(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 354) (Présidence de M. Raikem, premier vice-président)
La séance est ouverte à une heure. (P. V.)
Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
M. Michel, de Bruxelles, demande que le lion de Waterloo soit transporté à Bruxelles. (Hilarité.)
Quinze négociants en vin, à Anvers, présentent des observations sur des lacunes existantes dans l'assiette des cents additionnels de l'impôt sur les vins.
M. Diepenbeeck demande si un milicien qui a un frère en activité de service aux Indes jouit de l'exemption accordée par la loi. (M. B., 1er juill., et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. Nicolas Schwartz, à Diest, demande des lettres de naturalisation. (P. V.)
- Renvoi à la commission des naturalisations. (P. V.)
Il est décidé que le décret sur l'ajournement des assemblées des conseils provinciaux sera discuté demain, après le comité général. (J. B., 1er juill.)
L'ordre du jour appelle la discussion des projets de décret sur le sel et sur les droits d'entrée et de sortie des houilles. (P. V.)
M. Gendebien – Le projet de décret sur le sel, qui est à l'ordre du jour, vient seulement de nous être distribué. Il nous faudra deux ou trois jours pour le débattre. Je demande, pour que nous ne soyons pas obligés d'en scinder la discussion, que l'on s'occupe aujourd'hui du projet de décret sur la houille. (J. B., 1er juill.)
- Cette proposition est adoptée. (P. V.)
La discussion est ouverte sur l'ensemble de ce projet. (M. B., 1er juill.)
M. Picquet rappelle les mesures de représailles que la France a prises contre l'importation de nos produits, depuis l'augmentation de l'impôt sur les houilles françaises à l'entrée. Il espère avec d'autant plus de fondement que la mesure qu'il a proposée engagera la France à les faire cesser, qu'un actionnaire de la société d'Anzin, (page 355) qui fait partie du gouvernement français, est, pour le moment, placé trop haut pour oser ne pas sacrifier son intérêt personnel à celui de sa patrie. Il fait observer ensuite que le charbon de France est de première nécessité pour les fours à briques et à chaux, et qu'enfin il n'entre nullement en concurrence avec le nôtre. (J. B., 1er juill.)
M. Gendebien (père) parle contre l'impôt sur la houille à la sortie. Il expose les avantages que produit l'extraction du charbon de terre en ce qu’il occupe une population nombreuse. (J. B., 1er juill.)
M. le comte de Bocarmé démontre les avantages que la prospérité du commerce de la houille procure à l'agriculture, dans la province si populeuse du Hainaut. Les engrais y sont à meilleur compte depuis que, pour le transport des houilles, on y a construit des routes, des canaux. Le projet d'établir une route en fer entre Charleroy et Mons vient d'être présenté à la chambre de commerce de Mons, et n'attend, pour être exécuté, que la levée des entraves qui s'opposent à l'exportation du charbon en France. Dans l'état actuel des choses, des familles entières de Borains parcourent les environs de Mons pour demander du pain. (J. B., 1er juill.)
M. Duvivier, ministre des finances par interim, sans s'opposer d'une manière formelle au projet, qu'il déclare, du reste, n'avoir pas eu le temps de méditer, présente des observations tendantes à mettre le congrès en garde sur ce qui pourrait être la suite de l'adoption de ce projet. La France pourrait bien profiter de l'avantage qu’il lui présente, sans user de réciprocité à l’égard de la Belgique, c'est-à-dire sans lui accorder à son tour des faveurs que l'initiative de la Belgique semble vouloir provoquer. Sous ce rapport, le ministre pense qu'il aurait été peut-être plus prudent de préparer un traité avec la France. Le ministre essaye de détruire le préjugé qui semble attribuer aux charbons français une propriété que n’auraient pas les charbons belges, et qui les ferait rechercher par les chaufourniers du district de Tournay ; il rappelle les expériences qui ont été faites, et desquelles il est résulté que les charbons belges avaient les mêmes propriétés que les charbons français ; il en tire la conséquence que les chaufourniers de Tournay pourraient fort bien se pourvoir du combustible dans le pays, au lieu d’aller le chercher en France. Toutefois, le ministre s'en rapporte à la sagesse du congrès sur ce premier objet de la proposition.
Quant à la deuxième partie, relative à la suppression du droit de 10 cents, l'orateur fait remarquer que ce droit est très modique, et qu'il est plutôt imposé pour servir de contrôle statistique des charbons exportés, que pour son importance réelle. D'ailleurs, la perception de ce droit provoque, de la part de la douane, une surveillance qui empêche la fraude à l'exportation de certains objets, des chiffons, par exemple, si nécessaires à la prospérité des papeteries indigènes, surveillance qui n'existerait presque plus si l'exportation était affranchie de tout droit. Sous ces rapports différents, le ministre pense qu'il serait sage de maintenir l'impôt ou de le réduire ; mais, dans tous les cas, d'en conserver un, quelque minime qu'il fût. (M. B., 1er juill.)
M. Picquet répond à M. le ministre qu'il ne faut pas douter que la France ne s'empresse de suivre l'exemple de la Belgique, et d'adopter un système de douanes plus libéral. L'orateur croit, comme le préopinant, que les charbons belges ont les mêmes qualités que les charbons français ; mais les charbons indigènes qui pourraient servir aux chaufours de Tournay sont beaucoup plus éloignés que les charbons français, et le transport les rend beaucoup plus chers. Quant au droit de 10 cents, l'orateur fait remarquer que la suppression de ce droit n'empêchera pas la surveillance de la douane, et ne diminuera pas les recettes du trésor, car le trésor perçoit un impôt proportionnel sur l'extraction des houilles, qui deviendra plus considérable à mesure que l'exportation sera plus favorisée. (M. B., 1er juill.)
M. Duvivier, ministre des finances par interim – Vous avez voté le budget des voies et moyens ; si maintenant, sous prétexte que certains impôts sont minimes, vous les diminuez, je ne sais pas comment, à la fin de l'année, nous balancerons les recettes avec les dépenses. (M. B., 1er juill.)
M. Alexandre Gendebien – Le droit de 10 cents est cause que, depuis neuf mois, tous les extracteurs de la Belgique travaillent en perte. On a évalué à deux cent cinquante bateaux, et par conséquent à dix-huit mille tonneaux environ, la houille qui s'exporterait si la suppression de ce droit avait lieu ; or, en comptant chaque tonneau à 3 francs 30 centimes, voilà 59,400 francs, auxquels il faut ajouter d'autres droits ; de manière que le trésor gagne, au lieu de perdre, en facilitant l'introduction des houilles qui nous sont nécessaires. La houille du Hainaut, si même elle pouvait convenir, devrait faire un long trajet par terre pour parvenir aux briqueteries de la Flandre et aux chaufours de Tournay. La chaux sert aussi l'engrais, engrais meilleur que les cendres dont (page 356) on se sert dans le Hainaut. On peut imposer les cendres venant de la Hollande, pour favoriser nos chaux. (J. B., 1er juill.)
M. Alexandre Rodenbach – M. le ministre des finances a dit que le droit de 10 cents rapportait par année 60,000 à 70,000 florins ; je lui demanderai s'il sait à quoi pourra s'élever l'impôt perçu sur les houilles françaises introduites en Belgique. Indépendamment de ce qu'a dit M. Gendebien, et du besoin qu'ont des charbons français les chaufours de Tournay, je dirai que dans la Flandre occidentale on a aussi besoin des charbons de Boussu pour les distilleries. Si on ne pouvait s'en procurer en France, on serait obligé d'aller le chercher à Charleroy, et c'est beaucoup trop loin. (M. B., 1er juill.)
M. Duvivier, ministre des finances par interim – Je ne puis satisfaire à cette demande. La rapidité avec laquelle on a entamé la discussion ne m'a pas permis de réunir les éléments nécessaires. Pour y parvenir, il faudrait écrire dans les provinces où il y a des houillères ; car, comme on sait, nous n'avons aucun document de l'ancienne administration. (J. B., 1er juill.)
M. Van Snick – Ce qui peut rassurer M. Rodenbach sur l'opportunité de la mesure proposée, c'est le silence absolu de toutes les parties du royaume depuis qu'il en a été question pour la première fois. Si la mesure avait dû être préjudiciable au pays, vous auriez vu, de toutes parts, surgir les réclamations des consommateurs et des exploitants. Ils se sont tus, et c'est la meilleure garantie que vous puissiez avoir de la bonté de la proposition (En note de bas de page, on trouve dans l’ouvrage d’E. HUYTTENS le (long) discours que Van Snick se proposait initialement de proposer). (M. B., 1er juill.)
M. Alexandre Rodenbach – (page 357) Je n’ai pas l’habitude de soutenir les ministres, mais je soutiendrai M. le ministre des finances en cette circonstance, car je crois qu’il a raison ; et je pense comme lui que le droit le 10 cents excite la surveillance et empêche la fraude des chiffons (page 358) principalement, dont nos papeteries ont besoin. Il faut donc maintenir l'impôt ; si on le trouve trop fort, je ferai un amendement et je proposerai de le réduire à 5 cents (rumeurs), et même à 2 cents si on veut, car il en faut un. (M. B., 1er juill.)
M. Van Snick – On a déjà fait observer que ce n'est pas contre le taux de la taxe qu'on s'élève, mais contre les difficultés et les lenteurs qu'entraîne la perception. Vous savez que les employés ne restent à leurs bureaux que d'une certaine heure à une autre, de neuf heures du matin à trois ou quatre de l'après-midi, par exemple. Eh bien, si un batelier arrive après cette heure, il est obligé d'attendre douze heures, et peut manquer ainsi le passage de certaines écluses, ce qui le retarde de plus en plus. (M. B., 1er juill.)
M. Alexandre Rodenbach – Je consens à abandonner mon amendement si le ministre me prouve qu'il peut empêcher la fraude sans cette imposition. (M. B., 1er juill.)
M. Duvivier, ministre des finances par interim – Il est incontestable que le droit, quelque minime qu'il soit, facilite la surveillance ; quant aux retards dont a parlé M. Van Snick, je lui ferai observer qu'il se trompe quand il dit que les bureaux ne sont ouverts que de neuf à quatre heures. Un employé qui ne serait à son bureau qu'entre ces deux heures-là manquerait à son devoir, et serait cassé si plainte en était portée. Les bureaux doivent rester ouverts, et ils le sont réellement dans toutes les saisons, à peu près depuis le lever jusqu'au coucher du soleil : de sept heures du matin à sept heures du soir dans ces temps-ci, et plus tôt ou plus tard, selon la longueur des jours. (M. B., 1er juill.)
- La clôture de la discussion générale est prononcée. (M. B., 1er juill.)
L'assemblée adopte les considérants du projet, qui sont ainsi conçus :
« Considérant que pour parvenir à un système de réciprocité plus étendu en matière de douanes entre la Belgique et la France, il importe de réduire dès à présent le droit existant sur l'importation de la houille française en Belgique, au taux de 1 fl. 56 c., (3 fr. 30 c.) par 1,000 kilog., auquel la houille belge peut être introduite en France par les routes, canaux et rivières du département du Nord, et sauf à prendre ultérieurement telle autre disposition que la réduction ou la suppression dudit droit d'entrée en France pourra rendre utile ;
« Considérant que le droit de 10 cents, imposé à la sortie des houilles belges, est nuisible au commerce de la Belgique. » (P. V.)
On passe à l'article premier qui est conçu en ces termes :
« Art. 1er. Par dérogation à la loi du 26 août 1822 réglant le tarif des douanes pour le ci-devant royaume des Pays-Bas, la houille française ne payera à son entrée en Belgique qu’un droit de 1 fl. 56 c. (3 fr. 30 c.) en principal et additionnel par 1,000 liv. (kilog.) »
- Adopté. (A. C.,et P.V.)
« Art. 2. Le droit de 10 cents par 1,000 liv.(kilog.), imposé à la sortie des houilles indigènes, est aboli sur tous les points des frontières belges. »
- Adopté. (A. C.,et P.V.)
On procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du décret ; 137 membres répondent à l'appel : 101 votent pour, 36 contre ; en conséquence le décret est adopté. (P. V.)
Ont voté contre : MM. de Rouillé, Le Bègue, de Roo, Claes ( de Louvain), Thienpont, Goethals-Bisschoff, Mulle, Fransman, Bischoff, Roels, Gustave de Jonghe, Berthels, Marlet, Van der Belen, Isidore Fallon, Claes (d'Anvers) , le chevalier de Theux de Meylandt, le baron d'Huart, Cols, Seron, Henry, Van Innis, Delwarde, Joos, Masbourg, Charles de Brouckere, Olislagers de Sipernau, l'abbé Dehaerne, le comte de Bergeyck, Baugniet, le comte d'Ansembourg, de Robaulx, Raikem, le baron de Woelmont, Destouvelles, Serruys. (M. B., 1er juill.)
M. Duvivier, ministre des finances par intérim, demande que l'assemblée s'occupe de nommer une commission pour réviser la liste des pensions et des soldes d'attente. (M. B., 1er juill.)
(page 359) - Cette proposition est mise aux voix et adoptée. (M. B., 1er juill.)
M. le président – Quel mode l'assemblée veut-elle suivre pour la nomination de cette commission ? (M. B., 1er juill.)
M. Alexandre Gendebien – Il faudrait nommer, pour la former, un membre de chaque province, parce que chacun sera mieux à même connaître et de signaler les abus à réformer. (M. B., 1er juill.)
M. Alexandre Rodenbach – Je m'oppose à ce qu'il en soit ainsi, parce que je crois que ce serait le moyen de conserver les abus, chaque membre de la commission voudrait peut-être favoriser sa province. (Agitation.) (M. B., 1er juill.)
M. de Robaulx – J'appuie l'observation du préopinant, et j'ajoute qu'il ne faut pas s'accoutumer ainsi à fractionner l'assemblée et à présenter sans cesse cette division par provinces. Nous sommes tous ici pour représenter la nation et pour travailler dans l'intérêt général. Il y aurait un grand inconvénient dans la proposition de M. Gendebien, car celui qui serait nommé pour une province, serait en quelque sorte moralement responsable des pensions continuées mal à propos dans sa province. (Assentiment général.) (M. B., 1er juill.)
M. Jottrand – Je demande que la commission soit tirée au sort. (M. B., 1er juill.)
M. Alexandre Gendebien – Le plus mauvais des électeurs, c'est le sort, parce qu'il est aveugle. Il vaut mieux, si on ne veut pas nommer un député par province, que le bureau nomme la commission, ou qu'on désigne un membre par section. (M. B., 1er juill.)
M. Claes (de Louvain) demande si on ne pourrait pas imprimer la liste des pensions. (M. B., 1er juill.)
M. Charles de Brouckere – L'impression ne ferait que retarder le travail de la commission ; il n'y a pas moins de 50,000 pensionnaires (Oh ! oh !) (Note de bas de page : L'honorable membre a fait connaître par le Courrier du 3 juillet qu'il avait commis une erreur en parlant de 50,000 pensionnaires ; il devait dire 10,000 ; M. Charles de Brouckere avait confondu le nombre de pièces et de titres à vérifier avec le nombre de personnes pensionnées). (M. B., 1er juill.)
M. Duvivier, ministre des finances par intérim – Une liste aride ne servirait d'ailleurs de rien, ce sont les titres qu'il faut examiner. Déjà un travail a été fait pour cela qui facilitera beaucoup le travail de la commission. (M. B., 1er juill.)
M. de Robaulx – Messieurs, il y a tel individu qui touche une pension du trésor, qui serait fort fâché de voir son nom imprimé. C'est pour cela que je crois nécessaire l'impression de la liste : à la seule inspection des noms, il en est tels qui pourront exciter la curiosité et qui provoqueront l'examen des titres des pensionnaires : j'appuie l'impression de la liste. (M. B., 1er juill.)
M. Charles de Brouckere – Je ne me suis pas opposé à l'impression de la liste, j'ai dit seulement que l'ordonner serait retarder le travail de la commission. (M. B., 1er juill.)
M. Van Snick – Il y a, nous a-t-on dit, 150,000 pensionnaires. (On rit.) L'orateur se reprend et dit : 50,000 ; ce sont 50,000 procès à juger, et une seule commission aura là du travail pour deux mois au moins. Je demande qu'au lieu d'une commission, on en nomme trois ou plutôt cinq ; elles auront 10,000 pensions à examiner chacune. (M. B., 1er juill.)
M. Alexandre Gendebien – Il vaut mieux, pour plus d'unité dans le travail, nommer une commission assez nombreuse pour qu'elle puisse se diviser en plusieurs sections. (M. B., 1er juill.)
- Plusieurs voix – Quinze membres. (M. B., 1er juill.)
- D'autres voix – Vingt membres. (M. B., 1er juill.)
- L'assemblée décide que la commission sera composée de vingt membres, et que chaque section en nommera deux. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture d'une proposition de plusieurs députés relative au rétablissement du jury.
- L'assemblée en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi à l'examen des sections. (P. V.)
M. le baron Beyts demande que son nom soit ajouté à ceux des signataires de la proposition. (E., 1er juill.)
- La séance est levée à trois heures et demie. (P. V.)