(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 450) (Présidence de M. Raikem, premier, vice-président)
La séance est ouverte à midi. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
Des habitants de Louvain demandent le rejet des propositions de la conférence de Londres.
Plusieurs habitants de Liége font la même demande. (M..B., 7 juill., et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. Claes (de Louvain) – Hier il avait été décidé qu'il serait fait un rapport sur les pétitions relatives aux préliminaires. Je voudrais savoir si la commission est prête à faire son rapport, car enfin il faut bien que ce rapport soit fait avant la décision. (M. B., 7 juill.)
M. le président – Le procès-verbal ne porte pas que cette décision ait été prise. (J. B., 7 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, je dois réclamer dans l'intérêt du droit de pétition le rapport de celles qui ont été présentées sur l'objet en discussion. Hier cela avait été décidé : cette décision était tout à fait rationnelle ; et dans cette circonstance, elle sera un hommage solennel rendu au droit de pétition. Je demande donc, non pas qu'on prenne une décision à cet égard, mais que l'on exécute celle qui a été prise hier. (M. B., 7 juill.)
M. d’Elhoungne, tout en appuyant M. Lebeau dans ce sens qu'il désire le rapport demandé, fait remarquer que l'assemblée n'avait pas pris hier la décision dont on parle, et que la seule condition mise aux voix était celle de savoir si la proposition de M. de Nef serait adoptée. (M. B., 7 juill.)
M. Alexandre Gendebien – La demande d'un rapport fut faite, par l'honorable M. Claes en termes généraux, et elle fut adoptée sans réclamation ; j'insiste donc pour que le rapport soit fait. (M. B., 7 juill.)
M. de Rouillé – Effectivement, je crois qu'une décision a été prise, mais la commission des pétitions nommée tout récemment n'est pas encore constituée ; je sais que j'en fais partie, mais je ne connais pas ceux qui en font partie avec moi : leurs noms n'ont été ni proclamés, ni affichés dans la salle des conférences. (M. B., 7 juill.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire – Je vais chercher la liste. (M. B., 7 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Un honorable collègue m'a signalé plusieurs fautes d'impression qui se trouvent dans les exemplaires des préliminaires qui ont été distribués. Ainsi, dans le dernier alinéa de l'article 8, il faut lire l’article 5 au lieu de 3. Dans l'article 18 il faut lire au lieu de : les articles réciproquement adoptés ; ces articles, etc. (M. B., 7 juill.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit la liste des membres de la commission des pétitions. Au nom de M. Claes (de Louvain), qui en fait partie, éclate une hilarité générale. (M. B., 7 juill.)
M. Claes (de Louvain), riant lui-même – Je l'ignorais. Nous nous réunirons, et le rapport sera fait demain. (M. B., 7 juill.)
M. de Robaulx, questeur – Par suite d'une résolution que j'ai provoquée, le bureau a décidé que les cartes distribuées pour les tribunes réservées seraient sans valeur pour demain, et remplacées par d'autres de couleur bleue. Celles que j'ai dû accorder à des administrations seront revêtues d'une nouvelle marque. Messieurs les députés sont priés de mettre leurs noms sur les cartes qu'ils distribuent. (M. B., 7 juill.)
(page 451) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur les propositions de la conférence de Londres, sur la question préalable demandée par M. de Robaulx, et sur les propositions de MM. le baron Beyts et Van de Weyer. (P.V)
M. le président – M. Lebeau a la parole. (Profond silence) (M.B., 7 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, dans une discussion si grave et si solennelle, j'ai besoin de vaincre une grande répugnance pour n'entrer en matière qu'après avoir dit quelques mots qui me sont personnels. Lorsque j'ai été interpellé par un membre de cette assemblée d'exprimer mon opinion sur l'existence du ministère, dans son rapport avec la combinaison dont il est l'auteur, j'ai dit que je connaissais mes devoirs, que je saurais les remplir, et que je ne resterais pas au ministère après le rejet de la combinaison. Si je n'ai pas alors expliqué toute ma pensée, c'est parce qu'à une question de vie publique, se trouvait liée une question de vie privée. Quant à la première, j'ai dit que je me retirerais, et je me suis arrêté là. Mais il me semble qu'aujourd'hui j'ai besoin d'aller plus loin. On a cru que, si la combinaison réussissait, je devais, par un argument a contrario, rester nécessairement ministre. C'est une erreur. Messieurs, je suis convaincu que je peux, comme ministre et comme député, soutenir les propositions de la conférence ; mais je n'en suis pas moins en droit, après trois mois de travaux et après avoir vu des hommes honorables dans les rangs desquels je me fais honneur d'avoir combattu, parmi lesquels je comptais des amis ; je suis en droit, dis-je, de gémir en pensant que ces hommes ont pu croire que je faisais de l'affaire du pays l'affaire d'un homme. Je suis donc décidé, qu'il y ait acceptation ou non des préliminaires, à quitter le ministère. Je suis en droit, après avoir pendant trois mois compromis ma sûreté personnelle, après avoir vu la santé des miens altérée par ce qui m'était personnel ; je suis en droit d'aspirer au repos. Je me retirerai donc ; mais ce n'est point par faiblesse. L'homme qui n'a tremblé ni devant les menaces de pillage, ni devant les menaces anonymes qu'on lui a plusieurs fois adressées, n'est pas un lâche. Je soutiendrai la combinaison jusqu'au bout, parce que j'y attache le bonheur de mon pays, mais j'ai le droit, quelle qu'en soit l'issue, de songer enfin à moi, et de conserver sur les bancs de député la place qui peut flatter le plus l'ambition d'un homme d'honneur. (Assentiment.)
Messieurs, au milieu de quelques expressions peu parlementaires, j'ai entendu prononcer le mot de lâcheté. Voici comment je définis ce mot, comme député. La lâcheté, comme député, consiste à n'oser dire tout ce qu'on veut, à dire ce qu'on ne veut pas. La lâcheté, comme député, consiste à chercher ailleurs que dans sa conscience les motifs de son vote ; la lâcheté, pour un député, est enfin de se taire, de ne pas exprimer hautement son opinion sur une combinaison, quand on la croit nécessaire au pays ; et si on n'a pas le courage de dire, quand en vient l'occasion, tout ce qu'on croit favorable à l'intérêt de ses commettants on doit refuser leur mandat.
Messieurs, des hommes qui s'étaient trompés en fait et en droit, n'ont pas hésité à rétracter ce qu'ils avaient avancé d'erroné. Je ferai comme eux. Dans une des dernières séances, j'ai dit que l'acceptation des préliminaires pourrait amener une modification à la Constitution. Mon honorable ami M. Devaux m'a bientôt démontré mon erreur, et je l'ai reconnue instantanément ; je suis convenu, comme je le reconnais encore, que l'acceptation ne portera nulle atteinte à la Constitution. Je ne suis pas le seul, messieurs, à confesser des erreurs ; vous avez entendu l'honorable M. Charles de Brouckere avouer qu'il avait conseillé l'acceptation de l'armistice, dont la conséquence immédiate était l'évacuation de Venloo, et que le lendemain il reconnut s'être trompé.
Messieurs, comme ministre, si j'avais à proposer des changements à la Constitution ce n'est pas au conseil des ministres que je m'adresserais : je viendrais devant vous, la Constitution à la main, et en vertu du droit qu'elle donne je vous dirais : Mon opinion consciencieuse est que la Constitution doit être modifiée dans telle ou telle de ses parties ; je vous dirais les motifs de mon opinion ; vous en seriez les juges. Mais comme ministre, j'ai dû nécessairement prendre pour guide dans toutes mes démarches, dans tous mes actes, la Constitution telle que vous l'avez décrétée. Eh bien, j'adjure les premiers commissaires envoyées à Londres, et dont un fait partie de l' opposition, je les adjure de dire si je les ai autorisés à croire que j'avais pu insinuer, soit au prince, soit à la conférence, que je demanderais des modifications à la constitution. (page 452) Ainsi, comme député, je suis parfaitement en harmonie avec tous mes antécédents, et je peux renvoyer l'imputation de parjure à ceux qui me l'ont adressée. Je demande pardon à l'assemblée de ces explications que je n'avais pas provoquées, et j'aborde la discussion des préliminaires.
Messieurs, mon honorable ami et collègue M. Devaux vous a très bien prouvé que les propositions diffèrent essentiellement des protocoles. Je n'hésite pas à le dire devant la nation, il n'y a plus de protocoles. Lorsque vous avez protesté contre le protocole du 20 janvier, vous avez protesté, non pas précisément, contre le fond même, mais contre le droit d'intervention que s'arrogeaient les puissances. Vous n'avez pas protesté contre un mot inoffensif par lui-même, car comme l'a très bien dit M. Charles de Brouckere, protocole veut dire procès-verbal, et ce n'est pas contre le mot que vous avez protesté. Eh bien pour tout homme de bonne foi, je le dis en face de l'Europe, il n'y a plus de protocoles, il n'y a que des propositions de conférence, soumises à la délibération de l'assemblée. M. Devaux vous a prouvé qu'il y a une différence entre les propositions et les protocoles, quant au Luxembourg et quant à la dette ; non que pour moi les protocoles eussent contenu, quant à la dette, autre chose que des propositions ; mais telle n'était pas l'opinion de plusieurs honorables membres, et entre autres de M. Forgeur. Il nous disait, il y a quelque temps : « Vous aurez le Luxembourg de moins, et la dette de plus. » Eh bien je lui demande : d'après les termes des préliminaires, tiendra-t-il encore le même langage ? Peut-il penser qu'il reste encore le moindre doute à l'égard de la dette ?
On vous a parlé d'un point sur lequel il y a encore une importance différente : Il y avait dans les protocoles intervention même pour les échanges. Eh bien pour les échanges, la conférence s'est encore effacée complètement. Souvenez-vous de ce que disait M. de Brouckere : ce qui l'effrayait le plus, c'était de soumettre les échanges à l'arbitrage de la conférence. Il ajoutait : « On veut arriver à la contigüité des territoires, et dès qu'on y sera parvenu on établira une ligne de Venloo jusqu'à Maestricht, qui étouffera votre commerce en vous fermant toute communication avec l'Allemagne ». Ce point a complètement disparu, et, même, si nous voulions maintenir le statu quo, la communication avec l'Allemagne est possible. Examinez la carte, et voyez si vous n'avez pas de moyens de communications ailleurs que par Venloo ? Non, Messieurs, que dans mon opinion nous soyons jamais obligés d'abandonner Venloo car j'espère bien que cette ville nous restera par les négociations. Maintenant que cet argument a été repoussé, force a bien été de tenir un autre langage, et M. de Brouckere a eu recours à des sarcasmes contre le projet d'une route en fer. Mais au lieu de sarcasmes, je voudrais bien qu'il fut venir nous dire comment il ne serait pas possible de faire chez nous avec succès ce qu'on a fait en Angleterre, alors que je puis, par un rapport dû à des personnes de l'art, qui ont examiné les choses avec maturité, qui en ont calculé les moyens et les dépenses, prouver qu'un chemin de fer est praticable, et qu'il serait même préférable à un canal. En hiver un canal est souvent impraticable, une route ne l'est presque jamais. Je n'en dirai davantage sur ce point et l'on me pardonnera bien, dans une question si grave, de ne pas opposer d'autres raisons à des épigrammes.
Mais si vous acceptez, vous, congrès national, qui avez protesté énergiquement contre les prétentions de la conférence, vous allez renier tous vos actes ! Vous allez renier tous vos actes ! Je dirai qu'une assemblée souveraine n'est pas plus infaillible qu'un homme, et si vous vous êtes trompés vous ne devez pas soutenir votre erreur. Mais je peux prouver, pièces en mains, que vous ne reniez aucun de vos actes. Dans la protestation contre le protocole du 20 janvier, avons-nous proclamé le principe d'insurrection comme le fondement de nos droits ? Non, nous avons dit que nous réclamions la possession de la rive gauche de l'Escaut, le grand duché du Luxembourg, le Limbourg non point par un système de conquête et d'agrandissement, mais en vertu du droit de postliminie ou par suite de cessions. Le droit d'insurrection n'a été invoqué que d'une manière secondaire ; voyez votre protestation du 1er février : jamais vous n'avez pris pour base de vos droits le principe d'insurrection. Mais il est prouvé que vous n'avez la rive gauche de l'Escaut, ni par droit d'insurrection, car ses habitants ne se sont pas insurgés avec vous ; ni par droit de postliminie, ni par droit de cession ; car on a beau dire que ce pays a été donné à la France par des traités, nous ne pouvons pas nous enrichir des dépouilles de la France. M. Van Meenen a soutenu hier que ces territoires ayant fait partie des départements français, le faisceau que formaient ces départements n'a pu être rompu par le fait de la rentrée de la France dans ses limites. Mais avant d'appartenir à la France, ce territoire appartenait à quelqu'un ; quand elle est rentrée dans ses limites, à qui devait retourner le territoire qu'elle abandonnait ? Mais à qui le bien pris mal à propos doit-il revenir ? (page 453) Le simple bon sens, la plus simple notion de justice vous dit qu'il doit revenir à son ancien possesseur ? Il est si vrai que le droit d'insurrection n'a pas été considéré comme la base de nos droits, que nous pouvions avoir le Brabant septentrional entier, et que le gouvernement a refusé de le faire soulever, ce dont je lui rends grâces. Oui, le gouvernement provisoire a reculé devant les conséquences de ce droit. Les prémisses de votre protestation du 1er février sont donc erronées ; et parce que vous avez commis une erreur, vous croiriez votre honneur attaché à y persister ? Non, le véritable honneur, lorsqu'on a commis une erreur, consiste à la reconnaître et à la réparer. La protestation du 1er février ne peut rester debout que dans un sens : c'est contre le droit d'intervention. Dans les protocoles, on nous commandait une déshonorante et aveugle adhésion. Mais les propositions, on ne vous les impose pas ; on vous les présente ; vous pouvez les rejeter, vous pouvez les discuter au moins, et la preuve, c'est que depuis six jours cette discussion est ouverte. En acceptant les protocoles, nous faisons acte d’esclavage, et en délibérant nous faisons acte de volonté nationale. C'est ce que M. Van Meenen a dit très bien hier à cette tribune, d'où il ne fait descendre que des paroles de bonne foi. Que disait la protestation du 1er février ? « Le congrès proteste contre toute délimitation de territoire et toute obligation quelconque qu'on pourrait vouloir prescrire à la Belgique sans le consentement de sa représentation nationale.
« Il n'abdiquera dans aucun cas, en faveur des cabinets étrangers, l'exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confiée ; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait l'intégrité du territoire et mutilerait la représentation nationale ; il réclamera toujours de la part des puissances étrangères la maintien du principe de la non-intervention. »
Il ne se soumettra jamais à une décision. Comment faut-il entendre cette phrase ? Cela veut dire que le congrès ne se soumettra jamais à une décision quelconque d'un pouvoir étranger. Mais a-t-on voulu dire qu'on ne se soumettrait pas à la décision rendue par l'autorité légale et compétente ? Non, et je le dirai sans hésiter, parce que je le crois vrai ; je le dirai sans pallier les mots : Le congrès national aurait le droit de mutiler la représentation nationale. Et comment soutenir le contraire ? Et quoi ! si par suite de circonstances que je ne prévois pas, vous jugiez à propos de faire à une puissance voisine la cession d'un district vous n'en auriez pas le droit parce que ce serait mutiler la représentation nationale ? Mais auriez-vous par là déshonoré la nation ? Non sans doute, car vous n'auriez fait qu'user d'un droit que vous vous êtes réservé dans la constitution. Je le dis comme vous : Non, le congrès ne se soumettra pas à la décision d'un pouvoir étranger ; mais la nation se soumettra aux décrets rendus par la représentation ; il n'y a que des factieux qui pourraient tenir un autre langage.
(L’orateur, qui avait cru entendre un sifflet partir de la tribune publique, s’interrompt et prie M. le président de réprimer cet acte outrageant pour le congrès.) (M. B., 7 juill.)
M. le président – Je n’ai rien entendu. Je crois que vous vous trompez. Si j’avais entendu le moindre bruit, je l’aurais réprimé à l’instant. (M. B., 7 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, de ce que nous sommes sans droit sur les territoires contestés, s'ensuit-il que nous soyons sans devoirs envers les habitants de ces territoires ? Non, Messieurs, et c'est ici que je m'associe au langage généreux des honorables députés du Limbourg. Les paroles si nobles et si éloquentes de MM. Jaminé et de Brouckere ont retenti dans mon âme aussi fort que dans celle de qui que ce soit ; mais, je le dis à regret, ce n'est point par le sentiment que l'on doit juger les questions qui nous occupent. Et supposez que le gouvernement provisoire, cédant a un entraînement bien pardonnable dans l'enthousiasme du succès, eût accepté les offres des députés du Brabant septentrional ; supposez que le Brabant septentrional, cédant aux excitations du gouvernement provisoire, se fût soulevé et se fût associé à notre cause, pensez-vous que nous aurions quelques droits sur cette province ? Pas un seul, mais nous aurions des devoirs, et ces devoirs les voici : il faudrait, dans les négociations, offrir tous les sacrifices possibles pour garder ces territoires, mais aller jusqu'à la guerre, c'est à quoi je ne consentirais jamais. Donner aux habitants de ces territoires l'indigénat, leur donner les moyens de changer, non pas de patrie comme on l'a dit, mais de résidence : voilà quels seraient les devoirs que nous aurions à remplir. Rester en deçà, ce serait manquer à l'honneur. Les députés du Limbourg insistent cependant ; mais s'ils défendent le Limbourg avec zèle, ils paraissent méconnaître pour cette province tout ce qu'ils doivent au reste du pays. Il ne faut pas l'oublier cependant, comme l'a très bien dit (page 453) M. Jottrand dans l'avant-dernière séance, nous ne sommes pas députés d'une seule province, mais de la Belgique tout entière : aussi, après avoir fait la part de ce qu'il y a de plus noble et de généreux dans le langage des députés du Limbourg, je leur dirai qu'ils se sont tenus constamment dans un cercle trop rétréci ; ils n'ont pas été envoyés au congrès pour défendre les intérêts du Limbourg seulement, mais pour défendre le pays tout entier, et l'intérêt général du pays doit l'emporter chez eux comme chez nous sur l'intérêt particulier. Voilà comment j'entends les devoirs d'un député de la nation belge. Souvenez-vous d'ailleurs que vous avez fait l'application la plus énergique de ce principe dans une circonstance bien solennelle. Lors de l'exclusion des Nassau, les députés de Maestricht vinrent nous représenter que l'exclusion de la Maison d'Orange exposait Maestricht à la vengeance hollandaise. Les députés d'Anvers nous faisaient entrevoir les plus effroyables catastrophes pour leur opulente cité. Qu'avons-nous fait alors ? Nous avons répondu aux députés de ces deux villes : Il n'y a pas ici de députés de Maestricht, ni d'Anvers, il n'y a que des députés de la nation belge. L'intérêt, l'honneur de la Nation est d'expulser à jamais cette dynastie, qui a fait peser sur elle un joug humiliant ; nous voterons dans l'intérêt de la nation. Aujourd'hui nous pourrions tenir le même langage aux députés du Limbourg, que pourraient-ils répondre ?
Messieurs, on a généralement pensé que l'acceptation des préliminaires entraînerait pour conséquence, d'après l'article 6, l'évacuation immédiate de Venloo. Je ne partage pas cette opinion. Après l'acceptation des propositions, il y a lieu de négocier. N'oubliez pas que l'article dit : « L'évacuation réciproque des territoires, villes et places, aura lieu indépendamment des arrangements relatifs aux échanges. » Or, si la Hollande exige que Venloo soit évacué, nous lui répondrons : « Nous n'évacuerons pas Venloo que vous n'ayez évacué Anvers, que vous ne nous ayez donné dans Maestricht la part de souveraineté qui nous appartient, et sans que vous nous laissiez entrer en possession des enclaves. Il faut que vous permettiez à la Belgique de pousser les conséquences de son droit jusque dans ses enclaves les plus éloignées ; il faut que vous nous permettiez d'aller planter notre drapeau et proclamer les principes de notre insurrection jusqu'au cœur de la Hollande jusque dans toutes ces villes et possessions dont les noms quelque peu exotiques m'échappent en ce moment. Partout nous irons mettre nos garnisons, si on veut mettre dans Venloo une garnison hollandaise. Mais croyez-vous que si le roi de Hollande consentait à nous donner cette satisfaction, croyez-vous que les Etats-Généraux ne tiendraient pas le même langage que vous tenez vous-mêmes ? Croyez-vous qu'ils ne diraient pas au roi de Hollande : Quoi ! vous laisserez mettre garnison au cœur de vos Etats ; une garnison belge au milieu d'une population hollandaise !.. Tenons-nous donc fermes dans l'évacuation des territoires, exigeons tout ce que nous sommes en droit d'exiger, et vous verrez que nous obtiendrons bientôt tout ce que nous voulons ; nous demeurerons en possession de tous les territoires, car l'application de l'article 6 est aussi impossible pour la Hollande que pour nous. Il y a dans cet article de quoi nous conserver Venloo et tout le reste du Limbourg. Mais si nous avons Venloo provisoirement, l'aurons-nous par le traité définitif ? Je suis porté à le croire. Et comment la Hollande tiendrait-elle tant à la possession définitive de ce point ? Est-ce comme point commercial ? M. Nothomb vous a très bien prouvé hier que sous ce rapport Venloo n'était plus rien. Serait-ce comme point militaire ? Mais en rasant les fortifications, cette place devient aussi inoffensive que la ville de Ruremonde. Voilà, Messieurs, comme j'entends la question, voilà comment un ministre national doit l'entendre, sous peine de manquer à ses devoirs.
Enfin, messieurs, et en résultat extrême, afin de me placer momentanément sur le terrain de l'opposition, si nous étions condamnés à perdre quelques parcelles de notre territoire, nous offririons aux habitants qui voudraient venir parmi nous des indemnités et l'indigénat, et sous ce rapport je suis étonné de l'accueil qui a été fait à la proposition de l'honorable M. de Sécus. Messieurs, je suis député de Huy. Huy est ma ville natale, je reparaîtrai bientôt sans doute devant les électeurs qui m'ont envoyé au congrès. Eh bien, si Huy se trouvait dans la position de Venloo, s'il fallait que Huy fût sacrifié, je n'hésiterais pas à dire : « Que la Belgique se sauve, et que Huy soit perdu pour elle. Que ses habitants viennent parmi nous, nous les indemniserons par des sacrifices qui honorent également et celui qui les offre et celui qui les reçoit. » Mais, a dit une voix éloquente, croyez-vous pouvoir tout avec de l'or ? Gardez votre or, il est vil à mes yeux. Mais cet or que nous vous offrons, répondrais-je, nous ne l'offrons pas pour humilier. Ce sont des devoirs de (page 455) confraternité politique que nous remplissons ; et, devant le haut intérêt qui nous guide, que venez-vous parler de votre clientèle ! Sans doute je sais le noble usage qu'en fait l'honorable membre M. Jaminé auquel je réponds, mais je lui dirai : qu'est votre clientèle à côté de l'intérêt de la Belgique, à côté de son indépendance, de la nationalité que vous assurez a votre pays ; à côté de la guerre générale qui fait répandre des torrents de sang, pour nous faire retomber, après bien des maux, sous le despotisme militaire ? Ah ! venez au milieu de nous, vous n'aurez pas tout perdu en changeant de résidence ; vous avez un patrimoine que rien ne peut vous enlever, l'alliance d'un beau talent et d'un noble caractère. Partout où vous irez, ces brillants avantages vous assureront, non pas la richesse vous n'y aspirez peut-être pas, mais une honnête aisance. Voilà ce que je répondrai à l'honorable membre. (Bien ! très-bien ! Sensation prolongée.)
La patrie des Venloonais n'est pas toute dans Venloo. Quand ils ont fait la révolution, ils l'ont faite dans le but de régénérer la Belgique et non pas dans un intérêt mesquin de localité. Oui, braves habitants de Venloo, vous avez fait la révolution de Venloo pour sauver la Belgique et non pas pour sauver Venloo. Je ne suis pas plus insensible qu'un autre aux affections, aux souvenirs de localité ; mais je ne suis pas tellement dominé par ces sentiments que je veuille tout y sacrifier. Cet égoïsme local diffèrerait peu, à mon sens, de l'égoïsme personnel. J'ai habité successivement Liège et Bruxelles, j'ai trouvé la patrie partout. Elle serait pour moi à Liège, comme à Bruxelles, comme à Namur, comme à Huy, comme à Venloo.
Vous compromettez, nous dit-on, en les rejetant sous le joug, les populations de ces territoires ; vous les exposerez aux réactions et aux vengeances. Messieurs, outre que je vois dans tous les pays les opinions politiques se fractionner de manière à ce que jamais tous les habitants ne soient compromis, je vois encore cette classe pauvre, de laquelle j'espère que nous pourrons bientôt améliorer le sort ; je vois, dis-je, cette classe pauvre, qui par l'ignorance où on l'a laissée végéter échappe toujours aux réactions politiques. S'il est quelques sommités compromises, et si quelques lieues leur suffisent pour trouver une patrie, croyez vous quelles ne s'empresseront pas de les faire ? Pensez-vous que les hommes qui redouteraient de retomber sous la main du roi Guillaume, s'écrient : Périsse plutôt la Belgique tout entière !... Non, Messieurs, ils ne commettront pas un pareil sacrilège. (Sensation profonde).
Ce qui m'étonne, messieurs, quand les députés du Limbourg ont dit des choses si touchantes sur l'abandon de Venloo, c'est qu'ils n'aient pas dit un mot de Maestricht ; cependant la ville de Maestricht souffre depuis longtemps tous les maux d'une oppression dont peut-être un jour il nous sera permis de tirer vengeance. Eh bien, messieurs, il dépend de nous de délivrer ses habitants, d'obtenir le libre passage et la libre navigation de la Meuse, car les traités nous assurent la libre navigation des fleuves ; nous pouvons obtenir la faculté d'administrer Maestricht conjointement avec la Hollande. Quels avantages nous pouvons d'un seul mot assurer à Maestricht ! Et cependant on n'en parle pas, on n'en dit pas un seul mot. Du reste, la crainte des réactions et des vengeances politiques me semble une chimère, grâce aux traités qui interviendront. De cela seul en effet qu'il y aura un traité, si la violation la plus minime était commise, le traité à la main nous aurions le droit de dire à la Hollande : Vous violez les traités, guerre à vous ! Non pour conquérir, mais pour soutenir des droits incontestables en vengeant l'humanité. Messieurs, dans les discussions relatives aux choix du chef de l'Etat on a rappelé que vous avez repoussé avec énergie et presque unanimement la proposition de mettre une garnison étrangère dans Maestricht, et on vous a présenté cela comme un précédent auquel vous êtes intimement liés. Je dirai que ce projet paraît totalement abandonné par les propositions, qui, selon moi, doivent vous rendre Maestricht tout entier. Mais d'ailleurs comment avez-vous repoussé l'article 3 du projet de décret ? Après l'avoir admis dans les sections vous l'avez repoussé parce que vous n'avez pas voulu prendre l'initiative d'une telle proposition. C'est ce que disait un député du Limbourg (M. Destouvelles) : « Nous ne devons pas, disait-il, prendre l'initiative de cette mesure ; si on nous la proposait, nous pourrions l'examiner ; mais jusque là, je la repousse comme honteuse pour la Belgique. » Je le demande, peut-on tirer de ce rejet un antécédent qui nous empêche d'admettre dans Maestricht une garnison étrangère ? Mais je dis que nous aurons la ville de Maestricht tout entière, c'est mon opinion consciencieuse. Elle est à 18 lieues de la Hollande, ses habitants sont tous belges, et vous voudriez que la Hollande allât tenir dans Maestricht, une garnison qui, en cas de guerre serait à la merci d'une population (page 456) hostile ! Nous aurons Maestricht avec garnison belge, car, quoiqu'on en dise, le droit de garnison dans Maestricht, nous appartient par les traités : c'est un droit dont nous n'avons pas usé pendant longtemps, mais il y a dans les traités en notre faveur une clause de non préjudice, et en droit politique comme en droit civil, la clause de non préjudice conserve les droits des intéressés. Et croyez-vous, messieurs, que devant tous ces droits et au milieu des embarras de sa position, alors que nous lui offrirons pour nous laisser libres chez nous une indemnité pécuniaire, croyez-vous que la Hollande ne s'empressera pas d'accepter nos offres ? Elle le fera soyez en certains par cela seul que nous n'avons besoin pour communiquer avec l'Allemagne, ni de Maestricht ni de Venloo. Maestricht n'est plus rien comme point commercial lorsque surtout, on ne peut y empêcher la libre navigation de la Meuse. Mais êtes-vous bien sûr, me dit-on de l'opinion de la Russie, de la Prusse, de l'Autriche par rapport à Maestricht ? Non, mais peu m'importe ; ce qui me suffit c'est que d'après les préliminaires, tout est désormais entre nous et la Hollande. Les puissances l'ont déclaré, elles ont renoncé à toute intervention sur ce point. C'est donc, entre la Hollande et nous, qu'est le litige, et certes nous ne sommes pas disposés à céder nos droits sur Maestricht, à la Hollande.
Si vous repoussez les propositions, vous n'aurez pas Venloo. En effet, les propositions écartées, vous retomberez dans les termes de l'armistice signé par nous et par la Hollande ; il faudra biffer de cet acte les signatures du gouvernement provisoire, si vous ne voulez pas l'exécuter ; et si vous voulez faire la guerre, il faudra désavouer les membres du gouvernement provisoire, déshonorer les hommes qui ont sauvé le pays de l'anarchie, vous déshonorer vous-mêmes, car, messieurs, l'honneur commande de tenir les traités. Il y a dans cet armistice une clause qui n'a pas été assez rappelée. Cet armistice constitue un droit indéfini d'intervention pour les puissances envers lesquels vous vous êtes engagés. Un droit indéfini, oui, le mot s'y trouve. L'armistice est-il dit dans la note verbale du 6 décembre, étant convenu de part et d'autre, constitue un engagement pris envers les 5 puissances. Si la Hollande demande l'exécution de l'armistice, que lui répondrez-vous ? Nous voulons la guerre ! Mais prenez garde, vous n'aurez pas seulement à faire à la Hollande, mais aux 5 puissances. L'intérêt de la Belgique est donc d'en finir pour se soustraire aux termes de l'armistice.
J'arrive à la question du Luxembourg, et je rappellerai ici l'éloquente péroraison d'un de nos collègues de Liège. Il me souvient que dans la discussion sur l'élection du prince de Saxe-Cobourg, l'honorable M. Forgeur, nous disait : Vous n'aurez pas le Luxembourg et vous aurez la dette. L'honorable orateur a mal prophétisé pour la dette : ce n'est pas un moyen d'accréditer l'autre partie de sa prophétie. Et moi ; je dis aujourd'hui : vous aurez le Luxembourg et vous n'aurez pas la dette. Vous voulez faire la guerre ?
Mais pourquoi le voulez-vous ? Pour conquérir le Luxembourg, mais vous l'avez, moins la forteresse, que vous ne devez pas occuper. S'il y a quelqu'un de mal placé dans le Luxembourg, certes ce n'est pas la Belgique. Vous n'avez donc pas à faire la guerre pour cette province ; vous n'avez qu'à négocier ; car les puissances, en maintenant le statu quo, ne contestent pas votre droit ; elles ne vous demandent que d'en régler l'exercice. La guerre serait ici un pléonasme et un pléonasme de ce genre est assez désastreux par ses conséquences pour qu'on s'en garde. La conférence a fait un pas immense sur ce point, et loin de nous refuser le Luxembourg, elle nous remet pour cette partie précisément comme nous étions avant le protocole du 20 janvier. Mais souvenez-vous que vous auriez toujours dû négocier pour avoir le Luxembourg ; cela est si vrai que vous avez autorisé la négociation par vos décrets ; vous êtes entrés en possession par les faits, on les maintient et dès que la conférence a aboli le protocole du 20 janvier, vous devez, je crois, être satisfait. Vous conserverez le Luxembourg, j'en ai pour garants notre droit, la valeur des belges et la parole du prince. Oui, messieurs, la parole du prince et le moment est venu de tout dire. (écoutez ! écoutez !). Le prince est déterminé à conserver le Luxembourg par tous les moyens possibles, il en fait son affaire propre ; c'est pour lui une question d'honneur : ne sent-il pas d'ailleurs très bien que la possession du Luxembourg importe à sa popularité ? Sans la conservation de cette province, je défierais bien quelque prince que ce fût de régner six mois en Belgique.
Mais, a-t-on dit, il pourra le céder ; même sans nous consulter. Le céder ? mais il dépasserait ses pouvoirs par une telle cession : n'accepte-t-il pas la constitution ? Ne jure-t-il pas de l'observer sans restriction ? L'article premier de la Constitution, l'article du serment, doivent-ils subir des modifications ? dès lors, le prince ne pourrait céder le (page 457) Luxembourg sans violer l'un et l'autre de ces articles, sans fouler aux pieds ce qu'il a juré de défendre ; et certes, c'est ce qu'il ne fera pas.
Je vous le demande en effet : le prince voudrait-il nous apporter en dot la perte du Luxembourg ? voudrait-il venir se placer ici sur un volcan ? Mais on vous représente le prince comme dépourvu d'ambition, comme aussi sage que prudent : vous savez qu'il a refusé le trône des Hellènes précisément parce qu'on voulait démembrer le royaume, et vous pouvez croire qu'il pourrait seulement venir dans sa pensée de céder le Luxembourg au roi de Hollande ! mais songez donc que trois des cinq puissances signataires des préliminaires font partie de la confédération germanique. Ce sont la Prusse, l'Autriche et l'Angleterre pour le Hanovre. L'Angleterre voit avec satisfaction l'avènement du prince de Saxe-Cobourg au trône de la Belgique, et vous voulez que l'Angleterre, qui veut, qui doit vouloir que la Belgique soit forte, aille travailler pour faire obtenir le Luxembourg au roi Guillaume ? Non, messieurs, le prince veut et il aura le Luxembourg. Il l'a déclaré : il fera la guerre, s'il le faut, pour obtenir le Luxembourg et Maestricht, mais il ne voudra pas se déshonorer pour faire une guerre de conquêtes. Il craint si peu la guerre, le prince Léopold qu'il accepte la couronne et qu'il consent à venir en Belgique alors même que la Hollande refuserait d'accepter les propositions. Il dit, dans sa lettre au régent, ou du moins tel est le commentaire que l'on peut faire de ses paroles : « Je viendrai parmi vous si vous acceptez les préliminaires. Peu m'importe l'acceptation de la Hollande, si vous me donnez le double droit de négocier et de faire une guerre honorable. » Je vous le demande, est-ce là un homme qui veut la paix à tout prix ? Non, mais il ne veut pas non plus la guerre à tout prix. Le prince veut tout ce qu'il doit vouloir pour le bien-être, pour l'honneur de la Belgique ; et je serai heureux de recevoir ici ses serments.
Mais dit-on, le roi Guillaume n’acceptera pas. D'après le caractère bien connu de ce prince et ses antécédents depuis quinze ans, j'avoue que je suis assez de cette opinion. Oui, je crois qu'il n'acceptera pas et qu'il ne voudra jamais céder le Luxembourg. Mais alors il faut qu'il fasse la guerre ; or qu'il y vienne, les Etats-généraux ne lui donneront pas une obole pour conquérir le Luxembourg. La confédération germanique le soutiendra encore moins : et à cet égard je vous citerai ce que disait avec ingénuité un journal allemand a ce sujet : Nous, faire la guerre pour conquérir le Luxembourg au profit du roi Guillaume ! mais mieux vaudrait le lui acheter pour le donner à la Belgique. Le prix en serait moins coûteux que la guerre. Ces mots sont d'autant plus remarquables que c'est un journal censuré qui les écrit.
Mais pourquoi le prince n'a-t-il pas accepté la couronne purement et simplement ? Je vous le dirai, messieurs, et vous verrez combien est honorable et généreuse la pensée du prince, il a dit : « Si j'arrive en Belgique sans que les bases du territoire soient posées, ne pourriez-vous pas dire un jour : Il est venu prendre possession du trône, il a jeté son sceptre dans la balance des négociations ; sans lui elles nous eussent été plus favorables. Aujourd'hui, au contraire, vous êtes libres ; négociez, pesez mûrement vos droits, délibérez ; je vous aiderai. Je lie ma cause à celle de tous mes concitoyens, et si, malgré tous mes efforts, vous êtes obligés de céder quelques parcelles de votre territoire, on ne pourra pas du moins en accuser votre roi. » Voilà, messieurs, les sentiments honorables qui guident le prince. Je le déclare, depuis trois mois que je suis au ministère, il ne s’est pas passé un seul jour que je n'aie écrit à Londres ou à Paris, et quarante-huit heures encore avant le départ de nos commissaires, j'insistais pour obtenir l'acceptation pure et simple du prince. Mais il m'a été impossible de l'obtenir, comme il me l'est de ne pas apprécier les motifs honorables qui l'ont empêché de se rendre à mes vœux.
Nous avons donc une garantie pour le Luxembourg, dans la parole du prince. N'oubliez pas que nous n'avons pas affaire à un prince qui mendie par des pétitions l'honneur d'obtenir une couronne. Le prince a une existence brillante à Londres. Uni par des liens étroits à la famille régnante, ayant la régence de la Grande-Bretagne en perspective, lié avec tout ce parti de l'Angleterre qui veut la réforme parlementaire et qui poursuivra jusqu'au bout sa carrière généreuse, pensez-vous que s'il n'avait pas tout ce qu'il faut, non pas pour acquérir un trône, mais pour le consolider à jamais, il consentît à quitter une position presque royale pour une royauté sans avenir ?
J'ai entendu avec quelque surprise l'opinion de quelques députés du Limbourg, qui pensent que si les préliminaires sont acceptés, leur devoir est de se retirer. Ils me permettront de leur dire, et je n'attaque pas ici leurs intentions, que leur opinion est erronée. On vous a dit que nos actes seraient frappés d'illégalité par ce seul fait, et frappés d'illégalité dans leur origine et dans leur essence. (page 458) Mais si cela était vrai, il serait donc impossible de modifier nos limites et nous paralyserions ainsi de nos propres mains la prérogative que nous avons attribuée au pouvoir législatif dans la Constitution ! Eh ! pourquoi donc les députés se retireraient-ils ? Les articles de la conférence ne posent que des bases ; mais en supposant que les bases se confondissent avec le traité définitif, n'y aurait-il plus dans le Limbourg de districts de Maestricht, de Ruremonde, de Hasselt, car, si je ne me trompe, il n'y a pas de district de Venloo. Comment, quand les territoires litigieux, si je ne m'abuse, ne comprennent que la minorité des électeurs, vous iriez abandonner votre mandat, et la majorité des électeurs qui vous l'ont donné ? Mais la majorité des électeurs, que dirait-elle si vous abdiquiez ainsi ? Elle dirait que vous ne le pouvez pas. Vous ne pouvez abdiquer en effet, à moins que vous ne le fassiez comme on le fait pour la maladie, pour affaires personnelles, ou pour d'autres motifs semblables. Je n'inculpe pas ici votre pensée, je la crois consciencieuse, mais je la combats comme erronée. Non, vous ne pouvez pas déserter un mandat que la majorité des électeurs a besoin que vous conserviez. Il est si peu vrai, messieurs, que par la présence des députés du Limbourg et du Luxembourg vos actes soient viciés ; que l'acte le plus important que vous ayez fait, l'élection du prince de Saxe-Cobourg est regardé par lui comme un acte renfermant un caractère incontestable de légalité. Il vient en acceptant la couronne ratifier la légalité de tous vos actes. Les cinq puissances les reconnaissent comme lui, et vous iriez-vous-même contester cette légalité ? c'est impossible. Voilà pour vos actes passés. Conteste-t-on la légalité de vos actes futurs ? mais c'est devant tous les députés que le prince vient recevoir l'investiture du pouvoir royal. Quel tort vous feriez à vos commettants si vous alliez émettre des doutes sur la validité de ces actes. Ne voyez-vous pas qu'en restant ici, en recevant avec nous les serments du prince, vous resserrez entre lui et tous vos commettants du Limbourg le lien formé par l'élection, lien moral, lien d'humanité, lien d'honneur, qui assure à vos commettants la sollicitude spéciale du roi des Belges, élu par nous tous, inauguré par nous tous ? Ah ! mes chers collègues, je sais que votre opinion est le résultat d'une conviction puisée dans votre conscience, mais je vous en adjure, n'abdiquez pas un mandat que le prince lui-même ne demande pas mieux que de reconnaître.
J'ai pensé, messieurs, que quand il s'agissait d'une discussion d'où dépendait le sort du pays, un député ne devait laisser rien en arrière, et je dirai en conséquence un mot de la neutralité qui a été jusqu'ici mal expliquée, et quelle est l'idée qui a présidé aux dispositions qui constituent notre neutralité. Les puissances savent que la Belgique est convoitée, leur pensée est d'empêcher qu'elle ne soit absorbée par aucune d'elles. Cette neutralité est une garantie de notre indépendance contre la Prusse, contre la France surtout pour rendre la réunion impossible. Les cinq puissances ont signé le traité : si la France voulait y porter atteinte, les puissances lui rappelleraient qu'elle a souscrit à notre neutralité ; elles l'obligeraient à la respecter ; notre neutralité enfin est la sauvegarde de toute l'Europe ; voilà pour la partie passive de la neutralité, si l'on peut lui appliquer cette épithète.
M. Van Meenen, pour vous expliquer ce que c'était que la neutralité, vous a dit ; « Figurez-vous un homme qui se laisse battre sans pouvoir se défendre. » Ah, messieurs, si mon pays était condamné à tant d'humiliation, je n'aurais pas demandé que vous acceptassiez des préliminaires qui vous réserveraient un tel affront. Non, messieurs, on ne pourra ni nous insulter ni nous battre sans que nous ayons le droit de nous défendre.
Nous avons le droit de repousser l'agression, nous n'avons pas le droit de faire des conquêtes. On insulte notre pavillon, nous avons le droit de forcer nos ennemis à le respecter. On parle d'inondation des polders que nous n'aurions pas le droit de réprimer. Les inondations seraient considérées comme une attaque, nous aurions le droit de la repousser par tous les moyens et d'attaquer à notre tour, car quand l'attaque vient à la suite de l'agression, tous les publicistes la considèrent comme un acte de défense.
Je parlerai maintenant des enclaves dans un tout autre ordre d'idées. Pourquoi nous donne-t-on des enclaves ? pourquoi nous donne-t-on des territoires qui ne sont pas à nous ? On nous donné Marienbourg, Philippeville, les cantons enfin : on ne nous donne pas seulement ce qui formait les Pays-Bas autrichiens, car on pouvait nous dire : Vous n'aurez pas la principauté de Liège, et Liège arborera le drapeau de son évêque ? Pourquoi nous fait-on tous ces avantages ? parce que l'Angleterre veut que la Belgique soit forte. J'en ai la garantie et dans ce qu'on nous donne et dans les accessoires qu'on accorde aux Pays-Bas autrichiens. M. de Brouckere a dit que nous n'aurions pas les huit cantons que le Royaume des Pays-Bas avait été constitué en 1814. C'est une erreur. Le royaume des Pays-Bas a été constitué tel qu'il est par le traité de 1815, après la bataille de Waterloo. La France n'a donc aucun droit sur la moindre parcelle de notre territoire. C'est ce que le France elle-même reconnaît, et nous en avons pour garant la signature de son ambassadeur.
Je dois le dire, ce n'est pas par pure affection pour la Belgique, qu'on nous constitue ainsi, et telle puissance peut-être ne demande pas mieux que de voir tomber notre révolution. Mais la politique des intérêts est là et je n'en connais pas de plus sûre ; j'ai la conscience que nous n'en resterons pas où nous sommes, et ici je me félicite de me trouver d'accord avec des députés et des écrivains français de l'extrême-gauche ; je conserve leurs opinions pour en faire usage en temps et lieu. Ils disent que la frontière du Rhin doit appartenir ou à la France ou à la Belgique. Cette vérité sera sentie un jour, et les puissances européennes aimeront mieux nous donner ces frontières que de permettre que la France y porte ses drapeaux.
Il est des choses que je ne peux pas dire ici, mais le prince de Saxe-Cobourg professe une haute estime pour la France ; des liens d'amitié l'unissent au prince qui règne chez nos voisins, ces liens peuvent être resserrés. Les convenances m'empêchent d'en dire davantage. Nous sommes dans la position la plus favorable pour nous constituer ; nous sommes dans une de ces circonstances qui décident de la vie ou de la mort. Sachons en profiter.
On vous a parlé, messieurs, d'un peuple, qui a fait aussi sa révolution, et qui la sanctionne tous les jours par des combats qui font l'admiration du monde entier. Voyez ce qu'on pense en Allemagne de ce peuple héroïque. Entendez les comitats de Hongrie dire à leur souverain : Relevez-vous d'une apathie déshonorante, sauvez les Polonais qui nous ont autrefois sauvés de l'invasion des barbares. Voilà ce qu'on dit en Allemagne. Et nous, messieurs, qui pouvons tout pour la Pologne, nous ne ferions rien ? Nous ne pourrions rien pour elle si nous rejetions les propositions. Si nous jetons la division entre certains cabinets, la Pologne est perdue. Elle ne peut être sauvée que par l'union de la France et de l'Angleterre. Il dépend de nous de cimenter sur l'autel de la Belgique l'alliance de ces deux puissances ; sans cela nous abdiquons le pouvoir de sauver la Pologne d'une crise imminente. Oui, Messieurs, si nous ne profitons de ces circonstances, dans peu de jours l'occasion peut être perdue à jamais. Savons-nous le résultat que vont produire les élections en France ? Savons-nous quel sera dans quinze jours le ministère français ? Peut-être d'ici là des nuages s'élèveront entre l'Angleterre et la France, et, ces deux cabinets divisés, les bourreaux de la Pologne se rueront sur elle sans crainte. En nous constituant promptement, non seulement nous constituons la Belgique, mais l'immortelle Pologne. On dit que c'est là une grave erreur. Il y a ici des hommes, je le sais, qui entendent mieux les intérêts de la Pologne que les Polonais eux-mêmes. « Laissez-nous faire, nous, Belges, disent-ils, vos affaires n'en iront que mieux ; » et cependant, messieurs, quoique non reconnus, les Polonais ont des négociateurs à Londres et à Paris qui tiennent le même langage qu'à Bruxelles ; ils ne soupirent qu'après le moment où nous serons constitués, pour que l'Europe libérale s'occupe d'eux à leur tour. Oui, si la Belgique se constitue, les Polonais sont sauvés. En refusant de le faire, non seulement vous consommez votre suicide, mais encore l'assassinat de la Pologne. (mouvement).
On a parlé aussi des intérêts matériels ; je vous demande pardon, messieurs, de l'inconvenance de cette transition ; vous qui invoquez les intérêts matériels, oubliez-vous que, de l'adhésion aux préliminaires, résulte de la part des puissances la consécration du décret d'exclusion des Nassau, et qu'elle les met dans l'impossibilité de vous ruiner par le fardeau de la dette hollandaise ? Eh quoi ! par votre signature vous vous débarrassez d'une dette annuelle de 25 millions de francs ; et vous parlez d'intérêts matériels ! et vous arrêtez notre main quand elle est prête à recevoir du roi de Hollande la quittance de la dette ! Vous pouvez être délivrés de la dette et avoir la paix, la paix, messieurs, qui vous permettra de dégrever bientôt le budget de la guerre de vingt-cinq millions de francs, ce budget devant lequel vous reculerez d'épouvante : voilà des intérêts matériels ; vous allégez le peuple, dont je crois très bien défendre ici les intérêts, vous allégez ses charges de 50 pour cent.
Un souverain, dit-on, nous apporte-t-il à la main un traité de commerce ? Si je ne m'abuse, un prince n'obtiendra de traité de commerce que s'il est reconnu ; rejetez les préliminaires et cherchez ensuite un roi parmi les princes de l'Europe ; pas un seul ne sera reconnu ; nos envoyés pour obtenir des traités de commerce ne seront même pas reçus par les cinq puissances. Pour réussir en pareille matière, il faut un prince ami et allié des princes voisins. Voilà ce qui vous vaudra des traités de commerce.
Le commerce est indestructible de sa nature ; il est plein de vie, et, déjà, entre Liège et la Hollande il se fait des expéditions de clous et de draps, si (page 460) je ne me trompe. Ces expéditions se font par l'Allemagne. Acceptez les préliminaires, les marchandises éviteront un long détour ; pour arriver en Hollande, il leur suffira de descendre la Meuse.
Enfin, messieurs, on a été jusqu'à dire que, si les préliminaires sont acceptés, le vénérable régent qui nous gouverne, cet homme respectable dont à l'étranger les Belges s'honorent d'être les compatriotes, livrerait à l'instant, par sa retraite, le pays à l'anarchie. Je ne dirai pas que l'assertion est fausse, mais qu'elle est erronée. Notre vénérable régent restera au pouvoir jusqu'à l'arrivée d'un prince. Incessamment vous verrez de lui une proclamation qu'il a crue devoir publier pour démentir les bruits qu'on avait répandus sur sa retraite en cas d'acceptation. (L’ouvrage d’E. HUYTTENS reprend en note de bas de page cette proclamation, portée le 5 juillet 1831. Elle n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)
Pour dernier argument on nous dit : Les masses sont contre vous. Les masses sont contre nous ! Nous le savons, messieurs, ont a fait des appels aux masses. Oui, j'en ai la preuve en main ; mais les agitateurs on fait de vains efforts. Les masses, à ces coupables tentatives, ont opposé leur force d'inertie. Oui, on a fait des appels aux masses ; nous connaissons les auteurs de ces appels, mais nous nous tairons puisque leurs tentatives ont été vaines. Les masses sont contre nous ! Mais un membre du ministère, qui s'est associé à notre combinaison, a été élu hier député de Liège au congrès national, à une majorité de deux tiers des voix. Non, messieurs, les masses ne sont pas contre nous, j'en ai pour garant leur intérêt et leur bon sens. Elles savent que sans notre combinaison nous aurons en partage la dette, l'ignominie, et l'extinction du nom belge. Voilà des vérités que savent les masses et qui entrent dans les chaumières comme dans les châteaux.
Messieurs, naguère, lorsque nous soutenions la candidature du duc de Leuchtenberg et que nous combattions celle du duc de Nemours, que nous estimions funeste à la Belgique, nous émettions cette opinion parce que nous la croyons consciencieuse. Qu'avons-nous fait lorsque le duc de Nemours a été élu à la majorité d'une voix ? Nous nous sommes réunis franchement à la cause du roi des Belges, et une heure après l'élection, il n'y avait plus de partisans du duc de Leuchtenberg : les nemouriens et les leuchtenbergistes se serraient la main dans cette enceinte et tout le monde était d'accord, parce que tout le monde voulait le bonheur dé pays. Eh bien ! j'adjure aujourd'hui les députés qui m'entendent de donner encore au peuple belge cet exemple d'union. Si la combinaison est rejetée, je pourrai servir encore mon pays dans cette enceinte, et je serrerai franchement la main de ceux qui l'auront combattue. Mais vous sentez que si elle était accueillie nous aurions le droit de vous dire : « Si vous ne voulez pas donner à la nation l'exemple de l'anarchie ; si vous ne voulez attirer sur la Belgique des maux incalculables, ralliez vous à nous sans hésiter ; venez, soutenons tous le roi des Belges ; la nation a prononcé ; il n'y a plus de division entre nous, nous sommes tous Belges ; tous nous voulons l'honneur et le bonheur de notre, patrie. »
- A peine l'orateur a-t-il prononcé les derniers mots d’une improvisation qui a duré deux heures et demie, que des bravos et des applaudissements nombreux et répétés partent de la tribune et de tous les points de la salle. Un grand nombre de députés quittent leurs places et vont féliciter l’orateur. On remarque même parmi eux des membres de l'opposition, entre autres MM. Henri de Brouckere (page 461) et Camille de Smet. M. Claes (de Louvain) est tellement ému que des larmes coulent de ses yeux avec abondance. M. Lebeau est en quelque sorte obligé de se dérober aux embrassements et aux félicitations de ses collègues. Il sort de la salle suivi par plusieurs députés. Presque tous les membres ont quitté leurs places. M. le président fait de vains efforts pour reprendre la séance ; elle est suspendue par ce fait pendant près d'une demi-heure.) (M. B., 7 juill.)
M. de Schiervel – Habitant du Limbourg, je dois aux électeurs de l'arrondissement de Ruremonde l'honneur d'avoir pris place dans cette assemblée ; j'en ai reçu mission de coopérer à leur bien-être ; je me suis acquitté jusqu’ici consciencieusement de mon mandat envers eux, comme envers la Belgique entière ; je le trahirais ce mandat, messieurs, je mentirais à ma conscience, je croirais forfaire à l'honneur, si, dans un moment solennel qui va décider de l'avenir d’une partie de mes mandataires, je votais des préliminaires de paix qui tendent à les replacer sous une domination qu'on les a poussés à secouer.
Il y aurait de ma part, messieurs, dans une pareille conduite la plus indigne défection ; j'imprimerais sur mon front une tache ineffaçable si, lorsque après avoir, il y a peu de jours encore, par suite des fonctions que j'exerce dans l'arrondissement de Ruremonde, pressé les habitants à s’organiser, à s'armer pour repousser l'agression étrangère et défendre l'intégrité du territoire belge tel que l'a défini notre loi fondamentale, si je sanctionnais aujourd'hui par un vote approbatif un arrangement dont ils seraient d'autant plus victimes, qu'ils ont donné plus de preuves de leur attachement à la cause belge. Dans d'autres circonstances, messieurs, ce serait pour moi un devoir bien doux à remplir de les énumérer, ces preuves ; j'obéis aujourd'hui à celui de les taire, dans la crainte de nuire à mes concitoyens si je mettais tout leur patriotisme au grand jour. Non, messieurs, pour aucune considération, je ne me déciderai à immoler un seul Belge à la vengeance hollandaise. Jugez, messieurs, si, dans ma position, je puis admettre les propositions qui nous sont soumises. Ni moi non plus, messieurs, je ne veux pas que mes concitoyens puissent me dire un jour : Vous étiez du congrès, vous nous avez abandonnés ! (M. B., 7 juill.)
M. le baron de Woelmont – Combien est pénible, messieurs, la position d'un député jaloux de l'honneur de son pays, et qui ne trouve pour le tirer de la crise où l'ont placé les événements politiques, d'autre alternative que de sanctionner les arrangements définitifs posés par des puissances que nous avons prises comme médiatrices, quelque rudes que puissent en être les conditions, ou bien, de voir régner l'anarchie la plus complète dans un État où nous demandons et le calme et la paix !
Telle est, messieurs, la position réelle des députés qui siègent au congrès ; il ne leur reste plus qu'à choisir.
Non ! me suis-je écrié à la première vue des arrêts de la conférence, je ne céderai rien de ce que m'a donné la révolution, en secouant un joug épouvantable. Puis, je me suis demandé : Que deviendra la Belgique si son prince ne peut prendre les rênes de son gouvernement ? pourra-t-elle, seule et sans secours étranger, soutenir ses droits et ses limites ? Quel chef habile, quel général expérimenté mettrons-nous à la tête de nos braves pour faire une guerre qui, dans cette hypothèse, serait certaine, imminente, et dont nous ne sommes pas même en état de prévoir l'issue ? Irai-je courir la chance de tout perdre, et peut-être sans retour, en empêchant l'État de se constituer et d'être reconnu par les autres puissances.
Messieurs, je suis accablé d'une pareille idée.
Député du Limbourg, je dois à ma province d'employer tous mes efforts pour son plus grand bonheur ; mais aussi député de tout mon pays, je dois, si la nécessité m'y force, tenter tout ce qui n'est pas incompatible avec l'honneur, pour sauver ma patrie de l'anarchie où elle est prête à tomber.
Jamais on n'obtiendrait de moi la moindre concession si, par une chance quelconque, la guerre générale me faisait entrevoir la possibilité d'obtenir pour ma province tout ce qu'elle réclame. Messieurs, cette chance m'est inconnue.
La guerre ne peut que nous être funeste ; n'étant pas en force pour la faire seuls contre une partie de l'Europe, nous devrons appeler les Français à notre aide. Leur drapeau, bientôt, au lieu du nôtre, flotterait sur nos tours, et qui peut nous garantir que, dans cette conflagration universelle, nos trois couleurs ne s'éclipsent pour toujours ?
Quel bouleversement cette guerre ne mettrait-elle pas dans la Belgique avec les opinions qui nous divisent, car les uns la désirent pour obtenir cette réunion intime à la France, que pour ma part je veux éviter ; et d'autres la feront pour soutenir ce que les puissances ne veulent pas nous accorder en entier : le droit de démarquer nous-mêmes nos limites. La Hollande alors, profitant de nos divisions intestines, ne tentera-t-elle pas de faire surgir parmi nous la discorde, dans l'espérance de nous diviser, et par là chercher à nous (page 462) faire tous rentrer derechef sous son affreuse domination ? Puis, lorsque de guerre lasse, nous voudrions être enfin constitués, où serait le souverain que nous aurions à prendre ? car le prince de Cobourg ne veut pas, messieurs, de votre trône à un tel prix. Sommes-nous certains alors d'avoir encore une position politique, même semblable à celle que nous avons aujourd'hui, que quatre millions de Belges décident peut-être des destinées et de la tranquillité de tous les États qui les environnent ? Est-ce donc tout perdre que de négocier ? Un échange de nos enclaves réciproques ne peut-il pas maintenir autour du drapeau belge tous ceux qui ont su le conquérir ?
Et moi aussi, ma famille a des biens dans ces enclaves du Limbourg qu'on nous conteste ; moi aussi j'ai un frère qui a toutes ses propriétés dans ces communes : mais viendrai-je pour cela apitoyer tout un congrès sur ma misère ? non, messieurs, quand l'État réclame, le propriétaire se tait ; il paye alors sa dette à la patrie, et cherche en s'oubliant lui-même à lui procurer le plus de prospérité possible.
Imposons-nous, messieurs, des sacrifices ; abandonnons les enclaves que nous possédons chez nos ennemis, pour conserver celles qu'ils réclament de nous, et si les compensations ne pouvaient s'établir en tous points (ce qui est bien loin de nous être prouvé), que l'État vienne encore d'une autre manière témoigner combien nous tenons à ne pas abandonner nos compatriotes.
Une proposition que nous avons présentée vous a fait connaître, messieurs, ce que l'honneur vous obligerait alors de sanctionner. Quelque blâme qu'on ait voulu déverser sur cette proposition, messieurs, elle n'en est pas moins toute patriotique ; jamais elle ne fut faite pour engager, comme on a voulu le faire croire, à abandonner de nos frères contre une vile somme d'or ; non, messieurs, les noms seuls des signataires, leurs antécédents, vous en sont, je pense, une suffisante garantie. Son but est d'offrir une assurance certaine à tout homme qui a pris part à notre révolution de ne se voir jamais, malgré lui, remis sous la domination de l'ex-roi Guillaume, s'il arrivait que par les échanges nous ne pussions pas obtenir l'absolue intégralité de nos limites ; mais loin de nous d'entendre par là préjuger cette importante question.
Il n'y a que de la justice, messieurs, et rien de plus, à offrir une telle garantie et protection à des hommes, qui, dans ce moment encore, en gardes civiques mobilisées, se mettent sur les rangs pour défendre la cause générale de la Belgique contre les attaques que la Hollande voudrait tenter contre nous, tant que nous ne serons pas constitués.
Belges, vos députés doivent-ils livrer aux chances des combats ces riches moissons qui mûrissent dans vos champs, cette terre fécondée par vos travaux et vos sueurs ? Je ne le pense pas. Que d'autres que moi osent assumer une telle responsabilité ; plus tard peut-être ne pourrions-nous plus former un royaume de Belgique, si nous laissons échapper l'occasion qui nous est offerte.
En nous constituant, nous rendons, vous le savez, messieurs, le plus éminent service à l'héroïque nation polonaise. Leurs députés ne cessent de nous demander de clore notre révolution, en formant un État libre, et dont le droit d'insurrection soit enfin reconnu, dans l'espérance de faciliter ainsi pour eux la possibilité d'obtenir par la suite un état semblable.
Quelque peine que j'éprouve à ne pas trouver des expressions plus formelles en notre faveur, dans les dix-huit articles qui nous sont présentés par la conférence, j'ose me confier assez dans l'honneur de notre futur souverain pour croire que, par son influence ou sa force, il saura dissiper nos craintes à cet égard.
J'adopterai donc les bases qu'on nous propose ; agir ainsi, religieusement et d'après ma conscience intime, n'est pas, je pense, trahir ni mon mandat ni les intérêts de mes commettants, quoi qu’en ait pu dire un honorable collègue, mais bien offrir tout ce que je puis pour conserver une indépendance, une nationalité, et obtenir enfin un roi qui soit vraiment le nôtre.
L'industriel alors pouvant rouvrir ses ateliers et nourrir ses ouvriers, le laboureur reprendre sa charrue au lieu du fusil de guerre, et fermer enfin sa bourse où nous puisons depuis longtemps sans lui procurer une existence plus heureuse, je ne craindrai pas non plus de les entendre me rappeler que j'ai siégé dans cette enceinte, car j’y aurai fait mon devoir. (M. B., suppl. 9 juill.)
M. Rosseeuw – Dans une circonstance aussi solennelle, où il s'agit du sort et de l'avenir entier de la patrie, c'est plus qu'une convenance, c’est un devoir à mon avis de faire connaître à la nation les motifs du vote que je vais avoir l'honneur d'émettre. Un fait mémorable s'est accompli la quinzième année du règne de Guillaume ; après qu'il eut violé les libertés individuelles et publiques, la Belgique le rejeta à jamais de son sein : lorsqu'une nation prend une détermination aussi énergique, la nécessité seule a pu l’y contraindre, l'intime conscience de ses droits violés l'a fait sortir de l'ornière.
(page 463) Nous sommes à dix mois de cette époque si grande en illustration, et jusqu'à ce jour nous sommes encore à nous débattre avec les négociations, qui, loin d'être à leur fin, se multiplient et se compliquent davantage. En mon particulier, j'ai examiné avec toute l'attention dont je suis capable ces pièces trop connues en Belgique sous le nom protocoles, et d'autres termes préliminaires d'un traité de paix : j'y vois et, lisez-les attentivement, vous y verrez de même une mutilation de notre représentation, un morcellement de notre territoire contraire à l'article premier de notre constitution : attentat à notre indépendance, atteintes à l'honneur national et aux prérogatives royales consacrées à l’article 68 de notre loi fondamentale ; atteintes, messieurs, contre lesquelles nous ne pouvons protester assez hautement, aujourd'hui surtout que l’Europe entière est en travail de son émancipation ; que le principe de non-intervention, il faut le croire, ne sera plus un leurre, une duperie, mais une réalité : dans mon âme et conviction, j'y vois une transgression manifeste des principes d'éternelle justice qui ne permettent pas qu'on s'immisce injustement dans les affaires d'autrui par des vues intéressées, par spéculation.
D’ailleurs, à la vue de ces pièces, en présence des procès-verbaux de la conférence, qu'est-ce donc que le principe de juste et légitime insurrection, qu'est-ce que le droit de se constituer, si la Sainte-Alliance peut nous enlever nos frères du Luxembourg, du Limbourg et de la rive gauche de l’Escaut ? Et, en effet, n'ont-ils pas secoué le joug avec nous ? N'ont-ils pas scellé de leur sang l’indépendance belge ? n'ont-ils pas coopéré à l'érection de l'édifice de notre constitution ?
Nous avons eu le droit de fouler aux pieds les traités, de nous insurger, de nous constituer, et alors nos frères l'ont eu comme nous ; ou bien nos frères sont des rebelles que l'on peut replacer sous le joug qu'ils ont secoué, et alors nous sommes des rebelles aussi bien qu'eux : il n'y a pas de milieu, les abandonner lâchement c'est prononcer notre condamnation.
J’aurais pris à tâche de démontrer plus particulièrement les griefs de l'ultimatum dont s'agit. Je l’aurais discuté article par article, mais au point où se trouve la discussion, je croirais abuser de l’indulgence de l’assemblée, puisque je ne pourrais que reproduire les argumentations de mes honorables collègues, qui l'ont si solidement réprouvé et flétri.
Je n’ai plus qu'un mot à dire, c'est que le moyen de nous sauver aujourd'hui, c'est de sortir du provisoire, ce provisoire qui tend toujours à négocier avec des parties avec lesquelles nous n'avons rien de commencé ; il faut sortir de là à tout prix honorable ; la nation est rendue de lassitude, travaillée de besoin, elle réclame une main forte et énergique qui conduise la révolution à sa fin : ainsi donc cessez de négocier avec la conférence ; vous ne pouvez y voir qu'un piège tendu à votre bonne foi, un piège qui doit inévitablement vous perdre ; notifiez votre dernière volonté à la Hollande, intimez-lui l'ordre d'évacuer vos places fortes, votre territoire, sinon appuyez-vous sur la dernière raison des rois, qui au besoin est aussi celle des peuples.
Souvenez-vous bien que dans une situation aussi critique on ne s'arrête pas, on avance ou on recule ; vous reculez essentiellement si vous continuez à ne regarder dans la conférence qu'une médiation officieuse, vous reculez si vous croyez à sa bonne foi ; par ses temporisations, elle vous mènera à la guerre civile, à l'extinction de tout esprit de liberté et à leur conséquence, la restauration. Enfin c'est prendre le change que de croire qu'alors que la conférence vous propose des préliminaires de paix, elle ne vous intime pas des ordres, et des ordres dont, sans la fermentation européenne, elle eût déjà puni la transgression et le mépris.
Après ces considérations vitales pour nous, vous iriez jeter un voile sur la constitution, vous iriez mendier le sceau de la légitimité à la Sainte-Alliance ; et cela, au prix d'une partie de votre territoire, au prix de votre honneur ! Non, messieurs, non, si vous cherchez là votre légitimité, la consolidation de votre état révolutionnaire, votre prospérité, vous y trouverez la mort ; oui, la mort.
Les actes de la conférence acceptés deviendront un ferment de discorde ; on reconnaîtra dans votre adhésion l'énorme préjudice à notre commerce, nos frontières dégarnies, puisque du côté de l'Escaut une surface d'une vingtaine de lieues ne serait protégée ni par des rivières, ni par des forts ; nos ennemis inonderaient les Flandres à discrétion ; que deviendrait alors le droit de prévention ? Votre adhésion, messieurs, porterait condamnation des principes de la révolution qui, naguère encore, vous faisaient à l'unanimité rejeter une garnison étrangère à Maestricht ; on y reconnaîtrait que vous sacrifiez la révolution de Pologne, en tant qu'elle vous concerne, puisque vous la condamneriez à se soumettre aux interventions avant-coureurs de la mort des libertés.
Ainsi donc, je dois à ma conscience de ne pas souffrir la violation du territoire, dont nous avons (page 464) juré l'intégrité et qui nous est actuellement garantie par l'article 84 de notre charte constitutionnelle, notre plus beau monument ; je me dois de ne pas souffrir le lâche abandon de nos frères, non plus que la révolution belge soit traînée à la remorque de la Sainte-Alliance ; ne nous le dissimulons pas, deux grandes puissances sont en regard, l'absolutisme est en contact avec le pouvoir populaire, le moment me paraît arrivé, il faut que l'un ou l'autre succombe dans la lutte ; la question qui nous agite une fois décidée affirmativement, j'entends qu'il y a lieu d'accepter les dix-huit articles, la révolution est close, la postérité dira comment.
Je voterai pour la question préalable et contre les préliminaires. (C., supp, 9 juill.)
M. l’abbé de Foere – J'avais demandé la parole pour motiver mon vote approbatif des dix-huit articles. Mais après le chef-d'œuvre de raisonnement, d'éloquence et de convenance parlementaire que M. Lebeau vient de nous exposer, il ne me reste plus rien à dire. (M. B., supp. 7 juill.)
M. Davignon – Je ne suis pas partisan de la guerre : j'en redoute le terrible fléau ; je consentirai, pour la détourner de mon pays, à tous les sacrifices qui ne compromettront ni son honneur, ni l'existence matérielle de sa population ; mais, tout en désirant de l'éviter pour le présent, je dois m'abstenir aussi d'en poser les éléments pour l'avenir. N'est-il pas temps qu'il prenne pour nous, pour notre belle patrie, un aspect moins sombre.
Animé de ces sentiments, je donnerai un vote négatif aux préliminaires que deux de nos collègues ont cru ne pas devoir hésiter de présenter à l'acceptation du congrès national ; en déclarant cependant que par là je n'entends pas repousser une nouvelle et dernière négociation qui amènerait sous un court délai un arrangement moins opposé à nos véritables intérêts.
Je n'entreprendrai pas d'argumenter sur les questions lumineusement discutées du Limbourg, du Luxembourg, de la rive gauche de l'Escaut. Il n'y a rien à ajouter à ce qu'en ont dit plusieurs de nos honorables collègues. Je craindrais d'affaiblir l'effet produit, non par des phrases vagues et sonores, mais par la fidèle exposition de faits patents et notoires.
Je me bornerai, messieurs, pour motiver mon vote, à vous présenter fort succinctement quelques considérations générales puisées dans des motifs qui me paraissent avoir échappé à l'attention de plusieurs de nos habiles orateurs, ou qui n'en ont été que bien légèrement effleurés. Et en effet, messieurs, vous ne pouvez avoir l'intention de mettre tellement en oubli ce qui touche aux intérêts matériels, que pour faire croire que, satisfaits sur d'autres points, vous seriez disposés à les laisser au hasard.
Permettez-moi donc, messieurs, d'abandonner la question politique, pour vous dire quelques mots de nos intérêts commerciaux, en tant qu’ils sont compromis par les propositions.
Il me paraît, messieurs, que pour nous lier les mains et nous rendre en tous sens inoffensifs, on voudrait nous placer dans un isolement complet, dans une espèce d'ilotisme, dont la seule idée fait peine, et que l'amour-propre de l'homme qui se respecte, et qui tient à l'honneur de son pays, ne supporte pas.
L'état de resserrement et de perpétuelle neutralité peut être applicable à un peuple ayant peu de besoins, et dont l'agriculture serait l'unique ressource ; mais il ne peut jamais convenir à un pays à la nombreuse population duquel le commerce et l'industrie surtout fournissent le plus généralement les moyens d'existence. Mieux vaudrait, à mon avis, si nous étions réduits à cette extrémité, courir la chance, dont je crois le succès impossible, de l'extinction du nom belge, dont on nous a gratuitement menacés, que de nous constituer volontairement dans l'état de nullité qu’on veut nous imposer, et pour cause.
Est-ce donc bien exister comme nation que de n'avoir le droit ni de la paix, ni de la guerre, ni des alliances ? Et si dans cette situation politique, nous ne pouvons de notre seul mouvement être utiles à personne, si nous ne pouvons faire un pas sans avoir au préalable consulté des tuteurs, qui certes ne seront pas désintéressés, sans avoir obtenu leur adhésion à nos démarches, à quelles faveurs pourrions-nous donc prétendre de la part de ceux de nos voisins dont, par besoin, par sentiment de conservation, nous devons convoiter l'alliance ?
On le sait, messieurs, nous produisons beaucoup au delà de nos besoins ; force est donc d’exporter, et d'exporter beaucoup, si nous ne voulons voir réduite à la plus profonde misère, ou à l’émigration, une grande partie de la classe ouvrière, qui déjà est si souffrante. Cependant, les choses en sont au point maintenant que, de quelque côté que nous nous tournions, nous trouvons nos produits repoussés, soit par des prohibitions absolues, soit par des droits qui en sont presque l'équivalent. Et si, pour sortir de cette pénible position, nous trouvons moyen de faire avec l'un ou l'autre (page 465) Etats qui nous avoisinent, un traité d'alliance et de commerce, basé sur des avantages réciproques, et dont seraient exclus ceux qui n'entreraient pas dans ce système, ne viendrait-on pas en paralyser, en détruire même les effets, sous le prétexte spécieux que nous aurions fait un acte attentatoire à notre état de perpétuelle neutralité ?
Si nous nous adressons à la France, l'Angleterre, d'autres peut-être aussi prétexteront le danger de son influence, useront de leur droit d'y mettre obstacle ; si nous traitons avec la Prusse, avec les États allemands, qui bientôt formeront une confédération commerciale, dans laquelle il sera si intéressant pour nous d'être admis, la France de son côté pourra en prendre ombrage, et viendra de même opposer son veto.
Ce seraient, me direz vous, des prétentions iniques, révoltantes ; telles doivent être pourtant, ce me semble, les conséquences naturelles, les suites projetées peut-être du traité proposé. Que si même on les ne pousse pas jusque-là, on pourra du moins se servir de l'argument de cette neutralité pour entraver la marche trop rapide d'un peuple, qui toujours fit preuve d'une énergie, d’un activité et d'un caractère entreprenant peu communs.
L’industrie belge, qui jadis avait à peine pris rang, a trop fait connaître son importance au gré d’un étroit égoïsme ; peut-être l'exposition de Bruxelles de l'année dernière a-t-elle trop prouvé d'accroissement et de richesse en produits industriels et manufacturiers. Ceux qui toujours se décidèrent aux plus grands sacrifices, plutôt que de supporter une concurrence en fait de commerce ; ceux qui profitant de nos fautes, ont pu exploite à notre exclusion les marchés où auparavant ils nous rencontrèrent, n'ont pu méconnaître combien il serait avantageux pour eux si on pouvait prolonger, si on parvenait à perpétuer notre état actuel de nullité commerciale.
Soyons donc sur nos gardes, soyons défiants, messieurs ; craignons, en donnant les mains à la funeste combinaison que tendent à établir les préliminaires, de faire réaliser ce qu'a laissé échapper, m’assure-t-on, un personnage dont la position élevée en diplomatie ne permet pas de laisser tomber les expressions : qu'avant six mois il n'y aurait plus d'industrie en Belgique !
Messieurs, si tel devait être le résultat de la révolution, j'en appelle à votre patriotisme, et je vous demande ce qu'en dirait le peuple, qui a cru y trouver son bien-être, et qui l'attend encore avec un calme et une longanimité exemplaires.
Il est au-dessus de mes forces d'en faire une définition exacte, et je ne puis concevoir la singulière indépendance d'un petit État forcé à rester neutre, dont les principales communications par rivières ou canaux seraient au pouvoir de ceux qui possèdent trop bien la science de traîner les négociations, qui auraient trop d'intérêt à les éterniser, pour oser risquer d'en faire dépendre l'issue de leur bonne volonté.
Vous le savez mieux que moi, messieurs, le sort du commerce de presque toutes nos provinces y est trop directement intéressé : Anvers, les deux Flandres, le Hainaut même, et plus particulièrement la province de Liége, ainsi que le Limbourg pour toute sa partie entre Maestricht et Venloo.
Je considère comme superflu, inopportun même, d'entrer dans de plus amples détails sous ce rapport. Ce serait vous fatiguer inutilement dans une discussion déjà si prolongée.
J'ai cru, messieurs, devoir vous signaler les dangers, et il y en a bien d'autres encore, d'être constitués en État perpétuellement neutre. Voilà comme j'entends cette combinaison toute nouvelle. Si je me trompe, je suis de bonne foi.
Du reste, messieurs, qu'on ne se fasse pas illusion, c'est beaucoup sans doute que la diminution de la dette ; je m'en réjouis, je m'en félicite pour le pays en général ; mais quelque grand que soit cet avantage, qui déjà était conquis, il ne peut faire sur le commerce et l'industrie l'effet qu'un honorable préopinant veut lui attribuer : il faut autre chose que je signalerai en temps ; il faut surtout que d'autres causes ne viennent pas paralyser leurs opérations. L'histoire de notre existence dans un temps peu éloigné de nous en fait foi.
La générosité doit être le plus loyal apanage de ceux qui sont fort puissants ; ils ne peuvent craindre qu'on la qualifie d'acte de faiblesse. Or, si, comme il a été dit dans plus d'une circonstance par de puissants médiateurs, la Belgique doit être libre, forte et heureuse, qu'on nous prouve donc que ces dispositions sont une vérité, en nous présentant des stipulations franches, sans ambiguïtés ; dépouillées de tous les entortillements diplomatiques.
Nous voulons être libres de nos actions, nous ne réclamons que les limites fixées par les derniers traités pour les deux grandes divisions du ci-devant royaume des Pays-Bas, dont la séparation est un fait consommé.
C'est le vrai, le seul moyen peut-être, d'assurer une manière stable la faveur et l'attachement populaires au prince que le congrès, pour répondre au vœu des puissances, a appelé au trône de cette même Belgique.
(page 466) Dans cet état de choses, je ne puis que dire, messieurs : J'ai aidé à faire la constitution, j'en ai voté l'adoption, j'ai cru faire œuvre durable, et tel était mon mandat. Je ne peux contribuer, dès les premiers moments de l'existence de cet édifice fondamental, je ne peux contribuer, dis-je, à en détacher une seule pierre et à en saper les fondements. J'ai dit. (M. B., supp., 7 juill.)
M. Constantin Rodenbach, M. le baron de Sécus (père) et M. Le Bègue, appelés successivement, renoncent à la parole. (M. B., supp., 7 juill.)
M. le marquis de Rodes – Messieurs, je ne m'étais pas fait inscrire sur la liste des orateurs, parce que ce n'est pas à moi à me lancer dans l'arène ; je viens seulement motiver mon vote, en loyal député.
Le peuple belge a conquis lui-même ses libertés dans les journées de septembre, tant à Bruxelles qu'à Walhem, à Berchem, et successivement dans toutes les villes de la Belgique ; car partout il y a eu quelque sang répandu, pour cette cause glorieuse, et partout il y a eu des victimes à déplorer.
Les mandataires de la nation, réunis en congrès depuis le mois de novembre, ont quitté leurs foyers, leurs familles, leur existence, pour travailler ici sans relâche, à faire la constitution, adaptée aux principes de la révolution.
Le peuple a fait des sacrifices de tout genre, pour aider le gouvernement à organiser toutes les branches de l'administration publique, et créer une armée nouvelle. Et quand tout est fait, qu'il n'y a plus qu'à recueillir les fruits, sous l'égide de la paix, irions-nous, messieurs, risquer de tout perdre, comme cela eut lieu dans la première révolution brabançonne, par le refus, fait d'enthousiasme, de la médiation des puissances, et, moins heureux que nos pères, voir replonger peut-être notre belle patrie dans un abîme de maux ?
Napoléon, en 1813, refusa l'empire français avec les limites du Rhin et de la Meuse, le plus bel empire du monde ; il a tenu à honneur de conserver Hambourg et la Hollande... Moins d'un an après, la France, après vingt combats qui la désolèrent, vit à Paris les Cosaques et les Baskirs ; le plus grand homme des temps modernes avait disparu de la scène du monde, et la France se retrouvait dans les limites de 1790.
Que Venloo ne soit pas pour nous un autre Hambourg avec ses conséquences, et rien ne me conste moins que la perte sans retour de Venloo.
Messieurs, les députés de cette héroïque Pologne, à laquelle nous devons d'exister encore, par la digue qu'elle a opposée au colosse du Nord, ces députés (et j'insiste tout exprès là-dessus) ont fait imprimer, même dans nos journaux, sans crainte d'être désavoués, que la Belgique, plus heureuse que la Pologne, encore entourées de combats à livrer, d'immenses périls qui l'attendent que la Belgique, dis-je, est heureusement pour elle bien près de recueillir les fruits de ses nobles efforts, et de trouver son complément et sa consolidation. La Pologne, messieurs, en est, hélas !, encore bien éloignée ! Mais après avoir acquis pour nous-mêmes notre indépendance, que Léopold, le premier roi des Belges libres et indépendants, pour signaler son existence politique en Europe, se joigne aux gouvernements des deux nations les plus puissantes et les plus éclairées du monde, et de concert avec les rois de France et d'Angleterre, travaille à la pacification de la Pologne, qui, comme nous, sans une médiation de quelques puissances, ne pourrait jamais régler ses limites. Voilà ce qui assurera le triomphe des libertés du monde civilisé, et la Belgique s'acquittera de sa dette envers la Pologne.
Député de la Flandre orientale, j'eusse désiré bien vivement que la Flandre zélandaise fît partie de la Belgique. Je la regrette sincèrement. Il faut se soumettre à l'empire des circonstances ; et la liberté des fleuves, les stipulations pour notre canal de Terneuze, et pour l'écoulement de nos eaux intérieures, garanties par un traité, y suppléeront au moins en partie.
Appelé par les suffrages d'une ville éminemment industrielle, c'est nommer la ville de Gand, je dois dire que le commerce et l'industrie y perdent immensément depuis la révolution belge ; ils ne peuvent se relever que par la paix. Une guerre nouvelle les achèverait, les engloutirait.
Et du peuple, messieurs, dont on parle si souvent, et auquel, avec raison, on prend tant d’intérêt, qu'en dirai-je ? Il faut pour lui surtout la paix et la tranquillité. Et de suite, après l’acceptation de notre souverain, tous les travaux publics en stagnation reprendraient, tant dans nos villes que nos campagnes, sur toutes les routes et canaux. Le crédit et la confiance, rendus à l’industrie, feraient mouvoir des milliers de bras ; l’aisance renaîtrait et ferait place à une profonde misère. Ce que je dis, messieurs, du peuple belge en général, s'adresse particulièrement au peuple de Bruxelles, où la paix ramènerait de suite ces nombreux étrangers qui se plaisent dans cette magnifique résidence.
Je ne dirai plus qu'un mot de ces grandes phrases sonores répétées si souvent à cette tribune, (page 467) et qui s'adressent à l'imagination, aux passions. Souvenez-vous, messieurs, qu'il ya à peine deux ans, qu'un souverain, dans son propre pays, a voulu flétrir l'opposition constitutionnelle qui voulait les libertés du peuple. Guillaume Ier, à Liége, la nomma infâme. Qu'en est-il résulté ? Beaucoup de mes honorables collègues, qui faisaient, comme moi, partie de cette opposition, et dont plusieurs ont, dans ce moment, une opinion diamétralement opposée à la mienne, se glorifièrent du titre d'infâme, comme, dans le XVIe siècle, les confédérés se glorifièrent du titre de gueux, épithète dont on les avait gratifiés devant Marguerite de Parme. Le temps, messieurs, fait justice de ces déclamations, que je ne redoute nullement.
Le peuple belge veut se consolider, il désire voir arriver au plus vite le nouveau souverain qu’il a élu par l'organe de ses mandataires. J'ai entendu dire hier, dans cette enceinte, que la France n'aime pas ce choix. Mais la France doit vouloir notre indépendance et la respecter. Et quand je dis la France, ce n'est pas seulement le ministère, mais le peuple français.
Si les Français sont maîtres chez eux, il faut que les Polonais et les Belges le soient chez eux. Le peuple français a choisi son souverain, les Polonais éliront le leur, et nous, nous avons élu le nôtre. Il foulerait aux pieds ses principes de liberté et son indépendance, s'il attentait à la liberté et à l'indépendance des autres peuples. Mais les nouvelles chambres ! dit-on. Et si elles sont composées, comme il le paraît fondé, de propriétaires et surtout d'industriels, je le demande, peuvent-elles vouloir la guerre, qui serait la ruine de la propriété matérielle de la France ? et encore moins pour consolider la liberté, car elle retomberait sous le despotisme militaire.
Je conclus. J'adopte les préliminaires de paix, parce que je ne veux ni restauration, ni réunion, ni anarchie ; parce que je vote ainsi l'indépendance, la nationalité belge, et sa place dans la grande famille européenne avec l'assentiment de toute l'Europe. Je suis Belge, je veux rester Belge. (M. B., et J. F., supp., 9 juill.)
M. Alexandre Gendebien – Je ne vous rappellerai pas, messieurs, par quelles manœuvres on a amené, il y a cinq semaines, la majorité du congrès à proposer et à consommer l'élection du prince de Saxe-Cobourg : on vous a trompé alors ; on veut encore vous tromper aujourd'hui.
Je vous disais, il y a cinq semaines, que la seule question à discuter était de savoir si vous acceptiez ou si vous rejetiez les protocoles. La marche et l'esprit de la conférence, ses actes et ses communications officielles et officieuses, tout devait être, pour les moins clairvoyants, une démonstration complète de la nécessité de s'expliquer nettement et avec fermeté, sans tergiversations, ni perdre de temps sur l'acceptation ou le rejet des protocoles.
Je vous disais, il y a cinq semaines, qu'à l'expiration du nouveau délai réclamé par le ministère des affaires étrangères, nous n'en serions pas plus avancés ; qu'il faudrait alors en revenir à la question : Subirez-vous, ou ne subirez-vous pas les protocoles.
Eh bien, messieurs, ma prédiction ne s'est malheureusement que trop réalisée ; il suffit, pour s'en convaincre, de lire les dix-huit articles proposés à votre sanction, même seulement les deux premiers.
Les articles sont évidemment inacceptables ; je pense même que le congrès ne peut entrer en délibération sur leur acceptation sans violer ouvertement la constitution, sans se mettre en contradiction avec lui-même, sans méconnaître ses actes les plus solennels, les plus honorables.
L'article premier de la constitution n'est pas seulement constitutif de notre contrat d'union et d'association, mais il est encore déclaratif d'un fait préexistant au congrès, d'un fait qui n'est pas son ouvrage et qu'il n'est pas en son pouvoir de détruire, d'un fait qu'il ne peut modifier sans renier la révolution, dont il a reçu son mandat, sans renier, sans détruire la révolution, dont il n'est que la conséquence.
Les provinces méridionales se sont levées en masse, et, par un mouvement unanime et spontané, elles ont acquis et proclamé leur indépendance, combattant toutes ensemble et l'une pour l'autre ; il s'est établi, entre elles, une confraternité, une solidarité que vous n'aviez pas reçu mandat de détruire, mais que vous avez été au contraire appelés à constater et à cimenter par un contrat d'union désormais indissoluble. Tout puissants pour établir les règles, les droits et devoirs de l'association, vous êtes impuissants pour la détruire. Le mandataire ne peut jamais modifier son mandat, il doit s'y conformer ou y renoncer. Si vous croyez que le salut du peuple que vous représentez exige une modification de votre mandat, adressez-vous à lui, demandez-lui de nouveaux pouvoirs ; mais aussi longtemps que vous n'aurez pas reçu ces nouveaux pouvoirs, vous devez vous abstenir ; tout ce que vous feriez serait frappé de nullité radicale.
L'article 80 de la constitution n'est que la (page 468) conséquence, le corollaire de l'article premier : Le roi ne pourra, dit cet article, prendre possession du trône qu'après avoir juré de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire. C'est une garantie que vous avez jugé nécessaire d'établir pour mieux assurer l'exécution du pacte d'association consacré par l'article premier de la constitution. Vous violez cet article 80, en adoptant les dix-huit articles du nouveau protocole présenté sous la forme de préliminaires de paix ; vous violez votre droit d'élection, où vous avez formellement reproduit l'obligation imposée au roi futur par l'article 80 de la constitution ; vous violez votre décret du 3 juin, par lequel vous avez pris l'engagement constitutionnel et solennel de ne jamais souffrir garnison étrangère à Maestricht. Vous déchirez honteusement votre protestation du 1er février contre le protocole du 20 janvier ; vous déchirez la plus belle page de votre histoire parlementaire. Ah ! messieurs, songez que vous faites de l'histoire, dans ce moment solennel ; réfléchissez-y bien, car vous ne pourrez échapper à la flétrissure d'un jugement que vos contemporains et la postérité porteront avec d'autant plus de sévérité qu'il sera plus facile de le motiver.
En effet, messieurs, il suffira de comparer le protocole flétrissant du 20 janvier aux dix-huit articles du dernier protocole, pour se convaincre qu'il n'y a aucun changement. Tous les journaux, et plus particulièrement l'Émancipation, ont fait cette comparaison ; je m'abstiendrai donc de ce travail. Les deux premiers articles suffisent pour le démontrer, puisqu'ils nous imposent arbitrairement, pour règle de notre séparation, le traité de 1790, comme le faisait le protocole du 20 janvier. Ils nous imposent ce traité pour tout ce qu'il a de favorable à notre ennemi, et ils y dérogent pour le Luxembourg, qui devrait nous appartenir au même titre.
De quel droit, messieurs, la Sainte-Alliance nous imposerait-elle la base d'un traité qui ne concerne que la Hollande et la Belgique ? A moins que nous lui ayons fait abnégation de notre indépendance, de notre libre arbitraire, il faudra bien reconnaître que cette exigence constitue une véritable intervention.
Vous avez, dit-on, le droit de délibérer sur ces dix-huit articles, ils ne vous sont donc pas imposés.
Mais cette délibération n'est qu'un leurre, elle n'est que nominale, puisque vous êtes officiellement avertis que vous ne pouvez les modifier ; vous devez les adopter dans leur ensemble ou les rejeter. Un seul article rejeté ou modifié fait considérer, de plein droit, la proposition tout entière comme non avenue, et vous retombez alors dans le protocole du 20 janvier, dont les dix-huit articles ne sont qu'une copie presque littérale en tous points.
Si vous adoptez les dix-huit articles, ils deviennent de plein droit traité définitif ; et qu'on ne dise pas qu'ils ne sont que des préliminaires qui n'engagent à rien définitivement, car l'article 18 exprime nettement qu'il suffit d'une adoption réciproque pour qu'ils soient convertis en traite définitif. Rapprochant cette disposition du protocole de la même date (26 juin), vous serez convaincus qu'il s'agit aujourd'hui d'adopter ou de rejeter un traité qui vous liera irrévocablement.
Vous ne pouvez adopter ce traité sans violer à la fois les articles 1er et 80 de la constitution, puisqu'en y souscrivant vous reconnaissez que le Luxembourg, la rive gauche de l'Escaut, une grande partie de la province du Limbourg, Maestricht et Venloo, ne vous ont jamais appartenu et n'ont jamais cessé d'appartenir au roi Guillaume, au tyran que ces braves et généreuses populations nous ont si puissamment aidés à chasser de notre territoire. Songez bien, messieurs, qu'en signant ce traité déshonorant qu'on veut vous imposer sans admettre aucune modification, vous proclamez rebelle au roi Guillaume, une population de quatre à cinq cent mille âmes, et vous les livrez par le même acte à sa vengeance... Livrerez-vous de sang-froid à des bourreaux inexorables, des Belges, des frères qui ont combattu pour vous, qui vous ont donné un mandat, non pour les assassiner, mais pour les défendre ? Ah ! messieurs, songez que la révolution s'est faite sans crimes, qu'elle est pure jusqu'à ce jour ; gardez-vous de la terminer par un fratricide !
Abandonner Venloo ! que je consente à une pareille lâcheté ! non, messieurs, plutôt mourir aujourd'hui pour eux, que de déshonorer mon pays et flétrir la révolution, en violant la constitution dans ce qu'elle a de plus sacré, en déchirant vos décrets, qui sont nos plus beaux titres à la reconnaissance de la nation et à l'admiration des peuples.
Songez donc, messieurs, que les braves habitants de Venloo nous ont ouvert leurs portes, qu'ils ont répondu à l'appel du gouvernement provisoire, qu'ils défendent une position militaire importante pour nous et menaçante pour nos ennemis.
C'est moi, messieurs, qui me suis mis en rapport avec eux ; c'est moi qui leur ai donne des instructions pour combiner les moyens de les (page 469) délivrer d'un joug ignoble et en faire des défenseurs de plus pour mon pays : et je consentirais aujourd’hui à payer leur dévouement, leur confiance dans la loyauté belge, par la plus infâme des trahisons ? Ah ! messieurs, plutôt me laisser arracher la vie que de consentir à un lâche fratricide !
Céder Venloo, messieurs ! Ah ! souvenez-vous du concert unanime de réprobation et d'exécration qui a retenti en Angleterre et dans toute l'Europe, contre le gouvernement anglais qui a eu la lâcheté d’abandonner Parga. Abandonner Venloo ! ce conseil est digne du cabinet anglais ; il espère, en nous associant à sa perfidie, nous rendre solidaires du même crime politique, afin d'alléger le fardeau de réprobation qui pèse sur lui pour le lâche abandon de Parga.
Mais, vous ont dit MM. Lebeau et Devaux, l'évacuation de Venloo n'est pas une nécessité et ne sera pas immédiate, les enclaves que nous possédons en Hollande suffiront pour faire un échange.
Où est la preuve que nous possédons des enclaves dans le royaume de Hollande ? depuis huit jours nous la demandons en vain ; le ministère reste muet, et un des commissaires s'est borné à faire une simple énonciation, et encore d'une manière dubitative pour la partie la plus considérable.
Si nous parvenons à établir des preuves, croyez-vous que la Hollande hésite à nous dire : Venez au cœur du royaume prendre possession de vos enclaves ; mais je vous défends de violer mon territoire. Nous pourrons à la vérité retenir aussi les enclaves hollandaises dans le Limbourg ; mais Maestricht n'en est pas moins occupé, mais Venloo n'en devra pas moins être évacué, aux termes de l'article 6 des prétendus préliminaires, puisque « l’évacuation des villes et places doit avoir lieu indépendamment des arrangements relatifs aux échanges : » ce sont les expressions de la conférence. Ainsi dès que vous aurez signé les préliminaires, ils deviennent traité définitif, suivant le protocole du 26 juin ; et à l'instant même, le roi Guillaume a le droit d'exiger l'évacuation de Venloo ; et les cinq puissances auxquelles il s'adressera, conformément à l'article 17, nous forceront d'obéir, soit qu'on traite ou qu'on ne traite pas des échanges ; car, veuillez bien le remarquer, Venloo n'est pas une enclave, il fera partie et sera considéré comme ayant toujours fait partie de la république batave, aussitôt que vous aurez signé les dix-huit articles.
Eh bien, messieurs, à moins que vous ne signiez ces préliminaires avec l'arrière- pensée de ne pas les exécuter, à moins que vous ne dérogiez à la loyauté, à la bonne foi belges, ce que je ne souffrirai jamais, il faudra bien évacuer Venloo aussitôt que la Hollande évacuera la citadelle d'Anvers ; et dût cet abandon n'être que momentané, puissiez-vous avoir l'espoir de le récupérer un jour au moyen d'échanges, ce qui ne se réalisera pas, je ne saurais y consentir ; car vous n'aurez pas moins méconnu la constitution, vos actes les plus solennels, vos devoirs les plus sacrés.
Abandonner Venloo ! non, messieurs, jamais ! le souvenir de Parga m'est un sûr garant que vous n'y consentirez pas plus que moi.
Les questions d'Etat ne doivent pas être traitées avec enthousiasme ; mais avec calme, vous ont dit les ministres Lebeau, Devaux et plusieurs orateurs. L'enthousiasme commence les révolutions, l'homme d'État les achève.
Oui, messieurs, il faut du calme pour clore une révolution ; mais si ce calme doit aller jusqu'aux froids calculs de l'égoïsme, si ce calme pouvait aller jusqu'à conseiller le perfide abandon de nos frères, un fratricide ! oh ! messieurs, plutôt mille fois l'enthousiasme d'une conscience alarmée, d'un cœur ulcéré, d'un esprit irrité ! Pour moi, messieurs, qui n'ai pas la prétention d'être un homme d'État, j'aime mieux, dans cette grave circonstance, ne consulter que mon cœur et ma conscience ; je serai plus sûr de remplir mon mandat que je tiens du peuple, car jamais il ne consentirait, s'il était consulté, au plus lâche des fratricides.
Dans une question toute d'honneur et de conscience, on a trop prodigué les prétentions à la qualité d'homme d'État. Ah ! messieurs, cette discussion m'a convaincu qu'ils sont rares partout. La première qualité de l'homme d'État, surtout en révolution, c'est cette fermeté de caractère, de volonté et de persévérance, cette énergie toujours croissante avec les événements : elles seules peuvent engendrer le calme ; sans elles, le calme n'est plus que timidité, faiblesse, et souvent lâcheté.
Ah ! si vous voulez vous montrer hommes d'Etat, cessez d'intimider le peuple par de paniques terreurs ; craignez qu'un jour il ne réponde mal à l'appel que vous ferez à son énergie que vous aurez imprudemment énervée.
Les ministres nous demandent ce que nous ferons après avoir rejeté les dix-huit articles ; ils nous demandent quel est notre système, et il nous reprochent de n'en présenter aucun, si ce n'est la guerre.
Est-ce bien à nous, messieurs, à proposer un système ? sommes-nous dans la position d'improviser un système à la première interpellation des (page 470) ministres, nous qui ignorons les actes et les relations de la diplomatie ? Vous le savez, messieurs, depuis trois mois, on fait de la diplomatie en Belgique comme on conspire ailleurs. Les ministres, qui étaient si exigeants envers le comité diplomatique alors qu'ils n'étaient que députés, les ministres qui prétendaient avoir connaissance immédiate, même des correspondances purement confidentielles, les ministres qui prétendaient alors que la diplomatie belge devait marcher à découvert, alors même que les négociations n'étaient que commencées, ne nous ont rien communiqué depuis trois mois et se sont refusés à nous faire un rapport sur notre situation diplomatique, malgré les vives interpellations de tous ceux à qui ils demandent aujourd'hui un système complet.
Déjà notre honorable collègue M. Van Meenen vous a proposé une marche toute naturelle ; et pour moi, messieurs, je ne vois aucun inconvénient à laisser les choses dans l'état où elles sont, à négocier directement avec le roi de Hollande, mais à la condition de faire tous les préparatifs pour soutenir par les armes nos négociations et pour conquérir enfin, par une voie honorable, ce que vous n'obtiendrez pas par les voies honteuses et dégradantes qu'on vous propose.
D'ailleurs, pourquoi ne nommerions-nous pas pour un terme de cinq ou dix ans, et même à vie, notre honorable concitoyen M. de Surlet régent de la Belgique. Nous aurions au moins l'avantage de ne pas reconnaître en principe que les territoires qu'on nous conteste ne nous appartiennent pas ! nous ne nous placerions pas dans la nécessité de violer un jour les engagements que vous allez prendre en adoptant les dix-huit articles. La loyauté et la bonne foi belges ne seraient pas compromises ; car, messieurs, veuillez bien en tenir note, vous ne terminerez jamais par des négociations vos questions de limites avec le roi Guillaume ; vous connaissez tous son obstination, son entêtement, vous allez perdre un temps précieux dans des négociations stériles ; vous allez mettre à une épreuve bien dangereuse pour nous tous la patience du peuple.
La guerre, vous dit-on, c'est la destruction d'Anvers, de Maestricht, le ravage de nos champs. Les mêmes hommes qui nous reprochent de parler à vos cœurs plutôt qu'à votre raison, s'efforcent d'effrayer votre imagination par un tableau hideux et sanglant des malheurs de la guerre.
Les réclamations des députés de Maestricht et d'Anvers vous ont-elles arrêtés lorsque vous avez prononcé l'exclusion des Nassau ? Ayez le courage de notifier, ainsi que je l'ai déjà demandé plusieurs fois, de notifier à Chassé qu'à la première bombe lancée sur Anvers, contre le droit de la guerre, vous prenez, au nom de la nation, l'engagement d'user de représailles sur nos ennemis : ils sont plus vulnérables que nous. Annoncez à la garnison de la citadelle d'Anvers que si elle agit contre les lois de la guerre, elle sera passée au fil de l'épée ; certes, messieurs, ce serait agir contre toutes les lois de la guerre, de tirer sur Anvers, à moins que d'Anvers même on tirât sur la citadelle. Il y a dans la garnison de la citadelle des hommes d'honneur qui ne souffriront pas d'aussi barbares infractions au droit de la nation. Ils ne consentiront pas à s'ensevelir sous des ruines, ou à périr honteusement, pour expier un crime affreux dont ils repousseront avec énergie la complicité.
Mais qui, dans cette enceinte, a fait entendre les premiers cris de guerre, il y a plus de trois mois. Ce sont ces mêmes ministres qui, oubliant aujourd'hui qu'ils sont les ministres d'un peuple brave et belliqueux, viennent vous proposer un indigne traité, et pour alternative des terreurs paniques et de lâches appréhensions capables d'énerver le courage de tout autre peuple que celui que nous avons l'honneur de représenter. L'armée, pas plus que les hommes de septembre, ne redoute la guerre ; tous la désirent et la demandent comme le seul moyen de terminer honorablement notre glorieuse révolution ; et vous le savez si bien, vous ministres aujourd'hui tout pacifiques, que pour donner quelque popularité à votre ministère, vous avez, dès votre début, provoqué des applaudissements populaires par des cris de guerre. Vous souvenez-vous avec quel enthousiasme la nation a répondu à votre appel ? C'est alors qu'en hommes d'État vous deviez mesurer la portée de vos provocations à la guerre, alors que nous n'étions pas organisés comme nous avons pu le faire depuis trois mois et demi. Sommes-nous donc dégénérés depuis trois mois, avons-nous perdu des batailles ? Non, messieurs, nous avons achevé notre organisation ; notre armée, notre garde civique et nos nombreux volontaires sont pleins de confiance et d'ardeur.
Quel est donc le motif de ce changement de langage ?
Ah ! messieurs, on ne voulait que gagner du temps pour réaliser enfin une de ces nombreuses combinaisons auxquelles on a successivement cherché à attacher son nom et son existence ; on croit avoir réussi par de timides négociations ; on veut aujourd'hui consommer l'œuvre quand même ; une des conditions du chef-d'œuvre ministériel, c'est la neutralité : partant, plus de cris de guerre, plus de combats ; mais des tableaux effrayants de (page 471) massacres et de dévastations, des paroles timides sur les résultats douteux de la guerre.
J’avais raison de dire, il y a cinq semaines, qu’on vous trompait ; on vous trompe encore aujourd’hui.
- L’heure avancée force l’orateur à interrompre son discours. A la demande de l'assemblée, il remet la continuation de son improvisation à la séance suivante. (M. B., supp., 7 et 9 juill.)
La séance est levée à cinq heures. (P. V.)