(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 470) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à dix heures et demie (P. V.)
- Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes qui sont renvoyées à la commission des pétitions :
M. Diepenbeeck demande l'intercession du congrès pour le faire rentrer en activité de service.
M. Jobard présente un projet de loi pour charger l'administration des postes du transport de la librairie.
Les commandants, capitaines et officiers de la garde urbaine de la ville de Furnes déclarent sur leur honneur que depuis l'organisation de ladite garde, elle n'a jamais été menacée d'être licenciée ou désarmée.
M. Maus-Casaquy présente un moyen de parer à un emprunt.
M. Louis Glorieux présente un moyen de mettre d'accord le sénat et la chambre élective lorsqu'ils ne s'entendront pas. (Rires.)
M. Van de Moortele demande qu'au cas où le congrès décréterait une chambre aristocratique, il en soit établi une troisième composée de membres du clergé, c'est-à-dire, une chambre théocratique. (Rumeur.)
M. Henri Bosch se présente comme candidat à la chambre des comptes et fait valoir ses titres.
M. Lanfrey fait la même demande ; elle est appuyée par MM. Ferdinand Meeûs, Engler et Mettenius.
M. de Bellemare, capitaine commandant une compagnie de volontaires, demande que le gouvernement fournisse des armes à ses hommes. (P. V.)
M. le président – Messieurs, il est arrivé hier, dans la séance du soir, que plusieurs membres inscrits n'ont pas répondu à l'appel. Je demande que dorénavant, quand la chambre aura décidé une séance du soir, les membres inscrits veuillent bien s'y rendre, sinon je prie l'assemblée d'arrêter qu'ils perdront leur tour de rôle. (Oui ! oui !) (J. F., 17 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII – Messieurs, j'avais renoncé hier à la parole ; les notes que j'avais préparées n'eussent fait que répéter les arguments que vous ont développés avec tant de talent MM. de Celles, Defacqz, de Brouckere et Deleeuw : mais les réflexions que vous a présentées hier soir M. le rapporteur de la section centrale placent la discussion sur un terrain nouveau et ne peuvent passer inaperçues. Jusqu'alors tous les orateurs avaient ou soutenu les deux chambres dans l'intérêt de l'aristocratie, ou bien demandé une chambre unique en haine des privilèges ; c'est plein de ce dernier sentiment que j'aurais appuyé l'établissement d'une seule chambre. L'honorable rapporteur, messieurs, nous a révélé hier soir une arrière-pensée des partisans des deux chambres, et dans cette opinion, je ne vois plus aujourd'hui qu'une tactique contre la grande propriété.
En effet, messieurs, cet honorable orateur vous a dit en propres termes : « Si vous n'avez qu'une chambre, l'aristocratie l'envahira peut-être ; mais si vous en avez deux, ce danger n'est pas à craindre, car lorsqu'un grand propriétaire se présentera aux élections, on lui dira : Ce n'est pas ici votre place, passez votre chemin, allez à la chambre haute. » Rapprochons ces paroles, messieurs, d'une autre opinion émise dans une autre séance (page 471) par le même orateur, qui vous disait, ce qui du reste est hors de doute : « Toute l'influence doit nécessairement appartenir à la chambre élective, le sénat n'est là que pour modérer, pour faire penser les députés de la chambre élective, et si après avoir pensé, la chambre élective persiste dans sa première opinion, on fait une fournée dans le sénat pour le forcer à penser comme la chambre élective. » - Messieurs, il y avait une fois un philosophe, dont le nom m'échappe dans ce moment, qui disait à ses disciples : Lorsque vous vous sentez en colère, gardez-vous de prendre aucun parti, commencez par réciter tout haut l'alphabet grec, cela vous donnera le temps de réfléchir, puis ensuite faites ce que vous voudrez. (Rires.) Votre sénat, messieurs, me fait tout l'effet de cet alphabet grec, et M. Devaux veut réduire les propriétaires à de simples lettres de l'alphabet ; le sénat sera un calmant, un verre d'eau froide administré dans de certains moments à la chambre élective, c'est-à-dire, messieurs, qu'en ayant l'air d'accorder à la grande propriété un privilège, on lui donne en effet un privilège d'exclusion, on éloigne les propriétaires de toute véritable influence dans les affaires, on eu fait de nobles ilotes, des parias à manteaux d'hermine. Ah ! pas tant d'honneurs, messieurs, et un peu plus d'égalité ! Loin de nous l'infâme pensée de réclamer d'injustes, d'odieux privilèges : mais aussi que personne n'essaye de nous expulser du droit commun ! L'aristocratie belge n'a pas mérité qu'on se méfiât d'elle au point de lui donner des chaînes, et surtout des chaînes d'or, plus honteuses, plus pesantes mille fois que des liens de fer pour qui a du sang dans les veines et un cœur d'homme dans la poitrine. (Sensation.)
J'espère, messieurs, que la révélation imprudente pour les partisans de deux chambres qui nous a été faite hier soir engagera les grands propriétaires, qui foisonnent, dit-on, ici, à voter contre un sénat. Quant à moi, je regrette de n'avoir pas deux voix à ma disposition ; je donnerais l'une comme citoyen, et l'autre en qualité de propriétaire, en faveur d'une chambre unique. (Bravo.) (U. B., 17 déc.)
M. le comte de Celles est appelé à la tribune par M. le président. (J. F., 17 déc.)
M. De Lehaye fait observer que la liste des orateurs inscrits n'étant point épuisée, on ne peut appeler le même orateur à parler deux fois sur la même question. (J. F., 17 déc.)
- Sur ces observations, M. le comte de Celles se relire et diffère sa réplique. (J. F., 17 déc.)
M. de Gerlache – Messieurs, je n'ai que deux mots à dire pour motiver mon opinion : je vois que l'assemblée est pressée d'en finir, et la matière semble épuisée. Je me crois cependant obligé de répéter ce que j'ai dit dernièrement dans la délibération préparatoire sur le sénat. Discuter sur l'existence de deux chambres, c'est, en d'autres termes, remettre en question la royauté. Or, a vous avez voulu la royauté, c'est-à-dire, un pouvoir unique, très grand, quoique limité, pour empêcher que quelque ambitieux ne s'emparât de ce pouvoir et ne le rendît illimité. Pouvez-vous maintenant, sans danger pour le trône et pour le peuple même, placer le roi que vous allez élire, en face d'une chambre toute populaire, sans aucun pouvoir intermédiaire ?
Dans tous les pays où le régime constitutionnel a prévalu, l'ascendant populaire est devenu immense, irrésistible. La liberté est sentie, appréciée, voulue par les classes inférieures et moyennes comme par les plus élevées. 1789, 1814 et 1830 sont trois grandes époques de l'histoire moderne, qui prouvent que quand les gouvernements refusent de marcher avec les peuples, les peuples abolissent les gouvernements et marchent sans eux.
Après avoir renversé les institutions les plus absurdes et les plus oppressives, triomphé du gouvernement hollandais, ligué contre nous avec la nation hollandaise ; après avoir écrit dans votre charte que le pouvoir dérive de la nation, ne peut être exercé qu'au profit de la nation, et par des ministres responsables ; après avoir fait tourner au profit du peuple toutes les forces matérielles et intellectuelles de l'État ; après avoir stipulé qu'il se gouvernera lui-même par cette chambre dont il nommera directement les membres ; après vous être assuré une garantie dans l'omnipotence de l'opinion par la presse, et dans la presse par le jury, pouvez-vous craindre encore pour la liberté ? Ah ! j'ose le dire, elle seule pourrait attenter désormais contre elle-même ! Ne trouvez point mauvais qu'après avoir si longtemps combattu pour elle contre le pouvoir, nous plaidions aujourd'hui la cause de la royauté absente en faveur de cette liberté toute-puissante et de la société ! Je veux que le roi que nous élirons soit assez fort pour pouvoir porter honorablement la couronne de la Belgique, assez fort pour n'être point tenté de renverser les bornes raisonnables que nous mettrons à son autorité. Considérez cette grande divergence d'opinions qui s'établit entre les peuples ! Les uns croient avoir rencontré la liberté, mais ils n'ont point trouvé le repos, et ils roulent de révolution en révolution. D'autres vantent, à cause de cela, les douceurs du pouvoir (page 472) absolu, pourvu que le monarque soit juste et paternel ; car, disent-ils, sous ce régime, ils sont à l'abri des tempêtes qui désolent les nations qui aspirent à se gouverner elles-mêmes. Évitons, s'il est possible, l'une et l'autre alternative, car toutes deux ont leurs dangers ; tâchons d'asseoir solidment chez nous la liberté ; mais ne donnons pas au monde de nouveaux motifs de la croire impossible, et de blasphémer une fois de plus contre le plus noble présent que le ciel ait fait à la terre !
Quoi qu'il en soit, quand une révolution est faite, il faut tâcher d'en recueillir les fruits, et tâcher d'en prévenir le retour. Comprimer l'élan populaire est impossible aujourd'hui, car non seulement le peuple est le plus fort, mais il connaît sa force. Et c'est, à mon avis, là ce qui exige de la part du législateur les plus grandes précautions.
Je n'examine point si le peuple est souverain, et dans quel sens cela peut être vrai ou faux ; c'est une question très difficile. Mais il me suffit qu'il soit le plus fort et qu'il puisse avoir tous les caprices d'un véritable souverain, pour que je sois convaincu que l'on doit limiter sa puissance, et que l'on ne peut mettre sans danger ceux qui le représentent et qui doivent partager plus ou moins ses passions, vis-à-vis d'un roi investi par la constitution de toutes les forces organisées de la nation. Il est évident que celui-ci se voyant menacé dans son existence, et ne trouvant pas dans la constitution des armes assez fortes pour se défendre, une lutte terrible s'engagerait entre le roi et le peuple, lutte nécessairement fatale à l'un ou à l'autre, et, dans tous les cas, mortelle à la liberté.
Si nous consultons l'histoire, nous verrons une assemblée composée de l'élite d'une grande nation, entraînée souvent au delà du but par l'excès même de son patriotisme ; nous la verrons, tantôt pleine de sagesse, retranchant par ses décrets des abus déjà proscrits et déracinés par l'opinion ; tantôt, partageant les égarements populaires et préparant la ruine du monarque en le dépouillant des prérogatives les plus inséparables de la royauté ; tantôt nous la verrons voter certaines mesures avec tant d'enthousiasme, de précipitation, que tout à coup rappelée à elle-même, elle était obligée d'annuler immédiatement le décret qu'elle venait de porter. Voilà quelques-uns des inconvénients d'une assemblée unique.
La réunion des pouvoirs en une seule chambre a été justement regardée comme une des fautes les plus préjudiciables à la monarchie et à la nation qu'ait commises l'assemblée constituante. « Quand on discuta dans cette assemblée la question des deux chambres, dit M. de Montgaillard, le vicomte Mathieu de Montmorenci trouva qu'une seconde chambre était absolument inadmissible, à cause des obstacles qu'elle opposerait à la réforme des abus ; car, si les deux chambres ont la même formation, une d'elles devient inutile, puisqu'elle ne serait plus qu'un bureau nécessairement toujours influencé par l'autre. Si leur formation n'est pas la même, et qu'on adopte le projet d'un sénat, il établira l'aristocratie et conduira à l'asservissment du peuple. »
Voici maintenant les réflexions de l'historien sur la résolution de l'assemblée constituante, Ces paroles ne sont point de moi, messieurs, je vous avertis. « La question d'une seule chambre, dit-il, offrait de grands dangers pour le trône, et c'est par cette raison que les ennemis du trône en soutenaient la nécessité. La très grande majorité des députés était d'ailleurs d'une ignorance extrême en matière d'organisation et de pouvoirs politiques : à peine pourrait-on citer cinq ou six députés dont l'opinion fût fixée sur les inconvénients d'une chambre : ces députés étaient Lally-Tollendal, Dupont de Nemours, Mounier, Malouet et Cazalès. Trop peu de membres du tiers savaient qu'en concentrant en eux seuls toute l'autorité des états généraux avec l'autorité royale, ils ouvraient la porte au despotisme de la démocratie, qui, s'il n'est pas le plus durable de tous les despotismes, en est du moins le plus terrible, à cause de l'infinité de ses agents et de la continuelle mobilité de ses caprices... » (Note de bas de page : Histoire de France depuis la fin du règne de Louis XVI) C'est, à ce qu'il me semble, établir la question sur un terrain beaucoup trop étroit ; c'est donner beaucoup trop beau jeu à ses adversaires, que de prétendre que la première chambre doit représenter spécialement les grands propriétaires fonciers, Non ! messieurs, la chambre permanente doit représenter surtout les intérêts moraux et généraux de la nation.
La question pour moi, messieurs, n'est pas de savoir, comme on se l'est demandé, si nous avons une aristocratie, et si nous pouvons reconstruire quelque chose qui ressemble à la pairie anglaise ; mais si nous établirons un corps d'observation qui tempère et contrôle au besoin les passions de la chambre populaire, une sorte de second degré de juridiction devant lequel soit portée la cause nationale. Cette première chambre doit être prise, non dans une classe particulière, mais dans celles qui ont le plus d'intérêt à la conservation de l'ordre existant. Il est faux de dire qu'elle s'opposera (page 473) au perfectionnement de nos institutions, c'est supposer qu'elle voudrait se détruire elle-même. On s'est beaucoup égaré sur le compte de notre ancienne première chambre ; on a prétendu en induire que l'institution était vicieuse et impopulaire ; mais, en vérité, il n'y avait pas de quoi. La seconde chambre elle-même n'était point nationale ; comment la première l'eût-elle été ? Ce malheureux roi corrompait tout ! Il avait composé son sénat d'hommes dont le patriotisme était à peu près d'aussi bon aloi que l'orthodoxie de ceux qu'il avait faits membres de la commission du culte catholique, précisément parce qu'ils insultaient tous les jours à la religion de leurs pères.
Quoi que vous fassiez, il y aura toujours aristocratie et démocratie dans la nation : je n'entends par là, je le déclare, que des inégalités nécessaires dans la société : il y aura toujours des gens ennmis des innovations politiques et voulant garder leur position, et d'autres cherchant à changer la leur ; des espèces de whigs et de torys, partisans, les uns des bonnes vieilles lois du pays, et les autres faisant sonner bien haut les besoins du siècle et la nécessité de marcher avec lui. Eh bien, il s'agit d'organiser cette aristocratie et cette démocratie de la manière la plus naturelle et la plus régulière possible.
La démocratie a sa place marquée dans la chambre populaire ; mais il n'en est pas de même de l'aristocratie, qui s'y trouvera toujours en minorité et mal à l'aise. Si celle-ci triomphait dans l'assemblée populaire, ce serait un malheur, car le peuple devrait chercher ses défenseurs en dehors de cette chambre. C'est de l'opposition et du choc régulier de ces deux forces que doit naître le maintien et l'accroissement progressif des libertés publiques.
Prenons-y garde, messieurs, toute amélioration, pour être durable, doit être lente, sanctionnée par le temps et la contradiction. Ne vous laissez pas séduire par ce qui se passe sous vos yeux. Le gouvernement provisoire a déblayé en quinze jours l'édifice gothique et les ruines dont van Maanen et consorts avaient surchargé notre sol ; et chaque jour notre révolution se retrempe et rprend vigueur en rendant à la nation quelque liberté nouvelle. Mais la digue du pouvoir ne se rompt pas tous les jours ; et tous les jours la liberté ne saurait couler à pleins bords ! Enfin si le sénat résiste obstinément à la chambre populaire, qui doit toujours finir par triompher quand elle a raison, vous pouvez vous ménager dans sa composition même des moyens de le forcer à marcher dans le sens de la nation. Profitons, messieurs, de l'expérience d'autrui. Personne aujourd'hui en France, pas plus qu'en Angleterre, pas plus qu'en Amérique, ne révoque en doute la nécessité d'une première chambre.
Dût-on m'accuser de préjugés ou de pusillanimité, je n'irai point tenter une épreuve périlleuse sur mon pays. La véritable politique, comme la véritable médecine, n'est à mes yeux qu'une science expérimentale et toute d'observation. Je crains les empiriques et leur éloquence passionnée, mais leur métaphysique ne m'en impose point. Je crois bien qu'avec deux chambres notre gouvernement ne sera point parfait ; qu'il y aura entre elles de fréquentes collisions d'intérêts et de passions ; mais rien n'est parfait dans les institutions humaines, et je n'oserais prendre sur moi d'administrer à mon pays un de ces remèdes héroïques qui peuvent donner la mort.
Je déclare fermement que je ne suis pas plus disposé à le livrer à l'anarchie qu'à le vendre à l'étranger !
Je crois qu'une chambre héréditaire, au moins en partie, offrirait plus de garanties de stabilité, plus d'esprit d'indépendance, de sagesse et de conservation qu'un sénat à vie ; mais je ne veux point lutter contre des répugnances trop prononcées quant à présent. Je voterai donc, je le déclare d'avance, non seulement pour un sénat, mais pour un sénat à vie, à la nomination du chef de l'État, et avec faculté d'augmentation. (U. B., 17 déc.)
M. le président – M. David a la parole. (U. B., 17 déc.)
M. David – J'y renonce. (U. B., 17 déc.) (L’ouvrage de E. Huyssens contient en bas de note le discours qu’il se prononçait de prononcer (C))
M. le président – La parole est à M. Leclercq. (U. B., 17 déc.)
M. Leclercq – Messieurs, je voterai pour (page 474) une seule chambre ; je ne me suis point dissimulé, en abordant cette question, combien semblait puissante l’autorité des exemples qui s’élèvent contre l’institution d’un corps unique investi du (page 475) pouvoir législatif ; mais des exemples n'ont de force qu'autant qu'ils sont conformes à la vérité, à la nature des choses, à la raison, qu'autant que les cas auxquels on les applique sont analogues entre eux ; hors de là, ils ne peuvent avoir aucune autorité ; les invoquer, s'y soumettre, c'est abdiquer le plus noble de nos attributs, l'intelligence, sans laquelle la liberté n'est qu'un mot vide de sens ; ils peuvent bien confirmer l'homme dans la conviction qu'il s'est formée que son jugement est vrai ; mais ils ne peuvent être le motif de ce jugment ; la raison et la vérité seules peuvent en être les appuis ; les exemples ne viennent qu'après, et ils doivent être repoussés s'ils sont contraires à la raison et à la vérité ; ces exemples doivent nous engager à bien peser, à bien mûrir nos jugements ; mais ils seraient des préjugés s'ils passaient avant tout. Tel est le principe qui, plus qu'aucun autre, doit dominer toute cette discussion, parce qu'aussi, plus que dans aucune autre discussion, les exemples sont invoqués par les adversaires de l'institution d'un corps unique investi du pouvoir législatif.
Remonter à la nature des pouvoirs constitutifs, de leur souveraineté, à leur division et à leur action réciproque les uns sur les autres, remonter à la source des exemples, qui semblent parler en faveur de deux assemblées législatives, tel est le moyen le plus sûr d'arriver à la démonstration complète que ces exemples ne sont conformes ni à la vérité ni à la raison, et qu'en les invoquant on les applique à des cas qui n'ont entre eux aucune analogie, et qu'enfin un corps unique, investi du pouvoir législatif, satisfait pleinement au but de l'institution du gouvernement politique.
J'abuserais de votre attention si je me livrais à des détails sur la nature et les causes de la division des pouvoirs institués pour assurer l'existence de la société en maintenant l'ordre, en réprimant tout ce qui peut porter atteinte .aux droits de chacun, en repoussant tout ennemi intérieur et extérieur. Vous savez tous que la loi, son exécution par les moyens de force dont l'homme peut disposer, son application à la répression des crimes et aux contestations qui divisent les citoyens, sont les objets qu'embrassent ces pouvoirs : les indiquer, c'est dire assez qu'ils n'ont pu être réunis dans une même main, sans que le despotisme fût à l'instant organisé, sans qu'ils détruisissent l'objet même de leur institution, l'ordre et les droits de tous ; c'est dire assez qu'ils ont dû être divisés, et telle a été la première base de toute bonne constitution politique. Mais cette division de pouvoirs n'en a point séparé ce qui en fait le danger, je veux dire l'homme avec ses passions, ses faiblesses et ses vices, et si pour éviter le malheur du despotisme on se jette de l'extrême de la confusion des pouvoirs dans l'extrême de la division et de l'indépendance absolue, l'on n'aura point évité le mal, le désordre sortira de la division comme il serait sorti de la confusion.
Les hommes investis de ces pouvoirs n'y seront point arrivés sans leurs passions ; ils n'y seront point arrivés sans cette passion, l'une des plus violentes, l'ambition ; par elle ils sont sans cesse agités du désir d'étendre leur autorité, d'en reculer les limites, et ils ne le peuvent sans se faire un instrument de cette autorité, même sans empiéter sur celle dont d'autres ont reçu le dépôt, sans renverser les lois, qui leur tracent la ligne dont il leur est interdit de sortir, sans rencontrer l'autorité rivale, dont le dépositaire s'avance aussi agité du même désir ; ils ne le peuvent enfin sans qu'il s'établisse entre ceux à qui le maintien de l'ordre est remis, une lutte opiniâtre et passionnée, qui doit détruire l'ordre, renverser l'empire des lois, dissoudre le lien social et se terminer par le despotisme ou par l'anarchie.
Tels sont les maux que produit la division absolue des pouvoirs et que tous nos efforts doivent tendre à prévenir. L'ambition et la lutte entre les différents pouvoirs en sont la cause ; nous ne pouvons arrêter l'ambition, les effets seuls peuvent en être atténués ; il ne reste que la lutte à laquelle nous puissions nous attaquer ; et s'il est impossible de la prévenir, parce que la cause en agit toujours et brave tous nos efforts, il est au moins possible de l'affaiblir et de la faire cesser, sans rtomber dans la confusion absolue des pouvoirs.
Déjà le moyen en a été trouvé pour le pouvoir judiciaire dans ces deux principes qui dirigent toute sa marche : l'un, qu'il ne peut agir par lui- même, qu'il ne le peut qu'autant qu'il en est rquis par des tiers qui lui sont étrangers ; l'autre, et qu'il ne peut procéder par voie de règlement, qu'il ne le peut que par voie de décision spéciale à un cas et inapplicable à un autre. Ces deux principes empêchent le pouvoir judiciaire de former et de suivre aucun plan d'envahissement ; ils détruisent ainsi le germe de toute lutte, et ce pouvoir se trouve placé hors de ligne ; il ne reste plus en présence que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; c'est entre eux que la lutte s'engagera toujours infailliblement ; c'est par cette lutte que les institutions politiques périront, si l'un doit rester toujours distinct et indépendant de l'autre, si, après avoir pendant un certain (page 476) temps agi dans sa sphère, l'un ne doit pas finir par ressortir indirectement de l'autre ; si celui-ci ne doit pas en définitive avoir la haute surveillance, la haute main sur tous les intérêts de la nation. Ce moyen nous rapproche, il est vrai, de la confusion absolue des pouvoirs ; mais il est inévitable : le salut de l'État exige impérieusement que la lutte cesse, et elle ne peut cesser que par ce moyen : il est loin d'ail1eurs d'amener les funestes résultats de la confusion absolue des pouvoirs, s'il est confié à un corps législatif convenablement organisé, parce qu'alors il n'est qu'une surveillance indirecte qui, par sa nature, laisse nécessairement agir l'autre pouvoir dans sa sphère avant de le toucher, parce qu'alors il ne peut dégénérer en despotisme ; il doit garantir complètment les droits et les intérêts de tous, et il rend en conséquence tout à fait inutile l'établissement de ce deuxième corps législatif imaginé pour servir de modérateur, et que nous connaissons sous les dénominations de sénat, de chambre des pairs, de chambre haute, de première chambre.
Le corps législatif, composé d'un grand nombre de personnes, se trouve placé dans l'impossibilité de gérer directement les affaires de l'État par lui-même : l'exercice du pouvoir exécutif est essentiellement incompatible avec la constitution d'un pareil corps ; cette impossibilité, cette incompatibilité, qui sont ainsi dans la nature, doivent constamment se faire sentir à tous ses membres ; l'usurpation du pouvoir exécutif doit toujours être loin de leur pensée ; ils peuvent bien chercher à surveiller, à influencer le pouvoir exécutif, mais à s'en emparer, jamais : ils secoueraient les lois de leur propre constitution, et elles sont pour eux une nécessité qu'ils sentiront toujours trop vivment pour chercher à s'y soustraire. Vous en avez eu et vous en avez chaque jour vous-mêmes, messieurs, un exemple. Dès les premiers instants de votre réunion, vous avez reconnu que tous les pouvoirs vous appartenaient, mais vous avez senti en même temps que le pouvoir exécutif ne pouvait rester entre vos mains ; vous avez senti qu'il y srait inactif, qu'il y périrait infailliblement ; et cette loi de la nécessité, à laquelle ni individu ni assemblée ne peuvent se soustraire, vous avez dû la subir ; vous en avez, vous plus puissants qu'aucune assemblée législative, vous investis de la souveraineté, vous en avez délégué une partie ; vous en surveillez l'exercice d'un œil attentif, mais vous vous abstenez d'y toucher ; vous maintenez sévèrement les limites que vous-mêmes vous vous êtes posées, et ce n'est qu'avec une extrême circonspection que vous faites sentir votre surveillance. Voilà ce que vous avez fait, parce qu'il était dans votre nature de le faire ; voilà ce que ferait toute assemblée législative moins puissante que vous, mais formée des mêmes éléments que vous ; voilà ce qui doit nous assurer que la haute main confiée au corps législatif ne se fera sentir au pouvoir exécutif qu'indirectement et après l'avoir laissé librement agir dans la sphère de ses attributions ; voilà ce qui doit toujours éloigner la crainte de voir dégénérer cette haute main en confusion absolue des pouvoirs ; voilà ce qu'on ne devrait pas attendre de cette haute main abandonnée au pouvoir exécutif, car rien, dans la constitution de celui-ci, ne s'oppose à ce qu’il cherche à s'emparer du pouvoir législatif, à ce que de fait il exerce par lui-même ce pouvoir. Vous n'en avez, dans votre histoire, que trop d'exemples ; et, ce qu'il lui est possible de faire, vous êtes certains, messieurs, qu'il le fera l'ambition qui agite tout pouvoir vous en est un sûr garant.
Je puis donc le répéter sans crainte d'être démenti : si la haute main dans l'État, si la surveillance définitive, si toutes les affaires doivent être confiées à l'un des deux pouvoirs, afin d'empêcher qu'une lutte acharnée ne s'établisse entre eux, ou tout au moins afin que cette lutte, une fois engagée, vienne à finir vite et sans déchirments, c'est au corps législatif, qu'il faut abandonner cette haute main, parce que, de sa nature, il laissera nécessairement agir l'autre pouvoir dans sa sphère avant de le toucher ; il n'y aura point confusion absolue des pouvoirs ; il ne pourra même en résulter l'apparence du despotisme qu'engendre toujours cette confusion.
Telle est, messieurs, la conséquence qui dérive de la constitution même du corps législatif ; telle est la conséquence que confirme, je viens de le dire, d'une manière éclatante, votre propre exemple, l'exemple d'une assemblée aussi populaire qu'il en fut jamais, l'exemple d'une assemblée créée dans des temps d'une effervescence aussi vive qu'il en régnera jamais à la naissance d'aucune assemblée législative.
Loin de nous donc toute vaine frayeur d'usurpation, de confusion de pouvoirs, que rien ne doit nous faire redouter ; un corps législatif surveillera, mais n'agira point ; il arrêtera, mais il n'enchaînera point. J'ai ajouté que s'il était convenablment organisé, il garantirait complètement les droits et les intérêts de tous, et il suffit de jeter un coup d'œil sur les éléments constitutifs d'un corps législatif dans l'état actuel de la société, pour en être complètement convaincu, pour voir (page 477) que dans son sein se réuniront et se concilieront naturellement, sans lutte et sans secousse, tous les intérêts divers qui composent et représentent le corps social, pour regarder comme de vraies chimères toutes ces distinctions, toutes ces combinaisons par contre-poids d'aristocratie et de démocratie,qui n'existent plus dans notre nation ni dans notre siècle, dont le véritable caractère est l'égalité, fondée non seulement sur la loi, mais sur ce mouvement continuel que produit une civilisation toujours croissante, et dont les progrès ont pour résultat de confondre toutes les classes de la société, et d'empêcher qu'aucun individu, qu'aucune famille ne soient placés d'une manière stable dans une classe plutôt que dans une autre.
Qu’on y fasse bien attention, messieurs : quand on parle d'une seule chambre législative, il semble, à entendre les partisans du système de deux chambres, qu'on parle d'un corps dans lequel n'entreront en majorité que des hommes appartnant aux classes les moins aisées de la société, dans lequel les grandes fortunes, les amis de ce qu'on appelle les vieux principes, ne seront point ou presque point représentés ; il semble qu'on parle d'un corps dont l'esprit doit le porter à tout détruire, à tout renouveler, à se prendre sans cesse aux principes et aux choses pour satisfaire et ses systèmes et des intérêts particuliers ; mais c’est se faire une étrange idée de notre état social, où ceux des anciens principes, dont l'expérience a démontré la vérité, sont aussi profondément gravés dans le cœur des hommes des classes moins aisées que dans ceux des hommes appartenant aux classes riches, parce que ceux-ci sont plus attachés, en raison de leur fortune et des jouissances dont ils se sont fait une habitude, à des prérogatives nuisibles à des principes vrais et utiles, tandis que ces principes ne peuvent qu'être la règle constante de ces classes moyennes, dont la vie et la prospérité reposent exclusivement sur le travail, l'économie, l'esprit d'ordre et l'obéissance aux lois, toutes choses inséparables de tout ce qu'il peut y avoir de vrai et de salutaire dans le principe que l'expérience du siècle a confirmé et qu'on a transmis. C'est se faire une étrange idée de notre état social, ou plutôt c'est reporter dans notre état social des idées qui appartiennent à un état social tout différent ; c'est supposer qu'aujourd'hui comme autrefois, il existe encore deux sortes d'intérêts distincts et opposés entre eux : cela pouvait être, alors que la propriété immobilière était réellement immobile dans les mains qui la détenaient, alors qu'une ligne profonde séparait la classe riche de la classe travaillante, alors qu'en conséquence ces deux classes se regardaient comme étant d'une nature différente, et cherchaient par cela même à se dominer mutuellement, ce qui devait les placer dans un état d'hostilité continuelle.
Mais aujourd'hui que l'immobilisation des fortunes est détruite, que dorénavant chacun, pour vivre indépendant des autres, devra s'éclairer et travailler ; que la fortune passe sans cesse d'une main à une autre ; qu'il ne doit plus y avoir qu'une seule classe, la classe des travailleurs ; que l'inégalité de fortune ne peut plus désormais être marquée que par le degré d'industrie que chacun a apporté dans la carrière qu'il parcourt, et par l'espace qu'il en a parcouru ; que toute distinction de classes et d'intérêts, et par conséquent toute opposition, toute lutte, tout esprit de domination entre elles, doit disparaître, il faut aussi que ces idées d'aristocratie et de démocratie disparaissent, et avec elles toutes les combinaisons, si l'on veut en déduire, et la crainte de ne point voir la classe riche représentée dans un corps législatif, comme si la différence de fortune séparait encore aujourd'hui les hommes en plusieurs classes, comme si cette différence, par suite des causes qui la. produisent, ne maintient pas au contraire tous les hommes en rapport, en liaison constante, et ne doit pas donner aux plus riches une influence sur les autres, qui les fera choisir en majorité, quand il s'agira de remplir dans l'intérêt général une mission à laquelle les rendront plus propres qu'aucun autre et leur fortune, et les lumières, et l'activité que l'acquisition de cette fortune suppose, et les loisirs dont elle leur permet de disposer, et qui n'appartiennent point à d'autres, beaucoup plus obligés de travailler assidûment, parce qu'ils sont moins avancés dans leur carrière.
Voilà, messieurs, tracé avec toute la brièveté dont l'urgence de nos discussions me fait une loi, le caractère essentiel de notre société, telle que l'ont faite les révolutions politiques et les progrès de la civilisation qui les ont amenées ; c'est de ce caractère de notre société que doivent partir tous les éléments d'une assemblée législative propre à garantir tous les droits et tous les intérêts.
Il n'y a plus, je viens de le dire, qu'une classe aujourd'hui : c'est ce qu'on est convenu d'appeler la classe moyenne ; cette classe embrasse et, par conséquent, représente tous les intérêts, parce que tous sortent d'elle, tous y rentrent, tous sont dominés, réglés par elle : ceux des grandes fortunes, parce qu'elles ne peuvent plus désormais appartenir qu'au travail, parce qu'elles naîtront désormais de la classe moyenne pour s'y perdre ensuite après les partages que la mort amène dans (page 478) les familles ; ceux des petites fortunes, parce qu'après s'être insensiblement formées sous le patronage des travailleurs dont la carrière est plus avancée, elles s'accroissent et prennent bientôt rang dans cette classe, à laquelle, faute d'une autre, s'applique toujours la dénomination inexacte de classe moyenne.
C'est donc de cette classe, la seule qui reste dbout dans la société, la seule qui compose la société, que vous devrez tirer le corps législatif ; c'est à elle que vous devrez remettre le soin de choisir ses membres ; et si vous le faites, si vous rédigez votre loi électorale dans l'esprit de cette classe moyenne, dans le sens des éléments qui constituent aujourd'hui l'ordre social, il est impossible que vous n'ayez pas un corps législatif, représentant véritable des intérêts de la société, non point des intérêts aristocratiques, démocratiques, soit isolés, soit combinés entre eux. Je ne puis trop le répéter, les distinctions sont vaines aujourd'hui : il n'existe plus qu'une sorte d'intérêts, ceux de la science, de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, et ces intérêts, n'en formant qu'un, ne peuvent créer de distinction entre les citoyens, ne peuvent leur créer des intérêts différents, ne peuvent établir entre eux des classes d'opposition, de lutte ; tous les hommes de toutes les familles y sont aptes, parce que tous les hommes de toutes les familles s'y livrent et doivent s'y livrer suivant leurs goûts et leurs talents ; parce que ces intérêts, qui appartiennent aussi à toutes les familles, se soutiennent sans cesse mutuellment, et, par l'appui qu'ils se prêtent, augmentent leur prospérité respective ; parce que tous les hommes de toutes les familles, obligés d'avoir entre eux des relations continuelles, doivent nécessairement sentir combien un tel appui est indispensable, combien ce mélange ne fait d'eux qu'une classe dotée d'un intérêt unique.
Je crois donc en avoir dit assez pour pouvoir établir avec assurance qu'une seule assemblée législative, qui, d'ailleurs, par sa constitution ne peut s'abandonner à la pensée d'usurper le pouvoir exécutif, et ne peut songer à y toucher qu'indirectement et après l'avoir d'abord laissé agir dans la sphère de ses attributions, se trouvera, si la loi électorale est faite dans le véritable esprit qui doit l'animer, se trouvera composée d'éléments tels que les droits, les intérêts de tous sront pleinement garantis ; et si à toutes ces causes de sécurité vous ajoutez la responsabilité ministérielle, qui place toujours la personne du chef de l'État hors de ligne dans les débats qui s'élèvent, le met ainsi à l'abri de toute atteinte, et prévient les secousses funestes aux lois et à la nation ; si vous ajoutez le veto, à l'aide duquel le chef du pouvoir exécutif peut empêcher toute mesure précipitée, le veto, qui toujours est motivé d'avance par les ministres admis à prendre part aux discussions du corps législatif ; si vous ajoutez le droit de dissolution, par lequel la société est appelée à juger la conduite de ses mandataires, et la réélection au bout d'un certain temps assez long pour que les députés puissent remplir leur mandat, et point assez pour qu'ils puissent en abuser ou former, suivre et mettre à fin un plan d'envahissement, il est impossible de concevoir la moindre crainte qu'une assemblée ainsi constituée puisse compromettre le sort d'une nation, qu'elle ne puisse au contraire travailler avec succès à faire faire à sa prospérité des progrès en tous sens, qu'elle ne puisse enfin exercer sur le pouvoir exécutif une surveillance salutaire.
Maintenant, messieurs, je le demande, que peut-il rester à faire à une seconde assemblée ? Rien, absolument rien. L'on a parlé d'éléments aristocratiques et démocratiques à combiner ces éléments n'existent plus, je crois l'avoir prouvé ; un retour sur vous-mêmes et sur la société qui vous environne vous en avait déjà convaincus. L'on a parlé de digue à opposer à un torrent démocratique ; mais ce torrent n'est que dans l'imagination de ceux qui en parlent ; il n’y a plus de torrent démocratique ; il n'y a plus qu'une seule classe permanente dans la société, la classe qui vit d'instruction et de travail, et c'est elle qui composera l'assemblée législative. On a parlé de conserver la bonne vieille tradition, et d'élever une barrière contre l'envahissement des idées nouvelles ; mais ces bonnes vieilles traditions vivent et persévèrent dans la classe laborieuse et intéressée à l'ordre que nous appelons à nommer l'assemblée législative : les vieux préjugés seuls sont repoussés par elle, parce qu'ils sont antipathiques à son existence ; les idées nouvelles n'ont accès chez elle que quand elles doivent l'avoir, c'est-à-dire, quand elles sont conformes à la vérité et à la justice, et alors il faut briser les barrières et non en élever. L'on a parlé enfin de mettre le pouvoir exécutif à l'abri de toute attaque ; mais les attaques ne sont pas à redouter de la part d'une assemblée ainsi composée : aucun plan d'usurpation surtout qui exige des combinaisons et des démarches longues et suivies avec persévérance ne lui est possible, et si quelque erreur se glisse dans son sein, cette erreur sera celle d'une discussion raisonnée et paisible, et l'opinion publiqne, la presse, le veto, la dissolution et (page 479) la réélection périodique suffiront pour la combattre et la détruire.
Je sais bien, messieurs, qu'il est des circonstances extraordinaires et malheureuses, où un vertige semble entraîner la société tout entière, où plus qu'ailleurs il exerce sa fatale influence sur les grandes assemblées ; je sais qu'alors ni veto, ni dissolution, ni réélection, ne peuvent arrêter le mouvement ; la lutte s'engage et tout est entraîné : mais ces circonstances, rares d'ailleurs, et qui deviendront plus rares encore quand les institutions politiques seront en harmonie avec les intérêts de tous, avec les vrais principes de la liberté et de l'organisation sociale, ces circonstances produisent des effets irrésistibles ; il n'est alors ni première chambre pas plus qu'il n'est de veto et de dissolution capable d'y porter remède ; le vertige, l'entraînement, l'enthousiasme, la violence, n'agissent plus seulement sur l'assemblée législative, ils agissent sur la société qui l'a nommée, ou sur le parti qui est parvenu à dominer la société et les élections ; alors l'assemblée législative n'est point seule entraînée à la violence et à la précipitation ; si elle l'était, le veto, la dissolution, la réélection périodique suffiraient pour l'arrêter ; s'ils ne réussissent point, c'est que la société ou le parti qui domine la société sont entraînés aussi, et dès lors il n'y aura point de pouvoir capable d'arrêter le mouvement ; il s'opérera avec une chambre haute, avec un sénat, comme sans chambre haute, comme sans sénat ; la société est là derrière, qui est entraînée et qui pousse tout devant elle. Voilà ce qui arrivera dans les circonstances extraordinaires ; voilà ce que rien ne doit empêcher ; voilà ce qui doit nous faire détourner nos regards de ce point pour ne les attacher que sur les circonstances ordinaires : c'est pour elles que les institutions politiques sont faites, et si elles sont conformes à la nature de l'homme, à ses intérêts moraux et matériels, si elles lui offrent garantie entière pour tous ses droits, de ce jour vous aurez fait, pour prévenir ces circonstances malheureuses, tout ce qu'il est donné de faire pour établir sur des bases solides la liberté, l'ordre, la paix et la prospérité des nations.
Je devrais peut-être m'arrêter ici, messieurs, car prouver qu'il ne pouvait plus désormais y avoir qu'une seule classe dans la société, prouver qu'il ne pouvait plus y avoir qu'une seule espèce d’intérêt, prouver que les distinctions de classes. aristocratiques et démocratiques, que les distinctions d'intérêts aristocratiques et démocratiques étaient de vaines distinctions tirées des souvenirs d'un ordre de choses qui n'est plus, pour les appliquer à un ordre de choses tout différent, et où chacun a successivement, et à mesure qu'il avance dans sa carrière, de ces intérêts qu'on se plaît à appeler aristocratiques et démocratiques, c'était prouver qu'une seule assemblée législative dvait suffire au pays, prouver que cette assemblée convenablement organisée garantissait et tous les droits et tous les intérêts, dans les temps où les hommes ne sont point dominés par les événments et les agitations qu'ils soulèvent dans la société ; c'était démontrer la complète inutilité d'une chambre haute, d'un sénat ; c'était prouver assez pour vous engager à écarter ce rouage inutile, et par cela même nuisible : mais je n'aurais point encore assez fait, si je ne vous montrais combien il est important de l'écarter, en vous montrant tous les dangers qui s'attachent à son existence.
J'ai dit que dans ces circonstances extraordinaires et rares où la violence, la précipitation, l'entraînement s'emparent d'une assemblée, et où le veto non plus que la dissolution et la réélection périodique ne peuvent rien contre elles, parce que la violence, là précipitation, l'entraînement ont pénétré jusqu'à la nation, et que l'assemblée législative n'est que l'organe des passions qui agitent celle-ci ; j'ai dit qu'une chambre haute ne pourrait rien non plus : j'oubliais d'ajouter que sa résistance serait d'autant plus vaine qu'avec le rfus des subsides votés annuellement, la chambre des députés pouvait la briser en un instant ; qu'avec ce droit du refus des subsides, la chambre des députés, indépendamment de ses autres moyens d'action, serait toujours maîtresse de tout faire plier devant elle ; j'en ai conclu avec raison que cette chambre haute, inutile pour empêcher un mal qui serait rare avec une chambre des députés composée des éléments qui doivent y entrer, le serait également pour l'arrêter quand il aurait attaqué la société. Je dois maintenant déclarer que, quand le mal aura paru, l'existence d'une chambre haute ne fera que l'aggraver, et qu'avant qu'il ne paraisse, cette chambre par son existence seule en déposera et en développera nécessairment les germes dans la société.
Elle ne fera qu'aggraver le mal : et en effet, si sa résistance ne peut le détruire parce qu'elle combat une force mille fois plus puissante, elle doit produire les résultats que produit toujours une résistance à une action quelconque, elle doit subir la loi générale qui régit toute chose ; cette loi ne souffre point d'exception : résistez à ce que vous ne pouvez arrêter, et l'action contre laquelle (page 480) vous luttez ne fera qu'augmenter de violence ; elle s'accroîtra, cette violence, à mesure que les obstacles croîtront, et ce qui d'abord n'aurait eu peut-être qu'une marche lente et paisible, ce qui tout au moins aurait fini par s'apaiser, dégénère en une action rapide et entraînant tout dans sa course, comme ces ruisseaux contre lesquels des digues impuissantes ont été élevées se transforment en torrents furieux, qui ravagent les campagnes que leurs eaux auraient fertilisées. Cette loi, messieurs, est commune à la nature morale comme à la nature physique ; là où la résistance est impuissante, gardez-vous de faire résistance : il n'y avait point de passions ou il n'y avait que de faibles passions, et vous les faites naître, vous les excitez, vous les poussez à tous les excès ; il y avait des passions, elles étaient violentes à la vérité, vous les rendez plus violentes encore, vous vous enlevez tout espoir de les adoucir ; là où l'homme pouvait tout, où il ne pensait point à abuser de son pouvoir parce qu'il n'en sentait aucun motif, vous voulez l'arrêter, vous le contraignez à rassembler toutes ses forces pour renverser l'obstacle que vous lui opposez ; il s'abandonne à l'impulsion de ses forces, il s'élance à ce qu'il croit devoir être un combat, il ne mesure point ses coups, il frappe en aveugle, il dépasse le but qu'il s'était proposé, et c'est ainsi qu'une démarche qui, dans son principe, n'aurait été que paisible, est le commencement d'une suite d'excès qui bouleversent la société ; c'est ainsi qu'une démarche qui, dans son principe, étant peut-être précipitée, aurait peut-être dépassé les justes bornes, mais qui insensiblement, et à l'aide de toutes les ressources abondantes pour le retour à l'ordre et aux vrais principes que nous offre l'influence de la presse, de l'instruction et de l'opinion publique, se serait insensiblement modifiée d'elle-même, finit par s'éloigner tellement de ses justes bornes, que tout espoir de retour est perdu, et qu'on se trouve jeté dans une voie où l'homme ne peut plus rien, où il ne peut plus attendre son salut que des événements et de la Providence qui les dirige.
Voilà, messieurs, l'un des grands dangers qui s'attachent à l'existence d'une chambre haute, quelque peu organisée de manière à répondre au but qu'on se propose ; avec une bonne loi électorale, avec une chambre de députés bien organisée, avec des institutions correspondantes aux éléments de notre état social moderne, cette chambre haute est habituellement inutile, parce que habituellement aussi les maux que l'on redoute d'une seule assemblée législative ne sont point à craindre ; et quand ces maux viennent à fondre sur la société, ou quand les symptômes en apparaissent, cette chambre haute, inutile encore pour y porter remède, voudra néanmoins lutter contre les passions qui les alimentent, et par cette lutte elle engendrera le mal même qu'elle redoutait, elle empêchera que ses passions ne parviennent à s'amortir, elle finira par les pousser hors de toutes les bornes, elle finira par tout bouleverser, là où naturellement la tempête se serait apaisée si quelque espoir restait encore de la voir s'apaiser, ou tout au moins elle finirait par multiplier des ravages qui sans cette vaine résistance se fussent arrêtés beaucoup plus tôt.
Mais ce n'est point là le seul danger qui gît dans l'institution d'une chambre haute : cette institution tend à faire renaître ce que les progrès de la civilisation travaillent constamment à détruire ; elle tend à faire renaître l'inégalité, la distinction des classes, l'esprit de corps et tous ses funestes effets. Créez une pareille assemblée, et vous la verrez tôt ou tard animée de ces sentiments par lesquels toute assemblée permanente cherche à se personnifier en se formant à ell-même des intérêts, des vues d'agrandissement et de puissance, des plans qui satisfassent à ces intérêts, à ces vues ; vous la verrez tôt ou tard réaliser ces plans, que les institutions sous l'empire desquelles vit la société doivent proscrire, parce qu'ils sont contraires à la distribution du pouvoir qui en est la base ; vous la verrez tôt ou tard commencer, contre les autres corps politiques, cette lutte dont je vous parlais en commençant ce discours, et dont la durée sera signalée par des désordres dans l'organisation politique, invisibles d'abord, mais qui à la longue et à mesure que se multiplieront les cabales, les ligues entre les autres pouvoirs, les intrigues et les résistances de toute espèce, arriveront à ce point que la société, après avoir vu se déranger incessamment et disparaître enfin l'harmonie qu'elle s'était attachée à établir dans ses institutions, tombera ou dans l'anarchie ou sous le joug du despotisme, ou sous le joug plus dur encore de l'aristocratie, dont aujourd'hui même l'Angleterre nous présente un exemple contre lequel elle s'apprête à protester autrement que par des paroles, et dont elle ne se débarrassera peut-être qu'après avoir souffert les malheurs presque toujours inséparables des révolutions. Voilà cet autre mal qui naît de l'existence d'une chambre haute, et qui, joint à celui dont je vous ai tantôt retracé les tristes suites, me fait repousser de toutes mes forces une semblable institution ; et que sera-ce, messieurs, si à ces (page 481) maux vous ajoutez les inconvénients graves qui naîtront nécessairement de cette variété de systèmes qui semblent devoir présider à l'organisation de cette institution pour atteindre le but proposé, et sur lequel tout annonce que vous dvez en venir à une transaction qui ne répondra plus à rien. Que sera-ce, si vous ajoutez ceux qui naîtront nécessairement de ce système de nomination confiée au roi, avec droit de faire ce qu'on nomme assez plaisamment des fournées, système qui suppose à tort que le roi usera toujours de sa prérogative raisonnablement et suivant les véritables intérêts publics ? Que sera-ce, enfin, si vous ajoutez les maux qui naîtront de cet autre système, dont les éléments sont puisés dans une espèce d'élection populaire ? La nature, les progrès de la civilisation, qu'il faut bien rappeler toujours quand on veut adapter des institutions politiques à une nation, la nature, les progrès de la civilisation détruisent chaque jour davantage tous les vestiges de distinction de classes entre les hommes ; ils sont tout près de disparaître : dorénavant il ne peut plus y avoir que des hommes s'avançant tous dans la même voie, vers le même but, parce que tous devront s'avancer par l'instruction et le travail, et vous voudriez, je ne dirai pas arrêter, car l'entreprise est au-dessus de vos forces, vous voudriez entraver l'oeuvre de la nature et de la civilisation, en reconstruisant ce qu'elles tendent sans cesse à détruire, en divisant sans une nécessité absolue les citoyens en électeurs à tel ou tel cens et en électeurs à tel ou tel autre cens, en divisant les citoyens en sujets dignes d'être élus et en sujets indignes de l'être, en faisant renaître ainsi, autant qu'il peut dépendre de vous, des distinctions, des classifications entre tous les citoyens, en semant parmi eux ces germes de jalousie, qui ne manqueront point de se développer, et de produire dans la société même ce que votre création d'une chambre haute aura produit entre les pouvoirs qui régissent les affaires de la société, je veux dire des sentiments d'opposition, d'intrigue et de lutte, des sentiments contraires à cette union, à cette fraternité et à cette égalité, qui préviennent les luttes et les déchirements, dont le corps social n'a que trop souffert, par les funestes distinctions qu'avait établies et maintenues un ordre de choses qui pour le bonheur de l'humanité a cessé d'être !
Abandonnons donc cette idée d'une institution qui ne peut amener que des maux, sans qu'aucun avantage puisse les compenser ; d'une institution dont la nécessité ne semble évidente que par suite de souvenirs d'une époque qui n'est plus, et qui nous a malheureusement apporté et laissé des exemples que nous croyons devoir suivre encore, quand leur temps est passé. Je l'ai dit en commençant, messieurs, ces exemples nous trompent : je vais finir en les parcourant rapidement. J'ose espérer qu'il suffira de bien les apprécier, pour faire apprécier aussi à leur juste valeur ces arguments qu'on y puise en faveur d'une chambre haute, et qui semblent si puissants, quand ils ne devraient que paraître dénués de tout rapport avec les circonstances qui sont aujourd'hui les conditions de notre existence sociale.
L'on vous a dit que partout où l'on avait établi le gouvernement représentatif, on avait jugé nécessaire de fonder une chambre haute pour arrêter les envahissements de la chambre des députés et prévenir le bouleversement de la société ; que partout au contraire où l'on avait eu la témérité de s'écarter de cette règle, le bouleversement avait été inévitable ; de révolution en révolution, la société avait été s'abîmer dans l'anarchie et dans tous les désordres et tous les maux dont elle est la source. On vous a cité l'Angleterre, les États-Unis, la France d'un côté ; on vous a cité d'un autre côté la France encore, l'Espagne et le Portugal. Mais examinons ces exemples impartialement, sans préjugés, sans prévention, et il est impossible d'en déduire aucune conséquence qui puisse servir à la solution de la question qui nous occupe. Qu'est-ce, en effet, que la chambre haute de l'Angleterre ? quand a-t-elle pris naissance ? quelle idée a présidé à sa création ? Personne a-t-il jamais songé, en l'établissant, à opposer une digue aux envahissements de la chambre des communes ? II faudrait, pour le dire, ignorer complètement l'histoire de la Grande-Bretagne. La chambre haute de l'Angleterre, c'est originairement le véritable parlement anglais : longtemps cette chambre a été seule, elle a pris naissance à une époque où la noblesse était tout et la nation rien, où la noblesse était seule considérée comme la nation ; elle a pris naissance quand il ne pouvait encore y avoir de chambre des communes, parce qu'il n'y avait pas encore de communes, ou que les communes n'étaient comptées pour rien et ne pouvaient encore se faire compter pour quelque chose. L'idée qui a présidé à la création de la chambre haute anglaise était de remettre le soin des intérêts de l'État aux mains de ceux qui seuls formaient l'État, aux mains de ceux qui concentraient en eux seuls tous les intérêts de l'État ; l'idée qui a présidé à la création de la chambre haute était de remettre la surveillance suprême des intérêts publics à cette noblesse, pour laquelle seule il y avait des intérêts ; (page 482) elle était, à l'égard du chef du pouvoir exécutif, ce que serait aujourd'hui une seule chambre, mais ce qu'elle serait avec plus d'ordre, parce qu'il y a plus de lumières et de civilisation dans la société ; parce que tous ces éléments de troubles, de lutte et de dissolution, qui naissaient de la barbarie, de la distinction des classes et de l'oppression des unes par les autres, ont disparu. Ce n'était donc point pour arrêter les envahissements, pour contre-balancer l'influence d'une chambre des communes qui n'existait pas ; ce n'était donc point pour donner à la fois une représentation distincte à des intérêts aristocratiques, qui seuls étaient comptés pour quelque chose, que l'on créait la chambre haute en Angleterre : il n'y a donc aucune conséquence applicable à notre situation politique, à tirer d'un pareil exemple ; je dirai plus, il y aurait à en tirer une conséquence toute contraire : la chambre haute, en effet, a d'abord paru seule quand il n'y avait qu'une seule espèce .d'intérêt à soigner dans la société, l'intérêt de la noblesse ; plus tard, un autre intérêt s'est élevé, mais un intérêt bien distinct, bien tranché, celui du tiers état ; alors a pris naissance une autre chambre ; la classe qui la formait ne pouvait alors se confondre avec l'autre, elle ne le voulait pas, elle avait des intérêts trop distincts à défendre pour qu'elle l'eût voulu, et l'orgueil de cette autre classe elle-même, ses grandes prérogatives à défendre, lui eussent fait repousser aussi toute confusion semblable : voilà la cause des deux chambres anglaises ; mais qu'aujourd'hui la distinction des classes s'évanouisse, qu'avec cette distinction s'évanouisse la distinction des intérêts qu'elle engendre, et alors la distinction des deux chambres doit disparaître aussi. Un autre exemple de l'Angleterre est là qui nous parle alors, et avec plus de force, plus de justesse d'application, que celui sur lequel on a pris le change : l'unique chambre haute, qui existait seule alors qu'il existait une seule classe dans la société, l'unique chambre haute renaît ; ce sera notre chambre des députés, notre congrès national, mais sans les maux inséparables d'une chambre nommée à vie, héréditaire, et qui, par cela même, doit rester ou devenir despotique, parce qu'elle peut concevoir et suivre sans interruption un plan d'envahissement.
L'exemple moderne de l'Angleterre ne peut donc séduire personne, et dès lors nous arrivons bien vite à renverser celui que l'on pense invoquer avec tant d'avantages, des États-Unis et de la France : qui ne s'aperçoit, en effet, de ce que valent ces deux derniers exemples, quand on remonte à leur origine ? Qui ne sait que les Anglo-Américains, en s'établissant dans leur nouvelle patrie, y apportèrent les traditions de la métropole ? Qui ne sait que, quand ils jugèrent nécessaire d'établir des gouvernements parmi eux, ces traditions durent se faire sentir leur influence ; que ces gouvernements naquirent des chartes que la métropole elle-même leur concéda ; que ces chartes durent nécessairement se calquer sur ce qui existait dans la métropole, et qu'ainsi deux chambres durent s'établir, comme il arriva réellement, non point parce qu'on craignit les usurpations d'une seule chambre et les révolutions qui en naîtraient, mais parce qu'il y avait deux chambres en Angleterre, parce que les Américains continuèrent longtemps encore à se glorifier du nom d'Anglais, des privilèges politiques attachés à ce nom, parce que de cet attachement à la mère patrie, de ce souvenir qu'ils en conservaient avec tant de soin, de ces privilèges du nom anglais, durent naturellement sortir des institutions analogues à celles de l'Angleterre ? Ces institutions, les Américains y étaient attachés ; quand ils firent leur révolution et proclamèrent leur indépendance, elles avaient servi à nourrir en eux ces sentiments de liberté qui les sauvèrent au jour du péril, et ils les changèrent le moins possible quand ils les approprièrent à leur nouvelle existence nationale. De quel exemple l'érection de deux chambres, en ce pays, peut-elle donc être pour nous ? Elles existent, non par des combinaisons de contre-poids et de balance de pouvoirs rationnellement établies, mais parce que les souvnirs de l'ancienne patrie et les événements leur ont donné l'être.
Parlerai-je maintenant de la France ? Pour elle, l'explication est plus simple encore que pour les deux peuples que je viens de citer. A la naissance de sa grande révolution en 1788, c'était l'Angleterre fût sans cesse on proposait pour modèle ; c'était cette balance illusoire des pouvoirs qu'on croyait apercevoir chez la nation anglaise, qu'on invoquait comme le chef-d'œuvre de la science politique et le gardien des libertés. Des .hommes très éclairés voulurent en faire l'essai sur la France, ils croyaient en cela faire acte de patriotisme et d'amour de liberté ; d'autres, au contraire, et qui l'emportèrent sur les premiers, crurent cette division du corps législatif en deux branches destructive de la liberté même, fondée sur de fausses observations. Leur système prévalut, malgré les ministres prédictions dont leurs adversaires ne se faisaient faute ; et plus tard, quand la société se fut dissoute au milieu des convulsions d'un bouleversement général, quand enfin on parvint à faire renaître quelque apparence d'ordre, on crut (page 483) ne pouvoir mieux agir que d'éviter ce qu'on attribuait aux fautes passées, ce que beaucoup surtout attribuaient à ce qu'ils appelaient l'ancienne faute de n'avoir établi qu'une chambre, et l'on chercha à éviter d'y retomber en en créant deux : telle est l'origine de ce système qui, une fois établi en France, s'y est perpétué jusqu'aujourd'hui, parce qu'il n'a jamais été remis en question. Cette origine, nous la devons à de vieilles appréhensions, dont les plus âgés d'entre nous se souviennent encore, et dont les plus jeunes ont maintes fois été témoins ; elle ne prouve donc rien en faveur de l'exemple que nous offre la France, à moins que ces appréhensions ne soient fondées, et c'est ce qui forme ce dernier argument qu'on puise en faveur d'une chambre haute dans tous les malheurs de la révolution française, et que l'on fortifie de l'exemple de l'Espagne et du Portugal.
Il n'y avait qu'une chambre législative en France aux premiers jours de sa révolution, et cette chambre a été impuissante pour arrêter le torrent qui a emporté le roi et plongé la nation dans l'anarchie ; elle a même marché en tête de ce torrent, elle a paru en diriger la marche, et ouvrir la première voie qu'il devait parcourir. Il n'y avait aussi qu'une chambre législative en Espagne et en Portugal, et les événements dont ces deux pays ont été le théâtre n'ont eu que trop d'analogie avec ceux de la France, du moins en ce qui regarde les attributions du pouvoir exécutif. Voilà les exemples dont on épouvante ceux qui n'ont jamais observé bien attentivement la nature des choses, qui ne s'en sont point formé une idée nette, et que la erreur que tant de maux inspirent doit faire reculer devant le système d'une seule chambre avec cet effroi et cette horreur qui ôtent toute l'impartialité nécessaire pour apprécier ce système, pour écouter sans prévention ceux qui le soutiennent avec conscience et bonne foi. Mais qu'on veuille pénétrer dans la raison des choses, qu'on veuille examiner l'état de la société lorsque cette chambre unique a été créée, et l'on sentira bientôt que rien aujourd'hui n'est comparable à cet état, et que les maux qu'alors on a soufferts ne sont point les maux de l'établissement d'une seule chambre, mais sont les maux du renouvellment complet de la société.
Un ancien ordre de choses devait céder, la place à un nouveau : mille intérêts, mille passions soutenaient le premier ; mille intérêts plus importants, mille passions plus violentes soutenaient le second ; aucun arrangement amiable n'avait été conclu entre eux ; aucun n'était possible ; la force des intérêts nouveaux l’avait emporté. Les anciens avaient dû plier, mais ne se tenaient point pour battus ; autour du chef du pouvoir exécutif se ralliaient ces anciens intérêts ; il en était le drapeau, le représentant ; autour du pouvoir législatif, au contraire, se ralliaient les intérêts nouveaux. La lutte dut s'engager : elle dut être terrible, parce que les passions qui la soutenaient étaient aussi violentes que les intérêts étaient puissants ; parce que, d'une part, étaient rangés, animés de toute la colère qu'inspirent l'orgueil rabaissé et la spoliation dont ils se croyaient victimes, ceux qui pensaient tout perdre, ceux qui devaient désormais obéir là où ils avaient commandé ; parce que, d'autre part, marchaient ceux qui composaient toute la société nouvelle, et qui avaient d'abord à venger les humiliations et l'oppression de plusieurs siècles, puis à fonder pour l'avenir une liberté et des droits qu'on leur avait trop longtemps ravis. Dans un tel conflit, je le demande, que peuvent des institutions politiques ? qu'aurait pu une chambre haute ? C'était alors vraiment le temps de la violence, de l'entraînement, de l'enthousiasme, de la précipitation ; tout cela était dans la nation, et la nation poussait ses députés ; ceux-ci marchaient avec elle ; ils avaient toute sa force ; une chambre haute, quelque puissante qu'elle eût été, n'eût point manqué d'être emportée par le torrent, elle l'eût peut-être rendu plus furieux encore par sa résistance. Qu'on ne vienne donc plus nous parler de ces exemples d'une seule chambre en France, en Espagne et en Portugal ; ils ne peuvent que nous être étrangers : il n'y a plus aujourd'hui rien de pareil parmi nous ; il n'y a plus de distinction de classes ; il n'y a plus de privilèges à détruire, il n'y a plus d'humiliations, d'oppression à venger ; il n'y a plus de droits nouveaux à conquérir ; il n'y a plus de société à renouveler ; tout est fait à cet égard ; les luttes intérieures ont cessé ; les droits, les principes dont ils émanent sont reconnus ; nous n'avons plus à nous occuper que de la forme de nos institutions politiques, et ces exemples, dont les dangers naissaient d'un ordre de choses, de passions, qui ne sont plus, doivent être repoussés loin de nous ; ils ne feraient que nous jeter dans des erreurs funestes.
Je finis, messieurs : j'ai peut-être été bien long, j'ai peut-être fatigué votre patience ; mais tout m'annonçait tellement que je parlais avec une minorité, qu'on croit avoir condamnée en lui appliquant ce nom de novatrice si malsonnant pour certaines oreilles, que j'ai cru devoir à mes concitoyens exposer ici avec quelque détail les raisons de mon vote contre l'institution de deux (page 484) chambres. Ce motif, qui m'a fait élever la voix, vous saurez le comprendre, et il me conciliera, j'ose l'espérer, tout ce que vous avez d'indulgence. (U. B., 17 déc.)
M. Henri de Brouckere – Ce n'est pas sans avoir longtemps hésité que je me suis décidé à me prononcer pour l'institution d'un sénat, et je voudrais non seulement, d'accord avec la section centrale, que ce sénat fût laissé à la nomination du chef de l'État, mais même que le nombre de ses membres ne fût point limité.
Un orateur qui m'a précédé s'est servi, contre le système de non-limitation, de l'arme du ridicule qu'il manie si bien. Je conviens que le mot de fournées, que l'on est en quelque sorte convenu d'employer dans le langage parlementaire, n'a rien de bien noble, de bien relevé ; mais si l'expression prête au ridicule, je n'en reste pas moins persuadé que la chose en elle-même est bonne, et qu'elle produit de grands avantages.
En effet, si, comme je le désire, on accorde au sénat une part du pouvoir législatif, ne pourrait-il pas arriver, dans des circonstances données, que la majorité du sénat s'opposât obstinément au vœu bien prononcé de la chambre élective ? et alors, si vous n'admettez point les fournées, quel moyen établirez-vous pour empêcher cette majorité d'opposer à la chambre une barrière insurmontable ?
On vous a fait voir les inconvénients d'un sénat qui n'aurait qu'un veto suspensif des lois : il faut nécessairement, me semble-t-il, admettre les fournées, et remarquez bien, messieurs, que quoi qu'on en ait dit, il y a à cet égard peu d'abus à rdouter, parce que les abus doivent immanquablment tourner contre le chef de l'État, et que de nos jours nous avons eu l'exemple d'un abus de cette nature, qui a eu le plus fatal résultat pour ceux qui y avaient eu recours.
Les fournées seront ordinairement, seront presque toujours populaires ; elles seront dans l'intérêt de la nation. Il y aura honneur et non humiliation à en faire partie, et s'il y avait humiliation, messieurs, je ne crains pas de le dire, elles ne se recruteraient pas facilement dans l'aristocratie belge.
Je ne reviendrai pas longuement, messieurs, sur l'utilité d'un sénat ; assez d'orateurs vous l'ont démontrée ; quant aux dangers de cette institution, il en est quelques-uns peut-être, et quelle est l'institution qui n'offre aucun inconvénient ? mais ces dangers ne sont pas tels qu'on a voulu les faire craindre.
Le sénat ne représentera point une spécialité ; les membrés devront, à la vérité, en être choisis dans une certaine classe ; mais le corps, intéressé avant tout au bien de la chose publique, représentera, défendra au besoin la nation entière, et non cette classe uniquement. La publicité de ses séances et de ses votes sera une garantie de son patriotisme.
En créant le sénat, nous n'établirons pas plus de privilèges qu'en exigeant telles ou telles conditions pour être appelés à telle ou telle place, qu'en fixant un cens pour pouvoir faire partie des électeurs. Ainsi vous n'aurez point oublie qu'un de nos plus redoutables contradicteurs a reconnu lui-même la grande utilité de consacrer l'obligation de choisir un certain nombre de représentants uniquement parmi les grands propriétaires ; seulement il eût voulu qu'ils siégeassent dans la même chambre que les députés, de la part de qui aucun cens n'est exigé. Assurément, messieurs, on ne soupçonnera point cet honorable membre d'être ami des privilèges.
On attaque l'institution d'une chambre haute, parce que, dit-on, les chambres hautes n'ont point empêché une foule d'événements qu'elles auraient pu prévenir. Je sais qu'elles n'ont pas toujours fait le bien qui était en leur pouvoir ; mais qui peut calculer le mal que leur présence seule a empêché ? L'on convient même que la pairie française n'a rejeté la loi sur le droit d'aînesse que parce que son acceptation eût entraîné une révolution ; ainsi donc la pairie française a prévenu une révolution qui eût éclaté sans elle.
L'argument que l'on veut tirer du calme, de la modération, du peu de précipitation que le congrès apporte dans ses délibérations, frappe entièrement à faux. Quand donc avons-nous pu nous montrer injustes, passionnés, violents, impétueux ? Avons-nous rencontré un pouvoir rival que nous dussions arrêter ou combattre ? Non, personne ne nous a contrariés ; mais vous avez pu juger quelle serait notre conduite, si l'on cherchait le moins du monde à empiéter sur nos prérogatives, par la susceptibilité que plusieurs membres ont montrée, lorsqu'à une de nos dernières séances le gouvernement provisoire avait cru pouvoir user d'un droit, peu important selon moi, et que l'on s'est empressé de lui contester.
J'ai entendu avec étonnement un des orateurs qui se sont le plus fortement élevés contre le sénat, vouloir faire résulter la supériorité de son système de ce que ses partisans sont unis et que la vérité est une, tandis que nous, qui voulons le sénat, nous sommes loin d'être d'accord. Mais, messieurs, quand plusieurs personnes sont décidées à refuser une chose quelconque, ne serait-il pas (page 485) fort extraordinaire de les voir discuter entre elles comment elles ne la veulent pas ? tandis qu'il est fort simple que ceux qui la veulent ne s'entendent pas tout à fait sur la manière dont ils désirent qu'elle soit établie, sans que pour cela on puisse en conclure que l'opinion de chacun d'eux ne vaille pas mieux que celle de ces opposants si unis entre eux.
Au reste, quoiqu'il soit certain qu'une forte majorité désire le sénat, il ne serait pas impossible qu'elle subît la loi de la minorité par suite de la divergence d'opinions qui règne dans nos rangs, et je pense que ceux qui sont convaincus que l'établissement d'une chambre haute est nécessaire devraient, dans l'intérêt de la chose publique, faire quelques concessions en faveur d'un système qui n'est pas complètement le leur. Pour moi, messieurs, quoique j'eusse désiré que le nombre des sénateurs ne fût nullement limité, et qu'il l'est, largement à la vérité, dans les conclusions de la section centrale, je me propose d'émettre un vote favorable à ces conclusions. (U. B., .17 déc.)
M. le président – M. Van de Weyer a la parole pour une communication diplomatique. (U. B.. 17 déc.)
M. Van de Weyer, président du comité diplomatique – Messieurs, je suis heureux de pouvoir communiquer au congrès un extrait du protocole de Londres, qui nous est arrivé le 14 décembre, et que j'eus l'honneur d'annoncer à la séance d'hier au soir. Comme il le fait aujourd'hui, toutes les fois que le comité diplomatique aura terminé les négociations sur un point quelconque de contestation, il s'empressera de communiquer les pièces au congrès dans les vingt-quatre heures. Par là vous verrez que la franchise et la loyauté qu'il a annoncé devoir présider à ses relations avec la nation, ne sont pas pour lui de vains mots. Si nous ne vous communiquons pas aujourd'hui même le protocole du 17 novembre, c'est qu'il existe encore un point sur lequel nous n'avons pu obtenir de conclusion définitive. J'espère cependant que bientôt tout sera terminé ; alors, comme je viens de le dire, nous ne différrons pas un instant à mettre sous vos yeux toutes les pièces de cette longue négociation.
Vous savez, messieurs, les difficultés qui s'étaient élevées sur l'exécution du blocus. Il avait semblé à votre comité diplomatique qu'il n'y avait pas deux manières d'entendre les termes du traité ; en conséquence, il avait reçu de la part de la Belgique une franche exécution. Mais cette exécution était fort incomplète de la part de la Hollande : tandis que nous avions considéré la levée du blocus comme livrant à la Belgique la libre navigation des fleuves et rivières, la Hollande ne l'avait entendue dans un sens ni aussi large ni aussi complet. Vous savez que nous adressâmes des réclamations aux plénipotentiaires des cinq grandes puissances, et que, lorsqu'ils nous eurent témoigné le besoin d'en référer à la conférence de Londres, nous ne craignîmes pas d'affirmer que la conférence de Londres n'entendrait pas l'armistice autrement que nous. Le congrès va être assuré que nous ne nous étions pas trompés. Voici la réponse que nous avons reçue hier :
« Lord Ponsonby et M. Bresson ont l'honneur d'informer M. le président et MM. les membres du comité des relations extérieures que Leurs Excellences les plénipotentiaires des cinq cours, dans une conférence tenue au Foreign Office, le 10 décembre, ont reçu du plénipotentiaire de S. M. le roi des Pays-Bas des explications relatives aux empêchements qui entravent encore la navigation de l'Escaut.
« Il en est résulté que, si S. M. avait hésité à révoquer les mesures de précaution adoptées le 20 octobre, en tant qu'elles affectent la navigation de l'Escaut, c'était surtout dans l'hypothèse du renouvellement possible des hostilités.
« Leurs Excellences ont pensé que, sous ce rapport, le sens des stipulations convenues entre les plénipotentiaires des cinq cours n'a pas entièrement été saisi ; - qu'il doit être entendu que la cessation des hostilités est placée sous la garantie immédiate des cinq cours, et que les renouveler serait en opposition ouverte avec les intentions salutaires qui ont dicté les démarches faites par les cinq puissances pour arrêter l'effusion du sang.
« Leurs Excellences ont en conséquence engagé S. M. le roi des. Pays-Bas à révoquer le plus tôt possible les mesures de précaution qui entravent encore pour le moment la navigation de l'Escaut, et à compléter ainsi la levée du blocus, telle que les plénipotentiaires l'ont comprise dès le principe ; et il n'y a pas lieu de douter que cette invitation ne soit suivie d'un plein effet.
» Leurs Excellences, prenant en considération la note verbale du 5 décembre 1830, ont décidé en outre que la conférence ferait (page 486) les démarches nécessaires, près du gouvernement de S. M. le roi des Pays-Bas, pour que les bâtiments de commerce belges ne fussent pas molestés par les vaisseaux de guerre de S. M.
« Quant à la question du pavillon, il a été convenu qu'elle ferait l'objet d'une discussion ultérieure.
« Lord Ponsonby et M. Bresson, en communiquant à M. le président et à MM. les membres du comité diplomatique cette information, qui leur semble dissiper tous les doutes et écarter toutes les difficultés, espèrent que la conclusion si désirable des négociations ne pourra plus souffrir de retard, et ils les prient d'agréer l'assurance de leur haute considération. » (Note de bas de page : Cette note n’a été publiée qu’au mois de mars 1831, à l’appui du rapport du ministre des affaires étrangères, M. Van de Weyer, à M. le régent de la Belgique sur la situation de nos relations extérieures. M. Van de Weyer avait d’abord consenti à la publication de cette note, crut ensuite devoir se borner à la reproduire dans un rapport au congrès ; il fit suspendre l'impression de la note même, et dans la séance du lendemain, 16 décembre, après s’en être expliqué à l’assemblée, il donna lecture de son rapport. Nous empruntons à l’Union belge le compte-rendu de la séance ; seulement, au lieu de la note, on lit entre parenthèses : (Nous ne pouvons donner le texte de la note ; on en verra la raison dans le compte-rendu de la séance de demain.)
Vous voyez, messieurs, que la conférence de Londres a décidé absolument comme nous ; vous voyez aussi que si, de la part de la Belgique, la suspension d'armes fut pleine et entière, c'est que nous tenions à cœur de laisser tout à fait le bon droit de notre côté, afin de prouver que, tels nous fûmes dans l'histoire, tels nous voulons rester aujourd'hui. Nous avons senti que la loyauté et la bonne foi devaient présider à nos relations avec les nations voisines et avec l'Europe ; et parce que la Hollande n'avait pas mis dans l'exécution des traités la franchise que nous étions en droit d'exiger d'elle, nous n'avons pas cru que ce fût pour nous une raison d'imiter sa mauvaise foi. C'était, au reste, nous placer dans une position trop favorable aux yeux des plénipotentiaires des cinq grandes puissances, pour négliger cet avantage : vous voyez leur réponse ; je crois pouvoir assurer que le résultat en sera la conclusion prochaine et définitive de l'armistice ; par là toutes les hostilités cesseront. Nous avons cru, messieurs, que dans l'intérêt du commerce et de l'industrie il fallait empêcher une plus grande effusion du sang humain ; nous n'avons pas lieu de nous en repentir. La question n'eût pas été résolue plus favorablement, quand nous aurions fait quelques pas de plus sur le territoire hollandais : c'est dans l'intérêt bien entendu de tous que nous nous sommes efforcés de calmer et l'ardeur des volontaires, et l'ardeur de beaucoup d'autres personnes qui n'avaient jamais été d'humeur plus guerrière que depuis que la guerre devenait moins probable. (On rit.) Par cette manière d'agir, votre comité diplomatique croit s'être acquis des droits à votre confiance, et, je le répète, dès que les négociations seront terminées, il ne tardera pas vingt-quatre heures à les communiquer au congrès. (Très bien, très bien.)(U. B., 17 déc.)
M. Werbrouck-Pieters et M. Claes (d’Anvers) demandent l'impression de l'extrait du protocole. (U. B., 17 déc.)
- Plusieurs voix – L'impression ! l'impression ! (U. B., 17 déc.)
M. Van de Weyer, président du comité diplomatique, demande si l'assemblée entend l'impression de ses observations et de la pièce, ou de la pièce seulement. (E., 17 déc.)
- Une conversation de courte durée s'engage entre MM. de Robaulx et Van de Weyer. (E., 17 déc.)
M. le président – La pièce sera imprimée. (U. B., 17 déc.)
M. de Robaulx – Messieurs, nous n'abusrons pas de vos moments en nous livrant à de longs développements sur la question qui nous divise, et nous n'entrerons pas dans des répétitions devenues fastidieuses après une aussi longue discussion. Mais si tous les points ont été éclaircis par les orateurs qui nous ont précédé, nous n'avons pas cru que cela dût nous empêcher de vous exposer les motifs de notre opinion. C'est dans ce but seulement que nous avons pris la parole.
Messieurs, il m'a paru qu'une erreur dominait la discussion de la part des partisans des deux chambres. Je prie le congrès de se souvenir que lorsque nous examinâmes la forme du gouvernment à établir, ceux qui votaient pour la république, et je suis de ce nombre, avaient pensé que le pouvoir royal et le pouvoir démocratique étaient des matières hétérogènes, qui ne pouvaient se trouver en présence sans se choquer : vous avez cru, contre nous, qu'il y aurait tranquillité et stabilité dans la monarchie, vous l'avez votée alors. (On rit.) Vous, congrès, vous devez considérer comme une erreur qu'il puisse exister un combat (page 487) hostile entre le pouvoir royal et le pouvoir démocratique. Vous avez pensé que la puissance royale en Belgique serait en quelque sorte une puissance de mandataire, que le roi ne serait que le premier citoyen du royaume ; en un mot vous avez voulu comme en France nous donner une monarchie républicaine ; vous pensiez donc que le pouvoir populaire pouvait marcher sans collision avec le pouvoir du souverain : nous qui pensions le contraire, vous nous accusiez d'erreur.
Eh bien ! vous le voyez, messieurs, cette erreur est aujourd'hui reproduite par les partisans de la monarchie, et ils disent : Une lutte terrible s'engagera entre la royauté et la démocratie, si vous ne créez un pouvoir modérateur nécessaire à ce qu'on appelle la pondération des pouvoirs.
Le congrès a pensé que le roi qu'il créerait serait un roi citoyen, sous lequel on constituerait la liberté sur la plus large échelle. Nous rejetons la république, disiez-vous, parce que là tous les pouvoirs sont temporaires et éligibles, et parce que nous craignons qu'à chaque élection, à chaque renouvellement de président, la nation n'éprouve un malaise funeste, ou que le pays ne soit bouleversé par des révolutions. Créons, ajoutiez-vous, un pouvoir monarchique et héréditaire, afin d'éviter les commotions politiques, mais laissons à la liberté une large part. Loin de vous, alors, la pensée de créer une monarchie, de nommer un roi en dehors des intérêts de la nation ! Vous pensiez, vous disiez hautement que la liberté, que le pouvoir populaire n'étaient pas incompatibles avec la royauté. Voilà l'erreur d'une fraction de cette assemblée qui ne comprend pas les vrais besoins de notre époque, et qui vient vous dire aujourd'hui : Vous avez créé une monarchie, créez maintenant un pouvoir pour appuyer la monarchie, pour empêcher le choc du pouvoir populaire. Je signale cette erreur, parce que l'intention de la nation ne fut jamais de créer un pouvoir en dehors d'elle.
Si ce que je viens d'avoir l'honneur de dire est vrai, comment une première chambre serait-elle un pouvoir conservateur du pouvoir royal ? Mais si le roi n'a que son droit héréditaire à conserver, la seconde chambre n'aura pas d'intérêt à détruire l'hérédité ; car remarquez qu'on a donné au chef de l'État un pouvoir héréditaire dans l'intérêt même de la nation. La deuxième chambre, qui seule représentera la nation, n'ira pas renverser ce qui a été fait précisément pour elle. Croyez-le, messieurs, elle ne portera pas une main sacrilège sur ce qui aura été créé pour son repos et pour son bien, et si jamais la démocratie en venait là, la première chambre serait impuissante pour arrêter la révolution.
Si nous avons un roi citoyen qui n'ait d'autre intérêt que celui de la nation, bien certainement il pourra se soutenir en présence d'une chambre unique. Le peuple, en voulant le renverser, agirait contre ses propres intérêts, et il ne faut pas croire qu'il soit jamais assez aveuglé pour s'armer contre lui-même. Quoi qu'on en puisse dire, les masses raisonnent ; elles ne se trompent jamais dans tout ce qui tient au sentiment de leur propre conservation. L'aristocratie, comme pouvoir modérateur, sera toujours inutile, car si vous ne la créez pas pour soutenir des droits pris en dehors des intérêts de la nation, vous n'en avez pas besoin, puisqu'elle n'aura pas à défendre d'autres intérêts que ceux de la chambre élective ; si, au contraire, l'aristocratie est destinée à maintenir des droits autres que ceux de la nation, elle sera dangreuse ; cela n'a pas besoin de démonstration. Messieurs, nous n'avons pas encore de roi, nous sommes ici pour voir ce qui convient le mieux au peuple belge. Tout ce que je viens de dire prouve qu'une chambre unique serait plus utile à nos libertés qu'un troisième pouvoir ; et je répète ce que j'ai dit en commençant, que ceux qui demandent deux chambres sont dominés par cette erreur, que le pouvoir populaire serait essentiellement hostile au chef de l'État. Messieurs, il ne faut pas que le roi que nous donnerons à la Belgique oublie qu'il tient ses droits de la nation elle-même. Avec ce souvenir tous ses actes seront empreints de popularité, et il n'aura pas besoin d'un sénat pour maintenir ses droits.
Un argument présenté par les orateurs de l'opinion contraire m'a frappé par sa singularité. Ils nous disent : C'est pour l'avantage de la nation que nous travaillons. Et vous, députés libéraux, qui prétendez ne stipuler que pour elle, vous devriez ne pas vous opposer à une institution créée dans ses intérêts, et ne pas mépriser le cadeau que nous voulons vous faire. (On rit.)
Je ne conçois pas, messieurs, qu'on veuille nous faire un cadeau que nous ne comprenons pas. On craint que la grande propriété n'ait pas assez de représentants dans la chambre basse ; on n'est pas content d'une disposition qui lui assurerait une juste représentation ; on veut faire exprès pour elle une chambre haute : ce n'est pas assez pour les grands propriétaires d'une large entrée dans la chambre basse, il leur faut une chambre tout entière. Mais ce qu'il y a de plus singulier, c'est que les propriétaires n'en veulent pas de votre chambre, Vous avez entendu, il y a (page 488) quelques instants, M. Vilain XIIII vous dire que s'il avait deux voix, une comme député, je crois, et une comme propriétaire, il les donnerait toutes deux pour repousser l'établissement d'une chambre haute. Quelle est donc cette institution tant vantée que tout le monde répudie ? singulier cadeau qui n'est apprécié par personne ! tout cela n'est pas clair pour moi. Cette institution, vantée par les uns, repoussée par les autres, cache quelque chose que nous ne pouvons découvrir, et alors je la repousse et je dis : Je crains les Grecs, même dans leurs présents. On nous cite l'exemple de l'Angleterre, de la France, de la Belgique. L'Angleterre, nous dit-on, a sa chambre des lords. Oui, messieurs, l'Angleterre a sa chambre des lords, et c'est pour cela que je n'en veux pas. Cette chambre des lords composée de grands propriétaires, qui à eux seuls possèdent l'intégralité des propriétés foncières, est un amalgame monstrueux de féodalité et d'odieux privilèges. Aussi n'a-t-on jamais pu en obtenir la cessation des fidéicommis, ni la division des propriétés ; elle s'est constamment opposée à ce qu'on frappât des contributions sur le sol ; c'est le commerce en Angleterre qui supporte la plus grande partie des charges, et les contributions personnelles et mobilières sont presque les seules qu'on y connaisse : si vous admettez dans l'Etat un semblable corps, vous aurez de la peine à décharger la classe indigente des contributions qui l'écrasent.
En France aussi il y a une aristocratie, celle-là a moins d'influence que la pairie anglaise. Pourquoi ? parce qu'elle est menacée dans son existence. Cependant on nous vante le bien qu'elle a fait. On parle du rejet de la loi du droit d'aînesse, c'est l'argument dont tous les orateurs que je combats se sont servis. Mais, messieurs, il n'y a pas d'être, quelque corrompu qu'on le suppose, qui ne soit capable d'une bonne action. Et par cela seul qu'un mauvais sujet (on rit) aura une fois en sa vie fait une action louable, sera-ce une raison pour en faire votre société ? (On rit plus fort.) Non, sans doute ; la chambre des pairs a rejeté le droit d'aînesse ? si elle l'a fait, c'est moins dans l'intérêt du pays que dans celui de sa propre conservation. Elle savait qu'en adoptant la loi, elle compromettrait son existence. C'est à ce seul motif qu'il faut en attribuer le rejet. Ce n'est pas d'ailleurs par une exception qu'il faudrait raisonner, mais par la règle, et au contraire nos adversaires s'emparent de l'exception pour prouver la bonté de la règle, parce qu'ils savent que si on faisait le compte des lois rendues par la chambre des pairs, on en trouverait beaucoup plus de mauvaises que de bonnes.
Parlerai-je de la chambre haute que nous avons eue en Belgique ? Non, messieurs, il faut couvrir d'un voile ce souvenir honteux. Cependant elle était composée de grands propriétaires ; mais si nous la composons des mêmes éléments, il est certain que nous créerons un corps semblable à celui que nous avions sous l'ancienne monarchie, et que tout le monde abhorre.
Voilà, messieurs, quelle est mon opinion sur la constitution de la chambre haute. Permettez-moi maintenant de répondre à quelques objections ; elles sont peu nombreuses. D'abord on craint la précipitation, et à cet égard un honorable orateur nous a cité un exemple, celui de Mirabeau faisant décider le pour et le contre dans la même séance. Messieurs, ne craignez pas les Mirabeaux, nous n'en aurons pas beaucoup en Belgique. (Hilarité générale, interruption prolongée.) Si vous craignez la précipitation, mettez dans la constitution un article pour la prévenir, ce sera un frein suffisant. D'ailleurs, comme l'a dit un orateur très recommandable, jamais la précipitation ne sera à craindre dans notre nation. Le congrès en fournit la preuve ; nous accuse-t-on de précipitation ? et cependant, messieurs, le congrès est un pouvoir constituant. Si, destiné qu'il est à faire des lois constituantes, vous le croyez capable de remplir son mandat sans l'adjonction d'une chambre haute, à plus forte raison devez-vous avoir la même confiance dans une chambre qui ne fera que des lois révocables. Car, remarquez-le bien, messieurs, comme corps constituant, si nous mettons de la précipitation dans nos travaux, ce sera un sujet d'amertume pour ceux qui nous suivront. Ils ne pourront en effet détruire notre ouvrage, ou du moins ils le feront difficilement. Mais si nous étions réunis en corps législatif, la précipitation ne serait pas à craindre, même dans le cas où l'amendement lu par M. de Brouckere ne serait pas admis. Pourquoi cela ? c'est parce que nous pourrions toujours revenir sur la loi que nous aurions faite. Notre erreur nous serait signalée par la presse, la presse éclairerait la question, et nous aurions assez de sagesse et de vertu pour reconnaître notre tort et pour le réparer.
On a parlé de l'Amérique. L'Amérique, messieurs, a un autre climat, d'autres mœurs, une situation géographique différente ; elle est entourée autrement que nous. D'ailleurs elle est constituée en république. Si vous voulez nous donner une république, nous accepterons volontiers les deux (page 489) chambres, toutes deux temporaires et élues pour dix ans. L'Amérique a un chef révocable. S'il en était ainsi chez nous, je ne m'opposerais pas à ce que deux chambres vinssent l'éclairer, si toutes deux surtout étaient démocratiques et élues selon le véritable intérêt du pays.
On nous menace de tempêtes, de révolutions ; déjà la réponse a été faite. Ces tempêtes, ces révolutions ne seront pas empêchées par une chambre aristocratique : lorsque le chef de la nation aura empiété sur les pouvoirs populaires, vous aurez beau faire ; le ciel en fera justice peut-être ; mais la chambre haute ne fera rien pour la nation. Elle ne ferait pas davantage pour le souverain, si le pouvoir démocratique était bien déterminé à violer la prérogative du trône.
Messieurs, nous rendons grâces à l'opposition courageuse qui a préparé le renversement du trône du roi Guillaume ; mais quand l'heure de la délivrance a sonné, ce n'est pas la première chambre qui aurait pu la retarder. Cette première chambre ne sera jamais une barrière suffisante contre la nation, quand celle-ci voudra secouer le joug. Ainsi, tant que la nation sera sage, calme, prudente, vous n'aurez pas besoin d'une première chambre. Quand la nation sera mécontente, en vain la première chambre lui opposera une barrière : elle sera franchie, la première chambre renversée, et le trône avec elle. Je vote donc contre l'établissement d'une chambre haute que je crois en opposition directe avec les vrais intérêts de la nation. (U. B., 17 et 18 déc.)
M. Destouvelles – Je ne veux pas d'une république couverte d'un manteau royal. Le sénat ne sera pas pris en dehors de la nation, comme l'a dit le préopinant. Une première chambre doit rendre compte non pas du bien seulement qu'elle a fait, mais du mal qu'elle a empêché. Il ne faut pas centraliser les pouvoirs. Un règlement ne préviendra pas toute précipitation ; exigez trois lectures de dix en dix jours, eh bien, on fera des déclarations d'urgence. Notre première chambre sous le gouvernement déchu ne faisait que river nos fers, mais ces fers, où avaient-ils été forgés ? dans la seconde. Il faudrait donc aussi supprimer celle-ci. Il faut l'avouer, nos deux chambres étaient mal composées, il ne faut pas abolir cette double institution, mais la régénérer. La royauté ne pourra se maintenir devant une chambre unique, à moins qu'elle ne consente à s'annihiler.
Il y a vingt jours que vous avez adopté la monarchie, force doit rester à cette décision. Par qui sera nommé le sénat ? il ne peut l'être que par le chef de l'État. Vous avez, comme le dit fort judicieusement M. de Celles, deux éléments démocratiques, si vous abandonnez le choix du sénat ou la présentation des candidats aux électeurs. On croit que la chambre élective qui succédera au congrès montrera le même calme ; les circonstances auront changé ; la jeunesse trouvera accès dans cette chambre, cette jeunesse studieuse, mais qui anticipe sur l'avenir. On dit que la dissolution est un remède suffisant contre une chambre unique ; la dissolution est un moyen extrême, extraordinaire comme le veto ; c'est presque une révolution ; il ne faut pas que le roi marche de dissolution en dissolution, de débris en débris. Un député a changé d'opinion parce que les partisans du sénat sont divisés sur le mode d'organisation ; il est évident qu'une très grande majorité veut le sénat ; il n'y a pas de division sur ce point qui est le principal. Si vous établissez une chambre unique, le trône que vous offrirez à un prince ne sera que quatre planches recouvertes de velours ; votre roi ne sera qu'un roi fainéant, ou il périra. Ce n'est pas assez d'être Belges, je dirai : Faisons en sorte que nous restions Belges. (C., 17 déc.)
M. De Lehaye – Messieurs, dans la grave question qui nous occupe en ce moment, il importe à la dignité de l'assemblée de ne se laisser entraîner ni par des considérations étrangères à la base de l'institution que nous réclamons, ni par des preuves négatives qui par cela même qu'elles prouvent trop ne prouvent rien ; j'écartrai des observations que j'ai l'honneur de vous soumettre cette longue série d'actes émanés des sénats, des parlements, des premières chambres qui ont appesanti le joug sous lequel les peuples de .l'Europe ont gémi ; je les écarterai, messieurs, non pas qu'ils prouvent contre l'institution du sénat (tout argument tiré d'un abus est sans force et par là devient inutile), mais parce que ces mêmes actes n'émanent pas uniquement de ces premières assemblées. En effet, quelle est la mesure utile au peuple, votée par notre ancienne seconde chambre, que la première ait rejetée ? Quels sont les actes attentatoires à nos libertés, à notre indépendance, à notre existence sociale votés par la première chambre, auxquels la seconde n'ait pris part. Il en est de même, messieurs, partout ailleurs ; méfions-nous de ces arguments que l'on nous oppose, qui, présentés avec art, avec talent, séduisent d'abord, mais ne résistent guère à la censure de celui qui de bonne foi cherche la vérité.
Que doit être le sénat, tel qu'on vous le propose ?
Il me semble, messieurs, que résoudre cette question, c'est décider qu'il doit y en avoir un.
(page 490) Le sénat, vous a-t-on dit, est un pouvoir composé d'éléments aristocratiques ; je vous dira messieurs, que je ne comprends pas ce que l'aristocratie a de commun avec le sénat : ce mot aristocratie ne présente ici rien à mon esprit ; il en est de même lorsqu'on vous dit que la chambre élective doit être composée d'éléments démocratiques. Je crois vraiment qu'on ne se sert de ces mots que pour embrouiller une question, qui posée simplement ne serait que plus facile à être résolue.
L'honorable M. Van Meenen a, ce me semble bien posé la question, et l'a résolue de même ; une première chambre ou un sénat est un pouvoir qui par sa nature et sa position, devant s'opposer au débordement populaire comme à la tendance vers le despotisme de la part du chef de l'État, est par cela seul dans la nécessité de surveiller les acte et de l'un et de l'autre ; c'est un gardien fidèle, prêt à s'opposer à tout ce qui voudrait franchir les bornes déterminées par la loi. Comme tel, il préviendra la précipitation des délibérations de la chambre élective. Il la forcera de bien peser ses décisions, avant de les soumettre à son approbation , et comme celle-ci est certaine que la prmière chambre mettra d'autant plus de soin à délibérer sur un projet qui n'aurait obtenu qu'un faible majorité, elle se gardera bien de précipiter sa décision.
Quelle sécurité aurons-nous contre l'abus de pouvoir d'une seule chambre ? Elle ne sera pas infaillible : sa décision, même celle prise à la majorité d'une seule voix et sous l'influence des passions du jour, sera cependant la règle générale, à moins de mettre le souverain dans la triste nécessité de faire usage du veto, arme toujours fatale, et pour celui qui s'en sert et pour ceux contre qui elle se dirige.
Si, au contraire, messieurs, vous créez une sconde chambre, l'une servira nécessairement de frein à l'autre, et se trouvant constamment en rgard l'une de l'autre, il naîtra entre elles une émulation pour le bien public dont la nation recueillera tous les fruits.
Le sénat doit être composé de membres dont l'âge et la fortune seront la garantie de l'indépendance de leur vote, A cet âge, on n'écoute guère que la raison, et qui peut perdre, réfléchit mûrement, avant de prendre une décision importante. Quant à la fortune, on vous a dit que les propriétaires ne sont pas ceux qui perdent le plus dans ces graves secousses qui renversent le trône ; je suis aussi de cet avis, mais qui nous dit que ceux qui ont à perdre n'en feront point partie ? Je porte mes regards sur les villes les plus commerçantes de la Belgique ; j'y vois, parmi les industriels et parmi, les négociants, des personnes qui, payant le cens voulu par la loi, figureront avec honneur au sénat.
Je vote pour le sénat. (J. F., 22 déc.)
M. Jottrand renonce à la parole. (C., 17 déc.)
M. le comte d’Arschot – On a multiplié les raisonnements et les motifs pour repousser la création d'un sénat, on les a développés avec beaucoup de talent, mais ils n'ont point produit ma conviction ; deux grands mots ont dominé la discussion : aristocratie, privilège. C'est sur ces deux mots qu'on a élevé un fantôme qui disparaît dès qu'on l'envisage de près. Condillac écrivait, il y a quarante-cinq ans, que rien n'est plus important que de bien définir les expressions dont on se sert ; car, dit-il, bientôt des nations s'égorgeront pour des mots qu'elles n'entendront pas. - Peu d'années après, la France se couvrit de sang et de prisons au nom de la liberté,
Si la jouissance d'un bien payant 1,000 florins d'impôt est une aristocratie, elle est accessible à tous ceux qui, par le développement de leur industrie ou de tout autre moyen, seront à même d'acquérir une propriété de cette importance, et je n'y vois d'autre privilège que de ne pouvoir soustraire la moindre parcelle de la fortune à l'avidité du fisc, tandis que les capitaux lui échappent toujours ; c'est l'écueil de tous ces économistes, la pierre philosophale ; avec les éléments dont se composera le sénat, je ne vois pas la possibilité qu'il puisse jamais nuire à la liberté, ni au bien-être de la nation ; je puis moins que personne parler de l'ancienne première chambre qui a été l'objet d'attaques si vives, si multipliées ; mais qu'il me soit permis de dire qu'elle ne peut servir ni d'exemple, ni de précédent, car elle ne représentait rien.
Je ne promènerai pas cette assemblée dans les deux hémisphères, il me suffit d'examiner quelles étaient les institutions de nos provinces. Partout la représentation se partageait en plusieurs corps. En décidant que la monarchie serait la forme de notre gouvernement, nous avons été l'organe de l'opinion publique, et j'ose dire qu'elle ne croira pas à la monarchie s'il n'y a qu'une seule chambre : et quel homme sera assez hardi pour s'asseoir sur le trône de la Belgique en présence d'une chambre unique ? Dussé-je être accueilli par des murmures, si j'avais deux votes, dans l'intérêt de mon pays, je les donnerais en faveur du sénat. (C., 17 déc.)
M. l’abbé Andries – J'avais d'abord voté (page 491) dans ma section pour un sénat, mais les lumières acquises par nos longues discussions m'ont enfin définitivement décidé à voter contre. Je suis intimement convaincu que nous pouvons trouver dans une chambre unique autant de garanties de stabilité et de sagesse que dans deux. Si je voulais faire le doctrinaire, je dirais que c'est une grande faute que d'établir dans le corps politique des distinctions qui n'existent plus dans la société. Je m'étonne que des gens d'esprit, voulant reconstruire notre édifice social, repoussent nos propres matériaux, repoussent la société telle qu'elle se présente à eux dans leur propre pays, et veuillent à toute force chercher dans les pays étrangers, et même en Amérique, ce que nous n'avons pas et ce dont nous pouvons très bien nous passer.
Notre société actuelle n'est plus qu'une agrégation d'individus, de citoyens, qui ne peuvent et ne veulent avoir qu'un seul organe, le corps des représentants de la nation. Le corps des représentants de la grande propriété est un corps privilégié et par conséquent odieux. L'esprit de la nation, messieurs, devient assez juste pour ne mettre entre un homme qui paye 1,000 florins d'impôt et celui qui n'en paye pas du tout d'autre différence que celle de la vertu et du talent. Si la nation n'en fait pas, pourquoi devrions-nous en faire ? Tels sont les principes de notre époque, principes qui recvront de plus en plus leurs vigoureux développments. L'existence de ce corps privilégié ne peut pas être justifiée par la nécessité.
Pour vous faire voir la faiblesse des raisonnments de nos adversaires, je me contenterai de vous répéter, dépouillées du prestige du langage et réduites à leur plus simple expression, les argumentations principales contre une chambre unique, produites sous mille formes différentes par divers orateurs.
Je n'y ajouterai pas même de commentaire :
Premier argument. On pourra dans une chambre unique, comme du temps de Mirabeau, voter le même jour le pour et le contre sur un même objet ; donc il faut deux chambres.
Deuxième argument. On pourra faire les trois lectures le même jour. On pourra, on pourra..... donc il faut deux chambres.
Troisième argument. Il y a deux sortes d'hommes dans la société : les uns représentent les intérêts réels, les autres les intérêts personnels : donc il faut deux chambres.
Quatrième argument. Les hommes âgés d'un sénat n'aiment pas la guerre, les hommes d'une chambre élective sont portés pour la guerre ; donc si vous aimez la paix, il faut deux chambres.
Cinquième argument. Il se peut qu'il y ait collusion entre le chef de l'État et la chambre unique élue par la nation, pour conspirer contre les libertés publiques ; donc il faut deux chambres.
Sixième argument. Le contrôle rend l'homme meilleur. Sans contrôle l'homme deviendrait un monstre. Ainsi une chambre unique qui n'est pas contrôlée par un sénat pourrait devenir monstrueuse ; donc il faut deux chambres
Septième argument. Les intérêts de tous ne peuvent être représentés par un seul corps, donc il en faut deux.
Huitième argument. Que dirons nos voisins ? si nous n'adoptons qu'une chambre, ils nous feront la guerre.
Neuvième argument. Le ministère sera trop facilement battu, donc il faut faire du sénat un rempart pour les ministres.
Dixième argument. Le peuple est calme et réfléchi ; une seule chambre en effet pourrait suffire ; donc faisons-en deux.
Onzième argument. Il y aurait de l'injustice à ne pas établir une chambre privilégiée.
Douzième argument. Il n'y a de véritable sagesse et stabilité que dans un sénat.
Tels sont en général, messieurs, les chevaux de bataille qu'on a employés contre nous. Tous ces arguments, tirés presque mot à mot des discours de différents orateurs fondés sur des suppositions gratuites, ou sur la peur, sont réfutés par le simple bon sens à la première lecture, et ont servi plus que tous les autres à me faire prendre la résolution de voter contre le sénat. (C., 17 déc.)
M. le président – M. Charles Le Hon a la parole. (C., 17 déc.)
M. Charles Le Hon, dans une improvisation étendue, détermine la position toute nouvelle de la Belgique, aujourd'hui qu'elle veut fonder son indépendance et élever une monarchie constitutionnelle représentative. Organiser cet état politique, dit-il, c'est décider sa durée. La nouveauté de la chose excuse la défiance que pourrait inspirer la nouveauté des moyens. L'orateur explique le sort différent de l'aristocratie dans les révolutions d'Angleterre en 1688 et de France en 1789, par la participation de l'une à la conquête de la liberté et par la complicité de l'autre dans l'oppression des droits et des franchises populaires. Il montre en Belgique la classe qui pourrait représenter une sorte d'aristocratie de fortune et de connaissances, aujourd'hui qu'il n'existe réellement plus dans la société d'élément aristocratique, unie au reste de la nation dans la cause et dans la défense des libertés.
(page 492) Nous ne devons donc être préoccupés, dit-il, ni du danger, ni de l'importance, ni des vues anti-nationales d'une classe privilégiée. Nous pouvons nous déterminer d'après les seules nécessités de notre nouvel État, combinées surtout avec l'intérêt de notre avenir.
Définissant ici les éléments de la monarchie constitutionnelle représentative, il reconnaît qu'une chambre élective, en présence d'un ministère responsable, fort de cette responsabilité même, et sous un chef héréditaire investi du droit de dissolution, constituerait à la rigueur le mécanisme obligé de ce gouvernement.
Il y aurait par l'élection directe, et par le débat public et constant entre la chambre et le ministère, intervention du pays dans toutes les affaires du pays. Cette simplicité d'organisation et de mouvement est faite pour séduire les esprits. Je n'hésiterais pas à l'adopter s'il m'était clairement démontré qu'elle ne nuira pas à la solidité, à la durée de notre ouvrage. Mais, dans ce système de gouvernement, suffira-t-elle pour tempérer les inconvénients de sa nature et les froissements de son action ? C'est ce dont je ne suis pas convaincu, et il est évident pour moi que l'Europe ne sera pas en tout temps également disposée à rester neutre en présence de nos troubles intérieurs.
L'institution d'une seule chambre a-t-elle au moins l'appui de l'expérience ? J'ouvre l'histoire de nos provinces que des orateurs ont invoquée, et je n'y trouve aucun vestige de cette organisation. Nulle part il n'existe un pouvoir central aux prises avec nos états de province : dans ces états, nulle participation au pouvoir législatif. Tout se réduit au vote du subside, quand il était demandé. Et encore par quels degrés successifs la délibération ne passait-elle pas avant d'être définitive ! En Brabant, par exemple, chacun des trois ordres ne consentait que sous la condition sine quâ non du consentement des deux autres, et le tiers état, composé des quatre chefs-villes, émettait quatre votes également successifs et subordonnés. Il y avait là certes d'amples garanties contre la surprise et la précipitation.
L'histoire étrangère ne m'éclaire pas mieux sur les avantages d'une seule chambre. Je ne citerai pas les annales de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, de l'Allemagne même, où la division des chambres a généralement pris sa source dans les idées de caste et de privilège.
Mais je crois utile de consulter l'exemple des nations qui nous sont unies par le lien d'une civilisation progressive, ou par l'analogie de leurs institutions politiques : de ce nombre sont l'Angleterre, la France, les États-Unis, la Suisse. J'ai trouvé partout deux chambres, sauf dans le petit État de Vermont, en Amérique, et en Suisse, où l'on sait que l'unité d'assemblée est tempérée par le refus de l'initiative des lois.
L'orateur réfute la conséquence tirée de l'essai tenté par l'assemblée constituante, et dont il a assigné le principe au début de son discours. Il aborde plusieurs objections des préopinants, entre autres, celle puisée dans le caractère calme et réfléchi de la nation, dans l'attitude et les débat, paisibles du congrès. Le congrès, dit-il, a le calme de la suprême puissance quand elle est libre, incontestée et sans rivale. Il n'a nulle ambition, il peut tout. Mais que serait-il arrivé si un pouvoir quelconque s'était prétendu son égal ou indépendant de lui ? N'en serait-il pas résulté une lutte assez vive, à en juger par la susceptibilité avec laquelle a été accueillie il y a deux jours la simple proposition d'une loi par le gouvernement provisoire ? Supposez aussi le pacte constitutionnel achevé et les pouvoirs nouveaux mis en action, qui oserait dire que l'aspect de la chambre élective sera le même quand il s'agira de l'organisation pratique des principes de liberté déposés dans ce pacte fondamental ?
L'honorable membre, après avoir analysé les dangers de l'action réciproque d'une seule chambre et du pouvoir en présence l'un de l'autre, action dont l'effet pourrait être ou le despotisme d'un seul par l'asservissement de la chambre élective, ou la tyrannie des masses par la dépendance du pouvoir, déclare qu'un sénat lui paraît nécessaire non comme corps aristocratique, mais comme assemblée intermédiaire, défendant, par son existence seule, et le chef de l'État, et la chambre des représentants contre leurs propres excès.
Tout ce qu'on a dit d'honorable dans cette discussion sur le caractère et le patriotisme historique de la classe que distinguent parmi nous la naissance et la fortune, est fait pour dissiper la crainte de voir jamais un sénat belge l'appui d'un despotisme quelconque.
L'orateur, par toutes les considérations qu'il développe, votera pour deux chambres, sous la condition toutefois que la première soit constituée de manière à ce qu'en cas de résistance systématique ou hostile aux voeux ou aux intérêts nationaux, cette résistance puisse être également arrêtée ou vaincue. (C., 17 déc.)
M. Raikem – Après tant d'orateurs, il y a peut-être témérité à prendre la parole. Toute la discussion doit se porter sur un point : y aura-t-il une première chambre ? On ne peut discuter conditionnellement et en entrant dans l'examen d'objets qui trouveront place dans la discussion partielle. C’est comme par instinct qu'en section on a adopté un sénat presqu'à l'unanimité, c'était le bon sens qui décidait, et le bon sens est excellent publiciste. La minorité fonde son triomphe sur une prétendue division ; cet espoir est sans fondement. Ceux qui veulent une seule chambre, seront à leur tour divisés quand il s'agira de l'organiser ; quand il s'agira de faire la loi électorale, il y aura aussi division, et il faudrait en conclure qu'il ne faut pas même de chambre élective. Une chambre unique conduira ou au despotisme d'un seul ou au despotisme de plusieurs. La république serait mille fois préférable. L'orateur repousse l'unité du corps législatif comme il a répudié la république ; il ne veut pas un régime bâtard qui ne serait qu'un acheminement vers la domination étrangère, vers la destruction de notre indépendance. Un pays, quoique peu étendu, doit être organisé fortement. Notre ancienne histoire en est la preuve ; nous avions partout division du pouvoir populaire, nous avions plusieurs ordres dans la principauté de Liége.
Je regarderais une chambre unique comme un essai dangereux d'un genre particulier de république. Dès lors l'hérédité dans le chef de l'État ne serait plus rien.
Si par la suite vous avez un enfant appelé au trône, la chambre unique sera-t-elle son tuteur ? Le tuteur dévorerait les droits de son pupille ; bientôt le pupille ne serait plus rien, et l'hérédité ne serait dans le fait qu'une chimère.
Si l'on n'adopte qu'une seule chambre, je me regarderai comme républicain ; je demanderai que toutes les institutions soient dirigées vers le système républicain le plus large.
Dans ce cas, je le déclare, l'hérédité dans le chef ne subsistera pas longtemps.
Prenons-y garde : l'air trop vif donne la mort, ainsi que l'air corrompu. La vie se conserve dans un juste milieu. (C., 17 déc.)
M. Camille de Smet – Je demande la parole pour un fait personnel. J'ai appris que dans la séance d'hier soir un orateur a prétendu que j'avais fait l'éloge du régicide. Ce reproche est tellment grave, messieurs, que je crois devoir repousser une pareille imputation. L'orateur auquel je réponds ne m'a pas compris ; en parlant de la révolution française, j'ai dit : En 93, le sceptre de Louis XVI se brisa dans ses mains, pour le bien du monde. J'ai cité un fait, ce fait a eu d'heureux résultats, je l'ai dit ; mais il n'est pas entré dans ma pensée de faire l'apologie du régicide, et rien dans mon discours n'implique que j'approuve le supplice de Louis XVI. (U. B., 18 déc.)
M. Le Grelle – Je demande à répondre. (U. B., 18 déc.)
M. Raikem – Je demande à faire une motion d'ordre. Messieurs, dans une discussion comme celle-ci, on n'en finirait plus si chacun demandait la parole pour des faits personnels, parce qu'on aurait critiqué telle ou telle partie de son discours. Chacun ici pose son système, que chacun aussi est admis à combattre. Ce n'est pas une raison pour qu'à tout instant un orateur puisse entraver le cours de la discussion sous prétexte d'expliquer sa pensée. (.4ppuyé ! appuyé !)(U. B., 18 déc.)
M. Le Grelle insiste. (U. B., 18 déc.)
- Plusieurs voix – C'est inutile. (U. B., 18 déc.)
M. le président – La discussion ne peut pas être interrompue : De fait personnel en fait personnel, nous n'en finirions plus. (U. B., 18 déc.)
M. Gendebien (père) – J'ai coutume de motiver mon vote alors que je pressens qu'il sera compté dans la minorité.
Nous nous sommes constitués en société politique indistinctement ; de là j'induis que nous dvons instituer notre magistrature politique sans distinction aucune. Tous les Belges sont membres de la cité également, et leurs avantages respectifs, en biens, en industrie, en capacités, ne sont que les accessoires de l'honorable qualité de citoyen belge ; l'unité sociale appelle, commande même l'unité de représentation ; une seule nation, une représentation unique pour délibérer les lois, un seul constitué pour en garantir l'exécution.
L'écueil de la précipitation, l'abîme des effervescences peuvent être prévus et écartés par les formes parlementaires, sans qu'il faille une double représentation d'une société unique. Je voterai pour une seule chambre, sans préjudice aux amendements proposés par notre honorable collègue M. Blargnies, et par d'autres qui m'ont précédé à cette tribune. (C., 17 déc.)
- On appelle M. Welbrouck-Pieters : il est absent. (U. B., 18 déc.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Messieurs, arrivé à cette tribune où m'amène l'objet de la délibération, il est nécessaire sans doute de réclamer votre indulgence.
Il est important, dans la situation où se trouve l'assemblée après d'aussi longues discussions, de la rassurer en lui disant sur-le-champ que, fidèle au précepte et à l'exemple de mon honorable ami M. de Leuze, je serai bref.
(page 494) Je ne vous rappellerai donc pas ce qu'ont dit les Adams, les Mounier, les Benjamin Constant les Thiers, les Montesquieu et les Franklin. Je ne vous parlerai ni de la constituante, ni des autres assemblées, ni des causes par lesquelles se brisa le sceptre dans les mains de Louis XVI.
Je crois même surabondant d'essayer en ce moment de résumer les diverses opinions des orateurs qui, depuis plusieurs jours, ont répandu dans cette enceinte tant de lumières sur l'objet que vous y traitez.
Je pense que chacun de nous en a profité pour former ou rectifier son opinion ; mais que ce dont il s'agit maintenant serait d'atténuer par des concessions mutuelles une divergence qui pourrait amener à de dangereux résultats et qui ne satisfrait personne peut-être.
La sagesse, le calme qui caractérise le peuple belge me porterait à mettre peu d'intérêt à la question d'une ou de deux chambres.
Mais de la discussion, il résulte pour moi seul, je dois le croire cette pensée : - L'utilité d'une première chambre, d'un sénat, a été souvent prononcée ; rarement le danger et jamais l'inconvénient, même lorsque, ainsi que nous avons lieu de l'espérer par les mesures qu'il vous appartient de prendre, sa composition est bonne.
C'est une sauvegarde assurée, nous a-t-on dit.
En effet, sans traitement, sans indemnité, sans hérédité, exclu de tout emploi lucratif, le sénateur n'a d'autre appât que l'honneur de sa position. Il ne peut être appelé que par l'honneur. Il ne viendra pas pour en trahir les principes, et par là même détruire tout le prestige, tout l'avantage de cette position.
L’Angleterre, la France ont deux chambres ; cette institution est vantée, et commandée même par les publicistes les plus libéraux, par les patriotes les plus illustres ; vous avez un souverain à choisir, à appeler peut-être ; ne faut-il pas lui présenter des institutions connues et rassurantes ? l'Europe même doit les désirer.
Le souvenir de cette première chambre qui a été qualifiée ici de refuge pour les grandeurs déchues, d'une espèce d'hôtel d'invalides civils, pour ne rien dire de plus, a laissé des traces, et les bien justes craintes qui se sont manifestées en cette circonstance peuvent lui être en grande partie attribuées.
Sans doute celle-là n'était pas même une nullité nécessaire. Mais le vice était dans sa composition, et ce vice, sans être appelés à le réformer, vous le ferez avec d'autant plus de facilité qu'il vous est indiqué par l'expérience.
Il suffit de s'entendre maintenant sur les moyens, et c'est, ce me semble, la véritable question qui devrait nous occuper maintenant.
La suppression de tous traitements, la publicité des débats, répondent à bien des objections.
Un sénat qui ne coûtera rien, attachera davantage encore ceux qui le composeront au pays auquel ils sont déjà liés par leurs propriétés. Il ajoutera les liens d'honneur.
Une seule chambre, a dit un orateur, peut être pernicieuse. On ne le nie point. J'ai confiance sans doute, mais je ne crois point à l'infaillibilité des élections.
Une seule chambre peut par ce mode devenir tout aristocratique ou toute démocratique, par suite d'événements, d'influences, de direction données, et par la presse même peut-être.
J'aime mieux deux garanties qu'une seule, lorsqu'il s'agit du bien, du salut de l'État.
Au reste, messieurs, je suis loin de partager les craintes de beaucoup d'orateurs sur la représentation due à la propriété. Je pense qu'elle existera au moins autant par l'institution d'une chambre unique que par l'établissement d'une chambre exclusivement pour elle. Je partage à cet égard l’opinion émise hier avec tant de clarté par M. le rapporteur de la section centrale (M. Devaux), sans concevoir l'effroi manifesté par un honorable membre du bureau.
Je crois qu'au lieu d'appeler en grand nombre les propriétaires à la représentation nationale concentrée dans une seule chambre, on leur dira, s'il y en a une seconde : Passez à celle qui vous est réservée. Mais cela ne sera point général ; il faudrait une révolution morale en Belgique pour appeler la défiance totale sur les propriétaires terriens, si éminemment, si justement populaires.
J'ai résolu d'être bref et je ne m'abandonnerai pas à d'autres dissertations pour motiver mon opinion favorable à une institution conservatrice et modératrice, qu'à moins d'une composition telle que je me refuse à la prévoir, je crois ne pouvoir être qu'utile et nécessaire comme tiers pouvoir. Ce n'est guère sans elle qu'une discussion, une divergence de volonté se termine convenablement ; il faut un tiers conciliateur,
Bien que je ne partage pas la pensée que les sénateurs, créatures du prince, restent sous sa main, je crois que la première nomination ne doit point être laissée à un chef de l'État qui, étranger au pays, devrait s'en remettre pour le choix à des moyens incertains. Et je désire en général qu'un mode d'élection de candidats, satisfaisant à la divergence des vœux émis dans cette enceinte, entre au moins (page 495) en partie dans la formation du sénat, et cela formera sûrement l'objet de propositions d'amendement.
La nomination à vie me semble offrir plus de garantie qu'à terme. Et je suis loin de partager l'affligeante pensée d'un orateur qui a parlé hier. Je pense qu'on trouvera des hommes d'honneur à vie. (C., suppl., 17 déc.)
- De toutes parts – Aux voix ! aux voix ! (U. B., 18 déc.)
M. Charles Rogier – Je demande la parole. (Aux voix ! Aux voix ! !) Je demande à parler pour expliquer mon vote. (U. B., 18 déc.)
M. le président – Vous vous êtes fait rayer. (U. B., 18 déc.)
M. Charles Rogier – En renonçant à la parole dans la séance d'hier au soir, je me réservai de parler aujourd'hui ; d'ailleurs je serai très court.
Messieurs, votre temps, si précieux pour le pays, et des occupations multipliées m'interdisent de longs développements. La discussion d'ailleurs est, comme on vous le dit, épuisée ; et l'assemblée aussi un peu épuisée par la discussion.
Une chambre haute est utile comme barrière aux décisions d'entraînement ou de surprise d'une seule chambre. Je voterai donc pour une chambre haute, mais je la veux élue par les électeurs de la chambre basse ; je la veux élue pour un temps déterminé.
Je soustrais l'élection au pouvoir royal, parce que l'ayant déclaré héréditaire, vous avez fait assez pour le principe de stabilité, et je demande que le pouvoir de la chambre haute se renouvelle périodiquement, parce que c'est là une conséquence toute naturelle du principe de l'élection.
Seulement il faudra, pour le candidat à la chambre haute, des conditions plus sévères sous le rapport du cens, sous le rapport de l'âge.
On voit que mon opinion se rapproche de celle de M. Blargnies, si ce n'est que je n'accorde pas l'élection de la chambre haute aux états provinciaux, vu l'inconvénient de confier aux mêmes mains des attributions politiques et administratives ; elle se rapproche aussi de celle de M. de Mérode, si ce n'est que je rejette l'élection des fonctions à vie.
Jusqu'à présent je n'ai point entendu d'objection contre le système d'une chambre haute élective ni contre sa durée limitée. J'attendrai qu'elles soient présentées pour les combattre ou pour m'y rendre. (U. B., 18 déc.)
M. le président – La parole est à M. Goethals. (U. B., 18 déc.)
- L’assemblée presque entière – Aux voix ! aux voix ! la clôture ! (U. B., 18 déc.)
M. Jean Goethals monte à la tribune. (La clôture ! la clôture !) (U. B., 18 déc.)
M. Forgeur – J'ai sacrifié hier mon tour, par le motif que les orateurs déjà entendus ont présenté toutes les objections possibles sur la question, et que depuis longtemps la discussion n'a pas fait un pas ; je crois que c'est perdre notre temps et fatiguer inutilement l'attention du congrès que de poursuivre la discussion générale, d'autant plus que, dans la discussion partielle des articles, il sera permis à chacun de présenter de nouvelles objections, si tant est que quelque chose ait échappé à ceux qui ont déjà parlé. Par ces motifs, je demande que la clôture soit prononcée. (U. B., 18 déc.)
De toutes parts – Appuyé ! appuyé ! (U. B., 18 déc.) .
M. le comte de Celles – Je demande la parole contre la clôture. (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 18 déc.)
M. le président – On peut toujours parler contre la clôture. (U. B., 18 déc.)
M. le comte de Celles – Messieurs, dans une discussion aussi importante, toutes les opinions doivent être entendues, et cela ne serait pas si vous en prononciez la clôture dans ce moment-ci. Je ne profiterai pas, messieurs, de cette occasion pour rentrer dans la discussion ; je me contenterai de vous faire observer que vous venez d'entendre plusieurs orateurs qui ont dit des choses nouvelles, auxquelles il est essentiel de répondre. Voulez-vous laisser les nouvelles objections sans réponse, et ne pas entendre le débat ? Vous en êtes les maîtres ; mais il me semble, puisque des orateurs de talent ont présenté les difficultés de la contestation sous un nouveau jour, que quelqu'un au moins devait s'emparer de la discussion pour leur répondre. (Mouvement d'indécision.) (U. B., 18 déc.)
M. Lebeau – Je ferai remarquer que si nous nous rangeons de l'avis du préopinant, nous allons rentrer dans une discussion interminable. En effet, M. de Celles trouve que quelques orateurs ont dit du nouveau, il demande à leur répondre : à notre tour, il nous sera permis de trouver du nouveau dans ce qu'il dira, nous aurons le droit de lui répliquer, et ainsi successivement. De cette manière, il n'y a pas de raison pour que vous n'entendiez encore trente nouveaux discours. (Appuyé ! appuyé ! aux voix ! aux voix !) (U. B., 18 déc.)
M. le président – Un peu de silence, messieurs, s'il vous plaît. Je vais consulter l'assemblée. (U. B., 18 déc.)
M. Van Snick – Je demande à parler contre (page 496) la clôture. (Non ! non ! aux voix ! -Tumulte.)(U. B., 18 déc.)
M. de Robaulx – Vous avez entendu deux orateurs pour la clôture, il est juste… (U. B., 18 déc.)
M. le président, avec impatience – En définitive, ce sera clôture ou non-clôture. (On rit.)
M. de Robaulx – M. le président a raison ; cependant, puisque deux orateurs ont été entendus pour la clôture, tandis qu'un seul a parlé contre, il serait juste d'en entendre encore un dans ce dernier sens. Au reste, pour mettre tout le monde d'accord, je demande que, puisque M. de Celles croit nécessaire de répondre aux choses nouvelles qui ont été dites, il soit admis à faire cette réponse, et qu'un orateur de l'opinion contraire lui réplique. (Non ! non ! aux voix ! aux voix.) (U. B., 18 déc.)
M. de Gerlache – Je demande qu'on accorde la parole à M. de Celles. (U. B., 18 déc.)
- Un membre – Je ne m'opposerai pas à ce qu'on entende M. de Celles, et pour ma part, j'aurais beaucoup de plaisir à l'entendre ; mais, si la discussion continue, je crois injuste d'enlever la parole aux orateurs inscrits, et je demande que M. Goethals soit entendu. (Appuyé ! Non ! non ! La clôture ! Aux voix !) (U. B., 18 déc.)
M. Charles Le Hon – Je demande à dire quelques mots sur la clôture. Messieurs, il me semble que nous ne devons pas faire de ceci une question personnelle. On a demandé que M. de Celles fût entendu, je serais d'avis qu'on lui accordât la parole, mais seulement après que ceux qui sont déjà inscrits auront parlé. Si vous la lui accordiez dans la position actuelle, vous sembleriez décider que la clôture viendrait de droit immédiatement après. (Non ! Non !) Messieurs, il me semble qu'il est dans l'ordre, et c'est un usage suivi en France, que dans une discussion générale on ne prononce qu'un petit nombre de discours. Cette manière ne présente aucun inconvénient, parce que, dans la discussion des articles, chacun a la faculté de revenir au moins sur un point particulier de la discussion générale, et qu'ainsi aucune objection ne reste sans réponse, aucun système sans développement ; on a vu très souvent des orateurs distingués comme Foy, Benjamin Constant, Casimir Périer, privés par la clôture d'être entendus dans une discussion générale. Or, ici et grâces à la prolongation de la discussion (dont au reste je n'ai pas à me plaindre, puisqu'elle m'a fourni l'occasion de dire quelque chose), grâces, dis-je, à la prolongation de la discussion, tout le monde a eu le temps de s'éclairer ; celle des articles jettera encore sur la question de nouvelles lumières ; je ne verrais donc pas grand inconvénient à prononcer la clôture. Je ne m'élève pas cependant contre ceux qui voudraient encore prolonger la discussion ; mais si l'on entend des orateurs nouveaux, il faut nécessairement permettre de leur répondre, (Aux voix ! aux voix ! la clôture ! - Le tumulte est à son comble ; M. le président agite la sonnette et ne peut obtenir le silence.) (U. B., 18 déc.)
M. le président – Je ne comprends rien à un pareil tumulte. Messieurs, un instant de silence. (U. B., 18 déc.)
M. Devaux – Lorsque dix membres demandent la clôture, elle doit être mise aux voix. Depuis longtemps nous discutons, et nous discutons inutilement pour savoir si elle sera prononcée. Je demande que le congrès prononce. (U. B., 18 déc.)
M. le président lit l'article du règlement qui veut que la clôture soit mise aux voix lorsque dix membres la demandent. Il ajoute : D'après cet article, je ne puis me dispenser de consulter l'assemblée. (U. B., 18 déc.)
- L'assemblée entière, moins dix ou douze membres, se lève pour la clôture. La clôture est prononcée. (U. B., 18 déc.) (M. Goethals descend de la tribune.) (Le recueil d’E Huyttens reprend en note de bas de page le discours que M. Goethals se proposait de prononcer).
M. le président – J'ai l'honneur de (page 497) prévenir l’assemblée que M. de Brouckere, rapporteur de la commission chargée du projet d’organisation de la garde civique, sera prêt à faire son rapport demain. Je demande maintenant si l’assemblée (page 498) désire qu’il y ait séance ce soir. (Non ! non !) A demain donc à dix heures. Je ferai encore une demande : Comment le congrès désire-t-il entamer la discussion partielle du sénat ? Faut-il d’abord (page 499) aller aux voix sur la question de savoir s’il y aura deux chambres ? (Oui ! oui ! non ! non !)
M. le comte de Celles – Je demande la parole sur la position de la question. Messieurs, il me paraît qu’il me faudrait procéder de manière (page 500) à vider le débat d'abord sur le point de savoir s'il y aura un sénat ou s'il n'y en aura pas. On a parlé des dangers qu'il y aurait à l'établissement d'une seule chambre dans les circonstances où nous nous trouvons. J'ai entendu les mots de dangers intérieurs et extérieurs : ces mots peuvent avoir fait impression ; il serait donc convenable de savoir bientôt si nous sommes décidés à les affronter ; le moyen pour cela, c'est de décider avant tout s'il y aura une ou deux chambres.
On dit qu'en présence de l'Europe… (A la question ! à la question ! Tumulte, interruption. -M. de Celles descend de la tribune.) (U. B., 18 déc.)
M. Charles de Brouckere – Si vous commencez par décider que vous aurez une chambre haute, vous vous exposez, dans quelques jours d'ici, à être obligés de casser votre propre décision. La discussion vous a prouvé qu'il y avait deux systèmes différents sur la composition du sénat, et chacun tient tellement à son système qu'on dit : Je veux du sénat, mais à telles et telles conditions ; sinon je n'en veux pas. Dans la discussion des articles il faudra nécessairement que l'un ou l'autre triomphe : dès lors, les partisans de tel ou tel système n'approuvant pas celui que le congrès aura adopté, se réuniront à ceux qui ne veulent qu'une chambre, et rejetteront le sénat lorsqu'on votera sur l'ensemble. Il est donc rationnel de commencer par s'entendre sur un système. Mais décider aujourd'hui qu'il y aura deux chambres, pour être obligé plus tard de prendre une décision contraire, c'est aller à l'absurde. (Murmures.) (U. B., 18 déc.)
M. le président – Silence, messieurs ! (U. B., 18 déc.)
M. Forgeur – Je demande la parole. (U. B., 18 déc.)
M. Devaux – La marche proposée par M. le président ne présente aucun inconvénient ; avant de s'occuper de la composition du sénat, il faut savoir s'il y en aura un. Nous ignorons encore de quel côté se trouvera la majorité ou la minorité sur cette question ; s'il y a une majorité pour, il faudra savoir comment on composera le sénat. Alors on éprouvera davantage la nécessité de s'entendre ; je prévois que cela ne sera pas facile : la discussion pourra être orageuse, mais ce n'est pas une raison pour suivre un ordre qui est évidemment le plus logique. Si nous ne pouvons nous entendre, nous recommencerons. En suivant une autre marche, nous nous engagerions dans des discussions vaines, puisqu'il pourrait arriver qu'après avoir voté article par article sur la composition du sénat, nous le rejetterions en votant sur l'ensemble (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 18 déc.)
M. le président – M. Forgeur a demande la parole. (U. B., 18 déc.)
M. Forgeur – Après ce que vient de dire le préopinant, ce que j'avais à dire est inutile ; cpendant, puisqu'on veut bien m'entendre, j'ajouterai que si l'on considère le vote que nous allons émettre comme provisoire, en sorte que si plus tard la majorité ne s'entend pas sur un système de composition de la chambre haute, on puisse en revenir au système d'une chambre unique, je n'y vois aucun inconvénient. Mais si la chose n'est pas entendue ainsi, et que l'on veuille d'ores et déjà lier la majorité, je crois devoir protester coutre cette manière de procéder. (U. B., 18 déc.)
M. le président – Nous ne nous engageons à rien par le mode que je propose. Mais il ne faut pas croire que, par cela seul qu'on ne s'entendra pas sur un système de composition du sénat, il n'y aura pas de première chambre, car c'est comme si l'on disait que si nous ne nous entendions pas sur la composition de la chambre élective, il n'yen aurait pas non plus. (On rit.) Messieurs, il ne faut pas se fourvoyer dans une matière aussi grave : si nous ne nous entendions pas bien, .il pourrait en résulter des conséquences dont nous aurions plus tard à rougir. (U. B., 18 déc.)
M. Van Meenen – Il me semble, messieurs, que nous nous fourvoyons : lorsque M. de Brouckere propose d'ajourner la question de savoir s'il y aura une chambre haute, que fait-il ? Il veut que nous renvoyions à un autre jour une question qu'il faudra toujours décider la première ; car il faudra de toute nécessité commencer par là. Nous aurons beau discuter sur la composition du sénat, nous n'en serons pas moins obligés de décider avant tout s'il y en aura un. Quant à ce qu'a dit M. Forgeur, que nous pouvons voter sur la question sans nous lier, il est bien entendu qu'aussi longtemps que le congrès n'aura pas rendu une décision définitive et irrévocable, cette décision sera soumise à celle que nous porterons sur l'ensemble du projet ; et, quant à la question de la composition du sénat, dire que nous révoquerions notre décision, si nous ne nous entendions pas sur un système, c'est une illusion ; nous ne révoquerions pas notre décision ; elle tomberait d'elle-même, elle deviendrait caduque, inutile, voilà tout. (Appuyé ! appuyé !) (U. B.. 18 déc.)
M. le président – Dans une question aussi importante, je ne veux rien prendre sur moi, pour qu'on ne puisse pas m'accuser d'avoir donné à la discussion une mauvaise direction ; je désire être éclairé sur la question, et que la discussion s'ouvre là-dessus. (U. B., 18 déc.)
(page 501) - Une discussion s'engage dans laquelle on entend MM. de Robaulx et Forgeur. (U. B., 18 déc.)
L'assemblée décide qu'avant d'examiner, article par article, le projet de la section centrale, il sera voté par appel nominal sur la question de savoir s'il y aura deux chambres ou non. (P. V.)
M. le président – On va procéder à l'appel nominal ; voici comment la question sera posée : Y aura-t-il un sénat ? J'invite MM. les membres qui n'ont pas signé la liste à venir la signer de suite. (U. B., 18 déc.)
M. Trentesaux – Pourquoi ne vote-t-on pas par assis et levé ? (Non ! non !) (U. B., 18 déc.)
M. le président – Ceux qui sont pour deux chambres répondront pour et les autres contre. (U. B., 18 déc.)
M. Claes (d’Anvers) – La décision que nous allons rendre sera-t-elle définitive ? (Non ! non !) (U. B., 18 déc.)
M. le président – C'est décidé. (U. B., 18 déc.)
- M. de Brouckere –Messieurs... (U. B., 18 déc.)
- De toutes parts – Aux voix ! aux voix ! (U. B., 18 déc.)
- L'assemblée décide qu'il sera fait mention au procès-verbal que le vote ne sera que conditionnel. (P. V.)
On procède à l'appel nominal.
190 membres y répondent.
128 votent pour.
62 votent contre.
En conséquence le congrès décide qu'il y aura un sénat. (P. V.)
Ont voté pour le sénat : MM. Wyvekens, de Roo, Blargnies, Dehemptinne, Van Hoobrouck de Mooreghem, Buylaert, le chevalier de Theux de Meylandt, Coppieters, Baugniet, Le Bègue, Allard, le baron de Stassart, Thorn, Marlet, de Decker, Roeser, Jacques, François, Zoude (de Saint-Hubert), Hennequin, Jottrand, Speelman-Rooman, le comte Cornet de Grez, Berger, Lsaffre, le baron de Pélichy van Huerne, Maclagan, de Lehaye, Masbourg, Gustave de Jonghe, de Sbille, Domis, Le Grelle, le marquis d'Yve de Bavay, Vandenhove, Huysman d'Annecroix, le baron de Meer de Moorsel, Pirmez, Raikem, Devaux, d'Hanis van Cannart, Thienpont, le marquis de Rodes, le comte Duval de Beaulieu, de Bouillé, le baron Beyts, Bosmans, Van Innis, le comte d'Ansembourg, Albert Cogels, le comte de Renesse, Van Meenen, le comte d'Arschot, Claus, Béthune, Cauvin, l'abbé Boucqueau de Villeraie, l'abbé Vander Linden, Lecocq, le baron Osy, de Man, le baron Van Volden de Lombeke, Serruys, le baron de Sécus (père), Helias d'Huddeghem, Nothomb, le baron de Coppin, Henri de Brouckere, le baron Surlet de Chokier, le comte Félix de Mérode, de Tiecken de Terhove, d'Martigny, Hippolyte Vilain XIIII, Eugène de Smet, Teuwens, Goethals-Bisschoff, Werbrouck-Pieters, de Selys Longchamps, Lefebvre, le baron Joseph d'Hooghvorst, l'abbé Van Crombrugghe, l'abbé Wallaert, le baron Frédéric de Sécus, Destouvelles, le vicomte Desmanet de Biesme, d'Hanens-Peers, le comte de Bergeyck, le baron de Viron, le comte de Baillet, Mulle, de Ville, Henri Cogels, le vicomte de Bousies de Rouveroy, Charles Le Hon, Trentesaux, Simons, Théophile Fallon, de Ryckere, Henry, de Muelenaere, le marquis Rodriguez d' Evora y Vega, Surmont de Volsberghe, Pettens, le baron de Liedel de Well, Charles Rogier, l'abbé Pollin, Du Bois, le baron de Terbecq, Du Bus, Janssens, François Lehon, de Coninck, le baron de Leuze, le baron de Woelmont, le comte de Quarré, Annez de Zillebeecke, Joos, Nagelmackers, Vergauwen-Goethals, de Langhe, de Behr, de Schiervel, Olislagers de Sipernau, Morel-Danheel, Lebeau, de Gerlache, le comte Werner de Mérode, le vicomte de Jonghe d'Ardoye.
Ont voté contre le sénat : MM. Thonus, Gelders, de Labeville, Gendebien (père), de Robaulx, le vicomte Charles Vilain XIIII, Van der Belen, Forgeur, l'abbé Verbeke, Van der Looy, Ooms, Fendius, Van Snick, Leclercq, Jean Baptiste Gendebien, de Nef, Delwarde, Beaucarne, Le Bon, Deleeuw, Charles de Brouckere, Defacqz, Wannaar, Charles Coppens, l'abbé de Foere, Alexandre Rodenbach ,Fransman, le baron d'Huart, l' abbé Dhaerne, Blomme, Dumont, Fleussu, Liedts, Nopener, Camille de Smet, Watlet, Barbanson, Destriveaux, Verwilghen, Peemans, Dams, Alexandre Gendbien, de Thier, l'abbé Andries, Jean Goethals, David, Pirson, Seron, Frison, Lardinois, Nalinne, Claes (d'Anvers), Collet, Davignon, l'abbé Verduyn, Buyse-Verscheure, l'abbé Joseph de Smet, Vandorpe, Constantin Rodenbach, Bredart, le comte de Celles, Goffint. (C., 17 déc.)
- Il est quatre heures et demie ; la séance est levée. (P. V.)