

Il y a ensuite, tant pour l’article premier que pour l’article 2, encore quelques autres différences de peu d’importance, qu’il est inutile de vous signaler ici.

Etonné, comme vous l’êtes sans doute aussi, messieurs, de ce que l’on demande toujours les mêmes allocations totales, lorsqu’on varie aussi fortement dans les parties de ces allocations, j’ai dû penser, avec les autres membres de la section centrale, que les divers détails fournis, tant les premiers que les seconds, manquaient d’exactitude, et étaient arrangés et enflés de manière à arriver aux mêmes chiffres totaux que l’on voulait atteindre.

Cette réflexion, et l’observation faite que, dans l’article premier, on demandait 78,000 fr., et dans l’article 2,190,000 fr. pour frais imprévus, tandis qu’au chapitre 9 du budget on demande encore 633,000 fr. pour cet objet, m’ont déterminé à me joindre aux autres membres de la section centrale pour demander ici une diminution de 100,000 fr. sur chacun des articles 1 et 2 du chapitre 6. C’est à M. le ministre maintenant à faire connaître exactement à la chambre les besoins réels pour le matériel de l’artillerie et du génie, car la section centrale n’a pas pu, plus que la chambre ne le pourrait, faire des investigations à cet égard, et il me paraît qu’on ne peut ici donner qu’un vote établi sur la confiance que l’on aura dans les explications franches du ministre.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il est facile de donner des explications sur les deux articles de l’artillerie et du génie. En se reportant aux époques où j’ai commencé le budget, on comprendra les variations qui ont pu avoir lieu.

J’avais demandé une allocation pour acheter de la poudre parce que nous en avions fourni à l’armée française ; la France nous a rendu 274,000 kilog. de poudre, et elle a laissé 152,000 kilog. de poudre trouvés dans la citadelle d’Anvers. Quand j’ai refait dernièrement le budget, je n’ai plus porté la somme pour l’achat des poudres ; voilà les motifs qui m’ont fait effacer les 100,000 fr., pour acquisition de poudres.

Au mois d’octobre j’ai fait commander deux mille fusils à 30 fr. chacun.

Au mois de novembre et décembre j’ai fait réformer un grand nombre de fusils comme n’étant pas capables d’un bon service : j’en ai fait faire en conséquence 10 mille.

J’avais proposé l’achat de râteliers en fer, méthode suivie ici, et meilleure que celle qui est adoptée en France, où les râteliers sont en bois ; mais j’ai ajourné cet achat.

J’avais porté une somme pour les voitures de l’artillerie ; j’ai cru devoir en commander 110, évaluées chacune à 2,000 fr. Cette somme ayant été trouvée exorbitante, j’ai fait faire un devis ; d’après ce devis chaque voiture revient à 1,800 francs. C’est pour cette raison que le chiffre a varié.

Les autres sommes sont employées à l’entretien de 17 batteries de campagne, à l’achat de harnais, aux dépenses imprévues.

Je n’ai demandé que un million ; je n’ai pas cru en devoir demander davantage, quoique j’aie beaucoup de choses utiles à acquérir.

Maintenant que j’ai justifié la demande du million, je ne puis accepter la réduction proposée par la section centrale. Je prie donc la chambre d’accorder le chiffre que j’ai porté au budget ; cette somme-là sera employée dans l’intérêt du service.

M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, c’est moins sur la demande que fait le ministre pour couvrir les frais du matériel que je prends la parole que sur l’absence de renseignements de la situation réelle du matériel existant dans notre armée et arsenaux ; c’est moins sur ce qui se trouve dans le budget que sur ce qui ne s’y trouve pas.

A cet égard le rapport du ministre est très peu satisfaisant et trop succinct.

Il n’en est pas de même en France, où le ministre prend souvent ses autorités pour augmenter les appointements des généraux et les frais de route. La France doit bien mieux nous servir de guide maintenant. Le 27 février 1833, le maréchal Soult a présenté à la chambre des députés un résumé complet de l’effectif des hommes, chevaux et armes.

Hommes de ligne, 421,494

Chevaux, 82,057

Fusils, 355,000 en magasin.

Batteries de campagne, 139

Pièces de siège, 500 bouches.

Cependant, l’ancien ministre de la guerre s’était cru obligé de fournir plus de renseignements à notre chambre.

Le 23 novembre 1831, dans un rapport préliminaire au budget de 1832, il renseigna, tant l’effectif de l’armée, qui se montait alors à 87,000 hommes, que les prix exacts de la confection des habits, schakos.

En outre, il donna, pour ainsi dire, un inventaire du matériel qui aurait pu servir de guide et de précédent au ministre actuel.

Il comptait posséder pour la fin de 1831

200,000 fusils de munition ;

Caissons, 113 ;

Bouches à feu attelées, 94 ;

Chevaux de cavalerie, 6,000.

Il eût donc été à désirer que le ministre actuel, avant de nous demander un million pour augmenter son matériel, nous eût donné l’état exact :

Du nombre des fusils en magasin et autres,

Des pièces de siège,

Des batteries de campagne,

Des caissons et fourgons,

Des approvisionnements de places

Du matériel laissé par les Hollandais à Anvers ;

L’effectif des chevaux d’artillerie et autres,

L’effectif des pertes de chevaux pendant l’année 1832, pertes que l’on dit considérables.

Mais ces renseignements n’ayant pas été fournis, je fais la demande formelle qu’à l’appui de la loi des comptes il soit fourni à la chambre l’inventaire authentique, par les officiers de génie, de tout le matériel d’armement existant dans nos arsenaux en 1830, et acquis depuis cette époque. Il importe que les chambres aient connaissance de toutes ces valeurs pour que celles-ci ne soient point détournées de leur emploi, et qu’au besoin on puisse faire une enquête sur leur réalité.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Ayant été chargé pendant plusieurs années, en France, de la direction de l’artillerie et du génie, ou matériel de la guerre, je connais les détails du service qui a été organisé dans ce royaume. Dans les premières années de la restauration, on se bornait à présenter des états généraux. Les chambres ont exigé depuis trois ans qu’on leur donnât un inventaire exact du matériel de l’artillerie.

J’ai trouvé ici la comptabilité du matériel de l’artillerie bien mieux organisée qu’en France. Cependant je n’ai pu fournir que les états de 1831 et 1832, parce qu’il y a eu beaucoup de désordre pendant la révolution. Je peux fournir toutes les pièces pour l’année 1832, et faire imprimer l’inventaire exact de ce qui existait au 1er janvier dernier.

M. Gendebien. - Il serait nécessaire que nous connussions l’état du matériel avant de voter des fonds pour son entretien ou son augmentation.

Mais autant je suis scrupuleux quand il s’agit de donner des gratifications à des officiers qui ont déjà de gros appointements, autant je suis facile à accorder les sommes demandées quand il s’agit de choses utiles. Je voterai donc la somme demandée pour le matériel de l’artillerie.

Je demanderai si on ne peut pas avoir des fusils à moins de 30 fr. Le prix ordinaire des fusils était de 28 fr. ; pendant la révolution, leur prix s’est élevé jusqu’à 32 fr. ; mais, depuis, les choses sont revenues à l’état naturel.

Je voudrais que le ministre prît des informations sur les fusils qui se chargent par la culasse. Il m’a paru que l’effet pouvait en être très efficace, Un armurier très intelligent, de Bruxelles, m’a dit que ces fusils, perfectionnés par lui, étaient au-dessus de toute espèce de critique.

Le même armurier m’a assuré qu’il avait trouvé le moyen d’abréger la charge des canons, de façon qu’il en résulterait un immense avantage.

Je dirai, si l’on veut, le nom de l’armurier.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il s’appelle Montigny.

M. Gendebien. - Oui. Comme je suis persuadé que le ministre prendra des informations, je voterai le crédit demandé.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - C’est avec plaisir que je donnerai les explications demandées.

J’ai acheté des fusils en 1832 au prix de 27 et 28 francs ; mais je me suis bientôt aperçu qu’on n’avait pas observé les règlements dans leur confection. Pour avoir de bons fusils, j’ai compris qu’il fallait en augmenter le prix, parce que les matériaux qu’il faut employer sont de meilleure qualité.

Un autre motif, qui a occasionné l’élévation du prix des fusils confectionnés avec de bons matériaux, c’est que la France a acheté à la Belgique 78 mille fusils fabriqués de toutes pièces. Cette concurrence a haussé la valeur des fusils sur le marché.

Quant aux fusils qui se chargent par la culasse, j’en ai vu l’inventeur, Robert ; je me suis convaincu qu’ils étaient supérieurs aux fusils à silex ; j’en ai commandé 3,000. Ils seront payés sur les fonds de 1832 ; voilà pourquoi ils ne figurent pas dans le budget actuel.

Relativement aux canons qui se chargent par la culasse, cette idée avait déjà été conçue par un nommé Jobard, auquel on a permis de faire, à Liége, toutes les épreuves possibles. Il n’a pas complétement réussi.

Montigny, qui a eu la même pensée que Jobard, demande aussi à faire des épreuves à la fonderie de Liège. Il en aura l’autorisation.

M. A. Rodenbach. - Je ne veux pas qu’on publie l’inventaire de notre matériel : nous ne sommes pas un vaste pays comme la France. L’ennemi est à nos portes ; il ne faut pas l’instruire de nos forces. Ceux des membres de l’assemblée qui voudraient avoir des détails sur notre matériel, peuvent demander des renseignements au ministre de la guerre qui ne les refusera pas.

On vient de parler d’essais ; je suis partisan des essais ; mais ils ne conviennent pas à notre petit Etat ; je comprends que cela peut convenir à la France, Nous avons le mortier monstre ; un seul coup coûte 300 fr. ; voilà un essai trop cher pour nous.

M. Gendebien. - Je ne pense pas qu’il y ait de l’indiscrétion dans la demande de M. H. Vilain XIII ; je l’aurais faite s’il ne m’eût pas devancé. Nos voisins savent aussi bien que nous, s’ils ne le savent pas mieux, ce que nous avons dans nos magasins, et le nombre des hommes qui sont sous les armes.

Je ne vois pas qu’il faille leur rien cacher ; il est bon qu’ils connaissent nos forces ; il est bon qu’on fasse connaître à nos amis et à nos ennemis quelle est notre puissance. Si les fonds pour le matériel ne sont pas suffisants, nous en donnerons d’autres pour compléter l’armement.

Si les fusils qui se chargent par la culasse sont bons, 3.000 fr. ne sont pas suffisants : je voudrais que les régiments de chasseurs, que les voltigeurs et les grenadiers des autres régiments fussent armés de ces fusils. Quant aux compagnies du centre, l’effet de leurs armes à feu est moins grand : leur avantage c’est de rester en masse sous le canon, Ce sont les tirailleurs qui ont besoin de bonnes armes à feu. Ne vaudrait-il pas mieux commander 12,000 fusils pour armer, comme je l’ai dit, les régiments de chasseurs à pied et les compagnies d’élite des autres corps de l’infanterie ?

M. H. Vilain XIIII. - Il y a danger de mettre au jour l’état effectif des forces d’un Etat quand cet effectif est trop faible ; au reste, l’effectif est en partie dévoilé par le budget lui-même. J’insiste donc sur ma demande ; cependant, je prierai M. le ministre de restreindre son rapport dans les bornes que l’intérêt du pays commandera.

- Le chiffre de un million, demandé par M. le ministre de la guerre, est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Matériel du génie : fr. 1,000,000. »

M. le ministre de la guerre avait demandé 1,100,000 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je dois répondre ici à une observation faite par M. Desmaisières, relativement à des réparations de bâtiments à Mons. J’avais d’abord porté le chiffre à 83,000 fr., et je ne l’ai porté ensuite qu’à 23,000 fr. ; c’est parce que le paiement d’une somme de 60,000 fr. doit s’effectuer sur le budget de l’année dernière et que nous avons remarqué que les certificats pourraient se rapporter aux budgets de 1831 ou 1832.

J’ai fait connaître que la restauration de la citadelle d’Anvers présente un total de 150,000 fr. ; que le déblaiement des barricades dans l’intérieur de la ville coûtera 50,000 fr. ; que les réparations de la Tête-de-Flandres coûteront 30,000 fr.

Vous avez encore des réparations à faire aux forts Lacroix, Sainte-Marie, etc. On a déjà employé pour digue et déblaiement de la ville d’Anvers une somme de 180,000 francs.

Toutes les dépenses que je demande sont indispensables et urgentes : je prie donc la chambre de m’accorder 1,100,000 fr.

M. Osy. - Je vois des sommes allouées pour l’entretien de forteresses qui doivent être démolies d’après un traité : s’il est vrai qu’elles doivent être démolies, je ne conçois pas comment on peut voter des fonds pour les entretenir. Je ne comprends pas non plus pourquoi on ne nous soumet pas le traité qui exige les démolitions. D’après la constitution, tout traité de cette nature doit être soumis aux chambres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Sans entrer sur ce qui serait relatif à l’existence de ce traité je dirai que les sommes portées pour Mons, Marienbourg, Menin et Philippeville sont restreintes aux dépenses nécessaires pour l’entretien des bâtiments militaires et des ponts qui permettent le passage dans ces forteresses.

Ces forteresses ne peuvent être négligées sous ces rapports. Les bâtiments militaires pourront être vendus quand on rasera les forteresses, et ils seront mieux vendus s’ils sont en bon état : actuellement les ponts et les passages sont indispensables pour les communications, pour la circulation, et il est indispensable de les bien entretenir.

M. Brabant, rapporteur. - Je dois faire observer qu’en effet la somme de 8,000 fr. portée pour Menin est pour un pont.

M. Osy. - Je vois qu’on nous demande une somme pour réparation de la citadelle d’Anvers. Le gouvernement provisoire avait pris un arrêté pour que cette citadelle fût rasée aussitôt qu’on nous l’aurait rendue. Je crois bien que, dans les circonstances actuelles, il serait dangereux de la raser ; mais je crois que la citadelle d’Anvers devrait ne plus servir que comme fort extérieur, que comme la continuation et le complément des travaux qui entourent la ville.

D’ailleurs que veut-on faire de la citadelle ? Il n’y a plus un bâtiment debout ; elle ne pourrait tenir un jour si on la sépare de la ville. Si on s’en sert comme prolongation des fortifications de la ville d’Anvers, alors il ne faut que les fonds nécessaires au rétablissement des revêtements qui ont été battus par l’artillerie française.

On nous demande aussi une somme pour le déblaiement des barricades ; je crois que le génie militaire n’a point à faire le pavage.

Je demande des explications à M. le ministre sur ces deux objets.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement provisoire n’a pas décrété que la citadelle d’Anvers serait rasée. L’honorable M. de Robiano, alors gouverneur de la province, fit au gouvernement provisoire la proposition d’adopter un projet d’arrêté d’après lequel les fronts qui regardent la ville seraient démolis. Le gouvernement provisoire a adopté la proposition ; mais elle n’a eu de suite, et n’a pas été insérée au Bulletin officiel.

M. de Brouckere. - Je trouve à l’article 2 un paragraphe qui me paraît singulièrement placé, c’est celui relatif aux frais de bureau des commandants du génie. Nous avons déjà voté un article spécial pour les frais de bureau ; d’où vient que le génie a de nouveaux frais de bureau ici pour ses commandants ? Si ces commandants sont les mêmes que ceux pour lesquels nous avons déjà voté des indemnités, il y a double emploi ; s ils ne sont pas les mêmes, il fallait les placer au chapitre 3 et non ici.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Au chapitre 3 se trouvent les frais de bureau pour les commandants du génie ; mais maintenant les frais de bureau pour le matériel du génie sont ceux qui sont donnés aux commandants du génie dans les places. Ces officiers sont tenus de déclarer sur leur honneur ce qu’ils ont dépensé en papier, en couleurs, en transcription d’écritures, et on les rembourse sur la présentation de leur mémoire.

Le total de ces frais est porté au budget pour 15,000 fr.

Quant à la restauration de la citadelle d’Anvers, je dirai qu’elle n’a lieu que pour les fronts qui ont été attaqués, et que l’on ne fait rien sur le front qui regarde la ville ; ce front reste dans l’état où il est.

M. Gendebien. - Il est indubitable que l’arrêté du gouvernement provisoire relatif à la citadelle d’Anvers n’a pas force de loi ; cet arrêté était un simple acte administratif. Cependant, je crois que les motifs qui ont déterminé le gouvernement provisoire à prendre cet arrêté existent encore. Les citadelles, en général, sont plutôt faites contre les populations que contre l’ennemi. Nous avons, dans le gouvernement provisoire, cru faire acte de civisme en donnant l’ordre de détruire le revêtement qui regarde la ville ; le gouvernement actuel devrait exécuter ce que le gouvernement provisoire méditait de faire.

La citadelle ne peut servir qu’à effrayer les Anversois et qu’à les ruiner. Que la citadelle soit dans les mains de nos amis ou de nos ennemis, elle est menaçante pour la ville ; c’est un instrument fatal qu’il ne faut pas laisser dans les mains du gouvernement. L’histoire de la ville d’Anvers prouve que la citadelle lui a plus souvent été funeste qu’utile.

Relativement aux fonds demandés pour l’entretien des fortifications, je vois dans ce paragraphe figurer les villes de Bruxelles, Louvain, la prison de Vilvorde, où je ne crois pas qu’il existe de fortifications ; si la somme demandée pour Bruxelles est pour entretenir la poudrière, j’en demanderai la suppression : un magasin à poudre effraie cette capitale. Les magasins exigent des transports de poudre, et Bruxelles a le souvenir d’explosions qui ont eu lieu pendant ces transports.

Je demande si l’on est dans l’intention de détruire le magasin à poudre.

Dans les dépenses du corps du génie je trouve une somme pour frais de surveillance extraordinaire : mais le corps du génie est payé quand il ne fait rien, pourquoi veut-il être payé quand il a une besogne extraordinaire ?

Je vois aussi « frais de loyer : » est-ce qu’il y a encore quelques officiers richement rétribués qu’il faut loger ? Est-ce que des officiers avec de gros traitements ne peuvent pas se loger ?

Enfin, je vois un paragraphe intitulé « Dépenses diverses. » C’est là un article de dépenses imprévues ; pourquoi faire deux articles sur le même objet ? Il fallait réunir tout en un seul.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - A Arlon, Vilvorde, Louvain, Bruxelles, il y a des bâtiments militaires ; les sommes affectées à ces places sont pour l’entretien de ces bâtiments.

A Bruxelles j’ai donné les ordres pour que l’on évacue entièrement les poudres qui s’y trouvent : les bâtiments qui les contenaient doivent être incessamment rasés pour terminer les boulevards.

Il y a dans chaque place de guerre des gardes et conducteurs des travaux du génie ; ces conducteurs ne sont quelquefois pas en nombre suffisant pour surveiller les ouvriers quand les travaux sont considérables ; alors il faut leur adjoindre d’autres surveillants ; c’est là ce qui est exprimé par surveillance extraordinaire, 7,200 fr. sont destinés au paiement des hommes que dans certaines places on est obligé de prendre pour surveiller momentanément les travailleurs.

Quant aux frais divers je ne saurais entrer dans le détail de ces dépenses ; les fonds qui leur sont affectés se retrouvent au budget quand ils ne sont pas employés.

M. Verdussen. - Une des sommes qui est demandée pour réparations des fortifications d’Anvers ne s’applique qu’aux réparations extérieures, nous dit le ministre ; cependant ce n’est pas par là que les travaux ont commencé : on a commencé par réparer les dégâts que les bombes françaises ont causés sur les revêtements qui regardent l’intérieur de la ville. M. le ministre de la guerre a les meilleures intentions, je me plais à le reconnaître, mais malheureusement elles ne sont pas toujours remplies par ceux qui sont chargés de les exécuter.

On a dit que les citadelles étaient en général construites contre les villes plutôt que contre l’ennemi. Les faits prouvent cette assertion : qu’on se reporte à l’origine de la citadelle d’Anvers et l’on en sera convaincu. L’arrêté du gouvernement provisoire, pris dans les meilleures vues, a malheureusement été pris dix jours trop tard. Sans ce retard, il aurait eu force de loi.

M. Legrelle. - Je suis charmé que les honorables préopinants aient soulevé la question ; car si j’avais été le seul à parler en faveur d’Anvers contre la partie de la citadelle qui semble menacer cette ville, j’aurais paru en quelque sorte animé par un intérêt trop exclusif.

Il est certain, messieurs, que la citadelle, après avoir menacé la ville d’Anvers pendant 27 mois, et être tombée devant les canons des Français, a été presque aussitôt reconstruite ; il semble que l’autorité n’ait pas même voulu laisser aux habitants du pays le temps de la réflexion. Je ne rappellerai pas l’arrêté du gouvernement provisoire, arrêté-loi pour ainsi dire qui avait consolé les Anversois ; mais je ferai remarquer à la chambre que cette question est une question de haute politique. J’aurais désiré que les bastions et les revêtements qui regardent la ville n’eussent pas été réparés, et c’est par là qu’on a commencé, quoique cela ne puisse être aucunement utile puisqu’il n’y a plus de bâtiments de ce côté. On s’en est plaint, et des réclamations ont été faites à cet égard contre les dispositions du génie. Je rends toute justice à M. le ministre de la guerre ; je sais que ce n’est pas à lui qu’il faut imputer ce fait ; mais je crois aussi, comme M. Verdussen, que ses intentions ne sont pas remplies.

Pour montrer que je rends toute justice à M. le ministre de la guerre, je répondrai à une observation présentée par M. Osy. Cet honorable membre a dit que la somme de 50,000 fr. demandée pour déblaiement des barricades et des retranchements intérieurs dans la place d’Anvers, comblement des travaux d’attaque, etc., était trop élevée ; et moi je ne la trouve pas assez élevée. Et ce qui le prouve, c’est que les deux adjudications qui ont été faites pour exécuter une partie de ces travaux se montent, l’une à 32,000 fr. et l’autre à 15,000. Ainsi donc le crédit, loin d’être exagéré, n’est pas suffisant.

Je ferai maintenant une interpellation à MM. les ministres que l’objet dont je vais parler concerne. Ces messieurs ignorent peut-être que, pendant les hostilités, qui ont duré un mois, des dégâts immenses ont eu lieu non seulement à l’extérieur, mais dans l’intérieur de la ville : là un grand nombre de boulets sont venus frapper les maisons de malheureux, qui se trouvent aujourd’hui plongés dans la plus affreuse misère. Ils ont souffert dans l’intérêt de l’Etat, et, depuis trois mois, ils n’ont rien reçu. Toutes les démarches que j’ai faites moi-même sont restées sans succès ; je n’ai pas obtenu une obole pour les habitants de la 5ème section. La somme de 2,500 fr., qui a été portée au Moniteur, était destinée pour payer les dommages essuyés en 1830 : mais les habitants d’Anvers qui ont souffert pendant le siège n’ont encore rien eu, sinon un secours qu’ils doivent à la munificence du Roi. Il me semble, messieurs, qu’il est temps que le gouvernement pense à adoucir la condition de ces malheureuses victimes.

M. A. Rodenbach. - Je crois que MM. les ministres ne seront pas démolisseurs en vertu d’un arrêté du gouvernement provisoire. Quant à moi, loin de demander que la citadelle d’Anvers soit rasée, j’insisterai, au contraire, pour qu’elle soit complétement remise en état, et le plus tôt possible. On a dit, messieurs, que les citadelles étaient élevées contre les villes : il y a peut-être quelque chose de vrai dans cette assertion. Mais si Anvers pouvait réclamer la destruction de sa citadelle, alors Mons, Namur, Menin, Gand, seraient en droit d’avoir des prétentions semblables, et d’honorables membres, qui siègent dans cette enceinte, pourraient les faire valoir. Par exemple, M. Pirson parlerait en faveur de Dinant, M. de Robaulx pour Liége, et M. Brabant pour Namur, etc. (rire général), et de cette manière on en viendrait à raser toutes les forteresses de la Belgique. Messieurs, la sainte-alliance nous a considérés comme neutres ; mais ce n’est pas sous ce point de vue que j’envisage mon pays. Nous avons encore plus de 100,000 hommes sous les armes, et nous pouvons venger les événements du mois d’août. Au lieu de me prononcer pour que l’on rase la citadelle d’Anvers, je sois prêt à accorder, si cela est nécessaire, une augmentation de crédit pour sa réparation complète. Le temps peut venir où elle soit d’une extrême utilité pour notre défense.

M. Osy. - Je ne me suis pas appuyé sur l’arrêté du gouvernement provisoire pour demander la démolition de la citadelle d’Anvers ; j’ai dit seulement qu’il ne me semblait pas convenable de la réparer du côté de la ville, d’autant plus que ces travaux ne serviraient à rien, puisque du côté de la ville il ne reste plus de bâtiments.

M. de Robiano de Borsbeek. - Messieurs, lorsque le gouvernement provisoire a accédé à la demande de démolir une partie de la citadelle d’Anvers, le fatal traité des 24 articles ni celui des 18 articles n’avaient encore été imposés à la Belgique. Alors on avait la confiance de posséder un jour Maestricht, de prendre une position forte ; mais cette confiance a été déçue, et depuis ce temps, à partir d’Anvers jusqu’à Luxembourg, nous n’avons pas de défense, le pays est livré à l’ennemi. Je frémis quand j’y pense. Ce n’est pas moi qui pourrai consentir à ce que cette forteresse soit détruite, et je voterais au besoin pour une augmentation, comme mon honorable collègue M. Rodenbach.

Nous avons une armée de 100,000 hommes, et l’ennemi en a autant. En cas d’hostilités il faudrait des troupes considérables pour nous défendre du côté d’Anvers, sans la citadelle ; tandis qu’avec cette forteresse, une garnison qu’on saurait appuyée par derrière d’une armée patriote en fera un point inexpugnable. Il faut donc que les Anversois se résignent aussi bien que les habitants des autres villes fortes à voir subsister la citadelle.

C’est avec plaisir que j’ai vu l’empressement qu’on mettait à la réparer. Cette réparation cause de grands travaux, et si la somme portée au budget que nous discutons ne suffit pas pour les casernes, pour les bâtiments, votons une somme plus considérable. Dans le cas où la citadelle serait investie, c’est dans les casemates que nos soldats devraient vivre, et ils y resteraient avec d’autant plus de patience et de longanimité qu’ils en auraient reçu l’exemple des Hollandais. Il est donc nécessaire de faire toutes les réparations convenables.

M. Brabant. - La somme qui est portée au budget de la guerre est relative à des travaux qui sont déjà à peu près effectués ; il ne s’agit que de régulariser ce qui a déjà été accordé par des crédits provisoires.

On a fait beaucoup de bruit des travaux du front de la citadelle du côté de la ville d’Anvers. Messieurs, il n’est peut-être personne de vous qui ne soit allé la visiter, et vous avez pu voir que cette partie n’a presque en rien souffert ; le peu d’ouvrages qu’on y a faits sont des travaux de terrassement.

Je sais bien que la citadelle peut être menaçante contre la population de la ville ; mais, depuis deux cents ans, elle n’a servi que deux fois à les alarmer. Du reste, il y avait un moyen de ne pas en être inquiet, c’était de la prendre et de faire comme ont fait les autres habitants des villes fortes. (On rit.)

M. Verdussen. - C’était une chose impossible au moment de la dernière révolution.

M. Legrelle. - M. A. Rodenbach a dénaturé mes paroles. J’ai dit que cette question était une question de haute politique, et j’ai regretté qu’on eût commencé les travaux du côté qui menaçait la ville. En effet, il est possible que d’ici à des années, à des siècles, la citadelle tombe encore aux mains de l’ennemi, et les habitants seraient de nouveau exposés à d’affreux dégâts.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - L’honorable M. Legrelle parlé d’immenses dégâts faits à l’intérieur et à l’extérieur d’Anvers. J’ai chargé le gouverneur civil et des officiers du génie de constater ces dégâts ; plusieurs états m’ont déjà été remis, et ils se montent à des sommes considérables ; mais il y a deux distinctions à faire pour l’application de l’indemnité. C’est principalement dans le village de Berghem et environs qu’ont eu lieu les plus grands dommages. Il y a eu des parcs entiers abattus, des bâtiments, des granges détruites ; mais ces dégâts ont été commis par les troupes françaises, et ce sera une question de savoir de quelle manière les habitants devront être indemnisés. En attendant, le gouvernement a ordonné une expertise qui s’élève déjà à 400.000 fr. On avisera plus tard au moyen de faire payer les indemnités.

M. Gendebien. - M. de Robiano vous a dit, messieurs, que l’arrêté du gouvernement provisoire, relatif à la citadelle d’Anvers, était une bonne chose à l’époque où il avait été pris, mais que tout était bien changé depuis que les traités des 18 et des 24 articles nous ont été imposés. En vérité, je ne conçois pas comment l’honorable membre ne trouve pas de garantie dans ces traités, lui qui a une foi si candide dans la diplomatie. (On rit.)

M. Pirson. - Ce n’est pas là la question.

M. Gendebien. - Je prierai M. Pirson de ne pas m’interrompre, et de me répondre après que j’aurai parlé ; je l’écouterai avec beaucoup de plaisir. Je suis parfaitement dans la question. Je dis que je suis étonné que l’honorable M. de Robiano, qui a une foi si candide dans la diplomatie, ne trouve pas de garantie dans les traités. Les 24 articles constituent notre neutralité ; vous avez foi dans ce traité ; donc vous ne pouvez pas l’invoquer pour montrer que nous devons conserver nos forteresses.

On a parlé des fortifications des villes qu’il faudrait détruire si on le faisait à l’égard de la citadelle d’Anvers ; mais il n’y là aucune analogie : Anvers est déjà suffisamment défendu par les fortifications dont il est entouré.

Une considération capitale que je vous prie de peser, messieurs, c’est que cette citadelle est de nature à éloigner le commerce de la ville. Il n’en est aucune dans la Belgique qui présente ce caractère tout spécial d’une cité de commerce avec un des ports les plus fréquentés, les plus favorablement situés. Vous le savez, le commerce n’a pour aliment que la confiance, et il faut faire disparaître autant que possible ce qui est susceptible de la gêner.

Je dirai ici ma pensée tout entière. En décembre 1830 et en janvier 1831, il était question de plusieurs projets de partage et d’occupation. Dans tous ces projets, la citadelle d’Anvers devait être occupée par d’autres que par nous. Jugez maintenant si vous voulez vous voir exposés un jour à laisser tenir la citadelle par des troupes étrangères, par une garnison anglaise. Ce qui a été agité en décembre 1830 et en janvier 1831 peut se renouveler encore ; car, comparez a ces époques celle où nous nous trouvons ; réfléchissez si nous sommes plus en sécurité contre une occupation et contre un partage.

Si donc vous voulez considérer la citadelle d’Anvers eu égard à la ville, au commerce, au port, vous détruirez la partie qui menace la ville. Quant à l’autre partie, loin d’en proposer la démolition, je demanderai qu’elle soit réparée le plus promptement possible, Quant au reproche de n’avoir pas pris la citadelle, il n’est plus temps de le faire. Je rappellerai seulement que dans le 16ème siècle les Anversois s’en emparèrent et la démolirent.

M. de Robiano de Borsbeek. - Je ne sais pas s’il y a dans cette assemblée un autre membre que M. Gendebien qui croie que j’ai une foi candide dans la diplomatie. Je m’en rapporte à cet égard à ce que j’ai écrit et publié...

M. Gendebien. - Je m’en rapporte moi à ce que vous avez dit à la chambre.

M. de Robiano. - Eh bien, j’en appelle à ce que j’ai dit à la chambre, et je crois qu’on ne pourra y trouver que j’ai eu pleine confiance dans la diplomatie. Du reste, je n’ai eu aucunement l’intention d’inculper le gouvernement provisoire ; j’ai dit seulement que lorsqu’il avait pris son arrêté, nous voyions un avenir meilleur et plus certain, mais que les traités des 18 et des 24 articles nous avaient placés dans une position toute différente ; et j’ai ajouté que dans ces circonstances il fallait conserver un de nos principaux moyens de défense, qui pouvait sauver le pays. (Aux voix !)

M. Legrelle. - Je désire faire une observation relativement à ce qu’a dit M. le ministre de la guerre. (Aux voix ! aux voix !)

Je ne veux dire qu’un mot. Je suis d’accord avec M. le ministre sur les indemnités résultant du chef des dégâts commis pendant le siège d’Anvers ; mais il vient de me dire qu’il n’y avait pas moyen de les payer, parce qu’il n’a pas de fonds pour cet objet. Il nous a fait entendre que c’était une question à décider avec la France, que de savoir qui paierait d’elle ou de nous. Mais, pour peu que la solution de cette question traîne en longueur, des malheureux qui se trouvent dans le dénuement le plus absolu vont mourir de faim. Vous avez un exemple récent messieurs : le quatrième membre d’une famille victime de ces dégâts s’est noyé dernièrement parce que le pain lui manquait.

M. de Brouckere. - Je ferai remarquer que cet objet est tout à fait en dehors de la question. Nous sommes occupés en ce moment des fortifications. Si de malheureux habitants de la ville d’Anvers sont réduits à la misère, que la régence vienne à leur secours.

M. A. Rodenbach. - C’est ce que j’allais dire aussi. D’ailleurs, je suis étonné que, dans une ville où il y a plus de vingt millionnaires, on laisse les gens mourir de faim. (On rit.) (La clôture ! la clôture !)

M. Dumortier. - Je suis fâché qu’on ait soulevé une question étrangère à l’objet en délibération ; mais, puisqu’on l’a entamée, il me semble qu’il faudrait la vider... (La clôture ! la clôture !)

J’ai eu occasion de voir dans le courant de la semaine des personnes dont les propriétés ont été dévastées par suite de l’occupation de l’armée française, et qui s’adressent vainement au ministre de la guerre et aux tribunaux. (Les cris : la clôture ! deviennent plus répétés.)

M. Poschet prononce quelques mots qui ne parviennent pas jusqu’à nous.

Le chiffre de 1,100,000 fr. proposé par M. le ministre de la guerre est mis aux voix et adopté.

Chapitre VII. - Traitements de disponibilité, non-activité et pensions

Article unique

On passe au chapitre contenant un article unique relatif aux traitements de disponibilité et de non-activité.

M. le ministre de la guerre demande de ce chef un crédit de 422,760 fr.

La section centrale propose de le réduire à 386,260 fr.

M. de Brouckere. - Je reviendrai sur l’observation que j’ai déjà faite, tendante à ce que M. le ministre de la guerre prenne une mesure relativement aux officiers qui touchent des traitements alors qu’ils ne rendent aucun service. S’ils sont propres à être replacés, qu’on les emploie ; j’ai la conviction que parmi eux il y en a plusieurs en état de servir. Si, au contraire, ils sont impropres au service, qu’on les mette en non-activité, et qu’on diminue la dépense.

M. de Robaulx. - Il s’agit ici du personnel des officiers non employés, et qui cependant sont payés par l’Etat. Je me rappelle fort bien que par une mesure du gouvernement provisoire on a publié les noms de ceux qui touchaient des pensions du trésor, et que cette publication produisit un effet très salutaire. Il y avait des hommes qui, sous le titre d’anciens militaires, et pour avoir servi sous je ne sais quel prince d’Autriche, recevaient 1,500 fl. de pension, et qui étaient immensément riches. Eh bien ! quand ils ont su qu’une liste allait être publiée, ces gens-là se sont fait justice à eux-mêmes. Je désire encore que la liste nominative de ceux qui touchent au râtelier de la guerre, qui y mangent (on rit), soit imprimée, et qu’elle soit communiquée à la chambre. Elle comprendrait les officiers en disponibilité et en non-activité…

M. Brabant, rapporteur. - Cela existe, cette liste est sur le bureau.

M. de Robaulx. - Je ne l’ai pas vue. D’ailleurs, il ne suffit pas qu’elle soit sur le bureau, il faut qu’elle soit distribuée aux membres. Je suis persuadé qu’on y trouverait beaucoup de gens qui touchent des sommes de l’Etat comme généraux, comme colonels, etc., pour des services qu’ils ne rendent pas.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’appuie très volontiers la proposition de l’honorable M. de Robaulx, et il pourra en résulter un grand bien. J’ai déjà donné des ordres pour qu’on fasse une revue de chaque officier en disponibilité ou en non-activité, et que l’on constate ses services et ses droits. Tous ceux qui seront en état de reprendre du service seront replacés après les vacances. Quant à ceux qui sont en non-activité, je demande moi-même que la liste en soit imprimée et publiée. C’est une mesure très utile et dont j’ai fait l’expérience en France.

M. de Robaulx. - Quoique je ne sois pas très flatteur, je dois remercier M. le ministre de la guerre de la manière officieuse dont il répond à toutes nos interpellations. Il n’hésite pas, comme tous nos ministres précédents, il répond à l’instant même ; c’est qu’il connaît son affaire. (Rires d’approbation.)

M. Gendebien. - Je ne connais pas non plus la liste dont il s’agit, et j’appuie la proposition de M. de Robaulx. Cependant je ferai une observation. Il serait bon que l’on annonçât d’avance que cette liste sera publiée dans 15 jours ou 3 semaines, car il y a tel fonctionnaire qui, pour ne pas voir imprimer son nom, renoncerait à ce qu’il reçoit de l’Etat, tandis que s’il n’était pas prévenu une fois qu’il aurait subi la honte, il continuerait à toucher son allocation. Du reste, je pense que c’est au ministre des finances à faire la publication de la liste générale des pensionnaires, sauf au ministre de la guerre à faire imprimer la liste de ceux qui, à un titre quelconque, mangent à son budget.

Je prierai aussi M. le ministre de la guerre de faire une revue générale des officiers en disponibilité et en non-activité. De grandes injustices ont été commises, il est temps enfin de les réparer toutes. Il en est plusieurs à ma connaissance qui sont très capables de servir et qui se sont toujours montrés dévoués au pays et à la révolution. Il est une catégorie toute spéciale à l’égard de laquelle il y a nécessité de prendre un parti définitif. Ou ils ne méritent aucune confiance ou ils sont criminels, et dans ce cas ils ne doivent être placés dans aucune catégorie ; ou ils ont été trompés, et dans ce cas ils méritent notre indulgence et n’ont point perdu notre confiance.

Je veux parler des officiers qui, au mois de mars 1831, ont été dupes de supérieurs qu’ils croyaient mériter leur confiance et jouir d’une influence par leur position sociale ou par leur grade. Ils étaient ou au moins ils se disaient à la tête de la conspiration de cette époque ; ceux-là seuls sont vraiment criminels. Ces officiers trompés, il est vrai, n’ont pas moins commis une faute grave, mais c’est plutôt une faute d’irréflexion qu’autre chose. Or, lorsque je vois ceux qui étaient à la tête de cette conspiration comblés de faveurs aujourd’hui et possédant, en apparence du moins, la confiance du gouvernement, je m’étonne qu’on persiste à repousser des hommes qui n’ont été que dupes ; les vrais coupables sont ceux qui, après les avoir compromis, les ont abandonnés, et, pour se réhabiliter, ont calomnié ceux qu’ils n’ont pu tromper ou entraîner.

Je ne citerai personne, mais un jour viendra où je publierai cet incident de notre révolution, et l’on sera étonné de voir que ce sont ceux qui ont compromis ces officiers qui sont en faveur. Du reste, il est temps de passer l’éponge sur tout cela. Si je crains des arrière-pensées, ce n’est pas dans les officiers belges, ils ont une patrie à défendre, ils doivent être convaincus qu’une restauration est maintenant impossible, parce que, si la faiblesse du gouvernement nous y conduit, la masse du peuple n’en veut pas, et il saura toujours répondre à la voix des patriotes sincères ; il n’y a aujourd’hui aucun inconvénient à les employer, la patrie aura bientôt besoin de tous ses enfants.

J’en connais quelques-uns depuis mon enfance, je ne les ai jamais perdus de vue depuis 25 ans, et je puis dire qu’ils n’ont jamais manqué à l’honneur. (Aux voix ! aux voix !)

- Plusieurs voix. - Et la liste !

M. de Robaulx. - M. le ministre de la guerre nous a dit lui-même qu’il était d’avis de cette impression. C’est à lui que nous devons en laisser le soin. (Oui ! oui !)

- Le chiffre de 386,260 fr., proposé par la commission, est mis aux voix et adopté.

Projet de loi d'organisation des communes

Dépôt

Ici, M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) demande la parole pour une communication du gouvernement.

La discussion est suspendue, et M. le ministre de l’intérieur présente dans les termes suivants l’exposé des motifs d’un projet de loi communal. (L’assemblée le dispense de lire ce projet. Voir au supplément ce projet de loi.) - Messieurs, le congrès national ayant déclaré, dans l’article final de la constitution, qu’il était nécessaire de pourvoir par une loi séparée, à l’organisation communale, M. de Sauvage, ministre de l’intérieur, présenta au congrès un projet de loi sur cette matière. Le projet fut imprimé et distribué, mais ne put, par suite des circonstances, être discuté ni adopté.

Au mois de septembre 1831, le Roi, prenant en considération que les projets de loi relatifs à l’organisation provinciale et communale avaient besoin d’être soumis à un mûr examen, nomma à cet effet une commission composée de MM. le baron de Stassart, président du sénat, le baron Beyts, sénateur, Lebeau, Devaux de Theux, Jullien, Barthélemy, représentants.

La commission s’installa immédiatement et commença son travail par l’organisation provinciale. Le projet qu’elle rédigea fut présenté, après de légères modifications, à la chambre des représentants, par mon prédécesseur, dans la séance du 2 décembre 1831.

La commission s’occupa ensuite de l’organisation communale, et prépara un premier projet qui fut envoyé à l’examen des états députés et de MM. les commissaires de district de toutes les provinces pour recevoir leurs observations. Après que ces observations eurent été recueillies au ministère de l’intérieur, la commission se réunit de nouveau pour en prendre communication, et fit par suite subir des modifications à son travail primitif.

Le projet définitif qu’elle vient de mettre sous les yeux du Roi, outre qu’il se trouve en harmonie avec le projet de loi provincial rédigé par la même commission, a paru au gouvernement réunir les conditions nécessaires pour que, d’une part, l’exécution des lois et des mesures d’administration générale fût suffisamment assurée dans les communes, et que, d’autre part, les intérêts communaux fussent fortement garantis.

Le gouvernement n’a donc pas hésité à adopter le projet de loi, tel qu’il a été présenté à S. M. par la commission, et il a cru satisfaire au juste désir des chambres et du pays, en ne retardant pas davantage la présentation de ce projet.

Je dois ajouter une observation sur le mode de publication de ce projet de loi. Mon intention est de le faire imprimer au Moniteur. On pourrait former des colonnes du Moniteur une brochure in-octavo, et il en résulterait de l’économie pour les chambres. Cette brochure aurait la forme de celle sur le chemin en fer, jointe au mémoire de MM. Simons et de Ridder. (Appuyé !)

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi communal, Ce projet sera imprimé et distribué à MM. les membres de la chambre.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, le projet de loi que vient de déposer sur le bureau M. le ministre de l'intérieur est un des plus importants qui puisse s’offrir à la législature. Il doit compléter l’édifice constitutionnel, et nous ne pouvons à cet égard nous entourer de trop de lumières. Dans une circonstance précédente, quand il s’est agi de projet de loi sur l’organisation judiciaire, on a adopté la proposition de le renvoyer à l’examen des cours et tribunaux, et l’on en a retiré un grand fruit. Aujourd’hui je viens faire une proposition semblable relativement au projet de loi communal. Je crois savoir que M. le ministre de l’intérieur, avant de nous remettre ce projet, l’a communiqué à MM. les gouverneurs et les commissaires de districts.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Et aux députations des états.

M. Dumortier. - Et aux députations des états, En cela M. le ministre a suivi parfaitement les intentions du gouvernement, et il a fait une bonne chose. Mais je crois que de notre côté, dans l’intérêt des libertés publiques, nous devons le renvoyer à l’examen de 12 ou 15 villes les plus importantes de la Belgique. On pourrait même étendre cette mesure, si on le jugeait convenable, mais je crois que cela suffirait. Cet envoi ne nous occasionnerait aucun retard ; car, après les vacances que nous allons probablement prendre, nous aurons à examiner les budgets qui nous occuperont au moins six semaines, puis la loi sur les distilleries qui nous a été renvoyée par le sénat, ensuite la loi provinciale, qui se compose de 130 ou 140 articles.

Indépendamment de tout cela, nous aurons à examiner une foule de lois transitoires. Nous ne perdrons donc aucun temps en adoptant cette mesure. Je fais la proposition que le projet de loi communal soit renvoyé aux régences des 12 villes les plus importantes du royaume, avec invitation d’y joindre leurs observations et de retourner le tout dans le délai de 15 jours.

M. H. Vilain XIIII fait remarquer que ce serait une mesure incomplète, et que si l’on veut procéder de cette manière, il faut renvoyer le projet de loi à tous les chefs-lieux de canton.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Si le gouvernement n’a pas consulté les régences, ce n’est pas dans des vues d’intérêt particulier ; il n’a fait que suivre l’impulsion qui lui a été donnée par la commission chargée de rédiger le projet de loi ; il a consulté non seulement les gouverneurs, mais les députations des états qui sont en ce moment la représentation des provinces, et les commissaires de district qui dans beaucoup d’endroits se montrent plutôt les représentants des localités que ceux du gouvernement. Dans tous les cas, le projet sera imprimé dans le Moniteur, et les régences pourront, après en avoir pris communication, adresser leurs observations à la chambre.

M. Dumortier, après quelques débats, modifie sa proposition, et il demande que le projet de loi soit renvoyé à tous les chefs-lieux d’arrondissement, avec invitation de le retourner dans le délai d’un mois.

M. H. Vilain XIIII présente un sous-amendement ayant pour but d’étendre la mesure aux chefs-lieux de canton.

- Cette proposition est mise aux voix et rejetée.

Celle de M. Dumortier est mise ensuite aux voix.

Une double épreuve étant douteuse, on passe à l’appel nominal. Sur 67 membres présents 29 votent pour et 38 contre. En conséquence elle est rejetée.

Ont répondu oui : MM. Coppens, Corbisier, Dellafaille, de Robiano, de Sécus, de Terbecq, de Stembier, Dubus, Dumortier, Duvivier, Ernst, Goblet, Hye-Hoys, Jonet, Julien, Lebeau, Legrelle, Levae, Liedts, Marcellis, Pirson, Poschet, Rogier, Ullens, J. Vanderbelen, Verdussen, Vuylsteke, Watlet, Raikem.

Ont répondu non : MM. Angillis, Brabant, Cols, de Bousies, de Brouckere, de Laminne, de Meer de Moorsel, de Renesse, de Robaulx, de Roo, Desmaisières, Desmanet, Desmet, de Theux, Dewitte, Donny, Dumont, Fallon, Fleussu, Fortamps, Helias d’Huddeghem, Lardinois, Mary, Milcamps, Morel Danheel, Olislagers, Osy, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Speelman, Thienpont, Vanderbelen, Verhagen, Vergauwen et H. Vilain XIIII.

M. le président. - Nous allons revenir au budget.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de 1833

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Vivres de campagne et fourrage en nature

Article unique

« Article unique. Vivres de campagne et fourrages en nature : fr. 9,000,819 78 c. »

La section centrale a proposé une réduction de 1,120,819 fr. 78 c.

M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, quoique M. le ministre nous propose maintenant un chiffre inférieur à celui de la section centrale, comme l’article est subdivisé en plusieurs parties distinctes, que le tableau de ces divisions ne vient de m’être remis qu’à l’instant, et que beaucoup de membres ne l’ont pas reçu, je demande qu’on renvoie la discussion de ce chapitre à demain. (Appuyé !)

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’appuie volontiers la proposition de l’honorable rapporteur ; je viens de recevoir le tableau, et il ne pourra être distribué que ce soir, et je tiens à ce que chaque membre l’examine, parce qu’il bouleverse tous les détails du budget.

M. Brabant, rapporteur. - Je dois vous faire observer, messieurs, que la section centrale ne s’est occupée que des travaux de chiffres ; mais il faut des articles réglementaires, et je demanderai si la chambre veut en confier la rédaction à la section centrale ; elle suivrait le texte de ceux de l’année dernière, elle pourrait vous faire son rapport demain. (Appuyé !)

M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, la section centrale sera chargée de rédiger les articles réglementaires. (Oui ! oui !)

M. de Theux. - Je demande que ces articles soient imprimés et distribués. (Appuyé !) (A demain ! à demain !)

- Plusieurs membres. - Non ! non ! Continuons ; il n’est pas quatre heures !

M. le président. - Ainsi, messieurs, nous avons ajourné le chapitre 8 ; nous allons passer au chapitre 9.

Chapitre IX. - Dépenses imprévues

Article unique

« Article unique. Dépenses imprévues : fr. 633,541. »

La section centrales proposé une réduction de 333,541 fr.

M. Desmaisières. - M. le ministre vous a fait connaître, messieurs, dans sa réponse au rapport de la section centrale, qu’en 1832 il n’a été dépensé que 168,000 fl. sur l’allocation pour frais imprévus ; et vous avez eu d’ailleurs sous les yeux le relevé général de ces dépenses faites en 1832. Il est imprimé à la suite du rapport de la section centrale.

Je dirai d’abord qu’il est étonnant qu’en 1833, lorsque le quart de l’année est écoulé, lorsque la plus grande partie des dépenses de première organisation ont été faites en 1831 et 1832, lorsqu’il ne peut plus y avoir à dépenser, comme en 1832, 20,000 fl. pour achat de chevaux et harnais de caissons, 19,000 fl. pour casernement, 10.000 fl. pour le service contre les incendies dans la ville d’Anvers, qui n’est plus menacée du canon du général Chassé ; 10,000 fl. pour indemnités aux corps francs, 12,000 fl. pour indemnité, du changement d’uniforme, 1,977 florins pour remboursement à la ville de Bruxelles de sommes avancées par elle aux pensionnés de Waterloo, 27,000 fl. pour frais de table aux généraux, qui ont été dépensés à tort sur les frais imprévus ; 28,000 fl. pour la compagnie de marins qui est maintenant comprise au chapitre 2 du budget (art. 11 L. R.) ; lorsque enfin, non seulement la plupart des dépenses imprévues de 1832 sont maintenant prévues au budget, mais qu’encore on a porté aussi au budget à présent beaucoup de dépenses reconnues utiles et nécessaires, et qu’en 1832 l’on n’a ni prévues ni faites, il est réellement étonnant, dis-je, que l’on demande, en 1833, en dépenses imprévues, le double du chiffre qui a été dépensé en 1832.

On m’objectera peut-être qu’il faut avoir toute confiance dans le ministre actuel, et que si la somme que nous allouerons pour dépenses imprévues n’est pas nécessaire entièrement, il ne la dépensera pas.

Oui, messieurs, j’ai pleine et entière confiance dans le ministre actuel ; mais qui peut m’assurer qu’il occupera toujours ce poste ? D’ailleurs, les travaux soumis et à soumettre à la législature sont tellement nombreux, que nous nous trouverons assemblés presque toute l’année ; et que par conséquent, si des dépenses imprévues nécessitent des crédits supplémentaires, le ministre sera toujours à même de nous demander en temps notre assentiment, et au moins nous ne donnerons plus ainsi cet assentiment sans connaissance de cause.

Enfin, j’ajouterai aux motifs que je viens de donner que si nous adoptons la proposition des honorables MM. Pirson et de Robaulx, le ministre sera mis à même de nous demander dans deux mois un supplément de crédit à cet égard, s’il le juge nécessaire.

(Moniteur belge n°95, du 5 avril 1833) M. le président. - Quelqu’un demande-t-il la parole ?

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je demande la parole. Messieurs, conformément à ce qui est en usage dans les divers ministères, j’ai demandé la centième partie du chiffre du budget pour dépenses imprévues ; c’est pour cela que j’ai porté au chapitre IX 660,000 fr., calculés sur un budget de 66 millions.

J’avais à ma disposition, pour 1832, un crédit de 361,000 fl. ; suivant le compte que j’ai soumis à la section centrale, je n’ai encore dépensé que 68,000 fl. ; il reste donc 198,000 fl. de disponibles. Cependant, comme je l’ai dit dans ma réponse au rapport de la section centrale, il reste environ 50,000 fl. à liquider pour objets de casernement ; ainsi j’aurai été loin de dépenser la totalité de la somme allouée.

Cette année, la réduction qu’on a proposée de faire me paraît une défiance injuste à mon égard ; si la section centrale persiste dans sa proposition, je ne pourrais voir cette défiance qu’avec un sentiment pénible. Je dois déclarer ensuite que j’aurai cette année plus de dépenses à faire ; ainsi il faut établir quatre camps. En 1831 et 1832 les fonds nécessaires pour ces établissements furent pris sur les allocations du génie, qui alors n’étaient pas spécialisées, tandis qu’aujourd’hui, où elles sont réglées par articles, je dois prendre les fonds sur les dépenses imprévues, et ce seul objet s’élèvera de 100 à 120 mille francs. D’un autre côté, cette dépense sera couverte par l’économie des indemnités de logement en ce qu’on n’aura pas à donner les 21 centimes qu’on accorde aux habitants, et il suffira qu’il y ait 6,000 hommes campés pendant deux mois pour recevoir la somme dépensée ; ainsi, ce qui sera pris au chapitre 9 diminuera d’autant le chapitre 2, relatif aux soldes.

En conséquence des observations que je viens de vous soumettre, je demande, messieurs, le maintien de l’allocation à 600,000 fr.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je vais mettre l’article aux voix. M. le ministre s’est réduit à 600,000 fr., et la section centrale propose d’en allouer la moitié, soit 300,000 fr.

M. Brabant, rapporteur. - Je demande la parole.

Messieurs, les raisons pour lesquelles la section centrale a proposé de réduire le chiffre des dépenses imprévues, c’est principalement l’abus qui a été fait l’année dernière de cette allocation, pour accorder des frais de table et de représentation. Je pense qu’il sera bien entendu que cette année on ne les prendra pas là ; si on veut en accorder, il faut que le ministre en fasse la demande à la chambre comme allocation spéciale.

M. de Brouckere. - S’il n’y a pas d’allocation proposée, il faudra bien prendre les fonds sur les dépenses imprévues.

M. Brabant, rapporteur. - M. le ministre, dans son contre-rapport, avait annoncé qu’il en ferait un article spécial, et M. Desmaisières a présenté un amendement tendant à réduire le chiffre à 42,000 fr.

M. Desmaisières. - J’avais déposé un amendement pour le cas où il y aurait une proposition formelle du ministre ; autrement mon amendement n’a pas d’objet.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - - J’ai dû nécessairement, l’année dernière, prendre les frais de table et de représentation sur les dépenses imprévues, puisqu’il n’y avait pas de crédit ouvert ; la même marche a été suivie pour janvier et février, et je me proposais de demander à la chambre une allocation spéciale de 14,000 fr. pour les deux mois expirés, et de 70,000 fr. pour les dix autres mois. Ce supplément eût été ajouté au chapitre 2, parce que c’est un supplément de solde, et c’est sur cette proposition que M. Desmaisières a demandé une diminution de 42,00 fr. ; mais comme nous sommes arrivés au chapitre 9, j’ai cru que je pourrais prendre la somme nécessaire sur ce chapitre, et la reporter au chapitre 2. (Aux voix ! aux voix !)

M. de Brouckere. - La section centrale propose de n’allouer que 300,000 fr., et en même temps le ministre demande le maintien de l’allocation qu’il a proposée en voulant y prélever les frais de table et de représentation ; je trouve cette marche peu régulière, et il serait, suivant moi, beaucoup plus rationnel que la chambre votât les 300,000 fr., et que le ministre nous proposât un article supplémentaire ; mais il serait tout à fait irrégulier de voter des fonds sur un chapitre pour les reporter sur un autre.

M. Jullien. - La proposition d’allouer des frais de table et de représentation rentre dans ma proposition générale qui doit venir après l’article 9 ; je l’avais ajournée, mais je viens de la reproduire et de la déposer sur le bureau.

Maintenant que nous sommes aux dépenses imprévues, il faut voter le chapitre quel qu’en soit le chiffre ; mais nous ne pouvons y comprendre des frais de table, de représentation, et autres dépenses qui sont prévues.

J’appuie par ces motifs la proposition du préopinant d’allouer le chiffre des dépenses imprévues, sauf à proposer des allocations spéciales.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Eclairé par la discussion qui a eu lieu sur les frais de table et de représentation, et l’intention de la chambre étant de ne pas les voir prélever sur les dépenses imprévues, je déclare que, quel que soit le chiffre qui sera fixé pour le chapitre 9, aucun frais de table, de représentation ou allocation quelconque pour supplément de traitement ne sera prise sur ce chapitre ; je proposerai une disposition spéciale.

Mais cependant, pour les camps et bien d’autres dépenses que je ne puis prévoir, je crois avoir une certaine latitude, et la réduction qu’on propose me semblerait être une mesure de défiance. (Non ! non !)

M. Brabant, rapporteur. - La section centrale et son rapporteur ont eu trop à se louer des procédés de M. le ministre de la guerre pour pouvoir concevoir la moindre défiance de lui ; je puis déclarer au contraire que nous sommes remplis de confiance en lui, et il en est digne à tous égards. Si donc la chambre croyait devoir réduire le chiffre des dépenses imprévues, il ne peut y voir un sentiment de défiance. (Appuyé !<)

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Pour me rapprocher autant que possible du chiffre proposé, je me réduirai à 400,000 fr. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je vais mettre aux voix le chiffre de 400,000 fr.

- Ce chiffre est adopté à une immense majorité. (A demain ! à demain !)

M. le président. - Deux amendements sont déposés sur le bureau ; ils seront imprimés et distribués.

La séance est levée à quatre heures.