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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 février
1833
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant règlement du compte de
l’Etat pour l’exercice 1831
3) Projet de loi autorisant le gouvernement à
créer une dette flottante au moyen de bons du trésor. Second vote des articles
(Verdussen, Duvivier, Gendebien, Marcellis, de Brouckere, Jullien, Gendebien, Marcellis, Meeus, Verdussen, de Foere, Duvivier, Meeus, Davignon, Gendebien, Jullien, d’Huart, Marcellis, Duvivier, (+cour des comptes) (Lardinois,
Dumortier, Meeus, Verdussen, Lardinois, de Brouckere, d’Elhoungne, Lardinois, Dumortier, Meeus, Pirmez, Dumortier,
Lardinois, Osy, Duvivier, Verdussen, Dumortier, d’Elhoungne, Legrelle, Meeus, de Brouckere, Lardinois, Duvivier, Meeus), d’Elhoungne, Osy, Duvivier, d’Elhoungne)
4) Proposition de loi tendant à réduire le droit de barrière sur la route de
Charleroy à Bruxelles (proposition Pirmez) (Pirmez)
5) Rapports sur des pétitions relatives aux
raisons de la mise en disponibilité du général Niellon, au statut des
militaires et à la situation générale des officiers volontaires (d’Huart, Vergauwen, Desmet, Levae, Lebeau,
Desmanet de Biesme, de
Brouckere, Legrelle)
(Moniteur belge n°47, du 16 février 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est
adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
Les pièces adressées à la
chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier) écrit pour donner
les explications qui lui ont été demandées sur le Clara-Polder, à l’occasion
d’une pétition soumise à la chambre.
PROJET DE LOI PORTANT REGLEMENT DU COMPTE DE L’ETAT
POUR L’EXERCICE 1831
M. le ministre des finances (M.
Duvivier) envoie à la
chambre la loi des comptes de l’exercice 1831.
- La chambre ordonne
l’impression et la distribution de cette loi.
M. Legrelle, qui a été, dans
une des séances précédentes, proclamé membre de la chambre, prête serment.
PROJET DE LOI AUTORISANT LE GOUVERNEMENT A CREER UNE
DETTE FLOTTANTE AU MOYEN DE BONS DU TRESOR
Second vote des articles
M. le président. - L’ordre du jour est le vote définitif sur le projet
de loi relatif à l’émission de 15 millions de bons du trésor. La délibération
ne peut porter que sur les articles rejetés ou sur les amendements introduits.
L’article premier est le
résultat d’un amendement ; il est ainsi conçu : « Le gouvernement est
autorisé, pour faciliter le service du trésor pendant l’exercice 1833, à
émettre au pair des bons du trésor, portant intérêt et à échéance fixe.
L’intérêt ne pourra pas excéder 6 p. c. l’an, et les frais de toute nature ne
pourront pas dépasser le maximum d’1 p. c. par semestre. »
M. Verdussen.
- Lorsque dans la séance d’avant-hier, la chambre a terminé la discussion, elle
n’a pas ordonné l’impression du nouveau projet ; je n’ai pu en trouver
l’ensemble que dans le Moniteur, et
si, comme je le pense, la rédaction est exacte, j’aurai un léger amendement à
vous proposer ; il consisterait à mettre au pluriel les mots « échéances
fixes. »
L’article porte ces mots au
singulier ; il faudrait, pour lever tout doute, qu’ils fussent au pluriel. Je
crains qu’on ne croie que tous les bons du trésor doivent être à la même
échéance ; la pluralité empêchera le doute de naître.
- L’amendement de M. Verdussen
mit aux voix et adopté.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Je désirerais
que les mots : « frais de toute nature » fussent expliqués. Il
résulterait de la discussion qui a lieu que les frais relatifs au matériel même
des bons n’est pas compris dans ces frais ; je voudrais qu’on dît : « les
frais de négociation. » Si on ne rédigerait pas ainsi cette partie de la
loi, on pourrait éprouver des difficultés de la part de la cour des comptes, en
ce qui concerne la confection des bons.
M. Gendebien. - On peut opérer le changement demandé par le
ministre, quoiqu’il soit inutile. Les dépenses de fabrication sont des frais
qui rentrent dans les frais généraux de l’administration ; les autres frais
sont des frais de courtage, de négociation, etc.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Mon opinion
est entièrement conforme à celle de l’honorable M. Gendebien ; mais comme, en
général, la cour des comptes exige les factures, exige tout ce qui est relatif
au matériel des opérations, je crains que si on ne mettait pas les mots :
« frais de négociation, » ou bien les mots : « frais de toute
nature, » il ne s’élevât quelque difficulté. C’est ma précision qui peut
n’être pas fondée.
Les frais du matériel des bons
seront plus considérables qu’on ne le pense : il faudra former un bureau de
création et d’émission ; les bons seront lithographiés ; il faudra prendre des
précautions. J’insiste pour que ma demande soit admise.
M. Marcellis. - Je proposerai de mettre dans la loi que les
échéances auront lieu au bout de six mois après l’émission.
M. le président. - C’est un nouvel amendement qui ne peut se
rapporter ni à l’amendement adopté, ni à l’article rejeté ; on ne peut le
mettre en délibération.
M. Marcellis. - Je n’insiste pas à avoir la parole pour développer
l’amendement que je propose : ayant été obligé de faire une absence, par suite
d’un malheur de famille, je n’ai pu prendre part à la discussion qui a eu lieu
dans la chambre ; je n’ai pu émettre mon opinion sur les bons du trésor qu’on
devrait appeler « mandats à terme ; » cependant je la ferai
connaître, si… (Non ! non !) Je
répondrai à la chambre, et point à quelques individus qui se croient la
chambre… (Murmures.) Si la chambre
pense qu’il n’y a pas lieu de parler sur l’amendement, je ne continuerai pas ;
mais s’il n’y a que des opinions individuelles qui pensent ainsi, je demanderai
à M. le président qu’il me conserve la parole… Je fais preuve de soumission et aussi
d’indépendance… (On rit.) Si l’un des
honorables membres croit devoir prendre la parole pour me rappeler au
règlement, je me soumettrai s’il démontre que j’ai dépassé les limites du
règlement. Je désire empêcher une imperfection dans la loi…
M. Meeus.
- Faites connaître l’imperfection.
M. Marcellis. - Cette imperfection consiste en ce que l’échéance
n’est pas fixée ; il en résultera confusion pour le trésor. Je ne tiens pas au terme
de six mois ; mais je dis que, si l’on fixe des termes au-delà ou en-deçà, on
créera des embarras par les motifs que les fonds ne seront pas faits. Si on se
fie à la rentrée des impôts, on a tort. Autrefois on avait toujours peur que
les impôts ne rentrassent pas ; aujourd’hui on a passé dans l’erreur contraire,
on croit que les impôts rentreront.
Je sens que la chambre est
engagée par un premier vote et qu’il y a du désavantage à émettre un système
nouveau.
L’honorable abbé M. de Foere,
dans son discours que j’ai lu, a dit plus de choses que d’invectives… (Bruit) quoique plusieurs plaisanteries…
(Murmures.) Je dirai, malgré tout,
qu’on a pris une mesure de durée au lieu de prendre une mesure exceptionnelle.
Quant aux mesures de durée que l’honorable M. Meeus a fait connaître, elles ne
sont que des théories… (Bruit.) Mais
vouloir prouver ces assertions, c’est trop pour obtenir votre attention…
Plusieurs membres. - Continuez ! continuez !
M. Marcellis. - Si la chambre croit que je puis continuer, je suis
loin d’être au bout… (Continuez !
continuez !) Messieurs, le pays ne s’impatiente pas de la durée de cette
discussion ; nous sommes sur un terrain où on se trouve rarement ; nous
touchons à une de ces questions qui attirent l’attention des masses : le pays
ne s’impatiente que quand la chambre absorbe une séance par une question
réglementaire, que quand elle use son temps par des questions personnelles, que
quand elle s’occupe de questions individuelles… (Murmures.)
Un membre. - C’est une leçon que l’orateur donne !
M. le président. - Il ne peut s’agir aujourd’hui de la discussion
générale de la loi ; si l’orateur a un amendement à développer, il peut le
faire.
M. Marcellis. - Je crois être dans la question. J’ai pensé que la
chambre voulait continuer la discussion… Au reste, je me réserve d’exposer mon
opinion complète par la voie du Moniteur.
Des membres. - Ce sera trop tard.
M. de Brouckere. - J’avais demandé la parole pour un rappel au
règlement ; mais puisque l’orateur assure que la loi peut porter le désordre
dans les finances, je suis loin de vouloir lui interdire de parler.
M. Jullien.
- Il est sans doute malheureux pour la chambre que l’honorable préopinant ait
été absent lors de la discussion ; car vous voyez, d’après ce qu’il annonce,
qu’elle aurait pu tirer le plus grand parti de ses lumières. Mais maintenant de
quoi s’agit-il ? Vous n’avez à vous occuper que de la question de savoir si
l’on adoptera définitivement, ou si l’on rejettera l’amendement adopté dans la
séance précédente. Si l’honorable M. Marcellis entend parler contre
l’amendement, il a tout le loisir de le faire, et je le prie de nous faire part
des idées lucides qu’à tort il avait jusqu’ici comprimées. Il peut, il doit
discuter l’amendement dans l’intention de le soutenir ou de le faire rejeter ;
et si l’amendement est rejeté, il pourra proposer ceux qu’il voudra pour
remplacer le premier. C’est dans cet ordre que la discussion doit marcher.
M. Gendebien.
- Messieurs, il ne nous appartient pas de prescrire au ministre des finances la
manière dont il usera des bons ; nous ne pouvons le forcer à créer des bons à 6
mois, à 8 mois d’échéance ; il fera des échéances pour les époques des
rentrées. Tout doit être laissé au ministre sous sa responsabilité.
M. Marcellis. - La discussion est trop avancée pour que j’émette
mon opinion ; je dois me soumettre aux règles de la chambre.
M. Meeus. - Je regrette que M.
Marcellis ne soutienne pas son amendement. M. Verdussen a proposé un amendement.
M. Marcellis en propose un autre ; pourquoi ne serait-il pas entendu ?
M. Verdussen. - C’est que l’amendement de M. Marcellis est en
dehors de la discussion.
M. le président. - Voici la rédaction présentée par le ministre des
finances : « … L’intérêt ne pourra pas excéder 6 p. c. l’an, et les frais
de négociatio de toute nature ne pourront dépasser le maximum d’un p. c. par
semestre. »
M. de Foere. - M. Marcellis est dans le règlement ou il n’y est
pas. (On rit.) Dans le premier cas,
comme le dit M. Meeus, il peut proposer son amendement ; mais s’il n’est pas
dans le règlement, je ferai observer que notre règlement n’est pas le nec plus
ultra de la perfection humaine. (On rit.)
La chambre peut modifier les lois, elle peut aussi modifier le règlement. Dans
une question aussi importante, la chambre doit, dans l’intérêt du pays,
entendre la proposition de M. Marcellis.
M. Verdussen. - Je n’ai rien à dire sur le fond de l’amendement
présenté par M. le ministre des finances ; cependant je ferai remarquer que
tous les bons du trésor ne seront pas placés par voie de négociation. Je
voudrais qu’on mît « placement » au lieu de « négociation. »
On peut négocier quatre ou cinq millions, et placer pour quatre ou cinq cent
mille francs de bons
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - La pensée de M. Verdussen était la mienne, et je
n’ai substitué le mot « négociation » au mot « placement »
que parce que la chambre paraît plus familière avec le premier qu’avec le
second. Je ne repousse pas l’amendement ; tout ce que je veux, c’est que les
frais de confection des bons soient en dehors des frais de placement ou de
négociation.
M. Meeus.
- Je ferai observer à la chambre que le mot « négociation » dit tout.
Si un entrepreneur accepte des bons au lieu d’exiger des écus, c’est par suite
d’une négociation qu’on fait avec lui.
M. Davignon. - Il y a une grande différence entre placement et
négociation ; il faut conserver le mot « négociation. »
M. Gendebien. - Quand un entrepreneur prendra des bons, le ministre
des finances pourra-t-il allouer les 6 p. c. et les frais de négociation ? On
peut donner les frais de commission à l’entrepreneur au lieu de les donner à un
autre. Si le ministre voulait abuser de sa position, il le pourrait par suite
de l’amendement de M. Verdussen ; il pourrait s’entendre avec des personnes qui
tripotent dans les fonds et avoir pour lui les frais de commission. Il faut
agir envers les fournisseurs comme envers les autres preneurs de fonds ; il
n’en coûte pas un sou de plus à l’Etat.
M. Jullien. - Il ne peut pas exister la moindre difficulté sur
ce qu’a dit M. Gendebien et sur la convenance de laisser subsister le mot
« négociations. » M. Verdussen distingue le mot
« placement » du mot « négociation ; » mais si vous
réfléchissez que, lorsque le fournisseur vient réclamer, c’est de l’argent
qu’il demande, il faut bien entrer en négociation avec lui pour lui faire
prendre du papier ; on négociera donc avec lui comme avec les autres. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement proposé par M.
le ministre des finances est adopté.
M. le président. - Voici un amendement proposé par M. Marcellis :
« J’ai l’honneur de
proposer le terme de six mois pour l’échéance des bons du trésor. »
M. d’Huart. - L’amendement n’a pas été développé ; il fait
donner la parole à M. Marcellis.
M. Marcellis. - J’aurais eu le droit de demander la parole pour
une question personnelle ; je ne l’ai pas fait parce que je n’avais que deux
mots à dire à ce sujet… (Dites-le !)
Eh bien, je dirai que, malgré le cas que je fais du don de la plaisanterie, je
la place bien au-dessous du moindre raisonnement ; que si j’avais attaché de
l’importance à la plaisanterie, il aurait suffi de la discussion des bons du
trésor pour m’en dégoûter ; nous avons vu, dans cette discussion, M. de Foere
plaisanter après avoir été lui-même l’objet d’autres plaisanteries…
Des voix. - Ce n’est pas là la question !
D’autres voix. - Parlez !
parlez !
M. Marcellis. - L’amendement que je propose me semble fondé sur
les raisons suivantes :
Pour faire honneur à
l’émission des bons du trésor, qui ne sont bons du trésor que de nom, et qui
sont de véritables mandats à terme, je vois la nécessité d’avoir d’autres
ressources que celles qu’offrent nos impôts ; je vois la nécessité d’avoir un
emprunt, ou une nouvelle émission de bons du trésor, ou une aliénation
d’immeubles. En un mot, il faut avoir l’une ou l’autre de ces ressources qu’il
est difficile de choisir en ce moment. C’est à raison de cette difficulté que
je voudrais qu’une date fût fixée, afin qu’avertie par l’approche de l’échéance
des bons du trésor, la chambre fût à même de prendre les mesures pour créer des
ressources. Si vous n’établissez pas un terme fixe, vous présenterez au public
une pièce bien moins propre à inspirer sa confiance ; les ressources n’étant
pas faites, il s’attendra à une nouvelle émission. Vous direz que les bons du
trésor peuvent être négociés ; c’est vrai ; mais il peut y avoir des pertes sur
la négociation. Par ces motifs, je suis convaincu qu’il fait fixer un terme
pour l’échéance.
M. le président. - L’amendement est-il appuyé ?
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - Mettez-le aux
voix.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Ce que vient
de dire l’honorable préopinant prouve qu’en effet il n’était pas aux précédentes
discussions, car son raisonnement s’applique aux ressources extraordinaires que
la chambre sera dans le cas de voter incessamment. Les réflexions de l’orateur
tombent à faux ; ses arguments trouveront leur place dans une autre discussion.
- L’amendement de M.
Marcellis, mis aux voix, est rejeté.
L’article premier, avec les
modifications qui y ont été faites dans la séance de ce jour, est mis aux voix
et adopté.
M. le président. - L’amendement sur lequel nous avons à délibérer est
celui qui autorise la cour des comptes, afin de faciliter le paiement des bons,
à en viser pour 5 millions au-delà de ceux qui seront en circulation. En place
de la rédaction adoptée, M. Lardinois propose celle-ci :
« Un mois avant la fin de
l’échéance des bons du trésor, la cour des comptes visera, sur la demande du
ministre des finances, de nouveaux bons, pour une somme égale à celle qui devra
être acquittée dans cet intervalle de temps. »
M. Lardinois. - La disposition adoptée dit trop ou trop peu : elle
dit trop, si la pensée de la chambre est de n’autoriser le gouvernement qu’à
mettre en circulation 15 millions ; elle dit trop peu, si vous voulez concéder
au gouvernement la facilité de faire des conversions de bons à l’époque de
l’échéance. Lorsque cette disposition a été présentée, j’ai fait observer que
le gouvernement pourrait avoir besoin d’être nanti de bons du trésor pour une
somme plus forte que celle qui serait émise. En effet, si le gouvernement émet
pour 7 millions de bons, et les capitalismes pourraient faire des propositions
plus ou moins avantageuses selon les sommes, ce n’est pas avec 5 millions que
vous pourrez renouveler ces 7 millions. Si le gouvernement n’émet qu’un million
par mois de bons, il lui suffit d’une réserve d’un million ; une réserve de 5
millions est trop considérable, et il pourrait en abuser. Par mon amendement,
la chambre des comptes, en tendant note des émissions, ne visera de nouveaux
bons que ceux qui seront indispensablement nécessaires.
J’espère que le gouvernement
ne négociera pas les bons avec les gros capitalistes seulement ; qu’il
appellera les capitalistes des provinces à faire cette négociation. Si le
gouvernement n’émet qu’un million de bons à la fois, la cour des comptes pourra
n’avoir pas besoin de faire des renouvellements.
M. Dumortier. - J’approuve l’amendement de M. Lardinois ;
cependant j’ai quelques observations à y faire. Je désirerais que dans
l’amendement, on énonçât jusqu’à quelle somme la cour des comptes est autorisée
à viser…
Une voix. - Jusqu’à 15 millions !
M. Dumortier. - Si l’émission des bons du trésor repose sur
l’encaisse du trésor, il n’y a pas d’encaisse de 15 millions. Je voudrais que
les échéances ne fussent que de 5 millions à la fois.
M. Meeus. - J’appuie
l’amendement de M. Lardinois. Si par des circonstances imprévues il convenait,
dans l’intérêt du trésor, de négocier les bons à une seule et même échéance,
d’après la disposition adoptée, la cour des comptes ne pouvant viser que 5
millions, il faudrait ajouter dix autres millions ; tandis qu’avec la
proposition de M. Lardinois, la cour des comptes visera une somme égale à celle
qui est émise un mois avant l’échéance. Si les bons à échéance ne sont que le
tiers de la somme totale, la cour des comptes n’est autorisée qu’à viser la
somme qui sera à rembourser. Je le répète, la proposition de M. Lardinois peut
parer à cet inconvénient. Si le gouvernement était obligé d’avoir recours à une
maison étrangère, il faudrait en passer par les conditions qu’elle exigerait
relativement à l’échéance ; une maison ne pourra prendre les bons qu’à trois
mois, pour faire du papier de change qui serait payable à Paris ; ainsi il
faudrait d’autres bons pour payer ceux qui seraient à échéance.
M. Verdussen. - Messieurs, je crois que la crainte du préopinant
est très fondée. Par l’amendement de M. Lardinois, la cour des comptes pourra viser
des bons, autant qu’il en faudra pour le mois suivant : je suppose qu’il en
faille pour 15 millions ; le ministre aurait réellement à sa disposition 30
millions. Cette latitude me paraît trop grande.
M. Lardinois. - Je suppose que le gouvernement soit forcé
d’émettre pour 15 millions de bons du trésor, comment peut-il couvrir ces 15
millions ? Par l’amendement, vous n’accordez au ministre que le nantissement
pendant un mois de la somme qu’il a à payer, et il faut bien ce mois pour faire
les négociations nécessaires.
M. de Brouckere. - Beaucoup de personnes, qui ont des connaissances
en finances, appuient l’amendement ; si on prouve qu’il est nécessaire, je lui
donnerai ma voix. M. Verdussen vous a fait observer que, par cet amendement, il
y aurait telle circonstance où 30 millions de bons seraient en circulation…
Des voix. - C’est évident.
M. de Brouckere. - Eh bien ! dans une séance antérieure, beaucoup de
membres ont émis l’opinion qu’il ne fallait, dans aucun cas, autoriser le
ministre à émettre une grande quantité de bons à la fois ; et c’est pour cela
qu’on a restreint l’augmentation des bons à 5 millions.
Si le gouvernement émet, d’une
seule fois, 15 millions, il faudra 15 millions pour renouveler ; mais rien
n’empêche que les 15 millions soient à trois échéances différentes ; et alors,
l’amendement est inutile. Je préfère restreindre l’émission à 20 millions au
lieu de la porter à 30 millions.
M. le président. - Voici un sous-amendement de M. Verdussen : il
demande que l’amendement de M. Lardinois soit terminé par ces mots :
« pourvu que cette somme ne l’élève pas au-delà de 5 millions. »
M. d’Elhoungne. - L’amendement de M. Dumortier rentre dans celui que je voulais
présenter. Le danger signalé par deux préopinants est réel. Il y a de
l’inconvénient à investir le ministre de la faculté de négocier 15 millions de
bons en une seule fois et à la même échéance. (Erratum inséré au Moniteur belge n°49, du 18 février 1833 :) Jamais
on ne nous a annoncé, soit en assemblée générale, soit dans les sections, un
besoin instantané aussi considérable. J’ai de la peine à croire à son existence,
quand M. le ministre n’en a pas même fait supposer la possibilité. Je crois
qu’il faut limiter l’émission. La limite, proposée par M. Dumortier, de 5
millions, doit tout concilier : d’une part, elle conserve l’amendement de M.
Lardinois ; de l’autre, elle conserve la proposition de la commission.
M. Lardinois. - Je me rallie à la proposition de M. Dumortier.
Cependant si on prévoyait une guerre, on pourrait négocier les 15 millions avec
mon amendement ; avec l’amendement de M. Dumortier on ne le pourrait pas. C’est
un désavantage réel.
M. Dumortier. - L’amendement de M. Lardinois, restreint dans de
justes limites, rendra le travail de la cour des comptes plus facile. J’ai
consulté les membres de cette cour sur les dispositions précédentes, et l’on
m’a répondu qu’elles seraient d’une exécution pénible, pour ne pas dire
impossible.
L’honorable M. Meeus annonce
qu’on vendra les bons à une maison de Paris ; si on en négociait pour 15
millions à la fois, et à une échéance rapprochée, le trésor serait sous la
domination de cette maison ; c’est ce que je veux éviter.
M. Meeus.
- Si M. Lardinois retire son amendement, je le fais mien. J’appuie le chiffre de
15 millions, parce qu’il arrivera, comme je l’ai dit tout à l’heure que, dans
certaines circonstances, le gouvernement ne pourra pas émettre ses bons à
diverses échéances. Je pourrais citer plusieurs circonstances. Si le numéraire
devient très rare, l’escompte de 6 p. c. et la commission de 1 p. c. ne
satisferont pas les personnes qui garnissent leurs portefeuilles de ces
valeurs, alors vous ne les placerez qu’aux maisons de commerce, qui en feront
remise à terme. Dès lors vous ne pouvez plus choisir l’échéance ; cette
échéance sera de trois mois, ou de deux mois. Si vous ne rendiez les bons du
trésor échangeables que dans six mois, ils ne seraient plus des valeurs de
change, ils seraient des valeurs de portefeuille, et on ne voudrait les prendre
que deux ou trois mois avant l’échéance. Toutes les personnes qui sont dans
l’habitude de suivre les opérations commerciales savent qu’il est impossible de
négocier du papier sur Paris à une échéance plus longue que quatre-vingt-dix ou
cent jours.
Quant
aux inconvénients qui pourraient résulter de la faculté accordée au ministre
des finances de disposer de 30 millions, il fait bien que vous l’admettiez. Si
vous comptez sur quelque chose la responsabilité ministérielle, il faut laisser
de la latitude aux directeurs de l’administration ; si vous la comptez pour
rien, il faut refondre toute votre administration financière, car le ministre a
bien d’autres valeurs à sa disposition. D’ailleurs, n’a-t-on pas mis dans la
loi que le ministre rendra compte de toutes les opérations ? C’est sur le
tableau des émissions que vous pourrez vous convaincre si le ministre a bien ou
mal agi dans l’intérêt du pays. Soyez sans inquiétude, il ne prendra pas vos
bons, il a d’autres valeurs à sa disposition : maintenant il pourrait puiser dans
les caisses de l’Etat, et c’est ce que vous ne craignez pas.
M. Pirmez. - Je ne vois pas l’avantage qui peut résulter de ce
que les bons seraient payables à Paris.
M. Meeus. - Si M.
Pirmez avait assisté aux séances précédentes, il saurait pourquoi il faut que
les bons soient payables à Paris ; il serait difficile d’en placer ici ; le
placement à Paris sera plus avantageux : à trois mois on négocie à trois quart
de perte, sept huitième au plus. Lorsque le gouvernement aura établi, par des
mesures sages, ses opérations, et surtout s’il ne donne les bons qu’à des
personnes qui pourraient en faire un usage convenable, et qui, au lieu de
discréditer le papier, y ajouteront leur propre crédit, les bons seront
recherchés. Quand notre crédit sera bien établi, nous pourrons faire comme à
Paris où les bons e négocient à 2 p. c.
M. Dumortier. - On a retranché, dans l’article premier, les mots :
« frais de toute espèce, » pour les remplacer par les mots :
« frais de négociation ; » cependant, les frais de négociation vont
augmenter si on rend les bons payables à Paris. Il faut qu’on s’explique à cet
égard.
M. Lardinois. - Je voudrais bien savoir si les bons seront créés à
ordre ou au porteur.
M. Osy. - A volonté.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Il a toujours
été convenu que les bons seraient au porteur ou à ordre selon le choix du
preneur. Cette latitude, laissée au gouvernement, sera favorable au preneur et
au ministre lui-même pour opérer le placement.
Quant aux frais, il est
évident que du moment où on a écrit : « frais de toute nature, »
aucune négociation ne peut dépasser la limite qui a été posée.
M. Verdussen. - Les mots « frais de négociation » sont
conservés.
M. Dumortier. - Les frais de paiement ne sont pas des frais de
négociation : on pourra nous faire pour 4 ou 5 p. c. de frais de remboursement.
Les négociations se rattachent au placement et non au remboursement.
M. d’Elhoungne. - Il me semble que l’on n’a pas répondu à l’objection
qui a été faite ; il ne fait pas que le gouvernement contracte l’obligation de
payer le même jour 15 millions. Sans cela, le gouvernement serait dans la
dépendance de quelque maison de commerce, (erratum
inséré au Moniteur belge n°49, du 18 février 1833 :) il se mettrait à la
discrétion de l’une ou l’autre compagnie ; et une fois enlacé dans le piège, il
n’en sortirait que rançonné.
Quant aux frais de
négociation, ainsi que l’honorable M. Dumortier en a fait l’observation, ils ne
sont pas la même chose que les frais de remboursement. (Erratum inséré au
Moniteur belge n°49, du 18 février 1833 :) Tout récemment encore, dans une
négociation qui a été rompue, on avait proposé au gouvernement la stipulation
de payer aux prêteurs : d’abord, une commission d’un demi p. c. à titre de
frais de négociation de bons du trésor, à l’échéance moyenne de 4 mois, et, en
outre, une autre indemnité d’un huitième p. c. pour le remboursement des bons
du trésor à effectuer, avec l’argent du gouvernement, au domicile des prêteurs
à Paris et a Bruxelles. Vous voyez donc, messieurs, que les frais de
négociation des bons ne comprennent pas les frais stipulés parfois pour leur
remboursement ; et, sous ce rapport-là, la remarque de M. Dumortier est de la
plus grande justesse et mérite de fixer votre attention.
M. Legrelle. - Je crois que l’assemblée entend par frais de
négociation les frais qui comprennent ceux de remboursement ; mais, pour ôter
toute équivoque, il faut ajouter : « et frais de remboursement » de
toute nature.
M. le président. - Il faut ajouter ce mot à l’article premier.
M. Meeus.
- Messieurs, à force de vouloir trop bien faire nous ferons mal. Il faut
laisser au gouvernement la faculté de négocier ses bons de la manière qui lui
paraîtra la plus avantageuse. Il me semble que la rédaction que j’avais
présentée avant-hier conciliait tout. En effet, en mettant, « les frais de
toute nature, » cela disait assez.
Puisque j’ai la parole, je
dois répondre à l’honorable M. d’Elhoungne. Il a dit que le gouvernement ne
doit jamais escompter à une seule échéance fixe, parce qu’il se mettrait sous
le couteau d’un grand capitaliste. Mais, si le gouvernement ne peut éviter
cette fâcheuse nécessité, il vaut encore mieux qu’il soit à même d’obtenir un
retard de trois mois que de manquer à ses engagements.
M. de Brouckere. - Mais je ne vois pas pourquoi nous ferions plus que
le ministre ne nous demande lui-même. Puisqu’il ne demande qu’une facilité de
renouvellement de bons pour cinq millions, pourquoi lui accorder cette facilité
de 15 millions. ?
La rédaction suivante est mise
aux voix et adoptée :
« Les frais de
négociation de toute nature et de remboursement ne pourront dépasser le maximum
de 1 p. c. par semestre. »
On passe à l’article 3, auquel
M. Lardinois a proposé un nouvel
amendement, sous-amendé par M. Dumortier, et ainsi conçu :
« Un mois avant l’échéance
des bons du trésor, la cour des comptes visera, sur la demande du ministre des
finances, de nouveaux bons pour une somme égale à celle qui devra être
acquittée dans cet intervalle, laquelle ne pourra excéder 5 millions. »
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Il est bien
entendu qu’il y a une somme de 5 millions excédant les 15 millions, mais qui ne
pourra être émise qu’après le remboursement d’une somme égale.
M. Lardinois. - C’est une erreur. D’après l’amendement de M.
Dumortier, vous pouvez émettre 5 millions de nouveaux bons ; mais quand il ne
s’agira que d’un remboursement d’un million, vous ne pourrez faire qu’une
émission égale, c’est-à-dire d’un million.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - C’est ainsi
que je l’entends. (Aux voix ! aux voix !)
M. Meeus.
- Il y a un amendement et un sous-amendement ; je demande la division.
- Le sous-amendement de M. Dumortier
est mis aux voix et adopté en ces termes : « Laquelle ne pourra excéder 5
millions. »
L’amendement de M. Lardinois,
ainsi sous-amendé, est également adopté.
Un amendement introduit à
l’article 5 et consistant dans les mots : « à la fin de l’exercice, »
est de nouveau mis aux voix.
M. d’Elhoungne. - Je crois qu’il faut supprimer de l’article ces
mots : « à la fin de l’exercice. » En effet, il est impossible de
présenter les comptes d’une opération, qui n’est pas consommée. La destination
des bons du trésor, c’est de donner les moyens au gouvernement de disposer,
anticipativement à la rentrée des revenus, des ressources de l’Etat, pour faire
face aux dépenses déjà exigibles. Il arrivera donc que, même après la fin de
l’exercice, le ministre devra faire emploi le plus ordinairement, puisque les
revenus ne seront recouvrés que 6 mois après l’exercice. Or, il sera impossible
de rendre compte à la fin de l’exercice d’une négociation qui devra se
continuer après.
M. Osy. - Je ne conçois pas le raisonnement de M.
d’Elhoungne. D’après ce qu’il vient de vous dire, il semblerait qu’on ne
pourrait jamais nous rendre compte de la négociation des bons du trésor,
puisque c’est une dette flottante permanente. Mais peu importe qu’il y en ait
encore en circulation ; le ministre pourra rendre compte à la fin de
l’exercice.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Je crois même
que pendant tout le cours de l’année, il serait possible de soumettre à la
chambre une situation des opérations, car si une partie de l’opération d’une
année se prolongeait sur l’autre, il peut toujours être rendu compte pour le
fait de l’année antérieure.
- L’amendement est
définitivement adopté.
Vote sur l’ensemble du projet
On procède à l’appel nominal
sur l’ensemble du projet ainsi modifié.
Sur 78 votants, 72 se
prononcent pour le projet, 2 contre. 4 se sont abstenus.
En conséquence le projet de
loi est adopté.
Ont
voté pour : MM. Berger, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Cols, Coppens,
Dautrebande, Davignon, de Bousies, de Brouckere, de Foere, de Haerne,
Dellafaille, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de
Renesse, de Robiano de Borsbeek, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme,
Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tiecken de Terhove, Dewitte, d’Hoffschmidt,
d‘Huart, Dubois, Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Ernst, Fallon, Fleussu,
Fortamps, Gendebien, Hye-Hoys, Jacques, Jonet, Jullien, de Laminne,
Morel-Danheel, Olislagers, Osy, Pirmez, Polfvliet, Poschet, Raikem,
Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Speelman, Teichmann, Ullens,
Vandenhove, J. Vanderbelen, Verdussen, Veraghen, Vergauwen, Vuylsteke, Watlet
et Zoude.
Ont voté contre : MM. de
Robaulx et Seron.
Se sont abstenus : MM.
d’Elhoungne, de Muelenaere, Marcellis et H. Vilain XIIII.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, si je me suis abstenu d’émettre un vote
sur le projet de loi que vous venez d’adopter, ce n’est pas que j’en repousse
le principe ; car je me mettrais, en le faisant, en contradiction avec moi-même
puisque ce projet de la commission, ainsi que vous l’avez amendé, rentre tout à
fait dans le système que j’ai eu l’honneur de vous développer comme rapporteur
de la section centrale. Mais la mesure, je la regarde comme incomplète, aussi
longtemps que vous n’aurez pas mis le trésor en état de suffire aux dépenses de
l’année. Les discussions d’avant-hier ont suffisamment indiqué les mesures que
réclame cet état de choses ; mais, messieurs, la commission n’est pas unanime
et il y a indécision dans la chambre. Le résultat pourrait donc trahir mon
attente, sans lequel je ne pourrais donner mon assentiment au projet. Je suis
d’autant plus confirmé dans cette idée que je vois aujourd’hui dans le Moniteur la lettre d’un de nos
honorables collègues, qui voudrait faire des bons du trésor un véritable
papier-monnaie qui servirait à payer certains créanciers de l’Etat, alors que
l’argent manquerait au trésor.
Quoique je connaisse les
besoins urgents de la trésorerie, quoique j’approuve l’émission de bons du
trésor, je ne pourrais jamais me résoudre à donner mon vote à une loi
incomplète qui pourrait avoir pour résultat la création d’une espèce
d’assignats, si la mesure complémentaire que la commission élabore en ce
moment, reposait sur des principes que je repousse, ou subissait des
modifications qui devraient produire des effets semblables. En attendant sa
présentation, je m’abstiens de me prononcer sur une partie d’un plan dont je ne
connais pas l’ensemble.
- M. de Muelenaere et M. H.
Vilain XIIII se sont abstenus pour n’avoir pas assisté à la discussion.
M. Marcellis s’abstient par le
même motif.
PROPOSITION DE LOI TENDANT A REDUIRE LES DROITS DE
BARRIERE SUR LA ROUTE DE CHARLEROY A BRUXELLES (PROPOSITION PIRMEZ)
La suite de l’ordre du jour
appelle les développements de la proposition de M. Pirmez.
L’honorable membre présente
ces développements (Nous les ferons connaître.)
La proposition est prise en
considération et renvoyée à l’examen des sections.
RAPPORTS SUR DES PETITIONS
L’ordre du jour appelle
ensuite le rapport des pétitions.
M. d’Huart, rapporteur. -Plusieurs pétitions, couvertes d’un grand nombre de
signatures, sont relatives au général Niellon.
Les conclusions de la
commission sur ces diverses pétitions, tendant à l’ordre du jour, sont motivées
sur les articles 29, 66 et 68 de la constitution.
L’article 29 porte : « Au
Roi appartient le pouvoir exécutif, tels qu’il est réglé par la constitution.
Le premier paragraphe de
l’article 66 est ainsi conçu : « Il confère les grades dans
l’armée. »
La première partie de
l’article 68 s’exprime de la manière suivante : « Le Roi commande les
forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix,
d’alliance et de commerce. Il en donne connaissance aux chambres aussitôt que
l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent, en y joignant les communications
convenables. »
En
présence de textes aussi formels, il est évident que la chambre empiéterait sur
les attributions du pouvoir exécutif, si elle donnait un appui quelconque aux
réclamations qui tendraient à faire subit la moindre restriction à l’exercice
des droits que confèrent au chef de l’Etat les articles de la constitution que
je viens de citer.
Aussi, dans le cas présent,
votre commission n’a pu se laisser influencer, ni par le grand nombre et la notabilité des
signataires, ni par les motifs qui les ont dirigés.
M. Vergauwen. - Messieurs, c’est une chose étrange et vraiment
déplorable de voir un gouvernement né d’hier se hâter de répudier les hommes
auxquels il doit son existence, et de les voir sacrifiés à des exigences qui
rappellent d’odieux souvenirs de dynastie et d’un ordre de choses dont leur
énergie, leur bravoure nous ont délivrés. Je suis peu versé dans la
connaissance de l’histoire d’Angleterre, et je ne sais si Monck, pour parvenir
à son but, adopta le système d’épuration. Ici des voix amies de l’ordre se sont
élevées à temps pour protester contre une injustice ; elles voulaient montrer
au gouvernement dans quel abîme il se précipitait ; elles voulaient l’arrêter
quand à peine il entra dans cette voie, qui un jour, s’il y persiste, doit être
sa ruine. Mais ce fut bien vainement ; ces voix généreuses furent méconnues, de
sages conseils furent méprisés, et l’intrigue, la calomnie se réjouirent encore
de leur odieux triomphe.
Ces réflexions me sont
suggérées par la mesure fatale contre laquelle vient réclamer cette masse de
pétitionnaires des deux Flandres, et dont votre commission des pétitions n’a
pas craint de repousser la plainte par un dédaigneux ordre du jour. Y a-t-elle
bien réfléchi, messieurs, et vous convient-il de l’adopter sans regarder autour
de vous ? Et moi aussi je voterai peut-être un jour dans ce sens, quand je
verrai le gouvernement poursuivre ce système perfide de sacrifier tout homme
que notre belle révolution a élevé pour son mérite et pour avoir servi sa
patrie dans un temps où le courage seul se montrait. Je comprends qu’alors, en
précipitant le mal, on pourra espérer d’avoir plus vote le remède.
Mais en sommes-nous déjà là,
messieurs ? Les conclusions de la commission semblent le dire ; pour moi je ne
le pense pas.
Et cependant, de quoi se
plaignent les pétitionnaires, et quel remède cette chambre peut-elle apporter à
leurs maux ?
Depuis que les Flandres ont
secoué le joug étranger qui pesait sur toute la Belgique, ces belles provinces
ont toujours été abandonnées à elles-mêmes ; à peine le nouveau gouvernement
a-t-il daigné s’en occuper ; il ne fit rien pour leur défense, et, quoique des
plus exposés, on négligea tout ce qui pouvait les préserver d’un désastre. Et
quand d’indignes trahisons, dont je vois partout les complices, eurent excité
l’esprit public, on vit un gouvernement faible, pour ne rien dire de plus, tout
faire pour comprimer cet élan de patriotisme. Lorsque la guerre vint le
surprendre, nos provinces virent fondre sur elles les maux que la barbarie de
nos ennemis nous laissait redouter et dont l’impéritie de nos généraux ne sut
pas nous garantir.
Des plaintes vives et
générales s’élevèrent alors, et le gouvernement se décida enfin à confier le
commandement de la division des Flandres à un homme dont nous admirons la
bravoure, dont les armes avaient si souvent résisté à l’or de Guillaume, que la
cupidité de tant d’autres en faveur aujourd’hui avait saisi avec empressement.
En peu de temps le général
Niellon sut s’acquérir par de sages mesures l’estime, la confiance de tous les
bons citoyens. Toute la ligne du côté de la Hollande fut armée et gardée avec
soin, et nos ennemis du dehors comme ceux du dedans n’aurait pas tenté une
attaque, où elle eût été réprimée à l’instant avec vigueur, avec sévérité.
Aussi vit-on constamment régner la tranquillité, le bon ordre dans nos villes,
et l’habitant de la campagne avait foi dans la sollicitude du gouvernement.
Il se trompait. Car
voulez-vous savoir de quelle manière notre gouvernement entend protéger ou
défendre deux provinces les plus belles comme les plus riches de la Belgique ?
Vous allez l’apprendre. Vous croiriez peut-être, dans votre bon sens,
qu’inonder vos terres, ravager pour de longues années votre propriété, sont des
actes d’hostilité. Eh non : ce sont des actes de mauvais voisinage ; faites
constater le dégât, vous dit un ministre ! Que si l’ennemi vous attaque, et si
vous ne pouvez le repousser avec les faibles moyens qui sont à votre
disposition, vous abandonnez le pays à l’ennemi, et quel ennemi ! Et vous vous
replierez sur Alost. Ô sollicitude toute paternelle pour nos provinces !
Mais, messieurs, le général
Niellon était un homme de la révolution, et quoique dans sa position il fût en
état de rendre encore d’éminents services à la patrie, son éloignement fût
résolu : par quels motifs ? Je l’ignore. Peut-être par économie ? Peut-être
parce que le gouvernement n’aime plus la révolution ni les révolutionnaires ?
C’est chose curieuse de voir combien franchement il manœuvra vers son but.
Sous le prétexte de fournir
des troupes pour composer la garnison de Bruxelles, on retire de la ligne des
Flandres le peu d’hommes qui s’y trouvaient encore ; tous les points de la
frontière restent presque sans défense à la merci des Hollandais. Nous savons
comment, dans le mois d’août 1831, ceux-ci surent profiter d’une bévue du même
genre, en s’emparant presque sans coup férir du Capitalen-Dam et du Verlaet. Le
général Niellon, qui y vit son honneur intéressé, demanda sa disponibilité, ou
qu’on lui fournit les moyens de se défendre, s’il était attaqué. On ne se
pressa pas de satisfaire à une si juste réclamation, et le général réitéra
bientôt sa demande. La chose était urgente, des avis certains parvenaient de la
frontière, l’ennemi se disposait déjà à venir occuper l’écluse des Isabelles,
et s’il l’avait tenté, c’en était fait du dernier moyen d’écoulement qui
restait pour les eaux de cette partie de la Flandre. Alors le ministre se
décida à renvoyer les bataillons qu’il avait si imprudemment retirés, et ces
troupes, dégoûtées de marches et de contremarches qui leur semblaient absurdes,
rentrèrent bientôt dans leurs anciennes positions. Veuillez remarquer,
messieurs, que ces manœuvres, que je voudrais pouvoir traiter de ridicules,
avaient lieu, peu de jours après le départ des Français, alors que beaucoup de
personnes, et le gouvernement lui-même, croyaient à une attaque de la part de
la Hollande, et tandis qu’une partie des troupes qui forment la garnison de
cette ville n’en étaient éloignées alors que d’une journée de marche. Il
restait en Flandre une seule batterie d’artillerie, bien incomplète ; elle fut
aussi retirée, et sans observation de la part du général.
Vous avez vu, messieurs, le
ministre céder aux représentations du général Niellon ; il reconnaissait donc,
lui-même, qu’elles étaient justes puisqu’il y avait égard. Le pays avait jeté
un cri d’alarme quand on vit exécuter une mesure si inconcevable, mais ces
alarmes étaient calmées ; pourquoi donc punissez-vous le général qui vous a
fait revenir de votre erreur ? Mais, messieurs, c’était du machiavélisme
ministériel ; on voulait lui faire demander son éloignement, et quel que fût le
motif de sa demande, qu’on reconnut juste, qu’on s’empressa de le mettre en
disponibilité.
Cette injustice excita la plus
vive indignation dans tout le pays ; on y vit, à l’évidence, ce système
d’éloigner tous les hommes de la révolution des emplois publics toujours
continué. En même temps, on punissait le brave corps des sapeurs-pompiers de
Gand de sa belle conduite dans l’attentat de Grégoire, quand tous les traîtres
jouissent de gros traitements et de l’infamie de leurs actes ; et l’homme du 2
février est aussi menacé, car il faut que le sacrifice soit complet, que rien
n’y manque ! On poussa même l’attention jusqu’à envoyer aux pompiers l’ordre du
licenciement d’une partie du corps, ce jour même du 2 février, pendant que ces
braves célébraient l’anniversaire de leur victoire, triomphe de la fidélité sur
la plus infâme trahison !
Et l’on s’étonnerait que la
consternation soit ans tous les cœurs patriotes ? Et vous repousseriez des
plaintes si légitimes par un odieux ordre du jour ?
Messieurs, quand même le
ministre aurait rencontré un homme digne de remplacer le général Niellon dans
son commandement, êtes-vous sûr qu’il y obtienne la même confiance ? Cependant,
en ce moment, on met un empressement digne de remarque à envoyer des
bataillons, des batteries, des officiers supérieurs, là où auparavant on les
jugeait inutiles, puisqu’on les refusait aux instances réitérées du général
Niellon. Mais les Flamands sauront-ils bientôt quelle influence a placé dans
leur pays si difficile à connaître ce nouveau commandant, tandis qu’un homme de
la révolution qui y était encore se voit obligé, lui aussi, de demander son
déplacement, soit qu’une bévue ait été faite, soit encore que, par une tactique
aussi blâmable que la première, on ait cherché à le renvoyer ?
Messieurs, je pense qu’il est
temps que le gouvernement ouvre les yeux et qu’il aperçoive l’abîme où il se
laisse entraîner. Si vous voulez qu’il persiste, votez l’ordre du jour. Je vous
l’ai déjà dit, je serai peut-être un jour du même avis ; mais aujourd’hui, dans
l’intérêt du gouvernement comme dans celui de mon pays, je vous propose le
renvoi de toutes ces pétitions au ministre de la guerre et le dépôt au bureau
des renseignements. Je n’examine pas la question de savoir si la chambre peut
renvoyer des pétitions sur un objet qui concerne le pouvoir exécutif ; dans le
cas actuel, je pense qu’elle le peut, qu’elle le doit ; d’autres que moi vous
expliqueront mieux la question de légalité.
Prenez-y
garde, messieurs, les fausses mesures que le gouvernement vient d’adopter, et
le mépris qu’il paraît avoir pour l’opinion publique ne tendent qu’à le
dépopulariser de plus en plus ; le découragement et la consternation règnent
dans les Flandres ; voulez-vous porter le mal à son comble, votez l’ordre du
jour.
Pour moi, peu m’importe que la
chambre ait ou n’ait pas le pouvoir d’ordonner le renvoi de ces pétitions au
ministre de la guerre ; je ne connais, moi, qu’un droit en fait de pétitions,
c’est celui qu’a le peuple belge de s’adresser à ses mandataires pour lui faire
obtenir la justice, que sans eux il réclamerait en vain.
M. Desmet. - Messieurs, au lieu de l’ordre du jour que la
commission propose pour repousser les pétitions de mes compatriotes des
Flandres, je viens appuyer le double renvoi au ministre de la guerre et à votre
bureau des renseignements.
Quoique nous étions persuadés
que les odieuses machinations des partis anti-nationaux, de ces ennemis de la
Belgique qui travaillent dans l’ombre pour détruire l’œuvre de sa révolution,
n’auraient cessé, cependant nous avions nourri l’espoir que le gouvernement
aurait donné plus d’écoute à ceux sur lesquels il pouvait se reposer qu’ils
servaient fidèlement la cause belge qu’à ceux-là qui n’ont pas cessé de
témoigner leur haine contre la révolution, le désir de la restauration et leur
dévouement à la dynastie déchue.
Mais non ! Toutes nos
remontrances ont été vaines, on n’en a pas plus tenu compte que des vœux
spontanément émis par les habitants des provinces flamandes, et les ennemis du
général Niellon, comme ceux de la révolution, ont triomphé ; le gouvernement a
trouvé bon de les servir, et leur ardent désir de la mise en disponibilité du
commandant des Flandres a été accompli.
Oui, l’arrêt est donné : le
brave de septembre, celui qui a tant contribué pour secouer le joug des Nassau et
les chasser de notre territoire, qui commandait aux journées de Berchem,
d’Anvers et de Turnhout ; celui qui dans le commandement des Flandres a su,
avec autant de courage et de prudence, tenir en bride la faction orangiste et
garantir les frontières de la dévastation et des massacres des Hollandais ;
celui qui avait le cœur des Flamands et en qui ils mettaient toute leur
confiance, leur est ravi ; le point de ralliement leur est ôté ; il ne leur
reste que la joie des orangistes qui font chorus pour chanter leur triomphe et
la défaite des patriotes, avec cette poignée d’intrigants du lendemain, qui se
vendent à tous les pouvoirs pour les exploiter à leur profit.
Mais quel est le grief qui ait
pu présenter un motif pour provoquer cette mise en disponibilité ? Je crois
qu’il sera difficile de le trouver, et que, pour en déterrer un, on aura dû
forcer les choses et fabrique des dates. Et, quoi qu’en écrivît le Moniteur, que le général Niellon avait
sollicité à trois reprises différentes son remplacement dans le commandant de
la sixième division, qu’il avait persisté dans son projet, nonobstant les
représentations du ministre de la guerre, et que le gouvernement n’avait fait
que céder à ses instances en lui accordant sa mise en disponibilité ; dans cci
il n’y a qu’un seul fait qui est réel, c’est que de trop faibles moyens de
défense, expressément laissés à sa disposition, lui avaient suscité des
craintes sérieuses et amené une déclaration où il alla jusqu’à offrir le
sacrifice de sa position particulière. Ces plaintes étaient fondées, et si l’on
ne pouvait en contester la justice, pourquoi n’y a-t-il pas satisfait ? Il ne
demandait rien pour lui, il ne s’attachait qu’à la défense du territoire laissé
à sa surveillance, et n’avait à cœur que le bien-être de la Belgique, et ne
visait qu’au moyen de la garantir d’une invasion et du vandalisme des
Hollandais.
Le général demandait un
renfort de troupes et de l’artillerie, qui lui était nécessaire pour la sûreté
de son commandement ; si l’on tenait à le conserver, pourquoi repousser sa
demande ? Il ne demandait pas mieux que de continuer à servir activement la
révolution et de rester près d’une population dont il possédait toutes les
sympathies et qui se reposait sur lui pour se garantir contre les tentatives
continuelles de nos ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur… Mais on avait
satisfait à ses instances, va-t-on nous dire ; deux bataillons avaient été
rendus à la division dont ils avaient été détachés. Ce renfort était-il
suffisant ? Nous nous abstenons de le décider ; mais ce que nous pouvons
assurer, c’est que depuis ce moment, le général Niellon n’a plus insisté sur
son remplacement ; et ce que nous croyons pouvoir assurer encore, c’est que le
général se serait contenté de ce renfort et aurait attendu du temps et des
circonstances l’entier accomplissement de ses désirs.
Le ministre a eu donc mauvaise
grâce de nous débiter qu’il a eu la main forcée, quand il est constant que les
difficultés étaient aplanies, qu’aucun motif ne nécessitait la mesure qu’il
venait de prendre, et que tout au contraire lui faisait le devoir de la
révoquer. L’opinion nationale avait manifesté ses vœux, des mandataires de la
nation s’étaient entremis et avaient fait connaître au ministre de la guerre
tous les dangers de la mesure qu’il allait prendre ; la presse patriotique
avait mis en évidence le faux pas où l’on s’engageait ; néanmoins le ministre
est demeuré sourd, inexorable ; l’arrêt a été prononcé, car on devait
satisfaire la soif vengeresse de cet étranger qui s’est déclaré hautement
l’ennemi juré de tous les hommes de la révolution belge, comme il a eu en
horreur, en France, les hommes de juillet.
Puisse la nation et puisse son
gouvernement ne pas déplorer trop tard
les conséquences d’une telle faute qu’il était si facile de prévenir ! Et
puissions-nous nous tromper quand nous craignons que le même sort soit réservé
à tous les fonctionnaires qui ont servi sincèrement la cause révolutionnaire et
qui la servent encore avec la même ardeur et le même désintéressement ! Mais,
comme vous avez vu tomber Niellon, vous en verrez tomber d’autres ; chacun aura
son tour, jusqu’au dernier. Déjà l’arrêt contre les pompiers est prononcé, et
si je suis bien informé, il porte la même date du 2 février ; on ne pouvait
choisir de meilleur jour pour compléter le triomphe de la faction orangiste.
Mais que signifient ces
pétitions, s’écrie, à l’instar d’un Bagnano de Guillaume, un journal qui m’a
étonné, de tierces personnes qui n’ont à exposer aucun grief personnel, et qui
manquent absolument de données certaines pour asseoir un jugement ?... Comment
! les habitants des Flandres ne savent point ce qu’ils font quand ils
pétitionnent en masse pour conserver un général en qui, dans les conjonctures
périlleuses où ils se trouvent continuellement, ils mettaient toute leur
confiance ? Comment ! le tiers de la nation ne saurait ce qu’il fait quand il
désire de conserver, pour chef militaire, une personne sûre, et qu’il veut
éviter de recevoir encore quelques-uns de ces hommes qui ont, à chaque
occasion, trahi la cause de la révolution ?
Il faut laisser faire, dit le
même journal ; c’est dans l’intérêt de la stabilité de l’ordre actuel des
choses. Ah ! si nous avions laissé faire pendant le temps de la régence, quand
les hommes attachés même au pouvoir, complotaient contre le congrès national un
autre 13 brumaire, et probablement auraient massacré tous ceux des membres qui
auraient fait quelque résistance ! Ah, si nous avions laissé faire quand, le 2
février, des chefs de notre armée avaient, avec la bande de Grégoire, porté le
meurtre et le feu dans Gand !
Malheureusement nous n’avons
que trop laissé faire.
Si, comme les Hollandais, nos
gouvernants eussent montré plus d’énergie et de courage, vous n’eussiez pas eu
les 18 articles et ses annexes, les 24 articles ne vous eussent pas été
présentés, et vous n’eussiez pas eu la lâcheté de trafiquer vos frères du
Luxembourg et du Limbourg ; vous eussiez déjà été consolidés, et à présent,
Dieu sait quand vous le serez ! On aura soin de tirer parti de votre lâcheté,
et vous subirez encore des concessions, toutefois si on veut vous laisser ce
que vous êtes. Cependant, ne croyez pas, messieurs, que je veuille empiéter sur
le pouvoir ; loin de moi cette idée, j’en connais toute la portée.
Personne plus que moi n’a de
respect pour le pouvoir constitutionnel ; et qu’on ne s’inquiète point que
jamais nous ne toucherons à l’arche sainte du pacte fondamental. Plaise à Dieu
que tout le monde soit imbu du même esprit ! Jamais on ne devrait crainte la
moindre petite modification à cet acte pur de la révolution. Je sais qu’il
n’est pas à la législature de s’immiscer dans les attributions du pouvoir, et
que c’est au chef du gouvernement seul qu’il appartient de mettre les généraux
de l’armée en disponibilité ; mais quand une grande partie de la nation se
plaint des actes du gouvernement et fait des vœux pour garantir l’œuvre
révolutionnaire, ne serait-il point permis à leurs mandataires de les apprécier
et de demander au ministre explication des actes dénoncés ? Certainement que
oui ; et si nous n’avons pas le pouvoir d’entrer dans les affaires
gouvernementales, nous avons du moins la faculté de refuser les subsides, quand
on s’aperçoit que le gouvernement travaille contre les intérêts de la nation.
Pourrions-nous, représentants des provinces de Flandre, voter un budget de 73
millions pour l’armée, quand on voit que ce ministre fait si peu de cas et
tient si peu compte des réclamations fondées qui lui ont été adressées par les
habitants de ces provinces ? Pourrions-nous voter une somme de 53,000 francs
pour celui qui dirige toute notre arme, et qui certes n’est pas l’homme de la
Belgique révolutionnée ? La réponse est claire, et c’est pour ces motifs que je
repousse l’ordre du jour et propose le double renvoi au ministre de la guerre
et au bureau des renseignements.
Je
me flatte que la chambre ne se refusera pas à cette demande ; l’objet est assez
important pour que le gouvernement et la représentation le prennent en
considération, surtout quand on est persuadé que nos affaires sont loin d’être
terminées et notre indépendance consolidée ; car, qui peut dire qu’il n’est pas
à craindre qu’en voyant l’Angleterre occupée chez elle et le gouvernement
français toujours renfermé dans ses ménagements méticuleux, les absolutistes de
la sainte-alliance ne s’en autorisent pour prolonger par des chicanes le statu
quo de nos questions politiques ? Qu’ils éternisent les discussions de la
navigation de l’Escaut et de notre querelle avec la Hollande ; que s’il
survient en Orient des complications faciles à prévoir, elles ne soient
tranchées d’une manière fatale à la Belgique, et nous réimposer le statu quo de
1815 ? Car vous ne pouvez pas ignorer, messieurs, que cette arrière-pensée n’a
pas encore quitté les dominateurs du Nord ; pourriez-vous donc trouver utile de
repousser les pétitions de toute une population qui montre tant de constance à
la cause belge, et de répudier les hommes de septembre pour mettre toute votre
confiance dans des étrangers qui dans leur pays même n’ont pas celle des
patriotes, ou dans des chefs militaires de votre pays qui n’ont donné aucune
preuve de patriotisme ou d’attachement à la révolution ? Je ne le pense pas !
M. Levae. - Messieurs, quelque chose d’étrange,
d’incompréhensible, se manifeste en ce moment dans la marche du gouvernement :
on serait presque tenté de croire qu’une main ennemie le pousse et le dirige à
son insu vers un précipice.
D’accord avec une régence
orangiste, on a laissé morceler le corps des pompiers de Gand ; et, par une
amère dérision, quel jour a-t-on choisi pour annoncer la mise à exécution de
cette mesure réprouvée ? Précisément le jour anniversaire du glorieux combat
que ces braves soutinrent contre les troupes égarées du traître Grégoire, et
qu’ils sauvèrent par leur courage la ville de Gand, peut-être même tout le
pays.
Le patriote colonel Coitin,
qui a si puissamment contribué à déjouer la conspiration d’Anvers, est réduit à
demander sa démission.
Le gouverneur de la Flandre
est menacé à son tour, sans doute pour le punir d’avoir résisté, au péril de sa
vie, aux sommations des rebelles qui avaient envahi la ville et le tenaient
prisonnier dans son hôtel.
Le général Malherbe, enfin, se
prépare également, assure-t-on de toutes parts, à demander sa retraite, pour se
soustraire aux dégoûts dont on l’abreuve.
Toutes ces mutations qui ont
jeté l’étonnement et la consternation dans deux de nos plus belles provinces ;
dans l’âme de tous les patriotes sincères, avaient été précédées d’un acte qui
n’en était que le prélude ; je veux parler de la mise en disponibilité du
général Niellon.
J’éviterai, messieurs, dans
l’examen de la grave question qui vous occupe, toute parole irritante ; je ne
veux point remuer les passions, mais seulement défendre les principes, et pour
cela c’est à votre raison seule que je m’adresse.
D’abord je reconnais au
gouvernement le droit de retirer à volonté les commandements qu’il a confiés
aux officiers de notre armée.
Je reconnais qu’il doit
pouvoir user de ce droit librement et de la manière la plus absolue.
Je reconnais enfin que la
constitution ne nous autorise nullement à nous mêler de la manière dont le
monarque confère les grades dans l’armée, et bien moins encore à le contraindre
d’employer tel officier dont il ne voudrait plus se servir.
Vous le voyez, messieurs, je
fais de larges concessions aux partisans de l’ordre du jour.
Mais les pétitionnaires vous
supplient-ils de sortir de vos attributions, de porter atteinte aux droits du
Roi ? Nullement.
En effet, que vous
demandent-ils au fond ?
Une intervention officieuse de
la chambre auprès du gouvernement en faveur d’un général qui a bien mérité du
pays et qui jouit de toute leur confiance.
Comment, messieurs, sans
sortir de vos attributions constitutionnelles, pouvez-vous satisfaire au vœu
des pétitionnaires ?
En faisant usage du droit que
vous donne l’article 43 de notre nouveau pacte social, et auquel il n’a posé
aucune limite.
Tous les jours il vous arrive
d’ordonner le renvoi au ministère de pétitions dans lesquelles des citoyens se
plaignent de telle ou telle injustice, de telle ou telle mesure, vous ne croyez
pas alors sortir des limites où la constitution vous renferme ; vous ne croyez
pas dicter des lois au pouvoir exécutif, et aujourd’hui qu’une foule de
citoyens se plaignent d’une mesure impopulaire, vous craindriez d’empiéter sur
le domaine du pouvoir exécutif, et vous flétririez des représentations
patriotiques, désintéressées, d’un ordre du jour bien sec et bien dédaigneux.
Mais ceux qui vous conseillent
ce parti extrême, ont-ils bien réfléchi combien il est dangereux ?
Naguère une foule de communes
demanda aux chambres le redressement des griefs ; alors j’entendis dans cette
même enceinte la majorité invoquer l’ordre du jour, parce que toutes les
pétitions étaient attentatoires aux droits du prince ; alors aussi on alla
jusqu’à supputer le nombre et la valeur des signatures. Un simple dépôt au
greffe, vaste catacombe de pétitions, fut prononcé.
Nous savons tout ce qui advint
quelques mois après.
Certes, messieurs, je suis
loin de croire, si vous prononciez l’ordre du jour, qu’il entraînerait de
déplorables conséquences ; je veux seulement vous montrer, messieurs, que des
ordres du jour ne justifient pas le gouvernement contre les plaintes du peuple,
qu’il est toujours dangereux de les méconnaître, et qu’il est d’une sage
politique d’y satisfaire autant que possible, parce que les murmures, même
lorsqu’ils sont peu fondés sont toujours contagieux.
Remarquez bien, d’ailleurs,
qu’un renvoi au ministère ne préjuge rien : en l’ordonnant, vous n’obligez pas
le gouvernement de faire droit aux pétitions, de revenir sur ses décisions ;
vous lui laissez toute liberté de se prononcer comme il le juge convenable.
Ainsi, messieurs, c’est une
erreur de prétendre que le renvoi, que n’est autre chose qu’une simple
recommandation de vouloir bien examiner l’affaire, soit inconstitutionnel ou
contraire aux droits du Roi ; je ne le croirai que lorsqu’on m’aura convaincu
que le gouvernement veut se rendre impopulaire en dédaignant la voix publique,
et que le Roi ne veut plus que la vérité approche du trône, et cette
conviction-là, messieurs, j’espère bien, pour le bonheur de ma patrie, ne
l’acquérir jamais.
Je vais examiner maintenant si
la chambre doit se borner à ordonner le renvoi pur et simple des pétitions, ou
si elle doit en outre exiger des explications du ministre de la guerre.
Si nous devons en croire le
bruit public, le général Niellon serait victime d’une intrigue que je
m’abstiens de qualifier ; on lui aurait enlevé, au risque de compromettre la
sûreté des Flandres, toutes les troupes dont il pouvait disposer au moment même
où le gouvernement redoutait une agression des Hollandais ; pour ne pas se
trouver seul en face de l’ennemi en cas d’attaque, le général aurait réclamé
ses troupes, ou, si on les lui refusait, sa démission, et l’on aurait profité
de cette demande conditionnelle pour le mettre en disponibilité, alors même
qu’on avait renvoyé les troupes, et par conséquent reconnu la légitimité de ses
plaintes.
Certes, messieurs, de
pareilles accusations sont graves ; elles déconsidèrent le ministère ; elles
jettent le découragement dans l’âme de tous ceux qui ont le mieux servi la
cause du pays ; et, car il faut dire tout, elles font croire que l’on a l’intention
de se débarrasser successivement de tous ceux qui ne renient ni la révolution
ni ses principes.
Le gouvernement ne saurait,
sans de graves inconvénients, laisser planer sur lui de semblables soupçons :
ils finiraient tôt ou tard pour lui porter une atteinte funeste, car un pouvoir
suspect est un pouvoir perdu.
Il est donc de la dignité et
de l’intérêt du ministère de s’expliquer.
Qu’on ne vienne pas nous dire
qu’il ne peut descendre au rôle d’accusé.
Je répondrais que dire le
motif de ses résolutions, de ses actes, n’est pas jouer le rôle d’accusé :
c’est pour le ministère, dans un Etat constitutionnel, se soumettre aux
conditions de son existence ; c’est mettre en pratique la théorie de la
responsabilité.
Et d’ailleurs le plus solide
de tout gouvernement n’est-ce pas l’opinion publique ? Ne doit-il pas toujours
chercher à se la concilier ?
Eh bien, je vous le demande,
comment se rendra-t-il cette opinion publique favorable, s’il en brave les
reproches, même non fondés ? S’il ne répond aux accusations que par le silence
? Ce silence ne paraîtrait-il pas celui du coupable qui reconnaît ses torts ?
Et les ennemis du gouvernement, qui ne perdent aucune occasion de le dénigrer,
ne profiteront-ils pas de la fausse position dans laquelle il se serait volontairement
placé pour l’accabler d’amers reproches ?
J’ai demandé que le ministère
s’expliquât dans l’intérêt bien entendu de sa dignité ; je le demande
pareillement dans l’intérêt du général Niellon.
Car, messieurs, on a été
jusqu’à insinuer que sa disgrâce était le résultat de motifs secrets, et que le
silence du gouvernement est une preuve de ménagement.
Je proteste hautement contre
de semblables insinuations qui tuent une réputation sans rien dire ; il est du
devoir du ministère de les repousser ou de les conformer par des explications
claires, précises.
Si le général Niellon a commis
quelque faute, qu’on le dise tout haut, qu’on articule franchement les griefs
au lieu de les dissimuler, et alors toutes les plaintes cesseront.
Si la réputation du général
Niellon a résisté à l’épreuve de la malheureuse campagne du mois d’août 1831,
s’il a sauvé une grande partie de notre artillerie qu’on avait abandonnée à
l’ennemi, s’il a réprimé les perfides menées des orangistes dans les deux
Flandres, si enfin il vous a bien servis, trop bien servis peut-être sans
donner aucun sujet de plainte comme soldat et comme homme privé, ministres du
Roi, expliquez-vous encore par reconnaissance.
Encore
une observation, et je finis.
On a dit que le gouvernement
ne peut, sans s’abdiquer lui-même, céder aux désirs des pétitionnaires. Malheur
aux gouvernements qui méconnaissent cette voix du peuple que l’orateur romain
appelait la voix de Dieu ! Malheur au gouvernement qui croirait son existence
compromise parce qu’il reviendrait avec franchise de ses erreurs !
En me fondant sur les articles
21 et 43 de la constitution, je voterai pour le renvoi des pétitions au
ministre de la guerre avec demande d’explications.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - Messieurs, je
ne connais rien de plus propre à décrier un droit, quelque respectable qu’il
soit d’ailleurs, que l’abus qu’on peut en faire. Je ne connais rien de plus
propre à décrier le droit de pétition en lui-même que la manière dont il est
exercé et l’appui qu’il reçoit en cette occurrence.
Une commission nommée par la
majorité de vos sections, et que l’on peut considérer, pour cette spécialité,
comme représentant la chambre, cette commission, après un examen approfondi des
détails dans lesquels sont entrés les pétitionnaires, des motifs sur lesquels
ils se sont appuyés et des dispositions constitutionnelles qui devaient servir
de règle à l’appréciation de leur requête, est venue vous proposer, à
l’unanimité, l’ordre du jour, en acquit du serment que chacun de ses membres a
prêté dans cette enceinte d’observer la constitution, non pas dans son texte
seulement, mais aussi dans son esprit. On qualifié de dédaigneux ordre du jour
(expression qui a fait fortune puisqu’elle a trouvé place dans trois discours successifs)
la proposition toute constitutionnelle que vous a faite cette commission.
Quoi ! messieurs, une
déclaration d’incompétence, la protestation de son respect pour les principes
constitutionnels est qualifiée de « dédaigneux ordre du jour » ! La
déclaration de son incompétence est le respect pour la loi, le respect pour
soi-même. Voilà dans quel sens il faut envisager la proposition de la
commission. C’est purement et simplement une déclaration d’incompétence
constitutionnelle qui ne doit blesser personne.
Passant de ces principes
généraux, que je rougis presque de vous rappeler, tant ils vous sont familiers,
à quelques-unes des considérations de fait exposées par les préopinants, je
dirai qu’on a accusé le gouvernement d’un système qui, quant à nous et à M. le
ministre de la guerre, est complétement démenti par les faits. Ces nombreux
officiers de volontaires, pour lesquels de vives réclamations se sont élevées
dans cette enceinte, n’ont-ils pas été la plupart, sinon tous, replacés dans
les cadres de l’armée de réserve ? N’avez-vous pas vu le gouvernement, lorsque
l’occasion s’en est présentée, non seulement placer des hommes de la
révolution, mais aller plus loin qu’on ne l’avait encore faire jusqu’ici, et
frapper des ennemis de la révolution. Ce double système est attesté par des
faits récents et incontestables.
Une voix. - Pas pour le département de la guerre.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - D’honorables
préopinants nous ont fait aussi le détail de toutes les évolutions, de tous les
mouvements des bataillons qui ont, disent-ils, amené la détermination du
général Niellon. En fait de stratégie, quelque respectable que puisse être
l’autorité de MM. Vergauwen et Desmet, je déclare préférer celle du ministre de
la guerre et du major-général de l’armée. J’avoue cependant ici mon
incompétence complète quant aux détails et à la convenance de tous les
mouvements militaires qui ont été décrits par ces deux honorables députés.
Le ministère, dit-on, marche à
sa perte ! Au moment même où il a connaissance d’une agression imminente sur
une partie de notre territoire, il le dégarnit de troupes, il ouvre ce
territoire à l’ennemi. Cette agression imminente est cependant restée dans le
domaine des suppositions. Mais le ministère, dit-on, fait pleuvoir aujourd’hui
des bataillons dans les Flandres. Messieurs, il y encore un homme sur l’honneur
et le courage duquel, j’ose le dire, il n’y a qu’une opinion. Et c’est là du
machiavélisme ! et le gouvernement marche à sa perte ! Je voudrais bien qu’on
trouvât moyen de concilier des assertions si contradictoires.
Du reste, je crois que c’est
faire preuve de concession que d’entrer dans de semblables détails. Le
gouvernement a droit, à cet égard, de se renfermer dans le silence le plus
absolu. Il a droit de ne pas répondre, comme il ne répondra pas, aux
interpellations qu’on lui fait sur les motifs de la décision qu’il a prise
relativement au général Niellon.
A travers plusieurs hérésies
constitutionnelles, on a entrevu cependant un principe dont nous ne contestons
pas la vérité ; c’est qu’il ne suffit pas au gouvernement d’exciper de son
droit constitutionnel, de son droit légal pour repousser tous les reproches ;
il n’a pas tout dit, il n’a pas tout fait quand il déclare qu’il a agi de telle
manière parce que c’est son droit. Le gouvernement a à rendre compte au pays et
aux chambres de l’usage qu’il fait des pouvoirs constitutionnels ou légaux dont
il est dépositaire. Aussi je ne m’étonnerais pas qu’à l’occasion d’une question
de subsides, de la discussion du budget, les faits vrai ou faux allégués par
les préopinants ne fissent pour ces honorables orateurs de légitimes motifs
pour émettre un vote négatif sur le budget.
Voilà comment les chambres
peuvent, sans mettre l’anarchie dans l’Etat, et en usant du droit qui leur est
conféré par la loi fondamentale, entraver la marche d’un ministère, si elles
ont à se plaindre de son administration. Ainsi, au pouvoir exécutif appartient
le droit de conférer les grades, de nommer aux emplois d’administration générale
et de relation extérieure, de commander les forces de terre et de mer, de faire
grâce, etc. Ce sont là des prérogatives inattaquables. Mais du jour où les
représentants du pays trouvent que le pouvoir exécutif en a mal usé, ils
peuvent lui refuser les subsides en disant : « Bien que votre prérogative
soit inattaquable, vous en avez fait abus au préjudice du pays et contre
l’équité. » Et alors arrive légitimement la série de tous les griefs et le
vote qui en poursuit la réparation.
Mais convertir ce contrôle,
que personne ne conteste, en une intervention directe et positive, en voulant,
par un circuit dont il est impossible de méconnaître le caractère, absorber la
prérogative royale, c’est de l’anarchie, je le répète ; c’est quelquefois de la
tyrannie, bien qu’elle ne vienne pas du pouvoir exécutif, car si le despotisme
peut s’asseoir sur le trône, il peut aussi siéger au sein d’une convention
nationale.
L’administration a-t-elle mal
usé de la prérogative que la constitution donne au pouvoir exécutif ? Vous
pouvez anéantir cette administration par un refus du budget. La chute du
ministère ne vous suffit-elle pas ? Vous avez le droit de le mettre en
accusation ? Mais, messieurs, si à côté de ce droit que personne ne dénie aux
chambres, vous voulez arriver à une intervention directe et positive dans
l’exercice de la prérogative royale, il était certes inutile de constituer une
royauté. La présidence d’une république ne serait pas même possible à ces
conditions.
Vous avez droit de faire
tomber le ministère par tous les moyens qui sont en votre possession ; vous
avez droit de l’accuser ; mais que penserait-on de la chambre si, ne s’arrêtant
pas à cette limite, elle allait jusqu’à présenter des candidats au Roi pour
composer un nouveau ministère ? Eh bien, ce que vous feriez là pour les
ministres, c’est précisément ce qu’on vous propose aujourd’hui à l’égard des
chefs de l’armée. Votre commission vous l’a sagement représenté ; à la vue des
articles 29, 66 et 68 de la constitution, il est impossible de prendre et
d’appuyer d’autres conclusions que celles qu’elle vous a soumises dans cette
séance. S’il en était autrement, pourquoi l’intervention de la chambre
s’arrêterait-elle au seul cas qui résulte des pétitions que vous discutez ? On
ne pourrait pas déplacer un seul fonctionnaire public, pas un gouverneur, par
un commissaire de district, par un officier du parquet, sans qu’à l’instant
même il ne vous vînt des pétitions qu’il est toujours facile d’obtenir pour
réclamer contre la révocation de tel gouverneur, de tel commissaire de
district, de tel officier du parquet, et l’on sommerait probablement le
gouvernement, comme l’a fait M. Levae, de venir donner les motifs des mesures
qu’il aurait prises dans l’exercice régulier de sa prérogative. Je me hâte de
déclarer qu’on ne doit faire aucune application de ce que je vais dire au cas
actuel. Le gouvernement pourrait vouloir garder le silence le plus absolu pour
l’honneur d’une personne en faveur de laquelle on réclamerait, pour l’honneur
de sa famille ; et vous croiriez l’avoir servie en forçant le gouvernement à
décrier l’homme qu’il aurait frappé ! Je répète que je n’ai pas entendu faire
la moindre application de ces idées au cas actuel ; la chambre sait que je
n’aime pas les personnalités, et que c’est toujours malgré moi que je me laisse
entraîner sur un pareil terrain.
Mais, objecte-t-on, on ne
force pas le gouvernement. Ce n’est là qu’une simple supplique qu’on lui
adresse. Vraiment vous êtes bien soucieux de la dignité de la chambre pour lui
faire jouer le rôle de suppliante. La chambre ne supplie pas ; elle fait des
lois, elle accuse, mais elle ne s’abaisse devant personne. Elle peut avoir à
côté d’elle des pouvoirs égaux, mais elle n’a pas de supérieurs. Si la chambre
donne son appui à des pétitions, c’est d’ordinaire pour les ministres un devoir
d’y faire droit, ou peut-être de se retirer. Là il peut y avoir conflit
évident. Vous ne forcez pas le gouvernement ! Non, sans doute, vous n’envoyez
pas une escouade de gendarmerie pour le forcer à signer une réintégration
d’officier ou de fonctionnaire. Mais ne voyez-vous pas qu’il y a là injonction,
contrainte, bien qu’elle ne soit pas matérielle ? Je m’étonne qu’un honorable
préopinant, qui s’est présenté ici comme ayant étudié à fond tous les principes
qui devaient dominer la matière, soit tombé dans de telles erreurs.
Je demande, si un tel
raisonnement prévaut, si un fonctionnaire renvoyé par le gouvernement trouve de
l’appui dans la chambre, et qu’elle en fasse son candidat auprès de la
couronne, alors que le gouvernement déclarerait qu’il ne peut plus se servir de
ce fonctionnaire ; je demande ce que deviendra la subordination administrative,
ce que devient la responsabilité ministérielle ? Et pour l’armée, messieurs,
avez-vous prévu les conséquences d’un pareil système ? Quoi ! il suffirait
qu’un officier fût en dissentiment avec son chef sur tels mouvements, telles
dispositions, dont il n’a pas, dont il ne doit pas avoir le secret, pour que
son supérieur, fût-ce le commandant en chef, ne pût faire cesser le conflit
sans qu’à l’instant même l’inférieur récalcitrant ne rencontrât dans cette
chambre une prime d’insubordination par l’appui qu’elle accorderait à ses
réclamations, par l’anathème qu’elle lancerait contre le gouvernement, pour
avoir fait, sous sa responsabilité, usage de son droit !
Savez-vous le secret des
mouvements de l’armée ? Savez-vous s’ils n’ont pas été provoqués par des
renseignements sur les mouvements de l’ennemi, par la prévision d’une reprise
éventuelle d’hostilités ? Faudra-t-il mettre dans la confidence de ces faits
tous les instruments du pouvoir exécutif, tous les subordonnés depuis le
général jusqu’au sous-lieutenant ? Car je demande où l’on fixera la limite ? Ce
qu’on vous propose, c’est la mort de toute subordination militaire et de toute
responsabilité. Aujourd’hui c’est pour un général qu’on réclame ; demain ce
sera pour un colonel et ainsi successivement ; on descendra jusqu’aux grades
inférieurs de l’armée, car il n’y aura pas de raison pour refuser d’accueillir
la réclamation du chef le plus infime. Il en résulterait, messieurs, que dans
le langage familier du soldat, en présence de pareils actes, lorsqu’on lui
parlerait de son chef, il dirait : De qui voulez-vous parler ? Est-ce du Roi ?
Mais ce n’est pas notre chef ; notre chef c’est la chambre des représentants :
le Roi n’en est que le très humble serviteur. (Mouvement.)
Voulez-vous que nous entrions dans
une hypothèse sur laquelle il est plus facile de parler froidement, parce
qu’elle ne concerne pas le pouvoir exécutif ? L’article 99 de la constitution
accorde aux cours d’appel et aux conseils provinciaux la faculté de présenter
les conseillers de ces cours à la nomination du Roi. Je suppose qu’un candidat
fût écarté par une cour ou un conseil provincial. Eh bien ! Pourrait-il venir
s’adresser à la chambre, et lui dire : Je suis un excellent patriote, un
excellent magistrat ; mais on m’a écarté pour mes opinions ; la cour n’a pas
voulu me présenter ; le conseil provincial n’a pas voulu de moi. Que répondrait
la chambre ? Qu’elle est incompétente, et qu’il faut respecter le droit conféré
aux cours d’appel et aux conseils
provinciaux par l’article 99 de la loi fondamentale. Certes, on ne dirait pas
alors que c’est un dédaigneux ordre du jour.
Si par hasard, à son tour, la
couronne venait vous présenter des listes de candidats pour la cour des
comptes, si les ministres venaient appuyer ces candidats auprès de la chambre
par un acte solennel, que ferait la chambre ? La chambre passerait
immédiatement à l’ordre du jour dès que cette tentative d’usurpation se serait
produite.
Eh bien ! Ce que vous feriez
pour vous-mêmes, vous le ferez aussi pour le pouvoir royal, dont il est dans
votre devoir comme dans vos intentions de tenir sauves les prérogatives, que,
pour maintenir l’équilibre des pouvoirs, la constitution lui a formellement
assignées.
C’est, messieurs, une hérésie
bien singulière que de croire que plus le pouvoir exécutif est faible, plus il
y a de garantie pour la liberté d’un pays. Non, un pays peut être opprimé par
l’omnipotence législative aussi bien que par l’omnipotence du pouvoir royal.
Le pouvoir législatif, certes,
est en réalité le pouvoir prépondérant par le droit qu’il a de refuser les
subsides et d’arrêter la marche de l’administration. Et ce droit, il n’en rend
compte qu’à lui-même, il l’exerce sans responsabilité légale.
De son côté, le pouvoir
judiciaire est aussi omnipotent dans la sphère de ses attributions, et on ne
craint pas de le faire fort, quoiqu’il n’ait non plus qu’une responsabilité
morale.
Et, chose singulière ! le
pouvoir exécutif, qui est responsable, qui est plus facile à entraver dans sa
marche, à paralyser dans son action, sera tenu en suspicion continuelle, de
manière qu’il ne puisse faire un pas dans la sphère de ses attributions sans
qu’on cherche à en circonscrire encore le cercle ! Je ne crains pas de le dire,
la république même serait impossible avec de tels principes, et si l’on
faisait, à l’égard d’un président de république, ce que l’on veut faire à
l’égard du pouvoir royal, ni république ni monarchie constitutionnelle ne
pourraient marcher.
Messieurs,
en Angleterre, en France, en Belgique, depuis juillet et septembre 1830, ce
n’est plus la liberté qui est menacée, c’est l’ordre. Eh bien ! l’ordre, sans
un pouvoir fort, respecté, libre de ses mouvements légaux, investi de la
confiance publique, environné de la dignité qui lui convient, l’ordre est
impossible. Il y a une corrélation intime entre la force de tous les pouvoirs.
Si vous laissez affaiblir le pouvoir royal, qui vous dit que le pouvoir
législatif, un moment triomphateur, ne sera pas bientôt ébranlé à son tour ? Le
pouvoir judiciaire lui-même a peine à se rasseoir des dernières commotions
politiques ; on l’a vu souvent depuis deux ans insulté jusque dans son
sanctuaire. Pensez-y bien, messieurs, tous les pouvoirs doivent s’entraider, se
maintenir intacts dans l’opinion ; sans cela, il y a bientôt péril pour l’ordre,
sans lequel la liberté elle-même fait place à l’anarchie pour retourner par une
pente rapide au despotisme.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, en appuyant l’ordre du jour proposé par
votre commission des pétitions, je puise ma conviction, non seulement dans la
constitution, dont les termes me semblent précis, mais encore dans son esprit
qui, en attribuant au pouvoir exécutif la nomination aux emplois civils et
militaires, a voulu laisser peser sur le ministère la responsabilité des
conséquences, souvent si funestes, qu’amènent de mauvais choix.
En agir autrement, surtout
dans tout ce qui a rapport à l’armée, influencer le gouvernement, le diriger
dans la nomination des chefs de corps, ce serait vouloir que la chambre devînt
solidaire des fautes du pouvoir exécutif ; et si, ce qu’à Dieu ne plaise, de
nouveaux désastres venaient encore affliger la patrie, on ne manquerait pas de
nous en attribuer une bonne partie ; vous n’avez pas oublié sans doute les
inculpations dont on a cherché à charger le congrès après les tristes
événements de la campagne du mois d’août 1831.
Mû par ces principes
constitutionnels, je rejette bien loin de nous toute idée de nous associer à un
système qui aurait pour but de méconnaître d’anciens services ou de les payer
par de l’ingratitude, et de priver de l’appui énergique des hommes de la
révolution un trône formé des débris de nos barricades.
Que le pouvoir ait donc eu
tort ou raison en retirant au général Niellon le commandement de la province de
la Flandre orientale, c’est ce que je ne dois ni ne veux examiner ; je serais
d’ailleurs un très mauvais juge des talents militaires. Pour être juste, je
dirai que le général Niellon à un mérite à mes yeux, c’est celui d’être resté
fidèle à notre cause, quand d’autres chefs, qui comme lui devaient tout à la
révolution, la trahissait ; quand d’autres paraissaient hésiter, incertains
qu’ils étaient du drapeau auquel ils voulaient se rallier.
Où en serions-nous si nous
nous établissions ici les redresseurs des torts réels ou supposés des ministres
? Ce serait là, croyez-moi, une longue et pénible besogne ; et alors vous
pourriez vous plaindre de la durée de de vos sessions, car, vous le savez,
chaque place donnée fait naître les réclamations de l’armée sollicitante, et
elle est certes fort nombreuse en Belgique.
Je me garderai donc de faire
un crime aux ministres de commettre quelquefois des injustices, qu’il me semble
difficile d’éviter ; je crois cependant que l’on en préviendrait beaucoup, si
chaque ministre se restreignait à ce qui concerne son département, et
n’exigeait pas quelquefois d’un collègue des placements de faveur, le tout, je
le présume, à charge de revanche. Ce système, toujours mauvais, est surtout
déplorable quand il agit sur le ministère de la guerre ; ce ministre ayant une
immense responsabilité, quant au personnel de l’armée, doit être le seul juge
du mérite militaire. J’aime à croire qu’il en est ainsi. Cependant un fait
récent ébranle un peu ma conviction, et l’on conte à ce sujet qu’une de nos
provinces, vient d’offrir un spectacle assez bizarre. Cette heureuse province
se trouvait dotée de trois commandants militaires à la fois ; rien de plus
simple, on décide que deux iront dans deux provinces voisines ; mais ici
commence l’embarras : chacun voulait rester dans la ville, vu que c’est une
très belle ville, une ville charmante, qui a un bon théâtre, de beaux cafés,
etc., un vrai paradis terrestre de commandant de province. Ils s’y plaisaient
fort, les trois candidats, et chacun avait un puissant patron pour l’y
maintenir ; mais il paraît que celui de M. le ministre de la guerre n’a pas été
plus heureux, et que l’armée, spectatrice de ce conflit, a, non sans quelque
étonnement, appris que c’était un autre ministre qui plaçait les commandants
militaires.
Qu’aurions-nous à faire, bon
Dieu ! si les partisans de ces trois messieurs, venaient réclamer notre
intervention ?
Je sais que l’on rattache à la
retraite du général Niellon une question de sécurité intérieure pour la ville
de Gand et de sécurité extérieure pour la province de la Flandre : mais ces
motifs je ne peux les admettre ; voulez-vous rendre la tranquillité à Gand,
faites rentrer Gand dans le droit commun. Ministres, la cour de cassation de
France a prononcé, pliez devant la légalité, qui est en même temps une
nécessité. D’ailleurs à quoi bon ? Ne voyez-vous pas que vos conseils de guerre
reculent devant la responsabilité de leurs actes ? Ils se déclarent
incompétents, et en Belgique on ne sait plus tuer, même de par les conseils de
guerre.
Quant à la question de
sécurité extérieure, il me semble presque ridicule d’en parler.
Quoi
! Depuis deux ans les chambres auraient fait preuve d’une confiance illimitée
dans tout ce qui a rapport à l’armée ; au nom du salut de la patrie, on aurait
tout obtenu, hommes, argent, autorisation, si pénible pour l’amour-propre
national, d’appeler des officiers étrangers dans nos rangs, autorisation dont,
pour le dire en passant, le gouvernement a si largement usé, et qu’il serait
peut-être temps de restreindre, tout enfin, tout ce qui a été demandé, a été
accordé, et les Flandres auraient encore à craindre de nouvelles insultes de
nos ennemis ? Non, je ne puis le croire, et s’il en était ainsi, ce ne serait
pas seulement d’incurie qu’il faudrait accuser le ministère.... ! Je vote pour
l’ordre du jour, voulant laisser intact le principe d’une responsabilité
ministérielle.
M. de Brouckere. - Messieurs, si la chambre ne pouvait renvoyer aux
ministres que les pétitions qui signalent des abus de pouvoir ou la violation
d’une loi, il n’y aurait assurément d’autre mesure à prendre sur celle qui nous
occupe que l’ordre du jour proposé par la commission, parce qu’évidemment il
appartient au gouvernement de mettre en non-activité les officiers qui n’ont
plus sa confiance.
Mais si l’on venait vous
dénoncer un acte qui, bien que ne sortant pas du cercle des attributions du
gouvernement, fût cependant un acte impolitique, un acte injuste, un acte
réprouvée par l’opinion publique ; pensez-vous qu’il vous conviendrait de
répondre : Cela ne nous regarde pas, adressez-vous ailleurs ? Non, messieurs,
ce serait méconnaître vos droits et vos devoirs, ce serait encourager les
ministres à n’écouter dans la distribution des places et des faveurs que leur
seul caprice, à ne consulter que leur prédilection et leurs haines, à
méconnaître les services et les talents. Et veuillez m’en croire, les ministres
n’ont besoin pour cela d’aucun encouragement. (On rit.)
M’arrêtant
à la pétition qui nous occupe, je me demande, et vous vous faites probablement
la même question, si celui auquel elle est relative, et dont le sang était
assez élevé pour que sa conduite pût être observée de tous ; je me demande si
on lui reproche de manquer de capacité et de talent, d’avoir trahi son devoir,
de l’avoir seulement négligé ? Et à cette question je suis forcé de me répondre
d’une manière négative. La voix publique, au contraire, s’accorde à dire que
c’est un homme capable, un homme actif, laborieux, incorruptible surtout. Quant
à ses services, tout le monde les apprécie, excepté peut-être le gouvernement
tout seul, qui paraît décidé à écarter les hommes de la révolution, et à
réserver les faveurs pour les ennemis de la révolution et des révolutionnaires.
(Hilarité.)
M. Legrelle. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. de Brouckere. - Il n’y a rien là de personnel à M. Legrelle. (Rire général et prolongé.)
Je suis vraiment étonné qu’un
de mes honorables collègues se soit appliqué mes paroles, que cependant j’avais
prononcées dans un sens bien général. C’est une injure qu’il se fait à
lui-même, et que véritablement je n’avais nulle envie de lui adresser. Revenons
à la pétition -
Qu’avons-nous à faire ? Nous
devons la renvoyer au ministre de la guerre, mais sans demande d’explications,
pour qu’il soit bien certain que si nous ne voulons pas nous immiscer dans son
administration, nous avons les yeux ouverts sur sa conduite, et que lorsque le
temps sera venu de la juger, nous nous réservons de relever ses actes et de les
qualifier comme ils le méritent. Je dis sans demande d’explication : et, en
effet, je l’avoue, si votre décision était telle qu’elle forçat le ministre de
la guerre à venir à votre barre s’expliquer sur une résolution qui tombait dans
ses attributions, je crois que nous empiéterions sur un pouvoir qui n’est pas
le nôtre. Le nôtre se borne à protester de telle manière qu’il cède ou ne cède
pas, s’il veut, à notre protestation. Plus tard nous aurons droit de lui en
demander compte.
Mais que dit-on pour empêcher
le renvoi ? On vous oppose les articles 29, 66 et 68 de la constitution.
Lorsque nous aurons pris cette mesure de renvoi, pourra-t-on prétendre que nous
avons voulu usurper les prérogatives du Roi, nous emparer du pouvoir exécutif,
conférer les grades dans l’armée, commander les forces de terre ou de mer ; que
nous avons voulu nous mettre à la place du Roi ? Non, soutenir de pareilles
assertions, ce serait tomber dans le ridicule.
Mais, objecte-t-on, il s’agit
ici d’une pétition qui n’a qu’un intérêt personnel. Messieurs, vous renvoyez
une pétition quand vous désirez voir le redressement d’une injustice, peu
importe qu’il s’agisse d’un intérêt général ou d’un intérêt particulier. En voulez-vous
des exemples ? Voyez le n°14 du feuilleton, n°5, dont vous vous occupez en ce
moment : « La dame Paulsen, de Tongres, épouse d’un gendarme belge, fait
prisonnier à Maseyck en novembre 1830, par le corps de Saxe-Weimar, demandait
que l’on assurât a mise en liberté de son mari et qu’on lui accordât un
secours. »
Nous avons renvoyé la pétition
aux ministres, simplement parce que nous voulions voir accorder un secours à
cette dame, parce que nous regardions le refus de ce secours comme une
injustice.
Voyez ensuite le n°27 du même
feuilleton : « Le sieur Augustin-Joseph Honorez, propriétaire à Mons,
demandait l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement d’une somme de
fl. 796 35 cents, due à lui et autres co-intéressés du chef des dégâts faits à
leurs propriétés par des travaux du génie en 1829. »
Il n’est pas encore question
ici d’intérêt général, mais d’un fait particulier, et cependant cela n’empêcha
pas la chambre de renvoyer la pétition aux ministres de l’intérieur et de la
guerre.
Enfin, par pétition portant le
n°13 du quatrième feuilleton, « le sieur Alloginer, ex-sergent-major aux
volontaires, à Visé, réclamait l’intervention de la chambre pour lui faire
obtenir le paiement de la pension à laquelle il a droit comme blessé de la révolution. »
On a encore renvoyé cette
pétition a un ministre de la guerre, et s’il n’avait pas déclaré qu’il
s’empresserait d’y faire droit, on aurait exigé des explications.
Vous voyez donc qu’il est faux
de dire qu’on ne renvoie aux ministres que les pétitions qui ont pour objet un
intérêt général.
J’ai entendu avec peine un
honorable collègue venir nous annoncer qu’une régence tout entière était
orangiste. Je ne sais pas qui lui a donné le droit de lancer ainsi une
accusation contre un corps tout entier. Mais ne sait-il pas que cette
qualification est devenue banale et insignifiante, qu’on la donne à tous les
hommes qui font quelque opposition ? Et que l’honorable membre lui-même y
prenne garde, comme il n’est pas toujours d’accord avec le gouvernement, je ne
serais pas étonné qu’on lui reprochât à son tour d’être orangiste. (On rit.)
Mais, si cet honorable membre
a eu tort en cette circonstance, je donne plus grand tort encore au ministre,
qui nous a entretenus si longtemps de la pétition, et qui n’a pas répondu un
mot à une allégation de cette nature.
Quand M. le ministre de la
justice a pris la parole, je m’attendais à entendre des arguments pour
combattre le renvoi de la pétition ; je l’ai écouté avec beaucoup d’attention,
il m’a été impossible de le suivre dans ses raisonnements. Je n’ai pu saisir
que trois ou quatre arguments : d’autres, sans doute, auront été plus heureux.
Que voulez-vous faire,
s’est-il écrié ? Avilir la chambre en lui faisant jouer le rôle de suppliante !
La chambre ne supplie pas, elle ordonne. La chambre ne supplie ni n’ordonne,
lui répondrai-je. Elle ne supplie pas, car elle ne connaît point de pouvoir
supérieur ; elle n’ordonne point, parce qu’elle n’est point à elle seule un
pouvoir. Mais où a-t-il vu que la chambre veuille, dans cette occasion,
supplier ou ordonner ? La chambre invite seulement le ministre à ne pas
déplacer trop légèrement les chefs militaires qui ont la confiance de la
nation. Il aura, à cette invitation, tel égard qu’il jugera à propos.
Mais, dit encore M. le ministre,
vous détruisez la subordination ; c’est son arrêt de mort. Aujourd’hui on
réclame en faveur d’un général, demain ce sera pour un colonel, après-demain
pour un officier inférieur, et on descendra ainsi jusqu’au grade le plus
infime. Eh bien ! quel mal y aurait-il qu’un simple soldat vînt se plaindre à
nous d’un acte arbitraire, injuste, commis à son égard ? Qu’il vienne ce simple
soldat, et je parlerai en sa faveur avec autant d’énergie que je le fis en ce
moment qu’il s’agit d’un général.
Dans l’armée, a ajouté le
ministre, il n’y aura qu’un bruit. Ce n’est plus le Roi qui est notre chef,
c’est la chambre. Non, messieurs, on ne dira pas une chose aussi ridicule,
parce que ce qui se passe en ce moment même, prouve combien elle est peu
fondée. En effet, au lieu de vouloir faire droit à la requête, nous
reconnaissons que tout notre droit se borne à mettre la requête sous les yeux
du Roi, ou plutôt de celui qui administre en son nom le département de la
guerre.
On est venu nous parler de
candidats présentés par les cours du royaume et les conseils provinciaux ; le
ministre sait bien que nous n’avons de relations avec aucunes autres autorités
que les ministres ; s’étayer de semblables arguments, c’est montrer que l’on
n’en trouve pas de bons pour soutenir son opinion.
Messieurs, j’insiste de tout
mon pouvoir pour que vous n’écartiez pas la demande de renvoi au ministre. La
résolution que vous allez prendre a une portée plus étendue qu’elle ne le
paraît au premier abord. Ce n’est pas l’intérêt d’un individu que je prétends
défendre ; mais celui dont il s’agit n’est pas le seul qui ait à se plaindre de
l’injustice du gouvernement. Il semble, au contraire, qu’il ait pris à tâche de
mécontenter les chefs de notre armée. Aujourd’hui on annonce que deux d’entre
eux veulent encore aller grossir le nombre de ceux qui se sont déjà retirés ;
demain d’autres suivront cet exemple ; j’en connais, messieurs, et des plus
distingués, qui l’eussent fait, depuis longtemps, s’ils n’espéraient voir
bientôt éclater une guerre et ne brûlaient d’y prendre part.
Je me réserve, messieurs, de
revenir plus longuement à cet égard lors de la discussion des budgets, et nous
aurons alors à révéler bien d’autres abus à charge du ministre de la guerre,
dont l’économie n’est pas la vertu principale, pas plus que l’amour pour les
nationaux n’est sa passion dominante.
Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
- La discussion est remise à
demain à midi.
La séance est levée à 4 heures
et demie.