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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 3 mai 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1012) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Des membres du Cercle commercial et industriel de Roulers présentent des observations contre les circulaires ministérielles relatives à la participation des fonctionnaires aux élections. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vanderstraeten demande que le gouvernement applique la loi sur les fraudes électorales aux mesures prises l'une par la commune de Schaerbeek, pour l'organisation de fêtes pendant la période électorale, l'autre par la ville de Bruxelles, pour la réception des municipalités de la Hollande. »

- Même renvoi.


« Le sieur Martin adresse à la Chambre deux opuscules intitulés, le premier : L'Homme dans ses rapports avec les animaux ; le deuxième : Le Mécanisme du langage, et demande qu'ils soient examinés au point de vue de leur adoption dans les écoles publiques. »

- Même renvoi.


« Le sieur Sadin prie la Chambre de voter pendant la session actuelle le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Spa demandent que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Par trois pétitions, des marchands de bière et cabaretiers à Bruxelles prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à l'accise sur la fabrication de la bière. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

Ordre des travaux de la Chambre

M. Balisaux (pour une motion d’ordre). - J'apprécie, messieurs, les motifs qui ont déterminé la Chambre à tenir des séances du soir. Mais nous avons à notre ordre du jour de nombreux projets de lois qui, au point de vue des discussions qu'elles peuvent soulever dans cette Chambre, n'ont pas une grande importance.

Nous avons les projets de lois relatifs à l'érection du hameau de Saint-Amand en commune distincte ; le rachat de la concession des chemins de fer de Dendre-et-Waes ; la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain vers Erbisœul et plusieurs crédits spéciaux alloués à divers ministères. Je propose à la Chambre de discuter ces projets de lois dans les séances du soir. (Interruption.) Je sais fort bien que vous allez vous y opposer, mais vous entendrez mes raisons.

Le premier devoir des députés, c'est d'abord d'être en nombre. (Interruption.) Ne protestez donc pas en disant que l'on ne sera pas en nombre. De deux choses l'une : ou les séances du soir sont sérieuses ou elles ne le sont pas. Si elles sont sérieuses, elles doivent avoir lieu avec un nombre de membres représentant, au moins, la moitié de la Chambre.

Elles sont sérieuses au point de vue des discours qui sont prononcés, mais elles ne le sont pas au point de vue des délibérations à intervenir, attendu que 30 députés seulement sont présents, et nous sommes 124.

Le projet de loi sur la prorogation de la durée de la Banque est un projet des plus importants. Les orateurs qui se font entendre dans sa discussion sont très peu nombreux

Je dois répondre à M. Frère, à M. Pirmez et sans doute, à M. le ministre des finances, qui va peut-être tenir toute la séance.

M. Malou, ministre des finances. - J'en ai pour une heure et demie.

M. Balisaux. - Il est matériellement impossible que sans avoir lu le discours de M. Pirmez, dont la moitié seulement vient de paraître aux Annales parlementaires, sans avoir lu le discours de M. Frère, qui ne paraîtra probablement que demain, il est matériellement impossible, dis-je, que je réponde ce soir à ces orateurs.

Je n'ai aucune pièce officielle pour dire : Voilà ce que M. Frère a dit, voilà ce que M. Pirmez a dit. (Interruption.)

Et ces documents sont absolument nécessaires pour que la liberté de la réplique soit entière. Nous aurons une séance ce soir. Nous n'avons plus d'orateurs inscrits.

M. le président. - Pardon.

M. Balisaux. - L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu est inscrit ; il m'a dit qu'il en avait pour une heure. Eh bien, si M. le ministre des finances, qui dit n'en avoir que pour une heure et demie, termine en ce temps, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu fera son discours dans cette séance.

Pour la séance du soir, plus personne. Si nous ne sommes pas en nombre, si nous ne sommes que trente, aux termes du règlement, nous viendrons nous opposer à la clôture de la discussion générale et vous vous séparerez sans délibérer, attendu que l'appel nominal constatera qu'on n'est pas en nombre pour décider la clôture.

Qu'est-ce qui vous empêche de discuter dans la séance du soir les petits projets de loi qui sont à l'ordre du jour, aussi bien que le projet de loi sur la prorogation de la Banque Nationale ?

Nous sommes en ce moment en nombre. J'espère que mes honorables collègues comprendront que l'intérêt du pays exige leur présence à la séance du soir comme, à la séance du jour.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, il serait sage de ne pas perdre la séance ou une grande partie de la séance d'aujourd'hui à discuter sur le point de savoir si l'on discutera.

D'abord, on peut parfaitement discuter, mais non délibérer lorsque la Chambre n'est pas en nombre. Les séances du soir nous ont fait déjà gagner quelque temps et puisque l'ordre du jour est chargé, il est désirable que nous continuions dans cette voie. La proposition de l'honorable M. Balisaux serait inopérante s'il s'agissait du vote de petits projets qui ne donneraient lieu qu'à un appel nominal ; mais voici un moyen terme qui satisfera, j'espère, l'honorable membre.

Je propose à la Chambre de consacrer demain une heure à voter les petits projets de lois à l'ordre du jour, et que, quels que soient les résultats, cette heure expirée, nous reprenions la discussion du projet de loi sur la Banque Nationale. De cette façon, comme personne ne peut répondre qu'il n'y aura pas de discussion sur les petits projets, s'il s'en engage, on n'ajournera pas indéfiniment la suite de la discussion du projet de loi sur la Banque Nationale.

J'abrège, parce que nous avons intérêt à ne pas perdre de temps.

M. Balisaux. - Je demande à M. le ministre à quoi l'on consacrera la séance du soir, s'il n'y a plus d'orateurs inscrits.

Demain, je répondrai à l'honorable M. Pirmez et à l'honorable M. Frère dont j'aurai pu lire le discours, mais ce soir, il n'y a pas d'orateur prêt à prendre la parole. Prononcera-t-on la clôture, si, par hasard, on était en nombre ?

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Balisaux. - Alors je suis d'accord avec vous.

(page 1013) M. le président. - On est donc d'accord, et demain, la première heure de la séance sera consacrée à l'examen et au vote de quelques petits projets de lois.

Projet de loi prorogeant la durée de la Banque nationale

Discussion générale

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, j'aborde ce débat sous l'empire d'un sentiment que la Chambre comprendra. Le sujet est épuisé. Tout a été dit. Je, suis, en quelque sorte, l'ouvrier de la dernière heure ; il me reste à peine à glaner où tant d'autres ont si richement moissonné.

Et pourtant, messieurs, il me paraît nécessaire, comme auteur du quasi-contrat qui est soumis à vos délibérations, que j'en explique les motifs devant la Chambre et devant le pays.

Sans doute, à la Chambre, les convictions sont formées et j'aurai peu de chose à ajouter aux discours que vous avez entendus.

Mais peut-être est-il bon, puisqu'il s'agit d'un grand intérêt public, d'expliquer encore au pays les raisons du vote de la majorité que j'espère rencontrer dans cette Chambre sur le projet que j'ai eu l'honneur de lui soumettre.

En premier lieu, nous devons écarter de ce débat ce qu'on appelle au palais les questions préjudicielles.

Un honorable membre a révoqué en doute notre compétence. Pour être compétent en ces matières, il semble que l'on doive avoir souffert (c'est son expression) des variations brusques de l'escompte.

Je pense que dans ces matières, comme dans toutes les autres, à part le langage spécial de chaque science, il y a au fond de chacune d'elles des. questions de bon sens, l'application d'idées justes à des faits bien observés, et je pense qu'on ne peut récuser à ce point de vue la compétence du minière des finances qui vous parle, ni d'aucun membre de cette Chambre.

S'il fallait, pour être compétent en ces matières, être ce qu'on appelle quelquefois un martyr de l'échéance, je plaindrais beaucoup la banque qui devrait être organisée ou prorogée par une assemblée qui ne contiendrait que ces éléments-là.

Un second reproche m'a été fait. J'ai traité cette négociation dans l'ombre et le mystère ; l'intérêt privé a été seul entendu.

S'il est une chose dont je m'applaudisse dans un pays où les amitiés sont si vives, les confidences et les épanchements quelquefois si exagérés, c'est qu'un secret confié à quinze personnes ait pu être gardé pendant vingt-quatre jours.

Il le fallait, comme question de loyauté et de moralité à la fois. Il est bien évident que le gouvernement ne pouvait pas annoncer dans le Moniteur qu'il se proposait de négocier avec la Banque Nationale pour le renouvellement de son contrat, ni appeler les lumières de la presse et des économistes, et le contrôle préalable de l'opinion publique.

S'il l'avait fait, il aurait produit des désastres financiers qu'il était de son devoir de prévenir et qu'il a réussi à éviter.

L'intérêt particulier, dit-on, a été seul entendu.

Mais, messieurs, si j'avais eu le malheur de ne pas représenter l'intérêt public d'une manière suffisante dans cette négociation, les discussions mêmes auxquelles nous nous livrons prouveraient que cet intérêt ne peut pas demeurer en souffrance par mon fait ou par ma faute.

Que faites-vous, en effet, dans ce moment ? Vous examinez si, dans cette circonstance, j'ai bien apprécié les exigences de l'intérêt public.

Lorsque la Banque Nationale m'a témoigné le désir de voir ouvrir la négociation, il m'a paru que les circonstances étaient opportunes pour le faire, et que j'étais dans une position convenable pour entreprendre l'accomplissement de ce grand devoir.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire, je suis personnellement, et par moi-même, et par mes parents jusqu'au degré successible, complètement désintéressé en ce qui concerne la Banque Nationale.

J'ai eu le bonheur, dans ma carrière, d'acquérir quelque expérience par la pratique même des affaires, et j'ai une tendance que je n'hésite pas à avoir en public, c'est de travailler de tous mes moyens à tout ce qui peut développer les éléments de progrès et de prospérité que nous avons dans le pays.

La question se présentant, je n'ai voulu voir ni la possibilité d'erreurs ou de griefs politiques qu’on pourrait reprocher à la Banque Nationale, ni des erreurs qui auraient pu être commises, en certaines circonstances, au point de vue de la direction de ses intérêts financiers, ni aucune des préventions, ni aucune des jalousies qu’une grande existence financière fait toujours naître autour d’elle. J’ai voulu voir uniquement ce qu’exigeaient l’intérêt réel du pays et le développement de sa prospérité.

Les circonstances étaient opportunes à un autre point de vue. La Banque Nationale a obtenu, l'année dernière, un succès inespéré, inattendu et qui dépasse tout ce qu'elle avait obtenu jusqu'alors.

La situation générale du pays, la situation du travail national est telle, que rarement on a vu des circonstances plus propices que celles au milieu desquelles nous discutons.

D'autre part, depuis quelques années, il s'est produit des faits nouveaux, qui ont déplacé, en grande partie à notre profit, le marché financier de l'Europe occidentale, et qui tendent aussi, si nous savons être sages et prévoyants, à déplacer, à notre profit, une grande partie du marché commercial.

Dans cette situation, messieurs, nous pouvons le mieux apprécier quelles sont les conditions nouvelles qu'il faut établir pour reconstituer la grande institution d'utilité publique fondée en vertu de la loi de 1850. Dans de pareilles conditions, moins que jamais les idées étroites et mesquines, les idées qui portent à jalouser des bénéfices peuvent se faire jour.

J'ai entendu, avec surprise, parler à cette occasion-ci de l'hostilité du capital et du travail. C'est une chose remarquable que l'idée fondamentale du socialisme, qui croit être le progrès, soit l'idée la plus rétrograde et la plus malsaine qui puisse se produire. Je dis, au contraire, que la véritable idée de progrès c'est l'association du capital et du travail, c'est-à-dire le capital vivifiant le travail, améliorant sa condition, le rendant plus large, mieux rémunéré et plus fécond.

En supposant, par exemple, que notre capital mobilier comme, nation représente 6 ou 8 milliards, n'obtiendrions-nous pas un résultat magnifique pour le pays, si tout ce capital, pris en moyenne, pouvait donner des résultats analogues à celui que produit le capital de la Banque Nationale ? Rappelons-le : il ne faut pas envier les succès ; mais il faut savoir déplorer les désastres. Il faudrait s'applaudir si tout notre capital, en l'évaluant, par exemple, à 8 milliards, pouvait produire en moyenne 10 p. c. Vous auriez alors un travail abondant, bien rémunéré et vous auriez fait des pas de géant dans la voie du progrès réel.

Aussi, chaque fois qu'il se présente des occasions d'augmenter les moyens de crédit, c'est-à-dire le travail, lorsque je vois venir en Belgique des capitaux étrangers pour fonder, à divers points de vue, des institutions financières nouvelles, je m'en applaudis comme d'un bienfait. Je suis tenté de dire avec le poète :

« Chacun de vous aura place au soleil. »

La Banque Nationale est appelée à jouer dans nos affaires un rôle immense, un rôle prépondérant, mais non exclusif.

J'aurai à le définir plus tard, mais, en ce moment, je dois faire remarquer qu'à raison même des intérêts qui s'y rattachent, des capitaux qu'il vivifie, du mouvement qu'il fait naître, du secours qu'il apporte au travail, ce qu'on appelle maladroitement un intérêt privé s'élève à la hauteur d'un grand, d'un immense intérêt public.

On nous dit encore : Mais le silence de la presse, j'en ai peur.

D'abord, messieurs, la presse a eu tout le temps de parler.

Voilà deux mois que le projet de loi est présenté. La presse n'a pas été complètement muette. Mais, je dois le dire, sans aucune espèce de modestie, elle a été généralement approbative du projet.

Chacun de vous sait que dans un banquet célèbre de la Société des économistes belges, on a discuté le projet de loi. On lui a consacré une séance, et ceux qui ont fait de la question des banques l'étude la plus spéciale, au lieu de verser sur nous des torrents de lumière, ont conclu modestement à l'ajournement du projet. (Interruption.)

On a eu le temps de nous éclairer, de nous dire quelles étaient les améliorations réelles qu'il convenait de proposer à la Chambre et de faire adopter dans l'intérêt du pays.

Je n'ai pas peur du silence de la presse, qui me fait même plaisir.

Je suis assez tenté de dire, en parodiant un mot célèbre : Le silence de la presse c'est l'éloge des ministres et des projets de lois qu'ils présentent.

Nous avons d'ailleurs, ce me semble, depuis que ce débat est ouvert, une assez ample compensation ; si la presse a trop gardé le silence, il est évident que la tribune ne l'a pas imitée, et qu'elle a très largement suppléé à ce silence.

Je ne m'en plains pas ; j'ajouterai même que je n'en ai pas plus peur que du silence de la presse.

Ces questions préjudicielles vidées, nous avons à voir quelle est l'origine du projet et quelles en sont les raisons d'opportunité pratique. La Banque Nationale a été fondée en 1850, pour un terme de vingt-cinq armées ; ce terme expire à la fin de 1875 ; a-t-on jamais, lorsqu'il s'agit (page 1014) d’intérêts de ce genre, attendu le dernier jour ? Serions-nous libres, serions-nous forts, comme nous le sommes aujourd'hui, si nous avions attendu le terme fatal ?

Je comprendrais que l'objection vînt à se produire si, au lieu d'appliquer immédiatement le système nouveau, on l'ajournait jusqu'à l'expiration du contrat primitif ; mais il me semble que si, par une loi nouvelle, nous pouvons réaliser des améliorations dont l'application est pour ainsi dire immédiate et instantanée, il n'y a pas de raison de différer ; il y a au contraire des motifs d'intérêt public d'introduire immédiatement un système nouveau qui, de l'aveu de tous, doit être meilleur que celui sous lequel nous vivons.

Je dis dans l'intérêt de tous : et, en effet, messieurs, qu'avons-nous entendu dans tous le cours de cette discussion ? Quelqu'un a-t-il songé à détruire la Banque Nationale, a-t-on proposé formellement de substituer un système nouveau, différent quant à ses principes essentiels du système établi par la loi de 1850 ? Non ; l'orateur le plus avancé sous ce rapport, l'honorable M. Couvreur, exposant, dans la séance d hier, les raisons d'une organisation différente, nous disait : Je fais simplement des réserves pour l'avenir ; je ne veux pas laisser prescrire, par mon silence, contre le régime que je considère comme l'application des véritables principes de l'économie politique.

On est donc d'accord sur le principe essentiel, sur le maintien du système de la loi de 1850, et c'est un juste et légitime hommage rendu à la loi de 1850 et à ceux qui ont eu l'honneur de la présenter, de la défendre ou de la voter ; malheureusement je ne suis pas de ce nombre ; je ne faisais pas alors partie de la législature.

Ainsi, en ce moment, il n'y a de dissentiment que sur la nature et sur l'étendue des changements à faire à ce système. Nous différons du plus au moins sur les moyens d'amélioration que tous nous avons en vue ; il n'y avait, dès lors, pas de raison d'ajourner la discussion du projet de loi ; il n'y avait pas de raison pour le gouvernement de différer les négociations relatives à l'application immédiate des statuts nouveaux et des améliorations qu'on doit en attendre.

Messieurs, j'en viens maintenant à un autre point. Quelles préoccupations devait avoir le gouvernement lorsque des propositions lui étaient faites par la Banque Nationale ?

J'écarte, comme une chose impossible, absurde, immorale, le projet de détruire, de stériliser des intérêts que la loi avait créés.

Je l'écarté au nom des idées que j'indiquais tout à l'heure. Je pourrais ajouter : je l'écarte au nom de l'honnêteté publique.

Il y avait donc uniquement à voir quelles étaient, d'après l'expérience acquise, les conditions nouvelles qu'il fallait établir au triple point de vue des intérêts publics, considérés dans leur acception générale, des intérêts du trésor public, et, en troisième lieu, au point de vue des actionnaires de la Banque Nationale.

Le problème était, non pas de prendre le plus possible, non pas de détruire des droits moralement acquis, non pas de stériliser des capitaux, mais de vivifier autant que possible au profit des trois intérêts, et d'agrandir l'institution créée par la loi de 1850. Il ne s'agissait ni de changer le style, ni de détruire le monument. Il s'agissait de le consolider, de l'étendre. Il s'agissait, d'après les résultats qui ont dépassé les espérances de tout le monde, de faire une part équitable aux divers intérêts qui s'y trouvent engagés. Il fallait concilier ces intérêts ; il ne fallait pas que l'un prédominât sur l'autre ou l'écrasât ; mais en les consolidant et en les vivifiant, on devait assurer au pays, pour la période nouvelle dans laquelle on va entrer, des bienfaits plus grands par un fonctionnement plus perfectionné de cette institution. Ai-je réussi ? Votre vote me le dira.

Messieurs, permettez-moi d'indiquer dès à présent une idée sur laquelle je devrai revenir plus tard.

Vous êtes saisis de propositions qui tendent à rendre pour ainsi dire financièrement impossible l'existence de la Banque Nationale par l'exagération des prélèvements à faire au profit de l'Etat. Messieurs, il y avait quelque chose à faire de plus simple, de plus franc, de plus net : c'était de laisser tomber ou de faire tomber la Banque Nationale, de créer une banque d'Etat, et au lieu de prendre pièce à pièce, par des amendements, ce que la Banque peut produire, on n'avait qu'à prendre, carrément, ouvertement le tout.

Messieurs, nous avons à décider en ce moment la partie législative de l'œuvre.

C’est la première, ce n'est pas la seule et ce n'est peut-être pas la plus importante de celles que nous avons à accomplir. Lorsque la loi sera votée, il y aura encore à modifier les statuts et la convention relative au service du caissier du l'Etat, et ces deux choses, qui sont dans les attributions du gouvernement, ont évidemment une importance aussi grande que celle des principes sur lesquels vous allez vous prononcer, j'allais dire : que vous allez voter. C'était un peu présomptueux, mais je me suis arrêté à temps. (Interruption.)

Nous avons à nous fixer sur le but et la nature de l'institution.

Je tâcherai den e point faire de dissertations, de théories économiques ou de la métaphysique financière. Mais lorsque nous avons entendu hier, par exemple, un économiste nous dire : « Il n'y a pas de véritable monnaie de banque, » il faut pourtant bien définir cette monnaie, et dire ce qu'est le billet de banque. J'avoue que, sans le discours de l'honorable M. Couvreur, je n'aurais pas cru qu'il pût être utile de traiter ces points-là. Aussi les traiterai-je très brièvement.

Nous avons donc la monnaie, or et argent, qui était la monnaie primitive, universelle, qui était à la fois et la commune mesure des valeurs et une valeur réelle.

Une conquête du temps et de l'éducation financière de l'humanité a été la monnaie fiduciaire. Qu'est-ce que la monnaie fiduciaire, la monnaie de banque ? Ce n'est pas, comme on l'a dit, une pure fiction : c'est bien une réalité, c'est la représentation d'une réalité tellement complète que c'est une véritable monnaie.

Ainsi, pourquoi le billet de banque est-il accepté par tout le monde, quoique ce ne soit qu'un morceau de papier ? Il est accepté par tout le monde, parce qu'on sait qu'il est convertible ; qu'il est représenté pour un tiers de sa valeur, par exemple, pour prendre la proportion ordinaire, par de la monnaie métallique, et pour les deux autres tiers restants par des valeurs qui, par elles-mêmes, ne sont pas représentées par de la monnaie métallique, mais qui sont immédiatement réalisables et convertibles en monnaie métallique.

Voilà la définition élémentaire du billet de banque, et voilà pourquoi la monnaie de banque, est une réalité sous les apparences d'une apparence.

On confond quelquefois le billet de banque avec le papier-monnaie, ou le billet convertible avec le billet de banque à cours forcé.

La distinction est très facile à saisir.

Le billet de banque non convertible est le papier-monnaie ne reposant que sur la solvabilité personnelle. C'est là une différence essentielle.

Ainsi quand un billet convertible en vient à cette extrémité douloureuse, de n'être plus convertible, il perd ses qualités essentielles, il est autre chose que ce qu'il est dans les conditions normales.

Cette valeur nouvelle que l'on crée, cette valeur fiduciaire qui est représentée et qui est convertible, elle augmente gratuitement, économiquement le capital circulant, elle augmente par cela même tous les moyens d'échange, et en accroissant le capital circulant, elle a pour résultat d'amener nécessairement le desideratum, qui est l'abondance des mouvements des capitaux, et relativement aussi l'abaissement du taux de l'intérêt, du loyer des capitaux.

Le billet de banque peut avoir, dans certaines circonstances, d'autres effets : il peut contribuer à procurer la richesse et à créer l'économie. Le billet de banque n'a généralement cours que dans le rayon de la confiance, si je puis m'exprimer ainsi, qu'inspirent les établissements qui les émettent ; ainsi c'est une monnaie intérieure en général et il y a rarement des émigrations durables de cette partie-là de nos éléments de circulation. C'est encore une chose qui a son prix, lorsqu'elle se produit dans ces orages monétaires qu'occasionnent les crises dont j'aurai l'honneur de vous entretenir tout à l'heure.

Pourquoi et comment le billet de banque a-t-il et conserve-t-il ce caractère de convertibilité et la confiance dont il doit être entouré ? Il les conserve parce qu'il est la représentation partielle d'un capital métallique et, pour une autre partie, de valeurs commerciales ayant une cause réelle, certaine, devant à bref délai se convertir en monnaie réelle.

A l'origine, les transactions se faisaient par le troc ou par le payement au comptant ; on devait attendre le payement ou aller le chercher.

Dans l'état actuel des choses, on est arrivé à pouvoir escompter, c'est-à-dire recevoir et mobiliser dans l'industrie et dans le commerce le capital qui représente des transactions et des engagements, sans devoir attendre les échéances, et dès lors le travail, l'industrie et le commerce profilent de la différence de bénéfices que donne l'industrie et du taux qu'il faut payer pour distribuer les sommes que représentent ces engagements ou ces transactions. Et c'est là un progrès qui est énorme.

Il en résulte encore un autre avantage : c'est la facilité du mouvement des capitaux.

Déjà, dans les séances antérieures, on a parlé d'autres progrès qui devaient être réalisés, et je me permettrai à mon tour, - car je crois que nous avons encore énormément à faire - de signaler quelques mesures, soit de législation, soit d'application, qui peuvent singulièrement aider au (page 1015) développement du commerce, à la facilité et à l'économie des transactions intérieures du commerce et de l'industrie.

Ainsi dans d'autres pays, nous voyons se pratiquer les virements de capitaux- notez-le bien, je parle ici de virements dans le bon sens du mot, et non point dans l'application qui a été donnée quelquefois à ce mot - je parle des virements qui se font par un simple échange de frais, pour qu'un capital se transfère d'un lieu a un autre. Il y a bien d'autres modes que celui-là.

Il y a en Angleterre, par exemple, le post-bill, qui est le billet de banque à ordre et d'une somme fixe ; il y a le chèque, les accréditifs, les clearing houses.

Eh bien, dans d'autres pays, je regrette de devoir le dire, on est, sous ce rapport, infiniment plus avancé que nous ne le sommes en Belgique.

J'ai trouvé, l'autre jour, en parcourant un des meilleurs ouvrages qu'on ait écrits sur les banques d'émission, le traité de M. Poullet, j'ai trouvé le chiffre des transactions soldées en 1857, du Clearing-House de Londres. Il est tout simplement de 48 milliards de francs, c'est-à-dire une moyenne de 4 milliards par mois, en transactions qui se soldent par un simple échange de chèques, de mandats, d'accréditifs, sans déplacement d'espèces ni de billets.

Nous n'avons rien de semblable en Belgique, et pourtant il me semble qu'il serait facile d'organiser ce système-là.

Je consultais ce malin le dernier compte rendu de la Banque de France avant la guerre de 1870 ; les perturbations qui sont survenues depuis ôteraient toute valeur aux chiffres postérieurs. Eh bien, en 1869, cette Banque avait comme virements 21,692,000,000, comme billets, 13,417,000,000, et comme payements en espèces, 2,104,000,000 seulement.

Ainsi, messieurs, les virements de la Banque de France dépassaient les mouvements en billets et en espèce réunis, ils formaient les 21/37 du total.

En Belgique, nous sommes malheureusement très loin de cette situation ; sans doute, il faut tâcher de développer tous les services de la Banque, et c'est pour que cela se fasse que nous ne devons pas lui disputer quelques mois ou quelques années d'existence ; mais nous devons aussi songer aux améliorations à introduire dans nos lois et dans l'organisation de la Banque, pour que le progrès, quant au mouvement économique des capitaux, soit aussi prompt et aussi complet que possible.

Nos lois sont en grande partie un obstacle à ce progrès ; ainsi les transactions et les mouvements de capitaux sont arrivés aujourd'hui à un point tel, que les droits fiscaux établis sur certaines transactions sont ce qu'il y a de plus anomal, de plus inadmissible au monde, c'estr--dire que les droits fiscaux sont des droits prohibitifs des transactions.

Il faut évidemment remédier à cela, et il y a là, je pense, une source de progrès très réels et d'avantages incalculables pour le développement de l'industrie et du commerce.

Je m'en suis déjà occupé. On m'avait demandé notamment, dans le cours des négociations, d'affranchir du timbre les mandats de virement.

Il m'a paru, messieurs, qu'il était impossible de rattacher cet objet au projet de loi que nous discutons, parce que ce n'est pas une faveur spéciale qui puisse être faite à la Banque Nationale, si, comme je l'espère, dans le cours de la prochaine session, je suis en mesure de vous présenter des projets de lois qui règlent les impôts qu'il est juste de prélever sur cette nature de transactions.

Ces dispositions, d'après l'esprit de notre législation, doivent être communes à toutes les institutions financières du pays.

C'est pour ce motif que je n'ai pas cru pouvoir rattacher cette question au projet que vous discutez.

J'en dis autant, messieurs, du cours légal. Il en a été question dans les négociations. Il m'a paru qu'il valait mieux que cette question, assez grave en elle-même, eût les honneurs d'un projet de loi spécial.

Il est évident, d'ailleurs, que si elle avait trouvé sa place dans le projet de loi relatif à la Banque Nationale, elle eût affaibli quelque peu les garanties que présente le pouvoir arbitraire dont on a parlé beaucoup, et qui résulte de l'article 25 de la loi de 1850.

Ainsi, je demande à l'honorable M. Frère, qui a soulevé la question, de ne pas insister en ce moment sur le cours légal, de ne pas en faire l'objet d'une proposition formelle.

Je lui promets que la question fera l'objet d'un examen approfondi, et qu'à la prochaine session je déposerai un projet de loi qui embrassera à la fois le dégrèvement nécessaire pour rendre faciles les différents mouvements économiques qui sont usités dans notre pays, et la question du cours légal des billets de la Banque Nationale et de toute autre banque, si l'on était amené à en instituer d'autres.

Il est une fonction utile des institutions de crédit, que l’on appelle à la Banque de France le service des dépôts libres, qu'il serait désirable de voir introduire en Belgique.

Voici quelle était la situation des faits à la fin de l'année 1869. La Banque de France, moyennant un droit de garde qui rémunère les frais qu'elle doit faire et qui lui laisse même un modeste bénéfice, reçoit, de toutes les personnes qui veulent les lui confier, toutes les valeurs mobilières ; elle les garde, en détache les coupons, eh fait, en quelque sorte, le service. Ce service, lorsque j'ai été l'étudier à la Banque de France même, comprenait à peu près pour 1 milliard de valeurs. Il y a de cela quelques années. J'aurais voulu l'introduire en Belgique et, à mon grand regret, je n'y ai pas réussi. Je crois, messieurs, qu'un des services nouveaux à rendre par la Banque Nationale dans la période nouvelle où elle va entrer, sera d'organiser, d'une manière complète, le service de la garde des titres au porteur. Assurément, le banquier, le riche capitaliste, le propriétaire peut garder lui-même ses titres ; mais il ne faut pas se dissimuler qu'il s'est produit dans les habitudes de notre pays une transformation très grande en ce qui concerne la possession des titres au porteur.

Par suite de la diminution des coupons, par suite notamment de la création d'obligations à petites coupures, les obligations au porteur ont pénétré très avant dans les classes inférieures, qui autrefois ne les connaissaient pas, et qui n'ont pas les moyens de préserver ces titres des chances de destruction, de perte et de vol, comme ceux qui ont un portefeuille considérable.

L'organisation du service des dépôts libres serait donc tout à la fois un bienfait pour les classes inférieures et une cause puissante de confiance et de crédit pour tout notre capital mobilisé, qui est représenté aujourd'hui par des titres au porteur.

Voici, messieurs, l'importance qu'avait acquise en France, à la fin de 1869, le service des dépôts libres.

Il y avait à Paris et dans trois succursales, qui seules avaient organisé ce service à cette époque, Bordeaux, Lyon et Marseille, il y avait, en tout, 2,976,000 titres d'une valeur totale d'un milliard et demi appartenant à 29,517 déposants. 1,525,000,000 de titres étaient confiés à la gestion de la Banque de France et soustraits ainsi à toutes les mauvaises chances qu'offre, surtout aux classes inférieures, la possession des titres au porteur.

Pour moi, je considère, quoi qu'il en doive coûter beaucoup à la Banque Nationale, comme un de ses premiers devoirs, dans la période où nous allons entrer, l'organisation économique et facile de ce service d'intérêt public.

L'honorable M. Frère vous a parlé aussi, comme d'une autre attribution éventuelle de la Banque Nationale, de l'organisation du crédit agricole. Assurément, dans l'état actuel des choses, le commerce et l'industrie ont à l'égard de l'agriculture, par le billet de banque, une sorte de privilège et, en principe, il serait éminemment désirable que l'assimilation pût être établie entre l'agriculture et l'industrie quant à la jouissance du billet de Banque.

Mais, messieurs, et l'honorable membre l’a reconnu lui-même, le système qu'il indique n'a pas encore reçu la sanction de l'expérience. Partout ailleurs où l'on a voulu accorder le bienfait du crédit à la propriété, à l'agriculture, on a eu recours uniquement aux formes du crédit foncier.

Je ne dis pas qu'il soit absolument impossible d'arriver à réaliser un jour l'idée que préconisait ou qu'indiquait hier l'honorable M. Frère-Orban. Mais il faut bien prendre garde à une chose : il faut bien prendre garde qu'en paraissant accorder à l'agriculture un bienfait, on ne lui ait pas préparé une déception, en d'autres termes, il faut qu'elle sache bien d'avance, qu'elle soit complètement convaincue des conditions nouvelles, des risques nouveaux et des éventualités qu'elle encourt, en faisant usage de ce crédit, tel qu'on l'organiserait.

Les habitudes, quant au commerce et à l'industrie, sont faites. On le sait, le défaut de payement à l'échéance, c'est la faillite. Mais engager l'agriculture dans la même voie, avant qu'elle ait une connaissance complète, une conviction entière, qu'elle ait apprécié d'avance les conséquences des engagements qu'elle prendra, je dis que c'est une chose qui doit être très mûrement examinée.

Je ne me prononce pas contre cette idée : je dis qu'elle doit être examinée, et la discussion même, aura pour effet de la soumettre à tous les hommes qui désirent le progrès réel.

(page 1016) Il est une attribution très secondaire qui aurait dû être supprimée, selon les honorables MM. Frère-Orban et Couvreur (et ils ne sont d'accord que sur ce point-la) ; c'est la faculté de prêter sur fonds publics.

Les honorables membres ont émis cette proposition, mais ils ont oublié (le croyant sans doute inutile) de la motiver.

Eh bien, je ne vois pas les motifs. Les prêts sur fonds publics sont limités.

L'Etat ne peut-il pas demander que, dans une mesure très restreinte, ses créanciers puissent obtenir des prêts à très court terme, et soient ainsi, dans un cas de nécessité qui peut être très court, dispensés de réaliser leurs valeurs à la Bourse ?

Ces prêts, d'ailleurs, n'ont jamais causé d'embarras, à moins qu'on ne commît la faute, sous prétexte de prêts temporaires, de faire des prêts qui se renouvelleraient à chaque échéance.

Mais je demande que la Banque prenne l'habitude de retirer les fonds à l'échéance ou de vendre les titres qu'elle aura acceptés comme gage des prêts consentis par elle.

Je partais d'ailleurs de l'idée qu'il fallait tâcher d'étendre au lieu de restreindre, et qu'à moins de raisons évidentes, il fallait laisser ce qui avait été établi par la loi de 1850.

D'après les observations que je viens de présenter, je comprends l'institution dont il s'agit de renouveler l'existence comme une institution d'utilité publique, qui doit créer et garantir la monnaie fiduciaire ; c'est là son objet essentiel.

Je comprends, en second lieu, que la Banque, qui a ce qu'on a appelé un monopole de fait, doit remplir largement toutes les obligations que cette position entraîne, développer tous ses services, se rendre de jour en jour plus utile.

Je ne discute pas sur la question du monopole.

Lorsqu'on échange des idées théoriques, on peut discuter indifféremment ; mais les monopoles qui ont en vue l'intérêt public et qui le servent bien ; les banques qui, par l'éventualité d'une concurrence possible, ne se laissent aller ni aux exactions, ni à la paresse, ni à l'incurie ; ces monopoles sont parfaitement défendables, et la Banque Nationale appartient à cette catégorie-là.

Le but de l'institution ainsi défini, quels en sont les résultats essentiels ?

L'abondance du capital, l'abaissement de l'intérêt, la mobilisation incessante des valeurs, leur accroissement au profit du travail et une intervention utile pour combattre à la fois et les perturbations du change et les perturbations que pourrait éprouver la circulation monétaire.

Messieurs, je ne dois pas disserter longtemps sur la question de la fixité de l'intérêt. L'honorable membre qui a ouvert ce débat nous demandait si nous aurions encore des crises.

Assurément, nous aurons encore des crises. Ceux qui prétendent fixer d'une manière invariable le taux de l'intérêt, feraient bien de nous promettre, en outre, l'uniformité du prix des grains, par exemple.

Il faut donc bien le dire ; nous aurons encore des crises, et nous devons voir si la Banque Nationale, comme nous entendons la constituer, n'est pas un moyen de les rendre moins douloureuses, et, si nous ne pouvons pas jouir d'une sécurité perpétuelle, de faire au moins en sorte que la fièvre nous fasse un peu moins souffrir.

Il n'y avait pas de crises financières dans les temps primitifs ; du temps des patriarches, on n'en parlait pas. (Interruption.)

Et, messieurs, pourquoi subissons-nous des crises ? Pourquoi sont-elles inévitables ? C'est surtout parce que, depuis un demi-siècle, il s'est développé une fortune mobilière énorme, parce qu'il s'est développé, dans des proportions prodigieuses, des moyens économiques de transfert des capitaux et des valeurs, parce qu'il s'est produit dans le monde une sorte de fraternité universelle des capitaux, une sorte de solidarité de tous les marchés, et que, si vous me permettez cette expression, le courant des capitaux, le courant des métaux sont choses infiniment plus compliquées que les courants magnétiques qui entourent le globe ou le réseau des fils télégraphiques qui l'enserre aujourd'hui. Et il se produit au milieu de ces courants des perturbations et des orages qui frappent tantôt une contrée, tantôt une autre, tantôt nos voisins, tantôt nous. Nous souffrons de la prospérité, de la grandeur du mouvement des affaires qui s'est créé de notre temps.

Ces crises ne sont pas toujours le résultat de la misère, le résultat d'événements politiques calamiteux ; ces crises sont, la plupart lui temps, le résultat des entraînements de la prospérité, ce qu’on appelle les folies de la paix. Aussi, lorsque, dans le développement des affaires, des exagérations malheureuses se sont produites sur un des grands marchés de l'Europe, vous voyez se produire un cataclysme qui réagit sur tous les autres marchés. Les causes de nos désastres sont quelquefois les folies qu'on a commises à 400 lieues d'ici.

Ces crises que nous devons accepter ont deux causes, et sont d'une nature complètement différente : la crise intérieure, et celle qui nous vient du dehors.

La crise intérieure a pour origine la disparition de la confiance dans la valeur réelle des billets de banque, la panique, la maladie de la peur, qu'on a éprouvée un peu en 1848 et fort inutilement en 1870. Qu'arrive-t-il alors quant à une banque d'émission ?

Il arrive que, chacun voulant se pourvoir de monnaie métallique à la place du signe fiduciaire qui a perdu confiance, les billets attaquent l'encaisse. L'encaisse métallique, au lieu de rester dans son réservoir naturel, qui est la Banque, va s'enfouir, soit chez ceux qui ont peur, soit chez ceux qui croient qu'après tout il vaut encore mieux avoir un peu d'or que des billets. Sans avoir peur, ils sont prudents.

Ainsi, je m'arrête un instant à la crise de 1870 dont on a tant parlé. Selon moi, les causes de la crise de 1870 sont simplement une imprudence, un trouble momentané dans le système qui a constamment dirigé la Banque.

Supposez un instant qu'au lieu de restreindre l'échange des billets dans les agences, on eût laissé subsister ce qui existait. Il n'y avait pas l'apparence de crise, pas l'apparence de panique.

Je disais que je ne voulais pas recourir aux souvenirs rétrospectifs ; mais je signale ce fait pour dire que lorsqu'on fonde une institution qui est utile, il peut y avoir un jour où l'on se trompe, un jour où l'on prend une fausse mesure ; mais ce n'est pas une raison pour condamner l'institution et pour oublier tous les bienfaits qu'elle a répandus et qu'elle peut répandre encore.

J'ai parlé en quelques mots des crises intérieures. Mais, messieurs, les crises dont la cause est extérieure ont un tout autre caractère et produisent de tout autres résultats à l'égard d'une banque d'émission.

Ces perturbations n'ont pas, comme on le croit souvent, pour objet le plus ordinaire d'appeler des capitaux, mais elles ont pour résultat d'appeler du numéraire, du capital argent, ce qui est complètement différent.

Ainsi, lorsqu'une crise extérieure, plus ou moins générale, se produit, vous voyez ce phénomène-ci. L'encaisse est attaquée, non par les billets, mais par le portefeuille, et vous voyez, pour ainsi dire, dans les mêmes proportions, se produire des dépressions de l'encaisse et le gonflement du portefeuille.

Pour rendre cette idée plus sensible, j'ai représenté, par des lignes, sur un tableau que j'ai là, les résultats produits par les deux dernières grandes crises de l'Europe, celle de 1855-1858 et celle de 1863-1864.

Je ferai lithographier ce tableau. Vous verrez ce phénomène curieux que dans les crises, les mouvements du portefeuille sont à peu près symétriques, en sens contraire, à ceux de l'encaisse.

Je crois que de ce fait il résulte un argument décisif contre la proposition indiquée par l'honorable M. Boucquéau. N'est-il pas évident, en effet, que l'idée d'adjuger le privilège de la Banque au moins demandant, au dernier enchérisseur sur le taux de l'escompte, est une pure utopie ?

Et en effet, messieurs, les banques ne défendent pas leur encaisse pour le plaisir d'avoir des pièces de cinq francs ou des napoléons. Mais elles défendent leur encaisse parce que leur encaisse est la condition nécessaire du maintien de la confiance dans la convertibilité du billet, et parce que, dans l'état actuel des choses, si l'on n'avait point la précaution et les moyens de défendre l'encaisse par les élévations d'intérêt, il arriverait des moments où le numéraire, appelé par une crise sur d'autres points, finirait par faire défaut, et où vous tomberiez forcément, pour ne pas avoir suffisamment sauvegardé la sécurité de votre circulation, dans le cours forcé, et cela peut-être au milieu même de la prospérité intérieure la plus grande. Ainsi, ce n'est pas pour elle-même, mais c'est pour l'intérêt public que la Banque est obligée de défendre son encaisse, et elle ne peut la défendre que par deux moyens : par l'élévation de l'escompte ou par des restrictions à l'admission des bordereaux.

De ces deux modes, quel est le meilleur, je pourrais presque dire quel est le seul ? Mais c'est évidemment l'élévation temporaire du taux de l'escompte.

Ainsi, il est préférable pour un négociant qui doit faire escompter des valeurs à la Banque, de subir pendant trois mois ou six semaines une surtaxe d'un ou d'un demi pour cent, ce qui est un sacrifice excessivement léger, que de voir disparaître l'argent nécessaire à la circulation et (page 1017) d'arriver à une crise qui paralyserait, assurément son travail. L'élévation de l'escompte est donc le seul moyen de combattre les crises dont l'origine est à l'extérieur, et dont le but est l'exportation du numéraire vers un pays où il fait défaut.

L'honorable M. Demeur, se trompant légèrement sur ce point, nous faisait ressortir, il y a peu de jours, la situation de la Banque Nationale en ce qui concerne l'encaisse.

L'honorable membre nous disait : Mais cette encaisse est bien faible et nous sommes dans des circonstances excessivement prospères et normales.

L'honorable membre se trompait complètement.

Depuis un mois, nous avons vu se produire ceci : l'encaisse de la Banque Nationale, au 21 mars, était de (erratum, page 1034) 125 millions et au 25 avril, elle était tombée à 98 et une fraction, c'est-à-dire qu'on avait exporté et pris à la Banque, dans l'espace d'un mois, 27 millions à peu près. Et ici encore se produit le même phénomène : le portefeuille, qui était de 240 millions, est arrivé dans la même période à 261 millions.

Ainsi qu'arrive-t-il, aujourd'hui que les capitaux sont si mobiles ? Mais on cherche, même au moindre profit, pourvu qu'il soit immédiat, la meilleure application qu'ils peuvent trouver dans toute l'Europe, et vous voyez se produire des mouvements incroyables, sur 1/16, sur 1/8, sur quelques centimes à gagner, parce qu'ils sont immédiatement réalisés. Et cela se combinant avec les perturbations qui peuvent se produire dans le change, vous comprenez qu'un grand réservoir métallique placé au centre de communications aussi faciles, aussi promptes, aussi économiques que les nôtres, serait immédiatement épuisé, si, dans de pareilles circonstances, nous n'avions pas de moyens défensifs.

Il s'est produit un fait qui démontre à quel point cela est vrai. Pendant la petite perturbation que nous avons passée, sans nous en douter, je crois que la plupart d'entre vous ne s'en sont pas ressentis, mais pendant le mois que nous venons de traverser, il s'est produit un fait très caractéristique : on présente à la Banque un bordereau considérable, 700,000 fr., si j'ai bon souvenir. Celui qui le présentait croyait que l'escompte était à 3 1/2 p. c. On lui dit : Non, l'escompte est à 4 p. c. - Oh ! en ce cas, je retire mes effets, je vous remercie ; je n'use pas de la faculté de l'escompte.

Le demi p. c. faisait disparaître les bénéfices de l'opération d'exportation que l'on avait projetée.

Messieurs, ces choses me paraissent d'une telle évidence, que je crois inutile d'y insister, et j'en tire la conclusion. On nous dit : Mettez en adjudication le privilège de la Banque Nationale et vous trouverez un preneur qui s'engagera à ne pas dépasser l'intérêt de 3 p. c. Il faudrait ajouter ceci : que, tout en maintenant l'intérêt de 3 p. c, il ne refusera aucun bordereau qui lui sera présenté et qui sera correct, comme on dit en termes de banque, c'est-à-dire qui contiendra des valeurs commerciales régulières et à court terme.

S'il y avait 50 millions assez fous pour venir me faire cette offre, je ne les accepterais pas, parce que je serais sûr de les ruiner. (Interruption.)

M. Boucquéau. - Les millions ne sont pas fous ordinairement.

M. Malou, ministre des finances. - Il y en a bien quelques-uns qui de temps en temps font de petites folies ; c'est précisément parce que je crois que, pris dans leur ensemble, les millions ont acquis, par expérience, une certaine sagesse, que je crois que l'adjudication ne pourrait avoir lieu.

M. Boucquéau. - Vraiment.

M. Malou, ministre des finances. - C'est ainsi, et si vous voulez me faire une proposition formelle avec 50 millions à l'appui, vous le verrez ; mais je vous aime trop pour les prendre. (Interruption.)

M. Boucquéau. - J'ai soumis cette question à une seule maison de banque ; elle m'a dit qu'elle accepterait à 3 1/2 ; mettez donc en adjudication et vous les aurez à 3.

M. Malou, ministre des finances. - On a dit quelquefois que la foi transportait des montagnes ; l'honorable membre a une foi tellement robuste, que je désespère de la détruire. Mais je persiste à croire qu'un million, qui a le sens commun, ne se dévouera pas à cette œuvre. D'ailleurs, je pense que la Belgique, qui a conservé sa réputation de bon sens, ne peut accepter cela.

L'honorable M. Demeur nous parlait l'autre jour de la situation de la Banque Nationale, et il disait qu'il suffirait de lui prendre- 25 millions pour qu'elle descendît au-dessous du quart statutaire ; cela dépend ; on pourrait lui prendre 23 millions sans pour cela altérer le moins du monde la sécurité de la Banque, ni arrêter le cours de ses opérations.

Mais, messieurs, en définitive toutes les banques d'émission, dans des situations dont elles ne sont pas maîtresses, sont exposées à deux inconvénients : dans certaines circonstances, le numéraire tend à disparaître, et dans d'autres circonstances, elles ont une encaisse qui excède parfois leur émission.

Ainsi la Banque de Prusse avait une encaisse supérieure à toute son émission. Ce sont là des circonstances anomales, et d'après les faits que j'ai indiqués tout à l'heure, nous nous trouvions dans une situation anomale inverse, c'est-à-dire que la Banque Nationale, en portant son escompte à 4 p. c, a parfaitement réussi à défendre son encaisse. C'est cette situation-là qui effraye l'honorable membre.

Je reconnais que la proportion normale doit être un tiers, mais en disant que les statuts de la Banque Nationale admettent qu'on peut descendre au quart ; et l'honorable M. de Lhoneux me rappelle qu'il a demandé qu'on pût descendre même au-dessous du quart.

J'ai déjà eu, dans les préliminaires de la loi, à examiner cette question, et je pense qu'il ne faut pas que dans les statuts la limite du quart soit strictement indiquée. Je crois qu'on doit laisser au gouvernement la faculté de descendre au-dessous du tiers, mais sans fixer la limite au quart.

En voici les raisons. Les crises que je viens de définir sont celles qui attaquent le plus l'encaisse et contre lesquelles il est le plus difficile de se défendre.

Ainsi, malgré la stipulation formelle de l'acte de 1844, on est, dans deux circonstances, en Angleterre, descendu en dessous de la limite légale.

En France, pendant l'une des deux crises que j'ai décrites dans un tableau et que je viens d'exposer verbalement, on est tombé parfois à 17 p. c.

Cela n'a fait absolument aucun mal ; tout le monde savait parfaitement que la sécurité de la Banque n'était pas atteinte ; que le niveau, momentanément troublé, viendrait à se rétablir ; aussi n'a-t-on pas vu former alors une demande extraordinaire de remboursements de billets, et l'équilibre métallique s'est rétabli.

Ainsi, je vois un inconvénient dans la détermination d'une limite fixe, qu'on est résolu à ne pas respecter quand la sécurité l'exige.

J'aime beaucoup mieux que cette nécessité, lorsqu'elle se révélera, s'apprécie loyalement dans les limites des statuts.

Il n'y a pas de mal à cela. Le but est toujours le tiers. La Banque Nationale sait qu'il est de son intérêt et de son devoir, à moins d'une impossibilité absolue, de rester dans les limites du tiers.

On a dit avec raison que c'est une préoccupation salutaire qui a dominé la Banque et qui a quelquefois fait naître chez elle une peur mal fondée en 1870.

Lisez les procès-verbaux de la commission qui a été instituée alors et dont j'ai eu l'honneur de faire partie, et vous verrez que cette crise eût été beaucoup plus courte si cette crainte n'eût pas existé.

Eh bien, nous devons savoir profiter de l'expérience et je n'hésite pas à dire qu'il est salutaire que, dans les statuts qui seront arrêtés après le vote de la loi, on dispose simplement que la limite est du tiers, mais que le gouvernement peut autoriser la Banque à descendre en dessous.

J'ai peu de chose à dire pour compléter les observations relatives à l'idée si longuement et si vaillamment défendue par M. Boucquéau : je veux parler du réescompte. La chose n'est pas neuve, mais je la crois impraticable en Belgique, j'ajouterai simplement un mot sur un point de fait.

L'honorable membre croit qu'en toute hypothèse le réescompte, qui semble être la panacée universelle en matière de banque préviendrait les résultats désastreux d'une crise financière ; il n'en est pas ainsi et je vais le prouver par des chiffres.

La Banque est à 3 millions au-dessus du quart fixé par les statuts ; or, par l'une des circonstances que. j'ai énumérées tout à l'heure, on lui prend 10 millions d'écus et on les remplacé par des effets de portefeuille ; le portefeuille semble s'accroître de 10 millions, mais les réescompteurs arrivent et reprennent les 10 millions ; voilà le portefeuille en balance. Mais ils payent ces 10 millions, comme ils en ont le droit, en billets de la Banque Nationale, par conséquent le passif de la Banque diminue de 10 millions.

La balance de l'encaisse est donc d'avoir perdu 7 millions au point de vue de la proportion entre les engagements à vue et l'encaisse, puisqu'on lui a pris 10 millions, et que pour ces 10 millions on doit avoir le quart en valeurs, soit 2 1/2 millions, et il en avait déjà 3. Il reste par conséquent une diminution de 7 millions.

Il y a 10 millions da billets qui correspondent par à proportion du quart à 2 1/2 millions numéraire, de sorte que, l'opération soldée, il se (page 1018) trouve que la Banque est en dessous du quart, nonobstant le bienfait des 10 millions de réescompte, d'une somme de 4 1/2 millions.

Voilà donc le réescompte supposé admis dans un moment où la Banque est sur le point d'atteindre sa limite, bien qu'il vienne prendre, dans le portefeuille de la Banque, une quotité égale à celle qu'on y a introduite, ne l'empêche pas de tomber de 4 1/2 millions en dessous du minimum fixé par les statuts.

Le réescompte évidemment n'est pratiqué que par ceux qui, dans un cas de crise, ne peuvent pas s'en servir, par des particuliers qui vont à la Banque et qui lui demandent de prendre tel ou tel effet. Mais ces particuliers-là, ce seraient de singulières gens, puisqu'ils ont dix, vingt, trente, quarante occasions de placer leur argent en temps normal à un intérêt plus élevé, et de l'avoir disponible tous les jours. Ainsi, l'intérêt à la Banque est de 2 1/2 p. c, ; ils peuvent placer leur argent à 2 1/2 en compte courant à la Société Générale, à 3, 4 p. c. dans d'autres établissements.

Le réescompte est pratiqué par ceux qui font l'escompte. Mais l'erreur de l'honorable membre consiste spécialement en ceci : il croit que la Banque Nationale est le seul agent, pour ainsi dire, qui absorbe l'escompte, qui se forme réellement un monopole des effets à escompter.

J'ai fait faire des recherches ce matin, je n'ai malheureusement que des données incomplètes ; d'après un tableau qui classe les patentables par professions, à l'époque où ce tableau a été dressé, il y avait 340 banquiers en Belgique ; ce qui donne un banquier par 15,000 âmes, ces banquiers font naturellement l'escompte, sans cela ils ne prendraient pas de patente ; dans ce nombre ne sont compris ni les établissements, ni les sociétés anonymes qui payent patente à d'autres titres.

J'ai essayé aussi de me rendre compte du mouvement, à une date donnée, du portefeuille des principaux établissements de banque : pour les sociétés anonymes, je trouve que le mouvement des portefeuilles, pour l'escompte, s'élève au 31 décembre dernier à 966,000,000 et que les portefeuilles, à la même date, étaient de 62,000,000 ; d'autres colonnes indiquent le capital ou la réserve de ces sociétés.

Les sociétés en commandite, telles que la banque de l'Union, la Caisse commerciale, ont 664,000,000 de mouvement dans leurs portefeuilles, en 1871, et, par conséquent, pour une vingtaine d'établissements compris dans ce tableau, il y a un mouvement de 1,638,000,000 en 1871 ; le capital représenté dans leurs portefeuilles, à cette date, dépassait 100,000,000.

Vous voyez donc que si la Banque Nationale figure comme le soleil, il y a infiniment de planètes et de satellites qui gravitent autour d'elle.

Je reconnais que, parmi ces sociétés anonymes ou en commandite, il en est un grand nombre qui réescomptent à la Banque Nationale.

Je suppose qu'elles constituent la moitié, les deux tiers du mouvement, mais qu'aura-t-on prouvé ?

Aura-t-on prouvé qu'elle a un monopole de fait ?

Pas le moins du monde.

Qu'est-ce que cette opération ?

La plupart du temps, c'est du réescompte de la part de ceux par les mains de qui ces effets passent et, souvent, ils ont passé par quatre ou cinq mains avant d'arriver à la Banque Nationale, et il faut ainsi considérer la Banque, qu'on me permette la comparaison du soleil de tout à l'heure, comme étant le centre qui ramène à lui les capitaux et les distribue.

Mais cela n'empêche pas l'activité du mouvement de toutes les parties du pays pour l'escompte. Les banquiers trouvent donc un grand avantage, pour la multiplication de leurs capitaux, à avoir pour centre d'activité et d'action la Banque Nationale, qui les dispense d'avoir toujours de fortes encaisses improductives.

Il est bien plus utile pour le pays qu'il y ait un grand réservoir commun, que de forcer toutes les sociétés à immobiliser leurs encaisses.

C'est là une des grandes économies que l'institution de la Banque a créées au profit de l'industrie et du commerce et c'est une cause de l'abaissement de l'intérêt.

- La séance est suspendue pendant cinq minutes.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, j'ai un dernier mot à ajouter en ce qui concerne le réescompte. La Banque Nationale achète des effets, elle les paye, elle en est propriétaire, et on veut la placer dans cette position, unique dans le monde, de quelqu'un qui peut à tout moment, par toute volonté, être exproprié de ce qu'il possède.

Voilà en réalité la question du réescompte dans toute sa simplicité.

Ainsi, la Banque Nationale, qui est intéressée à conserver des valeurs qu'elle a acquises, devrait me les donner quand je vais les lui demander, Pourquoi ? N'est-ce pas sa chose à elle ? n'est-ce pas elle, qui les a achetées ? Je ne comprendrais donc pas, messieurs, qu'on fît à la Banque Nationale cette position que tout le monde pût spéculer contre elle et qu'elle fût obligée de livrer ce que tout le monde demanderait à choisir dans son portefeuille. Ce serait là une existence impossible, intolérable.

J'ai parlé jusqu'à présent, messieurs, des billets, du portefeuille et de l'encaisse. Il me reste à traiter de la question du capital. Ici, au milieu d'un accord sur les principes essentiels, il y a un léger dissentiment avec l'honorable rapporteur de la section centrale et avec l'honorable M. Frère-Orban.

Ce dissentiment est tellement léger qu'il est à peine besoin d'en parler.

Ces honorables membres estiment qu'on aurait pu se dispenser, dans la situation actuelle, d'augmenter le capital de la Banque Nationale ; mais ils ne font pas de proposition formelle à cet égard, et ils passent condamnation sur le fait. Je les en remercie beaucoup.

Messieurs, je l'ai dit dans l'exposé des motifs et je le répète volontiers : lorsqu'on ne voit que la théorie absolue, que le mécanisme essentiel, tel que d'honorables orateurs, avant moi, l'ont défini, et tel que j'ai essayé de le préciser tout à l'heure moi-même, il est évident que la Banque Nationale pourrait se passer complètement d'un capital. En effet, elle a des billets toujours représentés, ou par du numéraire ou par des effets qui peuvent se transformer en numéraire.

Mais, messieurs, je crois qu'il faut avoir égard ici non pas à la théorie pure, mais à la pratique et à l'opinion. En effet, la force et la facilité des mouvements de la Banque Nationale dépendent en partie de l'opinion et du crédit. Or, n'est-il pas évident que, dans l'état actuel des esprits, aussi longtemps que cette théorie de l'absence du capital n'a pas été pratiquée, n'a pas été expérimentée avec succès ailleurs, nous avons d'excellentes raisons de faire en sorte que la Banque Nationale, ayant acquis une extension énorme de ses affaires, augmente proportionnellement son capital ? Ce capital, comme on l'a dit, c'est le lest. Je pourrais dire : Ce n'est pas l'électricité, c'est le paratonnerre ; mais enfin, il faut qu'il y soit.

Il est évident pour moi que, dans l'état actuel des choses et alors surtout que nous allons, et il ne faut pas perdre cela de vue, soumettre la Banque à une époque de transition qui peut être assez difficile, il faut que l'on avise à augmenter le fonds de garantie, de sécurité, de stabilité.

Le doublement suffit ; le doublement suffirait même, et au delà, quand on supposerait que la circulation fût augmentée et notablement augmentée.

En effet, dans plusieurs banques qui fonctionnent très régulièrement, qui inspirent une juste confiance, le capital n'atteint guère que le dixième, que le onzième, que le douzième de la circulation, et cela est amplement suffisant ; de sorte que, si la circulation atteignait un jour le chiffre de 500 millions, le capital de 50 millions suffirait encore d'après l'expérience acquise ; mais à cette date, qui évidemment est très éloignée, quelles que soient les espérances d'avenir de la Banque Nationale, son capital se sera accru énormément par la réserve, et alors on aura déjà une proportion plus forte.

On raisonne toujours sur la situation du moment ; or, la situation actuelle, quant à la circulation des billets, est complètement anomale. Ainsi, lorsqu'on trace la ligne du développement de la circulation, on constate une progression assez forte dans les dernières années, mais on arrive à une ligne presque verticale depuis le 1er janvier de cette année, ligne qui n'atteindrait, pour ainsi dire, que dans l'infini le point indiquant la moyenne de 1872.

Je disais tout à l'heure que le billet de banque est, dans les circonstances normales, une monnaie intérieure, nationale en quelque sorte, mais, par suite des mouvements qui se sont produits autour de nous dans ces derniers temps, et spécialement à cause de la liquidation de l'indemnité de guerre due par la France, d'assez fortes quantités de nos billets sont allés à l'étranger ; ils ont émigré, mais déjà, à présent, leur esprit de retour se manifeste.

Ainsi, dernièrement, on est venu, pour payer 4 millions à la Prusse, présenter à la Banque Nationale, le même jour, en une même main, quatre mille billets de 1,000 francs, venant probablement de France.

Il ne faut donc pas considérer comme normal ou durable l'état actuel des choses, c'est-à-dire environ 240 millions de circulation fiduciaire.

Pour la monnaie fiduciaire, comme pour la monnaie métallique, il arrive ce que je pourrais appeler, dans un certain sens, un point de saturation.

Il ne faut donc pas se créer des espérances exagérées à cet égard ; lorsque les circonstances actuelles auront cessé, la circulation diminuera (page 1019) probablement pendant quelque temps ; elle reprendra ensuite son essor, mais cet essor ne se développera que graduellement, avec une force plutôt constante que rapide, et nous ne verrons plus une progression aussi subite que celle dont nous avons été témoins dans ces derniers temps.

Quoi qu'il en soit de ces probabilités d'avenir, le capital accru comme nous le proposons est suffisant, dût-on même arriver dans quelques années à une circulation de 500 millions, pour prendre les choses à un chiffre qui me paraît exagéré ; il y aura alors au moins 15 millions de réserve ; il y aura un capital de 75 millions, c'est-à-dire le huitième de la circulation. C'est la proportion la plus forte qui existe ou qui doive exister.

Ces explications suffiront, je l'espère, quant au capital. En parlant de la durée, du terme - question que je vais aborder maintenant - je rencontrerai la question de savoir s'il est nécessaire de prévoir, dans les statuts, une augmentation éventuelle.

On nous dit que le terme de trente ans est trop long ; qu'il peut y avoir des progrès économiques ; que cela ne s'est jamais fait.

Mais, messieurs, que vous propose-t-on aujourd'hui ? C'est de donner en réalité vingt-sept ans à la Banque Nationale, puisqu'elle a encore trois années de durée. La loi de 1850 a été votée pour vingt-cinq ans ; il me semble qu'une différence de cinq ans ne vaut pas une bien grande discussion.

Cela ne s'est jamais fait !... Pardon, cela se fait tous les jours ; cela se fait pour les sociétés qui, une fois constituées, échappent d'une manière complète à l'action du gouvernement, et sont parfaitement libres.

Si la loi sur les sociétés anonymes était votée, ce serait le terme que tout le monde pourrait prendre à son profit, en se renfermant dans les conditions de la loi.

Si donc la loi était en vigueur, ce serait le droit commun qu'on appliquerait à la Banque Nationale. Quand je demande aujourd'hui trente ans, je vous demande de ne pas mettre la Banque en dehors du droit commun, je le demande avec d'autant plus de raison que vous exigez beaucoup d'elle ; que vous avez indiqué beaucoup de choses qu'elle doit faire ; et quand on lui demande tant de choses, et j'allais ajouter beaucoup d'autres choses, si les électeurs m'en laissent le temps,- on vient lui contester une durée que tout le monde pourra prendre, quant la loi sur les sociétés anonymes sera votée.

Depuis mon entrée au ministère, j'ai autorisé deux nouvelles banques et je leur ai accordé un terme de trente ans ; c'est devenu de style, et tout le monde le fait depuis longtemps.

Cela ne s'est jamais fait ! et M. Demeur qui nous dit cela, quand il s'agit de la France, invoque les propositions qui ont été rejetées et il raisonne sur des observations qui ont été faites dans une commission, dans un conseil d'Etat, Mais, moi, je vois le vote des lois et, quand des objections n'ont pas été transformées en lois, il me paraît plus logique d'invoquer le texte des lois.

Or, on a fait plus que nous ne faisons : on a accordé des termes plus longs. Mais il y a autre chose qu'on a fait en France.

Lorsque l'on donnait à la Banque des privilèges à terme limité, demandez-vous, en consultant l'histoire de la Banque de France, combien de fois ce terme a été atteint, sans que la loi soit intervenue : pas une fois.

Lorsque des nécessités nouvelles se sont produites, lorsque l'intérêt public a exigé des modifications, a-t-on jamais vu la Banque de France, quoiqu'elle eût un monopole parfaitement correct, opposer son refus à des propositions de modifications que l'intérêt public exigeait ? Jamais, cela est impossible : permettez-moi un barbarisme, cela est insupposable. Si cela ne peut pas être lorsqu'il y a un privilège véritable, pouvez-vous croire que la Banque Nationale, en présence de l'article 25, se refuserait jamais à modifier ses statuts si l'intérêt public l'exigeait ? Pouvez-vous croire qu'elle se refuserait jamais à accepter des charges nouvelles, des attributions nouvelles, à changer le mécanisme de son institution ? Mais on a sur elle le droit de vie et de mort le plus absolu.

Mais, dit-on, jamais on ne l'exercera ; jamais on n'instituera une nouvelle banque ; ce serait créer une perturbation énorme. Eh bien, messieurs, cela a failli arriver et il n'a tenu qu'à une circonstance tout accidentelle que cela ne soit pas arrivé.

Lorsque, la première année de notre existence, le gouvernement avait des luttes incessantes et des difficultés sans nombre avec la Société Générale, on a créé la Banque de Belgique avec l'intention de lui confier le service du caissier de l'Etat, et par conséquent de lui transférer en même temps les attributions essentielles qui faisaient la force et la grandeur de la Société Générale. C'est à une circonstance tout accidentelle, à une crise ministérielle, - ce sont toujours des accidents, les crises ministérielles, - mais c'est à une cause comme celle-là qu'est due la non-perpétration du fait, si vous me permettez ce mot.

Cela est donc parfaitement possible, parfaitement pratique. Il n'y a aucun gouvernement qui, en supposant que la Banque Nationale fût insensée au point de refuser des modifications que réclamerait l'intérêt général, hésiterait un seul instant à user, avec le consentement des Chambres, des pouvoirs que lui donne actuellement la loi. Dans cette situation, n'est-il pas évident qu'il est de l'intérêt public de ne pas mettre ainsi la Banque hors du droit commun, et de lui donner cette sécurité d'une existence qui l'oblige à remplir complètement ses devoirs, si elle ne veut s'exposer à voir que, non seulement on lui retire ses attributions essentielles qui font sa force et sa prospérité, mais encore qu'on la paralyse comme institution privée.

On me dit : Limitez à quinze ans. Eh bien, non, je suis plus fort en ne limitant pas ; si j'ai besoin ou si mes successeurs ont besoin dans cinq, six, huit ans de faire un changement dans la loi, ils pourront le faire, tandis que si vous mettez un terme trop court, vous vous obligez moralement à ne pas agir avant que ce terme soit atteint.

J'aime mieux, au point de vue de la sécurité et de la force que le gouvernement doit avoir, le terme de trente ans qu'un autre terme plus court que celui-là.

On nous dit : La Banque est un grand pouvoir ; la Banque a un monopole, un privilège ; on va augmenter sa puissance ; on diminue sa dépendance ; elle est maîtresse du crédit, etc. Moi je commence, quand je fais une loi, par supposer que les pouvoirs sont intelligents ou du moins raisonnables.

Eh bien, figurez-vous un instant que la Banque Nationale, infidèle à sa mission, ne remplisse par les devoirs qui résultent de son mandat ; et demandez-vous s'il y a un seul d'entre vous qui hésiterait lorsqu'on lui proposerait de créer une autre Banque qui puisse satisfaire aux intérêts publics restés en souffrance ?

Que résulte-t-il de cela ? Que, quelque nom qu'on donne, monopole, privilège, tout ce qu'on voudra, il y a ici une connexité intime entre les devoirs de la Banque et son intérêt le plus vital ; et lorsque cette situation existe par la force de la loi et par la force des choses, vous hésiteriez un instant à lui donner le droit de vivre comme vit tout être moral en Belgique !

Trente ans, c'est bien long, dit-on. Messieurs, il en est parmi nous qui ont assisté à la discussion de la loi de 1850 ; qu'est-ce que trente ans dans la vie d'un peuple ?

Lorsque nous donnons des concessions pour un terme de quatre-vingt-dix ans, nous ne croyons pas pour cela avoir aliéné la liberté de l'Etat.

Un mot encore sur ce point.

L'idée appartient à un député de Bruxelles : « Quelle imprudence de la part du gouvernement ! dit-il. Il n'a pas stipulé le droit de rachat de la concession ! » Mais, messieurs, si l'on avait stipulé ce droit, la Chambre aurait probablement dit : Pourquoi payerait-on, puisque vous pouvez supprimer ? Ce n'est pas un privilège, vous pouvez créer une autre banque.

D'abord, messieurs, je me demande s'il y a des abus tellement criants qu'il faille chercher en dehors des statuts, en dehors du fonctionnement loyal d'une société, des garanties nouvelles ; je demande s'il y a intérêt à dénaturer l'institution en y faisant intervenir l'élément politique ; on a très souvent, et quelquefois avec raison, fait le reproche à la Banque Nationale de n'avoir pas observé une complète neutralité politique.

Je ne veux pas insister sur ce point. J'espère que, reconnaissant que ce système n'est pas bon, il n'en sera plus ainsi à l'avenir.

M. Muller. - De la Société Générale.

M. Malou, ministre des finances. - Non. Je puis d'autant plus le dire que je n'en suis plus. C'est surtout l'exemple de la Société Générale qui m'influence. Elle a réussi à réunir dans son conseil d'administration des hommes d'opinions politiques complètement différentes et qui se sont parfaitement bien entendus pour diriger ses intérêts. Il serait peut-être bon d'imiter son exemple.

Je demandais donc s'il y avait des raisons, dans le fait, comme garantie contre les abus, de faire, par exemple, nommer des censeurs par la Chambre.

Mais, messieurs, c'est un système qui ne ressemble à rien et qui ne peut avoir aucune espèce d'efficacité. Je le comprendrais si l'on organisait franchement une banque d'Etat. Mais que peuvent faire des censeurs ? Ne sont-ils pas les contrôleurs des actes et ceux qui doivent approuver les bilans ? En supposant que la Chambre puisse déléguer ses pouvoirs, elle interviendrait ainsi, par des délégués, dans l'approbation des bilans de la (page 1020) Banque Nationale. C'est un rôle complètement inacceptable. Il faut, pour qu'une administration puisse bien fonctionner, qu'elle ait des éléments homogènes.

Il faut une Banque d'Etat ou une société anonyme constituée d'après les règles essentielles que l'expérience a indiquées pour ces formes de sociétés.

On a cité un incident relatif à la Banque de Flandre, et je demande la permission d'en dire un mot. Il est évident que cet incident ne peut que prendre une place parasite dans ce débat.

Je demanderai à l'honorable membre, à l'honorable M. Dansaert qui a soulevé la question, et à qui j'ai répondu d'après mes souvenirs que j'ai vérifiés depuis, je demanderai s'il ne conviendrait pas mieux que l'Union du Crédit et la banque de Flandre eussent à s'expliquer entre elles si elles ont un dissentiment sur un point, ou que l'honorable membre lui-même, en dehors de cette enceinte, publie les pièces au moyen desquelles il croit pouvoir justifier les assertions, ou plutôt-les renseignements qui lui ont été donnés, car sa bonne foi est complètement hors de cause ; et la partie adverse demeurant entière à fin de preuves contraires, comme on dit au palais. Il y aurait à cela un avantage : c'est qu'on ne sera pas, pour apprécier le fait, sous la protection de l'inviolabilité parlementaire et pour des faits de cette nature, cela vaut beaucoup mieux pour la Chambre et pour les parties intéressées.

Messieurs, j'admettrais même qu'il y ait eu une erreur, qu'il y ait une faute, qu'il y ait eu un mauvais calcul : pensez-vous qu'une institution comme celle-ci puisse avoir fonctionné vingt et un ans, sans que, dans aucune localité, jamais, il ne se soit produit le moindre abus, la moindre erreur, la moindre faute ? Cela n'est pas de la nature des institutions humaines ; si vous voulez pareille chose, il faut renoncer à créer quoi que ce soit. Partout vous verrez de temps en temps se produire des faits qui sont ou discutables ou blâmables.

Quant aux comptoirs, messieurs, il me semble que la discussion peut être très courte. Quelle est la nature du contrat qui intervient entre le comptoir et la Banque ? C'est celui-ci :

Je vous donne ma signature comme garantie, je m'engage solidairement et personnellement à telles conditions.

Comment la loi peut-elle intervenir en cela ? Aujourd'hui, la Banque donne un quart du produit de l'escompte au-dessus de 4 p. c. ; elle donne un huitième au delà de 4 jusqu'à 6 p. c. et puis plus rien. Il est bien clair que, d'après le projet de loi, la limite extrême sera de 5, puisque, au delà de 5 p. c, la Banque elle-même ne reçoit plus rien.

Voilà donc déjà une certaine diminution, exceptionnelle, je le veux bien, mais enfin une diminution du tantième.

Messieurs, je comprendrais que, selon les localités, selon l'état du commerce, l'état des affaires dans certaines localités, il y eût même des bonifications ou primes différentielles.

Mais ce que je ne comprendrais pas, c'est qu'on vînt dire : Non, il ne faut pas donner un quart à tel comptoir de telle localité. Mais si ceux qui veulent bien prendre cette responsabilité, qui peut devenir sérieuse dans certains cas, disent qu'ils ne se contentent pas d'une somme moindre, que ferez-vous ? Il s'agit là d'un contrat purement privé. C'est comme si vous prétendiez régler ici la prime qu'une compagnie d'assurance peut exiger pour assurer un édifice quelconque, une salle de spectacle, par exemple. Mais le commerce et l'industrie payent-ils quelque chose ? Evidemment, non ; leurs effets sont escomptés au même taux que ceux qui sont présentés directement à la Banque, et c'est la Banque qui supporte la différence. Par conséquent la Banque est parfaitement libre de prendre un assureur de cette partie de son portefeuille ; elle est obligée de le faire et malgré les commissions qui ont été indiquées, si mes renseignements sont exacts, on a eu dans l'origine beaucoup de peine à créer les comptoirs. C'est pour cela que vous voyez, dans l'état qui vous a été présenté, un grand nombre de banquiers qui tous y sont depuis l'origine, tous, sauf une exception, si j'ai bon souvenir.

Donc, je crois qu'il ne faut pas s'arrêter trop longtemps à cette question, qui ne concerne réellement pas l'intérêt public, mais qui est à débattre entre la Banque et ses agents comme un contrat d'intérêt privé.

Messieurs, je dois faire une transition pour être un peu classique : j'ai traité les questions générales ; il me reste à m'expliquer sur deux ou trois points de détail et sur les amendements qui ont été présentés. !

Et d'abord l'honorable M. de Lhoneux vous a présenté une observation qui me paraît juste en ce qui concerne l'article 14 de la loi de 1850. Cet article concerne le payement des billets par la Banque.

Je me suis empressé, ayant trouvé que cette observation était fondée et qu'il pouvait y être fait droit, de demander à la Banque Nationale si elle avait quelque objection à faire contre la proposition que l'honorable membre a indiquée, et qui consiste à rendre le billet payable dans toutes les agences en province, avec la restriction, bien entendu, que porte la loi néerlandaise de 1865.

L'administration de la Banque m'a répondu qu'elle acceptait cette condition nouvelle.

La Chambre, je le sais, a le droit de trancher la question par voie d'autorité. Mais, en ce qui me concerne, j'ai tenu à conserver à la loi le caractère contractuel qui en fait le principal mérite, quant aux rapports qui doivent exister entre l'Etat et la Banque.

Voici donc un amendement qui se rattache à l'article premier dont il formerait le n°5 :

« Les billets sont payables à vue dans les agences en province. Toutefois, ce payement peut être ajourné jusqu'à ce qu'elles aient pu recevoir les fonds nécessaires. »

- Un membre. - Il vaudrait mieux dire : les espèces.

M. Malou, ministre des finances. - On emploie le mot « fonds » dans la loi hollandaise ; je ne serais pas en peine de démontrer que ce mot est plus usité que le mot « espèces ». Quoi qu'il en soit, si l'honorable membre veut me donner les espèces, je lui abandonne volontiers les fonds.

Messieurs, je disais qu'il y avait une raison puisée dans notre expérience pour admettre cet amendement.

En effet, messieurs, et je n'y insiste plus, la faute commise en 1870 consistait à avoir restreint sans nécessité, un peu brusquement, l'échange des billets dans les agences et même pour certaines localités, dans un moment où cette mesure inattendue pouvait occasionner des embarras et semer la panique.

Je pense que l'honorable membre me saura gré de cette proposition, et j'espère aussi que l'honorable M. Julliot, qui m'a accusé, avant que j'eusse rien dit, d'être intraitable et de vouloir enlever le vote d'une loi parafée ne varietur, voudra bien reconnaître qu'il a été un peu vite cette fois.

Il est un autre point sur lequel je dois dire deux mots à la Chambre :

La section centrale a fait des objections au sujet de l'article 5, qui donne à la Banque Nationale un abonnement de dix ans pour le timbre de ses billets, en établissant cet abonnement sur la circulation moyenne des cinq dernières années.

Cette disposition a été critiquée comme constituant un privilège en matière d'impôts.

Je crois que l'objection d'inconstitutionnalité serait fondée, s'il existait un autre établissement de ce genre. Quoi qu'il en soit, il y a un doute, un scrupule constitutionnel et j'ai demandé à la Banque Nationale si elle ne faisait pas d'objection à ce que le gouvernement renonce à l'article, et la laisse, à cet égard, sous l'empire du droit commun.

La Banque n'a pas fait la moindre difficulté de nous dire qu'elle acceptait cette augmentation de charges.

Ainsi que nous l'avons indiqué dans l'exposé des motifs, ce qui nous a amené à formuler l'article 5, ce sont les circonstances que voici : lorsque j'ai signalé à la Banque les points essentiels qui me paraissaient devoir être proposés à la législature, mon attention a été attirée sur une disposition de la loi de 1865, relative au taux de l'intérêt.

J'ai cru que je ne pouvais pas déroger à l'usage qui a toujours existé dans les négociations de cette nature, et qui consiste à ne pas introduire après coup une condition qui n'a pas été indiquée d'abord ; j'ai déclaré à la Banque qu'il me paraissait être de son intérêt évident que la loi de 1865 fût maintenue dans son intégrité, et en retour de cette concession, la Banque a demandé l'abonnement stipulé à l'article 5 du projet de loi.

Maintenant je renonce à cet article, et je crois que, sous ce rapport, la loi acquiert un nouveau mérite pour recevoir vos suffrages.

- Des membres. - A ce soir

M. Malou, ministre des finances. - Je ne m'y oppose pas ; je ne pourrais d'ailleurs finir dans la séance du jour.

M. le président. - D'après la décision prise au commencement de la séance, l'ordre du jour de demain portera :

1° Erection de la commune de Saint-Amand ;

2° Rachat de la concession des chemins de fer de Dendre-et-Waes et de Bruxelles vers Gand par Alost ;

3° Concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain vers Erbisoeul ;

4° Crédit spécial de 152,000 francs au ministère de l'intérieur ;

5° Crédit spécial de 225,000 francs au ministère de l'intérieur ;

6° Crédit spécial de 750,000 francs pour l'amélioration du pain de munition ;

(page 1021) Et s'il restait encore du temps :

7° Crédit spécial d'un million de francs au département de la justice ;

8° Les crédits supplémentaires au ministère de l'intérieur pour l'exercice 1871 ;

9° Les crédits supplémentaires aux budgets du ministère de la justice pour 1871 et 1872 et

10° Les crédits supplémentaires au département des finances.

- La séance est suspendue à 5 heures.

La séance est reprise à 8 heures.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, dans le cours des observations que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre, je me suis attaché à expliquer les motifs de la proposition que j'ai eu l'honneur de lui soumettre, sous le double point de vue des intérêts publics, de l'existence et des intérêts de la Banque Nationale elle-même. Il me reste, pour accomplir ma tâche, à vous rendre compte des motifs qui m'ont déterminé à vous présenter le projet en ce qui concerne les rapports de la Banque Nationale avec les intérêts du trésor public.

Une innovation très grande vous est proposée à cet égard. J'ai indiqué dans l'exposé des motifs quels étaient les moyens divers qu'on pouvait employer pour rendre l'encaisse de l'Etat productive, tout en lui conservant sa disponibilité absolue. Notre situation financière et notre sécurité nationale nous imposent le devoir de conserver constamment une encaisse qui dépasse notablement les besoins du service courant.

Lorsque cette encaisse représente l'excédant des ressources ordinaires de l'Etat, il n'y a, en réalité, pour lui aucune perte d'intérêt ; lorsque, au contraire, une partie notable de cette encaisse provient d'opérations de trésorerie qu'on a faites pour pourvoir à cet immense service d'utilité publique, à la grande œuvre des travaux que la Belgique a accomplis et qu'elle poursuit, si nous laissons nos fonds improductifs à la Banque Nationale, le trésor public supporte, en réalité, au profit dè la Banque Nationale, les intérêts d'une partie de son encaisse.

Cette, situation, j'ai pensé qu'il y avait lieu, sans nuire aux intérêts de la Banque Nationale, de la modifier en rendant productive la partie de l'encaisse qui n'est pas nécessaire pour les besoins du service courant, ce que j'appellerai, pour abréger, les fonds libres.

Ce principe n'a pas été contesté et je crois qu'il ne peut pas l'être. Quant au mode le meilleur, il me semble, et j'en ai donné la raison dans l'exposé des motifs, que c'est celui qui consiste à placer l'encaisse de l'Etat en valeurs commerciales à court terme, parfaitement réalisables et présentant toute sécurité. L'honorable M. Demeur, sans attaquer le principe, m'a fait, sur l'application qu'il devait recevoir, un grand nombre de questions. Il a énoncé beaucoup de doutes. Quelle est l'encaisse qui doit rester disponible et non employée ? Quelle est la nature des valeurs ? Comment procéder a-t-on ? Comment agira-t-on lorsque les intérêts de la Banque Nationale pourront être en opposition avec ceux de l'Etat, et enfin que voyons-nous dans cette proposition ? C'est, pour nous, quelque chose de complètement inconnu et l'on ne nous donne aucune espèce d'explication.

Eh bien, je suis parti de cette idée très simple que l'Etat, en voulant utiliser et rendre productifs les fonds libres du trésor, ne devait point instituer dans la Banque Nationale, par son intermédiaire et sous sa garantie, une concurrence contre la Banque Nationale elle-même. En d'autres termes, qu'il fallait principalement s'attacher à placer cette partie de l'encaisse en valeurs de l'étranger sur l'étranger, en valeurs que la Banque elle-même, d'après le mouvement naturel de ses affaires comme institution intérieure, ne prend normalement pas. Mais l'honorable membre me demande d'abord quelle est la somme qui sera placée de cette manière ?

Je suis dans l'impossibilité de lui répondre, par la simple raison que je ne sais pas quelle sera l'encaisse à l'avenir ; cela dépendra tout à la fois et des engagements nouveaux que la Chambre prendra pour l'œuvre des travaux publics, de la rapidité avec laquelle ces engagements s'exécuteront, de la part que l'excédant de nos ressources ordinaires pourra fournir pour le budget spécial et, en définitive, des époques auxquelles on croira devoir, comme on l'a toujours faii, affecter à ces services extraordinaires les ressources spéciales complémentaires qui doivent être créées en dehors des excédants que nous laissent nos ressources ordinaires.

Mais, si je ne puis répondre en chiffres, je puis répondre en principes ; ainsi l'honorable membre suppute, d'après la situation au 31 décembre, quelle a été l'encaisse moyenne de l'Etat depuis l'existence de la Banque Nationale ; c'est une singulière manière d'apprécier l'encaisse moyenne que de prendre l'un des 365 jours de l'année ; la moyenne annuelle de l'encaisse ne se donne pas par la situation au 31 décembre ; mais par la situation à toutes les époques différentes de l'année. Je reconnais que l'honorable membre n'avait pas les éléments nécessaires pour calculer cette moyenne, mais pourtant, de là est provenue l'erreur dans laquelle il est tombé en disant que l'encaisse moyenne avait pu être de 70,000,000 de francs, de sorte que, tous calculs largement faits, l'Etat aurait placé 50,000,000 de francs en moyenne comme encaisse libre.

Je me suis fait donner le relevé de l'encaisse, et il en résulte qu'elle est seulement en moyenne de 47,000,000 ; vous savez, d'autre part, que l'Etat a des dispositions courantes, c'est-à-dire des crédits dont il a disposé, mais qui n'ont pas encore été retirés de la Banque. Evidemment, c'est le système que l'on adopte pour rendre l'encaisse de la Banque disponible et productive ; on ne peut pas l'épuiser complètement par le déplacement de l'encaisse de l'Etat, y compris les dispositions courantes ; il faut que l'Etat ne s'interdise pas la faculté d'en disposer de nouveau, si, pour s'en servir, il avait besoin de dépasser les rentrées que ses ressources ordinaires lui procurent.

Je crois donc, sans prétendre fixer un chiffre, parce que toutes les données de cette équation sont des inconnues, que le principe doit être d'appliquer les placements des fonds de l'Etat de cette manière :

L'Etat, de son encaisse totale, déduit les dispositions courantes. Il déduit très largement en outre les sommes qu'il croit être nécessaires pour les dispositions futures et il fait placer le reste par les soins de la Banque Nationale.

Je ne puis pas dire quelle sera la somme. Je puis moins encore dire quel sera le produit.

En effet, messieurs, ce produit a deux origines : l'intérêt, qui dépend du taux variable de l'escompte, et puis les bénéfices ou les pertes qu'on peut faire par suite des perturbations ou des améliorations du change.

J'ai estimé cela en supposant un placement moyen de 50 millions, c'est-à-dire en supposant que l'Etat maintienne une encaisse d'une cinquantaine de millions en moyenne, à un revenu d'à peu près un million de francs.

On demande, en second lieu, quelles seront les valeurs admises et quelles seront les valeurs écartées.

D'abord, je crois que, systématiquement, il ne faut en exclure aucune, pas même les valeurs de la Belgique sur la Belgique.

Je me trompe peut-être. Il faut exclure les valeurs qui ne sont pas strictement escomptables par la Banque Nationale.

En d'autres termes, il ne faut pas que le portefeuille spécial de l'Etat, qui prendra la place d'une partie de son encaisse, soit aussi un portefeuille commercial et moins certainement réalisable que le portefeuille de la Banque Nationale.

Si je veux définir les catégories, j'arrive à ceci : Ces effets sont de Belges sur Belges, d'étrangers sur Belges, de Belges sur étrangers ou d'étrangers sur étrangers.

Il peut y avoir quelques sous-genres, quelques variétés ; ainsi, des effets domiciliés en Belgique, des effets qui sont en quelque sorte en transit pour la Belgique, mais qui d'après leur nature se rapportent comme genre, comme classification, à l'une des quatre espèces que je viens d'indiquer sommairement à la Chambre : effets de la Belgique sur la Belgique.

Eh bien, messieurs, c'est là l'attribution naturelle, c'est là le patrimoine, si je puis parler ainsi, de la Banque Nationale.

Il ne peut pas entrer, selon moi, dans les intentions de l'Etat, sauf des cas tout à fait spéciaux, difficiles à prévoir même, il ne peut pas entrer dans les intentions du gouvernement de loger, s'il m'est permis d'employer cette expression, son portefeuille spécial dans celui de la Banque Nationale, en concurrence avec celui de la Banque Nationale, pour les valeurs de Belges sur Belges.

Ce doit être l'exception ; il peut se présenter des circonstances où l'intérêt général, où l'intérêt de la Banque Nationale exige que partiellement de pareils placements aient lieu. Mais, je le répète, ce doit être l'exception justifiée par des conditions spéciales, et non point la règle.

Les effets d'étrangers sur la Belgique. Eh bien, jusqu'à un certain point je crois qu'il y a lieu d'y appliquer le même principe. Ce qu'il faut rechercher avant tout, c'est de placer productivement la partie disponible de l'encaisse de l'Etat, de telle manière qu'une crise survenant dans le pays ou à l'étranger, la réalisation de cette partie de l'actif puisse se faire sans que les ressources que la Banque Nationale consacre au développement de l'escompte, dont, les besoins sont toujours plus grands en pareille circonstance, puissent le moins du monde en souffrir, sans que la Banque soit entravée, et en procurant au contraire au pays des rentrées (page 1022) en numéraire, en valeurs réelles, qui, dans pareilles circonstances, sont, excessivement précieuses et désirables.

Je dis donc qu'en règle générale il faut tâcher de constituer le portefeuille spécial de l'Etat qui fera partie de son encaisse, désormais divisée en deux, une encaisse métallique et le portefeuille de l'Etat, qu'il faut le composer de ce que l'honorable M. Frère appelait hier le papier de haute banque. Il y a d'autant moins d'inconvénients que, quels que soient les intérêts de la Banque Nationale en regard ou parallèlement à ceux de l'Etat, chacun sait que dans l'état actuel des relations entre les divers pays, dans l'état actuel des transactions dans le monde entier, il n'y a pas de concurrence possible pour ce papier, parce qu'il existe en quantité pour ainsi dire illimitée. C'est, comme on vous l'a dit hier, réputé partout de l'or en barre. Ce n'est pas ce qu'on disait hier des billets de banque, un signe ; c'est une valeur réelle ; c'est quelque chose que chacun accepterait comme il accepterait volontiers de l'or ou de l'argent, sauf, comme le dit très judicieusement l'honorable M. de Lhoneux, que c'est une valeur qui est productive et qui porte intérêt.

L'honorable M. Frère-Orban me demandait si l'on prendrait aussi, dans le portefeuille de l'Etat, des valeurs sur l'étranger. L'honorable membre paraissait croire qu'il fallait exclure cette catégorie. Je me suis permis de lui répondre en l'interrompant - on a quelquefois tort d'interrompre, mais, cette fois, mon tort était excusable : - Oui, avec un petit tempérament ; et le voici :

Je suppose, par exemple, une traite faite de la Belgique sur l'étranger par un de nos grands centres industriels et endossée à l'Etat par un grand établissement financier.

Ainsi, je suppose qu'un charbonnage de Charleroi, ayant fourni à une des principales usines du département de la Moselle du coke pour les hauts fourneaux de ce pays, dispose sur une des premières maisons, des premières puissances métallurgiques de la France, et que cela soit endossé soit par la Banque de Charleroi, soit par la Banque de Belgique, soit par la Société Générale. Voilà une créance d'un Belge sur une première signature de l'étranger. Pourquoi n'accepterais-je pas cela ?

Quel danger y a-t-il, quel risque y a-t-il à accepter cette catégorie d'effets ? Il n'y en a absolument aucun.

On croit quelquefois que les effets de l'étranger sur l'étranger ne représentent absolument rien en Belgique. C'est encore une fois une erreur, c'est une appréciation inexacte de la manière dont se font aujourd'hui les transactions et les payements.

Ainsi, je suppose qu'un établissement belge a fourni, en Russie, des machines, des bateaux à vapeur, des rails ; eh bien, la Banque de Pétersbourg, première signature, première valeur, dispose sur son banquier à Londres et endosse la traite à un établissement belge. C'est, encore une fois, une créance belge qui vient transiter par la Belgique et qui est recouvrable à l'étranger.

C'est une des variétés des effets de l'étranger sur l'étranger, mais, encore une fois, lorsque c'est une valeur de premier ordre, une valeur de tout repos, suivant l'argot de la Banque, pourquoi ne pas la prendre ? Je dis qu'il faut accepter tout ce qui offre à l'Etat une parfaite sécurité et les avantages les plus considérables pour la productivité de son encaisse.

Voilà, messieurs, le petit tempérament, et j'espère qu'il sera admis par l'honorable M. Frère-Orban.

A cela, messieurs, on fait une objection que j'ai été, je l'avoue, fort étonné d'entendre produire par des économistes. Nous allons appauvrir le capital national, nous allons, on a été jusqu'à le dire, je pense, produire la disette dans le pays.

Mais ceux qui disent ces choses-là se sont-ils donc bien rendu compte de la situation actuelle, de la situation de la Belgique et du monde, au point de vue de ce que j'appellerai le cosmopolitisme des capitaux.

Il suffit que, dans un pays étranger, on annonce un emprunt dont le placement paraît bon, pour que, de la Belgique, on souscrive bien au delà de 50 millions ; il suffit qu'en Belgique nous examinions chaque jour ce qui se passe, que nous examinions la cote des fonds divers à la Bourse d'Anvers et à la Bourse de Bruxelles, pour voir jusqu'à quel point l'échange des capitaux entre les peuples est devenu aujourd'hui la règle générale ; comment, sans voir s'il y a 20 ou 30 millions qui se déplacent d'un pays à un autre, les capitaux passent, suivant les emplois productifs qu'ils peuvent trouver, comme placements définitifs ou comme placements temporaires.

Quoi ! nous serions appauvris, il y aurait disette dans le pays, parce que l'Etat ferait temporairement, en partie ou en totalité, un placement d'une trentaine de millions en valeurs de banque, en Angleterre, en Russie, en France, dans l'Amérique du Nord ou dans l'Amérique du Sud ; et nous aurions disette dans le pays ! Mais, messieurs, cela n'est rien, c'est une goutte d'eau dans l'ensemble de nos affaires ; c'est une combinaison excellente, parce que ces 30 millions, qui ne sont rien dans le moment où tout est tranquille, ces 30 millions, dans les jours inquiets, tels que nous en avons passé quelques-uns, feraient une ressource précieuse, lorsqu'ils rentreraient dans le pays.

Messieurs, je crois avoir répondu, autant qu'il m'est possible, aux diverses questions que l'honorable M. Demeur m'a posées, en ce qui concerne et la quotité probable des placements à faire et la nature des valeurs qui constitueraient ces placements.

II est un autre point à signaler à l'attention de la Chambre. Il ne faut pas se le dissimuler : cette disposition, qui procure à l'Etat de grands avantages, crée aussi une situation transitoire qui peut être difficile à traverser.

Jusqu'à présent, la Banque Nationale a considéré et a dû considérer le compte courant de l'Etal comme un compte courant ordinaire, assimilé à tous les autres. Aujourd'hui il s'agit d'en distraire une partie considérable.

Si l'on me demandait par quel moyen, à quelle époque, cette transition pourra être ménagée de manière que les intérêts essentiels de la Banque Nationale, si intimement liés aux intérêts du commerce et de l'industrie, ne soient pas lésés, je vous avoue qu'il me serait difficile de donner une réponse claire, directe et péremptoire. J'indique encore ici quel est, selon moi, le système qui doit être suivi : on doit s'attacher à préparer cette situation, en plaçant successivement, là où l'on croirait que le placement peut demeurer pendant quelque temps, un certain nombre de millions, mais il faut éviter à tout prix de procéder par voie de secousse et de perturbation, parce que ce ne serait pas la Banque Nationale qui en serait victime, mais bien les intérêts du commerce et de l'industrie.

On peut se demander encore bien des choses quant au mode d'application, et j'avoue sur ce point que, malgré l'examen que j'ai fait, mes idées, quant à la réduction provisoire qui devra être faite pour cette partie nouvelle du service de caissier de l'Etat, ne sont pas complètement fixées ; il y a là à procéder par voie d'expérimentation, il y a à voir de quelle manière on peut le mieux concilier les intérêts des parties et atteindre le but commun.

Pour préciser autant que possible mon idée, je suppose qu'à un moment donné l'Etat et la Banque Nationale croient qu'il est de leur intérêt de faire un placement en Londres. Ainsi le ministre des finances écrit à la Banque Nationale : Mon encaisse le permettant, prenez-moi pour 5 millions de Londres. La Banque Nationale dit : J'ai précisément la même idée ; comment cela s'arrangera-t-il ? Peut-on fournir 10 millions de Londres ? Où faut-il les prendre ? Faut-il les acheter à Paris, où ordinairement le Londres est plus bas qu'il ne l'est à Bruxelles ou à Anvers ? Eh bien, ce sont toutes choses à régler d'après les faits qui se produiront. Mais je suppose maintenant, lorsque la Banque Nationale et l'Etat auront acheté leurs 10 millions de Londres, - chacun leurs 5 millions, bien entendu - qu'il se produise une hausse et que l'Etat dise : Moi j'ai envie de vendre mon Londres. J'ai envie de transformer cette partie de mon portefeuille. Et que la Banque dise : J'avais précisément la même idée. Il faudra bien que, dans de pareilles circonstances, il intervienne, chaque fois que ces faits se présenteront, un accord, une entente ; en d'autres termes, que l'on agisse comme gens honnêtes et loyaux qui font une sorte de compte à demi quand l'occasion s'en présente.

Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, en entrant dans cette voie il y a, pour le ministre des finances et pour l'administration de la trésorerie, des soucis, des peines, des responsabilités nouvelles. Mais je crois qu'on doit les accepter ; on doit les accepter dans le sens que je viens d'indiquer. Eh bien, je ne crois pas qu'on puisse et qu'on doive aller au delà. Ainsi, lorsque ce mode de rendre l'encaisse productive et de la laisser disponible tout à la fois, m'a été indiqué et que je l'ai étudié, je me suis dit qu'il était pratique, à une seule condition : c'est que l'Etat n'ait pas à se prononcer sur le choix, sur la nature et sur la valeur des signatures qui constituent la garantie.

L'honorable M. Frère vous a dit hier qu'il hésitait à se prononcer sur ce point. Eh bien, messieurs, d'après moi la garantie par la Banque était la condition essentielle de l'application du système. Comment est-il possible que l'administration publique apprécie, non seulement l'opportunité de tel ou tel placement, mais même la valeur de chaque signature qui se trouvera sur chaque effet ? Comment voulez-vous que chaque jour elle aille rechercher, qu'elle aille créer des relations à l'étranger pour se procurer ces valeurs ? Tout cela n'est pas possible.

Il aurait fallu dans ce cas créer à la trésorerie un bureau spécial (page 1023) parfaitement organisé, renseigné sur la solvabilité des signatures, qui n'eût pas le seul soin de dire comment les placements doivent être faits, mais qui eût à examiner la valeur de chaque effet, de chaque signature.

J'avoue qu'à ce prix j'aimerais autant n'être pas ministre des finances.

Lorsque nos négociations ont commencé, la Banque n'a point manqué à ce principe ; elle sait très bien que le risque à couvrir, lorsqu'on prend des valeurs de premier ordre, est. pour ainsi dire nominal ; elle a des relations magnifiques dans les plus grands centres de l'Europe, elle peut être renseignée parfaitement sur les faits qui se passent, sur les maisons de commerce qui pourraient péricliter ou dont la signature pourrait déchoir ; le gouvernement ne peut faire cela.

J'avais offert à la Banque, par respect pour les principes, car en affaires on ne travaille pas pour rien, c'est une théorie élémentaire, je lui avais offert une certaine commission sur le produit de l'escompte au profit du trésor ; elle a répondu qu'elle aimait mieux le bénéfice moral et faire les choses gratuitement. Je n'avais pas de raisons bien péremptoires pour m'y opposer.

Les avantages que la Banque Nationale procure au trésor peuvent être appréciés comme bénéfices généraux dans le développement des affaires publiques ; en ce moment, je voudrais m'attacher au premier côté de la question.

Quelle est la différence, au point de vue des bénéfices directs du trésor, entre la situation actuelle et celle qui résultera du projet de loi si, comme je l'espère, il est adopté par la Chambre ?

Je prends pour type, bien qu'elle soit exceptionnelle à certains égards, l'année 1871.

Nous avons eu en 1871, à raison du sixième du bénéfice au delà de 6 p. c, 737,000 francs.

Le quart du bénéfice peut être évalué, en supposant que la Banque ait, pendant les premières années, les mêmes résultats qu'en 1871, aune vingtaine de mille francs près, soit pour l'Etat 750,000 francs.

Vous comprenez que lorsqu'on prélève 6 p. c, non plus sur 25, mais sur 50 millions, le sixième ne correspond guère qu'au quart comme part de l'Etat sur l'excédant.

La moyenne décennale est bien de 180,000. Je les porte comme devant être la moyenne future.

Cela est très conjectural et personne ne serait plus heureux que moi si, de ce chef, je ne recevais jamais un centime, par la raison que c'est toujours un mal pour l'industrie et le commerce que la hausse de l'escompte.

Je compte dans l'un et dans l'autre système, pour 175,000 francs l'intervention de la Banque dans les dépenses de la trésorerie en province. C'est à peu près, sauf les augmentations à faire, le chiffre de la dépense qui existait lorsque mon honorable ami, M. Jacobs, a renouvelé la convention du caissier de l'Etat.

Depuis lors, et à l'avenir, nous aurons quelques dépenses de plus, car il y a une partie de la dépense à charge de l'Etat.

Ainsi, 175,000 francs actuellement, 175,000 francs à l'avenir. Vous vous le rappelez, messieurs, dans l'exposé que j'ai fait, il a été entendu entre la Banque et moi que cette somme ne serait pas augmentée aussi longtemps que le service de caissier de l'Etat serait fait par la Banque Nationale ; mais c'est aussi, et je saisis l'occasion de le dire, la seule restriction que j'aie consenti à mettre à la liberté absolue de l'Etat quant au service du caissier. La Banque Nationale ne devra donc payer pour les frais de trésorerie en province que 175,000 francs aussi longtemps qu'elle conservera le service de caissier de l'Etat. Mais l'Etat, après chaque période quinquennale, demeure complètement libre à tous autres égards en ce qui concerne le service de caissier de l'Etat. Il n'est pas enchaîné à la Banque Nationale pendant toute la durée de son octroi et il n'est lié que sur un seul point : celui de l'intervention de la Banque dans les frais de trésorerie.

Je compte pour mémoire, ou plutôt pour la vérité des choses, le service gratuit du caissier de l'Etat, seulement 200,000 francs.

Je crois qu'évidemment d'après l'importance actuelle de ce service, lorsqu'il coûtait 200,000 francs en 1850, on pourrait compter 300,000 francs sans exagération et l'Etat ne le ferait certainement pas à ce prix. Mais enfin, comme cela n'altère pas la balance des deux situations, mettons 200,000 francs.

Le timbre des billets, on peut l'évaluer, après l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter à la fin de la séance de cette après-midi et en supposant une circulation moyenne, on peut compter sur une recette de 120,000 francs qui correspond à raison de 1/2 par mille à une circulation moyenne annuelle de 240 millions.

Si la circulation se développe il est évident que la recette se développera dans la même proportion. Mais, d'après l'amendement, il n'y a plus là de disposition spéciale à la Banque Nationale ; elle est dans le droit commun, puisqu'elle paye, d'après la loi de 1862, un demi par mille et par an sur le chiffre de sa circulation moyenne.

La patente, 82,000 francs ; les diverses recettes, envois de fonds, etc., 81,000 francs. Enfin, je compte comme dernier chiffre à la colonne de l'avenir un produit pour le placement de l'encaisse de 900,000 francs.

En d'autres termes, en additionnant ceci et en prenant pour point de départ l'année 1871, la Banque donnait en produits directs à l'Etat 1,381,000 francs ; elle donnera désormais 2,491,000 francs, soit une rente de 2 1/2 millions pour parler en chiffres ronds et ne pas nous arrêter aux fractions.

M. Balisaux. - Il y a une différence de 900,000 francs.

M. Malou, ministre des finances. - Et quelques autres petites différences que j'ai indiquées.

Nous arriverons tout à l'heure au point de savoir si cette différence de 900,000 francs, qu'on paraît considérer comme n'étant que cela, est trop faible, et s'il faut demander plus ; mais n'anticipons pas.

Messieurs, ces faits étant indiqués, j'arrive à l'examen des amendements présentés par l'honorable M. Julliot et l'honorable M. Balisaux.

L'honorable M. Julliot vous propose de demander... de prendre à la Banque - ce n'est pas demander, je vous demande pardon de l'expression qui m'échappe - de prendre à la Banque un demi p. c. sur toutes les émissions qui dépassent 250 millions et de prendre la moitié des bénéfices au delà de 10 p. c.

M. Julliot. - Je fais défalcation de tous les frais que vous avez indiqués.

M. Malou, ministre des finances. - C'est sur le bénéfice net que vous prenez les 10 p. c. ; cela est clair pour tout le monde, il n'y a pas d'équivoque possible,

Le but franchement indiqué par l'honorable M. Julliot est celui-ci : nous prenons, comme je viens de le démontrer, 2,500,000 francs à la Banque Nationale. L'honorable M. Julliot dit : Prenons deux millions de plus. (Interruption.)

Prenons encore deux millions de plus, une couple de millions ! c'est le terme vulgaire, et c'est si simple ! Mais moi, je me suis demandé autre chose : je me suis demandé ce qui resterait à la Banque Nationale ?

- Un membre. - La reconnaissance du pays.

M. Malou, ministre des finances. - Mais non ! l'habitude belge n'est pas celle-là. On ne plaint pas ceux qui perdent, mais on critique beaucoup ceux qui gagnent.

Je vous demande pardon, messieurs, nous sommes dans une séance du soir.

Que restera-t-il à la Banque Nationale ? Elle ne peut pas porter à son actif des remerciements et des bénédictions éventuelles, purement éventuelles.

Mais supposons qu'elle ait un bénéfice comme en 1871. C'a été une année magnifique pour la Banque Nationale ; c'est la première fois qu'elle a réalisé un bénéfice aussi considérable.

Le projet lui prend 2 millions et demi ; on veut lui en prendre encore deux ; il restera à la Banque Nationale 1,500,000 francs, c'est-à-dire qu'en ce moment, en présence de tous les faits qui se sont accomplis, on dirait à la Banque Nationale : Les affaires ont réussi, versez encore deux millions et sur le capital nouveau que je vous invite à verser, vous aurez quoi ? Vous aurez 3 p. c.

M. Jottrand. - L'application de l'amendement de M. Julliot ne donnerait pas 2 millions.

M. Malou, ministre des finances. - Je ne puis pas tout dire à la fois ; ayez une toute petite dose de patience.

Je dis seulement que le postulatum de l'honorable M. Julliot est de prendre à la Banque, sur 6 millions, 4 millions et demi, et de lui laisser 1,500,000 francs, soit 3 p. c. Je ne crois pas que, dans les opérations de banque plus ou moins aléatoires, il y ait des capitaux très désireux de ces 3 p. c. ; je ne crois même pas qu'au point de vue de l'économie générale, ce soit une chose désirable de déprécier ici les valeurs et de n'avoir que la maigre pitance que l'honorable M. Julliot veut bien leur laisser.

Je demanderai à l'honorable membre quel est en réalité l'effet utile de son amendement.

Mais je dois d'abord faire remarquer ceci : l'honorable membre nous dit qu'il prendra sur 250 millions, mais je suppose qu'on arrive, à un (page 1024) moment donné, et pendant un mois par exemple, à 260 millions et qu'on tombe tout à coup au-dessous.

Je crois qu'il s'établira une moyenne ; sera-t-elle proportionnelle au temps ? Ou y aura-t-il un report du plus ou du moins ? L'honorable membre n'a pas éclairé ce mystère, et je demande qu’il veuille bien nous l'expliquer.

Il faut qu'il y ait nécessairement un décompte et des compensations pour établir quelle sera la part que l'Etat devra percevoir.

Je demanderai donc à l'honorable membre s'il persiste dans son amendement, et je souhaite qu'il ne le fasse pas ou qu'il veuille bien nous expliquer comment se fera ce décompte entre la Banque Nationale et l'Etat.

Messieurs, on a dit aussi qu'il s'agit du surplus à émettre ; je crois qu'il s'agit du surplus émis, parce que le surplus à émettre cela ne serait pas très clair. J'appelle l'attention de l'honorable membre sur ce point.

Il y a un deuxième amendement : l'Etat aura droit à la moitié des bénéfices au delà de 10 p c. Je voudrais savoir sur quoi portent ces 10 p. c. Est-ce sur le capital nominal ? Ou est-ce sur la valeur ? Chacun sait que les actions de la Banque Nationale sont à peu près à 3,000 francs ; je raisonne sur des chiffres ronds. Si vous me dites que c'est sur le capital, encore une fois vous me réduisez à la portion congrue de 3 p. c. sur des affaires purement aléatoires.

Et, messieurs, remarquez bien que lorsqu'on entre dans cette voie de ne pas tenir compte de la valeur réelle existante et de s'en rapporter à des faits qui ont déjà une origine bien éloignée, on lance dans la voie de l'arbitraire et de l'injustice.

Comment, de quel droit, lorsque tant de transactions se font tous les jours, lorsque aujourd'hui et depuis quelques années les actions de la Banque Nationale ont un cours moyen de 2,500 francs, - car il y a eu dans ces derniers temps un cours très anomal et très peu justifié, - lorsque tant de Belges ont acheté des actions de la Banque Nationale à 2,500 francs, de quel droit, par quel arbitraire viendriez-vous dire aujourd'hui : Ces actions je les réduis, je les diminue, je les déprécie et je leur enlève tout le bénéfice qui correspond à la situation que la prospérité de l'affaire elle-même a créée !

Je ne discute pas la question de droit absolu. Je l'ai dit à la séance de cette après-midi : vous avez le droit de supprimer la Banque, de lui retirer son privilège. Cela serait carré ; cela se comprendrait peut-être ; je ne dis pas que cela pourrait être justifié. Mais maintenant, lorsque vous entrez dans une autre voie, lorsque vous dites : Je veux maintenir les droits que j'ai créés, je veux reconnaître à ceux qui se sont associés à la fortune de cette institution le bénéfice des résultats qu'elle a obtenus, de quel droit viendriez-vous de cette manière bouleverser complètement toute la situation et stériliser des valeurs qui, en définitive, sont aussi légitimement acquises que d'autres ?

Mais je vais plus loin. Je comprends que l'Etat dise : Je veux une part des bénéfices de la Banque Nationale. Mais quelle part, à quel titre, dans quelle limite et d'après quel principe ? Voilà ce qu'il faut examiner. Il y a deux manières de prendre une part. On peut prendre une part d'associé ou on peut prendre une part bénéficiaire. Ainsi, je suppose qu'au lieu de dire : Je vous donne le quart de l'excédant au delà de 6 p. c, on dise : Je prends le bénéfice total de la Banque dans une année donnée et je vous en remets le 8ème, le 9ème, le 10ème, et on peut arriver à faire un chiffre parfaitement égal.

Eh bien, dans le cours des négociations il y a quelque chose d'analogue qui m'a été indiqué. On m'offrait même un léger avantage financier et je l'ai nettement repoussé. Comment ! j'admets parfaitement que l'Etat, à raison des avantages qu'il confère, dise à la Banque Nationale : J'accepte une part d'associé fiduciaire, mais je n'accepte pas pour l'Etat une part d'associé sans être associé.

M. Balisaux. - Vous le faisiez bien à Spa.

M. Malou, ministre des finances. - Je vous prie de croire que jamais de la vie comparaison n, fut moins raison que celle que vous faites ; vous parlez d'une banque de jeux, je parle d'une institution d'utilité publique qui n'est pas la banque de jeux de Spa ; ce sont des principes tout à fait différents.

Je disais donc que je comprenais que l'Etat voulût prendre une part bénéficiaire, mais non prendre une part d'associé sans fonds associés ; quoiqu'on m'offrît des avantages, j'ai dit : Dans son origine, cette part ne me paraît pas acceptable dans ces termes-là ; il faut que j'aie une raison et cette raison, c'est que j'aie, par les privilèges, par les droits que j'ai concédés, créé une valeur dont il est juste que je prenne une part ; mais si je n'ai pas versé de capital, je ne dois pas prendre une part d'associé.

On peut faire un prélèvement de deux manières : généralement nos impôts sont proportionnels ; ce que l'honorable M. Julliot veut introduire, c'est l'impôt progressif, à échelons, il dit : A un moment donné, je prends seulement une telle somme sur les premiers millions ; ce sont les plus faciles à gagner ; les derniers sont les plus difficiles ; à mesure que vous aurez plus de difficultés, je vous prendrai plus, je ferai l'impôt progressif, voilà tout. Quelle est la conséquence de ce système ?

Prenons comme point de départ le chiffre de 6 millions pour 1873 et supposons que successivement la Banque Nationale arrive à faire en plus un bénéfice de 4 millions, c'est-à-dire que son bilan de 1874 se solde par un bénéfice net de 7 millions.

Mettons en regard sur ce dernier million, le plus difficile à gagner, les deux systèmes, celui du projet de loi et celui de l'honorable M. Julliot.

D'après le projet, il y a un quart pour l'Etat, soit 250,000 francs, 15 p. c. à la réserve et 3 p. c. pour le tantième de l'administration, cela fait en tout 450,000 francs.

Il reste 570,000 francs, ce qui fait 11 fr. 40 c. par action.

Ainsi dans le système du projet, la Banque Nationale parvenant à gagner 7 millions, chaque action aura 11 fr. 40. Mais d'après le système de l'honorable M. Julliot, les choses ne se passent pas ainsi.

Supposons que pour gagner ce million en plus la Banque ait dû augmenter ses opérations de 50 millions de francs.

Il n'y a là rien d'exagéré.

J'applique le premier amendement de M. Julliot. Je dis : Vous avez 50 millions de plus ; vous me devez d'abord 250,000 francs. Vous me devez ensuite un demi pour cent, d'après le second amendement de l'honorable M. Julliot, car il a fort serré le frein, soit 500,000 fr. Cela fait 750,000 francs que M. Julliot propose de prélever sur un million de bénéfice.

Il faut alors 15 p. c. pour la réserve ; cela fait 150,000 francs et 30,000 francs pour le tantième d'administration, et sur le million gagné, il reste aux actionnaires 70,000 francs, c'est-à-dire que les 50,000 actions ont chacune 1 fr. 40 c. sur le million qu'on aura gagné.

J'ai marqué ici un mot, mais j'ose à peine le dire : je prends le tout et je vous laisse le reste.

Messieurs, je me demande si ce système, en le supposant équitable, serait même habile et je crois que non. Nous parlons beaucoup de monopole et de privilège. Mais si vous ôtez le stimulant de l'intérêt, si l'administration n'a pas, au point de vue de sa responsabilité vis-à-vis des actionnaires, et même de son tantième, quelque intérêt à faire prospérer l'institution, votre combinaison est mauvaise de tous points. Il faut au contraire laisser subsister ce stimulant, car en définitive c'est le sentiment de la propriété, c'est le sentiment du gain qui est la cause de toute l'activité de l'homme, c'est le mobile de tout travail.

Et vous irez dire qu'il faut qu'on travaille pour le roi... non pour le gouvernement belge !

Messieurs, s'il s'agissait ici de bénéfices qui n'ont aucune rémunération en dehors des intérêts mêmes qu'ils doivent desservir directement, je comprendrais cela à la rigueur ; mais que représente, en définitive, au point de vue général, ce million de bénéfice réalisé par la Banque ? Eh bien, messieurs, il représente une somme incalculable de services rendus à l'intérêt public.

Et, c'est en présence de ce fait-là, lorsque vous voulez que la Banque Nationale rende à l'intérêt public tous les services qu'elle peut rendre, que vous iriez lui dire : Je prends de toute manière tout ce que vous pouvez gagner au delà d'une certaine somme. Eh bien, non, cela n'est pas possible. J'appliquerai ici un vieux dicton flamand : Leven en laten leven : il faut vivre et laisser vivre.

Messieurs, je suis très convaincu, et c'est ma péroraison, à l'égard de mon honorable ami, M. Julliot, qu'il a fait ses amendements avec une excellente intention, mais qu'il n'en a pas calculé d'avance toutes les conséquences, et que devant ces conséquences lui-même reculera.

Je passe maintenant à un autre ordre d'amendements dont la tendance est la même, et dont les résultats ne me paraissent guère mieux défendables ; ce sont les amendements de l'honorable M. Balisaux.

L'honorable membre nous dit : Pourquoi ne pas souscrire pour l'Etat les 25,000 actions nouvelles, les mettre en souscription, verser au trésor public la différence et distribuer aux actionnaires la réserve de 17 millions ?

A ceci, messieurs, j'ai une première objection. L'honorable membre est préoccupé de la crainte que le capital de la Banque ne doive être augmenté, qu'il ne soit pas suffisant, Or, que fait l'honorable membre ?

Il ajoute au capital 25 millions que l'Etat doit verser ; il le diminue de 17 millions qu'on doit répartir aux actionnaires pour la réserve. Il résulte de là une augmentation de 8 millions en tout et pour tout.

(page 1025) M. Balisaux. - Le capital de la Banque est actuellement de 25 millions.

M. Malou, ministre des finances. - Le fonds social de la Banque Nationale se compose de 25 millions, plus 17 millions de réserve.

M. Balisaux. - En fonds publics.

M. Malou, ministre des finances. - Mais qu'importe ? Ils seraient en escompte, en argent, ils n'en existent pas moins.

Il y a 17 millions, et si vous les répartissez, ce sont 17 millions qui sont en moins dans les caisses de la Banque Nationale.

M. Demeur. - Le gouvernement propose l'augmentation du capital de la Banque, à concurrence de 25 millions, mais ce capital sera formé d'abord au moyen de 12 1/2 millions pris sur la réserve actuelle de la Banque.

M. Malou, ministre des finances. - Je dis donc que, d'après le raisonnement de l'honorable M. Balisaux, on augmente le capital de 8 millions, puisque l'Etat verse 25 millions et que les actionnaires reçoivent 17 millions, tandis que, d'après le projet, je l'augmente de 25 millions.

Maintenant je tire de là cette conséquence : puisqu'on parle d'augmenter le capital dans l'avenir, il serait beaucoup plus simple de ne pas commencer par le diminuer dans le présent.

Messieurs, on nous cite l'exemple du gouvernement des Pays-Bas. Mais, vraiment, je m'étonne que l'honorable membre, qui est banquier, ait cité cet exemple-là : la Banque des Pays-Bas avait un capital de quinze millions de florins, le gouvernement des Pays-Bas renouvelle son octroi pour vingt-cinq ans. Notez bien qu'on ne s'effraye pas en Hollande de ces vingt-cinq ans ; on croit que l'Etat vivra plus de vingt-cinq ans.

L'Etat dit : Je prends un seizième, je vous donne tous les avantages gratis, et je prends quoi ? Je prends pour un million d'actions.

J'ai fait prendre à Amsterdam des renseignements sur le cours des actions et sur le cours de réalisation de ces actions. A cette époque, les actions étaient à 180 p. c, et le gouvernement, au moment de la prorogation qu'il accordait, les a réalisées à 190, c'est-à-dire que le gouvernement a payé un million de florins ; mais, d'un autre côté, il devait, d'après la loi relative aux Pays-Bas, concourir pour sa part dans la formation de la réserve, qui était alors de 15 p. c.

Ainsi, le gouvernement des Pays-Bas a payé un million de florins ; il a reçu 1,900,000 florins et il a dû payer, outre le million de capital, 150,000 florins ; d'où il est résulté que sur cette opération financière le gouvernement des Pays-Bas a fait un bénéfice net de 750,000 florins, pour donner l'octroi de vingt-cinq ans dans les termes que je viens d'expliquer.

Capitalisons ce bénéfice une fois fait, à 4 p. c. Le gouvernement des Pays-Bas a pris un capital qui représente 30,000 florins de rente, soit 65,000 francs ; nous prenons, nous, pour la seule part du bénéfice au delà de 6 p. c, plus de 700,000 francs, et l'on vient nous citer très sérieusement l'exemple du gouvernement des Pays-Bas !

Ainsi, cet exemple qu'on invoque ne peut pas du tout servir de terme de comparaison, lorsque, en réalité, comme je l'ai établi tout à l'heure, nous demandons..., non, nous prenons -ce malheureux mot me vient toujours à la bouche, - nous prenons à la Banque Nationale 2 1/2 millions de rentes pour le trésor public, alors que le gouvernement des Pays-Bas s'est contenté de ce que je viens d'indiquer.

M. Balisaux. - Si le gouvernement des Pays-Bas avait pris 25,000 actions, il aurait réalisé 20 millions de florins de bénéfices, mais il n'a pris que ce qu'il pouvait prendre.

M. Malou, ministre des finances. - Avec des suppositions...

M. Balisaux. - C'est votre argument...

M. Malou, ministre des finances. - Je vous demande un million de pardons ; je n'ai jamais produit, à titre d'argument, une plaisanterie comme celle que vous venez de faire. (Interruption.) Vous dites qu'il faut faire en Belgique ce qui se fait en Hollande et je prouve qu'en Hollande on procède d'une manière tout à fait dissemblable. On me dit : S'il y avait eu pour 25 millions d'actions, voyez donc quel bénéfice l'Etat aurait fait ! Et on nous présente cela comme un argument ! Mais c'est tout au plus une interruption.

Que fait donc l'honorable membre ? Contrairement à tous les principes et à l'équité même, il me semble faire ici un énorme cumul des peines et des rigueurs ; il voudrait qu'on greffât sur le prélèvement à faire sur les bénéfices annuels, un prélèvement sur le capital, qu'on prît une part du capital ! Mais voyons un peu les conséquences de ce système-là.

On peut discuter très longuement sur la valeur intrinsèque d'une affaire, et qu'il me soit permis de citer encore ici une expression flamande très caractéristique : on dit : de staande waardeen de liggende waarde, c'est-à-dire la valeur morte et la valeur vivante.

Quelle est la valeur réelle des actions de la Banque Nationale ? C'est la valeur du revenu qu'elles produisent et c'est là ce qui règle la valeur de toutes les transactions ; je prends une usine, une fabrique ; je n'estime pas ce que valent les machines comme constructions à démolir ; j'examine quelle est la valeur vivante de la chose, la valeur productive.

Quelle est maintenant la valeur réelle des actions de la Banque Nationale et quel est le traitement que M. Balisaux leur ferait subir ? Je dis que les actions de la Banque Nationale valent à peu près 3,000 francs, elles se cotent, je ne dis pas qu'elles valent, je dis qu'elles se cotent à peu près 3,000 francs.

Les actionnaires ont à verser encore 600 francs d'après le contrat, et j'ai oublié cela tout à l'heure, mais je le dirai en passant, mon intention est bien d'exiger que le versement soit fait avant l'expiration du terme actuel et non point de différer le versement. Je réponds à l'honorable M. Demeur, à qui je devais cette réponse, que j'avais oubliée cette après-midi au milieu de la confusion générale. Et bien, messieurs, quelle sera maintenant la position de l'actionnaire actuel ? Je parle de celui qui vient d'acheter des actions de la Banque. Il paye l'action 3,000 francs. On lui rembourse pour la réserve - je calcule largement - 700 francs.

Il lui reste donc, pour le coût de l'action, 2,300 francs. L'honorable membre demande qu'on mette les actions nouvelles en souscription, - je n'ai pas bien démêlé ce point - à 1,500 ou 1,800 francs.

M. Balisaux. - Je n'ai fixé aucun prix.

M. Malou, ministre des finances. - Nous tombons dans l'adjudication d'une telle manière que je ne puis plus m'y reconnaître. Tout à l'heure c'était l'adjudication du privilège sur un intérêt fixe. Maintenant, il ne s'agit plus de dire : Je mets en souscription les actions d'après une valeur que j'estime. Mais je vais ouvrir un steeple-chase, une concurrence pour savoir qui me donnera la plus haute valeur des 25,000 actions qui devront être réalisées.

J'avoue que ce système, je ne l'avais pas encore aperçu.

Mais ce qu'il y a de plus clair, c'est que vous enlevez aux actionnaires une grande partie de la valeur de leurs titres. Ainsi je suppose l'émission faite à 1,500 ou 1,800 francs ; il est bien évident, puisqu'on a chiffré la valeur à 1,800 francs, que vous enlevez aux actionnaires actuels par la souscription que vous faites, toute la différence entre la valeur qu'ils ont payée et la valeur pour laquelle vous aurez donné les actions à des tiers, c'est-à-dire que vous infligerez, sans en profiter, si ce n'est pour une partie, une perte considérable, indue, illégitime, à ceux qui auront souscrit à la Banque Nationale.

Cela me paraît de toute évidence. En calculant à 1,500 francs, c'est une rafle de 20 millions au préjudice des actionnaires.

Voyons maintenant ce qui se passera pour les souscripteurs.

Lorsque le gouvernement des Pays-Bas a donné ses actions, elles étaient à 180 ; il les a données à 190 p. c. Maintenant elles sont à 2,980 florins, c'est-à-dire que la progression même a profité et a donné aux souscripteurs une prime égale, plus considérable même que la perte que vous auriez infligée aux actionnaires actuels, si les mêmes faits se produisaient en Belgique.

Il y a deux choses meilleures à faire, deux choses plus simples et plus loyales ; disons à la Banque Nationale : Nous voulons en finir avec vous, nous faisons une banque nouvelle, nous faisons un capital nouveau ; vous avez obtenu de bons résultats, nous ne vous avons rien promis au delà.

Une autre chose à faire, chose moins radicale, ce serait de souscrire, pour devenir associé, une partie du capital nouveau ; en d'autres termes, dans la situation telle qu'elle est donnée ici, c'est une participation à titre d'associé ; ce système peut se discuter, il peut être admis, on peut la trouver juste, nous pourrions même le pratiquer dans une mesure plus large que celle qui a été admise par les Pays-Bas : c'est de cumuler à la fois le prix des actions et le prix du bénéfice des actions.

Je ne dirai pas que vous en prendriez une partie à vous-mêmes puisque vous les réalisez ; si vous les gardiez, vous prendriez à vous-mêmes.

Je crois qu'ici, dans d'excellentes intentions, les honorables membres qui ont présenté ces amendements ont cru qu'il fallait prendre le plus possible à la Banque ; pour moi, je crois qu'il faut prendre ce qu'il est juste, équitable, moral de lui demander, dans la situation que nous lui connaissons.

Ceci ressemble un peu à un coup de bourse que l'on ferait au détriment des actionnaires actuels de la Banque Nationale, et je pense qu'il n'est pas convenable que l'Etat entre dans cette voie.

Je ne dirai que quelques mots, car l'heure s'avance, et j'ai parlé plus (page 1026) longtemps que je ne l'aurais désiré, je ne dirai que quelques mots de l'autre amendement ; nous disons qu'il faut abaisser la limite au delà de laquelle le gouvernement prend pour lui l'intérêt, nous disons qu'il faut l'abaisser de 5 à 6 p. c.

L'honorable membre propose 4 1/2. Je serais en droit de lui demander pourquoi 4 1/2, et il serait plus embarrassé que moi de répondre.

6 p. c. représentait l'intérêt commercial. 5 p. c. représente l'intérêt civil.

Mais 4 1/2 ne représente absolument rien du tout, et la raison de ce prélèvement n'est pas autre que celle qui a été indiquée déjà précédemment ; c'est qu'il faut créer pour la Banque Nationale un frein à des élévations de l'escompte qui ne seraient pas justifiées et il faut du même coup, - cé sont des idées connexes - mettre la Banque à l'abri des accusations erronées, passionnées quelquefois qu'elle encourt lorsqu'elle élève l'escompte, sans que ceux qui en souffrent en aperçoivent la raison.

Je crois que c'est assez faire que d'abaisser cette limite à 5 p. c. pour le moment.

Messieurs, je le dis en terminant, comme tout à l'heure, la loi de 1850 a produit de grands résultats. Ceux qui l'ont présentée et ceux qui l'ont votée peuvent s'honorer de cet acte qui a contribué considérablement au développement de la prospérité publique.

J'espère que la Chambre votera la prorogation pour un terme de 30 ans ; je voudrais qu'il me fût permis de donner rendez-vous à chacun de ceux qui se trouvent ici pour voter alors la deuxième prorogation de la Banque Nationale.

Plusieurs d'entre vous s'y trouveront. Moi, je n'ai plus l'espoir d'y être.

Je souhaite que pendant ces trente années la marche ascensionnelle de la prospérité publique continue d'être aussi rapide qu'elle l'a été pendant les quarante dernières années. Je l'espère ainsi. Ceux qui se trouveront alors sur ces bases se rappelleront avec bonheur le vote qu'ils auront émis en faveur de l'adoption de ce projet et peut-être voudront-ils bien se souvenir de nous qui n'y serons plus.

M. le président. - La parole est à M. Le Hardy de Beaulieu.

M. Le Hardy de Beaulieu. - M. le président, je suis prêt à parler, mais je ne puis pas promettre de finir aujourd'hui.

M. le président. - Vous pourriez au moins commencer ce soir.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je le ferais, messieurs, si je pouvais espérer raccourcir mon discours de demain, mais je crains fort de faire perdre du temps à la Chambre en ne prononçant pas mon discours d'une seule pièce.

- Voix nombreuses. - A demain !

- La séance est levée à 9 heures trois quarts.