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« Histoire de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).

Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836

 

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TOME 3

 

CHAPITRE TROISIEME

 

Mission du baron de Wessenberg à La Haye. - La Hollande rejette les dix-huit articles. - Notes des plénipotentiaires. - Préparatifs des Hollandais pour une invasion eu Belgique. - Disposition de leurs forces. - Leur armée se met en mouvement. - Plan de campagne. - Disposition de l'armée belge. - Chassé recommence les hostilités. - Défaite de Daine à Hasselt. - Le roi Léopold se retire d'Aerschot sur Louvain où son armée est mise en déroute. - Intervention de l'armée française du Nord. - Arrivée de sir Robert Adair. - Capitulation de Louvain. - Les Hollandais se retirent. - Convention entre le prince d'Orange et le maréchal Gérard. - L'armée française quitte la Belgique. - Le duc de Saxe-Weimar. - Lord William Russel. - Confusion à Bruxelles. - Observations générales sur l'expédition.

(page 125) Il se préparait en Hollande une tempête qui devait convertir ces fêtes et ces réjouissances en journées de deuil, et la marche triomphale du roi en une déroute douloureuse et inattendue. Confiants dans les traités et la solennité d'un armistice (page 126) garanti par la conférence, les Belges s'abandonnaient à une fatale sécurité, dont ils ne furent tirés que par le choc qui vint briser leur orgueil national et menacer leur royauté naissante.

Il est nécessaire de remonter à une époque antérieure, pour expliquer les causes qui amenèrent les événements d'août. La conférence, influencée par la crainte de la guerre et non par la plus légère sympathie pour les Belges, avait adopté des modifications aux préliminaires et faisait tous ses efforts pour amener le prince Léopold à changer son existence heureuse et brillante en Angleterre contre les soucis et les hasards d'un trône révolutionnaire. Entraînées par la force des circonstances, les cinq puissances avaient à regret sacrifié les prétentions de la légitimité à celles de l'insurrection, tandis que le roi Léopold, plus influencé par le noble désir de coopérer au maintien de la paix, que par des motifs d'ambition, s'élançait généreusement dans l'abîme, et se dévouait au bonheur général.

La conférence ayant de fortes raisons de penser que les dix-huit articles pourraient être admis en Belgique, il était de la plus grande importance d'amener l'adhésion des deux côtés, en employant tous les moyens possibles pour surmonter l'aveugle obstination du cabinet hollandais ; car, jusqu'au dernier moment, les plénipotentiaires des Pays-Bas avaient insisté sur le (page 127) maintien des bases de séparation, selon la lettre du 12e protocole, comme le sine qua non de toute négociation ultérieure, et menacèrent du renouvellement des hostilités. Le 22 juin, ils adressèrent à la conférence une note, par laquelle ils la sommaient énergiquement d'exécuter les engagements consignés dans ce premier acte, en déclarant que, s'ils refusaient, « il ne resterait au roi d'autre alternative que d'agir par lui-même, et de mettre fin à une condescendance, qui serait désormais incompatible avec le salut intérieur et extérieur de son royaume, avec les intérêts de ses fidèles sujets, déjà si gravement compromis, et dont la ruine serait le résultat d'une prolongation de la crise actuelle. » (« Recueil de pièces diplomatiques », La Haye, 1831). Afin de rendre la médiation des grandes puissances plus efficace, des instructions furent envoyées à divers agents diplomatiques à La Haye, pour qu'ils eussent à mettre en jeu l'influence de leurs cours respectives, à l'effet d'amener le résultat désiré. Il fut aussi résolu, que le baron de Wessenberg, plénipotentiaire autrichien, se rendrait dans cette capitale « pour porter les dix-huit articles à la connaissance du roi de Hollande et lui donner toutes les explications qui pourraient être jugées nécessaires (Protocole n°27, du 26 juin). « Le baron de Wessenberg était (page 128) également porteur d'une lettre pour le ministre des affaires étrangères hollandais, signée par tous les membres de la conférence, dans laquelle, après s'être étendus sur les difficultés et les embarras qui avaient donné lieu aux nouveaux préliminaires, ils exprimaient l'espoir « que le roi, dans sa sagesse, son équité et son amitié pour les puissances, ne refuserait pas de peser ces considérations dont le seul objet était de concilier, autant que possible, ses droits et ses intérêts avec le maintien de la paix. »

Tous ces efforts furent inutiles. Ni la crainte d'amener ce choc effrayant que l'Europe était si désireuse d'éviter, ni celle de prolonger une crise qui devait entraîner tant de maux pour la Hollande, ne purent ébranler l'inflexible fermeté du roi. Une dépêche à ce sujet fut envoyée par le baron Verstolk à la conférence, le 12 juillet, laquelle déclarait « que les nouveaux préliminaires déviaient si matériellement du 12e protocole, que leur acceptation était inadmissible ; que la possession du grand-duché était d'une importance vitale non seulement pour la maison de Nassau, mais encore pour la Hollande, dont la position militaire se trouvait ainsi garantie ; que le statu quo proposé était un des griefs dont le roi avait depuis longtemps positivement réclamé le redressement ; que des échanges, en admettant leur possibilité, rentraient entièrement dans la compétence (page 129) du roi et de la confédération germanique ; que si quelque doute pouvait s'élever sur les droits de la Hollande à la possession entière de Maestricht en 1790, les Belges n'avaient pas plus de droits sur l'ancien évêché de Liége que les Hollandais ; qu'il n'existait pas d'enclaves en Hollande, et par conséquent qu'il ne pouvait pas être fait d'échange ; que la clause, stipulant l'évacuation immédiate et réciproque du territoire, privait la Hollande de ses principales garanties de sécurité, pour l'exécution des conditions proposées, et qu'il était contraire à la dignité du roi et a l'indépendance de son peuple de s'arrêter un instant au 7e article, concernant la navigation intérieure entre l'Escaut et le Rhin. » Des objections de même nature étaient faites sur les 12e et 13e sections relatives à la dette, sans cependant contester leur équité. Ce document critiquait ensuite le manque de précision, le vague dangereux qui existait dans plusieurs clauses essentielles. Il stigmatisait le tout, comme fait plutôt pour empêcher que pour amener une solution, et comme dirigé de concert avec les commissaires belges contre les intérêts et l'honneur de la Hollande. » II terminait en déclarant que« si le prince qui pourrait être appelé au trône de la Belgique, l'acceptait et en prenait possession, sans avoir auparavant adhéré aux arrangements contenus dans le 12e protocole, S. M. ne pourrait (page 130) le considérer que comme placé dans une attitude hostile vis-à-vis d'elle et comme un ennemi avoué. »

La réception de ce manifeste, jointe aux déclarations antérieures de la Hollande, et aux préparatifs actuels, ne devait laisser que peu de doute sur ses intentions agressives, et devait faire naître l'hésitation dans l'esprit de Léopold. Mais, confiant dans les assurances des puissances, ayant d'ailleurs donné sa parole, il brava des difficultés qui auraient pu arrêter un esprit moins déterminé que le sien. La conférence répondit à ce manifeste, le 25 juillet. Négligeant ou comprenant mal la déclaration du roi (circonstance d'autant plus remarquable que les troupes hollandaises étaient déjà concentrées, et prêtes à marcher en avant pour passer la frontière), les plénipotentiaires, au lieu d'insister sur le maintien de la paix, parlaient encore de leurs espérances d'arrangement, et proposaient que des pleins pouvoirs fussent transmis aux plénipotentiaires hollandais, pour les déterminer à signer un traité définitif. « Les espérances (disait la conférence) que nous conservons sur ce point (le maintien de la paix), par suite des dispositions de S. M., s'accordent d'autant plus avec celles des cinq puissances, qu'elles sont garanties .par la suspension d'armes conclue en novembre ; les cinq cours sont liées par un engagement solennel, qui subsiste dans toute sa (page 131) force, d'empêcher le renouvellement des hostilités. »

Le 1er du mois d'août, le ministre hollandais répondit à la conférence en déclarant que « le roi, qui avait sans cesse donné des preuves de son désir de coopérer à un arrangement, et d'assurer, autant que possible, le maintien de la paix en Europe, avait envoyé des instructions à ses plénipotentiaires à Londres, pour terminer et signer un traité définitif destiné à régler la séparation entre la Hollande et la Belgique ; mais que S. M. était déterminée à soutenir les négociations par ses moyens militaires ; résolution doublement impérieuse : car un prince avait pris possession du trône de la Belgique, sans avoir satisfait aux conditions prescrites par la conférence, et avait juré une constitution contraire aux droits territoriaux de la Hollande. » Pour justifier ce développement de forces que la conférence prit d'abord pour une simple démonstration, le ministre hollandais ajoutait « que le désir de conclure un armistice n'avait pu se réaliser, qu'une cessation d'hostilités seule existait, que le roi avait déjà déclaré qu'il ne pouvait soumettre son royaume à une prolongation indéfinie du statu quo, et que, dès le 1er juin, il avait pu se considérer comme libre d'adopter les mesures qui lui paraîtraient s'accorder le plus avec ses intérêts, mais seulement afin d'amener cet état de choses, (page 132) que l'acte de séparation avait reconnu juste et raisonnable. » Une circulaire fut adressée, sous la même date, aux ambassadeurs hollandais près des cinq puissances, qui leur ordonnait d'annoncer l'intention du roi d'adopter des mesures coercitives, et en conséquence de demander l'assistance de ces cours.

Les sophismes et les contradictions du cabinet néerlandais, en cette occasion, sont aussi étranges que l'incrédulité apparente et l'apathie de la conférence. Il est vrai que les Hollandais avaient imaginé d'éluder l'exécution de l'armistice, par lequel les Belges s'étaient liés, le 18 décembre, et non moins vrai que cet armistice avait été à différentes reprises enfreint par les deux parties. Mais, quoique cette convention fût incomplète, il existait une suspension d'armes indéfinie, sous la garantie immédiate de la conférence, que les Hollandais avaient plus d'une fois reconnue, et à laquelle ils en avaient appelé dans leur note du 21 mai. Selon les droits des nations et les lois de la guerre, aucune suspension semblable ne peut être rompue sans une annonce antérieure. Chaque fois que l'histoire offre un exemple d'infraction soudaine à une trêve, elle la flétrit toujours comme un acte de trahison et de mauvaise foi, incompatible avec les usages des nations civilisées. Les observations de la conférence, sur ce sujet, quoique pleines de dignité et de modération, (page 133) exprimaient sa surprise et son improbation. Dans une note du 5 juillet, elle déclare « qu'on ne peut comprendre l'intention du roi de recourir à des mesures militaires, que comme applicables à l'intérieur de la Hollande ; car il est impossible de penser qu'au moment même où le roi communiquait son profond désir de négocier pour un traité définitif, il eût pris la résolution de rallumer la guerre, et d'ordonner la destruction d'une grande cité commerciale. » Toute cette transaction était, dans le fait, entachée d'une apparence de duplicité ; car, dans le même instant, le cabinet hollandais protestait de ses intentions pacifiques ; et tandis qu'il envoyait des pleins pouvoirs à ses plénipotentiaires, pour rédiger et signer un traité définitif, des ordres secrets étaient donnés au général commandant l'armée, de commencer une guerre de surprise, d'agression et de conquête, dont le résultat final ne fut empêché que par l'intervention de la France.

Un autre fait extraordinaire, eu égard à l'objet de sa mission, fut l'aveu de la conférence, qu'elle n'apprit ce mouvement que par les journaux, et qu'il ne fut pas possible d'obtenir une explication du baron Falck, ou de son collègue. Cette dernière circonstance fut promptement expliquée : mais il n'est pas si aisé d'imaginer que le gouvernement anglais fût si mal informé de ce qui (page 134) se passait en Hollande, ou, s'il eut des informations, qu'il ait pu se tromper sur l'objet de la concentration et des préparatifs de l'armée hollandaise. La probité des plénipotentiaires ne devait peut-être pas leur permettre de supposer une violation si manifeste des usages internationaux ; mais quoique toutes les précautions fussent prises, pour garder le secret sur les opérations préméditées dans le but de rendre la surprise plus efficace, il est presque impossible de concevoir que l'ambassadeur d'Angleterre à La Haye, ait pu être assez complètement trompé, pour ignorer ce qui se passait à la frontière.

Pendant plusieurs semaines, les préparatifs les plus actifs furent faits pour cette expédition. L'organisation de l'armée s'était faite rapidement, et avec succès, sous la direction du prince Frédéric, qui, quoique faible stratégiste, possédait, comme administrateur, un mérite du premier ordre. La Hollande avait pourvu à tout, dans l'état-major, l'artillerie, le génie, le service des hôpitaux et des subsistances militaires ; l'armée comptait un grand nombre d'officiers expérimentés, les régiments de ligne s'étaient recrutés d'un nombre considérable de Suisses et d'Allemands, pour la plupart anciens soldats ; animés de sentiments unanimes de patriotisme, de dévouement et de fidélité au trône, les Hollandais avaient réussi à reformer leur armée, qui présentait (page 135) un total général de près de 80,000 hommes, y compris 30,000 hommes de gardes communales ou de volontaires. De ces forces, environ 40,000 hommes d'infanterie, 4,000 de cavalerie et 72 pièces de canon, non compris les garnisons d'Anvers et de Maastricht, se réunirent entre l'Escaut et la Meuse, et se formèrent en quatre divisions d'infanterie, et une de cavalerie. La première division (Van Gheen) formait la droite, la seconde (le duc Bernard de Saxe-Weimar) formait le centre droit et l'avant-garde, la troisième (Meyer), le centre gauche et la quatrième (Cort-Heiligers) composée principalement de schuttery, formait l'extrême gauche. La cavalerie, sous les ordres du lieutenant-général Trip, était divisée en deux brigades, l'une de grosse cavalerie et l'autre de cavalerie légère ; la première en réserve, et l'autre en avant. L'armée resta sous le commandement du prince Frédéric, jusqu'à l'époque où le prince héréditaire, ayant été promu au rang de feld-maréchal, prit le commandement, le 31 juillet. La position stratégique de cette armée était très favorable à la défense comme à l'attaque. La droite, appuyée sur l'Escaut, était protégée par la citadelle ; la gauche, appuyée sur la Meuse, était protégée par Maestricht. Devant elle s'étendaient de belles plaines, sans forteresses et sans rivières importantes ; tandis que ses derrières étaient protégés par Bréda, Berg-op-Zoom, (page 136) et des marais impraticables offrant des barrières imposantes et des places de refuge en cas de retraite.

Les Hollandais, qui connaissaient l'état d'insubordination, la désunion et la faiblesse numérique de leurs adversaires, et savaient combien il était facile de faire une pointe sur la capitale de la Belgique, qui était à peine à quatre journées de marche de leurs avant-postes, accélérèrent et étendirent secrètement leurs préparatifs pendant le mois de juillet. Les troupes étaient campées ; elles exécutaient de grandes manœuvres, et s'habituaient ainsi à la marche et aux évolutions militaires ; elles étaient fréquemment inspectées et encouragées par la présence du roi et de la famille royale. Des magasins abondants, des hôpitaux, des transports furent réunis et attachés à chaque division. Le but de ces préparatifs était depuis longtemps connu des généraux. A la fin, un ordre du jour du 26 juillet annonça clairement l'approche des hostilités ; nouvelle qui fut reçue avec enthousiasme par les troupes qui désiraient effacer la tache de leurs premiers revers. Tout étant prêt, le prince généralissime arriva à Bréda le 1er août. Il donna immédiatement un ordre général par lequel il annonçait que le roi avait prononcé le mot en avant ; qu'il en appelait à la valeur et à la fidélité des troupes, et après avoir exposé sommairement (page 137) la conduite politique qu'il tiendrait à l'égard de la Belgique, terminait en disant qu'il espérait prouver, l'épée à la main, que le sang des Nassau coulait dans ses veines, et que son seul désir était le bien-être de son pays. Un second ordre du jour général engageait les officiers et les soldats à faire observer et à observer la plus stricte discipline.

Le 2, avant la pointe du jour, les différents corps sortirent de leurs cantonnements, et s'avancèrent vers la frontière belge, la première division pénétrant par Baerle-Hertog et Sonderegen, repoussa les avant-postes belges sur Merxplas. La seconde, avançant sur Peppel et Weelde, s'établit à l'Ele et Raevels, après un vif engagement avec l'avant-garde du général Niellon. La troisième, débouchant dans les environs de Eindhoven, bivouaqua à Arendonck et Rethy, tandis que le corps de Cort-Heiligers marchait sur le Limbourg, et occupait Heusden. Le général Trip, avec la grosse cavalerie et trois batteries d'artillerie, demeura en réserve à Alphen ; et la cavalerie légère de Boreel, avec dix-huit pièces de canon, se porta en avant. Le 3, le prince poursuivit ses succès et arriva à Turnhout ; sa droite ayant passé la chaussée près Vorslaer, menaçait la grande route de Bruxelles, par Lierre, et sa gauche celle de Diest et Louvain. Deux petites colonnes d'éclaireurs, venant de Berg-op-Zoom, (page 138) s'avançaient sur l'extrême droite par Calmpthout, Capelle et West-Wezel ; et tandis que le général Kock, commandant les troupes en Zélande, faisait une attaque sur le Capitalen-Dam, un détachement de marins et d'infanterie, appuyé par la flotte, se jetait dans le fort à demi ruiné de Sainte-Marie, dont il prit possession, après une légère résistance. Dibbets n'était pas non plus resté oisif. De fortes colonnes sortirent de Maestricht dans le but d'attaquer la position de l'ennemi en flanc, et de détourner l'attention du corps de Daine de son front. Les premières opérations de l'armée d'invasion furent suivies du succès. Le grand objet de la manœuvre sur Turnhout était de faire croire aux généraux belges que les Hollandais voulaient faire une tentative sur Anvers, et de s'avancer, à l'aide de cette division, sur Bruxelles, par la route de Lierre ; ce stratagème réussit pendant deux ou trois jours.

Trois plans pouvaient être adoptés par l'armée d'invasion, tous trois offrant des chances de succès. L'un était de tenter un coup de main sur Anvers, appuyé par la citadelle et la flottille, le second était d'attaquer et de détruire le corps de Tieken, de se jeter alors sur celui de Daine, et après les avoir battus l'un et l'autre en détail, se porter sur Bruxelles, projet d'une exécution facile. Le troisième était de s'avancer entre l'un et l'autre, de tourner leurs flancs, d'envelopper (page 139) Daine, et alors de se porter en avant par Saint-Trond et Louvain, sur la capitale. Ce dernier plan fut adopté, et s'il eût été suivi avec vigueur et promptitude, les Hollandais eussent pu facilement arriver à Bruxelles le 7, après avoir détruit Tieken et Daine, dont les corps étaient tout à fait hors d'état de résister à une attaque sérieuse. Dans la matinée du 4, les première et seconde divisions firent un mouvement de flanc gauche par Gheel et Diest, et la troisième par Moll et Hasselt, afin de s'établir sur la Demer, et de gagner ainsi la grande route de Liége à Louvain ; de couper les communications entre Liége et la capitale, tandis que Cort-Heiligers surveillerait Venloo et le Limbourg, et que Dibbets protégerait les derrières par Tongres. Mais les mouvements de ces troupes furent lents et indécis. Un temps précieux fut dépensé à reconnaître le terrain ; et perdu en haltes et repos donnés aux troupes dont les mouvements s'exécutaient avec un degré de précaution timide, peu d'accord avec le but de l'opération. Ainsi trois jours se passèrent avant que l'avant- garde eût pénétré au-delà de Diest, à une distance de quelques milles ; et pourtant, excepté une affaire insignifiante entre un détachement de l'armée de la Meuse et la division de Meyer près de Beringen, où les Belges déployèrent une grande bravoure, l'armée avait rencontré peu d'opposition. Au lieu de se jeter bravement en (page 140) avant, de manière à accabler Daine, avant qu'il eût pu réunir sa division, ils employèrent la journée du 5 à faire des patrouilles et des reconnaissances ; et le 6, toute l'armée conserva ses positions et prit du repos (Dépêche de S. A. R. le prince d'Orange au roi, datée de son quartier-général à Gheel, 5 août 1831). Ces 48 heures auraient pu suffire pour amener l'ennemi sur les hauteurs de S'-Josse-ten-Noode.

Ce ne fut que par une lettre du général Chassé, annonçant son dessein de renouveler les hostilités le 4, à neuf heures et demie du soir, que les Belges furent tirés de leur sécurité ; car quoique de vagues rumeurs de guerre eussent circulé, on ne croyait pas possible la violation de la suspension d'armes, sans notification préalable. Des copies de cette lettre furent remises au roi le 1er août, à Liége, et au gouvernement à Bruxelles, dans l'après-dîner du 2. Elles furent bientôt suivies d'une dépêche de ieken, annonçant la marche de l'armée hollandaise. A peine le roi eut-il connaissance de cette lettre qu'il se prépara à revenir dans sa capitale, et ayant consulté les personnes qui étaient auprès de lui, il ordonna à M. Lebeau d'écrire à M. Le Hon pour demander l'assistance éventuelle de la France, tandis que M. de Muelenaere, ministre des affaires étrangères, adresserait aussi une lettre au même (page 141) diplomate à Paris. A la réception de cette dépêche, des ordres furent donnés par le télégraphe pour concentrer à l'instant l'armée du Nord, et le maréchal Gérard, avec les ducs d'Orléans et de Nemours, se prépara à quitter Paris, au moment convenable. Tout à fait trompés sur les forces de leur armée, et pleins de confiance dans ses efforts pour préserver le pays d'une invasion, surtout avec l'aide des gardes civiques et d'une levée en masse, M. de Muelenaere et ses collègues à Bruxelles, repoussèrent l'idée d'admettre des secours étrangers, comme inconstitutionnels, comme inutiles et comme injurieux à l'honneur national. Ainsi ce ne fut que lorsqu'une copie de la lettre de M.  Lebeau à M. Le Hon revint de Paris, que le ministre des affaires étrangères belge fut informé que M. Lebeau avait assumé la responsabilité grave, mais indispensable, de demander au gouvernement français d'envoyer à l'instant même des secours dans la direction d'Anvers et de Maestricht. Aussitôt que le cabinet apprit ce fait, il adressa une dépêche au roi, qui avait son quartier-général à Malines, pour prier S. M. de ne pas perdre de temps pour empêcher l'entrée des troupes françaises.

Le roi reçut semblable requête d'une autre source encore. Sir Robert Adair, qui avait été nommé successeur de lord Ponsonby, n'étant pas (page 142) arrivé, M. White prit encore sur lui la responsabilité de se rendre à Malines, pour pouvoir être à même de communiquer l'état réel des affaires à son gouvernement ; le ministre des affaires étrangères le pria de dire à S. M., « qu'il l'implorait à genoux d'empêcher l'exécution d'une mesure qui était de nature à compromettre l'honneur militaire du pays. » Ce message fut bientôt communiqué au roi, qui répondit « que la demande d'intervention militaire était conditionnelle et non absolue, et que la lettre à M. Le Hon était en substance semblable à celle qu'il avait écrite lui-même aux lords Grey et Palmerston. » Ce fait ne doit pas être perdu de vue ; car il prouve que la demande de secours était pour le cas de nécessité et non immédiate. Cette nécessité malheureusement fut bientôt rendue évidente. Quelque grande que pût être la confiance du roi dans ses ressources, dans le courage et l'enthousiasme de ses troupes et des citoyens, une inspection récente des corps de Tieken et de Daine, et l'insuffisance de l'état-major, lui avaient démontré que ses forces étaient impuissantes pour résister aux masses imposantes qui s'avançaient contre lui, et qu'il était d'une importance vitale de se prémunir contre un revers. L'armée belge n'était pas en effet en situation d'offrir une résistance sérieuse ; aussi sa défaite n'est pas un fait militaire dont les Hollandais doivent être glorieux ; car si elle n'a pas été complète, (page 143) cela ne peut être attribué qu'à un manque impardonnable de science militaire de leur part et à l'intervention française.

Au moment où les troupes hollandaises franchissaient la frontière, les forces belges étaient distribuées à peu près comme suit : la droite ou armée de la Meuse, commandée par le lieutenant-général Daine, officier plus distingué par son courage personnel que par ses connaissances dans l'art de la guerre, consistait à environ 9,000 hommes d'infanterie, 800 de cavalerie, et 24 pièces de canon attelées ; son quartier-général était à Hasselt, et ses troupes étant échelonnées de cette place à Venloo et Ruremonde, couvraient une étendue de vingt-cinq lieues. La gauche, ou armée de l'Escaut, commandée par le lieutenant-général Tieken, vieux soldat, mais général peu habile, était forte d'environ 13,000 hommes, dont 3,000 de garde civique, et avait 12 pièces de canon. L'avant-garde, sous les ordres du général Niellon, qui, dans cette occasion, fit preuve de talents militaires distingués, était en avant de Merxplas, et en outre chargée de garder la frontière. Cette dernière armée surveillait la citadelle, occupait le fort du Nord, et était disséminée sur tout le pays, depuis l’Escaut jusqu'à Turnhout et Gheel. Le centre était découvert, et laissait un passage de plusieurs milles entre les corps de gauche et de droite, de sorte que le point le plus (page 144) important de toute la ligne était sans défense. En Flandre, un corps de 8,000 hommes occupait Gand, Bruges et Ostende ; mais, y compris la garde civique, toutes les forces disponibles n'excédaient pas 22,000 hommes, entre la Meuse et l'Escaut.

Pour donner une idée de l'entière désorganisation et de l'impossibilité qu'il y avait pour les troupes, de tenir la campagne, il suffit de donner les extraits qui suivent des lettres et rapports officiels adressés par le général Daine au ministre de la guerre. Ils expliqueront les désastres qui eurent lieu alors : « Je puis prouver (disait-il) que ma division était la seule qui possédât une ombre de discipline et d'organisation, qu'elle était le seul point d'appui pour le gouvernement, et que depuis le commencement de la guerre de l'indépendance, elle n'a pas donné à la nation ce fatal exemple de révoltes, de trahisons et de mutineries scandaleuses, qui ont si souvent jeté l'alarme dans le pays. Les chambres ont retenti des louanges exagérées, données aux volontaires, louanges prodiguées par d'imprudents orateurs, qui faisaient l'apologie de leur indiscipline et de leur insubordination, tandis qu'ils dépréciaient les services des troupes régulières et fomentaient ainsi la jalousie et la défiance si fréquentes entre ces corps. L'organisation avançait lentement. Le gouvernement provisoire (page 145) avait appelé les anciens officiers belges faisant partie de l'armée des Pays-Bas ; presque tous s'étaient empressés de répondre à l'appel de leur pays, et abandonnant un rang et des honneurs acquis par de longs services, embrassèrent avec joie la cause nationale. Comment furent-ils récompensés ? Une masse de jeunes gens, qui se sont distingués pendant la révolution, croient posséder à eux seuls toutes les capacités militaires, et se partagent les meilleurs emplois. Quelques-uns sont devenus majors, colonels, chefs d'état-major et généraux. Tous voulaient être au moins capitaines. La fidélité au serment, à l'honneur, au drapeau, était comptée pour rien. Sous le prétexte de patriotisme, la déloyauté et la désertion furent récompensées. Les forteresses même furent achetées par l'avancement des officiers qui les commandaient. Voyant la nécessité d'établir graduellement la discipline dans ma division, je demandai au ministre la permission de former un camp : je ne reçus pas de réponse. Je demandai un quartier-maître général et quelques officiers d'état-major expérimentés pour me seconder dans le commandement de mes brigades d'infanterie et de cavalerie : aucune réponse ne me fut faite, qui pût me satisfaire. Tout me fut promis pour l'avenir ; mais aucune promesse n'a jamais été accomplie. Je demandai l'organisation d'un corps d'intendance, des caissons d'infanterie, (page 146) des marmites de campement, des bidons, des cantines, des haches, des pioches, des bêches et divers autres objets d'équipement : je ne reçus pas de réponse. Il avait été convenu que mon armée serait renforcée ; mais elle ne fut jamais augmentée d'un seul homme. Au lieu d'un bataillon bien organisé que j'envoyai à Bruxelles, pour maintenir la tranquillité intérieure, je reçus une horde de volontaires, qui, dès leur arrivée à Hasselt, donnèrent à mes troupes de ligne le plus dangereux. exemple d'indiscipline, et aux habitants du Limbourg l'exemple de l'anarchie qui régnait dans les autres provinces (L'inconduite de ces volontaires fut telle, dans cette province, que le gouverneur, baron de Loe, ayant vainement demandé l'intervention du gouvernement, et la punition des criminels, donna sa démission).

 « Si les hostilités commencent (continue le général), il est de mon devoir de vous informer, que je ne serai pas en état de faire la guerre, de manière à assurer le succès et sauver l'honneur de nos armes. On nous a promis toutes choses ; aucune promesse n'a été remplie. Mes caissons d'ambulance ne sont pas attelés, les renforts n'arrivent pas, je n'ai ni provisions, ni munitions, ni magasins » (Extrait de la correspondance du lieutenant-général Daine avec le ministre de la guerre, en mai, juin et juillet 1831).

(page 147) « Ce fut dans cet état des affaires que les hostilités commencèrent. Mes troupes étaient cantonnées, et disséminées, par ordre du ministre de la guerre, dans diverses places, plusieurs corps à 18 lieues de distance de mon quartier- général. Ma position était critique, j'étais abandonné avec 9,000 hommes sans généraux, sans état-major, sans munitions, sans provisions, sans intendances, sans hôpitaux, sans espions, et sans l'appui de la population. Pour obéir aux ordres qui me furent donnés, j'aurais dû traverser une armée de 40,000 hommes, commandée par les princes en personne, ayant dix généraux à leurs ordres » (Mémoire de Daine au roi Léopold. Ce mémoire a été écrit par ce général, pour se justifier d'avoir désobéi à l'ordre que lui avait donné le roi, de rejoindre l'armée de l'Escaut).

Convaincu de sa faiblesse, de l'importance de fortifier le centre de sa ligne de défense, et de conserver les communications avec Tieken, le général Daine résolut d'abord de faire un mouvement latéral, pour se réunir par le flanc et couvrir ainsi la route de Diest à Louvain. L'extrait suivant d'une lettre de Tieken, datée de Schilde, le 8 juillet, démontre l'état déplorable de l'armée. « Je n'ai pas reçu de renfort. Vous savez qu'un corps d'observation de 10,000 hommes ; (page 148) savoir : 2,000 de troupes de ligne et 8,000 gardes civiques, devaient m'être envoyés pour bloquer la citadelle, et garder la ville et les bords de l'Escaut, qu'indépendamment de cela, vous et moi devions avoir une force disponible de 15,000 combattants. Eh bien ! pas un homme des 10,000 qui m'avaient été promis n'est arrivé ; et je suis loin d'avoir les autres 15,000. Ainsi, avec ces faibles ressources, je fournis la garnison d'Anvers, et occupe trois villages sur la rive gauche. Je garde les batteries sur la rive droite et bloque la citadelle. Je m'étends d'ici jusqu'à Turnhout. La grande route d'Anvers, et celle qui rejoint la frontière à Gheel est échelonnée par mes troupes. Ainsi, mon cher général, il ne m'est pas possible de consentir à votre demande, en ce qui concerne les positions que vous désirez me voir occuper. Vous devez, en conséquence, les occuper vous-même. Je dois ajouter que je n'ai que deux batteries d'artillerie, et que les principales forces de l'ennemi sont concentrées à Tilburg, Bréda, Berg-op-Zoom et Rosendaal, et il est probable, s'il fait le plus léger mouvement, que ce sera sur Anvers, pour se joindre à la flotte et à la citadelle. »

Quand les progrès des Hollandais furent connus et l'état réel de l'armée découvert, un cri universel d'indignation s'éleva contre le ministre de Failly, qui, hors d'état de résistera la clameur générale, donna sa démission, le 4, et fut remplacé (page 149) par le général d'Hane. Mais quoique le blâme fût en partie mérité, et quoique ni lui ni aucun de ses prédécesseurs n'eussent possédé une énergie suffisante ni l'expérience nécessaire pour réorganiser une armée composée d'éléments aussi hétérogènes que ceux dont ils pouvaient disposer, il existait plusieurs causes atténuantes, et, dans ces circonstances, cette tâche aurait surpassé les forces de l'homme le plus habile et le plus énergique. L'état de démoralisation de l'armée ne doit être attribué qu'à la présomption extravagante d'une partie de la presse et des députés, à leur confiance exagérée dans leur courage, à leur mépris des règles de la guerre, à l'intervention des associations, aux tentatives constantes de suborner les officiers faites tantôt par les agents d'une faction, tantôt par les émissaires de l'autre, à l'encouragement donné à l'insubordination, à la préférence accordée aux volontaires sur les troupes de ligne, à la disette de bons officiers, réunis à l'inquiétude générale et à la démoralisation, qui augmentaient chaque jour. Les ministres de la guerre pouvaient faire plus, mais aucun d'eux n'avait les moyens nécessaires. Il était impossible de forcer à l'obéissance, car la presse et les chambres exerçaient leur autorité sur toutes les branches du service, contrecarraient et intimidaient sans cosse le ministre et l'état-major général.

(page 150) Ignorant cependant les périls de sa situation, et l'insuffisance de son armée, la nation accueillit la reprise des hostilités, avec des cris de joie universels. Le cri général « aux armes ! libéraux et catholiques aux armes ! » retentit par tout le pays. Enorgueillis du souvenir de leurs premiers succès, ils s'attendaient à un semblable triomphe. Les hommes mettaient leur blouse, qu'ils regardaient comme un talisman destiné à jeter la terreur dans le cœur de l'ennemi. Les rues et les grandes routes retentissaient de chants de victoire ; et les prisonniers ennemis étaient déjà, dans leur imagination, promenés en triomphe dans la capitale.

Quels que puissent avoir été les sentiments du roi, à cette annonce imprévue, il les cacha sous un air de calme et de sang-froid parfaits, qui ne l'a jamais abandonné pendant cette période dangereuse et critique. Après s'être rendu en hâte de Liége à Bruxelles, il assembla un conseil de guerre, et adopta toutes les précautions que suggérait la prudence, et que les ressources du pays purent permettre. Tandis que les troupes régulières et les réserves étaient partout mises en mouvement, M. Ch. de Brouckère, qui avait remplacé M. de Sauvage au département de l'intérieur, s'occupait de rassembler, le plus tôt possible, les gardes civiques. Leur commandant en chef, M. Emmanuel d'Hoogvorst publia un ordre général, désignant les différents points de rendez-vous, (page 151) et annonçant son intention de se rendre à la frontière. Résolu de partager le sort des habitants d'Anvers, si l'interruption de l'armistice amenait quelque malheur sérieux, Léopold porta son quartier-général dans cette ville, dans l'après-dîner du 4, non cependant sans avoir fait une proclamation dans laquelle il en appelait au courage de la nation, et la conjurait de le suivre au poste du danger. Le peuple répondit à cet appel avec promptitude et enthousiasme ; les rues de Bruxelles et les routes vers la frontière furent bientôt couvertes de volontaires, demandant à grands cris à combattre. Ils ne manquaient certainement ni de courage ni de bonne volonté ; mais n'étant pas organisés, n'ayant ni provisions, ni les choses nécessaires, formant une troupe irrégulière d'hommes armés, sans unité, sans discipline, leur présence fut plus nuisible qu'avantageuse à la défense du pays. Ils auraient pu être utiles dans des combats de rues, mais les employer sur un champ de bataille, était les mener à une défaite certaine ; 5,000 hommes de troupes bien organisées eussent été plus utiles que ces myriades de volontaires bien disposés, mais dont il était impossible de se servir. Mais il était trop tard pour trouver un remède au mal ; l'insubordination et la confusion avaient pénétré (page 152) partout. Jamais pays ne fut surpris dans une situation si peu favorable à la défense ; jamais victoire ne fut plus certaine, et plus facile à remporter.

Une tentative ayant été faite par le général Tabor, commandant d'Anvers, pour amener le général Chassé à consentir à reconnaître la neutralité de la ville, ce dernier refusa, dans l'intention d'augmenter la terreur générale et la confusion, plutôt que dans l'idée de nuire aux habitants. La terreur fut générale parmi ceux-ci ; les horreurs du premier bombardement se représentèrent dans tous les esprits. Tous ceux qui pouvaient se sauver s'en allaient, emportant avec eux leurs moindres valeurs ; les faubourgs et les routes vers le Brabant méridional étaient encombrés de fugitifs, de tout âge et de tout sexe ; des paysans et des troupes d'animaux qui s'échappaient des polders inondés, augmentaient encore la confusion. L'alarme de ceux qui furent forces de rester, quoiqu'un peu diminuée par la présence du roi dans la nuit du 4, se renouvela avec intensité dans la matinée du lendemain ; car le général Chassé, voulant détruire les batteries belges élevées en face de Saint- Laurent, avait ordonné, de ce côté, une sortie qu'il soutint avec ses plus fortes pièces. Cette entreprise fut exécutée, avec succès, par un détachement de 800 hommes, qui, s'avançant par le chemin couvert vers la lunette de Kiel, s'élancèrent (page 153) bravement dans les retranchements belges, et après avoir mis en déroute une batterie qui se retira en confusion, enclouèrent les canons, et se retirèrent en bon ordre dans la citadelle.

Le général Belliard, qui était de retour à Bruxelles, comme ministre plénipotentiaire auprès du roi Léopold, suivit S. M. à Anvers ; il avait aussi tenté la veille d'obtenir une prolongation de la convention. Mais ayant échoué, il renouvela les négociations, le 5, en déclarant que la France et les autres grandes puissances avaient pris la ville sous leur protection, et que le général Chassé serait responsable des événements. Le vieux gouverneur, ayant fait une sortis avec succès, et n'étant pas disposé à nuire à la ville, consentit à suspendre ses opérations, jusqu'a ce qu'il eût reçu de nouvelles instructions de son gouvernement ; et quoiqu'il refusât de ratifier le renouvellement de l'armistice, il convint que les hostilités ne seraient renouvelées qu'autant qu'il y serait provoqué par les Belges. La sécurité d'Anvers étant ainsi, en quelque sorte, garantie, le roi porta son quartier-général à Malines le 5, et ayant rapidement pénétré les intentions des Hollandais, il envoya l'ordre pressant au général Daine, d'exécuter un mouvement par le flanc gauche, pour se réunir à l'armée de l'Escaut dans les environs de Westerloo sur la Nèthe. Des ordres furent en même temps envoyés à Tieken de faire un mouvement par la (page 154) droite dans la même direction. Cependant Daine jugea à propos de désobéir, et détruisit ainsi la seule chance possible de concentrer toute l'armée, et peut-être d'arrêter les progrès de l'ennemi, en le forçant à une bataille dans une position désavantageuse. Ce fut la désobéissance à ces ordres, qui pouvaient et devaient être exécutés dans la nuit du 6 ou dans la matinée du 7, qui contribua en grande partie aux désastres de cette courte campagne. L'opinion générale censura sévèrement la conduite de Daine, non pas tant parce qu'il avait été battu dans un engagement, que parce que, malgré des ordres réitérés, il avait assumé la responsabilité de maintenir ses positions et exposé ainsi non seulement ses troupes, mais celles de Tieken à une destruction inévitable.

La confusion des autorités militaires à Anvers, et même dans tout le pays, ne peut être comparée qu'à l'indignation générale, que souleva l'incurie de de Failly qui avait laissé l'armée dans un état aussi misérable. Des accusations de trahison et d'orangisme le poursuivaient partout ; car le peuple ignorant et irréfléchi attribuait à la trahison ce qui, dans le fait, résultait de causes plus fortes que M. de Failly et les autres ministres qui l'avaient précédé. Telle était la fureur de la populace à Anvers et à Malines, qu'il fut plus d'une fois exposé à un danger imminent, et il est probable que le peuple lui aurait fait un mauvais (page 155) parti, s’il ne se fût échappé d'Anvers à Malines et s'il n'eût été envoyé par le roi, de cette dernière ville, dans la soirée du 5, avec l'ordre d'accélérer la jonction du corps de Daine.

Il ne se passa rien d'extraordinaire jusqu'au 7, jour où les Hollandais recommencèrent leur mouvement en avant, dans l'intention de cerner et de défaire les troupes de Daine, qui, comme s'il eût voulu jouer le jeu de ses adversaires, persistait à maintenir sa position en avant de Hasselt, et même permettait au duc de Saxe-Weimar de tourner son flanc gauche, de pénétrer à St.-Trond, et d'intercepter ainsi la grande route de Bruxelles. Le plan de l'armée hollandaise était simple et propre à assurer le succès de l'invasion. Van Gheen se jeta dans Diest. Meyer, après une courte affaire d'avant-postes prit position près de Herck. Cort- Heiligers avança dans la direction de Zonhoven, et un détachement sortant de Maestricht s'avança sur Tongres, tandis que le duc de Saxe-Weimar se rendait maître de St.-Trond. Le lendemain matin, ces diverses dispositions étant exécutées, le prince d'Orange, à la tête des 1er et 3e divisions avec 48 pièces de canon, s'avança sur Curinghen et Hasselt, soutenu par toute la cavalerie et ses réserves, à l'exception d'une brigade demeurée à Diest ; tandis que, Cort-Heiligers s'avançant de Zonhoven, toute l'armée réunie tomba sur le corps de Daine. Ce corps, presque avant d'être (page 156) attaqué, jeta ses armes et s'enfuit, dans un état de désordre incroyable, jusqu'aux portes de Liége, laissant derrière lui environ 700 hommes tués, blessés ou prisonniers ; abandonnant 5 pièces de canon, 7 chariots de munitions, la plus grande partie de ses bagages et effets de campement. On ne pouvait pas s'attendre à ce que l'armée de Daine tint contre des forces si supérieures : mais la panique qui s'empara de ce corps et la déroute qui eut lieu à la vue de l'ennemi font de cette affaire un des faits les plus honteux pour des troupes qui s'étaient donné elles-mêmes le nom d'armée. Il y eut sans aucun doute plusieurs exemples de valeur distinguée de la part d'individus ou de détachements isolés. Mais en considérant l'affaire sous un point de vue général, il n'existe rien de plus déplorable. Ignorant toute l'étendue de son succès, le prince d'Orange ordonna au duc de Saxe-Weimar de rejoindre le corps principal, de maintenir son quartier-général à Curinghen le 8, et de se rendre seulement jusqu'à Hasselt le 9, afin de poursuivre un ennemi qu'il s'attendait à trouver encore en position près de Tongres. Ayant appris enfin qu'il n'existait plus d'ennemis en front, et que Boecop, avec un détachement venu de Maastricht, occupait Tongres, il résolut de faire un mouvement sur la gauche, et de marcher sur Louvain le 10. En conséquence, tandis que la 2e division, avec la cavalerie légère, s'avançait sur les rives de (page 157) la Geete, à une lieue de Tirlemont, la 3e division, avec la grosse cavalerie, occupait St.-Trond, et toute la lre division était réunie à Diest. Cort-Heiligers demeura à Hasselt, et la grosse cavalerie de même que l'artillerie de réserve furent cantonnées à Looz. Le 11, toute l'armée, excepté Cort-Heiligers et Boecop, qui étaient demeurés pour surveiller Venloo et Liége, s'avança lentement, et établit ses avant-postes près de Bautersem. Par suite de ce mouvement, le flanc droit de Tieken se trouva menacé, et un mouvement rétrograde devint nécessaire.

Le roi Léopold, ayant porté son quartier-général à Aerschot, le 8, ordonna au corps de Tieken de s'assembler en avant de cette place dans la direction de Westmerbeek, pour repousser les Hollandais de Montaigu et faire sa jonction avec Daine, qui, s'il eût exécuté son mouvement, devait y arriver dans la soirée de ce jour.

Les troupes accueillirent le roi, à son arrivée, par de vives acclamations ; il parut si satisfait de l'ardeur et des bonnes dispositions des différents régiments, qu'il adressa aussitôt au général Belliard une lettre dans laquelle, faisant allusion à ce sujet, il disait : « Les circonstances sont si favorables, que je pense qu'il est urgent d'arrêter le mouvement du maréchal Gérard. Ce sentiment est partagé par toute l'armée, et je pense que nous devons combattre sans l'assistance des (page 158) étrangers. Je pense aussi que, pour le maintien du bon accord entre les puissances, il est absolument désirable que le maréchal ne s'avance, que lorsque les circonstances l'exigeront impérieusement » (Lettre de Léopold au général Belliard, datée d'Aerschot, 8 du mois d'août 1831. Cette lettre fut écrite avec la pensée que Daine, exécutant les ordres du roi, formerait sa jonction arec Tieken).

Une dépêche de M. Van de Weyer, envoyé belge à Londres, arrivée à Bruxelles le 7, contribua à augmenter la confiance du roi et de l'armée, qui en reçut immédiatement communication. Il était arrivé de Java à Londres, des rapports détaillés sur une révolte qui aurait eu lieu parmi les troupes belges au service hollandais à Batavia, et sur l'occupation de cette importante colonie, au nom du gouvernement révolutionnaire ; M. Van de Weyer se hâta d'en communiquer la nouvelle à son gouvernement. Ces rapports, quoiqu'accrédités avec beaucoup trop de légèreté, n'étaient pas tout à fait dénués de probabilité. Car, quoique la plus grande vigilance fût exercée par le gouvernement hollandais, pour empêcher que la connaissance des événements du continent ne se répandit parmi les soldats belges et français qui formaient les deux tiers des forces coloniales, toutefois ils les (page 159) connurent suffisamment pour éprouver un ardent désir d'épouser la cause nationale, ou au moins de se soustraire à un service dans lequel ils étaient en butte aux soupçons et aux actes d'injustice, tandis que leurs compatriotes recevaient dans leur pays des récompenses et un avancement rapide. Le gouvernement belge fut accusé d'avoir inventé cette nouvelle, pour soutenir le courage chancelant du peuple. Cette accusation est injuste ; mais en admettant qu'il en fût ainsi, un tel stratagème eût été excusable dans ce moment.

Le roi, ayant concentré les troupes de Tieken, et réuni un corps de gardes civiques, qui formaient en tout une force de 15,000 hommes, marchait sur Montaigu, quand la nouvelle du désastre de Daine parvint à son quartier-général. Ce malheur inattendu rendit nécessaire un changement total dans les opérations. Il était évident que les Hollandais ne perdraient pas, ou au moins ne devaient pas perdre un moment, pour marcher sur Bruxelles ; et, en conséquence, la seule chance de sauver la capitale était de faire un mouvement en arrière, aussi rapidement que possible sur Louvain, et de tâcher de prendre position en avant de cette place, pour arrêter les progrès de l'ennemi jusqu'à l'arrivée des troupes auxiliaires françaises, que le général Belliard avait appelées, au moment même où on apprit la défaite de Hasselt. En conséquence, l'armée de l'Escaut, qui était maintenant (page 160) réduite à environ 8,000 hommes de troupes régulières, avec 18 pièces de canon, se retira sur Aerschot, et le soir même du 10 bivouaqua en avant de Louvain, ayant ses avant-postes à Bautersem.

Décrire la confusion qui régnait à Louvain, dans ce moment, serait aussi difficile que d'expliquer le retard de la marche des Hollandais. A l'exception du roi, de M. de Brouckère et de quelques autres, tout l'état-major semblait accablé du danger de leur position. Un sombre pressentiment affaiblissait l'énergie des officiers ; mais les soldats, ignorant le péril, et indifférents sur les résultats moraux, ne semblaient pas découragés. Encombré de volontaires, de caissons d'artillerie et de bagages, Louvain présentait un tableau de désordre complet. Il n'existait ni régularité ni ordre. Chacun commandait, et personne ne voulait obéir. Le plus profond oubli des règles ordinaires de défense se montrait partout. Les précautions les plus nécessaires étaient négligées ; un grand nombre de ceux qui avaient quitté Bruxelles, armés jusqu'aux dents, fuyaient, jetaient leurs armes, et annonçaient que si l'armée française n'arrivait pas promptement, Bruxelles était perdu. Quelques-uns en étaient si persuadés qu'ils jugèrent prudent de chercher leur salut dans les provinces éloignées. Ainsi, si le prince d'Orange, au lieu de perdre un temps précieux à faire des (page 161) reconnaissances et à prendre des informations, s'était avancé hardiment, avec les 2e et 3e divisions et la cavalerie légère, par la grande route, tandis que Van Gheen et la grosse cavalerie eussent manœuvré sur la droite, il pouvait aisément occuper les hauteurs qui commandent Louvain dans la soirée du 10, surprendre la brigade belge de Clump, tracassée et fatiguée, lorsqu'elle remplissait de longues rues étroites, et la tailler en pièces au moment où elle aurait débouché de la ville, ou la rejeter en confusion vers Malines ; mouvement d'autant plus facile que, jusque dans la soirée du 10, il n'y avait pas un homme entre Louvain et S'-Trond, excepté quelques faibles détachements de gardes chiques et un corps de gendarmes à cheval qui auraient dû se retirer à l'approche de son avant-garde. Mais l'après-dîner du 8 et les journées du 9, du 10 et du 11 furent perdues à reconnaître le terrain, et à faire un mouvement en avant d'environ 10 lieues (28 milles). De sorte que ce ne fut que dans la soirée de ce dernier jour, que la tête des colonnes hollandaises atteignit Bautersem, d'où elles furent repoussées jusqu'à Roosbeek, après une vive escarmouche avec les avant-postes belges, dont les forces principales occupaient une position sur les hauteurs qui avoisinent Bautersem.

Trouvant leurs adversaires faibles et démoralisés, sans cavalerie, et avec une artillerie comparativement (page 162) insignifiante, les généraux hollandais sortirent enfin de leur léthargie, et se préparèrent à une action plus vigoureuse. Une attaque générale fut décidée. Mais quoique bien combinée, elle fut exécutée avec lenteur et faiblesse. A la pointe du jour, la lre division et la grosse cavalerie s'avançant de St.-Jorres-Winghe, firent un mouvement vers les hauteurs de Pallenberg, et menacèrent l'aile gauche des Belges. La 3e division, occupant la chaussée de Tirlemont, manœuvra sur le centre, et le duc de Saxe-Weimar, avec la 2° division et la cavalerie légère, obliquant sur la gauche, passa la Dyle entre Corbeek et Heverlé, et tournant ainsi complètement la droite des Belges, se jeta sur leurs derrières, s'empara de la route de Bruxelles, coupant ainsi les communications entre Louvain et la capitale, et poussa ses vedettes dans la direction de Cortenberg et de Tervueren. Dans la supposition d'une défaite (et une défaite était inévitable), la seule espérance qui restait aux Belges pour faire leur retraite était l'étroite chaussée qui borde le canal de Malines ; elle ne pouvait s'effectuer que sous un feu meurtrier, au milieu de la confusion qui résulte d'une retraite à travers les rues longues et tortueuses d'une ville encombrée de bagages et d'artillerie.

Les Hollandais ont honoré cette affaire du nom de bataille. C'était tout au plus une forte escarmouche (page 163) exécutée, il est vrai, de la part des assaillants avec l'exactitude et la précision de manœuvres ordinaires, et de la part des Belges, avec tout le courage que les circonstances permettaient. Mais ces derniers, quoique d'abord pleins d'ardeur, furent bientôt découragés et perdirent confiance en eux-mêmes et dans leurs officiers surtout, quand ils s'aperçurent de la désertion des gardes civiques, qui, à peu d'exceptions près, se sauvèrent dans toutes les directions, jetant leurs armes et leurs objets d'équipement. Les forces effectives furent ainsi réduites à environ 7,000 hommes. Découragés et accablés par le nombre, de tous les côtés, ils abandonnèrent successivement toutes leurs positions, jusqu'à ce que se voyant complètement environnés, ils furent forcés de se réfugier sous les murs de la ville. En vain le roi et son état-major se portaient-ils au milieu du danger, avec le plus admirable sang-froid et le plus grand calme, tâchant de suppléer au nombre par l'habileté des dispositions ; ce fut en vain que Léopold se multipliait dans toutes les directions et remplissait à la fois les devoirs de roi, de général et de soldat, La disproportion du nombre était trop grande, le découragement trop profond ; il fallait mourir ou se rendre. Sa position était des plus critiques ; l'inertie de ses ennemis pouvait seule le sauver. Si le prince d'Orange, à la tête de sa nombreuse (page 164) et brillante cavalerie, se fût porté en avant, avec cet esprit aventureux qui le caractérise sur les champs de bataille, et s'il n'eût pas été arrêté par la tactique lente et routinière des Hollandais, ni le roi, ni aucun homme de son armée ne lui eussent échappé. Il est vrai que ce prince, qui eut un cheval tué sous lui, déploya la plus grande bravoure, et montra beaucoup d'indifférence pour le péril ; mais ses mouvements ne furent pas assez prompts, et quoique ses ennemis se retirassent devant lui en désordre, il manqua totalement de cette rapidité et de cette hardiesse de détermination qui sont si essentiels dans les moments décisifs. Ces manœuvres devaient être exécutées au pas de charge : ce qui n'eut pas lieu. Il se disposait cependant à poursuivre ses succès, quand un parlementaire parut sur la grande route, et l'arrêta dans sa carrière.

Ce parlementaire était lord William Russel, chargé d'une lettre de l'ambassadeur anglais sir Robert Adair, qui, étant arrivé à Bruxelles dans l'après-diner du 9, s'était rendu, sans perdre de temps, au quartier-général du roi. Le but de cette lettre était de demander une suspension d'armes, et d'informer le prince d'Orange que l’avant-garde française était déjà à Wavre, et s'avançait sur Bruxelles. Le vainqueur, amèrement désappointé d'une intervention qui menaçait de lui arracher le fruit de sa victoire, se montrait (page 165) peu disposé à consentir à la suspension d'armes demandée. Mais sachant qu'il était inutile de s'opposer au maréchal Gérard, et sentant qu'il avait assez fait pour humilier son ennemi, sinon pour réhabiliter l'armée hollandaise, il ordonna à son aide-de-camp, le comte Stirum, d'accompagner lord William Russell, pour s'assurer de l'approche des troupes françaises. En même temps, cependant, ses troupes continuèrent le mouvement en avant.

Croyant que lord William Russell avait échoué dans le principal objet de sa mission et qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour tirer le roi de sa position hasardeuse, sir Robert Adair se détermina à se rendre en personne auprès du prince. Montant à la hâte le premier cheval de poste qu'il put se procurer, ce vétéran de la diplomatie traversa les masses confuses qui encombraient les routes et les faubourgs de la ville, et, malgré le danger personnel auquel il s'exposait, traversa bravement le feu des deux armées qui, sans égard pour le drapeau blanc que portait la personne qui accompagnait l'ambassadeur, continuaient un feu très vif. Ayant rejoint le prince, qui s'avançait à la tête de ses tirailleurs, sir Robert Adair insista d'abord pour une suspension d'armes, qui, après une longue discussion, fut accordée à condition que les troupes belges évacueraient Louvain, et abandonneraient la ville aux Hollandais. Ces préliminaires ayant été acceptés, une convention fut rédigée (page 166) et signée par le général Goblet de la part du gouvernement belge, et après un renouvellement accidentel de la canonnade, dont quelques officiers et soldats hollandais tombèrent victimes, des ordres furent envoyés au due de Saxe-Weimar, de s'arrêter ; et les hostilités furent terminées.

Le général Belliard, qui était demeuré à Louvain, le 9, eut à peine appris la déroute de Daine, événement qu'il avait probablement prévu, que, sans se donner le temps de consulter le roi, il envoya un courrier au maréchal Gérard, lui recommandant de ne pas perdre un moment pour presser la marche des troupes sur le front et sur les flancs de l'ennemi qui s'avançait. En conséquence, l'année du Nord, qui était déjà réunie à la frontière, partit en trois colonnes de ses cantonnements, dans la matinée du 10. La droite, débouchant de Givet sur Namur, le centre de Maubeuge et Valenciennes sur Wavre et Bruxelles, et la gauche allant de Lille sur Tournay, et se dirigeant sur les Flandres. La marche de ces troupes fut si rapide, que la brigade d'avant-garde, commandée par le duc d'Orléans, arriva à Bruxelles le 12, vers midi, tandis que celle du général de la Woestine traversait Wavre, après avoir parcouru une distance de plus de 60 milles en moins de deux jours. Dans la matinée du 13, les vedettes françaises étaient à Cortenberg, Tervueren et Grez, en face de celles des Hollandais. Le même (page 167) jour, le prince d'Orange et le maréchal Gérard conclurent une convention, par laquelle il fut stipulé que l'armée hollandaise commencerait aussitôt son mouvement rétrograde par Tirlemont, St.-Trond et Hasselt, et serait suivie par les Français, qui les escorteraient jusqu'à la frontière. Le 20, toute cette armée avait regagné les limites du Brabant septentrional, et, le lendemain matin, les troupes françaises revinrent dans les positions qu'elles avaient occupées le 13, et, le 14, prirent leurs cantonnements jusqu'à l'arrangement final, qui amena l'évacuation complète du territoire belge. Quelques difficultés et quelques discussions s'étaient élevées sur ce point, et avaient, pour un instant, troublé les relations amicales qui existaient entre les envoyés français et anglais à Bruxelles. Mais, par la discrétion et le calme des deux parties, ces difficultés furent rapidement résolues, et les Français donnèrent une nouvelle preuve convaincante de leur bonne foi et de leur désir de conserver la paix, en retirant d'abord 20,000 hommes, et, bientôt après, le reste de leurs forces qui repassa la frontière le 31.

La terreur et la confusion qui régnaient à Bruxelles, à l'approche des troupes hollandaises, furent augmentées, lorsqu'on sut que l'avant-garde était commandée par le duc de Saxe-Weimar, celui des généraux qui montrait le plus (page 168) de haine contre les patriotes. Les insultes dont on avait si imprudemment accablé ce prince, pouvaient donner lieu à des réactions. Il n'y avait pas de merci à attendre d'un homme si gravement offensé. A la vérité, le langage inconvenant du duc en présence de lord W. Russell, et la manière brutale dont il accueillit le colonel Prisse, officier belge, qui lui fut envoyé en parlementaire, étaient de nature à faire naître de sinistres appréhensions (La manière dont le duc se permit de parler du roi d'Angleterre, excita la vive indignation du brave et loyal officier en présence duquel il parlait. Un Russell, et de tous les Russell peut-être lord William, était le dernier homme capable de permettre un langage insultant pour son souverain, quel que fût le rang de la personne qui le tenait. Une rencontre personnelle eût probablement été le résultat de cette affaire, si le gouvernement anglais, à la demande de sir Robert Adair, ne s'en fût emparé, et n'eût préféré en faire l'objet d'une plainte adressée au cabinet de La Haye). Quelque prompt, quelque violent qu'ait pu être le duc, on doit, jusqu'à un certain point, excuser l'état d'irritation où il était. Les défaites de septembre et d'octobre, et les calomnies qui avaient été répandues contre lui, par le peuple belge et par la presse, devaient l'avoir profondément blessé. Le moment de venger son injure, et de rejeter sur un ennemi détesté les humiliations qu'il avait reçues était arrivé. Animé par le (page 169) succès, et ne voyant plus entre lui et la capitale qu'une masse fuyant en désordre, il se trouvait tout à coup arrêté par la diplomatie, avant-coureur de l'intervention d'une puissante armée française. Le général qui avait espéré pouvoir plonger son glaive au cœur de ceux qu'il appelait des traîtres et des rebelles, devait le remettre dans le fourreau, et il voyait s'évanouir ses rêves de vengeance et de gloire.

L'alarme du peuple, en apprenant la nouvelle de la défaite de Daine et la retraite du corps de Tieken, qui en était la conséquence, ne peut être comparée qu'à la confusion qui avait atteint toutes les branches de l'administration. Les personnes les plus éminentes de la révolution, spécialement celles qui se croyaient exposées à la vengeance des Hollandais, fuyaient ou prenaient des mesures pour s'assurer une retraite. Les rues étaient presque désertes ; peu de temps auparavant l'air retentissait de chants de guerre et de victoire ; mais maintenant les chants avaient cessé. L'inquiétude et l'abattement étaient peints sur toutes les figures, excepté sur celles d'un petit nombre de partisans de l'ancien gouvernement, qu'on vit se réjouir de la défaite des patriotes et tourner des regards d'espérance vers les routes qui devaient leur ramener leurs anciens maîtres. Quelques-uns même allaient jusqu'à préparer des adresses, des félicitations et des banquets pour le prince dont l'entrée (page 170) victorieuse était regardée comme inévitable ; car la capitale était à sa merci, ouverte et sans défense. Toute tentative de résistance eût été ridicule. Rendus sages par l'expérience, il était impossible de supposer que les généraux hollandais eussent voulu compromettre de nouveau leur honneur et la vie de leurs soldats, par une entrée de vive force. Un bombardement, en cas de résistance, était regardé comme inévitable ; mais même les canons et les obusiers devenaient inutiles ; car ils pouvaient entrer sans opposition. L'esprit d'énergie qui avait caractérisé la défense de septembre était abattu ; la blouse avait perdu son prestige, elle était devenue un objet de dérision pour l'ennemi. Le conseil des ministres était rassemblé, mais ne prenait aucune résolution. La régence s'assembla de son côté, tout aussi infructueusement. On doit cependant leur rendre la justice de dire que leur affliction était considérablement augmentée par les regrets qu'ils éprouvaient de la douloureuse position du roi, dont la fuite ou la captivité paraissait inévitable. Le respectable bourgmestre, M. Rouppe, proposa de sonner le tocsin, de faire un appel au peuple, tandis que le peu d'hommes qui resteraient pour la défense de la capitale, feraient une démonstration de défense, en plaçant 4 ou 5 pièces de canon aux portes de Louvain et de Namur, et la garde civique sédentaire occuperait les boulevards. Mais l'impossibilité (page 171) de la résistance était si évidente que les hommes plus prudents, qui étaient en majorité, jugèrent plus convenable de rechercher les meilleurs moyens d'apaiser la colère de l'ennemi, et de sauver la ville, par une capitulation, des désastres qui la menaçaient, si les Hollandais entraient de force dans ses murs avant l'arrivée des troupes françaises. Tel était l'état des affaires, lorsque la nouvelle positive de l'approche de l'armée du Nord fut reçue. Ce ne fut que lorsque les baïonnettes de l'avant-garde française brillèrent sur les hauteurs de Hal, que la confiance put se rétablir, et que les citoyens et le gouvernement respirèrent à l'aise.

La politique et l'utilité d'une expédition tentée avec la connaissance de la neutralité prussienne, et en face de l'intervention armée de la France et de l'Angleterre ont été mises en question. Il est vrai que le prince d'Orange fut loin de retirer tous les avantages qui pouvaient résulter de sa supériorité et de la faiblesse de ses ennemis, s'il avait agi avec plus d'activité et d'énergie ; mais il n'est pas douteux qu'un avantage moral essentiel n'ait été le résultat de cette courte campagne, dont le plan avait été longtemps concerté, et même soumis au jugement de quelques-uns des plus habiles stratégistes étrangers et du colonel prussien Scharnhorst, entre autres, qui se trouvait au quartier-général hollandais. (page 172) Cette expédition releva et ranima la nation hollandaise et l'armée, et servit à les rallier plus fortement autour du monarque. Elle replaçait l'héritier du trône dans la confiance des troupes et l'affection du peuple, qui ne lui avait pas encore pardonné sa prédilection pour les Belges, ni la conduite qu'il avait tenue à Anvers ; elle rétablissait l'honneur de l'armée hollandaise, si cruellement blessé par la déplorable attaque de Bruxelles, et par les défaites non moins honteuses de Walhem et de Berchem. Non que cela fût strictement juste ; car s'il peut y avoir beaucoup de gloire dans le succès obtenu par une poignée de volontaires indisciplinés sur des troupes régulières, pourvues de cavalerie, d'une artillerie suffisante et de tout ce qui est nécessaire pour faire la guerre, il n'était pas très honorable d'obtenir la victoire, au moyen de troupes disciplinées et bien organisées sur une multitude à peine armée. Cette expédition servait encore à tourner plus que jamais la sympathie générale en faveur de la Hollande. Elle opéra favorablement sous le point de vue politique, au point d'amener le retrait des dix-huit articles, et de les remplacer par un traité se rapprochant beaucoup plus des bases originaires de séparation. Enfin si la France ne fût pas intervenue, les Hollandais pouvaient accomplir leurs projets et dicter leurs conditions dans la capitale de la Belgique. Quelque (page 173) susceptible de critique que cette opération militaire puisse avoir été en ce qui a rapport à la rapidité de l'exécution, le plan était admirablement conçu pour assurer le succès, et il offrit la preuve convaincante de l'irrésistible supériorité de l'unité et de la subordination sur les dissensions et l'anarchie. L'expédition produisit encore un autre résultat avantageux : ce fut de démontrer à l'Europe l'impuissance des corps désorganisés, quand ils agissent sur un terrain ouvert contre des troupes régulières. Le succès extraordinaire remporté par les patriotes, en 1830, faisait penser à quelques-uns qu'on pouvait mépriser les maximes de tactique résultant de l'expérience des âges ; le désastre de 1831 rétablit cette question sous son véritable point de vue.

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