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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 avril 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

((erratum, page 952) Présidente de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 941) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave procède à l'analyse des pièces communiquées à la Chambre.

« Le sieur Berteau demande que le projet de loi sur la chasse autorise le tir des alouettes au miroir, sans permis de port d'armes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la chasse.


« La chambre de commerce d'Ostende demande que le projet de loi relatif à la Banque Nationale ne soit discuté qu'après avoir été soumis à l'examen des chambres de commerce. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants d'Elsene demandent une loi sur l'usage du flamand ou du français dans les affaires judiciaires et devant les tribunaux. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'administration de la justice dans les parties flamandes du pays.


« Des habitants de Thielrode prient la Chambre d'accorder au sieur Dincq la concession d'un chemin de fer de Sottegem à Anvers, par la vallée de l'Escaut et le pays de Waes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil d'administration de la Société Anversoise pour la construction et l'amélioration de maisons d'ouvriers appelle l'attention de la Chambre sur les inconvénients du système actuel d'imposition au point de vue des classes laborieuses. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lefrancq présente des observations sur la question des lits militaires. »

- Même renvoi.


« Le sieur Deboeck, préposé des douanes, demande la révision de l'article premier de la loi du 21 juillet 1844, une augmentation de traitement et la réduction des retenues opérées au profit de la caisse des pensions. »

« Même demande du sieur Lecocq, brigadier des douanes, et du sieur Meirschaert, sous-brigadier des douanes. »

- Même renvoi.


« MM. G. Jottrand et Kervyn de Volkaersbeke demandent des congés. »

- Accordés.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires

Rapport de la commission spéciale et de la section centrale

M. Le Hardy de Beaulieu dépose le rapport sur le projet de loi accordant un crédit d'un million pour la continuation des travaux du palais de justice.

M. De Lehayeù dépose le rapport de la commission spéciale sur la demande de crédits supplémentaires au budget de 1871.

- Ces rapports seront imprimés et distribués et les objets qu'ils concernent mis a la suite de l'ordre du jour,

Projet de loi prorogeant la durée de la Banque Nationale

Discussion générale

M. de Lhoneux. - Messieurs, le grave et difficile problème de l'organisation du crédit, se pose de nouveau, à l'occasion du renouvellement du privilège de la Banque Nationale.

Il importe, messieurs, que chacun de ceux qui ont étudié cette question importante, qui, soit théoriquement, soit pratiquement, sont à même de la discuter, exposent leurs vues, leurs idées, leurs sentiments, afin que, bien éclairée, la Chambre puisse doter le pays d'une loi qui ouvre pour lui une ère nouvelle de progrès et de prospérité industrielle.

Quelque peu autorisée que soit ma voix en semblable matière, je croirais donc, messieurs, manquer à mon devoir, en n'indiquant pas avec sincérité et conviction mon sentiment sur le projet de loi qui nous occupe.

Je laisse à d'autres le soin de discuter ces questions intéressantes de la liberté des banques, de l'unité ou de la pluralité des banques d'émission ; quant à moi, messieurs, je déclare que je suis partisan du système actuellement en vigueur, et je crois qu'il importe que le pays conserve l'institution dont l'a doté, en 1850, l'honorable M. Frère-Orban.

Sans doute, cette institution n'est pas parfaite ; sans doute, il y a des critiques à formuler et des réformes à opérer ; mais conservons en améliorant, modifions en perfectionnant, et au lieu de courir les aventures et de nous lancer dans l'inconnu, gardons soigneusement ce que nous possédons, eh nous rappelant que souvent : le mieux est l'ennemi du bien.

Nous avons dans les mains un instrument qui incontestablement a rendu de nombreux services au pays ; au lieu de le briser, mettons-le à même d'en rendre de nouveaux et plus importants encore, en y apportant des modifications qui le rendent plus complet, plus fort, plus parfait.

C'est ainsi, au surplus, messieurs, que le gouvernement a compris la question, puisqu'il nous propose aujourd'hui le renouvellement du privilège concédé en 1850 à la Banque Nationale, et indique certaines modifications à apporter à la loi encore actuellement en vigueur.

Le principe étant admis, ce sont donc les modifications proposées qu'il importe d'examiner, en se demandant s'il n'en est pas d'autres encore, à formuler et à introduire. Telle est la question, messieurs, que je vais m'efforcer de traiter. Et tout d'abord, je dirai qu'il me paraît évident que le capital de la Banque doit être augmenté dans de notables proportions, et qu'en proposant de le doubler, le gouvernement n'a nullement excédé les bornes de ce qui est nécessaire.

On le proclamait déjà en 1850 : l'un des objets les plus importants dans une banque d'émission, c'est la détermination du capital social.

Partant de ces principes, que le capital devait être en rapport avec les risques à courir, qu'il devait être proportionné aux affaires dont l'institution allait être chargée, et qu'il devait exister certaine corrélation entre la circulation prévue et le capital engagé, il fut proposé et admis alors, que le capital serait fixé à 25 millions de francs.

Mais, messieurs, toutes les prévisions d'alors ont été déroutées, le chiffre d'affaires a plus que quintuplé, et la circulation fiduciaire, que les plus audacieux entrevoyaient pouvoir être portée à 75 millions de francs, est arrivée aujourd'hui au chiffre de près de 250 millions, auquel elle ne s'arrêtera certainement pas.

Serait-il raisonnable de prétendre, dans ces circonstances, que le capital de 25 millions est encore en rapport avec les risques courus, proportionné à la circulation fiduciaire actuelle et surtout au développement des affaires, principe que l'on doit chercher soigneusement à sauvegarder, et que l'honorable M. Frère-Orban proclamait déjà en 1850, en disant dans son exposé des motifs « que les affaires ne devaient jamais être en disproportion avec les fonds versés ? »

(page 842) Evidemment non, messieurs, et c'est ce qu'un ancien ministre des finances, aujourd'hui gouverneur de l'un des principaux établissements financiers de la Belgique, l'honorable M. Liedts, comprenait et avouait implicitement en 1870, lors de la crise financière, puisque nous lisons dans les procès-verbaux de la commission consultative instituée au département des finances à cette époque (page 54 du n°17 des documents parlementaires) ce qui suit : « M. Liedts regrette que la loi sur la Banque Nationale n'ait pas prescrit un capital social plus considérable. »

On reconnaissait donc, en ces moments critiques, l'importance et la nécessité d'un capital plus élevé, c'est-à-dire mieux proportionné aux affaires et à la circulation fiduciaire, et c'est ce que nous ne devons pas oublier, aujourd'hui que nous sommes appelés à nous prononcer sur cette question.

La preuve, du reste, que cette augmentation est nécessaire, c'est la très grande sensibilité dont est douée la Banque Nationale, que nous voyons hausser ou diminuer son escompte, suivant que son encaisse diminue ou augmente de quelques millions seulement.

Cette sensibilité est peut-être aujourd'hui excessive, messieurs, et si l'augmentation du capital est de nature, comme je le crois, à y remédier dans certaine mesure, nul doute que nous ne devions la décider.

Le commerce et l'industrie ont, en effet, besoin pour se livrer à leurs opérations, pour oser contracter et conclure des affaires à terme, de pouvoir compter sur certaine fixité dans le marché financier ; des variations trop fréquentes et trop brusques dans le taux de l'argent déroutent les prévisions, modifient les conditions, et par la crainte qu'elles inspirent, empêchent souvent l'industrie et le commerce de prendre l'essor dont ils sont susceptibles.

Il importe donc de remédier, dans la mesure du possible, à cet inconvénient, et je crois que l'augmentation du capital de la Banque doit avoir, en partie du moins, cette conséquence.

Je ne puis par suite, messieurs, en ce qui concerne cette question, me rallier à l'opinion exprimée par la section centrale, et je réclame du gouvernement, qu'il maintienne son projet et exige non seulement que le capital nominal de la Banque soit porté à 50 millions, mais encore que le versement de ce capital soit réellement effectué en 1873, 1874 et 1875, comme il a été indiqué dans l'exposé des motifs.

Les bénéfices des actionnaires et de l'Etat pourront, avec ce système, n'être peut-être pas tout à fait aussi élevés que si une partie du capital était tenue en réserve, mais cette considération ne doit que médiocrement nous toucher, s'il peut résulter de l'adoption de cette mesure, de bons effets pour l'industrie et le commerce, dont les intérêts doivent surtout nous guider.

Quant à moi, messieurs, outre que je réclame le versement complet du capital nouveau souscrit, je voudrais de plus que les statuts modifiés prévoient, dès à présent, la possibilité d'augmenter encore le capital, si, à un moment donné, le gouvernement en reconnaissait la nécessité.

Il est incontestable, que le capital porté à 50 millions suffira pendant un certain nombre d'années à tous les besoins, à toutes les exigences ; mais le développement des affaires peut être tel, qu'il soit nécessaire d'ici à un temps plus ou moins éloigné de procéder à de nouvelles augmentations.

Le terme pour lequel on nous convie de voter à nouveau le privilège de la Banque Nationale est évidemment considérable, et l'on ne peut dès maintenant prévoir tout ce qui peut survenir, pendant ce laps de temps.

Il me paraît donc prudent et sage, d'octroyer au gouvernement la faculté d'ordonner de nouvelles augmentations de capital, si le besoin s'en faisait sentir. Le gouvernement usera ou n'usera pas de cette faculté, suivant les circonstances, mais il importe, selon moi, qu'il soit armé, afin que, si la nécessité en devenait impérieuse, il ne se trouvât pas entravé par des résistances qu'il ne pourrait vaincre.

Ce n'est pas, messieurs, une mesure de défiance que je réclame, mais une mesure de prudence, et j'ajouterai que si je vois des motifs sérieux d'accorder cette faculté au gouvernement, je n'en vois aucun pour la lui refuser.

Une disposition du genre de celle que je voudrais voir établir dans notre législation existe dans la loi d'organisation de la Banque des Pays-Bas, évidemment calquée sur la nôtre.

L'article 6 de la loi du 22 décembre 1863 est ainsi conçu : « Le capital social de la Banque des Pays-Bas s'élève à.... Pour autant que l’extension des opérations l'exige, et la direction de la Banque entendue, nous nous réservons, en tout temps, la faculté d'ordonner l'augmentation dudit capital. »

Pourquoi, messieurs, n'introduirions-nous pas une disposition semblable dans notre législation ?

Nous armerions ainsi le gouvernement sans danger pour personne et donnerions, en outre, satisfaction aux justes réclamations du commerce, - voir notamment la lettre de la chambre de commerce d'Amers, - qui voit dans l'octroi de cette faculté un moyen de sauvegarder ses intérêts.

J'aime à croire que le gouvernement se ralliera à cette modification.

L'article 14 de la loi de 1850 porte : « Les billets seront payables à vue aux bureaux de la Banque à Bruxelles. Le gouvernement est autorisé à les admettre en payement dans les caisses de l'Etat. »

Aux termes de cette disposition, que le gouvernement ne propose pas de modifier, la Banque n'est obligée d'opérer l'échange de ses billets contre des espèces qu'à Bruxelles seulement, et si l'échange s'opère en province, c'est à titre dé pure tolérance, de pure obligeance, toujours révocable de la part de la Banque.

Je viens, messieurs, réclamer une modification radicale à cet article, et demander, que ce que la Banque fait aujourd'hui à titre de tolérance seulement, elle le fasse désormais à titre d'obligation, dont elle ne puisse s'exonérer.

Pourquoi, messieurs, cette différence entre la province et la capitale au point de vue de l'échange des billets ? Pourquoi donner à la Banque la faculté de décréter en quelque sorte le cours forcé en province, tandis que l'échange continue à s'opérer à Bruxelles ? Pourquoi ne pas exiger, en un mot, de la Banque qu'elle traite tous ses clients de la même façon ?

Je comprends, qu'aux débuts de l'institution nouvelle, alors que l'on ne pouvait prévoir comment elle fonctionnerait, quel accueil on lui ferait, les développements qu'elle prendrait, alors également que les moyens de communication étaient et moins nombreux et plus difficiles qu’à présent, on prît certaines précautions, de nature, semblait-il, à la garantir des difficultés et des dangers qu'on entrevoyait et qu'on craignait pour elle.

Mais aujourd'hui, que la Banque Nationale a surmonté tous les périls et toutes les entraves qu'elle pouvait rencontrer à sa naissance, aujourd'hui qu'elle a cette grande situation et cet immense crédit que l'on sait, aujourd'hui que ses billets circulent avec une facilité inouïe et une confiance en quelque sorte illimitée, aujourd'hui enfin que l'on peut presque instantanément transporter des espèces métalliques sur tous les points du pays, je ne vois plus, pour moi, de motif de maintenir la disposition de l'article 14, tandis que j'y vois des dangers, que des événements récents nous ont révélés et mis à même d'apprécier.

Mais, dira-t-on, vous allez, en astreignant la Banque à échanger, partout et en tout temps, ses billets contre des espèces, l'obliger à disséminer son encaisse, à l'éparpiller sur toute la surface du pays, et c'est là un inconvénient et un danger.

Eh bien, messieurs, si inconvénient et danger il y a, ils existent déjà aujourd'hui, puisque la Banque, sauf dans de rares circonstances qu'elle est maîtresse d'apprécier, - et c'est précisément ce que je ne voudrais plus, - échange ses billets à vue partout.

Au surplus, admettons même que la Banque doive, en vue de cette obligation nouvelle, entretenir dans toutes ses agences de province un encaisse métallique un peu plus important qu'aujourd'hui, il y aurait plutôt lieu, ce me semble, de se féliciter de ce résultat que de s'en plaindre, parce qu'il aurait pour conséquence d'obliger la Banque à composer son encaisse métallique d'espèces monnayées surtout, au lieu des lingots qu'elle possède aujourd'hui.

La crise de 1870 nous a fait connaître, en effet, que l'encaisse métallique de la Banque était constitué en grande partie de lingots et non d'espèces monnayées, et nous pouvons constater, par la lecture des documents nous distribués, que ce fait a failli l'embarrasser considérablement, et que son grand souci, à cette époque, était de se procurer ou de faire fabriquer les espèces d'argent suffisantes, pour satisfaire aux demandes de remboursement dont elle était assaillie. (Voir notamment pages 5, 29, 49 et 67 des documents sur la crise financière de 1870.) Sous ce rapport donc, le mal serait nul, ou plutôt, il y aurait un bien.

Mais où il y aurait un bien plus grand, c'est qu'à la naissance et aux débuts d'une crise financière, la Banque ne pourrait plus, en refusant en province l'échange de ses billets, donner à cette crise une gravité et une intensité qu'elle n'aurait pas, si on ne fomentait pas, en quelque sorte, la panique, en dépréciant dès l'abord, l'élément principal des échanges, les billets de la Banque.

Qui oserait dire, messieurs, ce qu'eût été la crise de 1870, si le refus d'échanger les billets en province ne s'était pas produit ?

Qui oserait prétendre que cette crise eût eu la même intensité, la même gravité et surtout la même durée, si cette mesure, que l'on a été forcé de rapporter presque immédiatement, n'avait pas été prise ?

Qui oserait avancer que cette panique, qui a fait se jeter le public tout entier sur les guichets de la flanque pour échanger ses billets, eût existé (page 943) si, pendant quelques jours, on n'avait refusé d'opérer cet échange, ou du moins si l'on n'y avait apporté des restrictions considérables ?

Personne, je pense, de ceux qui étudient les faits se rendent compte des événements, et ont lu avec attention les documents qui ont été publiés sur la crise financière de 1870.

Je n'entends pas, messieurs, rechercher ici par suite de quelles circonstances la Banque a pris, en 1870, la mesure dont je parle ; cette recherche pourrait m'amener sur le terrain politique, et mêler à ces débats des éléments qu'il importe d'en écarter ; je ne veux pas récriminer, c'est l'avenir qui me préoccupe, que je veux sauvegarder, et non le passé que je veux blâmer.

Je me borne donc à constater un fait, et à en tirer des conséquences au point de vue de la thèse que je défends, à savoir qu'il ne faut pas laisser dans les mains de la Banque une faculté qui, à un moment donné, peut avoir des résultats désastreux, et dont je n'entrevois pas, quant à moi, les bons effets possibles.

En suspendant momentanément en province l'échange de ses billets, la Banque croira toujours se garer, éviter des dangers, sauvegarder sa situation et garantir son encaisse ; les faits sont là pour prouver qu'aucun des résultats qu'elle aura en vue ne sera atteint, et qu'elle aura, sans aucun profit, suscité des entraves et jeté la perturbation dans les affaires.

Si, au commencement d'une crise, au lieu de voir refluer vers la capitale les encaisses de toutes les agences, on voyait au contraire la Banque envoyer des espèces en province, ce fait produirait incontestablement une impression salutaire, et le public, au lieu de se jeter sur les guichets pour réclamer des espèces dont il n'a nul besoin, continuerait comme précédemment à opérer ses transactions à l'aide de billets, contre lesquels il saurait pouvoir obtenir des espèces, en cas de nécessité.

Si, d'autre part, les banquiers ne se voyaient pas, en ces moments, refuser soit en totalité, soit en partie, le métal indispensable à leurs besoins, ou s'ils n'étaient pas sous le coup de mesures restrictives, s'ils savaient, en un mot, que la Banque ne peut refuser les échanges, ils se garderaient de remplir, comme ils le font, leurs coffres d'espèces monnayées et d'entretenir des encaisses dix fois plus considérables que ceux qui leur sont nécessaires, mais laisseraient, comme en temps ordinaire, les espèces métalliques dans les caisses de la Banque Nationale, se bornant seulement à réclamer les sommes indispensables pour satisfaire aux demandes et aux besoins de leur clientèle.

Et le vide ne se ferait pas dans les caisses de la Banque Nationale.

Sous ce rapport, l'expérience de 1870 me paraît concluante.

Je ne veux pas, messieurs, m'appesantir davantage sur ce point et insister trop vivement sur ces événements de 1870 ; je renvoie ceux qui ne seraient pas complètement édifiés et douteraient encore, à la lecture des documents qui nous ont été distribués sur la crise financière. Qu'ils lisent avec attention, et les circulaires de la Banque Nationale, et la correspondance du ministre avec la Banque, et les lettres de M. le commissaire du gouvernement près de la Banque, et enfin les procès-verbaux de la commission consultative instituée à cette époque auprès du département des finances, et ils seront convaincus comme moi, je n'en doute pas, de la nécessité de modifier l'article 14 dans le sens que j'indique.

Du reste, messieurs, en réclamant cette modification, je me borne à demander que l'on transporte dans notre législation ; un principe qui existe et qui a été mis en pratique par d'autres nations voisines.

La Hollande notamment, en reconstituant en 1863 la Banque des Pays-Bas, a consacré ce. principe de la convertibilité générale des billets de banque. L'article 13 de la loi du 22 décembre 1863 porte en effet :

« Les billets de la Banque des Pays-Bas sont payables à vue, au siège principal, à la succursale et aux agences.

« Le payement aux agences peut cependant être ajourné, jusqu'à ce qu'elles aient pu recevoir de la Banque centrale les fonds requis. »

Or, je ne sache pas, messieurs, que nos voisins et amis les Hollandais soient précisément des imprudents et des coureurs d'aventures.

N'est-ce pas d'eux, en effet, que l'honorable M. Pirmez, dans son remarquable rapport sur le projet de loi qui nous occupe, a fait ce bel éloge, auquel, pour ma part, je m'associe complètement ?

« Peu de pays ont su, au même degré que les Pays-Bas, apporter dans les affaires publiques la saine appréciation des choses, l'esprit de liberté, l'intelligence des nécessités gouvernementales, la connaissance des lois économiques ; comme en bien d'autres branches de la science du gouvernement, ils ont, dans la pratique de saines notions financières, sans bruit mais non sans profit, devancé de grands Etats. »

Eh bien, messieurs, je demande que nous marchions sur la trace de ce peuple prudent et sage et que, de même qu'il se hâte de profiter des progrès que nous réalisons, nous ne craignions pas de lui emprunter les bonnes mesures qu'il a adoptées avant nous, alors surtout qu'elles sont consacrées par l'expérience.

Deux éléments, deux intérêts, participent seuls aujourd'hui à l'administration et à la direction de la Banque Nationale.

Par l'attribution du choix du gouverneur qui lui est dévolue, par la nomination d'un commissaire spécial qui lui appartient, le gouvernement participe dans certaine mesure à la direction de la Banque Nationale ; en nommant les directeurs et le conseil des censeurs, les actionnaires tiennent en réalité dans leurs mains toute l'administration, tous les pouvoirs de la Banque.

Je me demande, messieurs, s'il ne serait pas utile, s'il ne serait pas conforme aux intérêts de tous d'introduire dans l'administration, ou du moins dans les conseils de la Banque, un élément nouveau.

Pourquoi le public, pourquoi l'industrie et le commerce, intéressés non à ce qu'on fasse de gros bénéfices, - qu'on prélève sur eux, - mais à ce qu'on rende la plus grande somme de services possible, ne seraient-ils pas représentés dans les conseils de la Banque, et pourquoi surtout, un élément autre que l’élément actionnaire, n'aurait-il pas quelque chose à dire et quelque influence sur les mesures et les décisions à prendre ?

Lorsque, en 1870, on s'est trouvé en présence de circonstances graves, on a constitué auprès du département des finances une commission consultative composée de membres du gouvernement, de délégués de la Banque, de représentants et d'autres éléments pris parmi les notabilités financières et industrielles de la Belgique.

Cette commission, dont les procès-verbaux des séances ont été publiés, a eu, semble-t-il, d'heureux effets, et on lui doit l'adoption de diverses mesures, qui ont eu pour résultat de ramener le calme dans les esprits et de conjurer la crise.

Ce fait, messieurs, prouve qu'un nouvel élément, pris en dehors de l'élément actionnaire, loin de nuire aux intérêts de la Banque, serait de nature à lui donner une force et une autorité plus grandes, en même temps qu'il serait pour le commerce et l'industrie une assurance nouvelle, que ses intérêts seraient sauvegardés et défendus.

Je propose donc que, modifiant en ce point et l'article 20 de la loi d'organisation et les statuts de la Banque, la Chambre retienne pour elle la nomination des censeurs et les choisisse désormais, soit dans son sein, soit en dehors, soit mi-partie parmi ses membres et mi-partie parmi les notabilités du commerce et de l'industrie, mais, en tous cas, en dehors des actionnaires de la Banque.

Les personnes ainsi choisies seront, il est vrai, désintéressées dans les résultats financiers de la Banque à la marche de laquelle elles participeront ; mais ce ne sera pas un mal, parce qu'elles n'auront d'autre souci et d'autre préoccupation que le bien général, et seront mieux à même d'apprécier, dans des moments critiques, ce qu'il importe de faire.

Il serait au surplus erroné de croire qu'elles offriront, par suite de ce qu'elles ne doivent retirer aucun bénéfice des soins qu'elles donneront à l'accomplissement de leur mission, moins de garantie de bonne gestion.

La preuve est faite sous ce rapport, messieurs, car nous voyons la caisse d'épargne et de retraite sous la garantie de l'Etat, organisée en 1865, et dirigée par un conseil composé de membres nommés directement par le Roi et n'ayant aucun intérêt, aucun profit dans l'institution qu'ils administrent, nous voyons, dis-je, cette caisse d'épargne donner les résultats les plus favorables, les plus satisfaisants.

Je livre, messieurs, l'idée que je viens d'indiquer, à l'examen attentif de M. le ministre des finances, persuadé qu'elle serait de nature, si elle était mise en pratique, à produire d'excellents fruits, et au point de vue général, et même au point de vue particulier de la Banque elle-même, qui n'aurait rien à perdre, ce me semble, à voir quelques sommités de cette Chambre et de l'industrie prendre part à ses conseils et l'éclairer de leurs avis.

L'article 12 de la loi du 5 mai 1850 porte :

« La Banque émet des billets au porteur. Le montant des billets en circulation sera représenté par des valeurs facilement réalisables.

« Les proportions entre l'encaisse et les billets en circulation seront fixées par les statuts. »

Et l'article 13 des statuts de la Banque Nationale dit :

« La Banque est tenue d'avoir un encaisse métallique égal au tiers au moins du capital réuni des billets en circulation et des sommes déposées.

« L'encaisse pourra toutefois descendre au quart, avec l'autorisation du gouvernement. »

Comprenant combien il était difficile de fixer une proportion invariable entre l'encaisse et la circulation des billets, la loi d'organisation de la Banque avait laissé aux statuts le soin de déterminer cette proportion.

(page 944) Les statuts sont venus combler cette lacune et indiquer d'une façon précise, les limites en dessous desquelles l'encaisse ne pourrait descendre. Est-ce un bien, messieurs ?

J'ai été frappé, je l'avoue, en lisant les procès-verbaux des séances de la commission consultative organisée en 1870, auprès du département des finances, de voir combien était grande, à cette époque, la préoccupation de la Banque de ne pas laisser descendre ion encaisse en dessous du quart de ses engagements. On peut constater, par la lecture de ces documents, que cette prescription des statuts a été pour beaucoup dans l'adoption et le maintien de diverses mesures - et non des meilleures - décrétées à cette époque par la Banque.

On peut se convaincre encore qu'en ces moments critiques, on entrevoyait la nécessité possible de devoir ou modifier les statuts sur ce point, ou les enfreindre, et que l'on discutait déjà la question de savoir, qui prendrait la violation de la loi sous sa responsabilité.

Il me paraît résulter de ces enseignements, qu'il y a lieu de modifier la loi sur ce point et de décréter, ou bien, à l'exemple de la législation hollandaise, que la proportion entre l'encaisse et les engagements sera fixée par arrêté royal simplement, ou bien, que le gouvernement pourra, dans des circonstances extraordinaires, autoriser la Banque à descendre en dessous du quart, aujourd'hui fixé, à charge par lui, si l'on veut, de faire approuver immédiatement la mesure par la Chambre, si elle est assemblée, ou à sa plus prochaine réunion, si elle ne l'est pas.

Lors de la discussion de la loi d'organisation de la Banque des Pays-Bas, le ministre des finances justifiait ainsi la disposition de l'article 16, qui indiquait que la proportion entre l'encaisse et les engagements de la Banque serait fixée par arrêté royal :

« Si l'on veut une garantie telle, que la Banque puisse, en tout temps, satisfaire à ses obligations, il faut fixer le minimum du rapport qui doit exister entre la caisse, d'un côté, et les billets, les assignations de banque et les soldes débiteurs des comptes courants, d'un autre côté,

« Ce mode de procéder a été, dans ces derniers temps, inauguré pour plusieurs banques étrangères et récemment pour la Banque de Java... La loi ne peut, à cet égard et sans inconvénient, fixer une règle qui, uniquement basée sur des besoins actuels, pourrait peser sur l’avenir et ne pas être sans danger. »

Et plus tard, les sections auxquelles le projet de loi avait été renvoyé, ayant insisté pour que la proportion fût indiquée par la loi, ou que du moins le minimum de numéraire ou de lingots, devant exister en caisse fût fixé, le ministre répondait : « Pour ne nommer qu'un des principaux inconvénients qui s'opposent à la réalisation de l'idée de faire fixer le rapport, (la proportion) par la loi, le gouvernement invoque le cas très probable que, par suite de circonstances extraordinaires, il soit nécessaire de modifier prestement, même immédiatement, les prescriptions concernant ce point. » Et il ajoutait encore : « Le gouvernement, en rappelant que les dispositions données par le Roi seraient publiées, estime qu'il n'est pas nécessaire, et que, même pour le cas d'urgence, il serait dangereux de conclure à ce que le conseil d'Etat doive être entendu. »

Cette opinion, messieurs, fut adoptée par les chambres hollandaises et consacrée, comme je le disais tantôt, par l'article 16 de la loi du 22 décembre 1863.

Je demande, messieurs, que nous adoptions une disposition semblable et décidions que désormais, la proportion entre l'encaisse et les engagements de la Banque sera fixée par arrêté royal, ou bien si l'on préfère, que l'on autorise le gouvernement, dans des circonstances extraordinaires, à descendre e» dessous du minimum du quart, aujourd'hui fixé par les statuts. -

J'ai lieu de croire que l'honorable ministre des finances, qui faisait partie de la commission consultative de 1870 et qui, mieux que personne, a été à même de constater le danger de la disposition que je critique, ne s'opposera pas à cette modification..

J'ai, messieurs, une dernière observation à présenter.

Le gouvernement propose de proroger, pour un terme de trente ans, le privilège accordé à la Banque Nationale.

Je reconnais, messieurs, que pour vivre, se développer et rendre tous les services dont elles sont susceptibles, des institutions dans le genre de celle de la Banque Nationale ont besoin de stabilité, de certitude de durée ; mais il y a lieu de se demander si le terme qu'on veut aujourd'hui octroyer à la Banque, n'excède pas quelque peu les bornes de ce qui est nécessaire.

Il est incontestable, ainsi que le dit la chambre de commerce d'Anvers dans la lettre qu'elle a adressée à la Chambre des représentants, que le monopole, que le privilège concédé à la Banque Nationale rencontre encore, et en certain nombre, des adversaires convaincus.

Dès lors, il y a lieu peut-être de ne pas se lier pour un terme trop long, et de laisser se faire une expérience nouvelle, afin de voir « si les progrès de la science économique ne conduiront pas à une solution autre, plus favorable encore au développement de l'industrie et du commerce. »

D'autre part, les affaires ont pris depuis quelques années, en Belgique, un si merveilleux essor, qu'il est impossible de prévoir les besoins, les nécessités, les transformations qui peuvent s'imposer à nous dans l'avenir.

Enfin, messieurs, cette obligation pour la Banque de se représenter au bout d'un certain nombre d'années devant les Chambres, pour demander le renouvellement de son privilège et faire en quelque sorte juger sa conduite par le pays, n'est-elle pas de nature à produire de bons résultats, et à forcer la Banque à se préoccuper sans cesse non seulement de ses intérêts, mais encore et surtout de ceux du commerce et de l'industrie ?

Soyez-en convaincus, messieurs, cette considération a bien son poids, a bien sa valeur aux yeux de la Banque elle-même ; je n'en veux comme preuve que le langage tenu par l'un des censeurs au conseil général de la Banque, le 6 août 1870 :

« La Banque, disait-il, a des devoirs spéciaux à remplir vis-à-vis du pays ; et à vouloir éviter, dans le présent, certains risques, beaucoup de préoccupations et une sérieuse responsabilité, on compromet l'avenir de l'institution, qui, dans des temps de crise surtout, peut fonder, par l'attitude qu'elle prend, une popularité qui lui sera nécessaire au jour prochain où le renouvellement de son privilège sera mis en question.

« Cette popularité ne peut lui manquer, au contraire, si la Banque s'associe dans une large mesure aux préoccupations actuelles des commerçants et des industriels, si elle s'efforce, par des mesures libérales, de venir en aide aux affaires commerciales sérieuses, à toutes les affaires réelles que la restriction de l'escompte ne permettrait pas de mener à bonne fin, alors que le commerce a pu légitimement compter sur le concours de la Banque. Ce censeur ne croit pas surtout qu'il est possible de puiser, dans le caractère d'un papier qu'on a constamment accepté dans des temps ordinaires, des motifs pour le repousser dans de temps de crise. »

Et sous l'empire de cette considération et de ce langage vraiment sérieux et élevé, le conseil des censeurs se ralliait à des mesures moins restrictives et plus libérales que celles décrétées précédemment.

Je pense donc que le terme de trente ans, proposé par le gouvernement comme durée du nouveau privilège de la Banque Nationale, est un peu long, et je me rallierais volontiers au terme de quinze ans, par exemple, à partir du 1er janvier prochain.

Je borne là, messieurs, pour le moment du moins, mes observations.

Sans doute il y a bien d'autres modifications à faire encore ; aussi je n'ai pas la prétention de les avoir indiquées toutes, bien loin s'en faut ;(j'apporte seulement ma pierre pour la reconstruction, ou plutôt la consolidation de l'édifice financier, sur lequel va résider de nouveau l'avenir commercial et industriel de la Belgique.

Mes observations ont été faites en dehors de tout esprit de parti, en dehors de toute espèce d'hostilité vis-à-vis de quiconque, elles sont l'expression sincère de mes sentiments, et je tiens, sous ce rapport, à ce que mes intentions ne soient pas dénaturées.

Je serai heureux si quelqu'une de mes observations est adoptée et reconnue propre à rendre meilleure l'importante institution dont on nous demande aujourd'hui la consécration nouvelle, et que je suis, pour ma part, disposé à voter.

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits.

(page 945) M. Demeur. - Je suis prêt à me faire inscrire dès à présent pour prendre la parole, mais je croyais bon qu'un orateur favorable au projet se fît tout d'abord entendre. (Interruption.)

On dit qu'aucun orateur hostile au projet n'a encore parlé ; il me paraît que le discours de M. Dansaert n'y est pas bien favorable.

Si personne ne se lève pour défendre le projet, je demanderai la parole.

M. le président. - Vous avez la parole, M. Demeur.

M. Demeur. - Je ne viens pas parler d'une manière absolue contre le projet de loi. Il y a dans ce projet, qui consacre - à part quelques modifications - ce qui existe aujourd'hui, un grand nombre de principes fondamentaux que j'approuve.

Les principes qui ont été consacrés en 1850 pour la Banque Nationale ont été empruntés à la loi du 24 germinal an XI et à des lois subséquentes relatives à la Banque de France.

La plupart de ces principes ont reçu leur consécration du temps. Aussi messieurs, si je demande la parole contre le projet, c'est parce que je m'occuperai principalement des dispositions qui ne me paraissent pas admissibles.

Mais tout d'abord, je veux rechercher la portée de l'article 4 du projet, d'après lequel les fonds disponibles du trésor excédant les besoins du service seront placés par la Banque, au profit de l'Etat, en valeurs commerciales.

Je veux mettre cette disposition nouvelle en rapport avec la disposition de l'article premier qui porte augmentation du capital de la Banque.

Vous le savez, messieurs, la Banque, depuis 1851, est caissière de l'Etat. L'encaisse du trésor public est mêlé à ses affaires comme son propre capital ; il sert, avec les billets, avec l'émission et les comptes courants, à la formation du portefeuille et de l'encaisse métallique de la Banque. «

Lorsque, le 1er janvier 1851, la Banque Nationale reçut, des mains de la Société Générale, l'encaisse de l'Etat, cet encaisse s'élevait à 13,938,517 fr. 92 c.

Depuis lors, tout en subissant des fluctuations notables, il s'est accru considérablement : il s'est élevé parfois à plus de 92,000,000 de francs ; souvent il a dépassé l'encaisse de la Banque elle-même. C'est ainsi qu'en 1868, pour toute l'année, l'encaisse moyen du trésor public a été de 87,400,000 francs ; et l'encaisse de la Banque n'a été, en moyenne, que de 85,900,000 francs.

Si l'on prend la situation au 31 décembre de chaque année, depuis 1851 jusqu'à 1871, on arrive à ce résultat, que l'encaisse moyen du trésor public a été de 49,800,000 francs.

Je ne veux pas donner ici le détail des chiffres, mais je demanderai cependant la permission de l'insérer aux Annales parlementaires. [Inséré en note de bas de page, non repris dans la présente version numérisée.]

Cette somme, messieurs, est un peu plus que le double du capital moyen versé par les actionnaires. Ce capital était originairement de 15 millions ; en 1855, il a été porté successivement, jusqu'en 1859, par des versements échelonnés, à 25 millions, chiffre actuel. Si, procédant comme l'a fait la section centrale dans son rapport, on se demande dans quelle proportion l'encaisse de l'Etat a concouru aux opérations de la Banque depuis 1851, voici les résultats qu'on obtient :

Capital : 22.1 millions de francs (10 1/2 p. c.)

Billets : 124.3 millions de francs (60 p. c.)

Comptes courants des particuliers : 12.1 millions de francs (5 1/2 p. c.)

Comptes courants de l’Etat : 49.8 millions de francs (24 p. c.)

Le capital des actionnaires est donc intervenu dans les opérations, en moyenne, pour 22,100,000 francs, et l'encaisse de l'Etat, pour 49,800,000 francs.

En d'autres termes, l'intervention des actionnaires a été de 10 1/2 p. c. et le capital particulier fourni par l'Etat, de 24 p. c.

Voilà, messieurs, quelle a été la situation jusqu'à ce jour. Actuellement, l'encaisse de l'Etat est de 70 millions.

Cette situation, messieurs, a été très souvent critiquée à un double point de vue : d'abord, et ceci me paraît le point de vue le plus étroit, en tant que l'encaisse est improductif pour l'Etat ; et, en effet, il ne lui rapporte rien, si ce n'est la gratuité du service du trésor fait par la Banque, plus la somme de 175,000 francs que M. Jacobs a mise à la charge de la Banque, en 1870 ; mais le vice principal qui a été signalé, c'est que l'Etat, qui n'a pas besoin de tous ces fonds pour son service ordinaire, qui ne les met de côté que pour pouvoir en disposer dans des circonstances exceptionnelles et extrêmes, n'en a pas la disponibilité effective, lorsque le moment du péril survient. Les événements de 1870 ont fourni, sous ce rapport, un enseignement qu'il ne convient pas de répéter.

Ce sont, sans doute, ces considérations qui ont déterminé l'honorable ministre des finances à nous présenter un changement à l'état des choses. Désormais, la portion de l'encaisse du trésor qui n'est pas nécessaire au service de la trésorerie sera placée en valeurs commerciales, en valeurs commerciales étrangères, nous dit l'exposé des motifs. Ces valeurs étant à courte échéance, productives, les deux conditions qu'on recherche : la disponibilité, la productivité sont donc acquises.

En principe, messieurs, je partage la manière de voir de l'honorable ministre des finances. Je puis dire que j'ai exposé dans cette Chambre, au mois de janvier dernier, les idées qui ont servi de base à la rédaction de cette disposition.

Mais je me demande comment elle sera appliquée. Je me demande si nous pouvons, dès à présent, entrevoir les conséquences de l'application qu'on lui donnera.

Evidemment, M. le ministre des finances aura fait ou va faire un traité avec la Banque, pour déterminer l'exécution de ce principe. Il s'agit de savoir quelle somme sera placée, dans quelles conditions. La Banque n'aura pas carte blanche, sans doute, elle ne sera pas non plus soumise à la volonté indiscutable du gouvernement. Il y aura des garanties à prendre dans l'intérêt de l'Etat ; je désirerais que M. le ministre des finances voulût bien nous indiquer quelles sont les clauses du traité qui doit avoir été fait à ce propos avec la Banque, ou si ce traité n'a pas été encore conclu, quelles sont les conditions que M. le ministre se propose d'y insérer.

Cette question intéresse le pays au plus haut degré. La solution qui y est donnée est une solution entièrement nouvelle et, sans doute, (page 946) l'honorable ministre des finances n'oserait pas dès à présent déterminer les conséquences qui résulteront de la situation nouvelle.

Nous décidons d'abord qu'il y aura une réserve pour l'Etat, c'est-à-dire qu'il y aura une somme dont l'Etat n'a pas besoin actuellement, mais qui sera mise de côté et placée. Ce placement sera fait par la Banque Nationale en valeurs étrangères.

Je demande s'il sera interdit à la Banque Nationale de faire pour son compte privé des opérations en valeurs étrangères ? Si cela était interdit à la Banque Nationale par la convention projetée, ce serait une sorte de diminution des pouvoirs de la Banque, une restriction de ses attributions telles qu'elles sont déterminées par la loi.

Je ne sais pas jusqu'à quel point M. le ministre des finances pourrait, par un traité, modifier la loi.

Si, au contraire, la Banque conservait le pouvoir qu'elle a aujourd'hui de faire des opérations sur les valeurs étrangères, ne voyez-vous pas le danger qui en résulte pour l'Etat ? Voilà la Banque qui achète des valeurs étrangères pour son compte et qui est en même temps chargée d'en acheter pour l'Etat.

Toutes ces valeurs ne sont pas les mêmes ; il y en a à divers termes ; les prix varient.

Il y a là une situation très délicate, des divergences possibles entre l'intérêt privé et l'intérêt public. C'est une situation entièrement nouvelle. Elle n'existe nulle part. La question a occupé la chambre prussienne à maintes reprises. Elle a donné lieu, au mois d'octobre dernier, à des discussions dans le parlement allemand. Je regrette que, malgré la demande que j'en avais faite dans ma section, on ne nous ait pas fourni les documents allemands relatifs à cette question.

La loi qui charge la Banque des placements pour le compte de l'Etat produira ses effets pendant trente ans. Je ne vois pas qu'il y ait utilité, il me semble qu'il y a danger à lier l'Etat pour un aussi long temps.

Au point de vue de la Banque, quelles seront les conséquences de cette mesure ?

Pour répondre à cette question, il faudrait résoudre une autre question que l'honorable ministre des finances pourrait résoudre facilement. Cette question est celle de savoir quelle somme est nécessaire à l'Etat pour faire son service financier.

Les recettes de l'Etat belge se sont élevées, dans les six dernières années, à 283,100,000 francs en moyenne par année, et la moyenne annuelle des payements pendant la même période s'est élevée à 279,900,000 francs ; dans ces chiffres figurent les dépenses pour ordre. J'indiquerai aux Annales parlementaires, si la Chambre le permet, les chiffres pour chaque année. [Insérés en note de bas de page et non repris dans la présente version numérisée.]

Quel encaisse doit avoir celui qui, en une année, reçoit 283,100,000 francs et a à payer 279,900,000 francs ?

Pour résoudre cette question, j'ai cherché une analogie. Il existe en Belgique un établissement financier dont les recettes et les payements annuels sont, en moyenne, depuis six ans, d'un chiffre approximativement égal à ceux de l'Etat, c'est la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale.

Le total des recettes et des payements de l'Etat est en moyenne, pour les six dernières années, de 563 millions ; le total des recettes et des payements de la Société générale pour favoriser l'industrie nationale est de 538 millions.

Or, quel est l'encaisse conservé par la Société Générale ?

On trouve ce chiffre au bilan de chaque année : en moyenne, l'encaisse de la Société générale est de 5 2/3 millions. (Interruption de M. Pirmez.)

J'aurais préféré que vous prissiez la parole tout à l'heure. Puisque vous n'avez pas voulu parler, je vous prie de ne pas m'interrompre. Vous êtes habitué à ces discussions. Moi, je n'y suis pas accoutumé. Je désire donc pouvoir parler sans être interrompu.

Je dis que la Société Générale fait ses opérations de trésorerie, égales à peu près à celle de l'Etat belge, avec un encaisse de 5 2/3 millions de francs environ en moyenne. C'est un fait vrai que je constate. Mais, dira-t-on, l'Etat belge ne peut pas être comparé à une institution financière. La position n'est pas la même. L'observation m'a été faite par l'honorable M. Malou, au mois de janvier dernier, et je serais charmé d'entendre signaler les différences. Je suis bien loin de dire qu'il n'y en ait pas. Je demande à m'éclairer. Je montrerai des différences qui sont en faveur de l'Etat belge.

Quelles sont les circonstances qui influent sur la détermination du chiffre de l'encaisse nécessaire à un caissier ?

Il y a une première circonstance, qui est la plus importante. C'est la régularité dans les recettes et dans les payements qu'il est chargé d'effectuer.

Or, sous ce rapport, le caissier de l'Etat est dans une position privilégiée ; l'Etat puise ses recettes à une multitude de sources, aux impôts directs et aux impôts indirects (ces derniers ont des variétés infinies), aux chemins de fer, qui fournissent des aliments journaliers à l'encaisse de l'Etat, etc. Les recettes ont leur source dans toutes les communes du pays. Des circonstances aussi favorables n'existent pour aucune institution financière. Quant aux payements, ils sont échelonnés dans le fait sur toute l'année. En second lieu, l'Etat n'a rien d'imprévu dans ses opérations financières, dans ses recettes comme dans ses payements, sauf les cas tout à fait exceptionnels ; tout est discuté, réglé, prévu à l'avance.

Les recettes sont délibérées lors de la discussion des budgets, le ministre des finances sait toujours très approximativement quelles sommes le trésor touchera les mois suivants. Quant aux payements, l'Etat n'a jamais à en faire d'imprévus, puisque, rien qu'à tenir compte des formalités voulues pour la constatation des créances, pour le visa de la cour des comptes, pour l'ordonnancement par le département des finances, il y a toujours un délai, de quinze jours à trois semaines, entre la réclamation d'une somme due par l'Etat et son payement par le caissier. Je ne parle pas des dépenses fixes qui sont toujours prévues.

Enfin, dernière circonstance qui influe sur le chiffre de l'encaisse nécessaire, c'est la possibilité de se procurer des ressources extraordinaires dans des circonstances exceptionnelles.

L'Etat belge sera, sous ce rapport, dans une position merveilleuse, après l'adoption du projet de loi.

En effet, il aura un portefeuille de valeurs à courte distance, dont une partie échoit chaque jour.

Ces différentes circonstances permettent de croire que l'Etat belge se trouverait dans une situation aussi favorable que la Société Générale au point de vue de la somme qu'il est tenu d'avoir chez son caissier pour son service de trésorerie.

Mais je laisse de côté cette comparaison. Je prends la situation de l'encaisse de l'Etat à la fin de chaque année, de 1832 à 1850, date de la création de la Banque Nationale.

Quel a été, pendant cette période, le chiffre moyen de l'encaisse de l'Etat ? J'en ai ici les chiffres ; M. le ministre des finances a bien voulu, à ma demande, en faire contrôler l'exactitude.

(page 947) Eh bien, sans entrer dans les détails, je trouve que l'encaisse de l'Etat, pendant la période de 1832 à 1850, a été de 14,900,000 francs.

Je sais que, pendant cette période, les recettes et les payements de l'Etat ont été moins considérables qu'aujourd'hui. Mais il y a une circonstance qui a singulièrement amélioré la situation, c'est la création des chemins de fer et des télégraphes. Grâce, en effet, aux chemins de fer et aux télégraphes, il n'y a pas une seule agence de la Banque qui ne puisse recevoir le même jour tout l'argent dont elle a besoin ; de sorte que la somme à laisser dans chaque agence peut être réduite au minimum.

Quoi qu'il en soit, messieurs, - je demande pardon à la Chambre d'être entré dans ces détails, - je veux être large et je suppose que l'Etat ait besoin pour son encaisse de 20 millions en moyenne. Dans cette hypothèse, quel sera pour la Banque l'effet de la disposition du projet de loi qui ordonne le placement en valeurs commerciales des fonds disponibles du trésor excédant les besoins du service ?

Messieurs, à l'heure qu'il est, je l'ai dit déjà, l'encaisse de l'Etat est de près de 70 millions.

La portion qui excède les besoins du trésor s'élèverait donc à 50 millions de francs. Ce seraient 50 millions qui devraient être distraits des ressources actuelles de la Banque et placés par elle en valeurs commerciales pour compte du trésor.

Cette somme de 50 millions disparaîtra à la fois et du passif et de l'actif de la Banque.

Au passif, elle diminuera d'autant le solde des comptes courants dus par la Banque ; à l'actif, elle diminuera d'autant soit le portefeuille, soit l'encaisse métallique, soit une partie de l'un et de l'autre.

Eh bien, lorsque je considère ces conséquences probables de l'article 4 du projet, je me demande si l'augmentation projetée du capital n'est pas plus fictive que réelle.

En effet, d'une part, le capital fourni par les actionnaires sera porté de 25 à 50 millions, et, d'autre part, l'Etat distraira des ressources de la Banque 50 millions. Où est l'augmentation des ressources de la Banque ?

Lorsque M. le ministre des finances, dans son exposé des motifs, nous a indiqué les raisons de l'augmentation du capital, il nous a dit que cette augmentation est nécessaire à cause de l'accroissement des affaires de la Banque.

Le passif en billets de Banque ne devait pas, dans les prévisions des fondateurs, dépasser 50 à 60 millions.

Aujourd'hui les opérations se sont développées dans une proportion énorme, la Banque a en portefeuille des effets pour une somme de 250 000 000 de francs, et son émission atteint à peu près cette somme.

C'est pour cette raison qu'il faut une augmentation de capital, suivant l'exposé des motifs. (Dénégations.)

Voici ce que dit l'exposé des motifs :

« Le capital social a été fixé en 1850 à 25 millions. II n'a été effectué d'abord qu'un versement partiel sur les actions : de 1856 à 1858 ont eu lieu les payements complémentaires. Le capital de 25 millions se trouve complet pour la première fois au bilan de 1859.

« Faut-il imposer aux actionnaires actuels la condition onéreuse de l'accroissement du capital de la Banque, dans quelles limites, en quel délai, par quel mode ?

« Dans le mécanisme d'une banque d'émission comme celle-ci, le rôle du capital social est secondaire ou subordonné. Les opérations reposent essentiellement sur le crédit et sur la circulation fiduciaire qui en est l'expression. La circulation fiduciaire elle-même se consolide et s'étend selon les besoins des transactions ; le billet de banque, du consentement de tous et par leur confiance, fait les fonctions de monnaie légale avec économie et profit pour tous, parce que sa convertibilité en cette monnaie ne fait doute pour personne. La convertibilité est assurée et par la réserve métallique de la Banque et par la contre-valeur réelle et réalisable que la Banque a reçue en échange de ses billets, et ce, en effets de commerce à courte échéance.

« Le billet de banque est volontairement accepté comme or ou argent : il devient ainsi l'instrument le meilleur et le plus économique pour l'escompte facile, abondant, à bon marché, de toutes les valeurs commerciales, c'est-à-dire de toutes celles qui représentent une marchandise, une transaction, une créance réelle.

« Dans le mécanisme d'une banque d'émission, le capital, s'il est permis de parler ainsi, n'est donc pas la cargaison du navire : il en est plutôt le lest.

« Aussi conçoit-on fort bien théoriquement que sans capital versé ou même sans capital garanti, une banque d'émission puisse fonctionner régulièrement, avec succès et sécurité. Cette théorie, soutenue parfois par d'assez bonnes raisons, ne doit pas néanmoins et ne peut même prévaloir d'une manière absolue. »

Nous sommes parfaitement d'accord.

M. Malou, ministre des finances. - Je demande que vous lisiez la phrase entière.

M. Demeur. - Je continue :

« En réalité, la banque d'émission ayant toujours un capital proportionné à sa circulation fiduciaire et au développement de ses affaires, inspirera toujours, au point de vue de l'opinion, une confiance plus grande et v même aura une plus ferme solidité que si cet élément lui manquait ou était insuffisant : le rôle du capital est secondaire, mais il peut n'être pas nul dans certaines circonstances. Le bénéfice proportionnel est moindre sans doute à mesure que le capital est plus considérable, mais la force morale de l'institution, par le fait de cette augmentation, s'accroît plus encore que sa force matérielle.

« En 1850, nul ne pouvait prévoir que la circulation fiduciaire, jusqu'alors restreinte à 20 millions, atteindrait, en 1872, le chiffre énorme de 237 millions. Les plus optimistes au début estimaient à une somme de 60 millions environ le terme extrême auquel la Banque pourrait arriver et dont le pays aurait besoin. »

M. Frère-Orban. - Cela est parfaitement dit.

M. Demeur. - Je reprends mon argumentation.

D'une part, on constate qu'il y a lieu d'augmenter le capital de la Banque à raison de l'accroissement considérable, actuel et futur, de ses opérations ; et par l'effet de l'article 4, vous réduisez dans une proportion considérable la somme qui, depuis 1851, a été pour la Banque un véritable capital. Il y a là un second motif d'augmentation dont le projet de loi ne tient pas compte.

M. Frère-Orban. - Il n'y a pas un économiste qui soit de cet avis.

M. Demeur. - La thèse que vous soutenez, je la connais. Je la connais d'autant mieux que je l'ai soutenue moi-même. Je l'ai défendue, en 1863, devant de nombreux négociants réunis à Bruxelles et qui demandaient l'augmentation du capital de la Banque. J'ai combattu alors l'idée de cette augmentation.

Je n'ai converti personne. (Interruption de M. Pirmez.)

Ce qui m'a converti, moi, c'est l'examen des faits ; c'est notamment l'examen du rôle que l'encaisse de l'Etat a joué dans les affaires de la Banque Nationale, rôle qui m'était inconnu alors et que je connais aujourd'hui. Les arguments que M. Pirmez développe dans le rapport de la section centrale, je les ai signalés alors. Mon discours a été imprimé et je vous en enverrai un exemplaire, si cela peut vous être agréable.

J'ai relu, et plus d'une fois, les arguments que vous avez fait valoir en cette matière, dans diverses circonstances, et que moi-même j'ai fait valoir en 1863. Je les ai examinés à nouveau et après y avoir constaté des erreurs économiques flagrantes, j'ai adopté l'opinion que je défends ici.

On m'interrompt et on me dit que cette opinion n'est partagée par aucun économiste. Comment peut-on parler ainsi ? Lisez l'enquête qui a été faite en France en 1867, vous y trouverez l'opinion de 30 à 40 chambres de commerce, de 30 à 40 économistes, et vous verrez que, sur cette question, les opinions les plus contradictoires se sont produites. Il s'agissait de savoir si le capital de la Banque de France devait être augmenté. Les uns disaient oui, les autres disaient non ; et l'opinion que je défends ici, je puis dire qu'elle a été défendue par des hommes éminents en économie politique.

Du reste, ce ne sont pas des autorités que je vous indiquerai ; je vous apporterai mieux que cela ; je vous donnerai des raisons.

Je dis donc qu'il y avait un motif pour augmenter le capital, dans la pensée de M. le ministre des finances ; c'était l'augmentation des affaires de la Banque, l'augmentation de la circulation fiduciaire.

je dis qu'à côté de cette raison, vous avez un fait dont on n'a pas tenu (page 948) compte dans le projet de loi au point de vue du capital : c'est ce fait que 50 millions dus aujourd'hui à l'Etal par la Banque, employés dans les opérations de celle-ci, qui concourent a former son encaisse et son portefeuille, seront désormais placés en valeurs étrangères au profit de l'Etat.

Est-ce que cela n'exercera aucune influence sur la situation de la Banque ? N'est-il pas évident que l'augmentation de 25 millions sera paralysée par la disposition que j'examine en ce moment ?

Si l'on tient compte de l'effet de cette disposition sur la situation de la Banque, l'augmentation du capital qui est proposée sera insuffisante. (Interruption.)

Si cette idée n'a pas l'approbation de M. Frère-Orban, elle a l'approbation de la chambre de commerce d'Anvers, elle a l'approbation de l'honorable M. Dansaert, homme pratique assurément, celle de l'honorable M. de Lhoneux...

M. Balisaux. - Et d'autres.

M. Demeur. -... et d'autres.

Cette opinion n'est pas partagée par la section centrale. Celle-ci engage au contraire le gouvernement à différer l'appel des capitaux sur les actions nouvelles.

Remarquez, messieurs, que nous n'aurons pas à voter sur cette disposition. En effet, le projet de loi dit que le capital sera augmenté de 25,000,000, mais il ne dit pas quand cette augmentation aura lieu.

Cela sera indiqué dans les modifications à introduire dans les statuts de la Banque. Si M. le ministre des finances le juge convenable, on pourra ajourner cette augmentation à dix ans.

Eh bien, je veux examiner les raisons données par la section centrale pour démontrer que le capital de la Banque est suffisant., La première raison est celle-ci : le capital de la Banque, qui est déjà de 25 millions, à côté desquels se trouve une réserve de 17 millions, qui ne fera que s'accroître par les bénéfices annuels, ce capital est déjà plus que suffisant. Ce capital forme une garantie contre les pertes que la Banque peut éprouver. Or, la Banque a escompté des milliards sans faire, en quelque sorte, aucune perte ; et il en est ainsi non seulement de la Banque Nationale, mais de tous les établissements analogues.

Le capital, dit-on, n'a d'autre but que de donner une garantie au public, qui ignore le mécanisme des banques de circulation.

Si cela était, si le capital d'une banque de circulation n'avait pas d'autre but, vous auriez mille fois raison.

A quoi bon avoir un capital, même de 10 millions, puisqu'il est constant que jamais la Banque n'a fait, en aucune année, des bénéfices inférieurs à ses pertes ?

Je demanderais donc, à votre point de vue, la réduction du capital ; et je ne comprends véritablement pas comment, dans votre système, vous ne la demandez pas. Quelqu'un peut-il s'imaginer que la Banque perdra 10 millions dans ses opérations ?

II y a un autre point de vue auquel on peut se placer pour soutenir que l'importance du capital d'une banque de circulation est au fond chose assez indifférente.

On dit : La Banque n'est qu'un intermédiaire, le crédit qu'elle fait aux uns, elle le reçoit des autres ; elle escompte des effets de commerce et elle fait ainsi crédit aux commerçants, mais elle émet en échange ses billets au porteur et en les prenant on lui fait crédit. Elle n'est donc qu'un intermédiaire ; elle n'opère pas avec son propre capital.

Il n'en est pas ainsi. Cela serait vrai, la Banque ne serait qu'un intermédiaire si les billets n'étaient pas remboursables à vue. On peut dire qu'à l'heure qu'il est, la Banque de France n'est qu'un intermédiaire, parce que ses billets ont cours forcé ; en échange des effets qu'elle escompte, elle émet des billets, et ces billets elle les reçoit en payement de ses débiteurs ; elle n'est pas tenue de les rembourser en espèces. La banque qui opère dans de telles conditions n'a, en quelque sorte, pas besoin de capital.

Je comprendrais même une banque de circulation sans cours forcé et sans capital, si le public était assez intelligent pour comprendre que ce n'est pas l'encaisse métallique qui fait la garantie, que le portefeuille qui est la véritable sauvegarde des billets. Si les négociants étaient assez intelligents pour dire : Nous acceptons les billets émis par la Banque en représentation de nos billets à ordre et de nos lettres de change, et nous n'en demanderons pas le remboursement en espèces ; ce remboursement ne nous est pas nécessaire pour nos opérations ; le billet de banque est plus commode et plus économique que le métal ; nous le recevrons en payement et il nous suffira qu'à son tour la Banque le reçoive en payement de nos échéances. Dans ces conditions, la Banque à la rigueur n'aurait pas besoin de capital.

Mais telle n'est pas la situation.

La Banque Nationale, comme toutes les banques de circulation, en échangeant leurs billets contre les billets à ordre et les lettres de change, fait deux opérations distinctes : d'abord, elle reçoit dans son portefeuille les billets à ordre et les lettres de change créées par les négociants ; elle les revêt du sceau de sa garantie et les transforme en billets au porteur.

Si la Banque ne faisait que cela, elle ne serait qu'un intermédiaire. Elle ne ferait en quelque sorte, vis-à-vis du commerce, qu'une opération d'assurance. Mais elle fait plus, et c'est ici qu'intervient, en pratique comme en théorie, le véritable rôle du capital dans les banques de circulation. La Banque dit : Ces billets, je m'engage à les rembourser tous à présentation ; on peut se présenter à mon guichet ; je suis débiteur de la totalité de mes billets et de toutes les sommes déposées dans ma caisse en compte courant, et je payerai à la première demande. Pour remplir cette obligation, la Banque ne conserve par devers elle qu'une somme bien inférieure au montant de mon passif exigible.

D'après ses statuts, la Banque doit garder une somme qui est au minimum d'un tiers de ses billets en circulation et du montant de ses comptes courants. Toutefois - avec l'autorisation du gouvernement - ce tiers peut être réduit au quart.

Or, pour l'accomplissement de cette obligation de la Banque, il n'est pas indifférent que le capital soit plus ou moins élevé. En effet, la Banque accomplit ses opérations, elle forme son portefeuille et son encaisse métallique, avec trois ressources distinctes : avec le produit de l'émission, avec les sommes déposées en comptes courants, avec le capital.

Or, de ces trois ressources, il y en a deux qui peuvent être réclamées à la Banque, chaque jour, à chaque instant. La troisième, au contraire, le capital propre à la Banque, est une ressource permanente, certaine, qui ne fait jamais défaut : l'actionnaire ne peut en réclamer le remboursement ; par conséquent plus le capital sera élevé, c'est-à-dire plus la somme qui appartient à la Banque et qu'on ne peut pas lui réclamer, sera élevée en proportion de ses opérations, en proportion de son passif exigible, plus elle aura de chances de remplir ses obligations, de rembourser à vue ses billets et de payer sans retard les sommes qu'elle doit en comptes courants.

Il n'est pas hors de propos, je pense, de signaler quelle est la situation actuelle.

D'après le bilan de la Banque publié dimanche dernier au Moniteur, le passif s'élevait à 343,300,000 francs. Je parle du passif immédiatement exigible, qui peut être réclamé sur l'heure. Il se divisait de la manière suivante :

245,300,000 francs de circulation ;

30,300,000 francs déposés par des particuliers ;

69,900,000 francs environ dus à l'Etat.

Pour remplir l'obligation qui lui incombe de rembourser à vue ces 343 millions, la Banque avait un encaisse métallique de 104,300,000 francs.

D'après ses statuts, son encaisse ne peut descendre au-dessous du tiers du passif exigible, si ce n'est avec l'autorisation du gouvernement.

Eh bien, aujourd'hui, dans les circonstances prospères où nous sommes, l'encaisse de la Banque représente seulement 30 1/3 p. c. de son passif exigible, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, à l'heure présente, cet encaisse est de 2 2/3 au-dessous du premier minimum. Voilà la situation.

Si, par suite d'une crise, d'un événement imprévu, mais que la loi doit prévoir, on présentait aujourd'hui à la Banque des réclamations s'élevant seulement à 25 millions de francs, c'est-à-dire à un peu plus de 7 p. c. de son passif exigible, la Banque ne pourrait plus fonctionner statutairement ; son encaisse métallique serait en dessous de l'extrême minimum.

L'encaisse se trouverait réduit à 79,500,000 francs, et le passif exigible serait encore de 318,600,000 francs, nécessitant, à raison d'un quart, un encaisse métallique de 79,600,000 francs ; il manquerait donc une somme de 300,000 francs à l'encaisse. Je dis que c'est une situation dangereuse. Vous ne savez ce qui peut arriver demain.

Une crise survenant, comment la Banque remédierait-elle à la situation ? Je vais vous le dire.

Elle a un moyen ; celui dont elle se sert.

Elle restreindrait son escompte.

Ainsi, si l'on demande à la Banque 7 p. c. de son passif exigible, elle en est réduite à dire au commerce :

Nous ne pouvons plus escompter. Nous devons garder notre encaisse, nous ne pouvons transgresser nos statuts.

Alors, hausse de l'escompte, réduction des bordereaux, en un mot, cet ensemble de mesures qui ont été prises en 1870, à une époque où l'Etat avait, dans les caisses de la Banque, 88,000,000 de francs. (Interruption.)

(page 949) Messieurs, feuilletez les bilans de toutes les banques, vous ne trouverez nulle part une pareille situation.

Je ne parle pas des banques dont les billets ont cours forcé, je parle de celles dont vous invoquez l'exemple dans le rapport.

M. Frère-Orban. - Et la Banque d'Angleterre ?

M. Demeur. - Je tiens ici en main le dernier bilan de la Banque d'Angleterre.

Vous le savez, messieurs, les bilans de la Banque d'Angleterre ne sont pas dressés comme les bilans de la Banque Nationale. La Banque d'Angleterre est divisée en deux départements : le département de l'émission et le département de la banque proprement dite ; j'ai rétabli les chiffres en faisant le bilan d'après la méthode des banques du continent. Quel est aujourd'hui, messieurs, l'encaisse de la Banque d'Angleterre ? Cet encaisse est de 540 millions de francs.

Ce n'est pas le chiffre donné par M. Pirmez, qui dit que l'encaisse de la Banque d'Angleterre est de 250 millions.

L'encaisse de la Banque, au département de l'émission, est de 20,927,250 liv., le département de la Banque possède en outre, 709,000 livres de métal, l'encaisse de la Banque en Angleterre est donc en total de 540 millions de francs.

M. Frère-Orban. - Mais du tout.

M. Demeur. - Du tout ! C'est plaisant. Lisez le Times. Direz-vous que c'est une erreur d'impression ?

M. Frère-Orban. - Dans le système de la Banque d'Angleterre, il y a 14 millions de livres sterling qui ne sont pas couverts, qui sont représentés par une inscription de rente au profit de la Banque. Ces 14 millions peuvent circuler sans aucune espèce de couverture.

M. Demeur. - J'engage l'honorable M. Frère à ne pas continuer, parce qu'évidemment il est à côté de la question. Je sais parfaitement bien que le capital de la Banque d'Angleterre a été prêté à l'Etat et que, pour ce capital, la Banque d'Angleterre peut émettre des billets sans aucune couverture métallique. Ce capital était d'environ 14 millions de livres sterling. Mais il n'en est pas moins vrai que la Banque a, au département de l'émission, 20,927,230 liv. st., en espèces ; et au département dé la Banque, 709,000 liv st.

M. Malou, ministre des finances. - Je voudrais bien comprendre ; mais je ne comprends pas.

M. Demeur. - Eh bien, je donnerai dans les Annales le bilan publié par le Times. [Inséré en note de bas de page et non repris dans la présente version numérisée.]

M. Pirmez. - Permettez-moi de lire la phrase de mon rapport : « Ainsi la circulation, atteignant aujourd'hui environ 610 millions, oblige à un encaisse d'environ 250 millions, chiffre excessif sans doute pour la circulation seule, mais qui est loin de dépasser ce que réclament les 460 millions de comptes particuliers et les 350 millions du trésor que doit la Banque ; aussi l'encaisse effectif est-il presque toujours de beaucoup supérieur au chiffre légal. »

Je ne parle pas d'un encaisse effectif existant. J'indique quelle est l'obligation légale. Il y a une grande différence entre ce que la loi oblige d'avoir et ce qui se trouve dans la caisse de la Banque, et je dis qu'ordinairement il y a plus dans les caisses que ce que la loi oblige à avoir. J'avoue ne pas voir quelle erreur j'ai commise.

M. Demeur. - Quoi qu'il en soit, je prends la situation de la Banque d'Angleterre d'après son dernier bilan. L'encaisse est actuellement de 21,600,000 liv. st.

La totalité des dépôts s'élève à 30,100,000 livres et les billets en circulation à 25,800,000.

Le passif de la Banque d'Angleterre est donc de 55,900,000 livres. La proportion entre l'encaisse métallique et le passif est donc de 39 p. c.

Remarquez que, dans ce passif, j'ai porté la totalité des sommes qui figurent au poste public deposit, bien que ces sommes ne soient pas toutes exigibles sur demande.

On nous a cité la Banque des Pays-Bas. J'ai ici son bilan du 18 avril dernier.

L'émission en Hollande est beaucoup plus considérable qu'en Belgique, L'émission de la Banque Nationale ne s'élève qu'à 243,000,000 de francs, tandis que l'émission de la Banque des Pays-Bas s'élève à 172,000,000 de florins. La Hollande, pays plus petit que la Belgique, a une circulation plus grande. Cela est vrai ; mais pour apprécier la situation respective des deux Banques, on ne peut prendre isolément le chiffre de l'émission ; il faut constater en même temps quelle est l'importance de l'encaisse métallique destiné à y faire face, ou plutôt il faut voir la proportion entre le passif exigible et l'encaisse métallique. L'encaisse métallique de la Banque Nationale est actuellement de 104 millions de francs et celui de la Banque des Pays-Bas est de 156 millions de florins, c'est-à-dire que l'encaisse métallique de la Banque des Pays-Bas représente 80 p. c. de son émission jointe au solde des comptes courants, lequel figure au bilan pour 23,600,000 florins.

Le document que je tiens en mains constate en même temps que le taux de l'escompte, qui est aujourd'hui, à la Banque Nationale, de 4 p. c. et de 4 1/2 p. c, est, à la Banque d'Amsterdam, de 3 p. c. et de 3 1/2 p. c. : différence de 25 p. c. pour la Banque d'Amsterdam, au profit du commerce..

La Banque des Pays-Bas, dit-on, n'a qu'un capital de 16 millions de florins et 4 millions de réserve, tandis que la Banque Nationale va avoir un capital de 50 millions ! C'est vrai, mais aussi quelle différence entre les engagements exigibles de la Banque Nationale qui excèdent l'encaisse métallique et ceux de la Banque des Pays-Bas ! La première possède un encaisse de 104 millions pour faire face à un passif de 343 millions, tandis que la Banque des Pays-Bas a un encaisse de 156 millions pour faire face à un passif de 196 millions !

Pour la Banque de Prusse, on pourrait dire aussi : Elle n'a que 20 millions de thalers de capital et 1,900,000 thalers fournis par l'Etat, plus une réserve de 6 millions de thalers, tandis que sa circulation, fin décembre dernier, était de 242 millions ; voyez la proportion, dira-t-on : c'est dix fois le capital !

Mais ce n'est pas là la question. Pour déterminer l'étendue des obligations contractées par la Banque, on ne peut faire abstraction des ressources qu'elle conserve pour y faire face. Or, quelle est, sous ce rapport, la situation de la Banque de Prusse ?

Au 31 décembre dernier, la Banque de Prusse avait un encaisse de 277 millions de thalers contre une circulation de 242 millions de thalers, et les sommes déposées exigibles ne s'élevaient pas à plus de 18 millions de thalers ; elle devait, en outre, des capitaux portant intérêt pour 20 millions. Supputez le tout et vous avez un passif de 280 millions de thalers.

Cette situation, dira-t-on, est peut-être exceptionnelle pour la Banque de Prusse.

Au 31 décembre 1871, la Prusse avait touché une partie de l'indemnité française ; cela a pu influer sur la situation de la Banque. Voyons donc la situation de celle-ci au milieu de la crise.

Au 31 décembre 1870, l'émission était de 276 millions de thalers, et l'encaisse métallique de 156 millions de thalers ; en d'autres termes, au fort de la crise, la proportion était encore là de 56 p. c.

En France, la situation, avant la guerre, avant le cours forcé, était analogue à celle que je viens d'indiquer.

La circulation de la Banque de France avait dépassé 1,300 millions de francs, mais l'encaisse métallique dépassait 1,200,000 francs et (page 950) représentait 60 p. c. de l'émission ajoutée aux sommes dues par la Banque en comptes courants.

Je constate des faits ici. Je ne dis pas que la ligne de conduite suivie par la Banque de France et la Banque de Prusse soit la meilleure. Je ne prétends point que nous devions la suivre. En la mettant en regard de celle de la Banque Nationale, j'y vois deux extrêmes. Je pense qu'autant la ligne de conduite tenue par la Banque de France et la Banque de Prusse est prudente, autant il y aurait de l'imprudence à laisser la Banque Nationale dans la situation où elle est et surtout à l'aggraver.

Les banques de circulation sont considérées comme des réservoirs métalliques où le pays, dans les moments de crise, va puiser des ressources métalliques. Je vous demande quel réservoir métallique est une banque à laquelle, en demandant 7 p. c. de son passif exigible, on interdit de fonctionner conformément à ses statuts ?

Qu'une crise survienne ; voyons quelle serait la position de la Banque d'Amsterdam et de la Banque Nationale ; quelle serait la situation du négociant hollandais et celle du négociant belge.

A ce moment chacun demande de l'argent, on demande le remboursement des billets de banque ; qu'arrive-t-il ?

La Banque de Hollande a des dizaines de millions de florins à la disposition du public avant d'arriver au minimum de son encaisse ! Ce minimum est fixé par arrêté royal et si, comme je le crois, la situation n'a pas changé depuis 1864, il est des deux cinquièmes du passif exigible.

L'encaisse présente de la marge avant de descendre à ce minimum ; la Banque a des ressources ; elle n'est pas obligée, dès le début de la crise, d'augmenter immédiatement le taux de l'escompte et de prendre toutes les mesures désastreuses que notre Banque a prises en 1870.

Le projet de loi parera-t-il à cette situation ? L'Etat, par les changements qui nous sont proposés, va employer à son profit 50,000,000 de francs, les distraire des opérations de la Banque pour les placer en valeurs étrangères.

M. Malou, ministre des finances. - Je n'ai jamais parlé de 50,000,000 de francs.

M. Demeur. -Non, vous avez dit 30 à 40 millions ; s'il est vrai que le service de trésorerie n'exige qu'un encaisse de 20 millions de francs, il y aura cependant 50 millions à placer pour le compte de l'Etat en valeurs commerciales.

Mais enfin, soit ! J'accepte le chiffre de 40 millions ; et je vous demande quelle sera la situation de la Banque' quand vous lui aurez enlevé ces 40 millions ? Cette situation, messieurs, nous la connaissons : si une crise éclatait et si l'on réclamait seulement 25 millions à la Banque Nationale, force lui serait d'augmenter encore le taux de son escompte et de prendre toutes les mesures dont elle dispose pour empêcher la réduction de son encaisse.

Quel remède, messieurs, à cette situation ?

Il est bien simple et parfaitement légitime : c'est de faire que le supplément de réserve nécessaire soit fourni par les actionnaires. Et pourquoi pas ? Cela diminuerait leurs bénéfices, sans doute ; mais ceux-ci seraient, je pense, encore assez honnêtes, et je ne vois pas l'absolue et indispensable nécessité que les actionnaires de la Banque reçoivent des dividendes de 16 p. c.

Mais, dira-t-on, ce capital, dans les moments de calme, sera perdu ; on ne pourra l'employer. L'encaisse métallique est improductif.

C'est vrai, il y a quelque chose de choquant dans l'organisation actuelle des banques de circulation qui entraîne l'accumulation d'un encaisse métallique énorme enseveli dans des caves, improductif. C'est la une conséquence de la convertibilité des billets en espèces et à vue. C'est le fruit d'un système universellement répandu, mais qui n'est pas le dernier mot du progrès en cette matière.

Je suis convaincu, pour ma part, qu'on arrivera tôt ou tard, à une solution du problème des banques de circulation qui permettra, sinon l'abolition, au moins une diminution considérable des encaisses métalliques.

Mais, ce n'est pas de la théorie que nous faisons ici. Nous sommes devant le système de la convertibilité permanente, nous sommes devant des institutions qui disent : Nous rembourserons nos billets en espèces dans toute circonstance. Il faut que cette promesse soit tenue.

Les négociants honnêtes ne font pas de promesses qu'ils ne puissent tenir. Or, dire à la Banque : Vous êtes tenue de rembourser à vue votre dette de 340 millions, alors qu'elle ne possède que 100 millions en espèces ; lui dire en même temps que son encaisse ne pourra jamais descendre au-dessous du quart de son passif, n'est-ce pas l'exposer à faire une promesse qui ne pourra être tenue ?

D'après le projet de loi, pendant trente ans, quoi qu'il arrive, la Banque Nationale continuera à fonctionner, sans que le gouvernement, sans que la législature puisse modifier, en quoi que ce soit, son organisation, en dehors de ce qui concerne les rapports de la Banque avec l'Etat. Je ne puis pas admettre que, dans la situation où nous sommes, en présence de l'imprévu, on se lie pour trente ans.

Parmi les banques qu'on a citées comme exemple, il n'y en a pas une seule, excepté la Banque de France, et je dirai dans quelles circonstances, qui ait reçu un octroi de trente ans.

Ainsi que vous le disait hier l'honorable M. Dansaert, pour la Banque d'Angleterre, toujours l'Etat peut dire : Je vous rembourserai ma dette et dans 12 mois, votre privilège prendra fin.

Voila la situation de la Banque d'Angleterre.

En Allemagne, d'après la loi du 26 mars 1870, aucune banque de circulation ne peut obtenir une prorogation de durée, à moins qu'elle ne s'oblige à se laisser retirer cette faculté, moyennant notification un an d'avance.

Ici, en Belgique, lorsque en 1843, la Société Générale demanda la prorogation de sa durée, qu'avons-nous vu ? La Société Générale créée par le roi Guillaume, qui en était en même temps le principal actionnaire, fit décider par ses actionnaires la prorogation pour vingt-cinq ans. La demande fut soumise au gouvernement. Le gouvernement répondit à la Société Générale : Nous prorogeons votre durée pour le terme que vous avez demandé, mais, avant la fin de 1849, j'aurai le droit de vous indiquer les conditions moyennant lesquelles vous continuerez d'exister. J'aurai le droit de vous dire quelles sont les modifications à introduire dans vos statuts.

La Société Générale était alors dans une position analogue à celle de la Banque Nationale aujourd'hui.

Trouvant cette situation de 1849, le ministre des finances de cette époque, l'honorable M. Frère-Orban, en profita, dans l'intérêt de l'Etat, en vue de faire admettre par la Société Générale les conditions sous lesquelles la Banque Nationale a été fondée.

La Société Générale, en 1843, en 1844, en 1845, en 1846, avait parfaitement vécu, bien qu'on ne se fût pas pressé de renouveler son octroi.

Le dernier octroi de la Banque Nationale autrichienne l'a prorogée pour dix ans : du 1er décembre 1866 au 1er décembre 1876.

En Hollande, on a accordé un terme de 25 ans, mais comme le rappelait tout à l'heure l'honorable M. de Lhoneux, par une disposition expresse, le gouvernement se réserve d'augmenter le capital, si les opérations l'exigent.

Enfin, en France, que voyons-nous ? Il y a un exemple qu'on peut citer ; c'est la dernière prorogation de la Banque de France. Mais j'espère bien qu'on n'ira pas chercher un exemple dans ce gouvernement de l'Empire qui faisait argent de tout.

La Banque de France a acheté sa prorogation de trente ans, qui était de fait de quarante ans, puisque c'est en 1857 qu'on a prorogé sa durée pour trente ans à partir de 1867.

La Banque avait alors un capital de 87,000,000 de francs ; on l'a doublé, mais la somme d'environ 100,000,000 de francs, constituée en doublement du capital de la Banque, a été versée entre les mains de l'Etat. C'était un moyen de faire un emprunt à la Banque.

Il ne faut donc pas invoquer cet exemple. Le corps législatif lui-même a protesté contre une prorogation aussi longue. Voici ce que disait la commission de ce corps chargée de l'examen du projet de loi :

« Votre commission, en se reportant aux précédents, a reconnu que jusqu'à présent il n'avait pas été fait à la Banque de concession aussi longue que celle qu'on vous propose, et elle en a trouvé la cause dans la nécessité qui s'est toujours révélée d'apporter aux statuts fondamentaux des modifications importantes dans un délai qui généralement n'a pas excédé une période de dix années. Nous étions dès lors unanimes pour demander une révision décennale. »

L'amendement a été rejeté par le conseil d'Etat.

Nous n'avons pas ici de conseil d'Etat et, je l'espère, l'amendement ne sera pas rejeté par la Chambre.

En 1840, on a fait aussi, une prorogation de la Banque de France. Le gouvernement avait demandé une prorogation de vingt-cinq ans. Qu'a-t-on dit à la chambre des députés, qu'a dit M. Rossi, rapporteur ? On a dit : « Mais non ! ce délai est trop long ; il faut absolument que, dans dix ans, nous puissions modifier les conditions de la Banque.» Un amendement dans ce sens fut présenté et adopté par la chambre des députés, et, depuis lors, une disposition analogue a été admise pour les banques départementales.

(page 951) La limitation de la durée, on peut le dire, c'est la plus élémentaire des garanties que réclame l'intérêt du public vis-à-vis du monopole accordé à les particuliers.

Ah ! je le sais bien, on dit qu'il n'y a pas de monopole, qu'il n'y a pas de privilège. Ce n'est pas un privilège qu'on accorde à la Banque Nationale, dit-on, puisque, d'après la loi du 5 mai 1830, chacun peut établir une banque de circulation. L'interdiction n'existe qu'à l'égard des sociétés constituées sous la forme anonyme ou de commandites par actions, et encore, celles-ci peuvent-elles exister comme banques de circulation en vertu d'une loi.

Est-il sérieux de dire que la liberté des banques de circulation existe parce que les particuliers, les sociétés en nom collectif peuvent créer ces banques ? Tout le monde sait que des établissements de ce genre ne peuvent s'établir que dans des conditions particulières, qu'il faut non pas la responsabilité d'un homme, mais la responsabilité d'une institution pour inspirer la confiance au public.

Il y a donc, dans le fait, sinon dans le droit, un privilège au profit de la Banque Nationale, puisque nous savons tous qu'on n'accorderait pas l'autorisation de créer une nouvelle banque de circulation à une société qui le demanderait.

Il y a donc privilège, monopole. (Interruption.) Cela ne veut pas dire que je ne considère pas comme utile l'unité en matière d'émission ; elle a des avantages et, selon moi, la situation actuelle, sous ce rapport, n'exige nullement une réforme. Mais le monopole doit avoir pour contrepoids des garanties au profit du public ; or, je demande où sont ces garanties ?

La Banque est aujourd'hui administrée par des hommes très éclairés ; je suis convaincu qu'ils administrent au mieux des intérêts des actionnaires et, à leur point de vue, au mieux des intérêts du public ; mais une chose est incontestable, c'est qu'entre l'intérêt de la Banque et l'intérêt du public, il n'y a pas toujours identité, ces intérêts ne se concilient pas toujours.

M. Boucquéau. - C'est là le vice de l'institution.

M. Demeur. - Quel est l'intérêt de la Banque ? Quel est l'intérêt des actionnaires ? Ils n'en ont qu'un seul : c'est de gagner le plus d'argent possible ; c'est de faire des bénéfices ; c'est d'avoir les plus gros dividendes. Voici la mission que, par la nature des choses, ils donnent aux directeurs : Vous gagnerez pour nous le plus d'argent possible.

M. Boucquéau. - Cela ne peut être réalisé qu'au détriment du public.

M. Demeur. - Il est évident que tout le monde peut se faire actionnaire de la Banque Nationale ; celui qui achète une action de la Banque n'agit pas en vue de l'intérêt public ; il veut faire le meilleur placement possible,

Voilà la situation. Eh bien, ce sont ces actionnaires qui se réunissent souvent, au nombre de cinquante environ, pour nommer les directeurs, les censeurs. Le gouverneur seul est nommé par le gouvernement.

Je le répète : les actionnaires se réunissent à cinquante ; c'est le chiffre moyen, si je ne me trompe, des dernières assemblées générales. J'indiquerai le chiffre exact aux Annales. L'honorable M. Malou a bien voulu me le communiquer. [Inséré en note de bas de page et non repris dans la présente version numérisée.]

Banque Nationale.

M. Malou, ministre des finances. - Mais ajoutez, pour être exact, qu'il y en a plus de 400 qui ont le droit de se rendre aux assemblées générales.

M. Demeur. - Il y en a 410.

M. Malou, ministre des finances. - Il ne faut pas dénaturer les chiffres.

M. Demeur. - Parmi ces 410, il y a bien des incapables, des mineurs, des absents, qui ne peuvent pas prendre part aux assemblées.

Ce qui importe surtout, c'est le chiffre réel des membres qui composent l'assemblée.

Donc le sort de l'administration de la Banque, le sort du pays, au point de vue du crédit, est livré à ces 50 personnes qui n'ont qu'un mobile, qu'un but : celui de gagner le plus d'argent possible. Qui me dira que ces actionnaires réunis ont en vue l'intérêt public ?

Personne. Il est parfaitement exact que la Banque a intérêt à servir convenablement le public, à ne pas le pressurer, mais dans une situation donnée, lé public trouvera que la Banque escompte à un taux trop élevé, vu l'état du marché, lorsque les directeurs, de leur côté, diront de très bonne foi que la Banque escompte à un taux modéré.

On nous a donné, dans le rapport de M. Pirmez, le taux de l'escompte des différentes banques de l'Europe et on nous dit : Voyez, de quoi vous plaignez-vous ? La Banque Nationale escompte à meilleur compte que la Banque d'Amsterdam, que la Banque de France, que la Banque d'Angleterre. De quoi donc vous plaignez-vous ?

Je dois dire que si cela était il n'y aurait pas lieu d'en être grandement surpris.

Je ne connais pas de banque en Europe ni ailleurs qui ait eu à sa disposition un capital fourni par l'Etat, double de celui fourni par les actionnaires ; cela n'existe ni en Hollande, ni en France, ni en Angleterre. Mais, messieurs, les chiffres qui nous ont été donnés ne sont pas même exacts. J'ai demandé à l'honorable M. Pirmez où il avait puisé ses renseignements ; il m'a renvoyé à M. le ministre des finances, qui m'a dit les tenir de la Banque Nationale et que le délégué de celle-ci, l'honorable M. Jamar, notre collègue, lui en avait certifié l'exactitude.

M. Pirmez. - Où existe l'inexactitude ?

M. Demeur. - Une réponse précise est difficile, parce que je n'ai pas reçu communication des documents qui ont servi à établir les calculs.

M. Jamar. - Je tiens les tableaux à votre disposition.

M. Demeur. - Parmi les erreurs que j'ai constatées, en voici une qui saute aux yeux.

D'après ces chiffres, le taux de l'escompté de la Banque Nationale n'aurait jamais été au delà de 6 p. c. Or, tout le monde sait qu'il s'est élevé, à certains moments, à 6 1/2 et même à 7.

M. Jamar. - Il s'agit de traites acceptées.

M. Demeur. - Où avez-vous vu cela ? Le rapport de M. Pirmez ne dit pas cela. (Interruption.)

S'il s'agit de traites acceptées, nous serons d'accord.

M. Pirmez. - Je demande à donner une explication.

Le rapport donne un tableau indiquant le taux comparatif de l'escompte de la Banque Nationale et des Banques des Pays-Bas, d'Angleterre et de France.

Pour faire utilement cette comparaison, il fallait prendre le taux d'escompte dans les mêmes conditions ; le minimum de l'escompte pouvait seul servir à cette fin.

On a naturellement pris le taux des traites acceptées par la Banque Nationale ; il faut, du reste, remarquer que c'est le taux auquel la Banque offre ses capitaux ; il appartient à ceux qui ont des valeurs à escompter de les placer dans les meilleures conditions. Ce taux n'a pas dépassé 6 p. c.

On a fait de même pour la Banque des Pays-Bas.

La Banque d'Angleterre ne publie qu'un taux d'escompte qui est son minimum ; mais elle escompte à des taux supérieurs les valeurs auxquelles elle n'accorde pas le bénéfice de ce minimum. II est donc rigoureusement exact de comparer ce taux à celui des traites acceptées de la Banque Nationale.

La Banque de France seule a un taux unique ; mais si l'on tient compte de sa manière d'opérer, des effets qu'elle escompte en général, on verra que le papier qu'elle admet se rapproche beaucoup plus des valeurs acceptées de la Banque Nationale que des valeurs du petit commerce, qui sont chez nous escomptées en grand nombre.

(page 952) Cette explication suffit sans doute pour dissiper les soupçons d'erreur que l'honorable M. Demeur a conçus.

M. Demeur. - Nous sommes d'accord sur ce point ; mais il reste établi que le chiffre indiqué dans le tableau comme taux moyen de l'escompte de la Banque Nationale n'est pas exact.

M. Frère-Orban. - Il est exact pour la comparaison.

M. Demeur. - J'ai fait le calcul pour les douze dernières années, d'après les rapports mêmes de la Banque et, pour ce laps de temps, le taux moyen de l'escompte est de 3.83 p. c.

Le chiffre indiqué dans le rapport de M, Pirmez n'est donc pas exact, à moins, ainsi qu'on vient de le dire, qu'il ne concerne que les traites acceptées.

- Voix nombreuses. - A demain !

(page 944) La séance est levée à 5 heures.