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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 2
CHAPITRE
HUITIEME
Etat politique et militaire de
(page 246) A cette époque, l'état d'incertitude et de désorganisation
dans lequel
La dissolution de l'armée des
Pays-Bas avait été si complète, la destruction de toute discipline, de toute
subordination était si absolue ; les prétentions des hommes de tout rang
étaient si grandes, non seulement pour obtenir des emplois peu élevés, mais
pour commander, qu'à l'époque en question, la recomposition de l'armée belge
avait fait peu de progrès. Le système militaire des Pays-Bas avait péri avec le
gouvernement, et le système français lui avait été substitué. Une
réorganisation nouvelle était en conséquence nécessaire pour chaque branche,
mais (page 248) dans
aucune plus que dans l'artillerie et le génie. Car quoique l'armement des
forteresses fût complet, même dans ses plus petits détails, et que les
Hollandais eussent abandonné une grande quantité d'artillerie légère et un
matériel suffisant pour former une artillerie de campagne imposante, on
manquait non seulement d'officiers supérieurs, mais même d'officiers subalternes,
de sous-officiers ou d'instructeurs. Toutes les batteries attelées ayant été
emmenées en Hollande, on manquait également de chevaux. Ce fut, en conséquence,
avec la plus grande difficulté, qu'après quatre ou cinq mois, on parvint à
organiser six batteries d'artillerie, et même encore étaient-elles fort
incomplètes. Les mêmes observations peuvent s'appliquer à toutes les autres
armes. On avait formé les cadres de onze régiments d'infanterie de ligne, de
deux régiments d'infanterie légère, de dix bataillons de corps francs, et de
cinq régiments de cavalerie, formant une force nominale d'environ 30,000 hommes
d'infanterie, 2,000 de cavalerie, et d'un nombre double de gardes civiques ;
mais l'effectif de l'armée de ligne n'arrivait guère qu'aux deux tiers de ce
nombre ; et la garde civique n'était nullement en état de tenir campagne.
L'état général d'insubordination
était déplorable. Tous les efforts de la part des chefs, pour établir la
discipline, étaient repoussés par les inférieurs, sous
prétexte de trahison, et d'orangisme. Toutes leurs tentatives pour repousser
l'incapacité et punir la mauvaise conduite, étaient taxées d'actes anti-patriotiques ou de lèse-nationalité. D'un côté, la
presse (la plus factieuse et la plus dévergondée qui ait pesé sur un pays),
prenait fait et cause pour les plaignants, non par conviction, mais par amour
du désordre ; non contente de les défendre, elle demandait souvent leur
réintégration et même des promotions pour ceux qui manquaient des qualités les
plus essentielles, même pour les grades inférieurs. D'un autre côté, la salle
du congrès retentissait constamment des doctrines les plus hasardées et les
plus dangereuses. Un grand nombre de députés, tandis qu'ils demandaient la
guerre à grands gris, et accusaient les ministres de l'insuffisance des
troupes, décourageaient l'armée régulière par les louanges exagérées qu'ils
donnaient aux hordes de volontaires, ou corps francs, et de plus défendaient
ouvertement le manque de discipline ; et, appuyant toujours la mauvaise conduite,
l'ignorance et les prétentions, rendaient l'organisation de l'armée presque
impraticable. Une demi-douzaine d'avocats, sans la plus légère connaissance des
plus simples règles de la stratégie et de la tactique, s'érigeaient en
connaisseurs de cette science militaire, qu'on ne peut acquérir que par une
longue et laborieuse expérience sur le champ de (page 250) bataille et dans le cabinet, et prétendaient dicter des plans d'attaque et
de défense aussi absurdes qu'ils étaient dangereux. La plupart, parce qu'une
poignée de volontaires avait chassé le prince Frédéric de Bruxelles,
affectaient de méconnaître l'utilité des armées régulières et, avec une
exagération ridicule, déclaraient que leurs blouses et leurs barricades
pouvaient défier tous les soldats de l'Europe.
Au lieu d'appuyer le gouvernement,
ces hommes, dont les discours violents étaient répétés par les journaux,
faisaient tout ce qu'il fallait pour augmenter les obstacles, déjà trop
nombreux, que rencontrait la réorganisation de l'armée ; et, en remplissant le
pays des notions les plus fausses sur sa force et son importance, ils
l'empêchaient de se mettre sur ses gardes, et contribuaient ainsi
matériellement à amener les désastres du mois d'août.
La tâche des ministres qui se
succédèrent au département de la guerre était, dans le fait, des plus
difficiles, et réclamait l'énergie et la vigueur de ces esprits supérieurs que
les révolutions produisent quelquefois, mais qui ne se rencontrèrent pas dans
ces circonstances. Exposés aux personnalités des députés, et chaque jour
attachés au pilori par des journaux qui exerçaient un insolent despotisme sur
l'esprit public, tremblant au moindre acte de vigueur, d'être en butte aux
dénonciations des
associations patriotiques, et que le moindre acte ne les désignât à la
proscription et au pillage, arme dont ces associations se servaient avec une
adresse effrayante, les hommes qui se succédèrent au ministère montrèrent un
degré de tiédeur et de faiblesse morale incompatible avec les exigences de
l'époque, alors qu'en effet aucun bien ne pouvait être accompli que par un
homme armé de la plus grande fermeté, et capable de mépriser non les avis
prudents de la presse, mais ses attaques injurieuses.
Ils avaient à créer toutes choses,
comme si jamais il n'y eût eu d'armée. La matière première ne manquait pas,
mais la difficulté était de la mettre en usage (Les
passages guillemets sont, sauf quelques changements, extraits d'articles de l’United
service journal . de janvier 1833, par l'Auteur. (Note
de l'éditeur anglais)). « Ainsi,
jusqu'à la fin de 1830, la force armée présentait l'image d'un chaos
d'incapacités, de jalousies et de divisions entre les chefs, d'arrogantes
prétentions de la part des officiers subalternes et d'insubordination de la
part des sous-officiers et des soldats comparables aux bandes de Bolivar ou des
autres chefs de l'Amérique méridionale.
« Le manque d'officiers et de
sous-officiers était, pardessus tout, très sensible. La proportion des (page 252) Hollandais sur les Belges
ayant été de 6 à 1, on ne doit pas être surpris que
« L'immense augmentation de
l'armée et le manque d'officiers qui en était la suite, rendit l'admission des
étrangers indispensable et donna lieu à un avancement très rapide. Dans ces
derniers temps, on a montré beaucoup de réserve dans l'avancement et dans le
choix des étrangers ; mais à l'époque en question, les plus hauts grades
militaires étaient distribués avec profusion. Ainsi, le lieutenant-colonel Van
Halen, espagnol réfugié, fut promu au grade de lieutenant-général ; le comte d'Hane, major de cuirassiers, le comte Vandermeere
qui avait servi comme capitaine dans les colonies, M. Goblet, capitaine du
génie, le marquis de Chasteler, ancien major de
hussards, et M. Niellon, ex-sous-officier de
cavalerie en France, furent rapidement élevés au grade de généraux de brigade,
tandis que MM. Charles de Brouckère et Kessels,
ex-lieutenants d'artillerie, furent promus, l'un au grade de colonel, l’autre à
celui de major dans la même arme (On
doit cependant faire observer que, dès
« Il en fut de même pendant les
guerres de la première révolution française, où une foule de citoyens
obscurs s'éleva si rapidement ; et en peu de mois, plusieurs d'entre eux
placèrent leurs noms à côté de ceux des plus illustres capitaines qui brillent
dans les annales de l'histoire de France. On doit également faire observer que
plusieurs des officiers, qui durent leur élévation soudaine à la révolution,
auraient eu déjà atteint des grades
élevés, si le gouvernement hollandais s'était montré moins partial dans ses
promotions, et s'il n'avait pas repoussé entièrement, ou placé au dernier rang
pour l'avancement, plusieurs de ceux qui, fidèles à Napoléon, dans son
infortune, avaient attendu son abdication et leur démission honorable, avant de
quitter le service français, et d'offrir (page 254) leur épée à leur nouveau
souverain, lors de la formation du royaume des Pays-Bas.
« Quand la défaite imprévue des
troupes royales eut lieu, et que leurs débris se furent retirés au delà de la
frontière du Brabant septentrional, le département de la guerre était dirigé
par M. Jolly. Le général Nypels, qui avait remplacé
Van Halen, avait le commandement général des forces actives. A cette époque,
les cadres de deux ou trois régiments réguliers se formaient. Mais les forces
principales consistaient en quelques bataillons mal organisés de volontaires ou
corps francs, parmi lesquels se trouvaient des aventuriers de toutes classes, de
toutes dénominations et de tous pays. Le gouvernement provisoire, s'apercevant
bientôt que M. Jolly n'était pas à la hauteur de la tâche qu'il avait
entreprise, accepta avec plaisir sa démission et le remplaça par le général Goethals. Vieilli dans le métier des armes, accoutumé à la
précision, à la routine des armées régulières, mais ne possédant ni une
activité ni une énergie suffisante pour remplir les fonctions dont il s'était
chargé, Goethals s'aperçut bientôt que ses efforts ne
parviendraient pas à diriger et organiser cette masse incohérente et à remplir
cette mission, si peu en rapport avec ses antécédents. En conséquence, il se
retira, après un court essai, pendant lequel l'organisation ne fit aucun
progrès.
(page 255) » II fut remplacé par le général Goblet. Cet officier avait
servi, avec distinction, dans l'arme du génie en France, avait fait plusieurs
campagnes et s'était particulièrement fait remarquer au siège de
St.'-Sébastien, place forte à la défense de laquelle il avait beaucoup contribué.
Quoique lieutenant dès 1808, il n'avait été promu au grade de capitaine qu'en
1822, et n'avait pas reçu d'autre avancement, à l'époque de la révolution,
lorsqu'il fut successivement élevé
au grade de colonel et de général de brigade, récompenses méritées par
vingt-deux ans de services honorables et actifs. Goblet, dont le caractère
doux, les habitudes régulières et la politique modérée s'accordaient peu avec
un semblable poste, accepta sa nomination à regret, et ne fut pas longtemps
sans songer à quitter une position si pénible et si désagréable. Découragé par
les attaques virulentes de l'opposition et de la presse, et se trouvant hors
d'état de satisfaire aux prétentions de tous ceux qui réclamaient des
promotions, incapable d'établir cette discipline, cette régularité sans
lesquelles tous les efforts d'organisation échouent, il fut heureux de pouvoir
se retirer et de changer le fardeau de l'administration pour les fonctions
d'inspecteur général des fortifications et du corps du génie auxquelles il fut
nommé.
« II fut, au bout de quelques
jours, remplacé (page 256) par le comte d'Hane (Depuis
aide-de-camp du roi Léopold, et adjudant- général de sa maison militaire). Mais
quels qu'aient été le zèle et l'activité de cet officier, il trouva aussi au
dessus de ses forces le lourd fardeau de responsabilité de tant de travaux
divers qui pesait sur lui, et en conservant son portefeuille, il ne fit que
céder aux pressantes sollicitations de ses collègues. Quoi qu'il en soit, son
administration et celle de son prédécesseur ne laissèrent pas que de produire
quelques améliorations. L'armée fut augmentée de 12 régiments d'infanterie, 2
de chasseurs, 5 de cavalerie, et 8 batteries d'artillerie, sans compter 2 ou 3
bataillons de chasseurs francs, et elle fut partagée en deux corps (Chaque
régiment consistait en 3 bataillons actifs, et 1 bataillon de dépôt de 6
compagnies. Les régiments de cavalerie étaient de 4 escadrons de 120 chevaux
chaque ; et les batteries d'artillerie qui, depuis quelque temps, sont
composées de 8 pièces, ne l'étaient alors que de 6). L'un,
appelé armée de
« Le budget du département de
la guerre s'élevait à la somme de 16,000,000 de
florins.
« Si MM. d'Hane
et Goblet avaient été bien secondés par toutes les personnes qui étaient sous
leurs ordres, leur administration aurait eu de grands résultats ; mais la
discorde et la jalousie qui régnaient entre les chefs, la négligence, la
mauvaise foi, les malversations de quelques officiers, et l'inexpérience de la
grande majorité des titulaires de tout grade, paralysaient leurs efforts et les
empêchaient de s'assurer de la véritable situation de l'armée. C'est ainsi que
M. d'Hane, lorsqu'il présenta aux chambres un rapport
sur l'armée (même à une époque aussi avancée que celle du 25 mai ), déclara
qu'il avait augmenté ses forces actives de 26,000 hommes ; et qu'il avait ainsi
50,000 hommes d'infanterie prêts à entrer en campagne, 60 pièces de canon et
3,000 chevaux, alors que l'effectif réel de l'armée n'était pas de plus de
25,000 hommes, et que la moitié de l'artillerie manquait de fourgons et d'une
partie des chevaux nécessaires (On
peut se faire une idée du gaspillage qu'il y avait alors en remarquant que le
budget de la guerre de 1833, pour une armée de 110,000 hommes
d'effectif, comprenant 8,000 hommes de cavalerie, et une artillerie avec 136
pièces de canon, tous parfaitement montés et équipés, excellait de fort peu de
chose celui de 1831, époque à laquelle l'armée était des deux tiers moins
nombreuse).
(page 258) « Découragé par le mauvais succès de ses efforts, et
dégoûté par les mêmes attaques qui avaient été dirigées contre son
prédécesseur, le général d'Hane donna aussi sa
démission et fut remplacé, le 16 juin, par le général de Failly,
qui avait commandé le 5e régiment hollandais, lors de
l'attaque de Bruxelles, et avait été nommé ensuite gouverneur d'Anvers. Cet
officier-général fut continué dans ces fonctions, après l'arrivée du roi
Léopold, et il les occupait au moment de l'invasion hollandaise. Mais sous son
ministère, l'organisation de l'armée paraît avoir plutôt rétrogradé qu'avancé.
La confusion et l'insubordination régnaient partout au plus haut degré ; c'est
ainsi que, quand le prince d'Orange pénétra dans
« Toutefois, si les généraux
qui se sont succédé au ministère de la guerre, manquaient, jusqu'à un certain
point, de talents éminents, d'énergie et d'expérience, il est juste de dire qu'ils
étaient environnés d'obstacles de tout genre, et qui (page 259) étaient bien propres à paralyser leur courage, si
grand qu'il fût, et à déjouer les combinaisons, des hommes les plus consommés
en économie politique. L'esprit public était si irrité, le langage des députés
si inconsidéré, la presse si violente, que les agents du gouvernement étaient
en butte à toute sorte d'attaques, et, qu'avant même d'avoir commencé leurs
fonctions, ils étaient déclarés incapables de les remplir. Ce pouvoir naissant,
au lieu de trouver de l'indulgence et de l'appui dans le pays, était en butte à
tous les outrages. Ses détracteurs, qui avaient détruit l'édifice militaire,
voulaient qu'il fût relevé en un jour, et ajoutaient ainsi aux difficultés qui
étaient le résultat naturel de la révolution. Le mot de lord Halifax que
: « c'est un crime que d'avoir une place se trouvait bien vrai alors, comme il
le fut aussi dans les divers phases des événements de
Rien, dans le fait, ne présente un
contraste plus frappant que la conduite morale des deux nations belligérantes.
Les désastres qui frappèrent les Hollandais semblaient avoir fait sur toute la
nation l'effet d'un talisman. A peine furent-ils revenus de la première stupeur
que leur avait causée la défaite, que toute la population se leva, pleine
d'énergie, et animée d'un noble dévouement. La presse et le peuple, fermement
unis, se rallièrent autour du trône, et oubliant toutes dissensions (page 260) de partis et de personnes,
concoururent avec ardeur à soutenir le gouvernement et à défendre le pays.
Toute la nation avait une seule et même pensée. Roi, princes, sénateurs,
peuple, tous se réunissaient dans un même but. Nul sacrifice n'était jugé trop
grand ; rien ne paraissait trop pénible. L'activité et l'énergie succédaient
partout à des habitudes de temporisation. La réorganisation de l'armée se
faisait avec rapidité ; et tandis que les Belges n'avaient que 20,000 hommes
sous les armes, les Hollandais avaient 33,000 hommes d'infanterie bien
disciplinée (indépendamment de la garde communale), 4,000 hommes de cavalerie,
et 64 pièces de canon ; ils avaient en outre une grande quantité d'officiers
dévoués et habitués à la discipline, un état-major expérimenté, leurs magasins
de toute nature, leurs moyens de transport et leurs hôpitaux étaient bien
organisés ; en un mot, ils avaient tout ce qui était nécessaire pour une guerre
offensive ou défensive.
D'un autre côté, les Belges étaient
tourmentés par des dissensions intestines, par des jalousies et des
conspirations ; ils manquaient de système politique et d'unité dans leur but ;
enfin, chez eux régnait la plus complète confusion. Ils avaient, il est vrai,
une grande quantité de généraux, d'officiers d'artillerie et d'état-major ;
mais, néanmoins, ils manquaient d'officiers supérieurs et d'officiers
subalternes dans toutes les armes. Les (page 261) chefs étaient en butte aux
attaques de la presse, du congrès et des associations, qui avaient les
prétentions les plus exagérées et les plus tyranniques d'omnipotence et
d'omniscience. L'infanterie, quoique bien habillée et bien armée, manquait
d'une partie de son équipement, était indisciplinée et savait à peine exécuter
les plus simples évolutions. La cavalerie était bien montée ; mais elle était
dépourvue de ce qui était essentiel, car elle était complètement incapable
d'entrer en campagne. L'artillerie était composée d'hommes forts et vigoureux ;
mais elle manquait d'officiers et surtout de sous-officiers, et n'avait aucune
idée, ni de la théorie ni de la pratique de la manœuvre des pièces. Il n'y
avait pas de corps d'intendance ; on était dépourvu d'hôpitaux, de convois et
de réserve ; enfin toute l'armée était dans un état bien différent de celui de
l'armée ennemie. Cette situation déplorable continua jusqu'au désastre de Louvain
; on reconnut alors la nécessité d'adopter un système différent : la presse et
la tribune gardèrent le silence ou prêtèrent leur appui au gouvernement pour
faire avancer la réorganisation de l'armée (Les
débuts
des chambres belges prouvent qu'elles ne sont pas encore revenues de leurs
habitudes d'exagération. Dans la discussion qui eut lieu dans la séance fin 24
mars 1834, par suite de l'altitude menaçante qu'avait prise
(page 262) Tel fut l'état militaire de
Sous l'ancien gouvernement, les
provinces méridionales étaient imposées dans la proportion des seize
trente-unièmes de la totalité des contributions du royaume des Pays-Bas. Ainsi,
le budget des voies et moyens s'élevant à la somme totale de 75,000,000 fl.,
Le gouvernement provisoire, en
entrant en fonctions, trouva Je trésor public presque vide et fut contraint de
demander une avance à la banque, qui lui en fit une de 600,000 fl. Mais comme
on se trouvait au commencement du dernier trimestre de l'année financière, et
que les contributions avaient été payées avec la plus grande ponctualité, le
trésor public fut bientôt en état de faire face aux demandes les plus
pressantes. Les voies et moyens, quoique augmentés de 20 centimes (page 264) additionnels à la contribution
foncière, ne pouvaient parer aux embarras toujours croissants de la crise
financière ; il était donc nécessaire de recourir à d'autres mesures (Le
système de finance hollandais était maintenu et existe encore, sauf les
modifications résultant de l'abolition de quelques abus).
Marcher avec les ressources ordinaires était chose impossible. Le seul moyen de
se créer les ressources dont on avait besoin était donc d'autoriser un emprunt
national et dans le cas où ce moyen échouerait, de décréter la perception d'un
impôt extraordinaire. On tenta un emprunt forcé par un arrêté du 22 octobre,
mais il ne produisit pas plus d'un demi-million, indépendamment des 380,000 fr.
de dons volontaires. On décréta aussi une contribution extraordinaire de 25,000,000 en octobre, et de 21,000,000, dans le mois de mars
suivant (L'emprunt
forcé, levé au moyen de la perception d'une somme double des contributions
directes, fut remboursé avec un intérêt de 4 p c. en 1832 et 1833).
Telles sont les
ressources financières que l'on créa à cette époque.
Le spectacle d'une nation qui
sortait à peine d'une révolution,
ou plutôt qui se trouvait encore
dans la crise révolutionnaire est l'étude la plus instructive à laquelle puisse
se livrer un philosophe ou un économiste politique. C'est ainsi que
Le premier de ces partis était le
plus puissant ; ses doctrines étaient défendues par les membres les plus
éclairés et les plus profonds politiques des deux chambres, appuyées par les
journaux les plus répandus et par le parti catholique, dont l'immense influence
suffisait pour faire prévaloir tout (page
266) système
pour lequel il se serait déclaré. Les membres des deux chambres qui ont défendu
avec le plus de constance et de talent les principes de l'indépendance, sont
MM. Lebeau, Van de Weyer, de Muelenaere et Nothomb. Ils doivent être considérés
comme les auteurs de ce système de politique, auquel l'Europe a dû le maintien
de la paix générale, et
Les réunionistes savaient tous cela
; et tous leurs efforts tendaient à faire naître des rivalités entre les deux
cabinets et les agents diplomatiques, et à (page 268) entretenir cette soif
d'agrandissement et de conquête, dont ils savaient que le comte Sébastiani était dévoré, et dont le prince Talleyrand
lui-même n'était pas tout à fait exempt. Quoique l'immense prépondérance des
théories monarchiques sur toutes les autres, paralysât complètement les efforts
des républicains, quoique les réunionistes fussent en très petit nombre, comme
ils le sont encore maintenant, cependant ces deux factions ne laissaient pas
que de causer de grands embarras. Les uns attiraient dans le pays grand nombre
d'individus sans ressources, membres de
Les
réunionistes ne cherchaient pas moins que les orangistes à troubler la paix de
l'Europe. En effet, c'était à cela qu'ils tendaient, en conseillant sans cesse
l'intervention armée, en fomentant des complots et des conspirations parmi le
peuple, en propageant les mécontentements, et en répandant la confusion dans
l'armée. C'est ainsi qu'ils excitaient des horribles scènes de pillage (page
269) qui ont si souvent désolé la capitale et les villes de province,
scènes dans lesquelles les orangistes n'eurent jamais d'autre rôle que celui de
victimes.
La principale barrière élevée contre
les efforts des orangistes, fut l'association
nationale dont faisaient partie un grand nombre d'officiers et la majorité
des fonctionnaires publics résidant dans la capitale. Ce dangereux imperium
in imperio, dont le pouvoir était égal sinon
supérieur à celui du gouvernement, exerçait sur l'esprit public une espèce de
terreur inquisitoriale, et étendait sa domination sur tout le pays. Telle était
son influence qu'elle agissait sur le congrès même, entravait la marche du
gouvernement et même souvent mettait la vie et les propriétés des citoyens à la
merci de la populace, en excitant des actes de violence et d'outrage, qui
répandaient la consternation dans le pays.
« Les rapports du Hainaut (disait le
Courrier Belge, dans un article d'une date plus récente, mais qui
s'applique parfaitement à l'époque dont nous nous occupons) sont des plus
alarmants. Il se manifeste des symptômes d'anarchie et de désorganisation, qui
paraissent se lier à de noirs complots et à de criminelles actions (Allusion
aux prétendues intrigues des orangistes pour exciter des désordres, lorsque,
dans le fait, ils n'en furent jamais que les victimes). Ici ce (page 270) ne sont pas des ennemis que l'on combat, ce sont de paisibles
citoyens que l'on dépouille, ce sont des frères que l'on ruine et que l'on
massacre. Là des négociants ou des manufacturiers respectables, qui répandent
autour d'eux l'abondance et la civilisation, sont pillés par une populace
effrénée. De riches fabriques, qui font la gloire et la prospérité de notre
beau pays, sont saccagées et dévastées par des hordes de malfaiteurs ; et nous
sommes dans la nécessité de mettre nos propres cités en état de siège (comme
cela est arrivé à Gand), afin de nous protéger contre des ennemis intérieurs,
plus barbares que des soldats hollandais.
La seule apologie que l'on puisse
faire d'une révolution,
c'est de dire qu'elle est le
résultat non du despotisme, mais de la plus insupportable tyrannie, de la violation
des droits de citoyen, et d'une soif générale d'améliorations
constitutionnelles, fondées sur l'intérêt de l'ordre social, la civilisation et
sur une liberté raisonnable. Car le gouvernement doux et paternel de
« Les associations politiques
(disait un éloquent orateur français), telles que nous les entendons, telles
qu'elles existent parmi nous, forment une cité dans la cité, un gouvernement
dans le gouvernement, s'appelant elles-mêmes république dans le sein de la
monarchie, ayant leurs journaux, leur tribune, leur armée, leur diplomatie,
déclarant la guerre, non seulement aux autorités constituées à l'intérieur,
mais aux puissances étrangères, travaillant à étendre leur joug partout, (page
272) faussant nos institutions par leur seule existence, combattant la
prospérité de tous leurs efforts, arrêtant les travaux de l'industrie, quand
ils sont si nécessaires à leur propre existence et à notre prospérité ;
toujours prêts à nous mettre en guerre avec nos voisins, malgré nos efforts
pour maintenir la paix, et néanmoins nous déconsidérant aux yeux de l'Europe,
dont ils excitent la défiance par ce schisme dans l'unité nationale ; de telles
associations constituent une anomalie monstrueuse, incompatible avec
l’existence nationale. La liberté qu'elles demandent n'est pas la liberté
d'association, mais l'impunité pour conspirer, c'est-à-dire le pouvoir
d'exécuter en plein jour, à haute voix, par dizaines et centaines de mille,
avec la presse pour organe et la France pour théâtre, ce qui auparavant pouvait
à peine être exécuté dans l'obscurité, en silence, par quelques conspirateurs
timides, c'est-à-dire la bonne vieille anarchie de 1793, anarchie de pur sang !
» (Discours
prononcé par M. de Salvandy à la chambre des députés de France, le 25 mars 1835,
dans la discussion de la loi contre les associations).
Ce tableau des sociétés politiques,
en France, est applicable sur une plus petite échelle à celle de
Des complots contre-révolutionnaires
réels ou imaginaires préoccupant sans cesse l'opinion publique, la fidélité des
uns était mise en doute, tandis que des dénonciations accusant les autres de
conspirer contre la cause nationale excitaient au plus haut point
l'exaspération des chefs des associations politiques. Cependant, comme nulle
(page 274) preuve
évidente de trahison ne pouvait être donnée contre quelques personnes en
particulier, la vengeance de l'association tombait sur ceux que leurs
antécédents et leurs inclinations rendaient suspects. En conséquence, on avait
pris la résolution (pour adopter l'expression banale du jour) de « réchauffer
le patriotisme populaire par un acte qui, en inspirant une terreur salutaire,
» pût servir de leçon aux autres. La victime était ordinairement un
négociant riche qu'on supposait avoir fourni des fonds aux orangistes, et être
un partisan zélé et actif du prince. Non seulement les projets de pillage
étaient connus plusieurs heures à l'avance, et ouvertement discutés dans les
rues, mais la populace, instrument de destruction, était réunie, payée et
endoctrinée ; et toujours quelques-uns des membres influents de l'association
se montraient pour applaudir au pillage. Les autorités étaient contraintes de
servir d'accessoire indirect ; car lorsqu'on les informait que des désordres
étaient médités, elles trouvaient convenable de ne pas s'opposer à ces «
démonstrations des sentiments populaires » qu'elles déclaraient être un
malheur, mais un malheur qui pouvait avoir d'heureuses conséquences. On disait
qu'il était nécessaire de jeter la terreur dans les rangs des orangistes, et
d'éviter ainsi les désastres qui arriveraient nécessairement si les
machinations de ce parti n'étaient pas arrêtées. Une sorte de (page 275) pacte tacite existait en
conséquence entre les autorités et les pillards, qui étaient assurés de
l'impunité, pourvu que leurs excès restassent limités à l'exemple en question.
Cela étant arrêté, des émissaires
étaient envoyés dans les villages environnants, pour réunir les plus mauvais
sujets, en leur promettant une ample récompense pour leur perte de temps, et un
pillage assuré sans aucun danger personnel ; en sorte que vers l'après-diner du jour choisi, des groupes d'étrangers, de
mauvaise mine, étaient aperçus entrant en ville, et marchant aussitôt vers les
points choisis comme lien de rendez-vous ; là on leur donnait à boire, on les
animait par des chansons, et, lorsqu'ils avaient reçu de l'argent et les
instructions nécessaires, ils se mettaient à l'œuvre, dans un effrayant état
d'ivresse. Quand la nuit était venue, ils s'élançaient en avant, et, rejoints
par un immense rassemblement de la populace, ils paradaient dans les rues,
chantant, criant, vociférant : « A bas les orangistes ! » jusqu'à ce
qu'enfin ils arrivassent auprès de la demeure de la victime désignée. En
quelques secondes, les fenêtres et les portes étaient réduites en poussière, et
la horde, se lançant dans l'intérieur, commençait à piller et à détruire. Les sucres,
les cafés, les épiceries, les marchandises de prix, les meubles précieux, la
vaisselle, le linge étaient, sans distinction, la proie sur laquelle se
jetaient (page 276) la fureur et l'avidité des assaillants. Les rues
voisines étaient littéralement jonchées de débris de marchandises. Des objets
de literie, des meubles étaient emportés et vendus à vil prix par les pillards,
ou conservés par eux pour leur usage. Après quelques heures de durée, lorsque
toutes les marchandises et les meubles eurent été emportés ou détruits, les
pillards traînèrent les voitures de M. Mathieu sur la place publique, où ils
les brûlèrent, au milieu des cris de triomphe que poussaient ces brigands.
Quelques-uns, dans une ivresse furieuse, grimpés sur l'impériale ou sur les
sièges des voitures, faillirent périr dans les flammes. Tout se termina sans
que la force année y apportât le moindre obstacle. Il est vrai que l'on battait
la générale, qu'on rassemblait la garde civique, et qu'elle se mit en mouvement
avec la résolution apparente de maintenir l'ordre ; mais aucun effort ne fut
fait pour protéger la maison désignée à la dévastation, Il était évident que la
garde civique croyait ce sacrifice nécessaire, et était résolue à permettre
qu'il fût consommé.
L'œuvre de spoliation étant complet,
et le dernier débris des équipages brûlés ayant disparu, par une transition
aussi rapide qu'elle fut remarquable, la ville passa du désordre le plus
affligeant à un calme profond. Longtemps avant la pointe du jour suivant, on ne
rencontrait plus personne dans les rues ; de telle sorte que l'étranger (page 277) qui
aurait traversé la ville n'aurait pu découvrir le moindre vestige des scènes
qui venaient de se passer. La terreur et l'anxiété des habitants paisibles
étaient néanmoins très grandes. Les portes et les fenêtres étaient fermées ; le
silence régnait partout ; mais peu de personnes pouvaient dormir ; chacun
savait qu'il pouvait devenir victime à son tour. Ceux spécialement qui se
considéraient comme exposés à être accusés d'attachement à la famille de
Nassau, tremblaient pour leur vie et leurs propriétés. Le calme de la nuit
était redouté comme le précurseur d'une nouvelle tempête. Des rapports exagérés
sur de nouveaux projets de désordres circulaient au dehors. On parlait de
listes imaginaires de proscription, contenant les noms des citoyens les plus
riches, ainsi que ceux de certains étrangers, parmi lesquels quelques Anglais
qui avaient imprudemment exhalé leur haine contre la révolution.
Car la plus grande partie des Anglais
qui étaient demeurés à Bruxelles, rentiers ou négociants, n'avaient pas hésité
à exprimer leurs vœux pour le retour du prince d'Orange. Quoique ces personnes,
surtout les rentiers, eussent peu de propriétés exposées, et moins à craindre
de la fureur populaire que les autres habitants de la capitale, ils n'étaient
pas moins les premiers à répandre les bruits les plus exagérés et les plus
alarmants, et à exprimer des craintes pour leur sûreté. L'association (page 278) exploitait adroitement ces
bruits pour augmenter son influence sur l'esprit public : ce fut cette terreur,
plus que toute autre chose, qui servit à paralyser tous les efforts des
partisans du prince.
Cependant, à une exception près, la révolution belge n'a pas fourni un seul
exemple qu'un étranger respectable ait été molesté pour ses opinions
politiques. On peut citer contre ce que nous avançons, l'exemple du baron de Krudner. Mais nous observerons que ce diplomate russe parut
à Bruxelles, au moment où les haines de parti étaient le plus exagérées, que
son arrivée excita beaucoup de soupçons et de défiance, et qu'on l'avait vu
constamment en communication avec les orangistes les plus ardents, qui
l'entouraient sans cesse, et n'avaient ni la discrétion ni le tact suffisants
pour garder leur secret et le sien. Les démarches du baron de Krudner étaient en conséquence surveillées ; deux espions
suivaient ses pas et lisaient sa correspondance. Son but, ses intentions
étaient bien connus, et comme son plan était d'employer tous les moyens
possibles pour aider ceux qui songeaient à renverser le gouvernement existant,
et qu'il n'était pas protégé par un caractère officiel ou reconnu, le
gouvernement employa lui-même tous les moyens qui étaient à sa disposition,
moyens que sanctionnait une loi despotique non abolie, et lui ordonna de (page 279) quitter le territoire de
L'animosité des
républicains et des réunionistes était également dirigée contre lord Ponsonby, pour l'appui qu'on supposait qu'il donnait aux
orangistes. Une semblable mesure d'expulsion fut conseillée au gouvernement ;
mais, quoiqu'un ou deux de ses membres fussent disposés à adopter cet avis
impolitique, la majorité montra le danger d'insulter ainsi le gouvernement
anglais, et ce projet fut abandonné. Ne renonçant pas cependant tout à fait au
désir d'insulter l'envoyé britannique, trois ou quatre individus armés de
pierres, et favorisés par la nuit, réussirent à briser quelques vitres de
l'hôtel qu'il habitait. Lord Ponsonby traita sagement
cet outrage, avec le mépris qu'il méritait, quoique ses auteurs et ses
instigateurs lui fussent bien connus.
En retraçant ces circonstances, il
est nécessaire de rappeler encore les difficultés et les embarras de la position
de lord Ponsonby, de même que les préventions qui
pesaient sur ses actes et les intentions de son gouvernement ; nous le devons
d'autant plus que la coalition était composée de légitimistes et de
républicains, coalition bien plus étrange encore que l'union des
catholiques et des libéraux, avant la révolution,
et qui n'épargnait nul effort, au
moyen de la presse hollandaise, ou (page
280) des chambres belges pour avilir les uns et
tourmenter les autres.
En parlant des efforts des
orangistes, et du désir que les puissances conservaient de voir élire le prince
d'Orange, nous avons démontré jusqu'où le gouvernement anglais était déterminé
à porter son intervention, et que quelque ardent que fût son désir de voir
l'adoption pacifique d'une mesure qui, à cette époque, eût concilié toutes les
exigences des puissances étrangères, il était résolu de conserver strictement
le système de non-intervention, et d'abandonner la solution des affaires à la
décision du pays. Par la nature des instructions de son agent lord Palmerston,
et par la déclaration franche et complète de lord Grey, à la chambre des lords,
il est facile de prouver que ce système fut suivi avec bonne foi, en ce qui
regarde le prince d'Orange et le prince Léopold, et de démontrer aussi que lord
Ponsonby n'a jamais dévié à ses instructions. Peu de
mots suffiront pour établir que les ressources physiques et morales du parti
orangiste étaient bien au dessous du but auquel il se proposait d'arriver, et
que ses projets ne pouvaient être encouragés au delà d'un certain temps, sans
compromettre positivement la paix de l'Europe. En agissant ainsi, le
gouvernement anglais aurait mérité les accusations de machiavélisme et de
fausseté qu'on a portées contre lui.
(page 281) Mais le temps n'est pas encore venu où il peut être permis de
lever le voile qui couvre ces transactions, en apparence mystérieuses, et
toutefois si simples qu'elles ne demandent que quelques explications. De telles
révélations seraient à la fois dangereuses et impolitiques. L'époque est trop récente,
les passions trop excitées pour permettre de divulguer des vérités qui
pourraient exposer des hommes respectables à la vengeance populaire, et
réveiller les animosités et les jalousies de ceux qui se nomment eux-mêmes les hommes
de la révolution contre ceux qui sont désignés comme
les hommes du lendemain, ou qui, bien qu'entraînés dans la révolution,
sont hostiles à ses principes, tout
en ayant loyalement et franchement adopté ses conséquences (M.
Legrelle, bourgmestre d'Anvers, un des plus
honorables et des plus dévoués soutiens du gouvernement du roi Léopold, n'a pas
hésité à déclarer devant les chambres « qu'il était l'ennemi des
révolutions et des révolutionnaires. »)
A une époque où le roi des Belges s'applique, avec
sa sagacité politique, à fermer les yeux sur tout parti, autre que celui qui
l'a appelé au trône, quand il fait tous ses efforts pour réunir les opinions
différentes, et rallier tous les citoyens autour d'un centre commun, et leur
inspirer des sentiments d'unité et de nationalité si essentiels à
l'indépendance du pays, il serait criminel de (page 282) réveiller les passions endormies, en citant des
noms propres, et pourtant, sans cela, il est impossible de vérifier les faits
et de repousser ces accusations malveillantes, qui ont été si libéralement
prodiguées au ministère de
En ce qui regarde lord Ponsonby, on peut affirmer que la conviction d'avoir été de
bonne foi et juste envers toutes les parties, d'avoir avec honneur, zèle et
habileté rempli une mission délicate et difficile, doit le consoler des
imputations dont il a été l'objet, de quelque source qu'elles soient venues. Le
passage suivant, qui termine le (page
283) premier chapitre de l'Essai de M. Nolhomb, et dans lequel il parle de la mort du général Belliard, peut être cité pour prouver que les hommes les
plus compétents pour juger la conduite de l'envoyé britannique, reconnaissent
et apprécient son mérite : « Plus heureux que lord Ponsonby
(dit l'auteur), le général Belliard n'a pas eu a se
plaindre de l'ingratitude publique.
Une manière plus délicate et plus
forte d'exprimer les sentiments qu'inspirent les services de lord Ponsonby ne pouvait être adoptée, qu'en faisant contraster
les honneurs posthumes décernés à la mémoire du général français avec
l'ingratitude dont a été l'objet son collègue anglais qui a pris part, avec
tant de zèle et de cordialité, à ses travaux, et qui a marché d'accord avec lui
dans toutes les occasions. La manière la plus frappante de mettre en relief le
mérite d'un homme, c'est de déclarer qu'il a été victime de l'ingratitude.
Lord Ponsonby
n'a jamais fait un secret de sa politique, qui était fondée sur les intentions
les plus pures et les plus éclairées, relativement aux intérêts de l'Europe et
à ceux de
Aussi longtemps que lord Ponsonby a pensé qu'il était possible de rappeler le prince
d'Orange, sans exciter une guerre étrangère ou la guerre civile, il se crut autorisé à appuyer les partisans et les défenseurs de cette
combinaison. En agissant ainsi, il remplissait les intentions avouées de son
gouvernement et celles des grandes puissances, excepté peut-être le vœu de la
France, qui désirait secrètement un partage, jusqu'à l'époque (page 285) où l'élection de Léopold fit
naître la possibilité d'une alliance par un mariage entre le roi des Belges et
la fille aînée de Louis-Philippe. En agissant ainsi, lord Ponsonby
ne dissimulait ni ses vues ni celles de son gouvernement, et ne négligea aucune
occasion de soutenir la cause du prince, non avec ses adhérents, car cela eût
été superflu, mais contre ses opposants, dont l'hostilité fut souvent
heureusement désarmée par lui. Aussitôt que l'envoyé britannique découvrit la
faute dans laquelle les orangistes voulaient l'entraîner, aussitôt qu'il put
s'éclairer sur l'état des sentiments nationaux et qu'il eut reconnu qu'il avait
été trompé sur les forces du parti du prince, que la force de ses partisans
s'épuisait en paroles au lieu d'actions, et que sa cause était antipopulaire,
que la presse et le public lui étaient irrévocablement opposés, et que s'il
persistait plus longtemps dans ce projet, il attirerait les calamités
intérieures et étrangères qu'il était si désireux d'éviter, alors et seulement
alors il regarda comme un devoir impérieux d'éclairer la conférence sur le peu
de fondement des espérances du prince, et sur la nécessité d'adopter une
combinaison qui pût atteindre le même but, sans compromettre le repos de
l'Europe, ou sans rendre les négociations interminables.
Le tact, la prudence et l'humanité
déployés par lord Ponsonby, dans ces conjonctures
difficiles, (page 286) furent plus qu'ordinaires ;
car, en soutenant plus longtemps son premier plan, au lieu d'être utile au
prince, il eût accompli le désir des anarchistes et des réunionistes. Après
avoir inondé
Avec quelqu'amertume
que les orangistes puissent déplorer la sévère nécessité qui amena le
changement de vues de la conférence, ils sont les derniers qui aient le droit
de la reprocher aux autres ; car il est incontestable que la diplomatie n'a
abandonné leur cause, que lorsqu'ils l'eurent abandonnée eux-mêmes, alors que
leur vie et leurs propriétés étaient vouées à la destruction, et que la
tranquillité de l'Europe était sur le point de disparaître dans un abîme. Le
démon de la guerre, d'une guerre d'opinions et de principes, brandissait déjà
ses torches. La plus légère erreur pouvait, comme une étincelle, enflammer les
matières combustibles, dont l'incendie eût entraîné des conséquences
incalculables. C'est alors et seulement alors, que lord Ponsonby
entra avec habileté et rapidité dans la seule voie qui pouvait concilier
l'indépendance de
Si d'autres preuves devaient être données
des vues et de la politique de la conférence et de son envoyé, on les
trouverait dans les instructions du cabinet prussien, au baron Bulow : « Faire tout ce qu'il est possible pour ramener
Les véritables motifs de l'animosité
des orangistes, des réunionistes et du parti du mouvement contre le
gouvernement anglais, peuvent se résumer en peu de mots. Les premiers, sans le
moindre égard à l'état politique et moral de l'Europe, rêvaient ardemment une
restauration, ou même une quasi- restauration ; peu leur importait
qu'elle fût le résultat d'une invasion étrangère ou d'une (page 290) commotion intérieure, non par un attachement
direct à la dynastie, mais dans l'espoir de recouvrer ce qu'ils avaient perdu
ou d'augmenter ce qu'ils avaient déjà gagné par la révolution. Ainsi,
par exemple, le baron Vander Smissen, Grégoire, Borremans et plusieurs autres avaient gagné, par les
événements contre lesquels ils conspiraient alors, leur rang et leur fortune.
Les réunionistes, indifférents aux conséquences générales, calculaient avec
égoïsme les avantages qui pouvaient résulter pour eux-mêmes par la réunion à la
France, et fermaient les yeux sur les malheurs qu'ils auraient attirés sur le
reste de leurs concitoyens, par suite de la guerre générale, qui devait
nécessairement suivre toute tentative directe de réunion (La
ville de Verviers, célèbre par ses manufactures de draps, présenta au congrès,
le 29 décembre 1830, une pétition pour obtenir la réunion à
Après une convulsion aussi violente
que celle qui a eu lieu en Belgique, convulsion qui avait totalement renversé
les institutions existantes, on pouvait penser que tout le système social
serait détruit jusque dans ses fondements, que la nation, plongée dans un état
alarmant de langueur commerciale et de découragement moral, serait encore
tourmentée par des divisions intestines et en proie à toutes les incertitudes
des combats politiques, et que la misère s'étendrait parmi ces classes qui,
vivant au jour le jour du travail de leurs (page 292) mains, tirent leur existence des
spéculations commerciales et des besoins du luxe de l'aristocratie. Il exista,
en effet, une assez grande misère ; et cependant, quelque incroyable que cela
puisse paraître, cette misère même forma une des ressources auxiliaires des
factions extrêmes, qui s'en servaient comme d'un moyen pour stimuler les masses
à épouser leur cause. Les uns soutenaient que la stagnation de l'industrie et
des affaires deviendrait bientôt si insupportable, et le mécontentement général
si intense qu'ils rendraient indispensable le retour de l'ancien gouvernement ;
tandis que les autres, spéculant sur l'ignorance et les passions de la
multitude, calculaient qu'il leur serait encore plus facile de l'entraîner au
désordre, quand elle serait exaspérée par la misère résultant du manque de
travail.
Mais, comme cela arrive souvent dans
les malheurs publies et privés, ceux qui souffraient le plus n'étaient pas ceux
qui criaient le plus haut. Car les pertes qui frappaient les marchands et les
maîtres d'atelier, retombaient sur les artisans et les ouvriers, qui
supportaient leurs privations avec une patience exemplaire. Aussi, pendant
toute la révolution,
on peut dire que ce sont les hommes
de ces classes qui ont montré le plus d'abnégation et de patriotisme.
Instruments dans les mains des autres, ils versèrent leur sang et subirent
toutes les privations, sans la plus légère espérance de (page 293)
compensation et d'amélioration. L'aristocratie et les propriétaires, à
l'exception de quelques propriétaires de forêts, qui tiraient leur principal
revenu des fournitures qu'ils faisaient aux forges de Namur, de Liége et du
Luxembourg, souffrirent très peu, et pourtant ils se plaignaient le plus fort ;
la vente des produits de l'agriculture se faisait mieux que les années
précédentes. En conséquence, le prix des grains, du bétail et des fourrages,
ainsi que de la main d'œuvre, augmenta considérablement ; de sorte que le
producteur s'enrichissait, tandis que le consommateur seul souffrait. C'est un
fait notoire, que telle était l'amélioration de la condition des
fermiers, telle était la quantité des demandes et, par une heureuse
coïncidence, celle des produits, que plusieurs propriétaires qui, depuis deux
ou trois ans, n'avaient pas touché le montant de leurs fermages, reçurent tout
d'un coup tout l'arriéré qui leur était dû ; en sorte qu'à mesure que le
commerce et la fabrique souffraient, la valeur des biens-fonds augmentait ; car
ceux qui, dans d'autres circonstances, eussent placé leurs capitaux dans des
spéculations commerciales, les employaient de préférence à des achats de
terres.
Les effets de la révolution furent donc à peine ressentis par
l'agriculture. Tout le poids en retombait malheureusement sur ceux qui
contribuent, (page 294) pour la plus grande part, au
bien-être des royaumes, c'est-à-dire sur les classes commerçantes. On commençait
à s'apercevoir combien était factice la prospérité due au million de
l'industrie. Les fabriques, les fourneaux, les machines à vapeur chômaient
complètement, ou n'avaient plus qu'une demi-activité ; les produits, qui sous
l'ancien gouvernement excédaient de beaucoup les véritables besoins des
marchés, étaient absorbés alors par les besoins factices de la société de
commerce. Il existait déjà néanmoins un excédant considérable, qu'il eût été
imprudent d'augmenter. Il devint donc indispensable de réduire la fabrication.
Ainsi, parmi tant d'autres, un fabricant entreprenant, M. John Cockerill, dont
les magnifiques établissements de Seraing, près de Liége, font l'admiration de
tous les étrangers, en était réduit à une grande détresse, et il fut obligé de
renvoyer la plus grande partie de ses ouvriers, qui étaient, au moment de la révolution, au nombre
de 2,500. Des centaines d'ouvriers de Gand, Tournay, Liége, Namur et Bruxelles,
se trouvaient aussi sans occupation, et leurs familles obligées de recourir à
la charité publique. Les immenses demandes de produits de l'agriculture
donnèrent de l'ouvrage à quelques-uns, tandis que le service militaire devint
une ressource pour les autres ; mais cela ne pouvait produire qu'un allégement
insuffisant, dans un pays où les fabriques de (page 295) coton seules employaient auparavant 250,000 ouvriers (Pétition
des fabricants de coton au roi Léopold, 18 janvier 1834).
La misère était grande, l'avenir effrayant, le danger imminent ;
toutefois, par l'anomalie la plus extraordinaire, les crimes auxquels les
malheureux sont poussés par le besoin et par les cris de leurs enfants mourants
de faim et de froid n'étaient pas sensiblement augmentés ; et ils ne furent pas
en proportion des souffrances des classes inférieures dans les villes
manufacturières. Il est digne de remarque que le nombre des crimes, commis
pendant les six premiers mois de la révolution, fut moindre que ceux qui
avaient eu lieu pendant le même espace de temps, à une période antérieure
donnée. La stagnation du commerce était ruineuse pour les marchands en général,
et la dislocation de la société anéantissait, pour ainsi dire, le commerce de
détail dans la capitale. Du grand nombre de ceux qui auparavant vivaient en
grande partie des dépenses de la cour, de l'aristocratie et de la masse
d'étrangers, surtout des Anglais qui se trouvaient à Bruxelles, étaient obligés
d'abandonner leurs magasins et de vivre de leur capital. Quelque étrange
cependant que cela puisse paraître, quelles que fussent les raisons de ces
classes nombreuses d'abhorrer la (page
296) révolution et quel que fût leur intérêt à désirer une restauration, à aucune
époque, les chefs du parti du prince d'Orange ne purent les amener à une
coopération active, soit qu'ils craignissent les vengeances de l'Association,
ou que leur amour de l'indépendance nationale fût assez fort pour leur faire
oublier leurs intérêts privés. Que leurs vœux secrets et personnels fussent
généralement favorables au prince d'Orange, cela ne peut être contesté ; et
néanmoins, il fut impossible de les amener à exprimer un désir collectif, soit
en élisant des candidats orangistes au congrès, soit en se prononçant
ouvertement pour la cause du prince ; ils prévoyaient sagement que des scènes
de confusion résulteraient de toute démonstration en faveur de la dynastie
déchue. Six mois d'expérience leur avaient fait apprécier les tristes résultats
des commotions civiles ; tout ce qu'ils désiraient était le retour de la
tranquillité, sans laquelle il n'y a point de commerce.
Nous avons dit que les factions,
c'est-à-dire les orangistes et le parti du mouvement, regardaient la misère du
peuple comme un auxiliaire de leur cause : « Tous les moyens sont bons, dans
les temps de révolution.
Peu importe le levier, pourvu qu'il
produise l'impulsion désirée ! » Telle est la maxime des agitateurs de tous les
pays. Qu'ils aient compté sur une telle assurance, cela ne doit point
surprendre ; mais attribuer une politique si (page 297) machiavélique et si égoïste aux
familles orangistes, est une assertion que l'on ne peut soutenir, à moins de la
justifier par des preuves de la plus grande évidence.
Il est à peine nécessaire de dire
que la plus grande partie des ouvriers et des classes indigentes dans toutes
les capitales et les grandes villes, tirent leur existence des dépenses des
gens riches et des besoins du luxe. Ce n'est pas tant les choses nécessaires
que les superfluités de la vie qui fournissent la plus grande somme de
prospérité aux artisans. L'aristocratie belge, dont la portion la plus riche, à
peu d'exceptions près, appartient au parti orangiste, fut de tout temps
remarquable par ses habitudes d'économie, par son amour de l'argent, par le peu
de propension qu'elle a pour cette hospitalité franche et généreuse qui
caractérise l'aristocratie de Paris, de Londres et des autres capitales. Plus
occupés d'augmenter leur fortune, que de contribuer au plaisir de leurs égaux
ou à la prospérité de leurs inférieurs, ils montraient une économie presque
parcimonieuse, et ce n'était que rarement qu'on voyait régner chez eux le luxe
et la profusion.
Cette disposition organique, espèce
d'héritage moral, peut cependant être attribuée aux changements politiques
continuels que le pays a subis, changements qui, en lui ravissant son nom et sa
nationalité, ont détruit les sentiments d'unité et (page 298) de patriotisme, qui
caractérisent si essentiellement les habitants de la vieille Néerlande.
Alternativement appelés à subir le joug de l'Espagne, de l'Autriche, de la
France et de
La révolution fournit à cette classe un admirable
prétexte pour se livrer à ses habitudes naturelles d'économie ; en conséquence,
elle produisit le double résultat d'augmenter leur fortune, tout en ajoutant à
la misère et au mécontentement des classes inférieures et aux embarras des
autorités locales, par la diminution des demandes de travail et du produit des
octrois municipaux, dont une partie était consacrée au soulagement des pauvres.
Pour mieux remplir ses vues, la plus grande partie de l'aristocratie se
transporta dans les pays étrangers, ou se renferma dans ses châteaux, (page 299) tandis que ceux qui
rentraient dans la capitale, tenant leurs portes fermées, habitant un coin de
leurs hôtels, renvoyaient leurs équipages et la plus grande partie de leurs
domestiques, et bornaient leur dépense au strict nécessaire.
On peut objecter que le temps
n'était pas favorable au déploiement de la richesse et du luxe, et que, dans les
commotions civiles, les hommes pouvant passer subitement de l'opulence à la
gêne, il est nécessaire de songer au lendemain.
On a dit que le peuple, étant
l'artisan de la révolution et de ses propres souffrances,
n'avait pas le droit de réclamer l'appui de l'aristocratie, ou des personnes
attachées à l'ancien gouvernement. Si en augmentant les privations temporaires
des pauvres et des classes moyennes, on avait pu les amener à comparer
l'aisance qu'ils avaient perdue avec les privations qu'ils enduraient, et les
amener ainsi à se prononcer pour une restauration, ou pour le prince d'Orange,
c'eût été procurer un immense avantage au pays, et remplir les vues de tous les
cabinets de l'Europe. Cela peut être ; mais si les personnes qui font valoir
ces arguments avaient étudié l'histoire des commotions populaires, ou même
seulement la nature humaine, ils auraient découvert que les souffrances qui
accompagnent généralement les guerres civiles et les désordres sociaux, ont (page 300) été beaucoup plutôt les causes
des progrès de l'anarchie que d'un retour à l'ordre.
De même que ceux qui sont victimes
de l'intempérance physique sont portés à s'y livrer de plus en plus comme à un
soulagement de leurs peines, de même les classes inférieures, quand elles sont
échauffées par les excès politiques, et qu'elles en ressentent les malheureux
effets, sans en comprendre les causes et les conséquences, sont infiniment plus
disposées à continuer leurs désordres qu'à revenir à la modération. La tendance
des hommes au mal et à la destruction trouve un nouvel aliment dans leurs
souffrances. Ainsi, au milieu du malaise général, le parti orangiste fut hors
d'état, soit par l'or ou l'intrigue, d'exciter les masses en sa faveur, tandis
que l'association patriotique trouva toujours en elles un instrument prêt soit
à chercher à intimider le congrès par ses vociférations, soit à se livrer à
quelque autre méfait utile à ses propres vues (Le
pillage déplorable des orangistes du 6 avril 1834, et les désordres qui eurent
lieu à Bruxelles, viennent à l'appui des observations ci-dessus).
Heureusement pour les orangistes
(car leurs richesses et leur impopularité les eussent rendus les premières
victimes), la patience du peuple et la charité publique prévinrent les malheurs
que l'on pouvait redouter. Des dons volontaires, (page 301) s'élevant à une somme considérable, furent
distribués par l'aristocratie patriote, par le clergé et par toutes les
personnes auxquelles leurs moyens permettaient de venir au secours des
malheureux. Des emprunts furent faits par les municipalités ; de l'emploi dans
les travaux publics fut donné à tous les ouvriers sans ouvrage ; et ainsi la
classe laborieuse trouva sa subsistance, et les malveillants perdirent tout
prétexte pour se livrer au désordre. Une somme de plus 100,000 fl. fut ainsi
dépensée par la régence de Bruxelles, pendant les premiers six mois de la révolution. Le
vénérable M. Rouppe, bourgmestre de la ville, ainsi
que plusieurs autres citoyens respectables, déployèrent, pendant cette crise,
une grande philanthropie, et ce noble exemple ne fut pas perdu pour leurs
concitoyens.
En traversant les riches et fertiles
plaines de ce beau pays, auquel
Les rues étaient tristes et désertes
; les promenades publiques et les lieux ordinairement fréquentés étaient
abandonnés ou animés par quelques groupes de politiques gesticulants. Les
classes les plus riches semblaient avoir abandonné la ville, pour la livrer aux
pauvres qui, par centaines, spécialement les femmes, mettaient les passants à
contribution. Les hôtels des nobles étaient fermés, et des affiches, placées
sur chaque porte, annonçaient qu'ils étaient vides ou à louer. Les fiacres
traversaient çà et là les rues, mais on ne voyait plus une seule voiture de
maître. L'herbe commençait à croître dans les places publiques, au centre
desquelles on voyait des arbres de la liberté, d'une triste végétation,
surmontés de chapeaux et de bannières en lambeaux, élevant leur tête flétrie.
Il n'existait plus ni société ni cordialité ; tout était incertitude et alarmes
; des bruits (page 303) d'émeutes projetées
inquiétaient chaque jour les citoyens tranquilles, que des cris et des
vociférations troublaient dans leur repos des nuits. Les séances du congrès
étaient souvent bruyantes et agitées : tantôt troublées par les murmures ou les
applaudissements des tribunes ; tantôt interrompues par les déclamations
exagérées des orateurs qui, pour fortifier leurs arguments, en appelaient
quelquefois aux passions des spectateurs. Des agents des sociétés républicaines
de Paris se mêlaient dans les groupes, menaçaient et insultaient les députés,
dans la chambre et au dehors. Les affaires se faisaient, mais les marchandises
des magasins manquaient d'éclat et de fraîcheur ; on n'achetait que le strict
nécessaire, et rien de ce qui avait rapport au luxe et aux superfluités de la
vie ; des emprunts forcés et des contributions pesaient sur les citoyens, dont
les souffrances étaient encore augmentées par les logements militaires
continuels. Bruxelles, par sa situation centrale, était un rendez-vous ou un
lieu de passage pour les troupes. A peine se passait-il un jour sans que des
officiers et des soldats, souvent exigeants et indisciplinés, ne fussent logés
chez les habitants.
Les esprits étaient si complètement
absorbés par les intérêts du jour, que tout sujet, excepté ceux qui avaient
rapport à la politique, était exclu des conversations. Les arts, les sciences
étaient négligés ; (page 304) on ne s'occupait plus d'autre
littérature que de celle de la presse périodique. L'avidité avec laquelle les
hommes songeaient à fortifier leurs espérances personnelles et leurs opinions,
par celles de la presse quotidienne, n'était pas moins remarquable que
l'immense influence dont jouissait cette dernière ; et toutefois une partie de
ces journaux était rédigée et publiée par des étrangers qui, insouciants des
vrais intérêts de
Les vices les plus saillants de la
conduite des journalistes, en Belgique, était en premier lieu 1° d'entretenir
l'idée erronée qu'une opposition systématique au gouvernement était nécessaire,
pour prouver leur indépendance ; 2° l'oubli complet de leur position
relativement aux autres Etats. Dans presque toutes les questions qui se liaient
à la politique européenne, ils argumentaient comme si
Il est vrai qu'ils tenaient la
torche de la discorde, suspendue comme l'épée de Damoclès sur l'Europe, qu'ils
pouvaient la plonger dans une guerre et contraindre la France à venir à leur
aide ; mais ils oubliaient que le premier pas de ses armées les conduirait au
sein de leur pays, qu'elles ne se porteraient sur le Rhin, qu'après l'avoir
épuisé et que, vainqueurs ou vaincus, les résultats seraient également
désastreux pour eux. La conséquence inévitable de la guerre aurait été un
changement de domination ou un retour à celle qu'ils avaient si récemment
secouée.
En parlant de l'état général de
Bruxelles, à cette époque, il est nécessaire de dire quelques mots de la garde
civique. Cette classe de citoyens armés reçut une organisation définitive par
une loi du 31 décembre 1830, par laquelle (page
307) il était ordonné que toutes les personnes, sauf
quelques exceptions, de l'âge de 20 à 50 ans inclusivement, seraient obligées à
ce service, sous peine d'amende et d'autres pénalités. Elle était divisée en
trois classes : la première, comprenant tous les célibataires et veufs, sans
enfants, de l'âge de 20 à 31 ans, était sujette à être appelée à un service
actif ; la seconde, consistant dans toutes les personnes de la même classe de
l'âge de 31 à 50 ans, était destinée au service des garnisons ; et la
troisième, comprenant tous les individus indistinctement entre 20 et 50, était
exclusivement sédentaire. Dans le cas où elle eût été appelée, par une loi, au
service actif, le premier ban était placé sur le même pied, quant à la solde et
à la discipline, que l'armée de ligne ; les officiers et les sous-officiers,
excepté les colonels, étaient élus par les gardes ; système convenable
peut-être en temps de paix, mais très préjudiciable à la discipline, en temps
de service actif.
Aucune occasion ne s'est offerte
pour juger de l'utilité du premier ban de la garde civique, depuis qu'elle a
été soumise à une organisation régulière ; car la loi qui la concerne, ne fut
mise en vigueur qu'après l'invasion hollandaise. Mais il y a tout lieu de
penser, qu'en cas de nécessité, elle ferait son devoir aussi bien que la troupe
de ligne, à laquelle elle est généralement supérieure, pour la force des
hommes, et peu (page 308) inférieure
pour l'équipement et la discipline. Le danger d'employer des bandes
désorganisées à tout autre service qu'à celui de la garde des localités, fut
malheureusement prouvé par les désastres du mois d'août 1831. La confiance
exagérée, placée dans cette espèce de forces, par quelques-uns des membres du
congrès belge, ne prouvait que leur ignorance de la science militaire. Aucun
sophisme, aucune théorie ne peuvent détruire les enseignements de l'expérience.
L'histoire ancienne et moderne en fournit de nombreux exemples. Il est
incontestable que, sans discipline, il ne peut exister d'unité, et que sans
unité il n'y a point de force ni de victoire possible. La valeur, même la plus
ardente, ne peut la remplacer. Chaque fois qu'une nation sera réduite à de
telles légions, pour se défendre contre un ennemi bien organisé, son sort sera
toujours celui de
Pour la défense extérieure, les
gardes nationales, dans leur forme primitive, sont inutiles, et leur utilité
est même problématique pour assurer la paix intérieure. Sans contredit, les
désordres (page 309) furent souvent empêchés en
Belgique, pendant les six premiers mois de la révolution,
par la
fermeté de la milice bourgeoise, et il est incontestable que le repos de Paris
a été maintenu, depuis la révolution de juillet,
par la même classe de citoyens. Mais l'ordre qui peut être maintenu, peut aussi
être troublé par ces mêmes moyens ; et la position d'un gouvernement ou d'une
dynastie devient précaire et effrayante, quand son existence et même la
sécurité des propriétés privées sont dans les mains du peuple armé. Une
semblable dépendance est une espèce de despotisme militaire. La différence
morale entre le soldat régulier et les gardes nationales, ayant les armes en
main, est si faible qu'on peut attendre de l'une et de l'autre les mêmes
effets. Réunissez les masses en bataillons ou en corps, et elles devront agir
par une impulsion unanime, ou tomber dans une inextricable confusion.
L'obéissance et la docilité temporaires doivent exister, quoiqu'elles n'aient
ni discipline ni instruction ; et l'esprit de l'homme est si disposé à céder à
l'enthousiasme de l'exemple, et à se laisser entraîner par la fascination
qu'exercent les intelligences supérieures, que les soldats-citoyens peuvent
devenir plus dangereux pour la liberté, guidés par ces personnes, que les
soldats des armées régulières obéissant aux gouvernements absolus. Supposez
qu'un chef ambitieux et capable, qu'il soit prince ou soldat de (page 310) fortune, gagne la confiance de
ces bandes, il les convertira en instruments directs de despotisme. L'axiome
vulgaire « qu'une demi-connaissance est une chose dangereuse » peut être
applicable aux gardes nationales ; car, quand le peuple se fait législateur,
les armes à la main, quand ceux qu'il serait le plus avantageux de retenir dans
une complète ignorance de la science militaire et de l'immense puissance qui
résulte de l'unité, sont initiés à la connaissance de leurs propres forces, et
exercés aux moyens de les appliquer, le danger est imminent, non seulement pour
les gouvernements, mais pour les libertés publiques. Placez des armes aux mains
de toute la population mâle de Birmingham, Manchester et Glasgow ;
enseignez-leur à serrer les rangs et à exécuter les manœuvres ; essayes la même
expérience à Londres, et les associations des ouvriers (Trades
unions) seront bientôt converties en puissance formidable capable de rendre
tout gouvernement constitutionnel et toute autorité légale impossibles.
Heureusement le temps est encore éloigné, il faut l'espérer, où ces innovations
seront introduites dans