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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 mars
1833
Sommaire
1) Motion d’ordre relative à la répartition du
produit des barrières en 1833 (d’Huart, d’Elhoungne, Dubus, d’Huart, de Brouckere, Dumortier, Jullien, Dubus)
2) Projet de loi accordant des crédits
provisoires au département de la guerre pour l’exercice 1833 (Pirson,
Brabant, Pirson, de Robaulx, Evain, de Robaulx, de Brouckere)
3) Projet de loi portant le budget du département
de la guerre pour l’exercice 1833. Discussion générale, notamment :
situation militaire au regard de l’état des négociations diplomatiques, chiffre
du budget de la guerre et nécessité d’y faire des économies ((+officiers
étrangers, garde civique, service de santé, état-major et rations de fourrage) Evain, (état-major, officiers étrangers) (Nypels,
de Brouckere, Nypels, Gendebien), Jullien, (+marchés
militaires) Berger, A. Rodenbach,
Jullien, de Robaulx, Goblet, de Brouckere, Goblet, Dumortier, Marcellis, de Robaulx, Osy, Pirson, Marcellis,
Gendebien, Lebeau, de Brouckere, Osy)
(Moniteur belge
n°89, du 30 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse
fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, la rédaction en est adoptée.
MM. les ministres de la justice, des affaires
étrangères, de la guerre sont présents à la séance.
MM. le général Nypels, l’intendant militaire de Bassompierre.,
commissaires du Roi, accompagnent M. le ministre de la guerre.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A LA REPARTITION DU PRODUIT
DES BARRIERES
M. d’Huart demande
la parole pour une motion d’ordre. II s’exprime ainsi. - Messieurs, d’après la
loi sur les barrières, que vous avez récemment adoptée, le revenu des grandes
routes appartenant à l’Etat doit être employé à l’entretien de ces routes et à
la construction de nouvelles communications, Il ne reste donc plus pour
autoriser l’emploi des fonds, qu’à en faire la répartition au budget du
département de l’intérieur.
Selon toutes les apparences la discussion de ce budget
ne sera guère terminée avant la fin du mois de mai, de sorte que si nous
attendions jusqu’alors pour régler le chapitre des dépenses relatives aux
travaux publics, la saison la plus propre pour l’exécution de ces travaux
serait à peu près passée avant de pouvoir les entreprendre, si l’on considère
le temps qu’il faudra à l’administration des ponts et chaussées pour les
opérations préparatoires, les adjudications, etc.
Afin d’obvier au retard préjudiciable que je viens de
signaler, retard qui aurait pour résultat de priver la classe ouvrière de travail
dans le moment de l’année où elle en a le plus grand besoin et de reporter à
l’année prochaine l’ouverture de communications importantes, je prie la chambre
d’inciter M. le ministre de l’intérieur à lui soumettre immédiatement ses
propositions sur le chapitre des travaux publics. Cette partie de son budget
serait renvoyée de suite à l’examen des sections, et comme il ne faudrait
probablement pas plus d’une séance publique pour la discuter isolément, nous
pourrions, avant les vacances de Pâques, l’adopter.
Le sénat, qui sentira comme
nous toute l’urgence d’une pareille mesure, ne refuserait pas à en faire
l’objet de ses délibérations avant de s’ajourner.
Ma proposition ne me paraît susceptible d’aucune
objection sérieuse, rien n’empêchant de faire du chapitre des travaux publics
une loi de budget séparée ; aussi ai-je lieu d’espérer que vous l’adopterez
car, après avoir voté pour le budget de la guerre des charges accablantes pour
les contribuables, chacun de vous sera jaloux de leur procurer aussi promptement
que possible une des principales compensations qu’il est au pouvoir de la
législature de leur conférer, c’est-à-dire l’ouverture de communications utiles
à l’agriculture, au commerce et à l’industrie.
M. d’Elhoungne. - Il me semble, comme au préopinant, qu’il y a
nécessité de s’occuper de la partie du budget de l’intérieur relative aux
travaux publics. Cependant sa proposition est inadmissible, parce que le
travail des sections est terminé et que la section centrale est saisie du
budget de l’intérieur. Tout ce qu’on pourrait faire, ce serait d’engager la
section centrale à présenter séparément son rapport sur les travaux publics du
ministère de l’intérieur.
Quelque célérité que la section centrale apporte, il y
aura difficulté d’examiner cette partie d’ici aux Pâques et de la discuter.
Peut-être fournira-t-elle matière à des débats beaucoup plus longs qu’on ne le
pense. Les travaux publics sont une partie importante, susceptible de beaucoup
d’améliorations.
La proposition doit se réduire à engager la section
centrale à s’occuper des travaux publics.
M. Dubus. - Les sections se sont occupées du chapitre du
budget de l’intérieur relatif aux travaux publics : deux ou trois sections ne
se sont pas expliquées, parce qu’elles ont été informées que ce chapitre serait
remplacé par un autre, si la loi des barrières était adoptée par le sénat. La
section centrale, sachant que le chapitre serait remplacé, ne s’en est pas
occupé.
Il faut ajourner la proposition de l’honorable M.
d’Huart.
M. d’Huart. - Le but de ma proposition est d’inviter M. le
ministre de l’intérieur à présenter le nouveau chapitre sur les travaux
publics.
M. de Brouckere. - Je me félicite de ce que notre honorable collègue
ait eu l’idée d’appeler l’attention du ministre de l’intérieur sur la nécessité
de présenter un projet de loi sur les grandes routes. La chambre peut faire une
invitation au ministre, mais celui-ci ne fera que ce qu’il jugera convenable.
Je demande que la proposition de M. d Huart revienne à l’ordre du jour quand M.
le ministre de l’intérieur sera présent ; alors ce ministre donnera des
explications sur la partie de son budget qui concerne les travaux publics.
M. Dumortier.
- Je demande la parole pour une motion d’ordre. Puisqu’il est question de
budgets, je voudrais savoir pourquoi l’on ne nous fait pas de rapports sur les
budgets, et des finances, et de la justice, et des affaires étrangères. Je
conçois l’impossibilité de faire un rapport sur le budget de l’intérieur, alors
que le ministre de ce département a négligé de présenter une partie de son
budget.
Je puis parler de budgets et de rapports, car c’est
moi qui ai fait la plupart de ceux de la session dernière. Le 17 février de
l’année passée tous les rapports étaient présentés. Cette fois nous arriverons
à la fin d’avril, sans que le travail de la section centrale soit terminé. Je
ne conçois pas les motifs des lenteurs que nous éprouvons.
M. Jullien. - Ce que vient de dire l’honorable M. Dumortier fait l’éloge de son
zèle et de la promptitude de son travail ; quant à moi qui ai été nommé
rapporteur d’un des budgets, je dirai que c’est aujourd’hui seulement que la
section centrale a terminé son travail sur le budget dont je dois entretenir la
chambre ; et encore je dois demander des renseignements au ministre. Je ne puis
faire mon rapport que dans 7 à 8 jours, et je crois qu’en travaillant ainsi j’aurai
travaillé avec autant de zèle, sinon avec autant de promptitude que l’a fait
l’honorable M. Dumortier l’année dernière.
M. Dumortier.
- J’ai dit que le 17 février j’avais déposé le rapport général sur tous les budgets,
et je fais remarquer que nous sommes à la fin de mars sans avoir de rapport.
Dans peu de jours noua aurons terminé le budget de la guerre sur le pied de
guerre, alors nous n’aurons plus de loi à examiner et l’on nous renverra chez
nous ; le mois de juin arrivera, et le renouvellement de la chambre devra avoir
lieu, et vous serez obligés de vous séparer. La loi sur les distilleries que le
sénat amende, ne pourra être de nouveau discutée par vous ; et vous n’aurez
employé votre temps que pour faire des lois provisoires.
M. Dubus.
- Par cela seul que le rapport sur une partie du budget n’est pas prêt, il est
peu important que les autres soient prêts ; le budget ne forme qu’une seule
loi. On semble inculper la lenteur que met la section centrale dans ses travaux
; ce reproche n’est pas fondé.
La section centrale a des renseignements à prendre, et
ils ne lui arrivent pas toujours aussi promptement qu’elle le désire. Ces
renseignements peuvent occasionner des recherches à ceux à qui on les demande.
Pour le budget de l’intérieur, la section centrale
avait terminé son travail avant le 4 de ce mois ; elle a demandé des
renseignements qui ne lui sont arrivés qu’avant-hier ; il faut qu’elle se réunisse
demain pour réviser son travail. Il n’y a pas de reproche à faire à la section
centrale. J’aurais souhaité que mon honorable ami eût pris des informations
avant de faire sa motion.
M. Pirson.
- Je demande la parole pour une motion d’ordre. Hier, à la fin de la séance, il
a été fait deux propositions : ne convient-il pas que l’assemblée se décide sur
ces deux propositions relatives à des crédits à accorder pour 6 mois ou pour 3
mois au ministre de la guerre, avant de passer à la discussion du budget de la
guerre ?
M. le président.
- Cette motion viendra quand nous en serons la discussion du budget de la guerre.
M. Brabant est appelé à la tribune. - Messieurs, dit cet
honorable membre, la section centrale, qui a examiné le budget de la guerre, et
que vous avez chargée, comme commission spéciale, de vous faire un rapport sur
le projet de loi présenté hier par M. le ministre de la guerre, a terminé ce
matin son travail. Le crédit qui vous est demandé pour les dépenses urgentes de
l’armée pendant le mois d’avril s’élève à 5 millions. Deux lois rendues
antérieurement avaient accordé des crédits pour 17 millions ; ainsi, pour
quatre mois, il y aurait 22 millions de francs d’accordés ; ce qui représente
un budget total de 66 millions. La section centrale vous a proposé d’allouer
pour ce budget la somme de 66 millions et demi ; il n’y a donc aucun
inconvénient, aucune difficulté, à accorder le crédit provisoire demandé, ou à
voter la loi présentée.
M. le président.
- Quand veut-on discuter le projet dont on vous propose l’adoption ?
M. Pirson.
- A l’instant même.
M. de Robaulx. - Je m’oppose au vote sur-le-champ. J’ai demandé
hier que l’on accordât 15 millions, pour trois mois, au ministère de la guerre
; mais avec la condition que les ministres diraient aux puissances que, si les
affaires ne sont pas terminées dans trois mois, nous nous croirons déliés. A
quoi bon voter un crédit provisoire d’un mois, puisque nous voulons en accorder
trois ? Avant de statuer sur ma proposition, il faut entendre les explications
du ministre.
Je demande que l’on ne délibère pas sur le crédit
provisoire demandé pour un mois.
M. le président. - Il y a une proposition faite ; je dois la mettre
aux voix, je dois consulter la chambre.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - - Pour
assurer le service, il faut que nous ayons le crédit provisoire pour le mois
d’avril. Si l’on veut accorder deux autres mois, le vote pour le mois d’avril
n’empêchera pas de prendre une décision à cet égard ; il sera compris dans les
trois mois.
Plusieurs membres.
- C’est juste ! c’est juste !
M. de Robaulx. - Il faut assurer le service, soit ; mais on ne paie
pas les premiers jours.
M. de Bassompierre.
- La solde se fait par anticipation.
M. de Brouckere. - on peut remettre le vote de la loi à 24 heures.
M. Gendebien.
- Si vous consultez le règlement et son esprit, il est impossible de refuser 24
heures. Le rapport a été fait verbalement ; on ne le connaît pas. Il n’y a nul
inconvénient à renvoyer le vote à demain.
M. d’Huart.
- Je ne m’oppose pas au renvoi ; mais les derniers crédits provisoires ont été
accordés sur un rapport verbal, et sur-le-champ.
M. de Brouckere. - On peut voter immédiatement quand personne ne s’y oppose ; mais il
me semble que si un seul membre demande 24 heures, il y aurait inconvenance, et
haute inconvenance à refuser le délai. MM. de Robaulx, Gendebien et moi le
demandons.
M. d’Elhoungne. - Il y aurait dérision pour les contribuables à voter une loi sans
connaître le rapport. S’il y a des antécédents, ce ne sont pas ceux-là qu’il
faut imiter ; ces antécédents que l’on invoque sont une violation de notre
règlement.
M. le président.
- Le règlement porte qu’il faut laisser écouler trois jours après le rapport
pour discuter la loi, mais il porte en même temps que la chambre peut décider
l’urgence.
- Le renvoi à demain de la délibération sur le crédit
provisoire sur la guerre est adopté.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA
GUERRE POUR L’EXERCICE 1833
Discussion générale
L’ordre du jour est la suite de la discussion du
budget de la guerre sur le pied de guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - -
Messieurs, j’ai l’honneur de soumettre à la chambre mes réponses et mes observations
aux divers faits qui ont été exposés par l’honorable orateur qui été entendu
dans la séance d’hier.
Deux points principaux ont été traités : l’admission
des officiers étrangers dans notre armée et la préférence qui leur est donnée
sur les officiers nationaux ; les abus qui ont lieu dans quelques parties de
l’administration de la guerre.
Je suivrai la même marche dans ma réponse.
L’honorable orateur, après avoir exposé les motifs qui
firent adopter, par le congrès, la loi du 11 avril 1831, pour l’admission
d’officiers étrangers au service de la Belgique, convient que le gouvernement
eût tort de ne pas faire usage de cette loi ; et je regrette, comme lui,
qu’elle n’ait reçu aucune exécution : les avis de quelques hommes expérimentés
eussent été utiles, et l’armée ne serait certainement pas restée dans l’état où
elle se trouvait quand elle fut attaquée au mots d’août suivant, sans moyens
matériels dii tenir la campagne.
Cependant je dois dire que le gouvernement fit
quelques démarches près de l’officier général à qui l’on voulait confier le
commandement en chef de l’armée, et l’honorable M. de Brouckere sait aussi bien
que moi quelles furent ses prétentions, et s’il fit preuve alors des principes
qu’il proclamait si hautement à la tribune des députés.
Je reçus, à cette époque, l’invitation de me rendre en
Belgique, et j’acceptai cette mission, sans condition aucune, et dans la seule pensée de pouvoir être utile à
un pays dont les intérêts étaient liés à ceux de la France ; mais il ne fut pas
donné suite aux propositions qui me furent faites alors, et ce n’est que le 20
août que l’on m’invita à me rendre sur-le-champ à Bruxelles.
Ce fut à la même époque que le gouvernement se décida
à demander à celui de la France quelques officiers-généraux pour réorganiser
l’armée, et le gouvernement français déféra de suite à cette invitation, en
donnant l’ordre à quatre lieutenants-généraux et à un maréchal-de-camp de se
rendre immédiatement en Belgique et de se mettre à la disposition du roi et de
son ministre de la guerre.
Chacun de ces officiers-généraux fut autorisé à
désigner trois officiers supérieurs ou subalternes pour le seconder dans la
mission qui lui était confiée, et c’est ainsi que 20 officiers français
arrivèrent en Belgique dans les premiers jours de septembre.
L’organisation du quatrième bataillon dans chaque
régiment d’infanterie de ligne venait de créer 360 emplois d’officiers, et le
gouvernement demanda que 120 officiers, savoir 40 capitaines, 40 lieutenants et
40 sous-lieutenants, tirés des corps d’infanterie de l’armée du nord entrassent
au service de la Belgique pour la durée de la guerre.
Cette demande fut encore consentie, et il se trouvait
ainsi 140 officiers français demandés pour entrer au service de la Belgique, lorsque
le gouvernement, pour régulariser leur position, proposa, ce que les chambres
adoptèrent, la loi du 22 septembre 1831.
C’est à ce nombre de 140 officiers étrangers que le
gouvernement s’est constamment tenu, malgré l’augmentation progressive de notre
armée,
Ce nombre n’est dépassé, en ce moment, que de 8
seulement, et c’est en faveur de quelques officiers polonais, ayant de longs et
bons services, que le gouvernement s’est décidé à outrepasser les bornes qu’il
s’était fixées dès la présentation de la loi du 22 septembre.
Nous avons remplacé les 4 officiers-généraux, qui
avaient été rappelés en France, par pareil nombre qui ont pris un service actif
dans notre armée.
Depuis que je suis au ministère, plusieurs officiers
français sont retournés dans leur patrie, et les seules nouvelles nominations
que j’ai faites se bornent à 4 officiers-généraux, dont on a déclaré depuis
qu’il ne se rendrait en Belgique qu’en cas de guerre seulement, 2 capitaines, 2
lieutenants, 3 sous-lieutenants. Total 11.
Mais j’ai de plus proposé l’admission dans les rangs
de l’armée belge, de 33 officiers polonais ; 2 allemand et anglais. Total. 35
Comme j’ai eu l’honneur devons le dire, messieurs, le
nombre total des officiers étrangers admis à notre service, et qui existent
aujourd’hui dans nos rangs, est de 148, ainsi que j’en ai fait publier l’état
dans le Moniteur. Ce nombre se
compose de 104 officiers français, 34 officiers polonais et 10 officiers
allemands et anglais.
Dans le nombre des 34 officiers polonais, deux
seulement ont été admis dans un grade supérieur, et ce sont tous deux des
officiers distingués.
Un seul régiment est commandé provisoirement par un
officier supérieur français, car c’est par erreur que j’avais compris le
colonel du 12ème régiment dans la catégorie des officiers français ; il a
réclamé sa qualité de Belge, et c’est effectivement en cette qualité qu’il a
été admis à notre service.
J’ai refusé dix fois plus d’offres de service que je
n’en ai admis et depuis le mois de janvier, époque où le gouvernement avait
fait la demande de 3 généraux français, aucun autre officier étranger n’a été
admis à notre service.
Ainsi, messieurs, je me sois renfermé dans les limites
mêmes que j’ai trouvées tracées lors de la présentation de la loi du 22
septembre 1831, malgré l’augmentation considérable qu’a reçue notre armée
depuis cette époque.
Quant à la préférence qu’on suppose que j’accorde aux
officiers étrangers sur les nationaux, je me bornerai à vous exposer que sur
ces 148 officiers, 2 majors ont été nommés lieutenants-colonels, 5 capitaines
ont été promus au grade de major, 3 lieutenants au grade de capitaine ; total
10.
Et je puis vous assurer que ce nombre de promotions
n’est pas en rapport avec celui des promotions qui ont eu lieu dans l’armée
belge.
Aussi, quelques officiers étrangers se plaignent-ils à
leur tour de ma partialité pour les officiers nationaux, et ce double reproche
me fait croire que je tiens une juste balance entre eux ; du moins, c’est mon
désir bien sincère, et j’aime trop peu le pouvoir pour en abuser et faire de
l’arbitraire ou du « favoritisme. »
C’est d’après le complet d’organisation de notre armée
qu’a été fixé le nombre des officiers-généraux nécessaires : 8 généraux de
division, dont 1 major-général et 7 commandants de division ; 16 généraux de
brigade, pour le commandement d’autant de brigades.
Il faut en outre un quart de ces officiers-généraux en
disponibilité pour parer aux événements de la guerre, ce qui en porte le nombre
à 10 généraux de division et 20 généraux de brigade pour le service de l’armée
seulement et non compris les-officiers-généraux chargés du commandement de
quelques provinces et de fonctions autres que celles de l’armée.
C’est d’après cet état de choses que le gouvernement a
cru devoir porter le nombre des officiers-généraux étrangers à 3 généraux de
division et 5 généraux de brigade, admis seulement pour la durée de la guerre.
Si l’on compare le nombre des officiers-généraux en
Belgique avec celui qui existe en Hollande, on verra que nous sommes bien loin
d’en avoir autant : l’annuaire de 1833 porte ce nombre à 4 généraux
d’infanterie, 17 lieutenants-généraux et 41 généraux-majors, dont 7 seulement
en disponibilité.
Notre état-major général ne se compose que de 11
généraux de division, et 25 généraux de brigade, nationaux ou étrangers ; total
39, dont 11 en disponibilité ou non-activité.
Plusieurs des généraux qui se trouvent dans cette
dernière position ont droit à leur retraite, et l’obtiendront dès que la loi
proposée aura reçu la sanction des chambres.
J’arrive maintenant aux divers abus qui ont été
signalés dans l’administration de la guerre, et je conviens franchement que
quelques-uns ont pu échapper à ma vigilance pour les intérêts de l’Etat : mais
dans quelle administration ne se glisse-t-il pas quelques abus, quelque soin
qu’on prenne à les réprimer ? Ce n’est qu’à l’aide du temps qu’on parvient à
les déraciner totalement, et ce n’est pas au milieu des événements qui nous
pressent, et souvent nous dominent, que l’on peut espérer de les faire cesser
tout d’un coup.
Je ne puis cependant ranger sous cette dénomination
quelques-uns des griefs reprochés par l’honorable orateur. Je vais donner des
explications succinctes sur chacun d’eux, tout en remerciant sincèrement
l’honorable représentant de me les avoir signalés, et de la manière dont il a
bien voulu le faire.
1° L’honorable membre reproche au gouvernement de
maintenir en activité un officier-général nommé commandant en chef de la garde
civique de Bruxelles ; ce reproche est-il bien fondé quand généralement a été
reconnue la nécessité de mettre un militaire expérimenté à la tête de la garde
civique de la capitale, garde composée de quatre légions et qui a besoin d’une
grande amélioration dans son organisation et dans son instruction. Ce besoin,
d’accord avec le désir de tous les membres qui composent cette garde citoyenne,
a été exprimé plus d’une fois au gouvernement, et c’est sur la proposition du
département de l’intérieur que le choix du roi est tombé sur l’officier qui la
commande aujourd’hui, et qui déjà avait été élu à un autre grade par les
citoyens de Bruxelles ; et, messieurs, il faut encore vous faire connaître que
l’unique, la seule augmentation de solde, qui résulte de son maintien en
activité, se monte à la somme de 6,000 francs, sans aucune autre allocation ;
si nous mettons ces faits en présence de ce qui se passe chez nos voisins, vous
verrez à la tête de la garde nationale de Paris un maréchal en activité, ayant,
outre les 4,0,000 francs de solde et toutes les allocations qui appartiennent à
la position d’activité, une subvention de 100,000 francs payés par la ville de
Paris et ayant en sus la jouissance d’un hôtel meublé. Ce maréchal a ses
aides-de-camp et la majeure partie de son état-major pris dans les officiers de
l’armée.
Je ne pense pas que vous nous reprocherez les 6,000
francs que coûte de fait le commandement en chef de la garde civique de la
capitale de la Belgique.
2° Rations de fourrages pour les officiers de sapeurs.
C’est par erreur que le projet du budget porte 3 rations de fourrages aux capitaines
des sapeurs et 2 aux lieutenants et sous-lieutenants de ce corps. L’arrêté du
12 juillet 1831 ne leur accorde à tous qu’une ration de fourrages, lorsque
leurs compagnies sont attachées à une division ou corps d’armée en campagne.
Cette disposition a reçu constamment son exécution et
l’erreur a été rectifiée.
3° Personnel de l’hôpital militaire. A l’époque du
siège de la citadelle d’Anvers, le roi s’est rendu à l’armée où l’a suivi le
médecin de l’hôpital, qui est aussi médecin du roi ; l’inspecteur-général du
service de sauté fit sentir la nécessité d’appeler à cet hôpital un médecin de
bataillon, pour assurer le service, qui acquérait de l’importance nouvelle par
l’évacuation des blessés français sur Bruxelles : un médecin de bataillon fut
en conséquence détaché d’une ambulance, et cette mutation ne donna lieu à
aucune augmentation dans le personnel du service de santé. Il est vrai que
depuis ce médecin aurait pu être renvoyé à son premier poste, mais il a été
jusqu’à présent plus utile pour le bien du service de le conserver à Bruxelles.
Ce qui peut faire croire que le personnel de cet hôpital est plus nombreux
qu’il ne l’est réellement, c’est que les médecins, des ambulances qui se
trouvent momentanément à Bruxelles le fréquentent pour leur instruction.
4° Il est vrai que j’ai proposé de donner le
commandement de deux bataillons de gardes civiques à deux majors honoraires de
la ligne, anciens commandants de bataillons de volontaires, et que l’arrêté du 30
novembre 1832, qui leur confère ce commandement lui alloue la solde de major,
pendant la durée de ces fonctions.
Cette allocation me paraît juste, et pour justifier
leur placement, je ferai connaître, entre autres motifs, que l’un des
commandants de ces bataillons a été nommé président du conseil de guerre de la
division, et que la mauvaise santé de l’autre ne lui permettait pas de déployer
l’activité nécessaire à son commandement.
5° Renseignements pris sur le fait annoncé que des
officiers étrangers n’auraient pas rejoint leurs régiments, après avoir reçu
l’avance pour se monter et s’équiper, je puis donner l’assurance que les
renseignements fournis à cet égard à l’honorable orateur sont inexacts, et
qu’aucun officier étranger n’a ainsi forfait à l’honneur.
6° Il est vrai que j’ai accordé à un capitaine
français, qui avait donné sa démission de notre service, une indemnité de deux
mois de solde, pour l’aider à retourner en France et à payer ses dettes :
c’était une sorte de dédommagement des retenues qu’il avait subies et que je
trouvais trop rigoureuses : ces indemnités ont souvent été accordées aux
officiers démissionnaires de leur emploi, et sous tous les gouvernements.
7° Je puis donner l’assurance que le chef de
l’état-major, qui fui désigné pour la cinquième division, lorsqu’il fut
question de sa formation n’a pas touché l’allocation attribuée à ces fonctions,
il continue d’être employé à l’état-major-général de l’armée,
8° Hors de la formation des 12 bataillons de réserve,
je ne trouvai parmi les majors en non activité qu’un seul officier à qui je pus
confier le commandement d’un de ces bataillons : cinq majors tirés de la ligne
et 6 capitaines nommés au grade de major honoraire furent chargés du
commandement de ces bataillons.
9° L’arrêté du 20 janvier 1833 assimile les masses des
guides à celles des lanciers : leur solde est absolument la même que celle de
toute la cavalerie, conséquemment le corps de guides ne coûte pas plus cher que
celui des lanciers.
Le budget a en conséquence été rectifié.
10° Il est vrai qu’un officier promu au grade de
lieutenant-colonel, dans le courant de février 1830, a obtenu, par arrêté
spécial, et en considération de ses services distingués, le traitement de son
nouveau grade sur le même pied que le reçoivent les officiers dont la
nomination est antérieure au 6 septembre 1831, époque du nouveau tarif.
Mais cette mesure tout exceptionnelle justifie que la
mesure générale a été généralement appliquée à tous les officiers nouvellement
promus.
Ce qui m’a porté à proposer cette exception c’est que,
par sa promotion à un nouveau grade, cet officier se trouvait moins payé qu’il
ne l’était précédemment, et ce n’était pas ainsi que le gouvernement entendait
récompenser ses services.
11° J’espère que le nouveau règlement que je vais
donner à l’armée, sur la distribution des vivres et des fourrages, mettra fin
aux abus qui me sont signalés dans cette partie, mais je dois donner quelques
explications sur le fait relatif aux intendants militaires chargés spécialement
de réprimer ces abus,
D’après l’arrêté du … octobre 1831, les intendants en
service sédentaire ne reçoivent pas de fourrage en nature, mais seulement
l’indemnité en argent, fixée sur le pied de paix, et ils n’ont, en vertu de
cette allocation, aucun droit à des frais de route pour leurs tournées
administratives dans l’étendue de leur arrondissement territorial.
Un arrêté du 27 mai 1928 dispense les officiers sans
troupes de justifier de l’existence des chevaux, pour lesquels l’indemnité sur
le pied de paix leur est allouée.
Ainsi, messieurs, les
intendants militaires ne peuvent être retenus dans l’exercice de leurs
fonctions, par les considérations qu’on a présentées.
12° L’indemnité de 10,000 fr. accordée à
l’officier-général, chef de l’état-major-général de l’armée, est fixée par un
arrêté en vigueur, et ne l’est pas seulement pour le couvrir de ses frais de
bureau. C’est un traitement supplémentaire accordé en raison de l’importance de
ses fonctions, et qui est beaucoup plus considérable chez d’autres puissances.
13° Un sous-intendant et un adjoint ont été
effectivement choisis parmi les employés de l’administration centrale ; mais
l’un d’eux va nécessairement recevoir la destination qui lui a été assignée.
Je vous déclare, messieurs, que la division de
l’administration générale n’a réellement pas assez d’employés pour suffire à la
vérification des revues des corps, des comptes de toutes espèces, à la tenue
des registres, des journaux, des grands livres montés pour chaque partie du
service, et que je me trouve dans l’obligation d’employer même quelques
sous-officiers pour aider à la vérification des revues.
Ce n’est pas dans le retranchement de quelques
milliers de francs sur le traitement des employés qu’on trouvera de véritables
économies, c’est dans l’amélioration successive de diverses branches de
l’administration.
M. le général Nypels.
- Messieurs, si je n’ai pas demandé immédiatement la parole après le discours
de l’honorable M. de Brouckere pour m’expliquer sur un fait qui a donné lieu à
me désigner, c’est qu’on hésite toujours quand il s’agit de parler de soi.
Mais, puisqu’il le faut, je vais m’expliquer.
L’honorable orateur m’a cité comme ayant augmenté le
personnel des employés de la guerre en emmenant mes aides-de-camp avec moi ; je
répondrai qu’il est de droit, qu’il est réglementaire, que les
officiers-généraux emmènent leurs aides-de-camp dans toutes les positions
d’activité où ils sont placés ; j’ajouterai que la confiance du Roi étant venue
me rappeler de la frontière où je commandais le camp de Diest pour me donner la
direction du personnel de la guerre, je ne me suis soumis à l’ordre du Roi que
sous la promesse expresse de reprendre un commandement à l’armée aux premières
hostilités. Jugez, messieurs, si je devais renvoyer des officiers qui sont
restés avec moi, sans mettre les pieds à Bruxelles depuis les affaires du mois
d’août, depuis que j’ai reçu un commandement. Quant à l’emploi du temps de ces
officiers, aussi économe des deniers de l’Etat que qui que ce soit, il n’entre
pas dans mes principes de voir autour de moi des sinécures ; et je n’hésiterais
pas de renvoyer ou un officier ou un employé dont la journée ne serait pas
entièrement prise par le travail. Quant au mérite de ces officiers, je regrette
qu’ils ne soient pas connus de l’honorable M. de Brouckere : il les trouverait
dignes aussi des éloges mérités qu’il a bien voulu donner aux aides-de-camp du
ministre et, avec d’autant plus de raison que ces officiers n’ont eu aucun
avancement depuis la révolution, et qu’ils sont les plus anciens, l’un de toute
son arme et l’autre de son régiment.
On a reproché l’admission de sous-officiers étrangers
dans les corps.
Et de quoi s’agit-il ici ? De deux jeunes gens servant
comme volontaires pour le temps de la guerre, qui se sont montés et équipés à
leurs frais et dont la demande d’admission a été préalablement soumise à
l’approbation du chef du corps ; et ne pensez pas, messieurs, que ces jeunes
gens commandent avant de connaître leur service ; ils commencent par faire le
service de cavalier, passent aux fonctions de brigadier quand ils l’ont mérité
par leur conduite, et ensuite à celles de maréchal-des-logis, toujours par
nomination du commandant du corps et sans influence aucune de la part du
département de la guerre et ne touchant que la solde de simple cavalier.
Puisque je suis à
parler des étrangers, je suis autorisé, messieurs, par ma position personnelle
au ministère de la guerre, à vous dire que depuis que je dirige le personnel,
aucun étranger, autre que les généraux ,n’a été admis dans les rangs de
l’armée, et, qu’en cela, on n’a fait que suivre ce qui avait déjà été décidé
par le ministre antérieurement à mon arrivée ; resté moi-même au service,
étranger jusqu’aux premiers jours où les Belges ont pris les armes contre leurs
oppresseurs, je crois nécessaire de déclarer ici que je n’ai jamais contribué
ni directement, ni indirectement à faire placer un seul étranger ; je suis loin
aussi de proclamer leur supériorité sur les officiers belges et de leur
attribuer exclusivement l’organisation de notre armée : non, messieurs, mais je
dois rendre justice aux officiers qui se trouvent dans les corps. En général,
ce sont de bons officiers et notamment ceux qui sont venus par ordre du
gouvernement français ; les rapports des chefs de corps sont unanimes et
plusieurs ont fait des demandes d’avancement pour eux.
M. de Brouckere. - M. le commissaire du Roi a pris la parole pour un
fait personnel ; mais dans mon discours il n’y a pas un mot relatif à ce
général. J’at dit que nos ministres de la guerre avaient fait entrer plusieurs
officiers depuis le dernier budget, entre autres un officier d’état-major et
deux aides-de-camp. Ce sont ceux du général Nypels ; mais je n’ai pas parlé du
général lui-même. Il a très bien fait sans doute de les amener avec lui ; mais
il n’en est pas moins vrai qu’il y a deux officiers de plus au ministère de la
guerre. Il me reproche de n’avoir pas fait leur éloge ; je ne finirais pas s’il
fallait faire l’éloge de tous les officiers qui le méritent ; si j’entreprenais
cette tâche laborieuse, je commencerais par celui du général lui-même.
M. le général Nypels.
- Je n’ai pas adressé de reproches parce qu’on n’a pas fait l’éloge de mes
aides-de-camp ; mais j’ai voulu prouver que je n’ai pas amené avec moi des
officiers inutiles, que par conséquent je n’avais pas augmenté la dépense. Je
fais moi-même le travail qui m’est confié ; quand il sera au-dessus de me
forces, j’y renoncerai et me retirerai.
M. Gendebien. - Je crois que les deux aides-de-camp ne sont pas
inutiles ; mais je ne puis admettre ce qu’a dit à ce sujet le général Nypels,
savoir que les aides-de-camp suivent toujours le général auquel ils sont
attachés. J’invite le ministre de la guerre à s’informer si les aides-de-camp
sont nécessaires. Je ne puis pas admettre le principe que les aides-de-camp
suivent toujours les généraux ; les aides-de-camp sont au service de l’Etat,
sont au ordres du ministre sous quelque position que se trouve leur général.
M. le général Nypels.
- Il est réglementaire que les aides-de-camps suivent les généraux pour le
service d’activité.
M. Gendebien.
- Ah ! oui, mais le service actif.
M. Jullien.
- Messieurs, ce n’est pas d’aujourd’hui sans doute que vous vous êtes aperçus
que depuis le traité du 15 novembre, nous nous agitons, nous tournons dans un
contre-sens perpétuel ; votant des armées, rêvant batailles, déployant tout le
luxe de la guerre, quand, de droit et de fait, nous sommes condamnés à
l’impuissance de la neutralité.
Messieurs, l’armée nous dévore, elle absorbe à elle
seule les revenus de l’Etat ; la position n’est plus tenable, et il est temps
enfin de dire à ceux qui nous gouvernent, de loin ou de près, désarmez ou
battez-vous.
Mais comme, dans la plénitude de notre indépendance,
nous avons la liberté de faire à peu près ce que tout le monde veut (on rit), le ministère a déjà répondu
qu’il ne pouvait ni l’un ni l’autre : voyons, messieurs, examinons ; car la
question politique, la question du budget, tout est là.
Nous ne pouvons pas désarmer, pourquoi ? Parce que,
disent les ministres, si nous désarmions pendant que la Hollande reste sous les
armes, nous serions à chaque instant exposés à une agression brutale, et à
toutes les conséquences d’une nouvelle invasion.
Messieurs, ces craintes me touchent peu, parce que
d’abord, quand je parle d’un désarmement, j’entends un désarmement partiel, et
non pas un licenciement ; on peut conserver autant de troupes qu’il en faut
pour garantir les points les plus vulnérables, et puisque les ministres
comptent sur la prompte assistance de nos garants, de nos protecteurs, de nos
alliés, ne craignez pas que la France y manque : jamais elle ne souffrira que
l’étranger s’empare de nos places fortes ; elle ne s’est pas fait attendre en
août 1831, et son intérêt est la meilleure garantie que nous puissions avoir de
la promptitude de son secours.
Et quand même la Hollande profiterait de la diminution
de nos forces pour nous attaquer, il faudrait plutôt nous en réjouir que nous
en plaindre ; car nous pourrions toujours supporter au moins le premier choc,
et, une fois engagés dans la lutte, nos braves soldats ne déposeraient les
armes qu’après avoir effacé la tache de 1831 : la défense est de droit naturel et,
tout en faisant la guerre, nous resterons dans les termes du traité. On peut
donc désarmer avec mesure, avec discernement.
Mais si on ne peut désarmer, peut-on au moins se
battre ? Ici, messieurs, la question devient grave, à cause de la divergence
des opinions qui se sont manifestées dans cette chambre. Les ministères nous
disent ou peuvent nous dire : Si nous prenions l’offensive sans l’assentiment
de la France et de l’Angleterre, nous violerions le traité qui nous lie à ces
deux puissances, nous détruirions le seul titre qu’ait la Belgique à une
existence politique, nous trahirions nos devoirs… Ici, messieurs, les ministres
ont raison, cent fois raisons ; et, je le déclare, si en agissant autrement,
ils compromettaient nos alliances, je les considérerais comme traîtres au pays.
Mais de ce qu’ils ne peuvent prendre à l’instant
l’offensive, s’ensuit-il que nous devions rester indéfiniment dans le statu quo
qui nous ruine ? Les ministres et les adhérents n’ont pas manqué de nous faire
sonner bien haut la fermeté, l’énergie qu’ils ont déployée au mois d’octobre
dernier, lorsqu’ils ont sommé la France et l’Angleterre de remplir leurs
engagements, sommation qui a été immédiatement suivie de la deuxième
intervention et de la prise de la citadelle d’Anvers.
Je n’examinerai pas, messieurs, si cette humeur
belliqueuse, qui a pris si subitement aux doctrinaires de Paris et aux nôtres,
n’a pas été tant soit peu éveillée par la proximité de l’ouverture des chambres
dans les deux pays. Je veux bien faire à nos ministres tout l’honneur de cette
énergie, et je ne vois que le fait ; eh bien ! cette belle ardeur, déployée à
la chute des feuilles, dans une saison où l’humanité ne pouvait que gémir du
sacrifice à faire d’un plus grand nombre d’hommes, comment les abandonnerait-elle
maintenant que la sève monte et quand nous sommes arrivés à la saison des
combats ? Qu’ils soient donc encore une fois semblables à eux-mêmes, qu’ils
adressent de nouvelles sommations à ces deux puissances, et qu’ils réclament
d’elles l’exécution entière de leurs engagements ; ils peuvent parler avec
fermeté, ils sont dans leur droit.
Mais supposons que, par suite de cette fatalité, qui
semble s’attacher à nos affaires, nous soyons forcés de languir encore quelque
temps dans la même position : dans ce cas-là, messieurs, je déclare que je
m’opposerai de toutes mes forces, quelle que soit la combinaison qu’on adopte,
à ce que l’armée soit maintenue sur le pied de guerre, en ce sens qu’on soit
obligé de délivrer au troupes les indemnités, les allocations, qui s’accordent
aux armées en campagne.
Messieurs, une armée est en campagne quand elle a
franchi ses frontières ; elle est encore en campagne si elle est assez
malheureuse pour faire la guerre sur le sol de la patrie .Mais, depuis le
traité du 15 novembre, avons-nous jamais été, avons-nous jamais pu être en
guerre ? La guerre n’est-elle pas pour nous un fruit défendu ? Et la France
elle-même, qui est venue emporter la citadelle d’Anvers, au prix du sang de ses
braves, la France n’a jamais été en guerre avec la Hollande. M. Fabricius,
l’ambassadeur hollandais, est resté tranquillement à Paris. La paix, l’amitié,
la bonne intelligence a continué d’exister entre les deux peuples qui se
battaient. Voilà, messieurs, les miracles de la doctrine. Et comment ne pas
croire à des gens qui sont parvenus à prouver que la guerre n’est pas la guerre
et que des coups de canon ne sont pas des coups de canon ? Gloire donc aux
doctrinaires ; mais je crains bien que leurs miracles ne se renouvellent plus.
Et si notre armée n’était pas en guerre, si elle n’a
pas quitté un instant notre sol, comment expliquer ces profusions scandaleuses
d’indemnités de toutes espèces, telles que nous le présente le tableau de la
cour des comptes, obtenu par la section que j’avais l’honneur de présider ?
N’est-ce pas un non-sens, une absurdité, que ces vivres de campagne délivrés à
nos officiers supérieurs, dans le sein de la capitale, et consommés au milieu
des fêtes de la ville et de la cour ?
Je rends justice, messieurs, aux intentions de l’honorable
chef du département de la guerre, comme tous les orateurs qui m’ont précédé. Je
professe pour lui la plus haute estime ; mais ces abus n’ont pas moins existé,
et j’aime à croire qu’ils ne se représenteront plus.
En restant dans la discussion générale, je dirai peu
de chose des différents chapitres du budget, parce que je ne veux pas anticiper
sur la discussion des articles, Qu’il me soit permis, cependant, de vous
présenter quelques observations sur le chapitre de la disponibilité qui a mis
tant de sinécures à la charge du trésor.
Messieurs, quelques orateurs l’ont dit avant moi ; il
ne devrait exister pour les officiers supérieurs que deux positions, l’activité
et la non-activité. En France, la mise en disponibilité fut plutôt une mesure
politique qu’une mesure d’ordre et de service.
Quand les princes français arrivèrent en 1814, à la
suite des bagages de l’étranger, il leur tardait de se défaire de tous ces
braves qui avaient porté si haut et si loin l’honneur des armes de la France ;
on ne pouvait pas les chasser, ils étaient trop jeunes pour être mis la
retraite, ils furent mis en disponibilité. Mais chez nous, messieurs, la
position était toute différente ; la révolution a trouvé à peine quelques
officiers supérieurs à conserver.
Comment donc expliquer ces nombreux pensionnaires de
l’Etat disponibles et inactifs : généraux, officiers supérieurs, intendants de
première et de deuxième classe ? Aurait-on, par hasard, prodigué des grades aux
médiocrités ou incapacités ambitieuses, pour avoir l’avantage de leur assurer,
en les faisant ensuite remplacer, des pensions et des honneurs ? Nous
attendrons là-dessus des explications.
Je reviens à quelques objections qui touchent à la
question politique.
Un honorable orateur a pensé que le traité du 15
novembre n’était pas obligatoire. Il n’y a, suivant lui, de contrat
synallagmatique que là où les deux parties sont liées ; et comme la Hollande
n’a pas été partie à ce traité, il paraît en conclure qu’il ne nous oblige pas.
Messieurs, c’est une erreur. A la vérité, la Hollande n’est pas partie au
traité du 15 novembre ; mais ce traité n’en existe pas moins entre la France,
l’Angleterre et la Belgique, qui l’ont conclu, signé, et qui lui ont donné un
commencement d’exécution. Et entre les parties contractantes il a tous les
caractères et doit avoir tous les effets d’un contrat bilatéral.
Je l’ai déjà dit dans une occasion précédente, je ne
suis point coupable du traité du 15 novembre. J’ai voté contre ; mais une fois
admis, échangé, ratifié, exécuté par nous, je le respecte, il est notre droit
public ; et, je vous l’ai dit, messieurs, sans ce traité vous ne seriez aux
yeux de l’Europe que les révoltes de septembre.
On a fait des sorties virulentes contre la politique
des cabinets de Londres et de Paris ; les doctrinaires n’ont pas été épargnés.
Je ne suis pas ici pour les défendre ; j’ai peu de sympathie, d’ailleurs, pour
des hommes qui, comme on l’a dit, ont toujours la tête dans les brouillards.
Mais, s’il était vrai que ces cabinets eussent les arrière-pensées qu’on leur
suppose, le meilleur moyen de favoriser leurs vues serait de les délier de
leurs engagements envers nous, car alors ils agiraient pour leur compte. Et,
après la France et l’Angleterre, où chercheriez-vous vos alliances ? Serait-ce
par hasard à la confédération germanique ? Mais vous vous y trouveriez en face
de votre ancien maître, qui ne serait pas, sans doute, jaloux d’une alliance
qui devrait tourner contre lui. Restez donc, messieurs, sous le protectorat de
la France et de l’Angleterre. Mais que les ministres pressent le dénouement,
qu’ils souffrent même, s’il est nécessaire, une nouvelle intervention ; car,
quoi qu’on en ait dit, il implique contradiction de requérir, d’un côté,
l’exécution du traité, et de refuser, de l’autre, les moyens. Ce n’est pas à
nous, messieurs, à dicter aux puissances leur marche et leurs positions.
Un honorable orateur, qui pourrait bien n’avoir été
que le continuateur de l’exposé fait par M. le ministre des affaires
étrangères, nous a parlé du fameux projet de traité joint à la note du 14
février.
Je dirai seulement, sur ce projet et sur les utopies
de cet orateur, que je me défie de toutes les utopies de cette espèce, qui
seraient en dehors du traité du 15 novembre.
Et vous concevrez cette défiance, messieurs, quand vous
vous rappellerez les paroles de cet honorable collègue, profondément initié aux
mystères de la diplomatie.
Il nous a dit : Le roi de Hollande aura abdiqué le
jour où il reconnaîtra notre neutralité, c’est-à-dire le traité du 15 novembre.
Et comme vous savez, messieurs, que le roi Guillaume
n’a pas beaucoup de goût pour les abdications, vous devez en conclure que la
reconnaissance se fera encore longtemps attendre ; raison de plus pour
raccourcir les délais, après lesquels nous pourrons faire nos affaires
nous-mêmes.
On a parlé de blocus continental et du blocus de
l’Escaut. Le blocus continental aurait atteint le but que se proposait
l’empereur, s’il eût été bien exécuté.
Quant au blocus de l’Escaut, il s’est borné jusqu’à
présent à une promenade dans les Dunes, et paraît jusqu’ici du moins n’avoir
rien de sérieux.
Enfin, on a demandé avec insistance aux ministres
d’expliquer leur système.
Messieurs, il faut être juste envers tout, et par
conséquent aussi envers les ministres.
Ils vous ont dit que leur système était l’exécution
pleine et entière du traité du 15 novembre. Que voulez-vous de plus ? Qu’ils
fassent en effet exécuter, promptement et loyalement, ce traité ; et je
déclare, quant à moi, que je les tiens pour quittes de leurs obligations.
Et quand même ils n’auraient pas de système, il n’y
aurait pas encore raison de s’en fâcher, car où sont les cabinets qui ont à
présent un système dans les gouvernements constitutionnels ?
Ne voyez-vous pas qu’à Londres comme à Paris, à Paris
comme à Londres, ils vivent au jour le jour ? La combinaison arrêtée le jour
est presque toujours détruite par les événements du lendemain et quand ils
croient avoir éteint l’incendie dans l’Occident, il se rallume dans l’Orient :
la politique de ces cabinets semble aller à l’aventure jusqu’à ce que la grande
crise arrive ; on dirait que la vieille Europe ressemble au vieillard de la
fable ; c’est Eson qui va rajeunir ou descendre dans la tombe.
Messieurs, si vous cherchez quelque part un système,
c’est chez les rois absolus que vous le trouverez, et ce système, manifesté par
des actes qu’on semble avoir oubliés, est d’étouffer les libertés et le
principe de la souveraineté des peuples.
Interrogez un instant vos souvenirs. C’est d’abord
l’autocrate de toutes les Russies, qui préfère exterminer la Pologne plutôt que
de redresser ses griefs, et qui depuis, pour que sa vue ne soit plus importunée
par les débris de cette grande gloire, est encore occupé, au moment où je vous
parle, à les ensevelir dans les déserts de la Sibérie. (Mouvement.)
Après lui c’est le successeur des apôtres, qui, avec
sa bulle d’excommunication majeure contre les libéraux d’Italie, et son
encyclique tout entière d’intolérance religieuse et de droit divin, semble
vouloir rallumer les foudres du moyen âge.
Puis vient la sérénissime diète de Francfort, qui d’un
seul coup confisque toutes les libertés de l’Allemagne, et par là menace
audacieusement celles des autres pays.
Et qu’on ne dise pas que ces
actes sont maintenant sans conséquence ; ce n’est pas sans but qu’ils ont été
portés : ils attendent les événements.
Ils ne veulent pas la paix, tous ces rois absolus ;
car s’ils l’eussent voulue, la clause était facile, du moins pour ceux qui ont
traité avec nous : ils n’avaient qu’à faire ce que font les honnêtes gens de
tous les pays, c’est-à-dire, honneur à leurs signatures, et la paix du monde
serait depuis longtemps un fait accompli.
Mais on va m’objecter peut-dire : Vous dites que ces
rois ne veulent pas la paix, et cependant, s’il, ne font pas la guerre, que
veulent-ils donc ? Je répondrai qu’ils veulent la guerre, s’ils n’ont pas
d’autres moyens d’anéantir la liberté ; mais ils la veulent quand il en sera
temps, ils la veulent quand ils auront épuisé sur la France et sur nous tous
leurs dissolvants ; quand nous n’aurons plus la force de manier nos armes, ou
que dans nos fureurs impies, excitées par eux, nous les aurons tournées contre
nous-mêmes, comme dans l’ouest de la France. Voilà ce qu’ils veulent ; en
attendant, ils nous tiendront entre la vie et la mort, juste-milieu des lâches
qui n’ont pas le courage d’affronter un danger de tous les jours, de tous les
instants, pour s’en affranchir à jamais !
M. Berger.
- Messieurs, elles sont notables les économies que votre section centrale a
proposées sur le budget du ministre de la guerre. Quelques-unes, à la vérité,
ne s’opèrent qu’aux dépens des approvisionnements qui existent dans nos
magasins ; mais la mesure me paraît toujours bonne, puisque, pour le temps de
paix, ces approvisionnements auraient dépassé nos besoins, et qu’il faut bien
espérer que l’état de quasi-guerre où nous nous trouvons ne se prolongera pas
au-delà de toutes les prévisions. D’autres retranchements obtiendront
difficilement l’assentiment de cette assemblée, ceux, par exemple, qui
concernent le matériel de l’artillerie et du génie ; mais les résultats obtenus
ne sont pas moins satisfaisants, et la persistance de nos collègues n’en mérite
pas moins les éloges.
J’ai toujours pensé que la solde de notre armée dût
être ramenée au taux de celle de l’armée française, ce qui nous procurerait une
économie de plusieurs millions. Le prix des denrées est donc, à peu de chose
près, le même dans les deux pays ; presque tous nos officiers, ayant obtenu un
avancement, non pas d’un, mais de deux et de trois grades, pourraient
difficilement se plaindre, et nul doute que leur courage et leur patriotisme ne
restât le même. Enfin, l’état de guerre est donc essentiellement transitoire,
et plus nos ressources seront épuisées en ce moment, plus l’armée elle-même en
souffrira quand la paix sera rétablie. Un autre objet qui, à ce qu’il paraît
donne lieu à de graves abus et fait perdre des sommes considérables à l’Etat,
ce sont les fournitures de toute espèce à faire à l’armée nationale. Je me
bornerai cependant à vous dire un mot des fournitures de draps et étoffes de
laine. Immédiatement après la révolution, c’est par des marchés de la main à la
main que ces fournitures ont été livrées à l’industrie. Les gros négociants
étaient bien trop prudents pour se présenter à cette époque, et la clause
tourna au profit de la nombreuse classe des petits fabricants de draps
ordinaires. L’administration, au moyen d’une distribution sage, récompensa
donc, par de bonnes commandes, la confiance de ces fabricants dans le crédit de
notre Etat naissant. Peu à peu notre crédit se raffermit, les choses se
perfectionnèrent, et nous eûmes bientôt les adjudications publiques et le
monopole du riche. Pour qui serait tenté d’en douter voudra bien se souvenir de
ce qui s’est passé lors des dernières adjudications de cette nature, et jeter
un regard sur le cahier des charges, dressé par l’administration, pour
l’adjudication des draps et étoffes de laine à faire à l’armée belge pendant
l’année 1833. On y verra que, pour l’année entière, le nombre d’adjudicataires
ne pourra dépasser celui de 8 (article 1er) ; que pour figurer parmi ce petit
nombre d’élus, il ne suffit pas de fabriquer des draps ordinaires, mais qu’il
faut être en état d‘en fabriquer de toutes les qualités (article 3), et qu’en
outre il faut que vous puissiez fabriquer à vous seul une quantité d’au moins
25,000 aunes par année (article 3).
Ainsi, messieurs, voilà d’un
trait de plume tous nos petits drapiers inhabiles à prendre part à une
adjudication pareille ! Voilà le privilège organisé et toujours en vertu du
système de la libre concurrence ! Aussi c’est en vain qu’accoururent les
mandataires de plusieurs de ces fabricants de la province de Luxembourg, qu’ils
l’associèrent et qu’ils offrirent un rabais de 10 p. c. sur les prix du
ministère. Leurs offres furent repoussées ; toutes leurs démarches furent sans
succès, et les sommes considérables affectées à cet objet, au lieu de pourvoir
à l’existence de tant de familles, ne servirent qu’à enrichir quelques gros
négociants. Certes, si pas l’intérêt de l’état, le bon sens au moins, le
sentiment de justice et d’humanité, eût dû engager l’administration de la
guerre, à répudier une telle œuvre. A voir pareille chose, il est difficile
même à l’homme modéré de se contenir ! Cependant, messieurs, je ne vous
parlerai pas, à cette occasion, ni de tripotage ni de connivence ; je reconnais
volontiers que des accusations de cette nature ne pourraient atteindre le noble
caractère du ministre de la guerre ; et à quoi me servirait de traduire à la
barre de la chambre quelques agents subalternes ! Je me borne donc à signaler
cette manière d’agir comme une grande faute ; j’émets le vœu qu’elle
disparaisse par l’avenir, et c’est dans cette conviction que je voterai pour le
budget de la guerre.
M. A. Rodenbach. - Je ne me proposais pas de prendre la parole dans
la discussion générale sur le budget de la guerre qui nous occupe depuis
plusieurs jours. Mais l’opinion énoncée par mon honorable collègue M. Jullien,
me détermine à répondre quelques mots. Si j’ai bien entendu, le représentant du
district de Bruges demande un désarmement à l’instar de la Prusse et de la
France, et désirerait une réduction partielle de notre armée. D’autres orateurs
ont partagé ce système dans les précédentes séances. Je m’oppose de toutes mes
forces à cette opinion : loin de diminuer notre armée, songeons plutôt à
l’augmenter ; car si nous n’avions pas nos 120,000 hommes, nous serions livrés
à la merci des puissances, et nous serions surtout exposés à une nouvelle
invasion de la part de la Hollande qui n’attaque qu’en traître, et quand elle
est sûre, comme au mois d’août, que nous sommes les plus faibles. Sommons notre
ministère d’avoir de l’énergie, beaucoup d’énergie ; sinon, qu’il se retire.
Qu’il fasse comme en octobre, qu’il mette en demeure la France et l’Angleterre,
qu’il exige surtout un blocus général et réel ; car jusqu’à présent ce n’est
qu’un simulacre de blocus, puisque sous pavillon neutre, et avec des bâtiments
neutres, on importe en Néerlande toute espèce de marchandises. Ce n’est que la
navigation qui souffre, le commerce hollandais très peu. Ce n’est qu’en
agissant ainsi et avec vigueur que les puissances exécuteront le traité du 15
novembre, qui nous a été en quelque sorte extorqué. Organisons donc notre armée
; notre énergie et notre attitude menaçante seules peuvent nous sauver. Toutes
les fois que nous avons montré que nous étions Belges, nous en avons retiré
d’heureux fruits.
M. Jullien. - J’aurai sans doute été mal compris par l’honorable
M. A. Rodenbach ; mon intention n’est pas de diminuer le pied de guerre
numériquement, mais seulement d’établir une différence quant aux allocations,
entre certaines parties de l’armée dont l’effectif demeurerait le même.
M. A. Rodenbach. - J’ai pu mal comprendre, c’est possible ; mais je répète mon
observation, attendu que, dans les séances précédentes, quelques membres ont émis
l’opinion que l’armée fût réduite.
M. le président.
- Il n’y a plus d’orateurs inscrits, veut-on prononcer la clôture ?
M. de Robaulx. - Messieurs, puisque les ministres paraissent
vouloir faire prononcer la clôture, je demande la parole. Je ne crois pas qu’on
puisse ainsi se moquer de la représentation nationale, et se refuser à lui
fournir les éclaircissements qu’elle demande sur des questions aussi
importantes pour le pays. Puisque les ministres persistent dans leur silence,
je déclare que je viens de déposer une interpellation sur le bureau ; il faudra
qu’ils répondent demain, ils auront le temps d’en délibérer. Si la chambre
n’exige pas une réponse de la part des ministres, elle déclarera par là qu’elle
approuve leur conduite : alors elle pourra faire ce qu’elle voudra ; quant à
moi, je m’en laverai les mains, j’aurai rempli mon devoir.
Si, au contraire, elle croit qu’il est temps de mettre
un terme à la diplomatie, aux duperies dont nous sommes les jouets, elle
admettra mon interpellation, elle ordonnera au ministre d’y répondre.
Le but de mon interpellation tend à demander au
ministère s’il est d’intention de demander, aux puissances signataires du
traité du 15 novembre, d’exécuter pleinement ce traité dans un délai outre
lequel nous nous considérerons comme déliés envers elles. En attendant cette
mise en demeure, nous accorderons un crédit provisoire de 15 millions, pour
pourvoir aux frais de l’armée pendant trois mois. (Appuyé ! appuyé !)
(Discours inséré
sous forme d’erratum inséré au supplément du Moniteur belge n°89, du 30 mars
1833) M.
le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, la
discussion dont la chambre est occupée depuis plusieurs jours ne peut avoir que
des conséquences favorables pour nos affaires, Si l’étranger a pu voir quelques
dissentiments dans la manière d’apprécier la conduite du ministère, il y a vu
unanimité lorsqu’il s’agit des intérêts de la Belgique ; il a vu unanimité
lorsqu’il s’agit de donner au ministère les moyens de défendre ces intérêts.
Le ministère a vu avec satisfaction que la plupart des
discours des honorables orateurs contenaient les errements qui ont servi de
direction à sa conduite ; en effet, qu’exige-t-on de lui ? De l’énergie, de la
fermeté, Eh bien messieurs, le ministère a montré de la fermeté quand il a
fallu, et il en montrera encore quand il faudra. Il est vrai que le ministère
ne peut pas s’associer à un système de menaces constantes ; les menaces sont
efficaces, messieurs, quand elles sont justes et opportunes ; elles irritent
lorsqu’elles sont injustes et inopportunes, et je ne crois pas qu’il soit dans
les véritables intérêts de la Belgique d’irriter la France et l’Angleterre ;
ces deux puissances montrent trop de loyauté et de fidélité à leurs engagements
envers nous pour que nous puissions feindre d’ignorer leurs efforts.
Plusieurs orateurs ont si bien développé la conduite
du ministère, et les résultats qu’elle a déjà produits, que je crois inutile
d’entrer de nouveau dans de longues considérations ; je me bornerai à répondre
à quelques observations qui m’ont été plus particulièrement adressées.
Messieurs, quelques orateurs ont paru craindre de voir
se réaliser une troisième intervention de la France sur le sol de la Belgique ;
je dois déclarer qu’aucun fait, aucune proposition, aucune considération même
ne peuvent me faire prévoir le fondement de ces craintes. Mais, comme mes assertions,
quelque discrètes qu’elles soient, n’obtiennent pas la même confiance auprès de
tous les membres de cette assemblée, je me fais un devoir de présenter quelques
considérations à l’appui.
Pourquoi, messieurs, avons-nous vu une intervention en
1831 ? C’était pour repousser l’armée hollandaise, qui avait inopinément envahi
la Belgique ; et je vous le demande, avons-nous encore à craindre une pareille
situation ? Un tel malheur est-il encore possible ? Non, messieurs ; si
maintenant l’armée ennemie violait notre territoire, notre armée serait
suffisante pour la repousser victorieusement. Nous n’avons donc pas à supposer
une intervention dans le genre de celle de 1831.
Chacun de vous connaît les motifs qui ont amené
l’intervention de 1832 ; elle avait pour but de faire évacuer complétement les
territoires assignés à la Belgique par le traité du 15 novembre. Le but, il est
vrai, n’a pas été complétement atteint, on a laissé la Hollande en possession
des forts de Lillo et de Liefkenshoek ; or, messieurs, l’importance de ces deux
forts n’est pas assez grande pour nous dans les circonstances actuelles pour
que nous réclamions une nouvelle intervention pour les faire évacuer, ni même
que nous acceptions urne telle intervention qui n’aurait que ce but spécial.
Messieurs, un honorable représentant de Tournay a
énuméré les nombreux griefs dont la Belgique aurait, selon lui, à obtenir la
réparation vis-à-vis de la conférence. Ces griefs, messieurs, sont relatifs aux
stipulations financières et aux arrangements territoriaux. Cet orateur
reconnaît lui-même que la réparation de ces griefs constituerait de véritables
modifications au traité du 15 novembre ; il a posé en fait que la Belgique
était en droit le réclamer ces modifications, parce que les ratifications de quelques-unes
des puissances étaient accompagnées de réserves. Mais, messieurs, il a oublié
que le traité du 15 novembre a été déclaré irrévocable et que nous avons
souscrit à lui reconnaître ce caractère en en faisant notre droit public.
Les modifications
dont parlent les réserves ne peuvent donc être que des modifications de gré à
gré, et le gouvernement n’a cessé de déclarer qu’il n’en admettrait que d’après
les principes de la plus juste compensation.
Il résulte, messieurs, des faits que je viens de poser
que, parmi les réclamations recommandées par l’honorable orateur auquel je
réponds, les unes seraient tardives si elles n’avaient pas été faites en temps
opportun, les autres sont prématurées parce qu’elles sont relatives à des
questions qui ne peuvent être traitées que dans des négociations directes avec
la Hollande.
Ces vérités répondent à presque toutes les parties du
discours qu’a prononcé l’honorable député.
Il a basé ses exigences sur l’existence des réserves,
tandis que l’on n’en a pas encore fait usage ; mais la nation peut-être bien
convaincue que, quand on les présentera comme un argument en faveur de notre
adversaire, nous saurons résister à toute injuste prétention.
M. de Brouckere. - Messieurs, je disais, il y a peu de jours, en partant des ministres,
qu’ils ne me paraissent pas avoir été prédestinés pour être ce qu’ils sont ;
j’ai à rétracter une partie de cette assertion ; en effet, à voir l’habileté
avec laquelle M. le ministre des affaires étrangères sait éluder les questions
qui lui sont faites, je crois maintenant, en vérité, qu’il était prédestiné à
être diplomate, et même à être chef d’une diplomatie. (On rit.) Vous avez entendu, messieurs, les questions qui ont été
adressées au ministère ; elles étaient tellement simples, tellement précises,
qu’il suffisait pour y répondre d’un oui, ou d’un non ; eh bien ! il a gardé le
silence pendant deux ou trois séances, et quand il est poussé dans ses derniers
retranchements, qu’il ne peut plus se taire, le ministre des affaires
étrangères parle quelques minutes, et ne nous dit rien.
On demande si, cédant à nos instances, il prendra
enfin les mesures nécessaires pour tirer le pays de l’état d’incertitude et de
souffrance dans lequel il se trouve, s’il s’engage à notifier aux puissances
qui se sont chargées de faire exécuter le traité du 15 novembre que si après un
délai qu’ils détermineront, elles n’ont point atteint le but qu’elles annoncent
vouloir atteindre, nous nous chargerons nous-mêmes du soin de nous faire justice
; car nous sommes à même de nous la faire ; le ministre nous l’a dit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet)., interrompant. - De tenter de nous faire justice.
M. de Brouckere. - Eh bien, tentons ! (Bravo !
très-bien !)
Que répond le ministre ? Les menaces n’ont d’effet que
quand elles sont justes et opportunes, sinon elles ne font qu’irriter.
En savez-vous plus après une telle réponse que si ce
ministre n’avait pas parlé ? Assurément non.
On demande si on croit qu’il y ait assez de deux
interventions étrangères, et si, quelles que soient les circonstances, qui se
présentent, on ne veut pas recourir à une troisième intervention ; si on est
décidé à faire usage de nos propres forces, que nous attaquions nos ennemis ou
que nous ayons à nous défendre contre eux, que répond le ministre ?
Qu’aucun fait, aucune
circonstance ne lui fait prévoir une intervention ; que les causes qui ont
motivé celles de 1831 et 1832 n’existent plus.
Je vous ferai, messieurs, la même question ; en
savez-vous plus ? Non, assurément. Au contraire, à voir le ton d’hésitation du
ministre, je commence à craindre que, dans certains cas, il soit disposé à
consentir à une troisième intervention, à faire encore jouer à notre armée le
rôle humiliant de 1832. Ce qu’il veut avant tout, c’est persister dans son
système de temporisation, et gouverner les bras croisés. Aussi, messieurs, dès
ce moment, je le déclare, mon intention est de voter contre le budget de la guerre,
ne pouvant donner les mains à un pareil système. Comme je ne veux cependant pas
qu’on puisse m’accuser une minute de vouloir entraver le service, et qu’un
honorable collègue doit proposer demain de voter un crédit provisoire pour
trois mois, j’annonce dès à présent que j’appuierai sa proposition, parce que,
quand nous en viendrons à un vote définitif, il faudra s’expliquer, et nous
prononcerons sur la conduite du ministre, qui aura eu le temps de prendre les
mesures nécessaires à la dignité du pays.
M. le ministre des
affaires étrangères (M. Goblet).
- Messieurs, on vient de vous parler de l’hésitation avec laquelle je me suis
exprimé ; je dois, sous ce rapport, réclamer toute l’indulgence de la chambre ;
n’appartenant, par mes antécédents, ni au barreau, ni à la chaire, c’est depuis
peu de jours que je me suis trouvé obligé à prendre la parole ; et ce n’est
qu’à ma seule inexpérience et non à la crainte de me compromettre qu’il faut
attribuer mon hésitation.
Le ministère, au reste, messieurs, reconnaît que les
gouvernements anglais et français continuent les mesures coercitives avec plus
de rigueur que jamais ; et il croirait manquer à ses devoirs, à ce qu’il doit
au pays, s’il employait le système des menaces envers ces deux puissances.
M. Dumortier.
- Je ne partage pas l’opinion de mon honorable ami M. de Brouckere, quand il
prétend que le ministre des affaires étrangères ne nous a rien appris ; j’y
vois au contraire la preuve certaine qu’il est prêt à soutenir une nouvelle intervention. Mais il
est d’autres points sur lesquels il n’a pas répondu ; je demanderai pourquoi on
supporte que notre pavillon soit insulté sur l’Escaut et pourquoi nous ne
prenons pas une position analogue à celle que la Hollande prend en bloquant
Maestricht comme elle bloque l’Escaut ?
Le ministre, en répondant au discours que j’ai
prononcé, vous a dit qu’il reconnaissait que des changements pouvaient être
apportés au traité des 24 articles, mais qu’une chose s’y opposait, c’est qu’il
était final et irrévocable. Est-ce bien sérieusement, messieurs, qu’on vient
prétendre dans cette chambre que le traité du 15 novembre est irrévocable,
quand depuis deux ans on n’a pu en obtenir l’exécution et que des réserves y ont
été apportées par l’Autriche, la Prusse et la Russie ? Et du moment que le
gouvernement a admis des réserves, il devait réclamer de son côté et faire
valoir les droits de la Belgique.
Quand
nous demandons si on consentira à une nouvelle intervention, le ministre répond
qu’en 1832 l’intervention avait pour but spécial la reddition de la citadelle
et des forts, et que ce cas ne pouvant se représenter, une intervention n’est
pas probable ; sans doute, il ne peut y en avoir dans ce but spécial, on ne
peut prendre deux fois la citadelle, mais souffrirez-vous l’intervention dans
un autre but ?
Je ne sais si, comme vous le dites, vous n’êtes
informé de rien ; eh bien, je vous instruirai, je vous apprendrai que la
semaine dernière il a été fortement question dans le conseil de Louis-Philippe
d’une troisième intervention, et un auguste personnage, ainsi qu’un ministre
très influent, ont beaucoup insisté. En présence de ces faits, je demande que
le ministère s’explique catégoriquement et sans phrases entortillées ; il faut
absolument que nous soyons fixés.
M. Marcellis.
- Je viens m’opposer à la proposition de l’honorable M. de Robaulx. Le ministre
nous a entendus. Nous avons fait notre tâche, il lui reste à faire la sienne.
Or, l’honorable M. de Robaulx nous propose de faire la besogne ministérielle en
provoquant notre vote sur une prescription précise. Si vous êtes mécontents du
ministère, culbutez-le ; mais ne le liez pas, car il faut dans l’administration
d’un ministère, comme ailleurs, la liberté. Je ne voterai donc point pour cette
proposition ; j’ai fait connaître mon opinion au ministre, mais je ne la lui
impose pas. S’il suit une autre marche, je tâcherai de l’y ramener, mais par
des voies parlementaires.
M. de Robaulx. - Avant d’entrer sérieusement en matière, je vais répondre deux mots à
M. Marcellis qui s’oppose à mon interpellation, sous prétexte qu’elle tend à
faire remplir par la chambre la tâche du ministère ; ou en d’autres termes, il me
reproche de faire du gouvernement dans la chambre, et de la transformer ainsi
en une petite convention nationale.
Enchanté de connaître votre opinion ; lui d’un
autre côté vous dit que si le ministre ne suit pas son opinion, il saura l’y
forcer. Je vous demande maintenant si ce que je propose n’est pas
parlementaire, si nous ne sommes pas dans notre droit en demandant que le
ministère réponde à des interpellations relatives au système de politique qu’il
entend suivre ? C’est là un droit constitutionnel qu’on ne peut nous dénier ;
mais admirez la logique de M. Marcellis et combien il est en contradiction avec
lui-même. Lui qui ne veut aucunement entraver ce qu’il appelle la liberté du
ministère ; lui qui repousse ma motion comme un empiétement sur le pouvoir
exécutif, vous annonce cependant que si le ministère ne suivait pas son avis,
il trouverait moyen de l’y forcer ; cela me paraît contradictoire.
Je viens à la question. M. le ministre des affaires
étrangères nous a dit que les menaces étaient efficaces quand elles étaient
justes et opportunes, mais qu’elles ne faisaient qu’irriter quand elles étaient
injustes et inopportunes. Messieurs, est-ce bien une menace injuste et
inopportune que de dire aux puissances : Vous nous avez imposé un traité
onéreux ; eh bien, exécutez-le. Et si n’en avez pas la possibilité, ou si vous
n’en avez pas la volonté, alors nous allons rentrer dans tous nos droits. Y
a-t-il là de l’injustice ?
L’opportunité ? Quoi ! depuis deux ans et demi, nous
subissons un provisoire qui semble ne pouvoir jamais se changer en définitif ;
nous avons en beau voter des fonds au gouvernement dans l’espoir de le mettre
dans une position à nous tirer du provisoire, nous y sommes toujours.
Il est bien temps de faire cesser ce pied de guerre
qui nous écrase, qui nous accable et nous laisse toujours vis-à-vis de l’Europe
comme des sujets révoltés du roi Guillaume, qui n’attend que le moment de nous
mettre à la raison.
Mais à la manière dont on a traité jusqu’ici nos
affaires, je ne suis point tranquille sur notre avenir, du train que l’on nous
mène. Je ne m’étonnerais de rien ; je m’attends au premier jour à un coup de
baguette magique qui fera disparaître tout ce qui est ici, et moi aussi. (On rit.)
Reportons-nous aux premiers jours de notre révolution.
Si le gouvernement provisoire était venu vous dire qu’au bout de deux ans et
demi il serait injuste et inopportun de réclamer l’exécution d’un traité qu’on
nous aurait imposé, qu’auriez-vous répondu ? Mais à nous, messieurs, on n’eût
pas osé tenir ce langage au congrès ; il n’eût même pas été prudent de la part
de ceux qui l’auraient tenu. Depuis l’on a tout fait pour amortir ici l’esprit
de patriotisme, et l’on y est parvenu ; nous ne sommes plus qu’une masse inerte,
nous avons ici notre centre qui forme la majorité.
Je suis l’auteur de l’amendement dont a parlé M. de
Brouckere. Le ministre ne demande incidemment de l’argent que pour un mois. Je
suis plus généreux, et j’ai déposé une proposition tendante à lui accorder un
crédit de trois mois, mais sous la réserve expresse que, si, au bout de ce
terme, on n’a pas obtenu de résultat, et l’exécution des engagements contractés
envers nous, alors je serais de l’opinion systématique, j’en ferais jusqu’à ce
que j’aie renversé le ministère et celui qui suivra (on rit) s’il suit les mêmes errements. Il ne faut pas vous étonner
de cela, messieurs, c’est le seul moyen d’avoir raison des ministères.
Nous ne devons pas nous laisser arrêter par la crainte
d’entraver le service, de gêner l’administration ; votons, en ce moment, des
fonds pour l’armée sur le pied de guerre, et si nos intentions ne sont pas
exécutées, nous voterons dans trois mois le rejet du budget ; si, au lieu de
cela, on hésite, alors tout sera perdu, et je ne dirai pas fors l’honneur, mais
l’honneur compris. (Mouvement.)
M. Osy.
- Messieurs, j’avais désiré, samedi dernier, obtenir des explications sur les
réponses que M. le ministre des affaires étrangères doit avoir faites aux
cabinets de Paris et de Londres, sur les propositions adressées à la Hollande
au mois de janvier dernier. J’ai vu par les journaux que M. le ministre refuse
ces explications. Nous ne pouvons le contraindre à les donner. Mais aujourd’hui
on parle d’une troisième intervention : je suis certain que le cabinet des
Tuileries s’en est occupé la semaine passée. Le ministre assure qu’il l’ignore.
Alors je lui demanderai ce qu’il fera dans le cas où on lui proposerait une
troisième intervention.
Le ministre a parlé de la liberté de l’Escaut reconnue
en principe ; mais cette liberté de principe est en réalité remplie d’entraves
qui finiront par faire fuir tous les navires d’Anvers.
J’ai demandé que nous reprenions notre ancienne
position, et que nous forcions la Hollande à laisser libre l’Escaut. Ce moyen
m’a paru, ainsi qu’à plusieurs de mes collègues, le plus propre à mener au but.
Je suis déterminé à voter contre le budget de la guerre ; mais ce n’est pas
contre le ministre de ce département que sera dirigé mon vote, car j’apprécie
ses services et ses bonnes intentions, Je voudrais n’accorder qu’un crédit
provisoire pour le premier semestre, afin de voir si le gouvernement veut
arriver à une solution.
M. Pirson. - Les ministres ne veulent nous rien dire ; eh bien
! je leur dis, moi, mon dernier mot : le roi Guillaume nous proposait
l’organisation de la garde communale immédiatement après la loi mouture.
J’osai lui dire : « Armez donc, si vous l’osez, ceux
que vous ne craignez pas d’affamer, » et la loi de la garde communale fut
retirée.
Aujourd’hui je vous dirai : Osez donc retenir sous les
armes des hommes dont vous ne voulez pas faire cesser l’humiliation !
Ministres du Roi, une révolution ne finit que quand un
gouvernement régulier est reconnu en dedans et au-dehors. Si vous ne vous
empressez de faire reconnaître le nôtre, la révolution continue. Craignez de
plus longs délais, et n’attendez pas les convulsions d’une agonie
révolutionnaire.
Je veux bien attendre trois mois encore et rien de
plus.
M. Marcellis. - On s’est efforcé de me mettre en contradiction
avec moi-même. Je ne pense pas que l’on y ait réussi. Toutefois je vais
m’expliquer plus catégoriquement. Oui, je veux la liberté dans un ministère
tant que ce ministère subsiste. Si je veux le contraindre, c’est par mon vote
sur le budget. Ce moyen est parlementaire, et seul parlementaire. Je repousse
des prescriptions étroites et précises. Je le répète, le ministre nous a
entendus. Il a entendu, dit l’honorable M. de Robaulx, des discours plus ou
moins inintelligibles, Quel acte de modestie que cette phrase dans sa
généralité, puisqu’elle comprend aussi le discours de M. de Robaulx ! Finissons
par quelque réflexion un peu plus grave. On juge des progrès d’une nation par
ses égards pour les autres nations. Il faut des alliés, La Pologne avait tout,
sauf des alliés, et la Pologne a péri !
M. Gendebien.
- Il faudra cependant bien que le ministre finisse par prendre un parti, qu’il
parle ou qu’il dise qu’il ne veut ou plutôt qu’il ne peut pas parler ; qu’il
s’obstine au silence, nous le concevons tous ; ses motifs ne datent ni
d’aujourd’hui ni d’hier, mais nous qui nous obstinons à le faire parler, nous
devons comprendre qu’il ne peut rien dire sans être anéanti.
Il faut enfin trancher le mot et dire toute la vérité
: il n’y a pas de ministère possible en Belgique, parce qu’il n’y a pas de
gouvernement ; il n’y a pas de gouvernement, parce que nous sommes sous la
tutelle de l’Angleterre et de la France et que nous sommes répudiés par les
autres puissances.
Il n’y a donc point de volonté libre dans nos
ministres : le gouvernement est dans la position d’un mineur ; il est en
curatelle, il n’a et ne peut avoir de volonté propre.
Ainsi que l’ont dit plusieurs orateurs, je dis à mon
tour : Je ne suis pas coupable du traité du l5 novembre ; cependant je me
soumettrai au traité du 15 novembre quand il sera un traité, mais il n’a pas
encore ce caractère, il lui manque une des conditions essentielles pour un
contrat synallagmatique ; il a d’ailleurs été imposé par la violence qui est
exclusive de tout consentement. On dit qu’il nous sert de lien avec les cinq
puissances ; cela n’est pas exact, car il été signé sous la condition de
ratification, et les puissances n’ont ratifié qu’avec des réserves. Les
réserves modifient le traité ; en modifiant les rapports qu’il établissait
entre les puissances et nous, les réserves ont modifié aussi les rapports qui
résultaient des ratifications pures et simples de la France et de la
Grande-Bretagne envers la Belgique : aussi, que disent la France et
l’Angleterre quand on les somme d’exécuter le traité ?
Elles répondent sans doute : Vous avez vous-mêmes
modifié le traité en acceptant les ratifications des trois puissances du Nord
avec des réserves ; expliquez-vous sur ces réserves avec les puissances ;
mettez-vous d’accord, alors nous nous exécuterons.
Voilà les causes d’embarras, Si les ministres veulent
dire la vérité, ils doivent en convenir ; s’ils ne veulent pas en convenir, je
demande comment ils peuvent avoir la prétention de faire croire à un peuple
intelligent comme le peuple belge qu’il y a danger à demander aux puissances
l’exécution d’un traité qu’on ne leur a pas arraché par la violence ou
l’astuce, mais qu’on nous a imposé avec violence.
Les puissances ont contracté volontairement, sciemment
et après mûre délibération ; nous sommes donc en droit de leur demander
l’exécution de leurs engagements ; un honnête homme, même celui doué de la
moralité la plus ordinaire, ne s’offense pas quand on lui fait une demande
semblable. La France et l’Angleterre ne pourraient donc trouver extraordinaire
qu’on leur demande l’exécution des traités.
Il y a donc tout au moins de la niaiserie à supposer
que nous voulons que des menaces soient adressées à la France et à
l’Angleterre, alors que nous ne faisons qu’user d’un droit qui nous est acquis
depuis 15 mois. A coup sûr ce n’est pas même le reproche d’exigence ou
d’impatience qu’on pourrait nous adresser.
Il faut en finir de notre situation précaire ; il y a
18 mois que nous entretenons une armée au-delà de nos forces ; il y a 18 mois
que nous sommes entre la vie et la mort, comme l’a très bien dit un de nos
collègues : quel est le commerçant, quel est l’industriel, quel est le Belge,
en un mot, qui ose commencer une opération quelconque dans cet état
d’incertitude qui se changera bientôt en marasme chronique ?
Il faut convenir qu’il y aurait ou une arrière-pensée
ou de la mauvaise foi dans les cabinets de France et d’Angleterre, s’ils
prétendaient avoir le droit de s’offenser de notre légitime désir de voir enfin
accomplir des engagements sacrés contractés par eux envers nous et en retour
des plus douloureux sacrifices faits à leur demande et sur leurs promesses
formelles.
Il y a urgence d’en finir ; le délai qui s’est déjà
écoulé démontre à lui seul cette urgence.
Pourquoi y a-t-il urgence ? C’est parce que nous
sommes seuls liés par ce traité et envers les 5 puissances et envers la Hollande
; trois des 5 puissances prétendent n’être pas liées envers nous ou ne le sont
au moins que conditionnellement, et la Hollande répudie le traité.
Nous n’avons donc aucune chance d’amélioration à
espérer du temps ; la Hollande au contraire a tout à espérer ; on veut
prolonger cette situation par des traités préliminaires ; eh ! que propose-t-on
au roi Guillaume par les traités préliminaires ? On lui propose de reconnaître
notre neutralité en le dispensant de reconnaître notre indépendance, notre nationalité
; mais quelle serait notre position par suite de cette reconnaissance ? la même
qu’aujourd’hui ; c’est-à-dire qu’il pourrait quand l’occasion s’en
présenterait, reprendre les rebelles, les soumettre sous son joug, et les
fustiger Dieu sait comme ; voilà sa pensée, voilà ses espérances que les
lenteurs favorisent et que l’hésitation de la France et notre propre
pusillanimité nous préparent.
Il y a raison d’en finir promptement, parce que nous
sommes à la merci du ministère anglais et du ministère français, et que les
ministres peuvent changer et se modifier : l’expérience doit nous prouver que
ces modifications sont tous les jours plus hostiles aux principes comme aux
résultats des révolutions de juillet et de septembre.
Quant au roi d’Angleterre, croyez-vous qu’il soit
personnellement favorable à une révolution ? On nous la fait croire lors de
l’élection du prince de Saxe-Cobourg et de la discussion des 18 articles ; on
nous disait alors : Pensez-vous que la conférence ne fasse pas tous ses efforts
pour nous faire conserver le Luxembourg ? Nous avons une garantie dans la
Prusse, l’Autriche et l’Angleterre : voudriez-vous que l’Angleterre qui voit
avec joie l’élection du prince de Saxe-Cobourg cédât et ne nous fit pas donner
le Luxembourg ?
Messieurs, le roi d’Angleterre, comme roi de Hanovre,
a-t-il reconnu notre indépendance ? Non ; a-t-il reçu le message à l’occasion
du mariage du roi avec une princesse française ? Le roi d’Angleterre se
rapprochera, à la première occasion, de l’aristocratie anglaise ; il le fera
aussi tôt qu’il pourra arriver sans secousse à un changement de ministère. Le
plus énergique des ministres, lord Durham, s’est déjà retiré ; il n’était pas
le moins bien disposé pour nous : attendrez-vous, pour demander l’exécution des
traités, l’avènement d’un autre ministère ? Attendrez-vous que le ministère
doctrinaire de France le devienne encore plus demain ?
Ce ministère vient de se renforcer du général
Sébastiani ; on assure que ce général n’était pas éloigné de partager la
Belgique, ou d’y souffrir la restauration ; il était d’accord sur ce point avec
Talleyrand, nous a-t-on dit plus d’une fois. Attendrez-vous pour agir que
l’esprit public en France soit étouffé par la doctrine, ou qu’un bouleversement
y modifie les hommes ou les choses ?
Il nous reste encore assez de temps pour en finir par
nous-mêmes et notre seule énergie. Je le déclare hautement, toutes les fois que
le ministère voudra recourir à des actes énergiques, je l’appuierai, avec
crainte cependant de le voir revenir à sa faiblesse première. Car l’exemple du
passé ne me rassure pas ; ses actes seuls auront mon appui et à mesure qu’ils
se révéleront.
Il suffit d’ouvrir les yeux à la lumière pour être
convaincu que ce n’est pas caprice, que ce n’est pas esprit d’opposition, d’hostilité
envers le ministère ou le gouvernement, mais raison péremptoire qui nous fait
demander des garanties. Que peut-on alléguer à des motifs aussi fondés en
politique et en raison ?
Un dernier orateur vous a dit que la Pologne avait
tout, excepté des alliances, et que c’est parce qu’elle n’avait pas d’alliances
qu’elle a péri.
Nous ne sommes pas dans la même position que la
Pologne, mais nous y arriverons.
Elle a péri, non à défaut d’alliances, mais parce
qu’elle a eu trop de confiance dans les gouvernements qui se disaient ses amis,
ses protecteurs. Toute nation qui subit la protection d’une autre nation perd
son indépendance et avec elle sa liberté, parce qu’elle perd son énergie dès
lors qu’on l’habitue à compter sur d’autres ressources que les siennes, et par
là même on finit par la faire douter de ses moyens et de son courage.
La Pologne a péri parce qu’elle a subi les conseils du
ministère doctrinaire de France qui lui disait : « Prenez patience, ne
hasardez rien, la diplomatie vous sauvera mieux que votre désespoir. Restez
l’arme au bras. »
Elle a attendu, et pendant ce temps les chemins qui
s’opposaient à la marche de l’armée russe sont devenus meilleurs, ont cessé de
faire obstacle à l’arrivée des munitions et des vivres et des renforts de son
ennemi, et elle a succombé sous le nombre. Elle devait faire usage de son
énergie, et non de conseils qui l’ont engourdie.
La Belgique est dans une tout autre position.
Songez que nous sommes appuyés, nous, je ne dirai pas
par le gouvernement, mais par l’opinion d’une nation forte et énergique ; elle
connaît sa position et la nôtre, elle connaît les dangers de nous laisser périr
; elle ne souffrira jamais que notre pays subisse le sort de la Pologne ; à
moins que le ministère doctrinaire ne pèse encore longtemps sur cette noble
nation, nous pouvons nous reposer sur la France du soin de défendre notre
territoire, si son gouvernement voulait nous retirer son appui au moment où il
nous deviendrait nécessaire.
Cependant, prenez-y garde ; si la France faisait usage
de l’énergie qui lui est propre, elle nous défendrait sans doute ; mais sous un
ministère doctrinaire elle pourrait bien, un jour, tomber dans un état voisin
de l’apathie ou de l’indifférence pour nos principes et ne songer qu’aux
avantages d’une conquête ou d’un partage. Le ministre convoite nos places
fortes ; dans telles circonstances données, ce partage pourrait réhabiliter les
hommes du juste-milieu de France qui ne se feraient pas grand scrupule d’en
user sans façon avec nous.
A part les raisons politiques que j’ai eu l’honneur de
développer, il y a nécessité, il y a urgence pour les besoins matériels du pays
de mettre un terme à un état de choses aussi précaire, alors surtout que depuis
deux ans on ne paraît songer qu’à la conquête de la reconnaissance de notre
indépendance, et qu’on a habitué la nation à considérer la reconnaissance comme
un objet de nécessité absolue ; faites donc résoudre au plus tôt cette question
qui agite tous les esprits.
Après cela ne croyez pas que pour mon compte je fasse
grand cas de la reconnaissance des puissances. Je vous disais, il y 18 mois,
quand on chantait des Te Deum pour ses prétendues reconnaissances, et qu’on
invitait les membres de cette chambre à y assister en corps ; je vous disais
que les membres pouvaient y aller individuellement, parce qu’un membre pouvait
être considéré comme dupe sans déshonneur, mais qu’il ne fallait pas exposer le
corps entier à une mystification. L’avenir a prouvé que j’avais raison.
J’ajoutais : Une nation existe par sa volonté ; que le roi Léopold ne renie
jamais son origine, il pourra se passer de la reconnaissance de ses ennemis.
Le roi Léopold tient ses droits de la nation, du
peuple ; qu’il se rattache à son origine, la révolution : il trouvera dans la
nation le courage et l’énergie suffisante pour se passer de la reconnaissance
des puissances.
Que nous ferait cette reconnaissance qui, le
lendemain, sous le plus vain prétexte, pourrait se réduire à zéro ? Les
puissances ne peuvent pas souffrir le principe révolutionnaire ; elles médisent
sans cesse les moyens de le détruire et de faire triompher leurs principes ;
elles en saisiront l’occasion si elle se présente, sans scrupule comme sans
crainte de violer des engagements de reconnaissance.
Dans l’intérêt du ministère et du gouvernement, comme
dans celui de la nation, j’insiste pour que nous ne lui accordions que des
crédits pour trois mois. Votre ministère est sous l’influence des cabinets
français et anglais ; que pourra-t-il dire aux ministres de ces nations quand
il aura le budget de la guerre pour toute l’année ? S’il fait des demandes avec
la dignité qui convient à un peuple libre, s’il insiste, on l’accusera
d’obstination ; mais si nos ministres sont forcés de dire : « Nous n’avons
de crédit que pour trois mois ; au bout de ce terme, ou nous devons abandonner
le pouvoir, ou nous devons nous appuyer sur la nation et recourir à son
énergie, nous soumettre à ses exigences. N’est-ce point leur fournir une bonne
réponse à toutes leurs objections ?
Je dois le dire ici en
passant, on a calomnié l’opposition ; cependant si on avait voulu la
comprendre, si on savait l’apprécier sans préventions et sans arrière-pensée,
on serait forcé de constater qu’elle a rendu plus de services au pays que
toutes les majorités et du congrès et de la chambre. Jugez ce qui serait arrivé
si elle s’était laissé aller avec mollesse aux promesses ou aux menaces des
puissances ? Elle s’est adressée à l’énergie de la nation qu’elle a souvent
ranimée pour repousser les principes qu’on voulait faire prévaloir, et les exigences
sans cesse renaissantes : quel mal en est-il résulté ? Et quel fruit eût-on
recueilli du silence de l’opposition. Si on avait toujours suivi la marche
énergique qu’elle a conseillée, nous ne serions pas garrottés par les
protocoles qui seraient déjà exécutés aujourd’hui.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, il faudrait être bien malheureusement
organisé pour que des dissentiments politiques fissent éprouver le besoin de
flétrir le caractère de ses adversaires. Ce besoin n’a jamais été le mien, et
je suis bien aise de le déclarer à l’honorable préopinant. Quoique nous ayons
suivi constamment une ligne politique différente, quoique nous soyons encore
séparés par la même distance, je déclare n’avoir jamais senti le besoin
d’attaquer son caractère, qui d’ailleurs est au-dessus de la calomnie. Je sais
que l’honorable préopinant aurait à souffrir autant et plus peut-être que qui
que ce soit d’une restauration ; je sais que sous ce rapport il n’y a pas
d’homme qui ait plus de raison de rester plus dévoué au nouvel ordre de choses
; qu’il n’y a pas, dans ses antécédents, le moyen de faire oublier ses paroles
et ses actes, et de faire au besoin ses arrangements.
J’ai cru ne pas devoir laisser échapper cette occasion
de dire, en passant, que si je combats les principes, je sais respecter ses
caractères et les convictions.
Mais tout en rendant hommage aux principes, aux
convictions de l’opposition, je suis loin de partager l’avis que viennent
d’émettre d’honorables préopinants ; or, je reste persuadé que si les principes
et les doctrines de l’opposition avaient triomphé, si le système de la majorité
du congrès et des chambres n’avaient prévalu, la Belgique serait depuis
longtemps déjà rayée de la carte européenne, et sa nationalité évanouie comme
un rêve.
Je prie la chambre de ne pas se méprendre sur le
silence que le ministère s’impose quelquefois dans les discussions
diplomatiques : y a-t-il une administration possible, une administration qui
puisse cultiver avec succès des relations diplomatiques si, alors qu’elle croit
dans l’intérêt de ces négociations, dans l’intérêt de l’Etat, devoir garder le
silence, elle est sommée de s’expliquer ? Et cette administration, faisant,
pour garder ses portefeuilles, le sacrifice de ses devoirs les plus intimement
sentis, ne mériterait-elle pas le mépris public, le mépris même de ses
adversaires ?
Telle serait la position du ministère actuel, s’il ne
s’imposait point quelque réserve.
Quand il a cru pouvoir répondre sans trahir ses
devoirs, sans compromettre le succès de ses négociations, il l’a fait, il l’a
fait en présence de la chambre et du pays ; il n’a même pas demandé de comité
général comme on le sollicite ailleurs pour les communications diplomatiques.
Si un ministère qui a son système, qui l’exécute sous sa responsabilité, qui a
des devoirs à remplir, ne peut pas s’imposer parfois un silence qu’il croit
utile, il faut renoncer à l’espoir d’avoir une administration qui inspire quelque
confiance et quelque crédit à l’étranger.
Messieurs, à entendre plusieurs membres de cette
assemblée, on croirait qu’alors que tout le monde souffre du provisoire, le
ministère seul s’en trouve bien ; que c’est pour lui un Eldorado que la
précaire situation de la Belgique. Mais qui donc a intérêt de vouloir ce
provisoire ? Pour qui ce provisoire est-il un sujet continuel de reproches,
d’accusation de toute espèce ? N’est-ce pas principalement pour le ministère ?
N’est-ce pas lui qui supporte, à chaque heure, à chaque instant, devant la
représentation nationale et devant la presse, tout ce que l’impatience légitime
du pays peut inspirer d’attaques injustes, d’accusations passionnées ? Si
donc il y a dans le pays, s’il y a dans cette chambre des hommes qui aient
intérêt à hâter la solution de nos affaires, ce sont évidemment les membres de
l’administration. La solution de nos difficultés extérieures changerait
profondément la position de ceux qui ont en ce moment le triste courage de se
mêler des affaires publiques.
Vous manquez d’énergie, s’écrie-t-on ; vous êtes
pusillanimes ; votre faiblesse déshonore le pays : eh bien ! messieurs, depuis
l’ouverture du congrès national jusqu’au moment où j’ai l’honneur de vous
parler, ce thème n’a pas cessé d’être celui de l’opposition ; et la défense
contre ces accusations de pusillanimité, de duperie, de mystification, n’a pas
cessé d’être le langage de l’administration. Cela prouve-t-il que l’on avait
raison alors que l’on faisait de l’opposition contre le gouvernement
provisoire, contre toutes les administrations qui lui ont succédé ? Nullement ?
Cela prouve que s’il y a bonne foi, conscience des deux côtés, il y a
différence et grande différence dans les positions respectives.
Dans l’opposition on a moins de responsabilité, on
s’abandonne plus facilement aux sentiments généreux qu’on éprouve ; mais le
pouvoir n’est pas appelé à voir les choses au travers d’un prisme sentimental.
Au pouvoir il faut voir les choses avec les yeux d’une froide politique, et
faire fléchir les inspirations du cœur devant les calculs de la raison d’Etat :
voilà le secret de la conduite de tous les ministères ; voilà comment on
explique la différence de sa conduite par la différence de sa position comparée
à celle de l’opposition.
De l’énergie !... Mais en faut-il donc tant, pour
envoyer une note diplomatique ? En faut-il donc tant pour notifier telle ou
telle menace même dans les termes les plus hyperboliques ? Quiconque hésite en
pareil cas passerait facilement outre s’il avait à rendre compte à lui-même, et
à son pays, lorsqu’une effervescence passagère aura cessé, du résultat de
chacun de ses actes ? Grande énergie vraiment que de signifier des notes
diplomatiques, grande énergie que de dire à l’armée du fond d’un cabinet :
Allez-vous égorger avec l’ennemi ! L’énergie de l’homme gouvernemental consiste
à opposer les froids calculs de la raison d’Etat aux entraînements généreux des
hommes qui n’ont point autant par leur position la vue de l’ensemble des
intérêts et des nécessités du pays.
Voyez, messieurs, dans quel étrange embarras se
trouverait le ministère s’il essayait de suivre, en cette circonstance, les
conseils de l’opposition.
Il faut sommer les puissances d’exécuter leurs
engagements ; mais, dit M. Jullien, vous ne pouvez pas dire aux puissances de
quelle manière elles les exécuteront ; pour remplir leurs promesses elles
peuvent faire une troisième, une quatrième intervention.
Selon M. Dumortier, il faut enfermer les puissances
dans le cercle de Popilius ; requérir leur action ; mais quand elles voudront
agir, on leur dira ; allez par-là, mais ne touchez point à ceci : Sic jubeo,
sit pro ratione etc. ; que devons-nous
faire ? Ecouter M. Jullien, ou écouter M. Dumortier ? Tous deux appartiennent
plus ou moins à l’opposition. Selon les règles de la logique, c’est peut-être
M. Jullien qui a raison.
Mais dans les affaires d’Etat à Etat il y a encore
autre chose que de la logique, et je pense qu’il n’y a nul motif de croire à
une troisième intervention qui n’aurait pour but que de nous mettre en
possession des forts de Lillo et de Liefkenshoek ; car une intervention,
messieurs, pour faire la guerre au cœur de la Hollande, pour envahir son
territoire, sortirait de la nature et de l’esprit des garanties que les
puissances ont formulées dans le traité du 15 novembre.
Dans le traité du 22 octobre, conclu entre la France
et l’Angleterre pour amener l’exécution du traité du 15 novembre, et pour nous
mettre en possession de notre territoire, les précautions les plus minutieuses
ont été prises pour que le territoire hollandais restât intact, même dans le
cas d’agression de la part de la Hollande.
Croyez-vous que c’est dans un intérêt purement belge
ou purement hollandais, que ces précautions furent stipulées ? Non sans doute.
C’est parce qu’une des conditions principales de l’inaction des puissances du
Nord, est que le territoire de la Hollande reste intact ; les puissances du
Nord considèrent le territoire hollandais comme une partie en quelque sorte de
leur patrimoine.
Je le répète, je ne conçois pas la possibilité d’une
nouvelle intervention.
Mais devons-nous déclarer positivement que si on en
avait formé le projet, projet dont j’ai entendu parler pour la première fois
dans cette chambre, et auquel je ne crois pas, nous nous y opposerions ?
Pensez-vous que si la France et l’Angleterre pressentaient que l’annonce d’un
tel projet est de nature à renouveler sur les puissances du Nord l’impression
qu’a faite l’expédition d’Anvers, qui a jeté le trouble dans tous les esprits,
et retenti jusqu’à Saint-Pétersbourg, contre laquelle on a cru devoir protester
dans le sein de la confédération germanique, pensez-vous, dis-je, que si la
France et l’Angleterre jugeaient l’annonce d’un tel projet propre à influer sur
les déterminations du cabinet hollandais et de ses alliés, il serait sage d’en
paralyser l’effet à l’avance par la déclaration que nous demande M. Dumortier,
et que nous n’avons pas le droit de faire, selon M. Jullien ? Je ne le crois
pas ; et le ministre des affaires étrangères serait allé trop loin, s’il avait
affirmé qu’il s’opposerait toujours et dans tous les cas à une pareille
intervention.
Quant à la signification d’un délai qui nous est
demandé comme condition sine qua non du vote du budget de la guerre, c’est
vraiment un double emploi. Quoi ! il ne suffit pas que l’Angleterre fasse peser
sur la Hollande un ruineux embargo, qu’elle s’expose pour elle-même aux
réclamations de son commerce ; il ne suffit pas que les deux puissances
garantes du traité continuent à remplir avec loyauté leurs engagements ; il
faut encore qu’à jour, à heure fixes, elles atteignent le but que nous
demandons !
Ce langage est-il convenable quand les mesures
coercitives subsistent et paraissent devoir redoubler de vigueur ?
Messieurs, si nous étions à la tête de quarante millions
d’hommes, nous pourrions tenir ce langage, ou plutôt nous n’en aurions pas
besoin. Mais est-ce le moment de parler ainsi quand la France et l’Angleterre
font en notre faveur d’énergiques efforts, efforts qui menaceraient le cabinet
anglais d’une chute, s’il n’était soutenu par les amis de la civilisation
britannique, par la prépondérance des grands intérêts moraux dont il est le
représentant, sur des intérêts matériels momentanément, mais profondément
blessés par sa politique dans la question batavo-belge ?
Nous souffrons, messieurs, il est vrai ; mais
n’exagérons rien. Cependant si nos souffrances étaient telles qu’on les
dépeint, je croirais encore, dans l’intérêt de mon pays, devoir les dissimuler
; je ne voudrais pas donner au roi de Hollande l’espérance qu’en temporisant il
peut forcer la Belgique, bientôt exténuée, à venir se jeter à ses pieds
Mais la Hollande ! Est-ce qu’elle ne souffre pas ?
Est-ce qu’elle n’est pas obérée par de formidables armements, d’accablants
impôts, d’énormes emprunts ? La Hollande paie jusqu’au dernier sou de vos
dettes ; elle est frappée d’un embargo ; et pour ajouter l’humiliation aux
vindictes matérielles, on congédie son ambassadeur, l’on déclare qu’on ne veut
plus traiter avec lui.
Nous ne payons pas un sou des dettes d’autrui ; on
paie les nôtre, soit.
Notre commerce souffre, j’en conviens, comme celui de
l’Europe ; je ne méconnais pas surtout la position de la province à laquelle
j’appartiens ; cependant, à côté de la clôture de la Meuse, je vois des
branches de commerce prospérer, je vois le commerce d’armes, le commerce des
céréales, le commerce des draps, le commerce des clous est pleine activité.
Je vois Anvers fleurir en 1832 par une branche toute
nouvelle, malgré l’état précaire où la Hollande a placé l’Escaut ; je vois
Ostende prendre un essor inattendu, et prospérer comme elle ne l’a jamais fait
sous le gouvernement déchu.
Messieurs, réduits même à une guerre d’attente, nous
ne la ferions pas longtemps à la Hollande ; car l’Europe toute entière, pressée
par des intérêts matériels et par l’irrésistible empire des plus graves
considérations politiques, doit avoir comme nous hâte de voir se terminer les
affaires de la Hollande et de la Belgique.
M. de Brouckere. - Je n’ai, messieurs, que deux mots à dire en réponse à M. le ministre
de la justice dont le discours repose sur une base essentiellement fausse. Il semble à l’entendre que, quand nous
parlons de menaces, nous voulons qu’elles soient faites à nos deux alliés ; il
semble que l’opposition demande que l’on menace la France et l’Angleterre de
leur faire la guerre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je n’ai pas dit cela.
M. de Brouckere. - Je vous prie de ne pas m’interrompre, je ne vous interromps jamais.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - J’en appelle à la bonne foi de la chambre, elle se
souvient de mes paroles.
M. de Brouckere. - Je vous invite de nouveau à ne pas m’interrompre ; vous en avez
l’habitude.
Une semblable exigence rendrait l’opposition ridicule,
et M. Lebeau ne serait pas fâché qu’il en fût ainsi ; mais tout son
raisonnement tombe à faux : il ne s’agit pas de menacer la France et
l’Angleterre, mais de leur notifier l’avis que si elles n’obtiennent pas
l’exécution du traité de la part de la Hollande, nous travaillerons de notre
côté au même but et par les moyens que nous jugerons convenables : voilà tout.
On reproche à l’opposition d’avoir parlé des
souffrances de la Belgique, d’avoir ainsi annoncé en quelque sorte au roi
Guillaume que dans peu nous lui demanderons à genoux la restauration.
Je vous demande si c’est bien là le langage de
l’opposition. Quand elle parle des souffrances de la Belgique, c’est pour que
le ministère y mette fin, et c’est le meilleur et le plus sûr moyen d’éviter la
restauration. En effet, si on les prolonge si longtemps, nous pourrons bien un
jour dire épuisés, et n’avoir plus la force de nous l’opposer. Aujourd’hui, au
contraire, nous sommes dans une position à lutter avec avantage.
On a parlé de la Pologne, on l’a comparée à la
Belgique ; j’engage ceux qui ont fait cette comparaison à parcourir, comme je
l’ai fait ces jours derniers, l’histoire de ce pays et à lire attentivement ce
qui s’est passé sous Stanislas Poniatowski ; ce n’est pas très éloigné de nous.
C’est l’impératrice de Russie qui le fit élire roi de
Pologne, et pendant les premières années qu’il fut sur le trône, elle le
soutint et le protégea. Peu après ce fut cette même impératrice qui provoqua et
effectua le partage de la Pologne, dont elle prit une grande partie pour elle
et abandonna une autre partie à ses alliés.
M. Osy. - M. le
ministre de la justice a dit qu’Anvers florissait comme Anversois, je dois
protester contre cette assertion.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Avait prospéré l’année dernière.
M. Osy, continuant.
- Le port d’Anvers voit s’éloigner tous les navires étrangers effrayés des
entraves mises à la liberté de l’Escaut.
Ostende, il est vrai, profite des arrivages des
navires anglais, français et belges : mais nous n’en avons pas moins perdu de
nos exportations vers l’Allemagne ; s’il y avait à Anvers un commissaire du Roi
que j’ai demandé depuis six mois, le gouvernement connaîtrait l’état de notre
ville, et au lieu de cela nous n’avons qu’un gouverneur ad interim.
La séance est levée à 4 heures
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