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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 16 mai
1832
Sommaire
1) Pièce adressée à la chambre
2) Projet de loi relatif aux concessions et à la
commission des mines (Pirmez, (+Conseil d’Etat, mines de
fer) Desmanet de Biesme, H. de
Brouckere, Mary, de Robaulx,
Helias d’Huddeghem, Jullien, Bourgeois, Gendebien, Taintenier)
3) Vérification des pouvoirs d’un membre de la
chambre (Vandenhove)
4) Projet de loi relatif aux concessions et à la
commission des mines (de Theux, H.
de Brouckere, Pirmez, H. de
Brouckere, Taintenier, Gendebien,
Poschet, Gendebien, de Theux)
(Moniteur belge n°139, du 18 mai 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
La séance est
ouverte à 1 heure.
Après l’appel
nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, qui est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Liedts
analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
PROJET DE LOI RELATIF AUX MINES
Discussion générale
M. le président.- L’ordre du jour est la discussion du projet de loi relatif aux mines.
La discussion sur l’ensemble du projet est ouverte. Quelqu’un demande-t-il la
parole pour la discussion générale ?
M. Pirmez. - J’ai proposé un amendement.
M. le président.- Je fais observer que d’après le règlement la discussion sur les
amendements ne peut s’établir que lorsque la discussion générale est close sur
l’ensemble du projet.
M. Pirmez. - Je parlerai sur l’ensemble de la loi.
M. le président.- M. Pirmez a la parole.
M. Pirmez. - La discussion du projet a excité de vif débats
dans le sein de la commission ; mon amendement…
Plusieurs membres. - Il ne s’agit pas actuellement de votre amendement.
M. Pirmez. - Je propose de substituer au paragraphe 2 de
l’article 3 les dispositions suivantes :
« Quant aux
autres mines, il ne pourra être statué que sur les demandes en concession
faites en vertu de l’article 53 de la loi du 21 avril 1810, sans toutefois
préjudicier aux droits des propriétaires du sol tels qu’ils existaient lors de
la publication en Belgique de la loi du 12 juillet 1791, et sauf les conventions
faites entre ces propriétaires et les exploitants.
« Celui de
ces droits qui aurait pour objet l’exploitation d’une partie de la mine, pourra
être modifié, lors de la révision de la législation sur les mines, de manière à
concilier ce qu’exige l’intérêt public avec le respect dû aux droits tant des
propriétaires du sol que des concessionnaires. »
« Jusqu’à
cette révision ce droit ne pourra être exercé qu’avec le consentement du
concessionnaire et à défaut de ce consentement, qu’avec la permission du
gouvernement, donnée après avoir consulté l’administration des mines. »
Messieurs, la
rédaction du projet a excité au sein de la commission de longs et vifs débats
Mon amendement a pour but d’obvier aux dangers d’une décision précipitée sur le
point de la contestation principale seulement, en proposant de ne donner gain
de cause ni aux propriétaires, ni aux concessionnaires, jusqu’à la révision de
la loi de 1810, annoncée par le projet. Quant aux dispositions de cette loi,
dont on dit que l’urgence se fait sentir, je ne m’oppose pas à ce que vous le
remettiez en vigueur dès aujourd’hui.
Messieurs, cette
question difficile n’a jamais été parfaitement comprise par l’assemblée. Parmi
les honorables membres qui prirent part à la discussion précédente, les uns
parurent croire que les propriétaires de la surface réclamaient en vertu de
leur droit de propriété, tel que le définit le code, la faculté de disposer du
dessus et du dessous d’une manière absolue, de vendre et d’exploiter les couches
à une profondeur indéfinie ; les autres pensèrent qu’ils invoquaient les
dispositions favorables de la loi de 1791, qui leur accorde la préférence sur
tous les demandeurs en concession. C’est une double erreur qu’il importe de
rectifier.
Sans doute le code
Napoléon et la loi de 1791, à laquelle concourut Mirabeau et dont vous avez
entendu faire un juste éloge, sont de nature à faire impression sur les esprits
dans les circonstances ordinaires. Mais les principes du code Napoléon et ceux
de la loi de Mirabeau doivent ici fléchir devant l’impérieuse nécessité des
faits. L’application de ces principes ruinerait complètement tout le pays
houiller.
Aussi les
propriétaires du sol n’exigent-ils pas que vous leur reconnaissiez le droit
d’user et d’abuser de leur propriété ; ils ne demandent pas même le bénéfice de
la loi de 1791. De pareilles prétentions, quoique fondées sur des lois,
auraient quelque chose d’outré, d’exorbitant, d’évidemment contraire à
l’intérêt public. Elles seraient d’ailleurs sans objet, dans l’état actuel du
morcellement des propriétés puisque l’exploitation des mines de houille à une
certaine profondeur, exige des frais immenses hors de proportion avec la
plupart des fortunes.
Le propriétaire du
sol réclame seulement le droit d’extraire la terre-houille. C’est, comme nous
l’avons déjà vu la partie de la couche la plus élevée, celle qui aboutit
d’ordinaire à la surface. L’extraction de la terre-houille ne demande point de
travaux coûteux et, quelle que soit l’exiguïté d’un champ, elle est toujours
possible.
Ce droit, je ne
saurais trop le répéter, on ne le fonde point sur la loi de 1791, trop
favorable au propriétaire. Le droit qu’on invoque a la même origine, est de
même nature que celui des concessionnaires inférieurs eux-mêmes ; il résulte,
comme celui-ci, d’une concession seigneuriale. Les habitants de plusieurs
communes connaissent encore l’origine de leurs droits, quoiqu’elle semble
s’enfoncer dans les ténèbres du moyen âge. On m’a cité, par exemple, un acte du
mercredi après Pâques fleuries, de l’an 1297, par lequel un comte de Namur,
seigneur de trois communes des environs de Charleroy, leur concède le droit
d’extraire la mine à 60 pieds de profondeur. Si dans plusieurs communes les
propriétaires, ayant perdu leurs titres, ne peuvent plus alléguer qu’une longue
possession, un grand nombre d’exploitants inférieurs se trouvent absolument
dans le même cas.
Au surplus,
messieurs, il ne s’agit pas de vous faire déclarer aujourd’hui que le
propriétaire du sol a droit à la mine, il tend seulement à tenir en suspens ce
droit, s’il existe, jusqu’à la révision de la loi.
Il y avait donc
autrefois deux sortes de concessions, dont l’une était séparée de la propriété,
et dont l’autre, ayant pour objet la partie supérieure de la mine, était
inhérente à la propriété.
Messieurs, je vous
prie de bien remarquer aussi que deux droits réels différents se confondent ici
dans la personne du propriétaire du sol puisqu’il est en outre propriétaire de
la partie supérieure de la couche, à titre de concessionnaire.
L’article 28,
paragraphe 3, de la loi de 1810, est ainsi conçu : « Si l’opposition est
motivée sur la propriété de la mine acquise par concession ou autrement, les
parties seront envoyées devant les tribunaux et cours. »
Cependant,
messieurs, lorsqu’une demande en concession était portée au conseil d’Etat, les
propriétaires de la partie supérieure de la mine avaient beau motiver leur
opposition sur cette qualité, exhiber leurs titres seigneuriaux. justifier de
leur longue possession et demander le renvoi devant les tribunaux, en
s’appuyant sur le texte formel de la loi, le conseil d’Etat leur répondait :
Votre opposition n’est pas motivée sur la propriété de la mine. Comme si pour
motiver, il n’eût pas suffi d’exposer simplement un fait, d’alléguer une raison
quelconque.
Toute incroyable
que la chose paraisse, le conseil d’Etat a pris plusieurs fois de semblables
décisions, notamment en ce qui concerne les mines de fer, sur des oppositions
étayées de titres seigneuriaux dont on ne pouvait contester l’existence ni la
validité.
Qu’on ne vienne
donc plus dire au propriétaire que, s’il réclame un droit à la mine, comme
concessionnaire, le conseil d’Etat doit le renvoyer devant les tribunaux. Il
lui importe peu que le conseil d’Etat doive le faire, s’il ne le fait point.
Il est des
objections qu’on a beau réfuter, elles se représentent sans cesse sous la même
forme, telle est cette assertion, qu’on ne doit pas reprocher à la loi les abus
de la loi. Mais, messieurs, c’est précisément parce que les abus sont possibles
que la loi est mauvaise. Si les séances du conseil d’Etat, au lieu d’être
secrètes, eussent été publiques ; si les divers intérêts y eussent été défendus
de vive voix, au lieu de l’être par des mémoires écrits auxquels souvent on ne
pouvait répondre ; si la loi de 1810 avait établi une procédure régulière, au
lieu de tout abandonner à l’intrigue, on n’aurait certainement pas à reprocher
ce déni de justice au conseil d’Etat.
Le projet charge
des conseillers des cours de Bruxelles et de Liége de prononcer sur ces sortes
de contestations. C’est un pas vers le bien ; des membres de l’ordre judiciaire
offrent des garanties de lumières et d’impartialité que l’on chercherait
vainement ailleurs que dans la magistrature. Cependant, messieurs, ces
garanties sont loin de me satisfaire pleinement, il est impossible de connaître
le véritable état de la question, d’après des mémoires écrits, que l’on ne peut
réfuter à l’instant même. Nous possédons dans cette assemblée plusieurs
magistrats éclairés ; ils entendent aujourd’hui pour la troisième fois discuter
longuement des questions relatives aux mines. Eh bien, ils vous diront s’ils
peuvent se former une idée bien exacte de ces propriétés souterraines et les
contestations auxquelles elles donnent lieu. Cependant, il s’agit ici de faits
généraux, que nul ne conteste, que chacun cherche à expliquer clairement, à
présenter de manière à faire triompher le bon droit, notre but à tous ; que
serait-ce s’il s’agissait de cas particuliers compliqués, de mille
circonstances obscures, que l’une des parties aurait intérêt à embrouiller
encore, et où la chicane viendrait déployer toutes ses ressources ?
On assure que le
conseil des mines qui, d’après l’article 2 du projet doit donner un avis
préalable, saura respecter et concilier tous les intérêts. On ne réfléchit pas
sans doute combien cette tâche est difficile. Les éléments dont se compose le
conseil des mines sont bien plus propres à vous rassurer à cet égard. Sous le
rapport des lumières, rien de mieux que des ingénieurs et des délégués des
chambres du commerce, mais je ne vois pour les propriétaires du sol aucune
garantie sous le rapport de l’impartialité et du désintéressement. Dans les
pays de mines où naturellement les chambres de commerce se composeront presque
exclusivement de grands concessionnaires, quels intérêts représenteront leurs
délégués ? Et quant aux ingénieurs dont les études habituelles ont pour objet
les grandes difficultés de l’art dans les travaux inférieurs, que leur importe
qu’il s’élève ou non, çà et là, quelques chétives exploitations à la surface ?
Ces fonctionnaires ne sacrifieront-ils pas trop facilement à leurs théories
tout ce qui présentera l’ombre d’un obstacle ?
Messieurs, si l’on
doit se tenir en garde contre les suggestions de quelque part qu’elles viennent,
c’est lorsque la matière qui y donne lieu nous est absolument étrangère. Un
membre de cette chambre qui paraît avoir voué à la loi de 1810 un culte
d’admiration, puisqu’il traite de blasphème la critique modérée qui en a été
faite, nous a révélé un fait curieux et qui montre combien il est dangereux de
voir par les yeux d’autrui. Il nous a dit que le gouvernement hollandais ne
concédait les mines de fer que parce qu’un savant avait décidé qu’elles
n’étaient plus exploitables à l’ancienne manière. Cependant l’honorable membre,
pensant sur ce point comme la plupart d’entre vous, a démontré invinciblement
que les mines de fer ne sont pas concessibles. Voilà donc de l’aveu du plus
ardent apologiste de la loi de 1810, les abus révoltants qui en découlent, Sur
l’avis d’un savant, des milliers de citoyens furent expropriés brutalement sans
indemnité, toutes leurs réclamations furent vaines. Il suffit d’un savant pour
porter la ruine et la désolation dans les familles. Si vous ressuscitez la loi,
qui nous préservera des savants et de leurs désastreux systèmes ?
La commission
reconnaît que la loi de 1810 ne vaut rien et doit être changée, pourquoi donc
vouloir l’appliquer de suite en ce qu’elle offre de plus dangereux ? Pour moi,
messieurs, je ne vois pas la nécessité de nous jeter tête baissée dans ces
questions difficiles que n’osaient même aborder les gouvernements précédents.
Lors de la dernière discussion sur les mines, un membre de la majorité de la
commission reconnut que depuis la publication en Belgique de la loi de 1791,
l’acte de maintenue n’a pu être obtenu par un centième des anciens
concessionnaires. Ne pouvait-on attendre quelques mois encore après tant
d’années d’attente ? Est-ce au sortir d’une révolution, quand tous les esprits
sont distraits par les hautes questions de politique extérieure, quand nous
tremblons encore pour notre existence nationale au milieu de tant d’émotions
diverses, qu’il faut brusquer les choses et trancher des difficultés à la
solution desquelles on ne saurait apporter une réflexion trop mûre, un examen
trop approfondi. C’est une mesure provisoire, dit-on, oui sans doute, mais
c’est une mesure provisoire dont les effets seront éternels. Dans quelques mois
tout le mal sera peut être consommé et la législation définitive, à laquelle
auront concouru toutes les lumières, sur laquelle tous les intérêts auront été
consultés, la bonne législation, morte avant de naître, viendra ainsi grossir
d’une page inutile le recueil de vos actes.
Messieurs, il faut
nous garantir de l’exagération à laquelle il est de notre nature de nous
laisser entraîner si facilement. On vous a représenté l’extraction de la
terre-houille comme devant détruire tous les charbonnages. Cependant, il est
prouvé que les exploitations supérieures et les exploitations inférieures ont
marché concurremment depuis 1297 jusqu’en 1810, c’est-à dire pendant au moins
cinq siècles. Le propriétaire est, pour une autre raison encore, fondé à croire
que l’extraction de la partie supérieure, ou de la terre-houille, ne nuit pas
aux travaux inférieurs : c’est qu’à peine lui est-elle enlevée, qu’il la voit
exploitée par le concessionnaire inférieur lui-même, ou par d’autres qui paient
à celui-ci une rente en argent ou en nature.
Les prétentions du
propriétaire du sol n’ont rien d’exagéré lorsqu’il demande à user d’un droit
qui, comme nous l’avons vu, lui appartient à un double titre. Elles n’ont rien
d’exagéré lorsqu’il réclame, pour le cas où l’expropriation serait jugée
nécessaire, une indemnité, non fictive,
mais réelle, une indemnité proportionnée au dommage, c’est à dire, une
indemnité égale à la valeur de la mine à laquelle il lui sera désormais
interdit de toucher.
Cependant,
messieurs, il importe tellement qu’on agisse avec lenteur et avec prudence dans
cette grave question, qu’il convient peut-être de laisser en suspens l’exercice
des droits du propriétaire, tout incontestables qu’ils sont, jusqu’à la
révision de la loi de 1810, annoncée par le projet. C’est le but de mon
amendement. Vous chargerez, sans doute, une commission de la rédaction de la
loi nouvelle, il faut qu’elle ait eu le temps d’examiner mûrement les raisons
qui seront produites de part et d’autres, afin de concilier ce qu’exige
l’intérêt public avec le respect dû aux droits, tant des propriétaires du sol
que des concessionnaires.
Messieurs, pour
apprécier l’importance de ces questions, je vous prie de bien remarquer que
c’est ici le seul cas où, pour cause d’utilité publique, on enlève à un
particulier son patrimoine pour en gratifier un autre particulier, circonstance
qui offre un grand danger et qui exigera de grandes précautions lors de la
confection d’unie loi nouvelle.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, le travail qui vous a été présenté par
votre commission spéciale, chargée de l’examen du projet de loi relatif aux
mines, est devenu l’objet de vives critiques tant de la part de plusieurs
industriels, que des ingénieurs des mines.
Ils se plaignent
de ce que le projet pose en principe la nécessité de réviser la loi du 21 avril
1810, qu’ils regardent comme contenant les dispositions les plus sages sur
cette matière, et surtout de ce que la commission, croyant à cette nécessité,
ne propose rien pour remplacer la législation actuellement existante, indique
le mal sans y porter aucun remède, et consacre une espèce de provisoire
indéfini, véritable fléau de l’industrie qui pour risquer ses capitaux, a
besoin non de vague, mais de positif. Je partage cette opinion sans me
dissimuler que les mesures législatives à prendre sur cet objet qui touche à
une des principales sources de notre richesse nationale, sont hérissées de
difficultés. Je crois au surplus, par d’autres motifs que je vais faire
connaître, devoir refuser mon assentiment au projet de la commission. Ce projet
confère à aux membres, choisis parmi les conseillers des cours d’appel de
Bruxelles et de Liége, présidés par un ministre, les attributions du conseil
d’Etat. Or, messieurs, si comme moi vous êtes pénétrés de l’importance des
affaires qui seront soumises à ce conseil, de leur multiplicité, des soins
qu’elles demandent, des discussions auxquelles elles donnent lieu, vous serez
convaincus que le personnel de cette commission sera trop peu nombreux et
devrait au moins être porté à neuf conseillers.
Quant à la
composition du conseil, j’aime à y supposer la réunion très rare des
connaissances administratives et judiciaires ; mais je crains néanmoins que
cette formation n’offre de graves inconvénients. J’entends sans cesse répéter
que le personnel des cours est insuffisant ; les affaires sont, dit-on, en
retard, l’on ne peut y suffire ; si ces assertions et d’autres sont fondées,
comment peut- on vouloir encore retirer trois conseillers aux deux cours
existantes ? N’est-il pas à craindre que les affaires judiciaires ordinaires,
ou celles concernant les mines, ne restent en souffrance, car je pense que,
pour le bien de l’industrie, il est indispensable que ce conseil soit
permanent.
Messieurs, je suis
du nombre de ceux qui croient que l’on se passera difficilement en Belgique d’un
conseil d’Etat. Les changements notables que subissent d’ordinaire, à la
chambre des représentants, les projets de loi émanés du ministère, prouvent
qu’ils auraient besoin d’être mieux élaborés, avant d’être livrés à la
discussion publique.
Les commissions
spéciales, si souvent et si inutilement nommées par le gouvernement, tout me
fait penser qu’il serait inutile d’en revenir à cette institution, qui pour
avoir offert des abus sous le gouvernement précédent, tant par le choix de
quelques hommes incapables, que par l’idée malheureuse d’en faire une espèce
d’hôtel d’invalides pour les employés supérieures, n’en a pas moins rendu de
grands services, et a formé de bons administrateurs parmi les jeunes
conseillers et les référendaires.
C’est surtout dans
ce qui concerne les mines que je regrette l’absence de ce corps, et il me
semble qu’il sera impossible de se passer d’une institution quelconque qui
exerce les fonctions qui lui étaient dévolues.
Le projet de la
commission remplit-il cet objet ? Non sans doute ; bientôt on demandera, et je
le demande dès aujourd’hui, que le conseil soit plus nombreux et permanent ; de
là on établira le besoin d’augmenter le personnel des cours, et l’on en viendra
à faire passer une branche importante du pouvoir administratif au pouvoir
judiciaire. Cet empiétement d’un ordre sur l’autre me semble assez important
pour devoir être signalé.
J’aborde ce qui
concerne les concessions de minerai de fer. J’ai toujours, messieurs, déploré
les actes de l’ancien gouvernement à cet égard fort peu touché des
inconvénients très chimériques, selon moi, que devaient amener le droit
d’extraction des propriétaires de la surface, puisqu’il avait le droit de faire
surveiller les travaux, de prescrire les mesures de sûreté, et d’empêcher que
les richesses enfouies sous le sol ne fussent perdues pour l’avenir. Cette
liberté eût eu pour résultat de rendre tout monopole impossible et de consacrer
un acte de rigoureuse justice, car je serais ennemi de toute concession, si
l’expérience ne prouvait que, dans les travaux d’extractions frayeuses, comme
celles de houille la liberté serait la ruine totale de cette précieuse
industrie.
Mais aujourd’hui,
je ne suis pas sans crainte sur le résultat qu’aurait pour le commerce de fer,
le refus de toute nouvelle concession, et j’explique ici ma pensée.
La très grande
partie des terrains contenant le minerai de fer est concédée. Les concessions
ont été en général obtenues, ou par de grands propriétaires, ou plus encore par
de grands industriels. Tous ceux qui voudront actuellement former des
établissements de forgerie, ou ceux qui, sur la foi de promesses de concessions
antérieures à la révolution, ont employé d’immenses capitaux, vont se trouver
sous la dépendance des concessionnaires actuels, qui après avoir retenu le
minerai nécessaire à leurs mines, fixeront à un taux élevé la vente du minerai
indispensable aux industriels moins favorisés. Il en résultera que forger
deviendra une espèce de privilège entre quelques particuliers, et que les
industriels seront divisés en catégories.
Je
ne vois, dans le projet en discussion, rien qui puisse calmer les inquiétudes,
tout y est laissé à l’avenir, quand le présent réclame toute notre sollicitude
; persuadé que, si nous l’adoptons, le gouvernement laissera, peut-être pendant
des années, cette industrie dans un triste état de provisoire, je refuse mon
assentiment au projet, espérant, s’il était rejeté, que l’on serait forcé d’en
venir à une organisation définitive pour tout ce qui concerne les mines.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, il fait convenir que c’était un
important et difficile travail, que celui dont nous chargions quelques-uns de
nos collègues, en leur confiant l’examen du projet de loi relatif aux mines.
Concilier les droits et les intérêts des anciens concessionnaires, des
demandeurs en concession, des propriétaires du sol, sans jamais perdre de vue
ce que réclame l’intérêt commun et l’équité. Voilà qu’elle était la tâche de
votre commission, tâche véritablement immense. La commission l’a-t-elle bien
remplie, je ne le crois point.
Je ne reviendrai
pas sur les dispositions des lois du 12 juillet 1791 et 21 mars 1810 ; dans
plusieurs de vos précédentes séances, elles ont été critiquées et défendues
avec une égale force et une égale chaleur ; je me bornerai à examiner en
lui-même le projet qui nous est soumis.
J’ai peu de chose
à dire sur les deux premiers articles ; l’on peut, je pense, approuver sans
crainte le choix fait de trois conseillers pris dans chacune des cours de
Bruxelles et de Liége, pour remplir les attributions conférées au conseil
d’Etat par la loi de 1810 ; seulement j’estime qu’il faut retrancher de
l’article 2 les expressions « et sur l’avis préalable du conseil des
mines, institué par l’article 18 de l’arrêté du 29 août 1831, » parce
qu’il y a de graves inconvénients à invoquer ainsi dans une loi, un arrêté que
le pouvoir exécutif peut abroger d’un jour à l’autre. On ne sait en effet, si
on laissait subsister ces expressions dans la loi, ce que ferait la commission,
s’il plaisait au gouvernement de révoquer l’arrêté du 29 août.
L’article 3 du
projet, est celui sur lequel tombent particulièrement mes observations et mes
critiques.
Le premier
paragraphe de cet article défend d’accorder provisoirement aucun concession
nouvelle de mines ou de minerai de fer. La généralité de cette disposition
donnera nécessairement lieu à de grandes injustices. Ainsi, un particulier ou
une société qui aura fait toutes les démarches et tous les frais à l’effet
d’obtenir une concession, dont les titres seront incontestables, et peut-être
non contesté, et que les circonstances politiques ont seules empêcher
d’atteindre son but, se verra tout d’un coup frustré dans son attente ; il n’y
aura aucun moyen de faire droit à ses réclamations, quelques justes qu’elles
soient. La loi n’est que provisoire, dira-t-on, c’est vrai, mais toute
provisoire qu’elle est, elle pourrait bien subsister longtemps. L’expérience
nous a appris ce que sont les lois provisoires.
Le second
paragraphe me paraît moins admissible encore que le premier. Si vous
l’adoptiez, il en résulterait qu’il pourrait dire statué favorablement sur les
demandes faites en vertu de l’article 53 de la loi du 21 avril 1810, relatives
aux mines, autant que celles de fer, c’est-à-dire sur les demandes en maintenue
et en délimitation, et sur les demandes en extension de concession, qui se
rattachent à celles-ci ; mais, dans aucun cas, il ne pourrait être disposé sur
des demandes en concessions nouvelles.
Or,
messieurs, ne perdez point de vue une chose, que personne, je pense, ne sera
tenté de me contester : une demande en délimitation est presque toujours une
demande en extension, et une demande en extension équivaut à une demande en
concession. Ainsi, en adoptant le projet, vous accorderiez un véritable
privilège aux anciens concessionnaires, en d’autres termes, vous consacreriez
ce principe, qui trouve rarement une juste application : « donnez beaucoup
à celui qui a beaucoup, » et si le projet n’ajoute point : « ôtez à
celui qui a peu, même le peu qu’il a, » il dit du moins en termes exprès :
« ne donnez rien à celui qui n’a rien, et pour cela même qu’il n’a
rien. »
Il m’est
impossible d’admettre un projet renfermant des dispositions aussi peu
équitables.
M. Mary. - Au lieu de s’en tenir simplement aux dispositions
du projet de loi proposé par le gouvernement, on a cru devoir y rattacher
plusieurs amendements qui y sont totalement étrangers et qui avaient pour but
de mettre les dispositions de cette loi en harmonie avec celles de la loi de
1810, portée par des législateurs éclairés, et qui a passé pour approcher de la
perfection.
La loi de 1810
présentait d’immenses avantages ; ces avantages étaient réellement si grands,
que nous avons vu prospérer sous son régime la plupart des établissements
concernant les mines. Pourquoi changer toute l’harmonie des sages dispositions
qu’elle renferme ? Je crois que si l’on veut, plus tard, examiner les
dispositions qui doivent être changées, il faudra soumettre ce travail à une commission
spéciale et consulter les intérêts des provinces.
Quoi qu’il en
soit, je vais présenter quelques observations sur le projet de loi qui nous est
présenté.
Les deux premiers
articles me conviendraient assez. Par ces articles, le gouvernement n’est pas
tenu de s’assujettir aux avis des hommes instruits qu’il consultera et on
propose de substituer au conseil d’Etat, qui n’existe plus, une commission
spéciale composée de six conseillers pris dans les cours d’appel. Je dois faire
remarquer que les cours supérieures sont déjà surchargées d’affaires, de
travaux. Vous le savez, si vous avez à poursuivre un débiteur, si vous avez une
affaire sommaire, il faut attendre six mois ; si vous avez une affaire
ordinaire, il faut attendre trois ans. Dans cet état des choses, pouvez-vous
augmenter les attributions des cours ?
Dans la loi sur
l’organisation judiciaire, nous avons inséré plusieurs incompatibilités de
fonctions avec d’autres fonctions ; avons-nous droit maintenant d’exiger
que les conseillers se forment en comité spécial ? D’après la constitution, le
déplacement d’un juge ne peut avoir lieu sans son consentement, et un juge ne
peut remplir des fonctions salariées : pourrons-nous forcer les conseillers à
se transporter d’un lieu dans un autre ? Et remarquez que vous allez les
assujettir à des fonctions gratuites, puisqu’ils ne pourront réclamer aucun
émolument pour les déplacements.
Messieurs, le
projet de la commission présente un autre inconvénient. Le conseil, composé de
juges, est appelé à décider sur les affaires relatives aux concessions ; et si
des difficultés s’élèvent sur la propriété, il faudra que les mêmes juges
viennent prononcer sur la contestation. Ainsi vous les placez alternativement
dans des situations inverses. Tantôt ils sont administrateurs, tantôt ils sont
juges dans la même affaire. Cependant je ne verrais pas une grande difficulté à
adopter cette disposition si l’on adoptait mon amendement.
J’en viens à
l’article 3.
Cet article,
messieurs, porte que l’on n’accordera aucune concession nouvelle sur les mines
et les minerais de fer : ainsi on va mettre les maîtres de forges dans une
position toute particulière. Beaucoup de personnes ont fait des demandes en
concessions ; celles qui n’ont pas obtenu seront dans une situation très
différente de la situation des personnes qui ont obtenu. La loi de 1810
renferme des dispositions relatives aux concessions possibles à accorder et il
ne pouvait y avoir aucun abus dans ces dispositions. L’autorité a d’ailleurs
l’œil ouvert sur l’abus qui pouvait résulter des concessions. Je dois même dire
que les concessions ont toujours été accordées d’une manière très équitable ;
car en même temps qu’on accordait une concession, c’est-à-dire un droit, à un
maître de forges, on accordait un droit au propriétaire foncier, droit qui
était loin de blesser les intérêts du maître de forges.
M. de Brouckere a
fort bien fait ressortir les inconvénients qui résulteraient des extensions de
concessions. Un propriétaire de mines viendra demander une extension sur mon
terrain, et moi, propriétaire, je ne pourrai exploiter la mine qui se trouve
sous mon sol ! Cela est contraire à toutes les règles de la justice.
Si on trouve du
cuivre, de l’étain, et d’autres matières inconnues en Belgique, on ne pourra en
obtenir la concession, et ces richesses demeureraient enfouies, d’après la loi
proposée. Dans l’état où se trouve notre industrie, pouvez-vous admettre de
semblables dispositions ?
L’article
4, messieurs, a déjà été réfuté par l’honorable préopinant. Il me semble que
cet article est parfaitement inutile ; car la loi de 1810 porte que le
demandeur en concession doit, pendant 4 mois de suite, déposer sa demande par
écrit, et que jusque-là toute personne peut faire une demande en concurrence.
Après les 4 mois, les pièces étaient transmises au ministre de l’intérieur, et
des délais étaient encore nécessaires avant d’obtenir la concession puisqu’il
fallait prendre l’avis d’un conseil spécial. Je ne vois pas qu’il soit
nécessaire d’augmenter les difficultés. Je crois que la chambre adoptera le
projet tel qu’il est présenté par le gouvernement, et je crois, qu’au lieu de
prendre des juges, il suffira que la commission des mines sont nommée hors du
sein du conseil d’Etat.
M. de Robaulx. - Le mal que
je trouve aux dispositions que nous discutons, c’est qu’elles sont toutes
provisoires. S’agit-il d’examiner la loi de 1810, de nombreux orateurs
s’élèvent pour et contre et l’on n’aboutit à rien. L’avis que j’avais émis,
c’est que l’on ne fît rien sur la loi de 1810 avant d’en avoir étudié toutes
les parties. Je défie que l’un touche à une partie, sans attaquer en même temps
toutes les autres. Il faut donc les modifier ensemble, sans quoi on ferait un
travail défectueux.
Vous touchez
maintenant au système des concessions ; que va-t-il arriver ? (Je ne parle ni
pour, ni contre le projet). M. de Brouckère l’a déjà fait ressortir : si vous
donnez le droit d’extension à ceux qui possèdent déjà, vous froissez les
intérêts de ceux qui ne possèdent pas ; d’un autre côté, si vous touchez aux
concessions déjà obtenues, vous attaquez l’industrie.
Les difficultés
pour obtenir des concessions conduisent à des grands abus. On vous a dit qu’une
noble dame se fait trente mille livres de rentes dans son pays. Eh bien, cette
dame n’exploite pas son propre fonds ; elle exploite le fonds des communes
environnantes, et voici comme elle fait.
La loi de 1810 a
dit que pour les établissements qui exigeaient des avances considérables de
fonds, il était juste, il était nécessaire d’accorder une concession ; mais on
a abusé de cette disposition. On s’adresse au gouvernement ; l’administration
croit devoir des égards à de grands noms, à une grande fortune, et par cette
influence on obtient une concession de quatorze ou quinze cents bonniers,
exploitation qui n’exige ni ouvrages de l’art, ni grandes dépenses. Les petits
particuliers ne peuvent obtenir de concession ; et quand ils veulent exploiter,
on leur dit : vous exploiterez dans votre jardin, dans votre terrain, moyennant
une rétribution que vous me donnerez à moi qui ai su avoir une concession.
C’est par ce moyen qu’on se fait trente mille livres de rente, sans bourse
délier.
J’admets que dans
la loi de 1810 il faut conserver ce qui concerne les intérêts de l’industrie ; mais
il ne faut pas tout enlever aux propriétaires, pour tout donner aux industriels
; et il ne faut pas que quelques personnes puissent, au détriment des
malheureux, se faire une grande fortuite sans travail et sans industrie.
J’en connais
plusieurs qui se font sept à huit mille livres de rentes sans frais ; je le
demande, est-il possible de maintenir un aussi monstrueux abus. Selon moi, la
loi de 1810 doit être révisée et la révision doit être faite dans l’intérêt de
l’industrie, et dans celui des propriétaires. Il faut des concessions pour les
établissements qui exigent des avances de plusieurs centaines de mille francs ;
mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’en donner pour les minerais de
fer.
Voilà ce que
j’avais à vous dire sur le projet en général, et relativement à la révision de
la législation sur les mines. J’aurais voulu que le projet en discussion fût
ajourné ; si la proposition en est faite, je m’y rallierai.
Vous avez une
constitution libérale, il faut que les dispositions des lois soient en harmonie
avec cette constitution, il faut que la propriété soit protégée en même temps
que l’industrie. Je ne dirai pas que la loi, portée sous le grand dominateur,
froissait bien des intérêts ; mais en conservant ce qu’elle renferme de bon, en
supprimant ce qu’elle a de mauvais, on pourrait faire quelque chose de
supportable.
Je voudrais que la
révision en fût faite et qu’elle eût lieu prochainement. Il faut savoir ce qui
se passe pour en comprendre la nécessité. Il est certains cantons à Liége, par
exemple, où des concessions sont données, mais sous la condition de droits de
tirage en faveur des propriétaires voisins, sous la condition de leur accorder
le vingt-quatrième panier ; cette disposition pourrait être reproduite. Celui
qui fait de grandes avances doit avoir une concession ; mais dès qu’il passe
sous ma propriété, le vingt-quatrième panier m’appartient. Les propriétaires
doivent faire des sacrifices dans l’intérêt public, mais ils doivent en être
indemnisés. Dans votre loi vous accordez huit, dix, vingt-cinq cents, n’est-ce
pas une indemnité dérisoire ? On dit que c’est un hommage rendu au droit de
propriété ; moi je dis que c’est se jouer de ce droit. Je voudrais donc que la
loi conciliât les droits de l’industrie avec les droits des propriétaires.
En vertu de leurs
concessions, plusieurs entrepreneurs ont fait des dépenses considérables ; il
ne faut pas les priver de leurs avances ; mais il ne faut pas établir un
monopole en faveur des concessionnaires.
Quant aux détails
de l’exécution de la législation sur les mines, je conçois qu’il faut un corps
quelconque, chargé de prononcer sur les droits de chacun, puisque nous n’avons
pas de conseil d’Etat.
L’article premier
dit, que, provisoirement et jusqu’à la révision de la loi du 21 avril 1810, les
attributions conservées au conseil d’Etat, seront exercées par une commission
de six membres, nommés par le Roi.
Ainsi,
indéfiniment vous aurez un conseil provisoire ; et ce conseil sera composé de
trois juges pris dans la cour de Bruxelles et de trois juges pris dans la cour
de Liége. Il me semble qu’il fallait dire que les juges seraient pris, en
nombre égal, dans chacune des cours du royaume.
Plusieurs membres. - Il n’y a pas de mines dans le ressort de la cour
de Gand.
M. de Robaulx. - Qui vous dira que, dans le ressort de la cour de
Gand, vous ne trouverez pas de minerais ? (Bruit.)
Un peu
d’attention, messieurs ; il me serait impossible de continuer au milieu des
interruptions.
Vous ne savez pas
quelles parties de la province du Hainaut seront réunies à la Flandre orientale
: je suis porté à croire qu’il y aura des mines dans le ressort de la cour de
Gand.
Lors
même qu’il n’y aurait pas de mines dans ce ressort, serait-ce un motif pour
éloigner les conseillers de la cour de Gand ? Les juges qui composeront le
comité décideront administrativement, puis ils pourront être appelés à décider
judiciairement sur la même affaire dans les questions de propriété, c’est
peut-être un motif suffisant pour déterminer à prendre des juges dans le
ressort desquels il n’y ait pas de mines.
On a demandé s’il
serait convenable d’autoriser les propriétaires de la surface à exploiter les
mines de houille qui se trouvent sous leurs terrain,. Cette question ne peut
être résolue que par la révision de la législation.
Je demande donc
une révision, afin d’obtenir une législation en harmonie avec les besoins de
l’industrie et les droits de la propriété. Pour voter la loi présentée,
j’attendrai les observations qui seront faites.
M. Helias
d’Huddeghem. - Je trouve,
messieurs, qu’il existe des difficultés à former la commission qui remplacerait
le conseil d’Etat des fonctionnaires pris dans l’ordre judiciaire.
Sous l’ancien
régime, messieurs, la fonction de juger se trouvait réunie à différents
pouvoirs politiques . tels que celui de décider réglementairement, de réviser,
de modifier, de rejeter les loi, d’arrêter, en plusieurs cas, les opérations de
la puissance administrative. Un des premiers soins de l’assemblée constituante
a été de nommer une commission pour préparer un projet d’organisation
judiciaire, l’ancienne étant jugée incompatible avec les nouveaux principes
constitutionnels qui admettaient la distinction des pouvoirs. Depuis lors, une
ligne de démarcation existe entre les fonctionnaires de l’ordre judiciaire et
les fonctionnaires de l’ordre administratif : et toute confusion de pouvoir a
cessé.
Si nous examinons
les lois et décrets qui régissent les mines, je pense, en effet, qu’il existe
une incompatibilité morale autre les fonctions de conseillers de cours de
justice et les attributions que le projet de loi leur donnerait.
Plusieurs décrets
sur la matière des mines, règlent ce qui est de la compétence de l’autorité
administrative à l’exclusion des tribunaux, et ce qui est de la compétence des
fonctionnaires de l’ordre judiciaire à l’exclusion de l’autorité
administrative.
C’est ainsi qu’un
décret impérial du 11 août 1808 établit que c’est à l’autorité administrative,
seule, qu’il appartient, soit d’autoriser les travaux nécessaires à
l’exploitation des mines, soit de maintenir ou de faire supprimer les ouvrages
faits sans autorisation : en conséquence que les tribunaux ne sont pas
compétents pour prononcer la destruction de chaussées pratiquées par les exploitants
sur le terrain des propriétaires de fonds environnants.
Un décret
impérial, de la même date, décide qu’en matière de mines, la connaissance des
contestations relatives aux demandes et règlements d’indemnités appartient
exclusivement à l’autorité judiciaire.
Le décret du 21
février 1814 prescrit que toute limitation de mine faite administrativement, au
préjudice des propriétaires d’une autre mine, ceux-ci non entendus, est
susceptible d’être querellée devant l’autorité administrative du conseil d’Etat
; et qu’il importe peu qu’elle ait été faite par lignes droites d’après les
instructions ministérielles, ces instructions ne s’entendant que des terrains
concédés, sans dommage pour les concessions déjà faites. Mais que les
contestations qui s’élèvent sur la propriété ou la limitation des mines
acquises par concession ou autrement doivent être jugées par les tribunaux.
Il me paraît
suivre des dispositions qui précèdent que la formation du personnel de la commission
proposée par l’article premier du projet, doive être changée. Et en effet, par
exemple, il est admis en jurisprudence que l’autorité administrative est seule
compétente pour connaître des contestations relatives aux patouillets ou
lavoirs nécessaires à l’exploitation des mines ; et que les juges ne peuvent
statuer sur les demandes en dommages intérêts formées par les particuliers,
qu’après que l’administration a prononcé sur la légitimité du placement des
lavoirs.
Je le demande,
messieurs, ne serait-il pas inconvenant que les magistrats devraient se
déclarer incompétents pour connaître des dommages intérêts jusqu’à ce qu’ils
auraient statué administrativement sur le placement des lavoirs ou patouillets
nécessaires aux mines ?
Ce que l’orateur
qui a parlé le premier dans cette discussion a avancé, me paraît mériter votre
attention : il faut des connaissances spéciales ; trouvera-t-on les
connaissances spéciales dans une commission exclusivement composée de
magistrats. Il me paraît que le projet présente par M. Tielemans au congrès
national, le 7 février 1831, sur la formation d’une commission pour remplacer
le conseil d’Etat, remédierait aux inconvénients signalés par MM. Desmanet et
Mary.
Voici ce qu’il
disait entre autres dans son rapport :
« Le conseil
d’Etat qui, aux termes de la loi du 21 avril, était investi de la connaissance
des demandes en concession de mines, et qui décidait, en dernier ressort, sur
toutes les questions qui n’atteignent pas la propriété, a cessé de faire partie
des grands corps de l’Etat ; sa dissolution, ou son absence, laisse incomplète
l’une des branches les plus importantes de l’administration et de l’industrie
de la Belgique ; ni le conseil d’Etat tel qu’il existait sous le gouvernement
hollandais, ni la section de ce conseil qui était chargée de l’instruction des
affaires des mines, lors de la promulgation de la loi de 1810, ne remplissaient
le but de leur institution. En matière de mines, des connaissances spéciales,
une instruction théorique et pratique des exploitations, et les richesses de la
Belgique possède en mines de toute espèce sont d’une telle importance, que les
hommes appelés à remplacer le conseil d’Etat, doivent être capables comme
légistes, exploitants, minéralogistes ou ingénieurs, de juger, en connaissance
de causes, les affaires qui seront soumises à leur examen.
« Un conseil
des mines, revêtu, en ce qui concerne cette partie de l’administration, des
mêmes attributions que le conseil d’Etat et composé d’hommes instruits qui
auraient les connaissances spéciales dans l’art des mines, me semble
l’institution la plus propre à donner à l’Etat et aux exploitants toutes les
garanties que leurs intérêts respectifs peuvent réclamer.
« Ce conseil,
qui serait présidé par un de ses membres, et au besoin par le chef du
département de l’intérieur, serait composé de deux exploitants, de deux autres
ingénieurs des mines et d’un jurisconsulte. »
Et, ici,
messieurs, on pourrait augmenter le nombre et le fixer à trois jurisconsultes.
Je propose,
messieurs, que la commission qui remplacerait le conseil d’Etat soit composée
de deux exploitants, trois jurisconsultes et trois ingénieurs. Un de ces
membres sera en même temps secrétaire du conseil.
D’abord
j’attirerai votre attention sur un principe qui nous a été légué par l’assemblée
constituante. Ce principe est l’un des plus sages en législation, c’est la
séparation des pouvoirs. La loi de 1810 a posé la limite du pouvoir judiciaire
et du pouvoir administratif, en ce qui concerne la matière sur laquelle elle
était portée ; je crains que le projet en discussion ne fasse confusion de ces
pouvoirs. Je sais bien qu’en donnant la décision des contestations sur les
mines aux tribunaux, c’est un pas fait vers le bien, comme l’a dit un honorable
membre ; mais quand vous parlez de remplacer le conseil d’Etat, corps
essentiellement administratif, par l’autorité judiciaire, je dis que vous
mettez l’autorité judiciaire dans l’administration, que c’est un abus. Pourquoi
sépare-t-on les pouvoirs ? C’est parce que les pouvoirs tendent à l’usurpation
les uns sur les autres, Malgré les délimitations des pouvoirs établies par les
lois, combien n’avons-nous pas vu d’empiètements sous le nom de conflits ?
Vous serez
conséquents avec vos principes si vous placez l’ordre judiciaire dans
l’administration, ou l’administration dans l’ordre judiciaire.
On
distrait trois conseillers de la cour de Liège, et trois conseillers de la cour
de Bruxelles pour former une commission ; je demanderai, avec l’honorable M. de
Robaulx, pourquoi on n’adjoindra pas de conseillers de la cour de Gand ou de
Bruges. Je sais bien qu’il n’y a pas de mines dans les Flandres, mais je pense,
avec M. de Robaulx qu’il serait bon que les juges ou les conseillers ne fussent
pas pris tous au milieu des propriétaires de mines.
Une autre considération
: C’est que vous allez rendre le travail des cours parmi lesquels vous prendrez
des conseillers encore plus pénible. Dans ce royaume on ne rend pas la justice,
on l’attend. Si donc vous enlevez des juges à leurs occupations ordinaires, au
lieu d’attendre deux, ou trois ou quatre ans, leurs décisions, vous attendrez
plus longtemps.
(Erratum inséré au à Moniteur n°140 du 19 mai
1832 : une erreur s’est glissée dans le
compte rendu du développement de la proposition que j’ai faite à la séance du
16 mai sur la composition de la commission des mines : dans le dernier
paragraphe il faut retrancher tout ce qui suit la phrase suivante, savoir :
vous allez rendre le travail des cours parmi lesquelles vous prendrez des
conseillers, encore plus pénible).
M. Jullien. - Je conçois toutes les difficultés, tous les
embarras que la commission a pu rencontrer pour faire, même transitoirement un
projet de loi sur une matière des plus difficiles que l’on ait à traiter. Je
rends justice à son travail ; cependant il est vrai de dire que ce travail se
ressent de tous les inconvénients qui appartiennent aux lois transitoires, car
les lois transitoires manquent de cette unité de vues, de cette fixité de
principes que l’on doit trouver dans les lois destinées à demeurer. Je
signalerai, dans de courtes observations, les plus graves inconvénients qui me
paraitraient résulter de l’adoption du projet de loi.
Vous parlez d’une
commission et vous dites qu’elle se composera de trois conseillers pris dans
une ville, et de trois conseillers pris dans une autre ; mais les conseillers
de Bruxelles iront-ils à Liége, et ceux de Liège iront-ils à Bruxelles ? Les
conseillers, en tant que membres de la commission, auront-ils une résidence, ou
la commission sera-t-elle voyageuse ? Dans le cas de déplacement, les membres
de la commission auront-ils une indemnité ? La loi n’en dit rien.
Quelque chose de
plus grave doit encore attirer votre attention. Dans l’article 3, tout en
disant que de nouvelles concessions ne seront plus accordées, on dit, en même
temps, que l’on accordera des extensions, et cette seconde disposition fait
évanouir la première. Voici ce que dit l’article 3 :
« Cette
commission n’accordera provisoirement aucune concession nouvelle de mine ou de
minerai de fer.
« Quant aux
autres mines, elle ne disposera que sur les demandes faites en vertu, et
conformément aux dispositions de l’article 53 de la loi du 21 avril 1810, ou
sur les demandes en extension de concession, qui se rattachent à
celles-ci. »
Je demande,
messieurs, ce que c’est qu’une extension de concession qui se rattachera à une
concession déjà donnée ? Je n’ai pas assez de connaissance sur la matière, pour
savoir ce que c’est précisément qu’une extension. Je pense que c’est
l’autorisation de creuser plus profondément. Si c’est cela, je ne vois pas là
d’inconvénient pour le propriétaire de la surface. Mais si vous entendez par
extension une plus grande étendue de terrain, une veine prolongée sous le
terrain d’autrui, n’est-il pas vrai qu’alors l’extension est une concession
nouvelle que vous accordez ?
Les juges
conseillers n’iront pas sous terre voir ce qui s’y passe ; qu’accordera-t-on
aux malheureux propriétaires ? quelque mince indemnité ; je pense que ce serait
en quelque sorte dérisoire.
J’ai lu deux foi,
avec attention la dernière partie de l’article 4, et je ne l’ai pas bien
comprise. Dans la première, on parle des oppositions fondées sur des droits
résultant de titres, etc.
Cette disposition
est tirée de la loi d’avril 1810 ; des oppositions sont une mesure très fondée
; mais dans la seconde partie, il est dit que la publication de la concession
faite pendant un mois dans les lieux et suivant la forme établie par la loi de
1810, sans qu’il ait été formé d’opposition, « purgera irrévocablement les
droits desdits propriétaires. » Cette dernière expression est difficile à
saisir pour ceux qui ne sont pas praticiens.
Quel
sont les propriétaires quand il s’agit de mines ? Ce sont les entrepreneurs,
les propriétaires du sol, les concessionnaires ; eh bien ! quels droits seront
purgés ? Je vous avoue que je n’ai pas bien saisi le sens de la loi. J’attends
des explications à cet égard.
On a distribué un
mémoire sur la législation des mines ; ce mémoire est adressé par des
particuliers, nous n’avons pas eu le temps de le lire, il est vrai que ce
mémoire ne saurait arrêter la chambre ; cependant il peut nous éclairer ; si la
discussion était remise à demain, peut-être trouverions-nous dans cet écrit les
moyens de faire disparaître du projet en discussion les inconvénients que l’on
a signalés. Dans tous les cas, j’ajournerai mon vote jusqu’à ce qu’on ait
amélioré le projet.
M. Bourgeois. - Messieurs, comme membre de la commission qui proposé
le projet de loi sur les mines, qui est en discussion, je crois devoir
présenter à la chambre quelques explications sur l’esprit dans lequel ont été
conçues les dispositions des deux premiers articles du projet.
En proposant de
créer une commission des mines, la commission n’a eu d’autre intention que de
remplacer l’absence de conseil d’Etat, et de donner à cette commission les
attributions qui lui étaient conférées par la loi de 1810.
Si la commission a
proposé de la composer, entre autres, de trois conseillers de chacune des cours
de Bruxelles et de Liége, ce n’est pas comme fractions de ces cours qu’elle a
entendu en créer une cour ou tribunal spécial ou un corps judiciaire, mais la
commission a uniquement tâché de trouver des membres qui, par leurs précédents,
présentaient des prévisions suffisantes d’impartialité et de connaissances de
la matière.
Elle a cru de
trouver cette double garantie dans des personnes qui, à l’occasion de leurs
fonctions dans les cours de Bruxelles et de Liége, avaient été souvent dans le
cas de traiter des questions controversées en matière de concession des mines.
Ainsi si, lors de
son rapport sur la loi concernant les mines, M. Tielemans, comme l’a dit un
honorable préopinant, a proposé de composer cette commission destinée à
remplacer le conseil d’Etat de deux exploitants, d’ingénieurs et d’un ou
plusieurs jurisconsultes, ce n’est que dans le même sens que le projet propose
des conseillers, et la question n’est plus que d’apprécier quelle composition
présente le plus de garantie de connaissance et d’impartialité.
Mais l’opinion de
quelques honorables orateurs qui ont pensé qu’il devait en résulter une
confusion d’attributions de pouvoir judiciaire et administratif manque de base.
On a dit que le
projet ne réglait ni le siège de la commission, ni l’indemnité de déplacement
si elle devait être voyageuse.
Mais votre
commission a cru que le plus utile serait que la commission des mines
s’assemblerait, soit à Bruxelles, soit à Liége, selon qu’il s’agirait des mines
situées dans le ressort des cours respectives de Bruxelles ou de Liége, ou même
habituellement dans l’une de ces deux villes si cela fût trouvé plus
convenable, et quant aux indemnités de déplacement que sa réunion devait occasionner,
elle a cru inutile de les régler, attendu qu’un règlement encore existant, dont
je ne me rappelle pas la date juste, mais que je crois être de 1818, fixe
l’indemnité de déplacement des fonctionnaires de toutes les classes et
catégories.
Quant
aux articles 3 et 4 du projet, j’attendrai de me prononcer à leur égard,
jusqu’à ce que la discussion aura été ultérieurement éclaircie par ceux de mes
honorables collègues qui ont des connaissances spéciales en matière
d’exploitation des mines. Toutefois, sans m’expliquer sur la nécessité des
dispositions que ces deux articles présentent, je dois dire seulement que,
selon moi, l’esprit qui a présidé à la rédaction de la disposition finale de
l’article 3 concernant les demandes en extension de concessions, quant aux
demandes en maintenue faites en vertu et conformément aux dispositions de
l’article 53 de la loi de 1810 ; que cet esprit, dis-je, n’a été autre que de
borner cette extension aux parties des veines qui se rattachaient
nécessairement aux exploitations dont la maintenue était demandée, et tellement
que cette extension n’en pourrait être détachée, et que c’est cette intention
que le projet a cru exprimer dans ces termes : « qui se rattachent à
celles-ci. »
Si je me trompais
sur ce dernier point, mes honorables collègues de la commission pourront
m’éclaircir à cet égard.
M. Gendebien soutient que les anciens concessionnaires des mines
dont les droits ont été maintenus ne peuvent en être dépossédés, et passant
ensuite à l’examen de chacun des articles du projet, il annonce qu’il adoptera
les articles 1, 2 et le premier paragraphe de l’article 3, mais il demande le
retranchement du deuxième paragraphe de l’article 3, ainsi que tout l’article 4
qu’il regarde comme inutile.
M. Taintenier. - Les observations de l’honorable préopinant m’ont
paru justes en partie, mais j’ai été surtout frappé de sa doctrine lumineuse,
doctrine basée sur les vrais principes. Ce n’est pas sans le plus grand péril
que l’on voudrait changer ce qui existe : il n’y faut porter la main qu’avec la
plus grande circonspection, car sans cela on marcherait à un bouleversement
funeste. Les propositions qui sont présentées sont faites dans la vue du bien,
mais ce n’est qu’après une méditation profonde qu’on peut en calculer toute la
portée. L’honorable M Jullien vous a dit qu’un opuscule distribué aux membres
de cette assemblée au commencement de la séance était propre à jeter de la
lumière sur la question. Ce document qui est très bien rédigé pourrait éclairer
la chambre sur une matière avec laquelle la plupart de ses membres se sont pas
familiers. Je ne demanderai pas que l’on suspende la délibération, et qu’on la
renvoie à demain pour avoir le temps d’étudier ce mémoire, mais il y aurait
grand bien à le faire. Je reviens à la question.
La loi de 1810
porte que les demandes en concession de mines seront délibérées en conseil
d’Etat. Mais ce n’était pas le conseil d’Etat qui faisait les concessions,
c’était le gouvernement. Or notre constitution ayant aboli le conseil d’Etat,
il me semble que le gouvernement aurait dû dire : ce rouage n’existant plus, je
dois marcher sans m’en servir ; ou s’il croyait que cet adminicule lui fût
nécessaire, il fallait en proposer le rétablissement dans les formes
constitutionnelles. Mais je suis surpris qu’on vienne demander à la législature
de nommer une commission pour combler cette lacune. Si l’on admet qu’il soit
nécessaire de remplacer le conseil d’Etat par une commission pour ce qui
concerne les mines, il faudrait donc nommer des commissions par rapport aux
autres objets qui étaient dans les attributions du conseil d’Etat ? Non,
messieurs, le gouvernement pouvait exécuter la loi de 1810 sans le secours du
conseil d’Etat. La question de remplacer le conseil d’Etat par une commission
n’aurait donc pas dû être faite, mais elle l’a été, et c’était cette question
qu’il fallait discuter.
Ici l’orateur
appuie de nouveaux arguments la doctrine émise par M. Gendebien, que les
anciens concessionnaires ont des droits irrévocables, et, passant en revue les
articles du projet de loi, fait remarquer qu’il n’aurait pas dû aller jusqu’à
interdire toute concession nouvelle de mines ou de minerai de fer, et que le
deuxième paragraphe de cet article, ainsi que l’article 4, doivent disparaitre
comme inutiles.
La loi de 1810 est
suffisante, poursuit l’orateur, et l’on ne doit pas faire le procès à cette
loi, mais à la manière dont elle a été exécutée. Elle concilie les principes de
la propriété avec les garanties nécessaires aux exploitants des mines, et à cet
égard je vais vous citer l’opinion de l’éloquent M. Regnault-St-Jean d’Angély.
Voici comment il a envisagé cette question :
« Les mines
sont-elles une propriété domaniale où sont-elles la propriété de celui auquel
appartient la surface sous laquelle elles sont cachées ? Telle est la question
depuis longtemps controversée et sur laquelle les meilleurs esprits sont
partagés. Sans entrer dans le détail des raisonnements à l’appui de chacun des
systèmes, je vous ferai simplement connaitre le résultat des longues
discussions qui ont eu lieu.
« On a
reconnu, d’un côté, qu’attribuer les mines au domaine public, c’était blesser
les principes consacrés à l’art. 552 du code Napoléon, dépouiller les citoyens
d’un droit consacré, porter atteinte à la grande charte civile, premier garant
du pacte social. On a reconnu de l’autre qu’attribuer la propriété de la mine à
celui qui possède le dessus, c’était lui reconnaître, d’après la définition de
la loi, le droit d’user et d’abuser, droit destructif de tout moyen
d’exploitation utile, productif, étendu ; droit opposé à l’intérêt de la
société qui est de multiplier les objets de consommation, de reproduction de
richesse ; droit qui soumettrait au caprice d’un seul la disposition de toutes
les propriétés environnantes de nature semblable, droit qui paralyserait tout
autour de celui qui l’exercerait, qui frapperait de stérilité toutes les
parties de mines qui seraient dans son voisinage.
« De ces
vérité on a déduit tout naturellement cette conséquence que les mines n’étaient
pas une propriété ordinaire, à laquelle pût s’appliquer la définition des
autres biens et les principes généraux sur leur possession, tels qu’ils sont
écrits dans le code Napoléon.
« Et
cependant pour que les mines soient exploitées, pour qu’elles soient l’objet du
soin assidu de celui qui les occupe, pour qu’il multiplie les moyens
d’extraction, pour qu’il ne sacrifie pas à l’intérêt du présent l’espoir de
l’avenir, l’avantage de la société à ses spéculations personnelles ; il faut
que les mines cessent d’être des propriétés précaires, incertaines, non
définies, changeant de main au gré d’une législation équivoque, d’une
administration abusive, d’une police arbitraire, de l’inquiétude habituelle de
leurs possesseurs. Il faut en faire des propriétés auxquelles toutes les
définitions du code Napoléon puissent s’appliquer.
« Il faut que
ces masses de richesses placées sous de nombreuses fractions de la superficie
du territoire, au lieu de rester divisées comme cette superficie même,
deviennent par l’intervention du gouvernement et en vertu d’un acte solennel,
un ensemble dont l’étendue sera réglée, qui soit distinct du sol, qui soit en
quelque sorte une création particulière.
« Dans cette
création le droit du propriétaire ne doit pas être méconnu ni oublié ; il faut
au contraire qu’il soit consacré pour être purgé, réglé pour être acquitté,
afin que la propriété que l’acte du gouvernement désigne, définit, limite et
crée en vertu de la loi, soit d’autant plus invariable, plus sacrée, qu’elle
aura plus strictement satisfait à tous les droits, désintéressé même tous les
prétentions.
« Ainsi, les
mines seront désormais une propriété perpétuelle ; disponible, transmissible
lorsqu’un acte du gouvernement aura consacré cette propriété par une concession
qui règlera le droit de celui auquel appartient la surface.
« Tout se
concilie dans ce système : l’intérêt des exploitants, l’intérêt des
propriétaires du sol. »
Ainsi vous le
voyez, messieurs, le législateur de 1810 a eu pour but de conserver les
intérêts généraux de la société, mais aussi il n’a pas sacrifié les intérêts
des particuliers. Ce n’est pas lui qui est venu vous proposer cette indemnité
dérisoire de 25 cents par bonnier de terre. Songez-y bien, messieurs, la loi de
1810 est un édifice sur le fronton duquel vous lisez : prospérité publique.
Prenez garde de le détruire.
VERIFICATION DES POUVOIRS D’UN MEMBRE DE LA
CHAMBRE
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.
M. le président. - Avant de vous l’accorder, permettez-moi de donner un avis à la
chambre. M. Vandenhove est élu député depuis six semaines. J’invite la
commission chargée de vérifier ses pouvoirs de se mettre à même de faire son
rapport demain.
M. Van Meenen. - M. Angillis est absent, c’est lui qui est chargé
de faire le rapport.
M. le président. - Il est absence pour cause d’indisposition.
M. Jullien. - On pourrait compléter la commission par la
désignation d’un autre membre.
M. le président. - C’est ce qu’il faudra ; car, si M. Angillis restait indisposé
pendant trois ou quatre mois, il ne faudrait pas pour cela que M. Vandenhove
fût empêché d’entrer à la chambre.
PROJET DE LOI RELATIF AUX MINES
Discussion générale
M. le président. - La parole est à M. de Theux.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, les questions importantes qui ont été
soulevées dans la discussion à laquelle on s’est livré précédemment dans cette enceinte,
m’avaient déterminé à consulter les députations des états des diverses
provinces sur le meilleur mode de remplacement du conseil d’Etat, sur la
composition actuelle du conseil des mines, enfin sur les diverses questions qui
sont présentées à propos du projet en discussion. Je regrette que quelques-uns
de ces avis me soient parvenus trop tard ; sans cela, j’en aurais fait un
résumé complet, et je me serais fait un devoir de vous en présenter l’analyse.
Toutefois, messieurs, je dois le dire, le projet en discussion se trouve en
opposition avec l’avis de la plupart des conseils provinciaux.
La question la
plus importante qu’il s’agit de décider est celle de savoir comment on
remplacera le conseil d’Etat. Les auteurs ont proposé que ce fût par une commission
spéciale, composée de six membres appartenant à l’ordre judiciaire, laquelle
devra prendre l’avis du conseil des mines, institué par l’arrêté du 29 août
1831. Aussi on a pensé à créer deux institutions pour en remplacer une. Eh bien
! cette double institution est réprouvée par tous les conseils provinciaux
comme devant entraver les affaires relatives aux concessions de mines, qui ne
le sont déjà que trop.
En effet, il y a
une multitude d’affaires de ce genre, dont la décision est suspendue depuis longtemps
: je demande s’il est bien dans l’intérêt des anciens exploitants, qu’on les
soumette à de nouvelles et plus longues formalités.
Les avis de tous
les conseils provinciaux sont, de plus, opposés à ce que la commission soit composée
de membres appartenant à la magistrature, parce que cela tendrait à mêler
l’ordre judiciaire à l’ordre administratif. Au surplus, on n’a pas trouvé le
personnel de la commission conforme à ce qu’on aurait désiré pour remplacer le
conseil d’Etat, qui n’était pas appelé à décider des questions de propriété.
On a dit que la
commission devait être composée de juges, afin d’examiner s’il n’existait pas
dans les oppositions des questions de propriété qui doivent être renvoyées
devant les tribunaux aux termes de la loi du 21 avril 1810.
Je ferai observer
que la commission établie deviendrait inutile, par les dispositions de
l’article 4, puisque cet article exige de nouvelles publications, même après la
concession accordée, en spécifiant un délai pendant lequel seront reçues les
oppositions, lesquelles en définitive devront être jugées par les tribunaux.
Vous voyez, messieurs, que si tel doit être le sort des concessionnaires,
donner de telles attributions à la commission, c’est tout bonnement constituer
la commission prise parmi la haute magistrature en-dessous d’un tribunal de
première instance : puisque, malgré la concession accordée sur l’avis de cette
commission supérieure, chacun sera admis à plaider devant les tribunaux de
première instance, que cette commission s’est trompée en décidant qu’il n’y
avait pas de question de propriété à décider.
Je résumerai
maintenant en peu de mots, les avis de divers conseils provinciaux. La
députation de Namur a pensée qu’un conseil d’Etat devait être de nouveau institué,
non seulement pour donner son avis, sur les affaires de mines, mais encore sur
toutes les affaires de haute administration.
Une autre
députation est d’avis que le conseil des mines devrait être composé de deux
ingénieurs, de quatre exploitants et de quelques jurisconsultes. Une autre
voudrait qu’il fût composé d’un ingénieur, de deux exploitants et de plusieurs
propriétaires de la surface.
Une autre, en
acceptant le conseil des mines pour remplacer le conseil d’Etat, aurait voulu
qu’on y ajoutât trois membres pris dans chacune des chambres législatives.
Vous voyez qu’il y
a plusieurs opinions sur la manière de remplacer le conseil d’Etat, mais toutes
sont l’accord pour repousser le projet en discussion.
Les députations
des trois provinces les plus intéressées à la question, voudraient que la loi
se bornât à créer une institution unique qui remplaçât le conseil d’Etat, sans
autre disposition. Une d’elles a remarqué que les vices reprochés à la loi de
1810 ne sont qu’apparents, et ne résultent que des abus qui se sont glissés
dans son exécution. Elle a fait remarquer surtout qu’on avait eu tort
d’introduire cette indemnité de 5, 10 ou 15 cents par bonnier en faveur des
propriétaires de la surface, et cette indemnité est réellement absurde.
Elle a remarqué également
que c’était à tort que le gouvernement n’accordait pas la préférence aux
propriétaires de la surface, lorsque, sous d’autres rapports, leurs titres
étaient égaux à ceux des demandeurs non propriétaires ; elle a remarqué enfin
que la concession des mines de fer était une contravention à la loi de 1810,
parce que les mines de fer sont généralement des mines d’alluvion.
On a donc cru
qu’il dépendrait uniquement du gouvernement de satisfaire à toutes les
exigences en imprimant aux affaires de mines une direction plus conforme au
véritable esprit de la loi de 1810, pourvu que le conseil d’Etat fût remplacé
par le conseil des mines, composé dans le sens des propositions qui ont été
faites.
On
a trouvé qu’il y aurait quelque inconvénient d’accorder aux propriétaires le
droit d’exploiter à la surface ; on a pensé que ce droit ne devrait pas être
réservé dans la loi. Cependant une députation a pensé au contraire que ce droit
devait être clairement exprimé, sauf les modifications à apporter dans les
circonstances où l’intérêt public l’exige impérieusement.
Ainsi,
en résumé, il ne s’agirait maintenant que de remplacer le conseil d’Etat par un
conseil des mines, sur l’avis duquel les concessions seraient accordées
conformément à la loi de 1810.
M. H. de Brouckere. - M. le ministre de l'intérieur propose-t-il un
amendement ?
M. Pirmez. - Il paraît qu’un des préopinants a pensé qu’il
s’agissait de porter atteinte aux droits acquis par les anciens propriétaires.
Mais, messieurs, cette crainte n’a aucun fondement. Personne n’a élevé cette
prétention ; elle ne résulte ni des propositions qui ont été faites ni de mon
amendement ; nous voulons au contraire maintenir les droits de tous ceux qui en
ont. La crainte qu’on a manifestée à cet égard est donc chimérique. Je ferai
remarquer au surplus, à propos de la loi de 1810, que ce sont les abus auxquels
elle a donné lieu qu’on attaque, et que c’est parce que les abus sont possibles
sous cette loi qu’elle est mauvaise. M. Gendebien en a signalé le vice
principal, c’est celui qui provient de ce que l’administration avait par son
moyen, ou s’arrogeait le droit de juger des questions de propriété. Quand une
concession était demandée, et qu’on y faisait opposition en s’appuyant sur le
droit de propriété, le conseil d’Etat n’y avait pas égard.
C’est ainsi que cela est arrivé maintes fois pour des
concessions de mines de fer. Les propriétaires y formaient opposition fondé sur
ce qu’ils étaient propriétaires, le conseil d’Etat est passé outre, et
maintenant les concessionnaires jouissent de leur concession au mépris des
droits des propriétaires.
M. H. de Brouckere. - J’avais demandé la parole dans le cas où le
ministre de l’intérieur aurait proposé un amendement, mais je me réserve de
parler dans la discussion sur les articles.
M. Taintenier. - Je ne nie pas les abus qui ont pu être commis sous
l’empire de la loi de 1810 ; tout le monde sait qu’on peut abuser de tout,
d’une loi comme d’autre chose, mais comme l’a très bien dit M. le ministre de
l'intérieur, il suffirait que le gouvernement imprimât à cette partie une
direction plus conforme à la loi, pour empêcher le renouvellement des abus. Le
préopinant a dit que la loi consacrait le principe que le conseil d’Etat
prononcerait sur les questions de propriété ; je défie qu’on me cite un mot
dans la loi qui justifie cette assertion. On a parlé d’oppositions rejetées, je
le conçois si on n’avait pas articulé que l’opposition était fondée sur un
droit de propriété, mais si en articulant ce fait on n’avait pas renvoyé les
parties devant les tribunaux, c’eût été une criante injustice. Je connais vingt
arrêtés royaux qui ont prononcé ce renvoi : M. Gendebien les connaît comme moi,
et je suis surpris qu’il ait avancé que le conseil d’Etat jugeait des questions
de propriété.
On a dit que cela
était arrivé dans la concession des mines de fer ; je ne sais jusqu’à quel
point le fait est vrai, mais j’ai de la peine à le croire, et certainement,
s’il y avait eu articulation formelle du droit de propriété, la question aurait
été renvoyée devant les tribunaux.
M. Gendebien. - Je demande à dire un mot, sans rentrer dans la
discussion, pour relever une erreur commise par M. Taintenier. Je n’ai pas dit
que l’autorité administrative avait rejeté une opposition fondée sur le droit
de propriété, mais qu’une opposition fondée sur des titres avait été considérée
comme ne reposant pas sur une question de propriété et avait été rejetée.
M. Poschet. - Je demande que la suite de la discussion soit
renvoyée à demain.
M. H. de Brouckere. - Il faut fermer la discussion.
M.
Poschet. - Je demande, au contraire, que la discussion ne soit
pas fermée, parce qu’on pourra consulter d’ici à demain les mémoires qu’on nous
a fait distribuer, et ceux qui connaissent la matière comme ceux qui ne la
connaissent pas seront bien aises de s’éclairer.
- La clôture de la
discussion est mise aux voix et rejetée. La discussion continuera demain.
M. Gendebien. - M. le ministre de l'intérieur nous a dit tout à
l’heure, qu’il avait reçu des avis sur la matière des députations des provinces
; je crois qu’il conviendrait, pour l’ouverture de la séance de demain, qu’il
nous en donnât une analyse.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il y a des mémoires qui sont extrêmement volumineux,
et si on voulait en avoir une connaissance complète, je les communiquerais à la
commission. J’en présenterai dans le cas contraire, demain, une analyse
succincte.
- La séance est
levée à quatre heures.
Noms de MM. les
membres absents sans congé à la séance du 16 mai : MM. Angillis, Barthélemy,
Berger, Brabant, Dams, Dautrebande, F. de Mérode W. de Mérode, de Muelenaere,
de Sécus, Dumont, Dumortier, Fleussu, Gelders, Jamme, Lebeau, Nothomb,
Raymaeckers, C. Rodenbach et Seron.