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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 3
CHAPITRE
TROISIEME
Mission du baron de Wessenberg à
(page 125) Il se
préparait en Hollande une tempête qui devait convertir ces fêtes et ces
réjouissances en journées de deuil, et la marche triomphale du roi en une
déroute douloureuse et inattendue. Confiants dans les traités et la solennité
d'un armistice (page
126) garanti par la conférence, les Belges s'abandonnaient à une fatale
sécurité, dont ils ne furent tirés que par le choc qui vint briser leur orgueil
national et menacer leur royauté naissante.
Il est nécessaire de remonter à une époque
antérieure, pour expliquer les causes qui amenèrent les événements d'août. La
conférence, influencée par la crainte de la guerre et non par la plus légère
sympathie pour les Belges, avait adopté des modifications aux préliminaires et
faisait tous ses efforts pour amener le prince Léopold à changer son existence
heureuse et brillante en Angleterre contre les soucis et les hasards d'un trône
révolutionnaire. Entraînées par la force des circonstances, les cinq puissances
avaient à regret sacrifié les prétentions de la légitimité à celles de
l'insurrection, tandis que le roi Léopold, plus influencé par le noble désir de
coopérer au maintien de la paix, que par des motifs d'ambition, s'élançait
généreusement dans l'abîme, et se dévouait au bonheur général.
La conférence ayant de fortes raisons de penser
que les dix-huit articles pourraient être admis en Belgique, il était de la
plus grande importance d'amener l'adhésion des deux côtés, en employant tous
les moyens possibles pour surmonter l'aveugle obstination du cabinet hollandais
; car, jusqu'au dernier moment, les plénipotentiaires des Pays-Bas avaient
insisté sur le (page 127) maintien des
bases de séparation, selon la lettre du 12e protocole, comme le sine qua non
de toute négociation ultérieure, et menacèrent du renouvellement des
hostilités. Le 22 juin, ils adressèrent à la conférence une note, par laquelle
ils la sommaient énergiquement d'exécuter les engagements consignés dans ce
premier acte, en déclarant que, s'ils refusaient, « il ne resterait au roi
d'autre alternative que d'agir par lui-même, et de mettre fin à une
condescendance, qui serait désormais incompatible avec le salut intérieur et
extérieur de son royaume, avec les intérêts de ses fidèles sujets, déjà si
gravement compromis, et dont la ruine serait le résultat d'une prolongation de
la crise actuelle. » (« Recueil de pièces diplomatiques »,
Tous ces efforts furent inutiles. Ni la crainte
d'amener ce choc effrayant que l'Europe était si désireuse d'éviter, ni celle
de prolonger une crise qui devait entraîner tant de maux pour
La réception de ce manifeste, jointe aux
déclarations antérieures de
Le 1er du mois d'août, le ministre hollandais répondit à la conférence en
déclarant que « le roi, qui avait sans cesse donné des preuves de son désir de
coopérer à un arrangement, et d'assurer, autant que possible, le maintien de la
paix en Europe, avait envoyé des instructions à ses plénipotentiaires à
Londres, pour terminer et signer un traité définitif destiné à régler la
séparation entre
Les sophismes et les contradictions du cabinet
néerlandais, en cette occasion, sont aussi étranges que l'incrédulité apparente
et l'apathie de la conférence. Il est vrai que les Hollandais avaient imaginé
d'éluder l'exécution de l'armistice, par lequel les Belges s'étaient liés, le
18 décembre, et non moins vrai que cet armistice avait été à différentes
reprises enfreint par les deux parties. Mais, quoique cette convention fût
incomplète, il existait une suspension d'armes indéfinie, sous la garantie
immédiate de la conférence, que les Hollandais avaient plus d'une fois
reconnue, et à laquelle ils en avaient appelé dans leur note du 21 mai. Selon
les droits des nations et les lois de la guerre, aucune suspension semblable ne
peut être rompue sans une annonce antérieure. Chaque fois que l'histoire offre
un exemple d'infraction soudaine à une trêve, elle la flétrit toujours comme un
acte de trahison et de mauvaise foi, incompatible avec les usages des nations
civilisées. Les observations de la conférence, sur ce sujet, quoique pleines de
dignité et de modération, (page 133)
exprimaient sa surprise et son improbation. Dans une note du 5 juillet, elle
déclare « qu'on ne peut comprendre l'intention du roi de recourir à des mesures
militaires, que comme applicables à l'intérieur de
Un autre fait extraordinaire, eu égard à
l'objet de sa mission, fut l'aveu de la conférence, qu'elle n'apprit ce
mouvement que par les journaux, et qu'il ne fut pas possible d'obtenir une
explication du baron Falck, ou de son collègue. Cette dernière circonstance fut
promptement expliquée : mais il n'est pas si aisé d'imaginer que le
gouvernement anglais fût si mal informé de ce qui (page 134)
se passait en Hollande, ou, s'il eut des informations, qu'il ait pu se tromper
sur l'objet de la concentration et des préparatifs de l'armée hollandaise. La
probité des plénipotentiaires ne devait peut-être pas leur permettre de
supposer une violation si manifeste des usages internationaux ; mais quoique
toutes les précautions fussent prises, pour garder le secret sur les opérations
préméditées dans le but de rendre la surprise plus efficace, il est presque
impossible de concevoir que l'ambassadeur d'Angleterre à
Pendant plusieurs semaines, les préparatifs les
plus actifs furent faits pour cette expédition. L'organisation de l'armée
s'était faite rapidement, et avec succès, sous la direction du prince Frédéric,
qui, quoique faible stratégiste, possédait, comme administrateur, un mérite du
premier ordre.
Les Hollandais, qui connaissaient l'état
d'insubordination, la désunion et la faiblesse numérique de leurs adversaires,
et savaient combien il était facile de faire une pointe sur la capitale de
Le 2, avant la pointe du jour, les différents
corps sortirent de leurs cantonnements, et s'avancèrent vers la frontière
belge, la première division pénétrant par Baerle-Hertog et Sonderegen, repoussa
les avant-postes belges sur Merxplas. La seconde,
avançant sur Peppel et Weelde,
s'établit à l'Ele et Raevels,
après un vif engagement avec l'avant-garde du général Niellon.
La troisième, débouchant dans les environs de Eindhoven, bivouaqua à Arendonck et Rethy, tandis que le
corps de Cort-Heiligers
marchait sur le Limbourg, et occupait Heusden. Le général Trip, avec la grosse
cavalerie et trois batteries d'artillerie, demeura en réserve à Alphen ; et la cavalerie légère de Boreel,
avec dix-huit pièces de canon, se porta en avant. Le 3, le prince poursuivit
ses succès et arriva à Turnhout ; sa droite ayant passé la chaussée près Vorslaer, menaçait la grande route de Bruxelles, par
Lierre, et sa gauche celle de Diest et Louvain. Deux petites colonnes
d'éclaireurs, venant de Berg-op-Zoom, (page 138)
s'avançaient sur l'extrême droite par Calmpthout, Capelle et West-Wezel ; et tandis que le général Kock, commandant les
troupes en Zélande, faisait une attaque sur le Capitalen-Dam,
un détachement de marins et d'infanterie, appuyé par la flotte, se jetait dans
le fort à demi ruiné de Sainte-Marie, dont il prit possession, après une légère
résistance. Dibbets n'était pas non plus resté oisif.
De fortes colonnes sortirent de Maestricht dans le but d'attaquer la position
de l'ennemi en flanc, et de détourner l'attention du corps de Daine de son
front. Les premières opérations de l'armée d'invasion furent suivies du succès.
Le grand objet de la manœuvre sur Turnhout était de faire croire aux généraux
belges que les Hollandais voulaient faire une tentative sur Anvers, et de
s'avancer, à l'aide de cette division, sur Bruxelles, par la route de Lierre ;
ce stratagème réussit pendant deux ou trois jours.
Trois plans pouvaient être adoptés par l'armée
d'invasion, tous trois offrant des chances de succès.
L'un était de tenter un coup de main sur Anvers, appuyé par la citadelle et la
flottille, le second était d'attaquer et de détruire le corps de Tieken, de se jeter alors sur celui de Daine, et après les
avoir battus l'un et l'autre en détail, se porter sur Bruxelles, projet d'une
exécution facile. Le troisième était de s'avancer entre l'un et l'autre, de
tourner leurs flancs, d'envelopper (page 139)
Daine, et alors de se porter en avant par Saint-Trond et Louvain, sur la
capitale. Ce dernier plan fut adopté, et s'il eût été suivi avec vigueur et
promptitude, les Hollandais eussent pu facilement arriver à Bruxelles le 7,
après avoir détruit Tieken et Daine, dont les corps
étaient tout à fait hors d'état de résister à une attaque sérieuse. Dans la
matinée du 4, les première et seconde divisions firent un mouvement de flanc
gauche par Gheel et Diest, et la troisième par Moll
et Hasselt, afin de s'établir sur
Ce ne fut que par une lettre du général Chassé,
annonçant son dessein de renouveler les hostilités le 4, à neuf heures et demie
du soir, que les Belges furent tirés de leur sécurité ; car quoique de vagues
rumeurs de guerre eussent circulé, on ne croyait pas possible la violation de
la suspension d'armes, sans notification préalable. Des copies de cette lettre
furent remises au roi le 1er août, à Liége, et au gouvernement à Bruxelles, dans l'après-dîner du 2.
Elles furent bientôt suivies d'une dépêche de ieken,
annonçant la marche de l'armée hollandaise. A peine le roi eut-il connaissance
de cette lettre qu'il se prépara à revenir dans sa capitale, et ayant consulté
les personnes qui étaient auprès de lui, il ordonna à M. Lebeau d'écrire à M.
Le Hon pour demander l'assistance éventuelle de la France, tandis que M. de
Muelenaere, ministre des affaires étrangères, adresserait aussi une lettre au
même (page 141) diplomate à Paris. A la réception de cette dépêche, des ordres furent
donnés par le télégraphe pour concentrer à l'instant l'armée du Nord, et le
maréchal Gérard, avec les ducs d'Orléans et de Nemours, se prépara à quitter
Paris, au moment convenable. Tout à fait trompés sur les forces de leur armée,
et pleins de confiance dans ses efforts pour préserver le pays d'une invasion,
surtout avec l'aide des gardes civiques et d'une levée en masse, M. de
Muelenaere et ses collègues à Bruxelles, repoussèrent l'idée d'admettre des
secours étrangers, comme inconstitutionnels, comme inutiles et comme injurieux
à l'honneur national. Ainsi ce ne fut que lorsqu'une copie de la lettre de
M. Lebeau à M. Le Hon revint de Paris,
que le ministre des affaires étrangères belge fut informé que M. Lebeau avait
assumé la responsabilité grave, mais indispensable, de demander au gouvernement
français d'envoyer à l'instant même des secours dans la direction d'Anvers et
de Maestricht. Aussitôt que le cabinet apprit ce fait, il adressa une dépêche
au roi, qui avait son quartier-général à Malines, pour prier S. M. de ne pas
perdre de temps pour empêcher l'entrée des troupes françaises.
Le roi reçut semblable requête d'une autre
source encore. Sir Robert Adair, qui avait été nommé successeur de lord Ponsonby, n'étant pas (page
142) arrivé, M. White prit encore sur lui la responsabilité
de se rendre à Malines, pour pouvoir être à même de communiquer l'état réel des
affaires à son gouvernement ; le ministre des affaires étrangères le pria de
dire à S. M., « qu'il l'implorait à genoux d'empêcher l'exécution d'une mesure
qui était de nature à compromettre l'honneur militaire du pays. » Ce message
fut bientôt communiqué au roi, qui répondit « que la demande d'intervention
militaire était conditionnelle et non absolue, et que la lettre à M. Le Hon
était en substance semblable à celle qu'il avait écrite lui-même aux lords Grey
et Palmerston. » Ce fait ne doit pas être perdu de vue ; car il prouve que la
demande de secours était pour le cas de nécessité et non immédiate. Cette
nécessité malheureusement fut bientôt rendue évidente. Quelque grande que pût
être la confiance du roi dans ses ressources, dans le courage et l'enthousiasme
de ses troupes et des citoyens, une inspection récente des corps de Tieken et de Daine, et l'insuffisance de l'état-major, lui
avaient démontré que ses forces étaient impuissantes pour résister aux masses
imposantes qui s'avançaient contre lui, et qu'il était d'une importance vitale
de se prémunir contre un revers. L'armée belge n'était pas en effet en
situation d'offrir une résistance sérieuse ; aussi sa défaite n'est pas un fait
militaire dont les Hollandais doivent être glorieux ; car si elle n'a pas été
complète, (page 143) cela ne peut
être attribué qu'à un manque impardonnable de science militaire de leur part et
à l'intervention française.
Au moment où les troupes hollandaises
franchissaient la frontière, les forces belges étaient distribuées à peu près
comme suit : la droite ou armée de
Pour donner une idée de l'entière
désorganisation et de l'impossibilité qu'il y avait pour les troupes, de tenir
la campagne, il suffit de donner les extraits qui suivent des lettres et
rapports officiels adressés par le général Daine au ministre de la guerre. Ils
expliqueront les désastres qui eurent lieu alors : « Je puis prouver
(disait-il) que ma division était la seule qui possédât une ombre de discipline
et d'organisation, qu'elle était le seul point d'appui pour le gouvernement, et
que depuis le commencement de la guerre de l'indépendance, elle n'a pas donné à
la nation ce fatal exemple de révoltes, de trahisons et de mutineries
scandaleuses, qui ont si souvent jeté l'alarme dans le pays. Les chambres ont
retenti des louanges exagérées, données aux volontaires, louanges prodiguées
par d'imprudents orateurs, qui faisaient l'apologie de leur indiscipline et de
leur insubordination, tandis qu'ils dépréciaient les services des troupes
régulières et fomentaient ainsi la jalousie et la défiance si fréquentes entre
ces corps. L'organisation avançait lentement. Le gouvernement provisoire (page 145) avait
appelé les anciens officiers belges faisant partie de l'armée des Pays-Bas ;
presque tous s'étaient empressés de répondre à l'appel de leur pays, et abandonnant
un rang et des honneurs acquis par de longs services, embrassèrent avec joie la
cause nationale. Comment furent-ils récompensés ? Une masse de jeunes gens, qui
se sont distingués pendant la révolution, croient posséder à eux seuls toutes
les capacités militaires, et se partagent les meilleurs emplois. Quelques-uns
sont devenus majors, colonels, chefs d'état-major et généraux. Tous voulaient
être au moins capitaines. La fidélité au serment, à l'honneur, au drapeau,
était comptée pour rien. Sous le prétexte de patriotisme, la déloyauté et la
désertion furent récompensées. Les forteresses même furent achetées par
l'avancement des officiers qui les commandaient. Voyant la nécessité d'établir
graduellement la discipline dans ma division, je demandai au ministre la
permission de former un camp : je ne reçus pas de réponse. Je demandai un
quartier-maître général et quelques officiers d'état-major expérimentés pour me
seconder dans le commandement de mes brigades d'infanterie et de cavalerie :
aucune réponse ne me fut faite, qui pût me satisfaire. Tout me fut promis pour
l'avenir ; mais aucune promesse n'a jamais été accomplie. Je demandai
l'organisation d'un corps d'intendance, des caissons d'infanterie, (page 146) des marmites de campement,
des bidons, des cantines, des haches, des pioches, des bêches et divers autres
objets d'équipement : je ne reçus pas de réponse. Il avait été convenu que mon
armée serait renforcée ; mais elle ne fut jamais augmentée d'un seul homme. Au
lieu d'un bataillon bien organisé que j'envoyai à Bruxelles, pour maintenir la
tranquillité intérieure, je reçus une horde de volontaires, qui, dès leur
arrivée à Hasselt, donnèrent à mes troupes de ligne le plus dangereux. exemple
d'indiscipline, et aux habitants du Limbourg l'exemple de l'anarchie qui
régnait dans les autres provinces (L'inconduite de ces volontaires fut
telle, dans cette province, que le gouverneur, baron de Loe,
ayant vainement demandé l'intervention du gouvernement, et la punition des
criminels, donna sa démission).
« Si les hostilités commencent (continue le
général), il est de mon devoir de vous informer, que je ne serai pas en état de
faire la guerre, de manière à assurer le succès et sauver l'honneur de nos
armes. On nous a promis toutes choses ; aucune promesse n'a été remplie. Mes
caissons d'ambulance ne sont pas attelés, les renforts n'arrivent pas, je n'ai
ni provisions, ni munitions, ni magasins » (Extrait de la
correspondance du lieutenant-général Daine avec le ministre de la guerre, en
mai, juin et juillet 1831).
(page 147) « Ce
fut dans cet état des affaires que les hostilités commencèrent. Mes troupes
étaient cantonnées, et disséminées, par ordre du ministre de la guerre, dans
diverses places, plusieurs corps à 18 lieues de distance de mon quartier- général.
Ma position était critique, j'étais abandonné avec 9,000 hommes sans généraux,
sans état-major, sans munitions, sans provisions, sans intendances, sans
hôpitaux, sans espions, et sans l'appui de la population. Pour obéir aux ordres
qui me furent donnés, j'aurais dû traverser une armée de 40,000 hommes,
commandée par les princes en personne, ayant dix généraux à leurs ordres » (Mémoire de Daine au roi Léopold. Ce mémoire a été
écrit par ce général, pour se justifier d'avoir désobéi à l'ordre que lui avait
donné le roi, de rejoindre l'armée de l'Escaut).
Convaincu de sa faiblesse, de l'importance de
fortifier le centre de sa ligne de défense, et de conserver les communications
avec Tieken, le général Daine résolut d'abord de
faire un mouvement latéral, pour se réunir par le flanc et couvrir ainsi la
route de Diest à Louvain. L'extrait suivant d'une lettre de Tieken,
datée de Schilde, le 8 juillet, démontre l'état déplorable de l'armée. « Je
n'ai pas reçu de renfort. Vous savez qu'un corps d'observation de 10,000 hommes ; (page 148) savoir :
2,000 de troupes de ligne et 8,000 gardes civiques, devaient m'être envoyés
pour bloquer la citadelle, et garder la ville et les bords de l'Escaut,
qu'indépendamment de cela, vous et moi devions avoir une force disponible de
15,000 combattants. Eh bien ! pas un homme des 10,000 qui m'avaient été promis
n'est arrivé ; et je suis loin d'avoir les autres 15,000. Ainsi, avec ces
faibles ressources, je fournis la garnison d'Anvers, et occupe trois villages
sur la rive gauche. Je garde les batteries sur la rive droite et bloque la
citadelle. Je m'étends d'ici jusqu'à Turnhout. La grande route d'Anvers, et
celle qui rejoint la frontière à Gheel est échelonnée
par mes troupes. Ainsi, mon cher général, il ne m'est pas possible de consentir
à votre demande, en ce qui concerne les positions que vous désirez me voir
occuper. Vous devez, en conséquence, les occuper vous-même. Je dois ajouter que
je n'ai que deux batteries d'artillerie, et que les principales forces de
l'ennemi sont concentrées à Tilburg, Bréda,
Berg-op-Zoom et Rosendaal, et il est probable, s'il
fait le plus léger mouvement, que ce sera sur Anvers, pour se joindre à la
flotte et à la citadelle. »
Quand les progrès des Hollandais furent connus
et l'état réel de l'armée découvert, un cri universel d'indignation s'éleva
contre le ministre de Failly, qui, hors d'état de
résistera la clameur générale, donna sa démission, le 4, et fut remplacé (page 149) par le général d'Hane. Mais quoique le blâme fût en partie mérité, et quoique
ni lui ni aucun de ses prédécesseurs n'eussent possédé une énergie suffisante
ni l'expérience nécessaire pour réorganiser une armée composée d'éléments aussi
hétérogènes que ceux dont ils pouvaient disposer, il existait plusieurs causes
atténuantes, et, dans ces circonstances, cette tâche aurait surpassé les forces
de l'homme le plus habile et le plus énergique. L'état de démoralisation de
l'armée ne doit être attribué qu'à la présomption extravagante d'une partie de
la presse et des députés, à leur confiance exagérée dans leur courage, à leur
mépris des règles de la guerre, à l'intervention des associations, aux
tentatives constantes de suborner les officiers faites tantôt par les agents
d'une faction, tantôt par les émissaires de l'autre, à l'encouragement donné à
l'insubordination, à la préférence accordée aux volontaires sur les troupes de
ligne, à la disette de bons officiers, réunis à l'inquiétude générale et à la
démoralisation, qui augmentaient chaque jour. Les ministres de la guerre
pouvaient faire plus, mais aucun d'eux n'avait les moyens nécessaires. Il était
impossible de forcer à l'obéissance, car la presse et les chambres exerçaient
leur autorité sur toutes les branches du service, contrecarraient et
intimidaient sans cosse le ministre et l'état-major général.
(page 150) Ignorant cependant les périls de sa situation,
et l'insuffisance de son armée, la nation accueillit la reprise des hostilités,
avec des cris de joie universels. Le cri général « aux armes ! libéraux et
catholiques aux armes ! » retentit par tout le pays. Enorgueillis du souvenir
de leurs premiers succès, ils s'attendaient à un semblable triomphe. Les hommes
mettaient leur blouse, qu'ils regardaient comme un talisman destiné à jeter la
terreur dans le cœur de l'ennemi. Les rues et les grandes routes retentissaient
de chants de victoire ; et les prisonniers ennemis étaient déjà, dans leur
imagination, promenés en triomphe dans la capitale.
Quels que puissent avoir été les sentiments du
roi, à cette annonce imprévue, il les cacha sous un air de calme et de
sang-froid parfaits, qui ne l'a jamais abandonné pendant cette période
dangereuse et critique. Après s'être rendu en hâte de Liége à Bruxelles, il
assembla un conseil de guerre, et adopta toutes les précautions que suggérait la
prudence, et que les ressources du pays purent permettre. Tandis que les
troupes régulières et les réserves étaient partout mises en mouvement, M. Ch.
de Brouckère, qui avait remplacé M. de Sauvage au département de l'intérieur,
s'occupait de rassembler, le plus tôt possible, les gardes civiques. Leur
commandant en chef, M. Emmanuel d'Hoogvorst publia un
ordre général, désignant les différents points de rendez-vous, (page 151) et annonçant son intention de
se rendre à la frontière. Résolu de partager le sort des habitants d'Anvers, si
l'interruption de l'armistice amenait quelque malheur sérieux, Léopold porta
son quartier-général dans cette ville, dans l'après-dîner du 4, non cependant
sans avoir fait une proclamation dans laquelle il en appelait au courage de la
nation, et la conjurait de le suivre au poste du danger. Le peuple répondit à
cet appel avec promptitude et enthousiasme ; les rues de Bruxelles et les
routes vers la frontière furent bientôt couvertes de volontaires, demandant à
grands cris à combattre. Ils ne manquaient certainement ni de courage ni de
bonne volonté ; mais n'étant pas organisés, n'ayant ni provisions, ni les
choses nécessaires, formant une troupe irrégulière d'hommes armés, sans unité,
sans discipline, leur présence fut plus nuisible qu'avantageuse à la défense du
pays. Ils auraient pu être utiles dans des combats de rues, mais les employer
sur un champ de bataille, était les mener à une défaite certaine ; 5,000 hommes
de troupes bien organisées eussent été plus utiles que ces myriades de
volontaires bien disposés, mais dont il était impossible de se servir. Mais il
était trop tard pour trouver un remède au mal ; l'insubordination et la
confusion avaient pénétré (page 152)
partout. Jamais
pays ne fut surpris dans une situation si peu favorable à la défense ; jamais
victoire ne fut plus certaine, et plus facile à remporter.
Une tentative ayant été faite par le général
Tabor, commandant d'Anvers, pour amener le général Chassé à consentir à
reconnaître la neutralité de la ville, ce dernier refusa, dans l'intention
d'augmenter la terreur générale et la confusion, plutôt que dans l'idée de
nuire aux habitants. La terreur fut générale parmi ceux-ci ; les horreurs du
premier bombardement se représentèrent dans tous les esprits. Tous ceux qui pouvaient
se sauver s'en allaient, emportant avec eux leurs moindres valeurs ; les
faubourgs et les routes vers le Brabant méridional étaient encombrés de
fugitifs, de tout âge et de tout sexe ; des paysans et des troupes d'animaux
qui s'échappaient des polders inondés, augmentaient encore la confusion.
L'alarme de ceux qui furent forces de rester, quoiqu'un peu diminuée par la
présence du roi dans la nuit du 4, se renouvela avec intensité dans la matinée
du lendemain ; car le général Chassé, voulant détruire les batteries belges
élevées en face de Saint- Laurent, avait ordonné, de ce côté, une sortie qu'il
soutint avec ses plus fortes pièces. Cette entreprise fut exécutée, avec
succès, par un détachement de 800 hommes, qui, s'avançant par le chemin couvert
vers la lunette de Kiel, s'élancèrent (page 153)
bravement dans les retranchements belges, et après avoir mis en déroute une
batterie qui se retira en confusion, enclouèrent les canons, et se retirèrent
en bon ordre dans la citadelle.
Le général Belliard, qui
était de retour à Bruxelles, comme ministre plénipotentiaire auprès du roi
Léopold, suivit S. M. à Anvers ; il avait aussi tenté la veille d'obtenir une
prolongation de la convention. Mais ayant échoué, il renouvela les
négociations, le 5, en déclarant que la France et les autres grandes puissances
avaient pris la ville sous leur protection, et que le général Chassé serait
responsable des événements. Le vieux gouverneur, ayant fait une sortis avec
succès, et n'étant pas disposé à nuire à la ville, consentit à suspendre ses
opérations, jusqu'a ce qu'il eût reçu de nouvelles instructions de son
gouvernement ; et quoiqu'il refusât de ratifier le renouvellement de
l'armistice, il convint que les hostilités ne seraient renouvelées qu'autant
qu'il y serait provoqué par les Belges. La sécurité d'Anvers étant ainsi, en
quelque sorte, garantie, le roi porta son quartier-général à Malines le 5, et
ayant rapidement pénétré les intentions des Hollandais, il envoya l'ordre
pressant au général Daine, d'exécuter un mouvement par le flanc gauche, pour se
réunir à l'armée de l'Escaut dans les environs de Westerloo
sur
La confusion des autorités militaires à Anvers,
et même dans tout le pays, ne peut être comparée qu'à l'indignation générale,
que souleva l'incurie de de Failly
qui avait laissé l'armée dans un état aussi misérable. Des accusations de
trahison et d'orangisme le poursuivaient partout ; car le peuple ignorant et
irréfléchi attribuait à la trahison ce qui, dans le fait, résultait de causes
plus fortes que M. de Failly et les autres ministres
qui l'avaient précédé. Telle était la fureur de la populace à Anvers et à
Malines, qu'il fut plus d'une fois exposé à un danger imminent, et il est
probable que le peuple lui aurait fait un mauvais (page 155) parti, s’il ne se fût échappé d'Anvers à Malines
et s'il n'eût été envoyé par le roi, de cette dernière ville, dans la soirée du
5, avec l'ordre d'accélérer la jonction du corps de Daine.
Il ne se passa rien d'extraordinaire jusqu'au
7, jour où les Hollandais recommencèrent leur mouvement en avant, dans
l'intention de cerner et de défaire les troupes de Daine, qui, comme s'il eût
voulu jouer le jeu de ses adversaires, persistait à maintenir sa position en
avant de Hasselt, et même permettait au duc de Saxe-Weimar de tourner son flanc
gauche, de pénétrer à St.-Trond, et d'intercepter
ainsi la grande route de Bruxelles. Le plan de l'armée hollandaise était simple
et propre à assurer le succès de l'invasion. Van Gheen
se jeta dans Diest. Meyer, après une courte affaire d'avant-postes prit
position près de Herck. Cort-
Heiligers avança dans la direction de Zonhoven, et un
détachement sortant de Maestricht s'avança sur Tongres, tandis que le duc de
Saxe-Weimar se rendait maître de St.-Trond. Le
lendemain matin, ces diverses dispositions étant exécutées, le prince d'Orange,
à la tête des 1er et 3e divisions avec 48 pièces de canon, s'avança sur Curinghen
et Hasselt, soutenu par toute la cavalerie et ses réserves, à l'exception d'une
brigade demeurée à Diest ; tandis que, Cort-Heiligers s'avançant de Zonhoven, toute l'armée réunie
tomba sur le corps de Daine. Ce corps, presque avant d'être (page 156) attaqué, jeta ses armes et s'enfuit, dans un état de
désordre incroyable, jusqu'aux portes de Liége, laissant derrière lui environ
700 hommes tués, blessés ou prisonniers ; abandonnant 5 pièces de canon, 7
chariots de munitions, la plus grande partie de ses bagages et effets de campement.
On ne pouvait pas s'attendre à ce que l'armée de Daine tint contre des forces
si supérieures : mais la panique qui s'empara de ce corps et la déroute qui eut
lieu à la vue de l'ennemi font de cette affaire un des faits les plus honteux
pour des troupes qui s'étaient donné elles-mêmes le nom d'armée. Il y eut sans
aucun doute plusieurs exemples de valeur distinguée de la part d'individus ou
de détachements isolés. Mais en considérant l'affaire sous un point de vue
général, il n'existe rien de plus déplorable. Ignorant toute l'étendue de son
succès, le prince d'Orange ordonna au duc de Saxe-Weimar de rejoindre le corps
principal, de maintenir son quartier-général à Curinghen
le 8, et de se rendre seulement jusqu'à Hasselt le 9, afin de poursuivre un ennemi
qu'il s'attendait à trouver encore en position près de Tongres. Ayant appris
enfin qu'il n'existait plus d'ennemis en front, et que Boecop,
avec un détachement venu de Maastricht, occupait Tongres, il résolut de faire
un mouvement sur la gauche, et de marcher sur Louvain le 10. En conséquence,
tandis que la 2e division, avec la cavalerie légère, s'avançait sur
les rives de (page 157)
Le roi Léopold, ayant porté son
quartier-général à Aerschot, le 8, ordonna au corps
de Tieken de s'assembler en avant de cette place dans
la direction de Westmerbeek, pour repousser les
Hollandais de Montaigu et faire sa jonction avec Daine, qui, s'il eût exécuté
son mouvement, devait y arriver dans la soirée de ce jour.
Les troupes accueillirent le roi, à son
arrivée, par de vives acclamations ; il parut si satisfait de l'ardeur et des
bonnes dispositions des différents régiments, qu'il adressa aussitôt au général
Belliard une lettre dans laquelle, faisant allusion à
ce sujet, il disait : « Les circonstances sont si favorables, que je pense
qu'il est urgent d'arrêter le mouvement du maréchal Gérard. Ce sentiment est
partagé par toute l'armée, et je pense que nous devons combattre sans
l'assistance des (page 158) étrangers. Je
pense aussi que, pour le maintien du bon accord entre les puissances, il est
absolument désirable que le maréchal ne s'avance, que lorsque les circonstances
l'exigeront impérieusement » (Lettre de Léopold au général Belliard,
datée d'Aerschot, 8 du mois d'août 1831. Cette lettre
fut écrite avec la pensée que Daine, exécutant les ordres du roi, formerait sa
jonction arec Tieken).
Une dépêche de M. Van de Weyer, envoyé belge à
Londres, arrivée à Bruxelles le 7, contribua à augmenter la confiance du roi et
de l'armée, qui en reçut immédiatement communication. Il était arrivé de Java à
Londres, des rapports détaillés sur une révolte qui aurait eu lieu parmi les
troupes belges au service hollandais à Batavia, et sur l'occupation de cette
importante colonie, au nom du gouvernement révolutionnaire ; M. Van de Weyer se
hâta d'en communiquer la nouvelle à son gouvernement. Ces rapports,
quoiqu'accrédités avec beaucoup trop de légèreté, n'étaient pas tout à fait
dénués de probabilité. Car, quoique la plus grande vigilance fût exercée par le
gouvernement hollandais, pour empêcher que la connaissance des événements du
continent ne se répandit parmi les soldats belges et français qui formaient les
deux tiers des forces coloniales, toutefois ils les (page 159) connurent suffisamment pour éprouver un ardent désir
d'épouser la cause nationale, ou au moins de se soustraire à un service dans
lequel ils étaient en butte aux soupçons et aux actes d'injustice, tandis que
leurs compatriotes recevaient dans leur pays des récompenses et un avancement
rapide. Le gouvernement belge fut accusé d'avoir inventé cette nouvelle, pour
soutenir le courage chancelant du peuple. Cette accusation est injuste ; mais
en admettant qu'il en fût ainsi, un tel stratagème eût été excusable dans ce
moment.
Le roi, ayant concentré les troupes de Tieken, et réuni un corps de gardes civiques, qui formaient
en tout une force de 15,000 hommes, marchait sur Montaigu, quand la nouvelle du
désastre de Daine parvint à son quartier-général. Ce malheur inattendu rendit
nécessaire un changement total dans les opérations. Il était évident que les
Hollandais ne perdraient pas, ou au moins ne devaient pas perdre un moment,
pour marcher sur Bruxelles ; et, en conséquence, la seule chance de sauver la
capitale était de faire un mouvement en arrière, aussi rapidement que possible
sur Louvain, et de tâcher de prendre position en avant de cette place, pour
arrêter les progrès de l'ennemi jusqu'à l'arrivée des troupes auxiliaires
françaises, que le général Belliard avait appelées,
au moment même où on apprit la défaite de Hasselt. En conséquence, l'armée de
l'Escaut, qui était maintenant (page 160)
réduite à environ 8,000 hommes de troupes régulières, avec 18 pièces de canon,
se retira sur Aerschot, et le soir même du 10
bivouaqua en avant de Louvain, ayant ses avant-postes à Bautersem.
Décrire la confusion qui régnait à Louvain,
dans ce moment, serait aussi difficile que d'expliquer le retard de la marche
des Hollandais. A l'exception du roi, de M. de Brouckère et de quelques autres,
tout l'état-major semblait accablé du danger de leur position. Un sombre
pressentiment affaiblissait l'énergie des officiers ; mais les soldats,
ignorant le péril, et indifférents sur les résultats moraux, ne semblaient pas
découragés. Encombré de volontaires, de caissons d'artillerie et de bagages,
Louvain présentait un tableau de désordre complet. Il n'existait ni régularité
ni ordre. Chacun commandait, et personne ne voulait obéir. Le plus profond
oubli des règles ordinaires de défense se montrait partout. Les précautions les
plus nécessaires étaient négligées ; un grand nombre de ceux qui avaient quitté
Bruxelles, armés jusqu'aux dents, fuyaient, jetaient leurs armes, et
annonçaient que si l'armée française n'arrivait pas promptement, Bruxelles
était perdu. Quelques-uns en étaient si persuadés qu'ils jugèrent prudent de
chercher leur salut dans les provinces éloignées. Ainsi, si le prince d'Orange,
au lieu de perdre un temps précieux à faire des (page 161)
reconnaissances et à prendre des informations, s'était avancé hardiment, avec
les 2e et 3e divisions et la cavalerie légère, par la grande route, tandis que
Van Gheen et la grosse cavalerie eussent manœuvré sur
la droite, il pouvait aisément occuper les hauteurs qui commandent Louvain dans
la soirée du 10, surprendre la brigade belge de Clump,
tracassée et fatiguée, lorsqu'elle remplissait de longues rues étroites, et la
tailler en pièces au moment où elle aurait débouché de la ville, ou la rejeter
en confusion vers Malines ; mouvement d'autant plus facile que, jusque dans la
soirée du 10, il n'y avait pas un homme entre Louvain et S'-Trond, excepté
quelques faibles détachements de gardes chiques et un corps de gendarmes à
cheval qui auraient dû se retirer à l'approche de son avant-garde. Mais
l'après-dîner du 8 et les journées du 9, du 10 et du 11 furent perdues à
reconnaître le terrain, et à faire un mouvement en avant d'environ 10 lieues
(28 milles). De sorte que ce ne fut que dans la soirée de ce dernier jour, que
la tête des colonnes hollandaises atteignit Bautersem,
d'où elles furent repoussées jusqu'à Roosbeek, après
une vive escarmouche avec les avant-postes belges, dont les forces principales
occupaient une position sur les hauteurs qui avoisinent Bautersem.
Trouvant leurs adversaires faibles et démoralisés,
sans cavalerie, et avec une artillerie comparativement (page
162) insignifiante, les généraux hollandais sortirent enfin de leur
léthargie, et se préparèrent à une action plus vigoureuse. Une attaque générale
fut décidée. Mais quoique bien combinée, elle fut exécutée avec lenteur et
faiblesse. A la pointe du jour, la lre division
et la grosse cavalerie s'avançant de St.-Jorres-Winghe, firent un mouvement vers les hauteurs de Pallenberg, et menacèrent l'aile gauche des Belges. La 3e division,
occupant la chaussée de Tirlemont, manœuvra sur le centre, et le duc de
Saxe-Weimar, avec la 2° division et la cavalerie légère, obliquant sur la
gauche, passa
Les Hollandais ont honoré cette affaire du nom
de bataille. C'était tout au plus une forte escarmouche (page
163) exécutée, il est vrai, de la part des assaillants avec l'exactitude et
la précision de manœuvres ordinaires, et de la part des Belges, avec tout le
courage que les circonstances permettaient. Mais ces derniers, quoique d'abord
pleins d'ardeur, furent bientôt découragés et perdirent confiance en eux-mêmes
et dans leurs officiers surtout, quand ils s'aperçurent de la désertion des
gardes civiques, qui, à peu d'exceptions près, se sauvèrent dans toutes les
directions, jetant leurs armes et leurs objets d'équipement. Les forces
effectives furent ainsi réduites à environ 7,000 hommes. Découragés et accablés
par le nombre, de tous les côtés, ils abandonnèrent successivement toutes leurs
positions, jusqu'à ce que se voyant complètement environnés, ils furent forcés
de se réfugier sous les murs de la ville. En vain le roi et son état-major se
portaient-ils au milieu du danger, avec le plus admirable sang-froid et le plus
grand calme, tâchant de suppléer au nombre par l'habileté des dispositions ; ce
fut en vain que Léopold se multipliait dans toutes les directions et
remplissait à la fois les devoirs de roi, de général et de soldat, La
disproportion du nombre était trop grande, le découragement trop profond ; il
fallait mourir ou se rendre. Sa position était des plus critiques ; l'inertie
de ses ennemis pouvait seule le sauver. Si le prince d'Orange, à la tête de sa
nombreuse (page 164) et brillante
cavalerie, se fût porté en avant, avec cet esprit aventureux qui le caractérise
sur les champs de bataille, et s'il n'eût pas été arrêté par la tactique lente
et routinière des Hollandais, ni le roi, ni aucun homme de son armée ne lui
eussent échappé. Il est vrai que ce prince, qui eut un cheval tué sous lui,
déploya la plus grande bravoure, et montra beaucoup d'indifférence pour le
péril ; mais ses mouvements ne furent pas assez prompts, et quoique ses ennemis
se retirassent devant lui en désordre, il manqua totalement de cette rapidité
et de cette hardiesse de détermination qui sont si essentiels dans les moments
décisifs. Ces manœuvres devaient être exécutées au pas de charge : ce qui n'eut
pas lieu. Il se disposait cependant à poursuivre ses succès, quand un
parlementaire parut sur la grande route, et l'arrêta dans sa carrière.
Ce parlementaire était lord William Russel, chargé
d'une lettre de l'ambassadeur anglais sir Robert Adair, qui, étant arrivé à
Bruxelles dans l'après-diner du 9, s'était rendu,
sans perdre de temps, au quartier-général du roi. Le but de cette lettre était
de demander une suspension d'armes, et d'informer le prince d'Orange que
l’avant-garde française était déjà à Wavre, et s'avançait sur Bruxelles. Le
vainqueur, amèrement désappointé d'une intervention qui menaçait de lui
arracher le fruit de sa victoire, se montrait (page 165) peu disposé à consentir à la
suspension d'armes demandée. Mais sachant qu'il était inutile de s'opposer au
maréchal Gérard, et sentant qu'il avait assez fait pour humilier son ennemi,
sinon pour réhabiliter l'armée hollandaise, il ordonna à son aide-de-camp, le
comte Stirum, d'accompagner lord William Russell,
pour s'assurer de l'approche des troupes françaises. En même temps, cependant,
ses troupes continuèrent le mouvement en avant.
Croyant que lord William Russell avait échoué
dans le principal objet de sa mission et qu'il n'y avait pas un moment à perdre
pour tirer le roi de sa position hasardeuse, sir Robert Adair se détermina à se
rendre en personne auprès du prince. Montant à la hâte le premier cheval de
poste qu'il put se procurer, ce vétéran de la diplomatie traversa les masses
confuses qui encombraient les routes et les faubourgs de la ville, et, malgré
le danger personnel auquel il s'exposait, traversa bravement le feu des deux
armées qui, sans égard pour le drapeau blanc que portait la personne qui
accompagnait l'ambassadeur, continuaient un feu très vif. Ayant rejoint le
prince, qui s'avançait à la tête de ses tirailleurs, sir Robert Adair insista
d'abord pour une suspension d'armes, qui, après une longue discussion, fut
accordée à condition que les troupes belges évacueraient Louvain, et
abandonneraient la ville aux Hollandais. Ces préliminaires ayant été acceptés,
une convention fut rédigée (page 166)
et
signée par le général Goblet de la part du gouvernement belge, et après un
renouvellement accidentel de la canonnade, dont quelques officiers et soldats
hollandais tombèrent victimes, des ordres furent envoyés au due de Saxe-Weimar,
de s'arrêter ; et les hostilités furent terminées.
Le général Belliard,
qui était demeuré à Louvain, le 9, eut à peine appris la déroute de Daine,
événement qu'il avait probablement prévu, que, sans se donner le temps de
consulter le roi, il envoya un courrier au maréchal Gérard, lui recommandant de
ne pas perdre un moment pour presser la marche des troupes sur le front et sur
les flancs de l'ennemi qui s'avançait. En conséquence, l'année du Nord, qui
était déjà réunie à la frontière, partit en trois colonnes de ses
cantonnements, dans la matinée du 10. La droite, débouchant de Givet sur Namur,
le centre de Maubeuge et Valenciennes sur Wavre et Bruxelles, et la gauche
allant de Lille sur Tournay, et se dirigeant sur les Flandres. La marche de ces
troupes fut si rapide, que la brigade d'avant-garde, commandée par le duc
d'Orléans, arriva à Bruxelles le 12, vers midi, tandis que celle du général de
La terreur et la confusion qui régnaient à
Bruxelles, à l'approche des troupes hollandaises, furent augmentées, lorsqu'on
sut que l'avant-garde était commandée par le duc de Saxe-Weimar, celui des
généraux qui montrait le plus (page 168)
de
haine contre les patriotes. Les insultes dont on avait si imprudemment accablé
ce prince, pouvaient donner lieu à des réactions. Il n'y avait pas de merci à
attendre d'un homme si gravement offensé. A la vérité, le langage inconvenant
du duc en présence de lord W. Russell, et la manière brutale dont il accueillit
le colonel Prisse, officier belge, qui lui fut envoyé en parlementaire, étaient
de nature à faire naître de sinistres appréhensions (La
manière dont le duc se permit de parler du roi d'Angleterre, excita la vive
indignation du brave et loyal officier en présence duquel il parlait. Un
Russell, et de tous les Russell peut-être lord William, était le dernier homme
capable de permettre un langage insultant pour son souverain, quel que fût le
rang de la personne qui le tenait. Une rencontre personnelle eût probablement
été le résultat de cette affaire, si le gouvernement anglais, à la demande de
sir Robert Adair, ne s'en fût emparé, et n'eût préféré en faire l'objet d'une
plainte adressée au cabinet de
L'alarme du peuple, en apprenant la nouvelle de
la défaite de Daine et la retraite du corps de Tieken,
qui en était la conséquence, ne peut être comparée qu'à la confusion qui avait
atteint toutes les branches de l'administration. Les personnes les plus
éminentes de la révolution, spécialement celles qui se croyaient exposées à la
vengeance des Hollandais, fuyaient ou prenaient des mesures pour s'assurer une
retraite. Les rues étaient presque désertes ; peu de temps auparavant l'air
retentissait de chants de guerre et de victoire ; mais maintenant les chants
avaient cessé. L'inquiétude et l'abattement étaient peints sur toutes les
figures, excepté sur celles d'un petit nombre de partisans de l'ancien
gouvernement, qu'on vit se réjouir de la défaite des patriotes et tourner des
regards d'espérance vers les routes qui devaient leur ramener leurs anciens
maîtres. Quelques-uns même allaient jusqu'à préparer des adresses, des
félicitations et des banquets pour le prince dont l'entrée (page 170) victorieuse
était regardée comme inévitable ; car la capitale était à sa merci, ouverte et
sans défense. Toute tentative de résistance eût été ridicule. Rendus sages par
l'expérience, il était impossible de supposer que les généraux hollandais
eussent voulu compromettre de nouveau leur honneur et la vie de leurs soldats,
par une entrée de vive force. Un bombardement, en cas de résistance, était
regardé comme inévitable ; mais même les canons et les obusiers devenaient
inutiles ; car ils pouvaient entrer sans opposition. L'esprit d'énergie qui
avait caractérisé la défense de septembre était abattu ; la blouse avait perdu
son prestige, elle était devenue un objet de dérision pour l'ennemi. Le conseil
des ministres était rassemblé, mais ne prenait aucune résolution. La régence
s'assembla de son côté, tout aussi infructueusement. On doit cependant leur
rendre la justice de dire que leur affliction était considérablement augmentée
par les regrets qu'ils éprouvaient de la douloureuse position du roi, dont la
fuite ou la captivité paraissait inévitable. Le respectable bourgmestre, M. Rouppe, proposa de sonner le tocsin, de faire un appel au
peuple, tandis que le peu d'hommes qui resteraient pour la défense de la
capitale, feraient une démonstration de défense, en plaçant 4 ou 5 pièces de
canon aux portes de Louvain et de Namur, et la garde civique sédentaire
occuperait les boulevards. Mais l'impossibilité (page
171) de la résistance était si évidente que les hommes plus prudents, qui
étaient en majorité, jugèrent plus convenable de rechercher les meilleurs
moyens d'apaiser la colère de l'ennemi, et de sauver la ville, par une
capitulation, des désastres qui la menaçaient, si les Hollandais entraient de
force dans ses murs avant l'arrivée des troupes françaises. Tel était l'état
des affaires, lorsque la nouvelle positive de l'approche de l'armée du Nord fut
reçue. Ce ne fut que lorsque les baïonnettes de l'avant-garde française
brillèrent sur les hauteurs de Hal, que la confiance put se rétablir, et que
les citoyens et le gouvernement respirèrent à l'aise.
La politique et l'utilité d'une expédition
tentée avec la connaissance de la neutralité prussienne, et en face de
l'intervention armée de la France et de l'Angleterre ont été mises en question.
Il est vrai que le prince d'Orange fut loin de retirer tous les avantages qui
pouvaient résulter de sa supériorité et de la faiblesse de ses ennemis, s'il
avait agi avec plus d'activité et d'énergie ; mais il n'est pas douteux qu'un
avantage moral essentiel n'ait été le résultat de cette courte campagne, dont
le plan avait été longtemps concerté, et même soumis au jugement de
quelques-uns des plus habiles stratégistes étrangers et du colonel prussien
Scharnhorst, entre autres, qui se trouvait au quartier-général hollandais. (page 172) Cette expédition releva et ranima
la nation hollandaise et l'armée, et servit à les rallier plus fortement autour
du monarque. Elle replaçait l'héritier du trône dans la confiance des troupes
et l'affection du peuple, qui ne lui avait pas encore pardonné sa prédilection
pour les Belges, ni la conduite qu'il avait tenue à Anvers ; elle rétablissait
l'honneur de l'armée hollandaise, si cruellement blessé par la déplorable
attaque de Bruxelles, et par les défaites non moins honteuses de Walhem et de Berchem. Non que cela fût strictement juste ;
car s'il peut y avoir beaucoup de gloire dans le succès obtenu par une poignée
de volontaires indisciplinés sur des troupes régulières, pourvues de cavalerie,
d'une artillerie suffisante et de tout ce qui est nécessaire pour faire la
guerre, il n'était pas très honorable d'obtenir la victoire, au moyen de
troupes disciplinées et bien organisées sur une multitude à peine armée. Cette
expédition servait encore à tourner plus que jamais la sympathie générale en
faveur de