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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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A. LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION.

 

XVI. Formation de la Commission de Sûreté.

 

(page 250) A 9 heures, j'étais à l'hôtel de ville, où les sentiments les plus contradictoires se produisaient, avec animation, avec colère, avec douleur ; il y avait peu, très peu de découragements. Il y avait unanimité de blâmes, de colères, d'invectives contre la fuite, la trahison de nos députés.

« Ils méritent vos mépris, vos imprécations, leur dis-je, leur conduite mérite vengeance, sans doute ; mais la meilleure manière de nous venger c'est de leur prouver que nous n'avons pas besoin d'eux ; le peuple s'était habitué à l'idée qu'ils se chargeraient de tout diriger, de tout faire. Cette idée doit être remplacée par une autre : voici ce qui remplacera facilement une autorité qui n'a rien fait, qui ne s'est révélée que par sa désertion. »

Van de Weyer et moi, nous avons conçu le projet de la création d'une autorité qui, sous le nom de Commission de Sûreté, continuera la révolution. Je crois les commentaires inutiles et peut-être imprudents. Approuvez-vous ? » - « Oui ! oui ! » - « Eh bien, convoquez tous les bons patriotes, tous les chefs de sections, à une assemblée à 6 heures à l'hôtel de ville. »

A onze heures, Van de Weyer et moi, nous allâmes chez le gouverneur qui nous reçut très gracieusement, il approuva, sans hésiter, notre projet.

M. Faider père, qui aimait à faire du zèle, mais dont l'esprit n'égala jamais le zèle, se permit une observation aussi maladroite que malveillante. Nous la repoussâmes avec autant de mépris que de vigueur. Elle fut blâmée par le gouverneur lui-même qui avait reçu une rude leçon le 26 du mois d'août : il comprenait l'opportunité de ne pas se faire de nouveaux ennemis (Note de bas de page : M. Faider, qui avait montré beaucoup de zèle au quartier-général du prince Frédéric, fut le premier fonctionnaire qui, après sa défaite, vint féliciter chaudement le Gouvernement provisoire, entrainé, sans doute, par l'enthousiasme qu'excita la victoire. (Note de Gendebien.))

La réunion convoquée à l'hôtel de ville, très nombreuse, fut présidée par M. Vanderlinden d'Hooghvorst, commandant de la garde. Van de Weyer, son interprète habituel, exposa le but de la convocation : « Vous êtes appelés à élire seize candidats parmi les notables de Bruxelles, dignes de votre confiance et à la hauteur des événements.

Parmi ces candidats, le conseil de régence en choisira huit pour constituer un comité de salut public chargé spécialement de veiller à l'exécution des promesses du prince d'Orange et de la convention (page 251) du 3 de ce mois qui maintient la dynastie et consacre la séparation du Nord et du Midi.        ­

Dans ce but, voici le mandat que vous êtes appelés à donner à la Commission de Sûreté : 1°) veiller au maintien de la dynastie ; 2°) assurer le maintien du principe de la séparation du Nord et du Midi ; 3°) veiller aux intérêts commerciaux et industriels par tous les moyens possibles.

Vous reconnaîtrez sans doute, Messieurs, l'urgente nécessité de procéder, sans désemparer, à l'accomplissement d'une œuvre qui assurera la tranquillité publique et le succès de la révolution. »

L'urgence est proclamée à une immense majorité et avec une animation qui prouvait que la confiance et la résolution n'avaient pas été ébranlées par la désertion de nos députés.

On nous objecta :

« Où sont vos soldats, vos généraux, vos munitions, vos forteresses, vos finances, etc., etc. »

On répondit : « C'est une redite inutile, on nous a rabâché tout cela hier, dans l'espoir de nous intimider, de nous décourager, on n'a pas réussi. Trente-six heures de réflexion nous ont fait comprendre et apprécier notre véritable situation : Si nous voulions conquérir la Hollande demain, nous ne serions pas seulement téméraires, nous serions absurdes et ridicules ; mais il s'agit de nous défendre à Bruxelles. Nous avons tout ce qu'il faut pour repousser l'ennemi. Le jour où il nous attaquera, vingt mille volontaires viendront écraser l'ennemi ».

D'autres soutinrent que les représentants de la Belgique étant rentrés dans l'ordre légal, il y avait nécessité pour nous d'y rentrer aussi.

On leur répondit que nos députés ayant spontanément, librement et consciencieusement prononcé et proclamé la séparation, l'ordre légal pour eux, comme pour nous, était de maintenir le statu quo, jusqu'au règlement définitif de la séparation.

La nomination d'une Commission de Sûreté a pour but le maintien du statu quo, elle est parfaitement dans l'ordre légal, puisque son premier article garantit la dynastie.

L'assemblée cria d'une voix unanime : « Votons, votons ».

La Commission de Sûreté fut votée par acclamations.

On procéda à la nomination des seize candidats à présenter à la Régence.

Ils furent nommés au scrutin, dans l'ordre suivant :

MM. Gendebien, avocat, Rouppe, ancien maire de Bruxelles, comte Félix de Mérode, baron Joseph Vanderlinden d'Hooghvorst, (page 252) marquis de Chasteleer, Frédéric de Sécus, duc d'Ursel, prince de Ligne, Ferdinand Meeus, banquier, S. Van de Weyer, avocat, Ph. Lesbrous­sart, professeur à l'Athénée, duc d'Arenberg, J.-F. Claes, avocat, Fortamps aîné, négociant, Spinnael, avocat.

La séance s'étant prolongée jusque vers 11 heures du soir, cette liste fut transmise le lendemain matin au Conseil de Régence, qui choisit les huit membres formant la Commission' de Sûreté :

MM. Rouppe, ancien maire de Bruxelles, duc d'Ursel, Gendebien, avocat, prince de Ligne, Frédéric de Sécus, S. Van de Weyer, avocat, comte Félix de Mérode, Ferdinand Meeus, banquier.

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