Accueil
Séances
plénières
Tables
des matières
Biographies
Livres
numérisés
Bibliographie
et liens
Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
Chapitre
précédent Retour à la table des matières Chapitre suivant
C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
IV. Les Intrigues orangistes. Mémoire anonyme adressé à Van Haelen, en
faveur du prince d'Orange.
(page 323) Le calme, l'ordre, la
sécurité étaient à peine rétablis, que les parasites, les caméléons politiques,
les ambitieux et les traîtres reprirent les voies souterraines de l'intrigue et
de l'hypocrisie.
Dès
le lendemain de mon retour à Bruxelles (11 octobre), un de mes meilleurs amis,
patriote dévoué et clairvoyant, vint me dévoiler des intrigues orangistes,
ourdies sur un large plan. Grâce à son zèle (page 324) et à sa fortune
qui lui permettait de faire des largesses, il suivait, pied à pied, les progrès
de l'intrigue. Il revint plusieurs fois m'avertir. Enfin, le 14 octobre, il
vint, le journal (Courrier des Pays-Bas) à la main, me dire : « Voilà la
démonstration de tout ce que je vous ai dit et prédit depuis trois jours. »
Ce
journal contenait, sous la rubrique : Bruxelles, 13 octobre, un Mémoire anonyme
sur l'état actuel de la Belgique, adressé au général Van Haelen, suivi
de la réponse de celui-ci.
Le
nom de Van Haelen fut, pour moi comme pour mon ami, une révélation, une
démonstration.
Ce
mémoire anonyme, adressé à Van Haelen, patronné par lui, contenait une
proposition formelle, une provocation directe au rappel du prince d'Orange ou
de son fils aîné, comme seule et unique solution possible et honorable de notre
révolution.
Ce
mémoire anonyme qui a été répandu avec profusion dans tout le pays, est un
long, très adroit et très spécieux plaidoyer en faveur de la restauration du
trône des Nassau.
Pour
s'en convaincre, il suffit de le lire dans son ensemble. Je regrette que son
étendue ne me permette pas de le reproduire ; je m'arrête à quelques phrases :
« Je
vous ai demandé (c'est à Van Haelen qu'il s'adresse) la permission de vous
exprimer ma pensée toute entière ; j'ai pris l'engagement d'être franc ; je le
serai. Le prince qu'il vous faut, celui dont l'élection aplanirait
toutes les difficultés, c'est à mon avis, ou le prince d'Orange ou
l'aîné de ses fils.
« Les
Cours étrangères donneront infailliblement leur approbation à un choix de cette
nature. Le prince d'Orange s'engagera solennellement à s'interdire même
l'apparence de la plus légère réaction, et à maintenir les récompenses qui auront
été décernées aux défenseurs de nos libertés...
« De tous les candidats qui peuvent être proposés, le prince
d'Orange est celui dont le choix assurera un prompt retour à la
tranquillité publique...
« Le
commerce est dans la plus désolante stagnation... une effrayante émigration a
fait de cette capitale une morne solitude... enfin une sorte de consomption
mine la Belgique...
« Parmi
les chefs actuels de la Belgique, plusieurs ,je le sais, le plus grand nombre, peut-être,
sont sincèrement portés pour le Prince. Qu'ils se déclarent, qu'ils
plaident eux-mêmes cette cause... à leurs voix,. unissez votre voix ; à leurs
efforts, joignez toute l'influence de votre crédit ; que, par le concours de
vos soins, la Belgique soit confiée au père ou au fils. Alors les suffrages de
la nation et ceux de la politique européenne cimenteront l'édifice dont vous
aurez posé les bases, et vous-mêmes, et tous les membres du Gouvernement
provisoire, auront mérité à jamais le titre glorieux de Sauveurs de la Patrie.
»
En combinant ces citations
avec l'ensemble du mémoire anonyme il est impossible d'en méconnaître le
sens, l'intention et le but.
Juan
Van Haelen, à qui il est adressé, le patronne et l'appuie ! (page 325)
Personne n'a été dupe de cette comédie et tous le monde l'a appréciée à sa
juste valeur en lui donnant le nom qu'elle méritait : Trahison !
Conspiration !
On a été profondément affligé de l'hospitalité que Le Courrier des
Pays-Bas a donné à cette œuvre de trahison, de conspiration. Ce
journal, autrefois si patriotique, si révolutionnaire, si profondément ennemi
des Nassau, non seulement a donné une déplorable publicité à cette odieuse et
audacieuse tentative de restauration : mais il a eu l'inconcevable imprudence
de l'appuyer de son approbation ! Il fait précéder cette déplorable
publication de quelques lignes dans lesquelles on a été très tenté de
reconnaître la complicité de la rédaction du Courrier. Il dit en effet,
en parlant de ce document : « Il résume, en termes très clairs, une opinion
qui commence à réunir beaucoup de suffrages ! » « La note, dit-il, que
le général Van Haelen y a jointe, est un document précieux et qui
contient des mesures d'exécution et de précaution sagement calculées. »
Il termine sa note approbative par ces mots : « J'embrasse un bon
avis, de quelque part qu'il vienne. »
Le
désir, l'intention de séduire et de réunir un grand nombre d'adhérents à la
conspiration anonyme, ressortent, à toute évidence, du rapprochement des
mots : « commence à réunir beaucoup de suffrages » et de ceux-ci
« document précieux : qui contient des mesures d'exécution», c'est-à-dire qu'on
est si certain du succès qu'on s'occupe des moyens d'exécution.
Je
suis loin de dire que Le Courrier a trahi ; mais sa publication du
mémoire anonyme, de la note de Van Haelen et le commentaire du journal
étaient bien certainement de nature à le faire soupçonner de complicité dans
les projets si patents de contre-révolution et de restauration des Nassau.
Des
journaux de Liége tournaient aussi à l'orangisme. D'excellents patriotes qui
avaient montré le plus d'ardeur au commencement de la Révolution, se laissaient
aller au découragement, à l'hésitation en présence des promesses fallacieuses
autant que séduisantes que faisaient miroiter les agents du prince d'Orange.
Les prisonniers revenus d'Anvers par la fraternelle et bienveillante
protection du prince d'Orange, avaient été séduits par ses procédés gracieux et
chevaleresques ; d'ennemis à outrance du père, ils étaient devenus les amis,
les partisans du Prince, les défenseurs de ses droits qu'ils prétendaient
n'avoir, en aucune façon, été compromis par les crimes du père et du frère,
incendiaire et assassin de Bruxelles.
(page
326) Ils étaient incapables de conspirer pour le Prince, bien moins encore
de trahir la Révolution. Ils étaient de bonne foi, dupes ou victimes du noble
et généreux sentiment de la reconnaissance ; mais ils pouvaient, par cela même,
faire une propagande d'autant plus dangereuse qu'elle était désintéressée et
respectable dans leur for intérieur.
J'appelai l'attention de mes collègues sur le Mémoire anonyme, sur
le patronage de Van Haelen et du Courrier.
Rogier
n'y vit que l'expression d'une opinion très hardie, un abus de la presse qu'il
fallait souffrir pour éviter d'être accusé de ne pas la respecter plus que ne
faisait l'ancien gouvernement.
De
Potter, qui, autant que moi, se défiait de Van Haelen, y voyait une tentative
de conspiration ou au moins de réhabilitation du prince d'Orange. Il n'en
voulait pas faire un délit de presse, mais l'objet d'une instruction
administrative très sévère.
Van
de Weyer y voyait une intrigue plus criminelle dans l'intention que dangereuse
dans ses résultats probables. Comme nous, il suspectait Van Haelen de beaucoup
d'ambition contrariée, de peu de stabilité dans les idées et d'absence complète
de conviction. « Recommandons à la surveillance de M. Plaisant les démarches de
Van Haelen » dit-il.
Van
de Weyer, De Potter et moi, nous eûmes une entrevue, en l'absence de Rogier,
non parce que nous étions en défiance, mais parce que nous voulions nous
édifier et nous expliquer franchement et complètement sur le compte de Van
Haelen, sans blesser Rogier, qui était son ami et son historiographe.