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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 3
CHAPITRE
CINQUIEME
Politique du gouvernement belge pour amener la conférence à employer des
mesures propres à faire évacuer le territoire. - Manifeste do la Hollande contre
la conférence, qui décide l'intervention armée. - Ardeur des Belges pour la
guerre. - Cérémonie de la distribution des drapeaux aux communes à Bruxelles. -
Convention entre la France et l'Angleterre. - M. Thorn.
- Embargo et siège d'Anvers. - Représailles maritimes de la part de la
Hollande.
(page 216) L'union
de Léopold avec une princesse de la maison d'Orléans répandit une satisfaction
générale dans toute la Belgique, et produisit les plus importants résultats au
dehors. Ces résultats se montrèrent bientôt dans la conduite du gouvernement
français, et, dans cette circonstance, les sympathies privées de Louis-Philippe
furent d'accord avec les vœux de la nation française et la politique des
grandes puissances.
(page 217) La
position prise par les parties, après les ratifications, fut telle qu'elle
élevait une barrière contre tout progrès diplomatique. L'une, comme nous
l'avons déjà dit, refusait opiniâtrement toute négociation ultérieure jusqu'à
ce que le traité du 9 novembre eût reçu un commencement d'exécution par
l'évacuation du territoire belge ; tandis que l'autre consentait à négocier,
mais à des conditions qui tendaient à détruire le traité dans ses dispositions
capitales. En conséquence, il était évident qu'à moins que l'une ou l'autre ne
pût être amenée à céder, la tâche médiatrice de la conférence devait bientôt
finir.
La situation de la Belgique était cependant si
précaire, et même si inquiétante pour les autres Etats, que les amis de ce
pays, en France et en Angleterre, conseillaient fortement à son gouvernement de
sortir du cercle étroit dans lequel il avait renfermé sa sphère d'action. Mais
quoique ses ministres connussent l'alternative dans laquelle ils étaient placés
et admissent secrètement la nécessité de concessions, toutefois ils s'étaient
trop fortement engagés dans les chambres pour pouvoir se rétracter («
Le gouvernement ne consentira à prendre part à aucune négociation nouvelle, que
lorsque le traité aura reçu un commencement d'exécution dans toutes ses
parties, qui ne sont pas sujettes à contestation, c'est-à-dire, ce
qui est exactement la même chose, qu'avant tout, le territoire belge doit être
évacué. » Discours du ministre des affaires étrangères de Belgique, 12
mai 1832). Pour être conséquents (page
218) avec eux-mêmes, sans s'opposer à la marche des affaires, M. de
Muelenaere et ses collègues se retirèrent le 15 septembre, et furent remplacés
par le général Goblet. Le but avoué de ce dernier, en acceptant le ministère,
était d'ouvrir une négociation directe avec la Hollande, sur les bases du thème
de lord Palmerston, ne différant que peu du traité de novembre (Ce thème ou
projet de traité forme l'annexe B du 69e protocole). Mais son but secret était de changer de position,
c'est-à-dire d'amener le cabinet de La Haye à retirer ses offres de
négociations, et ainsi de jeter l'odieux du délai sur la Hollande et de mettre
la Belgique en position de demander aux cinq puissances l'accomplissement de
tout ou partie de leurs stipulations ; en d'autres termes, de surmonter leurs
répugnances à l'emploi des mesures coercitives contre la Hollande.
Le but de cette tactique ne fut découvert ni
par les Belges, ni par le cabinet hollandais. Aussi ce dernier fut-il la dupe
d'une manœuvre qu'il pouvait facilement tourner contre ses adversaires ; car la
reconnaissance virtuelle de l'indépendance de la Belgique, qui eût résulté
d'une (page 219) négociation directe, n'eût pas entraîné la reconnaissance positive, ni
détruit les principes desquels le roi des Pays-Bas était déterminé à ne pas
dévier, tandis que le statu quo, avec tous ses inconvénients
territoriaux et financiers, aurait pu être continué et les discussions
prolongées jusqu'à une période indéfinie, de telle sorte que les avantages que
la Belgique eût pu retirer des négociations directes auraient été
contrebalancés par les désavantages du retard. Mais les prévisions du général
Goblet se réalisèrent bientôt ; et, pour la première fois, l'adresse des hommes
d'Etat de la Hollande fut mise en défaut par leurs rivaux inexpérimentés ; car
aussitôt que M. Van de Weyer eut reçu des pleins pouvoirs, le cabinet
hollandais se retira, et, le même jour, le 20 décembre, il fit parvenir à la
conférence une note si irritante qu'elle rendait tout rapprochement impossible.
Ce document réclamait, 1° que la conférence signât le traité de séparation, sur
les bases contenues dans les notes des plénipotentiaires néerlandais du 30 juin
et du 25 juillet, c'est-à-dire à des conditions déjà déclarées inadmissibles
par les plénipotentiaires et les Belges. Il déclarait ensuite : « que le roi ne
voulait pas admettre de nouvelles concessions, qu'il déclinait la
responsabilité de toutes les complications qui pourraient résulter d'un délai,
et proclamait hautement qu'il ne consentirait jamais à (page 220) sacrifier les intérêts vitaux de la Hollande, au fantôme
révolutionnaire ; que le peuple libre, aux destinées duquel il était appelé à
présider, confiant dans la Providence, savait comment on résistait à tout ce
que les ennemis de l'ordre public et de l'indépendance des nations oseraient
tenter de prescrire. »
Cette espèce de manifeste, qui semblait destiné
à attaquer les principes et les vues d'une partie de la conférence, et qui fut
ainsi considéré par elle, reçut pour réponse le mémorandum explicatif du
24, dans lequel les plénipotentiaires demandaient une réponse catégorique à
certaines questions, et faisaient entendre que tous les moyens de conciliation
paraissant épuisés, il ne lui restait qu'à recourir à d'autres mesures. Ainsi
le ton que prenait maintenant le cabinet hollandais pouvait suffire pour
éclairer les plus sceptiques. Il était maintenant évident qu'aucune
proposition, quelque équitable qu'elle fût, qu'aucune base d'arrangement,
quoique satisfaisante pour les cinq puissances, qui tendrait à replacer Anvers
sur le même pied qu'Amsterdam et Rotterdam, ou à neutraliser les prétentions
territoriales du roi, ne serait jamais acceptée par lui. L'inutilité de toutes
négociations, à moins qu'elles ne fussent fondées sur des conventions si
favorables à la Hollande qu'elles équivalussent à l'anéantissement de la
Belgique, fut reconnue (page 221)
par tous ceux qui n'étaient pas directement intéressés à empêcher la solution
de la question batavo-belge, question qui avait tenu
l'Europe en suspens depuis deux ans, qui avait détourné les hommes d'Etat de
s'occuper des affaires de leur propre pays, déjoué l'adresse des plus habiles
diplomates, et menacé constamment le repos des nations voisines.
Cependant la question entraînait les plus grandes
difficultés et les plus grands embarras pour les grandes puissances. Elle les
forçait d'imposer un dur sacrifice à la maison de Nassau, dont les intérêts
devaient être en partie immolés au bien-être général. Mais le bien-être
individuel, les rapports de famille ne pèsent guère dans la balance des états.
L'administration du duc de Wellington avait été la première à reconnaître les
principes, par lesquels les peuples de France et de Belgique étaient devenus
les arbitres de leurs dynasties. Ses successeurs et leurs alliés avaient
consacré ce principe en reconnaissant Louis-Philippe et en ratifiant le traité
de novembre, et probablement arrêté, par ce moyen, le torrent de la démocratie,
et maintenu la paix générale.
Cette politique était à la fois prudente,
éclairée et en harmonie avec l'esprit du siècle. On doit observer cependant que
la décision, en ce qui regarde la Belgique, était de nécessité et non (page 222) d'inclination, et que le
choix du roi Léopold fut une préférence politique et non individuelle. Ici
encore on avait agi avec un grand discernement, car pas un prince, en Europe,
ne réunissait à un aussi haut degré les qualités nécessaires.
Mais si la nécessité d'élever Léopold au trône
était imminente, l'urgence de placer promptement le trône au-dessus des
vicissitudes des événements était encore plus impérative.
L'hydre révolutionnaire sommeillait, mais n'était pas détruite ; chaque heure
de retard pouvait éveiller quelques-unes de ses têtes. Les délais énervaient
les amis de l'ordre, encourageaient les partisans de l'anarchie et menaçaient
l'Europe.
Dès le moment où les 18 articles avaient été
admis, Léopold, sur la seule promesse de leur fidèle exécution, avait accepté
le trône de la Belgique, avec la ferme résolution d'affermir le trône et de procurer
à son peuple la plus grande somme de prospérité compatible avec les intérêts de
l'Europe et les justes droits de la Hollande. La révolution de septembre avait
détruit l'édifice élevé à Vienne, et renversé la position de» Belges,
relativement à la France et à l'Europe. Si, pour regagner ce que l'Europe avait
perdu par la force des événements, ou plutôt par l'impolitique et
l'imprévoyance du gouvernement hollandais, on jugeait convenable de reconnaître
le droit d'insurrection, d'abandonner un ancien (page 223)
ami, et d'ériger la partie révoltée de son royaume en une monarchie
indépendante, il était sans aucun doute d'une saine politique de consolider cet
ouvrage, en le plaçant dans une position assurée, et en accordant au peuple des
avantages capables d'intéresser son amour-propre et son bien-être au maintien
de sa jeune nationalité contre l'influence et les empiétements de la France.
L'Angleterre et les puissances du Nord y étaient aussi intéressées que le roi
Léopold lui-même, à moins qu'elles ne voulussent que les travaux. et les sacrifices des principes d'alliances et d'affections
auxquels elles s'étaient résignées, pendant les dix-huit mois qui venaient de
se passer, ne fussent inutiles, et que la barrière de 1831 fût renversée comme
celle de 1815.
Employer de mauvais matériaux à construire une
digue destinée à résister à une soudaine irruption des eaux, et placer un
principe de destruction dans ses fondements, décèle un imprudent architecte.
Cette comparaison était applicable à la Belgique ; car le souverain ne pouvait
espérer ni sécurité ni avenir pour son trône, ou, en d'autres termes, pour le
maintien de la barrière dont il était la pierre angulaire, à moins que ce trône
ne reposât sur une base solide, et à moins que ses sujets ne jouissent, sous
leurs nouvelles institutions, de plus grands avantages que ceux qu'ils
possédaient sous le gouvernement néerlandais ou (page 224)
qu'ils pouvaient espérer obtenir d'une réunion à la France. Pour atteindre à ce
but, des mesures rigoureuses étaient nécessaires, et tout délai dans leur
exécution dangereux. Il serait superflu de s'étendre sur l'urgence des unes et
sur l'impolitique de l'autre. Il était clair que, sans l'emploi des mesures
coercitives, le roi des Pays-Bas ne renoncerait jamais à ses prétentions ni à
son espoir de restauration. On avait employé inutilement les arguments, la
médiation, les avis, les menaces. La question avait été discutée à satiété. Il
n'était pas un point de vue sous lequel elle n'eût été envisagée. Tout ce
qu'une diplomatie sage et impartiale peut faire avait été tenté. Amis et
ennemis avaient été également repoussés. Les conseils fraternels des cours de
St.-Pétersbourg, Berlin et Vienne, n'avaient pas été
plus écoutés que les plus vives remontrances de la France et de la Grande-Bretagne.
Dans tout ce qui intéressait le roi, cette
ténacité ne pouvait surprendre ; car, indépendamment du caractère naturellement
ferme de ce prince, il était secondé par des ministres habiles et d'adroits
plénipotentiaires qui, plus d'une fois, avaient profité des incertitudes et de
l'irrésolution de la conférence. Il était appuyé par la sympathie de toutes les
puissances, excepté la France, confiant dans son armée, dans sa marine et dans
sa position stratégique, soutenu par le patriotisme unanime (page 225) de ses sujets, et encouragé
par ses partisans en Belgique, dont les machinations et les persuasions se
multipliaient en raison du retard des décisions de la conférence. En outre, le
roi Guillaume savait bien que, tandis que toute la nation hollandaise était
unie et fidèle, la défiance et la désunion régnaient en Belgique, non moins que
dans les chambres où les affaires de la nation étaient souvent sacrifiées à des
antipathies personnelles. Le contraste des deux pays était si marqué, qu'il
donna lieu aux paroles suivantes, de la part d'un membre de la chambre belge :
«Voyez (disait l'orateur), voyez les Hollandais ; ils sont prêts à tous les
sacrifices. La ville d'Amsterdam est prête, si cela est nécessaire, à placer
ses trésors aux pieds du roi, et les états-généraux à consentir à toutes les
demandes du gouvernement. Que voulez-vous que l'Europe dise de nous, si nous
nous montrons divisés et en désaccord avec le gouvernement ? Ce qui constitue
la force de
Admettant l'hypothèse que le danger fût exagéré
et que l'état de la Belgique ait été présenté sous un faux jour, les cabinets
des Tuileries et de St.-James avaient agi sous l'influence des considérations
les plus généreuses et les plus élevées. Ils étaient devenus les appuis
naturels de la jeune monarchie. Ils avaient délibéré un traité (page 227) et y avaient irrévocablement
adhéré. Ils avaient donné à cet acte important toute la solennité dont les
actes des rois et des gouvernements sont susceptibles. L'honneur des rois, la
bonne foi des gouvernements, la dignité de la France et de l'Angleterre y
étaient attachés. Ils étaient engagés par tout ce qu'on regarde comme sacré, à
l'exécution d'un traité qu'ils avaient juré de maintenir. Les Belges avaient le
droit de réclamer l'accomplissement de leurs promesses, d'autant plus qu'elles
leur avaient été imposées. Et si l'Angleterre et la France eussent refusé, elle
était en droit de les accuser d'un manque de foi, et de s'écrier :
« If you deny me, fie upon you law !
« There is no force in the decrees of
(« Si vous
me refusez, que sont vos lois ! Les décrets de Venise seront désormais sans
force. »)
« La Belgique demande l'exécution du
traité, rien que le traité (disait un des membres les plus éclairés du cabinet
anglais), elle doit éventuellement entraîner de son côté les puissances
contractantes. Si vous l'abandonnez à elle-même, elle gagnera plus, en se
retranchant fermement et tranquillement derrière le traité, que par toutes les
clameurs de sa presse et de la nation, et par des démonstrations militaires qui
ne serviraient (page 228) qu'à compromettre son indépendance. » Cette prédiction fut bientôt
réalisée.
Dès le premier octobre, la conférence décida
unanimement que des mesures coercitives étaient nécessaires, quoiqu'il y eût
dissidence sur les moyens à employer. Les trois cours du Nord opinaient pour
des peines pécuniaires, c'est-à-dire, pour autoriser la Belgique à déduire, à
dater du 1er janvier
1832, des arrérages qu'elle devait à la Hollande, le montant des dépenses
qu'exigeait le maintien de son armée sur le pied de guerre calculé à un million
de florins par semaine. Mais l'Angleterre et la France combattaient
péremptoirement cette proposition, qui tendait à renouveler les négociations,
disant que l'expérience de plusieurs mois avait prouvé à la conférence qu'on ne
pouvait plus espérer de traiter, et que ces mesures serviraient à empêcher
l'exécution du traité déjà fait, et dont l'inexécution exposait la paix de
l'Europe à un péril continuel et toujours croissant (Protocole
du 1er octobre 1832 (n°70), qui termina la série de ces documents, et qu'on
peut dire avoir été le dernier acte public de la conférence).
L'unanimité des membres de la conférence, à
cause de cette différence d'opinion sur le principe de l'adoption des mesures
coercitives, avait failli d'être troublée ; mais la sagesse et le calme de (page 229) négociateurs,
puissamment secondés par le résultat de la mission de lord Durham à St.-Pétersbourg et par le désir des cinq cours de maintenir la
paix, parvinrent bientôt à surmonter toutes les difficultés ; et la Russie, la
Prusse et l'Autriche, quoiqu'elles refusassent toute participation directe ou
indirecte, consentirent à demeurer spectatrices passives des mesures proposées
par la France et l'Angleterre (Une note fut adressée, le 30 octobre,
par lord Palmerston et le prince de Talleyrand, au cabinet de Berlin, proposant
que la Prusse prît possession des parties du Limbourg et du Luxembourg
destinées par le traité de novembre à être conservées par la Hollande, et
qu'elle continuât à les garder jusqu'à ce que le gouvernement pût être engagé à
remplir les conditions attachées à leur possession. Le gouvernement prussien,
considérant ce fait comme une participation aux mesures coercitives, refusa).
La résolution énergique prise par ces deux gouvernements
reçut une impulsion plus forte encore par deux notes qui leur furent adressées
par la Belgique, les 5 et 23 octobre. Après avoir expliqué les motifs qui lui
faisaient désirer d'ouvrir des négociations directes avec la Hollande, et avoir
déclaré leur conviction que toute espérance de conciliation était devenue
illusoire, le ministère belge protestait contre tout délai dans l'exécution du
traité et déclarait que si les stipulations garanties n'étaient pas exécutées
au moins (page 230) en
partie, le roi serait forcé d'en appeler aux armes, et que l'existence du
nouveau ministère dépendait de cette condition » (Il était
ainsi composé : Affaires étrangères, MM.
Goblet ; Intérieur, Rogier ;
Justice, Lebeau ; Finances,
Duvivier ; Guerre, Évain).
« L'évacuation du territoire doit être effectuée le 3 novembre, soit par des
mesures prises par les grandes puissances, soit par l'armée nationale. Cela
voulait dire, qu'à moins que la conférence ne se hâtât d'adopter des mesures
propres à assurer l'expulsion des Hollandais de la citadelle d'Anvers, les
Belges étaient résolus de le faire eux-mêmes, et de commencer une guerre dont
les conséquences fatales ne pouvaient être calculées par personne « Telle est
l'obligation (ajoutait cette note) qui est imposée au ministère belge par
l'état intérieur du pays et par la force des circonstances. »
Telle était la véritable situation des affaires
; car, quoique les principes de l'administration Goblet fussent essentiellement
d'accord avec ceux de Casimir Périer et de lord Grey, et par conséquent
éminemment pacifiques et conciliatoires, toutefois il n'était pas possible de
modérer l'ardeur (page 230) nationale.
Les rapports généralement répandus sur des mésintelligences dans la conférence
et la crainte d'une rupture entre les grandes puissances, avaient produit
l'effet le plus défavorable. Ils décourageaient les amis du repos ; ils
affaiblissaient la confiance de la nation dans la stabilité de la monarchie ;
ils augmentaient la virulence et la malveillance de ceux qui sont toujours
prêts à propager le trouble et la sédition, et qui, dans l'espoir soit d'une
restauration hollandaise, soit d'une agression de la part de la France,
désiraient la guerre. Mais, dans cette circonstance, ces esprits audacieux
n'agissaient pas seuls : citoyens et soldats, commerçants et agriculteurs, la
presse et les chambres réclamaient l'emploi de la force. Leur situation
présente était si humiliante, que toute idée de la voir se prolonger leur était
insupportable. Les immenses sacrifices, faits depuis deux ans, la crainte de
devoir les renouveler encore, et l'approche de l'hiver, rendaient le cri de
guerre général dans le pays (Le budget des
voies et moyens de l'année 1832 s'élevait à 83,000,000
de fr., non compris les 17,000,000 d'intérêts annuels dus à la Hollande. Le
budget des dépenses excédait 160,000,000 de fr., dont
76,000,000 furent absorbés par le département de la guerre. Le déficit fui
couvert par un emprunt). Leur impatience n'était pas
seulement excitée par leur (page 232) détresse et la crainte de la voir augmenter
encore, mais par un désir ardent de venger leur récente défaite ; et ils
avaient quelque droit de compter sur le succès, en se voyant une armée bien
organisée de plus de 105,000 hommes d'effectif, dont près de 70,000, avec une artillerie
formidable, étaient disposés entre l'Escaut et la Meuse (L'année belge
d'observation était composée des cinq premières divisions avec 104 pièces de
canon. L'armée de réserve consistait dans les 6° et 7° divisions, et 32 pièces
de canon ; cette dernière surveillant Anvers, la première gardant les Flandres). Le
désir général de recourir aux armes fut encore augmenté par la cérémonie qui
devait avoir lieu pour l'anniversaire des journées de septembre, époque qui
avait été choisie pour distribuer des drapeaux d'honneur aux communes qui
s'étaient distinguées pendant la révolution.
Cette imposante cérémonie eut lieu le 27
septembre. Une estrade d'un goût exquis et décorée avec splendeur, surmontée de
trophées militaires, était élevée en avant du péristyle de l'église de
St.-Jacques-sur-Caudenberg. Au centre, sous un dais
de velours écarlate, bordé de franges d'or, était placé le trône royal, sur les
côtés duquel on avait disposé des galeries pour la reine et le corps
diplomatique ; à droite et à gauche étaient des places réservées aux
députations des provinces et (page 233)
aux autorités constituées. Au dessous et en avant
régnait un hémicycle destiné aux personnes chargées de recevoir les drapeaux,
chaque commune étant distinguée par sa devise particulière. Des masses de
cavalerie et d'infanterie remplissaient la place royale et les rues adjacentes.
Un immense concours de spectateurs occupait les espaces intermédiaires, et
couvrait jusqu'aux toits des hôtels environnants. Les rayons d'un brillant
soleil de septembre faisaient resplendir les armes des soldats. Le son d'une
musique guerrière, les cris de la multitude, et les salves d'artillerie
animaient et grandissaient cette scène.
La jeune reine, rayonnante de jeunesse et de
grâces, arrivait midi, accompagnée par le duc d'Orléans, précédée d'une garde
d'honneur et d'un corps de cent sous-officiers, portant les drapeaux, destinés
aux communes. Quand les différents corps furent arrivés, les salves
d'artillerie annoncèrent l'approche du roi, qui arriva à cheval au milieu des
acclamations les plus vives, entremêlées cependant des cris de « guerre !
guerre aux Hollandais ! » Étant monté sur son trône, le roi rassembla les
députations des provinces autour de lui, et, après une allocution pleine de
force et de dignité, il délivra à chacune d'elles le drapeau qui lui était
destiné, au milieu d'un profond et imposant silence, interrompu de temps en
temps par des fanfares et des (page 234)
applaudissements de la multitude. La cérémonie étant terminée, le cortège se
rendit au palais, et, après une revue générale des troupes, la journée se
termina par un banquet, des feux d'artifices et des illuminations. La nation
était si portée à la guerre, l'état d'exaltation était si grand dans toutes les
classes, que le roi fut supplié par plusieurs personnes qui avaient joué un
rôle important dans la révolution, de donner le signal des hostilités, et que
les députations des provinces se réunirent, dans le but de signer une adresse
au roi, pour le prier de mettre fin à toute négociation. Un placard fut, à cet
effet, affiché et distribué dans toute la ville : « Belges (y lisait-on), c'est
aujourd'hui l'anniversaire des immortelles journées de septembre, jours où tant
de braves périrent pour l'indépendance de leur pays. Vengeons leur mémoire !
Demandons au roi de déclarer la guerre sans attendre plus longtemps les
résolutions interminables de la conférence. Guerre à
Déterminés à éviter, entre les parties, une
collision qui eût amené une complication inextricable des affaires, lord
Palmerston et le prince de Talleyrand conclurent, le 22 octobre, une convention
qui fut aussitôt communiquée aux trois (page
235) autres cours, de l'adhésion passive desquelles
ils étaient déjà assurés. Cette convention stipulait que la France et
l'Angleterre procéderaient immédiatement à l'exécution du traité de novembre,
que l'évacuation du territoire devait en être le commencement, que les
gouvernements belge et hollandais seraient invités à terminer réciproquement
cette évacuation pour le 12 novembre, que des mesures coercitives seraient
employées contre celui des deux qui n'aurait pas donné son consentement avant
le 2, et que dans l'événement d'un refus de la part de la Hollande, ses navires
seraient soumis à un embargo, soit dans les ports des puissances respectives,
soit en pleine mer, qu'une escadre combinée surveillerait les côtes de la
Hollande ; que, le 15 novembre, une armée française entrerait en Belgique pour
faire le siège de la citadelle d'Anvers, et qu'après avoir atteint le but de
l'expédition, cette armée devrait se retirer sur le territoire français. »
Pour l'exécution de ces mesures, une escadre
combinée de bâtiments anglais et français, égaux en nombre, reçut l'ordre de se
rendre dans les Dunes, lieu du rendez-vous. La division française fut commandée
par l’amiral Villeneuve ; la division anglaise l'était par sir Pulteney Malcolm, sous les ordres duquel l'escadre était
placée. L'armée française du Nord fut mise sur le pied de concentration, et la (page 236) direction de l'artillerie
reçut l'ordre de préparer un matériel d'artillerie et tout ce qui est
nécessaire pour les opérations d'un siège. Ce fut le 30 octobre, que la
convention, qui avait été ratifiée le 27, fut présentée au gouvernement belge
par les envoyés d'Angleterre et de France. Le 2 novembre, le général Goblet
ratifia le consentement de son souverain à l'évacuation de Venloo et des autres
portions du territoire destinées à être cédées à
Ces mesures ne purent pas cependant être mises
à exécution, sans réveiller de fortes sympathies et produire de graves
manifestations de désapprobation de la part du commerce et des négociants
anglais. L'embargo fut considéré comme opprimant la Hollande et comme si
nuisible au commerce anglais, qu'une assemblée de plusieurs négociants notables
et banquiers eut lieu le 13, et vota unanimement une adresse au roi, portant :
« Qu'ils voyaient avec la plus grande douleur et les plus grandes inquiétudes
l'emploi d'une escadre combinée contre la Hollande ; qu'ils considéraient une
guerre avec ce pays comme dangereuse pour la paix de l'Europe, et priaient S.
M. d'arrêter toute mesure coercitive, jusqu'à ce que la volonté de la nation à
ce sujet ait été manifestée par ses représentants. »
II était évident que les signataires de cette
adresse, quoiqu'excusables de stigmatiser ces mesures comme nuisibles à leurs
intérêts, étaient mal informés du caractère des négociations, en ce qui
regardait les puissances contractantes, de même que de la situation des
affaires au dehors. Car, tandis qu'ils dénonçaient les mesures coercitives
comme un commencement de guerre générale, (page
238) il était évident que ces hostilités ou plutôt ces démonstrations
d'hostilités étaient destinées à éviter et probablement évitèrent cette même
conflagration, qu'ils condamnaient si justement. Le risque d'envoyer des
vaisseaux de guerre sur les côtes si dangereuses de la Hollande à cette saison
avancée de l'année, ses inconvénients pour le commerce, et la difficulté
d'établir un blocus effectif étaient généralement admis. Mais, quoiqu'il y eût
des inconvénients et qu'il y eût des risques à courir, il était nécessaire de
prendre cette mesure pour convaincre
L'embargo fut ordonné, six jours avant la
période prescrite pour l'évacuation du territoire, dans l'espoir que le cabinet
hollandais, voyant que la résolution de la France et de l'Angleterre était
sérieuse, et reconnaissant l'acquiescement passif des autres puissances,
céderait aux sommations du 30, et rendrait inutile le déploiement d'autres
forces. Les principes qui dirigeaient ce cabinet n'étaient pas secrets. Ils
avaient été exposés d'une manière franche par le ministre des affaires
étrangères de la puissance qui, parmi toutes les autres, (page 239) était la plus amie de la
Hollande, dans un mémoire dont nous extrayons ce qui suit, et qui est d'autant
plus digne d'attention, qu'il prouve que la cour de St.-Pétersbourg
même désapprouvait la conduite du roi Guillaume : « Il nous paraît prouvé
jusqu'à la dernière évidence (disait le comte de Nesselrode),
que le gouvernement néerlandais, loin de négocier pour établir une simple
séparation administrative, s'est constamment montré disposé à sacrifier ses
droits sur la Belgique, et à établir une séparation politique, qu'il a
seulement voulu subordonner sa reconnaissance de l'indépendance de ce pays et
de son nouveau souverain à des conditions équitables, et que si le cabinet de La
Haye veut faire prévaloir des principes contraires, cette conduite est en
opposition manifeste avec les faits aussi bien qu'avec la lettre et l'esprit de
sa déclaration à la conférence de Londres, et aux états-généraux de La
Haye » (« Paragraphe terminant le mémoire du comte
de Nesselrode à l'empereur Nicolas, contenant une
analyse des négociations du 4 novembre 1830 jusqu'en novembre 1832. » Documents
relatifs à la Belgique déposés au parlement.)
Il était difficile de comprendre la politique
du roi et le but auquel il voulait atteindre, surtout quand il se trouva seul
pour résister aux grandes puissances. Quoique chevaleresque, quoique jusqu'à un
certain point d'accord avec le patriotisme (page 240) et la fermeté historique du caractère
hollandais, ce rejet hautain des dernières ouvertures de la conférence est
inexplicable. Il était impossible que sa résistance pût amener pour lui quelque
avantage moral et matériel, tandis que des concessions, dans des circonstances
où il aurait paru céder à l'action de la force, étaient de nature à laisser ses
principes et ses droits dans toute leur intégrité, et l'honneur national sans
tâche.
Mais il devait en être autrement.
L'enthousiasme du peuple hollandais répondait à l'énergie du gouvernement. Dans
les palais comme dans les chaumières, toute la population était animée d'une
ferme résolution de suivre l'exemple de Van Speyk,
plutôt que de se soumettre. Les réserves furent appelées, et se rendirent à
leur poste avec empressement. Les corps de volontaires s'empressaient de
rejoindre l'armée active. Des dispositions furent faites pour une levée en
masse. Les états-généraux furent unanimes pour applaudir à la conduite du
gouvernement. Non seulement la question de l'évacuation territoriale fut
résolue négativement dans un conseil de cabinet, tenu à
Des ordres furent envoyés au général Chassé, de
compléter ses préparatifs de défense, et, dans le cas où il serait attaqué, de
résister jusqu'à la dernière extrémité. En vue de soutenir le courage de la
garnison, on lui donna l'espoir qu'une diversion serait faite en sa faveur par
l'armée active, aidée par un corps prussien dont on annonçait la concentration
dans les provinces rhénanes.
Ce corps, qui n'était que de 22,000 hommes,
commandé par le général Muffling, s'assembla, en
vertu du 46e protocole de la dicte germanique, qui dénonçait les mesures
coercitives comme « une guerre entre la Hollande et les deux puissances tendant
à compromettre la paix de l'Europe, et exigeant des mesures de précaution. »
Des explications ayant été demandées à ce sujet par la France et l'Angleterre,
la cour de Berlin renouvela ses assurances de neutralité et déclara que les
mouvements militaires dans les provinces rhénanes, étaient purement
démonstratifs et avaient pour but plutôt la tranquillité intérieure que la
sécurité de l'extérieur. Cette résolution lut notifiée au cabinet de La Haye,
et rendit la défense (page 242) obstinée
de la citadelle et le sacrifice inutile de tant de braves soldats encore plus
inexplicable ; car, ici encore, le but politique et moral eût été également
atteint, si Chassé se fût rendu à l'instant même où les batteries françaises
avaient ouvert leurs feux. Tandis que, quoique la France eût pu épargner
quelques milliers de projectiles, et la perte de quelques soldats, elle eût eu
à supporter presque tous les inconvénients et les dépenses de l'expédition,
sans obtenir pour sa jeune armée cette moisson d'honneurs qui était le
principal but de Louis-Philippe et de son gouvernement.
Quoique le cabinet hollandais eût défié les
puissances, il profita de la divergence d'opinions manifestée dans le 70e protocole pour tâcher de renouer
les négociations par l'intermédiaire de la Prusse. De concert avec cette
puissance, il présenta un nouveau projet de traité qui fut envoyé à la
conférence, le 9. Cependant, indépendamment de la nature inadmissible des
modifications proposées, le travail des plénipotentiaires réunis semblait
terminé, par leur protocole du 1er octobre ; et il fut en conséquence déclaré,
au moins par la France et l'Angleterre, que le temps des négociations était
passé et que la soumission à la sommation du 30 devait être le sine qua non de
tout rapprochement ultérieur. Trompés dans leur attente, les plénipotentiaires
hollandais (page 243)
s'adressèrent semi-officiellement à lord Palmerston et ensuite à lord Grey.
Mais ces démarches furent regardées comme une dérogation aux formes jusqu'alors
observées par les négociateurs, et comme un prétexte pour amener de nouveaux
délais. Les ouvertures de MM. Falck et Van Zuylen
furent rejetées, et les mesures coercitives furent continuées.
Un arrangement particulier entre les
gouvernements anglais et français avait décidé l'emploi d'une escadre combinée.
Une convention formelle entre la France et
Par une de ces inconséquences qui ont si
fréquemment caractérisé les travaux de la législature belge pendant ces
événements, ces mesures coercitives, entreprises à de très grands risques et à
grands frais, pour le seul avantage de la Belgique, furent hautement
désapprouvées par un grand nombre de représentants. Aussi longtemps que
l'Angleterre et la France hésitèrent à intervenir, les chambres les accusèrent
de mauvaise foi et de mépris des traités, et lorsque l'intervention eut lieu,
ils exprimèrent leur désapprobation avec non moins de chaleur. En mai, une
forte majorité avait demandé l'évacuation territoriale comme sine qua non. En
novembre, elle stigmatisait l'expédition comme injurieuse pour le pays. Naguère
le statu quo était déclaré insupportable ; plus tard, elle aurait voulu
que toute demeurât sur le pied où il était, et, profitant des dispositions
amicales des deux puissances, elle montra des prétentions aussi inadmissibles
qu'elles étaient exagérées. Enfin le ministère, sous les auspices duquel les
mesures coercitives avaient été prises, ne l'emporta, le 27 novembre, qu'à une
majorité de 44 voix contre 42 (M. Lebeau et ses collègues donnèrent
immédiatement leur démission. Mais une nouvelle administration n'ayant pu su
former, ils rentrèrent en fonctions, le 16 décembre).
(page 245) Un
débat animé, à ce sujet, eut lieu lors du vote de l'adresse à l'ouverture de la
session. On avançait que les avantages qui pourraient résulter de l'évacuation
de la citadelle seraient contrebalancés par la cession de Venloo et des
portions désignées du Limbourg et du Luxembourg, dont les populations et les
ressources formaient presque un douzième de celles de tout le royaume, que,
quoique les Hollandais pussent être expulsés de la citadelle d'Anvers, aucune garantie
n'était donnée pour l'ouverture de l'Escaut, de la Meuse, et des eaux
intérieures, ni pour l'accomplissement des autres clauses du traité plus
nécessaires à la Belgique que la possession d'une forteresse dont le siège
entraînerait probablement la destruction de la ville d'Anvers. On déclarait par
dessus tout qu'il était dégradant pour l'honneur national qu'une population de
plus de 4 millions d'habitants fût obligée de demander l'assistance (page 246) étrangère, pour maintenir ses
droits contre une nation qui n'était que la moitié de ce nombre ; et cela en
possédant une armée bien organisée, égale en discipline et supérieure en nombre
à celle de leurs adversaires. Un ordre du jour annonça aux troupes leur
neutralité ; et, quoique l'armée s'y soumît généralement, avec calme et
sagesse, quelques officiers supérieurs exprimèrent ouvertement leur
mécontentement et leur jalousie. Avec une confiance outrée dans leurs forces et
un mépris complet pour les difficultés de l'opération, ils déclaraient que les
forces nationales étaient plus que suffisantes pour faire le siège et protéger
la frontière contre toute agression (La
population de la Belgique, y compris tout le Limbourg et le Luxembourg, excepté
les deux forteresses, était, au 1er janvier 1832, de 4,122,000 habitants. Celle de la Hollande de 2,410,000. En supposant que le traité de novembre reçoive son
plein accomplissement, la population de la Hollande sera de 2,738,000
; celle de la Belgique sera réduite à
Tandis que cette partie importante du drame
politique arrivait à sa conclusion, la délivrance de M. Thorn,
gouverneur de la province du Luxembourg, dont l'arrestation avait donné matière
aux 61e, 62e et 68e protocoles, s'effectua au
moyen d'un acte de vigueur de la part d'un fonctionnaire belge (M. d'Huart, aujourd'hui ministre des finances). Quoique
l'arrestation de M. Thorn eût été déclarée parl a conférence, un acte arbitraire et violent, désavoué
par le gouvernement grand-ducal et désapprouvé par la confédération germanique,
et quoique les remontrances les plus vives eussent été faites sur ce sujet, le
cabinet hollandais n'écouta aucune sollicitation ; il donnait pour prétexte que
la détention de Thorn était une représaille
de celle de certains individus qui avaient été arrêtés par les autorités
belges, pour avoir tenté un mouvement contre-révolutionnaire dans le
grand-duché.
La détention de ces individus donna lieu à un
grand nombre de discussions subtiles de la part des Hollandais, et fut
désapprouvée par un grand nombre de Belges sensés, comme illégale et
impolitique. Les Hollandais soutenaient que, selon le traité dont la Belgique
demandait l'exécution, les captifs étaient des sujets hollandais, et non des (page 248) Belges,
d'autant plus que l'offense alléguée avait été commise sur la portion du
territoire abandonné par la Belgique, et qui n'attendait que la ratification du
roi grand-duc pour faire partie de la Hollande.
En outre, quoiqu'ils ne pussent pas être
considérés, bona fide,
comme sujets hollandais, aussi longtemps que ce traité ne serait pas
accompli, la position du Luxembourg était exclusive et exceptionnelle ; et ses
habitants devaient, pendant ce temps intermédiaire, être considérés comme
appartenant à une province neutre, sous la protection de la diète, et, en
conséquence, non soumis à la loi commune de la Belgique. D'un autre côté, on
objectait que le traité n'ayant pas été ratifié, ni aucune des stipulations
remplies, le Luxembourg ne pouvait être placé sur un pied judiciaire différent du
reste des provinces belges ; et qu'en conséquence les prisonniers devaient être
considérés comme sujets belges, et soumis aux peines attachées à la trahison et
aux attaques tendant au renversement du gouvernement existant. Ainsi les
Hollandais et la confédération argumentant du principe de jure, s'appuyant
en partie sur des traités antérieurs, et, en partie, sur des traités qu'ils
répudiaient, faisaient de la mise en liberté de ces personnes, les conditions sine
qua non de celle de M. Thorn ; tandis que les
Belges, fondant leurs arguments sur la possession de facto, étaient (page 249) également déterminés à
renvoyer les prisonniers devant le jury. Quoique le gouvernement belge fût
fortement conseillé de délivrer les prisonniers et de terminer ainsi une discussion
impolitique, qui tendait à compliquer la question générale, il persista dans
ses intentions, et les parties, ayant été renvoyées aux assises de Namur,
furent acquittées. Mais comme ces individus avaient été soumis aux formes et
aux risques d'un jugement, et comme un jugement par défaut avait été rendu
contre ceux des confédérés qu'on n'avait pu arrêter, le gouvernement hollandais
déclara que M. Thorn serait traité de la même
manière.
En conséquence, la seule chance d'obtenir le
relâchement de ce dernier qui était en prison depuis le 17 avril, était pour
les Belges d'exécuter quelque acte vigoureux de contre-représailles. Le hasard
mit bientôt dans leurs mains un otage convenable dans la personne de M. Pescatore, président de la commission du grand-duché de
Luxembourg.
La nouvelle ayant été reçue que ce
fonctionnaire, en revenant de la forteresse de Trèves, devait passer sur le
territoire belge, on se mit en embuscade, et il fut saisi, le 19 octobre, et
conduit à Namur, où il fut détenu jusqu'à ce qu'un protocole de la diète, du 8
novembre, mit fin à la discussion, en demandant l'échange des deux captifs, à
condition que toutes les poursuites seraient (page 250) arrêtées. Ces propositions furent acceptées des deux
côtés ; et ainsi se termina, le 23 novembre, une affaire qui avait servi,
pendant plusieurs mois, à envenimer les haines nationales et à augmenter les
embarras des puissances médiatrices.
Tel était l'état de la question, à l'époque où
la conférence termina ses travaux collectifs, et abandonna à la force des armes
le commencement d'une solution qui avait défié les subtilités de la plume.
Le terme accordé aux Hollandais pour
l'évacuation du territoire étant expiré, l'armée française, consistant en 51
bataillons, 56 escadrons, et 66 pièces d'artillerie, entra en Belgique le 15 ;
et le
Conformément au système adopté par le
gouvernement anglais à l'égard de ses alliés, dans toutes les occasions
antérieures, ce gouvernement envoya un agent militaire et diplomatique au
quartier-général français. Le lieutenant-colonel Caradoc,
qui s'était distingué dans une mission semblable à Navarin, fut choisi pour ce
service, et justifia le choix qu'on avait fait de lui par le zèle et l'habileté
avec lesquels il remplit ses fonctions.
Une immense provision de gabions, de fascines
et d'autres objets de siège ayant été préparée par les corps du génie belge et
du génie français (On pourra se former une idée
de la surabondance de ces provisions, si l'on considère que ce qui restait
après le siège fut repris par le gouvernement belge, au prit de 44,000 francs,
dont une partie fut revendue et le reste employé à restaurer les digues près de
Burcht), les (page 252) divers arrangements militaires étant terminés et les difficultés
diplomatiques et locales concernant l'attaque étant surmontées, le maréchal
Gérard porta son quartier-général à Berchem, le 29, et ordonna l'ouverture de
la tranchée, le même soir. Quoique le point le plus faible de la citadelle fût
celui qui fait face à l'esplanade, il fut décidé que, pour ne pas donner au
général Chassé un prétexte pour bombarder la ville, on l'attaquerait seulement
du côté du midi. En outre, pour prévenir toute collision possible entre les
Hollandais et les Belges, ces derniers furent retirés des postes avoisinant la
forteresse, et remplacés par 500 hommes de l'armée française. Une convention
réglant la manière de relever chaque jour les postes, et le passage des
détachements par la porte de Malines, de même que l'occupation du fort
Montebello par l'artillerie française, fut conclue entre le général Buzen.
Gouverneur belge, et le maréchal Gérard. L'occupation de cet ouvrage avancé,
qu'il était difficile de ne pas considérer comme appartenant au corps de la
place, donna lieu à de vives et de justes remontrances de la part du général
Chassé, « qui dénonça cet acte comme une infraction à la neutralité, et menaça
la ville de représailles, s'il n'était pas abandonné ». (United
service Journal, n°52, mars 1833).
(page 253) Mais
ces menaces n'eurent pas d'influence sur les assiégeants, convaincus que le
général hollandais se soumettrait à cette infraction, plutôt que de nuire à la ville,
ce qui aurait attiré sur lui, à l'instant même, le feu foudroyant de 70
mortiers de plus, et d'une grande quantité de pièces de gros calibre, et aurait
exposé la garnison à d'effroyables représailles et son gouvernement à une
grande responsabilité morale et pécuniaire. Aussi le général Chassé, dans son
rapport officiel du 10 décembre, avoua-t-il avec candeur, qu'il était heureux
d'assurer la neutralité de la ville. « Car (dit-il), dans le cas contraire, la
flottille et la Tête de Flandre eussent été rapidement détruites par le feu
supérieur de l'artillerie ennemie. »
Vu l'état défavorable de la saison et les
autres difficultés locales, les troupes destinées aux travaux de la première
nuit, consistant en dix-huit bataillons, 900 hommes d'artillerie et 500
sapeurs-mineurs, commandées par le duc d'Orléans en personne, ne purent
commencer les travaux que le 30 vers les deux heures du matin. Néanmoins la
première parallèle, s'étendant du fort Montebello sur la droite, vers la route
de Kiel, sur la gauche à une distance de
Ayant décrit les moyens offensifs et les
dispositions des assaillants, il est nécessaire de tracer rapidement un tableau
des moyens défensifs des assiégés. Dès le matin du 30 novembre, la citadelle, y
compris les lunettes Saint-Laurent et de Kiel, était défendue par environ 4,500
hommes abondamment pourvus de munitions et de provisions, et ayant une
artillerie de 134 bouches à feu de différents calibres (A
l'expiration du siège, il demeurait
Pour en revenir à l'attaque, les difficultés
que rencontraient les assiégeants par la nature marécageuse du sol, surtout sur
la gauche, retardaient considérablement la construction ou plutôt l'armement
des batteries. Mais ces obstacles ayant été surmontés, 20 mortiers, 28 obusiers
de huit pouces, avec 30 pièces de vingt-quatre et de seize, ouvrirent un feu
convergent sur la citadelle, à onze heures du matin, le 4. Ces puissantes batteries
furent dans la suite augmentées de 28 mortiers, 6 pierriers, 16 cohorn, et le mortier-monstre de vingt-quatre pouces,
formant un total de 138 bouches à feu tirant simultanément (Un ordre du jour du 4, ordonna que le feu cesserait pendant la nuit, excepté celui des obusiers. Le
feu des canons était limité à 60 coups par jour, celui des obusiers à 40 et
celui des mortiers à 30, formant chaque jour un nombre de 2,600 coups de canon,
800 charges d'obusiers et 1,200 de mortiers, lançant un total de 88,760
projectiles pour 19 jours. Mais d'après les tables publiées dans la narration
du lieutenant-général Neigre, le total général de la consommation
des munitions n'allait pas au-delà de 64,572. Le nombre par jour n'était donc
que de 3,400 ou de près d'un quart en moins de ce que prescrivait l'ordre du
jour en question. La consommation totale de la poudre fut de
Tandis
que ces événements se passaient devant la citadelle, la flottille hollandaise,
composée d'une frégate, de 2 corvettes, de 2 bateaux à vapeur armés en guerre,
d'un bateau à bombes et de 20 canonnières, tentait de se frayer un chemin (page 257) par les forts de la Perle et de Ste.-Marie. Mais,
après une vive escarmouche, dans laquelle l'amiral hollandais fut tué, elle fut
repoussée par la division qui couvrait la rive gauche. A l'exception d'une
dernière tentative également infructueuse pour débusquer un corps de troupes
destiné à couper la digue et à inonder les polders, près du Doel,
aucun effort ne fut fait pour interrompre le siège. Aussi, quand on connaît la
neutralité de la Prusse, et la grande supériorité des armées française et
belge, on conçoit qu'il eût été téméraire de la part du prince d'Orange de
tenter une attaque. Une force disponible de 11,000 hommes de cavalerie, 90,000
hommes d'infanterie, et près de 200 pièces de canon, formait une armée trop
puissante pour offrir quelques chances de succès à une armée qui n'était guère
que de la moitié de ce nombre.
Le projet général étant de concentrer l'attaque
sur le bastion de Tolède, sur la face gauche duquel on voulait ouvrir la
brèche, il fut nécessaire de faire taire le feu du ravelin sur sa droite, (page 258) et
de s'emparer de la lunette St.-Laurent. Cette dernière opération ne put
s'effectuer que dans la nuit du 13, après quinze jours de tranchée ouverte. Cet
ouvrage insignifiant pouvait sans aucun doute être emporté à une époque moins
avancée ; mais, dans les circonstances existantes, un coup de main eût été un
sacrifice inutile de soldats, et eût privé le génie français de l'occasion de
pratiquer les travaux plus efficaces et moins sanglants de la descente et du
passage du fossé. Cette opération, rarement mise en usage dans les sièges
modernes, fut habilement exécutée, et donna à l'attaque de la lunette
S'-Laurent une plus grande célébrité qu'elle n'en eût mérité
autrement (La garnison de ce fort n'était que de 120 hommes, dont
la moitié se sauva, lorsque la mine sauta, et le reste mit bas les armes. Une
longue pièce de 12, un obusier de
Ainsi
se termina une entreprise sans pareille dans les fastes militaires et
diplomatiques des nations, et qui réunit tous les attributs menaçants de la
guerre, sans causer la plus légère interruption de la paix, entreprise où, d'un
côté, une garnison de braves fut sacrifiée par son roi au maintien inutile d'un
principe politique, et sans espérances d'avantages pour le pays, et de
désavantages pour ses adversaires ; où, d'un autre côté, ce triomphe fut si
pacifique que les vainqueurs regardaient en souriant les récompenses qui leur
furent prodiguées, pour un service si au-dessous de leur valeur et de leurs
immenses ressources. Ce succès fut sagement obtenu, et bien différent dans son
but des faits rapides, hasardeux et brillants, qui immortalisèrent les armées
de la république et de l'empire. Il était encore plus étrange de voir le nord
de l'Europe contraint par la force des événements, étouffant ses jalousies et
ses sympathies, abandonner le châtiment de ses plus proches et plus chers
alliés à ceux qui ne leur inspiraient ni confiance, ni amitié, à ceux dont le
canon n'avait jamais auparavant résonné sur la frontière belge, sans éveiller
les échos de la guerre, des bords de la Meuse et du Rhin, jusqu'aux rives du (page 261) Danube et de la Neva. Il
semblait que les puissances de l'Europe et la Hollande elle-même conspiraient
pour augmenter la popularité de la dynastie française, en offrant à
Louis-Philippe une occasion d'exercer ses jeunes soldats et de les décorer du
signe de l'honneur, et à ses vaillants fils une occasion de faire leurs
premières armes (Parmi les récompenses
données aux troupes françaises, on compte 392 croix de l'ordre Léopold, ordre
qui avait été fondé par le gouvernement belge le 11 septembre 1832. La première
personne, à laquelle cette décoration fut donnée par le roi des Belges en
personne, dans la tranchée, fut un soldat des sapeurs-mineurs qui venait d'être
dangereusement blessé. Une plus noble occasion ne pouvait s'offrir à un plus
noble guerrier).
La scène qui se passa sur les rives de
l'Escaut en décembre 1832, peut être assimilée à ces pompes sanglantes dont ou
ne trouve des exemples que sur les bords du Tibre, où les jeux de la guerre
étaient représentés sur un théâtre d'une effrayante grandeur, et où les corps
sanglants des captifs gaulois étaient immolés sans pitié pour assouvir la soif
de plaisirs de Rome demi-barbare (Cette
comparaison est justifiée par ce fait que le toit du théâtre d'Anvers était
couvert de spectateurs, qui de là pouvaient être témoins des opérations du
siège. Les étrangers étaient invités à ce nouveau spectacle, au moyen de l'avis
suivant : « Le public est informé qu'on peut se procurer des places au
théâtre des variétés pour voir le siège. ») (page 262) Ici la citadelle était l'arène, les Hollandais et les
Français, les gladiateurs, les peuples de l'Europe civilisée, les spectateurs.
La lutte fut peut-être plus sanglante ; mais le sacrifice ne fut pas moins
inutile.