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d’intention
« Histoire
de la révolution belge de 1830 », par Charles White, (traduit de
l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr).
Bruxelles, Louis Hauman et Cie, 1836
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TOME 1
Arrêté relatif à la liberté de la
presse. - Cours
de justice extraordinaire. - Suppression des séminaires catholiques. - Association dite de l'Union. - Conduite des
catholiques. - Persécutions
dirigées contre la presse. - Journaux
belges. - Leurs rédacteurs. -
Persécutions contre l'abbé de Foere,
De Potter et autres. - Bruxelles
détient le rendez-vous des étrangers mécontents.
(page 99) Après avoir énuméré
les principaux griefs, griefs fondés pour la plupart sur des faits contraires à
l'esprit des traités et de la loi fondamentale, il est nécessaire de faire
connaître quelques autres vexations qui eurent une grande influence sur
l'esprit public.
(Énumération des poursuites politiques, exercées contre l’opposition,
par le gouvernement des Pays-Bas, de 1816
à 1821.
(- 1816. Poursuites contre le Mercure Surveillant et le Nain Jaune. Réclamations de toutes les provinces contre
les lois fiscales.
(- 1817. Émeutes populaires. Les états délibèrent à huis-clos.
Poursuites contre l'abbé de Foere, rédacteur du Spectateur belge. Le
tribunal correctionnel de Bruges se déclare incompétent. L'abbé de Foere est
conduit a Bruxelles sous escorte de gendarmerie,
traduit devant la cour spéciale, en vertu de l'arrêté du 15 avril 1815, et
condamné à deux ans de prison. L'éditeur du Journal de la province d'Anvers est
à son tour traduit devant la cour spéciale. M. Stevenotte, rédacteur du Vrai
Libéral, est condamné à 3 mois de prison, et cinq cents florins d'amende.
Poursuites contre MM. Guyet et Lemaire, rédacteurs du Vrai Libéral, et
l'Allemand, du Journal des Flandres. M. Brissot, rédacteur du Journal
constitutionnel d'Anvers, reçoit l'ordre de quitter le pays endéans de
trois jours. Cherté des grains et troubles à tous les marchés. MM. Raeser et
Koenders, du Mercure d'Anvers, sont poursuivis devant la cour spéciale
comme provocateurs, et condamnés chacun à 500 fl. d'amende. Poursuites du chef
de haute trahison contre M. Ch. Dniny, auteur des Habitants de
(-
(-
(- 1820. Poursuites contre les avocats signataires d'un mémoire en
faveur de M. Vanderstraeten. MM. Beyens cadet et Defrenne sont mis en
surveillance ; Donker et Tarte cadet, poursuivis ; van Meenen, Delhougne et
Michel de Brialmont arrêtés. Le rédacteur du Journal constitutionnel
d'Anvers est traduit par devant la cour spéciale, A la requête de
l'ambassadeur de Prusse. MM. Widmer et Vinck sont arrêtés, le premier condamné
à 6 mois de prison. M. Vanderstraeten est condamné à 3000 fl. d'amende ; la
condamnation avec les frais du procès s'élève à 7000 fl.
(-
(A cette longue récapitulation nous ajouterons encore les poursuites
contre le Courrier de
(page 100) Il a été démontré que les ministres pouvaient toujours
obtenir la majorité dans les (page 101)
états-généraux dans la plupart des questions qui étaient
considérés comme essentielles pour la prospérité et (page 102) la sécurité de tout le royaume, mais que les Belges
regardaient comme proposés seulement en faveur de
Mais le gouvernement dévia
(page 103) trop souvent de cette
ligne prudente de conduite, et crut pouvoir se passer de la coopération des
chambres et successivement des arrêtés ou quelquefois de simples ordres du
cabinet, qui furent stigmatisés, comme des actes de despotisme tendant à
enchaîner la liberté des citoyens.
Dans ce nombre furent
rangés les arrêtés du 16 novembre 1814 abolissant le jugement par jury et
restreignant la publicité des audiences des tribunaux, celui du 20 avril 1815
tendant à entraver la liberté de la presse. Pour donner une idée de la sévérité
de ce dernier arrêté, il suffit de dire que toutes les personnes, déclarées
coupables de certaines offenses spécifiées, pouvaient être punies selon la
gravité des cas, soit d'une exposition au pilori de une à six heures, de la
dégradation civique, de la marque ou d'un emprisonnement d'un à six ans, et
enfin de 100 à 10,000 florins d'amende. L'effet de cet arrêté rigoureux fondé
sur une loi organique de l'empire devait être borné à une année et tomber par
la promulgation de la loi fondamentale avec laquelle il était en opposition
directe. En outre, ces peines n'étaient pas infligées par le jury, mais par une
sentence que rendait une cour spéciale extraordinaire, composée de neuf
juges. Ce tribunal fut aboli par la suite, mais l'arrêté, maintenu en ce qui
avait rapport à la pénalité, était applicable, par le fiat d'un
président et de quatre conseillers, tous révocables par la (page 104) volonté ministérielle ; car
le gouvernement remit jusqu'à sa dernière heure l'accomplissement de l'article
186 de la loi fondamentale qui garantissait l'inamovibilité des juges.
Ce n'est pas tout :
un simple arrêté du 15 septembre 1819 imposa l'usage de la langue hollandaise ;
un autre du 25 juin 1825 rendit obligatoire la fréquentation du collège
philosophique, et deux autres du 14 juin et du 14 août de la même année
supprimant les séminaires catholiques, et forçant la jeunesse du pays à faire
son éducation dans l'intérieur, enveloppèrent d'un réseau de vexations
l'instruction publique et privée. On peut à ces arrêtés en ajouter quelques
autres d'une moindre importance qui, quoique ne présentant pas par eux-mêmes le
même caractère d'oppression, partageaient néanmoins avec ceux d'une nature plus
odieuse, l'exécration publique. C'est ainsi que tandis que les liens qui
unissaient le trône et la nation s'affaiblissaient, l'alliance entre les
libéraux et les catholiques devenait plus solide et plus formidable, et
préparait le triomphe de la révolution.
L'origine et la
composition de cette association, connue sous le nom de l'Union, n'est
pas dénuée d'intérêt. Dès l'an
Le premier de ces
partis était composé des catholiques séculiers, distingués par leur rang et
leur esprit, dont l'inimitié contre le gouvernement provenait moins d'une
répugnance immédiate pour le système général d'administration des Pays-Bas, que
de leur aversion pour certaines mesures arbitraires qui tendaient à restreindre
le libre exercice des études de la croyance romaine, à placer les ministres de
ce culte dans un état de vasselage relatif, et selon eux à donner une tendance
anticatholique à toutes les institutions de l'état.
L'autre parti était
composé des libéraux sous toutes les dénominations, dont le grand objet était
d'assurer la stricte exécution de la loi fondamentale, et de mettre un frein à
la prépondérance hollandaise ; il est important cependant de ne pas confondre
les libéraux avec les ultralibéraux, méprise trop souvent commise
par les étrangers, car ces derniers n'ont, en fait, pas plus d'affinité avec
les premiers qu'il n'en existe en Angleterre, entre les radicaux et les whigs
modérés.
(page 106) Nonobstant les préventions et les différences d'opinion qui existaient
entre les libéraux et les catholiques, le gouvernement vit qu'une coalition
entre eux n'était pas impossible ; il fit, en conséquence, tous ses efforts
pour les désunir, sachant qu'aussi longtemps qu'ils seraient divisés ils
seraient peu dangereux ; mais ce plan échoua : les chefs des deux partis
apercevant le danger qui les menaçait se rapprochèrent peu à peu, et
consentirent à sacrifier leurs querelles individuelles pour s'unir dans un
intérêt commun.
Quoique l'Union
n'ait acquis toute son importance que vers 1828, le premier signe de vie
qu'elle donna date de l'année 1818, et l'on doit en attribuer surtout la
création aux écrivains des deux journaux de l'opposition le Spectateur et
l'Observateur. L'abbé de Foere, dialecticien habile et savant, était
éditeur de l'un ; MM. Van Meenen, d'Elhougne et Doncker, tous trois
jurisconsultes distingués, étaient les rédacteurs de l'autre. La théorie de
l'Union fut soutenue pendant plusieurs années, avec un zèle infatigable, par
ces écrivains, en dépit des attaques et des sarcasmes de la presse libérale,
des persécutions et des menaces du gouvernement. Lorsqu'enfin l'esprit public
comprit les principes de l'Union, et que le nombre de ses prosélytes se fut
accru de toute l'influence des hommes des deux partis, un dîner fut donné chez
M. le baron de Sécus, où il fut résolu que l'Union devait lever (page 107) le voile et
s'annoncer ouvertement comme une association active et agissante. Dès ce moment
ses forces et son importance s'accrurent rapidement ; et cette association,
déposant momentanément tout esprit d'opposition contre la presse libérale,
trouva un auxiliaire là où elle avait rencontré précédemment si peu de
sympathie.
C'est alors que M. de Potter revint pour la première fois de Rome, en 1825, où il avait accompagné le comte de Celles dans sa mission relative au concordat. Ses sentiments étaient essentiellement anticatholiques ; cette disposition de son esprit, entretenue par les conseils et les opinions de son ami M. Van Gobelschroy, l'entraîna d'abord à se prononcer contre l'Union ; mais en moins de quelques semaines, la logique de de Foere et de Van Meenen réussit à le rallier à leur cause, et quels qu'aient pu être ses sentiments intimes, il se déclara ouvertement un des plus zélés partisans de l'Union et devint bientôt un de ses chefs les plus influents.
On aurait tort
néanmoins de supposer que le premier objet de l'Union fut le renversement du
gouvernement ; une idée de cette nature pouvait germer dans l'esprit d'un ou
deux théoriciens dont les principes politiques étaient essentiellement
démocratiques ; mais elle était certainement bien loin de l'intention générale.
Le but était le redressement des griefs, l'extension de la liberté civile et de
la (page 108) tolérance
religieuse, et on ne peut trop souvent répéter que si le prince d'Orange avait
été autorisé par son père à promettre son consentement au redressement des
griefs, la révolution eût été promptement
éteinte, les motifs de l'insurrection auraient disparu, et même une
administration séparée n'aurait pas été demandée.
Quel sera le sort de
l'Union dans l'avenir ? L'opinion varie beaucoup sur ce point ; le fait est que
l'Union existe encore, et qu'elle continuera d'exister jusqu'à ce que toutes
les questions de politique extérieure soient résolues. Mais il est évident
qu'elle a déjà perdu beaucoup de son homogénéité, et que la plus grande partie
de l'opposition extrême et de la presse libérale, sont tout à fait hostiles à
la majorité catholique dans tous les principes de politique étrangère et de gouvernement
intérieur ; de sorte qu'il est difficile de supposer que des éléments si
divergents puissent longtemps rester unis ; les libéraux et les catholiques
s'aideront mutuellement, tant qu'ils auront des intérêts communs, mais les
ultralibéraux, sans la coopération desquels l'Union n'est pas possible,
commencent à déclarer qu'ils ont été dupes et que tout rapprochement est
impossible dans l'avenir. Tel est actuellement l'état d'une association à qui
sa lutte et ses succès assurent dans l'histoire un rang à côté du fameux compromis
passé à Bréda par les patriotes de 1565.
(page 109) Pour en revenir au parti catholique, il serait injuste
néanmoins de ne pas reconnaître les services qu'il a rendus à son pays et à
l'Europe, surtout depuis que l'exclusion de la famille des Nassau, et les
obstacles insurmontables que présentait dès lors le retour du prince d'Orange,
forcèrent les grandes puissances de changer leur ligne de politique
relativement à
Il est aussi digne
de remarque que quelque prédominante qu'ait pu être l'influence des
catholiques, soit sur le peuple, soit dans le gouvernement, soit à la cour, ils
n'ont dans aucune (page 110)
occasion abusé de cette influence contre les libertés réelles du pays ; au
contraire, chaque mesure tendant à étendre ou à perfectionner les libertés
civiles, a été soutenue par eux avec talent et désintéressement. Le roi Léopold
a fait, en s'appuyant sur cette partie puissante de son peuple, un acte d'une
haute politique. Et, après tout, en quoi consiste ce penchant ou cette
préférence pour les catholiques ? à leur permettre de
régler librement et sans contrôle leurs propres affaires de la manière la plus
favorable, selon leur manière de voir, au maintien de leur foi ; politique trop
souvent perdue de vue par ses prédécesseurs ; car il est incontestable que la révolution fut préparée et accélérée par
l'Union, et que sans la jonction du parti catholique au parti libéral, il n'y
aurait point eu de gouvernement possible.
Pour en revenir à la presse, ce moyen d'action si puissant avait pris l'attitude la plus hostile et la plus menaçante ; plusieurs des écrivains belges les plus distingués s'étaient engagés avec énergie et intrépidité, à exposer les griefs et à défendre les droits du peuple. Les actes du gouvernement furent attaqués, avec un degré d'aigreur et de violence qui allait jusqu'à la témérité, et était souvent empreint de la plus forte acrimonie ; au point que l'on exagéra souvent ses erreurs, que l'on méconnut ses intentions, et qu'il fut critiqué (page 111) avec une virulence trop systématique et trop directe pour ne pas produire des exaspérations personnelles, attirer dans tous les pays des poursuites sur les écrivains qui s'y livraient, et les exposer à des punitions sévères de la part des juges même impartiaux. Il est hors de doute que des mesures restrictives furent quelquefois d'urgence, et le gouvernement pleinement en droit d'user des moyens de répression que la loi mettait à su disposition.
Mais le code pénal
était-il donc insuffisant ? Était-il donc absolument nécessaire de recourir aux
mesures extra-légales qui ne sont employées par un gouvernement prudent, que
dans les moments de sédition ouverte ? Etait-il politique de recourir à un
décret qui avait été promulgué avant l'adoption de la loi fondamentale, et qui
aurait pu à peine être toléré en 1815, lorsque le retour de Napoléon de l'île
d'Elbe menaçait toute l'Europe, et exigeait une extrême surveillance dans un
pays qui avait été si récemment détaché de la France et qui était devenu le
rendez-vous de tous les esprits ardents et turbulents attachés à la cause de
l'Empereur ?« Donner une liberté modérée qui permette aux griefs et aux
mécontentements de s'évanouir, à moins que cela ne donne lieu aux insolences et
aux bravades, est d'une sage politique ; car si vous arrêtez l'écoulement des
humeurs, si vous arrêtez le sang qui devrait s'échapper, (page 112) vous envenimez la plaie. Sans aucun doute, il eût
été plus avantageux pour le gouvernement néerlandais de se pénétrer largement
de cette maxime de notre grand philosophe, que d'adopter un système dont le
vice politique a été suffisamment démontré par ses funestes résultats.
On pourra demander quels furent ces résultats. Ces résultats furent qu'au lieu d'intimider, ils engendrèrent l'obstination ;qu'au lieu d'amener à la soumission, ils produisirent un redoublement d'énergie ; qu'au lieu de décourager, ils inspirèrent une nouvelle persévérance ; et qu'au lieu de ruiner leurs adversaires, ils améliorèrent leur situation pécuniaire ; de manière qu'en dépit des arrêtés et des persécutions, la presse devint de plus en plus téméraire, et prit un ton qui devait amener entre le gouvernement et le pays des hostilités implacables.
Les principaux
organes de l'opinion publique, furent 1° Le Courrier des Pays-Bas, dans
lequel MM. Claes, Ducpétiaux, Lesbroussart, Van de Weyer, Nothomb et autres
écrivains habiles, dirigèrent les attaques les plus violentes contre le
gouvernement ; aussi ce journal peut être considéré comme la source qui a le
plus constamment alimenté le mécontentement général, et dont la polémique
énergique et accablante devint un objet d'extrême inquiétude pour le ministère.
Son influence était d'autant plus grande, qu'au lieu de suivre ou de devancer (page 113) quelque peu
seulement l'opinion publique, il se lança violemment en avant et devint le
fanal indiquant la route que devaient suivre la nation et les chambres. On peut
dire avec raison qu'il avait concentré la révolution dans ses colonnes. Venaient ensuite le Spectateur, l'Observateur et
le Politique, journal de Liège, auquel MM. Lebeau, Devaux, Rogier et
autres avocats, fournissaient des articles qui se distinguaient par une force
de logique remarquable ; le Belge, dont les principaux éditeurs étaient
MM. Levae, de Potter et Gendebien, offrait une rédaction plus spécialement à la
portée des classes inférieures ; on peut encore ajouter à ces journaux le Courrier
de
Indépendamment de la presse quotidienne, de nombreux pamphlets et lettres politiques surgissaient dans tout le pays, et contribuaient à enflammer l'esprit public, en divulguant les fautes et les inconstitutionnalités du gouvernement.
Un passage d'une de
ces lettres (lettre de Démophile, par de Potter, au ministre de l'intérieur M.
Van Gobelschroy,) mérite d'être remarqué à cause de son caractère prophétique ;
elle se termine ainsi : « La fondation d'une ère de liberté et de justice, en
Belgique, est maintenant (page 114)
assurée, ou pour parler le langage officiel, elle est inévitable ; ne l'oubliez
pas, monsieur, un seul instant, l'opposition à l'ancienne marche du
gouvernement, dans quelques mains qu'elle tombe, quels que soient ses organes,
doit dorénavant être invincible, en dépit de tous les obstacles que vous
pourriez lui opposer. Cette opposition, monsieur, sera constamment soutenue par
le sentiment profond et indélébile de la violation des droits nationaux et le
mécontentement général. Ce mécontentement, et la défiance salutaire qui s'est
éveillée, garantit la réalisation de nos vœux, le seul but de tous nos
sacrifices, de tous nos efforts : la liberté. » Ainsi écrivait M. de Potter
le 15 novembre 1829, et c'est une preuve de plus que la révolution belge ne fut pas un reflet
accidentel de celle de juillet, mais le résultat de longs mécontentements
antérieurs à ces événements.
Le gouvernement
avait à la fois deux moyens de combattre ces attaques : l'un était la création
d'une presse ministérielle bien organisée, l'autre la répression ; tous les
deux furent employés ; mais malheureusement la manière dont on s'en servit
augmenta plutôt qu'elle ne diminua le mal que l'on avait à combattre. Le
premier de ces moyens fut l'établissement d'un journal ministériel, intitulé le
National, sous la direction de Libry-Bagnano, Italien d'une capacité
incontestable, mais dont les antécédents étaient équivoques. La (page 115) polémique de ce
journal était d'une nature si hostile aux opinions populaires ; les doctrines
qu'il soutenait, si contraires aux vues de l'église et de la nation ; le
langage qu'il employait était si personnel et si cynique ; son servilisme pour
le ministre Van Maanen, dont il était l'organe avoué, était si repoussant, que
le journal et l'éditeur devinrent bientôt l'objet de l'exécration publique.
Indépendamment du
motif de haine qui résultait des doctrines impopulaires défendues par le
National, il paraît qu'une somme d'environ 85,000 fl. avait été soustraite
du million de l'industrie et payée à différentes époques à l'éditeur ; ainsi,
au lieu d'être utile au gouvernement, ce journal et un autre intitulé
Le système de
répression adopté par le gouvernement, quoique juste en principe, fut ainsi des
plus malheureux dans la forme. Fondées sur le décret fatal de 1815 et sur
d'autres actes d'un caractère semblable, les persécutions furent non seulement
elles-mêmes au plus haut degré antinationales ; mais les principes qui leur
servaient de base (page 116) furent combattus comme inconstitutionnels et arbitraires, et
donnèrent lieu aux plus violentes protestations. La position du gouvernement
était, il est vrai, singulièrement embarrassante ; il se trouvait placé entre
la nécessité de tolérer les attaques souvent les plus dangereuses et d'une
tendance subversive, ou d'avoir recours aux mesures extrajudiciaires. L'alternative
était dangereuse ; mais, en somme, il eût été d'une politique beaucoup plus
sage, au lieu d'adopter le système des persécutions, d'ouvrir les yeux sur
l'abîme qui était sous ses pieds.
Au lieu de se
confier dans son pouvoir dans la stabilité et la coopération des gouvernements
voisins, il eût mieux fait de continuer ce système de concessions dans lequel
il était sagement entré en modifiant les arrêtés relatifs au collège
philosophique, en faisant disparaître les restrictions apportées à l'usage de
la langue française, ce qui pouvait encore être fait en 1829 ; et même, en août
1830, la monarchie pouvait être sauvée. A une époque plus avancée encore, après
l'attaque de Bruxelles, le prince d'Orange, avec un certain degré de tact et
d'énergie, aurait encore sauvé pour lui-même le diadème qui venait d'être
arraché du front de son père.
Malheureusement
l'étoile qui avait brillé sur la dynastie d'Orange pendant près de trois
siècles, et rendu son nom le plus populaire et le plus (page 117) illustre parmi ceux des princes de l'Europe, se
montra couverte d'un fatal nuage. Soit par la force invincible des événements,
soit par les vices originaires et inséparables de l'union des deux pays, ou par
les erreurs des conseillers de la couronne, une sorte de fatalité semblait
entraîner le monarque et sa dynastie à leur perte. Que le roi aussi bien que
chaque membre de son auguste famille, aient ardemment désiré le bien-être de
toutes les provinces du royaume, sinon par des raisons d'équité et de
sympathie, au moins par des motifs puissants d'intérêt personnel ; c'est un
fait incontestable. Mais les rois ne sont pas exempts des faiblesses de la
nature humaine ; quelque sages, prudents et magnanimes qu'ils soient, ils ne
sont pas infaillibles, et malheureusement, dans cette circonstance, le roi des
Pays-Bas sembla avoir déployé moins de grandeur d'âme et de sagesse politique,
que d'obstination tenace et de préjugés personnels, qu'on ne pouvait l'attendre
d'un souverain dont le nom occupait un rang éminent dans le monde, par sa
circonspection et sa connaissance profonde des théories constitutionnelles. Le
mal étant accompli, il devient presque superflu de rechercher les causes
morales qui l'ont produit. Mais quelles qu'elles aient pu être, il est évident
qu'aucun gouvernement n'a jamais été plus aveuglé sur les résultats, ou plus
manifestement entraîné à adopter les mesures les plus malheureusement (page 118) faites pour détruire son influence et aliéner l'affection du
peuple.
Certains événements
politiques survinrent qui sans doute trompèrent toutes les prévisions, toute la
sagacité humaine ; mais la dissolution du royaume des Pays-Bas ne fut pas une
de ces catastrophes subites, ne fut pas le résultat effrayant d'une terrible
commotion populaire. Les convulsions de l'état avaient été longues et
douloureuses ; le gouvernement avait été à plusieurs reprises averti et avait
eu le temps plus que suffisant pour se mettre en garde. Il voyait ou aurait dû
voir la tempête qui se préparait et se mettre en mesure d'éviter les écueils ;
mais il s'élança en aveugle dans sa route, et le vaisseau de l'état alla se
briser à la clarté du jour contre les rochers, par l'impardonnable obstination
et le manque de sagesse de ses pilotes.
Il est des occasions
sans doute où la dignité de la couronne et le bien-être général demandent
impérieusement des exemples ; mais ici les condamnations, quoique pouvant être
justifiées, furent fécondes en pernicieux résultats. De Potter, Tielemans,
Bartels, Ducpétiaux, l'abbé de Foere et plusieurs autres tombèrent sous le coup
de la loi ; mais telle était l'exaltation de l'esprit public, que les accusés
furent tous regardés comme martyrs de la cause de la liberté, et leurs
persécuteurs comme des tyrans dont tout le désir était (page 119) d'enchaîner la presse et
d'humilier la nation. Les pamphlets et les doctrines subversives, qui étaient
le prétexte de l'accusation, furent éloquemment défendus devant les tribunaux ;
et ces défenses se répandirent dans tout le pays, au moyen des journaux. Des
souscriptions furent ouvertes pour couvrir le montant des amendes et des frais
de justice ; et une multitude d'esprits jeunes et ardents s'élançait pour
offrir gratuitement leur talent aux accusés, ou imiter leur exemple. Ainsi
chaque triomphe judiciaire, remporté par le gouvernement se changeait pour lui
en désastre, à n'en considérer que les conséquences ; car on ne peut douter que
ces condamnations n'entrèrent pour beaucoup dans les causes immédiates de
l'explosion.
Les charges élevées contre de Potter, Tielemans et autres, étaient, sans aucun doute, de nature à amener une condamnation par tout jury impartial, en Europe et même aux Etats-Unis. De plus, la conduite de M. Tielemans semblait, sous certains rapports, légitimer la plus sévère répression de la part du gouvernement (Procès contre le sieur Tielemans et autres, accusés d'avoir excité directement à un complot ou attentat ayant pour but de changer ou de détruire le gouvernement du royaume des Pays-Bas. Bruxelles, 1829). Mais, le remède dans cette circonstance était (page 120) pire que le mal ; car il ne pouvait manquer de donner des forces à la sédition au lieu de l'étouffer, et propager les doctrines qu'il voulait arrêter,
Une autre difficulté
dont le gouvernement devait en quelque sorte s'accuser lui-même, vint encore
aggraver sa position. Dans son désir de faire mériter aux Pays-Bas le surnom de
terre classique de la liberté qu'on avait donné à ce royaume, ayant
aussi à cœur d'attirer les talents et l'industrie des étrangers, le roi offrit les
plus puissants encouragements à tous ceux qui venaient établir leur domicile
sur le sol fertile et hospitalier de
Les régicides
conventionnels, les napoléonistes exilés, les constitutionnels proscrits, les
carbonari persécutés, les Polonais opprimés, les Russes disgraciés, les
radicaux anglais, les étudiants visionnaires de l'Allemagne affluaient
indistinctement dans la métropole du Brabant, où ils s'alliaient à ce qu'on
pouvait regarder comme la portion la plus hostile de la société. Ils ne se
contentaient pas de donner un libre cours à la haine dont ils étaient animés
contre leurs gouvernements ; mais ils contribuaient, en grande partie, à
exalter l'imagination des habitants contre le gouvernement du pays. Plusieurs
de ces étrangers étaient des (page 121)
hommes consciencieux, éclairés et honorables, victimes des
actes les plus criants de despotisme ; mais dans le nombre, il se trouvait
beaucoup d'individus ruinés et prêts à tout oser, hommes qui n'avaient d'autre
élément que les dissensions et les commotions civiles, qui n'avaient rien à
perdre, mais tout à gagner des convulsions politiques, et qui étaient tout à fait
indifférents pour les malheurs que ces convulsions attirent sur le plus grand
nombre ; hôtes dangereux, s'il en fût, pour le pays qui les reçoit dans son
sein.
C'était là une
source de maux qu'on ne pouvait tarir qu'en adoptant des mesures de police arbitraires,
ou en obtenant des chambres une loi sur les étrangers qui donnât des pouvoirs
suffisants au gouvernement (La loi
républicaine de vendémiaire an VI, n'avait pas été abrogée et avait été
appliquée à MM. Fontan, Bellet et jador, qui furent expulsés du pays ; mais
leur expulsion causa un grand mécontentement et fut signalée comme une
infraction au chapitre 4 de la loi fondamentale qui garantissait une protection
égale aux étrangers et aux nationaux. La loi de vendémiaire fut remise en
vigueur néanmoins, par le gouvernement belge, après les pillages d'avril, en
1834). En outre, quelle que puisse avoir été la manière d'agir du
gouvernement relativement à trois ou quatre étrangers, on peut affirmer, sans
crainte, qu'il était sous tous les (page
122) rapports contraire aux sentiments particuliers du
roi de persécuter des hommes qui n'avaient aucun autre asile sur le continent
où ils pussent reposer leur tête, et jouir d'une liberté entière, aussi
longtemps qu'ils s'abstiendraient de tout acte d'opposition ouverte contre
l'état. Mais si les exilés avaient des droits puissants à l'humanité et à la
protection du gouvernement, le gouvernement n'avait-il aucun droit sur ces
étrangers ? Ces derniers ne devaient-ils pas respect aux lois qui leur
assuraient protection, quelque despotiques qu'elles pussent être ; n'était-il
pas de leur devoir de demeurer spectateurs passifs des dissensions civiles, et
de s'abstenir de toute intervention dans les affaires législatives d'un pays où
ils étaient volontairement venus chercher un asile et d'où ils avaient la
liberté de s'éloigner, quand cela leur convenait ? Ne devaient-ils donc rien en
retour de l'hospitalité qu'on leur accordait ? Ils n'étaient pas contraints de
demeurer dans le pays ; mais y demeurant, ils devaient y rester inactifs.
Il nous reste à
signaler un autre écueil. Dans l'intention de donner un plus grand
développement au commerce de la librairie, et d'encourager les diverses
branches de cette industrie, on favorisa l'établissement des libraires
nationaux et étrangers à Bruxelles ; et un système de piraterie littéraire y
prit une grande extension. Des éditions à bon marché (page 123) de tous les ouvrages
prohibés, en France et dans d'autres pays, y étaient réimprimés ; de là une
multitude de pamphlets contenant les doctrines les plus hostiles aux
gouvernements voisins, et spécialement destinés à prévenir le public contre
leur administration, se répandirent dans tout le pays. Ici encore le ministère
se trouva dans la nécessité, ou de tolérer l'existence de ces abus, ou de
mettre des restrictions à un commerce qui contribuait à enrichir la métropole
et ajoutait à la prospérité des affaires générales du pays.