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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 11
juillet 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à
la chambre
2) Motion d’ordre relative à l’état des négociations diplomatiques ((+liberté
de navigation sur l’Escaut) Osy, de
Haerne, de Theux, Osy, Dewitte, Lebeau, de
Theux, d’Elhoungne, Osy, Raikem)
3) Projet de loi fixant le traitement des membres de l’ordre judiciaire.
Traitements du personnel des cours d’appel (Delehaye, Goethals, Polfvliet, Barthélemy, A. Rodenbach, Gendebien, Delehaye, Destouvelles, Gendebien, Milcamps, Lebeau, A. Rodenbach, Dumortier, Pirmez), classification et traitements du personnel des
tribunaux de première instance (Liedts, Dellafaille, Barthélemy, Delehaye, Verdussen, Liedts, Destouvelles, Helias d’Huddeghem), entrée en vigueur de la loi (A. Rodenbach, Lebeau, Mary, Taintenier, Legrelle, Bourgeois, Mary, Dubus, Dewitte,
Bourgeois, Dubus, Destouvelles, Mary, Lebeau, Dubus, Taintenier,
Lebeau)
4) Motion d’ordre relative à l’état des négociations diplomatiques (Osy, de Muelenaere)
5) Projet de loi relatif aux concessions de péages (de
Theux, H. de Brouckere, Mary,
Milcamps, H. de Brouckere,
H. de Brouckere, de Theux, Barthélemy, Dumortier, Barthélemy, Mary, Pirmez, Gendebien, de Theux, A. Rodenbach, H. de Brouckere, de Theux, Gendebien, Barthélemy, A. Rodenbach)
(Moniteur belge n°195, du 13 juillet 1832)
(Présidence
de M. de
Gerlache.)
La séance est
ouverte à une heure.
M. Dellafaille fait l’appel nominal ; il fait ensuite la lecture du
procès-verbal ; la chambre l’adopte sans réclamation.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Liedts présente l’analyse de quelques pétitions qui sont
renvoyées à la commission.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A L’ETAT DES
NEGOCIATIONS DIPLOMATIQUES
M. Osy. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le
président. - Vous avez
la parole.
M. Osy. - Messieurs, vous avez tous lu avec attention la
réponse du roi de Hollande aux propositions de la conférence, ainsi que le
nouveau traité en 22 articles qu’il propose pour remplacer le traité
irrévocable des 24 articles et qu’on s’était engagé faire exécuter.
Outre le
vague qui continue d’exister pour la partie du Luxembourg qui nous avait été
accordée en compensation du sacrifice qu’on nous a imposé dans le Limbourg,
vous aurez remarqué que, quoique maintenant la capitalisation de la dette soit
pour ainsi dire facultative, la Hollande, prévoyant que cela ne pourrait nous
convenir, à soin de nous imposer dans ce cas d’autres sacrifices qui se
monteront à des termes considérables. Mais ce qui a alarmé le plus le commerce
et l’industrie, ce sont les changements introduits à la navigation de l’Escaut
qui équivalent aux stipulations du traité de Munster, et à l’enlèvement pour
nous des communications vers le Rhin et pur l’Allemagne, Sittard et Maestricht.
Si nous
avions à discuter en détai tout le traité, je vous prouverais que l’article 7
qui remplace l’article 9 est l’équivalent de la fermeture de l’Escaut ; Anvers
n’aurait plus aucune réputation mercantile et serait rayé de la liste des ports
de mer, et nous serions bornés à la consommation du pays, et dans ce cas vous
n’avez pas besoin d’Anvers, Ostende vous suffirait. Je ne crains donc pas de
dire, et je le prouverai lorsqu’il en sera temps, que si l’Escaut succombe aux
stipulations de la diplomatie, le commerce et tous ses capitaux abandonneront
la Belgique, que votre indépendance tant prônée sera de très courte durée, et
que le royaume de la Belgique n’existera pas longtemps ; car ne nous
dissimulons pas qu’Anvers est l’âme du royaume, et que si elle doit revenir
prendre le rang qu’elle avait du temps des Autrichiens, nous devons revoir le
traité des barrières ; l’industrie et le commerce de tout le pays sera anéanti,
et nous n’aurons plus que l’agriculture, qui à son tour souffrira par le manque
de commerce et d’industrie qui procure les débouchés. Vous voyez donc,
messieurs, que nous, Anversois, sommes alarmés par la ruine qui nous attend, et
que tout le pays partagera nos craintes et alarmes lorsque nous serons à même
de lui démontrer le danger qui nous menace ; et tous ceux qui ont lu avec
attention le traité des 21 articles, et celui de Mayence du 31 mars 1831,
partageront mon opinion que notre ruine y est littéralement prédite.
Il n’y a donc
pas de temps à perdre pour rassurer le public, et c’est notre devoir de
provoquer des explications du ministère ; j’espère, messieurs, que vous
m’appuierez pour finalement savoir du gouvernement la marche qu’il veut suivre,
maintenant que le territoire ne sera pas évacué le 10 de ce mois, et que la
Hollande se refuse définitivement à accepter le traité du 15 novembre ; car, si
même l’on n’a pas le projet d’ajourner les chambres ou de clôturer la session,
il se pourrait que dans peu de jours nous ne soyons plus en nombre pour être à
même d’avoir des renseignements qui doivent rassurer tous les Belges, et qu’ils
attendent avec anxiété.
Je vous
propose donc, messieurs, de fixer la journée de demain pour engager M. le
ministre des affaires étrangères à nous exposer franchement la ligne de
conduite que le gouvernement veut suivre dans les circonstances graves où nous
nous trouvons. Et j’espère que personne ne s’absentera pour être à même de
recevoir les explications que nous sommes en droit de demander, et de pouvoir
faire telles observations que nous trouverons convenable, si nous voyons encore
de l’hésitation, et que, comme par le passé, nous lui prouverons qu’il fait
plus les affaires de la France et de l’Angleterre que les nôtres, et que par là
il mène la Belgique droit à sa ruine et à son déshonneur.
(Erratum inséré au Moniteur
belge n°196, du 14 juillet 1832) Dans notre numéro d’hier, une erreur de
rédaction s’est glissée à la fils du discours de M. Osy, 3e page, 1ère colonne.
Au lieu de : « Et j’espère que personne ne s’absentera, etc., » lisez : « J’espère
que personne ne s’absentera, pour être à même d’entendre les explications que
nous sommes en droit de demander, et de pouvoir faire telles observations que
nous trouverons convenables. Si nous voyons encore de l’hésitation dans le
ministère, nous lui prouverons qu’il fait plus les affaires de la France et de
l’Angleterre que les nôtres, que par là il conduit la Belgique à sa ruine et à
son déshonneur. »
M. l’abbé de Haerne. - Messieurs, je suis loin de m’opposer à la motion
d’ordre de M. Osy, tendant à prier M. le ministre des affaires étrangères à
donner à la chambre des explications sur l’état de nos relations extérieures :
j’avais eu la même pensée que l’honorable membre d’adresser à ce sujet quelques
interpellations au ministre, et hier j’ai saisi l’occasion de sa présence à la
chambre pour les lui soumettre par écrit. Il m’a répondu qu’il se proposait de
faire un rapport à la chambre dans le courant de cette semaine, ou au moins
avant la clôture de la session. J’ai dû renoncer à mes interpellations.
Cependant, puisque nous éprouvons quelque difficulté à nous réunir en nombre
suffisant pour délibérer, si l’on trouve à propos de fixer un jour pour
entendre les explications du ministre, j’appuierai cette proposition.
M. le ministre
de l’intérieur (M. de Theux).
- Messieurs, je sais que l’intention de M. le ministre des affaires étrangères est
de faire un rapport à la chambre ; il viendra probablement aujourd’hui à la
séance, de sorte que je crois inutile de donner suite à la proposition de M.
Osy.
M. Osy. - Je crois qu’il convient de fixer un jour, parce que
si M. le ministre des affaires étrangères ne peut pas nous faire son rapport
demain ou après-demain, il faut que nous soyons au moins certains d’avoir un
rapport avant de nous séparer.
M. Dewitte. - Messieurs, je désire autant qu’un autre avoir des
explications sur notre situation extérieure, et je suis loin par conséquent de
m’opposer à la motion de M. Osy. Mais je ferai observer à la chambre que, si ma
mémoire est tant soit peu bonne, il a été convenu entre le gouvernement et la
législature qu’on n’entrerait dans aucune négociation, tant que le traité du 15
novembre ne serait pas exécuté dans toutes les parties qui ne sont plus
sujettes à discussion ; de sorte que, quant à moi, je considère tous les
traités proposés par le roi Guillaume et dont sont remplies les gazettes comme
des paroles en l’air, toute négociation étant impossible tant qu’il n’aura pas
lui-même exécuté le traité du 15 novembre, quant aux points mis hors de tout
litige.
M. Osy. - Je propose d’adresser à M. le ministre des affaires
étrangères un message pour l’inviter à nous dire quel jour il pourra nous faire
son rapport. De cette manière les membres qui se proposeraient de s’absenter
resteraient à leur poste, et ceux qui ne s’y trouvent pas en ce moment
s’empresseraient sans doute d’y revenir.
M. Lebeau. - Messieurs, les termes auxquels M. Osy vient de
réduire sa proposition, me déterminent à l’appuyer. En effet telle qu’elle est
faite maintenant, il ne s’agit plus de dire à M. le ministre des affaires :
Vous viendrez faire un rapport demain ou après-demain, que vous soyez prêt ou
non, mais de l’inviter à fixer lui-même le jour où il pourra nous faire ce
rapport. C’est tout ce qu’on peut exiger, et il est désirable que le plus grand
nombre de membres possible se trouve réuni pour l’entendre.
Je partage en même temps l’opinion de l’honorable M.
Dewitte, qu’il ne faut pas attacher trop d’importance aux nouvelles
propositions du roi de Hollande, qui certes sont inadmissibles de tout point,
et que pas un seul membre de cette chambre n’est, j’en suis assuré, disposé à
approuver. Je crois que le gouvernement n’y est pas plus disposé que nous, et
j’ai la conviction qu’il se perdrait lui-même et qu’il perdrait le pays avec
lui s’il osait nous proposer de les accepter. J’appuie donc la proposition de
M. Osy, réduite à ces termes, c’est-à-dire que je suis d’avis que, par un
message, on invite M. le ministre des affaires étrangères à dire quel jour il
pourra nous donner les explications que nous devons exiger, pour empêcher que
dans le public on n’interprète mal les dispositions de la chambre, et qu’on ne
se méprenne sur la ferme résolution de repousser les propositions de la
Hollande.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Un message est totalement inutile ; il y a tout
lieu de croire que mon honorable collègue des affaires étrangères se rendra à
la séance d’aujourd’hui.
M. Lebeau. -
S’il ne vient pas, on pourra renouveler la motion à la fin de la séance.
M. d’Elhoungne. -Je sais que plusieurs personnes font leurs
dispositions pour retourner chez elles, à moins qu’il n’y ait à l’ordre du jour
quelque objet assez important pour fixer leur attention. Je pense qu’un rapport
sur nos affaires est de cette nature, et je ne doute pas que tous les membres
de cette chambre ne soient désireux de l’entendre. J’appuie donc la proposition
de M. Osy.
M.
le président. - J’invite
M. Osy à mettre sa proposition par écrit.
Plusieurs voix. - C’est inutile !
M. Osy. - J’insiste pour qu’un message soit envoyé à M. le
ministre des affaires étrangères. Il pourrait être retenu par ses occupations
et ne pas se rendre à la séance ; un message l’obligera à nous faire une
réponse, et le public sera instruit de l’intention de la chambre d’obtenir des
explications.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - M. le ministre des affaires étrangères viendra
certainement aujourd’hui à la séance ;
peut-être même sera-t-il prêt à faire son rapport aujourd’hui : je ne l’affirme
cependant pas. Mais, dans tous les cas, un message est inutile ; et du reste,
si par extraordinaire il ne venait pas, on pourrait renouveler la proposition à
la fin de la séance.
M. Osy. - Si on me permet de renouveler ma proposition à la
fin de la séance, je consens à la retirer pour le moment. (Oui ! oui !)
PROJET DE LOI FIXANT LE TRAITEMENT DES MEMBRES
DE L’ORDRE JUDICIAIRE
Second vote des
articles
Article premier
M. le
président. - L’ordre
du jour appelle le vote sur le projet de loi relatif au traitement des membres
de l’ordre judiciaire. Le premier amendement qui a été adopté sur l’article
premier est celui qui fixe à 6,000 fr. le traitement du greffier de la cour de
cassation.
Cet
amendement est mis aux voix et adopté, ainsi que celui qui fixe à 3,000 fr. le
traitement du commis-greffier.
Article 2
On passe à
l’article 2 (voir le Moniteur du 8
juillet), qui fixe le traitement des membres des cours d’appel.
M. le
président. - On a
adopté pour les conseillers de la cour de Bruxelles le traitement de 6,000 fr.
M. Delehaye. - Messieurs, depuis longtemps on s’est plaint de ce
que les traitements des membres des tribunaux de première instance étaient très
minimes ; mais jamais de semblables plaintes n’ont été faites à propos du
traitement des conseillers. Je ne conçois donc pas pourquoi aujourd’hui on a
voulu augmenter le traitement de ces derniers. Il me semble qu’il n’y avait pas
de raison plausible pour l’augmenter plus que ne le faisait le projet de M. le
ministre de la justice, qui avait été si bien accueilli par l’opinion générale
dans le public. Ce projet faisait, me semble-t-il, tout ce qu’il fallait faire.
On a fait à ce propos une singulière objection. Mais, a-t-on dit, il n’y a pas
de mince avocat qui ne gagne autant qu’un de vos conseillers, au traitement que
vous leur assignez. Cela est possible ; mais, messieurs, ne voulez-vous tenir
aucun compte de l’inamovibilité qui est assurée au juge, de l’honneur dont
l’environnent ses fonctions ? Un avocat peut, par un accident quelconque, être
privé du jour au lendemain de sa clientèle, et par conséquent du revenu qu’il
en tirait ; un magistrat n’a pas de pareilles chances à courir : il est inamovible,
son inamovibilité lui assure son traitement, qu’il soit malade ou bien portant.
Sa fortune est assurée et à l’abri de tout accident ; et, s’il réunit à la
capacité qu’il faut pour remplir ses fonctions les vertus qui en rehaussent
l’éclat, il vit heureux et considéré, sans crainte pour le présent comme pour
l’avenir, Il n’y a donc aucune comparaison à établir entre un magistrat et un
membre du barreau.
Il est à cela une considération d’un ordre majeur à
ajouter. Lorsque le gouvernement déchu eut soulevé contre lui les populations
de la Belgique, on entendait constamment sortir de toutes les bouches ces
paroles : « il faut un gouvernement à bon marché. » Depuis la
révolution on les a souvent répétées, mais je vois avec regret qu’on n’en tient
aucun compte et qu’on est toujours disposé ici à augmenter les traitements, en
sorte que bientôt vous paierez autant sous votre nouveau régime que sous
l’ancien, Prenez-y garde, le peuple s’en apercevra bientôt, et, loin de bénir
le gouvernement prétendu à bon marché, il ne le regardera qu’avec un effroi
véritable.
Par ces
considérations je demande que vous rejetiez l’amendement qui porte à 6,000 fr.
le traitement des conseillers, et que vous vous teniez au projet de M. le
ministre de la justice. (Appuyé ! appuyé
!)
M. Goethals. - Messieurs,
quel que soit mon désir de voir fixer d’une manière plus honorable le sort des
membres de la magistrature judiciaire, je ne pourrai donner mon assentiment à
la plupart de majorations qui ont été votées, sur le tarif qui vous était
présenté par le gouvernement.
C’est avec un
vif regret, messieurs, que je me vois obligé de me séparer d’un grand nombre de
mes honorables collègues, dont je ne puis approuver la main libérale dans cette
circonstance ; mais, quand la discussion récente de nos budgets nous a fait
voir tout le vide qu’il y a dans la caisse de l’Etat, quand cette même
discussion nous a prouvé à l’évidence combien les intérêts de la masse des
contribuables sont en souffrance, l’économie, la parcimonie même dans
l’allocation des traitements sur le trésor public, est pour moi un devoir dont
je n’ose m’écarter.
J’aurais cru
me montrer généreux. messieurs, en adoptant le chiffre présenté par le
gouvernement, et qui dépasse déjà de 400,000 francs la somme des traitements
alloués aux exercices précédents pour le salaire des membres de l’ordre
judiciaire ; mais aller au-delà, consentir à
une majoration nouvelle de près de 200,000 francs, me paraîtrait une prodigalité
; et je ne veux pas qu’en rentrant sous peu de jours dans ma province, on
m’aborde par ce sanglant reproche : « Vous avez songé à votre propre
bonheur, et à celui de quelques-uns de vos amis, qui auront part au gâteau ;
mais vous avez oublié que votre vote imposait une nouvelle charge au peuple,
qui vous avait envoyé là pour améliorer son sort, et non pour l’aggraver
! »
C’est, me
paraît-il, messieurs, une grave erreur de croire que l’honnête homme se façonne
à prix d’argent. Un magistrat intègre qui accepte librement les fonctions dont
on voudra l’honorer, demeurera probe et incorruptible, quelle que soit la
récompense pécuniaire que vous accorderez à ses services ; car le témoignage
d’une bonne conscience et l’estime publique seront pour lui la première et la
plus douce des jouissances. Une âme vénale, au contraire, n’étanchera pas sa
soif dans un gros traitement ; elle dira que la vertu sans l’argent est un
meuble inutile, et elle préférera toujours un peu d’or à beaucoup d’honneur,
Mais ce n’est pas, messieurs, sur des hommes de cette
espèce que vous désirerez voir tomber les choix du gouvernement ; et si
celui-ci, comme nous en avons tous la certitude, ne nomme que des magistrats
honorables, ils sauront tous que le premier devoir du citoyen est de travailler
au bonheur de ses semblables, et d’alléger autant qu’il dépend de lui les
charges publiques. Vous n’avez donc pas à redouter que le juge honnête aspire à
vivre dans l’abondance quand il voit le peuple plongé dans la misère, et que
c’est à ses dépens qu’il doit briller...
D’après ces
considérations, je voterai cette fois contre la plupart des majorations qui ont
été faites dans les précédentes séances, et contre la loi elle-même, si les
chiffres proposés par le gouvernement, et assez sagement défendus par M. le
ministre de la justice, ne viennent à
prévaloir.
M. Polfvliet. - Messieurs, avant de me prononcer sur les
amendements qui tendent à majorer les sommes proposées par M. le ministre, je
sens la nécessité d’exposer les motifs de mon vote qui sera négatif.
Quand on nous
a proposé le budget, pénétrés des énormes charges qui allaient peser sur la
nation, nous insistions sur une stricte économie ; des réductions furent faites
sur les appointements des employés ; on voulut qu’on en diminuât le nombre : le
bien-être de la patrie nous recommandait cette mesure ; pour moi je la
regardais plus ou moins arbitraire, parce que les notions nécessaires, les
connaissances spéciales me manquaient ; entre-temps, plusieurs employés très
expérimentés, hommes spéciaux par leur mérite particulier, recommandables par
leurs longs et pénibles services, en ont subi les conséquences, mais les
circonstances le commandaient ainsi.
M. le ministre vous propose les sommes à allouer aux
présidents et juges employés dans les tribunaux ; il ne se contente pas de les
faire jouir des mêmes sommes attachées aux fonctions respectives dans nos
tribunaux, mais il les majore considérablement. J’ai toute confiance dans M. le
ministre, je crois qu’en cela son équité l’a guidé et je reconnais son
expérience pour tout ce qui tient à la hiérarchie judiciaire : c’est pourquoi
j’adhérerai à sa majoration ; mais en votant davantage, je croirais manquer à
mon devoir de représentant de la nation ; je ne connais pas les motifs de cette
largesse, je ne saurais pas deviner la cause de ce système si opposé à tout ce
que j’ai entendu prôner, et certes ce ne peut pas être pour le soulagement du
peuple, ni pour le bien-être de la nation, ni parce que les circonstances
soient devenues plus favorables, qu’on demande à imposer sur la nation de plus
grandes charges ; d’ailleurs, si vous adoptez ces majorations, vous adoptez
aussi les majorations dans les pensions qui vont succéder.
M. Barthélemy. - Messieurs je ne pense pas qu’il y ait lieu de
revenir sur la fixation du traitement, à laquelle vous avez si laborieusement
travaillé dans vos précédentes séances ; car, dans le fond de mon âme, je dois
déclarer que je ne trouve pas encore ce traitement suffisant. Messieurs, il
faut se rendre compte de ce que vous avez fait et voulu faire. Vous avez voulu
que la nation se chargeât de rétribuer les membres de l’ordre judiciaire ;
autrefois c’était les plaideurs qui les rétribuaient. Puisque vous avez voulu
que ce fût la nation et puisque la nation a accepté cette charge, il faut
qu’elle fasse les choses dignement et convenablement ; et quand vous ne faites
pas à 1,000 fr. près ce qui se faisait pour les membres de l’ordre judiciaire
dans l’ancien régime, je ne crois pas que la nation ait aucun reproche à faire
à ses représentants. Dans l’ancien régime les conseillers avaient 4,000 fl. de
traitement. Aujourd’hui ils en auront un peu plus de 2,500 fl. Est-ce là trop
faire ?
Vous avez été
obligés par vos institutions nouvelles de payer le clergé, de payer les membres
de l’ordre judiciaire ; vous avez accepté le principe, subissez-en les
conséquences, et faites les choses convenablement.
Depuis que le gouvernement français a voulu se mêler
de rétribuer lui-même la magistrature, il a avili le pouvoir judiciaire, et il
a voulu l’avilir en haine des parlements. Aujourd’hui que vous l’avez relevé,
vous, traitez-le noblement et ne le laissez pas dans l’état où il a langui
depuis la révolution française. Autrefois l’aristocratie était exclusivement en
possession des places de la magistrature. Elle enviait ces places, et elle
avait par sa fortune le moyen de les occuper dignement. Aujourd’hui vous ne
voulez plus d’aristocratie, vous l’avez proscrite par votre constitution ;
rendez accessible à tous les hommes de mérite sans fortune les sièges de
la magistrature. Croyez-vous que ce sera avec un traitement de 5,000 fr. que
vous obtiendrez ce résultat ? Mais, messieurs, demandez à un homme qui n’aura
pas d’autres ressources que son traitement s’il pourra suffire à sa dépense
dans une capitale ? Demandez au père de famille s’il peut payer son loyer,
envoyer son fils à l’athénée et suffire aux autres besoins de sa famille dans
des villes comme Bruxelles, Gand, ou Liége ? Il vous répondra qu’il ne le peut
pas. Je crois donc que vous avez sagement fait en adoptant le chiffre de 6,000
fr. et que vous ne sauriez mieux faire que de le maintenir.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, lorsque dans une précédente séance je proposai
un sous-amendement tendant à ne payer l’augmentation de traitements qu’à dater
du 1er janvier 1834, on n’a pas même daigné mettre cet amendement aux voix. Il
me semble cependant qu’il méritait d’être pris en considération. Nos dépenses
s’élèvent à 90 millions de fl., et nos ressources, vous le savez, ne s’élèvent
guère qu’à 33 ou 34 millions ; ce n’est pas dans un pareil moment qu’il peut
être question d’augmenter les traitements. Nous sommes tous d’accord sur le
principe qu’il faut que les membres de l’ordre judiciaire soient bien payés,
mais encore faut-il voir si nos finances nous le permettent. En France où les
juges sont honorés et où les jugements sont aussi bons que chez nous, leur
traitement est beaucoup moins considérable. Messieurs, vous étiez tous animés
d’un grand esprit d’économie en arrivant ici ; dans la discussion du budget
vous en avez donné des preuves constantes, et vous avez même poussé les choses
jusqu’à opérer de petites réductions sur le salaire des huissiers de salle et
des balayeuses ; je vois avec regret que nous sommes bien changés et que nous
oublions trop souvent que nous avons besoin de ménager nos ressources
financières. Je voterai contre l’amendement.
M. Gendebien. - Messieurs, je ne croyais pas que l’on remît en
question aujourd’hui ce que nous avons décidé quant au traitement des
conseillers, et j’ai été fort étonné, en entrant, de voir qu’on persistait à
demander une réduction rejetée avec raison par la chambre. Remarquez que ce
n’est pas une augmentation que vous avez votée, mais, au contraire, une
diminution. Par le projet vous faites moins que ce qu’on avait fait sous
Guillaume. J’ai entendu parler du salaire des huissiers de salle et des
balayeuses, et j’avoue que ce n’est pas sans étonnement que je l’ai vu mettre
en comparaison avec le premier pouvoir de l’Etat ; je dis le premier pouvoir de
l’Etat, car je préfère un ordre judiciaire indépendant à tous les autres
pouvoirs. Sans l’indépendance des corps judiciaires vos institutions ne sont
rien, et ne seront jamais rien. Avec des magistrats intègres et à l’abri des
influences du pouvoir, toutes vos liberté sont garanties. Voilà pourquoi je
mets au-dessus de tout le pouvoir judiciaire.
Précédemment,
les conseillers de la cour de Liége avaient un traitement de 5,000 fr., plus
400 fl. pour les indemniser du service de la cour de cassation dont, ils
étaient chargés. Cela répondait, à peu de chose près, à un traitement de 6,000
fr. A Bruxelles les conseillers avaient un traitement de 5,000 fr., plus 600
fl. pour les fonctions de conseillers de la cour de cassation, et par un projet
récent on proposait de leur donner 3,000 fl. de traitement. Vous voyez donc que
le projet actuel, au lieu d’une augmentation, consacre une réduction assez
notable.
Avant la révolution, tout le monde se plaignait que
l’ordre judiciaire n’était pas assez rétribué ; depuis on a fait beaucoup de
promesses, on a dit que le temps était venu de les rétribuer selon leurs
œuvres, et cependant vous proposez aujourd’hui de leur donner moins
qu’autrefois, alors que les gros traitements ont été prodigués à des fonctions
dont je ne veux pas contester l’utilité, mais dont l’existence n’est pas aussi
visiblement liée au maintien de nos institutions et de nos libertés que celle
de la magistrature. Je craindrais d’abuser des moments de la chambre et
paraître trop redouter le rejet d’une disposition aussi juste, que d’insister
plus longuement sur la nécessité d’adopter l’amendement.
M. Delehaye. - Messieurs, si je prends une seconde fois la parole
dans cette discussion, je prie la chambre de croire que je n’en abuserai pas ;
mais cependant j’ai besoin de répondre à ce que vient de dire l’honorable M.
Gendebien. Il a dit qu’on avait diminué le traitement des membres de l’ordre
judiciaire : cela est vrai ; mais quand a-t-on fait cette diminution ? Quand
tous les employés du gouvernement étaient obligés à supporter des retenues sur
leur traitement ; alors on rejeta indéfiniment l’allocation qu’ils recevaient
pour remplir les fonctions de conseillers de la cour de cassation. Au reste,
messieurs, je vous prie de remarquer qu’en France les conseillera n’ont qu’un
traitement de 3,500 fr., et si là il n’existe pas de juges prévaricateurs,
est-il bien patriotique, je vous le demande, de supposer qu’il y en aura chez
nous ? Je persiste dans ma proposition.
M. Destouvelles. - J’aurai l’honneur de rappeler à l’honorable
préopinant que quand le congrès résolut de faire cesser l’allocation accordée
aux conseillers des cours supérieures, comme remplissant les fonctions de la
cour de cassation, cette décision fut particulièrement motivée sur ce que
depuis longtemps ils ne siégeaient pies en cette qualité, sur ce que depuis
longtemps ils ne remplissaient pas les fonctions de la cour de cassation.
Je ne puis
m’empêcher de blâmer avec M. Gendebien les rapprochements qu’on a faits entre
les membres de l’ordre judiciaire et d’autres individus remplissant des
fonctions sans contredit fort éloignées de celles des magistrats. Je ne peux
m’empêcher non plus de faire observer que, si sans cesse on répète que le
peuple veut un gouvernement à bon marché, il ne doit pas vouloir de justice à
bon marché, parce que la justice à bon marché serait de toutes la plus chère.
Au reste, de quoi s’agit-il ? D’une somme de 36,000 fr. de plus. Il y a 18
conseillers à Bruxelles, qui auront chacun une augmentation de 1,000 fr. :
18,000 fr.
Il y a 18 conseillers à Liége ; à 500 fr. de plus
chacun, cela fera 9,000 fr., et autant pour les conseillers de la cour de Gand.
Vous voyez qu’en total il ne s’agit que d’une augmentation de 30,000 fr. ; et
c’est pour une telle somme que vous voudriez revenir sur ce que vous avez déjà
voté, quand il s’agit de la bonne organisation d’un pouvoir qui est la sûre
garantie des citoyens ? Oui, messieurs, l’ordre judiciaire est le palladium de
toutes nos libertés : ce n’est pas avec lui qu’il s’agit de lésiner. Sans doute
il ne faut pas prodiguer l’argent des peuples ; mais, loin que ce soit le prodiguer,
c’est lui assigner le meilleur emploi en donnant aux citoyens de bons juges, en
assurant au pays une bonne administration de la justice.
M. Gendebien. - Messieurs, on vous a dit que le congrès avait
rejeté indéfiniment l’allocation de 600 fl. accordée aux membres de la cour de
Bruxelles et celle de 400 fl. accordée à ceux de la cour de Liége pour remplir
les fonctions de membres de la cour de cassation ; c’est une erreur. Mais on a
dit que, vu les circonstances et les sacrifices exigés de tout le monde en ce
moment, il convenait de réduire aussi le traitement des conseillers. Voilà tout
ce qu’on a décidé. Au reste, on pensait alors qu’une nouvelle organisation
judiciaire était prochaine, et qu’on fixerait définitivement le traitement de
la magistrature. Que vous demande-t-on aujourd’hui ? Que vous fassiez
instantanément jouir les magistrats de l’augmentation ? Non, puisqu’on décide
que sous ce rapport la loi ne sera exécutoire qu’en 1833 au premier janvier. Si
alors des sacrifices sont encore nécessaires, soyez certains que la
magistrature saura céder à la nécessité. Cependant, si au premier janvier le
temps des sacrifices n’est pas passé, le royaume sera en dissolution, et nous
aurons sans doute à nous occuper de tout autre chose que du traitement de
l’ordre judiciaire.
On a cité le
traitement de la magistrature en France. Gardons- nous, messieurs, d’imiter la
France sous ce rapport. Là, on a préféré la quantité à la qualité ; ici, nous
avons opté pour la dernière. Et croyez-vous que vous aurez la qualité en fait
de magistrats si vous les rétribuez mesquinement ?
J’entends
dire toujours : Mais avec 5,000 fr., mais avec 4,5000 fr. on a assez pour
vivre. Messieurs, ce n’est pas là la question. La question est de savoir si
parmi les hommes habiles qui se sont livrés à l’étude épineuse et aride de la
science du droit, vous en trouvez qui se montrent disposés à sacrifier leur
clientèle pour devenir membres d’une cour. Croyez-vous, quand vous ne leur
accorderez qu’un traitement mesquin, qu’ils accepteront
par pur patriotisme une condition aussi préjudiciable à leurs intérêts ? Quand
nous serons arrivés à cet Eldorado du patriotisme, essayez de votre système, je
le veux bien, mais vous n’y arriverez jamais. Il s’agit donc de savoir si tous
les hommes de capacité ne préfèreront le barreau à la magistrature, si la
rétribution de vos magistrats est moindre que le revenu du plus mince avocat.
C’est ce que vous ne pouvez raisonnablement vous promettre. Faites donc ce que
vous devez ; et remarquez que vous n’augmentez pas le traitement, mais qu’au
contraire vous le diminuez eu égard au taux précédent ; et d’un autre côté vous
économisez sur la dépense générale, même avec une augmentation de traitement,
puisque vous avez diminué le nombre des magistrats nécessaires pour rendre
arrêt. Il y a donc économie des deux côtés ; si vous voulez en opérer de plus
grandes, vous le pouvez mais ce sera au préjudice de la bonne administration de
la justice en livrant les places de la magistrature au rebut du barreau.
M.
Milcamps. -
Messieurs, j’avais voté contre l’augmentation de 1,000 fr. à accorder aux
conseillers de la cour de Bruxelles ; mais la chambre en ayant jugé autrement
que moi, l’augmentation fut adoptée. Partant de ce fait, j’ai cru qu’on ne
pouvait se dispenser d’augmenter en proportion le traitement des juges
inférieurs ; mais je n’ai pas été déterminé par les mêmes raisons pour les uns
que pour les autres. En effet, des plaintes s’étaient souvent élevées contre la
parcimonie avec laquelle étaient traités les membres des tribunaux inférieurs,
et avec de modiques appointements il serait impossible de trouver de bons
juges. Ce motif n’existe pas pour les juges supérieurs, puisque, quand sous
l’empire nos conseillers ne jouissaient que d’un traitement de 3,500 fr., nous
comptions beaucoup de bons magistrats, et la cour de Bruxelles passait pour une
des cours les plus distinguées du grand empire. Quand il a été question de
l’organisation judiciaire et qu’on a dit qu’il fallait bien payer les
magistrats, cela ne s’entendait pas généralement des juges supérieurs, mais des
tribunaux inférieurs : il faut donc laisser subsister le traitement de ces
derniers tel qu’il a été voté ; et, après avoir réfléchi sur la question, je reviens
de même sur ma première opinion touchant les conseillers, et je voterai pour
l’augmentation.
M. Lebeau. - Messieurs, le terme de gouvernement à bon marché
emporte pour moi une idée extrêmement vague. Si vous ne voulez voir le
gouvernement à bon marché que dans le chiffre du budget d’un Etat, vous
trouverez le gouvernement à bon marché à Saint-Pétersbourg, peut-être aussi à
Constantinople ; mais vous ne le trouverez dans aucun gouvernement
représentatif constitutionnel de l’Europe.
Chacun sait
que les gouvernements constitutionnels, eu égard à leurs budgets, coûtent cher,
et ce n’est pas en Europe seulement, mais en Amérique, aux Etats-Unis, où
(personne ne se fait plus illusion aujourd’hui sur ce point) le gouvernement
est aussi cher que partout ailleurs.
Le
gouvernement à bon marché n’est pas celui où les citoyens paient le moins ;
c’est celui où, par des institutions libérales, l’essor est donné à l’esprit
humain, où chacun trouve dans de bonnes lois la sécurité qui protège tous les
genres de prospérité. La liberté politique et civile enfante des miracles,
tandis que là où le despotisme pèse de tout son poids, il étouffe les facultés
morales et industrielles ; il livre l’esprit humain à l’engourdissement et à
cette fatale inertie qui tarit toutes les sources de la production et, par
suite, celles de la prospérité nationale. Voilà, messieurs, comment il faut
entendre les gouvernements à bon marché et les gouvernements ruineux ; mais ce
n’est pas le chiffre du budget qui est le thermomètre de la richesse du pays.
La liberté
est chère ; l’indépendance surtout peut paraître coûteuse aux peuples. Car
enfin si nous faisions partie du royaume de France, ou si nous étions encore
réunis à la Hollande, nous n’aurions pas besoin pour nous seuls de payer une
cour de cassation, un conseil des ministres, un corps diplomatique, etc.
Vouloir du
bon marché en renonçant à ces dépenses, en les présentant comme des charges
intolérables, c’est mettre en question votre indépendance, votre existence comme
nation.
Messieurs,
nous devons faire pour le bien de notre pays, pour le maintien de nos
institutions, toutes les dépenses utiles ; sans prodigalité sans doute, mais
aussi sans lésinerie.
Vous reculez
devant le juste traitement à accorder à l’ordre judiciaire ; vous trouvez la
dépense trop grande ; mais pourquoi, quand il s’est agi de la création d’une
troisième cour d’appel, n’a-t-on pas réclamé ? Pourquoi ceux-là même qui sont
venus nous parler aujourd’hui de balayeuses (j’ai quelque honte de revenir sur
cette comparaison), pourquoi, dis-je, les mêmes voix qui réclament si fort
aujourd’hui, ne réclamaient-elles pas alors qu’il s’agissait d’établir une cour
d’appel à Gand ? Vous avez accueilli le principe pour ainsi dire avec
acclamation, sachez en subir les inconséquences. Vous avez voulu une cour à
Gand ; nous voulons tous que tous les magistrats, même ceux de Gand, soient
convenablement rétribués.
Messieurs, si
nous ne sommes pas un gouvernement à bon marché, un de ces gouvernements
utopiques dont on nous parle souvent et qui n’existent nulle part, nous ne
pouvons pas non plus être taxés de prodigalité. Nous avons fait main basse sur
tout ce qui était sinécure, emploi inutile ou rétribution exagérée ; nous avons
frappé sans pitié les traitements des ministres, de la diplomatie, des évêques,
des gouverneurs, des commissaires de district, etc. ; nous avons poussé les
réductions trop loin peut-être ; et ce sont les représentants belges qu’on
accuserait d’avoir soulevé depuis quelques jours l’opinion publique contre eux,
pour avoir fait à la magistrature la position que de toutes parts on réclame
pour elle depuis trente ans !
Non,
messieurs, l’opinion publique n’est pas là où on veut nous la montrer ;
l’opinion publique a d’autres voies pour arriver jusqu’à nous. Les pétitions,
la presse, et par-dessus tout la révocation de notre mandat : voilà les voies
par lesquelles l’opinion se fait jour. Où sont ces nombreuses réclamations
contre la loi actuelle ?
On a parlé du
traitement des membres de l’ordre judiciaire sous l’empire. Pendant qu’on ne
payait aux conseillers des cours qu’un traitement de 2,400, de 3,600 francs on
avait encore de bons juges, dit-on. Cela se peut, mais pourquoi ? C’est
qu’aussi longtemps qu’un homme n’est pas placé entre son intérêt et son devoir,
il fait le bien. Quelquefois même il le fait en sacrifiant son intérêt ; il
peut résister plus ou moins aux suggestions des corrupteurs de tout genre. Mais
la sagesse du législateur doit peu compter sur le dévouement et le sacrifice ;
elle éloigne autant qu’elle peut de trop rudes épreuves offertes à la fragilité
humaine ; elle prend l’homme tel qu’il est avec ses vertus et ses penchants.
L’empereur,
au reste, faisait peu de cas de l’ordre judiciaire ; il tendait plutôt à le
rabaisser qu’à l’élever. Il en avait peur, comme en ont peur tous les
gouvernements qui conspirent contre les garanties constitutionnelles, qui
tendent à placer leur volonté au-dessus des lois du pays. .
Si vous fixez
le traitement des conseillera à 3,600 fr., demandez-vous si vous aurez l’élite
des magistrats inférieurs pour composer vos cours. Demandez-vous si les
capacités du barreau consentiront à accepter des places dans la magistrature.
Si vous fixez
un trop modique traitement, vous faites de la magistrature une véritable
aristocratie. Les gens riches pourront seuls aspirer à rendre la justice ; pour
les hommes instruits sans fortune, la carrière de la magistrature sera tout à
fait inaccessible : ainsi vous aurez fait mentir notre constitution, qui veut
que tous les citoyens soient également admissibles à tous les emplois sans
distinction de fortune.
Maintenant,
messieurs, est-il vrai que par les deux projets que vous avez adoptés vous ayez augmenté la dépense
relative aux cours d’appel ? Je soutiens le contraire ; vous avez, au lieu
d’une augmentation, opéré des économies, et vous y êtes arrivés par deux
procédés : le premier consiste dans la réduction du nombre des membres
nécessaires pour rendre arrêt ; le second, dans la réduction du traitement du
premier président et du procureur-général.
L’honorable
M. Destouvelles a dit que l’augmentation contre laquelle on s’élevait n’allait
pas au-delà de 35,000 fr. ; mais de ce chiffre il faut déduire 10,000 fr., pour
la réduction opérée sur le traitement du premier président et du
procureur-général de la cour de Bruxelles. A la cour de Liége on a diminué la
dépense d’une somme de 6,000 fr., en réduisant de 12,000 à 9,000 les
traitements du premier président et du procureur-général.
Ensuite,
comme vous ayez réduit de 7 à 5 le nombre des conseillers nécessaires pour
rendre arrêt, et comme il y a en général trois chambres à chaque cour, voilà
dix-huit conseillers à déduire, qui, à 5,000 fr. de traitement, produisent une
économie de 90,000 fr.
Ainsi, si
nous avions conservé le statu quo, si le traitement des premiers présidents et
des procureurs-généraux avait été maintenu, si vous n’aviez pas réduit le
nombre des conseillers, et si vous aviez augmenté de quatre conseillers le
personnel de la cour de cassation, augmentation qui eût été nécessaire pour
maintenir la proportion avec le personnel des cours d’appel jugeant à sept
conseillers par chambre, votre dépense serait considérablement augmentée,
tandis que par le nouveau système vous avez opéré une réduction notable. Si le
chiffre de la dépense générale se trouve réellement augmenté, cela vient
uniquement de la création de la cour de cassation et de la cour de Gand ; mais
ce n’est pas à nous qu’il faut s’en prendre.
Je crois donc, messieurs, que nous n’avons aucun
reproche à nous faire, et qu’après avoir voté la présente loi nous pourrons
rentrer chez nous le front haut et l’âme pleine de quiétude, bien certains que
nous n’aurons rien fait que d’utile au pays et à nos commettants : car nous
aurons mis pour jamais au-dessus des séductions des particuliers et du pouvoir
les hommes que l’opinion publique se plaît à regarder comme les gardiens de la
fortune, de la liberté et de l’honneur des citoyens.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, je n’ai pas comparé les membres de l’ordre judiciaire à des huissiers de salle, ni à des balayeuses ; j’ai
dit seulement que dans la discussion du budget nous étions tous animés d’un grand
esprit d’économie, et que nous l’avons poussé jusqu’à réduire le traitement de
ces malheureux. J’ai fait remarquer qu’aujourd’hui cet esprit d’économie
semblait s’être éloigné de la plus grande partie de nos collègues, et je
déplorais qu’il en fût ainsi, parce que nous avons plus que jamais besoin
d’économies. Quant à ce que le préopinant a dit des Etats-Unis d’Amérique, la
question n’est pas encore décidée. On publie des brochures pour la débattre de
part et d’autre, et on n’a pas encore prouvé que les citoyens des Etats-Unis
paient plus de 11 fr. par tête. A ce prix ce gouvernement serait beaucoup moins
cher que le nôtre ; je sais cependant que nous ne sommes pas ici en république
: mais du reste, je le répète, la question n’est pas décidée. Je reviens a la
question. J’ai dit tantôt que par un sous-amendement j’avais proposé de décider
que l’augmentation ne serait payée qu’à dater de 1834, et que M. le président
ne me fit pas même la grâce de mettre ce sous-amendement aux voix. J’ai le
droit de dire que je suis très mécontent de cela (on rit), et j’espère qu’on voudra bien aujourd’hui me rendre
justice.
M. Dumortier. - Je ne ferai pas, comme un préopinant, l’injure à la
liberté de dire qu’elle coûte fort cher ; car, messieurs, de telles
propositions ne tendraient à rien moins qu’à faire haïr la liberté et à faire
chérir le despotisme au peuple. Ce n’est pas pour des théories et pour des
principes que le peuple a fait la révolution, c’est pour améliorer son
bien-être. Qu’importe, en effet, au peuple la liberté de la presse,
l’établissement du jury et tant d’autres choses qu’il ne comprend pas ? Cela
constitue sans doute de précieuses garanties pour les hommes éclairés qui
savent en apprécier la valeur ; mais pour le peuple tous ces beaux principes ne
sont rien. Je ne saurais donc assez flétrir les opinions émises par l’honorable
membre, car si elles trouvaient de l’écho parmi le peuple, en lui faisant
chérir le despotisme, elles lui feraient honnir et bafouer la liberté.
On a dit que
les gouvernements constitutionnels coûtaient cher. Messieurs s’ils coûtent
cher, ce n’est pas parce que les places y doivent être mieux rétribuées, mais
ils coûtent plus cher à cause de la dette qui est le chancre des Etats
constitutionnels ; mais qu’on ne prétende pas que là les capacités doivent être
payées 10,000 fr., quand dans les gouvernements absolus elles n’en coûteraient
que 5,000 ; car ce serait une absurdité telle qu’il m’est impossible de croire
que telle ait été la pensée de l’honorable préopinant.
On a dit
qu’en Amérique le gouvernement n’était pas à bon marché. Messieurs, si en
Amérique on a récemment proposé d’augmenter le traitement des juges et
généralement de tous les autres employés de l’Etat, c’est que la dette y est
anéantie. Là le chancre qui nous ronge et que nous a imposé la conférence
n’existe plus, et si nos finances se trouvaient dans une position aussi
favorable ;j’en appelle à tous ceux qui m’écoutent, est-il un seul de nous
qui parlât d’économies quand il s’agit de rétribuer convenablement la
magistrature ? Notre état financier nous commande d’être économes et nous
devons l’être ; et si nous avons fait la révolution pour les principes, nous ne
devons pas oublier que le peuple ne l’a faite que pour de l’argent. Il faut donc
rendre son sort meilleur en allégeant ses charges.
J’en viens
maintenant à la proposition de M. Delehaye, et, quoique partisan des économies,
je ne crois pas pouvoir l’accepter en ces termes. Je crois que pour les
conseillers de la cour de Bruxelles il serait injuste de fixer le même
traitement que pour ceux des cours de Liége et de Gand, et je crois, vu les
plus grandes dépenses qu’ils sont obligés de faire, qu’il faut leur allouer 500
fr. de plus.
On a dit
qu’il était indispensable de maintenir le chiffre de 6,000 fr. ; que sans cela
on ne verrait surgir dans la magistrature que le rebut du barreau. Je ne
partage pas cette opinion ; je ne crois pas que pour 500 fr. de plus ou de
moins on éloigne ou on rapproche les capacités des sièges de la magistrature.
Si nous avons des capacités en Belgique, ce ne sera pas 500 fr. qui les
retiendront et qui empêcheront d’accepter des fonctions honorables, et si nous
manquons de capacités, il ne faut pas croire que 500 fr. de plus les fassent
surgir.
Remarquez
messieurs, que les membres de la cour des comptes, qui cependant ont le pas sur
les membres de la cour d’appel, n’ont qu’un traitement de 5,000 fr. : ce serait
manquer à la hiérarchie que d’allouer 6,000 fr. à ceux-ci, et les membres de la
cour des comptes devraient aussitôt demander 7,000 fr. de traitement, et en
bonne justice vous devriez les leur accorder.
Mais, dit-on,
vous diminuez le traitement actuel des conseillers. Messieurs, vous connaissez
la maxime des Saint-Simoniens, à chacun selon ses œuvres (hilarité) : c’est ici le cas de l’appliquer. Quand les conseillers
de cours d’appel faisaient les fonctions de la cour de cassation, ce surcroît
de besogne justifiait une augmentation de traitement, quand ils cessent de
faire ce travail, le traitement doit aussi cesser. D’ailleurs, messieurs, quand
tous les autres traitements ont été réduits, pourquoi ceux-ci seraient-ils
augmentés ? Mais chaque fonctionnaire serait fondé à venir réclamer contre les
réductions qu’il a dû subir ; les ministres qui avaient 20,000 fl. de
traitement sous Guillaume et qui aujourd’hui n’en ont que 10,000, viendraient
vous demander de leur rendre leur ancien traitement.
Les ambassadeurs qui avaient 60 ou 80,000 fl. vous les
demanderaient encore ; les évêques qu’on a réduits, réduction que j’approuve,
demanderaient aussi ce que le Régent leur a supprimé ; en un mot, il faudrait
remettre tout sur l’ancien taux. Si vous n’êtes pas disposés à le faire, moi je
ne puis admettre que les membres de l’ordre judiciaire soient seuls augmentés.
Quand nos finances seront dans un état plus prospère, je serai le premier à
demander qu’on augmente leur traitement ; mais aujourd’hui je pense qu’il
convient d’augmenter de 500 fr. seulement celui des conseillers de la cour de
Bruxelles et qu’on laisse les autres à 5,000 fr., sauf à augmenter plus tard de
500 fr., quand l’état du trésor nous le permettra.
M. Pirmez. - Messieurs,
cette discussion a offert une circonstance tout à fait particulière ; on a vu
le chef d’un département ministériel combattre à outrance pour faire diminuer
son budget, de manière qu’on a dû lui arracher des augmentations avec plus
d’effort encore qu’on en met pour arracher des diminutions à ses collègues. (Hilarité générale). J’ai pensé que celui-là
qui était à la tête du département de la justice devait être bien convaincu de
la suffisance des traitements demandés pour agir de cette manière.
Je pense que
nous devons payer largement l’ordre judiciaire, mais le projet ministériel a
déjà augmenté ces traitements ; nous pouvons faire davantage encore, mais
jetons les yeux sur notre situation, et remettons à la paix l’allocation de
gros traitements.
Quoi qu’on en
ait dit du gouvernement à bon marché, le gouvernement à meilleur marché est
celui où on obtient le même résultat avec le moins de sacrifices. Je suis
convaincu qu’en France les juges sont indépendants, ils sont beaucoup moins
payés qu’ils ne l’étaient sous la Hollande ; vous n’avez pas vu dans ce pays-là
de lâches complaisances comme vous en avez vu dans le royaume des Pays-Bas. Ce
n’est donc pas l’argent qui fait le bon juge.
- La clôture
est demandée et adoptée.
M. le
président. met aux
voix l’amendement qui fixe à 6,000 fr. le traitement des conseillers de la cour
de Bruxelles.
Plusieurs membres demandent l’appel nominal ; il y est procédé ; en
voici le résultat :
Votants, 71 ;
oui, 37 ; non, 34 ; le chiffre de 6,000 fr. est adopté.
Ont voté pour
: MM. Barthélemy, Berger, Taintenier, Bourgeois, Brabant, Davignon, H. de
Brouckere d’Elhoungne, Dellafaille, de Roo, Destouvelles, de Terbecq, Devaux,
Dewitte, Dugniolle, Duvivier, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Jonet, Lardinois,
Lebeau, Leclercq, Lefebvre, Liedts, Milcamps Nothomb, Olislagers, Poschet,
Raymaeckers, Thienpont, de Tiecken de Terhove, Vandenhove, Vanderbelen, Van
Innis, Van Meenen, Watlet.
Ont voté
contre : MM. Boucqueau de Villeraie, Cols, Coppens, Coppieters, Dautrebande, de
Gerlache, Delehaye, de Haerne, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Sécus,
Desmet, de Theux, d’Hoffschmidt, Dubus, Dumortier, Goethals, Hye-Hoys,
Legrelle, Mary, Morel-Danheel, Osy, Pirmez, Polfvliet, Raikem, A. Rodenbach, C.
Rodenbach, Serruys, Ullens, Vergauwen, Verhagen, Vuylsteke et Zoude.
________________
On adopte
ensuite le paragraphe qui fixe à 5,500 fr. le traitement des conseillers des
cours de Liége et de Gand.
________________
On adopte
ensuite sans discussion les traitements suivants :
Président de
chambre à Bruxelles, 7,000 fr.
Idem à Liége
et à Gand, 6,500 fr.
Avocat-général
à Bruxelles, 7,000 fr.
Idem à Liége
et à Gand, 6,500 fr.
Substitut du
procureur-général à Bruxelles, 5,000 fr.
Idem à Liége
et à Gand, 4,500 fr.
Indemnités
pour les conseillers délégués à la présidence des cours d’assises, 500 fr.
On passe
ensuite à l’article 3 relatif aux tribunaux de première instance.
La fusion des
tribunaux de la première et de la deuxième classe en une seule est confirmée.
On confirme
également l’élévation du tribunal de Tournay au rang des tribunaux de deuxième
classe.
M. Liedts et M. Dellafaille proposent de porter le tribunal d’Audenarde à la
troisième classe.
M. Liedts. - Messieurs, vous avez admis dans une séance
précédente que le tribunal de Termonde serait porté dans la troisième classe
des tribunaux et vous avez été conduits à faire ce changement au projet de loi,
par le motif que l’arrondissement de Termonde est au moins aussi populeux et
fournit autant de causes qu’aucun des autres tribunaux compris dans la
troisième. Vous ne pouvez, messieurs, sans être inconséquents, ne pas admettre
le tribunal d’Audenarde. En effet comparons d’abord la population de cette
arrondissement, qui est de 175,810 habitants, avec celle des autres
arrondissements rangés dans la troisième classe, et l’on verra que des sept
arrondissements de cette dernière classe, cinq sont inférieurs en population à
celui d’Audenarde, à savoir : celui de Charleroy qui compte 166,819 habitants ;
celui de Louvain qui compte 150,194 habitants ; celui de Malines qui compte
105,025 habitants ; celui de Verviers qui compte 103,731 habitants et celui
d’Ypres qui compte 119,562 habitants.
Ainsi, à
n’envisager que la population des arrondissements, le tribunal d’Audenarde
mérite plus que les cinq tribunaux que je viens de nommer de figurer dans la
troisième classe.
Voyons
maintenant le nombre des affaires. D’un relevé décennal que j’ai à la main, il
résulte que de 1817 à 1828 le tribunal d’Audenarde a eu à s’occuper de 6,295
causes civiles, Courtray de 5,664, Malines de 3,502, Charleroy de 3,843,
Louvain de 3,054, Ypres de 2,181. Ainsi, sous ce rapport encore, le tribunal
d’Audenarde l’emporte de beaucoup sur la plupart des tribunaux portés dans la
troisième classe.
L’on ne
serait pas fondé à m’objecter qu’il faut
avant tout avoir égard à la population de la ville où siège le tribunal,
puisque parmi les tribunaux de la troisième classe, j’en trouve qui siègent
dans des villes aussi petites que la ville d’Audenarde ; c’est ainsi que, par
exemple, les villes de Termonde et de Charleroy diffèrent fort peu, en
population, de la ville d’Audenarde. Ainsi, messieurs, de quelque côté que vous
envisagiez la question, le tribunal d’Audenarde mérite de figurer parmi les
tribunaux de troisième classe.
Vous pourriez craindre peut-être qu’en adoptant ma
proposition, d’autres tribunaux de la quatrième classe n’élèvent la voix ; mais
je puis vous garantir, messieurs, qu’un examen attentif vous convaincra
qu’aucun des autres tribunaux de la quatrième classe ne se trouve dans la même
position que celui des tribunaux de 25,000 à 90,000 âmes, qui n’offrent pas le
quart des affaires portées annuellement au tribunal d’Audenarde.
Je pense
donc, messieurs, que vous n’hésiterez pas à redresser une erreur toute
matérielle qui se trouve dans le projet.
M. Barthélemy. - Je demande la parole.
Plusieurs voix. - On ne peut pas délibérer sur l’amendement de M.
Liedts ; l’article 45 du règlement s’y oppose.
M. le
président. - Prend-on
la parole sur la question préjudicielle ?
M. Delehaye. - Le règlement dit que la discussion, lors du second
vote, se portera sur les amendements ou les articles rejetés. M. Liedts est
évidemment dans les termes du règlement, car son amendement se rattache
évidemment à un article rejeté. C’est un oubli de la part de la chambre d’avoir
laissé le tribunal d’Audenarde dans la
quatrième classe ; il doit être dans la troisième.
M. Barthélemy. - Si vous admettez la classification proposée, tous
les tribunaux de la Flandre orientale seront sur la même ligne ; vous n’aurez
que des arrondissements du troisième ordre dans ces contrées…
Plusieurs voix. - Qu’est-ce que cela fait ?
M. Barthélemy. - Il ne s’agit pas de savoir quelle est la population
d’un arrondissement judiciaire pour classer un tribunal, mais quel est le
nombre des affaires qui lui sont soumises. Or, j’ai eu sous les yeux le tableau
des affaires jugées pendant dix ans dans les divers tribunaux, et le tribunal
de Termonde juge plus d’affaires que celui d’Audenarde, et il y avait raison
d’élever le tribunal de Termonde d’une classe.
M. Verdussen. - Je ne crois pas que l’amendement puisse être mis en
discussion ; lors de la discussion de la loi monétaire, j’ai eu l’honneur de
présenter un amendement relatif à l’émission d’une pièce de monnaie, et ma
proposition a été écartée parce qu’elle ne se rattachait pas à un article
amendé ou rejeté.
M. Liedts. - Quant à la fin de non-recevoir, je dirai qu’il
serait peu loyal et souverainement injuste de rejeter ma proposition par un tel
moyen ; évidemment si le tribunal d’Audenarde n’a pas été mis dans la quatrième
classe, c’est le résultat d’un oubli. M. Barthélemy dit qu’il n’y aura que des
tribunaux de troisième classe dans la Flandre orientale ; mais c’est que la Flandre
orientale est très peuplée ; la Flandre occidentale ne compte que des tribunaux
de quatrième classe. Le tribunal d’Audenarde ne juge pas autant d’affaires que
celui de Termonde, sans doute ; mais le tribunal d’Audenarde en juge autant que
tous les tribunaux de la troisième classe.
M. Destouvelles. - Je combats la fin de non-recevoir ; l’amendement de
M. Liedts me parait fondé sur les mêmes motifs qui ont fait admettre, lors du
premier vote, le tribunal de Termonde dans une classe supérieure à celle où il
était placé. Le tribunal d’Audenarde est supérieur à beaucoup de tribunaux
placés dans la troisième classe, et sous le rapport de la population de
l’arrondissement, et sous celui du nombre des affaires qu’il juge ; il a plus
d’affaires que les tribunaux de Charleroy, Courtray, Malines et Ypres :
pourquoi ce tribunal ne serait-il pas dans la troisième classe ? J’appuie
l’amendement de M. Liedts.
M. Helias
d’Huddeghem. - Le
tribunal d’Audenarde est en même temps tribunal de commerce, tandis qu’à
Termonde il n’y a pas de tribunal de commerce ; ce tribunal est à
Saint-Nicolas. Je sais par expérience qu’il y a beaucoup d’affaires à
Audenarde.
-
L’amendement de M. Liedts est mis aux voix et adopté.
________________
M. le
président: Nous allons
passer aux traitements des juges.
« Juge
de première classe, 3,400 fr. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - L’assemblée a réuni la première et la deuxième
classe du projet du gouvernement.
Dans le
projet primitif, Bruxelles seul était porté à la première classe à 3,400 fr.
Lors de cette réunion, j’ai demandé que l’on maintînt pour les juges le chiffre
de la seconde classe ou 3,200 fr.
M. le
président. - M. le
ministre de la justice propose 3,200 fr.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - C’est la section centrale qui a fait l’amendement.
- Le chiffre
de 3,400 fr. est mis aux voix.
Deux épreuves
par assis et levé sont douteuses. On procède à l’appel nominal.
37 membres
répondent oui ou votent le chiffre.
35 membres
répondent non ou votent contre le chiffre.
Le chiffre
3,400 fr. pour les juges de première classe est adopté.
M. le
président: Le juge
d’instruction au tribunal de première classe, 4,000 fr.
- Le chiffre
est adopté.
M. le
président. - Le
vice-président, 4,200 fr.
- Le chiffre
est adopté.
M. le
président. - Le
président du tribunal, 5,000 fr.
- Le chiffre
est adopté.
M. le
président. - Procureur
du Roi, 5,000 fr.
- Le chiffre
est adopté.
M. le
président. -
Substitut, 3,400 fr.
- Le chiffre
est adopté.
M. le
président. - Greffier,
3,000 fr.
- Le chiffre
est adopté.
M. le
président. -
Commis-greffier, 1,700 fr.
- Le chiffre
est adopté.
M. le
président. - Nous
passons aux tribunaux de seconde classe.
D’après les
votes successifs de la chambre, les chiffres suivons sont maintenus :
Juge, 3,000
fr.
Juge
d’instruction, 3,500 fr.
Vice-président,
3,700 fr.
Président,
4,500 fr.
Procureur du
Roi, 4,500 fr.
Substitut,
3,000 fr.
Greffier,
2,200 fr.
Par le
premier vote de la chambre, le commis-greffier dans les tribunaux de la seconde
classe était porté à 1,400 fr. ; il est réduit à 1,200 fr. par le second vote.
M. le
président. - Nous
allons passer à la troisième classe.
Les chiffres
suivants sont maintenus :
Juge,
2,700fr.
Juge
d’instruction, 3,100 fr.
Président,
4,000 fr.
Procureur du
Roi, 4,000 fr.
Substitut,
2,700 fr.
Greffier,
2,000 fr.
Le
commis-greffier, dans le premier vote, était 1,200 fr. ; il est réduit par le
second vote à 1,100 fr.
M. le
président: Nous allons
délibérer sur la quatrième classe.
Juge, 2,400 fr.
Juge
d’instruction, 2,800 fr.
Président,
3,600 fr.
Procureur du
Roi, 3,600 fr.
Substitut,
2,400 fr.
Le greffier
et le commis-greffier comme au premier vote.
Tous ces
chiffres forment l’article, qui est voté dans son ensemble.
Une
modification introduite dans l’article lors du premier vote est mise en
délibération.
Article 5
Dans le
projet de la section centrale, on avait mis dans le second paragraphe de
l’article 5 : « dans les chefs-lieux de province. » Par amendement on
a mis : « dans les autres villes chefs-lieux d’arrondissements
judiciaires. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il me semble qu’il faudrait dire
« arrondissements judiciaires de deuxième et troisième classe. »
-
L’amendement de M. le ministre de la justice est adopté.
M. le
président. - A
l’article 8, il y a un amendement de M. Devaux, et un de la section centrale :
« Les
augmentations de traitements établies par les articles 2 et 4 ne profiteront
aux membres de l’ordre judiciaire qu’à partir du premier janvier 1833. »
Un
sous-amendement vient d’être déposé par M. A. Rodenbach :
« Les
augmentations de traitements ne profiteront aux membres de l’ordre judiciaire
qu’à partir du premier janvier 1834. » (Appuyé ! appuyé !)
M. A. Rodenbach. Il me semble que mon sous-amendement n’a pas besoin
de développement, et il est clair pour qui veut l’entendre. Mon but est de
diminuer les impôts d’un demi-million de francs. J’espère que ma proposition
sera adoptée ; si elle ne l’était pas., je partirais pour ma province, et j’y
porterais le front haut comme M. Lebeau.
M. Lebeau. - Je demande la parole pour un fait personnel.
N’ayant point incriminé les opinions de M. A. Rodenbach je ne lui ai pas donné
le droit de récrimination. D’un côté de la chambre on semblait dire à ceux qui
s’opposaient à des réductions qui leur paraissaient sans mesure : Allez-vous
présenter devant vos commettants. Oui, nous pouvons nous présenter devant eux,
car nous avons émis une opinion consciencieuse et aussi consciencieuse que
celle de nos adversaires ; nous avons émis l’opinion soutenue depuis trente ans
que la magistrature n’était pas traitée aussi honorablement qu’elle devait l’être
; notre conviction est aussi forte que celle de M. A. Rodenbach, avec lequel
d’ailleurs nous marchons d’accord, car nous appuyons son amendement.
M. le
président. - M. Mary
demande que l’augmentation du traitement des membres de l’ordre judiciaire ne
leur profite qu’à la paix.
M. Mary. - Nous pouvons nous trouver dans des circonstances
extraordinaires ; il ne faut fixer ni 1833 ni 1834, il faut attendre la paix.
D’après la loi de l’an VIII, les traitements des tribunaux dans la Belgique ne
s’élevaient qu’à un million de fr. ; sous la Hollande ils se sont élevés
jusqu’à 1,400,000 fr. ; par la loi actuelle, nous les portons à 2,000,000 de
fr. Nous ne sommes pas en position d’augmenter nos dépenses dans ce moment ;
nous avons un budget de dépenses de 96 millions de florins ; nous n’avons que
49 à 50 millions pour y faire face ; ainsi il y a un déficit de 46 millions de
florins. Je regrette que M. le ministre des finances ne soit pas là pour nous dire
comment il couvrira ce déficit.
Je crois que nous devons faire comme on a fait en
France, et dire que l’augmentation ne pourra profiter qu’à la paix. Sous
l’empire, il est vrai, il n’y avait pas de paix, et l’ajournement était
indéfini ; mais nous sommes dans une position plus favorable.
M. le président. - L’amendement est-il appuyé ? (Oui ! oui !)
M. Taintenier. - Nous faisons des calculs de tribune, calculs qu’on
répète dans le public ; il faut y faire attention : on dit que nous grevons le
trésor de plus d’un demi-million de francs, et on omet de dire que vous avez
créé une cour de cassation qui, à elle seule, coûte 240,000 fr., et que vous
avez établi une cour à Gand, qui coûtera 70,000 fr. En examinant avec attention
ce qui résulte réellement des augmentations de traitements, il n’y en a pas
pour 200,000 fr., et on ne trouvera pas là une dilapidation des deniers
publics. Laisserez-vous dormir jusqu’à la paix la cour de cassation ? Etablirez-vous
en espérance la cour de Gand ? Alors vous dépenserez 300,000 fr. de moins.
M.
Legrelle. - Nous avons voté, il y a quelques jours, une dépense pour la guerre :
nous l’avons votée avec enthousiasme et nous avons trouvé de l’écho dans le
pays ; mais imaginez-vous que les augmentations de dépenses pour l’ordre
judiciaire trouveront un écho semblable ? J’en doute. Quant à moi, je voterai
contre la loi, si l’amendement de M. Mary n’est pas adopté.
M. Bourgeois. - Je tiens beaucoup à ce qu’on ne dise pas dans les
journaux que les augmentations sont faites sans discernement. M. Taintenier
vous a dit que la cour de cassation à elle seule faisait une augmentation de
240,000 fr., et que la cour de Gand coûterait 70,000 fr. L’élévation du
traitement des juges ne produit donc pas une augmentation aussi considérable
qu’on le dit. Laissez la cour de cassation comme elle est : à Bruxelles vous
avez 49 juges, à Liége vous en avez 27 ; comptez ce qu’ils coûtent, et vous
trouverez que la cour de cassation ne produit qu’une augmentation de 124.000
fr. Ainsi il n’y a donc pas une augmentation d’un demi-million.
M. Mary. - Je n’entre pas dans les détails, j’aperçois l’ensemble.
Sous la Hollande, l’ordre judiciaire ne coûtait que 1,400,000 fr.
L’augmentation est au moins de 400,000 fr. Je vois avec plaisir qu’on sent la
nécessité de faire un sacrifice sur l’autel de la patrie. Il est impossible que
nous fassions des augmentations pour les services ordinaires quand nous avons à
faire face à tant de dépenses extraordinaires pour la guerre. Je maintiens mon
amendement, et je demande itérativement que l’augmentation n’ait lieu qu’après
la paix.
M. Dubus. - On vient de citer des calculs que j’ai présentés.
Ce n’est pas moi qui, en comparant les budgets anciens aux budgets nouveaux, ai
fait les calculs. Je les ai puisés dans un document communiqué par le ministre
de la justice. J’ai trouvé que l’ordre judiciaire coûtait 1,400,000 fr., et
qu’il y aurait augmentation de 500,000 fr. c’est-à-dire un demi-million.
Quant aux
amendements, je préfère celui de M. A. Rodenbach. M. Mary fait une proposition
trop indéterminée.
Il y a deux
moyens à prendre, ou de rejeter la loi ou de fixer un délai. S’il faut ajourner
jusqu’après la paix, autant vaudrait ajourner la loi. Lors même que nous
aurions la paix dès aujourd’hui, nous aurions encore des charges considérables
pour l’année prochaine, et c’est justement dans cette année que se trouverait
l’augmentation.
M.
Dewitte. - Certainement nous ne ferons pas une loi dont l’exécution puisse être
renvoyée à jamais ; comme M. Mary propose un terme qui, comme sous l’empereur
Napoléon, peut ne pas arriver, je vote contre.
M. Bourgeois. - Je voudrais savoir si, dans l’augmentation de
500,000 fr., M. le rapporteur compte la cour de cassation.
M. Dubus. - Sans doute.
M. Bourgeois. - Eh bien ! mon observation reste.
M. Dubus. - Mais pour les contribuables c’est la même chose :
c’est une augmentation de 500,000 fr.
M. Destouvelles. -
On vient de présenter les résultats de calcul fondés sur l’état de l’ordre
judiciaire actuel ; mais si on considérait l’état de l’ordre judiciaire en
1827, on verrait que nous sommes bien en arrière ; nous ne chargeons donc pas
le peuple de nouveaux impôts.
Les juges
gémissaient depuis 30 ans ; on était prêt à saisir une nouvelle organisation,
lorsque sont venus les événements de 1830 ; et aujourd’hui nous sommes loin de
voir se réaliser les espérances des magistrats. Si on prenait d’une main le
décret de 1817, et de l’autre la loi actuelle, on verrait que nous sommes loin
d’atteindre à une augmentation aussi grande.
- La chambre ferme la discussion.
M. A. Rodenbach. - Je propose que la majoration ne soit payée qu’à
partir du premier janvier 1834.
M. Mary. - Je me réunis au sous-amendement de M. Rodenbach.
M. Lebeau. - Il n’y a qu’un changement d’époques à mettre dans
la rédaction de l’article.
M. Dubus. - Il faudra cependant supprimer l’amendement de la
section centrale, et lire : « Les articles 2, 4 et 5... »
M. Taintenier. - Il faudrait décider si l’on établira la cour de
cassation et la cour de Gand en 1834 ou actuellement.
M. Lebeau. - Je demande qu’on relise l’amendement de M. Devaux
pour lever les scrupules de l’honorable préopinant.
M. le
président. - « L’augmentation
de traitements établies par les articles 2, 4 et 5 ne profitera aux membres de
l’ordre judiciaire qu’à partir du premier janvier 1834. »
M. Lebeau. - La cour de cassation, c’est l’article premier.
M. Taintenier. - Ainsi la cour de cassation aura le traitement fixé
la loi ? (Oui ! oui !)
-
L’amendement de M. A. Rodenbach mis aux voix est adopté à la presque unanimité.
M. Lebeau. - Je crois que dans l’article 8, il faudrait mettre
« les titulaires, » au lieu de « les membres de l’ordre
judiciaire. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Le changement n’est pas nécessaire.
L’article 8
sous-amendé pas. M. Rodenbach est adopté.
Vote sur l’ensemble
du projet
L’ensemble de
la loi est soumis à l’appel nominal.
54 membres
votent l’adoption.
18 membres
votent contre.
Le projet est
adopté, et sera envoyé au sénat.
Voici les
noms des membres qui ont pris part à la délibération.
Ont voté pour
: MM. Barthélemy, Boucqueau de Villeraie, Berger, Bourgeois, Brabant, Coppens,
Coppieters, Dautrebande, Davignon, H. de Brouckere, de Gerlache, d’Elhoungne,
Dellafaille, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus,
Desmet, Destouvelles, de Terbecq, de Theux, de Witte, Dubus, Dumortier,
Duvivier, Helias d’Huddeghem, Jonet, Lardinois, Lebeau, Leclercq, Lefebvre,
Legrelle, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Osy,
Poschet, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Serruys, Thienpont, Tiecken de Terhove,
Vandenhove, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Vuylsteke et Watlet.
Ont voté
contre : MM. Taintenier, Cols, de Haerne, Delehaye, d’Hoffschmidt, Dugniolle,
Gendebien, Goethals, Hye-Hoys, Pirmez, Polfvliet, A. Rodenbach, C. Rodenbach,
Ullens, Verdussen, Vergauwen, Verhaegen et Zoude.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A L’ETAT DES
NEGOCIATIONS DIPLOMATIQUES
M. Osy. - M. le président, je demande la parole. Messieurs,
il est certain que l’évacuation du territoire n’aura pas lieu le 20 de ce mois
; je demanderai si M. le ministre des affaires étrangères veut fixer un jour de
cette semaine : je dis un jour de cette semaine, si cela est possible, par ce
que ces messieurs voudraient retourner à la maison (on rit)... pour donner des renseignements sur la situation des
affaires extérieures et rassurer la nation.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Je voulais aller au-devant des désirs du
préopinant. J’aurai l’honneur de faire connaître à M. le président, ce soir ou
demain matin, le jour et l’heure où je serai autorisé à faire à la chambre un
rapport sur les affaires extérieures.
PROJET DE LOI RELATIF AUX CONCESSIONS DE PEAGES
Demande d’ajournement
M. de Gerlache cède le fauteuil à M. Destouvelles.
La suite de
l’ordre du jour est la discussion des articles de la loi concernant les
concessions de péages.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je déclare me rallier au projet de la section
centrale ; je n’y vois pas d’inconvénient.
M. H. de Brouckere. - Avant de mettre aux voix les articles, je voudrais
que l’on mît aux voix ma proposition relative à l’ajournement de cette loi. Si
on accueille ma proposition, le projet devrait être renvoyé à la commission de
l’industrie. Je crois que nous ne pouvons pas voter ici une loi que le ministre
lui-même déclare incomplète. Si des propositions ont été faites au gouvernement
pour obtenir des concessions, qu’il nous présente ces demandes et nous ne
ferons pas difficulté de les accorder.
M. Mary. - Il me semble que dans tout gouvernement il faut une
autorité quelconque et une force d’action ; et cela est tellement reconnu, que
la constitution peut être modifiée dans le cas où elle n’accorderait pas une
action suffisante au pouvoir exécutif.
Depuis deux
ans on ne peut établir des péages, on veut prolonger cet état d’inertie qui
tuerait l’industrie. On peut prendre un terme moyen. La loi aurait votre
assentiment si elle n’était que provisoire ; eh bien ! on peut déclarer qu’elle
ne sera exécutoire que jusqu’au premier juillet de l’année prochaine, et l’on
aura une année devant soi.
Je sais qu’on
élève une fin de non-recevoir fondée sur une question de constitutionnalité ;
mais, comme on l’a dit on élève trop souvent des questions de
constitutionnalité, et l’on resserre les pouvoirs constitutionnels dans des
bornes trop étroites. La loi contient, il est vrai, des
expressions un peu vagues ; je compte vous proposer des modifications à
l’article 2, et je donnerai lecture de ces amendements, parce que la
connaissance des améliorations que je vous soumettrai pourra avancer la
discussion. Je demande qu’il y ait publicité et concurrence pour les
concessions, à moins qu’elles ne soient accordées aux inventeurs du projet, et
que l’on ne puisse stipuler des droits exclusifs de communication en faveur du
concessionnaire. Le gouvernement hollandais avait dit que le canal de Charleroi
serait établi de manière à ce qu’on ne pût construire un canal latéral ; au
moyen de mon amendement, les vices du projet de loi seront mis de côté.
Le pouvoir
n’a pas l’intention d’abuser de l’autorité que vous lui accorderez. Je demande
que la chambre rejette la proposition d’ajournement, et qu’elle admette une loi
temporaire dont l’expiration serait fixée au premier juillet 1833.
M. Milcamps. - Messieurs, je viens me prononcer contre
l’ajournement du projet de loi, parce que ce projet me paraît contenir une
amélioration de la législation actuellement existante, qu’il ne faut pas
repousser. Si des droits de péage, d’après le projet de loi qui nous est soumis,
devaient se percevoir au profit de l’Etat, d’une province ou d’une commune,
j’aurais quelque peine à ne point considérer ces droits comme impôts ou une
rétribution à titre d’impôts dans le sens des articles 110 et 113 de la
constitution : les cas exceptés par ce dernier article concernent, par exemple,
les taxes personnelles que les communes perçoivent des habitants pour subvenir
aux dépenses communales qui sont autorisées par une loi, je pense, de 1816.
Necker, dans
son traité de l’administration des finances, présente le tableau par nature des
impôts ou contributions du peuple, et dans ce tableau figurent comme
contributions du peuple « les droits casuels à la mutation, les offices,
droits d’aide, de contrôle et de péage levés de la part des princes du sang à
titre d’apanage, de concession ou d’abonnement. »
Dans le cas
de péages établis au profit de l’Etat, d’une province ou d’une commune, je
serais peu touché de la raison que le citoyen est libre de ne pas user de la
route ou du canal, et ainsi d’éviter le paiement du droit ; car le citoyen est
aussi libre de ne pas boire du vin, et ainsi d’éviter le paiement de l’accise
sur cette boisson. Cependant cette accise n’est pas moins considérée comme un
impôt.
Mais la
proposition que nous discutons n’a pas pour objet l’établissement des droits de
péage au profit de l’Etat, des provinces ou des communes. Elle a uniquement
pour objet, j’entends le projet de la section centrale, l’établissement de
routes, canaux, canalisation des rivières et chemins de fer que ces citoyens ou
des compagnies voudraient entreprendre contre la concession d’un péage à y
établir pour en couvrir la dépense et l’entretien. Il ne peut y avoir de doute
à cet égard, puisqu’aucune adjudication ne peut avoir lieu qu’avec concurrence
et publicité. Il ne s’agit donc pas d’impôt ou de rétribution au profit de
l’Etat, des provinces ou des communes ; conséquemment on ne peut trouver dans
le projet une infraction aux articles 110 et 113 de la constitution.
Ce projet me
paraît contenir deux dispositions fort sages. Je veux parler des articles 2 et
3. S’agit-il de concessions à perpétuité ou pour un temps déterminé excédant 90
années, elles doivent être autorisées par une loi. Ce sont des actes
d’aliénation qui sortent des bornes d’une simple administration, et même, dans
les principes du gouvernement, de la haute administration.
S’agit-il de
concessions pour un terme moindre que 90 ans, elles seront autorisées par le
Roi. Ces concessions sont considérées comme des actes de haute administration ;
ainsi ni les provinces ni les communes ne pourront établir des routes, des
canaux par voie d’adjudication avec concurrence et publicité, sans
l’autorisation du Roi, disposition utile et nécessaire qui se lie à l’intérêt
général.
Ici, je rencontrerai une objection faite contre le
projet de loi présenté par le gouvernement et tirée d’une brochure qui se
trouve entre les mains de chacun de nous.
Ce projet,
dit-on, ne met point en jeu l’industrie des particuliers, puisqu’ils ne
prennent aucune part à la libre conception ou exécution des ouvrages d’utilité
publique.
M. H. de Brouckere. - C’est de la discussion générale.
M. Milcamps. - Je prouve qu’ on ne peut pas ajourner un projet
qui contient des améliorations.
M. H. de Brouckere. - Je demanderai la parole pour répondre à vos
arguments.
M. Milcamps. - Je ne conçois pas comment il est possible de
repousser une proposition d’ajournement si ce n’est en établissant que la loi
actuelle est nécessaire.
M. le président. - C’est de la discussion générale.
M. Milcamps. - Au reste, j’ai presque fini. Mais je fais remarquer
que, par cette objection, on répondait au mode de faire exécuter les travaux
aux frais de l’Etat. Or, d’après le projet de la section centrale, il ne s’agit
plus d’exécution d’ouvrages d’utilité publique, aux frais du trésor, mais de
concessions par voie d’adjudication, avec concurrence et publicité.
Ce projet de
la section centrale, aricle. 3, loin d’empêcher la libre conception des
ouvrages, la provoque, au contraire, pour les concessions perpétuelles, les
seules qui paraissent être dans les vues de l’auteur de l’objection. Ces
concessions perpétuelles seront autorisées par la loi. Ainsi les citoyens, les
sociétés, les compagnies, pourront soumettre leurs plans, leurs devis, en un
mot, leurs propositions, soit au gouvernement, soit à l’une ou à l’autre des
chambres.
Mais une
crainte se manifeste : celle qu’au moyen de l’article 2 du projet le
gouvernement ne prenne l’initiative. Il concevra des projets, il les mettra en
adjudication, il accordera des péages pour un temps moindre que 90 ans. Par là,
il éloignera toute idée de concessions perpétuelles : mais un pareil résultat
ne peut se présumer, à moins de considérer le gouvernement comme ennemi de la
chose publique ou susceptible de séductions. Car enfin le gouvernement, comme
les chambres, doivent avoir pour objet l’amour du bien public. Pour moi, je ne
sais pas pousser si loin la défiance ; je vois dans la loi proposée une
amélioration de ce qui existe : car je crois qu’en ne considérant pas le péage,
dont il s’agit dans le projet, comme un impôt, et il ne m’est pas possible de
le considérer comme tel ; je crois, dis-je, que le gouvernement pourrait, sans
nouvelle disposition législative, continuer à accorder des péages pour des
concessions temporaires. Et ici il consent à ce que la législature fixe cette
durée temporaire ; il propose que les concessions perpétuelles soient autorisées par la loi. Ce sont là, je le
répète, des améliorations dans la législation existante, que nous ne devons ni
ajourner ni repousser. Je n’examine point si les concessions perpétuelles
conviennent mieux à l’intérêt du pays que les concessions temporaires, c’est
une question sur laquelle je n’ai point assez réfléchi ; il me suffit que les
unes et les autres puissent avoir lieu, les perpétuelles par suite de
soumissions, pour que je donne mon vote au projet de loi de la section
centrale, sauf à voir si la loi sera transitoire seulement.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition
d’ajournement.
M. H. de Brouckere. - On ne doit pas craindre qu’il n’y ait plus de
concessions ; la chambre en accorderait. Depuis deux ans il y a eu des
concessions ; il serait possible de montrer les actes du ministère qui en a
fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.
M. H. de Brouckere. - Je crois que M. le ministre va parler de ces
concessions : celle que j’ai en vue est la concession de la route d’Houdimont.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - En effet, j’ai dit qu’une concession avait été
accordée à Houdimont ; le fait est vrai. Mais, relativement à la question
d’ajournement, je dois combattre les motifs allégués pour la faire adopter. On
a dit que le ministre pouvait présenter des projets pour accorder des
concessions ; eh bien vous rentreriez dans les inconvénients que le
gouvernement a cherché à éviter, car, d’après les dispositions de l’assemblée,
il n’est pas à croire que la session continuera encore longtemps.
A la
prochaine session les chambres seront occupées de projets tellement importants,
qu’il ne lui sera pas possible de s’occuper de projets pareils : au surplus, je
crois que l’ajournement ne peut avoir lieu. La discussion est commencée : je
demande qu’elle continue.
M. Barthélemy. - Je crains bien que l’on ne nous appelle la chambre
des ajournements ; car, excepté le budget, je ne sais pas ce que nous avons
fait. Nous venons de faire une loi d’ajournement pour l’ordre judiciaire ; on a
ajourné comment on jugerait les causes criminelles et correctionnelles ; il
fallait une demi-heure pour prendre une détermination . Nous avons ajourné toutes
les questions de pénalité. La question qui se présente est importante pour
l’industrie : dans la seule province du Hainaut, on demande des concessions
pour dix routes ; on attend pour savoir si le ministre pourra faire ou non ces
concessions. C’est pour sortir d’embarras qu’il a présenté cette petite loi.
Quant à moi, je ne l’aurais pas proposée, et j’aurais continué à faire comme on
a fait. Je m’oppose donc à l’ajournement, et je dirai que ce serait un scandale
que vous ne prononciez pas aujourd’hui sur deux ou trois articles après avoir
discuté déjà une journée entière.
- La
proposition d’ajournement, mise aux voix, est rejetée.
Article premier
« Art.
1er. Les péages à concéder aux personnes ou sociétés qui se chargent de
l’exécution des travaux publics, sont fixés pour toute la durée de la
concession. »
M.
Dumortier. - M. de
Brouckere avait demandé le renvoi du projet à la commission de l’industrie dans
le cas où sa proposition ne serait pas admise ; j’aurais désiré que ce renvoi
fût adopté. La loi est tellement incomplète qu’on ne distingue pas les routes
communales, provinciales, des autres routes, les canaux des rivières. Je doute
que je puisse laisser au gouvernement le pouvoir de concéder les routes
provinciales ; mais certainement je ne lui laisserai pas celui d’accorder les
concessions de canaux, de rivières, etc.
M. Destouvelles. - C’est au contraire dans le cas où la proposition de
M. de Brouckere serait adoptée, qu’il a demandé le renvoi à la commission de
l’industrie.
M. Barthélemy. - Le renvoi à la commission de l’industrie, c’est
l’ajournement.
M. Mary. - Je crois qu’on doit voter sur mon amendement avant
de voter sur l’article premier. « La loi ne sera exécutoire que jusqu’au
premier juillet 1833. » Voilà ce que je propose. Commue loi temporaire, on
pourra en vouloir ; comme loi perpétuelle, on n’en voudra peut-être pas.
M. Destouvelles. - Votre amendement est une disposition supplémentaire
et ne peut venir qu’après les articles.
M. Mary. - Je ne vois pas ce qui s’oppose à la mise aux voix
de ma proposition. De cette proposition dépend le sort de la loi. On est
disposé à adopter la loi en tant que temporaire ; mais on peut n’en pas vouloir
comme loi perpétuelle.
M. Pirmez. - Si l’on demande que la loi soit temporaire, c’est que
la loi est mauvaise ; mais les effets de la loi dureront 90 ans ; je voterai
donc contre la loi.
M. le président. - M. Gendebien présente par amendement les deux
articles suivants :
« Art.
1er. Provisoirement et jusqu’au 1er juillet 1833, au plus tard, le gouvernement
est autorisé à concéder des péages aux personnes ou sociétés qui se chargeront
de l’exécution des travaux publics tels que routes nouvelles, canaux et
canalisations de rivières non navigables, chemins de fer, ponts ; en un mot de
tous travaux ayant pour but de procurer à la circulation des voies
nouvelles. »
« Art.
2. Les concessions ayant pour objet le pavage ou l’amélioration de chemins de
terre et de routes anciennes, la substitution d’un moyen de transport à un
autre déjà existant, tel que les chemins de fer substitués aux routes ou
chemins anciens, la canalisation d’un fleuve ou d’une rivière navigable, ne
pourront être accordées que par le pouvoir législatif. »
Un autre
amendement est déposé par M. Dumortier ; le voici :
« La
perception des péages sur les chaussées provinciales et communales est
autorisée par le Roi, lorsque la durée de la concession n’excède pas 30
ans. »
M. Gendebien. - Les deux articles sont déjà assez longs pour que je
me dispense de développements étendus.
La loi telle
qu’elle est proposée n’est pas susceptible de discussion sérieuse ; ce n’est
pas une loi. Ce n’est qu’avec répugnance que j’entre en ses discussions aussi
compliquées, aussi peu à la portée de tout le monde, et de moi tout le premier.
Cependant puisqu’on veut discuter, j’ai cru qu’il fallait présenter quelque
chose qui ressemblât à une loi.
Il m’a fallu
d’abord distinguer ce qui appartenait au domaine public et qui ne peut être
concédé que par une loi, et les objets qui peuvent être concédés
administrativement. La distinction est toute rationnelle.
Quand il faut établir un canal, une route, sans
occuper d’anciens chemins qui sont du domaine public, l’administration peut
concéder ; mais je ne crois pas que vous puissiez accorder le péage pour des
chaussées sur un chemin qui est du domaine public. Je ne tiens pas à cette
distinction le moins du monde, parce que la matière est tellement délicate que
je ne propose d’amendements qu’en désespoir de cause.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il me semble que l’on revient à satiété aux
opinions déjà émises lors de la discussion générale et auxquelles on avait
répondu. Lorsqu’on a dit qu’une lacune avait été signalée, que le gouvernement
n’avait pas le pouvoir de donner des péages, alors on ne demandait pas un
système complet sur les travaux publics ; on prétendait que les lois existantes
devaient être exécutées comme elles sont, et qu’il ne s’agissait que de
déterminer qui paierait le péage. Il semble, en effet, qu’on ne peut pas dire
qu’en France il y ait absence de lois sur les travaux publics ; or, les lois
françaises régissent la Belgique.
L’amendement
de M. Gendebien repose sur cette idée que le gouvernement ne pouvait pas être
autorisé, en vertu de l’article 113 de la constitution, à établir des
perceptions de péages. Déjà il avait fait la distinction entre les routes
entièrement neuves et les routes anciennes ; c’est une grave erreur que
d’établir cette distinction : dans un cas comme dans l’autre il y a
expropriation pour cause d’utilité publique.
Mais,
lorsqu’il s’agit d’améliorer une route ancienne, de substituer un chemin pavé à
un chemin de terre, il faut que l’utilité publique soit constatée. C’est
l’utilité publique qui autorise le gouvernement à décider s’il y a lieu de
s’emparer des terrains pour les destiner à faire partie des nouvelles
communications. Ce mode a toujours été suivi ici comme en France.
Relativement au domaine public, j’ai dit que la
distinction du terme ou qui dépassait 90 ans ou qui était en dessous était
fondamentale. Quand la concession est en dessous de 90 ans, il n’y a pas
aliénation du domaine public, il y a seulement usage du domaine public, et le
Roi doit avoir le pouvoir de concéder.
Je pense donc que les difficultés que l’on a soulevées
sont beaucoup moins grandes dans la pratique qu’elles ne le paraissent.
Au milieu des
divisions d’idées que l’on a émises dans cette enceinte, je partage les
opinions de plusieurs collègues qui ont dit qu’il fallait se borner à remplir
la lacune que l’on remarquait relativement aux concessions de péages.
M. A. Rodenbach. - Les amendements de MM. Dumortier et Gendebien sont
assez longs et assez importants pour qu’on les étudie. Il faut les faire
imprimer et distribuer.
Il est quatre
heures.
M. H. de Brouckere. - J’appuierai la proposition de M. Rodenbach. Je vais
plus loin : je persiste à croire qu’il faut renvoyer le projet et les
amendements à une commission.
S’il fallait
une preuve que le gouvernement veut avoir l’omnipotence pour les canaux et les
routes, je n’aurais besoin que des paroles du ministre. M. Gendebien dit qu’il
concevait comment le gouvernement pouvait accorder des péages pour les routes
tout à fait nouvelles, mais qu’il ne pouvait accorder ce pouvoir lorsqu’il
s’agissait de routes anciennes et pour canaliser les rivières : le ministre n’a
vu aucune différence dans ces différents cas ; il faut être dépourvu de bon
sens pour ne pas la concevoir. II y a dans une province un chemin de terre qui
est la propriété de tous ; le gouvernement ne peut pas établir une barrière sur
ce chemin, parce qu’une barrière est un impôt.
Cela est si vrai, que dans la loi sur les barrières
vous fixez leur nombre et les endroits où elles doivent être établies. Vous ne
pouvez donc mettre de barrières sans loi ; et cependant par la loi que l’on
vous demande vous donneriez le pouvoir d’établir des barrières où le
gouvernement voudra. Ainsi un particulier demandera à paver un chemin de terre,
et le ministre permettra d’établir la barrière. Je passais sur ce chemin sans
rien payer, et maintenant je serai obligé de payer. Il en est de même des
rivières : ces rivières sur lesquelles je naviguais pour rien, par suite de
concessions je ne pourrai plus y naviguer sans payer des droits aussi
exorbitants qu’on voudra ; s’il fallait prouver que la loi est
inconstitutionnelle, toutes ces considérations le prouveraient.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne m’arrêterai pas à relever des expressions peu
parlementaires qui ne sont que trop familières à certains orateurs. Quand on
combat les opinions des autres, on devrait cependant être plus sobre de
qualifications.
Plusieurs orateurs ont émis l’opinion que le péage
n’est pas un impôt lorsqu’il est perçu sur une route ou un canal établis par
des particuliers.
A mon avis,
l’opinion contraire n’est pas soutenable. Lorsqu’un péage est perçu par l’Etat,
il faut que l’on présente à la législature le tarif des routes ; mais le
tableau des barrières sur les routes concédées, de la perception du péage qui
s’y fait, ne peut être considéré comme un impôt. S’il en était autrement, il
faudrait soumettre cette perception au vote annuel des chambres. Déjà plusieurs
orateurs ont cru que l’article 113 de la constitution n’était pas applicable à
ce cas. Par ces motifs, je suis convaincu que la proposition de M. Gendebien
n’a aucun fondement, et qu’on ne saurait distinguer les routes en nouvelles, et
en routes qu’il faut améliorer.
M. Gendebien. - D’après les développements émis par M. H. de
Brouckere, comment ne pouvez-vous pas trouver de la différence entre un chemin
libre pour tout le monde, une rivière libre pour tout le monde, et un chemin
qu’un particulier fait dans sa propriété, avec un chemin tel que celui que fait
la banque dans la forêt de Soignes ?
La banque n’a
besoin de personne pour faire ce chemin ; mais lorsqu’il s’agit d’autres
communications, il en est autrement.
Je vais citer
un exemple. L’histoire du passé est l’histoire de tous les gouvernements ; par
une pente irrésistible, ils tombent dans les mêmes abus.
La Sambre
avait une navigation irrégulière ; on a concédé la Sambre pour 23 ans. Ce terme
était susceptible de diminution encore, si la France rendait navigable la
Sambre sur son territoire. Qu’est-il arrivé ? C’est qu’on a établi un droit de
navigation tel qu’il est impossible de se servir de la Sambre. L’histoire de la
Sambre peut être l’histoire de la Meuse, sur laquelle on navigue tant bien que
mal ; mais on y navigue librement. Vous pouvez concessionner la Meuse et
écraser la génération actuelle. Voilà les abus que nous ne voulons pas voir
renaître. On aura beau parler de la confiance qu’on doit avoir dans les
ministres. : je ne refuse pas des qualités aux ministres comme je ne leur en
accorde pas ; mais les ministres peuvent croire qu’ils feront quelque chose
d’utile pour le public, tandis qu’ils ne feront rien que pour quelques
intrigants.
On parle des
lois sur les expropriations ; mais en Angleterre les expropriations ne se font
que par la législature. En supposant que l’article 113 de la constitution ne
s’applique pas aux routes nouvelles, il s’applique aux routes anciennes ; de
quel droit changez-vous la condition du public ? La constitution a fait une
différence entre l’impôt et la rétribution ; il faut admettre la distinction.
C’est avec
répugnance que j’ai proposé des amendements. Il y a cent à parier contre un que
je me trompe, puisque la chambre a ordonné l’impression de mes amendements ; je
demande lecture des autres. Les voici :
« Art.
3. Toutes les concessions sont faites à perpétuité. »
« Art.
4. Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication publique
avec concurrence et publicité.
« Le
rabais aura toujours lieu sur le taux du péage. »
« Art.
5. L’adjudication publique est toujours précédée d’une enquête :
« 1° Pour constater l’utilité publique ;
« 2°
Pour déterminer la situation la plus utile au public et la moins onéreuse aux
particuliers ;
« 3°
Pour fixer la hauteur de l’indemnité à payer par le concessionnaire à l’auteur
du projet, si celui-ci n’a pu s’en rendre adjudicataire, pourvu néanmoins qu’il
n’appartienne pas au corps des ponts et chaussées. »
« Art.
6. Toute demande de concession sera publiée et affichée pendant deux mois dans
les chefs-lieux des provinces et des commissariats de district, ainsi que dans
toutes les communes et villes qui seront traversées par les travaux objets de
la concession. »
M. Barthélemy. - On vous a dit tout à l’heure qu’il y avait de
grands inconvénients à permettre au gouvernement de faire des concessions pour
des améliorations ; on a cité la Sambre dont la navigation était détestable ;
le gouvernement a concédé ; le travail n’a pas été bien fait, ce n’est pas la
faute du gouvernement, c’est la faute de l’entrepreneur ; mais il n’en est pas
résulté un dommage pour ceux qui se servent de la Sambre. Un maître de forges
m’a dit qu’il ne payait plus que 9 fr. par la nouvelle navigation ce qu’il
payait 15 francs auparavant. Je nommerai ce maître des forges si l’on veut.
Ainsi de cet
exemple ne résulte pas que l’on ne doit pas donner au pouvoir le droit de faire
des concessions. La navigation de l’Escaut a été réclamée depuis longtemps
parce que les navigateurs sont les victimes des traîneurs de bateaux. (Non ! non !) La navigation a été
demandée. La province du Hainaut, toute seule, demande à faire une
demi-douzaine de routes.
M. A. Rodenbach. Je demande que l’on mette aux voix ma proposition
d’imprimer les amendements.
Plusieurs membres. - C’est de droit. (A demain ! à demain ! à demain !)
- La séance
est levée à 4 heures 1/2.