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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 7 mai 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1035) M. Reynaert fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Hagemans présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Par dépêche en date du 4 mai, M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition du sieur Henrard, demandant que les musiciens du régiment des guides jouissent de la même pension que les musiciens des régiments d'infanterie. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Des habitants de Blankenberghe prient la Chambre de statuer, pendant la session, actuelle, sur la pétition tendante à faire ordonner une enquête au sujet de la gestion de la caisse de prévoyance. »

M. Van Outryve. - Cette pétition se rapporte à une autre requête que la Chambre a reçue dans le courant du mois dernier. Je prierai la Chambre d'ordonner que cette pétition soit renvoyée à la commission qui à examiné la première.

- Cette proposition est adoptée.


« Les présidents et secrétaires des associations charbonnières de Charleroi, du Centre, de Liège, de Mons et de Namur prient la Chambre de rejeter la proposition de loi concernant l'âge pour la descente et le travail des enfants dans les mines et minières.

M. Pirmez. - Cette pétition est assez importante. Je demanderai qu'elle soit renvoyée à la commission ou à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi à laquelle elle se rapporte.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Bourger, imprimeur-éditeur à Arlon, se plaint de ce que le gouvernement ne fait plus insérer dans son journal, l'Indépendant du Luxembourg, les annonces de travaux ou de fournitures à exécuter pour le compte de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des distillateurs agricoles demandent que la réduction dont jouissent les distilleries agricoles soit portée de 15 p. c. à 20 p. c. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Decamps, ancien militaire, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Degeest demande la prompte construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Termonde. »

- Même renvoi.


« La dame Albert Roeslyne, née Loolens, prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir un congé définitif pour son fils Bernard, soldat au 1er régiment de ligne. »

- Même renvoi.


« Par message, en date du ï mai 1872, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion au projet de loi contenant le budget du ministère des travaux publics pour l'exercice 1872. »

- Pris pour notification.


« M. Delaet, retenu pour affaires urgentes, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Projet de loi ouvrant un crédit spécial aux budgets des départements des affaires étrangères et des travaux publics

Dépôt

M. Malou, ministre des finances. - D'après les ordres du Roi, j'ai l’honneur de présenter à la Chambre un projet de loi ouvrant aux départements des affaires étrangères et des travaux publics un crédit spécial de 650,000 francs pour l'exécution des travaux les plus urgents de l'établissement d'un bassin et de chantiers à l'usage des services de la marine à Ostende.

Messieurs, ces travaux sont d'une urgence extrême ; je demanderai à la Chambre de vouloir bien renvoyer ce projet à la section centrale qui a examiné le budget des affaires étrangères.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi.

M. Van Iseghem. - J'appuie la proposition faite par l'honorable ministre des finances de renvoi à la section centrale du budget des affaires étrangères, le projet est très urgent, et je prierai M. le président de convoquer la section centrale pour demain.

- La proposition de M. le ministre des finances est adoptée. Il sera fait droit à la demande de M. Van Iseghem.

Projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire au budget du ministère des affaires étrangères

Rapport de la commission

M. Pety de Thozée. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire au département des affaires étrangères pour l'exercice 1871.

Je propose à la Chambre de placer cet objet après l'ordre du jour des crédits supplémentaires au budget des finances.

- Adopté.

Projet de loi prorogeant la durée de la Banque Nationale

Discussion générale

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, je ne me suis pas dissimulé qu'ayant à présenter quelques observations sur une institution qui fonctionne à la satisfaction générale, qui, dans ce moment, - je ne parle ni du passé ni de l'avenir, - ne soulève aucune réclamation, qui rend des services incontestables et incontestés ; je ne me suis pas dissimulé, dis-je, que je ne rencontrerais que des oreilles inattentives et que ma tâche en serait rendue plus difficile.

Mais nous ne sommes pas ici simplement pour faire ce qui nous est agréable et facile ; nous devons veiller aux intérêts généraux du pays et c'est pourquoi nous devons rechercher les difficultés, les dangers même que l'émission de billets de banque par une institution même la mieux organisée peut, à certains moments, présenter pour le pays en général et pour l'Etat en particulier.

C'est la tâche que je me suis imposée.

Après ce que j'ai dit dans la séance dernière, il ne me reste plus qu'à examiner les effets que peut avoir une circulation hors de proportion avec les affaires réelles du pays, quels sont les dangers qu'elle peut faire courir au trésor public ou à l'Etat, et les moyens pratiques d'équilibrer la circulation, de l'asseoir sur une base plus solide et d'empêcher qu'elle ne puisse nuire en aucune circonstance aux intérêts publics et enfin examiner la situation telle qu'elle se présente devant nous et quelles seraient, selon moi, les résolutions que la Chambre devrait prendre dans les circonstances présentes.

Messieurs, dans la dernière séance, j'ai essayé de faire ressortir (page 1036) l'influence qu’une émission exubérante de la monnaie fiduciaire a exercée sur les classes qui ne sont pas directement intéressées au commerce et à l'industrie du pays.

Je vous ai montré que pour quelques-unes de ces classes l’enchérissement de toutes les choses nécessaires à la vie avait été une cause de souffrance, une cause de malaise qui s'est traduit souvent en effervescence et même en désordres et que, par suite, nous devions tâcher de réfréner l’émission et de la proportionner avec les affaires réelles du pays.

Aujourd'hui, messieurs, je vais chercher, pour que ma thèse soit complète, à vous démontrer la réalité de cette proposition, et à la faire correspondre, à en montrer les relations avec la situation générale du pays.

Il est visible à tous les yeux, personne ne le peut contester, que l'existence de la Banque Nationale, que les services qu'elle a rendus au commerce et à l'industrie par son émission et par sa circulation, ont exercé immédiatement autour d'elle une influence des plus considérables. La ville de Bruxelles évidemment ne doit, en grande partie, sa prospérité, son agrandissement, l'extension qu'ont prise son commerce et son industrie, qu'aux facilités extraordinaires que.la Banque Nationale a données à toutes ses affaires.

Cette influence s'est répandue et elle s'est ensuite étendue dans le pays ; elle s'étend d'autant plus vite et d'autant plus loin, qu'elle a établi dans les principaux centres d'activité du pays, où tout au moins sur un certain nombre de points, des comptoirs, des agences qui ont mis ses ressources à la disposition d'un plus grand nombre.

Cela est parfaitement vu et parfaitement compris de tout le monde ; personne ne peut contester l'influence heureuse, l'influence considérable que ces institutions ont produite, et si on le contestait, il suffirait de demander ce qu'il adviendrait du commerce et de l'industrie, je dirai même de la vie tout entière dans le pays, si tout à coup la circulation fiduciaire de la Banque venait à cesser, si tout à coup nous nous retrouvions dans la situation où nous étions placés sous ce rapport il y a une trentaine d'années ?

Il est bien évident que tout serait bouleversé et que la vie commerciale et industrielle serait, en quelque sorte, suspendue. Cela seul, sans autre explication, démontre l'influence directe que la circulation fiduciaire a eue sur les affaires du pays et sur le développement de sa prospérité.

Mais, à côté de cela, messieurs, il faut examiner si, certaines circonstances étant données, il n'y a pas de dangers qui peuvent surgir de cette situation elle-même.

Chez nous, heureusement, jusqu'à présent, nous n'avons jamais subi de crises commerciales et financières proprement dites ; les crises de 1848 et de 1870 étaient tellement liées à des événements politiques étrangers, que les causes commerciales qu'elles pouvaient renfermer disparaissaient en quelque sorte aux yeux du public.

Nous n'avons pas eu, comme les Etats-Unis et même l'Angleterre, des crises exclusivement commerciales, sans aucun mélange d'incidents politiques.

D'où il résulte que, chez nous, la discussion de ces questions n'est pas préparée par des faits, par des faits tangibles, par des faits qui aient été vivement discutés d'abord dans la presse et à cette tribune.

On semble avoir complètement oublié aujourd'hui les faits et les polémiques d'il y a deux ans à peine.

Nous en sommes donc réduits, pour faire apprécier ces causes, ces dangers, à avoir recours à ce qui s'est passé dans d'autres pays.

Cependant je ne voudrais pas entraîner la Chambre a examiner ce qui s'est passé ailleurs ; j'aime mieux pour développer, pour expliquer ma thèse, avoir recours à un exemple pratique, pour démontrer comment la circulation fiduciaire de notre Banque Nationale est forcément entraînée hors de son cadre naturel et sort, par la force même des choses, de la proportion qu'elle devrait toujours conserver avec la valeur des choses qu'elle doit représenter.

Je demande pardon à la Chambre d'être obligé d'employer un exemple très simple, très trivial, mais qui fera, je pense, toucher du doigt la question.

Je suppose une balle de laine de 1,000 kilogrammes, par exemple, dans un magasin privé à Anvers ; elle est payée ; elle ne doit plus rien à l'étranger ; par conséquent, sa carrière commerciale en Belgique commence à Anvers. Cette balle de laine est vendue pour 1,000 francs, je suppose, à une maison de Verviers pour y commencer sa carrière industrielle. L'affaire se règle par une traite à trois mois qui vient s'escompter à la Banque Nationale ; un billet à vue de 1,000 francs est donné par celle-ci en échange de la traite à trois mois créée quelques jours auparavant.

Il est évident que l'émission de ce premier billet de banque est appuyée sur une valeur commerciale réelle, sur une balle de laine valant réellement mille francs et réalisable à ce prix.

Mais arrivée à Verviers, cette quantité de laine est cédée, disons, pour ne pas compliquer l'exemple et les calculs, à un établissement où l'on opère le lavage et le dégraissage également pour le prix de mille francs, réglé également à trois mois, par une traite qui prend aussi le chemin de la Banque ; d'où une seconde émission d'un billet de mille francs représenté par la même valeur commerciale que le premier billet émis.

Quinze jours après, la même laine, lavée et dégraissée, est cédée à un second établissement qui en fait le filage ; troisième règlement à trois mois de date. Nouvel escompte à la Banque Nationale et troisième billet de 1,000 francs qui sort de ses caisses représentant toujours la même laine.

Je ne parle pas de la plus-value ni des autres incidents de ces échanges ; je m'en tiens, pour simplifier l'exemple, à la matière première ; voilà donc trois billets sortis des caisses de la Banque Nationale avant que cette laine soit convertie en drap, foulée et teinte.

La balle de laine suit donc sa carrière industrielle par le droit chemin ; elle passe à un filateur lequel, procédant de la même façon, règle également à trois mois, et fait sortir, pour la même balle de laine, un quatrième billet de 1,000 francs des caisses de la Banque ; et ainsi de suite, avant que les trois mois de l'échéance du premier billet soient écoulés, et tout en restant dans le cours naturel des choses, et même sans l'intervention de la spéculation ni des intermédiaires.

Six ou sept billets de banque de 1,000 francs représentant la même laine seront sortis des caisses de la Banque Nationale et entrés dans la circulation générale du pays.

Dans le courant ordinaire des affaires, il n'y a là aucun danger, car la Banque est garantie par la solvabilité de tous les souscripteurs et de tous les endosseurs des billets qu'elle accepte dans sa caisse en échange de six ou sept billets de 1,000 francs, qui en sont sortis à propos de cette valeur unique consistant en 1,000 kilogrammes de laine brute.

Mais supposons qu'une crise survienne, supposons que les affaires soient arrêtées, comme cela arrive toujours en temps de crise et que chacun doive payer à l'échéance ce qu'il doit à la Banque, n'est-il pas évident que s'il fallait passer par une liquidation forcée, cette seule valeur ne suffirait pas, surtout en présence de la baisse qui généralement a lieu en cas de crise, pour couvrir tous les billets émis ; n'est-il pas évident que la Banque ne trouverait dans ce cas qu'une seule valeur réelle représentant ces billets en dehors du crédit des endosseurs et que là est le véritable danger que courent les banques d'émission qui n'ont pas un capital de garantie plus fort que la Banque Nationale en proportion de son émission ?

Je ne veux pas parler des opérations qui peuvent se faire en commerce ; deux ou trois opérations peuvent se suivre très rapidement entre négociants sur cette même quantité de laine, et c'est surtout en temps de crise que ces opérations se font. La même balle de laine, valant 1,000 francs, peut donc passer dans deux ou trois mains et faire sortir autant de billets de la Banque. Voici, à cet égard, deux points de vue que je signale à l'attention de la Chambre :

1° Ces six ou sept billets de banque qui sont sortis pour la première opération ont été escompté, je suppose, à 3 p. c. l'an ; six fois 3 p. c. voilà 18 p. c. d'escompte que doit supporter cette matière brute dans ses diverses transformations industrielles, qui peuvent ne durer que quelques semaines. Je ne parle pas des opérations incidentes, ni des opérations intermédiaires ; je m'occupe seulement de celles qui, très légitimement, ont nécessité l'émission des billets de banque.

Ces 18 p. c. d'escompte équivalent à 3 p. c. pour trois mois, rien que pour la part de la Banque sur une même matière industrielle, et naturellement ont chargé d'autant le produit, c'est-à-dire le drap ou l'étoffe dont la laine est la matière première.

Quelle que soit la théorie de M. Pirmez sur la concurrence dans la détermination du prix des choses, il n'est pas moins certain aussi que le prix de revient influe considérablement sur ce prix, et que si le prix de revient est trop grand, les prix de revente ne sont plus rémunérateurs s'ils descendent en dessous de ces prix.

Vous voyez, messieurs, par l'exemple que je viens de citer qu'il faut établir un frein sur la circulation ; il faut trouver le moyen de l'empêcher de s'étendre outre mesure et de créer ainsi des dangers sérieux pour les porteurs ou pour le trésor public.

Il faut, au contraire, que la Banque ait intérêt à ne pas favoriser l'émission de tant de billets au porteur pour une seule et même opération. Elle (page 1037) seule est capable de l'empêcher. Nous aurions beau légiférer ; nous ne pourrions rien à cet égard. Je n'insinue pas, comme on semble le croire, qu'il faille mettre un frein à ses opérations, Là n'est pas la question, au point de vue où je me place ; la seule question qui intéresse le public porteur des billets de banque, porteur souvent désintéressé et l'Etat qui, quoique nous fassions, est et sera toujours la caution, l'unique caution de ces billets en cas de crise. Cela n'a jamais été contesté ; cela s'est même dit à plusieurs reprises dans cette discussion même, car il est certain, en cas de crise, que l'Etat devrait décréter le cours forcé et dès lors il serait le garant des billets de banque.

Par conséquent, l'Etat et nous, qui sommes ici pour discuter et sauvegarder ses intérêts, l'Etat a le plus grand intérêt à ce que les billets de banque soient en dehors des opérations parement commerciales, représentés par des valeurs réelles toujours réalisables. Or, où en sommes-nous aujourd'hui ? D'après le Moniteur de ce matin, nous avons une circulation de 261 millions ; un capital de 25 millions et une réserve de 16 millions ; voilà les garanties réelles.

M. Frère-Orban. - Et le portefeuille ?

M. Le Hardy de Beaulieu. - Un instant, s'il vous plaît : chaque chose en son temps.

Le portefeuille, comme on vient de le voir, peut se composer, comme je viens de l'expliquer, d'opérations successives sur les mêmes valeurs et ne plus représenter, en réalité, que ces mêmes valeurs.

De telle sorte qu'un billet de banque représentant mille kilos de laine, et s'étant multiplié par six ou sept, ces mille kilos de laine sont la seule garantie réelle et solide qui se trouve devant le portefeuille de la Banque en dehors du crédit, en dehors de la solvabilité de tous les souscripteurs.

M. Frère-Orban. - Excepté cela ! C'est déjà quelque chose, ce me semble.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, j'ai assisté à plusieurs crises commerciales proprement dites ; j'ai été ait milieu de ces crises et j'ai vu que, dans un moment donné, toutes les solvabilités, même les plus grandes et qui paraissaient les plus inébranlables, se trouvaient ébranlées du jour au lendemain.

M. Frère-Orban. - Quelles crises ?

M. Le Hardy de Beaulieu. - A celle de 1837 aux Etats-Unis ; à la grande crise de 1847 en Angleterre ; à notre propre crise en 1866.

M. Frère-Orban. - Nous avons tous assisté à celle-ci.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Eh bien, j'ai acquis par là la conviction que l'Etat qui représente le public, et qui ne peut se soustraire aux devoirs que lui crée cette responsabilité, devrait décréter, en cas de crise, le cours forcé et que, par là, il deviendrait responsable de l'émission. La dette publique pourrait se trouver ainsi subitement augmentée.

M. Frère-Orban. - C'est arrivé aux Etats-Unis.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Certainement la dette de beaucoup d'Etats s'est trouvée augmentée. (Interruption.)

Mais les Etats-Unis se composent à la fois de la généralité des Etats et des Etats en particulier. Ici nous n'avons que l'Etat.

M. Frère-Orban. - Cela fait crouler votre argument.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Du tout. La plupart des Etats ont augmenté leur dette par le cours forcé qu'ils ont donné aux billets.

Je dis donc que l'Etat, devant donner la garantie aux billets de banque en cas de crise, a le plus grand intérêt à voir comment on pourrait soustraire le pays à ces crises.

Si c'est chose impossible, la question se réduirait tout simplement à examiner s'il vaut mieux courir tous ces risques en vue des avantages à obtenir.

S'il n'y a pas moyen d'éviter ces risques et si les avantages qui peuvent résulter pour la généralité sont très grands, il faut laisser aller les choses.

Telle n'a pas été l'opinion qui a prévalu aux Etats-Unis après la discussion dont j'ai parlé. Là, après toutes les expériences qui avaient été tentées, on en est arrivé à cette conclusion : c'est que les billets de banque doivent toujours être couverts tant par les valeurs commerciales du portefeuille et par du métal que par des valeurs non commerciales, mais facilement réalisables. Et c'est précisément aussi la conclusion à laquelle on en est arrivé en Angleterre. De l'émission de la Banque d'Angleterre, 14 millions sont garantis par une dette de l'Etat, sous forme d'inscription, et tout le reste par l'encaisse. Il ne sort pas un billet de banque de la caisse de la Banque d'Angleterre, en dehors des 14 millions garantis par l'Etat, qui ne soit garanti par du métal.

M. Frère-Orban. - Ces 14 millions dont vous parlez ne sont pas garantis par l'Etat.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Ces 14 millions sont une dette de l'Etat ; c'est donc bien là une garantie.

M. Frère-Orban. - Allons donc !

M. Le Hardy de Beaulieu. - C'est exactement la même chose, à moins que l'Etat ne déclare qu'il ne garantit pas sa propre dette.

Or, voici comment les choses se passent aux Etats-Unis. Depuis la dernière loi, qui date de 1864 ou 1865, toute association de personnes, n'importe dans quelle localité où elle se trouve, peut, en déposant une certaine somme en fonds publics, notamment de la dette des Etats-Unis, obtenir d'un bureau établi, soit à New-York soit ailleurs, autant de billets, moins 10 p. c. de ce dépôt.

Voilà le principe de l'institution.

Il est évident, dès lors, que ces billets de banque, ainsi garantis, seront employés exactement comme on le fait ici ; on ne les donne que contre des valeurs commerciales exactement comme le fait la Banque Nationale. Toutes ces banques ont donc un actif en portefeuille comme notre Banque Nationale. Mais le public, porteur des billets, est toujours certain, quoi qu'il arrive, quelque dépréciation qui puisse atteindre les valeurs du portefeuille représentées par les billets émis, qu'il n’aura jamais de pertes. sérieuses à encourir de ce chef. Tout porteur est parfaitement garanti. D'un autre côté, l'Etat n'a pas d'autre responsabilité que de payer à leur échéance l’intérêt et le capital des titres de la dette publique qui sont déposés dans les caisses de consignation établies à cet effet.

Vous voyez, messieurs, qu'il n'y a pas une impossibilité, radicale tout au moins, d'arriver à quelque chose de semblable chez nous. Je ne dis pas qu'il faille y arriver hic et nunc et tout d'un coup. Mais j'ai soulevé la question parce que nous sommes appelés à nous lier pour trente ans et si nous ne prenons pas quelque mesure de précaution, je me demande si nous ne pouvons pas être exposés à devoir subir des épreuves comme celles par où ont passé lé commerce et l'industrie des Etats-Unis ou de l'Angleterre ; je me demande si en vue de ces éventualités sinon certaines, au moins possibles, il ne vaut pas mieux prendre d'avance quelques mesures ou au moins se réserver de pouvoir les prendre, le cas échéant, dans certaines circonstances données.

C'est pour appeler l'attention de la Chambre sur ce point que j'ai donné quelque étendue à cette partie de mon discours.

Messieurs, comment et par quel moyen pourrait-on arriver à garantir la circulation fiduciaire en Belgique, de façon à mettre l'Etat à l'abri des éventualités qui se sont présentés en 1848 et qui ont été sur le point de, se présenter en 1870, c'est-à-dire d'établir le cours forcé des billets de banque et de devenir, par conséquent, responsable.

Je ne voudrais pas dans ce moment tracer un programme complet, nous n'en avons pas le temps ; je veux simplement l'esquisser, car il est évident que cela serait impossible au milieu d'une discussion aussi pressée, aussi fiévreuse que celle dans laquelle nous sommes lancés.

Mais voici, messieurs, en deux mots, comment il me semble que les choses pourraient et devraient se passer.

Je crois qu'il y aurait une autre organisation à donner aux comptoirs dans les provinces. Je crois que la responsabilité des membres de ces comptoirs, dans certaines circonstances, pourrait être une chose illusoire ainsi que l'a parfaitement dit l'un des orateurs qui m'ont précédé et, d'autre part, cette responsabilité peut enchaîner le mouvement commercial d'une façon nuisible à l'industrie et au commerce.

D'après moi, les comptoirs d'escompte sont le germe, l'embryon de la liberté future des banques en Belgique. Je ne sais pas combien de temps ce germe pourra mettre à se développer, mais il me paraît certain que quand les hommes qui composent les comptoirs auront acquis une expérience suffisante, une connaissance des affaires plus approfondie, ils demanderont à avoir plus de liberté, d'une part, et moins de responsabilité de l'autre, le tout au profit du commerce et de l'industrie.

Je voudrais donc - c'est là une solution provisoire qui nous conduira à une solution définitive - je voudrais que chaque comptoir pût, moyennant le dépôt de fonds publics ou d'autres valeurs également solides et également réalisables à court terme, obtenir une certaine quantité de billets de banque et faire directement des opérations d'une façon tout à fait indépendante. Cela ira tout doucement d'abord, car on s'habitue difficilement à la liberté, mais cela prendra plus tard une grande extension, et l'on verra ainsi naître successivement des banques dans tous les centres actifs du pays, apportant dans leurs opérations une énergie plus grande et multipliant les facilités autour d'elles, stimulées par les bénéfices à réaliser, exactement comme le fait la Banque Nationale elle-même à Bruxelles, où elle traite sans doute, toutes proportions gardées, un nombre (page 1038) bien plus considérable d'affaires qu'elle n'en traite en province par l’intermédiaire de ses comptoirs.

Voilà donc une solution. Tous ces billets sortiraient pour aller en province ; ils seraient garantis par des valeurs immédiatement réalisables ou par d'autres valeurs commerciales réalisables plus ou moins immédiatement et dont le taux est plus ou moins variable.

Mais ici il y aurait des garanties que l'Etat ne pourrait pas contester. Dès lors, l'Etat serait parfaitement à l'abri de toute espèce de responsabilité financière, quant au cours forcé, s'il était obligé de le faire passer momentanément dans les lois ; et le public aurait la plus grande confiance dans les billets ainsi garantis, et bientôt sous la pression de l'opinion de ce public, sous la pression de l'utilité à en résulter, la Banque elle-même demanderait que sa circulation soit entièrement garantie de la même façon.

C'est là, messieurs, un côté de la question. La Banque, par le même fait, serait intéressée à limiter son émission aux affaires réelles qu'elle fait et nous verrions, comme en Amérique, les affaires s'étendre plus lentement et progressivement, il est vrai, mais en restant toujours dans les proportions du capital ; nous ne verrions pas, comme ici, la circulation fiduciaire être égale à dix fois le capital de la Banque.

Messieurs, ayant appelé votre attention sur ces divers points, il me reste à examiner ce que la Chambre aurait à faire dans la circonstance présente.

Il me semble, comme je l'ai dit en commençant mon discours de samedi, que le temps nécessaire pour arriver à une solution raisonnée de toutes les questions nous fait complètement défaut.

Nous sommes dans des conditions mauvaises, à la fin d'une session, pour donner à toutes les questions qui peuvent surgir les développements qu'elles peuvent comporter.

D'après moi, il n'y a rien qui presse dans cette affaire et, je le répète, je ne comprends pas la hâte qu'y a mise le gouvernement.

Les deux motifs qui ont été allégués ne me paraissent nullement suffisants. Ce serait peu de chose en présence des risques que l'Etat pourrait être appelé à courir, que ce bénéfice d'un million qui nous a été présenté comme l'une des causes principales de la hâte mise à la présentation de ce projet de loi.

D'autre part, la Banque ne peut, ne doit pas être pressée, puisque je pense qu'elle est dans une très bonne situation et qu'elle ne doit pas être mécontente du contrat sous lequel elle marche aujourd'hui. Elle a donc le temps d'attendre que ce contrat prenne naturellement fin.

L'Etat ne doit pas donner l'exemple de ces modifications aux contrats qu'il fait avant les époques qui y sont déterminées. C'est un exemple mauvais. Un Etat doit être ferme, et quand il a contracté pour vingt-cinq ans, il doit tenir à ce que ce terme soit observé. Il peut, et je suis complètement de cet avis, il doit renouveler le contrat de la Banque ayant l'expiration du terme stipulé ; mais il doit le faire avec toutes les conditions de calme que nécessite une question de cette nature ; il peut le faire deux ans d'avance, je n'en disconviens pas.

Quant à la durée du contrat, si la garantie du public et du trésor national était complète sous le rapport de la circulation fiduciaire, je déclare que je ne verrais aucun inconvénient à donner cette prorogation pour vingt-cinq ou trente ans.

La seule question qui me fasse hésiter est celle que je vous ai déjà signalée, c'est l'incertitude où se trouve l'Etat qu'il ne sera pas entraîné malgré lui, malgré ses intérêts les plus évidents, dans le cours forcé et par conséquent dans la garantie réelle de la circulation.

Je ne voudrais pas qu'une dette considérable pût nous être imposée de ce chef. D'autre part, je voudrais avoir à discuter d'une façon plus approfondie une question incidente du projet, mais qui paraît bien grave, c'est celle de l'emploi de l'encaisse du trésor.

D'abord, l'encaisse s'est constituée je ne sais comment ; mais je doute fort qu'elle ait jamais été soumise à la discussion de cette Chambre.

Je vois dans cette encaisse le moyen, à un moment donné, pour un gouvernement qui voudrait s'imposer au pays, de pouvoir gouverner pendant un certain temps, sans le concours des Chambres.

Nous en avons vu des exemples dans des pays voisins et nous ne devons pas prêter les mains à ce qu'il puisse en être de même chez nous. Mais, je le répète, c'est là une question incidentelle, il est vrai, mais qu'il serait bien utile cependant d'examiner avant de donner indirectement son assentiment à l'existence de cette encaisse. Je dois faire remarquer cependant que la disposition de cette encaisse semble devoir entraîner certaines responsabilités. Il est bien dit dans le projet de loi que la responsabilité appartiendra en entier à la Banque ; mais qui dit responsable dit maître ; personne ne veut être responsable et ne consent à l'être qu'autant qu'il soit maître et libre.

Par conséquent la Banque sera-t-elle maîtresse d'imposer à l'Etat les valeurs qu'il lui plaira et sera-t-elle libre de les choisir ? Jusqu'à présent il n'a pas été donné à cet égard des explications satisfaisantes et complètes. Quant à moi, je dirai mon sentiment en bloc sur ce sujet.

Pour moi, l'Etat ne devrait pas avoir d'affaires. L'Etat ne devrait se mêler que de son métier propre : celui qui consiste à garantir à chacun et à tous la liberté et la sécurité. Voilà le rôle unique dans lequel je voudrais voir l'Etat se renfermer. Je crains fort que l'Etat, qui est déjà notre grand camionneur, ne devienne bientôt notre banquier, ne devienne plus complètement encore notre maître, Or, l'Etat ne doit pas être notre maître ; il doit être notre serviteur, et je préférerais, si j'avais un conseil à donner à notre pays, de lui laisser la responsabilité et le bénéfice de l'encaisse.

Je suis, par conséquent, d'avis d'ajourner la solution de la question...

M. Malou, ministre des finances. - L'ajournement a été rejeté.

M. Le Hardy de Beaulieu. - La Chambre est toujours maîtresse de ses résolutions.

Par conséquent, je suis d'avis, plus que jamais, que la question n'est pas mûre, que la Banque n'a pas besoin d'une solution immédiate et que nous nous devons à nous-mêmes de prendre tout le temps nécessaire pour aboutir à une solution satisfaisante pour tous les intérêts.

M. Balisaux. - Messieurs, je ne prends pas une seconde fois la parole, dans la discussion générale du projet de loi sur la prorogation de la Banque Nationale, pour y introduire de nouvelles propositions, ou modifier celles que j'ai eu l'honneur de soumettre à vos appréciations.

J'entends rester dans le cadre que je me suis tracé par mon premier discours. Je n'use donc que du droit de réplique dont j'apprécie, en cette circonstance, toute l'utilité.

Les arguments que j'ai fait valoir à l'appui des amendements que j'ai déposés, mes observations sur quelques points de l'organisation intérieure de la Banque, notamment ses comptoirs d'escompte, ont été combattus avec une éloquence entraînante qui n'a pu du reste nous étonner quand ce sont des orateurs comme MM. Pirmez, Frère et Malou qui parlent.

Mais, messieurs, j'ai le regret d'être et de rester toujours froid, au moins quand on s'occupe de questions financières ; je n'ai pas été séduit, et, tout en applaudissant à ces discours, je n'ai pu me défendre de constater que, dans certaines parties, ils manquaient de cette argumentation serrée, de cette logique auxquelles ces honorables orateurs nous ont habitués.

J'étais étonné d'entendre l'honorable ministre des finances ne trouver que des arguments de cœur, basés sur des sentiments d'affection ou de pitié, en faveur des actionnaires de la Banque Nationale, pour combattre mes amendements, si utiles cependant au trésor public et si justes, quelque rigoureux qu'ils puissent paraître.

J'étais plus surpris encore quand j'entendais l'honorable M. Frère-Orban commettre des erreurs juridique, économique et des erreurs de faits comme celles-ci.

C'est l'honorable M. Frère qui parle :

\1. « Ni en fait ni en droit, il n'y a privilège ni monopole pour la Banque. »

\2. « Le taux d'escompte de la Banque Nationale est réglé par le grand principe économique de la balance de l'offre et de la demande. »

\3. « C'est à regret que la Société Générale a pris 10,000 actions de là Banque Nationale et la Banque de Belgique 15,000. »

\4. « M. Balisaux commet l'iniquité de vouloir prendre à la Banque non seulement le capital ou le bénéfice de 14 millions à réaliser sur la vente dei actions, mais encore la rente. »

\5. « Le taux d'escompte n'est pas influencé par la somme minime que prennent les comptoirs. Comment admettre que cette somme infinitésimale exerce une influence sur le prix des capitaux ? »

\6. « Si l'on peut trouver exagérée la somme payée aux comptoirs, n'aurais-je pas le droit de traduire à la barre de cette assemblée les banquiers qui, eux, perçoivent de grosses commissions bien supérieures au quart que la Banque alloue à ses comptoirs ? »

Mais n'anticipons pas, nous reviendrons tantôt sur ces erreurs.

L'honorable M. Pirmez nous a reproché de ne pas avoir pensé à reconnaître et à proclamer, dans cette enceinte, que la Banque Nationale avait rendu de grands services au pays.

Cette abstention, de ma part au moins, est assez naturelle, messieurs ; je savais ou je devais présumer que l'honorable rapporteur de la section centrale se chargerait de ce soin.

(page 1039) En bon collègue, je ne pouvais lui ravir l'idée qui a étél 'objet de l'une des plus belles parties de son discours.

Mais il en est temps encore, et je veux absolument me mettre à l'abri de tout reproche à ce sujet.

Je rends donc consciencieusement hommage aux immenses services que la Banque Nationale a rendus au commerce et à l'industrie du pays, et je suis convaincu qu'éclairée de plus en plus par l'expérience, elle est appelée à en rendre de plus grands encore.

Mais, messieurs, comme les actionnaires pourraient se plaindre de ce que je les aurais oubliés en cette circonstance, je rends aussi hommage aux éminents services que la Banque Nationale leur a rendus depuis bientôt vingt-deux ans.

J'entre maintenant, messieurs, au cœur du débat et, pour le simplifier, j'en écarte toutes les discussions théoriques qui en ont fait le principal objet, savoir : le principe de l'unité ou de la pluralité des banques ; le rôle du capital, de l'encaisse métallique et des billets au porteur, dans les banques d'émission.

Il en est de la discussion de ces questions économiques comme de celle des questions philosophiques ; on se débat pendant des heures et chacun des adversaires se retire, convaincu que lui seul a raison. Aucune proposition formelle n'a du reste été faite par aucun des honorables préopinants, tendante à modifier le régime ou le système résultant de la loi du 5 mai 1850. La question de l'augmentation du capital est dès aujourd'hui résolue. Parmi les honorables membres de cette Chambre, les uns reconnaissent cette augmentation comme une nécessité ; d'autres, comme une utilité ; d'autres enfin, tout en protestant contre la nécessité ou l'utilité de l'augmentation du capital social, déclarent ne pas s'opposer a la mesure proposée à ce sujet par le projet de loi.

Je reste, moi, convaincu que si cette augmentation n'est peut-être pas d'une nécessité absolue, elle est d'une très grande utilité sous beaucoup de rapports.

Je ferai cependant une observation, en ce qui concerne l'augmentation du capital social. La loi hollandaise réserve au gouvernement la faculté d'ordonner l'augmentation du capital de la Banque des Pays-Bas, si les circonstances l'exigent. J'ai présenté un amendement dans ce sens, il n'a pas été combattu jusqu'aujourd'hui : est-ce une présomption qu'il sera adopté ? C'est ce que l'avenir nous apprendra.

M. Malou, ministre des finances. - Nous aurons la discussion des articles. La discussion générale ne doit pas porter sur tout à la fois.

M. Balisaux. - Nous attendrons donc la discussion des articles.

J'écarte avec raison, messieurs, la question d'unité ou de pluralité des banques d'émission. J'ai du reste déclaré, dans mon premier discours, qu'instruit par une expérience de 22 années, je ne pouvais être qu'hostile à tout projet de modification, à tous essais qui pourraient jeter la perturbation dans les affaires industrielles et commerciales du pays.

J'ai dit tantôt, messieurs, que l'honorable M. Frère avait commis des erreurs juridiques, économiques et de nombreuses erreurs de faits.

Je vais essayer de vous le prouver, non pas par satisfaction personnelle, mais parce que, faisant cette preuve, toute mon argumentation en faveur de mes amendements et de mes observations reste debout.

L'honorable M. Frère a dit :

« Ni en fait ni en droit, il n'y a privilège ni monopole pour la Banque. »

Mon honorable collègue, M. Pirmez, semble partager cette opinion, mais il m'a paru oublieux ou peu convaincu, car il répète bien souvent, dans son discours, les mots : le privilège de la Banque Nationale.

La conviction de l'honorable M. Frère est plus profonde ou il est plus prudent, car les mots « monopole » ou « privilège » ne sont jamais sortis de sa bouche ; il les a remplacés par le mot « avantage » et il se borne à dire : « Les avantages assurés à la Banque... »

L'honorable M. Pirmez n'a fait qu'effleurer, dans le rapport de la section centrale, la question de savoir si l'article 25 de la loi du 5 mai 1850 constitue une entrave à la liberté d'émission du papier au porteur. De quelque manière que j'envisage la question, je ne pourrais donner une autre portée, une autre interprétation à cette disposition légale.

On a dit :

« Il n'y a pas de privilège, puisque les particuliers, les sociétés en nom collectif peuvent émettre des billets de banque aussi bien que la Banque Nationale, que cela se fait du reste en Ecosse. »

Cela s'est fait en Ecosse, il est vrai, mais ne se fait plus aujourd'hui.

Je répondrai d'abord, en fait, qu'avec nos mœurs financières, une société de banque d'émission ne peut guère s'instituer que sous la forme de société en commandite par actions, ou de société anonyme, qui sont les seules formes acceptables de l'association en grand. Lisez le rapport de la section centrale sur le projet de loi concernant les sociétés commerciales et vous acquerrez bientôt la conviction de ce que j'avance. C'est pourquoi ce projet de loi facilite la création des sociétés anonymes en les dispensant dorénavant de l'autorisation gouvernementale.

L'association des capitaux doit presque nécessairement remplacer l'association des personnes pour la réalisation de grandes entreprises qui deviennent de jour en jour plus fréquentes.

Il ne serait certes pas sérieux de dire à un particulier, fût-il même Rothschild, Baring ou Hope : Vous avez la liberté d'émettre des billets de banque en concurrence avec la Banque Nationale, profitez-en et ne vous plaignez pas du privilège accordé à celle-ci. Quelle que soit la solvabilité connue, la fortune considérable de ce particulier, ce billet de banque jouirait de peu de faveur et serait difficilement admis dans la circulation.

Pour apprécier, en droit, la position respective des personnes vis-à-vis de la loi, il faut les choisir dans les mêmes conditions, ne pas prendre, par exemple, un majeur et un mineur, une société où les actionnaires ne sont tenus que jusqu'à concurrence de leur apport et une société où tous les actionnaires sont solidairement responsables des affaires sociales. Prenons deux personnalités juridiques qui sont sœurs par la forme, deux sociétés anonymes, la Banque Nationale et la Banque de Charleroi, puisqu'il en a été fait mention plusieurs fois dans cette enceinte. La loi accorde à la première le privilège d'émettre des billets de banque et elle le défend formellement à la seconde. Il y a donc complète inégalité entre elles vis-à-vis de la loi ; la Banque Nationale, en émettant du papier au porteur, a donc un privilège de fait, puisqu'elle en use, mais encore de droit, puisqu'il résulte d'une disposition formelle de la loi.

L'honorable M. Frère a dit, au surplus, que la Banque Nationale n'avait un monopole ni en fait, ni en droit.

Qu'est-ce qu'un monopole ?

Dans l'acception ordinaire et même juridique du mot, le monopole est le droit exclusif de vendre telle marchandise, de faire telle chose, d'exercer tel commerce ou telle industrie.

Dans le langage économique, le mot « monopole » a une acception beaucoup plus large. Voici ce que dit, à cet égard, un savant économiste, le sieur Clément :

« Ce mot, en économie politique, reçoit une acception beaucoup plus large que celle indiquée par son étymologie ; il ne s'applique pas seulement aux cas assez peu nombreux où la faculté de vendre est réservée à un seul, mais à toutes les situations où la production et la vente, sans être l'apanage exclusif d'un seul, n'admettent qu'une concurrence restreinte par des causes naturelles ou artificielles.

« Ainsi entendu, le monopole existe, à une multitude de degrés différents, dans presque toutes les branches de l'activité sociale, car il n'en est guère qui puissent comporter une concurrence absolument illimitée, c'est-à-dire également facultative pour tous.

« Pour apporter quelque méthode dans cette étude, nous diviserons les monopoles en quatre classes :

« 1° Les monopoles personnels.

« 2° Les monopoles fonciers.

« 3° Ceux qui ne subsistent qu'au moyen des obstacles mis à la concurrence par la législation ou l'autorité gouvernementale : ce sont les privilèges ou monopoles légaux.

« La faculté de mettre en circulation des billets payables au porteur et à vue est presque partout un privilège, conféré quelquefois au gouvernement, et le plus souvent à des compagnies.

« Nous renvoyons, pour ce qui concerne le monopole, à l'article Banques…»

Mais, dira-t-on, cet auteur, en parlant du monopole des banques d'émission, s'est placé au point de vue de la Banque de France, qui jouit d'un véritable monopole.

En Belgique, l'Etat n'est pas lié vis-à-vis de la Banque Nationale ; l'article 25 de la loi du 5 mai 1850 stipule qu'une loi nouvelle peut autoriser d'autres banques anonymes de circulation.

Mais, messieurs, en attendant que cette loi nouvelle intervienne, ce qui n'aura probablement pas lieu en Belgique, quelle banque anonyme autre que la Banque Nationale a le pouvoir d'émettre du papier au porteur ou des billets de banque ?

Ce pouvoir n'appartient qu'à celle-ci et, à l'exclusion de toutes autres, elle a donc un monopole de droit résultant directement de la loi.

L'honorable M. Frère pourrait-il me citer l'exemple d'un monopole quelconque, c'est-à-dire un pouvoir exclusif, un monopole personnel ou (page 1040) même foncier, puisqu'il a parlé de celui-ci, qui ne soit basé sur la loi et qui ne puisse disparaître par une loi nouvelle ?

M. Frère-Orban. - Mais ce n’est pas là ce qu'en économie politique on appelle le monopole de la terre.

M. Balisaux. - La corporation ou l'ordre des avocats a seul le droit de plaider devant les tribunaux civils, c'est une espèce de monopole qui lui est concédé par la loi.

Ce droit exclusif peut être tempéré par une autre loi ; c’est ainsi qu'un décret de 1808, si mes souvenirs sont exacts, a permis aux avoués, occupant devant les tribunaux qui ne sont pas chefs-lieux de province, de plaider devant les tribunaux civils.

Une loi nouvelle pourrait faire disparaître le monopole accordé à l'ordre des avocats, -je suis loin de dire que je la désire, - en donnant la liberté à tous de plaider pour autrui et en toutes circonstances devant les tribunaux.

Ainsi, pour faire disparaître le monopole attribué à la Banque Nationale, il ne suffirait pas qu'une loi vînt accorder le même privilège d'émettre des billets de banque à une autre société anonyme, il faudrait que la liberté fût complète et que l'article 25 de la loi du 5 mai 1850 fût abrogé.

Il n'y a donc pas, messieurs, à ce sujet, à chercher un terme transactionnel comme celui de monopole de fait ou monopole tempéré, ainsi que l'ont fait plusieurs de mes honorables collègues.

Le monopole de la Banque Nationale est un véritable monopole légal, dans l'acception la plus étroite du mot.

L'honorable M. Frère a commis, me paraît-il, une erreur au point de vue économique, en disant :

« Le taux d'escompte de la Banque Nationale est réglé par le grand principe économique de la balance de l'offre et de la demande. »

Je ne viens point, messieurs, critiquer ce principe, qui est un des plus élémentaires de l'économie politique, mais ce que je critique et avec raison, je crois, c'est son application à la Banque Nationale.

Le prix d'une denrée quelconque se détermine par la balance de l'offre et de la demande. Ce sont les vendeurs et les acheteurs qui fixent les prix du marché, et cette fixation résulte de la concurrence qu'ils établissent entre eux.

Mais quand la concurrence n'existe pas, qu'elle a fait place au monopole, le principe disparaît.

En Belgique, la Banque Nationale est, en fait, maîtresse du prix des capitaux, elle n'a pas de société concurrente et elle ne peut en avoir, car elle a des moyens, l'émission de 200,000,000 à 300,000,000 de billets de banque qui ne sont à la disposition d'aucune autre société.

Quand elle fixe un taux d'escompte, rien ne prouve que, dans certaines limites au moins, cette mesure est basée sur l'importance de l'offre et de la demande.

L'honorable M. Pirmez disait dernièrement, je ne sais plus à quel sujet, à l'honorable M. Demeur : « Vous soufflez dans un baromètre pour avoir du beau temps. »Y aurait-il par hasard, à la Banque Nationale et à la disposition du public, un baromètre indiquant fatalement, indépendamment de toute volonté, le taux de l'escompte ?

M. Jamar. - Il y a l'encaisse.

M. Frère-Orban. - Cela est clair comme le jour.

M. Balisaux. - Cela n'est pas clair comme le jour ; le taux de l'escompte, dans certaines proportions, bien entendu, dépend plus ou moins de la volonté des administrateurs de la Banque.

Je crains bien, s'il existe un baromètre à la Banque, que MM. les administrateurs, quand ils voient le temps à la pluie pour les bénéfices et conséquemment pour la cote des actions de la Banque à la Bourse, ne soient quelque peu disposés à souffler dans le baromètre pour ramener le beau temps. Ils ne soufflent pas fort ; les brusques changements de température sont nuisibles ; le public s'en étonnerait et demanderait des explications.

J'arrive, messieurs, aux erreurs de fait commises par l'honorable M. Frère-Orban.

\1. Il a dit : « C'est à regret que la Société Générale a pris dix mille actions de la Banque Nationale et la Banque de Belgique quinze mille. »

J'avais affirmé qu'elles avaient, au contraire, mis le plus grand empressement à les souscrire et que la Banque de Flandre et la Banque Liégeoise avaient témoigné le désir d'en obtenir une partie.

Nous nous trouvions donc en présence de deux affirmations contradictoires, et l'une et l'autre sans preuves à l'appui.

Par déférence pour l'honorable M. Frère, j'allais donc m'incliner, quand mon honorable collègue et ami, M. Muller, s'y est formellement opposé ; c'est donc à lui qu'incombe toute la responsabilité, si je reviens à la charge.

Il a dit : « On n'a rien offert à la Banque Liégeoise, elle s'en est même plainte. »

Si la Banque Liégeoise avait aussi à sa tête des hommes capables, expérimentés, elle l'a bien prouvé par les immenses succès qu'elle a obtenus et, si elle a formulé des plaintes d'avoir été écartée du partage, ce n'est sans doute pas par répugnance pour les actions de la Banque Nationale, mais parce qu’elle considérait l’opération comme bonne et qu’elle entrevoyait de beaux bénéfices à réaliser.

Elle ne se trompait pas, car d'après les renseignements qui nous ont été fournis par l'honorable M. Demeur, la Société Générale réalisait ses actions, dans les trois années, avec un bénéfice de 35 p. c., soit environ 3 millions. (Interruption.)

On conteste, mais je crois que mon calcul est exact et je répète que c'est un très beau résultat pour une opération que l'on affirme avoir été faite à regret.

\2. On a dit : « M. Balisaux commet l'iniquité de vouloir prendre à la Banque non seulement le capital ou le bénéfice de 14 millions a réaliser sur la vente des 25,000 actions nouvelles, mais encore la rente. »

N'ayant voulu prendre à la Banque, ni capital, ni rente, j'avais beau m'interroger, je ne comprenais pas.

J'ai demandé au gouvernement de souscrire, au nom de l'Etat, 25,000 actions nouvelles destinées à augmenter le capital de la Banque Nationale, conformément à ce qu'a fait le gouvernement hollandais pour l'augmentation du capital de la Banque des Pays-Bas.

J'ai établi, par des chiffres qui ne pouvaient être contestés, que le bénéfice à réaliser de cette opération, pour le trésor public, était de 14,375,000 francs, mais que je réduisais toutefois à 12,500,000 francs, parce que je trouvais la cote des actions de la Banque, à la Bourse, quelque peu exagérée.

Mais, messieurs, ce n'est pas à la Banque que je prends ces 12 millions pour les verser au trésor public, je les prends aux acheteurs des 25,000 actions nouvelles qui me payeront cette prime avec empressement.

Je ne prends donc pas de capital, et où est la rente que je demande ?

C'est mon honorable collègue, M. Pirmez, qui me l'apprend. Il la trouve dans cette proposition que je fais, par l'un de mes amendements, de réduire d'un 1/2 p. c. (4 1/2 au lieu de 5), le taux d'intérêt au-dessus duquel le produit de l'escompte appartiendra à l'Etat.

J'ai déjà dit, messieurs, que je considérais cette réduction comme très peu importante, le taux de l'escompte n'ayant été, pendant vingt et un ans d'exercice de la Banque, au-dessus de 4 1/2 p. c. que pendant deux ans, deux mois et cinquante et un jours.

Etablir mathématiquement l'importance de cette nouvelle ressource pour le trésor public m'eût été fort difficile. Il me fallait, pour faire ces calculs, des documents que je n'avais pas, et que je ne pouvais me procurer, si ce n'est à la source, qui se serait sans doute tarie pour moi.

Mais l'honorable M. Pirmez a fait ces calculs, en prenant pour base, non pas 4 1/2 p. c, mais 3 1/2, et il est arrivé au résultat considérable d'un million de francs.

M. Pirmez. - Approximativement.

M. Balisaux. - Soit, mais pourquoi n'avez-vous pas basé vos calculs sur le taux de 4 1/2 que j'ai fixé par mon amendement ? Les réductions successives d'un 1/2 p. c. ne concernent que l'avenir et ne peuvent être décrétées que par une loi, à l'expiration de chaque période quinquennale.

J'estime qu'un calcul basé sur le taux de 4 1/2 p. c. n'atteindrait pas la sixième partie d'un million de francs, soit environ 165,000 francs de rente annuelle pour l'Etat.

D'abord, au lieu d'un seul 1/2 p. c. de réduction, on en prend trois ; ensuite, messieurs, et cette considération est très importante, si le taux d'escompte pendant 21 ans n'a été, ainsi que je viens de vous le dire, au-dessus de 4 1/2 p. c. que pendant 2 ans, 2 mois et 51 jours, il a été supérieur à 3 1/2 p. c, pendant 7 ans et 3 mois.

Or, messieurs, il est impossible d'admettre qu'une rente annuelle de 165,000 francs environ, pendant trente ans, compense un capital de 12,500,000 francs qui serait immédiatement versé au trésor public.

L'honorable M. Pirmez a reconnu, en principe, qu'il serait juste, équitable de favoriser le trésor public d'une nouvelle ressource, mais il n'a rien formulé de précis à cet égard ; j'ai transactionnellement proposé de retirer l'un de mes amendements, celui qui demande une réduction de 1/2 p. c. sur le taux fixé par le projet de loi, mais l'honorable ministre des finances ne paraît guère disposé à accepter cette transaction.

\3. On a dit : « M. Balisaux prétend que le taux de l'escompte est influencé (page 1041) par la somme minime que prennent les comptoirs. Mais cette somme est payée par les actionnaires de la Banque et personne n'a à critiquer la somme que la Banque paye pour se couvrir destes risques.

« Comment admettre que cette somme infinitésimale exerce une influence sur les prix des capitaux ? »

On place donc, messieurs, parmi les infiniment petits l'importante somme de 1,500,000 francs, perçue annuellement par les comptoirs et qui représente le quart au moins des bénéfices nets de la Banque.

S'il en est ainsi, j'ai grand espoir que le capital de 14 millions que je réclame pour le trésor public passera inaperçu et mon amendement adopté, car dix fois l'infiniment petit, c'est encore bien peu de chose.

En réalité, messieurs, cette somme de 1,500,000 francs, qui est annuellement attribuée aux comptoirs et qui, à mon avis, n'est payée que par le commerce et l'industrie du pays, est exorbitante.

Et quel est son principal but ? C'est de garantir entièrement les opérations d'escompte de la Banque en province et de permettre à l'administration de la Banque de vivre sans soucis sur le sort de son portefeuille.

On ne comprend pas, dit-on, l'influence que cela peut avoir sur le prix des capitaux ; l'honorable M. Pirmez prend même très inutilement la peine de nous dire : « Mais si un directeur de fourneaux augmente ses employés, ce n'est pas une raison pour que l'on paye le fer plus cher. On le lui payera d'après le prix du marché et les actionnaires gagneront moins. »

L'honorable M. Pirmez a incontestablement raison. Si un directeur de fourneaux, augmentant les frais généraux de sa fabrication, avait la prétention de faire payer cette augmentation par les acheteurs de ses produits, son voisin, son concurrent, qui n'aurait pas la même prétention, lui enlèverait immédiatement ses clients.

Mais la comparaison n'est pas juste, à cause du monopole dont jouit la Banque Nationale, à cause de l'empire absolu qu'elle a sur le marché des capitaux.

Je suis charbonnier, je règle le prix de mes charbons d'après le cours du marché, qui est réglé lui-même par la concurrence.

Mais si toutes les mines de houille de la Belgique m'appartenaient, si j'avais le monopole de l'exploitation du charbon dans le pays, n'ayant, à cause des frais de transport, rien à craindre de la concurrence des charbonniers étrangers, ne serais-je pas le maître absolu du marché, ne fixerais-je pas à ma guise le prix de mes produits ?

Si, trouvant que la solvabilité de mes acheteurs m'inquiète, je me décide à charger un agent de la vente de mes charbons, sous sa responsabilité entière quant au payement du prix et moyennant un quart de ce prix, à titre de commission, ne serai-je pas le maître de faire payer cette commission par les acheteurs ? (Interruption.) Je crois que ce que je dis est assez clair.

M. Malou, ministre des finances. - La Banque fixe le taux de son escompte.

Quelqu'un se présente à la Banque, l'escompte étant, par exemple, à ■ p. c, on lui prend 4 p. c.

Quelqu'un se présente dans un comptoir, en province, on lui prend également 4 p. c. Le taux de l'escompte est donc égal pour tous.

Seulement, comme la Banque se fait assurer par les comptoirs, elle leur fait une bonification d'un quart pour cent.

M. Balisaux. - Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable ministre des finances sur ce point. Je ne prétends pas que le taux de l'escompte soit autre dans les comptoirs qu'à la Banque même et à sa succursale.

Voici la conclusion de ce que j'ai dit : c'est que cette bonification d'un quart de l'escompte faite aux comptoirs empêche la Banque de diminuer le taux de l'escompte autant qu'elle le pourrait, ses bénéfices en seraient trop considérablement atteints et elle a des actionnaires qu'il faut satisfaire.

Je vous ai déjà dit, messieurs, quelle serait, à mon avis, la réduction possible, qui serait du reste proportionnelle à une réduction dans la responsabilité des administrateurs des comptoirs.

M. Frère-Orban. - C'est pour faire rançonner l'industrie et le commerce.

M. Balisaux. - J'ai déjà prouvé le contraire par mon premier discours.

\4. L'honorable M. Frère a dit : « Et si l'on peut trouver exagérée la somme payée aux comptoirs, n'aurai-je pas le droit de traduire à la barre de cette assemblée les banquiers qui, eux, reçoivent de grosses commissions bien supérieures au quart du produit de l'escompte que la Banque alloue à ses comptoirs ? »

C'était un argument ad hominem.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit cela.

M. Balisaux. - J'ai copié textuellement.

M. Frère-Orban. - Encore une fois, vous avez mal copié. J'ai dit que l'affaire des comptoirs était une affaire privée, qu'elle n'était pas soumise à la discussion de la Chambre, que c'était un contrat entre la Banque et l'assureur et que si vous aviez le droit de discuter cette question, moi, j'avais le droit de discuter l'affaire des banquiers.

M. Balisaux. - Voici ce que dit le journal : « Et si l'on peut trouver exagérée la somme payée aux comptoirs, n'aurai-je pas le droit de traduire à la barre de cette assemblée les banquiers qui, eux, perçoivent de grosses commissions bien supérieurs au quart du produit de l'escompte que la Banque alloue à ses comptoirs ? »

M. Frère-Orban. - Où avez-vous pris cela ?

M. Balisaux. - Dans votre Echo… du Parlement.

M. Frère-Orban. - Je demande la parole pour donner lecture des Annales parlementaires que M. Balisaux a eues sous les yeux avant de prononcer son discours.

M. Crombez. - C'est un procédé qui n'est pas admissible !

M. Malou, ministre des finances. - Cela n'est pas tolérable !

M. Frère-Orban. - Voici ce qui se trouve aux Annales parlementaires :

« Il est inconcevable que l'honorable membre introduise pareille question dans les débats de la Chambre. Je demande à quel titre nous pouvons discuter les conditions auxquelles la Banque juge à propos de s'assurer contre les risques courus par l'escompte ? C'est là une affaire exclusivement privée. Vous n'avez trouvé qu'une raison pour introduire, cette question dans le débat : c'est de prétendre que cette prime d'assurance de 1,500,000 francs, payée aux comptoirs pour couvrir les risques, exercerait une influence sur le taux de l'escompte.

« Cette théorie est à la hauteur des doctrines qui ont été défendues au sujet du capital et de l'encaisse métallique. Le prix du loyer des capitaux est réglé par la loi immuable de l'offre et de la demande.

« Qui peut imaginer sérieusement que la rémunération plus ou moins grande accordée pour l'un ou l'autre des services de la Banque peut exercer une influence quelconque sur le marché local, et à plus forte raison sur le marché général des capitaux ?

« Est-ce que de pareils éléments peuvent influer sur la hausse ou la baisse des capitaux ?

« Il n'y a pas plus de raison, à ce point de vue, de discuter les arrangements de la Banque avec les banquiers assureurs qui forment ses comptoirs, qu'il n'y en aurait de discuter le mode d'opérer des banquiers qui escomptent à la Banque Nationale ; j'aurais, selon la thèse incroyable de l'honorable membre, le droit de les traduire à la barre de la Chambre, et de leur dire : Que percevez-vous pour mettre votre nom sur les effets que vous portez à la Banque ? Vous percevez une grosse commission, et vous vous enrichissez ainsi ! Vous ne vous contentez pas d'un modeste escompte. Vos exigences exercent une fatale influence sur le prix des capitaux ! Pourquoi donc vous faites-vous payer si cher ? »

Voilà ce que j'ai dit. Il est donc bien clair que j'ai contesté et rien de plus, que l'on doive discuter ici des affaires privées.

M. Balisaux. - J'en appelle au souvenir du tous les membres de la Chambre. La reproduction des paroles de M. Frère par L’Echo du Parlement ne peut certes être suspectée. C'est de la sténographie pure.

M. Frère a prononcé les paroles que j'ai rapportées.

Il y a même eu un mouvement dans la Chambre à ce sujet, et c'est alors que sont sorties de ma bouche ces paroles que j'ai immédiatement regrettées : « L'honorable M. Frère nous prouve qu'il ne connaît rien à nos affaires de banque. »

L'Echo du Parlement a reproduit textuellement vos paroles comme les miennes.

Votre discours, tel que le reproduisent les Annales parlementaires, est très long, j'en avais d'autres encore à lire et j'ai dû avoir foi d'abord dans ce que mes oreilles avaient entendu, ensuite dans la reproduction de mes paroles par le sténographe de l'Echo du Parlement qui ne peut pas être mis en suspicion en ce qui vous concerne.

M. Frère-Orban. - J'ai dit et je persiste à dire que si nous avions le droit de discuter les relations privées des comptoirs avec la Banque, nous avions le droit de discuter les relations des banquiers avec la Banque Nationale.

M. Balisaux. - Je relève les paroles de M. Frère. Comment ! ce sont des relations privées que celles qui existent entre les comptoirs d'escompte et la Banque ?

Mais ces relations résultent d'un règlement d'ordre intérieur qui est (page 1042) approuvé par le ministre des finances, qui est publié et qui nous a été communiqué en notre qualité de membre de la Chambre, et l'on viendra nous dire que nous ne pouvons pas discuter ces questions ! J'y vois l'intérêt public, l'intérêt du commerce et de l'industrie, et l'on me fermera la bouche sous prétexte que ce sont des affaires privées !

L'honorable M. Frère, messieurs, compare les opérations des comptoirs de la Banque Nationale à celles des banques particulières et c'est une erreur flagrante de sa part. Celles-ci ont un capital, auquel elles doivent servir un intérêt de 5 p. c. d'abord, avant de calculer aucun bénéfice ; elles ont les frais d'un siège social, des directeurs, administrateurs et un nombreux personnel d'employés ; une foule de frais divers prévus ou imprévus ; une encaisse permanente et improductive pour les besoins du service ; un portefeuille de valeurs commerciales facilement réalisables, qui pour une banque au capital de deux millions, par exemple, et qui n'aurait qu'un million de dépôts, ne peut, sans une grave imprudence, avoir une importance inférieure à deux millions de francs.

Les administrateurs des comptoirs n'ont absolument rien de tout cela. Une fois les bordereaux escomptés avec l'argent de la Banque, le quart du produit net de l'escompte est porté à leur crédit et tout est dit. Au lendemain, même opération !

Oh ! je sais bien qu'ordinairement les banquiers, outre la commission d'un huitième ou d'un dixième pour cent pour sortie de caisse, prennent à leurs clients un escompte d'un pour cent environ au-dessus du taux de la Banque Nationale, c'est-à-dire environ la même part que les administrateurs des comptoirs ; mais ce qu'il faut rechercher, pour constater leurs bénéfices, c'est le rôle que les valeurs escomptées vont jouer dans leur portefeuille.

Si elles y séjournent longtemps, à l'intérêt de 4 ou 4 1/2 p. c, le prétendu bénéfice se traduit par une perte pour le banquier, qui doit d'abord servir un intérêt de 5 p. c. de son capital.

J'entends parler, messieurs, des banquiers sérieux et honnêtes ; s'il en est d'autres qui arrivent par tous moyens à des résultats en dehors de toutes prévisions, ce n'est pas à la barre de cette Chambre qu'il faut les traduira, ils nous inspireraient trop de dégoût ! Ce n'est pas non plus à la barre correctionnelle, le délit d'usure n'existe plus : il faut se borner à les vouer au mépris public, car ils spéculent sur la misère, sur le malaise des petits négociants et industriels.

Il me reste maintenant, messieurs, à répondre à l'honorable ministre des finances.

Il m'avait très officieusement appris que, dans son discours, il ne ferait qu'un repas des arguments produits contre le projet de loi et qu'il laisserait mes amendements pour le dessert. C'était assez rationnel, puisqu'ils viennent de Hollande.

Voyons ce qu'il a fait.

Mon premier amendement était ainsi conçu : « Pour autant que l'extension des opérations l'exige, et la direction de la Banque entendue, le gouvernement se réserve, en tous temps, la faculté d'ordonner l'augmentation dudit capital. »

L'honorable ministre n'a pas encore discuté cet amendement, il nous a promis de le faire lors de la discussion des articles du projet de loi. Force m'est donc d'attendre, pour ne pas répéter ce que j'ai déjà eu l'honneur de dire à ce sujet.

Voici le deuxième amendement que j'ai déposé :

« L'article 2 du projet de loi est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 2. L'article 5 de la loi du 5 mai 185 est abrogé.

« Le bénéfice résultant, pour la Banque Nationale, de la différence entre l'intérêt de 4 1/2 p. c. et le taux d'intérêt perçu par cette institution est attribué à l'Etat.

« Ce taux pourra être réduit par la loi, successivement, d'un 1/2 p. c., à l'expiration de chaque période quinquennale, mais jusqu'au taux minimum de 3 1/2 p. c. seulement. »

J'ai déjà eu l'occasion, dans le cours de la discussion, de vous entretenir de cette question. J'avais demandé des explications à l'honorable ministre des finances sur les motifs qui l'avaient déterminé à adopter le chiffre de 5 p. c. Il m'a répondu par une question, me demandant pourquoi j'adoptais, moi, le taux de 4 1/2.

Voilà en quoi s'est résumée toute son argumentation.

M. Malou, ministre des finances. - Je vous demande pardon. Vous avez encore lu cela, dans l'Echo du Parlement.

M. Balisaux. - Pardon, votre discours, je l'ai lu dans les Annales parlementaires.

M. Malou, ministre des finances. - J'ai ajouté que cinq pour cent était l'intérêt légal civil.

M. Balisaux. - Et moi, je vous ai dit que l'intérêt de 4 1/2 p. c. était l'intérêt de presque tous les emprunts belges, qu'il était suffisamment rémunérateur pour une circulation fiduciaire de 200 à 300 millions de billets au porteur qui ne coûtent que le timbre et le papier. J'ai ajouté que l'Etat, concédant un monopole, un privilège, il était juste que le trésor public en retirât quelque profit.

Il ne faut prendre à la Banque, dit l'honorable ministre, que ce qui est raisonnable et légitime.

Je suis de son avis, mais je crois être resté dans les bornes de la raison et de l'équité.

Quand je calcule les avantages que le trésor public retirera dé l'application du nouveau régime, comparé à l'état actuel des choses, et indépendamment du placement des fonds disponibles, en valeurs commerciales, je ne le trouve avantagé que d'une somme de 180,000 francs annuellement, résultant de l'attribution qui sera faite à l'Etat du produit de l'escompte au-dessus de 5 p. c, au lieu de 6 p. c. ; et encore, cet avantage est-il très aléatoire, puisqu'il faut que le taux de l'escompte soit supérieur à 5 p. c., ce qui est assez rare.

Prétendrait-on que c'est prendre quelque chose à la Banque, que de rendre productive la moitié environ de l'encaisse de l'Etat, en lui laissant encore une somme d'au moins 20 millions, pour l'aider à constituer l'encaisse métallique qui lui est nécessaire ?

Mais, sous ce rapport, le régime actuel n'était rien moins qu'une flagrante infraction aux règles d'une bonne administration des deniers publics !

Il faudrait donc, non seulement accorder à la Banque un monopole, un privilège d'émettre 250 à 300 millions de billets de banque, mais encore lui fournir 60 à 70 millions de l'encaisse de l'Etat, sans que cette encaisse produise aucun fruit pour le trésor ?

Ce serait absolument déraisonnable que de compter ces fruits parmi les avantages que l'Etat va retirer du renouvellement du privilège de la Banque Nationale.

J'arrive à mon dernier amendement, qui consiste à faire souscrire par l'Etat les 25,000 actions nouvelles, destinées à doubler le capital social.

J'ai établi, par mon dernier discours, que les actionnaires seraient mal fondés à se plaindre de cette mesure, je n'y reviendrai pas.

L'honorable ministre reproche à cet amendement d'avoir pour conséquence de réduire le capital à une somme inférieure à celle qu'il indique dans l'exposé des motifs de son projet de loi. Je ne puis considérer cet argument comme sérieux ; les discours de MM. Frère et Pirmez sont là, du reste, pour le réfuter.

M. Malou, ministre des finances. - Vous n'avez pas compris mon argument ; il faut discuter sérieusement.

M. Balisaux. - Il me serait difficile d'être plus sérieux que je ne le suis, quand je discute les avantages que le trésor public retirerait de la souscription par l'Etat des 25,000 actions nouvelles que l'on veut répartir entre les actionnaires ; mais ce que je trouve peu sérieux, c'est que l'on prive le trésor public d'une ressource aussi considérable, par un argument de cœur, un sentiment d'affection ou de commisération pour quelques actionnaires, qui auraient acheté, à la hausse, quelques actions de la Banque Nationale, à un prix trop élevé.

Voilà donc l'Etat qui intervient dans les affaires de la Bourse et qui se charge de réparer les pertes que les spéculateurs peuvent y faire !

C'est, à mon avis, une triste mesure, un bien mauvais précédent.

Les actions de la Banque Nationale ont, depuis quelques mois, subi une hausse tellement considérable, que je ne puis, malgré moi, me dispenser de croire à de l'agiotage. C'est ma conviction profonde, et rien ne pourrait me l'enlever.

Depuis le mois de décembre dernier, la cote a augmenté de plus de quatre cents francs, tandis qu'elle eût dû descendre, en prévision de l'expiration prochaine du terme, pour arriver, au 31 décembre 1875, à 1,800fr, véritable valeur de liquidation de chaque action. C'est comme si les actions d'un chemin de fer concédé augmentaient de valeur, au moment de l'expiration de la concession. Voici, au sujet de l'intervention de l'Etat dans les affaires de Bourse, l'opinion de l'honorable M. Pirmez :

« Les uns considèrent le taux auquel se négocient aujourd'hui les actions de la Banque Nationale comme donnant, sinon un droit, du moins un titre d'équité aux porteurs ; les autres, au contraire, se reportant à la fondation de la Banque, veulent mesurer les droits en raison de la somme versée d'abord.

« Je crois qu'il y a des deux côtés exagération.

« Les droits des actionnaires delà Banque sont fixés non pas par le prix de la Bourse, mais par les règles établies, dès le principe, par le contrat qui a servi de base à la constitution de la Banque.

(page 1043) « Que, dans l'opinion de certaines personnes, ces droits aient une plus ou moins grande valeur, c'est ce que nous pouvons laisser de côté pour nous attacher à ce que ces droits renferment réellement.

« La position de l'Etat ne peut être ni améliorée ni amoindrie parce que l'on aurait donné aux actions une valeur plus ou moins grande. »

Avant de finir, je me permettrai, messieurs, une observation à l'honorable ministre des finances. Il a le caractère trop bienveillant pour ne pas me la pardonner.

En matière d'administration de banque, je pose comme un axiome qu'un banquier qui, entrant dans son bureau d'affaires, ne s'assure pas qu'il a bien sa tête et sa conscience avec lui et que son cœur est resté à a porte, est un banquier perdu.

Je crois qu'un ministre des finances devrait faire le même examen, en entrant dans son cabinet.

L'honorable ministre nous a présenté, dans le courant de cette session, divers projets de lois fiscales, concernant la brasserie, la distillerie, la sucrerie.

Immédiatement, toutes ces industries se sont adressées à lui, pour protester contre ces projets qui tendaient à léser leurs intérêts privés.

M. Jacobs. - Vous endossez mes effets à M. Malou.

M. Balisaux. - Je n'ai pas à examiner ici si les réclamations de ces industries sont fondées ou non, ces questions viendront plus tard, mais il est un fait, c'est que l'honorable ministre a résisté. S'il a retiré un de ces projets de lois, il en prépare un nouveau qui le conduira plus sûrement à son but.

Il avait donc laissé son cœur à la porte.

Mais pourquoi n'en est-il pas de même quand c'est la Banque Nationale qui se présente dans son cabinet ? Serait-ce un nouveau privilège à joindre à tous les autres ?

Je termine, messieurs. Veuillez ne pas interpréter mes paroles dans ce sens que je serais un adversaire de la Banque Nationale. Au contraire, je rends hommage, je le répète, aux immenses services qu'elle a rendus au commerce et à l'industrie du pays, sous une sage et prudente administration. L'homme éminent qui a doté la Belgique de cette institution a droit à la reconnaissance du pays.

- Plusieurs membres. - La clôture !

- Un membre à gauche. - Il y a encore un orateur inscrit.

M. le président. - La clôture n'est pas demandée par dix membres. La parole est à M. Dansaert.

M. Dansaert. - Il est 5 heures.

M. Frère-Orban. - Puisque la Chambre n'a pas voulu clore, je demande qu'elle m'accorde dix minutes.

- Des membres. - Parlez ! Parlez !

M. Frère-Orban. - Pour ne parler que dix minutes après le discours que. vous venez d'entendre, vous comprenez que je suis obligé d'élaguer bien des choses et de ne m'occuper que de quelques points qui me paraissent essentiels.

L'honorable membre s'est condamné ù soutenir une gageure impossible, Il lui faut proclamer l'identité des contraires. Afin de justifier ses conclusions, il doit persister à prétendre que l'on a constitué un privilège exclusif, un monopole au profit de la Banque. Nous avons prouvé, textes en mains, qu'à la différence des autres législations, notre loi n'a rien consacré de pareil au profit de notre banque d'émission.

Eh bien, pour l'honorable membre, donner à une institution déterminée un monopole, un privilège exclusif, ou bien déclarer qu'on ne lui accorde ni privilège exclusif, ni monopole, c'est absolument la même chose ! Déclarer par une loi, comme le fait la loi anglaise, qu'il est interdit à tout particulier, à tout négociant, à tout banquier, de souscrire et d'émettre des lettres de change, des billets à ordre, des promesses payables à vue et au porteur, ou bien laisser la liberté à tout le monde de souscrire et d'émettre de pareils engagements, c'est identiquement la même chose ! Pour l'honorable membre, que l'on défende ou que l'on autorise, les effets juridiques sont absolument les mêmes. Il y a toujours privilège exclusif, il y a toujours monopole.

Vraiment, on ne pouvait croire que, dans une assemblée comme celle-ci, une pareille assertion pût continuer à être soutenue. Qu'on ait parlé d'un monopole de fait, expression dont nous avons déterminé la valeur, on le comprend ; mais qu'on puisse répéter, après la discussion à laquelle nous nous sommes livrés, que la loi de 1850 a créé un privilège exclusif, un monopole au profit de la Banque Nationale, c'est incontestablement une énormité qui ne paraissait plus pouvoir être reproduite.

M. Balisaux. - Ce n'est pas mon avis.

M. Frère-Orban. - Je le vois bien ; vous nous avez dit qu'en matière économique, comme en matière philosophique, et nous pourrons ajouter maintenant, comme en matière législative, quelle que soit la discussion, on se retire en gardant chacun son opinion. L'évidence même d'un texte de loi n'y changera rien. Je suis donc bien certain que vous ne reviendrez pas de votre erreur. Mais ce n'est pas pour vous convaincre que je parle ; c'est pour convaincre l'assemblée et le public que vous vous trompez. Vous persisterez, quant à vous, à soutenir qu'il y a privilège exclusif et monopole au profit de la Banque.

M. Demeur. - C'est vous qui l'avez soutenu le premier.

M. Frère-Orban. - Je ne m'en doutais pas.

M. Demeur. - Si vous voulez le permettre, je vais citer...

M. Frère-Orban. - Non ; je ne le puis ; je n'ai que les minutes que la Chambre a bien voulu m'accorder. Mais je vais rappeler ces faits ; ce sont peut-être ceux auxquels vous voulez faire allusion.

Le projet de loi de 1850 avait une disposition ainsi conçue :

« La Banque a le privilège d'émettre des billets de banque. »

Ce privilège était celui qui était constitué à l'aide de l'article 25.

Il n'était pas exclusif ; mais la loi devait garantir qu'aucune banque de circulation ne pouvait être établie par actions que sous la forme de société anonyme et en vertu d'une loi. En ce sens, il y avait privilège et je crois que j'en fis la remarque.

Cependant, on ne voulut pas même laisser subsister cette expression ainsi caractérisée, et l'honorable M. Charles de Brouckere proposa le retranchement du mot « privilège. »

Je fis remarquer, si mes souvenirs ne me trompent pas, qu'il y avait à examiner, pour répondre aux assertions de certains orateurs, quelle était l'étendue des droits des particuliers quant aux émissions des billets de banque.

Je n'insistai pas, d'ailleurs, pour maintenir le mot dans l'article, en me référant à l'article 25 et la Chambre, par un vote formel, supprima le mot « privilège. »

M. Demeur. - Le mot « privilège » n'était pas dans le projet.

M. Frère-Orban. - J'en parle d'après mes souvenirs et je persiste à dire que le mot « privilège » était dans le projet. Il a été supprimé sur la proposition de l'honorable M. Charles de Brouckere ou par un vote de la Chambre. [en note de bas de page : Vérification faite, le texte du projet portait, en effet, à l'article 12 : « La Banque a le privilège d'émettre des billets au porteur. »]

Eh bien, alors que vous avez supprimé jusqu'à ce mot de « privilège », même restreint au sens que lui donne l'article 25 de la loi, on veut, à tout prix, pour les besoins d'une thèse impossible à défendre sans cela, faire sortir un privilège exclusif et un monopole de la loi de 1850.

Nos mœurs, dit-on, ne comportent pas des émissions faites par les particuliers ou par des sociétés.

Il suffit qu'ils en aient le droit pour que l'on ne puisse invoquer un prétendu privilège exclusif au monopole. Ensuite, l'affirmation est si peu exacte que depuis la fondation de la Banque Nationale, la Banque Liégeoise n'a pas cessé d'émettre des billets, qu'elle continuera à le faire jusqu'en 1875, et qu'il n'y aura aucun obstacle légal à ce que des sociétés en nom collectif usent de ce droit dans les trente années qui vont suivre, et moins encore à ce que le législateur use du droit qu'il s'est réservé par l'article 25 de la loi.

Il n'y aurait plus, en ce cas, s'écrie-t-on, unité d'émission ! C'est pourtant ce qui est désirable et c'est ce que l'on a voulu obtenir. D'abord, l'opinion peut se modifier sur la question des banques d'émission, et si elle ne change pas, si les particuliers n'usent pas de leur droit et si le législateur croit utile de substituer une autre banque à celle dont nous nous occupons, on aura la même situation que celle qui a existé par suite des émissions de la Banque Liégeoise. Non seulement il n'y aurait pas d'obstacle légal, mais il n'y aurait aucune difficulté pratique sérieuse à instituer une banque à laquelle serait transféré le service de caissier de l'Etat et l'émission de billets admis dans les caisses publiques, si la Banque actuelle, sourde aux réclamations du gouvernement, des Chambres et du pays, ne remplissait pas les obligations qui lui sont imposées.

Il est donc indubitable que le législateur reste constamment armé ; que ni en droit, ni en fait, il ne serait arrêté soit par un obstacle légal, soit par un obstacle matériel et qu'il n'abdique à aucun moment le pouvoir qui lui appartient de juger de ce qu'il doit faire dans l'intérêt public.

(page 1044) Second point. L'honorable membre a essayé de soutenir de nouveau que l'on se serait disputé, à l'origine, les actions de la Banque.

Eh bien, non ; il ne faut pas mettre des fantaisies à la place des réalités pour en tirer des conclusions que rien ne justifie. J'étais convaincu, comme je l'énonçai dans l'exposé des motifs de la loi de 1850, que la séparation de l'élément financier d'avec l'élément industriel devait être salutaire et que l’institution d'une banque d'émission fondée sur les vrais principes rendrait de grands services au pays.

Mais personne ne croyait alors que la Banque pût avoir le succès qu'elle a obtenu ; moi, pas plus qu'un autre, je n'entrevoyais les développements extraordinaires qu'elle a pris.

Ma foi, même quant à l'efficacité des institutions fondées sur des principes que la science et l'expérience ont consacrés, ne pouvait aller jusqu'à prédire des résultats qui tiennent à l'extension prodigieuse des affaires dans le quart de siècle qui vient de s'écouler. L'institution a justifié qu'elle pouvait répondre à tous les besoins nouveaux. Mais, à l'origine, aux yeux de personnes expérimentées, c'est l'utilité même de la Banque qui était en question. On allait jusqu'à affirmer et écrire qu'il n'y avait pas de place en Belgique pour une institution de ce genre.

M. Meeus, alors gouverneur de la Société Générale était particulièrement pénétré de cette conviction, et non seulement il ne désirait pas posséder un grand nombre d'actions de la nouvelle entreprise ; mais il s'est hâté de vendre celles que possédait la Société Générale. Elles ont été vendues avec une prime qui a flotté entre 100 et 200 francs, ce qui ne fait pas trois millions, mais moins de deux millions sur 10,000 actions. Si l'on avait cru à l'avenir, on aurait bénéficié de 15 ou 20 millions.

Le troisième point que je désire rencontrer est relatif aux comptoirs d'escompte.

J'ai dit que la quotité du produit à abandonner aux comptoirs constituait le règlement d'une affaire purement privée entre la Banque et les banquiers assureurs qui escomptent pour elle en province au taux qu'elle fixe, mais à leurs risques et périls.

Ceux qui veulent assurer certains risques ont bien le droit de débattre les conditions auxquelles ils le font.

L'honorable membre a trouvé que la prime d'assurance était élevée et que cela pouvait exercer une influence sur lé taux de l'escompte.

C'est là une théorie qui n'est pas admissible. L'escompte n'est pas réglé par la prime que la Banque paye à ses assureurs.

Le taux de l'escompte est déterminé par l'affluence plus ou moins grande des capitaux sur la place. Il est réglé par la loi de l'offre et de la demande.

On dit qu'il n'y a pas de concurrence.

Mais s'il n'y a pas de concurrence, pourquoi l'escompte varie-t-il à la Banque ? Pourquoi la Banque a-t-elle maintenu son escompte pendant plus de deux ans au taux de 2 ½ ? Mais, c'est précisément à cause de la concurrence des capitaux. Les capitaux étaient plus offerts que demandés. Ces capitaux ne sont pas seulement ceux qui se trouvent dans le pays, mais sur le marché général (Interruption.)

Il n'y a aucun privilège pour l'escompte ; on n'est pas seulement en concurrence avec les capitaux qui existent dans le pays, mais encore avec ceux qui venir de l'étranger.

Dans les conditions ordinaires, toutes choses égales, d'ailleurs, les capitaux ne peuvent pas être à très bas prix ici et, d'une manière permanente, à prix élevé sur les marchés qui sont dans une situation identique.

Ce sont là des impossibilités économiques, et je regrette d'avoir à insister sur de pareilles idées.

M. Balisaux. - Comment se fait-il qu'en Angleterre l'escompte ait été à 10 p. c. pendant une année entière, tandis qu'il était à 4 p. c. en Belgique ?

M. Frère-Orban. - D'abord, je ne sache pas qu'il y ait eu de pareils écarts aussi durables. Ensuite il faut que les conditions soient égales et il y a souvent des causes locales, des causes spéciales qui déterminent des différences dans les taux d'escompte.

M. Couvreur. - Cela résulte de l'organisation de la Banque d'Angleterre.

M. Frère-Orban. - Cela peut résulter de causes diverses ; il peut y avoir des cas où nous serons influencés par l'état des marchés de Londres et de Paris, comme il peut y avoir des cas où nous ne serons pas influencés par l'état de ces marchés.

C'est ce qui s'est produit lors de la crise de 1857. Nous n'avons pas été affectés par les mêmes causes ou tout au moins au même degré. Voilà pourquoi l’escompte monte parfois dans des proportions considérables à Londres et à Paris, tandis qu’il reste en Belgique à un taux peu élevé.

M. Boucquéauµ. - La Banque de France a déclaré qu’elle était indépendante de la Banque d’Angleterre.

MfMµ. - C’est une erreur.

M. Frère-Orbanµ. - Il y a une sorte de solidarité entre les capitaux livrés à l’escompte. Rien n’est plus facile que de faire passer ces capitaux d’un pays dans l’autre. On comprend donc que s’il y avait en Belgique abondance telle de capitaux, que l’escompte fût maintenu longtemps à 2 1/2 et qu’on pût, avec la même sécurité, les faire produire plus en passant la frontière, on ne manquerait plus de les porter dans le pays voisin. Il est clair que les conditions doivent être égales et qu’il faut calculer l’état du change, pour le cas où les capitaux devaient être réimportés.

Je reviens à l’affaire des comptoirs.

La critique qu’on leur a adressée n’est pas un instant soutenable. Il est au plus haut point d’intérêt public de laisser les partie régler librement, à raison des risques, les conventions qui doivent intervenir entre la Banque et les associés des comptoirs. La rémunération, quoi qu'en ait dit l’honorable membre, ne peut manifestement exercer aucune influence sur le taux de l'escompte.

Mais. s'il avait, de ce chef, à exercer quelque action sur la Banque, ce n'est pas en l'engageant à être parcimonieuse, à mettre en quelque sorte les comptoirs au rabais, que l'on servirait le mieux les intérêts de l’industrie et du commerce.

L'honorable membre n'a pas prévu les conséquences d’une pareille mesure. Ce serait le moyen de faire passer tout le commerce non par l’intermédiaire des comptoirs quand ils peuvent s'y présenter directement, mais ce serait le moyen de les faire passer incontinent par l'intermédiaire des banquiers. En voici la preuve. Je suppose que, par une mesure impolitique, la Banque Nationale, uniquement pour se réserver plus de bénéfices, car ce serait le seul effet de l'acte, n'alloue à ses comptoirs qu'une prime suffisante pour couvrir des risques d'une certaine étendue. Qu'arrivera-t-il ?

Evidemment, les associés des comptoirs, les banquiers assureurs, ne recevant que peu de chose pour les risques qu'ils vont courir, se montreront très sévères dans le choix des valeurs ; ils ne prendront plus que les valeurs du premier choix et qui ne les compromettront pas.

M. Couvreur. - C'est ce qu'ils font.

M. Frère-Orban. - Pas le moins du monde. Ils escomptent un grand nombre d'effets à deux signatures et donnent eux-mêmes la troisième. C'est leur aval.

Si, au contraire, la Banque leur abandonne une part de ses profits telle qu'elle puisse couvrir les risques qu'ils courront, ils accepteront des effets présentant moins de garanties, parce qu'ils seront indemnisés de leurs pertes éventuelles. Ils ne renverront pas le particulier qui se présentera à leur comptoir, à aller se procurer une troisième signature, en les faisant ainsi passer par l'intermédiaire d'un banquier qui, à son tour, en prélevant une prime, assumerait une partie du risque.

A ce point de vue, la manière d'agir que conseille l'honorable membre serait préjudiciable au commerce et à l'industrie, et c'est pourquoi moi je la condamnerais, si nous avions à intervenir dans une affaire, qui, dans les termes où elle se présente, a un caractère essentiellement privé.

M. Malou, ministre des finances. - Je demande, non pas un quart d’heure, mais 5 minutes. Je voudrais dire quelques mots sur un fait qui ne se rattache pas directement au débat actuel, mais qui pourtant est assez intéressant. C’est une pure question historique.

En 1850, lorsque la Banque a été créée, personne, absolument personne, ne prévoyait le succès qu'elle a eu. Les plus hardis croyaient que l'émission en Belgique pouvait atteindre 60 ou 70 millions dans un avenir éloigné et que l’on n'osait pas préciser.

La Société Générale, et je faisais déjà partie alors de son administration, la Société Générale, par l'effet de la création de l'institution nouvelle, se voyait enlever à la fois le service du caissier de l'Etat et la faculté d’émettre encore des billets de banque.

Il y eut division dans le conseil et le gouverneur, en effet, était d'opinion que la Société Générale devait demeurer étrangère à la formation de la Banque Nationale. L'opinion contraire prévalut et, dans les négociations, si mes souvenirs sont exacts, la direction de la Société Générale demanda à être admise pour moitié du capital, c'est-à-dire dans les conditions d'une parfaite égalité avec la Banque dé Belgique.

L'on finit par s'entendre sur cette base-ci : que la Société Générale et la banque de Belgique auraient chacune 10,000 actions et que le ministre se réservait 5,000 actions ; mais il avait fait connaître que son intention était de les attribuer à la Banque de Belgique.

Messieurs, l'on s'étonne et l'on argumente de ce fait que la Société a vendu en souscription publique les actions de la Banque Nationale qu'elle avait souscrites. Mais, messieurs, il suffit de consulter les bilans de cette époque pour s'expliquer parfaitement que, quelle que fût l'opinion de la direction sur l'avenir de la Banque Nationale, c'était elle une nécessité de position, d'après l'état de ses affaires.

Et, en effet, messieurs, la souscription des 10,000 actions enlevait à la société Générale la partie la plus liquide et la plus nécessaire à son progrès. Depuis lors, les choses, je le reconnais, ont singulièrement changé d'aspect, mais, cette époque, la Société Générale se relevait à peine de la terrible crise de 1848.

Ce n'est donc pas pour réaliser des primes, mais pour reconstituer son fonds de roulement mobile que la Société Générale a été amenée à réaliser les actions qu'elle avait souscrites de la Banque Nationale.

J'expose les faits, parce qu'on a déjà parlé plusieurs fois de cet incident.

Je le répète, il peut avoir un intérêt historique ; il n'en a pas, au point de vue du vote de la loi qui est soumise en ce moment à l'examen de la Chambre.

- La séance est suspendue à 5 1/4 heures, et reprise à 8 heures.

M. Dansaert. - Messieurs, la Chambre comprendra le devoir qui m'est imposé de répondre aux considérations qui ont été émises par les honorables MM. et Pirmez et M. le ministre des finances, au sujet de mon premier discours. Je serai bref sur la question du privilège ou du monopole ; elle a été très bien traitée par mon honorable collègue, M. Couvreur, dans notre séance précédente, et tantôt encore elle a donné lieu à un intéressant débat ; je puis donc me borner à formuler quelques observations pour la défense les idées que j'ai précédemment émises.

Messieurs, quel est celui de mes honorables collègues qui le premier a fait naitre, dans cette Chambre, la pensée que le droit d'émission de billets au porteur accordé aux actionnaires de la Banque Nationale était un monopole, un privilège ?

C'est l'honorable M. Frère-Orban.

Voici textuellement ce que porte l'exposé des motifs de la loi du 5 mai 1850 :

« Le gouvernement convaincu que l'unité dans l'émission offre d'incontestables avantages et peut seule assurer chez nous un développement rationnel du crédit, de la circulation fiduciaire, a fait précéder le projet d’instituer une Banque Nationale de conventions qui ont pour résultat de supprimer nos deux principaux établissements d'escompte et d'émission. Il ne propose pas cependant de conférer expressément à la banque nouvelle le privilège d’émettre des billets, il y ajoute cette importante garantie que désormais aucun banque d’escompte et d émission ne pourra qu'en vertu d'une loi. Il y a certitude, dès lors, que l'unité dans l’émission ne pourra jamais être rompue sans les motifs les plus évidents d'intérêt public.

« … Certes, autant que qui que ce soit, le gouvernement est ennemi de tout privilège, de tout monopole ; mais si la concurrence en matière de commerce et d'industrie est utile, si c'est là un droit en quelque sorte inhérent à la nature de l'homme, auquel on ne peut toucher sans contrevenir à l'esprit de nos institutions, et. sans soulever, par conséquent, contre soi l'esprit public; si en ces matières, comme en bien d'autres, il faut s'en rapporter aux libres efforts de l'activité individuelle, doit-on en dire autant du commerce des banques ? La faculté d'émettre des billets qui viennent, en partie, remplacer le numéraire métallique et augmenter la circulation peut-elle être assimilée à une industrie ordinaire ? N'importe-t-il pas à la société, à l'intérêt général, que ce droit, dont la concession est considérée par les meilleurs esprits comme un attribut du souverain, soit non seulement réglementé, surveillé, mais régi, comme la circulation monétaire, d’après le principe d'unité ? »

A l'appui de son opinion, l'honorable M. cite les lignes suivantes de M. Léon Faucher.

« La libre concurrence du commerce d'émission, dit M. Léon Faucher, c’est le régime féodal en matière de monnaie de papier. Chaque banque locale est comme un tyran de province, dont la monnaie n'a coûts que parmi ses vassaux. La multiplicité des signes monétaires s'oppose à leur universalité. L’unité, c’est l’ordre dans la circulation. La circulation demande à être gouvernée comme la politique ; et qui dit gouvernement, dit unité de direction. »

Léon Faucher n'est pas la seule autorité invoquée par l’honorable M. Frère-Orban. Il invoque également l’opinion conforme de sir Robert Pelle.

C’est à raison de tous ces motifs que l’honorable M. Frère-Orban a proposé à la législature l’article 25 de la loi du 5 mai 1850, ainsi conçu :

« Aucune banque de circulation ne peut être constituée par actions, si ce n’est sous la forme de société anonyme et en vertu d’une loi.

En présence de cet article, l’on me dit : « La législature pouvant à sa volonté créer une banque concurrente et même plusieurs banques con0currentes à la Banque Nationale, où est le monopole, où est le privilège exclusif dont nous a parlé M. Dansaert ? »

Je regrette, messieurs, que l’honorable M. Frère-Orban, en me citant, ait omis de reproduire en entier le passage de mon discours. Je lui demande la permission de le compléter.

Immédiatement après le passage cité par l’honorable membre, j’ai dit à la Chambre :

« Je sais bien que M. le ministre peut me répondre que son projet de loi de prorogation pour trente ans n'interdit pas et ne saurait interdire le vote d’une loi qui établirait une autre institution à côté de celle dont il s’agit et destinée à lui faire concurrence ; mais que devient alors le principe de l'unité de l'émission des billets de banque ? »

A cette question, j'ai demandé une réponse à l'honorable M. Malou ; il ne me l’a pas donnée encore.

Je la demande également à l'honorable M. Frère-Orban.

En attendant, voici l'honorable M. Pirmez qui vient démontrer que la destruction de l’unité d’émission par l’usage que la législature ferait de l’article 25 en créant une deuxième banque (l'émission par actions, ne serait nullement la disparition du monopole ni du privilège, mais leur continuation pure et simple, avec un accroissement d'inconvénients et de dangers.

« La pluralité limitée des Banques, dit l'honorable M. Pirmez, a peu de défenseurs ; elle prête le flanc à toutes les critiques que l'on a dirigées contre l'unité ; elles constituent un monopole plus étendu mais aussi exclusif.

« Offrirait-elle des avantages, serait-elle sans danger ? Il est bien difficile de le croire ; la concurrence n'est réellement efficace qu'à deux conditions, c'est qu'elle se produise entre assez d'intérêts pour qu’elle ne s'évanouisse pas dans une entente ou qu'elle ne s'exagère pas dans une lutte passionnée. Or, ici, le fonds de la circulation fiduciaire qu'il s'agit d'exploiter serait divisé, mais non augmenté, et les deux ou trois banques que l'on instituerait concerteraient sans doute leur action de manière à opérer comme une banque unique ; leur rivalité serait, du reste, plus à redouter que leur coalition ; celle-ci ne leur permettrait pas de résister aux lois du crédit qu'aucun monopole n'arrête ; celle-là pourrait, le fait n'est pas sans exemple, provoquer des catastrophes par d'habiles machinations. »

De ce qui précède, l'honorable M. Pirmez, conclut comme suit :

« La pluralité de l'institution des banques ne satisfait aucun principe ; elle augmente les difficultés de surveillance de l'Etat et multiplie les mauvaises chances sans aucune compensation. »

Messieurs, je partage entièrement cette manière de voir, mais n'est-ce pas une raison péremptoire pour ne pas confier ce monopole de l'émission à une seule Banque pour une durée de trente ans, sans avoir le droit de réviser les dispositions de la loi si l'intérêt du pays venait à l'exiger?

C’est la question que j'ai posée dans mon discours, et qui a donné naissance à l’amendement qui a été déposé, dans la séance de samedi dernier, par mon honorable ami, M. Demeur, et moi.

Messieurs, vous serez de mon avis, lorsque j'affirme qu'en présence du prodigieux mouvement économique qui se développe sous nos yeux, et qui n'est probablement qu'à son début, la question de l'organisation du crédit, au point de vue de sa meilleure solution pratique, est une question qui sera ouverte pendant de longues années encore.

Si la nature des choses nous dit, de toutes parts que c'est une question ouverte, pouvons-nous la déclarer fermée pour trente ans en Belgique ?

Ne faut-il pas que nous nous réservions à nous-mêmes, comme à ceux qui nous succéderont, la liberté législative de réaliser les améliorations, les progrès, les transformations même que les enseignements de l'expérience, les besoins nouveaux viendront nous indiquer comme éminemment utiles à la production générale des richesses et à l'extension du bien-être ?

La solution que le pays attend de nous n'est évidemment pas de voter la prorogation pour trente ans, sous la réserve peu sérieuse d'avoir à en corriger éventuellement les funestes effets en recourant à un moyen démontré mauvais dès à présent par les partisans mêmes de la prorogation pour trente ans ! Une telle décision ne serait ni conforme au bon sens, ni compatible avec le respect dû aux lois votées par la législature.

(page 1046) M. Dansaert (suite de son discours) - Nous avons le devoir, messieurs, de combiner dans une même solution pratique le maintien du principe de l’unité d’émission avec le droit d’assurer toujours son meilleur fonctionnement au profit de l’intérêt du pays. La réunion de ces deux conditions n’est possible qu'en limitant la prorogation a un nombre d'années beaucoup moindre que celui qui nous en' proposé, ou bien, en nous réservant le droit de révision au bout d'un certain temps.

Quant à moi, pour les motifs que je viens d'avoir l'honneur de. vous soumettre, je ne voterai pas une prorogation pour trente ans, sans aucune possibilité de résiliation.

Je passe, messieurs, à la question de la fixation du capital de la Banque. J'espère vous apporter, sur ce point, des faits et des arguments qui méritent toute votre attention.

Comme dans mon premier discours, je ne quitterai pas un seul instant le terrain pratique ; tous mes arguments, démonstratifs de l'insuffisance des moyens financiers qui nous sont proposés, sont puisés dans l'exposé des motifs de la loi du 5 mai 1850, dans la discussion de la loi, et dans les bilans annuels de la Banque Nationale. Il s'agit d'améliorer ce qui est, non d'y substituer autre chose ; mais il faut que les améliorations soient réelles, positives, qu'elles répondent pleinement au but que la représentation nationale veut atteindre.

Aucune des parties de la loi qui nous est soumise n'exige, sous ce rapport, une plus grande et plus complète élucidation que celle de la fixation des moyens financiers à l'aide desquels la Banque Nationale doit escompter les effets de commerce du pays.

Pour procéder avec ordre dans mes recherches sur la question de la fixation du capital de la Banque, j'ai ouvert tout d'abord l'exposé des motifs de la loi du 5 mai 1830, et voici ce que j'y ai trouvé :

« Un temps très long s'écoulera avant que l'émission des billets de banque atteigne, en Belgique, le chiffre de 73 millions. L'émission à cours' forcé ne s'est guère élevée qu'à 50 millions. En supposant, et c'est là, sans doute, une limite extrême, que l'on puisse maintenir en circulation des billets convertibles pour une somme égale ou même un peu supérieure, le capital de 15 millions, fixé pour que la Banque puisse commencer ses opérations, suffirait déjà, d'après les opinions les moins contestables, à garantir le public contre toute espèce d'éventualités ; mais la garantie ne s'arrête pas à-15 millions, elle s'élève jusqu'à 25 millions. »

"Vous le voyez, messieurs, d'après l'exposé des motifs de la loi organique de la Banque, à une circulation supposée de 50 millions on assigne un capital versé de 15 millions, et à une circulation supposée de 73 millions un capital versé de 25 millions.

N'est-ce pas le prélude logique de ce qui a été inscrit plus tard dans les statuts de la Banque, sur la quotité de l'encaisse métallique destinée à garantir, en tout temps, le payement à vue des billets présentés au remboursement ?

Poursuivant son raisonnement dans cet ordre d'idées, l'honorable ministre des finances de 1850 ajoute :

« Nous avons démontré qu'un capital de 15 millions de francs suffit pour que la Banque puisse commencer ses opérations. Des sommes plus fortes seraient nuisibles à l'établissement, qui ne saurait pas en trouver l'emploi. Il ne faut exiger qu'une seule chose : c'est que les affaires ne soient jamais en disproportion avec les fonds versés disponibles. Un capital de 15 millions de francs répond au besoin des affaires, mais il faut qu'il soit toujours intact. Aussi les conventions avec les banques actuelles stipulent que le capital de 15 millions de francs doit être complété en cas de pertes constatées, à la seule demande de l'administration de la Banque Nationale. Si l'extension des affaires nécessite tin appel de fonds, le mode et les conditions des versements seront réglés par les statuts. »

Le même ordre d'idées sur la proportionnalité obligatoire du capital et des billets émis se retrouve dans le rapport de la section centrale.

Permettez-moi de vous donner lecture d'une partie seulement du passage qui s'y rapporte :

« Le capital de la Banque, dit l'honorable rapporteur, est fixé à 25 millions ; 15 millions seulement seront versés en ce moment.

« En supposant une émission de billets égale à trois fois le capital versé et celui-ci conservé comme encaisse, la Banque commencerait ses opérations avec une circulation de 15 millions. De ces 45 millions, 20 seront mis à la disposition de la Société Générale, de sorte que 25 millions resteront affectés à l'escompte. Après avoir consulté les faits et les renseignements fournis sur les valeurs escomptées par les deux établissements, la somme de 25 millions a, dans les circonstances actuelles, paru suffisante à la section centrale.

« Il est à remarquer d'ailleurs que les fonds provenant des comptes courants et des dépôts formeront ainsi, dans certaines limites, aux opérations du compte.

« En voyant en ce moment le taux de l’escompte tomber à 2 1/2 p. c. à Anvers, on est induit à penser qu’il manque plutôt de bonnes valeurs négociables que de capitaux destinés à l’escompte. Il ne faut, du reste, pas oublier que les statuts, en circonscrivant, comme ils le font, les opérations de la Banque projetée, forcent celle-ci à s'occuper presque exclusivement de l'escompte et l'empêchent de donner à ses capitaux une autre direction.

« La section centrale n'a pas perdu de vue que la durée de la Banque est fixée à 25 ans ; que ce qui paraît suffisant aujourd'hui pourra ne pas l'être dans quelques années ; que le crédit établi sur des bases sûres et dans de sérieuses proportions, en donnant à l'industrie et au commerce une impulsion nouvelle, devra lui-même prendre de plus grands développements. Mais, dans ce cas, seraient appelés les 10 millions non versés qui donneraient lieu à une nouvelle circulation de 30 millions. »

Tels sont, messieurs, les tenues précis du rapport de la section centrale, confirmant les idées déjà énoncées dans l'exposé des motifs ; ils se résument pratiquement dans cette formule : proportionnalité entre la circulation des billets de la Banque et le capital des actionnaires.

Quelle est la raison d'être de cette proportionnalité ? Pourquoi cette relation d'un tiers entre le capital et les billets ?

La raison de cette relation entre les deux éléments financiers réside dans l'obligation du payable à vue des billets, à la volonté du porteur.

Sans l'obligation d'avoir une encaisse métallique pour le payable à vue, qui constitue pour les actionnaires la seule charge onéreuse à laquelle ils doivent pourvoir par un moyen certain, puisque toute la force du mécanisme financier de l'escompte des effets de commerce y est subordonnée, la loi du 5 mai 1850 aurait pu, à la rigueur, dispenser les actionnaires du versement d'un capital quelconque.

Ecoutez sur ce point la déclaration de l'auteur du projet de loi.

Répondant, dans la séance du Sénat du 18 avril 1850, à un orateur qui avait soutenu que le capital exigé des actionnaires était trop faible pour les opérations assignées à l'établissement projeté, M. le ministre des finances disait :

« Quelle est la fonction d'une banque telle que nous voulons la constituer ? Car il ne faut pas perdre de vue le but que nous voulons atteindre. Nous voulons une banque de dépôt, d'escompte et de circulation. Voilà ce que nous voulons. Nous ne voulons pas faire une banque hypothécaire, nous ne voulons pas faire une banque destinée à engager, à immobiliser des capitaux ; nous voulons, et je pense que l'honorable membre ne voudrait pas proposer de lui donner d'autres attributions, qu'elle fasse des opérations d'escompte, qu'elle escompte du papier de commerce. Eh bien, qu'est-ce que c'est qu'escompter du papier de commerce ? Une opération de commerce, a été faite : un individu a acheté, un autre a vendu ; on a vendu à terme. Une promesse, une obligation naît de cette opération. Le billet tiré par l'un est accepté par l'autre et payable à une époque déterminée. On se présente à la Banque pour obtenir le montant de ce billet par anticipation. Voila l'escompte.

« Que fait la Banque ? Distribue-t-elle son capital à ceux qui viennent lui présenter le billet ? Non, elle donne son propre billet, son crédit ; elle échange du papier contre du papier. Le billet souscrit est de 1,000 francs et elle donne un billet de 1,000 francs à elle. N'est-il pas évident que si, à l'échéance, le billet est payé, la Banque sera mise en mesure d'acquitter son propre billet ? Quelle différence y a-t-il entre l'un et l'autre ? C'est que le billet de banque est payable à vue, constamment pour tous les porteurs et que le billet est accepté payable à terme. Voilà la seule différence. »

Et comment, d'après l'honorable ministre, dont je viens de rappeler les paroles est garanti par la Banque le payable à vue des billets qu'elle échange contre des effets de commerce payables à terme ?

Vous l'avez vu, messieurs, toute cette garantie a pour base la proportionnalité d'un à trois entre le montant du capital et le montant des billets émis pour l'escompte.

Mais, me dira-l-on, vous oubliez qu'à côté du capital des actionnaires dont vous voulez, comme on le voulait en 1830, mire la base de l'encaisse du payable à vue, la Banque a aujourd'hui d'autres ressources métalliques. Je vais examiner la valeur de ces ressources et les réduire à leurs justes limites, sans aucun parti pris, ni d’un côté, ni d'autre. La Chambre en jugera.

Les éléments qui ont concouru jusqu'à ce jour à former l'encaisse totale de la Banque, sont au nombre de quatre, savoir :

1° L'encaisse du trésor public ;

2° L'encaisse des comptes courants particuliers ;

(page 1047) 3° L'encaisse amenée par l'émission des billets ;

4° Le capital versé par les actionnaires.

Pour ce qui est de l'encaisse du trésor public, vous connaissez, messieurs, la proposition qui nous est soumise. Il s'agit d'en employer toute la partie disponible en placements d effets de commerce de l'étranger et un pareil placement ne peut avoir lieu sans provoquer tout au moins une exportation partielle de numéraire.

L'expérience nous a appris aussi que l'Etat doit, dans certains moments, avoir la libre disposition de ses fonds.

Il est donc dangereux de compter sur une partie quelconque du trésor, pour la formation de l'encaisse métallique destinée à garantir le payement à vue des billets.

Si l'on me disait qu'on pourra placer également l'encaisse du trésor publie en effets de commerce du pays, que dès lors ce placement ne donnera plus lieu à une exportation de numéraire, mais uniquement à une émission proportionnelle de billets, je ferai remarquer que cette objection n'a qu'une valeur de pur apparat, qu'elle est complètement trompeuse. Le placement de l'encaisse du trésor public en effets de commerce du pays, par une émission de billets, bien loin d'être une sécurité pour l'encaisse métallique de la Banque, serait au contraire la cause de sa plus grande insécurité.

En effet, le placement de l'encaisse du trésor public cessera de s'effectuer en valeurs commerciales du pays, précisément aux époques de troubles politiques ou de danger de guerre, parce que dans ces moments l'Etat a besoin d'avoir toutes ses ressources financières disponibles.

En retirant, en or et en argent, les fonds du trésor de l'encaisse de la Banque, c'est le gouvernement qui, le premier, donnerait aux porteurs des billets le signal de la non-confiance.

La Banque, frappée tout à la fois dans ses ressources pour l'escompte et dans ses ressources pour le maintien normal de l'encaisse, sera, comme je l'ai dit, la cause génératrice des difficultés qui se produiront dans le commerce et l'industrie, difficultés qu'elle a reçu la mission de conjurer.

M. le ministre des finances a donc pleinement raison. L'achat du papier de l'étranger doit être la règle générale du placement productif de l'encaisse du trésor public. La réalisation, de ce papier dans un court délai permet de rétablir dans son intégralité l'encaisse du trésor par une importation d'or ou d'argent.

Messieurs, j'ai voulu me rendre compte de la situation qui serait résultée pour l’encaisse destinée à payer à vue les comptes courants particuliers et les billets en circulation, si, depuis l'ouverture de la Banque, l'encaisse du trésor public avait reçu la destination actuellement proposée. Vous trouverez, dans le compte rendu de mon discours, le résumé de ces situations, par millions de francs, au 31 décembre de chacune des années 1851 à 1871 : [tableau non repris dans la présente version numérisée].

Vous y verrez que, déduction faite de l'encaisse du trésor public, l’encaisse particulière de la Banque, au lieu de représenter le tiers des comptes courants des particuliers et des billets émis, ne représente que [tableau non repris dans la présente version numérisée].

Enfin au 31 décembre 1860, l'encaisse métalliques toute de la Banque ne contenait même plus le montant de l'encaisse du. trésor public. Le solde créditeur du trésor vis-à-vis de la Banque était de 71 millions, et la Banque n'avait en tout et pour tout qu'une encaisse métallique de 63 millions !

Rien que pour le trésor public, il manquait 8 millions d'espèces à la Banque, de telle sorte que les comptes courants particuliers et les billets émis, qui s'élevaient à la même date à 128 millions, n'étaient représentés par aucune encaisse métallique.

Ces situations, prises dans les tableaux annuels publiés par la Banque, démontrent éloquemment, je pense, la nécessité où nous sommes de voter des mesures efficaces pour parer au déficit qui va être la conséquence du retrait de l'encaisse du trésor.

J'aborde l'examen au même point de vue de l'escompte, de la valeur financière, des comptes courants particuliers.

Faut-il de même biffer l'encaisse des comptes courants particuliers de la liste des ressources qui ont été admises à participer jusqu'à ce jour à la formation de l'encaisse garante de la circulation des billets ?

Ecoutons d'abord sur ce point l'opinion de M. le ministre des finances. Examinant la question de savoir si le placement à la Banque Nationale en compte courant à intérêt de l'encaisse du trésor ne serait pas préférable à son placement en achat d'effets de commerce de l'étranger, l'honorable M. Malou nous dit :

« Le premier mode a paru offrir plus d'un inconvénient. Et d'abord, une banque d'émission, comme la Banque Nationale, ne pourrait sans, imprudence, ou du moins sans risquer d'amoindrir sa sécurité, admettre des comptes courants à intérêts. En général, les banques de dépôts et les maisons qui les admettent restreignent la disponibilité, et pourtant, on a vu, plus d'une fois, aux jours difficiles, l'exagération ou même l'existence des comptes courants à intérêt amener plus de chutes qu'aucune autre cause. »

Traduite en termes pratiques, l'opinion de M. le ministre signifie qu'une institution, telle que la Banque Nationale» se prépare des jours difficiles, se place dans une situation hors d'équilibre avec ses ressources, lorsqu'elle emploie à des opérations d'escompte les encaisses des dépôts en comptes courants, faits pour des sommes considérables par un petit nombre de titulaires. Le retrait de ces encaisses, par l'une ou l'autre cause, produit aussitôt un déficit très sensible dans l'encaisse métallique de la Banque. Ce déficit amène un effondrement proportionnel de la circulation des billets et des opérations de. l'escompte, absolument comme le retrait de l'encaisse du compte courant du trésor public.

L'opinion de M. le ministre sur les dangers des comptes courants particuliers à intérêt pour alimenter les ressources d'escompte de la Banque Nationale, est partagée par M. le rapporteur de la section centrale.

« Par sa nature même, dit-il dans son rapport, une banque d'émission est obligée de circonscrire dans les limites les plus étroites ses opérations et ses obligations ; elle a à résoudre le redoutable problème d'être toujours à même de rembourser à vue une somme énorme qu'elle doit en grande partie engager à terme. Ajouter des difficultés aux difficultés inhérentes à son essence même est une imprudence.

« Or tel serait le caractère de l'appel de placements de fonds.

« L'expérience n'a t-elle pas, à cet égard, des enseignements ? Qu'on relise l'histoire des caisses d'épargne, qu'on se rappelle les ébranlements d'établissements d'ailleurs solides et l'on verra presque toujours le retrait des placements être la cause des embarras. »

Messieurs, veuillez bien le remarquer, ces dangers sont signalés ici par M. le ministre des finances et par M. le. rapporteur de la section centrale, pour des comptes courants auxquels la Banque payerait un intérêt et qu'elle pourrait soumettre à une restriction de disponibilité d'une certaine durée ; mais si déjà des dangers existent. pour de semblables placements, que faut-il penser des comptes courants pour lesquels n'existent ni (page 1048) l'attache de l'intérêt payé par la Banque, ni l'obligation d'un préavis quelconque pour le retrait ?

Est-il possible de mieux démontrer que ne l'ont fait les honorables autorités que je viens de citer, qu'il et indispensable, pour la sécurité des opérations d'escompte, de dégager à l'avenir l'encaisse métallique garant du payable A vue des billets, des encaisses du trésor public et des comptes courants particuliers, qui ont concouru jusqu'à ce jour à sa formation pour des sommes considérables ?

Si l'honorable ministre des finances et l'honorable rapporteur de la section centrale n'avaient été retenus par des scrupules que je comprends, ils n'auraient pas manqué d'ajouter que toutes les crises depuis vingt-deux ans de l'encaisse métallique du payable à vue de la Banque Nationale ont eu pour cause des retraits de sommes soit des comptes courants particuliers, soit du compte courant du trésor public, et que jamais, dans aucune circonstance, le déficit de l'encaisse statutaire, qui a amené les restrictions et les surélévations de l'escompte, n'a eu pour cause première des remboursements en espèces demandés par les porteurs de la circulation si divisée des billets.

Les autorités dont j'ai rapporté les opinions me donneraient donc le droit d'exclure l'encaisse des comptes particuliers de toute participation à la formation de l'encaisse métallique des billets. Mais je n'irai pas aussi loin ; je veux croire que, même dans les crises les plus fortes, le remboursement d'une partie égale au quart des comptes courants particuliers ne sera pas exigé ; il restera donc de ce chef à la Banque un solde d'encaisse qui pourra contribuer à former l'encaisse des billets.

Je demande pardon à la Chambre d'avoir dû entrer dans ces supputations, mais j'aurais cru manquer à mon devoir si, convaincu que la plupart des perturbations de l'escompte proviennent d'un vice d'organisation de l'encaisse métallique de la Banque, je n'avais pas appliqué tous mes efforts à faire partager ma conviction au gouvernement comme à la Chambre.

Je passe à l'examen du numéraire amené par l'émission des billets.

Cette émission, me dit-on, est une véritable source métallique, dont l'alimentation est assurée par la supériorité du billet de banque sur la monnaie, pour le payement des grandes et des moyennes transactions.

Une forte augmentation du capital de la Banque est donc inutile pour avoir, dans les temps de crise politique ou autre, l'encaisse nécessaire au maintien de l'escompte dans des conditions régulières.

La Banque Nationale a, depuis de longues années, mis largement à profit cette source d'espèces métalliques.

Elle a eu recours à des émissions de billets de 20 francs, faisant l'office des pièces de 20 francs en or, qu'elle a conservées dans ses caisses.

Elle a eu recours à l'emploi exclusif de la monnaie d'argent, si encombrante pour le payement de toutes les sommes qui lui sont demandées en numéraire.

Elle a eu recours, enfin, au moyen qui consiste à payer ses bordereaux d'escompte avec le plus de billets possible.

Eh bien, messieurs, malgré tous ces moyens calculés et mis en pratique avec intelligence et persévérance, l'administration de la Banque n'est pas parvenue, après vingt-deux années, à éviter que le simple retrait d'une partie de l'encaisse du trésor ne constituât la Banque en crise. Je vous en ai donné la preuve.

Voilà ma première réponse à ceux qui considèrent à l'égal d'une Californie inépuisable la substitution des billets au numéraire dans le pays.

Voici ma seconde réponse. J'en puise de même les éléments dans des documents officiels publiés par l’administration de la Banque.

Si vous voulez acquérir la preuve que le moyen de la substitution des billets au numéraire dans la circulation générale du pays est un moyen dont l'administration de la Banque a déjà tiré tout ce qu'elle a pu, vous n'avez qu'à lire les comptes rendus des bilans annuels.

Vous y verrez démontré en chiffres éloquents que les payements qui se faisaient, en 1861, aux caisses des agences de la Banque, par 66 p. c. en billets et 34 p. c. en espèces, se sont faits, en 1871, par 83 p. c. en billets et 17 p. c. seulement en espèces. C'est-à-dire qu'en huit années, de 1864 à 1871, les payements en billets faits par les agences au public se sont élevés de 66 p. c. à 83 p. c, pendant que les payements en espèces sont descendus parallèlement de 34 p. c. à 17 p. c.

[tableau des payements par les caisses des agences de la Banque Nationale, non repris dans la présente version numérisée.]

Après avoir dressé le tableau des payements en billets et en espèces, j'ai de même dressé celui des recettes effectuées en billets et en espèces aux mêmes agences.

J'ose appeler votre attention la plus sérieuse sur sa signification pour la question qui nous occupe :

[tableau des recettes effectuées par les caisses des agences de la Banque Nationale, non repris dans la présente version numérisée.]

Ce tableau démontre à l'évidence par sa comparaison avec le tableau précédent, celui des payements, qu'au fur et à mesure que les espèces ont diminué dans les payements faits au public par les caisses des agences de la Banque, exactement le même phénomène s'est produit dans les recettes, c'est-à-dire dans les payements que le public, à son tour, est venu effectuer aux caisses des mêmes agences.

En 1871, les payements du public aux caisses des agences se sont faits 60 p. c. en billets et 40 p. c. en espèces ;

En 1871, les payements du public se sont faits non plus par 60 p. c. en billets, mais par 78 p. c. en billets ; et les payements en espèces qui étaient en 1864 de 40 p. c., n'ont plus été que de 22 p. c. en 1871.

Messieurs, ce qui vous frappera surtout en comparant les éléments constitutifs des payements aux mêmes éléments constitutifs des recette c'est le rapprochement qui s'est opéré entre la proportionnalité des billets dans les payements et les recettes, et aussi entre la proportionnalité des espèces dans les payements et les recettes.

Rien de plus significatif pour démontrer que les filons d'or et d'argent de la circulation monétaire se sont peu à peu épuisés, et qu'il y a lieu d'y renoncer pour en obtenir actuellement des ressources nouvelles de quelque importance.

Voulez-vous, messieurs, en avoir la preuve surabondante ?

Vous la trouverez dans la combinaison des tableaux pour les années 1864 à 1871 des payements effectués aux agences, avec le tableau donnant pour les mêmes années, d'une part, le montant des billets pour lesquels le public est venu demander des espèces ; d'autre part, le montant des espèces pour lesquelles le public est venu demander des billets.

(page 1049) [tableau non repris dans la présente version numérisée]

En corrigeant le premier tableau dont j'ai parlé, celui des payements effectués aux caisses des agences, par la déduction de l'excédant des billets sur les espèces échangées par le public à ces mêmes agences, il est clair que l'on a le tableau rigoureusement exact du mode de payements en billets et en espèces réellement acceptés par le public.

Je me suis livré à ce travail de correction du tableau des payements ; vous le trouverez également dans la reproduction de mon discours.

[Tableau des payements réellement effectués en billets et en espèces aux agences de la Banque Nationale, non repris dans la présente version numérisée]

J'ai mis les éléments résumés de ce tableau en regard des éléments résumés du tableau des recettes.

Lorsque vous en aurez pris connaissance, messieurs, il ne vous restera plus, je pense, le moindre doute sur l'impossibilité qu'il y a pour l'administration de la Banque Nationale de trouver dans la substitution de ses billets aux espèces en circulation une ressource quelque peu sérieuse pour combler le vide du départ de l'encaisse du trésor public et, de plus, pour y trouver le supplément d'encaisse indispensable à une augmentation de circulation.

[Tableau résumé des payements et des recettes aux agences de la Banque Nationale, non repris dans la présente version numérisée].

Je me résume, messieurs, sur les faits que. je viens d'avoir l'honneur de vous exposer et je dis :

La constitution dans des conditions pratiques, solides, permanentes, des moyens financiers destinés à donner au commerce et à l'industrie la sécurité, exige :

1° De biffer l'encaisse métallique du trésor public de la liste des encaisses qui ont participé, jusqu'à ce jour, à la formation de l'encaisse du tiers de la circulation des billets ;

2° De biffer de la même liste l'encaisse des comptes courants, sauf un quart, qui peut être considéré comme étant à l'abri des retraits ;

3° De biffer également comme ressource métallique susceptible d'accroissement, la substitution espérée d'une plus grande quantité de billets au numéraire dans la circulation générale.

J'engage mes honorables contradicteurs à rester sur ce terrain pratique dont, pour mon compte, je n'entends pas m'écarter, dans la persuasion inébranlable que la possibilité de l'escompte selon les besoins du commerce est subordonnée tout entière à la bonne et durable constitution de l'encaisse métallique des billets émis.

Nous voilà donc forcément conduits, sous peine d'être les auteurs des crises prochaines de l'escompte, de demander à l'augmentation du capital delà Banque le supplément des moyens financiers indispensables.

Je ne crois pas, messieurs, qu'il nous soit possible de rendre un plus grand hommage à l'esprit de sagesse et de prévoyance qui a présidé à la conception des bases organiques de la Banque Nationale.

En présentant son projet de loi à cette Chambre, dans la séance du 26 décembre 1849, l'honorable M. Frère-Orban s'exprimait en ces termes :

« La Banque Nationale doit être organisée de manière à pouvoir venir au secours du pays dans les moments difficiles, atténuer les effets des crises, en escomptant à des taux raisonnables quand les capitaux deviennent rares. Loin d'être une cause d'embarras, elle doit contribuera diminuer l'intensité des crises. »

Vous avez vu, messieurs, comment l'auteur du projet de loi entendait former l'encaisse de 56 millions de la circulation prévue pour le début de la Banque, et ensuite l'encaisse de l'émission des 75 millions considérés comme une limite extrême.

Pour avoir la confirmation expérimentale de la justesse de ces formules, il suffit de se demander à partir de quels moments la Banque Nationale a cessé d'être à la hauteur de sa mission ?

N'est-ce pas à partir du moment où la circulation fiduciaire ayant pris une extension qui a dépassé toutes les prévisions de l'auteur de la loi du 5 mai, la Banque réduite à son capital de 25 millions a dû baser la plus notable partie de cet accroissement de circulation sur les sables mouvants de l'encaisse métallique du trésor, et les sables presque aussi mouvants de l'encaisse métallique des comptes courants des particuliers.

Messieurs, nous voilà arrivés de déduction en déduction, par une méthode logique, en présence de la question pratique suivante :

« De quelle somme faut-il augmenter le capital de la Banque pour maintenir son encaisse au niveau statutaire jugé nécessaire pour le payable à vue, sans amener dans l'escompte ces contractions brusques, inattendues, qui viennent jeter inopinément la déroute dans les affaires commerciales les mieux combinées ? »

Une application rigoureuse des idées émises dans l'exposé des motifs de la loi de 1850 conduirait à une augmentation de 53 millions, mais dans mon opinion les raisons qui existaient en 1850 pour établir la proportionnalité de 1 à 3 entre le capital versé et les billets émis, n'existent plus aujourd'hui.

Je suis d'avis qu'on peut sans le moindre inconvénient se contenter pour le présent et pour l'avenir de la proportion de 1 à 5, sans compromettre en quoi que ce soit le payable à vue des billets.

Les billets émis pour l'escompte se répartissent en Belgique entre des milliers, peut-être entre plusieurs centaines de mille porteurs ; ceux-ci ne les conservent pas pour les enfouir, mais pour se procurer des richesses réelles, des marchandises fabriquées, des matières premières, des denrées de consommation habituelle, etc.

Ce sont ces achats si multiples et incessants qui constituent le payable à vue le plus recherché.

En règle générale, les porteurs des billets ne viennent à l'encaisse métallique de la Banque que pour avoir des espèces destinées à payer des salaires, des appoints, en un mot, pour avoir de la monnaie pour les petits payements, et quelquefois aussi, mais plus rarement, pour envoyer une certaine somme d'espèces à l'étranger.

J'estime à 25 millions la plus forte diminution possible que toutes ces demandes simultanées de payement à vue pourront dans un grand moment de trouble, sans subir à l'encaisse des billets, lorsque celle-ci bien entendu n'aura plus rien de commun avec l'encaisse du trésor public et l'encaisse spéciale des comptes courants particuliers.

(page 1050) Dès lors, d'après la situation actuelle de la Banque, avec une encaisse de 60 millions constituée pour le payable des billets, il restera, dans l'hypothèse la plus défavorable, un solde d'espèces disponible, un stock métallique immobilisé de 35 millions. C'est à-dire que l'encaisse de 60 millions sera plus du double de la somme dont les porteurs des billets sont supposés venir demander l'échange contre des espèces, dans les circonstances les plus défavorables au crédit de la Banque.

À mon avis, l'encaisse métallique pour le payable à vue des billets est tout à fait normale lorsqu'elle est suffisante pour répondre aux besoins que je viens d'énumérer et qu'il reste une réserve assez ample pour inspirer à tout le monde une entière confiance.

On peut donc, sans la moindre crainte, descendre l'encaisse statutaire à un cinquième des billets en circulation. Mais, je le répète, ce cinquième doit être représenté par des espèces n'appartenant ni au compte du trésor, ni aux comptes courants particuliers ; et l'unique moyen de le rendre tel, est de le composer avec des ressources stables, c'est-à-dire demandées aux actionnaires, ainsi que l'a voulu l'auteur de la loi du 5 mai 1850.

En tenant compte de la quotité de concours qu'on peut, sans danger pour l'escompte, emprunter à l'encaisse des comptes courants particuliers, il resterait à pourvoir immédiatement à une augmentation de 15 millions du fonds social de la Banque, en laissant, en outre, au gouvernement le droit d'ordonner une augmentation nouvelle en cas de nécessité reconnue.

De quelle manière et par quel moyen convient-il de procéder à cette augmentation présente et future ?

Faut-il pour que l'encaisse du payable à rue des billets appartienne en propre à la Banque pour la plus grande somme, et ne puisse lui être enlevée au moment où elle en a le plus besoin, faut-il, dis-je, demander la formation principale de l'encaisse à des émissions d'actions nouvelles, et n'y a-t-il pas un autre moyen d'obtenir ce résultat beaucoup plus économiquement ?

Je n'hésite pas à répondre affirmativement à la deuxième partie de la question.

Ce mode économique, messieurs, a été signalé, dès 1864, par un grand nombre de commerçants et d'industriels de Bruxelles, qui s'étaient occupés, dans l'intérêt légitime de leurs affaires, des conséquences fâcheuses de l'insuffisance de l'encaisse de la Banque.

Il consiste dans l'émission d'obligations portant un intérêt suffisamment rémunérateur de ce genre de placement exempt de risques, et à laisser fixé à 25 millions le capital actionnaire proprement dit.

L'intérêt rémunérateur d'un capital exempt de risques ne dépasse pas 4 1/2 p. c. La preuve, c'est notre 4 p. c. qui se maintient au-dessus du pair depuis bien longtemps.

Dans le système, que j'ai l'honneur de proposer, la souscription publique fournirait immédiatement à l'encaisse de la Banque une situation régulière, et au pays la garantie d'un escompte à bon marché.

Pour 45 millions d'actions nouvelles émises, recevant un dividende de 10 p. c., il faudrait produire annuellement 4,500,000 francs de bénéfices de plus par l'escompte.

En dividende de 15 p. c. exigerait une augmentation de 6,750,000 fr. -de bénéfices annuels à produire par l'escompte.

Tandis qu'une émission d'obligations à 4 1/2 p. c, pour 45 millions, ne coûterait à l'escompte que 2,025,000 francs !

Croyez-vous, messieurs, que les actionnaires résistent à la tentation d'un dividende de 15 p. c. ?

Les dividendes des nouvelles actions graviteront vers les dividendes antérieurs des premières actions. C'est dans la force des choses.

C'est aussi ce qui justifie à tous égards le maintien du capital actionnaire à 25 millions, par le recours à une émission d'obligations à intérêt fixe. Cette émission pourvoira à l'encaisse métallique du payable à vue des billets à vue : la même certitude qu'une émission d'actions ; mais au lieu de coûter au commerce et à l'industrie 4,500,000 à 6,750,000 francs par an, elle ne lui coûtera que 2,025,000 francs !

Je laisse à mes honorables contradicteurs le soin de démontrer à la Chambre qu'une augmentation du capital actionnaire serait capable de procurer la même somme d'escompte, au même bon marché.

Messieurs, le mécanisme financier de ma proposition vient réaliser la condition d'un capital de garantie suffisant pour les pertes hypothétiques de la Banque, et d'une encaisse suffisante pour éviter des surélévations d'escompte qui seraient beaucoup moins hypothétiques, si l'état de l'encaisse devait continuer dans les mêmes errements.

Je ne puis assez le redire, comme garantie contre les pertes de la Banque, le capital actionnaire de 25 millions est même trop grand, mais ce n'est pas du tout à ce point de vue qu'il faut se placer lorsqu'on veut la bonne marche de la Banque.

Dans le système de ma proposition, le capital actionnaire reste fixé immuablement à 25 millions ; mais la dilatation du fonds social s'opère par des émissions d'obligations à intérêt fixe, parallèlement à la dilatation de l'escompte ou, ce qui est la même chose, de la somme des billets émis.

Le jeu de ce mécanisme financier est aussi simple, qu'il est fécond et certain.

Mon avis est qu'il faut 45 millions d'obligations pour constituer l'encaisse du service de l'escompte.

Cependant vous constaterez à la rédaction de ma proposition que je laisse au gouvernement le soin de régler les appels de versements selon les besoins révélés par l'expérience, qui va être faite, du placement productif des fonds du trésor.

A mesure que le gouvernement s'apercevra du déficit d'espèces que ce placement vient produire dans l'encaisse du payable à vue des billets, le gouvernement ordonnera, avec prévoyance, des versements aux porteurs des obligations. Ces versements empêcheront à la Banque les crises de caisse et par suite les crises d'escompte.

Messieurs, indépendamment de son caractère financier si bien approprié au problème à résoudre de l'extension de l'encaisse, parallèlement à l'extension de la masse des billets émis, ma proposition tend à exercer sur la direction de la Banque une influence éminemment favorable aux intérêts généraux du commerce et de l'industrie.

Dans le système de la limitation absolue à une somme déterminée pendant 25 ou 30 ans du concours financier des actionnaires, ainsi que cela a eu lieu sous le régime de la loi du 5 mai 1850, l'administration de la Banque est fatalement entraînée par les intérêts particuliers qu'elle représente, à ne pas se défendre suffisamment contre les opérations qui sont de nature à faire descendre l'encaisse au-dessous de la quotité obligatoire d'après la somme des billets émis.

Le fait se réalisant, les bénéfices des actionnaires s'accroissent par enchantement ; pour eux, il n'y a ni plus de risques, ni plus d'occupations, ni plus de capital versé, ils n'ont qu'à se préparer à recevoir à la fin de l'année, à titre d'accroissement de dividendes, toute la partie du bénéfice que la baguette magique de l'insuffisance de l'encaisse a fait sortir de la caisse des commerçants et industriels par la surélévation du taux de l'escompte.

Nous sommes, en ce moment même, dans une de ces situations si fructueuses pour les bénéfices des actionnaires. De 2 1/2 p. c, l'escompte s'est élevé en quelques jours à 4 p. c, et cela uniquement par l'insuffisance de l'encaisse exigée d'après les statuts.

Grâce à cette insuffisance, avec la même somme d'affaires, les actionnaires de la Banque doublent leurs bénéfices.

L'adoption de ma proposition, messieurs, mettrait fin à toute spéculation contre le niveau statutaire de l'encaisse ; elle placerait la Banque dans la nécessité d'y veiller avec soin.

Avec le droit donné au gouvernement d'étendre l'émission des obligations lorsque les besoins de l'encaisse du payable à vue des billets l'exigeront, la Banque est avertie qu'une encaisse trop rapprochée d'une manière permanente de la limite inférieure désignée dans les statuts, est le signal d'une émission d'une certaine somme d'obligations à 4 1/2 p. c.

Est-il douteux, messieurs, qu'en face de cette éventualité, la Banque Nationale ne défende à l'avenir son encaisse avec un peu plus d'attention qu'elle n'en a mis à le défendre dans le passé.

Pour ces motifs, j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre les propositions suivantes :

« Le capital de la Banque Nationale reste fixé à 25 millions de francs.

« Le supplément du fonds social nécessaire aux opérations d'escompte et à la garantie du « payable a vue » des billets, sera obtenu par une émission d'obligations au porteur portant un intérêt annuel de 4 1/2 p. c, payable par semestre.

« Les obligations seront émises pour une durée égale à celle de la Banque par voie de souscription publique.

« L'émission des obligations aura lieu par les soins de l'administration de la Banque, sous l'approbation du gouvernement en ce qui concerne les mesures d'exécution.

« Une émission d'obligations jusqu'à concurrence de 45 millions de francs est autorisée par la présente loi.

« Le gouvernement déterminera, d'après les prévisions des besoins financiers de la Banque, les quotités des versements successifs à opérer par les obligataires.

« La législature se réserve le droit d'ordonner une nouvelle émission d'obligations, si les intérêts généraux du pays l'exigeaient et d'en déterminer les conditions. »

(<page 1051) En rédigeant la proposition dont je viens d'avoir l'honneur de vous donner lecture, je me suis inspiré, messieurs, des mêmes idées qui ont inspiré l'honorable M. Frère-Orban, lorsque dans la séance du 28 février 1850, répondant aux critiques dirigées contre son projet de loi, il disait à cette Chambre :

« Que voulons-nous en instituant une Banque ? Nous voulons, non pas donner des bénéfices à des particuliers, non pas enrichir des actionnaires, mais nous instituons une banque dans l'intérêt public, dans l'intérêt général. Si nous grevons cette banque de charges trop considérables, comment veut-on qu'elle remplisse les conditions de sa constitution ? Si elle a trop de charges, comment veut-on qu'elle offre au public des capitaux à bon marché ? Or c'est pour offrir des capitaux à bon marché qu'elle est instituée. »

L'honorable M. Frère-Orban reconnaîtra volontiers, j'ose l'espérer, la concordance de ma proposition avec toutes les conditions qu'il a si nettement posées dans l'exposé des motifs et dans la discussion de la loi organique de la Banque.

Ma proposition répond à l'idée, que pour les risques des opérations, le capital des actionnaires est amplement suffisant ; qu'il ne faut pas imposer aux actionnaires des charges trop lourdes ; que la Banque a été fondée, non pour donner des bénéfices exagérés, mais pour servir l'intérêt général.

Ma proposition répond aussi à l'idée que le fonds social immuablement attaché à la Banque doit être proportionné à la circulation des billets ; de l'extension de la circulation par l'extension des besoins de l'escompte, doit résulter l'extension progressive du fonds social, qui assure la solidité, la sécurité et le bon marché des services dus au travail, en temps de calme comme dans les temps exceptionnels ;

Ma proposition répond en outre à l'idée, que s'il est dangereux d'engager le capital, d'une banque de circulation dans les affaires de l'Etat, il est tout aussi dangereux, pour les mêmes raisons, de laisser engager les fonds de l'Etat dans les affaires de la Banque.

Ma proposition, enfin, répond à l'idée soutenue par l'honorable M. Malou au nom du gouvernement, et par l'honorable M. Pirmez au nom de la section centrale, que si l'allocation d'un intérêt et la condition expresse d'un préavis d'une certaine durée ne sont pas des motifs de sécurité suffisante pour permettre à la Banque Nationale d'accepter des sommes en compte courant, qui seraient soumises à ces règles et dont le montant serait par la Banque employé à l'escompte des effets de commerce du pays, la même raison d'exclusion du même emploi existe à fortiori pour les comptes courants sans intérêts et sans préavis qui existent actuellement à la Banque Nationale.

M. Pirmez (pour un fait personnel). - Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir est libre de soutenir toutes les opinions qui lui conviennent. Mais je tiens à ne pas être solidaire de ses opinions et à ne pas me laisser prêter des opinions que non seulement je n'ai pas émises, mais que j'ai combattues.

M. Dansaert en lisant, non pas quatre lignes, comme je le disais en l'interrompant, mais cinq lignes de mon discours, m'a attribué une opinion absolument contraire à celle que j'ai soutenue.

J'ai dit et démontré qu'il y a entre les versements en comptes courants sans intérêts et les versements en comptes courants avec intérêts une différence immense.

Les fonds que l'on dépose dans une banque sans intérêts sont des fonds actifs et servent à un mouvement d'affaires. Le déposant les verse, les transfère, les retire, selon la nature des opérations qu'il fait journellement

Le mouvement des affaires étant constant et nécessitant toujours une quantité de fonds à peu près égale, ces dépôts ne subissent guère de variations, au moins dans l'ensemble.

Lorsqu'on parcourt le chiffre des dépôts faits aux grandes banques des pays voisins dans ces conditions, on voit que la quotité en demeure assez stable, même au milieu des crises les plus intenses ; on constate surtout que les comptes courants ne suivent pas les fluctuations des demandes de capitaux.

J'ai développé dans mon rapport cette thèse qu'il en est tout autrement des fonds qui sont attirés en compte courant par l'appât d'un intérêt. Ces fonds sont placés : ils ne servent pas aux affaires. Lorsqu'il survient des besoins de capitaux, on retire en grande quantité ces placements, de sorte qu'on arrive à ce résultat qu'au moment où une crise éclate, elle est nécessairement aggravée par le retrait de ces placements.

Qu'a fait l'honorable M. Dansaert ? Il a pris les cinq lignes que j'ai appliquées à ces placements en compte courant à intérêt et il les a appliquées au compte courant sans intérêt, et comme il prétend que les exemples courants sans intérêt présentent des dangers, il invoque par ce procédé mon opinion pour soutenir qu'elle est conforme à la sienne. (Interruption.)

Ainsi, je démontre que les comptes courants sans intérêt font naturellement partie des opérations des banques d'émission ; je le soutiens avec tous ceux qui se sont occupés des opérations de banque. (Interruption.) Je développe longuement cette idée et M. Dansaert me fait dire que je proclame ces dépôts dangereux, que je les proscris.

Et pourquoi ? Parce que je soutiens, avec l'honorable ministre des finances et tous les économistes, qu'il y a un véritable danger à ouvrir des comptes courants à intérêts.

Je demande à l'honorable M. Dansaert de ne pas prendre ces paroles qui s'appliquent aux comptes courants avec intérêts pour les appliquer aux comptes courants sans intérêt et de ne pas soutenir ensuite que je suis d'accord avec lui.

Je ne puis pas permettre qu'il m'impose des opinions que j'ai combattues.

Je regrette de n'avoir la parole que pour un fait personnel ; j'aurais voulu rencontrer certaines observations de l'honorable membre.

Je demande cependant à dire quelques mots de la dernière idée qu'il a émise, celle de former un capital au moyen d'un emprunt.

Cette idée, messieurs, est fort étrange.

M. le président. - Vous sortez du fait personnel, M. Pirmez.

M. Pirmez, rapporteur. - Si vous vouliez me donner deux minutes, je m'abstiendrais d'un discours.

M. le président. - Il y a un autre orateur inscrit.

M. Pirmez, rapporteur. - Tout le monde comprend que le capital d'une société soit la garantie de ses engagements ; il est la propriété des actionnaires.

Mais je me demande comment l'honorable M. Dansaert a pu concevoir qu'un emprunt, c'est-à-dire une dette, puisse être une garantie quelconque ?

En effet, je suppose que pour inspirer de la confiance à une personne qui me reprochera de n'avoir pas de capital, je lui annonce que j'ai contracté un emprunt, que je dois une très grosse somme.

Je voudrais bien savoir quel est le créancier qui trouvera que, dans l'emprunt que je fais, il y a pour lui une garantie ?

Mais c'est le contraire d'une garantie, M. Dansaert. Une créance peut être une garantie ; une dette, jamais. Si je vous montrais que je suis créancier, vous auriez une garantie. Mais si je vous montre que je suis débiteur, vous n'en aurez que plus de défiance.

L'idée de constituer une garantie par un emprunt est donc un renversement d'idées complet. Je regrette de ne pouvoir redresser d'autres erreurs.

M. Malou, ministre des finances. - Je voudrais obtenir de l'honorable M. Dansaert quelques mots d'explication sur son amendement très inattendu.

L'honorable membre a présenté d'abord avec l'honorable M. Demeur un amendement relatif à la durée. Celui-ci absorbe-t-il l'autre ou bien doivent-ils coexister ? Voilà une première question sur laquelle je voudrais être fixé.

M. Dansaert. - L'amendement présenté le premier pourra être mis le premier aux voix.

M. Malou, ministre des finances. - Je ne demande pas lequel des deux doit avoir la priorité, mais je demande s'ils ne se dévorent pas l'un l'autre ou si vous ayez la prétention qu'ils doivent être votés tous les deux ?

Je voudrais savoir comment ces obligations seront amorties. Ainsi on discute sur la durée de la Banque ; faut-il que ces obligations soient amorties dans un délai déterminé et dans quel délai ? Quand on contracte des dettes, ce ne sont pas des dettes à perpétuité. C'est donc là un point à éclaircir.

Il en est un autre qui me paraît avoir encore plus besoin d'explication ; nous avons, en temps normal, l'escompte à 3 ou à 2 1/2 p. c. ; je demande comment on fera pour ne pas excéder ce taux, alors qu'une grande partie des fonds qui, avec les billets de banque, serviront à faire l'escompte, sera grevée d'un intérêt de 4 1/2 p. c.

Je ne vois pas de meilleur moyen de faire hausser l'escompte à l'avenir que de forcer la Banque, par décret législatif, à emprunter à 4 1/2 p. c. Si l'on veut que la Banque, sortant des habitudes de toutes les banques d'émission, se mette à créer des obligations, mais qu'on ait la bonté de laisser la Banque jouir de son crédit, pourquoi 45 millions à 4 1/2 p. c. ?

(page 1052) L’honorable membre, s’il aspire à faire voter son amendement, doit expliquer quel en sera le résultat. Non seulement, il dénature complètement le caractère de l'institution, mais il entraîne forcément la hausse de l'escompte.

M. Demeur. - Messieurs, mon intention n'est pas de revenir sur toutes les questions qui ont été traitées dans cette enceinte. Déjà, dans la dernière séance, la clôture de la discussion générale a été demandée. Je limiterai donc les observations que j'ai à présenter à la Chambre, me réservant de demander la parole dans la discussion des articles.

Pour le moment je veux parler seulement de l'amendement que, de concert avec l'honorable M. Dansaert, j'ai déposé dans la séance de samedi dernier. Cet amendement vient après la disposition de l'article premier qui proroge de trente ans la durée de la Banque. Il est ainsi conçu :

« Néanmoins l'institution pourra prendre fin ou être modifiée le 1er janvier 1883, s'il en est ainsi ordonné par une loi votée dans une des deux sessions qui précéderont cette époque. »

Jamais la pensée de proposer cet amendement ne nous serait venue si, comme on l'a soutenu, la Banque Nationale était une société de droit commun, si elle ne jouissait pas d'un monopole, si elle n'était pas investie d'un privilège.

En effet, d'après le projet de loi sur les sociétés qui a déjà été voté par la Chambre, la durée des sociétés anonymes pourra être de trente ans ; et si la Banque Nationale était dans les conditions des sociétés anonymes ordinaires, il est évident qu'il n'y aurait pas de raison pour lui refuser le bénéfice de cette disposition.

Je suis donc condamné à revenir sur cette question de savoir si la Banque Nationale est investie d'une position privilégiée.

Je ne veux pas, messieurs, entrer dans les détails de la question, après le discours de l'honorable M. Balisaux que vous avez entendu dans la séance de ce jour. Mais je crois devoir citer à l'appui de l'opinion qui a été émise par cet honorable membre et que je défends, les expressions dont s'est servi l'honorable M. Frère-Orban, lorsque, le 18 décembre 1849, il faisait, avec la Société Générale et avec la Banque de Belgique, les conventions qui ont abouti à l'institution de la Banque Nationale.

Dans ces conventions, le ministre des finances détermine quelles seront les conditions de l'établissement nouveau.

Au n°7°, je trouve parmi ces conditions ce qui suit :

« L'établissement aura le privilège d'émettre des billets au porteur, dits billets de banque. »

J'avais donc raison de dire que la première personne qui a qualifié la position de la Banque Nationale de privilégiée, c'est l'honorable M. Frère-Orban ; c'est lui qui l'a ainsi qualifiée dans les conventions qui ont servi de base à l'organisation de la Banque.

A cela M. Frère a répondu tout à l'heure qu'il y avait eu des modifications dans le projet. Cela est exact.

M. Frère-Orban. - Vous le reconnaissez ?

M. Demeur. - Je ne l'ai jamais méconnu. Lorsque j'ai dit que le mot « privilège » n'était pas dans le projet, j'avais compris que vous parliez du projet de l'article 25.

Le projet primitif de cet article portait ce qui suit :

« Aucune autre banque ne pourra à l'avenir être instituée que par la loi. »

Ainsi, d'après le projet primitif, il fallait une loi pour autoriser l'établissement de toute banque soit sous la forme de société anonyme, soit sous la forme de société en commandite, soit sous la forme de société en nom collectif, soit par des particuliers. Des observations furent présentées par M. de Brouckere qui, au nom des principes de l'économie politique, déclara que cela n'était pas admissible. M. de Brouckere présenta un amendement, qui fut adopté, et M. Frère, au second vote, proposa une nouvelle rédaction qui est devenue l'article 25 de la loi et qui interdit la constitution des banques de circulation aux sociétés par actions autrement que sous la forme de sociétés anonymes et en vertu d'une loi.

Et quelle a été la portée de ce changement ? L'honorable M. Frère l'a caractérisée lui-même au moment du vote de l'article 25 ; je cite ses paroles :

« En fait, a-t-il dit, il n'y a pas d'inconvénient sérieux à redouter de l'émission du papier par de simples particuliers, parce que le crédit manquera à ce papier. »

Cela est évident ; il n'y a jamais eu, dans notre pays, de papier de cette sorte, émis par des particuliers.

Tout le monde sait que les particuliers sont absolument impuissants à donner valeur à des billets de banque, et dès lors, messieurs, quand on dit que la Banque Nationale n'est pas privilégiée, quand on affirme que chacun a le droit d'émettre des billets de banque, on nous reconnaît le droit de faire une chose que nous savons d'avance ne pas être possible,

Le projet primitif contenait une autre disposition : il disait que la Banque avait le privilège d'émettre des billets au porteur.

M. de Brouckere a demandé un changement de cette disposition, qui fut modifiée en ce sens :

« La Banque émet des billets au porteur. »

Qu'a dit M. Frère-Orban ? Voici le texte de ses paroles : « J'ai dit que je n'entendais pas insister pour le maintien ou pour la suppression d'un mot, parce que, avec ou sans le mot, le privilège existe. »

M. Frère-Orban. - Le privilège résultant de l'article 25.

M. Demeur. - Ne nous arrêtons donc pas à des mots.

M. Frère-Orban. - Lisez donc une ligne plus bas. J'ai dit que le privilège trouve sa sanction dans l'article 25 du projet de loi. Il est évident qu'elle a ce privilège qu'aucune banque de circulation ne peut être établie qu'en vertu d'une loi.

M. Demeur. - Si la Banque n'avait pas une position privilégiée, je demande pourquoi nous trouverions dans la loi certaines dispositions que nous ne trouvons dans les statuts d'aucune autre société. Pourquoi l'Etat s'attribue-t-il, par l'article 7, le sixième des bénéfices de la Banque, au delà de 6 p. c ? Pourquoi l'Etat prend-il une part des bénéfices de la Banque ? Evidemment parce qu'il lui donne quelque chose qu'il n'accorde pas aux autres sociétés.

Je considère comme puéril d'insister sur ce point. Il est évident que la loi n'interdit pas l'établissement d'une autre banque, mais il est clair que tant que cette autre banque ne sera pas instituée, la Banque Nationale aura seule le droit d'émettre des billets de banque.

Aujourd'hui, il y a encore la Banque Liégeoise, qui possède le droit d'émettre des billets de banque.

Mais, d'après un acte passé l'année dernière, ce droit prendra fin le 1er février 1875. (Interruption.)

Je dis qu'à partir du 4 février 1875, la Banque Liégeoise cessera d'émettre des billets au porteur ; de sorte qu'à partir de cette date, la Banque Nationale sera seule en possession du droit d'émettre des billets au porteur ; et personne, je pense, dans cette Chambre n'est disposé à conférer ce droit à quelque autre établissement financier.

Il y a donc pour la Banque Nationale une position exceptionnelle, privilégiée, un droit dont aucun autre établissement ne jouit dans les mêmes conditions. A raison de cette position privilégiée, la Banque Nationale est dans notre pays la régulatrice du crédit commercial, la régulatrice du taux de l'escompte.

J'ai ajouté qu'aucune autre banque ne peut lui faire concurrence. L'honorable M. Frère-Orban a jugé à propos de mettre dans ma bouche ces mots : La Banque Nationale a tué tous les banquiers.

M. Frère-Orban. - J'ai cité vos propres paroles.

M. Demeur. - L'honorable M. Frère-Orban m'a attribué une pensée que je n'ai pas exprimée ; et je ne sais vraiment pas quel intérêt il peut avoir à agir de la sorte.

M. Frère-Orban. - Je répète que j'ai cité vos propres paroles.

M. Demeur. - Je demande quel intérêt l'honorable membre peut avoir à m'attribuer une opinion aussi ridicule ? - Je connais un assez bon nombre de banquiers en Belgique ; comment donc aurais-je pu dire que la Banque Nationale les a tous tués ? Ce que j'ai dit, ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas un seul banquier qui puisse faire concurrence à la Banque Nationale.

Pour faire concurrence à quelqu'un, il faut pouvoir, le cas échéant, faire des opérations identiques à meilleur marché que lui. Or, aucun banquier n'est évidemment en situation de faire l'escompte à meilleur marché que la Banque Nationale. Je dirai plus, quand en a créé la Banque Nationale, on a tué les banquiers, et Voici comment : dans les conventions qui ont préparé la constitution de la Banque Nationale, on a stipulé que la Société Générale serait tenue de supprimer ses comptoirs ou bureaux d'escompte.

On a dit de même à la Banque de Belgique : Non seulement vous n'émettrez plus de billets au porteur, mais vous ne ferez plus l'escompte à bureau ouvert. (Interruption.)

Messieurs, si la Banque Nationale a une position particulière, notre amendement s'explique. Il est tout naturel qu'on prenne des garanties contre une institution à laquelle on donne un privilège.,

Le privilège, le monopole peut se justifier, mais c'est moyennant des garanties qu'il ne s'exercera que dans l'intérêt du pays.

(page 1053) Or, messieurs, il y a deux choses qui sont incontestables, bien qu’elles aient été contestées par d'honorables membres ; c'est que si la Banque Nationale n'a pas le pouvoir d'élever l'escompte à son gré, elle est au moins maîtresse, dans une certaine mesure, du taux de l'escompte.

Evidemment l'opinion publique peut être un frein ; mais il est certain que celui qui a seul le droit de vendre une marchandise peut, dans une certaine mesure, en fixer le prix.

Et, messieurs, non seulement, la Banque Nationale a ce pouvoir quant au taux de l'escompte ; mais elle a un intérêt réel à l'élever au delà de ce qu'il pourrait être, car plus l'escompte est élevé, plus le bénéfice de la Banque Nationale est considérable.

La Banque n'est pas dans la position du négociant ordinaire qui, par une surélévation du prix de ses marchandises, éloigne la clientèle. Ainsi qu'elle le constatait elle-même dans son dernier rapport, le recours au crédit obéit à des besoins réguliers et proportionnels à l'importance des transactions du commerce et de l'industrie.

Je demande la permission à la Chambre de citer quelques chiffres ; je donnerai dans les Annales parlementaires un tableau dressé uniquement d'après les rapports de la Banque et indiquant : 1° le taux moyen de l'escompte ; 2° le montant des sommes escomptées ; 3° la durée moyenne des échéances des effets ; 4° le produit brut de l'escompte, - pour chaque année depuis 1860.

Nous voyons par ce tableau qu'en 1860, alors que le taux de l'escompte est, en moyenne, de 3 fr. 45 c. p. c., la Banque escompte des effets de commerce pour une somme de 757 millions de francs, qui lui produisent 4,400,000 francs.

En 1861, le taux moyen de l'escompte s'élève à 4 fr. 3 c. p. c ; le montant des sommes escomptées augmente néanmoins et arrive à 792 millions, qui produisent à la Banque 5,400,000 francs.

En 1862, le taux moyen de l'escompte s'abaisse à 3 fr. 43 c. p. c. ; le montant des sommes escomptées s'élève à 840 millions et le produit pour la Banque se trouve réduit à 4,600,000 francs.

En 1863, le taux moyen de l'escompte remonte à 53fr. 72 c. p. c. ; les sommes escomptées s'élèvent à 862 millions et le produit remonte à 5 millions de francs.

En 1864, le taux de l'escompte atteint une moyenne de 5 fr. 65 c. p. c. Cela n'affecte que dans une proportion restreinte le montant des escomptes, qui sont de 836 millions, mais le produit pour la Banque s'élève à 6,560,000 francs.

En 1865, le taux moyen de l'escompte n'est plus que de 4 fr. 38 p. c. ; les sommes escomptées augmentent jusqu'à 898 millions, mais le produit pour la Banque n'est plus que de 5,500,000 francs.

En 1866, légère augmentation du taux de l'escompte, qui est, en moyenne, de 4.58 p. c. ; les sommes escomptées s'élèvent à 940 millions et le produit pour la Banque à 6,200,000 francs.

En 1867, le taux moyen de l'escompte s'abaisse à 3 fr. 23 c. p. c. ; les sommes escomptées arrive à 983 millions et le produit pour la Banque n'est plus que de 4,300,000 francs.

En 1868, le taux moyen de l'escompte descend à son minimum : il est de 2 fr. 77 c. p. c. ; les escomptes arrivent à 1,164,000,000 de francs, et le produit pour la Banque descend encore à 4,140,000 francs.

En 1869, l'escompte se maintient au même taux ; le montant des valeurs escomptées arrive à 1,299 millions et le bénéfice brut à 5,300,000 fr.

C'est pendant ces deux dernières années, en 1868 et en 1869, que l'encaisse du trésor public s'est élevé au plus haut chiffre. Pendant l'année 1868, la moyenne de l'encaisse du trésor public a été de 87,400,000 francs et pendant l'année 1869, il a été de 83 millions de francs. Ayant ainsi à sa disposition un capital presque quadruple du sien, une banque peut assurément faire l'escompte dans les conditions favorables que je viens d'indiquer.

En 1870, le taux moyen de l'escompte se relève à 3 fr. 65 c. p. c.

Les sommes escomptées montent à 1,336,000,000 de francs, et le produit pour la Banque est de 6,650,000 francs.

Enfin, en 1871, le taux moyen de l'escompte est de 4 fr.29 c. p. c. Les sommes escomptées s'élèvent à 1,522,000,000 de francs, et le produit pour la Banque à 8,270,000 francs.

Dans le chiffre des produits ne sont pas comprises les sommes allouées aux administrateurs des comptoirs. A la somme de 8,270,000 francs pour l'année 1871, il faudrait, pour déterminer le payement effectif fait par le commerce à la Banque et à ses comptoirs,, ajouter 1,500,000 fr., que les administrateurs des comptoirs ont touchés cette année.

Eh bien, s'il est vrai que la Banque peut ainsi, par sa seule volonté, - car son administration fixe seule le taux de l'escompte - faire payer un million, deux millions de plus par les négociants belges, il est évident qu'il y a des garanties à prendre.

Quelles seront ces garanties ? Nous en proposons une : c'est la réserve pour le pouvoir législatif, au bout de dix ans, de dire à la Banque : Nous ne sommes pas contents de vous ; il y a lieu de changer les conditions de votre existence.

Je dois dire que, dans ma pensée, cette garantie n'est pas suffisante, et si j'ai ainsi limité ma proposition, c'est parce que j'ai cru qu'une proposition formulée en ces termes pourrait être accueillie dans cette Chambre, tandis qu'en réduisant le terme plus que je ne l'ai fait, la proposition ne serait pas admise.

Dans d'autres pays, le pouvoir législatif se réserve des droits plus considérables ; j'ai voulu faire preuve de modération en fixant le terme que j'ai proposé.

On a dit que cette réserve au profit du pouvoir législatif n'est pas nécessaire : le gouvernement, dit-on, est suffisamment armé ; il est armé parce que l'admission des billets de banque dans les caisses de l'Etat est précaire ; elle dépend de la volonté du ministre des finances, qui peut la faire cesser quand il veut.

En usant de ce droit, le ministre des finances nuirait considérablement à la Banque, et la seule possibilité de cette mesure constitue une garantie suffisante pour l'intérêt public.

Messieurs, voici ma manière de voir sur cette prétendue garantie.

Je crois que jamais le ministre des finances ne dira à la Banque : Je refuse dans les caisses publiques vos billets. Cette arme que l'on dit si puissante, je soutiens qu'elle blesserait bien plus le gouvernement qui s'en servirait, que la Banque contre qui elle serait dirigée.

Il n'est pas un ministre des finances qui viendra jamais dire aux chefs de stations, par exemple : Vous ne recevrez plus les billets de la Banque Nationale. Une pareille mesure jetterait au plus haut degré la perturbation dans le pays.

On cite une autre garantie, une deuxième arme contre la Banque ; c'est le retrait de l'encaisse du trésor.

Je dois dire, messieurs, quant à l'encaisse du trésor, que dans l'avenir la mission de caissier de l'Etat ne sera pas pour la Banque un très grand avantage.

Cette besogne lui coûte peut-être 280,000 francs par an ; elle paye ensuite 175,000 francs pour des agences en province ; elle est chargée par le projet de loi de placer pour le compte de l'Etat les fonds disponibles de l'encaisse excédant les besoins du service et si, comme l'a dit l'honorable M. Malou, la somme disponible dans les caisses de l'Etat qui ne sera pas placée en valeurs commerciales ne dépasse pas en moyenne 20 millions de francs, la Banque n'aura pas grand avantage à conserver ce service.

Le gouvernement peut retirer l'encaisse de l'Etat des mains de la Banque, cela est vrai, mais je suis porté à croire que M. le ministre des finances serait bien embarrassé si la Banque lui disait : « Vous allez reprendre votre encaisse. » C'est ce qu'il est arrivé à M. le comte Meeus de dire un jour au gouvernement belge, lorsqu'il était gouverneur de la Société Générale, alors caissier de l'Etat.

Il reste comme ressource, comme arme de l'Etat vis-à-vis de la Banque, la constitution d'une société nouvelle, d'une banque nouvelle.

Je remarque d'abord que par là vous arriverez à un résultat diamétralement opposé à celui que vous voulez obtenir. Vous êtes partisan d'une banque unique d'émission, et vous dites : Nous fonderons, à côté de la (page 1054) Banque Nationale, une autre banque, qui aura droit d'émettre des billets de banque.

Vous aurez donc d'abord la Banque Nationale qui continuera a émettre des billets et puis une autre banque, qui ne sera pas Banque Nationale, mais qui sera la banque favorite du gouvernement et qui aura aussi le droit d'émettre des billets. Vous aurez donc deux institutions concurrentes, c'est-à-dire que vous serez arrivés au résultat opposé à celui qu'a poursuivi M. Frère-Orban et que vous désirez maintenir.

Je me demande si les leçons de l'expérience ne doivent servir à rien.

La situation qui se présentera alors, nous l'avons déjà eue et il n'est pas sans intérêt de rappeler dans quelles circonstances. Vous savez, messieurs, que, dès la révolution de 1830, des difficultés considérables s'élevèrent entre la Société Générale et le gouvernement, difficultés de toutes espèces dans le détail desquelles je ne veux pas entrer.

La Société Générale était alors caissière de l'Etat, comme la Banque Nationale l'est aujourd'hui et au milieu de ces difficultés, au mois de février 1835, on institua la Banque de Belgique.

L'institution de la Banque de Belgique avait un peu le caractère de l'institution que vous vous réservez, au besoin, de créer ; il y avait même dans les statuts primitifs de la Banque de Belgique une disposition formelle portant que la Banque serait tenue de recevoir les sommes que le ministre des finances déposerait dans sa caisse en bonifiant un intérêt de 1 p. c. On préparait le transfert du service de caissier de l'Etat à la Banque de Belgique.

Pour vous démontrer jusqu'à quel point les difficultés arrivèrent, je veux vous lire quelques lignes du rapport de la commission du Sénat chargée de l'examen du budget des finances de 1836.

Voici comment elle s'exprimait :

« La commission insiste pour que le gouvernement signifie, avant l'expiration du premier semestre 1856, qu'il renonce au service de son caissier pour la fin de l'année et qu'il s'occupe sérieusement, et sans retard, à assurer le service nouveau. Nous demandons que cette organisation nouvelle soit faite immédiatement et rendue publique pour éviter qu'on ne cherche à jeter la frayeur dans les esprits ; nous le demandons sans nous arrêter à une organisation plutôt qu'à une autre, pourvu qu'il y ait contrôle et garantie d'une part et économie notable de l'autre...»

Chose inouïe : la Société Générale avait acquis cette puissance qu'elle refusait, elle caissière de l'Etat, d'accepter le contrôle de la cour des comptes ! La commission ajoute :

« Si pour l'exercice de 1837, cette mesure n'était pas consommée, l'opinion unanime des membres de la commission serait le rejet du budget des finances, mesure grave, mais indispensable pour faire rentrer le gouvernement dans la voie constitutionnelle. »

Ainsi les difficultés avec le caissier de l'Etat étaient arrivées à ce point que l'existence même des ministères était attachée à leur solution !

Quoi qu'il en soit, la Banque de Belgique est établie et la concurrence, à laquelle nous aboutirions si nous employions le procédé qu'on préconise, existe entre elle et la Société Générale. La Société Générale a, dès 1835, commencé à créer des sociétés industrielles, des sociétés anonymes de charbonnages, de hauts fourneaux, etc. La Banque de Belgique fait de même. Il y a concurrence entre ces deux sociétés pour les opérations de banque. Toutes deux émettent des billets au porteur.

Le 12 décembre 1838, la Société Générale présente à la Banque de Belgique pour 1,200,000 francs de billets au porteur à l'échange. La Banque de Belgique n'avait pas 1,200,000 francs de billets de la Société Générale. Elle ne peut payer que 1,125,000 francs. Le 15, la Société Générale lui fait présenter pour 300,000 francs de billets. La Banque de Belgique ne peut pas payer. M. le comte Meeus renvoie de nouveau l'employé aux caisses de la Banque de Belgique qui demande un délai jusqu'au mardi suivant. C'était le samedi 15 décembre 1838, et le 17 décembre, l'avis de la suspension de payement de la Banque de Belgique était affiché sur la porte de l'établissement.

Sans doute, ce n'est pas cela qu'on préconise, ce n'est pas là ce qu'on désire. Mais cependant on peut entrevoir l'organisation possible de cette lutte entre la Banque Nationale actuelle et la banque qui sera instituée, le cas échéant, pour remédier à des difficultés, à des hostilités entre le gouvernement et la Banque Nationale.

Eh bien, je ne veux pas de cela : la création de cette nouvelle banque dans ces conditions n'aboutirait pas au but que l'on veut atteindre.

Avec notre amendement, les garanties que je viens d'indiquer, bonnes ou mauvaises, resteront aux mains de l'Etat ; mais l'Etat aura une autre arme : il aura le droit de dire à la Banque, - et il ne le dira évidemment que si l'intérêt public l'exige. Vous prendrez fin le 1er janvier 1883. (Interruption.) Il pourra instituer une autre banque et celle-ci remplacerait la Banque Nationale.

M. Frère-Orban. - C'est la même chose !

M. Demeur. - Si, en 1881 ou 1882, le pouvoir législatif trouvait qu'il y a lieu d'imposer de nouvelles conditions à la Banque Nationale, et si la Banque ne voulait pas les accepter, le pouvoir législatif aurait le droit de créer une nouvelle banque, et la Banque Nationale devrait alors cesser ses opérations. Vous n'auriez, comme aujourd'hui, qu'un seul établissement au lieu de deux établissements concurrents avec tous les inconvénients d'une pareille concurrence.

Messieurs, nous ne désirons pas la fin de la Banque Nationale ; mais il nous paraît nécessaire que le pouvoir législatif puisse prendre l'initiative des modifications à cette institution qui seraient reconnues nécessaires ayant l'expiration de trente années ; avec notre amendement, le pouvoir législatif aurait le droit d'exiger ces modifications,

Voyez, messieurs, combien les choses sont étranges si le projet est maintenu tel qu'il nous est présenté.

En ce qui concerne le caissier de l'Etat, la Banque a stipulé dans la convention avec le ministre des finances et nous allons voler qu'on ne pourra, pendant que la Banque sera caissière de l'Etat, modifier les conditions de ce service.

M. Malou, ministre des finances. - Vous êtes dans l'erreur. Vous avez mal lu. On ne peut pas modifier quant aux 175,000 francs, mais j'ai expliqué clairement, dans l'exposé des motifs, qu'on était libre pour tout le reste.

M. Demeur. - Voici ce que je lis :

« La Banque Nationale fera gratuitement le service de caissier de l'Etat.

« Elle supportera tous les frais d'administration, du matériel, de transport et de virement de fonds, et interviendra dans les frais de la trésorerie en province, à concurrence d'une somme annuelle de 175,000 francs. Cette part ne pourra être augmentée, aussi longtemps que la Banque sera chargée des fonctions de caissier. »

Mon argument ne perd rien de sa portée. La Banque dit ici : Vous n'augmenterez pas ma part contributive dans le payement des agents du trésor, tant que je serai caissière.

Pourquoi la Banque stipule-t-elle cela ?

Si dans cinq ans, par exemple, le gouvernement trouvait juste d'exiger une augmentation de cette part contributive, il ne le pourrait pas. La Banque, dans sa convention avec l'Etat, prend ses précautions, elle stipule des garanties contre elle et nous, nous ne pourrions faire de même ?

Ce n'est pas ainsi qu'on a procédé dans d'autres pays.

Je demande pardon à la Chambre de lui donner lecture de quelques documents ; ce ne sera pas long ; les quelques lignes que je vais lire sont extraites du discours que prononçait sir B. Peel lorsque, en 1844, il demandait au parlement le renouvellement de la charte de la Banque d'Angleterre.

Sir Robert Peel, après avoir mis en relief l'importance de la question, disait :

, « Dans l'année 1833, un acte du parlement décida que les privilèges de la Banque d'Angleterre seraient prorogés jusqu'en 1855 et continueraient à subsister au delà de cette époque, si le parlement ne manifestait pas, en avertissant une année à l'avance, l'intention de les soumettre à une nouvelle révision. Il fut stipulé, toutefois, qu'avant l'expiration de cette période de vingt et un ans, le parlement pourrait, après dix années révolues et en avertissant la Banque, examiner la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de modifier ou de révoquer la charte de cette institution ; les dix ans seront révolus-au mois d'août prochain. A cette époque, la Chambre aura le droit, sur un simple avertissement donné par son président, de signifier à la Banque que, dans le semestre suivant, elle soumettra à un nouvel examen les privilèges qui ont été prorogés à son profit par l'acte de 1853. Si la Chambre n'usait pas de cette faculté, la Banque continuerait, de plein droit, à jouir de ces privilèges jusqu'en 1855.

« Dans l'état actuel du pays et de la circulation, après les recherches dont les questions monétaires ont été l'objet, au milieu du vif intérêt que ces questions ont soulevé dans le public, le gouvernement a dû profiter de l'occasion que la loi lui donne pour saisir le parlement de la question de savoir s'il n'y a pas lieu de réviser les privilèges de la Banque et pour lui exposer ses vues à ce sujet. »

Voilà donc, messieurs, la situation qu'avait alors la Banque d'Angleterre. Prorogée en 1833 jusqu'en 1855, le parlement s'était réservé le droit d'introduire des modifications au bout de dix ans. Eh bien, au bout de dix ans, (page 1055) le parlement a jugé nécessaire de faire l'acte célèbre de 1844, qui a modifié complètement les bases de la Banque.

Je demande qui m'assurera que dans dix ans de nouveaux intérêts ne seront pas nés dans le pays, de nouvelles vues ne se seront pas présentées sur la question des banques, qui nécessiteront une révision ?

A la fin de son discours, sir Robert Peel a dit :

« Venons maintenant à la durée que le gouvernement propose d'accorder à la nouvelle charte de la Banque. Il y a dix ans, elle fut renouvelée nominalement pour vingt et un ans, avec la condition que le parlement pourrait la réviser à la fin de la période à laquelle nous sommes arrivés. Je propose de lui accorder une nouvelle durée de vingt et un ans, mais avec cette modification à la clause spéciale de l'acte de 18533 que, lors même que le parlement oublierait de faire usage de son droit de révision à l'expiration des dix ans, la charte ne se trouverait pas, par ce seul fait, renouvelée jusqu'à la fin de la période de vingt et un ans. Nous voulons que le parlement conserve son droit intact jusqu'à la fin de vingt et un ans, en avertissant, toutefois, la Banque une année d'avance. »

Ainsi, en Angleterre on a voulu, en 1844, non seulement le droit de réviser la charte de la Banque au bout de dix ans ; mais après ce délai, le parlement a en permanence le droit de révision, moyennant d'avertir la Banque une année d'avance.

Pour la France, on vous a dit que la Banque, instituée en 1803 pour quinze ans, avait vu, dès 1806, son privilège prorogé jusqu'en 1843. C'est vrai. En 1806, aux quinze premières années, on a ajouté 25 ans, et déjà vous devez vous dire qu'il y a quelque chose d'anomal de voir un gouvernement qui institue une banque pour quinze ans, et qui, trois ans après, ajoute à sa durée primitive une durée de 25 ans. Effectivement, des événements extraordinaires s'étaient accomplis. Ils sont rappelés dans ces quelques lignes d'un écrivain bien connu, M. Horn :

« En 1805, le bruit se répandit que l'encaisse avait été emportée pour les besoins de la nouvelle campagne en Allemagne, qu'Austerlitz devait si brillamment couronner ; la Banque, assaillie de demandes de remboursements, dut se borner à la somme de 500,000 francs par jour. Ce fut l'occasion ou le prétexte d'une nouvelle réorganisation. Le privilège de la Banque fut prorogé de 25 ans au delà des 15 années accordées par la loi du 25 germinal an XI, soit jusqu'en 1843. »

Il faut reconnaître, messieurs, que lorsqu'un gouvernement prend l'encaisse d'une banque pour aller en pays étranger faire la guerre, cela crée des obligations que nous n'avons pas vis-à-vis de la Banque Nationale.

L'exemple que nous vous proposons de suivre, c'est celui du parlement français, en 1840. M. le ministre des finances nous a fait l'honneur de nous dire que l'idée contenue dans notre proposition avait pu être présentée dans une commission, mais qu'elle n'avait pas été transformée en loi. C'est le texte de loi qu'il faut voir, a-t-il dit.

Eh bien, messieurs, l'amendement n'est pas de notre rédaction ; c'est la rédaction qui a été adoptée pour la Banque de France en 1840.

Le terme de la Banque devant expirer prochainement, le gouvernement français proposa une prorogation de 24 ans ; la chambre des députés trouva que, tout en accordant les 24 ans, il fallait réserver au pouvoir législatif le droit de modifier l'institution après un délai de dix années.

Voici comment M. Dufaure justifia cette proposition :

« Nous vous proposons donc de confirmer le privilège exclusif accordé par la loi de l'an XI. Nous ne voyons aucun inconvénient à le proroger jusqu'au 31 décembre 1867. Toutefois, nous apportons à la proposition du gouvernement une modification dont nous devons vous rendre compte. Pendant les vingt-sept ans qui nous séparent de l'époque où finira l'effet de notre loi, l'activité du commerce et de l'industrie, les développements du crédit peuvent faire naître de nouveaux besoins ou rendre nécessaires des précautions nouvelles. Nous croirions imprudent d'engager un aussi long avenir. Nous voulons réserver à l'Etat la faculté soit d'abolir le privilège, soit d'en modifier les conditions en les conservant. Il durera jusqu'en 1867, si aucun acte législatif n'en abrège la durée. Mais comme la Banque ne peut être constamment sous la menace d'une modification des droits qui lui sont accordés, l'époque où pourra être rendu cet acte législatif est fixée. Il devra être voté parles Chambres dans la session de 1854 ou de 1855. »

* Et M. Rossi à la chambre des pairs disait :

« La restriction apportée à l'article premier du projet est un avertissement pour la Banque, une indication pour le gouvernement, une réserve suffisante pour les amis sensés du progrès. »

Non seulement la disposition n'a présenté aucun inconvénient, mais elle a servi de modèle.

Un an après, en 1841,1e gouvernement français proposait aux chambres de proroger la durée de la Banque de Rouen jusqu'au 31 décembre 1863, et M. Félix Réal, dans son rapport à la chambre des députés, s'est exprimé ainsi :

« Conférer à un privilège une durée trop longue, sans s'assurer les moyens de réviser, à certains intervalles, les conditions auxquelles le privilège a été accordé, pour y introduire les améliorations que le progrès de la science, de l'industrie, de la richesse nationale et quelquefois aussi celle que des mécomptes et des crises malheureuses, peuvent rendre indispensables ; ce serait méconnaître les conseils d'une sage prévoyance. Ces conseils ont été écoutés. Une expérience récente indiquait ses devoirs à la commission et les moyens de les accomplir.

« Lorsque la Banque de France a demandé le renouvellement de son privilège, la même question se présentait : on demandait pour cet établissement un nouveau privilège de 24 ans, c'est-à-dire jusqu'en 1867.

« La chambre des députés a introduit un amendement conçu dans les termes ci-après exprimés, et cet amendement forme maintenant le deuxième paragraphe de l'article 1er de la loi du 30 juin 1840 :

« Néanmoins il (ce privilège) pourra prendre fin ou être modifié le 31 décembre 1855, s'il en est ainsi ordonné par une loi votée dans l'une des deux sessions qui précèdent cette époque ! »

C'est cette disposition que nous proposons à la Chambre d'insérer dans l'article premier du projet de loi.

Je bornerai là mes observations.

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits ; la Chambre entend-elle clore la discussion générale ?

- Des membres. - Non !

M. Boucquéau. - Je demande la parole.

- Voix nombreuses. - A demain !

- La séance est levée à 10 heures et un quart.