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« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de l’Anglais,
sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 1
Révolte de Louvain. - Le peuple attaque les troupes
et les expulse de la ville. - Assassinat du major Gaillard. - Le général Trip s'avance sur la ville. -
Il reçoit l'ordre de se retirer. -
Troubles d'Aix-la-Chapelle. - Conduite honorable de ses habitants. -
Défaite de la populace. - La sédition se répand dans les provinces. -
Manque d'énergie des généraux et des
gouverneurs. - Liège fraternise
avec la capitale. - M. Rogier
assemble un corps de volontaires et marche à sa tête sur Bruxelles. - Lassitude des citoyens. - Leur désir du rétablissement de la
tranquillité. - Les forces
royales se rassemblent autour de la capitale.
(page 360) La
matinée du jour où le prince partit de Bruxelles fut signalée par un acte de
violence de la part du peuple de Louvain, et une faiblesse de la part de la
troupe, qui prouve jusqu'à quel point allait l'exaltation de l'un et
l'incompréhensible pusillanimité qui caractérisa toutes les opérations de
l'autre, depuis la nuit du 25 août, jusqu'à la signature de l'armistice en
novembre. Ce terrible épisode se lie si intimement aux événements et (page 361) donna
lieu à un tel sentiment d'horreur en Europe, qu'il mérite d'être rapporté.
Des rapports
exagérés, venus du dehors, sur l'intention où étaient les troupes hollandaises
non seulement de désarmer, mais encore de châtier les bourgeois, éveillèrent
facilement les passions du peuple, surtout dans une ville où les classes
inférieures conservent encore tant de ce caractère turbulent et féroce des
premiers temps, et sur lesquelles quelques patriotes exaltés avaient une grande
influence. Comme cela a lieu dans toutes les occasions de tumulte, on vit des
groupes se former vers le soir ; petit à petit ils se réunirent, et
constituèrent une sorte d'émeute, remplissant l'air des cris de : « Vive la
liberté ! Mort aux Hollandais ! » On les vit bientôt s'élancer vers l'hôtel- de-ville,
et demander des armes. Le bruit s'était répandu dans le peuple que la caserne
recelait un dépôt d'armes à feu. Le major Gaillard, cet infortuné commandant de
la place, se montra et affirma sur son honneur que cela n'était pas ; malgré
cette assurance, la populace se porta vers la caserne, força l'ouverture des
portes, et pénétra dans le bâtiment, où malheureusement elle découvrit une ou
deux caisses de mauvais fusils hors de service. Sans s'arrêter à examiner
l'état de ces armes, la multitude se jeta sur cette prise et, avec des cris de
triomphe et des menaces brutales, déclara qu'elle avait été trompée. (page 362) Encouragée
par ce succès, elle exigea que la garnison mît bas les armes et quittât la
ville.
Convaincu de la
faiblesse de la garnison, composée en grande partie de jeunes recrues, Gaillard
y consentit prudemment ; en conséquence, il se rendit sur le théâtre du
rassemblement et donna l'assurance au peuple, sur son honneur, que, s'il
voulait rester tranquille et ne pas molester les soldats, il prendrait des
mesures pour évacuer la ville le plus tôt possible.
Malheureusement,
pendant ces négociations, quelques-uns des meneurs, les plus audacieux et les
plus exaltés, attaquèrent le poste de garde et tentèrent de le désarmer ; sur
quoi les soldats, sans attendre les ordres de leurs chefs, tirèrent sur la
populace. Il s'ensuivit à l'instant une effroyable confusion. La canaille,
devenue frénétique en voyant deux ou trois des siens blessés, s'élança sur les
soldats dont quelques-uns furent terrassés et désarmés, tandis que le reste
abandonna le champ de bataille, laissant les agitateurs maîtres de la ville.
Gaillard, quoique
complètement étranger à cette résistance partielle, et qui, dans tous les cas,
eût été excusable d'avoir repoussé la force par la force, fut accusé d'être
l'auteur d'un acte prémédité de trahison. On lui conseilla de quitter la ville,
et de se retirer avec sa famille à Anvers. C'est à son retour de cette dernière
ville qu'eut (page 363)
lieu plus tard cette épouvantable tragédie dont les détails horribles, toute
exagération à part, sont encore sans pareils dans les annales de la barbarie,
tragédie sans exemple, et pour l'honneur de la Belgique, sans imitateurs. Car
quoiqu'aucun langage ne soit assez énergique pour stigmatiser ce crime odieux,
quoiqu'aucun étranger ne puisse traverser Louvain sans frémir, en pensant que
ses murs ont contenu des monstres, capables d'une cruauté aussi atroce que le
lâche assassinat de cet infortuné, il est juste de dire qu'il n'y eut pas un
cœur dans le pays, qui ne se soulevât de dégoût et d'indignation lorsque ce
crime fut connu. Cet acte horrible d'atrocité fut non seulement unique, mais la
sensation qu'il produisit prouva l'aversion du peuple pour de pareils attentats
(Quelques-uns des
assassins de l'infortuné Gaillard, ont été mis depuis en jugement et condamnés
à diverses peines). Car, à part cette effrayante exception, la révolution belge a été pure de sang
humain. Il n'y a pas eu d'autre victime de la fureur populaire ou de la
vengeance des tribunaux. Sans doute, le peuple avait soif de dévastation, mais,
même dans sa plus grande effervescence il ne se montra pas altéré de sang ; si
quelques victimes ont succombé des deux côtés, c'est sur le champ de bataille
et non sous le poignard d'un assassin.
(page 364) La nouvelle de cet événement ne fut pas plus tôt
connue au quartier-général du prince Frédéric, que celui-ci donna l'ordre au
général Trip de s'avancer immédiatement à la tête d'un bataillon d'infanterie
et de deux escadrons, avec quatre pièces de campagne, pour rétablir l'ordre et
l'autorité du roi. A l'apparition des vedettes avancées sur les hauteurs qui
dominent la ville, on sonna le tocsin, le peuple courut aux armes, des
barricades furent construites, et on prit unanimement la résolution de
repousser les troupes royales. La régence envoya une députation au général
Trip, en le suppliant de ne pas faire sur la ville une tentative qui
deviendrait le signal d'une lutte sanglante. Le général ayant allégué la
nécessité d'exécuter les ordres qu'il avait reçus, la négociation traîna
tellement en longueur qu'on ne put maîtriser l'impatience de la populace.
Quelques-uns des
plus exaltés se jetèrent dans les champs et, à l'abri des fossés et des haies,
attaquèrent les sentinelles avancées par un feu vif de mousqueterie. Le général
Trip se préparait à repousser cette attaque, lorsqu'un ordre arriva du
quartier-général qui lui enjoignait de se retirer et d'éviter toute collision
avec le peuple. Enhardis par le succès, les agresseurs poursuivirent les
troupes royales à quelque distance, et ne rentrèrent dans la ville qu'après
avoir épuisé toutes leurs munitions. Une commission de sûreté publique (page 365) fut
immédiatement formée sous la présidence de M. Van Meenen.
Quelle qu'ait pu
être la marche suivie par les autres villes du royaume, Louvain avait
complètement jeté le masque et pris l'initiative dans la guerre civile. Mais
cette ville était destinée à donner son nom à un épisode non moins fatal et non
moins déplorable de la révolution. La Providence semblait
avoir ordonné que l'assassinat de Gaillard fût vengé par les désastres du mois
d'août suivant.
Pendant que ces
événements se passaient en Belgique, une certaine agitation se manifestait dans
la partie des provinces rhénanes la plus rapprochée de sa frontière.
Aix-la-Chapelle, dont presque toute la population est composée d'ouvriers de
fabrique connus par leur turbulence, fut pendant quelque temps le théâtre de
graves désordres. L'étincelle électrique qui avait traversé les pays voisins,
laissa dans cette ville des marques déplorables de sa fâcheuse influence. Le
noble dévouement des citoyens et de la police arrêta une conflagration qui, si
elle se fût étendue, eût enveloppé tout le pays dans un vaste incendie.
Par suite de ses
rapports journaliers avec la ville de Verviers, par l'intermédiaire des paysans
des environs de Liège qui fournissent les marchés, et de la plupart de ses
ouvriers qui appartiennent aux districts wallons, le bruit des événements de
Bruxelles (page 366) et de ceux de la vallée de la Vesdre s'était promptement
répandu dans Aix-la-Chapelle. Comme la ville n'avait d'autre garnison qu'un
détachement du 30e régiment d'infanterie, une douzaine
de gendarmes et l'état-major de la landwehr, quelques hommes sans aveu
essayèrent de faire une émeute dans l'espoir d'assouvir leur soif de pillage
avec la même impunité que leurs voisins de Belgique.
Quoique la
déposition de plus de 300 témoins, interrogés lors du jugement des 71
misérables saisis dans cette échauffourée, ait prouvé que les désordres
n'avaient pas directement une tendance politique, cependant on ne peut pas nier
que la politique n'ait eu quelque influence sur ces événements ; s'ils ne
furent pas le résultat immédiat de la fermentation causée par les journées de
juillet, ils eurent lieu à la suite des excès commis plus tard à Bruxelles et à
Verviers. Les premiers symptômes de désordres paraissent s'être manifestés le
29, à l'arrivée de la diligence de Liége, dont les postillons et les chevaux
portaient des rubans aux couleurs françaises. Cet événement causa la plus
grande agitation. Mais quelle que puisse avoir été la cause indirecte de ce
mouvement, il se borna à une attaque brutale contre les individus et les
propriétés. Le pillage, les massacres et l'incendie étaient le but ; la liberté
n'était qu'un prétexte. Les cris de « Vive Napoléon ! Vire la liberté ! »
poussés par la populace,
(page 367) n'étaient que des cris
d'encouragement que se renvoyaient les misérables pour s'exciter à leur œuvre
de vol et de dévastation.
Les auteurs de ces
désordres étaient tous des gens de la plus basse classe ; les meneurs étaient
des voleurs avérés. Les dépositions des témoins ont pleinement prouvé qu'aucun
homme de quelque éducation n'a pris part à ces scènes de désordre. On n'attaqua
aucun édifice public, et si l'on se porta vers la prison, ce ne fut que pour
mettre en liberté les 290 détenus qui s'y trouvaient, parmi lesquels il y avait
plusieurs scélérats destinés, en cas d'élargissement, à se mettre à la tête
d'une révolte qui ressemblait plus à l'un des terribles exploits de Schinder Hannes, qu'à une émeute populaire.
Il est vrai qu'on entendit le cri de « Vivent les Belges ! » Mais l'on a
su plus tard que beaucoup de wallons avaient pris une part active dans le
pillage, et on les a désignés comme les principaux chefs de la bande qui
voulait mettre le feu aux quatre coins de la ville. On ajouta que plusieurs de
leurs blessés avaient passé la frontière et que presque tous les autres avaient
disparu. Mais en admettant que les wallons aient pris une part active dans le
tumulte, et l'on ne peut en douter, il est à remarquer que des 71 individus mis
en jugement, tous étaient sujets du roi de Prusse, à l'exception de deux, dont
l'un était Hollandais (d'Amsterdam) et l'autre était
d'Augsbourg. Il fut prouvé, d'un autre côté, qu'un officier belge, qui s'était
joint à la bourgeoisie armée, se distingua en cette occasion dans la défense
des lois. Les propriétés de plusieurs citoyens notables de la ville furent plus
ou moins ravagées. Mais la principale victime fut un Anglais, M. Charles James Cockerill, frère du
propriétaire de Seraing, domicilié depuis longtemps en Prusse, et fondateur de
plusieurs de ces établissements florissants qui tendent par degrés à placer ce pays
au sommet de l'échelle de la prospérité commerciale et industrielle. Ce
fabricant, dont la philanthropie et la noble hospitalité sont devenues
proverbiales dans le district d'Aix, vit sa maison complètement pillée (Darslellung der Verhandlungen vor den Assissen zu Köln,
1831, etc., etc. Von. J. Venedey, p. 94); car indépendamment d'une perte de 135,000 fr. en billets de banque,
12,000 en or, et 3,000 thalers en argent, la valeur du mobilier détruit dépassa
52,191 thalers.
Mais le succès des
perturbateurs fut de courte durée. Les bourgeois se rassemblèrent au plus vite,
et s'étant placés sous le commandement du commissaire de police, M. Brendamour, ils s'unirent au détachement d'infanterie et
chargèrent bravement les agitateurs, dont sept furent tués et quarante blessés
dans la maison de M. Cockerill. Alors s'avançant avec rapidité contre ceux qui
(page 369) attaquaient
la prison, ils tuèrent, blessèrent, dispersèrent la bande entière, et avant le
coucher du soleil l'émeute était apaisée ; et cependant toute la troupe que
commandait Brendamour n'excédait pas 120 hommes, dont
40 seulement appartenaient à l'armée et à la police ; si le général de Bylandt et M. de Knyff s'étaient
conduits de cette manière, la révolte de Bruxelles aurait eu un sort semblable.
Il serait inutile de
suivre pas à pas les progrès de la fermentation populaire dans les différentes
provinces belges. Qu'il suffise de dire que si le grand-duché de Luxembourg et
la ville de Gand semblaient peu sympathiser avec l'insurrection, et que si Anvers
protestait contre la demande de séparation que ses négociants regardaient comme
préjudicielle à leurs intérêts, Liége, Mons, Ath, Tournay, Namur, Leuze,
Charleroy, Dinant, Verviers, Louvain, ainsi que tout
le pays wallon et borain, comme aussi cette partie de la Flandre désignée sous
le nom de plat-pays, se ralliaient au mouvement de la capitale. En effet, tous
les yeux étaient tournés avec inquiétude vers la métropole. Toute la Belgique,
à l'exception des villes ci-dessus citées, désirait ardemment suivre l'exemple
de Bruxelles, qui était devenu le grand foyer vers lequel tous les rayons
convergeaient.
(page 370) Les gouverneurs des provinces conservaient à peine un vestige
d'autorité, et les régences, ainsi que les corps constitués dont les pouvoirs émanaient
du gouvernement, étaient incapables de résister au torrent de l'opinion
publique.
Aussi la régence de
Bruxelles trouva-t-elle nécessaire d'adhérer à la demande de séparation, et en
conséquence elle envoya un courrier à La Haye porteur d'une adresse dans ce
sens. Cet exemple fut suivi par Liége et les autres villes, de sorte que les
seules autorités constituées qui semblassent avoir encore un reste de connexité
avec le gouvernement furent irrésistiblement entraînées par le torrent
révolutionnaire. Le peuple avait, dans le fait, obtenu une puissance non
équivoque, et s'il ne se livra pas à d'autres excès, le mérite n'en est
certainement pas aux autorités civiles ou militaires. L'influence morale des
premières était réduite à la plus complète nullité, et la force physique des
dernières entièrement paralysée ; les unes et les autres n'étaient plus que des
objets de dérision.
Mais à mesure que la
faiblesse du gouvernement devenait plus manifeste, son insouciance apparente
pour le danger augmentait. S'il n'eût pas été dans la plus incroyable erreur,
s'il ne s'était pas trompé sur les dispositions des grandes (page 371) puissances
à son égard, il eût, sans aucun doute, abandonné un système d'hésitation et de
temporisation tout à fait hors de saison. S'il n'avait pas considéré la cause
de la dynastie comme celle de tous les autres monarques, et sa conservation
comme liée à celle de la paix générale, il eût embrassé un système tout
différent de celui qu'il suivit depuis le 26 août 1830 jusque dans l'hiver de 1832,
quand il préféra la possession de deux forts insignifiants sur l'Escaut, à
celle de deux demi-provinces égales en richesses et en population à la septième
partie de la vieille Néerlande. Si le cabinet hollandais eût possédé cette
perspicacité éclairée, cette connaissance profonde des affaires et de l'esprit
public de l'Europe qu'on attribuait jadis à ses diplomates, si ses hommes
d'état eussent été aussi remarquables par leur pénétration des choses à venir,
qu'ils le sont par leur logique et l'habileté avec laquelle ils discutent le
passé, ils eussent vu qu'aucun terme moyen, aucune transaction n'était possible
avec le peuple, et que l'intervention des souverains étrangers était tout à
fait improbable. Il ne leur restait donc que l'alternative d'accorder tout ce
qui était demandé et, se plaçant à la tête du mouvement, d'entraîner le pays
avec eux, ou bien d'attaquer la rébellion à sa naissance et de l'écraser, avant
qu'elle n'eût eu le temps d'arriver à maturité. S'ils eussent choisi la
première alternative, (page
372) la nation se serait ralliée avec ardeur à la dynastie, et les libéraux
de l'Europe se fussent joints à eux ; s'ils eussent choisi la seconde, tous les
gouvernements eussent applaudi ; car, à cette époque, le soulèvement était
l'objet d'une exécration universelle et regardé comme un acte de démence, comme
une révolte que rien n'autorisait.
On eût dit que le
gouvernement néerlandais était convaincu que l'Europe avait constitué ce
royaume dans le seul intérêt de sa dynastie, tandis que le royaume et la
dynastie n'étaient qu'un moyen d'élever une barrière contre la France ; bien
plus, il s'imaginait que les grandes puissances, ayant concouru à son élévation
dans le but de cimenter la paix en 1814, se coaliseraient pour une guerre
générale, afin de maintenir son intégrité en 1830, oubliant que ces heureux
temps étaient depuis longtemps passés, où la volonté des souverains était celle
des nations, et que les peuples, qui sont le nerf de la guerre, croient, de nos
jours, avoir quelques droits d'examiner comment on dispose de leur sang et de
leurs trésors. Ces suppositions erronées peuvent seules expliquer la ténacité
que ce gouvernement a mis à suivre une ligne de politique si fertile en
conséquences désastreuses pour la dynastie qu'il voulait sauver.
Les fautes du
gouvernement ne furent pas perdues (page 373) pour ses adversaires, soit
dans la capitale, soit dans les provinces. Liége surtout se signala par son
énergique approbation de ce qui se passait à Bruxelles. Le pouvoir du
gouverneur Sandberg étant tout à fait méconnu, et le général Boecop s'étant retiré avec la garnison dans la citadelle,
l'autorité publique tomba entièrement dans les mains des patriotes.
Heureusement peut-être pour la sécurité des propriétés, ceux qui se placèrent à
la tête du mouvement se dévouèrent avec zèle pour empêcher le pillage, tout en
adoptant les mesures les plus décisives, pour faire triompher la révolte, et
envoyer des secours en armes et en hommes à Bruxelles. Louvain avait la
première donné l'exemple en repoussant les troupes royales. Liége vint après,
et envoya un corps d'hommes armés dans l'intention avouée d'aider au
renversement du gouvernement.
Ce fut à cette
époque que les noms de MM. Lebeau et Ch. Rogier, tous deux membres du barreau
de Liége, apparurent pour la première fois sur l'horizon politique. Le premier,
dont le caractère honorable et l'éloquence lui ont valu la confiance de ses
concitoyens, fut choisi pour faire partie d'une députation envoyée près du
prince d'Orange à Bruxelles, mission qu'il remplit avec mesure et sagacité. Le
second, que son énergie et ses opinions libérales avaient rendu cher aux
classes inférieures, était signalé comme (page 374) un homme fait pour apaiser ou
exciter le peuple et en conséquence on le choisit comme commandant du corps de
volontaires.
L'enthousiasme des
Liégeois, qu'on pourrait en quelque sorte comparer à celui que montrèrent les
Marseillais dans la révolution française, quoiqu'ils
n'eussent pas la férocité de ces derniers, était parvenu au plus haut point,
lorsqu'ils apprirent la concentration des troupes autour de Bruxelles. Ils
considéraient cette capitale comme le cœur d'où dépendait toute la vitalité du
pays. En conséquence, ils résolurent de lui prêter leur assistance, pour les
aider à l'heure du péril, pour stimuler l'esprit de ces citoyens dont les plus
influents voulaient, au su de tout le monde, la réconciliation à tout prix.
Ralliant autour de
lui un corps de trois à quatre cents volontaires, qu'il arma avec les fusils
pris dans les magasins des armuriers, et qu'il paya au moyen de bons signés « au
nom du peuple belge ! » M. Rogier se mit à leur tête et marcha sur la
capitale.
C'est avec le plus
grand étonnement qu'on vit cette bande aventureuse arriver saine et sauve à sa
destination, traînant avec elle plusieurs caisses d'armes et deux pièces de
canon, dont une était servie par un vétéran nommé Charlier, mieux connu plus
tard sous le nom de la Jambe de bois.
L'arrivée de M.
Rogier et de ses compagnons (car (page
375) on peut à peine lui donner la dénomination
militaire de détachement), quoique redoutée par les citoyens bien disposés, qui
voyaient avec peine la ville se remplir d'une foule d'étrangers turbulents, fut
accueillie avec enthousiasme par la multitude applaudissant avec justice au
succès et à la hardiesse de cette entreprise ; car M. Rogier avait dû parcourir
une route couverte de détachements des troupes royales, qui permirent que des
hommes et des canons, partis de Liége, pussent faire une entrée triomphale dans
Bruxelles, sans avoir rencontré la plus légère opposition.
Cette négligence de
la part des commandants hollandais, qu'elle soit le résultat de leur manque
d'énergie ou d'ordres supérieurs, est inconcevable. S'ils eussent rempli leur
devoir, n'auraient-ils pas dû poursuivre cette bande faible et indisciplinée,
et, en cas de résistance, la faire prisonnière ou la passer par les armes !
Permettre qu'elle traversât tout le pays, mèche allumée et bannière déployée,
était un moyen direct d'encourager la révolte, et lui donner une idée de sa
puissance, qui devait plus tard produire les plus fâcheux résultats.
L'exemple de Liége
fut bientôt suivi par Jemmapes, Wavre et d'autres villes ; les volontaires
venant de toutes les parties du pays, affluèrent dans la capitale, mais pour la
plupart par détachements isolés, sans armes, excepté quelques (page 376) fusils
de chasse, et sans autre mobile que cette soif de désordre qui se faisait
sentir dans les rangs des classes inférieures à cette époque. On remarquait
aussi qu'un grand nombre d'étrangers, surtout des Français, dont plusieurs
étaient connus pour des agents de la propagande parisienne, arrivaient dans la
ville et se mêlaient aux groupes formés sur les places publiques, ou haranguaient
les habitués des cafés dans les termes les plus violents et les plus
démocratiques. Beaucoup d'étrangers, aussi habitant la ville antérieurement,
prenaient une part active au mouvement et semblaient s'être identifiés à la
cause du peuple.
Mais quelle qu'ait
pu être l'intention des étrangers qui affluaient à Bruxelles, ils furent fort
heureusement, de même que les habitants, tenus en respect par la prudence des
citoyens qui avaient pris les rênes du pouvoir ; car s'il restait quelque
vestige de l'autorité légale, elle s'était entièrement concentrée dans les
chefs et l'état-major de la garde bourgeoise. Le gouverneur de la province, M. Vanderfosse, déclara que ses fonctions étaient devenues
nominales ; la régence fut contrainte de suivre l'impulsion de l'opinion
populaire, et M. de Knyff, directeur de la police,
avait abandonné son poste lors du départ du prince d'Orange. Heureusement, M.
Plaisant, avocat jouissant de beaucoup de popularité et d'influence, consentit
à prendre l'administration de ce département
(page 377) difficile, et, pour
prouver sa résolution de faire respecter les lois, il fit immédiatement arrêter
le chef de la bande de brigands qui avaient dévasté les établissements de M.
Wilson à Uccle. En effet ce fut par l'ordre de ce nouveau directeur de la
police, que ce chef nommé Fontaine fut arrêté, mis en jugement et condamné à 20
ans de fers. Indépendamment de l'arrivée des volontaires liégeois, tous les
moyens possibles furent mis en usage pour exciter l'ardeur et soutenir le
courage des citoyens, dont un grand nombre commençait à se plaindre de la
fatigue et de l'ennui que leur causait un service militaire qui ne leur
laissait de relâche ni le jour ni la nuit.
La plus grande
partie avait pris les armes, les 26 et 27, pour protéger les propriétés, mais
non dans la pensée qu'ils seraient soumis pendant un temps indéfini à toute la
contrainte, aux fatigues, à la perte de temps et aux autres désagréments du
service militaire. Aucun n'avouait hautement ces idées, mais le désir évident
de la grande majorité était de voir la ville rendue à la tranquillité et
eux-mêmes délivrés de tous ces soins par la rentrée pacifique des troupes
royales. En outre, comme la crainte de voir les excès populaires se renouveler,
diminuait graduellement, leur ardeur militaire commençait aussi à se relâcher ;
un examen plus froid leur faisait envisager le péril sous un autre point de vue
; ils se voyaient dans une (page 378)
cité ouverte, sans autre défense que quelques barricades.
Les troupes royales
arrivaient peu à peu de la Hollande ; le roi paraissait déterminé à ne faire
aucune concession, et la guerre semblait inévitable. Il n'en était pas un parmi
eux qui ne fût convaincu qu'aussitôt que le prince Frédéric aurait rassemblé
son artillerie, il établirait ses batteries sur les hauteurs qui commandent la
ville, et la mettrait dans l'alternative de se rendre ou d'être brûlée ; car il
était impossible de supposer qu'il voudrait compromettre la vie de ses soldats
dans les rues de Bruxelles.
Par des appels et
des ordres du jour répétés, le général d'Hoogvorst
stimulait les citoyens les plus influents pour qu'ils se joignissent à la force
armée, et on fit une souscription dont le produit était destiné à payer les
personnes des classes pauvres qui s'enrôleraient ; mais cette ardeur tant
désirée ne se manifestait que faiblement. La force armée ne dépassait guère
3,500 hommes, dont 900 étaient de service chaque jour.