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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 3
CHAPITRE
DEUXIEME
La France adhère aux protocoles. - Le congres se détermine à défendre le
Luxembourg et vote six millions pour l'enrôlement de 59,000 gardes civiques. - Le
commandement de l'armée est offert au général Lamarque. - M. Lebeau écrit au minisire des affaires étrangères de Hollande. - Changement
de politique de la part des grandes puissances qui abandonnent le prince
d'Orange et encouragent le choix du prince Léopold. - Lord Ponsonby
part pour l'Angleterre. - Infraction de l'armistice à Anvers. - Modération de
Chassé. - État général de
(page 62)
L'avènement du ministère du 13 mars, en France, exerça bientôt un effet
salutaire sur les
(page 63) opinions de la conférence. Le nuage qu'avait produit
une divergence momentanée d'opinions, fut dissipé par l'annonce formelle
émanée du prince de Talleyrand « que la France adhérait au protocole du 20
janvier, qu'elle approuvait entièrement la délimitation assignée par ce
protocole à
Pensant qu'aussi longtemps qu'on pourrait
supposer que le cabinet français ne serait pas absolument d'accord avec la
conférence, aucun argument ne pourrait produire de l'effet sur l'esprit du
ministère du régent, ou plutôt sur le congrès, qui, l'un et l'autre, étaient
contrôlés et intimidés par l'association patriotique, le (page 65) général Belliard
jugea à propos de se rendre à Paris, le 8, pour exposer à son gouvernement
l'état réel de l'opinion publique, et démontrer la nécessité d'adopter une
ligne de politique plus décidée. Quelque sincère que fût le dévouement de ce
général au bien-être du peuple, dont la confiance et l'affection lui étaient
depuis longtemps assurées, il avait des devoirs impérieux à remplir envers
l'Europe. L'obstination avec laquelle les Belges insistaient pour conserver la
totalité du Luxembourg, sans compensation ou équivalent pour la maison de
Nassau, était si diamétralement opposée aux décisions des grandes puissances et
de la confédération, et présentait tant de dangers pour l'avenir qu'il n'y
avait d'autre alternative que de décourager ces prétentions, en adhérant au 20e
protocole, ou de les soutenir par les démonstrations les moins équivoques.
Toute hésitation était devenue impossible ; il fallait choisir entre deux
systèmes, dont l'un menait à une paix honorable et durable, tandis que l'autre
renfermait les éléments d'une guerre immédiate dont on ne pouvait prévoir le
terme.
Rien n'épouvantait les Belges. Ils se
préparaient à recevoir l'orage qui les menaçait. Dans un conseil des ministres
tenu la nuit du départ de Belliard, il fut
unanimement résolu qu'on défendrait le Luxembourg contre toute agression, et
qu'on sacrifierait la totalité du territoire, plutôt (page 66) que d'en abandonner une
partie. Un crédit extraordinaire de six millions de florins fut voté par le
congrès pour enrôler dix bataillons de chasseurs volontaires, pour enrégimenter
les gardes forestiers, et pour appeler 50,000 hommes de garde civique du
premier ban au service actif. Malgré la convention qui garantissait le statu
quo à Anvers, des mesures rigoureuses furent prises pour armer les forts,
au dessous de la ville, pour renforcer les travaux offensifs et défensifs, sur
la rivière, et pour mettre la cité même à l'abri d'une surprise, par une double
ligne de barricades et de retranchements du côté de la citadelle. L'association
patriotique, qui avait été sans aucun doute l'instrument principal de la
défaite des orangistes, et qui, ennemie des négociations et de la restauration,
appelait hautement la guerre, fit une proclamation qui se terminait par les
passages suivants : « Aux armes ! Aux armes, braves Belges ! Marchons en masse
sur le Luxembourg ! Que notre cri de ralliement soit : victoire et patrie ! » Le manque d'un général
en chef d'un talent reconnu, et la disette d'officiers supérieurs, surtout dans
l'artillerie, était si profondément sentie, que malgré l'opposition de M. Van
de Weyer et autres patriotes confiants, qui considéraient une telle mesure
comme déshonorante pour la nation, le congrès adopta, le 11 mai, une loi
autorisant le gouvernement à choisir un chef étranger, trois généraux de
division, quatre officiers d'état-major, et (page 67) trente-deux officiers subalternes d'artillerie. Les noms
de Lamarque, Guilleminot et Robert Wilson furent
prononcés. Des ouvertures directes furent faites au premier, et à quelques
autres officiers français. Mais leurs exigences furent jugées inadmissibles ;
ce qui, avec les récriminations de l'armée qui ne voulait pas reconnaître
l'incapacité de ses chefs, força le gouvernement à se borner à l'admission d'un
petit nombre d'officiers subalternes. Acte d'imprudence auquel les désastres du
mois d'août peuvent, en grande partie, être attribués ; car, outre l'absence
d'une capacité militaire reconnue, les événements de mars avaient concouru à
augmenter la démoralisation des troupes, en affaiblissant le respect des
soldats pour leurs officiers, et en répandant parmi ces derniers le doute, la
jalousie et le mécontentement à un degré tel, que les généraux eux-mêmes
n'étaient pas à l'abri des soupçons. Sans confiance en eux-mêmes et dans leurs
soldats, ils se virent dans l'impossibilité d'établir la discipline et
d'accélérer l'organisation.
Si jamais époque fut moralement et physiquement
favorable, pour une agression de la part des Hollandais, c'était celle-ci : « L'anarchie
(dit M. Nothomb) était générale, elle était dans les lois, dans les esprits,
dans l'administration et dans l'armée. Déchirée par les factions, mais non encore (page 68) découragée, la
nation manquait d'un point de ralliement. Privée de l'influence qu'exerce un
souverain à l'intérieur et à l'extérieur, le gouvernement n'était monarchique
que de nom et avait tous les inconvénients d'une république. Si le pays eût été
attaqué avec hardiesse et énergie, il serait devenu facilement la proie de
l'ennemi ; il eût été forcé de se rendre à discrétion, ou de se jeter dans les
bras de
L'adhésion franche de la France au protocole
rejeté, l'unanimité et le raffermissement de l'amitié des cinq grandes
puissances, joints aux remontrances pressantes du comte Belliard
et de lord Ponsonby, tempérèrent à la fin l'ardeur
belliqueuse du gouvernement belge, et lui ouvrirent les yeux sur la nécessité
absolue d'entrer dans la voie de la conciliation. Le principe de l'intervention,
qui avait été une source constante de retards, (page 69) malgré l'adoption de l'armistice par lequel ce principe
était directement reconnu, avait été expliqué et admis, le 2 avril, par M.
Lebeau. En défendant sa propre politique, il rejeta adroitement la
responsabilité de la première reconnaissance de l'intervention sur ses
prédécesseurs qui avaient accepté la suspension d'armes, et qui s'étaient
engagés à exécuter les conditions qu'elle leur imposait, conditions qui
résultaient immédiatement des deux premiers protocoles. Non content d'admettre
ainsi indirectement l'arbitrage des grandes puissances, et voulant donner aux
relations diplomatiques une sphère d'action plus étendue, M. Lebeau tâcha
d'établir des négociations directes avec
Dans ce but, M. Lebeau adressa une lettre à M. Verstolk van Soelen, le 9 mai. Il
établissait que « la révolution belge n'avait rien d'hostile aux vrais intérêts
de la nation hollandaise ni à la politique générale de l'Europe, que la
séparation des deux territoires était accomplie en fait et en droit par la
volonté des populations respectives et la déclaration des états-généraux,
composés des députés (page 70) des
provinces septentrionales et méridionales ; que, d'après la déclaration même de
M. Verstolk, en
Cette communication arriva à sa destination le
13 mars, et demeura sans réponse. Il n'était pas probable, en effet, que le
gouvernement hollandais (page 71)
voulût examiner des propositions qui ne faisaient aucune allusion aux bases de
séparation, non plus qu'aux conditions auxquelles l'indépendance de
En même temps, trois faits importants étaient
devenus évidents pour les envoyés de France et d'Angleterre à Bruxelles, savoir
: l'impossibilité de ramener un membre quelconque de la famille des Nassau,
sans exciter la guerre civile, et sans l'aide des baïonnettes étrangères que la
France considérait comme une cause de guerre ; une impossibilité égale
d'obtenir le consentement du congrès pour les arrangements territoriaux, tels
qu'ils étaient arrêtés par les bases de séparation, dans laquelle la
confédération trouvait le casus fœderis, et enfin l'urgente nécessité de
procéder le plus tôt possible à l'élection d'un roi, comme le seul moyen
d'arrêter l'anarchie dans laquelle la nation était entraînée chaque jour de
plus en plus par les patriotes exagérés de l'intérieur, et (page 73) par
les aventuriers venus du dehors. Il n'était pas facile d'amener les grandes
puissances à sentir la force de ces arguments, mais l'évidence des faits
parvint enfin à dissiper leur incrédulité et à les amener à changer leur
politique. Ainsi la conférence, qui avait été si longtemps contraire aux
Belges, parut leur devenir plus favorable, et leur indépendance ainsi que la
paix de l'Europe furent garanties. L'imminence du péril était telle que les
différentes cours ne perdirent pas de temps pour ordonner à leurs
plénipotentiaires de donner tous les encouragements possibles à l'acceptation
du prince Léopold, sur lequel M. Van de Weyer et, après sa retraite, M. Lebeau
avaient sagement jeté les yeux, comme le seul prince qui réunît toutes les
conditions nécessaires pour occuper le trône du nouveau royaume. L'abandon du
prince d'Orange et l'adoption du prince Léopold par les trois puissances
absolues, sont l'aveu le plus extraordinaire de la force des événements sur
leurs prévisions et de leur impuissance à les maîtriser.
Cette concession, qui ne leur fut arrachée qu'à
la dernière heure, fut cependant plus facile encore à obtenir que la cession
totale du Luxembourg, de la part des Belges. Ils rejetèrent toutes les
suggestions amicales qu'on leur fit à cet égard, comme ils bravèrent toutes les
menaces hostiles. Ce ne fut qu'avec la plus grande difficulté (page 74) que lord Ponsonby
et son collègue purent les amener à une espèce de compromis. Ne voyant aucun
espoir de les détourner de leurs intentions hostiles, et craignant que la
communication des 22e et 23e protocoles n'irritât encore davantage l'esprit
public, et n'entraînât l'association, ou plutôt le gouvernement à quelqu'acte irréparable d'imprudence, lord Ponsonby se détermina à partir pour Londres. Le but de son
voyage était d'abord de peindre l'exaspération aveugle de l'esprit public et
l'impossibilité où était le gouvernement de poser une digue contre la volonté
nationale qui, chaque jour, se manifestait par des émeutes, des menaces et des
cris de guerre ; en second lieu, d'assurer la conférence de l'impossibilité
d'obtenir l'adhésion de
Pendant l'absence de lord Ponsonby,
la convention de novembre reçut à Anvers plusieurs infractions, qui excitèrent
la juste indignation du général Chassé et remplirent de terreur les habitants.
Si cet officier général n'eût pas montré une modération extraordinaire, la
ville était vouée à une destruction inévitable. Indépendamment de ce que les
Belges avaient, à plusieurs reprises, tiré sur les bâtiments de l'escadre et
d'autres navires hollandais remontant l'Escaut, ils avaient ouvert de nouvelles
embrasures dans les remparts, augmenté l'artillerie du fort Montebello, et
commencé à élever une rangée de batteries sur le prolongement vis-à-vis de la
lunette Saint-Laurent et des bastions adjacents. Ces actes (page 76) de violation du statu quo joints
à d'autres, ayant été le sujet de remontrances continuelles, mais inefficaces
de la part du général Chassé, il ordonna à ses troupes d'occuper la lunette
Saint- Laurent le 12 mai, et commença immédiatement à lier cet ouvrage
extérieur à l'angle saillant du ravelin, au moyen d'un double chemin couvert.
Quoique, d'après la capitulation et l'armistice
du 1er
novembre, le général Chassé eût un droit incontestable à la possession de la
lunette et du terrain en avant à une distance de
Telle est la substance du rapport qui fut fait
par MM. le général Belliard et White, qui s'étaient
rendus à Anvers, d'après les sollicitations pressantes du gouvernement belge,
pour détourner, s'il était possible, les effets du juste ressentiment (page 78) du général Chassé, et empêcher
le retour des hostilités à l'avenir, et la construction de ces ouvrages
d'attaque, qui constituait une violation incontestable du droit des nations et
des lois militaires (Recueil des
pièces diplomatiques, p. 194,
Le passage suivant, extrait d'une de ses
lettres écrite à cette occasion, met sa conduite sous un jour encore plus
avantageux. « Ce matin, le 27 mai, les Belges ont été vus, travaillant avec
activité à (page 79) un dépôt de fascines, situé à une portée de fusil de la lunette
S'-Laurent, et dans l'enclos d'une petite propriété qui m'appartient, et dont
j'avais fait brûler l'habitation quand la citadelle fut mise en état de siège.
Cette nouvelle dévastation m'est indifférente. Je voudrais que tout ce qui peut
arriver de l'état des affaires se concentrât sur ce point ; » sentiment noble
el qui peut faire penser que si le bombardement de 1830 fut barbare et injuste,
il est fort probable que le général Chassé agit sons l'influence d'ordres
supérieurs et non par une impulsion de vengeance personnelle.
L'intervention et les remontrances du général Belliard amenèrent une cessation immédiate des hostilités,
mais ne purent empêcher la continuation des travaux d'attaque. Les autorités
étaient impuissantes, ou si peu sincères que, malgré une proclamation, qui
faisait un appel à l'honneur des troupes belges, et malgré les assurances
contraires des officiers et les efforts qu'ils faisaient en apparence pour
l'empêcher, les batteries furent achevées et armées. En conséquence, le général
Chassé, de son côté, continua ses travaux, et ces discussions furent
abandonnées. Une circonstance qui accompagna la négociation mérite d'être
citée, d'autant plus qu'il est incontestable que le salut d'Anvers dépendait de
la volonté du général hollandais, et, en conséquence, que toute tentative faite
pour entraver la mission pacifique (page
80) des commissaires était un acte dangereux et capable d'entraîner la
destruction de la ville. Par suite de la dépêche pressante du général Chassé,
dénonçant les attaques continuelles des Belges, et sa résolution d'employer les
moyens les plus vigoureux de répression, le général Belliard
et M. Abercrombie se rendirent chez le régent, et
insistèrent énergiquement pour que des ordres immédiats fussent donnés pour
mettre fin à cette violation des droits des nations, le rendant ainsi que son
gouvernement responsables des malheurs qui pourraient tomber sur la ville
d'Anvers. Le régent ayant accédé avec empressement à leur demande, une dépêche
reconnaissant les droits du général Chassé et communiquant les intentions du
gouvernement belge fut écrite par les commissaires et envoyée le 19 mai à
minuit par un officier d'état-major, qui reçut l'ordre de la remettre avant la pointe
du jour. Quatre jours après, un courrier de sir Charles Bagot, à
Il serait difficile d'offrir le tableau de
l'état intérieur de
Quoique le régent possédât un grand nombre de
qualités privées, il était, comme homme public, faible et sans expérience. Les
bonnes intentions des ministres, les efforts qu'ils faisaient pour substituer
l'ordre au chaos étaient contrariés par l'opposition de l'association
patriotique, dont les chefs étaient leurs plus grands ennemis. Le vaisseau de
l'Etat, à la merci des éléments, naviguait entre des écueils. Il ne dut son
salut qu'à la force des événements, et non à la sagesse de ses pilotes et aux
efforts d'un équipage indiscipliné. A Gand, une populace égarée dévastait les
fabriques destinées à lui fournir sa subsistance journalière, et exerçait des
outrages sur la personne des plus respectables citoyens, dont l'un, pour avoir
été accusé d'être partisan de la maison des Nassau, fut sur le point de subir
le sort du malheureux Gaillard. Toutefois les autorités eurent l'impudence de
publier une proclamation palliant ces abominations, et défiant ouvertement les
délégués, que le gouvernement leur avait envoyés, de les contredire et de les
remplacer. A Anvers, Malines, Ypres et Mons, les (page 84)
pillages et les actes de violence s'exerçaient en plein jour, et impunément. A
Namur, un corps de volontaires, sous le commandement du général Mellinet, dont l'insubordination avait causé tant de mécontentement
et d'embarras dans le Limbourg, tenta un mouvement républicain ; mais,
vigoureusement attaqué par les lanciers et la garde civique, il fut vaincu,
désarmé et licencié. Enfin tout le pays, arrivé au dernier degré du désordre,
se voyait sur le bord d'un abîme. Le moment était critique, et n'admettait
aucun délai. Il était temps que la diplomatie fît un pas en avant. Son but
était non pas tant de sauver
Le général Belliard,
désirant mettre à profit tous les incidents capables de calmer l'irritation du
peuple belge, n'eut pas plus tôt reçu avis de la manière favorable dont la
conférence envisageait la proposition relative au Luxembourg, qu'il l'a
transmit au ministre des affaires étrangères, lequel la communiqua au congrès
le 23. Ce fut cependant avec beaucoup d'anxiété que M. Lebeau et ses collègues
attendirent lord (page 85) Ponsonby,
jusqu'au retour duquel ils avaient différé toute explication. Plus politiques
et non moins patriotes que leurs opposants, les ministres voyaient bien que,
malgré la répugnance du congrès à admettre les conditions proposées, sans des
modifications matérielles en ce qui regardait le Luxembourg, la seule espérance
que la nationalité belge eût de se consolider était dans l'union avec les
grandes puissances, dans les efforts qu'elles faisaient pour éviter la guerre.
Avec la paix, indépendance ; avec la guerre, perte de la nationalité. Telles
étaient les seules alternatives. En conséquence, malgré les insultes, les
menaces et le danger personnel, auxquels ils étaient exposés, ils se
prononcèrent courageusement pour la paix et l'indépendance, et sauvèrent ainsi
leur pays et l'Europe.
Ce fut le 26 mai, dans un dîner diplomatique donné
par le comte Félix de Mérode, que le retour de lord Ponsonby
fut annoncé. S'étant rendu, dès son arrivée, au ministère des affaires
étrangères, ce diplomate employa plusieurs heures à développer le résultat de
sa mission, et à engager M. Lebeau à faire tous ses efforts pour surmonter les
scrupules de la chambre, lui donnant l'assurance que l'élection du prince
Léopold recevrait l'approbation de toutes les puissances, qu'il restait peu de
doutes sur l'acceptation du prince, à certaines conditions dépendantes de la (page 86) prudence des Belges et de la
modération de la conférence, et enfin que si le gouvernement consentait à
adhérer aux bases de séparation, ils avaient tout lieu d'espérer qu'ils
obtiendraient tout ou partie du Luxembourg ; mais qu'un refus entraînerait la
rupture inévitable de toutes les négociations, et que le premier acte
d'agression serait suivi de représailles.
Quoique lord Ponsonby
n'eût pas d'objection contre la substance de cette conversation privée, il
désirait éviter de laisser sur ce sujet un document écrit de sa main. Mais M.
Lebeau, harassé et assailli de tous côtés par l'opposition et la presse,
s'était malheureusement engagé à produire quelque document satisfaisant. En
conséquence, il engagea lord Ponsonby à consigner ses
observations dans une note qui pût être communiquée au congrès. Persuadé que
l'existence du ministère Lebeau dépendait de son consentement, et que son
renversement serait le signal du triomphe d'opinions essentiellement contraires
aux intérêts réels de
A cette époque, les plénipotentiaires
hollandais présentèrent deux notes : l'une, datée du 25 juin, suppliait la
conférence d'exécuter les menaces contenues dans les trois derniers protocoles
; l'autre, datée du 6, repoussait en termes énergiques tout ce que lord Ponsonby avait avancé relativement au Luxembourg, et
désavouait toute intention, de la part du roi, d'entrer en négociations pour la
cession d'une partie du grand-duché « lequel formait pour le roi et les princes
de sa maison une substitution de possessions héréditaires d'une valeur
inestimable à leurs yeux. » En réponse à ces notes, la conférence produisit
aussitôt le 25e
protocole accompagné : 1° d'une lettre à l'envoyé britannique, lui ordonnant,
ainsi qu'à son collègue, de quitter Bruxelles sans délai ; 2° de deux notes aux
plénipotentiaires hollandais : l'une annonçant cette résolution, et l'autre
désavouant la lettre confidentielle de lord Ponsonby,
et offrant des explications sur les vues de la conférence, concernant le
grand-duché. Trois principes étaient déclarés les bases de cette proposition :
le premier, que tout arrangement devait être admis par les deux parties ; le
second, que cette possession ne pouvait être obtenue par les Belges à moins de
juste compensation ; et le troisième, que les grandes puissances ne voulaient
faire cette proposition (page 89)
formelle, que lorsque les Belges auraient adhéré aux bases de séparation. La
dernière condition était par elle-même suffisante pour faire désespérer
d'obtenir l'adhésion désirée ; car les Belges connaissaient trop bien
l'obstination de leur ancien roi et l'importance qu'il attachait au
grand-duché, pour consentir solennellement à des stipulations, au moyen
desquelles eût été détruit tout espoir d'obtenir jamais la moindre partie du
territoire contesté. Ils savaient également que le roi des Pays-Bas n'avait
adhéré au 12e protocole et ses annexes, que parce qu'il était convaincu qu'aucun
traité bilatéral ne pouvait jamais être fondé sur des conditions de tout point
contraires au bien-être et même à l'existence d'une des parties. La cession une
fois faite, il eût été impossible de revenir là-dessus. Il en résulta une
réponse négative de la part de la conférence. Cette réponse fut suivie de la
présentation des 4 derniers protocoles (n°22, 23, 24 et 25), et, le 10 juin,
lord Ponsonby et le général Belliard
quittèrent simultanément Bruxelles, donnant ainsi une nouvelle preuve du
parfait accord qui existait entre les deux cours. Ici se termina toute
négociation directe et commença cet interrègne diplomatique, qui ne finit qu'à
l'arrivée de sir Robert Adair, le 9 août, interrègne qui fut une des périodes
les plus importantes et les plus intéressantes de la révolution ; car elle
embrasse l'acceptation des dix-huit articles et (page 90) celle du roi Léopold, ainsi que son arrivée et son
inauguration, et l'invasion de l'armée hollandaise.
Tandis que les anarchistes de l'intérieur et de
l'étranger manifestaient hautement leurs espérances de désordre et de guerre,
M. Lebeau et tous les hommes modérés voyaient le départ des deux envoyés avec
un profond regret. Le général Belliard reprit ses
fonctions à l'arrivée du roi, et les conserva jusqu'à la fin de son honorable
carrière, au commencement de l'année suivante. Mais lord Ponsonby,
ayant été appelé à un emploi plus élevé, fut privé de la satisfaction de
revenir coopérer à la consolidation d'un trône qui devait en partie sa
fondation à ses efforts.
Les Belges se trouvaient ainsi abandonnés à
eux-mêmes ; car quoique M. White, qui avait été employé dans plusieurs
circonstances, continuât à résider à Bruxelles, il n'avait aucun caractère
officiel. De même le cabinet français adhéra si strictement à sa résolution de
cesser toute communication, qu'aucun rapport direct ne s'établit entre le cabinet
anglais et M. White qui agit sur sa propre responsabilité.
Maintenant que le tableau de l'état général (page 91) des affaires jusqu'au terme de
cette première période des négociations est terminé, il est nécessaire, pour
plus de clarté, de revenir sur nos pas, pour expliquer la marche et les
différents incidents qui accompagnèrent le choix et l'élection du prince
Léopold.
La moralité et l'élévation de caractère, les
principes libéraux, la tolérance et la
prudence de ce prince, non moins que ses talents acquis, son courage et ses
rapports avec la famille royale d'Angleterre, avaient attiré sur lui les
regards des personnes les plus éminentes de
Le 12 avril, ensuite d'un entretien avec MM. G.
de Jonghe, H. Vilain XIIII et autres membres du
congrès, une nouvelle communication non officielle sur ce sujet fut faite par
M. White à sir Edward Cust, un des aides-de-camp du
prince Léopold ; car lord Ponsonby refusa de se
charger d'aucune communication directe, avant d'avoir soumis la matière à son
gouvernement, et reçu des instructions. Pour éviter d'exciter la jalousie des
autres puissances, le cabinet anglais se détermina à refuser toute intervention
positive d'aucun genre ; et quoiqu'il n'existe aucun doute de son empressement
à soutenir une combinaison de laquelle dépendait le maintien de la paix, les
instructions qu'il donna ne furent ni précises ni impératives. Dès ce moment
cependant les négociations marchèrent plus rapidement, et quoique le prince
Léopold s'abstînt d'autoriser les démarches faites en sa faveur, et qu'il
n'écrivît, ni ne voulût permettre que rien fût écrit en son nom sur ce sujet,
il était au courant de tout ce qui s'était passé, et bien convaincu que si son
élection était proposée, une majorité de députés voterait en sa faveur, et
qu'il serait soutenu par le clergé et par l'aristocratie catholique. Ceux qui
lui étaient opposés étaient des réunionistes, des hommes du mouvement, et
quelques orangistes (page 93)
qui faisaient encore partie du congrès. Lord Pon- sonby,. ayant été autorisé alors à agir comme il le
jugerait convenable, entra chaudement dans l'esprit de cette combinaison, et
prêta, loyalement et avec zèle, son appui à M. Lebeau. Il fut, sous ce rapport,
bien secondé par le général Belliard.
Quelque flatteuses et tentantes qu'aient pu
être les propositions de la députation, quelque honorables qu'elles fussent
pour les sentiments privés du prince, des motifs dictés par une haute
politique, et une saine raison, présentèrent au premier abord à son acceptation
de nouveaux obstacles, (page 95) qui
faillirent amener un refus. Ces objections étaient fondées sur la situation
particulière dans laquelle
La modification des exigences des deux parties
était en conséquence un préliminaire essentiel à l'acceptation. Ce fut une
nécessité flagrante, ou plutôt l'imminence du danger que courait le repos de
l'Europe, par une prolongation de l'incertitude des affaires en Belgique, qui
agit sur les grandes puissances, et donna lieu aux dix-huit articles. Les
Belges, méconnaissant la cause réelle de ce changement, l'attribuaient à la
crainte qu'ils inspiraient. Les Hollandais, d'un autre côté, se récriaient
contre les dix-huit articles où ils prétendaient trouver la preuve de la
soumission du cabinet britannique à l'influence française, de la prépondérance
des principes démocratiques dans le gouvernement, d'une injuste partialité pour
les Belges, et du désir d'assurer l'élection du prince Léopold, pour convertir
Ce que les Belges demandaient n'était pas un
chef aventurier, capable de les rallier et de se mettre à leur tête dans une
bataille, mais un souverain prudent, qui pût relever par son nom leur
révolution discréditée, et réconcilier leur pays avec le reste de l'Europe.
Quelque aveugles que puissent avoir été les masses turbulentes sur leurs
intérêts réels, les hommes placés à la tête du gouvernement savaient bien que
le maintien de la paix pouvait seul les faire admettre dans la grande famille
européenne. Le prince, auquel ils adressaient leurs vœux, était bien convaincu
de ces faits, et sagement résolu à refuser le trône, à moins qu'il n'eût la
certitude de concilier l'indépendance et le bonheur de son royaume futur avec
les intérêts généraux de l'Europe. Cela ne pouvait s'effectuer que par des
concessions de la part de la conférence, et par l'abandon de certaines prétentions
inadmissibles de la part des Belges. La manière favorable avec laquelle la
conférence avait accueilli la proposition de lord (page 98) Ponsonby. relative au Luxembourg, pouvait faire espérer un
rapprochement. Mais ces empêchements ne venaient pas tant des plénipotentiaires
de Londres, qui éprouvaient un vif désir de maintenir la paix, que de la part
des Belges, qui voulaient la guerre. La difficulté était de les amènera faire
quelques concessions. Ce but désirable fut cependant à la fin atteint. Après
une discussion des plus orageuses, l'éloquence de MM. Lebeau, Le Hon, Nothomb
et autres l'emporta, et le gouvernement fut autorisé « à terminer les
contestations territoriales au moyen de sacrifices pécuniaires. » M. Lebeau
profita de cette ouverture pour tâcher d'obtenir diverses modifications aux
bases de septembre. Deux de ses collègues les plus distingués, MM. Devaux. et Nothomb, furent envoyés à Londres, où, après en avoir
mûrement délibéré avec le prince Léopold, lord Durham et le baron Stockmar, ils rédigèrent une note qui lut soumise à la
conférence. Ce fut cette note qui donna lieu immédiatement aux dix-huit
articles.
Quoique le consentement du congrès pour
négocier sur le principe d'indemnité pécuniaire différât essentiellement des
compensations territoriales voulues, quoique non spécifiées par la conférence,
c'était néanmoins une grande difficulté vaincue ; car il préparait l'esprit
public à envisager la possibilité de concessions, et la nécessité de faire des
sacrifices, et quoique les annales (page
99) des discussions parlementaires n'aient jamais présenté de scènes de plus
grande confusion, et de plus grands désordres que celles qui eurent lieu
pendant ces débats, la majorité se montra pleinement disposée à entrer dans un
système pacifique. Le gouvernement et la diplomatie eurent ainsi l'occasion
d'apprécier les forces de l'opposition et de calculer leurs chances de succès.
A cette époque, la proposition formelle de procéder
immédiatement à l'élection du prince Léopold, signée par 96 membres, fut
déposée sur le bureau de la chambre, malgré les efforts de l'opposition dont
les uns (et c'étaient les plus logiques) voulaient différer l'élection d'un roi
jusqu'à l'arrangement définitif de toutes les discussions relatives au
territoire, les autres demandaient une déclaration de guerre contre
Quoique le gouvernement anglais et le roi élu
fussent en quelque sorte préparés à l'événement, lord Ponsonby
jugea utile d'envoyer une personne de confiance pour communiquer à l'un et à
l'autre ce fait important. Le prince, qui s'était rendu de Londres à Claremont,
n'apprit par conséquent l'honneur qui lui était conféré, que dans la matinée du
La connaissance d'un événement, qui devait
priver les habitants de Claremont et les pauvres des districts environnants
d'un maître indulgent et d'un bienfaiteur, fut reçue, avec les signes d'un
regret profond. Le prince était chéri de tout ce qui l'environnait. Les larmes
versées sur la mort d'une jeune et belle princesse que
Les ennemis de cette combinaison prétendaient
que le gouvernement britannique et ses agents, ainsi que ceux de Léopold,
avaient employé des artifices et des intrigues, pour en assurer le succès.
Jamais accusation ne fut plus dénuée de fondement. Il est incontestable que la
conduite du gouvernement et le langage de lord Ponsouby
furent toujours francs et vrais. Ce dernier, obéissant à ses instructions,
soutint la cause du prince avec zèle et habileté ; mais ni lui, ni aucune des (page 102) personnes qui lui étaient
adjointes ne s'écartèrent de la teneur des protocoles. Leurs arguments
n'étaient que des exhortations en grande partie basées sur les arrangements
territoriaux de 1790. Rien n'a jamais été dit pour amener un seul député à
penser que le prince acceptât la couronne, à moins que les Belges ne consentissent
à modérer leurs prétentions sur la rive gauche de l'Escaut et le Luxembourg, ni
personne n'a cherche à faire croire que le roi grand-duc fût disposé à
consentir à la cession de l'une ou de l'autre, sans des équivalents
convenables. Aucun effort ne fut oublié pour tempérer l'ardeur de la nation, et
pour la convaincre que l'élection du prince Léopold était le plus efficace,
peut-être même le seul moyen d'obtenir la reconnaissance de son indépendance.
Ces prévisions furent pleinement confirmées par les événements.
D'un autre côté, il était impossible d'être
plus strictement passif dans cette affaire, que ne le fut le prince Léopold.
Pas une ligne ne fut écrite par lui, ou toute autre personne de sa maison,
jusqu'à ce que son élection eût été consommée ; pas la moindre somme d'argent
ne fut dépensée pour gagner le peuple ; aucun article ne fut inséré dans les
journaux ; on ne chercha à exciter les sympathies publiques ni par des
chansons, ni en prodiguant les bustes et les portraits, moyens qui avaient été
employés avec profusion pour soutenir (page 103)
les autres combinaisons. L'élection du prince Léopold fut fondée sur des
raisons de morale et de politique de l'ordre le plus élevé ; elle fut accomplie
sans le moindre effort et sans l'intervention directe ou indirecte de la part
de l'auguste personnage le plus intéressé à son issue. L'histoire ne fournit
pas un exemple de l'élection d'un souverain, si complétement
exempte d'intrigues et si évidemment spontanée que celle de Léopold. La
fortune, qui si souvent avait semblé se complaire à jeter ses dons les plus
riches devant lui, l'attendait pour lui prodiguer encore de plus brillants
honneurs. Le diadème qui lui était offert spontanément, et sans qu'il l'eût
recherché, n'était pas comme celui de
Rien ne prouve mieux la situation critique de
l'Europe, que l'empressement avec lequel les puissances du Nord sollicitèrent
le consentement (page 104) du prince
Léopold. Rien ne peut démontrer plus fortement les embarras et le peu de
sincérité de
Tandis que les commissaires belges et la
députation s'employaient avec zèle pour surmonter les difficultés que le prince
opposait à son acceptation, le parti du mouvement, à Bruxelles, faisait tous
ses efforts pour empêcher cet événement si désirable. Le départ de lord Ponsonby et de son collègue, au lieu de les intimider,
paraissait ajouter encore à leur irritation et à leur esprit d'irréflexion.
Cette irritation s'augmenta encore (page
105) par la publication clandestine du mémorandum, du
29 mai, que lord Ponsonby avait jugé convenable de ne
point faire connaître, non seulement parce qu'il était convaincu qu'il ne
devait produire aucun bon effet, mais pour épargner à la conférence l'insulte
d'une restitution. Car l'inutilité et le danger de présenter les quatre
derniers protocoles, dans un moment où l'emploi des moyens de conciliation
était nécessaire, avait paru si évident, que le cabinet hollandais, saisissant
habilement le moment, envoya à Bruxelles des copies qui, par l'intermédiaire de
ses partisans, furent communiquées au congrès pendant la séance du 2 juin.
L'effet qu'ils produisirent fut précisément celui que craignait lord Ponsonby. Un cri universel de guerre, comme le seul moyen
de terminer la question territoriale, fut poussé par le public et répété par la
presse. Le congrès, agissant sous les mêmes impressions, fixa le 30 juin comme
le dernier jour des négociations.
Quels qu'aient pu être les sentiments du
régent, qui secrètement coïncidaient avec ceux du parti du mouvement, son
ministère était essentiellement pacifique ; mais sa situation était précaire,
et son influence bornée. Persécuté et harassé de tous les côtés, privé de
l'appui et des conseils expérimentés des deux envoyés étrangers, il lui fallait
beaucoup de tact et de fermeté, pour résister aux efforts des partis, qui
combattaient (page 106) pour
l'abattre, dans l'espoir de substituer un système d'action et de violence au
système de modération et de négociation, qui seul pouvait amener une issue
favorable. Le grand point, en conséquence, était d'assister le ministère à
comprimer le torrent des sentiments populaires, à amener tous les députés qui
avaient voté pour le prince Léopold à continuer leur appui au gouvernement, et
à préparer les esprits aux modifications que la conférence de Londres se
proposait d'apporter dans les premiers arrangements.
Pour
arriver à ce but, il était nécessaire d'employer beaucoup d'activité et
d'adresse, d'abandonner la routine ordinaire, pour agir au jour le jour, et,
selon les circonstances, il fallait abandonner la réserve et le mystère,
adopter un langage propre aux hommes et à la situation, surveiller l'opinion du
peuple, tantôt le cajoler, tantôt le menacer, et presque toujours assumer une
responsabilité sans bornes. Il fallait encourager les uns, rallier les autres,
adopter enfin un système, qui, dans d'autres temps, aurait été considéré comme
une dérogation complète aux voies ordinaires de la diplomatie. Cette marche fut
rendue, en quelque sorte, plus facile par la situation dans laquelle se
trouvait la personne chargée de ces négociations, après le départ de lord Ponsonby ; car, quoiqu'elle n'eitt
pas de mission officielle, elle ne perdit aucune occasion (page 107) d'agir sur l'esprit public ; ce qui était considéré comme
un artifice diplomatique, et ses assurances obtinrent crédit auprès de beaucoup
de députés, sur lesquels elle avait acquis une influence qui fut très
avantageuse à l'époque critique de l'adoption des dix-huit articles. Ses
efforts et ceux de M. Sole, secrétaire du général Belliard,
qui était revenu de Paris à Bruxelles, furent secondés d'une manière aussi
inattendue que puissante, par l'arrivée d'un agent polonais le comte Ramon Zaluski. Croyant que la consolidation et la reconnaissance
de l'indépendance de
A la fin,
l'époque importante qui devait décider de l'acceptation ou du refus du prince
Léopold, en d'autres termes, la grande question de la paix ou de la guerre,
arriva. La députation étant revenue à Bruxelles le 27, le président annonça
publiquement au congrès l'issue de leur mission. Après avoir communiqué la
réponse du prince contenant son acceptation conditionnelle, M. de Gerlache lut
une lettre de S.A.R. au régent, dans laquelle, après
avoir parlé de ses propres efforts pour amener les négociations à une heureuse
fin, (page 108) Léopold ajoutait que
« aussitôt que le congrès aurait adopté les articles proposés par la conférence
il considérerait toutes les difficultés comme résolues, et se préparerait à se
rendre immédiatement à Bruxelles. » Ainsi, son acceptation définitive dépendait
de l'adhésion des Belges au traité des dix-huit articles, dont la rédaction
avait occupé la conférence pendant les dix jours précédents. Ce document
célèbre mérite d'être examiné avec soin, tant dans son origine que dans les
modifications qu'il apporta au douzième protocole, auquel
« La conférence (comme le fait observer M. Nothomb),
en fixant les bases de séparation, en adoptant les principes d'équité que, dans
une dissolution de société, chaque partie doit reprendre possession de ce qui
lui appartenait antérieurement, n'a eu d'autre but que de connaître d'une
manière définie les possessions respectives des deux pays, avant l'union. II
fut décidé, en conséquence, que
Les Belges avaient élevé des prétentions sur la
possession de la rive gauche de l'Escaut, et certainement (page 110) il était naturel et politique qu'elle appartînt à
En examinant scrupuleusement les bases de
séparation établies en faveur de
Les autres modifications importantes avaient
rapport à la dette qu'on avait d'abord proposé de partager entre les deux pays,
dans la proportion de 16 à 15, la plus forte portion devant être supportée par
les Belges. Au lieu de ce partage peu équitable, l'article 12 déclarait que
chaque état reprendrait sa dette ancienne, et se partagerait par moitié égale
celle contractée pendant l'union. Telles étaient les principales dispositions
des nouveaux préliminaires, qui différaient des bases originaires de
séparation, d'une manière si remarquable, qu'il y avait tout lieu d'attendre
leur acceptation par le congrès, laquelle acceptation était le sine quâ non de celle du prince Léopold.
La discussion de ces articles, qui furent
communiqués au congrès, le 28 juin, fut fixée au (page 113)
1er juillet. A cette époque, on redoublait d'efforts à l'intérieur et à
l'extérieur, pour jeter de la défiance sur le ministère, et exciter les
préjugés populaires contre les préliminaires. On déclarait qu'ils n'étaient que
le résumé des protocoles détestés, déguisés avec art ; la presse fulminait les
plus violents articles contre eux. L'opposition et l'association patriotique ne
mettaient pas de bornes à l'expression de leur mécontentement. Trente-neuf
députés, faisant partie de l'opposition extrême et la plus active, rédigèrent
une protestation violente au congrès, dont les tribunes étaient constamment
remplies d'individus renouvelant par leurs vociférations et leurs clameurs le
tableau des scènes les plus effrayantes de
Que les vœux secrets de la majorité aient été
pour l'acceptation des préliminaires, cela n'était pas douteux. Mais telle
était la crainte de la haine populaire, telle était leur timidité que, quand
l'heure de la discussion arriva, la plupart étaient disposés à abandonner leur
tâche, et, pendant quelque temps, aucun n'eut le courage suffisant pour
proposer ces préliminaires odieux. A la fin, M. Van Snick
(Ce courageux député est mort victime
du choléra en 1834 à Gand, où il remplissait de hautes fouotions
judiciaires), de Mons, se leva, et s'écria hardiment : « On a demandé quel serait
parmi les députés celui qui oserait assumer la responsabilité morale de
proposer l'adoption des dix-huit articles ; messieurs, je serai ce député, et
je le fais, parce que je crois faire une bonne action. » Quelqu'un s'étant
immédiatement levé pour l'appuyer, la proposition fut lue par le président ;
et, après avoir rejeté plusieurs amendements, le congrès décida qu'il serait procédé
à la discussion générale. (page 115) Retracer les débats qui eurent lieu pendant ces neuf jours
serait retracer des scènes de désordres, comme on n'en
a jamais vu dans aucune assemblée législative. Chaque appel à la guerre, chaque
expression d'un caractère exagéré étaient accueillis par des tonnerres
d'acclamations, qu'ils fussent contraires à la raison et à la politique, ou
qu'ils décelassent la plus extravagante forfanterie ; tandis que des murmures,
des sifflets et d'affreux hurlements ne manquaient jamais de couvrir la voix de
ceux dont le langage était modéré ou qui avaient le courage d'exposer les
dangers dont ils étaient environnés. Les deux partis de la chambre présentaient
un contraste frappant : d'un côté l'opposition active, audacieuse et d'une
éloquence passionnée, stimulée par les applaudissements des tribunes, était
intimement unie, et suivait un plan arrêté. D'un autre côté, les amis de la
paix, languissants et découragés, avaient à peine l'énergie suffisante pour
avouer leurs opinions, et négligeaient toute tactique parlementaire et tous
efforts qui eussent pu les encourager et les rallier les uns aux autres, au
moyen d'assemblées préparatoires et par l'adoption d'un système arrêté. Ce fut
avec beaucoup de difficultés qu'on parvint, à la fin, à leur persuader de
s'assembler à l'hôtel du baron Coppin, gouverneur
civil, pour réunir leurs forces et préparer un plan uniforme d'action.
(page 116) La
grande difficulté était de soutenir leurs, résolutions en faisant passer dans
les esprits la conviction que les préliminaires n'étaient pas une nouvelle
déception diplomatique, et que l'arrivée du roi serait le résultat instantané
et indubitable de leur acceptation. Néanmoins leur courage les avait presque
abandonnés, vers la fin du second jour, et en vérité les scènes qui avaient
lieu étaient capables d'abattre le courage d'hommes plus fermes et plus
habitués aux orages parlementaires, que ne l'était la majorité du congrès.
L'exaltation qui avait existé pendant la dernière quinzaine et qui semblait devoir
amener une crise éclata enfin. Et les cris :« A bas les protocoles ! guerre !
mort aux ministres ! les ministres à la lanterne, ainsi que la majorité ! »
retentirent d'une manière effrayante dans toutes les tribunes. Le président
essaya en vain d'apaiser la tempête, et les efforts de la garde civique furent
infructueux pour expulser les perturbateurs, qui cherchaient à s'introduire
dans la chambre même, pour exécuter leurs vengeances sur ceux qui soutenaient
la proposition. Quelques-uns des membres restaient assis, pâles et résignés ;
d'autres, dans un état indicible de consternation, abandonnaient leur place
pour se réfugier dans les pièces voisines. Ce fut dans ces conjonctures que M.
Van de Weyer se résolut à un stratagème, qui arrêta le désordre et la
démoralisation, et (page 117)
donna le temps de la réflexion. Après s'être concerté, pendant quelques
moments, avec quelques personnes de son parti, il monta à la tribune, et
proposa l'amendement suivant : « 1° Les enclaves en Hollande, reconnues par l'article
2 des préliminaires pour avoir appartenu à
Sans aucun doute, s'il eût été dans l'intention
de M. Van de Weyer d'amener la discussion sur son amendement,ou même de procéder à son développement immédiat, et
si l'opposition s'en fût à l'instant même emparée, et l'eût soutenu avec
quelques-uns des membres les plus timides de la majorité, son adoption eût
suffi pour neutraliser l'acceptation du reste. Mais tel n'était pas le motif
qui le faisait agir. Il voyait l'état de démoralisation d'une grande partie de
ses collègues, et il était convaincu que tout était perdu, s'il n'était proposé
un terme moyen qui pût servir de point de ralliement. En conséquence, il
proposa son amendement, comme le seul moyen propre à obtenir quelques heures de
répit et à arrêter (page 118) la panique
générale. La politique qui a dicté cette proposition a été sévèrement critiquée
depuis. Mais les personnes impartiales, qui ont été témoins de la scène, et qui
ont pu juger de l'état critique de la question, seront disposées à considérer
l'amendement de M. Van de Weyer comme ayant concouru en grande partie à en
assurer le succès.
L'incident
le plus remarquable de cette longue et orageuse discussion fut le célèbre
discours de M. Lebeau. Jamais le pouvoir de l'éloquence et du talent sur les
sophismes et les déclamations ne fut plus puissamment démontré. Aux
raisonnements les plus concluants, aux arguments politiques les plus élevés, l’orateur
joignait une facilite et une pureté de diction, dignes des plus beaux jours du
parlement anglais. Son effet fut vraiment magique. Les tribunes, naguère
turbulentes, étaient comme fascinées. La chambre, tout entière, écoutait avec
la plus profonde attention ; et si le ministre fut quelquefois interrompu, ce
ne fut que par des exclamations d'approbation, et par des applaudissements. Il
serait aussi difficile d'analyser ce discours remarquable que de dépeindre la
sensation qu'il produisit sur l'assemblée. Une partie de la péroraison doit
pourtant ne pas être omise. « J'adjure les députés qui m'écoutent aujourd'hui
(dit M. Lebeau) d'offrir un exemple d'union. Si les préliminaires sont rejetés,
je suis résolu de continuer à servir (page
119) mon pays dans cette enceinte et à donner cordialement mon appui à mes
adversaires. Mais vous devez admettre que s'ils sont acceptés, nous avons le
droit d'attendre autant de vous si vous ne voulez pas donner l'exemple de
l'anarchie à la nation ; si vous ne voulez pas attirer des maux incalculables
sur votre pays. Unissez-vous sans hésiter avec nous. Réunissons-nous tous, pour
soutenir le roi des Belges ! la nation aura prononcé ! que nos divisions
cessent ! nous sommes tous frères ! nous n'avons d'autre but que l'honneur et
le bien-être de notre pays ! «
A peine M. Lebeau eut-il terminé, qu'un
tonnerre universel d'applaudissements éclata dans toutes les parties de la
chambre. Les hommes poussaient des acclamations, les femmes agitaient leurs
mouchoirs, et les députés, même les adversaires les plus violents du ministre,
s'élançaient au pied de la tribune pour le féliciter. Plusieurs membres
versaient des larmes d'émotion. Épuisé par ses efforts, profondément ému de ces
marques de sympathie et d'admiration, M. Lebeau se hâta de se retirer dans
l'hôtel des affaires étrangères, et la chambre suspendit sa séance ; car
personne n'eût eu la patience d'écouter, et en vérité personne n'eût eu le
courage de monter à la tribune, tandis que l'assemblée était encore palpitante
sous les vives impressions de ce discours. Un pareil moment d'un triomphe aussi
(page 120) doux
et aussi complet est rarement le partage d'un homme d'Etat, et doit avoir
consolé M. Lebeau de tant de soucis amers et des attaques dont il avait été
auparavant l'objet.
Dès cet instant, les débats furent dénués
d'intérêt ; il était évident, à moins que quelque fatal incident n'intervînt,
que la cause était gagnée. A la fin, la division fut demandée, et, le 9 juin,
la proposition de M. Van Snick fut adoptée par une
majorité de 126 voix contre 70. Par un de ces caprices qu'enfante si
fréquemment l'inconstance de l'opinion publique, le vote du congrès fut
accueilli par les plus bruyantes acclamations. Les agitateurs disparurent,
l'opposition s'évanouit, la presse devint plus modérée ; la capitale tout
entière parut se réjouir ; la satisfaction générale s'étendit dans toutes les
provinces. Pour la première fois depuis le commencement de la révolution, un
avenir d'indépendance et de tranquillité s'ouvrit pour le pays. M. Lebeau, qui
avait auparavant été l'objet des sarcasmes et de l'animadversion publique, vit
arriver à lui la faveur populaire. Il fut complimenté ; on lui donna des
sérénades ; on le porta aux nues, comme ayant par son éloquence sauvé le pays.
Il ne put cependant obtenir ce triomphe, sans s'attirer la haine éternelle des
républicains, des orangistes et du parti français, car il venait d'abattre la
noire bannière de la discorde, et de planter l'olivier à côté de l'arbre de (page 121) la liberté. Le succès des
mesures qu'il avait défendues, plaça une barrière insurmontable contre la
république et la restauration ou la réunion. Fidèles à leur profession de foi,
à peine eurent-ils assuré un roi à leur pays, que M. Lebeau et son ami et
collègue M. Devaux donnèrent leur démission, et se retirèrent dans la vie
privée, sans emporter un denier du trésor public.
La décision du congrès fut immédiatement suivie
du choix d'une députation de cinq membres qui furent chargés d'aller la
communiquer au prince Léopold. Ces députés, parmi lesquels était l'ex- ministre
lui-même, partirent le 10 ; et le 14 une communication officielle, parvenue à
Bruxelles, annonça l'arrivée immédiate de S. A. R. Selon sa promesse, le prince
fit ses adieux à Malborough-House le 16, et
abandonnant tous ceux qui formaient sa maison en Angleterre, à l'exception d'un
aide-de-camp (sir H. Seton) et un petit nombre de
domestiques, il débarqua à Ostende, le 17. Malgré les avertissements de
quelques conseillers timides, qui craignaient que le passage de Léopold à Gand
ne servît de prétexte à quelques démontrations
orangistes, il arriva dans cette ville, où il passa la nuit du 18, et, le
lendemain soir, il arriva à Laeken, au milieu de l'éclat de mille torches, aux
cris et aux acclamations de la multitude, et au bruit du canon. Son voyage,
depuis la frontière, avait été une ovation continuelle. (page 122) Tous les préparatifs étant
achevés pour la cérémonie de l'inauguration, le monarque élu quitta Laeken, le
21 à midi, et fit son entrée dans la capitale, à cheval, au son des cloches, au
milieu des applaudissements du peuple, et arriva a la place Royale. Là, sur une
plate-forme élevée, décorée avec splendeur des emblèmes nationaux et royaux,
Léopold fut reçu par le régent, les membres du congrès et les diverses autorités,
tandis que le peuple remplissait en masse la place, les croisées des maisons
qui l'entourent, et, grimpé jusque sur les toits, poussait de joyeuses
acclamations. Cet ensemble formait un spectacle brillant et animé. Après
quelques instants, le régent adressa au roi un discours touchant, qu'il termina
en remettant son autorité dans les mains du congrès (Un décret du congrès, de la veille, déclarait que le
régent avait bien mérité de la patrie, qu'une médaille serait frappée en
souvenir de son administration, et une pension annuelle de dix mille florins
lui fut votée). Le prince alors se leva, et
répondit au baron Surlet de Choquier
par un discours concis, mais de nature à produire une profonde impression. La
constitution ayant été lue par un des secrétaires du congrès, une salve de 101
coups de canon annonça que le serment prescrit avait été prêté, et que Léopold
était inauguré roi. Cette cérémonie achevée, le roi descendit du trône et se
rendit à pied au palais, escorté par (page
123) toutes les autorités. Après s'être montré un instant au
balcon, S. M. se retira, quelques minutes, pour se remettre des diverses
émotions qui l'agitaient, et revint donner sa première audience publique. La
réputation de bravoure et de prudence qui l'avait précédé avait produit une
impression qu'augmentèrent encore son aspect noble et majestueux, la dignité de
ses manières, et l'expression ferme et douce à la fois de sa belle figure. Des
banquets, des illuminations et d'autres réjouissances terminèrent cette journée
mémorable, qui donna à
La mission du congrès était terminée, il
s'ajourna indéfiniment, et les instructions nécessaires furent données pour l'élection
de la législature qui devait le remplacer, sous les noms de sénat et chambre
des représentants. Le 24, un arrêté royal annonça la recomposition du
ministère, et, le 28, le roi quitta Bruxelles, pour visiter Anvers, Liége et
les autres parties de son nouveau royaume (Ministère du
24 juillet 1831 : Affaires étrangères MM. de Muelenaere ; Intérieur, de
Sauvage ; Justice, Raikem ; Guerre, de Failly ;
Finances, Coghen).
La manière dont il fut (page 124) reçu partout, lui promettait une popularité durable.
Parmi ceux qui se pressèrent de porter leurs félicitations au nouveau chef de
l'état, aucun corps ne se montra plus dévoué que le clergé. Les évoques et les
prêtres étaient unanimes dans l'expression de leurs félicitations. Et
certainement, aucun corps ne s'est montré plus loyal et plus fidèle à ses
promesses.