Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et liens Note d’intention
« Aperçus de la part que j’ai
prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien
(1866-1867)
Chapitre précédent Retour à la table des matières Chapitre suivant
A. LES PRODROMES DE
I. Le procès Claes et la
lettre au Belge
(page 198) La
légitimité de
La part que j'y ai prise a été loyale et
désintéressée, mes contemporains l'ont reconnu et m'ont rendu justice sur ce
point. Ce n'est pas pour eux que j'écris, mais pour l'avenir, toujours oublieux
et souvent ingrat. .
J'étais fatalement prédestiné à jouer un rôle dans
Défenseur de De Potter, puis
de Claes, de Louvain, j'avais énergiquement développé les griefs des Belges,
repoussé les accusations d'ingratitude, les calomnies qu'on leur adressait. En cassation,
j'avais forcé le premier magistrat à quitter son siège, par une courageuse et
énergique récusation.
J'avais forcé les juges à acquitter Claes qu'ils
avaient mission de condamner et dont la condamnation paraissait inévitable ; -
elle eût été fatalement prononcée, si les séides de Van Maanen
n'avaient été profondément troublés et déconcertés par l'audace de la manœuvre.
(Note de bas de
page : M Claes, avocat, un des rédacteurs du Courrier les plus spirituels,
les plus incisifs fit une vigoureuse protestation contre la procédure et la
condamnation de De Potter, Tielemans, Bartels, etc. Il fut jeté en prison, les rigueurs d’un long
et arbitraire secret, le zèle outré, l’acharnement inusité de l’instruction,
les injures, les calomnies de la presse officieuse et officielle, la
composition de la cour qui devait le juger, c’est-à-dire condamner (c’étaient
les juges, moins un, qui avaient condamné De Potter) tout démontrait une
condamnation certaine, inévitable.
Réunis en conseil, Van Meenen, Nothomb et moi,
défenseurs de Claes, pour aviser sur les moyens de sa défense, je proposait un moyen audacieux de sauver Claes de l’exil.
Je proposai de faire publier toutes les pièces du procès,
c’est-à-dire tous les documents saisis chez Claes, de les accompagner de
quelques commentaires ; puis renoncer à se défendre ; d’écrire à
chacun de ses défenseurs lesquels, de leur côté, approuveraient par lettre, la
résolution de l'accusé. Le tout serait imprimé dans les journaux 48 et 24
heures avant l'ouverture des débats.
Après quelques hésitations, ma proposition fut adoptée
par Van Meenen et Nothomb, puis ratifiée par M. Claes ; en conséquence celui-ci
écrivit à chacun de ses défenseurs une lettre par laquelle il leur annonçait
qu’il avait écrit au Président de
Les lettres de Claes (au Président et à ses défenseurs)
parurent dans le Courrier du 6 mai, sous la date du 7 ; c’est-à-dire
l’avant-veille de l’ouverture des assises. Les réponses de ses défenseurs
parurent dans le Courrier du 7 mai, au soir, sous la date du 8, c’est-à-dire la
veille de l’ouverture des débats.
Ces publications d’ailleurs, très
énergiques, firent un effet prodigieux qu’on ne manqua pas de colporter chez
les juges et chez leurs amis, lesquels, effrayés de l’émotion générale et de
ses suites, devinrent d’ardents solliciteurs. Les juges de Claes qui déjà
étaient sous le coup de la réprobation générale, pour l’arrêt inique qu’ils
avaient prononcé contre De Potter et Tielemans, ne se sentirent pas la force
d’affronter une fois de plus, l’indignation générale. L’audacieuse manœuvre
réussit. Claes fut acquitté. (Note de Gendebien.))
(page 199) L'attitude
énergique autant que résignée de De Potter, Tielemans
et de leurs coaccusés, achevait d'électriser l'élément révolutionnaire.
Il eût, dès lors, débordé,
si nous n'avions eu la prudence et l'énergie qui savent attendre.
Non seulement des patriotes exaltés, mais des
personnages calmes, par caractère et par position, voulaient engager
immédiatement l'action ; des familles opulentes, riches de plusieurs millions,
m'offraient de faire le sacrifice de la moitié de leur fortune, si je voulais
commencer la révolution et en prendre la direction suprême.
La veille du départ des
proscrits, je passai toute la soirée aux Petits Carmes, avec De Potter et
Tielemans.
Pendant trois heures, le
futur contingent des révolutions, et spécialement de
Nous pensions qu'elle commencerait d'abord en Prusse,
que nous devions nous y associer immédiatement ; qu'elle ne tarderait pas à se
propager en France.
Ils insistèrent vivement et
finirent par me persuader que je devais nécessairement en prendre la direction.
Ce qu'ils disaient, pour me
convaincre était trop flatteur pour moi, je m'abstiens de le dire. .
Je reçus de nombreuses
lettres, les unes signées, les autres anonymes, qui m'engageaient, qui me
sommaient de commencer le branlebas (c'était
le mot consacré) de me mettre à la tête du mouvement, d'accepter la dictature
qui me serait offerte et au besoin imposée.
Enfin ma prédestination parut s'accomplir ; au
théâtre de
J'allai prendre ma place au
parquet (les stalles de cette époque).
J'entendis à ma droite ces
mots : « C'est très bien de parler, mais il faut savoir agir lorsque le moment
est venu. » Je me doutai que cela s'adressait à moi, mais je restai impassible.
Un second se leva et dit « Oui, oui, Monsieur Gendebien, c'est à vous que cela
s'adresse. »
Je sortis de la salle, 25 à
30 personnes firent de même. Nous nous rencontrâmes près de l'escalier où le
colloque suivant s'établit.
« Oui, oui, Monsieur
Gendebien, le moment d'agir est venu ; nous attendons le signal, nous comptons
sur vous ».
« Je crois comme vous que le moment d'agir
approche ; mais fidèle à la consigne, je dois m'abstenir ; après plusieurs
conférences il a été, contre mon avis, reconnu et décidé qu'il fallait attendre
et préparer le mouvement, avant de donner le signal. Je me conforme à la
décision de la majorité et je pars demain pour remplir la mission qui m'est
dévolue. »
Après quelques pourparlers, on me dit : « Si vous
persistez à refuser votre coopération, nous agirons sans vous. » « -
Vous êtes parfaitement libres ; je ne demande pas mieux que d'être dispensé
d'agir et d'être dégagé de la responsabilité des événements qui peuvent devenir
funestes par trop de précipitation, et à défaut d'ensemble. »
Sur ce, nous nous séparâmes.
Ce colloque prouvait, à lui
seul, que la révolution était proche et que j'étais dans le vrai, lorsque je
l'affirmais et que je demandais d'arrêter un plan pour éviter qu'elle s'égarât
faute de direction.
Plusieurs conférences avaient eu lieu, depuis la
révolution de juillet et plus particulièrement les 12, 13 et 15 août.
J'insistai avec mon ami Van de Weyer, sur la nécessité d'arrêter un plan de
direction, le plus grand nombre niait que la révolution fût mûre ; ils
appuyaient leur opinion sur l'enthousiasme qui avait accueilli le roi Guillaume
lors de sa visite à l'exposition.
Il en est même qui proposaient d'attendre l'arrivée de
la famille royale à Bruxelles, pour la session de
(page 201) Cette
proposition fut facilement, énergiquement combattue. On arrêta par forme de
transaction, qu'une réunion aurait lieu le 15 septembre, qu'en attendant des
missionnaires se rendraient en Allemagne, en Hollande, en Angleterre et en
France.
Cet ajournement fut probablement le résultat de
communications de patriotes et d'autres agents français qui affirmaient que
Charles X l'avait fort négligée, la transformation de
l'artillerie avait commencé par la destruction de l'ancienne, la nouvelle était
à peine ébauchée.
M. D. ancien secrétaire de M. le comte de Celles et administrateur
d'un des domaines de la famille d'Orléans, me fut dépêché pour m'engager à
prendre la direction suprême de la révolution et d'en retarder l'explosion,
jusqu'à ce que
Il me révéla la situation
déplorable de l'armée et la nécessité d'attendre pendant trois mois au moins,
sa réorganisation qui serait encore
fort incomplète.
Je lui répondis en substance :
« La révolution est inévitable, imminente ; tout le
monde est puissant pour la faire éclater, personne n'est assez puissant pour l'arrêter.
Si l'élément militaire ne peut nous défendre,
l'énergie, les sympathies du peuple français le remplaceront, elles feront, en
nous défendant, une propagande qui, bien mieux que l'armée, encouragera les
provinces Rhénanes et toute l'Allemagne à imiter notre exemple et celui de
Le samedi, 21 du mois d'août, je quitttai
Bruxelles pour remplir, en France, la mission qui m'était dévolue.
Avant de partir, je remis au rédacteur du journal « Le
Belge, ami du Roi et de la patrie», une réponse aux insolentes provocations
du « National », feuille ministérielle dirigée par Libri
Bagnano, forçat libéré, honoré de l'estime du roi
Guillaume et richement salarié par lui.
Cette lettre était un véritable ultimatum qui devait
être publié au moment où M. Levae le jugerait
opportun.
Voici
le brûlot :
« Mons, le 18 août 1830.
« Mon cher ami,
« Je n'ai pas été surpris du résultat de l'impudente
provocation du ministère et de
(page 202 )
« Je craignais des combats plus longs, et je croyais à la nécessité e
sacrifices plus grands pour la conquête des droits imprescriptibles en
principes, mais toujours contestés et disputés en fait, par ceux-là mêmes qui
n'ont été élus que pour mieux en assurer la possession.
« Quelle leçon pour
tous les soi-disant grands de la terre ! Puissent-ils se rappeler qu'ils ne sont
que des hommes et qu'on ne les a mis au-dessus des autres hommes que pour le
bonheur de tous. Puissent-ils s'apercevoir qu'ils ne forment que la plus
infiniment petite minorité ; que si la majorité croit à l'utilité de se
soumettre à la minorité, pour la conservation de son repos, la minorité ne peut
se maintenir dans la glorieuse position, où les théories l'ont placée, que pour
autant qu'elle respecte ,ces théories, et qu'elle
réalise les compensations et les espérances mêmes qui s'y rattachent.
« Mes opinions sont peut-être erronées, mais
elles sont de bonne foi.
« Je crois à l'éducation des peuples comme à
celle des individus ; et pourquoi la masse qui se compose des individus, ne
pourrait-elle pas s'améliorer comme les individus eux-mêmes qui composent cette
masse ?
« II se forme, chez tous les peuples, une morale
publique qui, dégagée de tous les mystères, de tous les sophismes de
l'ignorance, de l'ambition et de l'égoïsme suffira à toutes les nécessités
sociales. Je vous l'ai dit souvent, l'éducation des peuples se forme, ils
commencent à se comprendre, ils apprennent à s'estimer, à se compter, à
s'évaluer. Malheur à qui leur fera sentir la nécessité de s'entr'aider,
de se secourir, de former, en un mot, une alliance universelle ; celle-là sera
une véritable sainte Alliance ! et qui en aura
donné l'idée ? L'imprudent pacte de la minorité ; l'aveugle et stupide
ingratitude des chefs de la coalition de 1813, qui serait tombée dans le néant
de sa minorité, si la majorité n'avait levé les bras. Cet élan patriotique de
1813 est encore une grande leçon donnée aux puissants. En ont-ils profité ?
Non, ils n'en sont pas capables ! Au lieu de marcher vers l'état de perfection
légale et naturelle, qui était le but et le motif des généreux sacrifices de la
majorité, ils ont tourné contre elle les armes qu'elle leur avait si
généreusement remises en mains. Plus sages, ils auraient calculé les chances d'un
nouveau réveil ; plus sages, ils auraient prévu la possibilité d'une commotion
politique et le retour d'une émotion patriotique ; plus sages, ils se seraient
convaincus que la majorité, justement indignée de l'ingratitude de la minorité,
pourrait encore lever les bras, non pour soutenir la minorité sur ses pavois, mais
pour conquérir, sans elle et contre elle, les droits si chèrement payés du sang
le plus généreux.
« C'est dans cet état d'imprévoyance d'une part,
de contrainte, de malaise et d'irritation toute rationnelle de l'autre, que la
commotion la plus extraordinaire vient ébranler l'Europe et frapper tous les
esprits.
« Que fera l'Europe ? se demande-t-on de toute part.
« Quel parti prendra le sacré collège de
« L'Europe admire
aujourd'hui, elle imitera peut-être demain, si on ne se hâte de réparer les
injustices et de donner des garanties pour l'avenir.
«
« Le traité de Pilnitz est devenu impossible ; il serait d'ailleurs
impuissant dans ses résultats.
« L'Angleterre est
obérée, son influence continentale se neutralise tous les jours ; son budget
deviendra bientôt insuffisant pour conserver sa prépondérance maritime ; ses
hommes d'état sont assez stupides pour ne pas s'en apercevoir, l'Europe le
reconnaîtra bientôt ; et
« Les puissances européennes ne sont point, au
surplus, dans la position où elles étaient en 1792.
(page 203) « L'Autriche
a l'Italie sur les bras et des frontières à garder.
«
« Avant six mois le Piémont, l'Espagne et le
Portugal, auront secoué le joug honteux et barbare qui les flétrit. S'ils
tirent l'épée ce ne sera point contre les glorieux enfants de la terre
miraculeuse.
« Dans cet état de choses, peut-il y avoir de
doute sur le parti à prendre par le gouvernement des Pays-Bas ?
« Reconnaître le gouvernement de France est pour
lui une condition d'existence. Exécuter franchement la loi fondamentale est une
nécessité. Changer le ministère est le seul moyen de donner aux Belges une
garantie pour l'avenir. Réparer toutes les injustices commises envers eux, établir
une juste répartition entre le Nord et le Midi pour les établissements de
« Ils veulent, sous le
rapport des établissements publics, des fonctions de l'Etat, la même base de
répartition.
« Ils veulent liberté complète de langage et
d'instruction ; ils demandent l'abrogation de toutes les lois, décrets,
règlements, arrêtés qui sont incompatibles avec le régime constitutionnel
établi en droit depuis 15 ans, mais peu exécuté en fait.
« Ils demandent une organisation judiciaire en
rapport avec les intérêts des justiciables, et non pas des sinécures, de
véritables canonicats pour les provinces du Nord, tandis qu'on refuse à celles
du Midi le personnel rigoureusement nécessaire pour satisfaire aux besoins des
justiciables.
« Ils demandent que
justice prompte et complète soit rendue aux braves officiers belges. Ils
veulent, en un mot, égalité de droits, et liberté. n
tout et pour tous.
« Ils ne veulent être ni colonie de
« Les Belges sont
convaincus que, réunis aujourd'hui à ce royaume, ils partageraient, comme
autrefois, les destinées de
« Le gouvernement n'a donc qu'un seul parti à
prendre, un seul moyen de faire oublier le passé et de rassurer pour l'avenir,
c'est de donner aux Belges des garanties, garanties qu'ils trouveront dans une
représentation proportionnée à leur population ; c'est en faisant jouir le
royaume entier des avantages que
Ce document est incomplet ; le rédacteur du « Belge
», qui en avait reçu l'autorisation, en retrancha tout ce qui était trop
significatif et compromettant.
(page 204) Il ne
produisit pas moins une grande émotion ; par son texte et par la double
coïncidence du changement du titre du journal : « Le Belge » tout court,
et par son apparition quelques heures avant la représentation de «