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Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 juin
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet
de loi portant un crédit supplémentaire au budget du département de la guerre pour
l’exercice 1832 (Brabant, Legrelle,
Osy, H. de Brouckere, Leclercq, de Muelenaere)
3) Projet
de loi portant organisation judiciaire. Second vote des articles. Inamovibilité
des juges : première nomination par le Roi des conseillers de cassation (Van Meenen, Gendebien, Raikem, Brabant, Van Meenen, Lebeau, Destouvelles, Van Meenen, Lebeau, Gendebien, Lebeau, H. de Brouckere, Gendebien, Van Meenen),
première nomination par le Roi des conseillers d’appel (Mary,
Destouvelles, Bourgeois,
Mary, Raikem, Jonet,
Ch. de Brouckere, Van Meenen,
Jullien, Lebeau, (+orangisme), de Robaulx, H. de Brouckere,
de Theux, Barthélemy, Leclercq), maintien des dispenses (Raikem,
H. de Brouckere, Lebeau)
(Moniteur belge n°182, du 30 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A midi et demi on
procède à l’appel nominal.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal, la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Lebègue écrit
qu’il est appelé chez lui pour quelques jours ; il prie M. le président de
faire agréer ses excuses à la chambre.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE
AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE LA GUERRE POUR L’EXERCICE 1832
M.
Brabant, rapporteur de la
commission qui a été nommée hier pour examiner le projet de loi portant
allocation d’un crédit supplémentaire de cinq millions de florins au budget de
la guerre, prend la parole. Il s’exprime en ces termes. - Messieurs, la
commission a vérifié les calculs sur lesquels était basée le demande du crédit
de cinq millions qui vous a été présenté hier par M. le ministre de la guerre.
Ces bases vous ont été soumises lors de la discussion du budget. D’après les
renseignements fournis et du consentement du ministre, nous avons cru pouvoir
opérer une réduction de six cent mille florins, réduction fondée sur la
situation des magasins et quelques économies que l’on pourra introduire dans
les garnisons.
En conséquence,
nous avons l’honneur de vous proposer l’adoption du projet, en y substituant le
chiffre de 4 millions 400,000 fl., à celui de 5,000,000.
M.
le président. - Quand
voulez-vous discuter cette loi ?
M. Legrelle. - La demande que l’on fait aujourd’hui est la conséquence
de la levée d’hommes qui a été votée ; une loi entraîne nécessairement l’autre.
Il me semble que nous pouvons voter immédiatement.
M. Osy. - Je crois également que le projet de loi est la
conséquence de la loi concernant la levée d’hommes ; mais je ne crois pas qu’on
doive pour cela le voter sur-le-champ. Auparavant il faut que M. le ministre
des finances nous dise comment il fera face, comment il satisfera aux besoins
du ministère de la guerre ; 24 heures de retard n’entraîneront aucun
inconvénient. Vous avez déjà un déficit de plus de 12 millions ; ce n’est pas
avec quelques papiers en portefeuille que vous le comblerez ; je puis vous
démontrer que telle est votre situation. Je voudrais qu’on nommât une
commission laquelle s’entendrait avec M. le ministre des finances pour aviser
aux moyens de faire face aux besoins du trésor.
M. H. de Brouckere. - S’il y avait la moindre urgence, je voterais
sur-le-champ : mais le sénat n’est pas réuni ; quand il sera réuni, il mettra
plusieurs jours pour voter la loi relative à la levée de l’armée de réserve. Je
demande que la chambre remette à lundi.
M. Leclercq. - Je crois aussi qu’on ne doit pas adopter la loi sans
l’examiner. Cependant cet examen n’est pas chose si compliquée que nous
puissions le faire promptement ; nous avons décidé la principale question,
celle de la levée des hommes.
Dès que nous
consentons à lever 30,000 hommes, nous consentons à la dépense ; la dépense
c’est une question de chiffres. Nous avons vérifié les chiffres du ministère,
la commission a vérifié les calculs ; et ce calcul est tellement simple que si
quelques députés veulent le refaire, ils auront terminé ce travail pour demain.
M. Osy demande
comment on trouvera les fonds. Je ne pense pas que la question soit de savoir
si l’on a les fonds ; le gouvernement a demandé 30,000 hommes, il demande
maintenant 5 millions de florins. La véritable question est de lever des hommes
et de les équiper de suite, parce que c’est une question de vie ou de mort pour
nous. Ainsi il ne s’agit pas de savoir comment on trouvera des fonds, à moins
qu’on nous dise que nous ne pouvons pas trouver 4 ou 5 millions de florins dans
le pays. Ce n’est pas là la question qui doit nous occuper, la question qui
doit nous occuper est celle de la levée des hommes. La question de la levée des
florins pourra se résoudre dans deux mois d’ici quand nous en serons au budget.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere).
- Mon intention était de présenter à la chambre, à l’appui de la proposition
qui a été faite par la commission, les observations qui viennent de vous être
soumises.
Un honorable
préopinant, dans une des précédentes séances, vous avait, à l’occasion de la
loi sur l’armée de réserve, déjà entretenu des conséquences naturelles du vote
de la levée de 30,000 hommes. Aujourd’hui ou veut rattacher à ce vote un
chapitre de la loi des voies et moyens.
Messieurs, si de
nouveaux moyens sont nécessaires, un projet de loi sera présenté par le
ministre des finances, mais un projet de cette nature mérite un mûr examen. On
voudra voir si c’est par des centimes additionnels ou par de nouveaux impôts
que l’on fournira aux besoins du trésor. Un projet de loi semblable demande à
être médité lentement et profondément, et il ne se rattache nullement à la
proposition qui vient d’être faite.
Plusieurs membres. - Votons immédiatement !
M. H. de Brouckere. - A demain !
M. le
président. - Il y a deux
opinions, il faut consulter la chambre.
- La majorité est
pour le renvoi de la discussion à demain.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION JUDICIAIRE
Second vote des articles
Article 48
M. le
président. - Nous allons
reprendre la discussion du projet de loi sur l’organisation judiciaire.
« Art. 48. La
première nomination des président et des conseillers de la cour de cassation appartient
au Roi. »
M. Van Meenen demande la parole pour une motion d’ordre. -
Messieurs, ma motion est la question préalable fondée sur
l’inconstitutionnalité de l’article.
Si l’on me
reprochait que ma proposition surgit à l’improviste, je renverrais le reproche
à ceux qui m’ont interrompu avant-hier au moment même où j’annonçais que
j’allais porter à la connaissance de la chambre les propositions que j’avais
dessein de lui faire, et à l’assemblée, qui, alors, comme cela lui arrive
souvent, s’est mise du parti des interrupteurs.
Si l’on m’opposait
l’article 45 ou tout autre du règlement, je répondrais qu’entre le règlement et
la constitution notre première loi source, règle et limite de nos pouvoirs, le
règlement doit évidemment céder. J’ajouterais qu’il ne sert de rien que le
règlement dise : votez ; quand la constitution dit : vous ne pouvez voter.
Que
si on nie que l’article soit entaché d’inconstitutionnalité, je répondrai
qu’entre moi qui affirme l’inconstitutionnalité, et qui veux la prouver, et
celui qui la nie, l’assemblée ne peut décider sans commencer par m’entendre, à
peine de se jouer de la constitution, et de nos serments. J’espère donc que
l’ennui d’entendre et l’impatience de finir céderont au devoir de m’écouter car
c’en est un. J’écris pour être bref et pour épargner les moments dont la
chambre est tantôt prodigue, tantôt avare à l’excès.
Je dis donc que la
constitution serait violée par l’article 48, s’il était converti en loi et je
le prouve.
M. le
président. - Cette
discussion est contraire au règlement ; l’article 48 n’a pas été amendé ;
l’article 45 du règlement ne permet pas de continuer.
M. Van Meenen. - La constitution est supérieure au règlement.
M. Gendebien. - La question est de savoir si la constitution a été
violée oui ou non. Il faut entendre l’orateur.
M. Van Meenen. - Je suis en train de vous le prouver...
(L’honorable membre continue sa lecture.)
« Le première
nomination de président et des conseillers de la cour de cassation, porte
l’article, appartient au Roi. »
Si c’est une
déclaration, elle est fausse : car ni la constitution ni aucune loi n’attribue
cette première nomination au Roi, et je n’ai pas besoin de vous rappeler de
nouveau et toujours l’article 78 et l’article 29 de la constitution.
Le mot
« appartient » est donc une formule énonciative, qui sert ici à
déguiser la délégation qu’on vous propose de faire de la première nomination
pure, simple, directe et absolue.
Or cette
délégation, vous ne pouvez la faire, pour deux raisons.
La première, que
l’article 136 de la constitution vous charge de déterminer le mode de la première
nomination des membres de la cour de cassation, loin de vous autoriser à
déléguer cette première nomination, sans même en avoir déterminé quoi que ce
soit. La seconde, que les juges des conflits et des ministres, ne peuvent être
nommés directement, et sans présentation, publicité ni contrôle, par le
gouvernement. Cette seconde raison doit frapper tons les esprits ; elle est
d’autant plus puissante que la cour de cassation une fois instituée peut, avec
la connivence du ministère, se perpétuer elle-même.
La cour de
cassation étant une fois instituée, la nomination de ses membres (et non la
désignation de ses présidents et vice-présidents) appartient au Roi, en vertu
de l’article 99 de la constitution, mais « sur deux listes doubles,
présentées l’une par le sénat, l’autre par la cour de cassation, et rendues
publiques au moins quinze jours avant la nomination. » Donc aussi
longtemps que la cour de cassation n’est point instituée, la première
nomination de ses membres n’appartient à personne. C’est à la loi qu’il est
réservé d’en déterminer le mode. Or ce n’est pas faire cette loi que déléguer,
comme on vous le propose, la nomination même purement et simplement, et par
conséquent la détermination de son mode, aussi bien que la nomination
elle-même.
On vous propose
donc, messieurs, de faire ce que vous ne pouvez pas (déléguer purement et
simplement la nomination), et de ne pas faire ce que vous devez (déterminer le
mode de la nomination).
On se saisit, par
un artifice que je m’abstiens de qualifier, de ce qui peut se trouver de
favorable à un certain système, dans les articles 99 et 136 de la constitution,
en rejetant le reste, et en vous cachant les articles 90 et 106 qui heurtent
trop vivement ce système.
Il est bien vrai,
messieurs, que, d’après la lettre de l’article 99, le Roi « nomme »,
mais le mot employé dans son acception véritable à l’égard des membres les
tribunaux inférieurs, n’a pour ainsi dire que celle
d’ « institue », quand il s’agit de la cour de cassation. Ici le
Roi n’a le choix tout au plus qu’entre quatre candidats présentés, sous le
contrôle de la publicité. Or, que vous propose-t-on, messieurs ? Sous prétexte
de déterminer le mode de la première nomination, on vous propose d’immoler au
profit du ministère le mode que la constitution a établi pour les nominations
en général sans lui en substituer un autre quelconque.
Il faut prendre
les articles 99 et 136 dans leur entier, et au lieu de les opposer l’un à
l’autre, les combiner de manière à conserver l’esprit général de la
constitution en ce qui concerne l’institution des juges, et à ne pas heurter
les premières notions de la justice et du bon sens, en conférant la nomination
de ses juges à une des parties.
Si le Roi a le
droit de nommer, c’est corrélativement et subordonnément au droit de présenter
qu’ont le sénat et la cour de cassation. La cour de cassation unique que la
constitution a voulue n’existe pas, mais il existe des cours faisant fonctions
de cour de cassation : mais du moins, le sénat existe ; pouvez-vous le
dépouiller de son droit ? Pourrait-il consentir à l’abdiquer ? Pas plus que
vous ne pouvez vous-mêmes déléguer la mission de déterminer le mode de cette
première nomination.
Pourquoi la
constitution vous a-t-elle chargés de cette mission ? parce que dans l’absence
de la cour unique de cassation voulue par l’article 95, le mode de nomination
prescrit en général par l’article 99 ne pourrait être suivi purement et
simplement pour cette première nomination ; au lieu d’en conclure qu’il faut
suppléer à certaines formes, on vous propose de les supprimer toutes.
En résumé : Vous
devez déterminer le mode de première nomination de la cour de cassation dans
l’esprit des articles 136, 99, 90 et 104 de la constitution ; vous devez
pourvoir à ce qu’il soit établi des juges entre les citoyens et le ministère,
en cas de conflit entre l’Etat et les ministres, en cas d’accusation des
ministres.
J’en
appelle à votre bon sens, à votre conscience, messieurs, est-ce là ce qu’on
vous propose ?
Des considérations
politiques et morales se pressent en foule dans mon esprit ; je m’abstiens de
les présenter pour ne me renfermer que dans la question de constitutionnalité.
Mais d’après la
constitution, la nomination d’un seul membre de la cour de cassation ou d’une
cour d’appel, doit être, par le concours des grands corps de l’Etat et par la
publicité la plus large, un acte grave imposant, solennel : or, d’après le
projet, la première nomination de tous les membres de la cour de cassation, de
la cour régulatrice, de la cour suprême, de la cour associée en quelque sorte
au pouvoir législatif, se trouve réduite aux formes, aux dimensions et à la
clandestinité d’une nomination d’un chef de bureau, ou d’un arrêté de
gratification. Cela n’est-il point inconstitutionnel ? Cela n’est-il point
déplorable ?
Je viens de
m’acquitter d’un pénible devoir : le vôtre commence, messieurs.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, l’assemblée aura déjà observé que
l’article maintenant en discussion a été voté sans aucune espèce d’amendement.
Cependant vous savez que dans le projet du gouvernement il y était dit que la
première nomination de tous les magistrats serait faite par le Roi. Cet article
se trouve dans le projet de la section centrale, rédigé par des personnes qui
sans doute connaissaient le sens et l’esprit de la constitution, puisqu’il se
trouvait dans la section centrale des hommes qui avaient fait partie de la
section centrale du congrès même et qui avaient assisté à la discussion des
articles 135 et 136 de la constitution.
Eh bien, cet
article 48 a été adopté à l’unanimité par la section centrale. Après de tels
antécédents, il serait bien étonnant, bien singulier, qu’il se trouvât une
inconstitutionnalité dans le projet, et que cette inconstitutionnalité eût
échappé à tous les yeux. Elle était donc bien imperceptible, cette
inconstitutionnalité, si véritablement il y en a une, et il a fallu bien des
efforts d’imagination pour la trouver.
Messieurs,
celte inconstitutionnalité n’est purement qu’une chimère. Dans l’article 99 de
la constitution, il s’agit de la cour de cassation déjà instituée ; mais le
mode de première nomination fait l’objet des dispositions transitoires, et il
est dit dans ces dispositions que le mode de première nomination sera réglé par
une loi. Dès lors il était libre aux législateurs de conférer cette nomination
au Roi, comme cela a eu lieu, et sans qu’aucune réclamation se soit élevée dans
l’assemblée. Il n’y a donc pas d’ombre d’inconstitutionnalité, car la
nomination du Roi est véritablement un mode de nomination.
Je
ne sais pas s’il faut répondre à cette imputation extraordinaire, qu’un membre
de la cour de cassation, par suite de l’article 48, serait nommé par un chef de
bureau : vous savez, messieurs, que ce sont des nominations fort graves que
celles des magistrats, et je crois qu’il est inutile de repousser une semblable
imputation.
M. Brabant.
- L’orateur a dit : « serait nommé comme un chef de bureau. »
M. Van Meenen. - J’ai dit : « Dans les mêmes formes qu’un chef
de bureau. »
M. le ministre de la justice (M.
Raikem).
- J’ai pu me tromper ; quoi qu’il en soit, je ferai remarquer qu’un ministre
est aussi nommé dans les mêmes formes qu’un chef de bureau ; il en est de même
de la nomination d’un gouverneur de province ; et encore de même de la
nomination d’un procureur-général, soit à une cour supérieure, soit à la cour
de cassation (on rit) ; toutes ces
nominations ont lieu comme celles des chers de bureaux, et je ne sais s’il faut
comparer tous ces administrateurs, tous ces magistrats à des chefs de bureaux.
L’article 48 a été
adopté ; il n’a été l’objet d’aucun amendement ; il est donc impossible de
revenir sur cet article, sauf la question de constitutionnalité. Or, démontrer
la constitutionnalité de cet article en présence de l’article 136 de la
constitution, ce serait s’attacher à démontrer la clarté de la lumière même. Il
est évident qu’il est constitutionnel…
M. Lebeau. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Destouvelles. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le
président. - La parole est
à M. Lebeau.
M. Lebeau. - Un fait personnel doit avoir la priorité.
M. Destouvelles. - L’honorable M. Van Meenen a dit que par un artifice
qu’il s’abstenait de qualifier, on avait substitué, au mode qui devait
déterminer la manière de nommer les membres de la cour de cassation, la
nomination royale ; je ne sais pas ce qu’a voulu dire M. Van Meenen, et je me
plaint autant du mot « artifice » qu’il a employé que de sa
réticence. Je voudrais qu’il nous dît ce qu’il entend par artifice. La section
centrale a pu se tromper ; mais elle a agi avec loyauté. Soutenez qu’elle a mal
vu la question, je respecterai votre opinion ; mais ne l’accusez pas d’avoir eu
recours à des artifices et ne faites pas usage de réticence, espèce de
ménagement plus perfide encore que le mot d’artifice.
M. Van Meenen. - Je ne sais comment mes paroles ont pu donner à
l’honorable préopinant l’idée d’accusation d’artifice que j’aurais faite. Il
suffit de lire ce que j’ai écrit pour voir qu’il est dans l’erreur. Je n’ai pas
eu l’intention d’attaquer la section centrale. Je parle du système dans lequel
est conçu l’article 48 ; je dis qu’il est établi par un artifice qui consiste à
prendre dans la constitution ce qui est favorable à l’article et à en rejeter
le reste.
M. Lebeau. - Vous pressentez, messieurs, quelle est ma motion
d’ordre.
Quelque imposant
que soit le motif allégué par M. Van Meenen, je crois qu’il n’y a pas de
prétexte pour sortir du règlement : s’il en existait, je pourrais remettre en
question autant d’articles qu’il y en a d’adoptés, en me servant du prétexte
qu’ils sont inconstitutionnels. Je le pourrais non seulement pour la cour de
cassation, mais je le pourrais pour les greffiers, pour les commis-greffiers ;
je le pourrais, parce qu’il ne s’agit pas d’avoir raison, mais un prétexte.
Votre règlement sera foulé aux pieds toutes les fois qu’on aura quelque
habileté à colorer d’inconstitutionnalité telle ou telle disposition.
Voulez-vous avoir
la preuve que le procédé insolite qu’on vient d’employer ne conduit à rien, que
nous nous engageons dans un défilé sans issue ? Demandez-vous si vous mettrez
l’article aux voix : vous ne le pouvez pas. Ainsi voilà une discussion sans profit
aucun.
Mais
qui empêchait M. Van Meenen de faire valoir, lors de la première discussion,
tous les scrupules, tous les motifs qui l’ont porté à voter contre la
disposition de l’article 48 ? Rien, absolument rien.
Il suffirait donc
qu’un membre fût soudainement illuminé, bien qu’il n’eût pas dit un mot pendant
une discussion d’un mois, qu’il n’ait pas été absent, bien que la
constitutionnalité du projet ait été examinée, pour venir soulever une question
toute nouvelle. La discussion est oiseuse ; qu’on se serve du moyen de
constitutionnalité, oui ou non, c’est un prétexte pour réformer votre règlement
; mais jusqu’à ce que vous l’ayez réformé, il est pour vous votre constitution
; si vous le violez il n’y a plus de délibération possible.
M. Gendebien. - C’est une chose bien étrange qu’un règlement fait
pour la chambre puisse prévaloir sur une question de constitutionnalité. Quoi,
sous le prétexte du règlement, nous serons condamnés à laisser dans une loi un article
qui violerait la constitution ! Si l’on suppose que nous serons assez
bénévoles, pour ne pas dire plus, pour admettre cette doctrine, on se trompe.
Que dirait le peuple ? Il désapprouverait la loi inconstitutionnelle et
peut-être ses représentants. On a beau dire que sous le prétexte
d’inconstitutionnalité, ou pourrait remettre en question les articles adoptés ;
je dirai que si c’est un prétexte, après avoir entendu l’orateur, vous ferez
justice de son erreur.
Mais vous êtes
condamnés à entendre son orateur dès l’instant qu’il propose la révision d’un
article pour cause d’inconstitutionnalité, et vous ne pouvez pas admettre un
article inconstitutionnel sous le prétexte qu’il est contraire au règlement. Si
la constitution a été violée l’article est nul, radicalement nul ; vous n’avez
pas même à la mettre aux voix ; vous n’avez pas capacité pour voter de tels
articles. Pour changer la constitution il faut être constitués autrement que
vous ne l’êtes. Il est impossible de repousser par une fin de non-recevoir ce
que M. Van Meenen a proposé. Si l’on veut discuter, aucun article du règlement
ne peut nous empêcher de le faire. On dit que personne ne s’est élevé contre
cet article : des devoirs impérieux m’ont retenu hors de cette enceinte ;
j’étais chargé de défendre la tête d’un honorable patriote et quand je suis
revenu et qu’il a été question de donner la nomination de toute la magistrature
au Roi, j’ai dit que je me serais formellement opposé à cet article si j’avais
été présent.
Si
vous ne contrevenez pas au texte de le constitution, vous contrevenez à son
esprit, c’est le ministère actuel qui va composer la cour de cassation ; si une
accusation était portée contre lui, ne serait-ce pas une commission nommée par
les ministres qui serait chargée de les juger ?
Ce fait est dans
l’ordre des choses possibles. Ce qui peut avoir lieu pour les ministres
actuels, peut avoir lieu pour leurs successeurs, car le pouvoir est toujours le
même. C’est donc une commission que vous allez nommer et qui aura une durée
d’un quart de siècle. Elle se perpétuera par des présentations de même nature
que les premières nominations. Messieurs, si vous ne mettez pas de plus de
prévoyance dans vos lois, il arrivera bientôt que votre gouvernement
représentatif ne sera qu’un mensonge.
M. Lebeau. - Messieurs,
la motion que j’ai faite est exclusive d’une discussion au fond ; si je voulais
parler sur le fond, je dirais qu’en France le Roi nomme les juges sous
présentation et que personne n’en a conclu que les magistrats fassent des
commissaires. Je dirais que le Roi nomme les pairs, que les pairs jugent les
ministres et que personne n’a songé à réclamer contre la compétence de la
chambre des pairs et sa haute dignité.
Je crois que la
discussion du fond est en dehors du règlement et c’est l’exécution du règlement
que je réclame, je me crois fondé parce que l’exécution du règlement est un
principe constitutionnel.
Lisez l’article
46, chaque chambre détermine par son règlement le mode suivant lequel elle
exerce ses attributions ; or, ce règlement c’est une constitution de
l’assemblée. Vous ne pouvez pas plus le violer que les trois pouvoirs ne
peuvent violer la constitution.
S’il
y a des inconvénients attachés au mode que vous avez adopté, qu’on le reforme, qu’on
y introduise telle amélioration qu’on voudra mais jusque-là le règlement, c’est
la loi de l’assemblée. Messieurs, à quoi bon des discussions préparatoires,
s’il faut absolument ouvrir de nouveau la discussion générale pour le prétexte
d’inconstitutionnalité ? A quoi bon les précautions par le règlement ? A quoi
bon l’examen des lois dans les diverses sections, puis dans la section centrale
? A quoi bon une première discussion où tout le monde a le droit de se faire
entendre ? A quoi bon tous ces préliminaires, si l’on peut faire surgir un
second vote sous prétexte de questions de constitution ? Alors nous allons au
hasard ; nous n’avons plus de règlement. Pour violer un règlement comme pour
violer la constitution on allègue toujours des motifs graves ; mais la
constitution et le règlement sont des choses inviolables.
Par ces
considérations, je demande la question préalable.
M. le
président. - Vous discutez
sur rien ; l’article 48 n’a pas été amendé !
M. H. de Brouckere. - Messieurs, je m’étonne qu’un honorable membre, à
qui tout le monde accorde beaucoup de bon sens, puisse vouloir que la chambre
mette son règlement, qui n’est que de police, au-dessus de la constitution.
C’est pourtant à cela qu’aboutit tout ce qu’a dit M. Lebeau. Je respecte autant
et plus que lui le règlement de la chambre, mais je n’hésiterai jamais à violer
ce règlement, lorsqu’en le violant je montrerai mon respect pour la
constitution, qui, il faut bien le dire, n’est pas trop respectée. Prenons
garde, nous sommes sur une mauvaise pente, peut-être arriverons-nous dans un
abîme dont nous aurons peine à nous tirer.
On nous dira
qu’avec des prétextes ou pourra rentrer dans une discussion épuisée ; non,
messieurs, on ne le pourra pas, parce que la chambre aurait bientôt fait droit
des prétentions de l’orateur. Ce n’est pas pour un vain prétexte qu’on demande
la parole, c’est pour satisfaire la conscience. Je suis persuadé que si M. Van
Meenen faisait une proposition conforme à ce qu’il a exposé, il ne serait pas
le seul qui voterait dans ce sens.
La
question soulevée par M. Van Meenen n’a pas été discutée, et l’on a mauvaise
grâce, archi-mauvaise grâce, de prétendre que sa question n’est pas soutenable.
M. Lebeau prétend
que nous ne pouvons pas plus violer notre règlement que les trois pouvoirs ne
peuvent violer la constitution. Dans une autre circonstance, M. Lebeau lui-même
a demandé qu’on violât le règlement ; il a soutenu, attendu l’importance de
l’objet en discussion, qu’on passât par-dessus les règles de notre police
intérieure ; j’admets qu’il est des circonstances où l’on doit agir ainsi ;
mais je ne reconnais jamais le droit de violer la constitution. Il n’y a pas de
comparaison possible entre un misérable règlement et la constitution, et sous
aucun prétexte on ne peut repousser les questions de constitutionnalité en
disant qu’il n’y a pas lieu à délibérer.
M. le président. - Mais il n’y a rien en délibération.
M. Gendebien. - Il semble que l’on a voulu jeter un vernis de
légèreté sur les membres qui ont réclamé dans le sens de M. Van Meenen ; nous
avons soutenu que M. Van Meenen avait le droit de parler, de développer son
opinion. La question est de savoir si l’on entendra M. Van Meenen ou si on ne
l’entendra pas.
Plusieurs membres. - Mais il a fini son discours.
M. Van Meenen. - S’il s’agit de moi, j’ai rempli les devoirs que ma
conscience me prescrivait ; je n’ai pas un mot à y ajouter.
M. Gendebien. - J’entre pleinement dans l’opinion de M. Van Meenen.
M. le
président. - Nous passons à l’article 49, il est ainsi
conçu : « La première nomination des présidents et conseillers des cours
d’appel, ainsi que des présidents et juges des tribunaux de première instance
sera faite directement par le Roi.
M. Mary. - Il m’a
semblé que cet article devait être rédigé autrement et que M. le ministre de la
justice avait adopté la rédaction de la section centrale ; que même il était
auteur de la rédaction du projet de la section centrale.
M. Destouvelles. - J’ai dit que M. le ministre de la justice, après
avoir appris que son premier projet avait été écarté par la section centrale,
avait bien voulu se charger de le remanier et de faire une nouvelle rédaction ;
que cette rédaction avait été soumise à un nouvel examen, et que l’article que
la section présentait était le résultat de ce travail. Telle est l’exacte
vérité.
M. le ministre de
la justice, dans la section centrale, ne s’est point opposé à ce que l’article
fût livré à la discussion, et il a déclaré en même temps qu’il se réservait
d’attaquer les articles qui ne lui paraissaient pas devoir être adoptés.
M. Bourgeois. - Comme membre de la section centrale je dois dire que
ce que vient d’exposer M. Destouvelles est l’exacte vérité, et j’ajouterai que
l’article 49 était précisément du nombre de ceux contre lesquels le ministre
avait fait des réserves.
M. Mary. - On a cru que le ministre admettait le projet de la
section centrale puisqu’il en avait rédigé les articles et par ce motif que
personne n’a réclamé.
La question est
donc toute nouvelle.
L’article 99 de la
constitution, concernant la nomination des magistrats est complexe. D’abord on
dit que les juges des tribunaux sont nommés directement par le Roi. Quant aux
présidents, vice-présidents des tribunaux de première instance et aux
conseillers des cours d’appel, la constitution déclare qu’ils seront choisis
par le Roi sur des listes. Je ne crois donc pas, messieurs, que nous puissions
refuser au Roi la nomination des juges ; mais il n’en est pas de même de la
nomination des conseils des cours d’appel, des présidents et vice-présidents
des tribunaux de première instance. Si la loi provinciale était adoptée, si
vous aviez la cour de cassation, la question ne serait pas difficile. Il n’en
est pas ainsi.
Quelle a été
l’intention du congrès en voulant la présentation préalable exigée par
l’article 99 ? Le congrès a voulu que dorénavant on ne pût plus attaquer
l’indépendance des cours ; il a voulu que l’opinion publique fût favorable aux
arrêts.
Il ne suffit pas
d’avoir le pouvoir de rendre arrêts, pour qu’ils soient sanctionnés par
l’opinion publique : Gaubordement, le tribunal révolutionnaire, les cours
prévôtales avaient le pouvoir de rendre des arrêts ; mais leurs décisions
n’avaient aucune force morale.
La nomination
directe ne peut pas être généralement accordée au gouvernement. Cette nomination
directe a été faite par le gouvernement provisoire ; eh bien, qu’elle soit
maintenue. En France, vous avez eu quatre gouvernement depuis 1810, et l’on n’a
pas cru, à chaque changement de gouvernement, qu’il fallût changer tous les
magistrats, Cependant chaque gouvernement pouvait craindre de trouver dans les
magistrats des antagonistes ; ici au contraire le gouvernement trouve dans les
magistrats des hommes dévoués à l’ordre de choses actuel et prêts à seconder le
pouvoir.
Mais, dit-on, le
Roi a toujours une part dans la nomination ; si dans le maintien de ce qui est,
le Roi n’a pas une part directe, il a du moins une part indirecte puisqu’il
confirme.
La nomination
signée par te Roi est contresignée par un ministre : le Roi est inviolable ;
c’est le ministre qui est responsable ; vous n’avez d’autre garantie que celle
offerte par le ministre ; pourquoi donner la nomination directe au pouvoir ?
Est-il donc si avantageux d’avoir beaucoup de places à donner ? Louis XIV
disait que quand il avait une place à donner il y avait toujours 20 postulants,
et qu’il faisait 19 mécontents et un ingrat.
En
maintenant les nominations faites par le gouvernement provisoire, on a encore
beaucoup de nominations à faire. Vous aurez trois cours d’appel au lieu de deux
qui existent, plus la cour de cassation ; le personnel de la magistrature est
augmenté de plus d’un quart.
Par ces
nominations, le gouvernement exercera une influence suffisante. Messieurs, je
suis personnellement indifférent à la
question ; mais je crois qu’elle intéresse le pouvoir ; je crois qu’il convient
au gouvernement actuel de maintenir dans leurs fonctions et les conseillers et
les présidents et vice-présidents des tribunaux. Ne pas le faire, ce serait
rendre le terrain plus mouvant et augmenter la masse des mécontents.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - La discussion à l’égard de la question qui se
présente a été épuisée dans une précédente séance, et vous savez quel a été le
résultat du vote qui l’a suivie : l’amendement proposé a obtenu les deux tiers
des suffrages.
Mais, fait
observer l’honorable préopinant, on croyait que le ministre se ralliait aux
dispositions de la section centrale : messieurs, vous avez entendu les
honorables membres de cette section ; ils ont dit que j’avais formellement
déclaré que je ne pouvais m’y rallier. Il y a plus, c’est que dans les
observations préliminaires que j’ai présentées le premier jour de la discussion
du projet, j’ai déclaré formellement que je ne me réunissais en aucune manière
à l’opinion de la section centrale relativement à l’article 49 et aux articles
suivants ; je l’ai déclaré le jour de l’ouverture de la discussion ; les
paroles que j’ai prononcées ce jour-là ont été insérées dans les journaux,
ainsi il n’y a aucune espèce de surprise, car c’est plus de huit jours après
qu’a été discuté l’article 49.
Quant aux
objections que l’on a faites, il a été reconnu dans la section centrale qu’il
n’y avait aucune espèce d’inconstitutionnalité d’attribuer au Roi les premières
nominations, et les membres de la section centrale qui avaient fait partie du
congrès se rappelaient ce qui s’y était passé lors de la discussion de
l’article 135 de la constitution. Un honorable membre avait proposé de déclarer
inamovibles les magistrats existants ; cette proposition a été rejetée à une
grande majorité par le congrès, et la disposition de l’article 135 est là pour
prouver que l’on s’en est rapporté à la législature pour savoir à qui
appartiendrait les premières nominations des magistrats.
L’honorable auteur
de l’amendement qui vous est soumis maintenant avoue qu’il n’y a pas
d’inconstitutionnalité dans l’article 49, car s’il y avait
inconstitutionnalité, il ne pourrait attribuer au Roi la nomination des juges
des tribunaux de première instance, voire même des juges de paix.
Quant à moi, je ne
crois pas qu’on puisse faire de distinction entre les juges des tribunaux de
première instance et les conseillers des cours.
Je crois qu’il
faut les maintenir tous ou les soumettre tous à la nomination royale. Je suis
persuadé que ce dernier mode est préférable.
Et que l’on ne
vienne pas prétendre qu’il y aurait quelque inconvénient dans ce mode, que l’on
ne vienne pas citer un mot de Louis XIV ; il ne s’agit pas de donner des places
entre un grand nombre de concurrents pour faire des juges, des magistrats, il
faut chercher des hommes intègres, des hommes ayant des connaissances en
jurisprudence. Il ne s’agit ici en aucune manière d’attaquer les magistrats
actuellement existants ; ils ne sont pas exclus des nominations qui seront
faites par le Roi.
La constitution
n’a pas voulu déclarer irrévocables les nominations actuelles ; il faut donc
bien maintenant fixer d’une manière irrévocable de quelle manière seront faites
les premières nominations.
Que
l’on ne vienne pas parler de commission : messieurs, les commissions sont
composées de juges que l’on peut nommer et révoquer à volonté ; c’est n’est pas
d’une telle nomination qu’il s’agit ici.
En France, les
magistrats étaient nommés par le Roi seul, sans aucune présentation ; et dès
qu’ils sont inamovibles, on ne les a pas considérés comme des commissaires.
L’opinion publique ne s’informe pas par qui les arrêts sont rendus, l’opinion
publique sanctionne tous les arrêts rendus par des hommes intègres et versés dans
la science des lois, c’est de tels hommes dont il faut faire choix, qu’il faut
appeler à la magistrature.
Messieurs, il
s’agit ici de prérogative royale. Les premières nominations doivent être faites
par le Roi.
M.
Jonet. - Messieurs, je n’imiterai pas ceux de mes honorables
collègues qui ont cru devoir s’abstenir de voter sur la disposition qui nous
occupe actuellement, à cause que cette disposition les concerne plus ou moins
directement.
Je ne les imiterai
pas, parce que je ne suis pas envoyé ici pour stipuler mes propres intérêts,
mais bien pour défendre ceux de mon pays et ceux de toutes les personnes qui
n’ont pas l’honneur de siéger parmi vous.
Mon mandat est de
voter sur toutes les mesures d’intérêt général sur lesquelles la chambre est
appelée à délibérer ; ce mandat, je le remplirai dans toutes les positions,
quelque délicates qu’elles puissent être ; je le remplirai, parce que ma
qualité de député m’a fait un devoir que je croirais trahir, si je me taisais
quand je dois parler.
Après cette
première déclaration, j’en ferai une seconde : c’est que je suis moins
intéressé que beaucoup d’autres, vous pouvez le croire, dans la question sur
laquelle vous êtes appelés à prononcer.
Je suis magistrat,
il est vrai ; mais, avant de l’être, j’exerçais un autre état non moins
honorable. J’étais avocat, et 25 années de travaux assidus m’avaient fait
acquérir une clientèle, qui me procurait trois ou quatre fois plus que le
chétif traitement que l’on daigne nous accorder, et que des personnes qui ne
connaissent pas, ou qui ne veulent pas connaître, l’importance d’une bonne
magistrature, semblent avoir trouvé trop fort.
Eh bien, cet état,
je ne demande pas mieux que de le reprendre ; si la mesure proposée peut me
concerner, qu’on le dise, mais qu’on le dise sans délai, qu’on le dise demain,
aujourd’hui même, et j’abandonnerai sans regret, peut-être avec plaisir, des
fonctions que je n’ai jamais sollicitées, et que je n’ai acceptées que par
dévouement, en sacrifiant mon intérêt et celui de ma famille à celui du pays.
Après ces
déclarations, qui n’expriment que faiblement ce que je ressens au fond de
l’âme, j’aborde la question, et je me demande si, comme on l’a dit, avec plus
de justesse que d’élégance, il faut faire table rase, et accorder au Roi la
faculté de faire des magistrats d’aujourd’hui tout ce qu’il lui conviendra ?
A cet égard je ne
partage pas, messieurs, l’opinion émise par la cour dont j’ai l’honneur d’être
membre, que l’inamovibilité du personnel des cours et des tribunaux est
consacrée par la constitution ; cette opinion est loin d’être celle de toutes
les personnes qui la composent, cette cour ; avant qu’elle ne fût émise,
plusieurs magistrats l’ont combattue, avec des arguments auxquels il était
difficile de répondre ; cependant elle a été accueillie par la majorité ; non
pas précisément parce qu’elle était vraie, mais plutôt parce qu’elle renfermait
des idées de justice et d’humanité, qu’il était bon, qu’il était utile de
transmettre aux membres du corps législatif, qui prononceraient définitivement
sur le sort de tant d’hommes et de tant de familles. C’est au moins par ces
motifs que, personnellement, j’ai appuyé la rédaction et l’envoi des
observations de la cour de Bruxelles que nous avons sous les yeux.
Je le répète, je
ne pense pas que l’on puisse soutenir avec vérité et espoir de succès, que la
constitution a maintenu tous les magistrats maintenant en fonctions ; mais, de
là, s’ensuit-il qu’ils doivent être démissionnés, et soumis ensuite à
l’épuration du bon plaisir ?
Je ne le pense
pas, et ici je vous dois les motifs de mon jugement et de ma pensée, afin que
vous me jugiez à mon tour.
Les magistrats à
qui on refuse la maintenue de leur état sont de deux sortes : les uns ont été
nommés avant la révolution, et les autres après.
Quant aux
premiers, on ne peut se refuser de reconnaître qu’ils ont été nommés sous
l’empire d’une loi qui les déclarait inamovibles. L’article 68 de la
constitution du 22 frimaire an VIII porte : « Les juges, autres que les
juges de paix, conservent leurs fonctions toute leur vie. »
Eh bien,
maintenant, comment pouvez-vous sans injustice, je dirai même sans crainte,
dire à ces hommes : vous croyez avoir été nommés à vie, mais vous vous trompez,
votre croyance n’est qu’un mensonge. Cela n’est pas vrai, parce que nous ne
voulons plus de vous. C’est un piège que l’on vous a tendu. Subissez toutes les
conséquences auxquelles votre bonne foi vous expose, si tant est que jamais
vous avez été assez bon pour croire aux promesses fallacieuses que la loi
constitutive de l’Etat et les hommes du pouvoir vous ont faites.
Voilà, messieurs,
la position et le sort que vous réservez aux magistrats nommés avant la
révolution, si vous maintenez l’amendement que l’on vous propose.
Pour ce qui est
des autres magistrats, je dois convenir qu’ils n’ont pas, comme les premiers,
leurs titres inscrits dans la loi, Mais leur position en est-elle moins digue
de votre attention ?
Qu’étaient ceux-ci
avant qu’ils n’acceptassent leurs fonctions ?
La plupart étaient
avocats ; presque tous fréquentaient le barreau avec avantage ; presque tous
ont abandonné des clientèles lucratives pour accepter des places que la plupart
n’ont jamais demandées. Ces hommes se sont mis à la merci du pays pour lui être
utile, dans un moment où il y avait du danger et où il fallait même du courage
pour le faire. Et ce sont ces hommes que vous renvoyez en masse ; ce sont ces
hommes que vous voulez au moins décimer ? Ah ! messieurs, réfléchissez qu’il y
dans cette proposition quelque chose d’injuste, d’inhumain, et je dirai
d’impolitique, que, j’en suis certain, votre âme doit repousser.
Mais il y a,
dit-on, quelques-uns de ces hommes qui ne sont pas dignes des places qu’ils
occupent.
Cela est possible
; mais aussi, où est le corps qui ne renferme pas quelque tache ? et parce que,
çà et là, vous rencontrez quelques membres faibles, devez-vous nécessairement
détruire le corps entier ? N’a-t-on pas pris, dans le temps, toutes les mesures
pour le composer au mieux ? Et vous, qui prétendez le régénérer, êtes-vous sûr
de ne pas vous tromper ? Croyez-vous que vous saurez toujours discerner le vrai
du faux, le bon du mauvais, la capacité de l’incapacité ? Etes-vous sûrs que
l’intrigue ne vous égarera pas dans votre choix, et que la calomnie ne vous
fera pas commettre de nouvelles injustices ?
Pour moi,
messieurs, je ne sais comment le ministère remplira une tâche aussi difficile
et supportera une telle responsabilité ; et je crains bien que son zèle et sa
bonne volonté ne l’entraînent beaucoup plus loin que le but que probablement il
se propose d’atteindre. Tout le monde, dit-on encore, ne sera pas renvoyé ;
quelques hommes seulement seront déplacés.
Soit ; mais, pour
ces hommes, vous n’en êtes pas moins injustes que pour les autres, et je pense
moi, qu’un gouvernement qui veut acquérir de la force et de la stabilité doit
éviter soigneusement de commettre de telles fautes, qui tôt ou tard lui sont
reprochées, et qui, comme on vu tant de fois, contribuent si puissamment à
ébranler les fondements des édifices sociaux, que l’on croyait les mieux
affermis et les mieux cimentés.
Quant au but
politique que l’on se propose, je crains que l’on ne l’aperçoive encore qu’à
travers un prisme et sous un faux jour. Je ne sais si l’on veut récompenser ou
punir. Mais ce que je sais bien, c’est que nous ne sommes plus au flagrant de
la révolution et j’estime que sans une nécessité absolue, il ne faut jamais
porter atteinte aux existences sociales, aux droits acquis, ni même aux
convenances.
La section
centrale a mûrement réfléchi sur les mesures qu’elle vous a proposées avant de
vous les présenter.
Elle a d’abord
fait, pour la royauté, une part assez grande et assez belle en lui attribuant
toutes les institutions, et en lui abandonnant la nomination directe aux places
vacantes et à celles à l’égard desquelles personne ne peut réclamer ni droit
acquis, ni possession. La constitution permet à la loi de fixer le mode de ces
nominations ; mais la section a pensé que, sous ce rapport, le projet pourrait,
sans inconvénient, montrer de la confiance au Roi de son choix, puisque les
nominations qu’il ferait, ne pourraient porter atteintes aux droits de
personnes.
Mais à l’égard des
cours d’appel et des tribunaux, elle a pensé autrement ; elle a cru que l’on
devait apporter toutes les restrictions que la justice et la politique
réclament ; elle a pensé que l’on avait trop longtemps promis aux juges
l’inamovibilité qu’ils n’ont jamais obtenue ; elle a pensé que maintenir les
magistrats existants serait donner un exempte salutaire, qui ne pouvait tourner
qu’à l’avantage des libertés publiques ; elle a en conséquence arrêté, qu’elle
nous proposerait de dire :
« que
les membres des cours d’appel et des tribunaux seraient maintenus dans leurs
fonctions ;
« qu’après la
nomination de la cour de cassation, le Roi désignera les présidents et
conseillers des cours supérieures de Bruxelles et de Liége, qui composeront les
cours d’appel de ces deux villes ;
« et qu’enfin
les membres non désignés passeraient, en leur qualité actuelle, à la cour de
Gand. »
De cette manière,
en conférant au Roi toutes les institutions, vous maintenez tous les droits des
titulaires ; et ainsi vous respectez toutes les convenances.
Je ne sais,
messieurs, quel sera le résultat de cette discussion ; je ne sais ce que la
majorité de cette assemblée pensera en définitif de cette grande et importante
question, qui, pour moi, est la pierre angulaire de la loi que nous discutons.
Mais en attendant, je dis et je dois dire, afin qu’on ne donne pas d’autre
motif à mon vote, que si vous rejetez les propositions de la section centrale,
ma conscience m’impose l’obligation de voter contre une loi que je trouve
mauvaise, et que, comme telle, je dois repousser de toutes mes forces.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs je ne rentrerai pas dans la discussion,
mais des devoirs à remplir m’ayant retenu absent pendant le vote sur cet
article, je viens motiver aujourd’hui celui que j’ai à émettre. Je voterai
contre l’article et contre la loi, parce que je n’admets pas que la chambre
puisse accorder au pouvoir exécutif le droit exorbitant de renouveler la
magistrature tout entière du royaume ; je voterai contre l’article et contre la
loi, parce que ce serait contribuer par mon adhésion à mettre la Belgique
jusqu’au 15 octobre sous le régime des commissions, enfin je voterai contre la
loi et contre les articles 48 et 49, parce que je trouve ces deux articles
inconstitutionnels. Il y a huit jours, l’article 122 de la constitution a été
menacé, dans peu de jours nous saurons peut-être si l’article 76 existe encore
oui ou non ; aujourd’hui on nous propose de violer les articles 99 et 136 de la
constitution. Je ne pousse pas aussi loin que M. Van Meenen les conséquences de
l’adoption de l’article, mais je dis que si au Roi peut être accordée la
première nomination des conseillers des cours, il n’est pas possible au moins
de lui attribuer la nomination du président et du vice-président. L’article 136
porte : Une loi portée dans la même session, déterminera le mode de la première
nomination des membres de la cour de cassation. Que le Roi nomme les membres de
la cour, soit, mais quand ils seront nommés, qu’on leur applique les
dispositions de l’article 99 qui porte dernier paragraphe : Les cours
choisissent dans leur sein leurs présidents et vice-présidents. C’est là une
disposition constitutionnelle que vous devez observer, et votre article ne le
fait pas. Il y a donc violation flagrante de la constitution, la chose est
évidente ; il n’est pas besoin d’épiloguer là-dessus pour le voir et pour en
être convaincu. Je voterai donc contre l’article et contre la loi tout entière.
M. Van Meenen. - Messieurs, on a dit que l’article avait été adopté
sans discussion. Je ne le crois pas, car arrivé tard à la séance, j’ai entendu
quelques orateurs parler sur la question et dire qu’ils n’y étaient pas
préparés, parce qu’ils avaient cru que le ministre ayant adhéré à la rédaction
de la section centrale n’aurait pas d’amendement à présenter ; moi-même, je
n’ai pu prendre part à la discussion, parce qu’arrivé trop tard, l’article a
été emporté avant que je n’aie en le temps de demander la parole.
On nous a rapporté
ce qui s’était passé au congrès lors de la discussion de l’article 135 ; je
vais vous dire, moi, ce qui s’y est passé, non pas dans des colloques, non pas
même dans l’intérieur des section, mais à la tribune ; voici, messieurs, ce que
détaille le rapporteur de la section centrale : « D’après une disposition
déjà décrétée, il doit y avoir trois cours d’appel en Belgique, il peut en
résulter des changements dans le personnel de la magistrature, la section
centrale a pensé, à l’unanimité des dix membres présents, qu’en ce qui concerne
le personnel des cours et tribunaux, on devait s’en rapporter à la loi ; que le
législateur devait y pourvoir dans l’année ; et que jusqu’alors le personnel
devait être maintenu tel qu’il existe actuellement. » Il est bien évident
d’après ces termes, que ce n’est pas à l’amovibilité des juges que la section
centrale s’est rattachée par l’article 135, car rien n’eût été plus facile que
de le dire : le régime des commissions est temporaire et provisoire doit cesser
; c’est à la loi de le faire cesser, cette loi sera portée dans l’année.
On vous a dit
qu’un membre avait proposé de donner l’inamovibilité aux magistrats existants,
et que le congrès l’avait rejeté. Messieurs, j’ai consulté le procès-verbal de
la séance du congrès du 7 février, je me suis fait communiquer tous les
amendements produits à cette séance ; or l’amendement auquel on a fait allusion
était de M. Zoude, en voici la contexture :
« Je propose de
substituer à l’article 3 (l’article 3 de ce projet répond à l’article 135, de
la constitution) la rédaction suivante : le personnel des cours et des
tribunaux sera maintenu tel qu’il sera à l’époque où la présente constitution
sera obligatoire, sauf les cas de suspension ou de destitution qui seront fixés
par la loi sur l’organisation judiciaire. » Vous voyez que M. Zoude
reportait l’inamovibilité de la magistrature à des circonstances et à des
conditions futures, et comme le congrès ne voulait pas mettre en question
l’inamovibilité des juges, il rejeta l’amendement. Bien loin par conséquent de
pouvoir s’étayer de ce rejet, pour combattre l’opinion que je soutiens, il
vient lui prêter son appui ; la question reste donc tout entière.
De quoi s’agit-il
aujourd’hui ? Vous devez exécuter l’article 104 de la constitution, établissant
qu’il y aura trois cours d’appel en Belgique et l’article 135 qui vous charge
de pourvoir au personnel des cours et des tribunaux. Il ne s’agit que de
rapprocher l’article 136 de l’article 135 de la constitution, pour acquérir la
conviction que le congrès, que la constitution, n’ont pu entendre que la
première nomination des membres de l’ordre judiciaire appartiendrait au Roi.
Voici ce que disent ces articles :
« Art. 135.
Le personnel des cours et des tribunaux est maintenu tel qu’il existe
actuellement, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par une loi.
« Cette loi
devra être portée pendant la première session législative. »
« Art. 136.
Une loi, portée dans la même session déterminera le mode de la première
nomination des membres de la cour de cassation. »
Si l’on eût
entendu par l’article 135, parler individuellement des membres des cours et des
tribunaux, on aurait employé dans cet article le mot « membres, »
comme on l’a employé dans l’article 136 ; si on eût entendu se ménager par
l’article 135 la première nomination, on l’eût dit, aussi bien que dans
l’article 136 ; et de ces deux articles on n’en eût fait qu’un seul : de ce
rapprochement et de ce qui s’est passé au congrès, me semble résulter la
solution de la question.
Il s’agissait
d’une autre part de pourvoir directement et immédiatement par une loi au
personnel des cours et des tribunaux, et non de déclarer que les cours et les
tribunaux ont été des commissions jusqu’à ce jour, et qu’ils le seront encore
jusqu’au 15 octobre prochain. Deux existant déjà, il ne s’agissait que de les
diviser en trois, le personnel devait être modifié, quant au nombre, à la
distribution à la résidence. Est-ce là ce que fait l’article 49 du projet ?
Non, messieurs, il déclare au contraire que la première nomination du personnel
sera faite par le Roi, c’est-à-dire que l’on supprime les cours et les
tribunaux, pour les recréer ensuite. La preuve que vous les supprimez résulte
de l’amendement que vous avez cru devoir ajouter à l’article 55, où vous dites
: « Jusqu’à cette installation, les cours et les tribunaux actuels
continueront leurs fonctions, » donc les cours et les tribunaux ont été
jusqu’à ce jour des commissions provisoires et temporaires et le seront encore
jusqu’au 15 octobre ; ils jugeront en vertu d’une commission spéciale et
expresse que vous croyez devoir leur donner ; ainsi il sera bien avéré que depuis
2 ans nous aurons vécu sous le régime de commissions et que ce régime ne
cessera que dans trois mois. Est-ce ainsi, je vous le demande, que l’on
pourvoit à l’indépendance judiciaire ?
Une autre question
qu’il s’agit de résoudre est celle de savoir s’il convient que le ministère se
donne des juges et qu’il nous en donne à nous-mêmes. Si vous étiez disposés à
le décider affirmativement, réfléchissez bien aux conséquences qui en
pourraient résulter ; certes j’ai la plus grande confiance dans le cabinet actuel
; nul n’est plus que moi pénétré d’estime pour chacun de ses membres ; mais ce
ministère peut cesser d’exister d’un moment à l’autre. Savez-vous quel est le
ministère qui lui succédera ? Sous l’empire de quelles circonstances il lui
succédera ? Sous l’influence de quelles impressions ce nouveau ministère fera
exécuter votre loi ? Messieurs, vous n’êtes pas plus maîtres des
événements et des circonstances que vous ne l’êtes d’empêcher un changement de
ministère. Songez donc à ce que vous hasardez en mettant dans les mains
d’hommes que vous ne connaissez pas le sort de la magistrature.
Messieurs, il y a
ici un fait déplorable : quel était le grief de l’opposition contre le roi
Guillaume, opposition commencée par moi en 1815 et reprise avec tant d’énergie
en 1828 ? C’était la dépendance dans laquelle l’ancien gouvernement avait tenu
les cours ; et aujourd’hui sous l’empire de la constitution libérale que nous
nous sommes donnée, on ne trouve rien de plus ingénieux que d’imiter l’ancien
gouvernement. Cela est inconcevable, messieurs, après une révolution dont une
des causes principales fut la dépendance des magistrats.
On dit que les
membres actuels de l’ordre judiciaire n’ont pas de droits acquis. Soit ; mais
je vous demanderai si c’est le gouvernement qui en hérite ; et par quel droit
de déshérence ? Ils n’ont pas de droits acquis ? Mais qu’a donc fait le
gouvernement provisoire ? Qu’a-t-il voulu, qu’a-t-il dû vouloir, en instituant
les nouveaux magistrats ? En allant chercher dans l’élite du barreau les Koekaert,
les Vanhoogten, les de Guchtenere, pour en composer la cour de Bruxelles ? Je
ne connais pas ce qui a été fait pour la cour de Liège. Croyez-vous, messieurs,
qu’il n’ait pas eu l’intention de les nommer à vie ? Et ces hommes honorables
qu’ont-ils dû penser ? Qu’ils allaient être à la merci d’un ministre ? Etait-ce
là pour eux le fruit de la révolution ? Ne devaient-ils pas croire au contraire
qu’enfin leur sort était fixé et qu’il ne pourrait plus être mis en question ?
Non, certes le gouvernement provisoire n’eut jamais la pensée de ne faire que
des juges amovibles, et quant au congrès, je vous ai fait voir aussi qu’il
n’avait pas dû avoir cette intention.
J’ai lu quelque
part que l’opinion de la cour de Bruxelles n’était qu’une bouderie, une opinion
solitaire. S’il y a, messieurs, une opinion solitaire, je crois que c’est celle
que vous avez adoptée en votant pour l’amendement ; et en effet sur quoi
l’appuie-t-on cette opinion ? Sur le principe monarchique. J’ai déjà dit que ce
principe était étranger à la Belgique ; il est exotique chez nous, c’est un
principe que la constitution réprouve, dont on est allé chercher les éléments
dans la constitution impériale de France, dans le système des émanations de la
charte et dans celle de première nomination de la loi fondamentale ; voilà ce
que vous allez chercher ; et l’opinion de la cour de Bruxelles, loin d’être
solitaire, est escortée de raisonnements que personne n’a encore réfutés.
Je dirai donc au
gouvernement : Gardez-vous d’un instrument funeste à tous les gouvernements qui
ont voulu s’en servir ; et malheureusement tous en ont la manie. Je dirai à la
chambre : Au lieu de vous laisser prendre à de belles paroles, à de vaines
promesses d’indépendance, ne laissons pas échapper l’occasion qui s’offre à nous
de reconnaître ou de consacrer par le fait l’inamovibilité de la magistrature.
En vain dirai-je au ministère, vous promettez l’inamovibilité à vos
nominations. Mais qui empêchera que dans peu, sous prétexte d’organisation
judiciaire, on se dise que la magistrature, n’ayant pour elle ni les formes
constitutionnelles, ni la provision directe de la loi, il reste encore à
pourvoir à son institution définitive, aux termes de l’article 135 ? Ce sera,
messieurs, un raisonnement facile à faire à l’époque de l’organisation
judiciaire. Les promesses qu’on vous fait aujourd’hui sont vaines et frivoles ;
et si aujourd’hui nous ne donnons l’exemple du respect pour l’indépendance de
la magistrature en proclamant nous-mêmes son inamovibilité, on la remettra sans
cesse en question.
Messieurs, si le
Roi ne faisait rien dans tout ceci j’en serais fâché, mais en vertu de sa
prérogative constitutionnelle par la sanction de la loi, il concourra pour sa
part au maintien des juges et à leur inamovibilité. Si le Roi n’a pas obtenu les
honneurs de la proposition, ce n’est pas notre faute. Je regrette vivement que
le ministère n’y ait pas songé, c’eût été un bel hommage rendu par le chef de
l’Etat à cette inamovibilité aussi nécessaire aux justiciables qu’au
gouvernement lui-même.
Faisons attention
que depuis neuf mois on a fait appel à toutes les mauvaises passions, à toute
les ambitions, à toutes les convoitises pour se ruer contre cette magistrature,
qui avait traversé la révolution et ses orages ; et je le demande, dans tout
cet espace de temps avez-vous entendu élever publiquement un vœu pour son
changement ? A-t-elle donné lieu à quelques plaintes ? Savez-vous ce que votre
loi va produire ? Des intrigues, de sourdes menées dictées par l’ambition, par
la haine ; voilà cependant cette magistrature sans reproche, que vous allez
abandonner à la discrétion de je ne sais qui, et sans utilité, ni pour les
magistrats, ni pour vous. On vous propose de remettre au hasard d’une première
nomination sans publicité, sans garantie, après trois mois d’un régime de
commission judiciaire, la composition de votre ordre judiciaire aujourd’hui et
à toujours. Je dis aujourd’hui et à toujours parce que les cours sont appelées,
par le mode de leur nomination à se perpétuer. Si la première nomination est faite
sous une funeste influence ou dans un mauvais esprit, toujours cette influence
et ce mauvais esprit feront sentir leurs pernicieux effets : je pense donc que
nous devons en revenir au système de la section centrale.
Que le ministère
use ou abuse du pouvoir qui lui serait déféré si vous adoptiez l’amendement,
voici ce que je lui prédis : C’est d’abord que les magistrats qu’il maintiendra
ne lui en auront aucune reconnaissance, ils penseront qu’il n’a pas osé les
déplacer, que les magistrats qu’il aura renvoyés, et nous ne devons pas nous
occuper ici s’il renverra personne, l’accuseront d’injustice, de partialité, et
prétendront que la mesure qui les aura frappés était inconstitutionnelle.
Qu’enfin les magistrats qu’il aura nommés en remplacement, prendront à tâche de
se faire pardonner leur intrusion dans la magistrature. Voilà les inconvénients
attachés seulement à l’usage ; et quant à l’abus il est inévitable ; le
ministère ne pourra se soustraire à l’obsession, aux importunités, aux menées
sourdes des ambitieux, et en l’absence de toute publicité et de tout contrôle,
il se trouvera entraîné malgré lui au-delà de toutes ses prévisions, les
ministres seraient de bronze et ils ne seront pas de bronze, qu’ils seraient
forcée de fléchir.
Il y a une
observation qui me frappe et qui devrait aussi frapper le ministère : c’est ce
qui nous arrive pour de simples remplacements de juges suppléants ou de
suppléants de juges de paix. Nous éprouvons d’inconcevables difficultés quand
il s’agit de nous décider sur dix ou vingt candidats Le ministère sait
l’anxiété où nous nous trouvons quand nous voulons faire des présentations
convenables. Et ce que nous éprouvons pour un, dans une localité déterminée, le
ministère voudrait le faire pour tous les juges du royaume et dans l’espace de
trois mois. Mais pour remplir cette gigantesque besogne, qui consultera-t-il ?
Les cours et les tribunaux que vous voulez épurer ? Non, sans doute.
Consulterez-vous individuellement leurs membres ? Mais quelles sourdes
intrigues quelles odieuses passions n’allez-vous pas soulever ?
Consulterez-vous les procureurs du Roi, pour les procureurs généraux ? Si
c’était là votre intention, moi, je le déclare en honneur et en conscience, je
serais forcé de vous proposer le maintien de tous les magistrats existant,
parce que je les considère comme ayant des droits au-dessus de toute atteinte.
Qui donc consultera le ministère ? Des administrateurs probablement, mais vous
savez, en fait de justice, ce que sont des administrateurs. Je pense qu’il y a,
dans les articles 50, 51 et 52 du projet, de quoi faire reculer les plus
intrépides, de quoi nous compromettre et de quoi compromettre notre jeune
royauté elle-même. Messieurs, j’ai su défendre la prérogative royale toutes les
fois que je l’ai vu attaquée, mais je m’opposerai toujours, et avec la même
énergie, à ce qu’on l’étende au-delà de ses limites.
J’ai
ouï dire, et un mot m’a frappé d’étonnement, que les magistrats ne doivent pas
pouvoir réclamer un titre antérieur à la nomination royale. Qu’est-ce à dire, messieurs
? que nous répudions l’opposition que nous avons faite de 1815 à 1830 ; les
journées de septembre, le gouvernement provisoire, le congrès, la constitution,
et que nous ne datons que du 21 juillet ? A Dieu ne plaise, messieurs ! Pour
moi, la révolution commence à 1828, et je ne consentirai jamais à ce qu’on
répudie les généreux, les nobles souvenirs qui commencent à cette époque ;
c’est là que je reporte et que je rattache la source et le principe de nos
institutions.
Je vous répéterai,
messieurs, ce que j’ai dit tantôt : Je viens de m’acquitter de mon devoir ;
maintenant, faites le vôtre.
M. Jullien. - Messieurs, je ferai remarquer en passant, que notre
règlement est devenu tout à coup d’un grand secours à ceux qui, dans des
occasions délicates, veulent éluder une réponse. Hier, messieurs, lorsqu’avant
de voter trente mille hommes et cinq millions, nous interpellions M. le
ministre des affaires étrangères, sur l’état de nos relations avec la
conférence de Londres, et sur la communication de la fameuse note, comme étant
le seul moyen de connaître si le ministère avait enfin tenu ses promesses, M.
le ministre a trouvé commode de nous opposer le règlement.
Et aujourd’hui,
lorsqu’un honorable préopinant soulève une question constitutionnelle, dans une
des plus importantes matières qui puissent être soumises à nos discussions,
voilà qu’on lui oppose encore le règlement comme une espèce de fin de
non-recevoir.
Messieurs, je suis
de ceux qui respectent infiniment le règlement, mais je pense qu’il faut avant
tout nous respecter nous-mêmes, et toutes les fois qu’avant de voter une loi en
discussion un membre de cette chambre appellera notre attention sur une
violation de la constitution, notre devoir est de l’entendre, sauf à lui retirer
la parole s’il en abuse, et à n’avoir égard à ses observations qu’autant
qu’elles le méritent.
J’en viens
maintenant à la discussion. Je serai très bref, messieurs, attendu que je me
suis déjà précédemment élevé contre la disposition qui selon moi consacre un
pouvoir exorbitant, en ce qu’il donne au Roi le droit de licencier tous les
magistrats du royaume depuis le premier jusqu’au dernier.
On a répondu au
reproche d’inconstitutionnalité par le texte de l’article 136. On a raisonné de
cette manière : puisqu’une loi doit déterminer le mode de la première
nomination des membres de la cour de cassation, attribuer cette nomination au
Roi, c’est un mode comme un autre, et l’on satisfait à la constitution.
J’abandonne à votre sagesse les arguments qu’on a fait valoir pour et contre.
Mais il me semble que si on a répondu sous ce rapport d’une manière plus ou
moins spécieuse, on n’a pas répondu du tout à l’argument pris de la disposition
finale de l’article 99 de la constitution. Voici ce qu’elle porte : « Les
cours choisissent dans leur sein leurs président et vice-présidents. »
Voilà évidemment une disposition constitutionnelle ; c’est une injonction de la
constitution à laquelle on ne peut se soustraire. Pourquoi
la constitution a-t-elle voulu que les présidents des cours fussent élus par
les membres eux-mêmes ? Parce que ces membres connaissent mieux que personne
quels sont parmi eux les hommes les plus dignes de leur confiance et de celle
des justiciables. Maintenant en supposant que les membres des cours puissent
être nommés par le Roi, qu’ils soient nommés, mais qu’on s’arrête au nombre
suffisant pour la composition entière du personnel, laissant ensuite aux
membres le soin de choisir eux-mêmes leurs présidents. C’est un droit que la
constitution leur donne et que vous ne pouvez leur enlever. J’ai déjà dit que
je trouvais exorbitant le droit attribué au Roi de nommer à toutes les places
de la magistrature, et l’honorable M. Van Maanen… (hilarité générale), je me trompais, je voulais dire l’honorable M.
Van Meenen vous a très bien démontré tous les inconvénients qu’entraînerait
l’exécution de l’amendement ; mais enfin si on persiste à l’adopter, il est
impossible, je crois, d’attribuer au pouvoir exécutif autre chose que la
nomination des membres des cours ; on ne peut aller au-delà sans enlever à ces
derniers le droit constitutionnel qu’ils ont d’élire leurs présidents et leurs
vice-présidents. C’est mon opinion et j’y persisterai tant qu’on n’aura pas
mieux répondu qu’on ne l’a fait à l’objection prise du dernier paragraphe de
l’article 99 de la constitution.
M. Lebeau. - Messieurs, lorsqu’immédiatement après les journées
de septembre le gouvernement provisoire me fit l’honneur de me nommer membre de
la commission chargée de rédiger un projet de constitution, j’avais surtout à
cœur, pour remplir dignement la tâche qui m’était confiée, de mettre le pouvoir
judiciaire hors des atteintes du pouvoir exécutif. Pendant 15 ans j’avais été
témoin de trop d’abus attachés à cette dépendance pour ne pas être
principalement préoccupé du besoin d’assurer à la magistrature toute son
indépendance. Aussi c’est sur ma proposition formelle que fut insérée dans
l’article 100 de la constitution cette clause, que le déplacement d’un juge ne
peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement.
C’est également
sur ma proposition formelle que dans l’article 103 on a dit aucun juge ne peut
accepter du gouvernement des fonctions salariées à moins qu’il ne les exerce
gratuitement. J’avais vu que par le cumul des fonctions administratives et
judiciaires l’indépendance du magistrat se trouvait plus on moins atteinte ;
que tel qui était indépendant comme membre d’une cour, était dépendant du
pouvoir comme conseiller d’Etat et que la crainte de perdre cette dernière
place portait atteinte à son indépendance comme membre du corps judiciaire.
C’est dans cette vue que je proposai ces dispositions et elles ont trouvé place
dans notre constitution.
Il en est une
troisième qui tranche à tout jamais une question grave et difficile, qui avait
partagé les jurisconsultes les plus érudits, les cours, et, si je ne me trompe,
la cour de cassation elle-même : je veux parler de l’article 1007 qui porte :
« Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements
généraux, provinciaux et locaux qu’autant qu’ils seront conformes aux
lois. »
Vous savez que de
la jurisprudence de certaines cours il résultait que les tribunaux devaient
s’abstenir toutes les fois qu’il s’agissait d’un arrêté. Dans cette doctrine
était la mort de l’indépendance de la magistrature ; je proposai de la
renverser à jamais par une disposition de la constitution.
Messieurs, je
pense que l’homme qui ne s’est pas borné à faire une vaine et dérisoire
profession de principes en cette matière ne doit pas vous inspirer de défiance,
et vous ne croirez pas qu’en venant appuyer l’amendement adopté, je sois dirigé
par la pensée d’affaiblir la garantie placée dans le pouvoir judiciaire. Ce
n’est pas seulement en théorie que je parle, j’ai fait mes preuves. J’ai eu
avec le ministre actuel de la justice, le sort de plusieurs tribunaux et d’une
cour souveraine dans les mains. J’adjure ici les membres du gouvernement
provisoire de dire si je me suis montré animé d’un esprit réactionnaire, et si
je ne me suis pas opposé à une épuration quoique vivement sollicitée par bien
des personnes ; et je dois le dire, le gouvernement provisoire ne se montra pas
moins l’ennemi des réactions que moi-même. Je prie donc la chambre de ne pas perdre
de vue mes antécédents, et de juger par eux les intentions qui m’animent.
L’article 99 de la
constitution attribue au Roi la nomination des juges dans toute la hiérarchie
judiciaire. Cet article est exprès. Eh bien, il devient inexécutable dans le système
de la section centrale ; car si vous adoptez son article, le Roi ne nommera pas
les membres de l’ordre judiciaire comme pouvoir exécutif ; tout au plus
aura-t-il participé à leur nomination comme pouvoir législatif. Mais ce dernier
pouvoir, il ne le tient pas de l’article 99, il le tient des articles 26 et 69
de la constitution. Il a donc été dans l’intention des rédacteurs de la
constitution, qu’au moins par son origine, un lien s’établît entre la
magistrature et la royauté ; ce lieu se fût trouvé dans l’exécution de
l’article 99, et si les moyens d’exécuter cet article existaient, nul ne
contesterait au Roi l’exercice de sa prérogative. Mais de ce que les pouvoirs
destinés à concourir à la mise en action de l’article 99 ne peuvent remplir
leurs fonctions, parce qu’ils ne sont pas institués, est-ce une raison pour
refuser, au pouvoir qui existe, qui est dans la plénitude de son action, la
participation qui lui revient dans la nomination des juges, non pas comme
pouvoir législatif, mais comme pouvoir royal ? Non sans doute.
On a fait un grand
éloge de l’inamovibilité de la magistrature. Je conviens, messieurs, que
l’inamovibilité est une garantie sans laquelle la justice n’est qu’un mot, sans
laquelle il n’y a eu, au lieu de tribunaux, que des commissions. Mais ce
principe de l’inamovibilité est institué pour les Etats constitués et
définitivement organisés. Il ne peut être applicable à un pays bouleversé par
une révolution récente et qui se trouve dans un état transitoire.
Cette
inamovibilité tient à un principe d’un ordre supérieur, auquel cependant les
circonstances autorisent des dérogations, ainsi le gouvernement provisoire
s’est placé au-dessus de ce principe en épurant de sa pleine autorité la cour
de Bruxelles et les autres tribunaux. Personne n’a songé à lui contester ce
droit ; il n’a été mis en doute par personne, pas même par aucun magistrat.
Mais l’article
qu’il s’agit de mettre à exécution a-t-il conféré tout au moins cette inamovibilité
? J’en appelle ici aux souvenirs et à la loyauté de l’honorable M. de Robaulx,
qu’il dise ce qui s’est passé an moment de voter l’article 135, et s’il n’est
pas vrai qu’ayant demandé si par l’article transitoire on entendait conférer
l’inamovibilité aux magistrats actuels, on ne lui a pas répondu de toutes les
parties de l’assemblée, que tel n’étais pas le sens de l’article.
Remarquez bien,
messieurs, qu’on veut faire intervenir la chambre dans une question pour la
solution de laquelle elle n’a ni la compétence ni les lumières nécessaires. Je
conçois que le pouvoir législatif s’occupe de questions quant aux choses, mais
je ne conçois pas qu’il s’occupe de questions de personnes. On veut cependant
vous faire intervenir dans la nomination des magistrats de l’ordre judiciaire,
c’est leur inamovibilité qu’on sollicite, et je remarque en passant que si
l’article 135 la leur avait conférée, on ne vous la demanderait pas. C’est, je
le répète, une nomination que l’on sollicite, et pour la plupart des membres de
cette chambre, ce serait agir le bandeau sur les yeux que de s’y prêter. Qu’on
vienne me dire, par exemple, ce qu’il conviendrait de faire pour la cour de
Liége et pour les tribunaux voisins ; à peine pourrais-je le dire, ayant quitté
mon pays natal depuis plus d’un an. Mais si l’on m’interrogeait par rapport à
la cour de Bruxelles, que pourrais-je dire ? Je respecte tous les membres de
cette cour, mais je ne les connais pas. C’est une raison, sans doute, pour ne
pas les attaquer, mais c’en est une aussi pour me défendre de prononcer sur
leur compte. Si l’on venait m’interroger sur les tribunaux de la province
d’Anvers ou des Flandres, je ne pourrais en rien dire. Il en serait de même
sans doute de la plus grande partie des membres de cette assemblée ; ainsi dans
une question où il s’agit de la collation de fonctions aussi importantes que
celles de la magistrature, nous prononcerions en aveugles et sans
responsabilité, tandis que le ministère est responsable devant les chambres de
la disposition qu’il sollicite.
Voyez d’un autre
côté dans quelle fâcheuse position vous placeriez la royauté nouvelle. Trois
cours vont être formées. Quelques conseillers de Liége ou de Bruxelles seront
forcés de quitter leur sièges pour passer à la cour de Gand ; eh bien, la
royauté sera réduite à la nécessité d’exiler dans cette dernière ville les
magistrats qui refuseraient d’y aller volontairement. Au lieu de brevets de
nomination à délivrer à ces magistrats, ce seront des ordonnances de
déportation que le pouvoir exécutif rendra contre eux. Voilà tout l’avantage
que vous retirerez du système de la section centrale. Vous craignez les
intrigues, les obsessions dont on entourerait les ministres ; mais le ministère
sera tout aussi obsédé par ceux pour qui l’obligation d’aller à Gand serait une
disgrâce ; car ne croyez pas qu’un magistrat depuis longtemps établi dans une
ville, qui y a sa famille, ses biens, s’exile sans peine à 15 ou 30 lieues, et
dans un pays où il n’est connu de personne.
On vous a dit
qu’au lieu de tribunaux nous n’aurions que des commissions jusqu’au 15 octobre
; mais puisque ceux qui parlent contre l’amendement conviennent cependant qu’il
faut une disposition législative pour conférer l’inamovibilité, ils conviennent
que depuis la révolution, nous n’avons eu que des commissions. Eh bien,
messieurs, jusqu’à quel point ces commissions ont-elles trompé la confiance de
la nation ? On disait naguère dans cette chambre que l’indépendance des
magistrats était plutôt dans leur caractère que dans leur inamovibilité ; elle
était dans le caractère des tribunaux actuels sans doute, car depuis leur
institution par le gouvernement provisoire ils n’ont, que je sache, donné lieu
à la moindre plainte, ils n’ont pas manifesté cette tendance qu’avant la
révolution, on avait remarqué avec peine dans tant de tribunaux. Quel danger y
a-t-il donc à les maintenir dans cet état trois mois de plus, et quelle
comparaison y a-t-il à faire entre trois mois et 15 ans de provisoire, alors
d’ailleurs que la magistrature est sur le point de suspendre ses travaux et ne
rentrera pour les reprendre qu’investie de l’inamovibilité ?
J’ai maintenant à
répondre à l’objection faite par un honorable préopinant, M. Ch. de Brouckere.
Il a invoqué le dernier paragraphe de l’article 99 qui dit que les cours
choisissent dans leur sein leurs présidents et vice-présidents ; il en conclut
que ce paragraphe est devenu irrévocable et doit recevoir immédiatement son
exécution. Je dirai d’abord que ce paragraphe fait partie d’un tout qui ne peut
être divisé, et si l’article 99 n’est pas applicable dans les 3/4 de ses
dispositions, je ne sais pas pourquoi on pourrait séparer la dernière
disposition de tout le surplus, ni par quel singulier privilège cette partie
serait exécutoire immédiatement tandis que tout le reste ne l’est pas.
Mais si cette
disposition est applicable sans égard à l’état transitoire où nous nous
trouvons, l’article 136 doit le concilier avec elle ; or cette conciliation
existe-t-elle ? Non, si on avait voulu que l’article 136 fût d’accord avec le
paragraphe dernier de l’article 99, au lieu de dire dans le premier une loi
déterminera le mode de la première nomination des « membres de la cour de
cassation, » on aurait dit « des conseillers, » alors on aurait
vu que les deux articles se conciliaient, ce qui n’est pas. L’article 136 n’est
que transitoire, l’autre sera exécutoire à toujours, du moment où les conseils
provinciaux seront organisés.
Remarquez où
conduirait l’argumentation de M. de Brouckere ; le Roi selon lui, n’a pas le
droit de nommer les présidents et vice-présidents des cours, ils ne peuvent
être élus que par les conseillers ; mais déjà si ce droit leur appartient, la
loi ne peut pas plus le leur ôter que le pouvoir exécutif. Et cependant on vous
propose de nommer par une loi les présidents et les vice-présidents ; car
d’après ce système, il faut qu’en exécution de l’article 99, les présidents
actuels quittent leur siège, pour les céder à ceux que le choix des conseillers
y porterait. C’est-à-dire que tout en voulant l’inamovibilité des juges, vous
en mutileriez une partie.
Je
l’ai dit précédemment et je le répète ; je n’attache pas une grande importance
à l’amendement. Si le ministère ne l’eût pas proposé, peut-être ne l’eussé-je
pas proposé moi-même ; parce que je sais que l’esprit de réaction ne sera pour
rien dans son exécution. Je connais l’homme à qui cette exécution est confiée ;
il n’a pas abusé de sa position pour faire des épurations dans un temps où
elles étaient vivement sollicitées, à plus forte raison n’en abusera-t-il pas aujourd’hui
que les circonstances permettent de plus grands ménagements.
Je le répète, si
je donne mon vote à l’amendement, c’est parce que la question a été soulevée,
et je craindrais aujourd’hui que dans le refus de la marque de confiance
demandée par le gouvernement, on ne vît quelque chose de plus qu’une question
de ministère : le dogme de l’inviolabilité royale et de la responsabilité
ministérielle est encore peu compris des masses, et chaque jour des écrivains
qui ne respectent rien, qui lancent leur bave impure vers un personnage
auguste, contribuent à obscurcir ces salutaires principes. Craignez, messieurs,
que dans le pays et à l’étranger, on ne calomnie vos intentions, et qu’on ne
voie une défiance hostile là où certes rien de semblable ne se manifeste
d’aucun côté de la chambre.
M. de Robaulx. - Lorsque la révolution a éclaté en Belgique… (Bruit.) Si cela déplaît à ces messieurs,
je ne dirai rien. (Parlez ! parlez !)
Les discours de mes collègues, grâce à Dieu, sont assez longs, je puis bien
parler.
Messieurs, lorsque
l’on a fait la révolution, ou voulait réparer les griefs, du moins ou
s’attendait à ce qu’ils seraient réparés. Un des principaux était la dépendance
où se trouvait la magistrature ; elle n’était pas inamovible ; elle dépendait
du bon plaisir du roi Guillaume. L’article de la constitution qui ordonnait
l’organisation judiciaire n’avait pas été mis à exécution. Il existait des
commissions par le bon plaisir du monarque. Naturellement il s’était glissé dans
ces commissions des hommes qui déshonorent la magistrature ; il en existe
encore... (Bruit.) Je ne veux pas
parler de Grégoire, l’opinion publique a jugé cette affaire.
Je veux répondre à
M. Van Meenen. Il dit : aucune voix ne s’est élevée contre la magistrature.
Moi, j’ai élevé la voix. Les nominations de Guillaume ont scandalisé les
honnêtes gens ; des hommes ont été présidents, conseillers, parce qu’ils ont
été propres à tout.
J’ai cru qu’à la
révolution on réorganiserait la magistrature ; je n’ai pas cru qu’elle eût été
faite pour rendre inamovible ce que Guillaume n’avait pas cru, lui, rendre
inamovible. Il existe encore des conseillers aussi choisis. Il est des
magistrats qui ont poursuivi ceux qui les premiers ont arboré le drapeau
brabançon ; ils existent dans les tribunaux, et je pourrais les citer.
Lorsque l’article
135 de la constitution a été discuté, je me suis levé et j’ai demandé si par
cet article on entendait par là donner l’inamovibilité à la magistrature
actuelle, et j’ai déclaré qu’il n’y avait pas lieu à décréter l’inamovibilité
en masse. Il est vrai que l’on m’a répondu,
je ne dirai pas unanimement...
M. Legrelle. - Presque unanimement !
M. de Robaulx. - D’après la réponse, il suit que la magistrature est
amovible comme sous Guillaume. La question est de savoir si nous devons
conserver tous les éléments créés par Guillaume : je suis d’avis qu’il faut une
épuration dans la magistrature... je n’attaque pas des opinions ici, je
n’attaque pas les orangistes ; mais je dis qu’il y a des hommes qui sont entrés
dans la magistrature par une porte qui, précisément, est celle par laquelle ils
doivent en sortir... (Mouvements.)
Les motifs qui les ont fait monter sur le siège sont les motifs qui doivent les
en faire descendre.
Je voudrais bien
aussi que le pouvoir exécutif ne pût dispenser de tant de places et se faire
tant de créatures. Vous avez une constitution qui ne m’émerveille pas, et
d’autant moins qu’on trouve plus de moyens de la mal exécuter.
J’aurais voulu que
l’organisation du pouvoir provincial fût faite avant l’organisation judiciaire,
parce que les présentations auraient été faites convenablement. Ce motif me
suffirait pour rejeter la loi. La loi provinciale vous a bien été soumise, mais
certainement vous ne vous en occuperez pas. On a mis la charrue avant les
bœufs. (On rit.) Comment faire pour
sortir de tant d’irrégularités ?
Si vous rejetez la
loi, chaque magistrat saura qu’il ne tient pas trop à son siège ; il fera dans une
espèce de servage ; il sera le très humble serviteur du pouvoir : voilà un
danger.
D’un autre côté,
je ne crois pas qu’on ait suivi l’esprit de la constitution. Toutes les places
sont à l’encan, et peut-être sont-elles déjà vendues. Je crains les nominations
royales, et je crains les nominations en masse.
Le
ministère nommera, le ministère aura une grande responsabilité, et dans un
moment où il ne fait pas très bon d’être ministre ; dans un moment où le fouet
de la représentation nationale frappe sur tous et chacun de MM. les ministres.
Par suite de cette responsabilité j’espère que le ministère fera de bons choix.
Si par la loi vous
rendiez inamovibles les magistrats en fonctions, ce serait vous qui feriez les
nominations et qui seriez chargés de la responsabilité. Je ne veux donc pas de
l’inamovibilité pour ceux qui sont nommés, je ne veux pas des nominations en
masse.
M. Lebeau nous a
dit qu’il avait tenu dans ses mains le sort d’une cour : lors de la révolution
il n’était cependant pas dictateur ; il n’avait pas l’omnipotence... Dans
l’espèce d’engourdissement où se trouve la nation, je crains ceux qui ont bien
agi quand elle était en mouvement : on peut avoir été honnête homme quand il
eût été dangereux de ne pas l’être ; mais on peut avoir changé depuis, et être
un petit despote maintenant.
M. H. de Brouckere.
- Je demande aussi la permission d’expliquer en peu de
mots mon opinion sur l’amendement en discussion.
Comme mon
honorable ami M. Jonet, j’ai toujours pensé et j’ai soutenu à la cour dont j’ai
l’honneur d’être membre que l’inamovibilité actuelle des magistrats n’était pas
une conséquence nécessaire et immédiate de la constitution. Cet avis n’a point
été partagé par la majorité des membres de la cour ; mais le leur aussi était
consciencieux, et il pouvait se soutenir par des arguments bien forts et bien
difficiles à réfuter. Je ne les répéterai point, mais puisqu’on a fait un appel
aux individus, je citerai de mon côté M. Trentesaux, l’un des membres les plus exacts,
les plus attentifs, les plus assidus, qui a déclaré de la manière la plus
formelle qu’en votant l’article 138 il avait pensé assurer dès lors
l’inamovibilité à la magistrature. Le dissentiment qui existe relativement au
sens à donner à cet article n’a donc rien qui doive vous surprendre, puisque
les membres du congrès eux-mêmes l’ont entendu de différentes manières.
Mais si, lors de
la discussion qui eut lieu entre les membres de la cour, on avait posé la
question de savoir s’il était juste, s’il était convenable de démissionner en
masse tous les membres de l’ordre judiciaire, de les mettre à la disposition du
ministère, d’autoriser celui-ci à faire parmi eux telles épurations qu’il
jugerait à propos, assurément j’aurais répondu négativement, et j’aurais dit :
d’après l’article 136 de la constitution, une loi doit déterminer le mode de la
première nomination des membres de la cour de cassation, que cette nomination
soit laissée au gouvernement, je ne m’y oppose point. D’après l’article 135 une
autre loi règle tout ce qui concerne le personnel des cours d’appel et des
tribunaux (car il était évidemment dans l’intention du congrès que deux lois
distinctes fussent portées ; qu’on les fonde en une, soit, mais qu’on n’en tire
point de conséquences contre nous) ; et bien ! que cette loi déclare que les
magistrats actuellement en fonctions sont maintenus de plein droit.
C’est dans ce sens
que j’ai voté dans une séance précédente, et sans vouloir jeter le moindre
blâme sur la conduite de ceux de mes honorables collègues qui ont cru devoir
s’abstenir, parce que je sais respecter les scrupules, lors même que je ne les
partage pas, j’aurais cru manquer à mon devoir si je les avais imités. Il
s’agit ici en effet d’une question de la plus haute importance pour tous, d’une
question vitale en quelque sorte, dans laquelle je puis avoir un intérêt
indirect, mais qui s’absorbe dans des considérations d’une toute autre portée.
Je voterais encore
de même aujourd’hui, non que je craigne l’épuration ; si même elle devait m’atteindre
je saurais prendre mon parti ; mais mon vote par l’intérêt de la justice, par
l’intérêt de la nation, par l’intérêt du gouvernement lui-même. Je ne viens pas
d’ailleurs contribuer à replonger la magistrature dans l’incertitude dans
laquelle elle n’a langui que trop longtemps, et dont elle croyait enfin être
sortie.
Un honorable
préopinant a dit qu’il ne concevait pas comment la législature pouvait faire
des nominations ; mais l’orateur lui-même a pris part à la discussion et au
vote de l’article 135, et dans quelque sens que vous interprétiez cet article,
il contient une nomination.
M. Lebeau. - Une nomination provisoire.
M. H. de Brouckere. - Dans le sens des uns, une nomination définitive,
dans celui des autres, une nomination provisoire ; mais en admettant cette
dernière opinion, M. Lebeau ne me niera point que si la législature a eu le
droit et le pouvoir de faire une nomination provisoire, elle a
incontestablement celui de la rendre aujourd’hui définitive.
Ce serait le
bandeau sur les yeux, ce serait en aveugles que nous ferions cette nomination,
a dit le même orateur. Il en sera moins ainsi, messieurs, que lorsque l’article
135 a été voté, car aujourd’hui la magistrature peut mieux qu’alors être connue
et appréciée, et l’on sait jusqu’à quel point elle mérite la confiance
générale.
Mais,
s’écrie-t-on, vous allez mettre la royauté dans une singulière position, dans
une position bien fâcheuse ; vous allez la forcer à envoyer quelques membres de
la cour de Bruxelles en exil, à porter contre eux une ordonnance de
déportation, et l’on désigne par là ceux des conseillers qui devront être
envoyés à la cour de Gand.
Lors même qu’un
membre de la cour de Bruxelles serait contre son gré placé à celle de Gand, je
ne sais s’il se regarderait pour cela comme exilé ou déporté ; mais que vous
admettiez l’amendement de M. le ministre ou que vous ne l’admettiez pas, ces
prétendus exils, ces déportations en devront-elles moins avoir lieu ? Non,
messieurs, la seule différence qu’il y aura, c’est que si l’amendement passe,
elles seront précédées d’une démission, ce qui ne sera pas nécessaire dans le
cas contraire, puisqu’il suffira qu’un conseiller ne soit pas compris dans la
composition de la cour de Bruxelles, pour qu’il fasse partie de celle de Gand.
Mais M. Lebeau veut vous faire entendre que si une démission précède, le
magistrat exilé, déporté à Gand, devra encore regarder son exil, sa déportation
comme une faveur, et qu’au contraire il pourrait se plaindre si c’était de
plein droit qu’il conservait son rang. Une seule chose étonne, messieurs, c’est
que ce soit sérieusement qu’on vous présente d’aussi impitoyables
raisonnements, comme s’il n’était pas indifférent à celui qui sera condamné à
l’exil, de l’être par suite d’une nomination précédée d’une démission ou par
suite de sa non-nomination à Bruxelles.
Plusieurs
membres avaient dit, et avec raison, que jusqu’au moment où la nomination des
magistrats serait définitivement faite, il n’y aurait plus de tribunaux en
Belgique, mais des commissions dépendantes du gouvernement. On se récrie sur
cette dénomination de commissions et ceux-là mêmes qui se récrient appelaient
du même nom les tribunaux du royaume des Pays-Bas, par le motif qu’ils
n’étaient pas non plus inamovibles. Alors en effet tous les magistrats devaient
trembler sur leurs sièges ; pourquoi seraient-ils plus rassurés maintenant ? Et
quelle que soit la fermeté, quelle que soit la droiture des magistrats en
général, pourriez-vous assurer que tous se montreront entièrement indépendants,
tant qu’ils seront sous le coup d’une destitution, tant que leur sort et leur
existence seront à la merci d’un ministre.
L’indépendance,
vous dit-on, n’est pas dans la position, elle est dans le caractère. C’est là
sans doute une pensée pleine d’élévation et de noblesse, et je suis persuadé
que l’honorable M. Lebeau, menacé même d’une destitution, aurait la force de
remplir ses devoirs dans toute leur plénitude. Mais je ne sais s’il suffit de
professer d’aussi beaux principes pour rassurer ceux dont la fortune et
l’honneur sont entre les mains des juges ; je crois qu’ils désirent d’autres
garanties encore, et s’il n’en était pas ainsi, il était fort inutile de
consacrer dans nos lois l’inamovibilité de tous les juges.
Je voterai contre
l’amendement et contre la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, après tout ce qui a été dit il serait difficile
d’ajouter de nouvelles considérations à l’appui de l’article ; je me bornerai
donc d’exposer les motifs de mon opinion.
Pour soutenir que
la magistrature actuelle avait une institution constitutionnelle on s’est
appuyé du rapport de la section centrale et du texte même de la constitution ;
mais l’un et l’autre soit formellement opposés à ce système. Le rapport
s’exprime en ces termes :
« D’après une
disposition déjà décrétée il doit y avoir trois cours d’appel en Belgique, il
peut en résulter des changements dans le personnel de la magistrature. La
section centrale a pensé, à l’unanimité des dix-membres présents, qu’en ce qui
concerne le personnel des cours et tribunaux, on devait s’en rapporter à la loi
; que le législateur devait y pourvoir dans l’année ; et que jusqu’alors le
personnel devait être maintenu tel qu’il existe actuellement. »
Donc au moment de
la promulgation de la loi demandée par la constitution, le personnel actuel de
la magistrature pouvait n’être pas à maintenir.
Le texte de l’article
135 est également positif : « Le personnel des cours et tribunaux est maintenu
tel qu’il existe actuellement, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi.
« Cette loi
devra être portée pendant la première session législative. »
Messieurs, il
résulte de ces textes deux vérités ; c’est que le congrès national a regardé la
magistrature comme ayant besoin d’une nomination nouvelle pour continuer
l’exercice de ses fonctions, et cette nomination nouvelle, le congrès la loi a
conférée jusqu’à ce qu’il y fût autrement pourvu par une loi en laissant au
législateur le soin d’y pourvoir autrement.
J’étais à cette
époque membre de la section centrale et alors j’ai émis l’opinion que j’émets
encore aujourd’hui, qu’il ne fallait pas que la magistrature fût nommée en
masse ni par la constitution, ni par une loi ; sur ce point je n’ai pas varié
d’opinion.
Mais, dit-on, pour
écarter la nomination, le roi et le ministre seront exposés à des surprises ;
ils pourront commettre des erreurs : ces arguments sont précisément une
objection contre le maintien de la magistrature comme elle est aujourd’hui
composée, car chacun de ces magistrats a reçu une nomination royale sujette à
erreur comme on a dit.
Pourquoi
le titre de magistrat résultant d’une telle nomination serait-il plus
respectable que celui qui résulterait d’une nomination faite par le roi en
vertu de la présente loi ?
Certainement le
gouvernement sera moins exposé à l’erreur que jamais, puisque les magistrats se
sont fait connaître ; l’erreur est impossible pour un ministre équitable, parce
que de toute part, il pourra prendre des renseignements positifs ; il est
impossible que sa religion puisse être surprise.
Quant aux
injustices, quant à l’arbitraire je ne crois pas que le ministre puisse
s’exposer à destituer des magistrats respectables ; c’est une chose qui ne
saurait avoir lieu dans l’état actuel de notre organisation sociale et
politique.
M. Barthélemy. - Messieurs, j’ai dit en partie mon opinion lors de
la discussion ; j’ajouterai que je ne m’étais pas attendu à ce qu’elle fût
discutée à fond, ne m’attendant pas à l’amendement présenté par M. le ministre
de la justice ; l’opinion provisoire que j’ai émise alors, je la conserve
définitive. Il faut distinguer dans la constitution les dispositions
transitoires et les dispositions permanentes ; telle est celle par laquelle les
présidents seront élus à l’avenir par les membres des cours. J’ai toujours
compris l’article 135 de la constitution dans ce sens, que la cour de Liége
alors composée de 28 membres, et celle de Bruxelles de 38, continueraient,
divisées en sections, de rendre la justice à l’avenir. Mais comme il était
prévu par la constitution que cet ordre n’était pas durable et que les deux
cours devaient être divisées de manière à en former trois, j’ai compris que
pendant la première session une loi serait rendue pour organiser la cour de
Gand. Voilà en effet ce que nous sommes appelés à faire ; Maintenant quelle est
la difficulté ? C’est de savoir si les personnes qui composent les cours sont
maintenues par la constitution, si elles ne sont pas maintenues, si on les
maintiendra par une loi. Ceux qui soutiennent qu’elles ne sont pas maintenues
par la constitution se demandent : est-il convenable de les maintenir ? C’est
la question que tous nous devons nous faire ? Si vous pensez qu’il est
convenable de les conserver sur leurs sièges, déclarez-le comme le congrès l’a
fait. Risquez-vous aujourd’hui plus que le congrès à cette époque ? Il
connaissait beaucoup moins les membres des cours et des tribunaux que vous ne
les connaissez maintenant. Avons-nous eu depuis des plaintes à former contre la
magistrature ? Il a déjà été fait assez d’épurations par le gouvernement
provisoire pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en faire davantage. Tout système
d’épuration est un système détestable et je ne pense que le ministère aille s’y
engager aujourd’hui.
Je conçois la
nécessité d’accorder au pouvoir exécutif le droit de nomination pour classer le
personnel des trois cours ; mais a-t-il besoin du pouvoir d’épurer ? Je ne le
crois pas ; c’est d’après ces considérations que je proposerai le
sous-amendement suivant : « en maintenant toutefois les membres actuels
des cours d’appel et des tribunaux, dans l’état de conseillers ou de juges dont
ils jouissent. »
- La clôture est
mise aux voix et ordonnée.
Après un léger
débat sur la question de priorité entre les amendements de MM. Mary, Barthélemy
et de M. le ministre de l’intérieur, la priorité est accordée à ce dernier.
On
procède à l’appel nominal, dont voici le résultat :
Votants : 71 ; oui
47 ; non 24.
MM. Bourgeois,
Helias, Leclercq, de Gerlache et Liedts se sont abstenus.
La première
nomination sera faite par le Roi.
M. Bourgeois. - Je me suis
abstenu par le même motif qui m’avait fait m’abstenir lors du premier vote,
savoir ma qualité de membre de l’ordre judiciaire.
M. Helias
d’Huddeghem. - Je me suis
abstenu par le même motif.
M. Leclercq. - J’ai déjà dit quels étaient les motifs de mon
abstention et j’ai cru devoir y persister tout en déclarant que je professe un
entier respect pour l’opinion de ceux de mes honorables collègues qui ne
partagent pas la mienne. J’ajouterai que chez moi, c’est moins une opinion
qu’un sentiment ; ce sentiment de délicatesse, excessif peut-être, je
l’abandonne à toute la sévérité de votre censure, mais il m’eût été impossible
d’y résister. (Bien ! Très bien !)
M. de
Gerlache. - J’adhère pleinement aux motifs que vient de vous
soumettre l’honorable M. Leclercq.
M. Liedts. - Moi de même.
Article 53
On passe à
l’article 53, qui est adopté sans discussion.
Sur l’article 54,
M. Gendebien propose l’amendement suivant :
« Toutes les
dispenses accordées par les lois ou par les gouvernements précédent aux membres
des cours, des tribunaux et des parquets actuellement en fonctions sont
maintenues. »
Une discussion
s’engage sur cette proposition.
M. le ministre de la justice (M. Raikem), M. H. de Brouckere, M. Lebeau
y prennent part ; mais comme l’heure est avancée et que de nouveaux amendements
sur le même objet doivent être présentés, la discussion est renvoyée à demain.
M. H. de Brouckere demande que des dispenses puissent être accordées
pour cause de parenté ou d’alliance entre les membres d’un même tribunal.
- La séance est
levée à quatre heures et demie.