Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 février 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi modifiant le code pénal (jury
d’assises) (Helias d’Huddeghem, H.
de Brouckere, Raikem, (+prison pour jeunes
délinquants) (Liedts, Raikem, Bourgeois), Raymaeckers, Raikem, H. de Brouckere, Leclercq, Raymaeckers, Destouvelles, Raikem, Bourgeois, Jullien, Leclercq, Jonet)
3) Projet de loi relatif aux exercices du
premier ban de la garde civique (Mary, de
Theux, d’Elhoungne, Jullien,
Osy, de Muelenaere)
(Moniteur belge n°61, du 1 mars 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance annoncée
pour 11 heures n’est ouverte qu’à midi, faute d’un nombre suffisant de membres présents.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
Après l’appel
nominal, le procès-verbal est lu et adopté. Quelques pétitions sont renvoyées,
après analyse, à la commission.
PROJET DE LOI MODIFIANT
LE CODE PENAL
Discussion générale
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion sur
l’ensemble du projet de loi tendant à modifier quelques articles du code pénal.
M. Helias
d’Huddeghem. - Il suffit que
le projet sur lequel le gouvernement appelle nos méditations ait rapport à la
législation pénale, pour que vous sentiez, messieurs, toute son importance.
Dans un état
progressif de civilisation, la justice criminelle doit à son tour s’améliorer,
choisir des peines plus douces, et conciliables avec des essais d’amendement
moral. Des réformes dans la législation pénale sont réclamées depuis longtemps
par la raison publique. On reproche de la dureté dans les peines au code pénal
de 1810, qui n’était pas le code civil, le code de la France, mais plutôt
l’expression de l’individualité impériale.
J’approuve la
conception du gouvernement, qui a senti que les premières réformes devaient
tomber sur la législation pénale, sans créer cependant, tout d’un coup une législation
pénale complète, mais en procédant à cette réforme par des lois partielles et
successives : c’est ce que les chambres législatives de France ont fait en août
dernier ; et quelques-unes des modifications qui vous sont proposées
aujourd’hui ont déjà reçu en France leur exécution. Partout où existe une
législation corrigible il y aurait folie (et, à vrai dire, les hommes investis
du pouvoir législatif n’y devraient pas même songer) à mettre de côté ce que
l’on possède, ce qui est connu, par
l’envie de faire du nouveau : prétention ridicule du gouvernement déchu qui,
pour faire du nouveau, se jetait de gaieté de cœur dans le mauvais ! Le sort
d’une nation est bien à plaindre, quand le gouvernement fait du droit pénal un
obstacle à la civilisation, soit en privant les individus de la liberté
nécessaire, soit en dénaturant dans la loi les notions du juste et du vrai.
Nous l’avons vu, les faits même récents des codes existants ne prouvent que
trop que, dans un pays sans liberté politique, toute amélioration essentielle
du système pénal est impossible, la tendance y est plutôt vers un système
rétrograde et sévère, tel que celui dont nous menaçait le fameux projet du code
pénal présenté par M. Van Maanen, aux anciens états-généraux, le 4 juin 1827,
qui, joignant la peine du fouet à la bastonnade, faisait revivre les lois
contre le sortilège et autres délits qui rappelaient les usages du droit
criminel du moyen âge. C’est en vain qu’on placerait ses espérances dans
l’opinion publique et dans les progrès des lumières et de la civilisation, dans
cette opinion et ces progrès, que le pouvoir absolu lui-même, dira-t-on, ne
peut plus étouffer ou arrêter en Europe.
Cependant, là où
ce pouvoir domine, que peut-on obtenir pas ces moyens ? Quelque amélioration
dans la fixation des délits légaux contre les particuliers, quelque
adoucissement dans les peines ; mais l’ensemble du système, et surtout la
législation des délits publics, l’organisation judiciaire et la procédure se
ressentiront toujours du principe de l’individualité dominante dans le pouvoir
politique. On n’a qu’à voir, pour être intimement convaincu de ce que j’avance,
la loi d’organisation judiciaire du 27 avril 1827, et les vingt-deux titres du
code de procédure criminelle qui nous était destiné, et dont la révolution nous
a heureusement débarrassés, ainsi que du fatras des autres codes.
Si j’accueille
favorablement le projet de loi qui vous est soumis, messieurs, ce n’est pas
pour abréger le rôle des assises et pour attribuer aux tribunaux correctionnels
la connaissance de certains crimes, que le code pénal défère actuellement aux
cours criminelles, comme le dit le rapport sur le projet ; mais dans l’espoir,
fondé sur l’exposé des motifs même, que M. le ministre de la justice nous a
fait qu’il ne tardera pas à nous présenter d’autres modifications à la
législation pénale qui nous régit.
A cet égard
j’énonce le vœu que l’on cherche le moyen d’établir une juste proportion entre
les peines et les délits.
Je partage l’avis de M. le ministre, que certains genres de peine
doivent disparaître de nos lois pénales ; il y en a une surtout, sur laquelle
j’appellerai votre attention : est-il avantageux à l’ordre social de conserver
le supplice de la marque, qui flétrit l’âme du criminel en même temps que son
corps, et ne le laisse vivre que pour l’infamie, puisque cette peine frappe
d’impuissance la réhabilitation, le droit de grâce, et jusqu’au repentir ?
Messieurs, soit
que l’on considère la condition politique des peuples, soit qu’on porte ses
regards sur les diverses législations pénales, il reste donc un vaste champ
ouvert aux travaux des législateurs : les sciences politiques, il est vrai, se
sont fortement répandues depuis cinquante ans. La discussion est ouverte : la
raison se sent libre, elle peut exercer ses droits, et il importe à la liberté,
il importe à la sûreté individuelle que la science ne tarde point à diriger ses
efforts vers le perfectionnement du système pénal. Tous les peuples de l’Europe
ne jouiront pas en même temps de ces progrès ; mais la résistance de
l’absolutisme, tous les peuples en profiteront tôt ou tard. Des contrastes trop
choquants entre nation et nation ne peuvent pas exister longtemps, lorsque les
communications sont devenues si faciles et si rapides !
M. H. de
Brouckere. - Je me suis élevé hier contre la proposition d’un de
nos collègues, relatives au jury, non pas que j’eusse à critiquer aucune des
dispositions qu’elle contenait, mais parce qu’elle était incomplète et ne
tranchait pas plusieurs questions très graves qu’il est urgent de trancher. Le
projet que nous discutons en ce moment me paraît présenter le même caractère
d’insuffisance. Tout le monde sait que notre législation contient un grand
nombre de punitions trop sévères et disproportionnées avec la faute, et
cependant le projet se borne à deux ou trois modifications. Je ne conçois pas
pourquoi on s’est arrêté là.
L’orateur pense
que le projet aurait dû comprendre également une modification à l’article 386
relatifs aux vols de nuit et aux vols domestiques, ainsi que celui sur les
blessures et coups volontaires ; il ajoute qu’il fallait suivre la marché déjà
tracée par la législature française ; en outre, l’article relatif à
l’infanticide, que tout le monde flétrit depuis longtemps, demande aussi une
révision. Il déclare qu’il votera contre le projet, et il s’étonne que M. le
ministre, qui en avait préparé un beaucoup plus large, l’ait restreint à deux
ou trois modifications seulement.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Comme je l’ai annoncé dans
mon exposé des motifs, en correctionnalisant plusieurs dispositions de la
législation criminelle, pour alléger le fardeau du jury, j’ai cru qu’il fallait
me borner à celles dont la sanction de l’expérience avait déjà démontré le
changement nécessaire et utile. Dans la discussion qui vient d’avoir lieu, je
n’ai rien entendu qui fût contraire au projet en lui-même. Seulement M. H. de
Brouckere a dit qu’il n’était pas complet, et il a signalé qu’en France, on n’a
correctionnalisé que ceux compris dans le projet ; pour les autres, la loi de
1824 a dit que, quand il y aurait des circonstances atténuantes, on pourrait
réduire la peine, après que la culpabilité aurait été reconnue par le jury.
J’ai cru qu’il fallait faire deux projets séparés, savoir : l’un relatif aux
délits qui doivent être désormais portés devant les tribunaux correctionnels,
et l’autre tendant à atténuer les peines quand la culpabilité aurai été
reconnue par le jury. Il est vrai que j’avais d’abord préparé une loi plus
complète ; mais les personnes qui m’ont aidé dans mon travail, et qui n’avaient
aucune objection à faire pour les dispositions que je me propose de modifier,
étaient partagées d’avis à l’égard des autres. D’après cela j’ai cru que la
matière n’était pas encore assez mûrie, et je me suis borné aux améliorations
contre lesquelles ne s’élevait aucune observation.
- Personne ne
demandant plus la parole, la discussion est close sur l’ensemble. On passe à
celle de l’article premier.
Discussion des articles
Article
premier
M. Liedts. - Je me permettrai de
rappeler à M. le ministre de la justice qu’il n’existe pas dans tout le
royaume, que je sache, une seule maison de correction dans le sens de l’article
66 du code pénal, et qu’il est urgent qu’il en soit établi une.
D’après cet
article 66, messieurs, lorsque l’accusé d’un crime aura moins de seize ans, et
qu’il est décidé qu’il a commis le crime sans discernement, il est acquitté.
Dès lors, vous concevez qu’il serait absurde et injuste d’emprisonner celui qui
est acquitté : cependant la législature, par mesure de prévoyance, n’a pas
voulu que cet accusé fût mis en pleine liberté ; mais il a ordonné qu’il fût
remis à ses parents, afin que ceux-ci surveillassent sa conduite et
détruisissent de bonne heure et dans leur enfant son penchant au crime. Si le
magistrat pense que les parents du jeune accusé négligeront ce devoir, ou si
l’accusé n’a plus de parents, alors la loi veut qu’il soit conduit dans une maison
de correction, dans le but et l’espoir d’effacer les mauvaises impressions
qu’il a reçues et de changer ses inclinations vicieuses.
Cette
détention n’est donc pas une peine, car il y aurait contradiction à punir celui
qui est acquitté, mais un moyen de suppléer à la correction domestique ; et ce
serait aller directement contre le but du législateur que d’enfermer ces
enfants dans les prisons ordinaires, où, loin de trouver des leçons de
conduite, ils se trouveraient constamment dans la société des hommes les plus
pervers. Voilà cependant ce qui arrive dans le ressort de la cour de Bruxelles,
et tous les jours on voit enfermer dans les prisons ordinaires des jeunes gens
acquittés en vertu de l’article 66 du code pénal.
Il
est temps que ces violations de la loi, que ces détentions arbitraires
finissent, et je prie M. le ministre de la justice de veiller à ce que
l’administration des prisons destine au plus tôt un lieu quelconque propre à
recevoir les accusés dont parle l’article 66 du code pénal.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Depuis quelques temps les
prisons ont été réunies à mon ministère, et je me suis déjà occupé de l’objet
dont on vient d’entretenir l’assemblée. Mais tout le monde sent que je ne
pouvais faire un rapport, sans être prévenu d’avance.
M. Bourgeois., tout en appuyant les observations de M. Liedts,
informe la chambre que l’administration des prisons a fait tout ce qu’elle a pu
à l’égard des mineurs ; qu’ils sont séparés des autres prisonniers, et ont des
écoles et des maîtres particuliers.
Articles
2 à 4
L’article premier
est adopté sans changement, ainsi que l’article 2.
A l’article 3 on
ajoute seulement le mot d’ « hôtelier » après celui
d’aubergiste, et le mot de « batelier » après celui d’ouvrier. Il est
également adopté ainsi modifié.
L’article 4 est
ensuite mis aux voix et adopté.
M. Raymaeckers propose de mettre à l’article 5 que les prévenus des délits
mentionnés dans les articles 1, 2 et 3 seront renvoyés devant les tribunaux
correctionnels de la manière déterminée par l’article 182 du code d’instruction
criminelle.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) s’oppose à l’amendement, par le motif qu’il n’ajoute
rien à la loi et ne ferait que retarder le vote du projet.
M. H. de
Brouckere l’appuie, parce
qu’il le trouve nécessaire.
M. Leclercq propose, pour faire cesser tout doute, d’ajouter à la
fin du premier paragraphe, après ces mots : « des délits mentionnés dans
les articles 1, 2 et 3, » ceux-ci : « et qui seraient déjà l’objet
d’une poursuite. »
M. Raymaeckers et M. H. de Brouckere s’y rallient.
M. Destouvelles propose d’effacer de l’article les mots
« chambres du conseils, » comme inutiles.
D’une discussion à
laquelle prennent part M. le ministre de la justice (M. Raikem), M. Bourgeois, M. Jullien, M. Destouvelles et M. Leclercq, il résulte que, du moment où l’on correctionnalise
des délits, les tribunaux doivent en être saisis de la manière déterminée par
l’article 182 du code d’instruction criminelle, et que cela semblerait rendre
l’article inutile : mais que, pour faire cesser tout doute, il vaut mieux le
laisser subsister.
Plusieurs membres demande la suppression entière de l’article. Elle est
mise aux voix et rejetée.
L’amendement de M.
Destouvelles est également rejeté ainsi que celui de M. Jonet, qui proposait de rédiger ainsi l’article :
« Les cours d’assises saisies des délits mentionnés dans les articles 1, 2
et 3 les renverront devant les tribunaux correctionnels qui doivent en
connaître. »
L’article 5 est
ensuite mis aux voix et adopté avec l’addition proposée par M. Leclercq, auquel
M. le ministre de la justice se rallie.
Enfin, l’article 6
est mis aux voix et adopté.
Vote sur l’ensemble du
projet
On procède à
l’appel nominal sur l’ensemble. Sur 56 votants, 55 répondent oui et 1 non. L’opposant
est M. H. de Brouckere.
En conséquence, le
projet est adopté.
PROJET DE LOI RELATIF
AUX EXERCICES DU PREMIER BAN DE LA GARDE CIVIQUE
M. le
président. - La suite de
l’ordre du jour appelle le rapport de la section centrale sur le projet de loi
tendant à autoriser le gouvernement à faire exercer journellement le premier
ban de la garde civique, en tout ou en partie.
M. Mary fait le rapport au nom de la section centrale ; il
conclut à l’adoption du projet avec diverses modifications, dont, sur
l’invitation de M. le président, chaque membre prend note. (L’impression ! l’impression !)
M. le président. - Les changements proposés par la section centrale sont
très simples ; il me semble que la chambre pourrait discuter immédiatement, d’autant plus qu’il
est urgent que la loi soit votée. (Oui !
oui ! Non ! non !)
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il serait important de discuter la loi sur les
barrières avant la fin de la semaine, parce qu’à la fin du mois prochain le
fermage des barrières expire ; je fais cette observation parce qu’elle pourrait
déterminer la chambre à s’occuper de la loi sur la garde civique aujourd’hui,
vu la difficulté qu’il y aura de la discuter dans la semaine.
M. d’Elhoungne. - Lorsque la législature
impose de nouvelles charges à la nation, il faut qu’elle prouve que c’est avec
raison et après avoir examiné soigneusement si ces charges sont justes. Il
s’agit aujourd’hui de prestations nouvelles et de prestations individuelles,
qui sont toujours les plus onéreuses au pays. Je demande que le projet soit
imprimé pour que nous ayons le temps de le méditer. (Mouvements en sens divers.)
- La question est mise aux voix, et, après l’épreuve
et la contre-épreuve, le bureau décide que la majorité est pour la discussion
immédiate.
M. le président. - Personne ne demande la parole sur l’ensemble ? (Silence prolongé.) Personne ne demande
la parole sur l’ensemble ?
M. Jullien. - Comment veut-on que l’on
parle ? Il faudrait pour cela avoir eu le temps de penser.
M. Osy. - Il faudrait, d’ailleurs,
que le ministre de la guerre fût présent.
- En disant ces mots, l’honorable membre quitte sa place et se dirige
vers le couloir de droite. Plusieurs membres en font autant.
M. le président. - Si on se retire, messieurs, il sera difficile de
discuter.
M. Jullien, en marchant vers la porte. - Au contraire, ce sera
plus facile. (On rit.)
M. le ministre des affaires étrangères
(M. de Muelenaere). - La chambre vient de décider qu’elle discuterait
immédiatement ; il faut que sa décision soit respectée. Je demande que la
discussion ait lieu.
Plusieurs voix. - Nous ne sommes plus en nombre. L’appel nominal !
M. le président. - On va faire l’appel nominal.
M. Lebègue, secrétaire, fait l’appel nominal.
Voici les noms de
ceux qui n’ont pas répondu : MM. Brabant, Davignon, Delehaye, d’Hoffschmidt,
d’Huart, Dumont, Fleussu, Jullien, d’Elhoungne, Tiecken de Terhove.
Voici les noms des
membres qui étaient absents sans congé : MM. Angillis, Berger, Boucqueau de
Villeraie, Coppieters, de Robaulx, Devaux, Dubus, Fallon, Jacques, Lardinois, Legrelle,
Pirmez, Seron, Vuylsteke, Blargnies, de Foere, Dewitte, Dumortier, Gelders,
Jamme, Lebeau, Morel-Danheel, Pirson, Thienpont et Verhagen.
La séance est
levée à deux heures.