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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21
décembre 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Explications ministérielle sur une pétition relative
l’abandon forcé des poursuites exercées par le conseil de guerre d’Anvers pour
accusation d’orangisme (affaire Vanderschrick). Indépendance de la justice
vis-à-vis du gouvernement (C. Rodenbach, Lebeau, Gendebien, Lebeau, de Brouckere, Lebeau, Jullien, Gendebien, Dumortier, Lebeau, C. Rodenbach, Jullien, Milcamps, de Brouckere, Fallon, d’Elhoungne, Dumortier, Lebeau, Jullien, d’Elhoungne, Dumortier, Lebeau, Gendebien, Lebeau, de Brouckere, Lebeau, (+ affaire Tornaco et libération de Thorn) (Dumortier, Lebeau), Jullien, Lebeau, Gendebien)
3) Rapports sur des pétitions relatives aux avocats près la cour de cassation, au notariat,
aux avoués près la cour de cassation, aux droits d’entrée
sur les tourteaux de lin (A. Rodenbach, Poschet, d’Elhoungne, Angillis, Davignon, Meeus, d’Elhoungne), à la garde
civique (Coppens, Rogier, Gendebien, Rogier), à l’art de guérir (Rogier,
Lebeau), à l’expulsion d’un étranger (Lebeau), à la réorganisation des circonscriptions administratives
(Dellafaille, Desmet), à une
demande d’emploi par un volontaire licencié (Levae, Rogier, Gendebien, Lebeau, A. Rodenbach, Rogier, Gendebien)
(Moniteur belge
n°355, du 23 décembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure.
M. de Renesse
fait l’appel nominal.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté.
RAPPORTS SUR DES PETITIONS
M. le président.
- L’ordre du jour appelle le rapport de la commission des pétitions.
M. C. Rodenbach. - Je demande la parole.
Je crois devoir signaler à mes collègues un abus qui
tend en quelque sorte à rendre illusoire le droit sacré de pétition.
Il arrive souvent que des pétitions sont renvoyées aux
ministres avec demande d’explications, et, presque jamais les réponses ne sont communiquées
à la chambre. C’est là, il me semble, porter atteinte aux droits des
pétitionnaires.
Il y a, entre autres, une pétition adressée à la
chambre, en date du 22 novembre dernier, par le conseil permanent de la 7ème
division militaire en campagne qui se plaint de ce que les pièces de la
procédure dirigée contre Vanderschrick et consorts ont été enlevées d’après les
ordres de M. le ministre de la justice.
La chambre a décidé que cette plainte serait adressée
au ministre avec demande d’explications. Comme un mois s’est écoulé depuis que
cette pétition nous a été envoyée et que le cours de la justice est interrompu,
puisque les accusés, soit innocents, soit coupables, continuent à rester en
prison, je prie M. le ministre, dont je suis loin de méconnaître la loyauté et
les bonnes intentions, de vouloir bien satisfaire au vœu émis par la chambre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, si le renvoi de la pétition dont vient
de parler l’honorable membre, qui a été fait au ministre de la justice, alors
qu’il n’y avait pas de ministère, n’a pas amené plus tôt des explications, on
conçoit bien que ce retard ne peut être attribué à une mauvaise volonté du
ministre, mais à la force même des circonstances.
J’aurais pu entrer, avant la séance d’aujourd’hui,
dans quelques explications sur l’objet dont il s’agit ; mais j’ai pensé que la
chambre ayant fixé un jour spécialement consacré à tout ce qui concerne le
droit de pétition, je devais vous les donner ce jour-là. C’est pour cela que je
les ai différées jusqu’à la présente séance.
Je fus informé, il y a un mois environ, par un
honorable député, des poursuites intentées à charge du sieur Vanderschrick
d’Anvers. Comme, d’après les lois dont on voulait faire application, le jugement
de l’affaire dont était saisi le conseil de guerre était susceptible d’une
exécution immédiate, nonobstant tout pourvoi, nonobstant même le recours en
grâce, j’ai cru que la première mesure à prendre était de donner l’ordre tant à
M. le commandant de la province d’Anvers qu’à M. l’auditeur militaire chargé
des fonctions du ministère public auprès du conseil de guerre, de faire
suspendre non les poursuites, mais l’exécution du jugement, jusqu’à ce qu’il en
fut référé à S. M. C’était là, il me semble, la première mesure à prendre pour
éviter peut-être un grand malheur. Après cette mesure, je reçus des conseils de
M. Vanderschrick une demande de sursis motivée sur l’intention où ils étaient
de soulever une question d’évocation, dont l’autorité judiciaire supérieure
serait constituée juge. On s’était adressé à l’auditeur-général qui, dans
certains cas prévus par les lois militaires, est obligé d’élever de pareils
conflits.
Cette question présentait de grandes difficultés, de
nature à occuper le conseil des ministres ; mais, pour pouvoir se former une
opinion exacte sur les motifs des conseils du sieur Vanderschrick, il était
indispensable de réclamer d’abord le sursis des poursuites et ensuite de
demander que les pièces du procès fussent mises sous mes yeux et sous ceux de
mes collègues. C’est dans ce but que j’ai donné l’ordre à l’auditeur militaire
de demander, au nom du gouvernement, la remise de la cause à quinzaine, au
conseil de guerre, remise que le gouvernement n’a jamais cru devoir être
refusée. L’auditeur militaire était ensuite invité à transmettre immédiatement
au ministre de la justice tout le dossier, et on sent qu’il était impossible de
s’assurer de la validité des motifs sur lesquels on appuyait la demande d’un
conflit, sans avoir connaissance des pièces de la procédure.
Je ne sais, messieurs, si l’auditeur militaire ne
s’est pas fidèlement conformé à mes instructions qui étaient précises et qui,
je le répète, ne devient à mon avis rencontrer de la part du tribunal militaire
aucune opposition ; mais enfin les pièces m’ont été envoyées, et il serait
étrange que dans cette démarche fort simple le conseil de guerre vit une
atteinte à son inviolabilité, et une entrave à la continuation des poursuites
et par conséquent au cours de la justice.
Je ferai remarquer, quant à la prolongation de
l’emprisonnement, qu’elle provient en partie du fait même des conseils du sieur
Vanderschrick qui l’ont demandée encore par une lettre du 2 décembre courant
que je tiens à la main, et que je puis déposer sur le bureau de la chambre.
Reste la question de savoir si le renvoi des pièces au
conseil ne devait éprouver aucun obstacle. Je ferai d’abord remarquer que la
vacance ministérielle a empêché le gouvernement de s’occuper de cette affaire.
Mais ensuite je dirai que j’ai conçu depuis de graves doutes sur la légalité de
la composition du conseil de guerre d’Anvers. Aux termes des lois militaires,
un conseil de guerre permanent doit être formé par le Roi ou par le général
commandant, la province en vertu d’une délégation spéciale du Roi ; mais une
fois qu’il est formé, il n’appartient plus ni au Roi ni au général-commandant,
son délégué de porter atteinte à sa proposition.
Et en effet, messieurs, si l’on
pouvait modifier le personnel d’un conseil militaire, chaque fois qu’il s’agit
de juger une nouvelle affaire, ce ne serait plus un conseil permanent, ce ne
serait qu’une véritable commission spéciale. Voilà le motif qui m’a empêché
jusqu’ici de remettre dans les mains du conseil d’Anvers, qui se dit permanent,
les pièces dont il s’agit, parce que je ne puis le regarder comme permanent,
dès qu’il a été modifié à différentes fois. Par conséquent je ne puis
reconnaître sa légalité. Or, si c’est un corps dont la composition soit
illégale, je ne lui accorde pas le droit de faire sommation au gouvernement de
lui remettre des pièces ; il ne m’est permis de déposer ces pièces que dans les
mains de l’autorité légale, et le conseil d’Anvers n’a point ce caractère à mes
yeux.
Voici les explications que j’avais à vous donner sur
ce point. Vous savez, messieurs, que si elles ne vous ont pas été fournies plus
tôt, ce n’est pas l’effet d’un manque de déférence pour la chambre ni le
résultat de ma volonté. Dans le cas où elles ne vous suffiraient pas, je
tâcherai d’y suppléer.
M. Gendebien.
- Messieurs, je me félicite du résultat de la suspension de l’affaire du sieur
Vandenrschrick, puisqu’il a peut-être épargné la vie d’un homme. Cependant je
crois devoir dire quelques mots en faveur du conseil permanent d’Anvers qui
n’est représenté ici par personne, et qui manque de défenseurs. J’ai lu la
pétition que nous a adressée ce conseil. Il se plaint d’abord de l’enlèvement
des pièces d’une affaire dont il était saisi, et ensuite de la forme employée
pour l’enlèvement de ces pièces. Voici comment les choses se sont passées. Le
jour était fixé pour le jugement de l’affaire du sieur Vanderschrick. A l’heure
de l’audience, quand les membres du conseil étaient réunis dans le lieu de
leurs délibérations, ni accusé, ni avocats pour le défendre ne se sont
présentés, et on est venu leur dire que la cause était remise. Or, comme il
n’appartenait qu’au conseil d’ordonner cette remise, il en est résulté pour ce
corps une espèce de ridicule que l’on devrait bien se garder de faire planer
sur les juges et principalement sur ceux d’une ville en état de siège, alors
même que cet état de siège est contesté.
Il y a plus, messieurs ; c’est que l’on a ordonné la
mise en liberté pure et simple de l’auditeur, qui avait envoyé les pièces au
ministre de la justice, et cela sans l’assentiment du conseil ; de sorte qu’au
moment où le conseil prononçait lui-même la mise en liberté du sieur Claessens,
on lui a annoncé qu’elle avait déjà été opérée en vertu d’un ordre émané d’une
autre autorité. Tout cela, messieurs, a jeté un fâcheux ridicule sur le conseil
militaire, qui a été couvert de huées et de sifflets. (Oui ! oui ! c’est vrai !) Il en est même résulté quelque chose de
plus grave, car des duels et des rixes ont eu lieu à cette occasion.
Ainsi, messieurs, le conseil d’Anvers a été injurié
parce que l’autorité supérieure n’a voulu suivre aucune des formes qui sont
prescrites en pareil cas.
Messieurs, c’est une chose très grave que dans une
ville en état de siège on expose ainsi la magistrature de circonstance à être
bafouée et insultée. Ce n’est pas que je prétende qu’on ne dût pas répondre à
la réclamation du gouvernement, réclamation que je suis loin de blâmer ; mais
ce n’est pas à l’auditeur qu’il appartenait de le faire sans aucune
autorisation. Voyez en effet quels graves inconvénients une pareille manière
d’agir, si elle doit admise, entraînerait. D’une part on pourrait prolonger le
jugement d’une affaire, retarder la défense et l’acquittement d’un innocent, et
de l’autre on pourrait soustraire ou ajouter des pièces au dossier après
l’instruction achevée, il n’y a pas longtemps que la France nous a fourni un
exemple de pièces soustraites et de pièces glissées clandestinement dans le
dossier d’une affaire célèbre. Je crois en avoir dit assez à cet égard pour
justifier le conseil d’Anvers.
Il me reste un autre point à
examiner. M. le ministre a dit que ce conseil n’étant pas légalement constitué,
il ne pouvait lui reconnaître le droit de juger ni lui renvoyer les pièces.
Mais je m’étonne beaucoup, messieurs, qu’au lieu de ne pas reconnaître la
légalité de ce conseil, il n’ait pas pourvu à sa recomposition. C’est en effet
une chose étrange de venir proclamer, devant la chambre, en face de la nation,
l’illégalité d’un corps, alors qu’on pouvait le recomposer. Tout en admettant
les explications de M. le ministre, il me semble qu’il y lieu de l’inviter
expressément à rendre le plus promptement possible, au conseil d’Anvers, sons caractère
de légalité.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Si j’ai parlé de l’illégalité du conseil militaire
d’Anvers, la chambre remarquera que je n’ai rien fait ici spontanément ; que le
ministère de la justice était sous le poids d’une dénonciation, sous le poids
d’une accusation grave, et qu’il n’a fait qu’user du droit de légitime défense.
L’honorable colonel Buzen auquel on a fait allusion est ici hors de question.
Personne plus que moi ne rend justice aux talents et au patriotisme de ce brave
militaire, digne en tout point de la haute confiance que le gouvernement a
placée en lui. Il s’agit uniquement ici d’une question de principe, de
légalité. Les personnes y sont entièrement étrangères.
Il ne faut pas croire, messieurs, que les choses se
soient passées précisément comme l’a dit l’orateur qui m’a précédé. Je crois
que les renseignements sur lesquels il s’est appuyé l’ont induit en erreur. Je
vais vous faire voir que je n’ai entendu en aucune façon qu’une sorte de voie
de fait, qu’un enlèvement furtif et clandestin de pièces fût consommé. Rien de
semblable n’est jamais entré dans mes intentions.
Il est évident, messieurs, que sans la plus étrange
interprétation de mes instructions, l’auditeur militaire n’a pu se conduire que
de cette manière : se présenter devant le conseil de guerre, lui exposer
les motifs que le gouvernement faisait valoir dans cette dépêche pour demander
un sursis parce qu’une question de compétence avait été soulevée, question dans
laquelle la loi, en certains cas, impose au gouvernement de prendre
l’initiative, puisqu’elle place l’exercice de ce droit dans les devoirs de
l’auditeur-général. Il est évident, dis-je, que l’auditeur militaire n’aurait
pas dû procéder autrement : se présenter devant le conseil, lui faire
connaître les motifs par lesquels le gouvernement sollicitait la remise et
ensuite communiquer le dossier au gouvernement. Or, il n’y avait là rien que de
régulier, rien que de conforme à ce qui se pratique tous les jours devant les
juridictions ordinaires sur les réquisitions du ministère public. La remise que
nous demandions était fondée sur des motifs d’ordre public et ne semblait
pouvoir éprouver de difficulté.
Si donc, dans cette circonstance, l’ordre donné par le
gouvernement n’a pas été fidèlement suivi ; s’il a été exécuté de manière à
blesser la dignité du conseil de guerre, c’est le fait de l’auditeur militaire
seul, fait pour lequel cet auditeur a été immédiatement incarcéré, et selon moi
illégalement. Et quant à la mise en liberté de ce fonctionnaire, elle est le
résultat d’une ordonnance de M. l’auditeur-général qui s’était transporté
exprès à Anvers. Voici cet ordre, messieurs :
« L’auditeur-général près de la haute cour de
justice militaire, vu l’ordre en date du 14 novembre 1832, délivré par le sieur
de l’Eau, président du conseil de guerre permanent, et signé par le sieur de
l’Eau en ladite qualité, ainsi que par les sieurs Deplanque, major ; van
Vinkinroy, Jouret, Themon, capitaines, et Peet, lieutenant, de conduire à la maison
d’arrêt de la ville d’Anvers le sieur N.-F. Claessens, auditeur militaire de la
province d’Anvers ;
« Attendu que les membres du conseil de guerre
ont par cet acte outrepassé leur pouvoir ;
« Attendu que le sieur Claessens, en sa qualité
d’auditeur militaire, ressortit directement de la haute cour de justice
militaire ;
« Requiert le sieur Van den Wygand, huissier près
le tribunal de première instance, de se transporter à la prison civile et
militaire et de décrouer sur-le-champ et mettre en liberté ledit sieur
Claessens,
« Anvers, le 14 novembre 1832
« Signé, Houyet. »
« L’an mil huit cent trente-deux, le 15 novembre,
à la requête de M. l’auditeur-général près de la haute cour de justice
militaire à Bruxelles
« Je Léonard Van den Wygand, huissier près du
tribunal de première instance séant à Anvers, y demeurant, ai notifié à M. de
Muelenaere le réquisitoire qui précède pour son information et direction dont
acte, à Anvers date que dessus.
« Signé, Van den Wygand.
« Pour copie conforme, le président :
« Signé, le chevalier de l’Eau, major. »
Vous le voyez, messieurs, c’est un ordre non pas émané
du ministère, mais de l’auditeur-général appelé à faire respecter l’ordre de
juridiction à l’égard du sieur Claessens, qui était justiciable seulement de la
haute cour. Je ne sais, je le dis encore, si les mentions du gouvernement ont
été bien saisies et si le sieur Claessens ne s’est pas conduit de manière à
blesser la susceptibilité du conseil de guerre. Je déclare même que dans le
moment, et pour donner à ce corps une espèce de satisfaction de l’irrégularité
dont il se plaignait, j’ai ordonné le déplacement du sieur Claessens, parce que
je pensai que son maintien pouvait être une cause de collision, et je fis
passer ses fonctions dans la personne de l’auditeur-adjoint.
Je suis fâché, messieurs, que l’honorable député pense
qu’il soit entré dans mes intentions de jeter un blâme sur le conseil…
M. Gendebien.
- Je n’ai pas dit un mot de cela.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je vous prie de ne pas m’interrompre et de tenir
note des erreurs dans lesquelles je pourrais tomber.
J’ai, messieurs, jeté sur le papier quelques
explications qui démontreront que la légalité du conseil permanent d’Anvers est
très contestable.
Les membres d’un conseil de guerre permanent, une fois
nommé, peuvent-ils être changés à la volonté du général commandant ?
D’abord les membres d’un conseil de guerre permanent sont,
par leurs nominations, chargés d’un service particulier et qui n’est plus en
rapport avec le service qui est le partage ordinaire d’un militaire ; membres
du conseil de guerre ordinaire, ils ont pour mission spéciale de ne s’occuper
que de l’instruction et du jugement qui sont soumis aux conseils de guerre ;
ils ne sont plus astreints à aucun autre service.
En effet, la nature de ces conseils de guerre
permanent serait totalement changée si, sous prétexte d’un service quelconque,
il était loisible à M. le général commandant d’en distraire l’un ou l’autre
officier et de le remplacer ; car par ce moyen les conseils de guerre auxquels
on a donné le caractère permanent, ne seraient en résultat que de véritables
commissions puisque le général, en en changeant les membres à volonté, pourrait
y faire entrer, suivant la nature des cas, des hommes sur le dévouement
desquels il pourrait compter, et par ce moyen enlever aux membres
l’indépendance qui doit faire leur partage et qui est la conséquence de leur
organisation.
Cette fixité dans les membres des conseils, cette
indépendance sont d’autant plus nécessaires que les jugements rendus par eux
sont définitifs et en dernier ressort ; c’est donc dans cette organisation de
permanence que réside la seule garantie qui reste aux prévenus et qui leur
serait enlevée.
Il suffit de jeter les yeux sur les dispositions du
code de procédure militaire pour être convaincu de cette vérité : que les
membres des conseils de guerre permanents, une fois nommés, ne peuvent plus
être changés à la volonté du général.
L’article 261 dit que, dès que les troupes seront en
campagne, il sera nommé par ou au nom du souverain un ou plusieurs conseils de
guerre en campagne ; cependant, comme il est important de ne pas enlever au
général des officiers dont les secours pourraient lui être plus
particulièrement nécessaires, et dans l’impossibilité où le souverain peut se
trouver de connaître quels sont les officiers les plus propres au service des
conseils de guerre, la loi lui donne la faculté de laisser cette nomination au
choix du général commandant. Ces officiers reçoivent à cet égard une
autorisation particulière ou un mandat spécial. Dès que le général a fait son
choix, les membres du conseil de guerre sont considérés comme tenant leur
mission du souverain même, qui n’a délégué que le droit d’élection, et, cette
élection faite, tout pouvoir dans la personne du général est venu à cesser ; il
a rempli son mandat.
Or, si le souverain avait lui-même désigné les membres
du conseil de guerre, le général ne pouvait les changer arbitrairement ni sous
quelque prétexte que ce soit ; il ne le peut pas plus lorsque le choix a été
fait par lui, ainsi qu’on vient de le dire : le service de la justice est
définitivement assuré ; les garanties possibles, d’après la loi, sont données
aux accusés.
Aussi voit-on qu’il n’y a plus aucune autorité
militaire qui vienne se mêler aux membres des conseils de guerre permanents ;
ils sont tout à fait isolés ; on les soustrait à toute influence étrangère.
C’est en pleine assemblée, dit l’article 274, que les officiers commissaires
feront les rapports que, dans d’autres temps, ils sont obligés de faire aux
officiers commandants qui ont ordonné les informations ; c’est aussi le
président qui nomme les officiers commissaires, et il ne peut les prendre que
parmi les membres composant le conseil de guerre.
On le voit donc, on a voulu faire cesser toute
influence étrangère ; l’autorité militaire disparaît : en outre, si on pouvait
à volonté faire remplacer les membres du conseil de guerre, la loi n’aurait pas
statué, article 275, que ces conseils de guerre pourraient rendre des jugements
définitifs au nombre de cinq membres ; car si le législateur n’avait pas voulu
placer les conseils de guerre dans une situation particulière et indépendante,
il aurait établi le principe contraire, qu’à défaut d’un membre le
général-commandant qui a nommé le conseil de guerre aurait la faculté de
désigner un officier à son choix, pour remplacer le membre empêché.
Les principes posés, voyons ce qui s’est passé
relativement au conseil de guerre permanent établi à Anvers, d abord par arrêté
du 22 mars dernier et ensuite par celui du 30 avril suivant.
On rencontre un premier arrêté de M. le colonel Buzen,
en date du 1er janvier 1832, qui nomme comme membres du conseil de guerre
permanent MM, Dutilly, Londas, Kremer, Ghislain Stoykens, Leroy, Lebeau.
Un autre arrêté, en date du 22 juillet, remplace MM.
Kremer et Leroy par MM. Deridder et Peemans.
Et enfin, par arrêtés subséquents des 8 août, 14 août,
5 septembre, 9 septembre, 1er octobre et 29 octobre, diverses modifications
sont encore apportées parmi les membres qui, d’abord, avaient constitué le
premier conseil de guerre, et c’est à la date du 29 octobre que M. le colonel
Dutilly disparaît comme président pour faire place à M. le major de l’Eau.
M.
l’auditeur-adjoint, Blondel, informe l’auditeur-général, par lettre du 13
novembre n°234, et par lettre du 14, n°235, qu’ayant donné à M. de l’Eau,
président du conseil de guerre, communication de la lettre qui demandait
l’apport des pièces, cet officier a refusé de réunir le conseil de guerre, ce
qui l’a empêché de demander la remise de l’affaire à l’audience, etc., etc.
Voilà, messieurs, les nouveaux renseignements que j’ai
cru devoir ajouter à mes explications, et qui, alors même qu’ils ne
résoudraient pas la question d’illégalité, établiraient au moins des doutes
très sérieux, sur lesquels il faut que le gouvernement ait ses apaisements. Je
ferai remarquer en outre que s’il n’a pas été procédé plus tôt à la recomposition
du conseil, cela tient à une circonstance dont vous avez été tous les témoins :
il a été en effet impossible de le faire depuis le peu de jours que le cabinet
est reconstitué, pendant l’absence du Roi. Aussitôt le retour de S. M., je puis
assurer à la chambre qu’il y sera procédé.
M. H. de Brouckere. - Il me semble que M. le ministre aurait pu se
dispenser de nous présenter sa justification, alors que personne ne l’accusait.
Mais comme il résulte du rapport qu’il vient de nous présenter que le conseil
de guerre aurait eu des torts, et que, selon moi, cela n’est pas ; comme ce
rapport tendrait à faire croire que l’auditeur militaire aurait agi
régulièrement, quand il me semble à moi que sa conduite a été tout à fait
irrégulière, j’ai demandé la parole pour rectifier à cet égard l’erreur qui a
été commise.
Il faut rendre à chacun ce qui lui est dû.
Assurément le droit comme le devoir de l’auditeur
militaire était de demander la remise de l’affaire, du moment où le
gouvernement lui avait donné l’ordre de le faire ; mais il n’avait pas le droit
de forcer le conseil militaire à prononcer cette remise. Au lieu d’attendre
pour envoyer les pièces que cette remise eût été prononcée par le conseil, il a
commencé par se dessaisir des pièces, et au jour fixé pour le jugement de
l’affaire, il est arrivé que le conseil n’avait plus rien de la procédure. Vous
voyez donc, messieurs, que l’auditeur militaire n’a pas rempli son devoir et
l’a même transgressé ; vous voyez que par sa conduite il a forcé le conseil de
guerre à prononcer une remise qu’il aurait pu peut-être refuser pour de bonnes
raisons, car remarquez bien que le conseil de guerre n’est nullement obligé,
même sur la demande du gouvernement, de remettre une affaire quand il ne le
veut pas.
On vous a dit ensuite que la
mise en liberté du sieur Claessens avait eu lieu d’une manière régulière, parce
qu’elle avait été ordonnée par l’auditeur-général. Messieurs, c’est là une
question que je ne veux pas examiner, mais je crois cependant qu’il serait
difficile de prouver qu’un mandat d’arrestation donné par un conseil de guerre
puisse être annulé par un agent du pouvoir. Je crois qu’on aurait agi beaucoup
plus régulièrement, si l’on avait demandé l’ordre de mise en liberté à la haute
cour, plutôt que de s’adresser à un simple agent du gouvernement. Du reste il
me semble que le grand point, c’est que cette affaire soit menée à fin.
Il existe de grandes difficultés relativement à la
compétence du conseil de guerre qu’il faut résoudre, parce qu’il est impossible
de laisser subsister un pareil état de choses et de condamner la personne
arrête à subir une détention fort longue. J’ai entendu avec plaisir que le
gouvernement se propose de faire cesser bientôt cet état d’incertitude
déplorable. J’insiste pour que ce soit dans le plus bref délai possible, afin
qu’on reconnaisse la compétence du conseil ou qu’on procède à sa recomposition.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, je suis entièrement de l’avis du
préopinant. Je suis loin de faire ici l’apologie de l’auditeur militaire. Je
crois qu’il a agi irrégulièrement ; il me semblait même l’avoir dit dans les
explications que j’ai présentées. Il ne m’est jamais venu à l’idée que, parce
qu’un agent du gouvernement demande, en son nom, la remise d’une cause à un
corps judiciaire, ce corps soit tenu de déférer aussitôt à ce réquisitoire.
J’ai ordonné à l’auditeur d’exposer au conseil assemblé les motifs de haute convenance
sur lesquels s’appuyait ma demande ; mais je n’ai jamais entendu que ce
fonctionnaire procédât d’une manière irrégulière. Je crois même avoir annoncé à
la chambre que, pour donner une espèce de satisfaction au conseil militaire
d’Anvers, j’avais ordonné le déplacement de ce fonctionnaire.
Relativement à ce qu’a dit
l’honorable membre que l’auditeur-général n’avait pas caractère pour faire
élargir le sieur Claessens, je pense que les lois ordinaires et les lois
militaires imposent l’obligation à tous les officiers du ministère public qui
ont connaissance qu’une arrestation ou une détention illégale a été consommée,
de la faire cesser aussitôt. Il est donc évident qu’il était du devoir de
l’auditeur-général de prendre les mesures les plus propres à mettre fin à
l’emprisonnement du sieur Claessens, et sous ce rapport sa conduite me paraît
irréprochable.
Du reste, je déclare que l’observation par laquelle a
terminé l’orateur sera prise en très sérieuse considération. Dans l’intérêt de
la sûreté de la place d’Anvers et de la justice, il est nécessaire que le
gouvernement prenne une mesure le plus tôt possible, et je pense qu’une prompte
résolution sera arrêtée sur ce point. L’absence du chef de l’Etat a pu seule y
apporter des retards.
M. Jullien.
- Je demande la parole pour une motion d’ordre. Il est évident que nous perdons
ici notre temps et que cette discussion est tout à fait prématurée. D’après la
constitution, nous avons le droit de renvoyer aux ministres les pétitions qui
nous sont adressées et de demander des explications sur ces pétitions. Dans
l’ordre naturel des choses, lorsqu’un ministre veut déférer à une demande
d’explications sur une pétition, il doit agir ainsi : ou nous présenter un
rapport par écrit, et alors ce rapport doit être inséré dans le bulletin des
pétitions pour que chacun des membres puisse le méditer ; ou bien, si son
intention est de nous donner verbalement ces explications, il faut au moins
qu’il nous prévienne à l’avance, afin que chacun de nous puisse prendre
communication de la pétition dont il s’agit.
Au lieu de cela qu’a-t-on fait
aujourd’hui ? M. le ministre, à l’entrée de la séance et sur la provocation
d’un membre, nous donne des explications à l’improviste sur une pétition dont
il n’a été fait qu’une simple mention dans le bulletin des pétitions, et dont
par conséquent nous n’avons pas une connaissance suffisante. Or, quand nous ne
savons pas la nature de la contestation, comment voulez-vous que nous décidions
? Et cependant il s’agit ici de l’objet le plus grave qui puisse s’agiter dans
une assemblée nationale. Si vous continuez de discuter ainsi sans avoir le
moindre renseignement, vous arriverez à la fin de la séance sans parvenir à
aucun résultat. Je demande donc, ou que M. le ministre nous fasse son rapport
par écrit, ou, s’il veut le faire verbalement, qu’il nous informe par avance du
jour où il nous le présentera.
M. Gendebien.
- Je ne pourrais qu’applaudir à la motion de M. Jullien, si elle était arrivée
plus tôt ; mais je crois que maintenant elle vient trop tard. Je n’entends pas
prolonger la discussion sur des choses que nous ne connaissons pas
pertinemment, mais je désire répondre sur un point à M. le ministre. C’est à
cela que je me bornerai uniquement…
Plusieurs voix. - C’est
inutile, vous ne devez parler que sur la motion d’ordre,
M. Gendebien. - Alors je demande la parole pour un fait personnel
; il me semble que ne peut m’ôter le droit de dire quelques mots. M. le ministre
a supposé qu’on le mettait sous le poids d’une grave accusation dont personne
ici n’a articulé un mot. Il suffit d’ailleurs de lire la pétition dont on
s’occupe pour se convaincre qu’elle ne contient pas un reproche adressé
directement au ministre. Ainsi c’est bien à tort qu’elle a fait une telle
supposition.
Ensuite je n’ai pas dit que le ministre eût ordonné un
enlèvement furtif et clandestin des pièces. J’ai dit simplement, et c’est la
vérité, que l’auditeur avait enlevé des pièces à la cour militaire qui en était
saisie, et que si l’on autorisait à de pareils actes, il pourrait en résulter
les plus graves inconvénients, parce qu’on pourrait enlever furtivement
quelques pièces du dossier et en glisser clandestinement quelques autres après
l’instruction.
J’ajouterai, moi, que je trouve extraordinaire que M.
le ministre vienne nous lire un long mémoire sur une question dont il ne s’agit
nullement ici ; qu’il s’attache à démontrer l’illégalité d’un conseil de
guerre. Je laisse à la chambre le soin d’apprécier toute la portée d’une
pareille imprudence. C’est une déclaration dont profiteront peut-être tous ceux
qui, soumis à la jurisprudence de ce conseil, pourront avoir de mauvaises
intentions ; ils se croiront maintenant en droit d’agir impunément.
M. Dumortier. - Je viens m’opposer à la motion de M. Jullien. Si
elle avait été faite au commencement de la discussion et avant les explications
de M. le ministre, je concevrais parfaitement qu’on voulût les admettre ; mais
maintenant que nous avons entendu ces explications, il me semble qu’il faut au
moins épuiser la liste des orateurs inscrits. Quant à moi, messieurs, je désire
obtenir à mon tour la parole, parce que j’ai à vous présenter des pièces
extrêmement remarquables, et dont il résulte tout autre chose que ce qui vous a
été dit. Je demande donc que la discussion continue.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - J’appuie l’observation de l’honorable M.
Dumortier, et je demande qu’on ne donne pas suite à la motion proposée. Je
crois que la discussion peut se prolonger séance tenante. Le ministre a
satisfait au vœu de la constitution et au vœu de la chambre. Ce n’est pas du
tout sur la provocation de M. Rodenbach, c’est par un mouvement tout spontané
que je me suis présenté dans cette séance avec la volonté de vous présenter
toutes les explications que vous avez entendues. J’ai déféré à la demande que
l’assemblée m’avait transmise en vertu de la constitution. Mais je ferai
remarquer que la constitution n’astreint les ministres qu’à donner les
explications demandées et ne prescrit rien de plus ; la constitution ne dit pas
que le rapport contenant ces explications sera écrit ou verbal, ni qu’il sera
inséré dans le bulletin des pétitions.
Ainsi
la loi fondamentale n’oblige pas un ministre à donner des explications dans
telle ou telle forme, et je le répète, j’ai satisfait au vœu de la constitution
et à celui de la chambre. D’ailleurs si la religion de plusieurs honorables
membres n’est pas suffisamment éclairée, je déposerai les pièces sur le bureau,
afin que chacun puisse en prendre connaissance. Quant aux observations que j’ai
présentées sur la compétence du conseil de guerre d’Anvers, je ne les ai
données qu’à regret, parce que s’il n’entre pas dans l’intention de la chambre
d’incriminer ce que j’ai fait, les pétitionnaires m’accusent d’avoir interrompu
violemment le cours de la justice. Il était de mon honneur de répondre à ce
reproche, et je ne fais qu’user du droit de défense qui, pour un ministre comme
pour tout autre citoyen, est illimité. Du reste je ne m’oppose pas à ce qu’on
ordonne le dépôt des pièces au greffe.
M. C. Rodenbach. - Comme c’est moi qui ai soulevé la discussion, je déclare que je suis
entièrement satisfait des explications de M. le ministre.
M. Jullien. - Il est vrai que la constitution n’a pas dit quand
et comment devraient être données les explications que demande la chambre sur
une pétition, mais, notre règlement porte, dans son article 65, que trois jours
au moins avant la séance où le rapporteur de la commission doit être entendu,
un feuilleton indiquant le jour où le rapport sera fait, sera distribué aux
membres de la chambre. Or, n’est-il pas rationnel de suivre cette marche pour
les rapports concernant les pétitions qui doivent nous être faits par les
ministres ?
Il ne faut pas que ces renseignements nous viennent à
l’improviste, et quand la question n’est pas à l’ordre du jour. Du reste, je
n’empêche pas que l’on donne acte à M. le ministre du dépôt des pièces qu’il
fera sur le bureau, mais au moins que l’on ajourne la discussion, pour que la
chambre ait le temps de prendre une connaissance suffisante de l’objet dont il
s’agit, et de se former une opinion, ce qu’elle n’a pu faire au moyen des
explications verbales qu’elle a entendues.
M. Milcamps. - Messieurs, j’ai été rapporteur de la commission
des pétitions sur celle dont il s’agit, et je me rappelle très bien quel en
était l’objet.
Elle tendait uniquement ce que la chambre demandât des
explications au ministre de la justice sur le fait d’enlèvement de pièces.
Les explications ont été données aujourd’hui par le
ministre de la justice ; et, d’après ces explications, le gouvernement est
disposé à prendre les mesures nécessaires pour que le conseil de guerre
permanent soit légalement constitué et qu’il soit donné suite à la procédure
commencée.
Sur ce point il me semble que les explications sont
très satisfaisantes.
D’un autre côté, le conseil de guerre a demandé qu’on
prît des mesures afin de faire cesser l’état de choses sur le fait dénoncé ; eh
bien ! cela tendait simplement au renvoi des pièces, et le ministre vient de
dire que cela aurait lieu incessamment.
Il me semble qu’il n’y a rien à discuter. Nous n’avons
aucune juridiction sur les tribunaux ; tout ce que nous pouvons faire c’est de
prendre les mesures nécessaires le plus promptement.
M. H. de Brouckere. - Je croyais que l’on voulait demander la clôture de
la discussion, qui ne peut conduire à aucun résultat.
Je vous avoue que j’aime ordinairement à appuyer
l’opinion de l’honorable M. Jullien ; mais je ne vois dans quel but on fixerait
uns jour pour délibérer sur le rapport du ministre de la justice ; nous n’avons
aucune décision à prendre sur ce rapport.
La chambre a ordonné le renvoi de la pétition avec
demande d’explications au ministre de la justice ; les explications sont
données.
Ces explications ont un seul but, c’est de mettre les
membres à même de faire les propositions qu’ils jugeront convenables.
M. Fallon. - C’est dans le même sens que je voulais parler. Il
n’y a pas lieu à discussion. Je ne sais pas ce qui pourrait être en discussion.
On a entendu les explications du ministre. Si un membre croit devoir faire une
proposition, qu’il la fasse.
M. d’Elhoungne. - Je partage l’opinion des deux préopinants. Tout ce
que nous avons à faire, c’est de demander le dépôt du rapport du ministre au
bureau des renseignements. (La clôture !
la clôture !)
M. Dumortier.
- Je demande la parole contre la clôture. Je conçois que ceux qui sont
satisfaits des explications de M. le ministre de la justice demandent la
clôture ; mais il doit en être autrement de ceux qui ne sont pas satisfaits. Il
ne suffit pas que le ministre donne des explications quelconques ; des
explications qui seraient borgnes ne peuvent suffire. J’ai des éclaircissements
à donner. Il y a deux affaires connexes dans la question ; celle de Claessens
et celle de Vanderschrick. Je demande que la discussion suive son cours.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - Je me joins à
l’honorable préopinant pour que la clôture ne soit pas prononcée. Je suis
disposé à entrer dans d’autres explications à l’occasion de la pétition du
sieur Vanderschrick. Je serais fâché qu’on crût que le ministre verrait avec
plaisir qu’on étouffât cette discussion. Cependant je ne persiste pas moins à
dire que lorsque j’aurai donné des explications, j’aurai satisfait au vœu de la
constitution. La constitution ne prescrit même pas au ministre de faire un
rapport écrit ; elle est muette sur la forme de ces explications qui ne peuvent
amener aucune délibération de la chambre. Si les explications signalaient un
vice de la législation, une conduite irrégulière de l’administration, il y
aurait lieu à faire une proposition à la chambre ; mais les explications
elles-mêmes ne peuvent être l’objet d’un vote.
- La chambre consultée décide que la discussion
continuera.
M. Jullien.
- Ma motion d’ordre tendait à renvoyer toutes les explications à une autre
séance, parce que ces explications auraient dû être annoncées, auraient dû être
à l’ordre du jour. Puisqu’on demande de nouvelles explications, je pense qu’il
faut continuer. M. Dumortier a annoncé de nouveaux éclaircissements, je
l’invite à les présenter. Le droit de pétition serait dérisoire, si tout était
fini par des explications. Quand on nous adresse des pétitions, c’est pour
avoir justice, c’est pour redresser des griefs.
M. d’Elhoungne. La question actuelle se résume en peu de mots. De
quoi s’agit-il ? D’une pétition adressée à la chambre et sur laquelle la
chambre a demandé des explications au ministre. Le ministre aurait pu donner
les explications par écrit, et alors il n’y aurait pas en discussion ; il a
donné des explications verbales, ce qui n’en change pas la nature, et ne doit
pas non plus entrer en discussion. Cette discussion n’est d’ailleurs pas à
l’ordre du jour. Si quelqu’un a des explications nouvelles à demander, il doit
le faire connaître. Nous perdons notre temps en nous occupant d’un objet qui n’est
pas à l’ordre du jour.
M. Dumortier.
- J’ai plusieurs fois dit à l’assemblée que j’avais des explications à demander
au ministre de la justice. Je ne suis pas satisfait de celles qu’il vient de
donner. Elles ne touchent qu’un seul point de la question ; il y a un autre
point important ; c’est de savoir jusqu’à quel point le gouvernement a le droit
de retirer les pièces d’un procès, de retarder les poursuites faites. Ce point
est grave. Quant à l’affaire dont il s’agit, je vais vous rapporter
sommairement les faits tels qu’ils se sont passés.
Vanderschrick est, à Anvers, un fraudeur de
profession. Il avait demandé au colonel Buzen la permission de se rendre à la
frontière hollandaise ; mais le brave colonel ayant su que ce Vanderschrick
introduisait en Belgique des lettres en cachette, refusa l’autorisation.
Un paquet de lettres fut arrêté à la porte d’Anvers :
le délit de contravention aux règlements de la poste ayant été constaté par
l’administrateur des postes, le paquet fut remis au colonel Buzen. Dans le
paquet on en trouve un autre portant un numéro et comprenant une lettre écrite
en chiffres. Ce fait, dans la situation d’Anvers, est extrêmement grave.
Vandenschrickt déclare que ce paquet s’adresse à un certain individu important,
lequel, attendu son état, ne pouvait avoir de relations avec la Hollande ;
celui-ci en indique un troisième qui ne sait pas la langue française :
cependant la lettre en chiffres renferme des expressions françaises.
La pétition de Vanderschrick tend à incriminer la
conduite du colonel Buzen ; ces faits doivent le justifier.
L’autorité militaire, trouvant un espionnage évident
dans ces menées, fait emprisonner les trois individus. Le conseil de guerre
permanent s’assemble pour juger l’affaire ; mais une lettre du ministre de la
justice arrive qui demande la remise des pièces et le renvoi de l’affaire à
quinzaine.
Que fait l’auditeur du conseil permanent ? Il envoie
chercher les pièces chez le sous-auditeur, et lorsque, le lendemain, le conseil
est réuni, on lui dit : Vous n’avez rien à juger. Les orangistes se réjouissent
de ce qu’on arrête les poursuites contre les agents de la Hollande. Le conseil
de guerre décerne un mandat d’amener contre le sous-auditeur qui avait remis
les pièces. On prétend que son élargissement a été régulier ; voici une lettre
qui fait élever des doutes sur cette régularité.
« Ministère de la guerre, Bruxelles, le 15
novembre 1832
« A M. le colonel Buzen, commandant supérieur de
la place d’Anvers
« M. le colonel,
« Je vous préviens que, sur le rapport e M. le
ministre de la justice, le Roi a décidé en conseil que M. l’auditeur Claessens,
qui n’est justiciable que de la haute cour militaire et qui a été arrêté par un
acte émané du conseil de guerre permanent de la première division, serait remis
sur-le-champ en liberté, et que M. l’auditeur général se rendrait immédiatement
à Anvers, pour informer sur cette arrestation.
« Je vous prescris en
conséquence, en vertu des pouvoirs dont vous êtes revêtu, d’ordonner à
l’autorité qui a fait exécuter cette arrestation illégale, de remettre
sur-le-champ M. Claessens en liberté et de me rendre compte de la prompte
exécution du présent ordre.
« Le ministre directeur de la guerre,
« Signé, baron Evain. »
Ainsi, messieurs, M. le ministre a ordonné au conseil
permanent de se rasseoir de nouveau pour ordonner l’élargissement. Cette mesure
passe toutes les bornes imaginables. Cet ordre, donné à une autorité
judiciaire, de rendre un jugement contraire à sa première décision, doit vous
sembler mériter des explications de la part du ministre de la justice C’est sur
quoi je l’interpelle. Ce ministre arrête les poursuites dirigées contre M.
Vanderschrick.
Ceci doit vous rappeler que le gouvernement a aussi
ordonné l’anéantissement des poursuites dirigées contre la bande Tornaco. Ces
deux faits méritent bien qu’on les justifie.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau).- J’avoue que le langage du préopinant me surprend
beaucoup. Comment ! Un homme est sous le poids d’une accusation capitale, et
l’on vient transformer la chambre en corps judiciaire ! On vient développer
devant elle un long réquisitoire dans lequel on ne craint pas d’avancer, avant
que la justice ait fait connaître sa décision, qu’il y a espionnage évident !
Ne craignez-vous pas d’influencer la justice !
Vous déclarez qu’il y a espionnage ? Il y a ici
interversion des pouvoirs ; il y a empiétement sur l’autorité de ceux que les
lois ont investis, du droit de déceler s’il y a crime ou non. Les paroles
émanées de la représentation nationale sur ce point pourraient avoir une
influence fatale sur le sort d’un homme que vous n’avez pas entendu, que vous
n’avez pas le droit d’entendre.
Il m’est interdit, messieurs, de donner des
explications à l’orateur ; c’est au conseil permanent devant lequel sera portée
l’accusation à voir s’il y a eu crime ou non.
Il n’est pas toujours besoin
d’une décision judiciaire pour requérir la mise en liberté d’un homme qui, aux
yeux, du ministère public, est détenu arbitrairement : telle était, selon nous,
la position de M. Claesses. Quant à la lettre de M. le ministre de la guerre,
elle n’avait pour but que de réclamer au besoin le concours du commandant de la
province pour l’exécution des ordres donnés à M. l’auditeur-général.
Je pense que l’honorable préopinant ne m’a pas
compris. L’intention du gouvernement n’était pas de faite cesser le cours de la
justice. Le gouvernement voulait un délai, et il a invoqué les pouvoirs légaux
qu’a l’auditeur-général pour élever, le cas échéant, un conflit : il n’y a eu
de la part du gouvernement que de la prudence et de l’humanité. On allait
procéder au jugement, le gouvernement est au même instant saisi d’une question
importante de compétence ; il fait remettre la cause pour s’éclairer sur la
question ; il veut que le ministre de la justice prenne connaissance du
dossier. Si l’auditeur militaire a méconnu les intentions du ministre de la
justice, je n’ai pas prétendu soutenir qu’il ait agi régulièrement ; dans ce
cas le ministre de la justice n’est pas le complice des torts de l’auditeur
militaire.
M. Gendebien.
- Je ne veux pas rentrer dans la discussion. Je veux relever une doctrine émise
un peu légèrement par le ministre de la justice. Il a dit que tout officier du
parquet avait droit de faire élargir...
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - De requérir l’élargissement.
M. Gendebien. - De faire élargir, c’est le mot dont il s’est servi
et que lui, ministre, en sa qualité de chef du parquet, il avait le droit
d’ordonner l’élargissement : il y a là deux propositions dangereuses.
Les officiers du
parquet peuvent poursuivre ; ils peuvent se désister de leurs poursuites, sans
dessaisir le juge qui, seul, termine le procès dont il est saisi ; mais ils
n’ont pas d’autre droit, et le ministre n’a pas plus de droit qu’eux ; ce n’est
pas le conseil que le ministre a requis d’élargir le sieur Claessens, mais
l’auditeur-général qui a agi sans le conseil de guerre.
Une autre question, c’est de savoir si le ministre de
la justice a droit de donner des ordres aux officiers du parquet. A coup sûr,
il n’a pas celui d’arrêter les poursuites, ni d’ordonner, ni de requérir
directement l’élargissement.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je prie la chambre de jeter les yeux sur le code
d’instruction criminelle ; elle y verra que tout individu détenu arbitrairement
doit être mis sur-le-champ en liberté, et que c’est un devoir pour les
officiers du ministère public de requérir cet élargissement.
M. H. de Brouckere. - Quand j’entends soutenir des doctrines aussi
subversives de tout ordre public, de toute liberté, je dois rompre le silence.
L’article cité est relatif à ceux qui détiennent
arbitrairement qui n’ont pas caractère pour détenir ou ordonner une détention.
Il y a une grande différence entre une arrestation arbitraire
commise par un individu sans qualité, ou un mandat décerné par l’autorité
judiciaire.
Supposez qu’un membre d’une cour judiciaire soit
arrêté sur le mandat d’un juge d’instruction ; le voilà bien évidemment arrêté
en vertu d’un mandat illégal, d’un mandat d’un juge incompétent ; eh bien !
croyez-vous que le ministre de la justice puisse ordonner au procureur du roi
de mettre en liberté le membre de la cour arrêté ? Non : c’est aux tribunaux à
le mettre en liberté. Ni le ministre, ni aucun officier ministériel ne peut
annuler la décision, d’une autorité quelconque.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - Si on
n’isolait pas mes premières explications de celles dans lesquelles je viens
d’entrer, on s’épargnerait la peine de faire ressortir l’espèce d’hérésie dans
laquelle on croit que je suis tombé. J’ai dit que le conseil d’Anvers avait
perdu, à mes yeux, son caractère de légalité par les modifications introduites
dans son personnel. Je déclare que c’est mon opinion et que je ne puis en
changer. Je ne reconnais pas au conseil permanent le caractère de légalité
devant lequel j’aurais dû m’arrêter. Vous ne croirez pas qu’un homme qui a
blanchi dans l’étude des lois militaires, que M. l’auditeur-général ait aussi
violé, à plaisir, des règles aussi simples ; c’est M. l’auditeur-général,
lui-même, qui a fait procéder à l’élargissement du sous-auditeur.
M. Dumortier.
- Je suis vraiment étonné que M. le ministre de la justice me fasse un crime
d’avoir trouvé de l’espionnage dans les faits relatifs à Vanderschrick, lorsque
lui, ministre, trouve qu’un corps a agi illégalement. J’ai émis mon opinion, et
les reproches du ministre ne tombent sur rien.
L’élargissement, dit-on, a été
complétement légal, parce que c’est l’auditeur-général qui l’a ordonné : mais,
au lieu de cette explication, il fallait justifier l’ordre donné par un
ministre, à un conseil de guerre, de s’assembler et de décider contrairement à
sa première décision.
Je demande aussi des explications sur l’affaire
Tornaco ; je ne veux pas que le gouvernement abuse de son influence.
Il y a encore un acte signé Prisse, dans lequel le
gouvernement s’engage à punir les hommes qui ont arrêté les individus de la
bande Tornaco, et par conséquent à punir l’honorable membre de cette assemblée,
qui siège là, devant moi, et qui a ordonné l’arrestation de M. Pescatore. Je
demande des explications sur trois choses :
1° Sur l’ordre donné au conseil de guerre de se
déjuger ; 2° Sur l’affaire Tornaco ; 3° Sur les engagements pris de punir les
citoyens qui ont pris part à l’arrestation de M. Pescatore et des individus de
la bande Tornaco.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - Jamais le
gouvernement n’a pris des engagements qu’on signale. Dans les pièces relatives
à l’affaire Tornaco, il n’y a rien qui ressemble à la lâche condescendance
qu’on veut reprocher à l’administration. Je ne suis pas préparé sur l’affaire
Tornaco ; cette affaire a été traitée diplomatiquement. C’est au ministre des
affaires étrangères à donner des explications sur ce point ; et je prends en
son nom l’engagement qu’il les fournira. Je proteste d’avance contre les
intentions prêtées au gouvernement, d’avoir jamais consenti à des conditions
déshonorantes pour le pays afin d’obtenir l’élargissement de M. Thorn.
M. Jullien. - Voilà l’inconvénient des discussions improvisées.
Je relèverai une erreur infiniment grave, émise par le ministre de la justice.
Il est obligé de convenir que dès l’instant qu’un individu est arrêté, et qu’il
est mis entre les mains de la justice, les officiers du parquet et le ministre
de la justice, leur chef, n’ont pas d’autre droit que de requérir, près des
tribunaux, ou bien la mise en liberté de l’individu, ou bien son renvoi devant
un tribunal ordinaire ou extraordinaire. Un ministre de la justice est obligé
de convenir de ces principes, surtout quand il a l’honneur d’être avocat. Mais
ajoute le ministre, le conseil de guerre n’est pas légal. Comment ! parce que
vous, ministre, vous pensez, vous opinez, que l’introduction de tel ou tel
membre dans un tribunal rend ce tribunal illégal, vous prenez le droit
extraordinaire de déclarer l’illégalité du tribunal ; mais, par des
considérations semblables, on peut déclarer l’illégalité de tous les tribunaux,
de toutes les cours, et agir comme si les cours et tribunaux n’existaient pas.
Le conseil est illégal ; c’est cela qui l’empêche de juger, et cependant : les
prévenus sont encore en prison !
Si le conseil est illégal, il faut procéder à son
remplacement pour que le cours de la justice ne soit pas interrompu. Je demande
pourquoi le conseil étant illégal il existe encore ?
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - Je ne croyais
pas avoir été si mal compris par l’honorable préopinant. J’ai déduit les motifs
qui avaient empêché de procéder à la composition du nouveau conseil : pendant
trois semaines il n’y a pas eu de ministère ; depuis, le chef de l’Etat a été
absent ; ainsi il y avait force majeure pour empêcher la formation du conseil.
J’ai annoncé que le premier soin du ministre serait la réforme de ce conseil.
M. Gendebien.
- Pour s’excuser de l’hérésie qu’il avait avancée, le ministre a dit qu’il
avait ordonné l’élargissement de M. Claessens ; je demande pourquoi, le même
jour, le ministre n’a pas réorganisé le conseil : on peut dire au ministre :
Vous avez fait ce que vous ne deviez pas faire et vous n’avez pas fait ce que
vous deviez faire.
- La chambre consultée ferme cette discussion.
L’ordre du jour est un rapport de la commission des
pétitions.
M. Milcamps, premier rapporteur, a la parole. « Par pétition en date du 29 novembre
1832, 49 avocats du barreau de Bruxelles demandent l’abrogation de l’article 3
de la loi d’organisation judiciaire instituant des avocats ministériels à la
cour de cassation. »
La commission propose le renvoi du mémoire à M. le
ministre de la justice et le dépôt au bureau des renseignements.
Les avocats du barreau de Bruxelles demandent que vous
proposiez au pouvoir législatif l’abrogation ou la modification de l’article 31
de la loi du 4 août 1832.
La proposition d’abroger une disposition de loi est
facilement comprise. Mais celle de la modifier a besoin d’explications.
De là, pour le rapporteur de votre commission,
l’obligation d’entrer dans quelques détails.
Vous savez, messieurs, que l’article 31 de la loi du 4
août 132 établit près la cour de cassation des officiers ministériels portant
le titre d’avocats, ayant le droit de plaider, et exclusivement celui de
postuler et de prendre des conclusions, et que ce même article permet aux
avocats des cours d’appel seulement de plaider devant la cour de cassation.
C’est contre cette disposition qui attribue aux
officiers ministériels, portant le titre d’avocats, le droit de plaider, et
exclusivement celui de postuler, que les pétitionnaires réclament.
Ils prétendent que cette institution est inutile, onéreuse
aux parties ; qu’elle compromet le titre d’avocats, et crée un privilège.
« Elle est inutile. » Le règlement de 1815
n’exigeait que la signature de l’avocat. Lorsque le demandeur a fait signifier,
par un huissier son pourvoi, rien n’empêche son adversaire de lui notifier
directement et par la même voie son mémoire de réponse. Dans les débats
l’avocat plaidant a seul un rôle actif, les conclusions qu’il prend sont celles
du mémoire. Pourquoi ne signerait-il pas les conclusions d’audience ? Les
qualités, après l’arrêt rendu, peuvent être signifiées dans la même forme que
le mémoire.
« Elle est onéreuse aux parties, » en ce que
la création des avoués ministériels, par la loi du 4 août 1832, multipliant les
écrits sans nécessité, occasionne des frais sans objet, et rend souvent l’accès
de la justice impossible. Cette création était donc une erreur fatale aux
parties qui avaient à réclamer les arrêts de la magistrature suprême. Cette
erreur, disent les pétitionnaires, est facile à réparer aujourd’hui que ces nouvelles
fonctions ne sont pas encore conférées ; mais ici, messieurs, je dois faire
remarquer que depuis la rédaction ou la présentation de la pétition, la loi du
4 août 1832 a reçu son exécution.
« Elle compromet le titre d’avocat » en le
donnant aux officiers ministériels établis près la cour de cassation. Comment
concilier la noble indépendance de l’avocat avec un office onéreux et inutile
et qu’il faudra solliciter ?
« Elle crée un privilège. » Dans le plus
grand nombre de causes, l’officier ministériel privilégié sera chargé de
postuler et de plaider, ainsi renaîtra l’abus qui sous le gouvernement
précédent était résulté de l’introduction et de l’emploi d’une langue peu
familière à plusieurs, et inconnue à quelques-uns des membres du barreau ; et à
cette occasion les pétitionnaires font remarquer que la cour d’appel, appelée à
donner son avis sur le projet de loi, s’est expliquée avec énergie contre
l’introduction en Belgique du monopole et du privilège exclusif qui existe à la
cour de cassation de France, par l’établissement d’un corps d’avocats
spécialement attachés à cette cour.
Ce sont là, messieurs, les principales et seulement
les principales considérations que les pétitionnaires font valoir à l’appui de
leur demande qu’il termine ainsi :
« S’il fallait des avoués devant la cour de
cassation comme il en existe pour les cours d’appel, que chacun reste à sa
place, et dans son grade ; que l’avocat exerce sa haute mission, que le
procureur remplisse son office. »
Lors de l’examen de cette pétition par votre
commission, on a demandé si le rapport qui en serait fait à la chambre
présenterait le résumé exact de tous les motifs allégués pour l’abrogation ou
la modification de la loi, et dans l’affirmative, si le rapport présenterait
également les motifs qui pouvaient militer en faveur du maintien de la loi. La
première question ayant été résolue négativement, votre commission a fait un
devoir à son rapporteur de se borner à l’analyse de la pétition ; et attendu
que cette pétition est adressée à la chambre comme élément d’une proposition de
loi ; que l’initiative de proposition de loi appartient au gouvernement et à
chacun des membres de cette assemblée, votre commission a pensé que c’était le
cas de renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice et d’en ordonner le
dépôt au bureau des renseignements. Et telles sont, messieurs, les conclusions
qu’au nom de la commission j’ai l’honneur de vous proposer.
M. d’Elhoungne. - Je demanderai l’impression du rapport.
M. Jullien
et d’autres
membres. - Il sera imprimé au Moniteur !
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Milcamps, rapporteur. - « Par pétition en date du 12 novembre 1832,
le sieur Van der Hoost, aspirant au notariat, soumet des observations à la
chambre sur la nécessité d’apporter des changements ou des modifications aux
lois existantes concernant le notariat. »
Le pétitionnaire signale que les examens des aspirants
au notariat ne sont que de vaines formalités : qu’on accorde des certificats de
capacité à l’ignorance, tandis qu’on les refuse à la capacité.
Il voudrait que les notaires fussent placés sur la
même ligne que les médecins, les chirurgiens et les avocats. Le notariat étant
une science comme l’est la médecine, le notaire de même que le médecin ne
devrait être soumis à aucune obligation, telle que celle d’être nommé par le
Roi, d’exercer dans tel ressort plutôt que dans tel autre.
Après quelques observations de cette nature, il formule
quelques dispositions qui se rattachent à son système et il vous les présente,
messieurs, pour que vous en fassiez la proposition d’une loi. Votre commission
m’a chargé, messieurs, de vous proposer le dépôt de cette pièce au bureau des
renseignements.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Milcamps, rapporteur. - « Par pétition en date du 21 courant, les
avoués près la cour d’appel de Bruxelles réclament une modification à la loi du
4 août 1832, article 31, en ce sens qu’il soit établi près la cour de cassation
des officiers ministériels portant le titre d’avoués, et que les avocats près
la cour d’appel de Bruxelles soient autorisés à remplir les fonctions
d’officiers ministériels devant la cour de cassation. »
Messieurs, les avoués près la cour d’appel de
Bruxelles réclament des modifications à l’article 31 de la loi du 4 août 1832,
en ce sens qu’il soit établi près la cour de cassation des officiers
ministériels portant le titre d’avoués, ayant le droit exclusif de postuler et
de conclure, et que les avoués actuellement attachés à la cour d’appel de
Bruxelles soient autorisés à exercer les mêmes fonctions devant la cour de
cassation.
Ainsi, au lieu d’officiers ministériels portant le
titre d’avocats ayant le droit de postuler et de plaider, qu’institue l’article
31 de la loi du 4 août 1832, on établirait des officiers ministériels portant
le titre d’avoués ayant le droit de postuler seulement.
La nécessité, disent les pétitionnaires, d’établir,
près ces cours et ces tribunaux, des officiers ministériels qui, ayant
exclusivement le droit de postuler et de conclure, a été sentie de tout temps.
En abandonnant la postulation à des avoués, l’avocat
n’est pas détourné de l’application qu’il doit à l’étude de la cause ; on
ferait cesser la division qui se manifeste entre les avocats du barreau de
Bruxelles et ceux de la cour de cassation.
En autorisant les avoués attachés actuellement à la
cour d’appel à postuler et à conclure devant la cour de cassation, on les
dédommagerait des pertes qu’ils éprouvent par l’établissement d’une troisième
cour, celle de Gand.
Tels sont les principaux motifs que les pétitionnaires
font valoir à l’appui de cette demande.
Votre commission, qui a examiné cette pétition, m’a
chargé de vous en proposer le renvoi à M. le ministre de la justice et d’en
ordonner le dépôt au bureau des renseignements ; c’est à quoi je conclus.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
_______________
M. Milcamps, rapporteur. - « Par pétition en date du 23 courant, le
sieur A. Roest, écrivain, né à Bergeyck, Brabant septentrional, et habitant
Turnhout depuis 6 ans, demande sa naturalisation avec dispense des
frais. »
La commission conclut au renvoi du mémoire à la
commission dite des naturalisations.
- Ces
conclusions sont adoptées.
_______________
M. Poschet, deuxième rapporteur, est appelé à la tribune. - « Par pétition non
datée, le sieur N. Welter, à Rollingen (Grand-Duché), demande que le tribunal
de Termonde délivre copie du procès-verbal d’accusation à sa charge. »
Comme le pétitionnaire n’expose pas les motifs de sa
demande, la commission propose l’ordre du jour.
Adopté.
M. Poschet, rapporteur. - « Par pétition en date du 10 novembre 1832, trois fabricants
d’huile et marchands de tourteaux à Wervicq demandent la libre circulation des
tourteaux de graines oléagineuses. »
La commission conclut au renvoi du mémoire à M. le ministre
des finances.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, en juin dernier, les cultivateurs de Reckem adressèrent à
la chambre une pétition sur les tourteaux. D’autres communes signalèrent, comme
Werwicq, les abus sur la circulation des tourteaux de graines oléagineuses ; en
effet, il est absurde d’exiger des acquits-à-caution pour le transport de
ce résidu dans les fermes. On a également demandé une diminution sur la taxe
des droits d’entrée. Ni le ministre des finances, ni la commission d’industrie
ne s’en sont occupés. Cette branche d’industrie agricole mérite cependant un
examen attentif. Souvent la douane oblige le voiturier à décharger les
tourteaux. On les compte cinq à la fois. Remarquez, messieurs, qu’on en charge
par milliers sur un chariot.
Il s’ensuit que les laboureurs sont bien souvent
retenus une demi-journée, et cela pour ne donner au fisc que quelques florins ;
car je pense que le droit ne s’élève tout au plus qu’à 50 cents par 100 livres.
Du reste, je crois que les tourteaux ne devraient
point payer de droits. On s’en occupera, sans doute, lors de la présentation du
nouveau tarif des douanes. C’est un engrais nécessaire à la culture du lin, et
depuis qu’on a détruit les distilleries agricoles, l’engrais est excessivement
cher dans quelques provinces. Outre cela, les tourteaux servent aussi à
engraisser les bestiaux.
En conséquence, je demande le renvoi de la requête au
ministère des finances et à la commission d’industrie.
Si
j’ai bonne mémoire, l’honorable rapporteur, M. Poschet, dans la précédente
session, a été chargé par la commission d’industrie de faire un rapport sur les
tourteaux. Je dois supposer que les grands travaux de la chambre seuls l’en ont
empêché.
Je le prie instamment de ne point négliger ce rapport dans
la session actuelle.
Ce projet, qui en apparence n’est que minime, doit
être mûrement examiné.
M. Poschet. - Ce ne sont pas mes grandes occupations qui m’ont
empêché de présenter ce travail ; ce sont les grandes occupations de la chambre
qui l’ont empêchée de m’écouter.
M. d’Elhoungne. - Quand on aura fourni les renseignements
nécessaires, on l’enverra à la commission d’industrie.
M. Angillis. - J’appuierai la proposition de M. Rodenbach. Cette pétition n’est pas
dans un intérêt particulier ; elle est rédigée dans l’intérêt de l’agriculture.
En Flandre les tourteaux sont indispensables ; cependant les quatre cinquièmes
de ce qu’il en faudrait manquent ; on le sait en France, et on empêche de les
laisser entrer. L’agriculture réclame avec justice la protection des
représentants de la nation, car elle est la base de la prospérité nationale.
Plus tard je m’expliquerai avec plus de développement ; je demande le renvoi de
la pétition à la commission d’agriculture.
M. Davignon. - L’objet de la pétition est d’une haute portée ;
ceci touche à la révision des tarifs de douane.
M. Meeus. - Je ne
saurais admettre ce que l’on vient de dire. Si l’agriculture éprouve un
véritable dommage, je crois qu’il faut renvoyer la pétition à la commission.
M. Poschet
appuie aussi ce renvoi comme député.
M. d’Elhoungne. - Je partage tout à fait l’avis des préopinants, mais pour que la
commission d’industrie puisse vous présenter un travail satisfaisant, il faut
qu’elle se soit procuré préalablement des renseignements qui servent de base à
ce travail. Je demande donc le renvoi au ministre des finances pour qu’il
fournisse à cette commission les renseignements dont elle a besoin.
- Le double renvoi est ordonné.
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur Lucie Diedacus demande son exemption du service dans
le premier ban mobilisé, où il s’était engagé volontairement. »
Conclusions de la commission : ordre du jour.
M. le colonel Coppens. - Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si
le premier ban de la garde civique de Gand est en activité, oui ou non.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il me semble que M. Coppens est à même de répondre
plus pertinemment que moi à cette question. Je crois cependant que je puis le
faire affirmativement.
M. le colonel Coppens. - Je prie M. le ministre de l’intérieur de vouloir
nous dire si le premier ban de la ville de Gand est mis en activité et par quel
arrêté.
Que jusqu’à ce jour, ni le gouverneur de la province
de la Flandre orientale, ni le colonel commandant supérieur, ni l’autorité
communale n’ont reçu aucune communication de cet arrêté de mise en activité du
premier ban de cette ville.
Qu’en octobre 1831, M. le colonel Fleury-Duray, envoyé
à Gand par le ministre de la guerre, y a rassemblé quelques hommes qui étaient
censés faire partie du premier ban, et les a fait partir pour Nieuport, en leur
imposant des officiers et sous-officiers, contrairement au vœu de la loi, une
grande partie de ces hommes, croyant qu’on les faisait partir comme gardes
civiques du premier ban, et ne voyant pas arriver leurs frères d’armes et leurs
officiers, qu’ils avaient vivement réclamés, s’en retournèrent dans leurs
foyers ; plusieurs d’entre eux furent arrêtés et emprisonnés ; quelques-uns
furent même condamnés.
Je
prie donc M. le ministre de faire cesser cet état de choses, vu que les hommes
de bonne volonté sont ici ceux qui se trouvent punis et non les récalcitrants,
qui demeurent tranquillement chez eux et narguent les autres.
Il y a en outre un fait plus grave que ce dernier ;
des hommes exemptés antérieurement à leur départ par le comité de conservation
remplaçant les états-députés, furent arrêtés et emprisonnés, et leurs exemptions
déchirées.
M. Gendebien.
- Je demande le renvoi à M. le ministre de l’intérieur avec demande
d’explications.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne m’oppose nullement au renvoi demandé, je
l’appuierai même. Si l’irrégularité qu’on signale est vraie, c’est avec raison
qu’on réclame contre un pareil état de choses.
- Le renvoi au ministre de l’intérieur avec demande
d’explications est adopté.
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur B. Desmet, docteur en médecine, à Bruges, demande
l’autorisation, par dérogation à l’article 13 de la loi du 12 mars 1818,
d’exercer cumulativement la médecine et la chirurgie. »
- La commission propose le renvoi à M. le ministre de
l’intérieur et le dépôt au bureau des renseignements.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je suis toujours prêt à donner tous les
renseignements qu’on me demandera ; mais je voudrais savoir si l’on réclame
dans la pétition une simple mesure administrative ou bien un projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - S’il ne s’agit que d’une demande pour être autorisé
à exercer cumulativement la médecine et la chirurgie, autorisation qu’il est
dans le droit du gouvernement d’accorder, il me semble que ce n’est pas à la
chambre qu’elle devait être adressée ; la chambre ne peut intervenir par sa
décision qu’autant qu’on demanderait une modification à la loi.
M. Poschet.
- Le pétitionnaire demande l’un et l’autre.
- Le renvoi au ministre de l’intérieur est ordonné.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je m’aperçois que j’ai oublié de vous faire un
rapport sur une autre pétition, celle de M. Story de Richemont, qui avait reçu
l’ordre de la police de quitter la Belgique. On s’était fondé pour expédier cet
ordre sur les dispositions d’une loi qui, je pense, est de l’an VI.
J’ai reçu une réclamation de la part du sieur de
Richemont. Il s’agissait de savoir si cette loi de la république sur laquelle
la police s’était appuyée pouvait se concilier avec la législation postérieure
sur les passeports et les étrangers, et avec les dispositions de la
constitution. J’ai pensé que la question ne pouvait être tranchée si lestement,
et qu’elle devait appeler un examen approfondi ; dans le doute j’ai cru que le
provisoire devait être en faveur de la liberté individuelle, et j’ai fait
révoquer l’ordre. (Très bien !)
Depuis, j’ai reçu une lettre de M. de Richemont, qui m’annonce que le député
chargé de remettre et d’appuyer sa pétition, M. Pirson, je crois, avait été
invité par le pétitionnaire lui-même à la retirer.
M. Poschet, rapporteur. - « Les administrations des communes de Cruys-Hauthem, Huysse,
Nokere, etc., composant, avec la commune de Zulte, le canton judiciarte de Cruys-Hauthem,
Flandre orientale, demandent que ce canton fasse partie de l’arrondissement
judiciaire d’Audenaerde. »
Conclusions : dépôt au bureau des renseignements.
M. Dellafaille. - Messieurs, habitant de l’une des communes qui réclament votre
intervention, je crois devoir vous dire un mot à l’appui de la pétition qui
vous est soumise.
De tout temps les communes composant le canton de
Cruys-Hauthem ont ressorti de l’administration d Audenaerde. Il en fut ainsi
jusqu’à ce que l’organisation française du département de l’Escaut vînt, on ne
sait trop pourquoi, les placer dans l’arrondissement de Gand.
Conformément au vœu des habitants, le dernier
gouvernement répara cette erreur. Le canton de Cruys-Hauthem fut réuni au district
d’Audenarde pour la partie administrative. Il devait aussi rentrer sous le
ressort du tribunal de cette ville lors de l’organisation judiciaire que nous
avons inutilement attendue pendant quinze ans, et ce n’est que par le retard
mis à cette même organisation par le gouvernement hollandais qu’il se trouve
encore dépendant du tribunal de Gand.
Aujourd’hui qu’une nouvelle
circonscription administrative et judiciaire doit avoir lieu, les régences et
les habitants les plus notables de ces communes se sont adressés au
gouvernement et à vous, messieurs, pour obtenir de rester quant à
l’organisation administrative, et de rentrer, quant à l’organisation
judiciaire, sous le ressort de la ville d’Audenaerde, ainsi que le demandent la
proximité des lieux et la nature de leurs relations très fréquentes avec cette
ville et très rares avec celle de Gand.
Pour vous faire comprendre l’inconvénient qui est
résulté de ce changement, il suffira de vous dire que la commune la plus
rapprochée de Gand et la plus éloignée d’Audenaerde se trouve à près de quatre
lieues de la première de ces villes et seulement à une lieue et demie de la
seconde.
Répondant au vœu qui m’a été manifesté par les
pétitionnaires j’ai l’honneur, messieurs, de vous prier de vouloir bien faire
attention à cette requête, et j’appuie, en ce qui me concerne, les conclusions
de la commission.
M. Desmet.
- Messieurs, je dis avec l’honorable M. Dellafaille que la demande qui vous est
adressée par les habitants des communes de Cruys-Hauthem, Huysse et Nokere est
très fondée, et je dois l’appuyer ; ces communes ne sont distantes que d’une
petite lieue de la ville d’Audenarde, tandis qu’elles sont de plus de cinq
lieues de Gand, qui est actuellement le chef-lieu de leur arrondissement judiciaire
; il est donc tout à fait juste et raisonnable qu’elles demandent à faire
partie de l’arrondissement d’Audenarde.
Mais, messieurs, ce n’est pas dans ce canton seul
qu’on a signalé des défectuosités par rapport à la circonscription judiciaire
de la province de Flandre orientale ; cette province, qui déjà, et quoique la
plus grande du royaume, n’a que trois arrondissements judiciaires, tandis
qu’elle devrait nécessairement en avoir quatre, se trouve entièrement
défectueuse du chef de sa circonscription judiciaire ; dans les arrondissements
d’Audenarde et de Termonde, par exemple, il y a des communes qui sont à 8 et 9
lieues du chef-lieu de leur arrondissement judiciaire, tandis qu’on pourrait
tellement circonscrire les arrondissements de cette province que leurs rayons
respectifs ne dépassent guère les trois lieues et demie.
Cependant, messieurs, le pouvoir judiciaire restera
toujours mal organisé, si son action n’est pas tellement étendue sur la surface
du royaume, que, présent partout, il puisse être à la portée de tous les
citoyens, et ne soit jamais vainement imploré par aucun. Car, ce n’est pas
assez que la loi soit égale pour tous, afin que son influence soit
bienfaisante, il faut encore que tous puissent l’invoquer avec la même facilité
; on verrait recommencer la domination du fort sur le faible, et toutes les
conséquences fatales qu’elle entraîne.
Je demande donc, qu’outre le dépôt au bureau des
renseignements, la chambre daigne ordonner que la présente pétition soit
envoyée au ministre de la justice, et je prie M. le ministre de se rappeler et
prendre en considération la promesse qui a été faite, à la fin de la session
dernière, par son prédécesseur, notre honorable président, qui, au nom du
gouvernement, a solennellement assuré à la chambre, que, dans la présente
session, il aurait présenté un projet de nouvelle circonscription judiciaire
pour tout le royaume, et ce ne fut qu’après avoir pris acte de cette promesse,
que la chambre a voté la disposition de l’article 43 de la loi sur l’organisation
judiciaire. Je me flatte donc qu’on aura égard à la parole donnée par M. le
ministre de la justice d’alors, et que, dans ce cas-ci, l’attente de la nation
ne sera pas trompée ; car si dans les circonstances présentes, on a tant besoin
de l’union entre le gouvernement et la nation, certainement, le meilleur moyen
pour l’obtenir et la conserver, c’est de ne jamais froisser la foi sacrer des
promesses.
J’ai dit et demandé le double renvoi au ministre de la
justice et au bureau des renseignements.
- Le double renvoi est adopté.
_______________
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur Van Ruymbeke, chirurgien à Dixmude, demande la
remise de la médaille qui lui a été accordée en 1828 pour propagation de la
vaccine. »
Conclusions : Renvoi au ministre de l’intérieur.
- Adopté.
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur A. J. Poodts, d’Ostende, ex-tirailleur volontaire,
réclame l’intervention de la chambre pour obtenir un des emplois qu’il a
sollicités dans la marine ou aux finances. »
- Conclusions : Ordre du jour.
M. Levae.
- Dès les premiers jours de la révolution, le sieur Poodts a pris les armes
pour repousser l’ennemi, et plus tard il s’est mis dans les rangs des
volontaires. Ce serait un acte d’humanité que d’ordonner le renvoi à MM. les
ministres de la marine et des finances.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). - Si je ne me
trompe, messieurs, le sieur Poodts n’a pas pris une aussi grande part à la
révolution qu’on le dit. Il n’est pas de ceux qui ont offert dès les premiers
jours leur bras à la patrie, et sous ce rapport il n’a pas un aussi grand
mérite qu’eux ; ce n’est que plus tard qu’il s’est rangé sous les ordres du
général Niellon. Le gouvernement a toujours agi de préférence dans l’intérêt de
ceux qui ont véritablement servi la cause de la révolution. J’ai vu le
pétitionnaire et il n’a pu me fournir que des renseignements très incomplets
sur ses antécédents. Sa participation à la révolution n’a été que tardive,
comme je l’ai dit. Renvoyer la pétition à l’un ou l’autre des ministres, ce
serait faire croire qu’il y aurait eu à son égard une sorte de déni de justice,
ce qui n’est pas.
M. Gendebien. - Le sieur Poodts, messieurs, est une des nombreuses
victimes de la révolution : il n’a pas hésité à abandonner pour elle sa
position, et s’il n’a pas combattu à Bruxelles, il s’est mis dans les rangs des
volontaires avant la prise d’Anvers, et il n’en a couru que plus de danger, car
il est certain qu’il y avait alors un très grand danger. C’est un père de
famille qui a éprouvé de grands malheurs ; il travaillait dans une maison de
commerce d’Anvers. Avant le licenciement des volontaires, il était sergent
d’artillerie et il espérait devenir officier de cette arme. S’il n’a pas rendu
de plus grands services au pays, ce n’est pas de sa faute, c’est la faute de
ceux qui l’ont licencié. Toujours est-il qu’il a abandonné sa position et qu’il
est maintenant réduit à une extrême misère. Je crois donc qu’on peut renvoyer
sa pétition aux ministres des finances et de la marine, car depuis qu’on
m’avait promis de lui donner une place, on en a placé d’autres qui n’avaient
aucun titre si ce n’est de n’avoir pris aucune part au danger. Je ne pense pas
que ce renvoi signifiera qu’il y a eu déni de justice de la part du
gouvernement, mais ce sera un simple mémorandum qui lui rappellera la
réclamation d’un malheureux.
M. le ministre de la justice (M.
Lebeau). - Je suis loin
de vouloir écarter la réclamation du pétitionnaire ; je me suis moi-même rendu
auprès de M. le ministre de la marine et me suis efforcé de faire obtenir au
sieur Poodts la place de garde-magasin qu’il demandait. Mais il y a ici une
question, dont la chambre ne peut pas se départir. Il y a des demandes d’une
telle nature qu’elle ne peut pas s’en occuper, sous peine d’un double
inconvénient : d’abord de nuire à sa propre dignité et ensuite de porter
atteinte à la part du pouvoir qui est conféré au gouvernement, à cette
prérogative constitutionnelle qui lui donne la collation des emplois.
Evidemment ici la chambre n’est pas compétente, et quelle que soit sa décision,
elle ne peut que nuire à sa dignité ou s’attaquer à la prérogative du gouvernement.
Cette observation n’est pas faite du tout pour que la pétition ne soit pas
prise en considération. J’ai déjà appuyé la réclamation du sieur Poodts, ainsi
que je l’ai dit tout à l’heure.
M. A. Rodenbach. - Je conçois bien qu’il y ait une question de
principe à laquelle nous devons faire attention, mais il est d’usage dans
différents départements de ne pas recevoir les malheureux…
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Quels sont ces départements ?
M. A. Rodenbach. - Je parle du ministère des finances. Ne m’interrompez pas M. le
ministre ; j’ai le droit de parler, et vingt ministres ne pourraient pas
m’empêcher de continuer. Je traiterai maintenant la question d’une autre
manière. Il existe un arrêté de M. Ch. de Brouckere, je crois, d’après lequel
les hommes qui ont servi la patrie, ont droit de préférence à tout autre, à des
emplois. Or, l’homme dont il est question a été plus de vingt fois au ministère
et toujours il a été repoussé. Quant à moi je ne le connais pas, mais je l’ai
reçu chez moi, parce qu’il était malheureux. Il me semble qu’on aurait pu lui
accorder une petite place dans les douanes. J’ai reçu sur son compte les
certificats les plus honorables.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). - Je pense que
les membres qui composent actuellement le ministère n’ont pas besoin de leçons
d’humanité ou de patriotisme. Il se trouve que la personne à laquelle on fait allusion
a été reçue par M. le ministre de la justice et par moi-même. Je ne sais si on
lui a fermé les portes d’un autre ministère, mais je pense qu’introduit dans
deux départements, il n’avait pas le droit de se plaindre.
Il existe en effet un arrêté bienfaisant pris sous le
régent en faveur de ceux qui ont bien mérité du pays, et qui leur donne la
préférence pour être admis à certains emplois ; mais le sieur Poodts, à cause
de son âge, n’est plus capable de remplir ces emplois. Si l’honorable membre le
connaissait bien, il aurait pu remarquer qu’il ne saurait occuper la place de
douanier dont il a parlé. C’est ce qu’il m’a déclaré lui-même.
Je suis fâché que le département des finances ne soit
pas représenté ici dans ce moment par le chef qui le dirige ; je suis persuadé
que si M. le ministre des finances eût été présent, il aurait repoussé les
assertions peu bienveillantes qu’on a insinuées contre lui.
M. Gendebien.
- Je crois devoir faire remarquer que le mot incompétent est trop rigoureux
quand il s’agit d’exclure le malheureux ; quand ce citoyen s’est présenté au
danger à Anvers, on n’a pas alors allégué l’incompétence. C’est depuis que l’on
s’est écarté si fort de la révolution que l’on parle d’incompétence. Nous
sommes incompétents pour donner des places ! Gardons-nous, messieurs, de
repousser le malheur par des fins de non-recevoir. Comment manquerions-nous à
la dignité de la chambre, en recommandant un homme qui s’est exposé, qui a fait
le plus grand sacrifice pour son pays, celui de sa vie ? Nous ne lançons pas
une injonction au ministre ; nous demandons un simple renvoi pour servir de
mémoire : le ministre pourra encore prononcer. Il n’y a point là
d’incompétence, point de justice compromise ; il y a un acte d’humanité. Voilà
ce que l’on demande à la chambre.
- L’ordre du jour proposé par la commission est
rejeté.
La chambre ordonne le renvoi de la pétition au
département de la marine et à M. le ministre des finances.
La séance est levée à quatre heures.