(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 961) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Les sieurs Van Gheluwe, Berlant et autres membres de la société dite : de Roosebeeksche Kerels, demandent que la langue flamande soit en tout mise sur le même rang que la langue française. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Roulers demandent une loi réglant l'usage du flamand ou du français dans toutes les affaires judiciaires et devant les tribunaux. »
« Même demande d'habitants de Weestmeerbeek et de Malines. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'administration de la justice dans les parties flamandes du pays.
« Le sieur Voerman demande que, dans les provinces flamandes, le service sur le chemin de fer se fasse, si pas en flamand, du moins dans les deux langues, et que les trains partant de la station du Nord pour les parties flamandes du pays soient annoncés et indiqués en flamand. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
- « Des habitants de Cortenaeken demandent la préférence pour le tracé du chemin de fer de Tirlemont à Diest par la vallée de la Velpe et l'établissement d'une station à Cortenaeken.
« Les membres du conseil communal de Cortenaeken présentent des observations en faveur du même tracé. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lambert demande que la loi sur les pensions permette de compter : 1° pour cinq ans les services rendus par les combattants de la révolution qui ne sont ni blessés ni décorés de la croix de Fer ; 2° pour quatre ans le diplôme de docteur en sciences, et qu'elle admette aussi dans la liquidation de la pension les années de services de l'instituteur primaire salarié par la commune ou par le trésor public. »
M. Lelièvre. - Cette pétition a un caractère d'urgence, Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission, avec prière de faire un prompt rapport. Il importe qu'on statue dans le plus bref délai sur la demande du pétitionnaire.
- Adopté.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande que la loi du 22 décembre 1871, relative à la libre entrée provisoire des denrées alimentaires, soit prorogée jusqu'au 1er janvier 1873. »
-- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
Il est donné lecture d'un message par lequel le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi portant révision des titres du code de commerce, relatifs au Gage, et à la Commission.
- Pris pour information.
« M. Simonis, obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé. »
- Accordé.
M. Lelièvre. - Quoique M. le ministre de la justice ne soit pas présent, je crois devoir le prier, dans la personne de son collègue de l'intérieur, de vouloir, avant la fin de la présente session, prendre des mesures favorables à l'augmentation des émoluments des huissiers, dont la position est réellement intolérable.
Son prédécesseur, l'honorable M. Cornesse, était sur le point de faire droit à de justes réclamations, lorsqu'il est sorti du ministère. J'espère que M. le ministre, reconnaissant la justesse des considérations développées lors de la discussion de son budget, fera droit le plus tôt possible à des demandes parfaitement fondées. Je prie M. le ministre de l'intérieur d'être mon interprète près de son collègue afin que de justes réclamations soient satisfaites.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je prends la parole pour dire à M. Lelièvre que j'aurai soin de transmettre ses observations à mûri honorable collègue de la justice.
M. Vermeire (pour une motion d’ordre). - On a analysé tantôt une pétition de la chambre de commerce d'Anvers, par laquelle elle demande la prorogation de la loi sur la libre entrée des grains jusqu'au 51 décembre prochain.
Comme l'objet est très important, je prierai la commission permanente de l'industrie de faire un très prompt rapport sur cette pétition.
- Adopté.
M. Van Hoorde. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant sanction pénale pour l'obligation de loger et de nourrir les troupes en marche et en cantonnement.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué, et je propose de mettre l'objet qu'il concerne à l'ordre du jour à la suite des crédits aux finances.
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Messieurs, en vertu des ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi décrétant un échange d'immeubles entre le gouvernement et la ville d'Anvers.
- Il est donné acte à M. le ministre des travaux publics de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen d'une commission spéciale de cinq membres à nommer par le bureau.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - D'après les ordres du Rot, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le projet de loi ayant pour objet d'allouer un crédit de 100,000 francs à la ville de Bruxelles pour l'augmentation de la police locale.
- Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. Malou, ministre des finances. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de crédits spéciaux s'élevant ensemble à 8,872,000 francs.
(page 962) Ces crédits sont ouverts aux départements des travaux publics et de l'intérieur.
Ils ont pour objet, en ce qui concerne le département des travaux publics, la continuation de travaux commencés et, en ce qui concerne le département de l'intérieur (article 5), la construction et l'ameublement de maisons d'école.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. le président. - La parole est continuée à M. Boucquéau.
M. Boucquéau. - Messieurs, dans ce que j'ai eu l'honneur de vous dire jusqu'ici, je me suis attaché à vous démontrer que le plus grand avantage à retirer de l'institution d'une Banque Nationale ayant le privilège de l'émission, c'était d'abaisser et de régulariser le plus possible le cours de l'argent.
Je vous ai démontré que dans son organisation actuelle la Banque ne va pas nécessairement vers ce but, que son intérêt la porte en sens contraire, et que par conséquent il y a nécessité de modifier cette organisation.
Je vous ai démontré qu'à l'œuvre du législateur de 1850 il ne manquait qu'un organe bien simple, appelant à elle les capitaux du dehors d'autant plus puissamment qu'elle-même, par l'élévation de l'escompte, reconnaîtrait en avoir besoin, pour que, tout en établissant d'une manière incontestable la véritable valeur du loyer des capitaux, elle contribuât à abaisser ce loyer en attirant dans le mouvement des affaires et de la production tous les capitaux sans emploi.
Je vous ai dit que l'intérêt privé, qui seul a été entendu dans les négociations préalables du projet qui vous est soumis, eût dû être soigneusement écarté de l'examen des modifications dont le renouvellement du privilège pouvait être l'occasion ; que cet intérêt, très puissant, tendrait nécessairement à fausser la solution à son profit, s'il n'était écarté.
J'aurais dû, pour vous faire comprendre mieux cette nécessité de l'écarter, vous rappeler que la puissante compagnie des Messageries royales de France a réussi, pendant longtemps, à empêcher la propagation des chemins de fer en France.
Par conséquent, en supposant qu'on reconnût à la Banque un droit de préférence quelconque, on pouvait, déterminant d'abord l'importance de la somme à laquelle on évaluerait ce droit, lui en assurer l'avantage sur les autres soumissionnaires d'une adjudication par laquelle le privilège serait concédé.
Que cet avantage, quelle que fût la somme à laquelle on le fixât et le mode de le prélever, soit par une réduction de la part dans les bénéfices accordée au trésor, soit par une aggravation sur les conditions offertes en faveur du public par les autres soumissionnaires, étant déterminé, aucune considération n'eût pu s'opposer à ce que cette concession eût lieu suivant un cahier de charges qui assurerait l'exploitation de la manière la plus conforme à l'intérêt général, c'est-à-dire de manière que l'intérêt de la Banque la forçât de marcher toujours vers son véritable but, d'abaisser et de régulariser le plus possible l'intérêt de l'argent.
J'ai démontré que, malgré des réductions des avantages de la Banque, ces avantages seraient encore trop élevés, en l'absence de risques réels, d'après jl nouveau projet ; qu'on trouverait les preneurs, et en grand nombre, accordant à l'Etat la totalité des bénéfices au delà de 6 p. c, au lieu de 25 p. c. que lui accorde le projet ; de telle sorte que, pour pouvoir adjuger en conservant à l'exploitant un intérêt à une bonne gestion, par une quotité dans la part variable, le prélèvement fixe de 6 p. c. devrait être réduit.
Je vous ai démontré encore que si, adoptant le principe introduit par M. Frère en 1865, on voulait concéder le privilège à la compagnie qui réclamerait le moindre taux d'escompte à son profit, attribuant le surplus à l'Etat, on trouverait preneur certainement à 3 p. c, si pas à 2 1/2 ; qu'on ne pouvait nier qu'il y eût là un avantage considérable à recueillir, soit pour l'Etat, soit pour le public, et que nous serions inexcusables de sacrifier l'intérêt général à un intérêt privé.
Avant de terminer, m'écartant de cet ordre d'idées, je vous ai fait remarquer que l'emploi des fonds du trésor en valeurs étrangères, c'est-à-dire tirées de l'étranger sur l'étranger, ainsi que d'après le rapport de la section centrale, page 37, paragraphe premier, on devait s'y attendre, serait une chose monstrueuse, ce serait faire la disette dans le pays pour permettre à la Banque de placer ses ressources à plus cher compte.
Reprenant le cours de mes idées, j'avais donc fait remarquer, en dernier lieu, que si l'organisation de la Banque n'est pas modifiée par un nouvel organe qui la soumette à la loi de l'offre et de la demande, on ne pouvait tout au moins se dispenser d'abaisser, autant que possible, le taux d'intérêt au delà duquel le produit de l'escompte sera attribué à l'Etat, bien que ce moyen ne soit pas de nature à diriger toujours la Banque vers le but que lui assigne l'intérêt général.
En effet, si, d'après ce système, la Banque n'a plus intérêt à élever l'escompte au delà du taux qui lui est attribué, ce qui est un bien, elle a intérêt à le maintenir le plus près possible de ce taux, et en cela le moyen est imparfait, car le but de l'institution de la Banque est d'abaisser le plus possible le cours de l'argent ; et par conséquent même en dessous de 3 p. c. si cela se peut.
Or, sous ce rapport, on doit le reconnaître, le moyen cesse d'agir dans le sens voulu lorsqu'on est descendu au taux dont l'intégralité est attribuée à la Banque ; et c'est ici le cas de dire que le réescompte doit être la vraie solution, puisque, sous ce rapport comme sous tous les autres, il force la Banque à marcher constamment vers son but d'intérêt général, qui n'est autre, comme nous l'avons dit plusieurs fois et ne cesserons de le répéter, parce qu'on semble l'avoir perdu entièrement de vue, d'abaisser et de régulariser le plus possible le cours de l'argent.
Mais, messieurs, avant d'aller plus loin, je ne puis m'empêcher d'exprimer le regret profond que j'éprouve de voir au milieu de quelle indifférence se poursuit l'examen de la question la plus importante qui puisse nous être soumise. Je ne dis pas cela pour moi, qui ai obtenu plus d'attention que je ne pouvais en espérer, mais je le dis à cause du sujet qui comporte en soi la solution d'une foule de questions, que l'on considère à bon droit comme capitales. Ainsi, vous l'avouerai-je ? j'en suis venu à ne plus me préoccuper de l'instruction obligatoire, que je désire profondément, que je voterai, quelques dépenses qu'elle exige, mais dont le vote serait en quelque sorte inutile, car tout le monde s'instruirait, si la production, et l'aisance qui en résulte, pouvait s'accroître dans la proportion énorme qui serait la conséquence d'un bon régime financier.
Et, en effet, une certaine instruction est la nécessité d'une position aisée, tandis qu'une misère complète a pour conséquence un certain abrutissement. Vous seriez tout aussi surpris, au milieu d'un groupe de personnes ayant toutes les apparences de l'aisance, d'en trouver une ne sachant ni lire ni écrire, que d'en trouver une ayant une instruction quelque peu avancée dans un groupe présentant l'aspect d'une complète misère.
La question qui nous occupe est donc d'une portée immense, non seulement dans l'ordre des intérêts matériels, mais dans l'ordre des intérêts moraux.
Je ne saurais donc trop la signaler à l'attention de toute la Chambre, dont beaucoup de membres m'ont avoué être peu initiés à cette question.
C'est pour cela aussi que je me décide à intervertir l'ordre de ce qu'il me restait à vous dire, de vous indiquer immédiatement la conclusion à laquelle je me proposais d'arriver, espérant que la conséquence à résulter, selon moi, de la solution parfaite de la question qui nous est soumise, accroîtra l'attention dont elle a été l'objet jusqu'ici.
Je pense, messieurs, que ce que l'on peut raisonnablement appeler la solution de la question sociale consiste principalement à établir par de bonnes mesures le prix le plus bas possible pour la location des capitaux. N'est-il pas vrai de dire que toute la différence qui existe entre celui qui possède et le prolétaire consiste dans le prix que celui-ci doit payer pour se procurer le capital qui lui manque ? Et n'en résulte-t-il pas que le meilleur moyen de lui venir en aide et de mettre fin à ses plaintes, est de faire en sorte que tout capital puisse être mis en valeur, qu'aucune partie ne puisse en rester improductive ?
Lorsque, par une institution bien combinée, tout capital pourra se mettre dans la production, lorsque aucune parcelle n'en restera stérile, lorsqu'on saura où se trouve le grand affluent des capitaux, qui donc pourra encore se plaindre d'en manquer ? Si vous n'en obtenez pas, c'est que d'autres en sont plus dignes que vous, et vous ne devez par conséquent, vous en prendre qu'à vous-mêmes. J'ai déjà dit que le réescompte en offrant à tout capital, de si peu d'importance et pour si peu de temps que ce fût, un emploi lucratif, serait le moyen le plus puissant pour abaisser le cours des capitaux.
M. Frère, en me faisant l'honneur de m'interrompre samedi dernier, me fit observer qu'à Anvers on escomptait souvent en dessous du taux de la Banque, et je lui répondis que c'étaient là des cas particuliers et que ces placements ne se faisaient généralement que par suite de recherches. Cette objection m'avait été faite parfois et je ne m'y étais guère arrêté, sentant instinctivement en quelque sorte qu'elle ne prouve rien contre le principe. La retrouvant dans la bouche de l'honorable M. Frère, je me suis empressé, (page 963) comme bien vous pensez, de la prendre au sérieux, de l'examiner et si, comme je le crois, loin de militer contre le réescompte, elle en démontre la nécessité et la puissance, je serai fondé a croire que les objections sérieuses à m'opposer ne sont pas abondantes.
Quels sont donc les capitaux qui, à Anvers, escomptent en dessous du taux de la Banque ? Ne sont-ce pas des capitaux sans emploi et qui iraient tout droit au réescompte et abaisseraient le cours au grand profit de tous si le réescompte existait ? Evidemment, me semble-t-il. Et lorsqu'on sait que généralement les valeurs qui se négocient ainsi sont les plus fortes, nul doute que le réescompte n'attirât ces capitaux ; car, si bonnes que soient ces valeurs, elles ne valent certainement pas mieux que celles qui porteraient la signature de la Banque.
Sous tous les rapports donc l'objection de l'honorable M. Frère prouve en faveur du réescompte, à moins qu'il n'invoque l'intérêt de celui qui réussit à escompter en dessous du taux de la Banque.
Ainsi donc, messieurs, la puissance d'attraction de la Banque sur tous les capitaux, grands et petits, aurait pour conséquence certaine l'abaissement de l'intérêt de l'argent et, comme corollaire, l'abaissement du loyer de tous les capitaux en général. Je vais vous démontrer que, par cet afflux de capitaux venant de toutes parts, il se formerait un réservoir immense que les aspirations les plus puissantes ne pourraient affecter, et que, de la régularité du taux qui en résulterait, naîtrait tout naturellement l'entente entre le travail et le capital, entente qui n'a manqué jusqu'ici que par la faute du capital.
Ceci peut se faire comprendre en quelques mots.
Ayez besoin d'une escouade d'ouvriers pour un terme assez long, comme par exemple, de mécaniciens et chauffeurs pour le service d'un chemin de fer à l'étranger, vous les trouverez facilement ; moyennant une majoration de prix raisonnée, ils consentiront à s'engager pour plusieurs années.
Ayez au contraire besoin, pour plusieurs années, d'un capital de quelque importance, pour lequel vous deviez recourir aux banques. Je crois pouvoir dire qu'il n'y a guère en Belgique qu'un seul établissement où on puisse l'obtenir à l'intérêt commercial, augmenté d'une commission et contre garanties de toute solidité.
Et encore, est-ce grâce à un concours de circonstances tout spécial, que cet établissement doit de pouvoir faire ces sortes d'opérations.
Or, il est clair que l'on ne peut se baser sur cette exception ; en règle générale, il arrivera ce que j'ai tenu à constater par moi-même l'année dernière.
Etant allé à Londres pour affaires et ayant eu occasion d'y voir un sollicitor en rapport avec la haute finance, il m'apprit que l'argent y était très abondant et pouvait s'obtenir à très bon compte.
De retour ici, je lui écrivis pour lui demander à quelles conditions on pourrait obtenir un capital de 500,000 francs à un million, pour deux ans, contre garanties de tout repos. Veuillez remarquer que l'argent s'obtenait alors, à court terme, aux environs de 2 p. c. Il me fut répondu que pour six mois, avec simple engagement moral de renouvellement, le prêt pourrait se faire à 7 p. c, et que, pour traiter immédiatement pour deux ans, ferme, on demandait 12 p. c.
Comment veut-on que le travail puisse se développer avec une organisation financière qui justifie de telles exigences ?
Tout homme en position de l'apprécier reconnaîtra que telle est bien l'extrême difficulté de se procurer un capital et que, d'un autre côté, la possibilité de se procurer entrepreneur, pour un travail à long terme, existe bien comme nous l'indiquons ; que, par conséquent, s'il n'y a pas entente entre le travail et le capital, ce n'est pas le travail qui s'y refuse, mais le capital ; le travail est prêt à s'engager à des conditions raisonnées et justes ; le capital s'y refuse par la simple raison que la variabilité du marché ne lui permet pas de s'engager à long terme.
Tout cela faute d'un courant commun vers lequel se rendraient tous les capitaux disponibles, comme vers un fleuve immense se rendent une foule d'affluents ; parmi ces affluents quelques-uns peuvent tarir et d'autres s'accroître momentanément, le fleuve n'en continue pas moins son cours régulier, et la navigation peut s'y confier sans craindre que son niveau, par une baisse subite, ne l'expose à échouer sur des bas-fonds. Tel pourrait être le rôle de la Banque alimentée de toutes parts par le réescompte ; tandis qu'aujourd'hui, ne disposant que de ressources restreintes, elle présente l'image de ces cours d'eau profondément encaissés et isolés qui, sous des influences passagères, roulent tantôt impétueux et abondants et tantôt ne présentent qu'un cours aride et desséché.
Je le dis avec une conviction profonde, grâce au cours régulier de l'argent que produirait la mise en rapport de la Banque avec les capitaux du dehors, non seulement toutes les entreprises seraient facilitées, mais la puissance commerciale et industrielle du pays s'accroîtrait dans une proportion énorme.
Ainsi, en visitant, en 1869, les grands centres commerciaux et industriels de l'Angleterre et voyant ces magasins considérables de coton qui, malgré la position de Liverpool, qui semblerait devoir s'y opposer, forment le principal entrepôt de l'Europe continentale, je me disais : Voilà cependant ce que nous aurions très probablement à Anvers, si nous avions le réescompte.
Et, en effet, messieurs, il est certain que ce stock constant de coton à Liverpool tient non seulement au voisinage de Manchester, métropole manufacturière de l'Angleterre, mais à la puissance des capitaux dont disposent les négociants anglais, ce qui leur permet de profiter des frets avantageux qui peuvent leur être offerts d'Amérique, pour faire revenir des cargaisons de coton, alors qu'ils sont certains d'un bénéfice minimum de 3 ou 4 p. c, tandis que, dans notre organisation financière actuelle, le négociant anversois qui voudrait profiter d'une semblable occasion pour ramener une cargaison de coton à Anvers devrait généralement commencer par faire au capital, qu'il devrait demander au crédit, une part de 7 à 8 p. c, ce qui suffirait, le plus souvent, pour rendre l'opération impossible.
Tel est l'avantage que l'Angleterre doit à ses capitaux plus considérables ; mais de même que dix mille hommes parfaitement organisés et dirigés contiennent et maîtrisent une population d'un million d'âmes, de même nos capitaux, dont la puissance serait régularisée et centuplée par le réescompte, nous feraient parvenir à des résultats que les capitaux de l'Angleterre, dans leur fonctionnement actuel, ne pourraient peut-être atteindre.
Car, veuillez le remarquer, messieurs, ce que je viens de dire quant au transfert à Anvers d'une grande partie de l'entrepôt des cotons pour l'Europe continentale ne serait qu'une fraction minime des bienfaits d'un système financier bien établi.
Pourquoi donc beaucoup de financiers s'opposent-ils au réescompte, tandis que quelques-uns en sont partisans décidés ? C'est parce que le réescompte c'est l'unité de mesure, c'est la valeur réelle du capital portée à la connaissance de tous ; et de même que la plupart des marchands de grains se sont entendus pendant longtemps pour maintenir les mesures diverses auxquelles ils avaient, sur le public, l'avantage d'être familiarisés, de même beaucoup de financiers croient qu'il serait contraire à leur intérêt que le marché se régularisât en s'élargissant. Certains petits désavantages immédiats, comme par exemple la perte de certains dépôts à bon compte, les frappent, et ils ne voient pas les avantages qu'ils retireraient en compensation ; pour me servir encore de l'expression concise de M. Pirmez, ils voient le fait détruit, il ne voient pas le fait substitué.
Supposons qu'un cahier des charges étant dressé avec des conditions donnant toute sécurité et à l'Etat et au public, stipulant pour le service de l'Etat tout ce qui se trouve dans les contrats actuels, ajoutant, pour garantie de n'avoir que des soumissionnaires sérieux, l'obligation de fournir un cautionnement considérable, et réservant d'ailleurs, si on le veut, au gouvernement ou aux Chambres le droit d'écarter au préalable les soumissionnaires qui ne paraîtraient pas offrir les garanties suffisantes d'une bonne gestion ; supposons, dis-je, que, toutes ces conditions établies, la concession du privilège fût donnée au soumissionnaire qui offrirait de faire l'escompte et le réescompte avec le moindre écart : quel serait, croyez-vous, messieurs, le résultat probable d'une telle adjudication ?
Ce n'est pas, croyez-le bien, un écart de 1 p. c. entre le taux de l'escompte et celui du réescompte, comme je l'ai toujours supposé dans mes calculs, mais un écart inférieur qui serait établi. Mais, admettant pour simplifier l'idée, que cet écart de 1 p. c. soit fixé, examinons quelles seront les conséquences de ce nouvel organe ajouté au mécanisme de la Banque.
La première serait, comme nous l'avons indiqué déjà, de constituer par l'intermédiaire de la Banque un véritable marché des capitaux ; l'offre et la demande agiraient comme les deux plateaux d'une balance dont la Banque serait l'axe pour déterminer avec une précision et une autorité incontestables le véritable taux de l'argent.
On le reconnaît, un maximum légal est impossible, mais la détermination d'un taux normal est nécessaire, et tel serait l'effet du réescompte. Et en effet, si la Banque s'avisait de porter l'escompte à 6 p. c, lorsque d'après l'état général du marché il ne devrait être que 4, comme elle devrait réescompter à 5, des capitaux considérables viendraient s'offrir en échange du portefeuille, élever l'encaisse et forcer la Banque, pour utiliser les capitaux qui lui viendraient de toutes parts, à abaisser l'escompte et à le ramener à sa véritable valeur.
Une seule considération suffit pour se faire une idée de l'immense affluence que le réescompte déterminerait vers la Banque ; c'est qu'une (page 964) valeur achetée à la Banque et portant son endos, tout en constituant un emploi lucratif du capital, le laisse disponible ; car, nous l'avons vu, cette valeur, offrant même plus de garantie que le billet de banque, circulerait comme lui et le plus souvent pour son import total ; car, on le sait, dans les règlements d'affaires, le papier à courts jours et même jusqu'à un mois et six semaines s'accepte comme comptant et, qu'on veuille bien le remarquer, le plus souvent sans aucun préjudice pour le preneur ; de telle sorte que le réescompte établirait une seconde émission au profit des capitaux sans emploi qui afflueraient à la Banque, au grand avantage des affaires, et qui, tout en ne demandant qu'un bien faible escompte des valeurs à terme qu'ils achètent, pourraient donner néanmoins un produit considérable par l'acceptation ultérieure comme comptant, c'est-à-dire pour leur import total, des valeurs à terme contre lesquelles on les aurait échangés.
Ainsi donc, messieurs, grâce à cette affluence énorme de capitaux attirés par le réescompte ver la banque, le marché se réglerait de lui-même, et l'immensité du marché ainsi établi en assurerait la régularité et empêcherait ces variations fréquentes et considérables de l'escompte qui sont, comme nous l'avons vu, le plus grand obstacle à la création d'entreprises à long terme, que favorise un cours régulier de l'argent. La caisse de la Banque, mise ainsi en communication par le réescompte avec les capitaux du public, serait semblable à ces puits creusés dans d'immenses couches aquifères dont les plus fortes aspirations ne peuvent affecter le niveau, tandis qu'aujourd'hui, sans puissance d'attraction sur ces capitaux, elle ressemble à ces puits creusés dans des terrains compactes où l'eau ne circule qu'avec peine et dont le niveau s'abaisse dès que de nouveaux besoins se produisent.
On l'a dit, messieurs, grâce au perfectionnement des communications par les chemins de fer et la navigation, la famine est devenue presque impossible ; le réescompte, communication infaillible, empêcherait bien plus sûrement la famine financière puisque le capital métallique, contrairement aux récoltes, ne diminue pas ; il ne peut que se déplacer.
N'est-il pas évident que, grâce à la régularité du cours de l'argent, tout travailleur offrant des garanties trouverait bien plus facilement un capital, puisque alors l'objection tirée de l'incertitude du cours, incertitude en raison de laquelle on ne veut pas s'engager, disparaîtrait et que, ce cours étant pris pour base, le travailleur trouverait généralement prêteur moyennant une majoration d'intérêt, représentant les risques à courir, et la renonciation à la disponibilité du capital.
Messieurs, je vais, avant de terminer cet exposé bien imparfait, quoique trop long, le temps m'ayant manqué pour condenser mes observations, vous présenter réunies les quelques objections que le réescompte a soulevées de la part de la Banque de France et du commissaire général de l'enquête établie par le gouvernement français sur les principes et les faits généraux qui régissent la circulation monétaire et fiduciaire.
Voici les objections de la Banque :
« Par le réescompte on méconnaîtrait l'obligation morale où elle pense être, vis-à-vis des commerçants, de garder scrupuleusement dans son portefeuille le secret de leurs opérations ; d'un autre côté, le réescompte ne présenterait pas au public un attrait suffisant pour attirer une grande masse de capitaux, parce qu'il ne lui offrirait que des valeurs irrégulières dans leurs coupures et dans leurs échéances.
« En admettant que cet attrait dût agir sur les gros capitalistes et sur les banquiers, ceux-ci ne pourraient placer, sur le papier extrait du portefeuille de la Banque de France, que les capitaux qu'ils emploient actuellement à l'escompte direct.
« Le papier qu'ils auraient cessé d'escompter viendrait se présenter à la Banque de France, qui verrait son portefeuille-grossir dans la proportion dont elle l'aurait diminué. »
Que l'on examine ces objections et l'on verra qu'elles n'ont absolument rien de fondé.
J'ai déjà dit que le réescompte pourrait se faire indirectement au moyen de promesses faites par la Banque seule à la même échéance et de même import que ses effets, désormais affectés au remboursement de ses promesses.
Par ce moyen, les secrets du commerce ne seraient donc pas révélés et les scrupules de la Banque seraient apaisés.
Quant à cette raison invoquée pour prouver l'inefficacité du réescompte qu'il n'offrirait au public que des valeurs irrégulières dans leurs coupures et dans leurs échéances, c'est tout simplement un prétexte.
Est-ce que par le nombre d'effets qu'une banque a en portefeuille et leur import varié, et en raison de leur classement, il ne serait pas facile de satisfaire à toutes les demandes ? Est-ce que celui qui voudrait employer en réescompte une somme de 2,000 francs, dont il n'aurait besoin que dans deux mois, ne se contenterait pas, à la rigueur, de trouver le placement lucratif de 1,975 francs, pendant 58 jours ?
Et quant à cette allégation que ce seraient les gros capitalistes ou les banquiers intermédiaires entre le commerce et la Banque qui seuls iraient au réescompte, n'est-ce pas un véritable non-sens, puisque le profit de ces banquiers se composant de la différence de leur taux d'escompte avec celui de la Banque, il n'est pas admissible qu'intervertissant les rôles ils aillent placer leurs capitaux au taux du réescompte qui, comme nous le savons, serait inférieur d'une quotité fixe à celui de l'escompte ?
Réfléchissons-y et nous reconnaîtrons par nous-mêmes que le réescompte ne manquerait pas d'affluents.
N'est-il pas arrivé à chacun de nous d'avoir des fonds disponibles dont il aurait voulu tirer parti en attendant un placement définitif, et que parfois même pour ne pas continuer à en perdre l'intérêt, il les ait placés' en valeurs ne lui donnant pas une entière confiance ? Pourquoi, me dira-t-on, ne pas les placer en fonds publics, en 4 1/2 par exemple ?
Mais ces placements ont leurs inconvénients ; les fonds publics ont leurs fluctuations, auxquelles on ne veut pas s'exposer pour un intérêt de quelques semaines ou de quelques mois. Un placement sûr donnant un léger intérêt, mais ne présentant aucune chance de perte, et laissant de plus l'entière disponibilité du capital attirerait ces fonds, qui formeraient déjà un affluent énorme du réescompte. Du reste, le commissaire général de l'enquête s'est chargé, sans s'en apercevoir probablement, de réfuter l'objection de la Banque.
« Un déposant étranger, dit-il, voudrait que la Banque tînt constamment ouvert son guichet de l'escompte et un guichet du réescompte ; qu'elle devînt ainsi principalement l'intermédiaire entre l'offre et la demande des capitaux, réglant le taux de l'escompte par celui que le public lui-même assignerait au réescompte et tirant presque exclusivement ses bénéfices de la plus-value que la garantie de sa signature donnerait aux effets.
« Ce système rendrait l'émission presque inutile (si ce n'est comme, moyen de circulation). Mais il suppose que le public tiendrait toujours un milliard environ disponible, à un taux modéré, pour les besoins de la Banque de France et c'est une justification qu'il est difficile d'établir en fait. »
En disant que le réescompte rendrait l'émission presque inutile M. de Lavenay suppose qu'il attirerait beaucoup de capitaux et, par conséquent, il réfute la Banque de France ; mais quand il doute que le public tiendrait toujours un milliard disponible à un taux modéré pour les besoins du réescompte de la Banque, il se réfute lui-même, puisque alors l'émission, que je ne supprime pas, fonctionnerait.
Du reste, messieurs, il devient évident, pour peu qu'on y réfléchisse, que le réescompte, tout en exerçant toujours son influence bienfaisante, en réduisant le cours de l'argent, laisserait cependant la Banque toujours complètement maîtresse d'émettre la quantité de billets que comporte la circulation.
Ne voit-on pas en effet que, réduisant son escompte à un taux très bas, elle peut en arriver au point où le réescompte dont le taux, je le rappelle, sera encore plus bas, n'attirera plus les capitaux. Entre ce taux très bas qui n'attirera plus le réescompte, mais qui pourrait amener une émission trop forte, et un taux trop élevé qui aurait pour conséquence de faire enlever à la Banque tout son portefeuille et de restreindre son émission, se trouvera nécessairement le taux exact qui, en laissant jouer à l'émission son rôle bienfaisant, ne lui permettra d'agir que selon son véritable but, qui est de réduire l'intérêt des capitaux, par l'introduction dans la circulation d'un capital additionnel qui ne coûte rien, mais qui n'en fonctionne pas moins comme un capital réel.
Par le réescompte, le public serait, pour la Banque, ce que la Banque elle-même est vis-à-vis des banquiers intermédiaires qui lui passent leurs valeurs, afin de pouvoir multiplier leurs opérations ; si elle s'y refuse, c'est que, son émission ne lui coûtant rien, elle préfère l'accroître, au risque d'amener la hausse de l'escompte, que de céder, ainsi que le font les banquiers intermédiaires, une part quelconque du produit de l'escompte ; faisant ainsi, et par les capitaux réels que son émission rend inactifs et par la hausse de l'escompte qui en résulte, agir doublement son privilège contre celui de qui elle le tient.
Qu'on veuille bien le remarquer, par le moyen du réescompte, qui accroîtrait sa puissance, elle pourrait venir en aide à une foule de besoins auxquels elle se refuse actuellement, à ceux des agriculteurs, entrepreneurs, propriétaires fonciers, constructeurs, etc., la condition essentielle de son fonctionnement n'étant pas de n'accepter que des valeurs de telle ou telle provenance, mais de n'accepter que des valeurs à courte échéance.
(page 965) Comment peut-on refuser au public le droit de réescompter lorsque en définitive ce n’est qu’accorder aux détenteurs de capitaux vis-à-vis de la Banque un droit de préemption sur les valeur qu’elle a estimées trop bas, en en déduisant un trop fort escompte, et la forcer par cela même, au grand profit des demandeurs du comptant, à abaisser son escompte et à leur payer par conséquent un prix plus élevé des valeurs à terme qu’il lui cèdent ?
De ce que je viens de vous exposer, il résulte que le réescompte c'est :
La mise en valeur, tout en en conservant la disponibilité constante, de tout capital monétaire, de si peu d'importance et pour si court terme que ce soit ;
L'abaissement et la régularisation du cours de l'argent ; sa fixation, conformément à la règle de l'offre et de la demande, et, comme conséquence, la facilité de se procurer les capitaux pour les entreprises à long terme qui sont généralement les plus productives, faisant cesser ainsi une des exploitations les plus odieuses du travail par le capital ;
De faciliter dans une proportion énorme toutes les entreprises, par l'accroissement de ressources qu'une circulation incessante et bien établie mettrait à leur disposition.
Peut-être, messieurs, ce que j'ai cru devoir vous dire m'attirera-t-il de nombreux sarcasmes. Je n'en continuerai pas moins ardemment ma route, n'ayant pour guide que l'intérêt général.
J'ose croire toutefois que personne dans cette Chambre ne doutera de ma conviction profonde.
Je supplie plus particulièrement ceux d’entre vous qui sont peu initiés à ces questions, - et il en est beaucoup, d'après ce qu'ils m'ont dit eux-mêmes, - de réfléchir au vote qu'ils sont appelés à émettre ; les conséquences en sont incalculables.
S'ils craignent par un ajournement de compromettre le million que l'honorable M. Malou leur a fait espérer annuellement pour l'Etat, par le nouveau contrat, je ne crains pas de leur garantir qu'en ne concluant pas aujourd'hui, ils obtiendront beaucoup plus par la suite.
Mais ce n'est pas ici d'un misérable million qu'il s'agit, c'est la question sociale que vous avez à résoudre, lorsque vous êtes appelés à poser les bases de notre premier établissement de crédit ; car, comme je vous l'ai dit, la différence entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas se résume dans le prix de location, que ceux-ci doivent payer des capitaux qu'ils désirent obtenir. Que chacun de vous se le dise donc, messieurs : de son vote peut dépendre dans l'avenir, le sort du prolétaire, et s'il l'émet légèrement qu'il craigne, mieux éclairé un jour, d'entendre dans son cœur cette voix dont parle l'Ecriture : Qu'as-lu fait de ton frère ?
M. Balisaux. - Ainsi que la plupart des honorables orateurs qui se sont fait entendre jusqu'ici dans cette discussion, je n'ai pas l'intention de critiquer le principe d'unité adopté en Belgique et dans divers autres pays de l'Europe, en ce qui concerne les banques d'émission.
Je ne viens donc pas protester contre le renouvellement du privilège, je dirai même, en fait, du monopole de la Banque Nationale, en m'opposant à la prorogation du terme de son existence.
Cette question d'unité ou de pluralité des banques peut certes donner matière à de sérieuses controverses théoriques ; les principes les plus élémentaires de l'économie politique semblent même militer contre le principe d'unité adopté presque généralement en Europe ; mais, messieurs, ainsi que le dit l'exposé des motifs du projet de loi, nous nous trouvons en présence de vingt-deux années d'expérience, nous avons pu constater les résultats incontestablement avantageux de l’application, en Belgique, de ce principe d'unité et je ne crois pas que sans motifs plausibles, que je cherche en vain, il soit prudent, il soit sage de se livrer à des essais, qui pourraient apporter une grande perturbation dans nos affaires industrielles et commerciales.
Je ne prends donc la parole que pour apprécier consciencieusement, froidement et surtout pratiquement, la question qui est soumise à nos délibérations.
Je crois, sans trop de prétentions, avoir quelque expérience des affaires.
Je dis donc que je n'ai pris la parole que pour apprécier si les modifications que le gouvernement propose au régime actuellement en vigueur rémunèrent suffisamment le trésor public de l'immense privilège que la loi concède à une institution financière ; si ces modifications sauvegardent et protègent suffisamment les intérêts du commerce et de l'industrie du pays.
En effet, messieurs, nous ne devons pas nous cacher que les intérêts du commerce et de l’industrie sont malheureusement et fatalement, dans beaucoup de circonstances, en opposition directe avec les intérêts de la Banque même, comme société ayant des actionnaires qui attendent les meilleurs résultats possibles de ses opérations.
Mais, messieurs, pour être bref, clair et précis dans mes observations, procédons avec ordre dans l'examen des modifications qui nous sont proposées par le gouvernement, comparons-les à l'état actuel des choses, énumérons-les en les classant bien distinctement.
Cette énumération est sans doute inutile pour ceux de mes honorables collègues qui ont fait une étude sérieuse du projet de loi, mais il en est probablement d'autres qui ne se sont pas livrés à cette étude, qui désireraient peut-être connaître l'ensemble de ces modifications et les entendre apprécier successivement.
Les voici :
Par modification ou par dérogation aux lois du 5 mai 1850, sur l'institution de la Banque Nationale ; du 10 mai 1850, sur le service financier de l'Etat ; et du 10 septembre 1862, sur le timbre des billets au porteur de la Banque Nationale, le gouvernement nous propose de décréter des dispositions nouvelles que je résume comme suit :
1° L'existence de la Banque Nationale prenait fin le 31 décembre 1875 ; le projet de loi demande à la législature de proroger cette existence de trente années, à partir du 1er janvier 1875, c'est-à-dire de vingt-sept ans à partir du terme qui lui avait été fixé par la loi du 5 mai 1850.
2° Le capital de la Banque Nationale est aujourd'hui de 25 millions de francs ; le projet de loi propose de le doubler, de. le porter à 50 millions.
Dans l'exposé des motifs, l'honorable ministre des finances nous apprend que les 25,000 actions nouvelles, de mille francs chacune, destinées à former le nouveau capital de 25 millions, seront attribuées aux actionnaires actuels de la Banque, au prorata de leur intérêt social, mais au cours de 1,100 francs chacune.
Pour atteindre ce but, chaque action sera créditée le 1er janvier 1873, par le débit du fonds de réserve, qui, selon toutes probabilités, atteindra alors le chiffre de 17,500,000 francs, placés en fonds publics, d'une somme de 500 francs par action, soit, pour 25,000 actions, 12,500,000 francs. Le reste du versement à effectuer, soit 600 francs par action, sera payé à des termes à fixer, savoir : en 1873 et 1874, 500 francs par action, pour compléter le capital nominal et, enfin, en 1875, 100 francs, formant la prime, et qui seront portés à la réserve.
« Formant la prime », dit l'exposé des motifs. Singulière expression dans la bouche, ou plutôt sous la plume, d'un homme aussi sérieux, aussi financier, aussi capable et aussi pratique que l'honorable ministre des finances ! Mais n'anticipons pas, nous y reviendrons tantôt.
3° La loi de 1850 prescrit à la Banque Nationale de porter annuellement, au fonds de réserve, le tiers au moins des bénéfices excédant 6 p. c. d'intérêt du capital social ; le projet de loi réduit ce prélèvement pour la réserve à 15 p. c. de cet excédant des bénéfices.
4° En considération des avantages dont elle a doté l'institution de la Banque Nationale, la loi de 1850 a réservé au trésor public une part égale à 1/6 des bénéfices au delà de 6 p. c. du capital social ; le projet de loi porte cette part à 1/4 au lieu de 1/6, soit donc une majoration assez importante au profit du trésor public.
5° La loi de 1850 imposait à la Banque l'emploi de sa réserve en fonds publics, c'est-à-dire qu'elle distrayait ces capitaux réservés de la circulation, du mouvement des affaires ; le projet de loi rend cet emploi facultatif, c'est-à-dire, en fait, qu'il le supprime, car il serait contraire aux intérêts bien entendus de la Banque et du public, et il faudrait des circonstances tout à fait exceptionnelles, pour que l'administration de la Banque pût se résoudre à choisir cet emploi.
6° La loi du 5 mai 1865 dit que le bénéfice résultant, pour la Banque, de la différence entre l'intérêt légal qui était de 6 p. c. et le taux d'intérêt perçu par elle, est attribué au trésor public ; le projet de loi attribue au trésor public le montant de l'escompte perçu par la Banque au-dessus d'un intérêt de 5 p. c. ; soit donc un nouvel avantage pour le trésor.
7° Sous l'empire de la loi du 10 mai 1850, les fonds appartenant à l'Etat, dans les caisses de la Banque, ne produisent aucuns fruits, aucuns intérêts ; par une disposition nouvelle du projet de loi, les fonds disponibles du trésor excédant les besoins du service seraient placés par la Banque en valeurs commerciales et celle-ci serait garante des valeurs acquises pour le compte du trésor.
Les fonds disponibles du trésor public seraient donc dorénavant productifs d'un intérêt moyen de 3 1/2 p. c, car d'après le tableau annexé au rapport de la section centrale, c'est le taux moyen de l'escompte pendant vingt et un ans, et le placement serait fait sans risques pour l'Etat, puisque la Banque en prendrait directement la responsabilité.
(page 966) 8° Enfin, par dérogation à la loi du 10 septembre 1862, le projet de loi accorde à la Banque un abonnement annuel de 84,000 francs et pour le terme de dix ans, pour le droit de timbre de ses billets de banque.
Telles sont, messieurs, les modifications proposées par le gouvernement au régime de la loi du 5 mai 1850, sur l'institution de la Banque Nationale.
Je doit d'abord déclarer, en les appréciant dans leur ensemble, qu'elles constituent de sérieuses améliorations, tant au point de vue des intérêts du commerce et de l'industrie du pays, qu'au point de vue des intérêts du trésor public surtout, et je ne puis me dispenser d'en féliciter l'honorable ministre des finances.
Je dis : au point de vue des intérêts du trésor public surtout, non pas pour donner une plus grande force à mon approbation, car, si j'ai un regret à formuler, c'est de voir le gouvernement, en cette circonstance, beaucoup plus soucieux des intérêts du trésor que de ceux de notre commerce et de nos industries.
Pour simplifier le débat, j'écarterai les dispositions du projet de loi que j'approuve sans aucune restriction ni réserve, ma conscience et ma raison ayant été suffisamment satisfaites par les arguments de l'exposé des motifs et du rapport fait au nom de la section centrale, par l'honorable M. Pirmez.
Je ne présenterai, à leur sujet, que quelques observations et j'aborderai ensuite les points que je considère comme capitaux dans la discussion.
J'approuve donc :
1° Le prélèvement de 15 p. c. sur les bénéfices excédant 6 p. c. d'intérêt du capital social, pour former le fonds de réserve de la Banque.
Les opérations de la Banque étant faites sans risques sérieux, ses pertes presque nulles, ainsi que nous l'a clairement démontré le rapport de la section centrale ; 60 p. c. environ des valeurs de son portefeuille étant garanties par les administrateurs de ses comptoirs, cette retenue de 15 p. c. me paraît plus que suffisante.
Elle correspond aux retenues ayant le même but imposées ; par leurs statuts, à la majeure partie de nos sociétés anonymes.
Ce prélèvement, pour former un fonds de réserve, peut être modéré, dans les sociétés de banque surtout, où le capital, s'il est bien administré, doit toujours être certain, liquide et facilement réalisable, où il ne doit subir aucune dépréciation sensible du chef d'immobilisation, comme dans les sociétés industrielles.
Dans celles-ci, en effet, la majeure partie du capital est engagée dans des acquisitions de terrains, d'importantes constructions qui n'ont qu'une valeur industrielle et sont susceptibles, en peu d'années, de grandes dépréciations, par suite surtout des progrès rapides et constants que nous constatons dans toutes les branches d'industrie.
Le prélèvement pour former la réserve d'une société de banque peut même avoir un terme plus rapproché que celui fixé pour l'existence de la société. C'est ainsi que nous voyons, dans la plupart des statuts de ces sociétés, cette retenue, cesser quand le fonds de réserve a atteint le dixième du capital social.
2° J'approuve la modification proposée par le projet de loi, de porter au quart, au lieu du sixième, la part attribuée à l'Etat dans les bénéfices réalisés par la Banque au delà de 6 p. c. du capital social.
Je pourrais certes, messieurs, et peut-être avec une certaine raison, me montrer plus exigeant ; réclamer, comme l'a fait mon honorable collègue, M. Dansaert, et conformément à ce qui se fait en Prusse, la moitié de ces bénéfices ; ou même, comme mon honorable collègue, M. Boucquéau, tous ces bénéfices pour le trésor public ; mais je suis ennemi des mesures extrêmes.
Il s'agit, du rester ici, d'un contrat synallagmatique à intervenir entre l'Etat et la Banque ; il faut des concessions mutuelles et si je consens à en faire, c'est dans l'espoir d'en obtenir d'autres plus importantes à mes yeux ;
3° J'adopte la disposition du projet de loi qui rend facultatif, pour la Banque, l'emploi de sa réserve en fonds publics.
Cette disposition est non seulement utile aux intérêts de la Banque, mais encore aux intérêts du commerce et de l'industrie qui trouveront une nouvelle ressource dans un capital que la loi du 5 mai 1850 avait immobilisé.
4° Je ne puis qu'applaudir à la mesure proposée par le projet de loi de rendre productifs les fonds disponibles du trésor excédant les besoins du service, et ce, sous la responsabilité de la Banque ; mais je dois, à ce sujet, revenir sur quelques observations qui ont été faites par mes honorables collègues, MM, Demeur et Boucquéau ; c'est bien vague que de se borner à dire : « les fonds disponibles du trésor excédent les besoins du service. » L'honorable ministre des finances aurait bien dû nous faire connaître quelle est, approximativement dans son appréciation, la somme nécessaire pour les besoins du service financier de l'Etat, il est assez important que nous puissions apprécier l'importance de cette mesure, au point de vue de la ressource nouvelle qu'y va puiser le trésor public.
On nous a dit que la Société Générale, qui a un service financier aussi considérable que celui de l'Etat, ne conservait qu'un encaisse de 5 millions de francs, mais je dois faire remarquer que la Société Générale aussi un portefeuille de valeurs commerciales qu'elle peut réaliser, en toutes circonstances, à la Banque Nationale et puiser dans la caisse de cette dernière, quand des circonstances exceptionnelles l'exigent.
On ne peut donc prendre ce point de comparaison pour fixer l'encaisse de l'Etat.
Mais une phrase de l'exposé des motifs me permet d'apprécier quelle est, dans l'esprit de l'honorable ministre des finances, l'importance du capital qui pourra être considéré comme fonds disponibles.
L'honorable ministre dit qu'il est permis d'espérer que le produit annuel de l'application de cette mesure sera d'un million de francs.
En calculant l'intérêt moyen à 3 1/2 p. c, je puis logiquement et mathématiquement conclure que, l'encaisse moyen de l'Etat étant de50 millions, le fonds disponible sera de 30 millions et l'encaisse nécessaire aux besoins du service de 20 millions.
L'honorable ministre pourrait me dire si je me trompe. Si je suis dans le vrai, il me paraît que cet encaisse de 20 millions est quelque peu exagéré, mais je n'insiste pas, car l'Etat n'étant pas lié sur ce point envers la Banque, l'expérience instruira le gouvernement et je ne doute pas qu'en aucune circonstance l'intérêt du trésor public ne sera sacrifié au profit de la Banque.
La seconde observation que j'ai à présenter concerne le placement des fonds disponibles de l'Etat en valeurs commerciales. Sur ce point encore, je voudrais obtenir des explications claires et précises ; car il a une très grande importance à mes yeux. Quelles seront ces valeurs ?
L'exposé des motifs et le rapport de la section centrale disent que le placement en valeurs étrangères sera probablement la règle.
Si ce sont des valeurs de la Belgique sur l'étranger, j'approuve ; mais si ce sont des valeurs de l'étranger sur l'étranger, je proteste énergiquement.
C'est, en effet, messieurs, l'un des plus grands services que la Banque Nationale puisse rendre à l'industrie belge, que de mettre à la disposition de ses traites sur l'étranger les 30 millions constituant ordinairement les fonds disponibles du trésor public.
La Belgique, étant un pays éminemment industriel et producteur, exporte de ses produits pour des sommes considérables.
Dans l'arrondissement de Charleroi, les traites tirées par nos charbonniers sur la France, par nos verriers sur l'Angleterre et l'Allemagne, ont une telle importance que je ne pourrais les chiffrer que par millions.
Pourquoi le portefeuille spécial de l'Etat ne serait-il pas exclusivement composé de valeurs de même nature ? Pourquoi la Banque, d'accord avec l'Etat, ne favoriserait-elle pas l'industrie en la dispensant des frais et des risques de l'envoi de ces valeurs à l'étranger, pour en opérer l'encaissement ?
Mais, dira-t-on, le portefeuille de l'Etat ne doit contenir que des valeurs facilement et rapidement réalisables ; des besoins urgents et imprévus peuvent surgir, on doit pouvoir les négocier en Bourse, dans un bref délai.
Les traites dont je vous parle, messieurs, sont déjà l'objet de beaucoup d'opérations de ce genre et leur négociation deviendrait bien plus facile encore si elles étaient revêtues de l'endossement d'un établissement financier aussi sérieux, aussi solide que la Banque Nationale.
J'attendrai aussi, à ce sujet, les explications de l'honorable ministre des financés.
5° Par les considérations que j'ai fait valoir concernant la part attribuée à l'Etat dans les bénéfices de la Banque, j'approuve l'abonnement qui lui serait consenti, pendant dix ans, pour le droit de timbre de ses billets au porteur.
Les développements fournis à ce sujet dans le rapport de la section centrale me paraissent quelque peu rigoureux.
La circonstance que la Banque pourra se montrer, à l'avenir, moins parcimonieuse dans la mise en circulation de. billets de banque en bon état, ni maculés, ni usés, ni lacérés, et que, conséquemment, les falsifications deviendront plus difficiles, suffit pour me déterminer à accepter cette mesure, favorable à la Banque.
(page 967) J'aborde maintenant, messieurs, l'examen des trois autres dispositions du projet de loi qui me paraissent, à tous les points de vue, beaucoup plus importantes et que je ne pourrais me décider à accepter si elles n étaient sérieusement modifiées.
Mes honorables collègues, qui ont pris la parole jusqu'aujourd'hui dans cette discussion, se sont bornés à critiquer certaines dispositions du projet de loi, mais sans en proposer de nouvelles, pour remplacer celles qu'ils combattaient. Il ne suffit pas de démolir, il faut reconstruire.
Je proposerai donc des amendements au projet de loi, quitte à les abandonner, si la suite des débats modifie mon opinion ou si d'autres amendements, poursuivant le même but, me paraissent préférables aux miens.
Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, le projet de loi, dérogeant à la loi du 5 mai 1865, attribue au trésor public, le montant de l'escompte perçu par la Banque au-dessus d'un intérêt de 5 p. c.
L'exposé des motifs dit que cette disposition de la loi du 5 mai 1865 a en pour principal, sinon pour unique but, d'améliorer la position de la Banque, en cas de crise, en la dégageant de tout soupçon de la part de l'opinion publique qui, la voyant augmenter le taux de l'escompte, était disposée, à tort, à la croire animée d'un esprit de lucre.
Voici ce que nous dit l'honorable ministre :
« Mais le législateur n'a pas, en 1865, cherché à produire une recette ; il a voulu, comme il doit le vouloir aujourd'hui, créer un obstacle à l'élévation du taux de l'escompte, lorsqu'elle ne serait pas de stricte nécessité, ou plutôt, il a eu en vue d'améliorer la position de la Banque, en cas de crise, en la dégageant de tout soupçon de la part de l'opinion.
« Le commerce et l'industrie, lorsque des élévations subites ou considérables du taux de l'escompte viennent troubler leur combinaison ou arrêter leur activité, sont portés naturellement à croire que la Banque agit par un calcul intéressé, pour accroître ses bénéfices à leur détriment, alors qu'elle se montre prudente et réservée et subit l'empire de faits connus d'elle.
« Désintéresser la Banque dans les élévations de l'escompte, c'est l'affranchir de ces difficultés et lui rendre un très réel service. Elle-même l'a compris ainsi ; il a suffi, sans en faire une condition formelle, de lui faire remarquer combien est désirable l'abaissement de la limite fixée par la loi de 1865. »
Ce sont des paroles courtoises dans la bouche de l'honorable ministre des finances, à l'adresse de la Banque Nationale. Il y a dans son esprit trop de délicatesse pour s'exprimer autrement. L'honorable rapporteur de la section centrale a cru devoir l'imiter. Il dit :
« Mais ce n'est presque jamais sans soulever de vives réclamations que la Banque peut dépasser un certain taux. Les lois du crédit sont, comme toutes les autres, moins facilement admises précisément par ceux qui y sont soumis. En dégageant de plus en plus l'intérêt de la Banque des hausses d'escompte anormales, on favorise sa liberté d'action, on lui ôte la propension de se soustraire aux attaques en employant des moyens détournés, on donne une autorité morale aux mesures qu'elle prend et qui sont souvent un salutaire avertissement ; la nécessité du remède est mieux acceptée, quand il est constant qu'il n'est pas donné par celui qui en profite. »
Malgré cette courtoisie, qu'il me soit permis de croire que le but principal de cette loi a été surtout de mettre un frein à un désir immodéré de lucre et que le projet n'a encore pour but que de serrer davantage ce frein. Je vais me permettre de lui donner encore un léger coup de main.
Il n'y a que sept ans, messieurs, que cette loi de 1865 est en vigueur et, dès aujourd'hui déjà, le gouvernement et la Banque elle-même reconnaissent que le taux de 6 p. c. peut être réduit à 5, soit 1 p. c. de diminution.
Allons-nous aujourd'hui nous lier irrévocablement à ce taux de 5 p. c. pendant toute la durée de l'existence de la Banque, c'est-à-dire pendant trente ans ?
Ne serait-ce pas une grave imprudence que nous pourrions regretter amèrement plus tard ?
Pourquoi ce taux de 5 p. c. plutôt que celui de 4 1/2 ou de 4 ? Ce choix n'est-il dû qu'au hasard ?
Je veux ici encore me montrer modéré dans mes exigences : en proposant de fixer ce taux à 4 1/2 p. c, mais en réservant formellement la faculté de le réduire encore, dans l'avenir, quand les circonstances permettront équitablement cette mesure.
Voici donc l'amendement que je propose au projet de loi :
« L'article 2 du projet est remplacé par la disposition suivante :
« Art. 2. L'article 5 de la loi du 5 mai 1865 est abrogé.
« Le bénéfice résultant, pour la Banque Nationale, de la différence entre l'intérêt de 4 1/2 p. c. et le taux d'intérêt perçu par cette institution est attribué à l'Etat.
« Ce taux pourra être réduit par la loi, successivement, d'un demi pour cent, à l'expiration de chaque période, quinquennale, mais jusqu'au taux minimum de 3 1/2 p. c. seulement. »
J'ai adopté cette hase de 4 1/2 p. c. parce que, d'abord, je la trouve équitable, en harmonie avec l'intérêt que produisent la plupart des fonds publics de l'Etat belge ; parce que je trouve cet intérêt suffisamment rémunérateur pour la Banque, dont l'émission fiduciaire atteindra, dans peu d'années sans doute, le chiffre considérable de 300 millions de francs ; parce qu'enfin cette modique réduction n'atteindra que d'une manière presque insensible la moyenne de ses bénéfices.
En effet, messieurs, suivant le tableau annexé au rapport de la section centrale, la moyenne du taux de l'escompte, pendant vingt et une années, a été obtenue quand l'escompte n'atteignait 5 et 5 1/2 p. c. que pendant deux ans deux mois et cinquante et un jours seulement.
Si ce rabais amène une modique réduction dans la moyenne du taux d'escompte au profit de la Banque, elle pourra, comme je l'indiquerai tantôt, couvrir cette différence par une modération dans les grands avantages qu'elle attribue aux administrations de ses comptoirs.
Dans cinq ou dix ans, si la circulation fiduciaire de la Banque prenait les proportions que je prévois, si l'or et l'argent devenaient, comme je le prévois encore, mais dans un avenir plus éloigné, tellement abondants, que la moyenne de l'intérêt tomberait à 2 ou 2 1/2 p. c, mon amendement permettrait à la loi, sans le concours de la Banque, de faire profiter le trésor public de ce nouvel état de choses.
Le projet de loi nous propose, messieurs, de proroger l'existence de la Banque Nationale de trente années à partir du 1er janvier 1873, c'est-à-dire de 27 ans, à partir du terme qui lui a été fixé par la loi du 5 mai 1850. Les raisons données par l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, pour proroger à un aussi long terme l'existence et le privilège de la Banque Nationale, ne m'ont nullement convaincu.
Au contraire, les raisons longuement développées par plusieurs de mes honorables collègues, et sur lesquelles je crois inutile de revenir, m'ont fait acquérir la conviction profonde que cette durée est considérablement exagérée, dangereuse pour les intérêts généraux du pays.
Trente ans, messieurs, mais c'est la vie d'un homme ! Trente ans suffisent pour amener un bouleversement général dans toutes les idées et dans tous les faits politiques et économiques ! Il y a trente ans, les grandes industries n'étaient rien en Belgique, elles ont aujourd'hui une importance considérable.
Je ne vous proposerai néanmoins pas, messieurs, d'amendement à ce sujet, je laisserai ce soin à l'un ou l'autre des préopinants, mais je dois déclarer que je suis prêt à appuyer un amendement qui réduirait à un terme de vingt ans, par exemple, la durée de la prorogation d'existence de la Banque Nationale.
J'arrive enfin, messieurs, à la dernière disposition du projet de loi qui me reste à examiner, celle qui me paraît la plus importante, au point de vue des intérêts du trésor public :
L'augmentation du capital de la Banque et la souscription du nouveau capital.
Je passerai toutefois rapidement sur la question d'utilité de l'augmentation de ce capital, cette question ayant déjà été longuement débattue dans cette Chambre.
Je reconnais que si l'augmentation du capital de la Banque n'est ni nécessaire ni utile pour la garantie de ses opérations, puisque ses opérations sont sûres, ses pertes presque nulles, elle est utile pour augmenter la confiance du public dans cette institution, le public n'appréciant pas toujours sainement les choses ; elle est nécessaire pour satisfaire aux besoins de l'industrie et du commerce du pays, si l'émission fiduciaire doit garder avec l'encaisse métallique les mêmes proportions que celles imposées aujourd'hui.
Elle est d'autant plus nécessaire que, par la mesure dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir, 30 millions appartenant à l'Etat vont disparaître de l'encaisse métallique de la Banque, pour être placés en valeurs commerciales, et que son capital, ajouté aux 25 ou 30 millions de dépôts en comptes courants et les 20 millions espèces qui lui resteront des fonds de l'Etat, suffiront à peine pour maintenir statutairement sa circulation fiduciaire, qui atteignait déjà, il y a peu de temps, le chiffre de 214 millions.
M. Frère-Orban. - La Banque de France n'a pas un sou de son capital dans ses affaires. La Banque d'Angleterre n'a pas un penny de son capital dans ses affaires. Est-ce qu'il leur manque un encaisse métallique suffisant ?
M. Balisaux. - Je ne demande pas non plus que la Banque Nationale mette dans ses affaires son capital de 50 millions, non plus que (page 968) l'encaisse de l'Etat, non plus que les 30 millions qu'elle doit pour comptes courants.
M. Frère-Orban. - Le capital et l'encaisse sont deux choses entièrement distinctes.
M. Balisaux. - Je ne trouve rien de plus simple que ce que je vais vous dire :
Si la Banque a pour 300 millions de billets au porteur en circulation, elle est obligée d'avoir un encaisse métallique du tiers de cette émission, soit 100 millions. Où voulez-vous qu'elle les trouve, si ce n'est dans son capital, dans les fonds que l'Etat et les particuliers lui confient ? Où irez-vous les trouver ailleurs que là ?
Et c'est, messieurs, dans ces conditions que le rapport de la section centrale propose de ne verser que la moitié du nouveau capital de 25 millions ; c'est dans ces conditions que le projet de loi néglige de réserver au gouvernement le droit d'exiger l'augmentation du capital, si cette mesure est jugée utile ou nécessaire !
Pourquoi n'imitons-nous pas la prudence, la sagesse proverbiale de nos voisins du Nord, les Hollandais ?
Lorsqu'il s'est agi, il n'y a que quelques années, en 1863, je crois, d'organiser la Banque des Pays-Bas, le gouvernement hollandais s'est réservé le droit d'imposer à la Banque l'obligation d'augmenter son capital, si les circonstances en démontraient la nécessité ou l'utilité.
Voici donc, messieurs, un nouvel amendement que je vous propose :
« Ajouter au numéro 2° de l'article premier la disposition suivante :
« Pour autant que l'extension des opérations l'exige, et la direction de la Banque entendue, le gouvernement se réserve, en tout temps, la faculté d'ordonner l'augmentation dudit capital. »
J'arrive, messieurs, au dernier point.
Il y a peu de jours, lors de la discussion de l'amendement de l'honorable M. Lefebvre, au sujet de l'étude d'un projet du canal maritime entre Bruxelles, Louvain, Malines et l'Escaut, l'honorable ministre des finances paraissait terrifié de l'immense sacrifice que l'Etat devrait s'imposer, pour l'exécution de ce projet grandiose, destiné à répandre d'immenses bienfaits dans tout le pays.
Dix-huit millions ! exclamait-il.
Jeudi dernier, s'opposant à la demande d'ajournement de la présente discussion, il disait : Je suis pressé, parce que l'intérêt du trésor public l'exige. L'application d'une des mesures proposées par le projet de loi doit verser au trésor un million par an.
Je devais prendre la parole, mais je lui ai vu un tel désir d'avoir ce million que, malgré mon intention bien arrêtée d'intervenir dans le débat pour appuyer l'ajournement, j'ai reculé devant le déplaisir que j'allais lui causer et je me suis tu.
Je vais aujourd'hui lui apprendre une bonne nouvelle, je vais faire cadeau au trésor public d'une somme d'au moins 12,500,000 francs.
J'espère qu'il va se lever pour venir me remercier et me serrer cordialement la main.
Voici comment cette somme va entrer dans la caisse de l'Etat : A l'exemple de la loi hollandaise, je propose que l'augmentation du capital, soit 25,000,000 représentés par 25,000 actions de mille francs chacune, soient souscrites par l'Etat qui revendra ensuite publiquement, au plus offrant, ces 25,000 actions, car je ne voudrais pas que l'Etat restât actionnaire de la Banque Nationale, assistant à ses assemblées générales et y ayant cinq voix pour ses 25,000 actions, et je le voudrais moins encore, parce que l'Etat serait, lui, toujours responsable envers le public des augmentations du taux de l'escompte.
Voici maintenant le bénéfice certain qu'il retirerait de cette opération :
Les 25,000 actions actuellement émises de la Banque Nationale ont, aujourd'hui, une valeur réelle, valeur de liquidation, de 1,700 francs chacune, savoir : 1,000 francs en capital versé et 700 francs à titre du partage de la réserve, qui atteindra approximativement 17,500,000 francs, le 31 décembre prochain. Si la durée de la Banque Nationale n'était pas prorogée et que, conséquemment et en exécution de la loi du 5 mai 1850, elle continuât à fonctionner jusqu'au 31 décembre 1875, la réserve atteindrait alors le chiffre de 20 millions de francs et la part de chaque action, dans cette réserve, serait de 800 francs. C'est cette supposition que j'adopte comme étant la plus large et j'arrive ainsi à une valeur réelle, réalisable, par la liquidation qui suivrait l'expiration du terme, de 1,800 fr. par action.
C'est avec raison, messieurs, que je déclare faire largement mes calculs, car l'avoir qui forme le capital de 53,000,000 de francs comprend des immeubles et du matériel pour 3,500,000 francs, qui seraient réalisés bien difficilement sans une perte très sérieuse.
Eh bien, messieurs, ces actions, qui valent au maximum 1,800 francs, sont cotées à la Bourse 2,950 francs, soit donc une différence de 1,150 fr. entre la valeur réelle et la valeur de spéculation ; mais cette importante différence n'est, en réalité, que la représentation de la valeur du privilège, du monopole dont jouit la Banque Nationale en vertu de la loi. (Interruption.)
On interrompt, me suis-je trompé ? Peut-on me présenter un autre calcul ?
M. Frère-Orban. - Intrinsèquement, vous avez raison.
M. Balisaux. - Est-il vrai, d'autre part, que les actions sont cotées 2,950 francs à la Bourse ?
M. Frère-Orban. - Parfaitement.
M. Balisaux. - Eh bien, j'ai confiance qu'il y a d'autres hommes que des imbéciles à la Bourse ; il y a des gens qui réfléchissent, qui raisonnent, qui spéculent et qui achètent, quand même, à 2,950 francs une action de la Banque Nationale, parce qu'ils estiment que le privilège vaut 1,150 francs par action.
M. Frère-Orban. - Je reconnais, que ceux qui raisonneraient ainsi seraient des imbéciles, mais ils ne raisonnent pas de la sorte, ils capitalisent sur le pied de 5 p. c.
M. Balisaux. - Je relève une flagrante contradiction.
Tout à l'heure, quand l'honorable. M. Boucquéau disait que les actionnaires devraient être satisfaits d'avoir 6 p. c. de leur capital, on se récriait, on disait que c'était trop bas ; maintenant vous affirmez que l'on achète sur le pied de 5 p. c.
Remarquez, messieurs, que cette prime existe et persiste malgré l'incertitude sur la prorogation de la durée de la Banque Nationale. Nous discutons aujourd'hui, mais nous ne savons pas nous-mêmes quelle décision va sortir de nos délibérations.
Si nous prenions à l'instant une décision favorable au projet de loi, il est probable que demain cette prime s'élèverait à 1,400 ou 1,500 francs.
Mais laissons la où elle est, elle me suffit ainsi pour ma démonstration et admettons même, en restant de beaucoup en dessous de la réalité, que le doublement du capital réduira la prime de moitié, c'est-à-dire à la somme de 575 francs.
L'Etat, réalisant, avec 575 francs de prime par action, les 25,000 actions nouvelles qu'il aurait souscrites, trouverait, dans cette opération, un bénéfice net de 14,350,000 francs.
Je n'exagérais donc rien, messieurs, en affirmant que le projet de loi pouvait priver le trésor public d'une importante ressource que j'estimais à 12,500,000 francs.
Ce que je ne puis comprendre, c'est que le gouvernement n'ait pas trouvé de meilleure combinaison que celle d'attribuer ces 25,000 actions nouvelles aux anciens actionnaires de la Banque et au pair.
Mais je me trompe, il y a une prime de 100 francs par titre, c'est l'exposé des motifs qui nous le dit.
A qui est-elle due ? Elle est payée par l'actionnaire à l'actionnaire lui-même, puisqu'elle sera versée au fonds de réserve qui appartient à l'actionnaire. Ce n'est qu'un virement de poche.
M. Malou, ministre des finances. - Vous savez parfaitement qu'on appelle prime ce qui dépasse le pair.
M. Balisaux.- On appelle prime ce qui se paye au delà de la valeur nominale ou réelle d'une action.
M. Malou, ministre des finances. - Du tout. La prime est ce qui dépasse le pair. Vous savez cela aussi bien que moi. Ne jouons pas sur les mots, c'est inutile.
M. Balisaux. - Il est assez curieux de lire les développements que l'exposé des motifs donne à cette proposition et les prétendues raisons qu'il trouve pour favoriser ainsi les anciens actionnaires.
Voici ce qu'il dit :
« En renouvelant pour trente ans l'existence de la Banque Nationale, nous avons pensé qu'il fallait doubler le capital social pour le mettre en rapport avec les faits actuels. Ce doublement n'a rien d'excessif ou même d'exagéré ; il se réalisera sans léser aucun intérêt légitime. Comme de raison, les 25,000 actions à émettre seront offertes par préférence aux titulaires des 25,000 actions primitives : les plus grandes facilités seront assurées à tous, petits et grands actionnaires. »
« Ce capital existe en partie dès à présent dans les réserves de la Banque et c'est encore un fait dont il faut tenir compte. Le fonds de réserve est de plus de 16 millions ; il dépassera 17 millions, lorsque la deuxième période (page 969) sociale prendra cours. Ce capital additionnel ainsi constitué par des retenues sur les bénéfices appartient tout entier aux actionnaires, et devrait leur être réparti si la liquidation se faisait. Il est juste et loyal, dans la transformation qui s’opère et dont la conséquence sera une notable réduction du bénéfice par action, de capitaliser du moins en partie la réserve. Ainsi les actions nouvelles seront attribuées aux actionnaires de la Banque au cours de 1,100 francs. Chaque action sera créditée, le 1er janvier 1873, par le débit du fonds de réserve, d’une somme de 500 francs.
« Le surplus, soit 600 francs, devra être payé à des termes à fixer, savoir : en 1873 et 1874, 500 francs par action pour compléter le capital nominal : en 1875, cent francs formant la prime, et qui seront portés à la réserve. »
Où sont les raisons ? Je les cherche en vain.
Les actionnaires actuels de la Banque sont-ils donc à plaindre ? n'ont-ils pas été suffisamment favorisés pendant vingt-deux ans ? Cette faveur doit-elle être perpétuelle ? Voyons les avantages qu'ils ont retirés de leurs actions :
Ils ont d'abord, pendant 22 ans, touché une moyenne d'environ 14 p. c. d'intérêt de leur capital et ce capital est resté entier, il est certain, il est liquide ; ils pourront en outre se partager, le 31 décembre prochain, en répartissant le fonds de réserve, une somme de 700 francs par action, de sorte que leur capital se sera accru par la réserve de près des trois quarts.
Ils conserveront leurs actions avec un nouveau privilège pendant 20 ou 30 ans et les actions feront une prime, immédiatement réalisable, d'au moins 575 francs par action, ainsi que je l'ai démontré tout à l'heure.
Quels risques ont-ils courus ? Aucuns ; quels risques pouvaient-ils courir ? Aucuns ; la majeure partie des opérations de la Banque étant garantie par les administrateurs des comptoirs.
M. Pirmez, rapporteur. - Mais que ferez-vous de la réserve ?
M. Balisaux. - Je l'ai dit. Je la diviserai et la partagerai entre tous les anciens actionnaires.
Faut-il croire, messieurs, aux affirmations de l'honorable rapporteur de la section centrale, quand il dit dans son rapport :
« Longtemps les actions de la Banque Nationale n'ont inspiré qu'une médiocre confiance. Parmi les hommes les plus expérimentés du pays, beaucoup ne leur voyaient pas d'avenir. »
Voyons, messieurs, soyons sérieux ! En 1850, il y avait comme aujourd'hui des hommes capables et expérimentés, il y en avait surtout dans les conseils d'administration de la Société Générale et de la Banque de Belgique. L'honorable ministre des finances s'en souviendra peut-être.
Eh bien, ces hommes expérimentés et capables se disputaient les actions de la Banque Nationale.
M. Frère-Orban. - Du tout ! Cela n'est pas exact.
M. Balisaux. - Je ne dis pas que ces messieurs se disputaient, ils étaient trop polis pour cela... (Interruption.) Mais ils réclamaient avec instance des actions de la Banque Nationale, ils ont obtenu la majeure partie de ces actions pour leurs sociétés et ils y attachaient un tel prix qu'en échange de ces actions, la Société Générale et la Banque de Belgique renoncèrent à leur privilège d'émettre des billets de banque.
Voici donc, messieurs, un nouvel amendement que je propose au projet de loi :
« Ajouter au n° 2° de l'article premier la disposition suivante. :
« Les versements nécessaires pour porter le capital social de la Banque à cinquante millions de francs se feront par l'Etat, qui recevra, en compensation, vingt-cinq mille actions semblables à celles des autres actionnaires.
« Les actions ainsi acquises par l'Etat seront aliénées publiquement au mieux des intérêts du trésor public. »
Ainsi se réalisera, messieurs, le cadeau que j'ai promis au trésor.
M. Malou, ministre des finances. - Je ne comprends pas cette opération.
M. Jottrand. - Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
M. Balisaux. - Je terminerai, messieurs, par quelques considérations qui n'ont pas directement trait au projet de loi, qui touchent plutôt à l'organisation intérieure de la Banque, mais qui intéressent néanmoins le commerce et l'industrie du pays.
Je veux parler des comptoirs de la Banque.
Je disais tantôt que la Banque pourrait trouver un moyen de compenser la modique réduction de ses bénéfices, résultant de l'adoption de ma proposition de fixer à 4 1/2 p. c. le maximum du produit de l'escompte qui lui serait attribué,
Vous savez tous, messieurs, comment sont organisés les comptoirs d'escompte de la Banque Nationale, en province, et qui sont, je crois, au nombre de trente.
Un agent de la Banque dirige ce comptoir et un nombre indéterminé d'administrateurs, choisis parmi les hommes les plus expérimentés dans les affaires, les plus favorisés de la fortune, acceptent à l'escompte, sauf ratification du conseil de la Banque, les valeurs qui sont présentées à ce comptoir.
Je dis parmi les hommes les plus expérimentés en affaires, ce devrait être la règle, mais on s'en écarte quelquefois par des considérations d'amitié, de cousinage, qui ne peuvent pourtant que nuire à la bonne marche des opérations.
Mais enfin, dès qu'ils y sont, ils sont censés connaître les affaires et pouvoir apprécier l'importance du crédit que méritent tous les commerçants et tous les industriels de leur circonscription. Ces administrateurs sont garants, envers la Banque, du payement ou du remboursement de toutes les valeurs dont ils ont fait l'escompte, et la Banque leur attribue un quart du produit net de cet escompte. Ainsi, si l'escompte est à 4 p. c, ils reçoivent 1 p. c. qu'ils se partagent.
Savez-vous, messieurs, ce que cela coûte au commerce et à l'industrie du pays, car, en réalité, ce sont eux qui payent ? La somme de 1,500,000 fr. par an.
J'ai le tableau sous les yeux et j'appelle votre attention sur deux comptoirs, celui de Verviers qui, l'année dernière, a touché 163,000 francs et celui de La Louvière. qui a touché 157,000 francs.
Je ne connais pas assez Verviers pour en parler, mais je me demande comment le comptoir de La Louvière, un village du centre, fait plus que le double des affaires du comptoir de Charleroi.
Je ne puis me l'expliquer que par cette circonstance que les comptoirs se feraient la concurrence et, si mon appréciation est juste, que certains d'entre eux offriraient et payeraient des primes à des banquiers, industriels ou négociants étrangers à leurs circonscriptions. C'est un danger, messieurs, que je tiens à signaler, car, d'une part, le papier qu'ils escomptent doit leur être peu connu ; ensuite, parce que leur responsabilité envers la Banque doit prendre de telles proportions qu'elle devient illusoire.
J'estime, en effet, qu'un tantième de 150,000 à 160,000 francs alloué à un comptoir correspond à une responsabilité moyenne et permanente de 14 à 15 millions.
Le conseil d'administration de la Banque, comptant davantage sur sa surveillance personnelle, pourrait, en réduisant de 50 p. c. le ducroire des administrateurs des comptoirs, réduire, dans les mêmes proportions, le tantième qui leur est alloué.
Elle trouverait ainsi la compensation que je lui ai annoncée, et le commerce et l'industrie pourraient profiter du reste.
Une dernière observation.
Je prie l'honorable ministre des finances d'user de sa légitime influence auprès du conseil d'administration de la Banque, pour que, dorénavant, aucun banquier ne soit plus admis à faire partie des comptoirs d'escompte.
M. Frère-Orban. - Cela ne se fait pas.
M. Balisaux. - Je vous en citerais beaucoup.
M. Frère-Orban. - On n'en a pas nommé dans ces dernières années.
M. Balisaux. - Il est bien entendu, messieurs, que je n'entends nullement protester contre les positions acquises et que j'aurais même le plus vif regret que mes paroles pussent nuire aux banquiers qui font aujourd'hui partie des comptoirs.
Il est, je crois, inutile de chercher à vous démontrer les inconvénients de la présence de banquiers dans les administrations des comptoirs, vous les comprenez assez ; mais j'ajouterai que je classe parmi les banquiers les administrateurs et les commissaires des sociétés de banque anonymes, ainsi que les membres des comités de surveillance des sociétés de banque en commandite.
M. le président. - Les amendements de M. Balisaux sont appuyés. Ils font partie de la discussion.
M. Malou, ministre des finances. - Je proposerai à la Chambre de continuer cette séance ce soir.
Il est évident, d'après les proportions qu'a prises la discussion, et elle est très intéressante, qu'il importe d'en hâter la continuation.
Je proposerai donc que la Chambre se réunisse ce soir à 8 heures.
M. Dansaert. - Je demande à 1a Chambre de ne pas accepter la proposition que vient de faire M. le ministre des finances.
(page 970) Il me paraît impossible que les membres qui s'occupent de cette question siègent deux fois par jour et travaillent encore chez eux.
MfM.—On a pu étudier la question depuis trois mois.
M. Dansaert. - Je vous demande pardon ; nous n'avons jamais pu croire que la question viendrait avant la fin de la session,
M. Malou, ministre des finances. - Oh !
M. Dansaert. - Je vous l'affirme sur l'honneur.
- Un membre. - Il n'y a pas d'urgence.
M. Malou, ministre des finances. - Il serait entendu qu'il n'y aurait pas de vote dans les séances du soir.
M. Pirmez. - Je crois que mon tour de parole est arrivé ; j'en ai pour assez longtemps. Si la Chambre le désire, je commencerai mon discours ce soir.
- Un membre. - Demain.
M. Malou, ministre des finances. - Je demande que l'on vote sur ma proposition.
M. Demeur. - Je propose que les séances du soir ne commencent qu'à partir de demain.
M. Malou, ministre des finances. - Je ne vois pas pourquoi on ne permettrait pas que le rapporteur de la section centrale commence son discours ce soir. Qui cela peut-il gêner ? Ceux qui ne pourront pas assister à la séance pourront lire cette partie dans les Annales.
M. Demeur. - Quand la liront-ils ?
M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. le ministre des finances.
- Des voix. - L'appel nominal !
M. Malou, ministre des finances. -Il va être procédé à l'appel nominal sur la proposition de M. le ministre des finances, qui consiste à se réunir à 8 heures.
63 membres prennent part au vote.
50 disent oui.
13 disent non.
En conséquence, la proposition est adoptée.
Ont dit oui ;
MM, Crombez, Cruyt, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d’Harlebeke, de Muelenaere, de Smet, de Theux, Drion, Drubbel, Frère-Orban, Funck, Hayez, Jacobs, Jamar, Janssens, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Magherman, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Pety de Thozée, Pirmez, Sainctelette, Snoy, Tack, Thienpont, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire. Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Bara et Thibaut.
Ont dit non :
MM. Couvreur, Dansaert, David, Defuisseaux, Demeur, de Naeyer, Descamps, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Rogier, Verwilghen, Balisaux et Boucquéau.
M. Demeur. - Je prie M. le ministre des finances de bien vouloir déposer sur le bureau de la Chambre la liste nominative des administrateurs des comptoirs de la Banque Nationale, avec indication de leurs professions.
M. Malou, ministre des finances. - Je n'ai pas cette liste ; mais je crois qu'elle est imprimée dans l’Almanach du commerce. Je déposerai un volume de cet Almanach, si je n'ai pas le temps de faire copier cette liste avant la séance de demain. Mais je la ferai, en tous cas, copier ou compléter aussitôt que possible.
M. Jottrand. - Il n'y a plus qu'une vieille édition de l’Almanach du commerce. La nouvelle édition n'a pas encore paru.
- La séance est suspendue à 4 heures trois quarts.
La séance est reprise à 8 heures du soir.
(page 973) M. Pirmez, rapporteur. -Messieurs, si l'on pouvait faire choix des opinions que l'on veut soutenir d'après l'agrément ou la popularité qu'elles procurent, je ne prendrais pas le rôle de défendre l'organisation de notre crédit, de montrer qu'elle réalise une très grande somme de bien et que s'il est des faits contre lesquels elle ne peut rien, c'est qu'ils sont le résultat de lois économiques inflexibles.
On se fait volontiers un idéal par lequel on voudrait voir le monde régi ; ceux qui le déclarent irréalisable passent, chez beaucoup, pour n'avoir pas à un assez haut degré des aspirations vers le bien, pour accepter les inconvénients avec indifférence, sinon avec une coupable complaisance.
Il est bien plus avantageux de proclamer que l'on peut atteindre à tout ce que nos désirs peuvent indiquer, et d'accuser les institutions et les hommes de ce qu'on doit subir. On sait toujours peu de gré du bien qu'une institution produit ; il est oublié dès qu'il existe, on trouve étrange qu'on le rappelle, on suppose qu'il est venu si naturellement que rien ne pourrait plus l'enlever ; on ne s'attache qu'à ce qui manque, rien ne semble avoir été fait, si tous les désirs ne sont pas accomplis, et eussent-ils pour objet la plus impossible des chimères ou dussent-ils compromettre ce qui est acquis qu'il y a encore profit de s'en faire l'organe.
Mes honorables collègues, MM. Dansaert et Boucquéau, ont droit a tous les bénéfices d'une semblable situation.
M. Dansaert a déclaré bien haut que le travail national a le droit de compter sur des services réguliers et permanents, sur des moyens financiers suffisants ; que les actionnaires de la Banque sont obligés d'y pourvoir par leurs propres efforts ; et par une juste conséquence de ces principes, il exige l'abolition des crises.
M. Boucquéau a été plus loin encore. Il nous rappelle cette métaphore célèbre de Turgot qui, comparant le taux de l'intérêt au niveau des eaux, montre de nouveaux champs conquis à mesure qu'il s'abaisse ; il le fait pour en donner une version considérablement augmentée. Raisonnant comme si cette figure était un fait, il y ajoute qu'à peine de n'avoir obtenu qu'un résultat trompeur, il ne faut pas que ce qui a été un jour mis à nu soit jamais recouvert par un relèvement du niveau, et il arrive ainsi à conclure qu'on doit non seulement abaisser le taux de l'escompte, mais encore atteindre ce résultat qu'une fois ce taux abaissé, il reste sans fluctuations à son point le plus bas.
Ce que nous avons entendu, c'est, quant au capital, la répétition des théories qui ont fait tant de bruit, il y a quelque vingt ans, sur le travail. On proclame aujourd'hui le droit au capital comme on proclamait alors le droit au travail. Quelles déceptions nous avons vues alors dans la mise en pratique de ces séduisantes mais chimériques théories ! Elles se reproduiraient si on tentait de les renouveler.
Si les honorables membres sont d'accord dans l'étendue de leurs idées, ils diffèrent profondément dans l'indication des moyens qui doivent les réaliser.
M. Dansaert ne nous indique rien, absolument rien ; seulement il se plaint de ce que les chambres de commerce n'aient pas été consultées. Si elles l'avaient été, nous sortirions de l'obscurité dans laquelle il nous croit plongés, et il ne doute pas que nous aurions les moyens d'assurer toujours des ressources suffisantes et permanentes à l'industrie et au commerce et de prononcer le bannissement perpétuel des crises.
Messieurs, il me paraît que, parmi toutes les illusions de l'honorable membre, celle-ci n'est pas la moindre. Si l'on avait pris l'avis officiel des chambres de commerce, elles auraient certes déclaré que c'est un immense avantage d'avoir des fonds à bon marché, d'éviter les brusques variations de l'escompte et de proscrire à jamais les crises. Qui conteste ces points ? Personne, assurément. Mais quels moyens nous eussent-elles apportés ?
Dans une matière qui a fait l'objet des études les plus approfondies dans tous les pays, sur laquelle on a écrit des centaines de volumes qui constitueraient, comme on le disait jadis pour le droit romain, la charge de nombreux chameaux, croyez-vous que les chambres de commerce eussent apporté des idées constituant des moyens efficaces et nouveaux ? Croyez-vous qu'un système neuf et rationnel fût éclos de leurs délibérations, et que ce que n'ont pas trouvé les économistes d'Angleterre, d'Allemagne ou de France, se fût, subitement et à point, rencontré dans les rapports des chambres de commerce ?
Certes, je n'adresserai pas à l'honorable M. Boucquéau le reproche d'être resté dans le vague. S'il indique le but, il sait la voie qui y conduit sûrement ; il l'expose longuement : c'est le réescompte.
Comme si le réescompte était ses premières amours, il y revient toujours ; sa conviction est inébranlable : il est bien le tenax propositi vir. Si la force de la volonté suffisait à faire prévaloir son système, il n'y a nul doute que sa louable et courageuse persévérance ne parvînt à le faire triompher.
Je pense que cette idée ne répond pas aux intentions de l'honorable membre, et qu'une discussion très simple en démontrera les vices. Sans aucun scrupule, je me propose de la mettre en pièces. Je suis très convaincu, pour continuer la citation que je faisais tantôt, que l'honorable membre n'en sera pas le moins du monde ému ou ébranlé : impavidum ferient ruinae.
Messieurs, des discours qui ont été prononcés, celui qui m'a le plus étonné, c'est celui de M. Demeur. Je m'attendais à voir l'honorable membre vouloir innover profondément, se lancer même dans quelque théorie aventureuse. Je pensais avoir à résister à des entraînements vers ce qu'il supposerait être dans les destinées de l'avenir, et que j'aurais pu considérer comme imprudents.
Mais, à mon grand étonnement, l'honorable membre a pris un chemin tout à fait opposé ; ce qui domine chez lui, c'est la crainte, la terreur des inconvénients et des catastrophes du crédit. Si nous l'écoutions, nous ne marcherions pas en avant dans la voie du développement du crédit, nous ne resterions pas où nous en sommes, nous retournerions vers le système des banques primitives et nous retrancherions les progrès qui ont été réalisés dans les derniers temps.
MM de Lhoneux et Balisaux ont traité des points spéciaux, sans émettre de principes généraux.
Je me propose d'examiner les idées émises par les quatre orateurs que je viens de citer, en tâchant de les rencontrer dans un ordre qui permette d'éclairer ces questions.
Il faut d'abord bien circonscrire le débat, se rendre un compte exact du terrain sur lequel nous nous trouvons.
Nous avons incontestablement à traiter une question qui intéresse au plus haut point la rjches.se publique. Mais il ne faut pas nous faire d'illusion ; nous ne pouvons arbitrairement la soumettre à nos lois ; elle est soumise à des lois d'un ordre supérieur, aux lois économiques contre lesquelles les nôtres viendront se briser, si elles les heurtent.
La richesse publique se compte par milliards ; les sommes qui vont nous occuper n'en forment qu'une faible partie. Nous n'avons à intervenir que d'une manière limitée sur ce qui constitue la production de la richesse publique ; c'est l'activité individuelle qui, agissant dans la plénitude de sa liberté, est l'agent suprême de cette production.
Mais, par la nature de l'organisation sociale, la nation dispose de certains moyens placés à côté des forces privées, bien qu'obéissant aux mêmes lois économiques. Notre rôle se borne à tirer le plus grand et le meilleur parti des moyens qui sont ainsi au pouvoir de l'Etat.
Quels sont ces moyens ?
D'abord l’encaisse de l'Etat, ensuite les ressources qui deviennent disponibles par l'organisation des moyens fiduciaires qui remplacent la monnaie métallique.
Si je limite ainsi le débat, ce n'est pas pour en méconnaître l'importance ; je proclame, au contraire, bien haut que si nous savons appliquer convenablement les ressources de l'encaisse du trésor, que si nous savons organiser de la manière la plus parfaite la circulation fiduciaire, nous aurons réalisé un immense progrès. Nous aurons fourni au travail de nouveaux (page 974) capitaux, et, par une conséquence nécessaire, nous aurons, au grand profit de la prospérité publique, rendu meilleures les conditions du travail en abaissant le loyer des capitaux.
Ainsi, pour procéder logiquement, il faut partir des moyens dont nous disposons, et chercher à en tirer tout ce qu'ils peuvent donner. Les conséquences avantageuses doivent en découler, on ne les décrète pas.
Nous aurions d'abord à rechercher à qui il faut confier l'emploi de ces moyens. Mais l'accord sur ce point est fait ; on reconnaît unanimement qu'il faut les remettre à un grand établissement financier.
L'institution en est faite ; la Banque Nationale fonctionne, son existence est acceptée.
Ce point admis, à l'avantage du débat, nous n'avons qu'à examiner dans quelles conditions devra fonctionner cet établissement.
Mais ici l'aspect est double ; nous pouvons considérer ses opérations sous deux points de vue distincts.
Le premier est le côté économique : Par quelles mesures obtiendrons-nous les meilleurs résultats pour la richesse publique, pour le commerce et l'industrie qui en sont les agents ?
Le second est le côté financier : Comment faut-il déterminer les obligations de. la Banque envers l'Etat ; quelles sommes la Banque doit-elle payer à l'Etat pour le rémunérer des capitaux qui lui sont confiés ?
J'examinerai la question sous les deux aspects, mais je tiens à établir dès l'abord qu'ils sont complètement séparés, que ce que l'on décidera d'un côté ne peut avoir aucune influence sur ce qui sera décidé de l'autre.
Ainsi, l'emploi des capitaux, l'organisation de la circulation, le taux de l'escompte, tout cela est absolument indépendant des sommes que la Banque peut avoir à payer à l'Etat ; que la Banque paye peu ou beaucoup à l'Etat, c'est là une question qui intéresse le trésor public et les actionnaires de la Banque, mais qui est absolument sans influence sur la remise des capitaux au public, sur la facilité à les obtenir, sur le prix qui en sera payé. Il est évident que les capitaux dont la Banque dispose ne seront ni plus ou moins abondants, ni payés plus ou moins cher, selon que la Banque aura à payer une somme plus ou moins forte à l'Etat. Les capitaux dont la Banque dispose sont par elle livrés au public dans des conditions que déterminent les lois économiques générales, sur lesquelles est nécessairement sans action le contrat privé qui intervient entre l'Etat et la Banque.
Cela posé, j'examine, au point de vue économique, quelles doivent être l'organisation de la Banque et les règles de ses opérations et quels en seront les résultats.
La Banque Nationale, comme toutes les banques possibles, fonctionne au moyen de deux espèces de fonds : les ressources qui lui appartiennent en propre, c'est-à-dire son capital, et les ressources qui lui sont fournies par des tiers, l'Etat ou les particuliers, soit par des dépôts en compte courant, soit contre l'émission de ses billets.
Il y a entre l'emploi de ces deux espèces de fonds une grande différence : le capital est assuré en sa possession ; il ne peut lui être enlevé ; les fonds versés entre ses mains par des tiers peuvent toujours lui être retirés.
Si la Banque n'opérait qu'avec son capital, elle ne courrait aucun risque d'être jamais gênée, mais elle ne serait pas, à proprement parler, une banque ; elle placerait ses propres fonds comme le ferait un propriétaire.
Ses opérations seraient très sûres, leur résultat serait entièrement nul au point de vue économique. On serait dans la même situation que si les actionnaires, au lieu de remettre à la Banque leurs capitaux pour qu'elle les place, en avaient eux-mêmes effectué lé placement.
Faut-il en conclure que le capital n'a aucune raison d'être ?
Non, messieurs, et on m'a prêté à cet égard des idées que je n'ai jamais eues. M. Boucquéau a supposé que je voulais qu'il fût nul.
Sans doute, le capital ne joue aucun rôle économique ; mais il importe, avant tout, qu'un établissement financier ait une personnalité commerciale telle, que sa solvabilité soit absolument indiscutable ; or dans les sociétés anonymes, comme la Banque Nationale, à la différence des sociétés dans lesquelles les associés sont personnellement responsables, le capital forme seul cette personnalité commerciale.
Il faut donc que le capital de la Banque soit non seulement suffisant pour assurer ses engagements, pour garantir de toute part, mais encore assez important pour que la solidité de l'institution soit éclatante, qu'elle domine tout soupçon 'en inspirant une confiance absolue.
Tel est l'objet, mais le seul objet du capital de la Banque.
Passons aux autres ressources que peut avoir la Banque.
La première est celle qui résulte de l'émission des billets. Il est clair que si la Banque met en circulation du papier au lieu d'argent, elle se créera des fonds nouveaux.
Ainsi, si la Banque émet trois billets de mille francs, qu'on accepte en lui remettant une valeur de trois mille francs, elle dispose de trois mille francs qu'elle ne possédait pas. Si de ces trois mille francs, elle en conserve mille comme encaisse, il est clair qu'elle pourra mettre dans les affaires deux mille francs qui n'y existaient pas.
Les trois billets de mille francs auront remplacé dans la circulation trois mille francs de numéraire qui seront devenus disponibles et après qu'elle en aura retenu mille francs dans sa caisse, il restera encore deux mille francs dont s'accroîtra le capital actif de la nation.
Ici, nous n'avons plus un simple placement fait pour un tiers, comme quand il s'agit du capital de la Banque relativement à ses actionnaires ; nous avons une valeur réelle, la monnaie métallique qui, remplacée avantageusement dans la circulation par un simple morceau de papier, peut être appliquée à d'autres usages et vient ainsi créer une ressource toute nouvelle.
Quelle est la condition essentielle de cette émission fiduciaire ? C'est d'être d'une absolue sécurité ; c'est que le porteur du billet ait toujours la certitude de le convertir, dès qu'il le voudra, en numéraire.
Or, pour cela deux choses sont nécessaires.
Il faut d'abord que la Banque conserve dans ses caisses un capital métallique suffisant pour répondre aux premières demandes de remboursement, à tout ce que l'on peut supposer pouvoir être réclamé avant qu'elle ait retiré ses capitaux engagés.
Il faut ensuite que le surplus des valeurs résultant de l'émission soit placé de telle manière que la réalisation en soit sûre et possible dans un temps rapproché.
La Banque ne se borne pas à émettre des billets. Il y a un autre système de circulation fiduciaire qui tend de jour en jour à prendre plus de développement : c'est le système des dépôts en comptes courants qui permettent aux déposants de faire des payements par des virements, des chèques, des accréditifs.
On comprend très bien que si l'on dépose les capitaux dans les caisses de la Banque, de manière à faire jouer à ces modes de payement le rôle de monnaie, on aura diminué la quantité de celle-ci, qui est nécessaire à la circulation, et la Banque pourra disposer d'une partie des capitaux qui lui ont été confiés en en conservant dans ses caisses la partie nécessaire pour satisfaire aux retraits immédiats. On aura ainsi augmenté encore la circulation des capitaux dont le public peut disposer. La-Banque aura rendu un service analogue à ceux que l'on obtient par l'emploi des billets de banque. Le résultat sera le même, quant à l'accroissement du capital disponible, il sera supérieur quant aux facilités de certains payements.
Il est important de remarquer que la Banque ne détermine en aucune manière la quantité des billets en circulation. C'est le public qui règle l'étendue de la circulation fiduciaire, aussi bien que le montant des comptes courants. M. Dansaert a commis, à ce sujet, une erreur évidente. Il a cru devoir nous mettre en garde contre l'augmentation de cette circulation, qu'il trouve déjà trop forte. La Banque ne l'augmente ni ne la diminue ; elle obéit exactement à ce qu'on lui demande.
La Banque ne peut placer plus de billets qu'on ne veut en recevoir ; si elle en émettait trop, on lui en demanderait le remboursement ; elle ne peut en placer moins, car elle a intérêt à les émettre et il serait souverainement déraisonnable qu'elle en refusât, quand l'intérêt de celui qui en réclamé est d'accord avec le sien.
Ainsi, la quantité des billets en circulation est égale aux besoins de la circulation. Elle ne peut pas être supérieure, comme elle ne peut pas être moindre.
Vous remarquerez encore, messieurs, et ce point est extrêmement important dans ce débat, que si la circulation ou les dépôts augmentent ou diminuent, les ressources de la Banque augmentent ou diminuent également.
Les ressources de la Banque suivent exactement la progression de la circulation et des comptes courants.
Par une suite nécessaire, l'importance des capitaux qu'elle peut confier au public par l'escompte, qui est sa principale opération, dépend du chiffre de son émission et de ses comptes courants, et comme ceux-ci sont, comme nous venons de le voir, déterminés par le public, il en résulte que la somme des capitaux dont elle peut disposer dépend, non de sa volonté, mais de celle du public.
Plus on lui accordera de capitaux par l'émission et les comptes courants, plus elle pourra en donner ; elle peut restituer tout ce qu'on lui remet sous (page 975) la déduction de ce qu'elle doit conserver comme encaisse. Tout ce qu'elle retient à cet effet est une diminution, une perte pour la production ; mais l'encaisse est la condition essentielle du maintien de la sécurité des billets. Il faut donc en faire le sacrifice dans les limites de ce qui est nécessaire, sans aller au delà. Il faut qu'elle soit suffisante sans être excessive ; dépasser le point vrai dans un sens ou dans un autre, c'est courir un danger ou accepter une perte.
Cette question de l'encaisse est une des questions qui jettent le plus de trouble et de confusion dans les esprits.
L'honorable M. Balisaux nous disait tantôt que le capital de banque ou les fonds du trésor sont nécessaires à la Banque pour former son encaisse. Or, si votre capital n'est pas assez élevé, nous dit-il, si vous employez les fonds que le trésor vous confie, en valeurs étrangères, comme le propose le projet, vous n'aurez plus le moyen de constituer l'encaisse, vous manquerez de numéraire, et, manquant de numéraire, votre circulation devra, à peine d'être compromise, être restreinte.
Il y a là évidemment une erreur : il n'y a rien de commun entre le capital de la Banque et le compte courant du trésor, d'une part, et l'encaisse de la Banque, d'autre part. Ce sont là choses absolument distinctes, qui ne se tiennent pas, qui ne se lient pas.
Mon honorable ami, M. Frère, interrompant mon honorable collègue de Charleroi, lui a déjà donné une réponse péremptoire par l'indication d'un fait : la Banque d'Angleterre et la Banque de France ont leur capital tout entier engagé en obligations de l'Etat ; elles ont cependant une encaisse ; donc le capital ne concourt pas nécessairement à la constitution de l'encaisse. J'ajouterai qu'à certaines époques, l'Etat, au lieu d'être créancier de ces banques, était leur débiteur, de sorte qu'elles n'avaient ni leur capital, ni le dépôt du trésor en numéraire, ce qui ne les empêchait cependant pas d'avoir une encaisse métallique suffisante.
M. Balisaux. - Elles ont des dépôts considérables. Il faut compter aussi sur les 30 millions déposés ici en comptes courants.
M. Jamar. - C'est une confusion complète d'idées.
M. Pirmez, rapporteur. - Evidemment, c'est une confusion d'idées ; et vous allez voir à l'évidence que ni les fonds de l'Etat ni les capitaux étrangers ne sont nécessaires à l'encaisse de la Banque.
On raisonne absolument comme si l'on supposait que la Banque distribue ses billets gratuitement.
Mais si la Banque émet trois billets de mille francs c'est qu'on lui donne 3,000 francs en valeurs quelconques. Si ces 3,000 francs sont du numéraire, tout est dit ; si ce sont d'autres valeurs, elle touchera le numéraire à leur échéance ou avant si elle veut les aliéner. Mais si le public veut accepter des billets, c'est parce qu'il les préfère au numéraire ; le fait de l'émission prouve donc qu'on peut avoir du numéraire.
L'émission, au lieu de fournir un tiers, fournirait les trois tiers de son montant, si on le voulait. Qu'il s'agisse des actions de la Banque, des billets ou du crédit résultant d'un dépôt, la situation est la même. La Banque aura du numéraire également par ces trois modes de lui verser des valeurs.
L'honorable M. Balisaux, m'interrompant, me disait tout à l'heure que l'encaisse venait des dépôts des particuliers à défaut de celui de l'Etat.
N'est-il pas évident que la remise du reçu du versement en compte courant ou la remise des billets sont deux opérations identiques pour la Banque ?
Je suppose que j'aie à ma disposition 6,000 francs. Je vais à la Banque, je prends pour 3,000 francs de billets de banque, et je verse 3,000 francs en compte courant.
L'opération n'cst-elle pas la même pour moi et pour la Banque ? Dans les deux cas, elle doit conserver le tiers comme encaisse et j'ai le même droit d'exigibilité.
Pourquoi l'un serait-il productif d'encaisse plutôt que l'autre ?
La chose est donc très simple : il s'agit de ne pas l'embrouiller, de ne pas confondre deux choses distinctes et surtout de ne pas chercher des difficultés là où il n'y en a réellement pas.
J'examine maintenant, messieurs, quel sera le résultat des opérations financières que je viens d'indiquer sur le loyer des capitaux qui se traduit par le taux de l'escompte.
Nous sommes ici sous l'empire absolu des lois économiques. Le prix de l'escompte se réglera, comme pour toutes les autres choses, par la loi de l'offre et de la demande : rien n'est plus simple.
S'il y a une grande demande de fonds, c'est-à-dire, si l'on vient demander à la Banque d'escompter une très grande quantité d'effets, le taux de l'escompte augmentera comme, lorsqu'on demande beaucoup de fer, de blé, de charbon, ces marchandises augmentent de prix. La Banque, en raison de la demande, se verra dans la situation de tout négociant : sa marchandise à elle, c'est le capital qu'elle livre sous forme d'avance des échéances ; si on lui en demande davantage, le prix, qui est l'escompte, en sera plus élevé.
Si par contre la demande est faible, il y aura abaissement de ce prix.
Mais ce n'est pas là, messieurs, le seul terme de la question : il y en a un autre, c'est l'offre, c'est-à-dire le chiffre des capitaux disponibles et spécialement celui des ressources dont la Banque dispose.
Si la Banque a une très forte émission, de nombreux comptes courants, si ses ressources sont ainsi très abondantes, elle pourra abaisser le taux de l'escompte, mais si ses ressources diminuent, ne pouvant pas satisfaire dans les mêmes proportions aux demandes qui lui seront faites, il y aura un relèvement de l'escompte.
Voilà, je crois, messieurs, quelque chose d'extrêmement simple, d'extrêmement naturel ; ce qui se passe à la Banque Nationale et dans les autres banques, c'est ce qui se passe dans tous les magasins du pays, sans aucune exception. Et cependant nous avons entendu, dans cette discussion, qualifier par les termes les plus étranges la différence des taux d'escompte.
Faisant allusion aux demandes d'escompte de 1870, l'honorable M. Dansaert nous disait : « Les actionnaires de la Banque, bien loin d'y avoir pourvu par une augmentation de concours financier de leur part, n'ont trouvé dans cette insuffisance qu'une raison d'augmentation de leur tarif, équivalente à une punition, à une mise à l'amende de tous les industriels et commerçants du pays. »
Laissant cette idée de forcer les actionnaires à aller retirer partout leurs capitaux, pour les apporter à la Banque, ce qui n'eût certes pas été sans danger, peut-on ne pas relever les expressions de l'honorable membre ?
La hausse d'une marchandise, une punition, une amende !
Messieurs, je demanderai à tous les négociants, et surtout au président du tribunal de commerce de Bruxelles, si, lorsqu'il y a une très grande demande de fer, de grain, de charbon, les détenteurs de ces marchandises ne reçoivent pas un prix plus élevé ; si l'on considère les acheteurs de fer, de grain, de charbon, comme subissant, de ce chef, une punition, comme étant mis à l'amende ? Sans doute, si l'on adopte l'idée du droit au capital on peut trouver étonnant que des faits étrangers à celui qui manque de capital puissent influer sur sa situation. Mais lorsqu'on rejette cette chimère, pour accepter les idées les plus élémentaires, les plus simples de la matière commerciale, ne doit-on pas repousser de semblables appréciations ?
M. Boucquéau. - C'est comme si un négociant voulait régler les prix d'après ce qu'il a lui-même en magasin. Il ne peut pas se régler d'après ce qu'il a en magasin, mais d'après ce qui existe sur le marché.
M. Pirmez, rapporteur. - Sans doute, et l'honorable M. Boucquéau fait bien de ne pas confondre deux choses extrêmement différentes ; aussi je parle du marché en général, et je me borne à dire qu'il en est du crédit comme de toutes les choses susceptibles de se vendre, et que, là pas plus qu'ailleurs, la hausse n'est une punition ou une amende.
Il n'est pas même vrai de dire que l'élévation du taux de l'escompte révèle toujours une situation mauvaise.
Ainsi, l'industrie en Belgique jouit en ce moment d'une prospérité tout à fait exceptionnelle ; on recherche les capitaux pour les appliquer à l'industrie avec une intensité tout à fait anormale ; les capitaux y reçoivent une rémunération énorme et le loyer en augmente naturellement. Ce n'est pas parce qu'il plaît à la Banque d'exiger 1/2 ou 1 p. c. de plus, que l'escompte s'élève, c'est parce qu'on demande plus de valeurs, qu'on escompte plus de papier. Or, les ressources n'étant pas également augmentées, il en résulte une différence de proportion entre l'offre et la demande qui conduit à une hausse de l'escompte.
Mais si, d'ici à un mois, par exemple, la demande de capitaux cesse, qu'arrivera-t-il ? Il arrivera que l'escompte baissera, de même que si l'on cesse de demander du fer, le prix du fer baissera. Il n'y a pas de différence à cet égard ; les lois sont les mêmes, les règles sont les mêmes et les conséquences sont aussi les mêmes.
Il est vraiment étrange que des idées aussi simples, aussi élémentaires soient méconnues.
Je disais tantôt que le moyen d'obtenir l'encaisse, chose fort simple cependant, avait jeté du trouble dans certaines idées.
La quotité de l'encaisse vient apporter une autre confusion dans quelques esprits.
On admet généralement que quand l'encaisse d'une banque diminue, il faut augmenter le taux de l'escompte et que, par contre, quand l'encaisse augmente, le taux de l'escompte peut être abaissé. L'encaisse joue ainsi le rôle d'une véritable mesure de ce que la Banque peut ou doit faire : il est le signe indicateur de la situation.
(page 976) Je voudrais indiquer comment il en est ainsi pour dissiper des erreurs qui ont été commises dans cette discussion, en m'attachant aux faits les plus ordinaires.
Comment l'encaisse peut-il diminuer ou augmenter ?
Il est clair d'abord que si, le chiffre des escomptes faits restant le même, l'émission ou les comptes courants diminuent, c'est l'encaisse qui doit en souffrir.
Il n'est pas moins évident que si on suppose la circulation et les dépôts restant au même chiffre, on ne peut augmenter le montant des escomptes qu'en prenant sur l'encaisse.
La diminution de l'encaisse indiquera donc toujours nécessairement, ou la réduction des ressources de la Banque ou l'augmentation des demandes d'escompte, ou l'existence de ces deux faits.
Or, ces faits constituent nécessairement la rupture du rapport entre l'offre et la demande dans le sens d'une hausse du loyer des capitaux.
Donc l'abaissement de l'encaisse indiquera toujours ce que le marché réclame à cet égard, il sera le signe que les capitaux ne peuvent plus être donnés qu'à un taux supérieur.
L'augmentation de l'encaisse provient des faits contraires : l'accroissement des billets émis ou des comptes courants, ou la diminution des escomptes, sans qu'il y ait mouvement inverse de l'un de ces termes, doit apporter du numéraire dans le trésor de la Banque.
Cet excédant de numéraire revêtant ou une augmentation des ressources de la Banque ou une décroissance dans la demande des capitaux, conduit naturellement à céder ceux-ci à un moindre prix.
Voilà les phénomènes très simples qui se réalisent et que nous constatons chaque jour.
On comprend l'importance qu'on attache à l'encaisse qui dénote ainsi la situation ; mais remarquons-le bien, il la constate sans la créer ; l'état du marché ou de la circulation affecte l'encaisse, ses variations sont des effets et non des causes.
Si l'on veut bien se rendre compte de l'observation que je viens de faire à la Chambre, on comprendra qu'il est impossible d'éviter qu'il n'y ait des changements dans le taux de l'escompte.. Que supposerait, en effet, la fixité de l'escompte ?
Elle supposerait d'abord que la demande des capitaux sera toujours exactement la même et que l'on demandera toujours, à toutes les époques, la même quantité de crédit ; elle supposerait ensuite que la quantité des fonds dont la Banque dispose et qui sont sur le marché est toujours exactement de la même importance.
Si vous admettez que l'un des deux termes varie, ou qu'on ne demande pas à toutes les époques la même quantité d'escompte, ou que la circulation des billets et des comptes courants n'est pas toujours exactement la même, vous arrivez à cette conséquence nécessaire qu'il y aura une différence entre l'offre et la demande et que, par conséquent, l'escompte doit hausser ou baisser.
Je voudrais bien que l'on me démontrât comment il serait possible que se trouvant toujours devant des termes essentiellement mobiles, il serait possible que les rapports entre ces termes soient invariables.
Personne ne démontrera cela. Aussi, je puis dire que le prix du crédit variera toujours suivant les diversités des situations, et que toute thèse contraire est une absurdité.
Il y a, messieurs, une autre conséquence qu'il est extrêmement important de signaler. J'ai indiqué à la Chambre que la Banque Nationale a pour ressources son capital et les fonds qu'elle tire par l'émission de ses billets et par ses comptes courants. Voilà toutes ses ressources ; il n'y en a pas d'autres.
Ses ressources sont donc limitées. Il est dès lors impossible que toujours et à tout instant elle satisfasse aux demandes illimitées qu'on peut lui faire. Il pourra donc arriver un moment où les demandes de crédits dépassant les ressources de la Banque, celle-ci devra restreindre les admissions à l'escompte.
M. Boucquéau a parfaitement déterminé ce point : il nous a dit : La Banque peut donner beaucoup, mais elle ne peut donner que ce qu'elle a ; elle a cela de commun avec d'autres personnes qui, quoi qu'elles aient, ne peuvent donner que ce qu'elles ont.
Ainsi, ce que nous devons faire, c'est d'abord de nous débarrasser de vaines illusions, pour accepter les nécessités des lois économiques ; c'est ensuite de chercher à réaliser ce que ces lois nous indiquent ; à cet égard, il n'y a qu'un moyen efficace de favoriser la richesse publique : c'est de multiplier les capitaux disponibles et par là d'en abaisser le prix.
C'est par la bonne organisation du crédit, de l'émission et des dépôts qu'on atteint ces résultats. Il faut le faire sans pusillanimité comme sans imprudence.
Les idées que j'ai émises sont celles qui ont servi de base au système qui a été suivi lors de la création de la Banque Nationale ; n'eût-il pas été de toute équité pour les orateurs qui m'ont précédé de reconnaître le bien qu'a produit cette institution ?
M. Vermeire a rendu justice aux résultats obtenus, mais je dois constater que les honorables membres qui ont critiqué la Banque n'ont rien dit pour reconnaître l'immense bienfait de son institution.
Faut-il rappeler les résultats auxquels on est arrivé ?
Depuis vingt ans, en moyenne, plus de 100 millions ont été mis, par l'intermédiaire de la Banque, à la disposition du commerce. Le taux de l'escompte a été, en moyenne, pour les traites acceptées, de 3.49 p. c. et, pour tous les effets escomptés, d'environ 3.75 p. c.
Ce résultat n'a-t-il pas dépassé toutes les espérances et sous le rapport de l'étendue des capitaux et sous le rapport du taux auquel ils ont été obtenus ?
Quelle différence entre les commencements du premier et les commencements du second terme de la Banque ! Son escompte, la première année, n'a été, en moyenne, que de 44 millions. Aujourd'hui, les capitaux que la Banque consacre à ce service atteignent 250 millions.
Si l'on veut se rappeler les intérêts que l'on payait aux banques avant 1850, on reconnaîtra qu'un immense progrès a été réalisé.
Quel que soit le peu de bienveillance que l'on ait pour la Banque, il faut rendre justice à son œuvre.
J'examine maintenant les changements que l'on voudrait introduire au système qui nous régit depuis vingt ans.
Et d'abord y a-t-il un moyen d'augmenter utilement, fructueusement les ressources de la Banque ?
On a indiqué deux moyens d'y parvenir. On a proposé l'augmentation du capital de la Banque, c'est-à-dire l'augmentation des capitaux qui lui appartiennent. On a proposé d'augmenter les capitaux qu'elle obtient de tiers par le moyen qu'a indiqué l'honorable M. Boucquéau, le réescompte.
J'examine successivement ces deux points.
Faut-il augmenter le capital de la Banque ?
Le projet du gouvernement augmente ce capital de 15,000,000 de francs. Il demande un versement de 15,000,000 qui se traduit par une augmentation de capital nominal de 25,000,000 de francs ; mais l'augmentation réelle est de 15,000,000 de francs. La section centrale n'a pas pensé que cet appel fût nécessaire.
Je tiens à constater que s'il y a une différence d'appréciation du chiffre, sur les principes le gouvernement et la section centrale sont parfaitement d'accord ; les principes que l'honorable ministre des finances a fort bien formulés dans son exposé des motifs sont absolument les nôtres, comme ceux de la section centrale qui sont indiqués dans mon rapport sont, je crois, les siens.
La question du chiffre n'a pas une très grande importance en elle-même. Si nous avons tous cru en section centrale devoir indiquer qu'on peut différer l'appel du capital nouveau, c'est surtout pour protester contre cette tendance qui n'est pas dans l'esprit du gouvernement, mais qui est dans d'autres esprits, de croire qu'il y a un avantage pour le public dans l'augmentation du capital de la Banque.
Il est très facile de faire verser de nouveaux capitaux contre des actions de la Banque. Déjà, avec le bénéfice que la Banque conserve d'après le projet de loi, on pourrait y attirer un capital supérieur à celui qui lui est demandé. Si l'Etat voulait abandonner à la Banque une plus large part de son bénéfice, il pourrait ainsi augmenter beaucoup plus ce capital, l'élever peut-être à 120 ou 150 millions.
Mais y aurait-il à cela un avantage quelconque ? Voyons quel serait le résultat d'une pareille mesure.
C'est un bien d'augmenter les ressources mises à la disposition du commerce. Je l'ai dit tantôt. Faut-il en conclure que c'est toujours un bien de mettre plus de ressources en mains de la Banque ?
Il faut s'entendre.
Je considère que c'est un bien d'augmenter les ressources de la Banque quand, par le moyen du crédit, on rend de nouveaux capitaux disponibles. Mais je ne considère pas que ce soit un bien quand on va chercher des capitaux existant dans la circulation pour les immobiliser.
Il y a entre ces deux situations toute la différence qui existe entre un déplacement de capitaux et une création de capitaux.
Il est bien certain que quand je remplace dans la circulation de la monnaie métallique, qui a une valeur intrinsèque, par des morceaux de papier qui n'en ont pas, je crée une véritable valeur. Si donc, par le moyen de l'institution de la Banque, on a rendu 200 millions disponibles, c'est une (page 977) véritable conquête que nous avons faite, c'est un résultat réel, t'est un bénéfice pour le pays tout entier.
Mais s'il s'agit simplement d'aller appeler des capitaux existants pour les verser dans les caisses de la Banque, que fait-on ? Absolument rien ; on a tout simplement opéré un déplacement, déplacement stérile et peut-être même nuisible,
Evidemment il ne peut pas être avantageux d'opérer ainsi.
Rendons-nous compte du résultat.
Je suppose qu'étant actionnaire de la Banque j'aie prêté à un industriel, pour établir une usine, augmenter ses machines, une somme de 10,000 francs à 5 p. c.
S'il me donne cet intérêt, c'est qu'il ne peut avoir ce capital à taux moindre. Il peut cependant escompter à la Banque à 3 ou 4 p. c.
Si, soit en vertu de la loi, soit en renonçant à une partie de son bénéfice, l'Etat force la Banque à appeler des versements sur les actions, je retirerai mon capital du placement, où il produisait 5 p. c. et il ne sera plus placé par la Banque qu'à 3 1/2 p. c.
Sans doute, je pourrai avoir une compensation par les bénéfices que la Banque obtenant de ses autres affaires, me répartira ; mais il n'en sera pas moins vrai que le capital dont je parle aura été retiré du placement où l'intérêt payé prouve qu'il était le plus nécessaire.
L'escompte à bas prix est avantageux, mais croit-on qu'il n'y ait pas d'autres emplois de capitaux aussi utiles ? Que serait l'escompte si, d'abord, on n'avait consacré des sommes colossales à la création des usines dont les affaires se traduisent en demandes d'escompte ?
La vérité est que la meilleure application des capitaux est celle qui se fait par la demande naturelle du marché, et que tout ce qui est factice est mauvais.
Il en est de cela comme du protectionnisme.
Quand le régime protecteur existait, les partisans du système, vous montraient les usines élevées grâce à la protection douanière ; ils se plaignaient de ce que l'on allait ruiner ces établissements ; ils ne voyaient pas ceux que l'on empêchait de se créer.
On a fini par reconnaître qu'ils existaient à la place d'autres établissements que la liberté a fait naître.
Il en est de même quant au capital de la Banque. Si vous montrez les avantages des fonds versés en accroissement du capital de la Banque, vous devez, à peine de ne voir qu'un côté de la question, ne pas laisser ignorer que ces capitaux étaient plus vivement demandés ailleurs et y auraient rendu plus de services.
M. Demeur, messieurs, a aussi préconisé l'augmentation du capital de la Banque Nationale, par des idées absolument opposées à celles qu'ont fait valoir les autres membres qui ont pris la parole dans la discussion. Et je dois le dire, c'est ici que j'ai été surtout surpris d'entendre l'honorable membre.
M. Demeur a conçu de plus vives craintes sur la situation de la Banque ; il ne craint rien moins qu'une catastrophe. « La situation, dit-il, est dangereuse, vous ne savez pas ce qui peut arriver demain. Feuilletez les bilans de toutes les banques, vous ne trouverez nulle part une pareille situation. »
Et. cela parce que l'encaisse, au dernier compte rendu, est descendue à 30 1/3 p. c. des engagements exigibles !
Voilà ce qui remplit M. Demeur de terreur !
Il a feuilleté la situation des autres banques, et voici par quel procédé il est parvenu à concevoir ces craintes étranges. Il a pris la situation d'autres banques au moment où ces banques avaient une forte encaisse ; il y a comparé la situation de la Banque Nationale au moment actuel, où son encaisse est relativement faible.
De cette comparaison arbitraire, il a conclu que nous sommes dans une situation mauvaise.
Ainsi parce que, à l'heure présente, l'encaisse n'est, ni à Londres ni à Amsterdam, aussi faible qu'ici, on proclame que nous sommes exposés ; que la Banque Nationale est une institution périclitante. On ne sait ce qui arrivera demain !
Mais, messieurs, si l'honorable M. Demeur, au lieu de prendre la dernière situation de la Banque d'Angleterre, avait parcouru la situation de cette Banque pendant une série d'années, qu'aurait-il trouvé ? Mais que la Banque d'Angleterre a eu très fréquemment une encaisse d'une proportion infiniment moindre que celle que nous avons aujourd'hui ; il aurait vu l'encaisse de la Banque d'Angleterre descendre, non pas à 30 p. c, mais à 18 p. c.
Il nous a cité la Banque de France. Mais à quelle époque s'est-il reporté ? Au moment où elle avait une encaisse énorme, avant la guerre. Mais que ne parcourait-il encore les comptes rendus de la Banque de France ? il aurait vu que son encaisse est descendue jusqu'à 16 p. c. En janvier 1864, elle avait une encaisse de 169 millions contre plus d'un million de créances exigibles.
Comprend-on une pareille manière de raisonner ? Vous prenez une situation à un moment donné pour une banque, au moment où son encaisse est la plus basse ; vous la comparez à la situation d'autres banques, lorsque leur encaisse est très élevée, et vous dites : Cette banque frise une catastrophe ; elle est d'une imprudence extrême !
J'engage l'honorable M. Demeur à parcourir les tableaux de la situation des banques qui se trouve à la lin de l'ouvrage de M. Coulet et il y trouvera de quoi calmer ses appréhensions.
M. Demeur. - C'est inexact. J'ai pris la situation actuelle pour les diverses banques, sauf pour la Banque de France, dont les billets ont cours forcé.
M. Pirmez, rapporteur. – Si je voulais chercher dans l'histoire des banques, je trouverais des époques où l'encaisse de la Banque Nationale était proportionnellement beaucoup plus élevée que l'encaisse de la Banque d'Angleterre ou de la Banque de France. N'y aurait-il rien à en conclure ? Quand vous avez plusieurs banques qui marchent d'après des systèmes identiques, mais dans des milieux différents, il est clair qu'il n'y aura pas toujours identité de situation, mais il n'en sera pas moins vrai que leurs principes sont les mêmes. Or ces principes sont admis sans effroi par tous les économistes, je ne connais que l'honorable membre qui s'en effraye.
Mais l'honorable membre n'a pas borné ses observations aux Banques d'Angleterre, et de France. Il s'est occupé des Banques de Prusse et des Pays-Bas.
Je ne crois pas que les renseignements qu'il nous a donnés sur la première de ces. Banques soient bien exacts ; s'ils l'étaient, il en résulterait que là l'encaisse est égale au passive.
Evidemment, il n'y aurait rien à conclure d'une pareille situation qui serait le résultat de faits politiques.
M. Demeur a surtout admiré la situation de la Banque des Pays-Bas et c'est cette situation qui, en grande partie, lui a inspiré sa conclusion, qui est la plus étonnante que l'on puisse imaginer.
La Banque des Pays-Bas a, d'après M. Demeur, 190 millions d'engagements exigibles, et 166 millions d'encaisse.
Donc, dit l'honorable membre, l'encaisse est de 80 p. c. et il ajoute que le taux de l'escompte de la Banque d'Amsterdam est plus bas que l'escompte de la Banque Nationale.
Ainsi deux faits : une encaisse très forte et, un escompte très bas ; voilà ce qui frappe. M. Demeur.
Il faut reconnaître que cette coïncidence se rencontre généralement : forte proportion de l'encaisse et taux peu élevé de l'escompte sont deux choses presque toujours concomitantes.
Mais faut-il en conclure que l'une soit la conséquence de l'autre ?
Ce serait une erreur profonde.
Nous avons vu que l'élévation relative de l'encaisse est le résultat nécessaire de l'augmentation des ressources ou de la diminution des demandes de capitaux, qui produisent nécessairement un abaissement de l'escompte.
C'est donc l'état du marché qui déterminera ces deux faits ; ils sont deux effets de la même cause.
Que fait cependant l'honorable membre ? De ce que la grosse encaisse est accompagnée d'un taux peu élevé d'escompte, il conclut qu'en faisant une grosse encaisse, il aura un taux d'escompte abaissé. (Interruption.)
L'honorable membre veut toucher à un effet en laissant la cause intacte, et il se figure qu'ayant modifié une conséquence de l'état du marché, il aura indue sur les autres. Il s'attaque à ce qui n'est qu'un signe révélateur, pensant modifier la situation elle-même.
C'est ce que M. Vleminckx appellerait traiter les symptômes.
M. Vleminckx. - C'est ce que font les homéopathes.
M. Pirmez. - Je ne veux pas traiter la question de l'allopathie et de l'homéopathie. Dieu m'en garde !
C'est donc, comme je le disais, traiter les symptômes ; c'est, permettez-moi cette comparaison un peu triviale, souffler dans un baromètre pour qu'il fasse beau temps. (Interruption.)
L'honorable M. Demeur s'extasie devant la situation de la Banque d'Amsterdam. Cette Banque, dit-il, n'a qu'un capital de 16 millions de florins, et elle a dix fois plus d'engagements à remplir. Je m'étonne que l'honorable membre en conclue qu'il faille augmenter le capital de la Banque Nationale qui est beaucoup plus élevé.
Si l'on veut suivre l'exemple de la Banque d'Amsterdam, il faut décider que la Banque Nationale tiendra une encaisse de 80 p. c. de ses engagements.
(page 978) C'est parfaitement exécutable ; il n'y a rien de plus facile ; mais n'oublions pas les conséquences,
La Banque a aujourd'hui, je suppose, 300 millions en dettes exigibles.
M. Demeur. - Il y en a 340 millions.
M. Pirmez, rapporteur. - Je mets 530 millions pour prendre un chiffre rond, c'est d'ailleurs à votre avantage. Je vous fais grâce de 40 millions et il m'en reste suffisamment.
L'encaisse doit être du tiers ; si elle était élevée à 80 p. c., l'augmentation serait de 47 p. c, ce qui conduirait à 140 millions.
Pour atteindre à cet idéal de l'honorable membre, nous mettrions 140 millions en caisse de plus qu'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il faudrait distraire du commerce, pour la mettre dans la cave de la Banque, cette somme énorme.
Voilà la conséquence.
Oubliez-vous qu'en retirant 140 millions que vous livrez aujourd'hui à la circulation, vous diminuez l'offre des capitaux et, dans une égale proportion, vous augmentez le prix de l'escompte ?
M. Demeur croit-il qu'il change quelque chose en proposant de se procurer l'énorme encaisse à laquelle il aspire par l'augmentation du capital ?
Mais n'est-ce pas exactement la même chose ? Les millions qui seront voués à constituer l'encaisse seront-ils moins stérilisés parce qu'on les aura pris contre des actions que s'ils sont obtenus contre des billets ?
Ecoutez cependant comment l'honorable membre expose ses idées !
« La Banque, nous dit-il, accomplit ses opérations, elle forme son portefeuille et son encaisse métallique, avec trois ressources distinctes : avec le produit de l'émission, avec les sommes déposées en comptes courants, avec le capital.
« Or, de ces trois ressources, il y en a deux qui peuvent être réclamées à la Banque, chaque jour, à chaque instant. La troisième, au contraire, le capital propre à la Banque, est une ressource permanente, certaine, qui ne fait jamais défaut : l'actionnaire ne peut en réclamer le remboursement ; par conséquent plus le capital sera élevé, c'est-à-dire plus la somme qui appartient à la Banque et qu'on ne peut pas lui réclamer, sera élevée en proportion de ses opérations, en proportion de son passif exigible, plus elle aura de chances de remplir ses obligations, de rembourser à vue ses billets et de payer sans retard les sommes qu'elle doit en comptes courants. »
Ainsi, l'idéal pour l'honorable membre, c'est d'opérer non pas avec les fonds obtenus par le crédit, mais avec le capital de la Banque, c'est d'accroître le plus possible le rôle du capital dans les opérations de la Banque. Mais qu'est-ce que cela, sinon la destruction de l'idée fondamentale d'une banque d'émission qui est d'opérer par le crédit ? Si vous remplacez le crédit par le capital, vous détruisez le moyen et si l'on avait employé ce procédé, nous n'aurions pas aujourd'hui 200 millions rendus disponibles et livrés à la circulation.
Je vous disais que M. Demeur voulait mettre les capitaux dans les caves de la Banque. Me suis-je trompé ? Ecoutons-le encore :
« Mais, dira-t-on, ce capital, dans les moments de calme, sera perdu ; on ne pourra l'employer.
« L'encaisse métallique est improductive.
« C'est vrai, il y a quelque chose de choquant dans l'organisation actuelle des banques de circulation qui entraîne l'accumulation d'une encaisse métallique énorme ensevelie dans des caves, improductive. C'est là une conséquence de la convertibilité des billets en espèces et à vue. C'est le fruit d'un système universellement répandu, mais qui n'est pas le dernier mot du progrès en cette matière.
« Je suis convaincu, pour ma part, qu'on arrivera tôt ou tard à une solution du problème des banques de circulation, qui permettra, sinon l'abolition, au moins une diminution considérable des encaisses métalliques. »
Ainsi l'avenir nous réserve comme progrès la suppression ou la diminution des encaisses métalliques ; mais en attendant, M. Demeur nous propose de les augmenter considérablement !
M. Demeur est le passé, nous sommes le présent et je ne sais pas encore qui est l'avenir ; on ne le saura probablement jamais.
L'honorable M. Demeur ne peut pas comprendre une chose très simple : c'est qu'en conservant pour l'encaisse le tiers de la circulation, on a la certitude de faire face aux remboursements, jusqu'à la rentrée des autres ressources qui peuvent être nécessaires, et qui doivent successivement échoir à court terme.
L'école à laquelle l'honorable M. Demeur appartient en matière financière, mais seulement en cette matière, est celle des hommes politiques qui ont peur de la liberté à cause de ses agitations ; il craint le crédit, à cause des crises. Il marche vers ses restrictions ; il substitue les gros capitaux improductifs à la confiance raisonnée dans le mouvement des affaires.
Nous n'avons pas ces sentiments. De même que nous voulons la liberté même avec ses agitations, nous voulons le crédit même avec ses soubresauts. Tant que l'on usera du crédit, on devra supporter ses fluctuations, subir ses défaillances, et passer par des moments difficiles ; mais on aura aussi, pendant les temps de calme, qui sont longs, des valeurs considérables qui contribuent à la richesse publique. On a peur des maladies du crédit, mais quel remède propose-t-on ? On veut le tuer pour qu'il ne soit plus malade. J'aime mieux le laisser vivre et risquer de le voir quelquefois en souffrance que de n'en avoir jamais les bons effets.
Voilà vingt ans que la Banque Nationale existe. Quelles grandes crises a-t-elle traversées ? Il y a eu l'affaire de 1870. Voilà ce qui paraît avoir complètement terrorisé certains esprits. L'honorable M. Dansaert en est effrayé à ce point qu'il semble ne plus voir que cela.
Le moment a été difficile, sans doute ; on a traversé une dure épreuve ; mais quels sont les grands maux qui en sont résultés ? Aucuns que je sache ; l'orage n'a pas laissé de traces durables ; et c'est ce fait passager qui domine chez quelques personnes sur tout ce qui s'est accompli en vingt ans, sur les résultats durables et permanents que nous pouvons constater et qu'on ne mentionne même pas !
Messieurs, je ne veux donc de l'augmentation immédiate du capital de la Banque, ni pour accroître ses moyens d'escompte, ni pour constituer une encaisse colossale.
Je crois encore moins que nous devons admettre la faculté de faire des émissions d'actions ultérieures.
Si cette faculté existe, à la première crise on demandera l'augmentation du capital de la Banque. Jamais, dans un moment de gêne, une question financière n'est examinée avec calme ; rarement la solution qu'on y donne est la bonne. On est toujours tenté alors de céder aux circonstances et aux préjugés, et d'employer des palliatifs qui nuisent plus qu'ils ne servent.
Laissons donc le capital tel qu'il est fixé par le projet et voyons si l'on peut avantageusement augmenter les ressources de la Banque en y appelant des capitaux de tiers. C'est l'avis de l'honorable M. Boucquéau : il croit avoir un excellent moyen de le faire ; ce moyen, c'est le réescompte.
Je dois dire, d'abord, que, dans cette question, il importe de séparer le fond et la forme ; le fond qui est très simple ; la forme qui paraît avoir jeté une assez grande confusion dans l'esprit de l'honorable membre.
Faut-il appeler à la Banque. Nationale des capitaux par l'appât de l'intérêt ?
Telle est la question sérieuse du fond du débat.
Il faut la résoudre négativement. Et pourquoi appellerait-on de nouveaux capitaux à la Banque Nationale ? Que produirait-on ? Absolument rien. Les capitaux qu'elle recevrait trouvent ailleurs des placements aussi utiles que dans ses caisses ; quel avantage y aurait-il à les concentrer dans les mains de la Banque ? On ne produirait donc aucun bien, mais on risquerait de causer un grand mal.
Voici pourquoi : s'il est un fait certain en cette matière, c'est que, dans les moments de crise, les capitaux qui sont placés en compte courant à intérêt, sont retirés en assez grande quantité.
Dans ces moments, on aurait donc ce résultat, si la Banque recevait des capitaux à intérêts, qu'elle verrait diminuer ses ressources de tous les retraits opérés et s'accroître ses embarras.
Ainsi, supposons qu'elle ait cent millions en compte courant à intérêt avec lesquels elle a opéré, si on lui retire 50 millions, il est clair que les difficultés de la Banque vont augmenter à concurrence des 50 millions qu'on lui a redemandés.
Il est de toute sagesse de ne pas joindre à ses autres opérations assez difficiles et que MM. Demeur et Boucquéau déclarent la constituer en danger permanent, un élément qui, sans rien ajouter à la richesse publique, devrait augmenter les périls des temps critiques.
Aussi, c'est une règle générale dans les établissements de circulation fiduciaire de ne pas donner d'intérêt aux capitaux déposés.
L'honorable M. Boucquéau s'étonne de ce que l'on accepte des capitaux sans intérêt, alors que d'après lui, n'étant pas retenus par une rémunération, ils doivent être retirés bien plus vite que ceux qui reçoivent un intérêt.
Il y a là une évidente erreur. On ne dépose de capitaux sans intérêt que pour retirer un autre avantage du placement. Quand on fait un dépôt, c'est qu'on obtient de la banque des facilités commerciales importantes pour le mouvement des affaires auquel ces capitaux sont affectés et qui les retient d'une manière assez constante.
(page 979) Il en résulte que ces capitaux ne sont pas, en temps de crise, soumis aux mêmes causes de retirement que les capitaux placés pour en obtenir les intérêts.
M. Boucquéau. - Vous ne pouvez dire que le réescompte soit un placement à intérêt.
M. Pirmez. - Ne nous pressons pas.
Je dis donc qu'on ne doit pas confondre les capitaux qu'on place avec intérêts avec les capitaux déposés sans intérêts.
Les premiers sont réellement placés, d'ordinaire provisoirement, pour obtenir une rémunération en attendant un placement définitif. Les capitaux qu'on dépose dans une banque sans intérêts sont, au contraire, des capitaux actifs qui servent à un mouvement continu d'affaires et qui par là sont moins exposés aux retraits en temps de crise.
Je dis donc que ce n'est pas un acte de bonne administration de la part d'une banque de circulation que d'admettre des capitaux à intérêts et ce que je dis s'applique à toutes les formes que peuvent recevoir les placements de capitaux.
Or, quelles sont ces formes de placement ? J'en ai indiqué trois dans mon rapport : d'abord la forme ordinaire, qui est le placement en compte courant, qui existe chez tous les banquiers du pays ; l'émission d'obligations, et enfin le réescompte.
Ces trois choses sont au fond semblables. (Interruption.)
Nous allons tâcher de nous rendre bien compte du réescompte et je crois que je démontrerai qu'il n'a rien qui le fasse sortir des autres emprunts à intérêt.
Le réescompte consiste en ceci : M. Boucquéau veut donner la faculté à tout individu d'aller à la Banque Nationale et de dire : Voici une somme, de... donnez-moi un effet de même import, à telle date, que je vous escompterai.
L'honorable membre indique que le taux de ce réescompte pourra être de 1 p. c. au-dessous de celui de la Banque Nationale. (Interruption.) Je vais raisonner avec votre supposition.
M. Boucquéau. - J'ai dit que le privilège de l'émission devait être accordé à qui s'engagerait de faire l'escompte et le réescompte avec le moindre écart.
Voilà le principe.
M. Pirmez, rapporteur. - Jusqu'à cette adjudication, je dois bien prendre un chiffre, et je m'en tiens à celui que vous avez indiqué, sans toutefois que j'y attache d'importance.
Prenons un point de départ commun. L'honorable M. Boucquéau est d'accord avec moi pour ne pas vouloir le compte courant à intérêt.
M. Boucquéau. - Oui.
M. Pirmez, rapporteur. - Nous voilà donc d'accord sur un point, et c'est quelque chose. Nous sommes d'accord que nous ne voulons pas du compte courant à intérêt.
Je vais montrer que l'escompte est absolument la même chose.
Voulez-vous me permettre une comparaison ? J'espère que l'honorable membre ne m'en voudra pas.
Vous avez tous vu dans les cirques une vieille plaisanterie qui, dans ces spectacles monotones, s'est représentée des milliers de fois : un écuyer, affublé d'une dizaine de vêtements superposés, arrive comme un étranger qui veut essayer des exercices ; ceux qui ne sont pas prévenus et qui sont peu défiants ne reconnaissent le véritable personnage que lorsqu'il s'est dépouillé de ses nombreux vêtements ; le réescompte, c'est le compte courant caché sous un déguisement ; en enlevant les diverses parties de cet accoutrement, nous verrons apparaître identiquement le compte courant.
M. Boucquéau. - Il est possible que vous travestissiez tellement le réescompte qu'on ne le reconnaisse plus.
M. Pirmez, rapporteur. - Précisons le fait qui doit se passer. Un particulier se rend à la Banque avec 10,000 francs et il demande à avoir 10,000 francs d'effets payables à Bruxelles. On lui présente une dizaine de broches payables rue des Flandres, aux Marolles, au Quartier-Léopold, dans les différents quartiers de la ville, et cela à la date qu'il a indiquée, fin mai, je suppose. Voilà donc ce particulier avec une dizaine ou une quinzaine d'effets. Quand viendra le jour de l'échéance, il devra passer quelques heures à aller encaisser ses effets.
Je suis bien sûr que l'honorable membre, n'eût-il que ces 10,000 francs, ne manquerait pas de faire cette opération, parce que le réescompte est son enfant chéri.
Mais quand l'honorable membre lui-même aura renouvelé quelquefois cette opération, il trouvera pénible de passer des heures à toucher des effets.
Il sera surtout convaincu, s'il y a des effets impayés, s'il doit aller chez les huissiers pour faire les protêts, renvoyer les effets et veiller à faire le tout régulièrement et en temps.
Une idée très simple lui viendra alors, c'est de dire à la Banque : Si vous conserviez les effets pour les encaisser et si vous me donniez une petite reconnaissance par laquelle vous vous engagerez à me donner le produit des effets à l'échéance, cela me conviendrait assez. Et il est clair que cela conviendrait à la Banque qui ne devrait plus chercher dans son portefeuille, pour choisir les effets et montrer les valeurs qu'on lui a transmises.
Il est clair que ce serait un progrès. Je suis bien sûr que l'honorable M. Boucquéau reconnaîtra que c'est un progrès.
M. Boucquéau. - Pour combattre mon idée, vous en supposez l'application faite par la Banque de la manière la plus déloyale. Pour prouver que le réescompte ne. produira pas, vous supposez que, pour en dégoûter les preneurs, on leur donnera une foule de broches à toucher dans tous les quartiers de. la ville.
Quand on parle de l'application d'une mesure par une institution publique, il faut supposer que cette institution agira loyalement.
M. Pirmez, rapporteur. - S'il déplaît à l'honorable membre, que je suppose dix effets, je n'en supposerai qu'un, un seul de l'import de dix mille francs, qui se trouvera à point nommé à l'échéance et sur le lieu indiqué.
Je suppose donc un effet payable presque à la porte de l'honorable membre. Mais il se dira toujours : Pourquoi me chargerais-je de cette affaire ? J'aurai toujours l'embarras d'aller le jour de l'échéance présenter ma traite et de la faire protester le cas échéant, et cependant si j'oubliais l'échéance, si j'étais absent, je pourrais m'exposer. Comme la Banque nationale est un établissement solide sur lequel je puis compter, il serait bien plus commode qu'elle s'engageât à me payer mes dix mille francs à l'échéance ; elle conserverait et me donnerait une reconnaissance de 10,000 francs.
Il est clair que, pour un seul effet, M. Boucquéau lui-même et, à plus forte raison, ceux qui n'ont pas inventé le réescompte, se ferait ce raisonnement.
Un progrès se réaliserait donc et une obligation de la Banque remplacera le réescompte.
J'ai le plaisir de constater qu'à cet égard l'honorable membre a fait une concession ; il a déclaré qu'il reconnaissait que dans ces conditions l'obligation équivaut au réescompte.
Ainsi nous constatons que l'obligation, la promesse à terme de la Banque Nationale est le réescompte débarrassé d'une couverture gênante.
M. Boucquéau. - Mais pas le moins du monde. 1Ilne s'agit pas de faire ce qu'on appelle des vues dissolvantes. Je n'admets pas cela. J'ai dit que le réescompte se faisait d'une manière loyale, c'est-à-dire au moyen de promesses qui devaient arriver à échéance en correspondance avec des effets de la Banque, dont l'encaissement serait affecté en quelque sorte à leur payement.
M. Pirmez, rapporteur. - Parfaitement d'accord. On donnera des promesses, des obligations de la Banque de l'import exact des effets réescomptés.
Mais il est évident que s'il y avait vingt-cinq effets je pourrais donner vingt-cinq promesses pour un import égal. Ce serait la même chose et on peut par conséquent donner des promesses pour le montant de tous les effets de commerce échéant le même jour.
Si on a un million d'échéance fin mai, on pourra remettre pour un million de promesses échéant également fin mai.
Si M. Boucquéau le désire, on mettra les effets dans un portefeuille spécial avec une inscription indiquant la délivrance des promesses.
J'avance dans ma démonstration. Nous voilà arrivés à ceci : c'est que les obligations de la Banque valent mieux et sont plus commodes que le réescompte lui-même.
Il n'y a donc déjà plus de réescompte, il a disparu. (Interruption de M. Boucquéau.)
Tous les banquiers émettent des promesses et ils ont bien soin de les émettre pour une époque où ils auront le moyen de payer ces promesses ; c'est là une précaution vulgaire.
Maintenant faisons un pas de plus.
Il y a encore à ce système des promesses un inconvénient : c'est la nécessité de les renouveler fréquemment, de devoir se transporter à la Banque pour les encaisser.
La plupart des personnes qui ont des capitaux ne savent pas au juste à quel jour elles en auront besoin.
(page 980) Il serait donc extrêmement avantageux d'avoir une promesse qui n'eût pas une échéance fixe.
M. Boucquéau. - Pas du tout ; les promesses doivent être de sommes fixes, et auxquelles, par conséquent, l'intérêt a été ajouté d'avance.
M. Pirmez, rapporteur. - ... De sommes fixes, évidemment.
M. Boucquéau. - Vous voulez faire de la promesse une reconnaissance de dépôt reçu en compte courant ; eh bien, ce n'est pas cela...
M. Pirmez, rapporteur. - Vous l'avez deviné parfaitement, c'est ce que je veux, en vous montrant le progrès.
Nous étions arrivés à montrer que la promesse à échéance fixe vaut mieux que le réescompte.
Je constate maintenant qu'il serait bien plus avantageux que la promesse fût à terme indéfini remboursable moyennant préavis.
Si ce préavis est assez long, il est clair que la Banque n'aura aucune raison de refuser ; elle aura toujours des effets pour l'expiration du préavis.
Mais ce système de promesses a un assez grave inconvénient pour le porteur qui n'offre aucun avantage pour la Banque ; on ne peut les diviser ; il faut toucher tout à la fois.
Pourquoi ne permettrait-on pas de les fractionner ; de donner le préavis par moitié par exemple en conservant le reste ? Il n'y a pas de raison.
De même pourquoi ne pas permettre d'y ajouter, si l'on a une rentrée de fonds ? Il serait plus simple, d'avoir un seul titre que plusieurs. La Banque serait dans la même situation et le porteur serait mieux. Il n'y a donc pas à hésiter.
Mais cela étant, nous sommes au compte courant, avec préavis bien entendu, et intérêt à taux variable.
C'est toujours l'équivalent du réescompte, mais la même opération n'est plus embarrassée de gênantes formalités, d'échéances se répétant.
Sans doute, des jurisconsultes pourraient faire des dissertations sur les différences ; ils s'attacheraient à la forme ; mais les financiers, qui vont au fond des choses, diront tous que c'est la même chose.
Je vous ai montré que le réescompte, dont M. Boucquéau veut, est absolument la même chose que le compte courant, dont il ne veut pas.
M. Boucquéau. - Demandez aux banquiers qui réescomptent, - et tous sont dans ce cas - s'ils consentiraient à accepter des capitaux en compte courant.
M. Malou, ministre des finances. - Il n'y en a pas un seul qui n'en ait.
M. Frère-Orban. - Tous les banquiers en ont.
M. Boucquéau. - Mais à des conditions bien différentes. (Interruption.)
M. Pirmez, rapporteur. - Que l'honorable membre me permette de le lui dire, je ne sais véritablement pas où il s'est informé des faits les plus notoires de la Banque.
M. Boucquéau. - Voulez-vous charger une commission d'aller chez tous les banquiers ? Elle n'en trouvera pas un seul qui accepte des capitaux au taux où ils sont escomptés à la Banque. (Interruption.) C'est absolument la même chose.
M. Pirmez, rapporteur. - Voyons. L'honorable M. Boucquéau paraît être bien peu au courant de ce qui se passe. Il n'y a pas un seul banquier en Belgique qui n'accepte des dépôts en compte courant. Ils ne demandent pas mieux que d'en avoir ; qu'on m'en signale un seul qui les refuse ; ce sera un véritable phénomène. En connaissez-vous, M. Boucquéau ?
M. Boucquéau. - Je ne connais pas de banquier qui reçoive des capitaux en compte courant aux mêmes conditions que la Banque.
M. Pirmez, rapporteur. - L'honorable M. Boucquéau me dit : Les banquiers n'acceptent pas de capitaux en compte courant au faux d'escompte de la Banque Nationale. C'est en fait une erreur flagrante, beaucoup donnent un taux supérieur ; mais le réescompte dont il parle devrait avoir lieu à 1 p. c. au-dessous du taux de la Banque. Or, à ce taux qui serait 2.75 p. c, il n'est pas de banquiers qui n'acceptent des capitaux en compte courant.
L'honorable M. Boucquéau attache au réescompte des vertus merveilleuses et il est curieux de voir l'idée qu'il se fait du public à l'égard du réescompte.
Il paraît que j'ai dit, il y a quelques années (je suis flatté qu'on se souvienne aussi longtemps de mes paroles), qu'il n'y avait pas de capitaux improductifs. Je suis bien capable de l'avoir dit, car je le crois et suis prêt à le répéter.
Quand je parle ainsi, je parle naturellement de l'ensemble des faits, et je ne prétends pas qu'en ne découvrira pas un individu qui s'amuse à entasser des écus dans un coffre. Mais j'affirme que la règle très générale est le placement des capitaux.
L'honorable membre pense le contraire et il prétend, au moyen du réescompte, appeler les capitaux stériles à la Banque Nationale.
Les banques, aujourd'hui, reçoivent en compte courant, à des taux variables, à 3, à 4, à 5 p. c. La Société Générale donne 2 1/2 p. c. ; la Banque de Belgique 3 p. c. Il y a d'excellentes obligations de chemin de fer qui donnent 3 p. c., la rente produit 4 p. c.
II y a en Belgique, d'après l'honorable membre, certaines personnes qui ont résisté à la tentation de tous les placements, mais une fois que le réescompte apparaîtra, elles n'y tiendront plus, leurs idées changeront, elles auront ce qu'elles attendaient.
Que leur promet l'honorable M. Boucquéau pour les séduire ainsi ? Un pour cent en dessous de l'escompte de la Banque Nationale qui est de 3 1/2 à 3 3/4 p. c. en moyenne, donc 2 1/2 ou 2 3/4.
Dans le système de l'honorable membre, la moyenne de l'escompte ne sera plus à ce taux ; il a la prétention d'abaisser l'escompte même à 2 p. c. Par conséquent, les réescomptes n'auront plus que 1 p. c. Et voilà des gens qui ont résisté à tous les appâts des placements actuels, et qui en présence de ce 1 p. c. uniquement, parce que 1 p. c. est fourni par le réescompte, vont renoncer à toutes leurs habitudes de thésaurisation ?
Mais n'allons pas trop loin, supposons le réescompte à 2 p. c., à 3 p. c, et calculons cette prétention de faire affluer même les sommes minimes à la Banque.
500 francs à placer pour un mois à 2 p. c. donnent 83 centimes ; à 5 p. c. 1 fr. 25 c.
Le porteur fera bien d'aller encaisser son ou ses effets à pied, s'il ne veut dévorer son bénéfice en frais de voiture.
Il y a une contradiction qui m'a frappé chez l'honorable membre. Il a déclaré qu'il fallait la fixité de l'escompte ; il m'a même accablé par cette métaphore de Turgot, qu'il a si considérablement amplifiée. J'avais tort de considérer comme nécessaires les fluctuations du taux d'escompte.
« Turgot, dit-il, n'eût point conseillé certainement la culture de terres qui, découvertes aujourd'hui par la mer, pouvaient en être recouvertes le lendemain ; toutefois je ne crois pas inutile de signaler cette conclusion naturelle des passages cités, car l'honorable M. Pirmez me paraît trop enclin à admettre comme inévitables des variations du taux d'escompte auxquelles il faut se résigner si, comme il le dit, elles sont inévitables, mais auxquelles, on le reconnaît, et c'est sur ce point que j'insiste, il serait désirable que l'on pût remédier. »
Mais l'honorable membre lui-même ne nous dit-il pas que le réescompte aura pour ressort les variations des taux d'escompte variables. « Ainsi, en supposant que l'écart entre l'escompte et le réescompte fût de 1 p. c., l'escompte étant 6 p. c., le réescompte devrait se faire à 5. Au fur et à mesure que les banques élèveraient leur escompte pour prévenir l'épuisement de leurs caisses, les fonds improductifs, attirés par un intérêt de plus en plus élevé, viendraient s'offrir en échange de leur portefeuille. »
Voilà donc l'honorable membre qui, après avoir trouvé si étrange que j'admettais que le taux de l'escompte s'élevait après avoir été abaissé, accueille à son tour ces fluctuations, et n'y trouve plus rien à reprendre, quand elles sont embellies par la présence du réescompte.
Ce n'est pas la seule contradiction de l'honorable membre.
Il nous a dit, et il l'a répété dans des interruptions, que la Banque Nationale avait un monopole absolu. C'est, selon lui, la seule institution qui puisse escompter : elle a une telle puissance qu'elle peut tuer toutes les autres banques d'escompte ; personne ne peut lutter avec elle.
Et cependant, l'honorable membre nous apprend, et il est revenu plusieurs fois sur cette idée, qu'il y a, en Belgique, des milliers de personnes qui ne demandent pas mieux que de réescompter, non pas au taux, mais au-dessous du taux de la Banque Nationale. Mais qu'il se mette donc d'accord avec lui-même ; s'il suppose qu'il est impossible de lutter avec la Banque, comment peut-il supposer qu'il y aurait des personnes disposées à escompter en dessous du taux de la Banque ? Et s'il y a des personnes qui veulent escompter à ce taux inférieur, comment peut-il dire que la concurrence soit impossible ?
Mais je suppose que le réescompte réussisse complètement et que la Banque obtienne ainsi 100 millions. Qu'arrivera-t-il dans un moment de crise ? Si la Banque a employé ces 100 millions à faire de nouveaux escomptes, si elle a remplacé dans son portefeuille les effets réescomptés par d'autres effets, à l'échéance des effets réescomptés trouvera-t-elle encore, malgré la crise, des réescompteurs pour une somme égale ? Si la Banque a obtenu 100 millions par le réescompte et n'en obtient plus que (page 981) 50 à l'échéance, quelle sera la conséquence ? C'est qu'elle aura un déficit de 50 millions de plus dans ses affaires que si elle n'avait pas réescompté. Le réescompte aura ainsi jeté dans la crise un nouvel élément qui l'aggravera et la rendra plus désastreuse.
Voilà pourquoi nous ne voulons pas du compte courant à intérêt et pourquoi nous ne voulons pas du réescompte, qui, au fond, et malgré une vaine apparence, lui est identique.
S'il fallait choisir entre le compte courant à intérêt admis dans toutes les banques ordinaires, ayant une allure commode, et cette forme du réescompte que l'honorable membre croit nouvelle, mais qui n'est inusitée que parce qu'elle est embarrassante, il n'y aurait pas à hésiter : les dangers étant les mêmes, il faudrait prendre le mode le plus facile.
Mais laissons là l'un et l'autre.
Nous avons vu que l'on ne peut rien ajouter ni au capital de la Banque, ni aux moyens qu'elle emploie pour avoir des fonds de tiers ; j'examine maintenant une disposition du projet qui a été vivement discutée et qu'on paraît supposer devoir diminuer ces ressources. Je veux parler du placement de l'encaisse du trésor en valeurs de banque, généralement en valeurs étrangères.
M. Demeur, qui cependant revendique la paternité de cette disposition, a conçu depuis sa naissance une triple crainte à son égard.
Je puis le calmer un peu sur la responsabilité qui lui incombe. Dès 1866, M. Dumortier et moi avons soutenu ce système au sein de la commission militaire qui fut instituée à cette époque.
Mais voyons quelles sont les appréhensions de l'honorable membre.
Voici la première.
La Banque Nationale va planer les fonds de l'Etat, mais la Banque achète aussi des valeurs sur l'étranger pour son propre compte ; achetant pour elle et pour l'Etat, elle donnera les moins bons marchés à l'Etat et gardera les meilleurs pour elles.
Je crois que l'honorable membre se fait là une crainte tout à fait chimérique. (Interruption.)
J'ai dit que vous supposez que la Banque conserverait les meilleurs achats pour elle et remettrait les plus mauvais à l'Etat.
Je ne parle pas de la qualité des valeurs, je parle de leur prix.
Nous sommes donc d'accord ; voilà ce que vous avez dit.
Est-ce bien sérieusement qu'on manifeste une pareille crainte ? Tout ce qui se fera par la Banque se fera sous la surveillance du commissaire du gouvernement. Et la situation que l'on semble redouter, n'est-elle pas fréquente ? Les agents de change n'achêtent-ils pas chaque jour pour plusieurs de leurs clients ? Toutes les maisons de banque n'achètent-elles pas pour elles et pour des tiers ? Il y a ici une garantie : c'est le cours du change. Comment peut-on supposer que les administrateurs de la Banque peuvent chercher à faire profiter cet établissement d'une insignifiante différence, en s'exposant à se déshonorer sans attendre aucun profit pour eux-mêmes ?
La seconde crainte qui préoccupe l'honorable membre, c'est que les sommes qui seront ainsi appliquées ne soient trop faibles. Il demande ce qu'elles seront ? Il a cherché à les fixer d'avance.
A cette fin il a pris pour comparaison la Société Générale, qui fait à peu près annuellement la même somme de payements que l'Etat. Il a constaté que la Société Générale a un encaisse de 5 millions de francs, et il conclut naturellement à une sommer plus ou moins semblable pour l'Etat.
Tout est à peu près inexact dans ce calcul. D'abord l'encaisse au 31 décembre ne peut être pris pour base d'un calcul proportionnel ; il est toujours de beaucoup supérieur à l'encaisse moyen.
Mais y a-t-il une comparaison quelconque à établir entre l'encaisse de la Société Générale et celui de l'Etat ?
Une maison de banque peut n'avoir au plus, comme encaisse qu'un pour cent des payements qu'elle fait annuellement.
Pourquoi ? Parce qu'elle peut, à cet égard, vivre au jour le jour. Une banque se préoccupe, sauf des cas exceptionnels, des payements qu'elle doit faire le lendemain, quelquefois le surlendemain ; mais elle a des valeurs en portefeuille et elle forme, en escomptant à la Banque, l'encaisse qu'elle doit avoir.
Y a-t-il une analogie quelconque entre l'encaisse d'une maison de banque qui a un portefeuille réescomptable et l'Etat qui n'a pas cet avantage ?
Troisième crainte ; c'est la plus grave : On va diminuer les ressources de la Banque.
Messieurs, je suis obligé de dire à l'honorable membre ce que j'ai déjà dit tantôt ; il n'y a aucun rapport entre l'encaisse métallique de la Banque et ce qu'on appelle l'encaisse du trésor.
L'encaisse du trésor n'est pas autre chose que le solde de son compte courant ; cette expression impropre fait naître de fausses idées ; le solde de compte courant du trésor ne diffère en rien du solde des autre comptes courants ou de la dette de l'émission. Il constitue une dette exigible de la Banque qui n'est pas plus représentée par des écus que les autres dettes.
Que l'on applique ces fonds de l'Etat en valeurs étrangères ou en valeurs du pays, quelle différence cela fait-il pour l'encaisse métallique ? La Banque va-t-elle escompter pour une somme différente ? Non, elle sera exactement la même. Qu'elle prenne du papier sur l'étranger ou sur la Belgique, est-ce que cela change la question de son encaisse ? Que le produit de l'escompte appartienne à l'Etat ou aux actionnaires, cela dérange-t-il les conditions actuelles ? Non, on reste dans la position où l'on est aujourd'hui ; il n'y a qu'un changement, plus ou moins étendu quant à l'espèce des valeurs, et complet seulement quant au produit, mais l'encaisse reste dans les mêmes conditions. (Interruption.)
L'honorable M. Balisaux a demandé quelle espèce de valeurs sur l'étranger on prendrait. L'honorable ministre des finances donnera sans doute à cet égard des explications complètes ; mais je puis dire dès à présent qu'à mon sens, il faut que ce soient des premières valeurs, des valeurs qui peuvent se revendre immédiatement, signées par les banquiers de premier ordre et qu'on pourrait liquider du jour au lendemain. Quand nos industriels présentent de pareilles valeurs, on devra certainement les prendre de préférence, pourvu qu'elles soient tirées sur le pays sur lequel l'intérêt de l'Etat est dans ce moment d'avoir des traites.
Je considère la mesure dont je viens de parler comme la plus salutaire que l'on puisse prendre dans l'intérêt gouvernemental d'abord, dans l'intérêt du commerce ensuite. En étant à même de ramener dans le pays des fonds de l'étranger, on parera plus efficacement que par tous autres moyens à l'intensité des crises. Dans la période très difficile que l'on a eu à traverser en 1870, on sait quels services le portefeuille de la Banque a rendus à l'industrie par la grosse somme de valeurs étrangères qu'il renfermait.
Permettez-moi, messieurs, de finir par quelques observations de détail.
On a parlé de l'organisation des comptoirs. On a vivement critiqué le comptoir de Gand. Je crois que la discussion continuera à cet égard. Je ne veux me constituer ni l'accusateur ni le défenseur de la Banque de Flandre, dont je ne connais pas les agissements dans cette affaire ; mais je crois qu'il est important que la Banque apporte dans la formation des comptoirs tous les soins désirables.
Si la Banque de Flandre n'est pas un bon comptoir, on doit la remplacer.
Je ne sais pas non plus ce qui s'est passé dans le comptoir de Hasselt, contre lequel une pétition nous a été adressée ; mais le devoir de la Banque est d'examiner si les griefs de la pétition existent et, s'ils sont fondés, de prendre les mesures nécessaires.
L'honorable M. Balisaux a traité la question d'une manière plus générale ; il a critiqué la rémunération qu'on accorde aux administrateurs des comptoirs. Quant à moi, il m'est parfaitement indifférent que l'on donne beaucoup ou peu à ces administrateurs, parce que c'est là une question qui regarde exclusivement la Banque et qui n'a rien à voir avec l'intérêt public.
L'honorable membre paraît croire que cette rémunération des administrateurs des comptoirs est une cause d'élévation du taux de l'escompte. Or, cela me paraît une erreur complète. Il est évident que les traitements qu'une Banque paye à ses agents n'ont aucune espèce d'effet sur le prix que l'on doit payer pour obtenir ses capitaux.
Je suppose que la Société Générale réduise de moitié ou double le traitement de ses administrateurs, est-ce que les tiers traiteront avec elle à des conditions différentes ? Est-ce que le prix des charbons ou des fers varie d'après les traitements des administrateurs des sociétés qui les vendent ?
Comment donc le public peut-il avoir à se préoccuper de ce que l'on paye trop aux agents de la Banque ?
Si l'on diminue de moitié le traitement des administrateurs des comptoirs ou qu'on le supprime, pour opérer comme à Bruxelles ou à Anvers, cela changera-t-il le taux de l'escompte ?
Je n'examine pas la question de savoir si la Banque Nationale emplois le meilleur mode de rémunérer les membres de ses comptoirs ; mais le public ne pourrait-il pas plutôt se plaindre si on les rémunérait trop peu ?
Il est évident, en effet, que les directeurs de comptoirs seront d'autant moins portés à accepter des traites qu'ils seront moins rémunérés ; ils ne se soucieront pas d'engager leur responsabilité, s'ils ne trouvent pas une compensation aux chances de perte qu'ils courent, dans un tantième (page 982) suffisamment rémunérateur ; je crois donc qu'il n'est pas sans avantage pour le public que la rémunération des comptoirs soit assez large.
Messieurs, deux observations ont encore, été faites sur lesquelles il me paraît important d'appeler l'attention de M. le ministre des finances.
La première a trait au point de savoir s'il faut étendre les encaissements de la Banque. Je crois que, sans inconvénient, il pourrait en être ainsi et qu'elle pourrait commencer par les grands centres d'affaires, comme les environs de Mons, de Charleroi, de Liège.
Elle pourrait développer ensuite le service ; elle verra par la suite si elle peut aller jusqu'au point qu'indique l'honorable M. Dansaert, qui veut qu'elle encaisse dans toutes les communes de la Belgique.
Il est clair qu'elle ne pourrait le faire pour les localités retirées qu'avec une perte de place.
La seconde question est celle de savoir si l'on doit inscrire dans la loi le remboursement obligatoire des billets dans toutes les agences.
Il y a des avantages à ce que cela se pratique en fait ; mais je doute qu'il faille inscrire cette disposition dans la loi.
Dans tous les cas, il faut mûrement y réfléchir avant de se lier pour toutes les éventualités.
Si la Chambre le permet, messieurs, je continuerai demain.
(page 970) - La séance est levée à 10 heures et demie.