« La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes
d’histoire contemporaine », par J.J. THONISSEN
2e édition. Louvain, Vanlinthout
et Peeters, 1861, 3 tomes
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TOME 2
CHAPITRE XIII. NEGOCIATIONS A LA SUITE DU TRAITE DES
VINGT-QUATRE ARTICLES. – LES MESURES COERCITIVES (4 Mai – 22 Octobre 1832.)
13.1. Le
protocole du 4 Mai 1832 et les réactions belges
(page 1) Nous
avons antérieurement suivi le débat diplomatique jusqu'au 4 Mai 1832, au moment
où la ratification russe du traité du 15 Novembre fut remise à M. Van de
Weyer.
Ce jour même, les
plénipotentiaires des cinq cours se réunirent pour régler la marche qu'ils
auraient à suivre dans les négociations ultérieures avec la Belgique et avec la Hollande.
A cette fin, et pour prévenir autant que possible des
tiraillements et des dissidences au sein même de la Conférence, ils
rédigèrent le protocole suivant:
« Après avoir terminé l'échange des
ratifications du traité du 15 Novembre, les plénipotentiaires se sont réunis à
l'effet de prendre en considération la marche que les cinq puissances, placées
dans la même attitude par la sanction commune dont cet acte est revêtu, auraient
à suivre pour en amener l'exécution. Dans ce but les plénipotentiaires ont été
unanimement d'avis, qu'il était du devoir de la Conférence de ne
pas se départir des principes qui l'ont dirigée jusqu'à présent, de consacrer
de nouveaux soins à l'accomplissement de l'œuvre auquel les événements l'ont
appelée, et, en regardant le traité du 15 Novembre comme la base
immuable de la séparation, de l'indépendance, de la neutralité et de l'état de
possession de la Belgique,
de chercher à amener entre Sa Majesté le roi des Pays-Bas et Sa Majesté le roi des
Belges une transaction définitive, dans la négociation de laquelle la Conférence
s'efforcerait d'aplanir, par des arrangements de gré à gré entre les deux
parties, toutes les difficultés qui peuvent s'élever relativement à l'exécution
du traité. En prenant la résolution de remplir cette tâche importante, la (page 2) conférence a reconnu qu'avant
de s'en acquitter, et pour en assurer le succès, elle avait à rappeler le
principe sur lequel se sont établies ses délibérations dès le jour même où elle
s'est constituée ; à faire connaître encore une fois le ferme dessein des cinq
cours de s'opposer par tous les moyens en leur pouvoir au renouvellement d'une
lutte entre la Hollande
et la Belgique
; à annoncer enfin que les cinq cours continuent à être garantes de la
cessation des hostilités et à se croire obligées de n'en pas admettre la
reprise, en vertu des plus solennels engagements et des intérêts d'un ordre
supérieur qui leur sont confiés.» A la suite de cette manifestation catégorique
de ses intentions, la
Conférence demanda, le même jour, aux plénipotentiaires de
Belgique et de Hollande s'ils avaient reçu les pouvoirs nécessaires pour
négocier et signer, sous les auspices des cinq cours, une transaction
définitive entre les deux pays (Protocole du 4 Mai. Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 195
et 196).
Il importe de remarquer les termes employés dans la rédaction
de ces actes diplomatiques. L'Autriche, la Prusse et la Russie, aussi bien que l'Angleterre et la France, déclarent que les
vingt-quatre articles ont irrévocablement fixé l'indépendance, la neutralité et
les limites de la
Belgique. Si les cinq cours désirent une négociation
ultérieure et un arrangement de gré à gré, ce n'est que pour arriver, aussi
promptement que possible, à l'exécution pleine et entière du traité du 15
Novembre.
La Belgique et la Hollande prirent encore
une fois une attitude bien différente.
Les déclarations des
ministres, les adresses des Chambres, la réponse du roi et les intérêts du pays
interdisaient au cabinet de Bruxelles toute hésitation dans le choix de la
ligne de conduite qu'il avait à suivre. Des engagements solennellement
contractés envers la représentation nationale ne pouvaient être méconnus. Les
réserves de l'Autriche, de la
Prusse et de la
Russie avaient profondément blessé le sentiment national.
Avant d'ouvrir le champ à des négociations nouvelles, et par suite à de
nouveaux retards, le traité devait être exécuté dans toutes ses parties
déclarées immuables et définitives.
Le 11 Mai, M. de Muelenaere avait formulé ce système dans une
(page 3) note diplomatique, écrite
pour ainsi dire sous la dictée du roi : « Le soussigné, ministre des Affaires
étrangères de S. M. le roi des Belges, ayant porté à la connaissance de son
souverain que le traité du 15 Novembre se trouve aujourd'hui revêtu de la
sanction commune des cinq cours, a été chargé par S. M. de présenter, avec
toute la précision possible, à LL. EE. les plénipotentiaires d'Autriche, de
France, de la
Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, réunis en Conférence
à Londres, les considérations suivantes sur la marche que son gouvernement se
croit en droit de suivre ultérieurement.
La Conférence,
en arrêtant, au nom des intérêts d'un ordre supérieur qui lui sont confiés,
les vingt-quatre articles du 14 Octobre 1831, a déclaré, dans les notes y annexées, que
ces articles étaient destinés à être insérés mot pour mot dans un traité direct
avec la Hollande,
lequel ne renfermerait en outre que des stipulations de paix et d'amitié ; que
les cinq cours se réservaient la tâche et prenaient l'engagement d'obtenir
l'adhésion de la Hollande
à ces articles, quand même elle commencerait par les rejeter.
« Le plénipotentiaire belge ayant appelé l'attention de la Conférence sur
diverses modifications que son gouvernement désirait obtenir dans les vingt-quatre
articles, LL. EE. les plénipotentiaires, dans une note en date du 12 Novembre
1831, déclarèrent que ni le fond ni la lettre des vingt-quatre articles ne
sauraient désormais recevoir des modifications, et qu'il n'était plus même au
pouvoir des cinq puissances d'en consentir une seule.
« C'est plein de confiance dans des déclarations aussi
expresses et aussi solennelles, que le roi des Belges a consenti à adhérer
purement et simplement aux vingt-quatre articles, dont plusieurs sont si
onéreux à son peuple.
« Cette adhésion pure et simple, faite sans
arrière-pensée, a formé entre S. M. et chacune des cinq cours un lien
indissoluble. Le roi des Belges n'élève aucun doute que les cinq cours, en ratifiant
le traité du 15 Novembre, n'aient entendu remplir pleinement des engagements
solennellement contractés et non sujets à rétractation, et il n'hésite pas à
attacher à chacun des actes qui ont sanctionné le traité tout l'effet d'une
ratification pure et simple.
« Considéré en lui-même, le traité renferme deux genres
de dispositions: les unes, à l'abri de toute contestation sérieuse et
susceptibles d'une exécution immédiate ; les autres, sujettes à de nouvelles
négociations pour devenir susceptibles d'exécution.
(page 4) « Si
le roi des Belges pouvait se montrer disposé à ouvrir des négociations sur ces
derniers points, ce ne pourrait être qu'après que le traité aurait reçu un
commencement d'exécution dans toutes les parties à l'abri de controverse. Ce
commencement d'exécution consisterait au moins dans l'évacuation du territoire
belge. Jusque-là, S. M. ne prendra part à aucune négociation nouvelle.
« Elle doit en outre à la bonne foi qui a caractérisé
toutes ses relations politiques, de déclarer que, dans les négociations qui
pourraient s'ouvrir après l'évacuation du territoire, son gouvernement ne
pourrait accepter de changements à quelques dispositions du traité que d'après
les principes d'une juste compensation.
« Persistant d'ailleurs à considérer les vingt-quatre
articles comme formant la transaction définitive entre la Belgique et la Hollande, le roi des
Belges conserve le droit de maintenir purement et simplement les dispositions
qui seraient devenues l'objet des négociations, si le résultat de ces
négociations n'était pas de nature à pouvoir être accepté par son gouvernement.
« Que si la marche indiquée dans la présente note
pouvait être réprouvée par un des derniers actes posés par le plénipotentiaire
belge, S. M., pour ne pas perdre ou affaiblir des droits irrévocablement
acquis, se verrait dans la pénible nécessité de désavouer son agent.» (Rapport fait par le ministre des
Affaires étrangères (M, de Muelenaere), le 12 Juillet
1832, p. 11, en note (Bruxelles, Remy, 1832)).
M. Van de Weyer s'écarta encore une fois de ses instructions.
Au lieu de transmettre à la Conférence la note du 11 Mai, il accourut
à Bruxelles et s'efforça de prouver que la remise de cette note était inutile
et offrait même des inconvénients (Discours de M. de Muelenaere dans la
séance de la Chambre
des Représentants du 25 Mai 1832 (Moniteur du 27)).
Le 7 Mai, M.
Van de Weyer avait demandé, comme préliminaire des négociations ultérieures,
l'évacuation du territoire belge et la libre navigation de la Meuse. A cette demande,
faite au nom du roi des Belges, il avait ajouté la proposition de déclarer que
si, au 25 Mai, la citadelle d'Anvers n'était pas évacuée et la liberté rendue à
la navigation de la Meuse,
la Belgique
se trouverait libérée de tous les arrérages de la dette, à titre d'indemnité
des frais auxquels le pays était entraîné par la prolongation d'un état de
guerre incompatible avec les (page 5)
termes d'un armistice indéfini (Papers relative to the
affairs of Belgium, A,
p. 200). C'était au fond le
système développé dans la note du 11 Mai ; mais celle-ci déclarait de
plus, non-seulement que le roi des Belges se refuserait à toute démarche
ultérieure avant d'avoir obtenu l'évacuation du territoire, mais que même,
après cette évacuation, il ne ferait aucune concession, sans obtenir au même
moment une juste indemnité. Que les ambassadeurs de France et d'Angleterre, à
qui M. Van de Weyer avait officieusement communiqué la note du 11 Mai,
trouvassent ses termes trop absolus et trop raides, on le conçoit ; mais la
parole du roi, les adresses des Chambres et les sentiments froissés du pays
imposaient ce langage énergique au ministre des Affaires étrangères.
13. 2. La
mission du général Goblet
Par une indiscrétion dont la cause est encore un mystère, la
note du 11 Mai avait été communiquée au Courrier Français, d'où elle
passa immédiatement dans les colonnes des feuilles anglaises et belges. Le
dissentiment survenu entre M. de Muelenaere et son agent à Londres ne tarda pas
à être connu, et bientôt la question fut portée à la tribune de la Chambre des Représentants.
Sommé de rester fidèle à ses engagements, sous peine de voir rejeter toutes les
demandes de crédit formées par le cabinet, M. de Muelenaere déclara que la
note serait remise ou qu'il ne serait plus ministre (Moniteur du 27 Mai 1832).
Il tint parole.
Le 1er Juin, le nouveau plénipotentiaire belge, général Goblet, remit à la Conférence une
note conçue dans le sens de celle du 11 Mai. Cette dernière, après la publicité
intempestive qu'elle avait reçue, ne pouvait plus être communiquée officiellement
aux représentants de l'Europe (Note de bas de page : Le 8 Juin,
le général remit à la
Conférence une seconde note conçue dans le même sens. Dans
celle-ci, il priait les plénipotentiaires des cinq cours de déclarer que,
depuis le 25 Mai, la Hollande
avait perdu tout droit aux arrérages de la dette, et que les frais de l'état de
guerre seraient décomptés des charges imposées à la Belgique (V. le rapport
précité de M. de Muelenaere, p. 15). Dans une note du 29 Juin, le général
Goblet renouvela ces demandes (lbid., p. 19)).
Cette
attitude du gouvernement belge était une nécessité. En voyant M. Van de Weyer
accepter la ratification russe, malgré les ordres du ministre des Affaires étrangères,
plus d'un homme politique avait affirmé qu'il existait à Londres une double
action diplomatique, l'une dirigée par le roi Léopold, l'autre par ses
ministres. Il fallait détruire ces (page
6) soupçons absurdes, que la
seconde désobéissance de M. Van de Weyer avait singulièrement fortifiés. Il
importait de prouver que tous, souverain, ministres et agents diplomatiques,
étaient restés fidèles aux engagements contractés envers les représentants de
la nation.
Les instructions que le général Goblet avait reçues à son
départ pour Londres étaient aussi explicites que formelles. Dans ses rapports
officiels avec la
Conférence, et même dans ses entretiens confidentiels avec
les ministres d'Angleterre et de France, il était chargé de présenter
l'évacuation préalable du territoire comme une condition essentielle dont la Belgique ne pouvait se
départir sous aucun prétexte ; jusque-là, il lui était défendu de répondre à
toute proposition tendant à faire subir des changements aux vingt-quatre
articles. Cette politique inflexible, devenue à la fois un devoir et un droit
pour la Belgique,
n'avait rien de contraire aux termes du traité du 15 Novembre. Le vingt-quatrième
article portait, il est vrai, que l'évacuation du territoire se ferait dans les
quinze jours qui suivraient l'échange des ratifications du traité définitif
entre les deux peuples ; mais cette disposition se référait à l'hypothèse de
l'acceptation pure et simple des vingt-quatre articles par le roi des Pays-Bas.
Dès l'instant où celui-ci voulait des conditions nouvelles, la Belgique était en droit
de réclamer l'évacuation de son territoire, avant de se lancer dans un nouveau
débat destiné à modifier, plus ou moins sensiblement, plusieurs clauses du
traité.
Il n'est pas nécessaire
de dire que ce système différait essentiellement de celui qui servait de base
à l'argumentation des plénipotentiaires néerlandais.
Le 7 Mai, MM. Falck et Van Zuylen déclarèrent à la Conférence, que
« c'était avec un regret infini qu'ils avaient vu les plénipotentiaires des
cinq cours regarder le traité du 15 Novembre comme la base invariable de la
séparation, de l'indépendance et de l'état de possession territoriale de la Belgique, tandis que, de
leur côté, ils devaient persister à considérer ce traité comme essentiellement
opposé à l'annexe A du protocole du 27 Janvier 1831.» Le 29 Mai, ils ajoutèrent
qu'ils étaient prêts à reconnaître l'indépendance politique des Belges, aux
conditions que le roi des Pays-Bas avait offertes au comte Orloff
pendant son séjour à La Haye (Papers relative to the
affairs of Belgium, A, p. 199,203 et 211).
(page 7) Orloff avait quitté la résidence royale à la fin de Mars.
On se trouvait à la fin de Mai. Deux mois s'étaient donc encore une fois écoulés,
sans que le cabinet de La Haye eût fait un pas vers les idées de conciliation
préconisées par la
Conférence de Londres. Le système de persévérance avait
triomphé des conseils de l'empereur de Russie, comme il avait triomphé des
instances des cours de Berlin et de Vienne.
L'attitude de la
Belgique reçut l'approbation de la Conférence. Par
un message du 11 Juin, le général Goblet fut informé que les plénipotentiaires
des cinq cours feraient auprès du roi des Pays-Bas les démarches jugées les
plus propres: 1° à conduire aussitôt que possible à l'évacuation complète et
réciproque des territoires respectifs; 2° à amener un état de choses assurant
immédiatement à la Belgique
la jouissance de la navigation de l'Escaut et de la Meuse, ainsi que l'usage des
routes nécessaires pour les relations commerciales avec l'Allemagne par la rive
droite de la Meuse;
3° à établir, après l'évacuation réciproque du territoire, des
négociations à l'amiable entre les deux pays sur le mode d'exécution ou la
modification des articles au sujet desquels il s'était élevé des difficultés (Note de bas de page : Papers relative to the
affairs of Belgium, A,
p. 216. On remarquera toutefois, d'une part, que la Conférence
s'abstient de se prononcer sur les demandes de M. Van de Weyer et Goblet,
tendant à priver la Hollande
des arrérages de la dette ; d'antre part, qu'elle garde le même silence
relativement à l'époque où le traité devra être mis à exécution).
13.3 Le double
visage de la diplomatie hollandaise
La Conférence prit
en même temps un langage plus énergique dans ses rapports avec la Hollande. Repoussant
toute négociation en dehors des vingt-quatre articles comme contraire aux
engagements contractés envers la
Belgique, les plénipotentiaires des cinq cours déclarèrent,
que si le roi des Pays-Bas voulait obtenir des modifications sur des points
susceptibles d'en recevoir, il ne pouvait espérer ce résultat que d'un
arrangement de gré à gré avec la Belgique. Ils ajoutaient que de nouveaux retards
pourraient avoir pour la
Hollande des conséquences graves, notamment le refus que
ferait à bon droit la Belgique
de payer les arrérages de sa quote-part dans la dette, à partir du 1er Janvier
1832 (Note de bas de page : Dans tout
le cours des négociations, la diplomatie belge n'a pas cessé de réclamer cette
libération. Outre les documents déjà cités, on peut consulter les notes du 7 Mai,
du 1, du 8 et du 29 Juin, du 30 Juillet et du 30 Août 1832, citées dans le
rapport fait par le général Goblet à la Chambre des Représentants, le 16 Novembre 1832).
(page 8) Ce fut
dans cet ordre d'idées que, le 11 Juin, les membres de la Conférence
rédigèrent trois articles explicatifs destinés à être annexés aux vingt-quatre
articles et à avoir la même force que ces derniers. Le premier de ces articles
explicatifs fixait l'évacuation réciproque du territoire au 20 Juillet ; les
deux autres renvoyaient à l'examen de commissaires les dispositions des
articles IX et XII relatifs à la navigation fluviale et à la dette. Mais,
comme Guillaume 1er avait constamment déclaré qu'il n'entrerait jamais en
négociation avec les Belges avant d'avoir signé avec les grandes puissances un
traité constatant la dissolution du royaume des Pays-Bas, les
plénipotentiaires offraient de procéder d'abord avec la Hollande seule à la
signature de ce traité. Immédiatement après, la Hollande et la Belgique auraient signé
un traité renfermant les vingt-quatre articles, augmentés des trois articles
explicatifs que nous venons d'analyser (Note de bas de page : Voici les
trois articles annexés au protocole du 11 Juin.
« Art. 1er. L'évacuation réciproque des territoires, places, villes et
lieux, qui changent de domination, sera terminée le 20 Juillet de la présente
année, au plus tard, et, conformément à l'usage général, les troupes
respectives, en évacuant les territoires et places qu'elles occupent,
porteront les objets appartenant à l'État qu'elles servent, excepté ceux qui
font partie de la dotation militaire des dites places.
« Art. 2. Immédiatement après l'évacuation des territoires
respectifs, les deux États délègueront des commissaires, qui se réuniront à
Anvers pour y négocier et conclure un arrangement de gré à gré, d'après les
convenances réciproques des deux pays, relativement à l'exécution des articles
IX et XII de la présente transaction, l'exécution des susdits articles restant
suspendue jusqu'à la conclusion de cette négociation. Toutes les modifications
ou changements que lesdits commissaires conviendraient d'apporter aux articles
IX et XII, ci-dessus mentionnés, auraient aux yeux des cours d'Autriche, de
France, de la Grande-Bretagne,
de Prusse et de Russie, la même force et valeur que s'ils étaient compris dans
la présente transaction. Toutefois il est entendu que les deux parties
regarderont comme définitivement adopté le principe d'après lequel les dispositions
des articles CVIII à CXVII inclusivement de l'acte général du Congrès de
Vienne, relatives à la libre navigation des fleuves et rivières navigables,
seront appliquées aux fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent
à la fois le territoire belge et le territoire hollandais, et que provisoirement
la libre navigation des fleuves et rivières navigables qui séparent ou
traversent à la fois le territoire hollandais et le territoire belge restera
soumise aux droits et péages qui y sont perçus maintenant de part et d'autre.
« Art. 3. Si les commissaires hollandais et belges, qui doivent se
réunir à Utrecht, peuvent s'entendre sur les moyens de capitaliser, à un taux
modéré, d'après les convenances réciproques des deux pays, la rente annuelle
de 8,400,000 florins des Pays-Bas dont la Belgique reste chargée, les arrangements dont ils
seraient convenus relativement à la dite capitalisation, auraient, aux yeux
des cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne,
de Prusse et de Russie, la même force et valeur que s'ils faisaient partie de la
présente transaction. » (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 211 et 216.))
(page 9) Voilà
donc la Conférence
et la Belgique
placées sur la même ligne. L'une et l'autre veulent l'évacuation préalable du
territoire, et le jour de cette évacuation est fixé par les plénipotentiaires
des grandes puissances. A Bruxelles on se félicitait vivement de ce résultat,
dans lequel on voyait à la fois le triomphe de la diplomatie nationale,
l'humiliation de la Hollande
et la solution prochaine de la question extérieure.
Malheureusement cette joie fut de courte durée. Grâce à
l'habileté des ministres et des diplomates de La Haye, la négociation ne tarda
pas à prendre une face nouvelle.
Le 30 Juin, le plénipotentiaire hollandais,
M. Van Zuylen de Nyvelt,
adressa à la
Conférence un nouveau projet de traité en vingt-quatre
articles, destiné à être signé d'abord par la Hollande et les cinq puissances,
puis par la Hollande
et la Belgique. Pour
les questions financières, les routes commerciales et les différends relatifs
à la navigation, ce projet était à peu près la reproduction littérale des
offres faites au comte Orloff. Il privait la Belgique du droit de
construire une route ou un canal sur la rive droite de la Meuse ; il annulait la
disposition relative à la part de la Belgique dans l'actif du syndicat d'amortissement
; il assimilait des propriétés nationales aux propriétés particulières dont les
Belges devaient opérer la restitution ; bref, pour les finances, la navigation
et la dette, c'étaient toujours les anciennes exigences du système hollandais.
Mais il n'en était pas de même pour les stipulations territoriales. Sous ce
rapport, le projet du 30 Juin constituait une accession complète aux vues de la Conférence, tant
pour le Limbourg que pour le Luxembourg (Papers relative to the
affairs of Belgium, A,
p. 224 et suiv.)
Guillaume 1er réclamait une réponse immédiate.
En cas de retard, il se réservait le recours à tous les moyens d'action dont il
pouvait disposer.
Cette démarche masquait un plan très habilement conçu.
Le cabinet de La Haye savait que le ministère belge ne
pouvait (page 10) renoncer à la
condition de l'évacuation préalable du territoire. Les engagements pris envers
les Chambres, le langage énergique du roi, l'attitude de la presse, la volonté
positive des représentants du pays, tout faisait à M. de Muelenaere un devoir
impérieux de subordonner la reprise des négociations à la reddition de la
citadelle d'Anvers et des forts de l'Escaut. La nation elle-même avait dicté à
nos ministres le système à suivre. Dès lors, en persistant à repousser la
clause de l'évacuation préalable, on pouvait manifester des idées conciliantes,
sans redouter l'inconvénient d'avancer le terme des débats diplomatiques. D'un
côté, on gagnait du temps pour attendre les crises qu'on espérait voir surgir
en France ; de l'autre, on faisait peser sur le gouvernement belge la
responsabilité des retards qui inquiétaient l'Europe. La conduite de la
diplomatie néerlandaise fut réglée en conséquence.
Renonçant au langage acerbe qu'ils avaient
tenu jusque-là, les représentants de la Hollande manifestèrent tout à coup les intentions
les plus bienveillantes. La seconde quinzaine de Juin fut témoin d'une
véritable métamorphose diplomatique. Dans leurs rapports officiels, les agents
néerlandais persistaient à repousser les vingt-quatre articles, de même que les
propositions du 11 Juin ; mais, dans leurs entretiens confidentiels avec les
membres de la
Conférence, ils ne parlaient que de la modération et des vues
conciliantes de leur gouvernement. A les entendre, le désir le plus ardent du
cabinet de La Haye était de mettre un terme à des dissensions qui
compromettaient le maintien de la paix générale. Si les débats se
prolongeaient, si les difficultés semblaient inextricables, si la paix de
l'Europe continuait à être menacée, ces tristes résultats, disaient-ils,
étaient uniquement imputables à l'opiniâtreté des Belges. Pourquoi ne
renonçaient-ils pas à l'exigence inadmissible de l'évacuation préalable du territoire
? « Tout était miel, douceur et modération dans le discours du plénipotentiaire
hollandais; tout allait s'aplanir ; il n'était plus question de séparation
administrative; on paraissait enfin se résigner à reconnaître l'indépendance
politique de la Belgique
; quelques petites difficultés de forme pouvaient s'élever encore ; mais elles
disparaîtraient bientôt dans la' rédaction du traité définitif, dont on
appelait la conclusion du fond du coeur. Que fallait-il pour atteindre ce but
tant désiré ? Rien, ou peu de chose ! Un petit sacrifice d'amour-propre de la
part de ceux qui dirigeaient les affaires en Belgique, leur consentement (page 11) à négocier avant l'évacuation
du territoire, au lieu de persister, comme ils le faisaient, à n'entrer en
pourparler qu'après cette évacuation… J'ai tout ce qu'il me faut
d'instructions et de pouvoirs, disait à la Conférence le
plénipotentiaire hollandais ; mais vous voyez qu'avec leur système d'évacuation
préalable, d'exécution partielle du traité, il est impossible d'en finir avec
les Belges, et que la
Hollande et toute l'Europe souffrent par leur faute » (Gobeau de Rospoul
(M. Van de Weyer), La
Hollande et la Conférence, p. 63 et 66).
Les agents hollandais tenaient le même
langage dans toutes les cours de l'Europe. En Russie, en Autriche, à Berlin, à
Paris, ils ne parlaient que de l'aveugle obstination des Belges dans leurs
prétentions à l'évacuation préalable.
Cette tactique obtint un plein succès dans toutes les
chancelleries étrangères. Le roi des Français s'empressa d'écrire au roi des
Belges pour le féliciter des idées conciliantes que venait de manifester la Hollande, et pour l'engager à
profiter sans délai de ce revirement inopiné. Partout les torts furent placés
du côté de nos ministres ; la
Belgique se vit blâmer par ses propres amis, et la Conférence fit,
encore une fois, un pas en arrière.
13.4. L’embarras
du cabinet belge
Le 6 Juillet, le plénipotentiaire belge fut invité à se
rendre au Foreign-Office. Là on lui communiqua
d'abord une déclaration solennelle du gouvernement hollandais, portant qu'il ne
consentirait jamais et sous aucun prétexte à signer un traité qui fût la
reproduction des vingt-quatre articles; puis, un long mémoire destiné à prouver
que jamais le roi des Pays-Bas n'avait laissé entrevoir qu'il fût disposé à
renoncer sans compensation à la souveraineté de la Belgique ; enfin, le
projet de traité du 30 Juin.
Admis en présence des membres de la Conférence, le
général Goblet eut une véritable lutte à soutenir. L'accession de la Hollande aux stipulations
territoriales des vingt-quatre articles semblait indiquer un changement de
système. On voulait que la
Belgique, renonçant à l'exigence de l'évacuation préalable,
fît à son tour quelques pas dans la voie des concessions. On avait même déjà
rédigé un nouveau projet de traité préliminaire destiné à être soumis à la
signature des deux gouvernements. Pendant que lord Palmerston gardait une
attitude (page 12) passive et que
le plénipotentiaire de France (M. de Mareuil) jouait un rôle des plus modestes,
MM. de Bulow, de Wessenberg
et Matuszewic blâmaient en termes amers l'attitude
hautaine du cabinet de Bruxelles. Peu à peu le débat prit une teinte
d'animation extraordinaire, au point que le plénipotentiaire belge finit par
échanger avec ses collègues du Nord plus d'une phrase totalement étrangère au
style habituel des protocoles. Invoquant avec une inébranlable fermeté les
engagements contractés envers les Belges, le général Goblet refusa positivement
de placer le débat, ne fût-ce qu'un seul instant, sur un terrain autre que celui
désigné dans ses instructions. Aussi, dès le lendemain et sans attendre les
ordres ultérieurs de son gouvernement, il adressa à la Conférence une note
énergique, rappelant toutes les promesses faites à la Belgique et se terminant
ainsi: « La réponse que LL. EE. les plénipotentiaires des cinq cours ont bien
voulu faire aux notes du 1er et du 8 Juin est venue approuver la marche que le
gouvernement de S. M. le roi des Belges s'était cru en droit d'adopter par
suite de la sanction commune dont les cinq cours avaient revêtu le traité du 15
Novembre. En faisant auprès du cabinet de La Haye les démarches propres à établir,
quand l'évacuation réciproque aurait été effectuée, des négociations à
l'amiable entre tes deux pays, sur le mode d'exécution ou la modification des
articles au sujet desquels il s'est élevé des difficultés, la Conférence a reconnu à la Belgique le droit de
demander avant tout l'évacuation de son territoire. Après un acte aussi
positif, le soussigné n'a pu voir, sans un vif sentiment de surprise, la Conférence élever des
doutes sur des droits reconnus par elle. Dans cet état de choses, il ne peut
s'empêcher de réitérer la déclaration formelle que son souverain ne consentira
à aucune négociation sur ceux des vingt-quatre articles qui en sont susceptibles,
avant l'évacuation réciproque des territoires respectifs. En se référant pour
tous les autres points à ses notes antérieures, il croit devoir informer LL.
EE. qu'il se verrait dans la nécessité de repousser toute proposition contraire
à la résolution qu'il vient de rappeler.
« La
Belgique et son roi, dussent-ils même s'exposer aux chances
de l'avenir le plus incertain, n'admettront jamais la possibilité d'un manque
de foi dans les cinq grandes puissances de l'Europe. Les engagements dont le
soussigné réclame l'exécution n'ont point été concédés à la Belgique; ils lui ont été
(page 13) imposés par ces
mêmes puissances, et ce seraient elles qui maintenant cesseraient de les
reconnaître ! Il rejette loin de lui une telle pensée dont la réalisation aurait
sans doute les conséquences les plus fatales au repos de l'Europe.» (Note de bas de page : Au moment
où les propositions du 30 Juin furent communiquées au général Goblet, le
gouvernement belge les connaissait déjà par leur insertion au journal officiel
néerlandais du 3 Juillet. M. de Muelenaere avait aussitôt écrit à
Londres pour engager notre plénipotentiaire à rejeter sans hésitation des
propositions aussi contraires aux vingt-quatre articles. Ainsi qu'on l'a vu, le
général Goblet avait devancé le vœu du ministre (V. Rapport de M. de Muelenaere
fait à la Chambre
des Représentants, le 12 Juillet 1832, p. 23)).
Le ton de cette note parut âpre et insolite aux
plénipotentiaires des cours du Nord, mais elle n'en produisit pas moins son
effet. La conférence déclara inadmissible le projet hollandais du 30 Juin.
Seulement, induite en erreur par l'habileté du cabinet de La Haye, elle modifia
ses propres propositions du 11 Juin, en déclarant, le 11 Juillet, que
l'évacuation du territoire aurait lieu dans les quinze jours qui suivraient
l'échange des ratifications du traité à conclure entre la Hollande et la Belgique. Elle
proposait, de plus, l'application provisoire du tarif de Mayence à l'Escaut et
à la Meuse, en
attendant que toutes les difficultés relatives à la navigation fussent aplanies
par les représentants des deux peuples (Note de bas de page : Cette fois
les articles explicatifs, destinés à suivre immédiatement les vingt-quatre
articles, étaient au nombre de quatre. D'un côté, on avait supprimé la date du
20 Juillet comme terme de l'évacuation du territoire ; d'autre part, on s'était
référé, pour la perception provisoire des droits de navigation, à la convention
de Mayence du, 31 Mars 1831 ; enfin, quant à la dette, on avait ajouté au
projet du 11 Juin la déclaration suivante: «... Il est entendu que le payement
de la rente mentionnée dans l'article XIII doit compter à dater, non du 1er Janvier,
mais du 1er Juillet 1832, et que l'article XIV doit s'exécuter ainsi qu'il
suit: « La Hollande
ayant fait exclusivement, depuis le 1er Novembre 1830, toutes les avances
nécessaires au service de la totalité des dettes publiques du royaume des
Pays-Bas jusqu'au 1er Juillet inclusivement, il est convenu que les dites
avances calculées, depuis le 1er Novembre 1830 jusqu'au 1er Juillet 1832
inclusivement, pour vingt mois, au prorata de la somme de 8,400,000 florins des
Pays-Bas de rentes annuelles, dont la Belgique reste chargée, seront remboursées par
tiers au trésor hollandais par le trésor belge. Le premier tiers de ce
remboursement sera acquitté par le trésor belge au trésor hollandais, trois
mois après l'échange des ratifications du présent traité ; les deux autres
tiers seront acquittés de trois en trois mois après remboursement du premier.
Sur les deux derniers tiers il sera bonifié à la Hollande un intérêt
calculé à raison de 5 pour cent par an, jusqu'à parfait acquittement. »
Pour le surplus, les articles explicatifs du 11 Juillet reproduisaient les
termes des trois articles arrêtés le 11 Juin (V. ci-dessus, p. 8) (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 233
et suiv.)).
(page 14) Quoique la Conférence, en arrêtant
ces propositions, eût écarté le projet du 30 Juin, les partisans de la Hollande n'en
accueillirent pas moins ce résultat avec une allégresse peu déguisée. Sachant
que le cabinet de Bruxelles se trouvait dans l'impossibilité de renoncer à la
condition de l'évacuation préalable du territoire, Guillaume 1er se félicitait
d'avoir enfermé ses adversaires dans un cercle infranchissable.
En effet, la position du
gouvernement belge devenait chaque jour plus critique. Les clameurs qu'avait
déjà soulevées l'ajournement des ratifications du traité, se renouvelaient plus
fortes et plus ardentes, par suite des interminables retards apportés à son
exécution. La presse prenait une attitude belliqueuse. Le recours aux armes
trouvait chaque jour de nouveaux partisans dans les Chambres et dans l'armée.
Huit mois s'étaient écoulés depuis que les vingt-quatre articles avaient reçu
l'adhésion de la
Belgique. L'entretien de l'armée sur le pied de guerre
absorbait des sommes immenses. Toutes les classes de la nation, mécontentes,
inquiètes, épuisées, réclamaient à grands cris le dénouement de la crise. Il
fallait en finir, et cependant la condition de l'évacuation préalable du
territoire ne pouvait être abandonnée !
Les dernières résolutions de la Conférence plaçaient
nos ministres dans une redoutable alternative. S'ils renonçaient à la condition
de l'évacuation préalable du sol national, ils foulaient aux pieds les engagements
solennels qu'ils avaient contractés à la tribune des Chambres ; s'ils
persistaient, au contraire, dans cette exigence, ils s'attiraient la
malveillance de l'Europe. L'Angleterre et la France déclaraient elles-mêmes que le recours à
la force ne pouvait être admis aussi longtemps que toutes les mesures
pacifiques n'étaient pas épuisées.
Depuis l'avènement du ministère wigh,
et surtout depuis l'élection du prince Léopold, le vicomte Palmerston avait
donné des preuves nombreuses de ses sympathies pour la cause des Belges. M. de
Muelenaere prit le parti de lui signaler, dans une dépêche confidentielle, les
embarras et les craintes du cabinet de Bruxelles. Les circonstances étaient
assez graves pour motiver cette dérogation aux usages ordinaires. Le 10 Août,
le chef du cabinet belge adressa au ministre anglais la dépêche suivante:
« Monsieur le vicomte, la démarche que je crois de mon devoir
de faire auprès de Votre Excellence a, je ne puis me le dissimuler, quelque
chose d'inusité ; mais elle trouve ses motifs et, s'il était (page 15) nécessaire, son excuse dans la
gravité des circonstances.
« Le roi des Belges et son conseil, en chargeant M. le
général Goblet de défendre près de la Conférence un plan de conduite qui avait reçu
l'approbation des Chambres, n'ont pas cédé aux exigences d'un parti en minorité
dans la nation ; l'opinion publique a été trop unanime, la manifestation a été
trop énergique, pour qu'on pût n'y voir que le résultat des efforts de quelques
hommes.
« Il y a plus d'un an que la Belgique s'était une
première fois regardée comme définitivement constituée aux yeux de l'Europe, en
acceptant les XVIII articles du 26 Juin 1831 ; elle a depuis porté la peine
d'un excès de bonne foi ; elle a vu son honneur compromis par une attaque
subite et déloyale, et après une défaite, qui fut un crime politique, elle dut
subir des conditions onéreuses, qu'on voudrait aggraver encore après dix mois
d'attente.
« L'impossibilité de nouvelles concessions est
profondément sentie par la nation ; le gouvernement belge et son agent à
Londres n'ont été que les organes du pays. Il n'y a rien de factice dans les
démonstrations belliqueuses qui se renouvellent depuis deux mois; on aurait tort
de croire que nous jouons une espèce de comédie, assignant aux uns le rôle de
l'énergie, réservant aux autres celui de la condescendance, et nous attachant
ainsi à sauver dans tous les cas les apparences. Depuis un an le gouvernement
belge n'a rien négligé pour organiser l'armée et pour la mettre sur un pied
respectable ; il y est parvenu, et le pays a aujourd'hui le sentiment de sa
force en même temps qu'il a celui de ses droits.
« Le roi des Belges et ses ministres, en déclarant
publiquement que le gouvernement ne participerait à aucune négociation ni à
aucune conclusion quelconque avant l'évacuation du territoire irrévocablement
reconnu à la Belgique,
ont contracté des engagements dont le pays a pris acte : eût-on même la volonté
de revenir sur ces engagements, on n'en aurait pas le pouvoir.
« Si vos propres agents avaient pu montrer à Votre
Excellence l'état du pays sous un autre jour, je n'hésiterais pas à affirmer
que ces rapports sont le résultat d'un examen superficiel et d'une aversion
irréfléchie pour toute mesure énergique.
« La vive sollicitude que le gouvernement britannique a
constamment témoignée pour les intérêts belges m'a engagé à transmettre,
confidentiellement et sans intermédiaire, ces renseignements à Votre
Excellence. Rien ne pourrait être plus nuisible à la cause commune de la paix,
qu'une (page 16) fausse sécurité et
l'opinion erronée que la
Belgique serait prête à transiger sur des droits qui lui sont
irrévocablement acquis. Quant à moi, j'ai attaché mon existence politique au
système que j'ai cru devoir adopter à la suite de l'échange de toutes les
ratifications, et si ce système devait être abandonné, je n'hésiterais pas à
résigner le portefeuille que Sa Majesté a bien voulu me confier. » (Papers relative to the affairs of Belgium, B, 1, p.
121).
13.5. Le thème
de lord Palmerston
Palmerston ne tarda pas à répondre. Les termes de sa dépêche,
datée du 14 Août, étaient empreints d'une bienveillance extrême ; mais ils n'en
reproduisaient pas moins tous les arguments contre lesquels nos agents avaient
à lutter depuis le changement de front opéré par la diplomatie hollandaise. Le
gouvernement anglais, disait le chef du Foreign-Office,
était le premier à reconnaître les engagements solennels que les puissances
avaient contractés envers la
Belgique, par le traité du 15 Novembre ; il avouait que ces
engagements étaient tels qu'un changement quelconque dans les termes du traité
ne pouvait s'effectuer sans l'assentiment préalable de la Belgique. Mais
pourquoi, disait-il, se refuser à entendre les propositions des plénipotentiaires
hollandais ? Ceux-ci étaient animés des dispositions les plus conciliantes.
Peut-être ne s'agissait-il que d'un simple changement dans les termes !
Pourquoi ne pas autoriser le plénipotentiaire belge à ouvrir une négociation
directe avec ses collègues de Hollande ? Qui sait si on n'arriverait pas
promptement à une solution avantageuse aux deux parties ? C'était un dernier
essai à tenter avant d'avoir recours aux mesures de rigueur. La Belgique pouvait faire
toutes les réserves nécessaires pour sauvegarder ses droits ; mais elle ne
devait pas, en manifestant une susceptibilité extrême, enlever aux puissances
l'espoir d'arriver au dénouement pacifique de la question des Pays-Bas (Note de bas de page : Papers relative to the
affairs of Belgium, B,
1, p. 122 et suiv.. Quant aux démonstrations belliqueuses dont parlait
la dépêche de M. de Muelenaere, lord Palmerston disait: «Your
Excellency states that the Belgian people are desirous of taking this matter into
their own hands, and of settling all these questions by war ; but your Excellency, I am convinced, takes
too enlightened and statesman-like a view of the present
posture of affairs in Europe, not to see that on appeal
to the sword, at all times doubtful
in its issue, and to be avoided as long as negotiation is practicable, would now be productive of dangers to Belgium, far beyond the ordinary riks
attendant upon the fortune
of arms ; and I trust that I am not overstepping
those limits of friendly frankness which your Excellency
's communication has opened to me, if I say that, in my
view of the existing condition of Europe, and
in the present state of the negociation, whoever should plunge Belgium into war before
all other means of
arrangement have been exhausted, whould
incur the heaviest and most
fearful responsabilily. »)
(page 17) Pour
celui qui ne révoquait pas en doute la sincérité des démonstrations pacifiques
de la Hollande,
le langage de lord Palmerston était conforme aux exigences de la situation diplomatique.
Les stipulations du traité du 15 Novembre étaient pour la Belgique un droit acquis
; mais ni ce traité, ni les notes du 15 Octobre dont il fut précédé, ne
déterminaient le délai dans lequel les puissances étaient tenues d'avoir
recours aux voies de rigueur. Le projet hollandais du 30 Juin semblait dénoter
chez les ministres de La Haye une tendance marquée vers les idées de
conciliation. Cette même tendance se manifestait, d'une manière plus patente
encore, dans le langage de leurs plénipotentiaires à Londres, MM. Falck et de Zuylen. Ne fallait-il
pas profiter de ce revirement inespéré ? Était-il juste de tirer le glaive
avant d'avoir épuisé tous les moyens de conserver la paix ? Il faut l'avouer :
en persistant dans son refus de négocier avant l'évacuation du territoire, le
gouvernement belge prenait vis-à-vis de la Conférence ce rôle de
résistance opiniâtre que, du moins en apparence, la Hollande venait
d'abandonner : « Les torts se déplaçaient ainsi ; c'était nous qui les
assumions ; c'était de nous que venaient les obstacles à un arrangement
définitif que l'Europe paraissait attendre avec tant d'anxiété. » (Rapport du général Goblet, fait à la Chambre des Représentants le 16 Novembre 1832, p. 23
(Bruxelles, Remy, 1832)).
Ce fut dans ces circonstances que le ministère anglais
communiqua confidentiellement à MM. Goblet et Van de Weyer un projet de transaction
devenu célèbre sous le nom de Thème de lord Palmerston.
La Hollande offrait de négocier, mais
sans déterminer les bases ; la
Belgique repoussait toute négociation nouvelle avant
l'évacuation de son territoire. Prenant le rôle d'intermédiaire, lord
Palmerston s'était efforcé de rapprocher les deux gouvernements, à l'aide d'un
petit nombre de propositions qui, précisant la direction et les limites d'une
négociation directe, permissent à la Belgique de se départir sans danger de l'exigence
de l'évacuation préalable.
Dans la rédaction de ce projet, lord Palmerston était parti
de l'idée de se rapprocher, pour la forme et pour le fond, des vœux énoncés par
(page 18) le gouvernement
hollandais, sans cependant porter atteinte à aucun des droits essentiels
garantis à la Belgique
par le traité du 15 Novembre. La surveillance commune des passes de l'Escaut
n'y était plus stipulée ; le commun accord pour la fixation des droits de
pilotage n'était plus exigé ; l'assimilation des Belges aux Hollandais pour la
navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin n'était plus
réclamée ; la servitude de route et de canal par le Limbourg néerlandais était
supprimée. La Hollande
aurait reçu annuellement de la
Belgique une somme de 150,000 florins, à titre de rachat de
tout droit de navigation sur l'Escaut, quel que fût d'ailleurs le pavillon des
navires. Quant à la stipulation relative à la capitalisation facultative de, la
rente de 8,400,000 fl. imposée à la
Belgique, elle devait trouver sa place dans le traité entre
les cinq puissances et le roi des Pays-Bas (1).
Il importe de remarquer que lord Palmerston n'exigeait pas
que la Belgique
commençât par renoncer au bénéfice du traité du 15 Novembre. Son thème n'avait
d'autre but que de fixer des bases au-delà desquelles elle ne pourrait être
entraînée dans une négociation directe avec la Hollande. Il
s'agissait seulement de négocier sur ces bases, sans exiger l'évacuation
préalable du territoire. La
Belgique ne devait répudier aucun de ces droits : ce n'était
qu'un dernier essai de conciliation à tenter, dans une négociation officielle
avec sa rivale. La
Conférence avouait qu'elle avait épuisé son rôle d'arbitre
par sa sentence du 14 Octobre 1831 ; elle déclarait que sa mission se bornait
désormais à faciliter le rapprochement des deux parties dans une négociation
directe. Dès lors, trois hypothèses étaient possibles. Si la Hollande, conformant ses
actes à ses paroles, prêtait la main à des concessions mutuelles, on terminait
immédiatement la crise ; si le cabinet de La Haye, renouvelant ses
tergiversations et ses résistances, manifestait des vues peu conciliantes, la Belgique était libre de
rompre les négociations et de se replacer dans le statu quo; si enfin -
et c'était l'hypothèse la plus probable - Guillaume Ier rejetait le thème de
lord Palmerston et refusait d'ouvrir des négociations directes avec les Belges,
ses manœuvres diplomatiques se trouvaient complètement dévoilées et les cours
du Nord perdaient tout prétexte de retarder les mesures coercitives.
(page
19) Le général Goblet avait cru d’abord à la sincérité des idées conciliantes
manifestées par les ministres de La Haye ; mais cette opinion avait été de
courte durée. Profitant avec habileté de ses nombreuses relations à Londres, il
fut bientôt persuadé que le gouvernement de La Haye rejetterait purement et
simplement le thème de lord Palmerston. De même que M. Van de Weyer, qui
venait d'être accrédité conjointement avec lui auprès
de la Conférence,
il avait la conviction que la Belgique, en consentant à négocier sur les bases
de ce thème, se procurerait l'inappréciable avantage de démasquer sa rivale,
sans courir en aucune manière le risque de perdre le bénéfice du traité du 15
Novembre.
Dans les nombreux entretiens entre le général et les membres
de la Conférence,
soit collectivement, soit en particulier, on ne cessait de lui dire: « Nous
reconnaissons l'impossibilité qui existe pour la Belgique de faire des
concessions nouvelles, dans ce sens qu'elle ne peut sacrifier aucun des
avantages que le traité lui garantit. Mais il ne serait pas raisonnable de
supposer que le gouvernement belge voulût refuser obstinément d'accéder à des
modifications, si le cabinet de La Haye venait à en proposer qui, ne changeant
que la forme des articles ou le mode de leur exécution, laissassent intacte à la Belgique la jouissance
réelle des avantages résultant du traité ; ou bien encore à des modifications
qui, en lui enlevant l'un ou l'autre de ces » avantages, offriraient en retour
une compensation équivalente. Si, » par quelques arrangements de cette espèce,
le gouvernement hollandais pouvait être amené à signer le traité de paix et de
séparation avec la Belgique,
une telle conclusion serait évidemment à l'avantage de tous. » On ajoutait que
M. de Zuylen de Nyvelt
était prêt à proposer des modifications qui, à beaucoup d'égards, se
rapprochaient de très près des stipulations du traité, et dont quelques-unes
étaient peut-être tout aussi avantageuses à la Belgique que les articles
correspondants du traité lui-même (V. le rapport précité du général
Goblet, du 16 Novembre 1832, p. 24 et 25).
Convenait-il de
repousser dédaigneusement ces conseils et ces instances ? Fallait-il, par
l'exigence obstinée de l'évacuation préalable, encourir le danger de prolonger
indéfiniment l'état d'incertitude et de crise qui paralysait les forces de la
nation ? Fallait-il abandonner le sort (page
20) du pays à la fortune des armes, avant d'avoir fourni une dernière
preuve de bonne volonté aux cabinets représentés à la Conférence ? Telle
n'était pas l'opinion du général Goblet et de son collègue ; mais il s'agissait
de faire partager cette manière de voir par le cabinet belge.
13.6.
Démission de M. de Muelenaere. M. Goblet devient ministre des Affaires
étrangères
Obéissant à une conviction profonde, le général se rendit à
Bruxelles. Il y arriva le 9 Septembre et communiqua aux ministres le thème de
lord Palmerston. Il n'eut pas de peine à convaincre M. de Muelenaere et ses
collègues de la nécessité de se départir momentanément de la condition de
l'évacuation préalable. En effet, nous l'avons déjà dit, il ne s'agissait pas
de renoncer aux droits que nous conférait le traité du 15 Novembre. En
consentant à négocier sur les bases du thème anglais et à prendre connaissance
des propositions dont le plénipotentiaire hollandais se disait muni, la Belgique n'était pas
forcée de déchirer une convention solennellement conclue avec les grandes
puissances. Depuis le jour où le général Goblet était parti pour Londres, la
situation avait pris un tout autre aspect. Alors on ne prévoyait que deux
hypothèses: le rejet absolu ou l'acceptation entière des vingt-quatre articles
par le roi des Pays-Bas. Aujourd'hui, au contraire, le cabinet de La Haye
présentait en quelque sorte un projet moyen. « L'acceptation pure et simple des
vingt-quatre articles, disait-il, ne mettrait pas fin à tous nos différends
avec la Belgique
; nonobstant cette acceptation, bien des questions épineuses resteraient à
résoudre dans une négociation séparée entre les deux peuples ; les Belges
eux-mêmes le comprennent si bien qu'ils se déclarent prêts à négocier après
l'évacuation de leur territoire. Pourquoi ne pas s'entendre immédiatement sur
tous les points susceptibles de controverse ? Tous les conflits seront vidés à
la fois; et ce résultat sera obtenu d'autant plus facilement que le roi
Guillaume, renonçant à toute idée de restauration ouverte ou déguisée,
manifeste les intentions les plus conciliantes.» C'était là, nous le répétons,
placer la question sur un terrain nouveau. Sans doute, le gouvernement belge
avait toujours le droit de repousser toute négociation ultérieure avant
l'évacuation du territoire ; mais cette persistance lui valait l'abstention de
l'Angleterre et de la France,
l'hostilité des autres puissances et le maintien indéfini d'un statu quo qui
fatiguait et épuisait le pays. Il fallait ou accueillir les conseils de lord
Palmerston, ou faire la guerre à la Hollande. Or, ce dernier parti n'offrait que deux
issues : le malheur et la (page 21)
honte du pays en cas de défaite, l'intervention armée de la Prusse en cas de succès (Note de fin de page : Déjà
plusieurs fois le général Goblet avait signalé à M. de Muelenaere cette face
nouvelle de la négociation, notamment dans une remarquable dépêche du 16
Juillet 1832).
Le problème étant posé
en ces termes, la résolution du cabinet de Bruxelles ne pouvait être douteuse.
Convaincus qu'un changement de système était nécessaire, mais liés par les
engagements contractés envers les Chambres, M. de Muelenaere et ses collègues
offrirent leur démission au roi, et celui-ci confia au général Goblet lui-même
le portefeuille des Affaires étrangères.
Le général eut le courage d'accepter cette offre, mais il fit
de vains efforts pour recomposer immédiatement le ministère. Les exigences de
la situation étaient mal comprises. Renoncer à la condition de l'évacuation
préalable du territoire, c'était provoquer l'opposition orageuse de la tribune
et de la presse ; c'était mécontenter le pays ; c'était s'exposer à tous les
inconvénients de l'impopularité ! M.. Goblet ne se laissa pas décourager.
Prenant le portefeuille des Affaires étrangères, il pria les ministres de
l'Intérieur, des Finances et de la
Guerre de rester à la tête de leurs départements, comme
simples commissaires.
Le 18 Septembre, jour de l'entrée en fonctions de M. Goblet,
M. Van de Weyer reçut ses pleins pouvoirs pour ouvrir une négociation directe
avec les plénipotentiaires de la
Hollande (Note de bas de page : C’était en
effet une négociation directe avec la Hollande que désirait la Conférence de Londres.
Ses membres tenaient le langage suivant: «La Conférence ayant déjà prononcé sa sentence le 14
Octobre 1831, elle ne peut pas elle-même émettre de nouvelles propositions. La
position prenait ainsi une apparence assez bizarre; car la Conférence ne voulait
ni exécuter le traité, ni négocier de nouveau par elle-même (V. le rapport
précité du général Goblet, p.26)).
13.7. Les
effets de la renonciation à la condition d’évacuation préalable du territoire
Ici nous touchons à
l'un des épisodes les plus intéressants de notre histoire diplomatique.
Le général désirait que le thème anglais fût rejeté à La Haye. C'était
surtout en vue de ce refus qu'il avait accepté l'offre d'une négociation
directe. Par conséquent, pour que son plan offrît des chances de réussite, la
discrétion la plus absolue était indispensable. Tout en souhaitant le rejet des
propositions de lord Palmerston par (page
22) le cabinet de La Haye, il fallait agir et parler comme si l'acceptation
de ces propositions entrait à tous égards dans le système du cabinet de
Bruxelles. De là une position des plus bizarres. Aux sarcasmes de la presse,
aux prédictions sinistres des amis et des adversaires du gouvernement, aux
accusations de lâcheté et même de trahison qui se produisaient de toutes parts,
on devait répondre par un mutisme imperturbable ! (Note de bas de page : Pour
prouver que telle était en réalité l'attitude de M. Goblet, il suffit de citer
deux fragments de ses dépêches à M. Van de Weyer. Dans une dépêche du 25
Septembre, nous lisons: « Je m'applaudis avec vous de la marche des événements
qui, jusqu'à présent, répondent à toutes nos prévisions et justifient la grande
mesure que le roi s'est déterminé à prendre. Cette résolution de S. M. a
déplacé les torts ; c'est maintenant de la Hollande que vient la résistance. En consentant
à ouvrir la négociation directe, le roi avait moins en vue de parvenir à un
arrangement à l'amiable, que de constater, dans un court délai, l'impossibilité
de cet arrangement. Depuis plus d'un mois, le roi de Hollande, s'offrait à
traiter directement avec nous, et cette offre avait été, à tort ou à raison,
considérée comme un obstacle à l'emploi des mesures coercitives. Notre but a
été de faire disparaître cet obstacle. » - Déjà dans une dépêche du 21
Septembre, M. Goblet avait dit: « Je vois avec plaisir lord Palmerston considérer
comme dernière la tentative que nous faisons. En prenant cette résolution, sur
le succès de laquelle je ne me fais pas illusion, mon but a été principalement
de montrer à l'Angleterre et à la
France que nous sommes prêts à prendre part à tous les moyens
de conciliation compatibles avec notre dignité. »
M Nothomb a résumé la question avec autant de raison que de talent, dans
les lignes suivantes: « Le gouvernement hollandais, en se refusant à la
négociation, en rétractant son offre de négocier, entrait dans toutes les vues
du cabinet belge ; le refus de la
Hollande, c'était l'hypothèse de l'homme d'État : là se
trouvait la véritable pensée politique (Essai, ch. XVIII). »
Cette attitude aussi courageuse que pénible ne tarda pas à
recevoir sa récompense.
Le jour même où M. Van de Weyer exhiba ses pleins pouvoirs,
il devint manifeste que le plénipotentiaire hollandais n'avait jamais eu les
siens ! L'esprit de conciliation manifesté pendant plusieurs semaines, le désir
d'entamer des négociations directes avec la Belgique, les sentiments d'abnégation prodigués
dans les entretiens avec les membres de la Conférence,
l'impatience de finir, tout cela n'était qu'une ruse de guerre ! Le
gouvernement hollandais s'était avancé dans la persuasion que la Belgique ne pouvait se
dispenser d'exiger l'évacuation préalable de son territoire : toutes les
prévisions du général Goblet se trouvaient réalisées.
(page 23) Qu'on le remarque bien : ces faits
étranges n'ont pas été imaginés à plaisir; ils résultent à l'évidence des
procès-verbaux des séances de la conférence de Londres.
Le 20 Septembre, M. Van de Weyer annonça aux
plénipotentiaires des cinq cours qu'il venait d'être muni des pleins pouvoirs
de son gouvernement pour entamer une négociation directe avec les diplomates
hollandais, à l'effet de conclure et de signer un traité définitif entre la Belgique et la Hollande ; mais, afin
d'éviter, en toute hypothèse, les subterfuges et les entraves de la diplomatie
néerlandaise, il déclara que ses pouvoirs deviendraient caducs le 10 Octobre
suivant. Il ajouta que, même avant cette époque, son gouvernement se réservait
le droit de revenir purement et simplement au traité du 15 Novembre, si les
propositions du cabinet de La Haye n'étaient pas de nature à être accueillies
par le roi des Belges.
Au lieu de répondre à cette avance, M. de Zuylen
de NyveIt, dévoilant tout à coup la tactique secrète
de son gouvernement, adressa à la Conférence une note conçue en termes acerbes et
dédaigneux. Rejetant avec hauteur l'esprit de conciliation qu'il avait
manifesté durant les dernières semaines, gardant un silence outrageant à
l'égard des propositions de lord Palmerston, en un mot, reprenant son rôle
primitif, le plénipotentiaire hollandais réclama nettement et sans délai la
signature du projet annexé à sa note du 30 Juin, projet que déjà les membres de
la Conférence
avaient unanimement déclaré inadmissible dans leur message du 11 Juillet.
Ainsi, au lieu de voir réaliser ses vœux et
justifier sa confiance, la
Conférence se trouvait en présence d'un manifeste qui
dénaturait ses actes et incriminait ses intentions. « Les orages politiques,
disait le plénipotentiaire néerlandais, ont passé sur la tête de Sa Majesté,
comme sur celles de ses augustes aïeux, et la Hollande, sous leurs
auspices, a traversé des siècles de crise, d'épreuves et de gloire, et son
expérience, chèrement achetée, a mis en évidence qu'une nation se relève, même
des plus grands revers, aussi longtemps qu'elle ne se manque pas à elle-même.
Le roi veillera à ce que les fruits de cette expérience ne soient point perdus;
et tandis qu'il attend avec confiance le résultat des délibérations de la Conférence de Londres,
d'après le degré de maturité auquel la négociation est parvenue entre elle et
le gouvernement néerlandais, Sa Majesté écarte (page 24) toute responsabilité des complications que produiraient de
nouveaux retards, et proclame hautement qu'Elle ne sacrifiera jamais au fantôme
révolutionnaire les intérêts vitaux et les droits de la Hollande; que le peuple
libre, aux destinées duquel Elle est appelée à présider, s'en remettant à la Providence, saura tenir
tête à tout ce que les ennemis de l'ordre public et de l'indépendance des
nations pourraient vouloir lui prescrire, et que si, à la dernière extrémité,
une cruelle destinée décevait sa religieuse attente, cette funeste issue
entraînerait à la fois le système européen et le repos du monde.» (Note de bas de page : Note du 20
Septembre 1832. Nous venons de dire que la Hollande exigeait la signature immédiate du
projet du 30 Juin. Dans le texte de la note du 20 Septembre, il est parlé de
propositions faites le 30 Juin et le 25 Juillet 1832. Depuis le 11 Juillet,
plusieurs entretiens confidentiels avaient eu lieu entre les membres de la Conférence et le
plénipotentiaire hollandais. A la suite de ces entretiens, M. de Zuylen de Nyvelt avait offert, le
25 Juillet, de faire subir au projet de sa cour quelques modifications sans
importance au sujet de la navigation des eaux intérieures et des communications
commerciales avec l’Allemagne à travers le Limbourg ; mais les propositions du
30 Juin n'en étaient pas moins maintenues comme bases du traité (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 2.0
et suiv., 262 et suiv.)).
Les plénipotentiaires des cinq cours répondirent avec autant
de modération que de dignité. Dans un memorandum annexé au protocole du
30 Septembre, ils s'expriment ainsi: « La Conférence était
déterminée à ne plus poursuivre officiellement une polémique que le cabinet de
La Haye paraissait s'appliquer à rendre interminable. Néanmoins le désir,
toujours subsistant, d'arriver par des voies conciliantes à l'arrangement d'un
litige qui intéresse à un si haut point toute l'Europe, avait conduit les
membres de la Conférence
à essayer, dans des conversations particulières, de rapprocher les deux
parties. L'entreprise offrit des difficultés. La Belgique, armée du traité
conclu avec elle, en réclamait l'exécution, ou ne voulait entendre à aucune
négociation nouvelle qu'après l'évacuation de la citadelle d'Anvers. De son
côté, le roi des Pays-Bas ne sortait point du cercle dans lequel il s'était
retranché. Cependant, comme son plénipotentiaire s'était annoncé pour avoir
reçu de nouveaux pouvoirs et montrait la disposition d'apporter des facilités
au règlement des points que la Conférence ne pouvait s'empêcher de regarder
comme exigeant des changements, celle-ci se flattait d'être enfin
parvenue au point de n'avoir plus à vaincre que des difficultés
secondaires de (page 25) rédaction. Pour
les aplanir définitivement, le concours direct des plénipotentiaires belges
devint indispensable. On en représenta la nécessité au gouvernement belge ; et
afin de le convaincre des chances favorables qu'offrait alors la négociation,
on lui fit confidentiellement part des modifications auxquelles le
plénipotentiaire hollandais s'était déjà prêté ou semblait être prêt à
souscrire....... Ce fut dans ces circonstances, et afin de constater les
véritables intentions du cabinet de La Haye et de pouvoir combattre avec
conviction les prétentions du gouvernement belge, que le plénipotentiaire
britannique, placé naturellement comme intermédiaire entre les deux parties, à
la suite de plusieurs conversations séparées, tantôt avec les plénipotentiaires
de la Hollande
et de la Belgique,
tantôt avec les membres mêmes de la Conférence, tira de son propre fonds et présenta
confidentiellement à M. de Zuylen une rédaction
nouvelle des points litigieux, sur lesquels les deux parties paraissaient le
plus éloignées de s'entendre…. Le gouvernement belge, confidentiellement mis en
connaissance du projet de Lord Palmerston, crut devoir ne plus se refuser à
munir le sieur Van de Weyer des pleins pouvoirs nécessaires pour conclure et
signer un traité définitif entre. la Belgique et la Hollande.
« Pendant qu'une démarche aussi positive avait lieu de
la part du gouvernement belge, celui des Pays-Bas, sans entrer dans la
discussion des rédactions confidentielles qui lui avaient été transmises de la
part du plénipotentiaire britannique, sans même en faire aucune mention, adressait
à la Conférence,
qui ne l'avait point provoquée, une nouvelle note, plus acerbe qu'aucune des
précédentes, plus éloignée qu'aucune d'elles du bon esprit de conciliation,
et par laquelle il réclame hautement, sans délai, la signature immédiate du
traité qu'il avait proposé à la
Conférence par sa note du 30 Juin, renouvelée par celle du 25
Juillet.» (Papers relative to the affairs of Belgium, 11., p, 252.)
Les plénipotentiaires firent cependant une dernière tentative
; mais, voulant mettre un terme aux longueurs et aux subterfuges d’une correspondance
diplomatique, ils invitèrent le baron de Zuylen de Nyvelt à se rendre au sein de la Conférence, pour y
répondre verbalement aux questions qui lui seraient posées. Cette mesure,
jusque-là sans (page 26) exemple
dans les annales de la diplomatie, reçut son exécution le 26 Septembre 1832. Le
plénipotentiaire hollandais dut subir un véritable interrogatoire sur faits et
articles, et ses réponses, recueillies avec exactitude, furent immédiatement
consignées en marge des demandes.
Neuf questions lui furent posées. Etes-vous muni des pouvoirs
et des instructions nécessaires pour négocier et signer avec le plénipotentiaire
belge, sous les auspices de la
Conférence, un traité définitif de séparation entre la Belgique et la Hollande ? Êtes-vous prêt
à signer, avec les cinq puissances et avec la Belgique, un traité qui
contiendra les vingt-quatre articles du 14 Octobre 1831 ? Êtes-vous autorisé à
adopter les arrangements territoriaux, tels qu'ils se trouvent fixés dans les
vingt-quatre articles ? Êtes-vous prêt à admettre en principe que la navigation
de l'Escaut sera libre pour les navires de toutes les nations, sans soumettre
ces navires à d'autres obligations que le payement d'un droit de tonnage modéré
? Êtes-vous prêt à assurer aux Belges la navigation des eaux intermédiaires
entre l'Escaut et le Rhin, à un taux qui n'excède pas celui des tarifs fixés du
consentement des États riverains du Rhin, proportion des distances gardée ?
Adopterez-vous la rédaction de l'article XI des vingt-quatre articles du 14
Octobre 1831? Si l'article XII des vingt-quatre articles venait à être
supprimé dans le traité entre la
Belgique et la
Hollande, quelle serait la compensation que le gouvernement
hollandais offrirait en retour à la
Belgique ? Le gouvernement hollandais adopte-t-il les
articles XIII et XIV concernant la dette, tels qu'ils se trouvent rédigés dans
les vingt-quatre articles, sauf les changements de date reconnus nécessaires ?
Si la liquidation du syndicat ne devait avoir lieu que comme mesure d'ordre,
quelle serait la compensation que le plénipotentiaire néerlandais serait autorisé
à proposer à la Belgique,
en échange de sa part dans l'actif de cet établissement ?
Cette fois les discussions abstraites
n'étaient plus de saison. A chaque phrase ambiguë, à chaque mot équivoque, les
plénipotentiaires interrompaient le diplomate hollandais pour exiger une
explication catégorique. A chaque réponse incomplète ou obscure, la Conférence renouvelait
sa demande et ne lâchait prise qu'après avoir bien saisi la pensée intime du
cabinet de La Haye. Il
en résulta que le plénipotentiaire hollandais n'avait jamais été muni des
pouvoirs nécessaires pour négocier directement avec le plénipotentiaire belge.
Il en résulta (page 27) encore que le gouvernement
de La Haye, loin d'accepter les bases des vingt-quatre articles, faisait porter
son refus sur des conditions essentielles. Son plénipotentiaire commençait par
attacher une réserve importante aux stipulations des articles I à VI, relatifs
aux arrangements territoriaux ; il voulait que la Conférence garantît
l'incorporation à la Hollande
de la partie du Limbourg donnée en échange d'une partie du Luxembourg (Note de bas de page : Cette
prétention était évidemment en dehors des engagements contractés par la Conférence. Celle-ci
avait offert au grand-duc de Luxembourg, et non pas au roi de Hollande, une
indemnité territoriale dans le Limbourg. La Confédération germanique, qui devait consentir à
l'échange, pouvait seule autoriser l’incorporation du Limburg au territoire
hollandais). Il protestait contre la
majeure partie des stipulations de l'article IX, relatif à la navigation de
l'Escaut et des eaux intermédiaires entre ce fleuve et le Rhin. Il entendait
changer les termes de l'article XI, relatif au passage par Maestricht et le caton de Sittard, de manière à le
rendre illusoire dans son application (Note de bas de page : Le
plénipotentiaire hollandais réclamait le droit d'assujettir le passage à des
droits de transit, indépendamment des droits de barrière). Il demandait sans
compensation la suppression de l'article XII, Il altérait les stipulations des
articles XIII et XIV, en refusant à la Belgique sa part dans l'actif qui devait résulter
de la liquidation du syndicat d'amortissement. Bref, il détruisait les
vingt-quatre articles dans plusieurs de leurs dispositions essentielles. La Conférence, au lieu de
toucher au but si longtemps et si vivement désiré, voyait apparaître une
nouvelle série d'exigences inacceptables (Papers
relative to the affairs of Belgium, A, p. 256-261).
13.8. Le
recours aux mesures coercitives
Cependant le
plénipotentiaire belge ne cessait de réclamer l'exécution du traité des
vingt-quatre articles. L'interrogatoire du 26 Septembre avait dessillé tous les
yeux. Il fallait ou agir énergiquement, ou abandonner la solution du litige
aux armées des deux peuples, au risque de jeter l'Europe dans les périls d'une
guerre générale.
Les plénipotentiaires des cinq cours étaient unanimes à
repousser le dernier moyen ; tous voulaient que la Conférence se chargeât
elle-même du soin de procurer à la
Belgique l'exécution du traité du 15 Novembre. De
l'aveu de toutes les cours, des moyens de rigueur étaient désormais
indispensables pour obtenir l'assentiment de la Hollande. Le
différend hollando -belge se trouvait irrévocablement placé sur le terrain de
l'exécution.
(page 28) Malheureusement,
l'unanimité des cinq puissances cessait dans le choix des moyens. Les unes
voulaient des mesures militaires ; les autres proposaient des mesures
pécuniaires.
Ce fut dans ces circonstances que la Conférence se réunit de
nouveau le 1er Octobre 1832.
Les plénipotentiaires d'Angleterre et de France soumirent à
l’approbation de leurs collègues une proposition tendant, 1° à libérer la Belgique des arrérages de
la dette à partir du 1er Janvier 1832 ; 2° à frapper la Hollande d'une amende
hebdomadaire d'un million de florins, imputable sur les arrérages dus au 1er
Janvier 1852 et ultérieurement sur le capital de la dette, si le territoire
belge n'était pas complètement évacué le 15 Octobre.
Cette proposition était faite sans préjudice des mesures plus
graves que les circonstances pourraient rendre nécessaires.
Les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie
répondirent qu'ils improuvaient hautement la conduite du gouvernement
hollandais et étaient prêts à se joindre à leurs collègues de France et
d'Angleterre, afin de libérer la
Belgique des arrérages qu'elle devait à la Hollande depuis le 1er
Janvier 1832, sauf à faire dater l'effet de cette décision du 15 Octobre, afin
de laisser au cabinet de La Haye le temps de réfléchir une dernière fois aux
conséquences de son refus. Mais ils ajoutèrent que, pour le moment, ils
n'étaient autorisés ni à demander au gouvernement hollandais l'exécution
partielle d'un traité auquel il n'avait pas adhéré, ni à consentir à la
défalcation hebdomadaire d'un million proposée par l'Angleterre et la France. En conséquence
ils déclarèrent: 1° que dans le cas où des mesures coercitives seraient mises à
exécution, ils ne pourraient pas s'y associer ; 2° que, suivant eux, la marche
la plus avantageuse à suivre consisterait à mettre sous les yeux des cours de
Vienne, de Berlin et de St-Pétersbourg l'état actuel
des choses, en les engageant à user une dernière fois de leur influence auprès
du roi des Pays-Bas, sauf à prendre, si leurs conseils étaient dédaignés, les
mesures financières indiquées par les plénipotentiaires de France et
d'Angleterre. Toutefois, pour éviter des délais trop prolongés, ils
consentirent à ne consulter que la cour de Prusse et à se conformer à l'avis
qui leur serait transmis de Berlin (Note de bas de page : Voici la
partie du protocole relative à l'intervention de la cour de Berlin: «
Considérant que les distances qui séparent Vienne et St-Pétersbourg
de Londres pourraient causer de trop longs délais dans cet instant de crise,
les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie déclarent qu'il leur
paraîtrait suffisant de consulter la cour de Berlin et de l'inviter à se
prononcer, premièrement, sur une décision par laquelle elle ferait
connaître au cabinet de La Haye la nécessité absolue où il se trouve, soit de
proposer dans un temps donné un traité définitif entre la Belgique et la Hollande, qui résoudrait
pour l'affirmative, d'une manière claire et complètement satisfaisante, toutes
les questions, sans exception aucune, qui ont été adressées en dernier lieu par
la Conférence
de Londres au plénipotentiaire néerlandais, soit d'adhérer aux XXIV articles du
14 Octobre 1831; secondement, sur l'obligation qu'un rejet de l'une ou
de l'autre de ces demandes imposerait à l'Autriche, à la Prusse et à la Russie, d'abord de libérer la Belgique des arrérages
qu'elle doit à la Hollande
depuis le 1er Janvier 1832, ensuite de défalquer un million de florins par
semaine des dettes de la
Belgique envers la Hollande, dans le cas où, après un temps donné,
la radiation des arrérages depuis le 1er Janvier 1832 ne produirait pas l'effet
qu'il serait permis d'en attendre, sans préjudice des mesures spéciales que la France et l'Angleterre
pourraient juger indispensables, en ce qui les concerne, si la défalcation
hebdomadaire elle-même restait sans résultat... Les plénipotentiaires
d'Autriche et de Russie ont observé que, vu l'urgence du moment, ils
consentiraient à se conformer aux décisions que la Cour de Berlin ferait
connaître. » (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 269 et suiv.) - II faut se rappeler
qu'à celle époque il n'existait aucun chemin de fer sur le continent, et
que les communications entre les plénipotentiaires et leurs cours nécessitaient
des retards considérables).
(page 29) Cette
proposition ne fut pas accueillie par les représentants de la France et de l'Angleterre.
Tout en exprimant le regret de devoir renoncer au concours de la Prusse, de l'Autriche et de
la Russie, ils
réservèrent à leurs gouvernements le droit d'agir suivant leurs intérêts et
la teneur des engagements contractés envers la Belgique. En effet, la
proposition de leurs trois collègues ne pouvait avoir d'autre résultat que de
renouveler, par l'action séparée de trois cours, des négociations que le poids
des cinq puissances réunies n'avait pas empêché d'être stériles. Un nouveau
délai était le seul résultat certain des nouvelles démarches qu'on se proposait
de faire à La Haye. Il
importait, d'ailleurs, de ne pas se faire illusion sur l'efficacité du parti
que les plénipotentiaires des cours du Nord se déclaraient prêts à prendre à
l'égard de la libération des arrérages dus par la Belgique. Le roi
Guillaume eût protesté contre cette condamnation pécuniaire ; il eût contesté à
la Conférence
le droit de rendre cet arrêt en faveur des Belges. Pour première condition de
toute négociation ultérieure, il eût infailliblement réclamé la remise de
l'amende à laquelle on l'aurait condamné.
(page 30) Sous
tous les rapports, la nécessité de prendre un parti immédiat et définitif ne
pouvait être sérieusement révoquée en doute.
La Belgique, en effet, persistait dans
ses réclamations et ses plaintes. Le 5 Octobre, le ministre des Affaires
étrangères avait adressé aux gouvernements de Paris et de Londres un office
dans lequel, après avoir rappelé les retards que la solution de nos différends
avec la Hollande
avait successivement subis, il sommait les cabinets des Tuileries et de St-James d'exécuter enfin les engagements qu'ils avaient
contractés envers les Belges. L'hiver, qui s'avançait à grands pas, allait
doubler les difficultés des mesures militaires à prendre contre la Hollande. Le
dénouement ne pouvait être différé (Note de bas de page : Papers relative ta the affairs of Belgium, B, 1e
partie, p. 125. La dépêche fut notifiée le 6 Octobre au gouvernement français
et le 8 au gouvernement anglais (Rapport du général Goblet, p. 51). -
Pour que la susceptibilité des autres cours ne fût pas blessée, nos envoyés à
Berlin et à Vienne reçurent l'ordre de déclarer que le roi des Belges. s'était
borné à demander le concours de l'Angleterre et de la France, parce que l'époque
avancée de l'année et l'urgence d'une solution immédiate, jointes à la distance
où l'on se trouvait de St-Pétersbourg, de Berlin et
de Vienne, ne lui avaient pas permis d'entamer à ce sujet des négociations avec
les Cours du Nord. M. Van de Weyer fut chargé de faire une notification
analogue à la Conférence
de Londres (Rapport précité du général Goblet, p. 54 et suiv.). Le 22 Octobre 1832, l'Angleterre et la France conclurent une
convention destinée à régler le mode de leur intervention dans le différend
hollando-belge. Il fut convenu que les gouvernements de Bruxelles et de La Haye
seraient sommés d'effectuer, à la date du 12 Novembre, l'évacuation réciproque
des territoires qui ne leur appartenaient pas aux termes des vingt-quatre
articles. En cas de refus du roi des Pays-Bas, l'embargo serait mis sur les
navires hollandais et une flotte anglo-française se rendrait sur les côtes de
Hollande ; de plus, si des troupes hollandaises se trouvaient encore sur le
territoire belge à la date du 15 Novembre, une armée française entrerait en
Belgique, pourvu que le roi des Belges en exprimât préalablement le désir.
Cette armée expulserait les troupes hollandaises de la citadelle d'Anvers et
des forts de l'Escaut ; mais elle n'occuperait aucune des places fortes de la Belgique et se retirerait
aussitôt que le but de l'expédition serait atteint.
Ces mesures étaient indiquées comme un commencement
d'exécution du traité du 15 Novembre.
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