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« Révolution belge de 1828 à
1839. Souvenirs personnels », par Louis DE POTTER (Bruxelles, Meline, Cans et compagnie, 1839)
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Motifs et but de cet écrit. - Sa
forme. - Sa date.
(page 3) L'estime des hommes
est, à mes yeux, un des premiers biens de la vie. Je n'ai jamais rien négligé
pour l'obtenir.
Mais il est un bien plus précieux encore ; c'est de jouir de sa propre
estime en méritant celle des autres. Et pour s'assurer ce bien-là, il faut
quelquefois s'exposer à perdre, pour un temps plus ou moins long, la faveur que
les hommes n'accordent pas toujours à droit
et qu'ils prostituent souvent à tort.
Ma conscience me dit que, des que j'ai pu vivre pour mes concitoyens, je
leur ai consacré tous mes vœux, tous mes moyens, tous mes efforts.
Cependant, j'ai plus d'une fois encouru leur blâme, leurs reproches, je
dirais presque leur haine.
Je n'en ai pas moins persévéré dans la seule voie que je crusse bonne :
je me suis résigne et j'ai attendu.
(page 4) Maintenant que les
passions se calment, et que les événements qui se pressent si rapidement
permettent de traiter dès a présent, comme un point d'histoire, une révolution
dont, il y a dix ans, nous ne supposions pas même la possibilité, je crois le
moment venu pour moi de redemander à mes concitoyens leur approbation de fait, sur laquelle, me
semble-t-il, j'ai toujours conservé le
droit de pouvoir compter tôt ou tard.
Je le fais en leur adressant ces souvenirs.
Ils sont extraits textuellement d'un écrit philosophique que je rédige
pour l'instruction de mes enfants, espèce de testament intellectuel et moral,
dont ceux-ci feront après ma mort tel usage qu'ils jugeront convenable, et où
le récit des principales circonstances de ma vie forme un chapitre.
La présente publication est motivée par les injustices auxquelles j'ai
été en butte : si la calomnie autorise à se justifier, personne plus que moi
n'a le droit de développer ses idées et d'expliquer sa conduite.
Cette publication est inspirée par le sentiment dont j'ai parlé plus
haut, celui qui me porte à ambitionner l'estime de mes
semblables, tout en me sentant la force d'affronter leur colère et de soutenir
leur mépris.
C'est aussi ma seule ambition, celle de me conserver (page 5) pur de toutes vues personnelles
et de toute intrigue, de mettre mes convictions d'accord avec ma raison et de
chercher toujours à être conséquent avec les principes que je professe, d'être,
en un mot, tout d'une pièce, n'étant pour moi que des moyens de satisfaire
cette ambition-là.
Quant à l'ambition vulgaire, il fallait des adeptes dans l'art utile de
parvenir pour me soupçonner d'une honteuse concurrence. Les pages qui suivent
n'ont d'autre but que de mettre au grand jour le ridicule de leurs accusations.
Loin de courir après le scandale des personnalités, j'éviterai, au
contraire, le plus possible, de nommer les hommes que je me vois forcé de
mettre en scène. Il en est cependant quelques-uns dont les relations avec moi,
ainsi que la part qu'ils ont prise aux événements que je rapporte, sont trop
notoirement publiques pour qu'il n'y eût pas de la niaiserie à affecter de
taire leurs noms. Ceux-là donc, et les gens tant du pouvoir passé que du
pouvoir actuel, figurent dans cet écrit en toutes lettres. Puisqu'ils se sont
eux-mêmes adjugé les principaux rôles, il m'était impossible de les confondre
dans la foule des personnages muets.
Du reste, je ne juge pas les intentions, qui, jusqu'à preuve du
contraire, doivent toujours être supposées (page 6) droites. M. Gendebien, et pour cela on n'en saurait douter, ne voulait, en se débarrassant de moi, que protéger la
Belgique, dont il croyait que mon ambition supposée menaçait la liberté future.
N'est-il pas également possible que, de leur côté, MM. Rogier et Van de Weyer,
voyant en moi l'ennemi des dignités solides et des honneurs positifs, se soient
soumis au devoir de me perdre pour sauver la royauté, dont toute grâce, toute
faveur, tout éclat fécond émanent, et sans laquelle, comme chacun sait, il ne
pouvait plus y avoir de Belgique ? que M. de Mérode, lui, conservateur-né de
l'aristocratie de cour et de la religion de sacristie, ait cru essentiel au
repos de sa conscience de me mettre hors d'état de nuire à ces curiosités de
l'ancien régime ? et que M. Plaisant ait fait dépendre la tranquillité et la
sûreté de l'État de l'acte de l'un ou l'autre de ses agents qui m'aurait
assommé ou pendu ? Je ne parle ici que des sommités révolutionnaires ; la
tourbe nécessairement innocente de ceux qu'ils ont, alors et depuis, entraînés
dans leur orbite, est incontestablement et toujours bien intentionnée. Je ne
m'occupe à sonder, comme on s'exprime, ni les cœurs ni les reins. Je constate
des faits, voilà tout ; et lorsque je me trouve mêlé à ces faits, j'expose
d'après quelles idées j'ai agi. Que chacun en fasse autant.
(page 7) Somme toute et
finalement, je n'ai pas plus voulu me vanter moi-même que déprécier les autres.
De graves erreurs, des fautes irréparables ont été commises ; je suis prêt à en
assumer ma part de responsabilité : mais que du moins ce soit ma part réelle, et
non celle qui m'a été si largement faite par mes amis, écrasés sous le
poids de la leur. Dans ce siècle, si exclusivement voué au culte de l'examen,
et du raisonnement, où l'égoïsme, devenu seul logique, se montre partout avec
ostentation et toujours, aux applaudissements des claqueurs, je crois que,
modestie à part, il doit m'être permis de redire à mes concitoyens, de peur que
d'autres ne le leur fassent oublier, que je n'ai, moi, rien considéré, rien
calculé, et de leur prouver au besoin, par tous les événements où nous nous
sommes trouvés en contact, que, guidé par le sentiment de mon devoir envers
eux, j'ai naturellement, au milieu d'une génération de sages, paru jouer le
rôle d'un sot. Je tiens fortement, et cela seul devrait suffire pour qu'on ne
me la contestât plus, à la réputation que je revendique : j'y tiens pour le
moins autant que les spéculateurs-agioteurs les plus retors tiennent à celle de
grouper les chiffres de la fortune publique, de manière qu'il en résulte
indéfiniment un accroissement notable de leur fortune privée.
(page 8) J'ai dit que je constatais
des faits. Je terminerai cette introduction par celui qui les résume tous.
Sans trop rechercher ni me rendre compte pourquoi je le faisais, et
surtout sans m'occuper le moins du monde de la question de savoir où cela me
mènerait, j'ai pris le devoir au sérieux ; j'y ai consacré ma vie. Ai-je eu
raison ? ai-je eu tort ? Ce n'est pas à moi, mais à mes juges à prononcer
l'arrêt que leur dictera leur conscience.
II me suffit de savoir bien positivement d'où je suis parti et où je suis
arrivé. Toujours convaincu profondément du devoir de me rendre utile aux
autres, et ayant pendant quelques années espéré de pouvoir y parvenir, finalement
usé et, ce qui est triste, inutilement usé à la peine, je meurs dans l'oubli
d'où je n'avais jamais demandé à sortir et où je suis rentré sans regret. C'est
de bien bon cœur que, pendant ma courte carrière politique, j'ai souffert la
prison et affronté l'échafaud : mes concitoyens m'en ont su gré alors, et j'ai
senti que je jouais de bonheur. Mais je ne pouvais pas rester éternellement
sous les verrous et le glaive suspendu sur ma tête. Qu'y a-t-il d'étonnant que
les hommes aient changé avec les choses ? Depuis que, par ma faute ou celle des
circonstances, peu importe, je ne suis plus le même pour mes concitoyens,
serait-il raisonnable de (page 9) prétendre
que mes concitoyens fussent demeurés les mêmes pour moi ?
Je suis, il est vrai, quant à moi, resté intérieurement et, pour ainsi
parler, intentionnellement le même. Mais c'est là une affaire entre moi-même et
moi, une affaire à moi et à moi seul : cela n'est que pour moi et j'en trouve
en moi la récompense. Personne ne me doit rien de ce chef. Aussi ne demandé-je
justice que pour le passé ; et rien que justice, entendez-vous, mes lecteurs ?
Jeté hors de la sphère de la vie active, je vous remets, pour une seule fois,
sous les yeux ma conduite dans les temps d'agitations et de difficultés, afin
que vous l'absolviez des imputations, j'ose le dire, absurdes qu'on a fait peser sur elle.
Avec ce verdict pour viatique,
je quitterai aussi tranquillement la vie que j'ai quitté tout ce qui, aux yeux
du vulgaire, en fait l'éclat et la valeur.
Paris, mai 1838.