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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 16 mars 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Tack, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 171) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La chambre de commerce et des fabriques d'Arlon demande que la législature décrète la construction d'un chemin de fer d'Athus à la Meuse. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bouillon demandent que l'autorisation soit accordée à l'administration communale d'ordonner des battues pour la destruction des sangliers dans les bois communaux de Bouillon. »

M. Bouvier. - Messieurs, il s'agit de sangliers dans cette pétition. Des habitants de Bouillon demandent qu'il soit pris des mesures pour la destruction des sangliers qui ravagent les campagnes des environs de Bouillon. Il est urgent qu'on prenne une décision à cet égard et je demanderai que la commission soit appelée à nous présenter un prompt rapport.

- Adopté.


« L'administration communale de Seraing demande que, dans la classification dés communes, Seraing soit rangée au nombre de celles dont la population dépasse 20,000 habitants. »

M. Muller. - Je propose à la Chambre d'ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision des états de classification des communes.

- Adopté.


« Par trois pétitions, des marchands de bière et cabaretiers à Bruxelles prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à l'accise sur la bière. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Pierre-Adrien Vanden Akker. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre, avec les pièces y relatives, les procès-verbaux des opérations qui ont eu lieu à Liège le 14 de ce mois pour l'élection d'un représentant.

Il est procédé au tirage au sort d'une commission de sept membres, chargée de vérifier les pouvoirs de M. Piedbœuf, le représentant élu ; elle se compose de MM. Berten, Thienpont, de Montblanc, Elias, Van Iseghem, De Lehaye et Vermeire.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des finances et au budget des non-valeurs et remboursements

Rapport de la section centrale

M. Léon Visart. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur le projet de loi tendant à allouer des crédits supplémentaires au ministère des finances pour les exercices 1871 et 1872 et au budget des non-valeurs et remboursements pour l'exercice 1871.

Proposition de loi relative au travail des enfants dans les mines

Rapport de la section centrale

M. Guillery. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale chargée d'examiner la proposition de M. Vleminckx concernant le travail des enfants dans les mines.

Projet de loi prorogeant la Banque Nationale

Rapport de la section centrale

M. Pirmez. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant prorogation de la Banque Nationale.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite, de l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le code de commerce (livre premier, titres VI et VII)

Second vote des articles

Titre VI. Du Gage

M. le président.- Je viens de recevoir de M. le ministre de la justice une série d'amendements, dont il sera donné lecture à chaque article.

Article 34

M. le président. - L'article 34 a été adopté au premier vote dans les termes suivants :

« Le gage constitué pour sûreté d'un engagement commercial confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose engagée par privilège et de préférence aux autres créanciers, lorsqu'il est établi conformément aux modes admis en matière de commerce pour la vente d'objets de même nature et qu'il a été mis et est resté en la possession du créancier ou d'un tiers convenu entre parties. »

MM. Pirmez et Drubbel ont proposé à cet article un paragraphe additionnel qui a été renvoyé à l'examen de la commission. Celle-ci, d'accord avec MM. Pirmez et Drubbel, propose de rédiger ce paragraphe comme suit :

« La date du nantissement, dont la preuve incombe au créancier, pourra être établie, vis-à-vis de tiers, par tous les moyens légaux. »

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, la Chambre s'est mise d'accord, dans une précédente séance, sur les principes qu’il importe de consacrer par l'article 54 ;

Nous avons vu que la rédaction du premier paragraphe pouvait être améliorée. Un même mot s'y rapportait tantôt au contrat de gage, tantôt à son objet matériel. Cette incorrection disparaît dans la rédaction suivante :

« Le gage constitué pour sûreté d'un engagement commercial confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose engagée par privilège et de préférence aux autres créanciers, lorsqu'il est établi conformément aux modes admis en matière de commerce pour la vente de choses de même nature et que l'objet du gage a été mis et est resté en la possession du créancier ou d'un tiers convenu entre parties. »

Il restait à faire droit aux observations de M. Pirmez pour prévenir toutes les difficultés auxquelles pouvait donner lieu la preuve de la date du contrat de nantissement.

Je me suis mis d'accord avec la commission pour substituer la formule suivante à celle qu'elle vous avait proposée dans son dernier rapport :

« La preuve de la date du nantissement incombe au créancier. Elle peut être faite par tous les moyens de droit. »

- L'article 34, ainsi modifié, est définitivement adopté.

Articles 35 et 36

« Art. 35. Le créancier est réputé avoir les marchandises en sa possession lorsqu'elles sont à sa disposition dans ses magasins ou navires, à la douane ou dans un dépôt public, ou si, avant qu'elles soient arrivées, il en est saisi par un connaissement ou par une lettre de voiture. »

- Adopté.


« Art. 36. Le créancier gagiste perçoit aux échéances les intérêts, les dividendes et les capitaux des valeurs données en gage et les impute sur sa créance.

« Si le gage consiste en effets de commerce, le créancier gagiste exerce les droits et est soumis aux devoirs du porteur. »

- Adopté,

Article 37

(page 718) « Art. 37. A défaut de payement a l'échéance de la créance garantie par le gage, le créancier peut, vingt-quatre heures après une mise en demeure signifiée à l'emprunteur et au tiers bailleur de gage, s'il y en a un, et en s'adressant par requête au président du tribunal de commerce, obtenir l'autorisation de faire vendre le gage, soit publiquement, soit de gré à gré, au choix du président et par la personne qu'il désigne.

« Il ne sera statué sur cette requête qu'un jour franc après qu'elle aura été signifiée au débiteur et au bailleur de gage, s'il y en a un, avec invitation de faire, dans l'intervalle, parvenir à ce magistrat leurs observations, s'il y échet. »

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, il a semblé à divers membres de l'assemblée que la procédure instituée par l'article 37 devait être simplifiée. Dans le système de cet article, le créancier signifie d'abord une mise en demeure ; celle-ci est suivie, après un délai de 24 heures, d'une requête au président du tribunal de commerce ; la requête est signifiée à son tour et le président statue, après un nouveau délai de 24 heures.

Il y a donc deux exploits et deux délais de 24 heures.

L'amendement a pour objet, tout en conservant le délai de deux jours, de permettre de faire l'économie d'un exploit.

La mise en demeure pourra être suivie, dans le même acte, de la notification de la requête présentée au président.

M. Guillery. - Messieurs, j'accepte parfaitement l'amendement de M. le ministre de la justice ; je crois qu'il constitue une amélioration ; mais je tiens à appeler l'attention de la Chambre et celle de M. le ministre de la justice sur un point qui me paraît très important.

Il s'agit, dans l'article 37, de vendre le gage du débiteur ; il faut donc qu'il y ait certitude non seulement qu'il y a eu mise en demeure, mais aussi que la signification aura été faite au débiteur ou du moins à son domicile ; mais, d'après l'article 41 paragraphe 2, on pourrait supposer que toutes les significations prévues par les articles précédents peuvent se faire, au gré du créancier, au greffe du tribunal de commerce dans les cas qu'il prévoit.

Je proposerai donc, à l'article 41 paragraphe 2, pour qu'il n'y ait pas de doute, un amendement d'après lequel il sera dit que les significations mentionnées aux articles précédents peuvent se faire par le tribunal, sauf celles dont il est question à l'article 37. J'ai communiqué cet amendement à M. le ministre de la justice, qui s'y est montré favorable.

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, l'observation de l'honorable M. Guillery se rattache mieux à l'article 41, et il y est fait droit par les amendements que j'ai déposés sur le bureau.

M. Demeur. - Je ne saisis pas l'utilité de l'amendement présenté par M. le ministre de la justice.

D'après la nouvelle rédaction, une mise en demeure est nécessaire ; le débiteur doit être sommé de payer ; le créancier s'adressera ensuite au président du tribunal de commerce et lui demandera, par requête, l'autorisation de faire vendre le gage. Cette requête doit être notifiée au débiteur.

Voilà donc les deux exploits qui se trouvaient dans la première rédaction et, je le répète, je ne comprends pas la portée de la proposition de M. le ministre de la justice.

Je dois faire remarquer, d'ailleurs, qu'il est toujours difficile et dangereux, surtout en pareille matière, de discuter sur des amendements dont on n'a pas eu connaissance avant la séance.

M. Van Humbeeck. - Il est vrai que d'après la nouvelle rédaction de M. le ministre de la justice, il faut encore une mise en demeure et une signification de la requête ; mais dans la rédaction adoptée au premier vote ce n'était que vingt-quatre heures après la mise en demeure qu'on pouvait présenter et signifier la requête. Dans l'amendement, ce délai de vingt-quatre heures disparaît ; on pourra signifier la requête immédiatement après la mise en demeure et par l'exploit même qui contiendra celle-ci. L'huissier constatera la mise en demeure, mentionnera la réponse et ensuite, continuant ses opérations, déclarera qu'en présence de cette réponse il signifie au débiteur la requête qui va être présentée au président.

A la suite de ces deux significations comprises dans un même exploit, l'amendement accorde un seul délai de quarante-huit heures, au lieu de deux délais de vingt-quatre heures que donnait la rédaction première.

La garantie du débiteur reste la même, mais il y a économie de frais.

- L'article est adopté.

(Motion d'ordre prononcé à la séance du 19 mars 1872, page 727 : M. Demeur. - Je demande à rectifier une erreur qui s'est glissée dans les Annales parlementaires à propos de l'article 37 du projet du code de commerce. C'est à la page 718 des Annales. Il est dit que l'article 37 a été adopté ; cela est vrai, mais préalablement, M. le ministre de la justice avait présenté des amendements et l'article 37 a été adopté avec ces amendements. C'est ce que constate le procès-verbal dont il vient de vous être donné lecture. Je crois qu'il est nécessaire d'introduire en ce point une rectification aux Annales parlementaires.

(M. le président. - L'observation que l'honorable M. Demeur vient de présenter est conforme au procès-verbal ; comme elle doit être insérée aux Annales parlementaires, elle servira de rectification.) Article 38

« Art. 58. L'ordonnance ainsi obtenue n'est exécutoire qu'après avoir été signifiée à l'emprunteur et au tiers bailleur de gage, s'il y en a un, avec indication des jour, lieu et heure auxquels il sera procédé à la vente publique, si elle a été ordonnée. Ladite ordonnance devient définitive et en dernier ressort si, dans les trois jours de cette signification, l'emprunteur ou le tiers bailleur de gage, s'il y en a un, n'y forme pas opposition avec assignation devant le tribunal de commerce. »

- Adopté.

Article 39

« Art. 39. Le jugement rendu sur cette opposition est susceptible d'appel endéans les huit jours de la signification faite à la partie succombante si l'obligation garantie excède 2,000 francs. »

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Nous ne faisons pas une loi de compétence ; nous avons simplement en vue de déterminer un délai d'appel.

Il suffit donc de reproduire la disposition de l'article 443 du code de procédure civile, avec la seule modification du délai. Nous disons : « Le délai pour interjeter appel du jugement rendu sur cette opposition sera de huit jours à dater de la signification. » Quant à la question de savoir si, pour déterminer la compétence, l'on prendra égard à la valeur de l'objet engagé ou à l'importance de la créance garantie, ce n'est pas le moment de la résoudre. Les lois existantes et la jurisprudence suffiront à résoudre fa difficulté.

- Cette rédaction est mise aux voix et adoptée.

Article 41

« Art. 41. Les délais ci-avant fixés ne sont pas susceptibles d'être augmentés en raison des distances.

« Si le débiteur ou le tiers bailleur de gage, s'il y en a un, n'est pas domicilié dans le ressort du tribunal de commerce ou s'il n'y a pas fait élection de domicile, les significations mentionnées aux articles qui précèdent sont valablement faites au greffe de ce tribunal. »

M. le président. - Ici vient l'amendement de M. Guillery, qui consiste à ajouter au second paragraphe les mots : « sauf celles dont il est question à l'article 37. »

M. Demeur. - Je suis tout à fait de l'avis de l'honorable M. Guillery lorsqu'il considère comme dangereux d'autoriser le créancier à signifier, non au débiteur lui-même, non à son domicile, mais au greffe du tribunal de commerce, la sommation de payer, qui doit nécessairement précéder la vente du gage.

Il est indispensable que cette mise en demeure soit signifiée au débiteur lui-même. C'est là le plus important de toute cette procédure. Il constate que le débiteur ne remplit pas ses obligations ; c'est à la suite de cet acte que le président du tribunal de commerce pourra ordonner la vente du gage.

La signification au greffe du tribunal de commerce risque de ne jamais parvenir au débiteur.

En effet, il n'y a personne, au greffe du tribunal, qui soit chargé de faire parvenir aux intéressés les notifications qui y sont faites. On n'y prend pas même connaissance de ces notifications.

J'abonde donc dans l'idée qui a inspiré l'amendement de l'honorable M. Guillery : il faut, en ce qui concerne la mise en demeure, supprimer la disposition du paragraphe 2.

J'ajoute que, pour les autres cas, le paragraphe devrait, à mon sens, être supprimé aussi. Quels sont ces cas ?

Il s'agira de notifier au débiteur la requête présentée au président du tribunal.

Ainsi qu'on le disait tout à l'heure, cette signification pourra être faite par le même acte que la mise en demeure. Si l'on ne veut pas de la notification au greffe pour la mise en demeure, on ne doit donc pas en vouloir non plus pour la signification de la requête présentée au président du tribunal.

Viennent maintenant les autres notifications à faire. Les actes d'appel par exemple.

Eh bien, il y a une autre raison ici pour supprimer le paragraphe 2 de l'article 41.

Cette disposition n'avait été introduite que pour hâter la procédure, parce que le débiteur pouvait être domicilié à une certaine distance. Mais cette raison n'existe plus lorsqu'il s'agit de la notification d'appel. En effet, l'ordonnance et le jugement sont exécutoires nonobstant appel. Au moment de l'appel, la vente du gage a eu lieu ou, si elle n'a pas eu lieu, c'est que le créancier n'a pas usé du droit qui lui appartient. Toute urgence a disparu. On rentre dans le droit commun.

Je me demande pourquoi, dès lors, nous édicterions des dispositions exceptionnelles détruisant les garanties que donne la procédure ordinaire ?

(page 719) Je propose donc la suppression pure et simple du paragraphe 2 de l'article 41.

M. Cruyt, rapporteur. - Messieurs, les observations qui viennent d’être présentées par les honorables membres tendent à garantir les droits des débiteurs. A ce point de vue, elles sont certainement dignes de toute notre attention ; mais je me demande si ce que l'on propose ne va pas à rencontre du but qu'on veut atteindre ?

L'article, tel qu'il est rédigé actuellement, avertit, tout d'abord, le débiteur que le créancier pourra le mettre en demeure et notifier les actes qui devront intervenir, s'il n'a pas de domicile élu, au greffe du tribunal de commerce.

Il est donc prévenu qu'il y va de son intérêt de faire choix d'un domicile chez une personne dans laquelle il a confiance et qui le tiendra au courant des significations qui lui seront faites, si elle n'a pas même d'avance reçu des instructions pour défendre ses intérêts.

D'après les honorables préopinants, il faudrait que la loi prescrive que tout au moins la signification de la mise en demeure et de la requête soit faite au domicile du débiteur.

Mais, qu'on y prenne garde, l'article 41 dit que les délais fixés par nos articles ne sont pas susceptibles d'être augmentés en raison des distances. Or, il pourra arriver d'après cela, dans le système préconisé, que le débiteur ait moins de garanties qu'il n'en a dans le système du projet de loi tel qu'il est rédigé. Le délai à observer n'étant que de deux jours, la signification à domicile sera illusoire si le domicile du débiteur est très éloigné ; elle sera surtout illusoire si le débiteur est étranger au pays.

A quoi lui servira une mise en demeure qui ne lui parviendra qu'après que le gage aura été depuis longtemps réalisé ?

Je crois donc qu'il vaut mieux conserver l'article tel qu'il est rédigé maintenant.

M. Jottrand. - Messieurs, il y a encore une autre difficulté qu'il faut prévoir et qui peut augmenter encore les inconvénients dont on vient de parler.

Quel est le tribunal qui sera compétent ? La question a déjà été posée la dernière fois que nous nous sommes occupés de cet article.

Est-ce le tribunal de commerce du lieu où habite le créancier gagiste ? est-ce le tribunal du domicile du débiteur ? est-ce le tribunal de l'endroit où se trouve déposé l'objet du gage ? Si c'est, comme on semblait le croire dans la dernière séance, le lieu où se trouve l'objet dont on sollicite la vente, qui crée la compétence, on en arrive à cet inconvénient grave : c'est que, si le gage porte sur un objet qu'on peut porter sur soi, des bijoux, par exemple, ou des valeurs de bourse, le créancier nanti de son gage pourra, en quelque endroit qu'il se trouve, obtenir du tribunal du lieu le droit de vendre, et, créant ainsi une compétence de hasard tout à fait fortuite, à laquelle le débiteur n'a pas songé, mettre le débiteur dans des conditions telles, si l'on admet le paragraphe 2 de l'article 11, qu'il sera absolument sans défense, à moins qu'il n'ait pris la précaution que lui conseille l'honorable rapporteur ; qu'il n'ait fait élection de domicile chez un homme soigneux. Et encore même s'il a fait cette élection de domicile, (erratum, page 738) Comme elle n'aura pour effet d'obliger le créancier à faire la signification au domicile élu, que si ce domicile esti dans le ressort du tribunal compétent, mais qu'elle ne créera pas la compétence, malgré cette élection de domicile, le débiteur, dans l'hypothèse dans laquelle je parle, sera menacé de grands dangers. Il pourra se trouver obligé d'accepter comme valables des actes de signification faits au greffe d'un tribunal de commerce auquel il n'aura jamais songé, dont il n'aura jamais pu prévoir la compétence.

Je voudrais que la difficulté que je signale et qui vient s'ajouter aux autres difficultés de fait dont vous a entretenus l'honorable M. Demeur, fût prise en considération par M. le ministre de la justice ou par M. le rapporteur, qu'ils voulussent la résoudre.

M. Guillery. - Quant à la question de compétence, rien n'est changé à la législation actuelle. Par conséquent, je crois qu'il faut rentrer dans le droit commun et laisser à la jurisprudence le soin de régler les difficultés qui peuvent se présenter.

Il n'en est pas moins vrai que l'honorable M. Jottrand vient de montrer une fois de plus la nécessité que le débiteur ait certainement connaissance du premier acte de la procédure dirigée contre lui. Il y a entre cet acte et les autres une différence qui n'échappera à personne. L'acte de mise en demeure est la déclaration par laquelle le créancier prévient le débiteur qu'il va agir contre lui et par laquelle il déclare que si celui-ci ne remplit pas ses engagements, il aura à en supporter les conséquences.

Les actes qui viennent ensuite ne sont plus que la conséquence de ce premier acte, et je comprends parfaitement qu'on puisse les signifier au tribunal de commerce, parce que le débiteur est prévenu et parce que, étant prévenu qu'une instance est dirigée contre lui, il lui importe moins que la signification soit faite à son domicile : il a l'œil ouvert et il pourra facilement se renseigner.

Pour les significations ultérieures, nous rentrons dans le droit commun. C'est une disposition analogue à celle de l'article 422 du code de procédure civile.

Il faut absolument, messieurs, dans l'intérêt de la loyauté des transactions, dans l'intérêt de la justice, que la première signification arrive certainement au domicile du débiteur.

S'il n'a pas fait élection de domicile, c'est certainement un tort ; mais, enfin, ce n'est pas une raison pour qu'on puisse l'exproprier de son gage sans qu'il ait été prévenu.

- La proposition de M. Demeur est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

L'article, tel qu'il a été proposé par M. le ministre de la justice, est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Il n'y a plus d'amendements aux articles du titre VI.

Je vais mettre aux voix par appel nominal l'ensemble des dispositions comprises dans ce titre, à moins que la Chambre ne préfère voter en même temps sur l'ensemble du titre relatif au Gage et de celui relatif aux Commissionnaires.

- Plusieurs membres : Oui ! oui !

Titre VII. Des Commissionnaires

M. le président. - Nous passerons donc au titre VII.

Article 46

M. Cruyt, rapporteur. - Messieurs, les observations que je désire présenter se rattachent à l'article 46, qui n'a pas été amendé. Ce n'est donc que pour autant que la Chambre y consente que je puis y revenir.

La disposition de l'article 46, tel qu'il est proposé par le gouvernement et qu'il a passé au premier vote, un peu à la faveur d'une certaine confusion qui régnait dans la discussion à ce moment, n'est pas spéciale à la matière qui nous occupe ; c'est une disposition qui, si elle est admise, et il conviendra qu'elle fasse l'objet d'un débat particulier, devra dominer toutes les matières réglées par le code de commerce, et être inscrite en quelque sorte au frontispice de celui-ci.

Je propose donc, messieurs, de conserver la disposition qui formait l'article 45 du projet de la commission et de la substituer à l'article 46 proposé par M. le ministre de Injustice.

Notre article 45 n'est que la reproduction littérale de l'article 92 du code de 1808.

Cet article dont je propose, par voie d'amendement, la substitution à l'article 46 adopté au premier vote, est conçu comme suit :

« Les devoirs et les droits du commissionnaire qui agit au nom d'un commettant sont déterminés par le code civil, livre III, titre XIII. »

Cet article, qui avait sa raison d'être dans le code de 1808, aura également son utilité dans la loi actuelle ; et, si je ne me trompe, dans le code de commerce hollandais modifié, on l'a également conservé.

Son but est de bien constater qu'il n'y a rien de commun entre celui qui agit au nom d'un commettant et celui qui agit pour compte d'autrui, mais en son propre nom.

Celui-ci seul est le vrai mandataire commercial, le commissionnaire ; l'autre est un mandataire civil, dont les droits et les devoirs sont réglés par la loi civile.

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Ce n'est ni sans justification, ni en quelque sorte à l'improviste, que la disposition que l'honorable membre critique a été introduite dans le projet de loi.

L'honorable M. Van Humbeeck a déjà, dans une précédente séance, fait la même observation.

L'article énonce un principe général que peut-être il serait préférable de transporter au titre des Preuves, lorsque le code de commerce aura été entièrement voté. Mais l'honorable membre ne contestait point qu'il fût utile de l'énoncer ici, dès l'instant où il demeure entendu que les titres dont nous nous occupons feront la matière d'une loi spéciale.

La différence entre le mandat et la commission n'est méconnue par personne. Mais nous ne nous occupons que de la commission. Quelle nécessité y a-t-il d'inscrire dans cette loi spéciale que les droits et les devoirs de celui qui, d'après la définition que nous venons d'admettre, n'est pas un commissionnaire, seront réglés par le titre du code civil relatif au mandat ?

. Or, pour le contrat de commission, il est incontestable que la loi première des parties sera leur convention, à laquelle suppléeront les dispositions du code de commerce et subsidiairement celles du code civil. Le principe que nous énonçons ici n'est autre que celui qui est inscrit au code actuel pour la matière des sociétés. Nous nous trouvons en présence de contrats qui ne se rapportent pas à (page 720) un type nettement défini, tel que le mandat réglé par le code civil, mais dans lesquels se combinent en réalité des types divers.

C'est ainsi que dans le contrat de commission se rencontre une combinaison de mandat et de louage d'industrie, ailleurs une combinaison du mandat et du dépôt. Il me paraît que ces idées sont plus exactement exprimées par la disposition générale que la Chambre a adoptée au premier vote, que par celle que l'honorable rapporteur propose d'y substituer aujourd'hui.

M. Demeur. - Je dois faire une observation sur la proposition de l'honorable rapporteur.

Il demande purement et simplement le maintien de la disposition qui se trouve dans le code de commerce. Cette disposition n'a jamais suscité la moindre difficulté.

Je ne puis m'empêcher de dire qu'il est extrêmement regrettable de changer, sans une raison sérieuse, des dispositions de loi existantes. On n'a signalé aucun grief contre la disposition de l'article 92 actuel du code de commerce. On en demande l'abrogation et on veut la remplacer par une autre disposition, qui ne me paraît pas justifiée.

Je pense donc que la proposition de l'honorable rapporteur doit être acceptée.

M. le président. - Je dois faire observer que l'article 46 n'a pas été amendé, de manière que la proposition de M. Cruyt ne peut être mise aux voix que si la Chambre y consent.

M. Cruyt, rapporteur. - Je désire ajouter une observation à celles que vient de présenter l'honorable M. Demeur. La suppression de l'article fera supposer que l'on a eu l'intention de changer les principes reçus jusqu'à ce jour, et sur le maintien desquels nous sommes pourtant d'accord au fond.

On ne manquera pas de soutenir que, pour supprimer l'ancien article, nous devons avoir eu un motif quelconque.

Le contrat de commission, a dit l'honorable ministre de la justice, est un mélange de plusieurs contrats. Cela est très vrai, mais précisément pour cela, il importe de distinguer ce contrat spécial, sui generis, ayant un caractère spécial, du mandat qui est, je le répète, un contrat essentiellement civil.

Lorsqu'un commerçant remettra à quelqu'un des pouvoirs à l'effet d'agir pour lui et en son nom, ce sera la législation civile qui régira les rapports légaux qui existeront entre lui et son représentant.

Celui qui agit au nom d'autrui ne contracte personnellement aucune obligation ; aussi longtemps qu'il ne sort pas de son mandat, il n'oblige que son mandant. Dès qu'il sort de son mandat, il n'oblige plus que lui-même.

Le tiers qui contracte avec lui est par là même prévenu qu'il doit se faire exhiber les pouvoirs de la personne qui traite avec lui au nom d'un autre.

Cette situation étant parfaitement réglée par le code civil, pourquoi ne pas y renvoyer, ainsi qu'on l'avait fait jusqu'ici ?

- La proposition de M. Cruyt est mise aux voix et adoptée.

Article 49

« Art. 49. Tout bailleur de fonds qui fournit au commissionnaire, en espèces ou valeurs commerciales, les sommes nécessaires aux prêts, avances ou payements dont il est parlé au paragraphe premier de l'article 47 ci-dessus, jouit, pour garantie du remboursement des sommes fournies et des intérêts, du même privilège sur les mêmes objets et de la même manière qu'il est dit aux articles 47 et 48 ci-dessus.

« Ce privilège ne subsiste, à l'égard des tiers, que sous la condition que le bailleur de fonds ou un tiers convenu entre les parties a été nanti par le commissionnaire du connaissement ou de la lettre de voiture.

« Le connaissement et la lettre de voiture mentionnent qu'ils ont été remis à titre de garantie. »

M. le président. - M. le ministre de la justice propose les modifications suivantes :

Au paragraphe 2, la suppression des mots : « à l'égard des tiers. »

Au même paragraphe, la substitution du mot « ait » au mot « a. »

Suppression du dernier paragraphe.

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Les modifications que je propose sont la conséquence de votes qui ont été précédemment émis par la Chambre.

Ainsi, dans tous les articles où il est question de privilège, on a supprimé les mots « à l'égard des tiers ». C'est pourquoi je propose de ne point les maintenir au paragraphe 2 du présent article.

Je propose aussi la suppression du paragraphe 3. L'obligation de mentionner sur les actes mêmes : connaissements, lettres de voiture, qu'ils ont été remis « à titre de garantie » a été écartée dans de précédentes dispositions. Il n'y a point de motifs pour la maintenir ici.

Reste une correction purement grammaticale, la substitution du subjonctif « ait été nanti » à l'indicatif « a été nanti. »

M. Jottrand. - Messieurs, à la lecture de cet article, on peut concevoir un doute sur la question de savoir si le privilège du bailleur de fonds existera, alors même que la somme fournie par lui au commissionnaire ne l'aurait été qu'après la réalisation des prêts consentis par ce dernier et exclusivement pour l'aider à supporter plus aisément le poids des avances déjà faites par lui.

Le texte de l'article 49 porte en effet :

« Tout bailleur de fonds qui fournit au commissionnaire, en espèces ou valeurs commerciales, les sommes nécessaires aux prêts, avances ou payements, etc. »

Cela semble signifier que, pour acquérir un privilège, le bailleur de fonds doit avoir en vue de fournir les moyens nécessaires pour des prêts, avances ou payements à faire et non le remboursement de prêts, avances ou payements déjà faits.

M. Van Humbeeck. - On renvoie aux articles 47 et 48.

M. Jottrand. - De plus l'article 49 semble ne s'appliquer qu'à des avances faites par le bailleur de fonds pour couvrir la totalité de prêts, avances ou payements consentis ou à consentir par le commissionnaire.

Les deux interprétations dont je m'occupe en ce moment, interprétations non pas certaines, mais au moins possibles, du texte de l'article 49, ne sont pas conformes, m'a-t-on dit, aux intentions de la commission ni à celles du gouvernement ;

La commission et le gouvernement sont d'accord pour permettre au bailleur de fonds d'acquérir son privilège en remboursant au commissionnaire, des prêts, avances ou payements antérieurement consentis par celui-ci.

Tout le monde paraît aussi d'accord pour reconnaître au bailleur de fonds son privilège, quand même il n'aurait fourni au commissionnaire qu'une partie des fonds avancés ou à avancer par celui-ci.

S'il en est ainsi, pour éviter aux commentateurs futurs de l'article 49 l'erreur dans laquelle j'ai versé moi-même un instant, je crois qu'une déclaration réfutant l'interprétation que je viens de produire serait utile.

M. Orts. - La question soulevée par l'honorable M. Jottrand est résolue par le projet et résolue conformément à son vœu, à son désir.

En effet, l'article 49 renvoie pour la définition des avances dont il s'occupe au paragraphe premier de l'article 47, ancien article 46 du projet présenté.

Or, ce paragraphe accorde privilège pour tous prêts, avances, etc., antérieurs ou postérieurs à la réception des marchandises par le commissionnaire, sans distinguer entre des avances complètes ou partielles ni entre les époques où elles ont été faites.

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Je demande la parole uniquement pour déclarer que l'interprétation que donne M. Orts et que du reste avait donnée M. Jottrand lui-même est exacte. La disposition s'applique aux avances partielles aussi bien qu'aux prêts couvrant l'avance totale et d'autre part il n'y a aucune distinction à établir entre les sommes prêtées au commissionnaire pour lui permettre de faire l'avance de celles dont il aurait besoin pour pouvoir la maintenir ou la continuer.

- L'article, rédigé comme le propose M. le ministre de la justice, est adopté.

Article 50

« Art. 50. Le privilège du bailleur de fonds de l'article précédent prime celui du commissionnaire pour les commissions, frais et intérêts autres que ceux des sommes prêtées, avancées ou payées sur les marchandises représentées par le connaissement ou la lettre de voiture. »

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - L'article 50, messieurs, a pour objet de régler l'ordre de préférence qui doit exister entre le bailleur de fonds et le commissionnaire à qui il a fait des avances.

La priorité, en cas de concours, doit, en toute équité, appartenir au bailleur de fonds, dont le commissionnaire est lui-même le débiteur. Nour pensons que cette règle peut s'exprimer fort exactement par la rédaction suivante :

« Le privilège du bailleur de fonds prime celui du commissionnaire. »

- Cette rédaction est adoptée.

Article additionnel

M. le président. - Vient une disposition générale, que M. le ministre de la justice propose comme dernier article de la loi.

Cette disposition est ainsi conçue :

« Les articles 91 à 95 du code de commerce sont abrogés. »

M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Cette disposition générale a déjà été justifiée, dans le cours de la discussion, par l'honorable (page 721) M. Van Humbeeck. Nous nous proposons de faire des deux titres qui ont été votés l'objet d'une loi spéciale. Cette loi remplacera les dispositions du code de commerce relatives aux commissionnaires en général. Mais elle n'embrasse pas la totalité du titre des Commissionnaires tel qu'il figure dans le code de commerce. De là, pour éviter toute erreur, l'utilité de spécifier les dispositions abrogées.

J'ajouterai une autre observation. Je ne sais s'il faut pour cela un vote de la Chambre, mais il doit être bien entendu qu'en publiant la loi, nous donnerons aux articles les numéros 1, 2 et suivants et non ceux qu'ils devraient avoir dans l'ensemble du code de commerce.

M. Orts. - Je ne demande pas la parole sur la disposition même. Mais comme il s'agit du dernier article de la loi, je ne pourrais placer ailleurs mon observation.

J'attire l'attention de M. le ministre de la justice qui vient de parler de la nécessité d'une loi complémentaire pour certaines lacunes qui existent dans le code de commerce, sur une autre lacune très importante qui subsiste dans l'ensemble des projets présentés. Je n'ai trouvé nulle part, dans aucun des projets nouveaux, des dispositions réglementant les droits et les obligations d'un contrat qui, aujourd'hui, prend, dans nos mœurs et nos habitudes, un développement considérable : je veux parler du contrat de transport des personnes, soit qu'il s'agisse des transports par terre, soit qu'il s'agisse des transports maritimes. Aucun article dans le code de commerce ancien, je le reconnais, pas plus que dans les projets qui nous ont été présentés, ne s'est occupe, par exemple, du point de savoir quels sont les droits et les obligations d'un passager qui prend son passage pour un prix convenu, je suppose, sur l'un de nos paquebots d'Ostende ou d'Anvers à Londres.

Cette lacune existait, je l'ai dit déjà, dans le code de 1808. On s'était, il est vrai, réservé alors de la combler dans un code que l'on promettait et qui devait s'appeler le « code de la police maritime. » Mais ce code a été oublié comme le code rural, depuis 1808 jusqu'en 1872, en Belgique comme en France. Lors de la révision du code de commerce en Hollande, cette lacune y a été comblée.

Nous pourrions donc nous inspirer de la nouvelle législation hollandaise et de la jurisprudence qui s'est établie depuis 1838, époque de la mise en vigueur de ce nouveau code, pour régler un point qui intéresse beaucoup la Belgique, surtout à raison des nombreux transports de voyageurs et d'émigrants qui partent de nos ports.

Je signale ce point à M. le ministre de la justice ; il s'empressera, j'en suis sûr, de compléter la législation.

- L'article est adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble des titres VI et VII, qui sont adoptés à l'unanimité des 73 membres présents.

Ce sont :

MM. Berten, Biebuyck, Boucquéau, Bouvier-Evenepoel, Couvreur, Crombez, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, de Vrints, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hayez, Jacobs, Jamar, Janssens, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Lescarts, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Puissant, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Schollaert, Thienpont, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Verbrugghen, Vermeire, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Anspach, Balisaux, Bara, Beeckman, Bergé et Tack.

Projet de loi portant dissolution et nouvelle répartition des conseils provinciaux

Discussion générale

M. Muller. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur nous a fait distribuer la répartition des conseillers provinciaux telle qu'elle résulterait de la combinaison du recensement décennal de 1866 avec les états de population qui ont été constatés au 31 décembre 1870.

Lorsque j'ai soulevé cette question, je disais que la situation des différents cantons provinciaux serait singulièrement modifiée d'après la population de 1870, comparée à celle qu'on accusait au 31 décembre 1866.

Il résulte du tableau qui vient de nous être distribué et dans lequel j'ai signalé tantôt, en particulier, à M. le ministre de l'intérieur, des erreurs de chiffres, qu'il y aurait vingt-quatre conseillers provinciaux de plus en Belgique.

Ce point, messieurs, a une très grande importance ; car il n'y a pas lieu de dire ici que la règle de l'égalité est maintenue, alors que la population constatée en 1870 ne sert pas de base à une répartition fondée sur la population.

Le recensement décennal de 1866 est aujourd'hui suranné. C'est aller contrairement à la vérité des faits, de prendre pour base du recensement cette population, surtout si l'on réfléchit qu'il s'écoulera un très grand nombre d'années avant qu'on procède aune nouvelle répartition des conseillers provinciaux.

Je n'entrerai pas dans le détail des chiffres ; seulement, je ferai remarquer que la province d'Anvers aurait droit à quatre conseillers provinciaux en plus, le Brabant à quatre conseillers en plus, la Flandre occidentale à deux conseillers en plus, la Flandre orientale à quatre conseillers en plus, le Hainaut à trois conseillers en plus, la province de Liège à quatre conseillers en plus, et la province de Namur à trois conseillers en plus.

Je ne recommencerai pas la discussion, mais en terminant, je déposerai l'amendement suivant :

« Je propose que le tableau de la répartition des conseillers provinciaux, annexé au projet de loi et dressé d'après le recensement décennal de 1866, soit rectifié et complété conformément aux états de population du 31 décembre 1870, sauf à respecter les positions acquises. »

- Cet amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

M. le président. - Un autre amendement est parvenu au bureau sur l'article 4 ; il est ainsi conçu :

« Le renouvellement partiel tant des conseillers que des membres des députations permanentes conformément aux articles 93 et 100 de la loi provinciale, continuera sur le pied existant avant la dissolution ; la première sortie aura lieu le... (le reste comme à l'article). »

- La parole est à M. Magherman pour développer cet amendement.

M. Magherman. - Mon amendement tend à modifier l'article 4, qui est ainsi conçu :

« Dans la première session des conseils, il sera procédé au tirage au sort pour régler l'ordre du renouvellement partiel, tant des conseillers que des membres des députations permanentes, conformément aux articles 93 et 100 de la loi provinciale précitée. »

Cette disposition peut avoir pour résultat, selon l'ordre de sortie qu'elle établira, d'exposer l'une des séries de certains conseils provinciaux à trois élections pendant un espace de quatre ans, tandis que les séries favorisées ne subiraient que trois élections pendant un terme de huit années. Il me semble qu'une disposition qui aboutit à de pareilles conséquences n'est pas raisonnable. Il faut qu'il y ait une égalité parfaite sous ce rapport entre les deux séries sortantes des conseils provinciaux.

La même chose peut se présenter pour l'ordre de sortie des députations permanentes.

La disposition que je vous propose d'adopter est déjà en vigueur pour les Chambres législatives. Je n'ai pas besoin de vous rappeler qu'à la suite d'une dissolution des Chambres on ne procède pas par tirage au sort pour connaître la série qui sortira la première, et ainsi de suite. La rotation antérieurement existante continue à fonctionner. Je propose de suivre le même système pour les conseils provinciaux.

Je demande donc que la dissolution n'ait aucune influence Sur l'ordre de sortie des différentes séries des conseils provinciaux. Il est bon que la série à élire passé deux ans soit la dernière à sortir et que celle qui est sortie passé quatre ans soit au contraire la première à devoir être réélue.

Voici le texte de la loi pour ce qui concerne les Chambres législatives : c'est la loi du 10 avril 1835 :

« Art. 30. L'ordre déterminé par le tirage déterminé par l'article précédent sera successivement suivi pour les renouvellements ultérieurs.

« II en sera de même en cas de dissolution des Chambres ou de l’une d'elles. »

Je n'ignore pas - et on me l'objectera probablement - que déjà, lors de la dissolution des conseils provinciaux en 1848, on a procédé à un nouveau tirage au sort pour déterminer l'ordre de sortie des deux sections des conseils provinciaux ; mais il n'est pas défendu d'innover, lorsque les innovations constituent une amélioration.

Je crois, messieurs, que la disposition que j'ai l'honneur de soumettre à l'examen de la Chambre constituerait une amélioration réelle.

M. Malou, ministre des finances. - Je ne rentrerai pas dans la discussion de la question de principe ; mais je crois pouvoir démontrer par quelques chiffres et en quelques mots que l'erreur, reconnue à la séance d'hier, réside bien réellement dans les états de population ; d'où la conséquence que le recensement est la seule base juste et admissible.

Voici un tableau que j'ai fait dresser ce matin ; je demande à la Chambre la permission de le faire imprimer et distribuer, la loi fût-elle votée aujourd'hui, les données qu'il contient me paraissant intéressantes.

(page 722) J'ai relevé la population constatée soit dans les états de population, soit par les recensements de 1846 à 1856 ; une seconde colonne renseigne les différences qui résultent de ces chiffres, c'est-à-dire l'augmentation résultant des états de population dans l'intervalle des recensements et la diminution résultant des deux derniers recensements.

En troisième lieu, j'ai fait compiler dans les statistiques officielles, les excédants des naissances sur les décès, la balance des émigrations et des immigrations ; d'où j'ai pu conclure quelle devrait être, s'il n'y avait pas d'erreur dans les états de population, la différence réelle d'année en année.. Et je suis arrivé à cette conséquence qu'en additionnant la différence en plus que donnent les états de population, il y aurait aujourd'hui en Belgique 254,000 habitants qui n'y sont pas nés et qui n'y sont pas venus. (Interruption.).

Je dis que, d'après les chiffres officiels des états de population, il y aurait 254,000 Belges qui ne sont pas nés en Belgique et qui n'y sont jamais entrés. Je demande comment et pourquoi ils sont censés y être, si ce n'est par les calculs erronés des états de population ?

Hier, on soutenait que la vérité était dans ces états et l'erreur dans le recensement.

- Une voix à gauche. - On a dit que la vérité était entre les deux.

M. Malou, ministre des finances.- Je vais prouver, par les mêmes chiffres, que l'erreur réside uniquement dans les états de population, Voici comment :

Lorsque je fais l'addition de ce que ces états donnent au delà de ce qui devrait être d'après les faits, j'arrive à 254,000, chiffre rond.

Et, lorsque j'additionne les déductions que le recensement a constatées, j'arrive à 286,900.

Il n'y a que trois réductions. Deux appartiennent aux années du recensement ; une troisième appartient à l'année 1853.

Voici les chiffres ronds :

20,600 en 1855 ;

106,600 en 1856, année du recensement ;

159,600 en 1866, année du recensement.

D'où il résulte que si les recensements n'étaient pas venus rétablir la vérité à ces deux époques, les états de population, en n'additionnant que les différences, ne donneraient pas seulement 254,000 habitants de plus que la réalité, mais vous en auriez près de 500,000 de plus que le chiffre réel.

Aussi longtemps que ces chiffres ne seront pas détruits, je dis qu'une loi qui adopterait les états de population comme point de départ serait fondée sur l'arbitraire et sur des erreurs d'addition se renouvelant chaque année.

C'est là, je pense, une preuve mathématique de l'impossibilité d'accepter les états de population comme point de départ de la loi.

- Une voix à gauche. - Ils sont inutiles alors.

M. Malou, ministre des finances. - Ils ne sont pas plus inutiles que le recensement.

Ainsi le chiffre et les mouvements de la population servent à établir, outre certaines lois, beaucoup de contrats et c'est pour pouvoir donner une base certaine aux transactions, aux contrats sur la vie, qu'on a décrété le recensement.

Les hommes compétents, les hommes pratiques, ceux qui ont présenté et voté la loi de principe sur les recensements ont été d'avis qu'ils sont le seul mode qui permette de constater, sauf quelques légères erreurs inévitables et insignifiantes, le véritable chiffre de la population.

Une objection est faite ; dès à présent elle ne manque pas de valeur, je le reconnais volontiers : c'est la distance qui nous sépare du recensement de 1866. (Interruption.)

Je vais m'expliquer sur ce point.

C'est un inconvénient, sans doute, mais lorsqu'on veut s'en rapporter à une donnée certaine, telle qu'un recensement, on ne peut jamais le connaître que trois années après qu'il a été fait. C'est ainsi que le tableau du recensement de 1866 ne nous a été distribué que l'année dernière. Il y a peut-être un changement à faire, non pas à la loi actuelle, mais dans la loi communale et c'est celui-ci : les recensements se font par périodes décennales, l'article 19 de la loi communale prescrit la révision par périodes de douze ans, d'où il suit qu'à chaque période on s'éloigne davantage de l'époque du recensement.

M. Crombez. - L'année prochaine il y aura huit ans.

M. Malou, ministre des finances. - La fois prochaine il y aura dix ans et ensuite douze ans, parce que le recensement ne sera pas connu au moment même ; je crois qu'on peut remédier à cet inconvénient par une loi spéciale : pour faire concorder avec les recensements décennaux les périodes de la révision en ce qui concerne les communes, il suffira de substituer à la période de douze années, qui n'a aucune raison spéciale d'exister, des périodes décennales.

Quant aux provinces, l'on n'est lié par aucune disposition ni constitutionnelle ni législative ; on peut donc parfaitement réviser le tableau que la Chambre va voter aussitôt qu'on connaîtra les résultats du prochain recensement, qui se fera en 1876.

Je trouverais cela juste et même très conseillable, mais il ne serait pas juste de fonder la loi sur des erreurs dont l'évidence est, pour moi, complète, incontestable.

Remarquez-le bien, vous changeriez le rapport proportionnel entre les cantons ; vous décideriez que telle partie de la population, parce que les erreurs auraient été les plus grandes, parce que cette population est plus flottante ou qu'on y tient avec moins de soin les états de population, à raison de ces négligences ou de ces erreurs, obtiendrait injustement le bienfait politique d'une représentation relativement plus forte dans leur conseil provincial.

La Chambre ne peut pas admettre ce système. Il sera utile, si le prochain recensement constate qu'une partie de ces augmentations portées aujourd'hui dans les états de population sont réelles, qu'alors, se basant sur un fait certain, on révise la classification pour les conseils provinciaux de manière à la mettre en harmonie avec le fait qui sera complètement et officiellement constaté.

M. Anspach. - Je crois qu'il est impossible d'admettre d'une façon aussi absolue que le fait l'honorable ministre des finances que, d'une part, les chiffres du recensement sont exacts et que, de l'autre, les chiffres des états de population ne le sont pas. Je crois que la vérité se trouve bien plus dans une moyenne entre les états de population et les chiffres du recensement.

J'ai eu, messieurs, l'occasion de présider aux opérations du recensement en 1866 et je crois que je puis, par quelques observations, démontrer à la Chambre que les chiffres du recensement comme ceux des états de population sont erronés.

Ainsi, vous vous rappelez qu'hier on disait qu'il y avait un écart entre ces deux chiffres, pour la commune de Bruxelles, de 32,000 âmes. Eh bien, je crois que les états de population étaient gonflés à peu près de moitié, tandis que le chiffre du recensement était au contraire inférieur à la vérité pour l'autre moitié.

La cause des erreurs pour les états de population est unique. Elle réside dans le mouvement de la population flottante. Il serait un peu long d'expliquer à la Chambre les causes qui font que les entrées s'enregistrent facilement par les administrations communales tandis que les départs le sont au contraire d'une manière très incertaine.

Il suit de là qu'au bout d'un certain nombre d'années, cette erreur va s'additionnant et qu'il y a un écart entre la population réelle et la population donnée par les états dressés par les administrations communales.

Et cela est si vrai qu'il suffit de jeter les yeux sur les tableaux qui vous ont été fournis, pour se convaincre qu'il n'y a presque pas d'erreurs pour les communes qui n'ont pas ou qui ont peu de population flottante.

Voilà donc ce qui explique les erreurs des états de population.

Venons au recensement. Là les causes d'erreurs sont multiples, mais la cause principale, celle qui domine toutes les autres, c'est la crainte qu'ont beaucoup de personnes peu éclairées que leurs déclarations ne servent à augmenter leurs impôts.

Quoi qu'il en soit, nous avons la preuve que les chiffres du recensement de 1866 étaient inexacts.

L'administration communale cherche toutes les occasions de redresser les omissions ; chaque fois qu'une personne se trouve en relations avec les agents de la commune, soit pour un changement de domicile, soit pour un mariage, une naissance ou un décès, soit pour toute autre cause, on rectifie les omissions que l'on découvre.

En 1867, la ville de Bruxelles a été amenée à réparer 3,600 omissions environ et en 1868, elle en a réparé 2,400, ensemble 6,000 omissions réparées en deux ans.

Dans les trois années qui suivent on retrouve encore 4,000 personnes qui, indûment, n'avaient pas été comprises dans les états de 1866.

Voilà donc comment on arrive à constater que le chiffre du recensement de 1866 est manifestement trop bas de 10,000 personnes.

M. d'Andrimont. - La même chose a lieu à Liège.

M. Anspach. - Ces faits doivent se produire dans toutes les grandes communes, où le mouvement de la population est plus ou moins considérable.

Voici, messieurs, ce qui me semble probable : comme je l'ai dit tout à l'heure, ces rectifications ne se font qu'accidentellement ; cinq années, doivent encore s'écouler jusqu'au prochain recensement.

(page 723) Il me paraît certain que quand la ville de Bruxelles vient vous dire : Grâce aux rectifications que nous sommes parvenus à faire, nous sommes arrivés en cinq ans à une différence en plus de 10,000 habitants omis au recensement de 1866, il paraît certain que le chiffre de l'erreur du recensement peut être porté à 10,000, et qu'ainsi vous devez trouver la vérité dans la différence entre le chiffre du recensement et les états de population.

Le chiffre le plus probable de la population véritable se trouve être le chiffre des états de population de la cinquième année de la période quinquennale ; il se produit de nouvelles erreurs pendant la période quinquennale suivante, et au bout de dix années on retrouve des erreurs analogues à celles qui ont été signalées.

Comme nous sommes tous d'avis que nous devons chercher le chiffre véritable de la population pour avoir une représentation proportionnelle, prenons le chiffre qui donne la plus grande certitude. Ces chiffres sont évidemment ceux des états de population de 1871.

Avant de me rasseoir, je dois un mot de réponse à un argument présenté hier par l'honorable M. Kervyn.

L'honorable membre a dit : Il faut avoir confiance dans les états de recensement, parce que c'est l'œuvre de l'administration provinciale, tandis que les états de population ne peuvent pas inspirer confiance, parce que c'est l'œuvre des communes.

A entendre l'honorable membre, les communes peuvent forcer les chiffres, falsifier les états de population, pour avoir une représentation plus forte.

Cette accusation qu'on lance contre les communes ne peut pas s'appliquer aux élections communales. Qu'une commune ait 17 ou 19 conseillers, par exemple, elle n'en a pas moins la plénitude de sa souveraineté.

La crainte manifestée par M. Kervyn ne s'applique que s'il s'agit d'avoir une représentation proportionnelle plus forte à la province.

Ainsi, M. Kervyn prévoit que les communes d'un même canton se coalisent, que des citoyens élus ayant une nomination royale s'entendent dans l'intérêt que vous savez, pour faire un faux en écriture publique.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je demande la parole.

M. Anspach. - Il est impossible de supposer que les états de population offrent moins de sécurité au point de vue des hommes qui les dressent que les états de recensement. Ces deux états sont faits également par les employés municipaux.

Et remarquez, messieurs, qu'il ne faudrait pas seulement, pour arriver à falsifier les états de population, la complicité des administrateurs des communes, mais celle des employés municipaux.

- Des membres à gauche. - Il faudrait inventer des noms.

M. Anspach. - Oui, et cela est absolument inadmissible.

Donc la Chambre peut avoir la même confiance dans les états de population que dans les états de recensement.

La seule question qui s'agite et celle qui me porte à appuyer l'amendement de M. Muller est celle de savoir quel est le chiffre le plus probable.

Je vous ai montré les erreurs qui se faisaient en trop dans les états de population, en moins dans les recensements ; j'en conclus que la vérité doit être dans le chiffre de la cinquième année des états de population.

M. Kervyn de Lettenhove. - L'honorable M. Anspach paraît avoir mal compris ce que j'ai eu l'honneur de faire remarquer hier à la Chambre.

Je me suis borné à lui présenter cette considération que, soit qu'il y négligence de la part des administrations communales, soit qu'il y ail parti pris, on se trouve, dans l'une ou l'autre hypothèse, devant une situation qui ne présente pas les mêmes garanties que celles qui résultent d'un travail d'ensemble exécuté dans les mêmes conditions et sous les auspices de l'Etat.

Voici quels sont les chiffres que je citais, et sur lesquels je serais heureux d'obtenir une explication de l'honorable M. Anspach.

En 1863, l'état de population de l'arrondissement de Bruxelles mentionnait une population de 501,000 habitants ; en 1865, ce chiffre s'élevait à 523,000, tandis qu'au 31 décembre 1867, nous voyons cette population réduite à 496,000 âmes. Or, il est constant, qu'il y a eu augmentation progressive dans la population bruxelloise et lorsqu'on voit que le chiffre de 1867 est notablement inférieur, non seulement à celui de 1865, mais même à celui de 1863, on doit en tirer cette conclusion que les états de population ne présentent aucune garantie sérieuse.

Quand M. Anspach parle ici de systèmes de probabilités, de ce qui est vraisemblable, de ce qu'on peut supposer, je dois lui faire observer que lorsque le législateur impose une règle, il doit prendre une base plus solide que des chances et des probabilités.

M. Bergé. - L'honorable M. Kervyn vient de reproduire ce qu'il avait déjà dit hier, c'est-à-dire qu'il met en suspicion les administrations communales et qu'il a plus de confiance dans un recensement fait sous les auspices des agents de l'Etat. L'honorable M. Kervyn, ancien ministre de l'intérieur, doit savoir de quelle façon se font les recensements ; il ne peut ignorer qu'ils se font par les employés des administrations communales.

M. d'Andrimont. - Par les mêmes employés.

M. Bergé. - Ces mêmes employés, ces mêmes administrateurs qui doivent contrôler les registres de la population, qui doivent veiller à ce que ces livres soient tenus exactement, sont les agents dont le gouvernement se sert pour faire les recensements.

M. Kervyn de Lettenhove. - Sous sa surveillance.

M. Bergé. - Oui, mais cette surveillance n'est pas efficace.. Il est difficile de contrôler le recensement d'une population, et la circulaire du 10 janvier 1867 appelle l'attention des administrations communales sur la nécessité de contrôler avec soin les bulletins remplis par les habitants.

Savez-vous quel est le moyen de contrôle indiqué par la circulaire pour éviter les erreurs ? C'est la comparaison de ces bulletins, signés par les habitants, avec les registres de population. (Interruption.)

« Il est nécessaire, y est-il dit, de confronter les bulletins signés par les habitants avec les registres de. a population, pour éviter toute confusion. »

Et cela se trouve prescrit par des circulaires officielles, imprimées par ordre du gouvernement lui-même.

Ainsi, si vous n'avez pas confiance dans les administrations communales et dans les employés de ces administrations, vous ne devez pas avoir plus de confiance dans le recensement exécuté et constaté par eux.

Et, en réalité, messieurs, les recensements de 1846 et de 1856 ont inspiré des défiances dans cette Chambre. La droite n'en était pas du tout satisfaite ; celui de 1866 avait également éveillé d'abord ses préventions avant qu'elle en connût le résultat ; et voici qu'aujourd'hui ce même recensement mérite toute sa confiance. Pourquoi, messieurs ? Parce qu'il s'est fait que, par suite de circonstances tout à fait fortuites, les résultats du recensement de 1866 ont répondu aux vues que défendait la minorité d'alors.

C'est ce que l'honorable M. Pirmez, ministre de l'intérieur à cette époque, avait eu soin de faire remarquer en 1868.

Ainsi, deux recensements sont faits ; ils ne sont pas acceptés par la droite ; celui de 1866 ne l'est pas davantage au début et voici que maintenant c'est la seule base possible, c'est la seule qui soit exacte. Or si des erreurs ont été commises en 1846 et en 1856, comment n'en aurait-on pas commis en 1866 ?

Incontestablement, les recensements ont une valeur ; mais lorsqu'il s'agit de répartir le nombre des conseillers provinciaux, lorsqu'il s'agit d'établir la classification des communes, il est préférable d'avoir recours à des documents qui ne sont pas l'exactitude même, je veux bien l'admettre, mais qui ont du moins le mérite d'être de cinq à six ans moins anciens que le recensement de 1866. Je maintiens donc que c'est aux états dé population au 31 décembre 1870 ou 1871 qu'il faut donner la préférence.

M. Malou, ministre des finances. - Je désire répondre un mot à l'honorable M. Anspach. Son raisonnement serait juste peut-être dans une certaine mesure si les erreurs étaient proportionnelles aux populations. Mais le raisonnement tombe lorsque je démontre, comme je l'ai fait hier et comme je vais le faire de nouveau, que ces erreurs sont locales et ne se rapportent guère qu'à quelques grandes communes.

D'où il suit que si vous preniez pour base les états de population vous favoriseriez les localités où ces erreurs se commettent. Elles ne sont pas, je l'admets, le résultat d'un mauvais vouloir ou d'un calcul, mais de l'impossibilité, surtout quand la population est flottante, de bien constater quels en sont les mouvements.

Avec l'honorable M. Anspach, je reconnais que c'est la cause principale, mais pas la cause unique de ces erreurs.

Je viens de faire ici, d'après le tableau que j'ai cité hier, le relevé des réductions constatées par le dernier recensement dans nos quatre grandes villes et dans les grandes communes qui entourent Bruxelles. J'avais indiqué hier le chiffre de 95,000 comme étant la différence constatée, après le recensement de 1866, dans les communes de plus de 10,000 âmes.

La différence pour tout le pays est de 159,000.

Si vous décomptez les communes de plus de 10,000 âmes, le chiffre de la différence pour toutes les autres communes du royaume n'est que de 64,000.

Dans les quatre plus grandes villes et dans les trois principales (page 724) communes de l'agglomération bruxelloise (Ixelles, Molenbeek-Saint-Jean et Saint-Josse-ten-Noode), j'arrive à 60,000 en moins.

Cependant ces communes toutes ensemble ne forment guère que le septième de la population du royaume.

N'ai-je pas raison de dire que les erreurs étant nécessairement commises dans quelques localités, vous donneriez, aujourd'hui surtout, pour les conseils provinciaux, une représentation injuste en prenant les états de population pour base de la répartition?

La question n'est pas la même quant aux communes ; nous la discuterons tout à l'heure.

En ce moment, il ne s'agit que des provinces et, je le répète, la seule base juste est le recensement.

Celui de 1866 ne donne pas aujourd'hui le chiffre complet de la population, qui doit s'être accrue dans une certaine mesure, mais aussi longtemps qu'il ne sera pas régulièrement démontré dans quelle proportion se sont produits ces excédants, il faut s'en tenir au recensement de 1806, sauf, lorsqu'on en aura un nouveau, à mettre la répartition en rapport avec cette situation, qui aura été réellement constatée.

M. Guillery. - Messieurs, la reconnaissance que vient de faire l'honorable ministre des finances me paraît condamner son système.

Pour ne pas admettre les états de population qu'on incrimine, qu'on regarde comme n'étant pas tout à fait exacts, on veut prendre un recensement qui certainement, lui, est inexact. A l'heure qu'il est, après tantôt six années, il est certain qu'il n'est pas exact. Ainsi, pour le Brabant, nous trouvons comme augmentation, un nouveau conseiller pour le canton d'Ixelles ; mais, messieurs, il est évident qu'aujourd'hui une augmentation s'est produite tout au moins dans la même proportion. Il faut n'avoir pas eu l'occasion de se promener une seule fois dans la commune d'Ixelles ou dans la commune de Saint-Gilles pour ne pas avoir constaté l'immense augmentation de la population. Je dirai la même chose des cantons de Saint-Josse-ten-Noode et de Molenbeek-Saint-Jean ; il est certain que, si nous prenons pour base le recensement de 1866, nous sommes dans l’erreur. Il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. Au contraire, si nous prenons les états de population de 1870, il est aussi probable qu'il est possible en pareille matière que nous sommes dans la vérité et que nous prenons une base exacte.

Quant aux erreurs qui proviennent de l'existence d'une population flottante, vous les retrouverez toujours, comme l'a fort bien dit mon honorable ami, M. Anspach. On les a constatées à Bruxelles, on les a constatées lors du recensement de 1866, on les a constatées, parce qu'il y a probablement un certain nombre de personnes qui ont un très grand intérêt à ne pas se donner comme résidant à Bruxelles.

Il y a donc eu des erreurs à cette époque. Une population flottante non seulement donne lieu à des erreurs, mais, si l'on constatait même la vérité, il y aurait encore erreur de ce chef, attendu que, dans une population flottante, il y a des personnes qui habitent aujourd'hui Bruxelles, par exemple, et qui, demain, n'y habiteront plus ; par conséquent, si on les a portées comme habitants, il y a erreur.

Il y a donc nécessairement des erreurs, mais les états de population de 1870 sont infiniment plus exacts ou plus près de la vérité que le recensement de 1866, par ce seul motif, qui, pour moi, est décisif, c'est qu'ils sont faits en 1870 et que le recensement est fait en 1866, et comme je n'ai aucune raison de suspecter plus les agents communaux agissant pour la confection des états de population, que les mêmes agents chargés de dresser la statistique gouvernementale, je dois préférer le document qui est le plus récent.

Où est la raison d'adopter la proposition de M. Muller ?

On craint l'injustice. Mais je vous ai démontré que nous sommes beaucoup plus près de la justice, et quant à l'objection qui pourrait venir des communes dont la population a diminué, elle est écartée par la dernière disposition de l'amendement, parce que pour les communes qui auraient à subir une diminution, on leur permet de se prévaloir de la statistique de 1866. Par conséquent leurs droits seraient sauvegardés.

Aucun canton ne perdra un représentant au conseil provincial par suite de la proposition de l'honorable M. Muller et les cantons qui ont incontestablement droit à une augmentation de représentation obtiendront justice.

Remarquez enfin, messieurs, que ces cantons auxquels vous feriez aujourd'hui une si grave injustice voient augmenter leur population chaque année, et qu'en conséquence cette injustice ne fera que s'aggraver; avant le nouveau recensement, ils auront de nouveaux griefs à faire valoir.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Les conseils provinciaux seront dissous en vertu d’un arrêté royal.

« Les députations permanentes continueront leurs fonctions jusqu'à l'installation des députations élues par les nouveaux conseils. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Il sera pourvu, par des arrêtés royaux, conformément aux articles 11 et 44 de la loi provinciale du 30 avril 1836, à la convocation des collèges électoraux pour le renouvellement intégral des conseils provinciaux, ainsi qu'à l'installation des nouveaux conseils. »

M. Anspach. - Je crois qu'il serait très intéressant que le gouvernement voulût bien dire à la Chambre à quelle époque il se dispose à user de la faculté que lui confère l'article en question.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, la question posée par l'honorable M. Anspach est résolue par le texte même du projet de loi.

L'article 2 de ce projet est conçu en ces termes : « Il sera pourvu, par des arrêtés royaux, conformément aux articles 11 et 44 de la loi provinciale, du 30 avril 1836, à la convocation des collèges électoraux pour le renouvellement intégral des conseils provinciaux, ainsi qu'à l'installation des nouveaux conseils. »

La première de ces dispositions organiques détermine l'époque de l'élection au quatrième lundi du mois de mai, et la seconde fixe le jour de la réunion des conseils provinciaux au premier mardi du mois de juillet.

Ainsi, messieurs, sur ces deux points le projet de loi est clair : il fixe l'époque de la réunion des collèges électoraux pour procéder à l'élection des conseillers provinciaux et la date de la réunion des conseils. Cette disposition ne peut donc présenter aucun doute.

- L'article est adopté.

Article 3

« Art. 3. La répartition des conseillers provinciaux est modifiée conformément au tableau ci-joint, qui remplacera celui qui est annexé à la loi du 29 février 1860. »

M. le président. - M. Muller a proposé l'amendement suivant :

« Je propose que le tableau de la répartition des conseillers provinciaux, annexé au projet de loi et dressé d'après le recensement décennal de 1866, soit rectifié et complété conformément aux états de population du 31 décembre 1870, sauf à respecter les positions acquises. »

M. Muller. - C'est conforme à ce qui à eu lieu le 29 février 1860.

M. Rogier. - Avant de passer au vote, je voudrais demander si le principe de répartition qui serait adopté pour la province s'appliquera également, dans la pensée du ministre, à la commune? Il est important, messieurs, d'être fixé sur ce point, ou de savoir si l'on procédera d'après deux principes différents :

Si, pour fixer le nombre des conseillers provinciaux, on s'en tiendra au recensement de 1866 et si, pour fixer le nombre des conseillers communaux, on s'en référera aux états de population pour 1870.

Je demande si MM. les ministres entendent soutenir que le recensement de 1866 sera adopté comme base de répartition pour les communes, comme il le sera pour les provinces, ou bien, si l'on s'en rapportera au texte même de la loi communale pour fixer le nombre des conseillers communaux d'après la population constatée au 31 décembre 1870.

Il y a ici une question de légalité, une question de sens commun.

Pourquoi, si l'on veut atteindre à cette grande rectitude, à cette vérité absolue qui est introuvable dans cette matière ; pourquoi s'en tenir à un document vieilli de six ans?

Comment peut-on établir une loi sur un fait qui s'est passé il y a six ans et qui a subi d'année en année de grandes modifications?

La loi de 1860, qui a réglé la classification des communes et des provinces, était appuyée sur les états de population, tels qu'ils résultaient des registres de l'état civil.

C'est le principe qui a prévalu. Le principe contraire conduit aux conséquences les plus absurdes.

Aux termes de la loi, la classification des communes s'opère tous les douze ans et les recensements de la population se font tous les dix ans.

La classification nouvelle aura lieu dans douze ans, c'est-à-dire, en 1884 ; le nouveau recensement décennal s'opérera en 1876 ; entre 1876 et 1884, il s'écoulera 8 ans et il faudrait, d'après le principe que l'on préconise, régler, en 1884, la classification conformément au recensement de 1876 ! Sur un recensement qui a eu lieu huit ans auparavant ! Cela choque le bon sens.

M. Anspach. - Cela peut aller à douze.

M. Rogier. - Ma vue ne porte pas aussi loin. Mais le système est donc faux en lui-même, il ne peut être sérieusement défendu.

(page 725) Maintenant, messieurs, est-il juste que des communes dont l'augmentation de population saute aux jeux, qui prennent chaque jour plus d'importance, importance qu'on ne peut pas nier et qu'il ne faut pas non plus regretter, est-il juste que ces communes se voient privées pendant douze ans encore d'un droit qui leur est acquis dès aujourd'hui ? Non ; vous ne pouvez pas admettre que des communes qui depuis 1870 ont un droit incontestable à une représentation plus considérable se voient encore ajournées à douze ans pour entrer en jouissance de leurs droits.

Ce que je dis pour les communes, je le dis pour les provinces ; est-il juste que des cantons qui ont acquis une plus grande importance, dont l'augmentation de population n'est pas niable, se voient privés indéfiniment de la représentation à laquelle ils ont droit et cela par considération pour un recensement qui remonte à six ans ?

En admettant qu'il ait été fait par des hommes infaillibles et qu'à son origine il ne renfermait pas autant d'erreurs que les états de population, n'est-il pas évident que, pour 1872, il n'a plus aucune valeur numérique.

J'aime à croire que le gouvernement n'a aucune espèce d'intérêt à combattre l'amendement de M. Muller, qui donnera satisfaction à un certain nombre de cantons qui ne font que réclamer un droit acquis.

Et si le principe est admis pour les provinces, il doit à plus forte raison être admis pour les communes.

La loi communale dit, en effet, que la classification des communes s'établit sur les états de population et les lois qui ont été faites pour établir ces classifications se sont appuyées, non pas sur la population du recensement, mais sur la population résultant des registres de l'état civil.

Voilà les antécédents ; je m'y réfère. J'appuie donc d'abord l'amendement de l'honorable M. Muller, et s'il est reproduit pour la commune, je m'y rallierai avec plus de force.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Le gouvernement, messieurs, ne peut pas se rallier à l'amendement de l'honorable M. Muller. Cet amendement est le renversement complet des principes qui font l'objet du projet de loi.

M. De Fré. - C'est une amélioration à la loi.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire dans la séance d'hier, nous étions en présence de cette double question :

Faut-il accepter comme base de la répartition projetée les données du recensement de 1806 ou les chiffres des états de population de 1870 ? La discussion d'hier et celle qui vient encore d'avoir lieu doivent vous avoir démontré qu'il n'est pas possible de trouver dans les états de population les garanties d'exactitude désirables.

Mon honorable collègue, M. le ministre des finances, a établi la situation d'une manière si claire et si précise qu'en vérité il ne reste plus rien de bien fondé à dire sur cette question.

L'honorable M. Rogier demande ce que le gouvernement fera pour les communes ?

L'intention du gouvernement, messieurs, est de maintenir pour les communes le principe qui sert de base à la répartition des conseils provinciaux, c'est-à-dire le recensement décennal de 1866. Mais, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire hier à la Chambre, les situations acquises seront respectées.

M. Bouvier. - C'est un accroc à la loi.

M. David. - C'est une injustice.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - J'ai eu l'honneur de répondre hier à l'honorable M. Rogier qu'en ce qui concerne les cinq ou six communes qui se trouvent dans le cas de perdre deux conseillers, si l'on s'en rapporte à la population résultant du dernier recensement, il sera tenu compte des positions acquises. Ces communes conserveront donc le nombre de conseillers qu'elles ont actuellement.

M. Muller. - Quel est donc votre principe ?

M. David. - C'est de l'arbitraire.

M. Muller. - C'est la condamnation de votre principe.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Il n'y a pas de condamnation du principe. Vous vous trompez.

On a dit que quelques communes se verront privées d'un certain nombre de leurs conseillers, si l'on s'en tient au recensement de 1866, tandis que les états de population de 1870 permettent de conserver le nombre de conseillers qui leur est attribué aujourd'hui.

Eh bien, nous tenons compte de cette double situation en laissant ces communes dans la classe qu'elles occupent actuellement.

M. Orts. - Vous avez donc deux poids et deux mesures ?

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Non, il n'y a pas deux poids et deux mesures.

C'est l'application de la règle introduite dans le projet de loi sur la répartition des conseillers provinciaux, règle qui a été constamment appliquée par nos prédécesseurs.

Si nous nous tenions à la rigueur des chiffres, il faudrait diminuer le nombre des conseillers dans les cantons qui n'ont plus actuellement une population suffisante.

Nous ne le voulons pas ; nous proposons de conserver le nombre de conseillers qui leur a été attribué par la répartition de 1860, parce que nous considérons qu'il y a là une espèce de droit acquis. Nous appliquons la même règle à la classification des communes par esprit de concession et par un sentiment d'équité.

L'honorable M. Muller tient compte aussi des situations acquises dans l'amendement qu'il a proposé.

M. Anspach. - Il m'est absolument impossible de laisser se produire encore une fois au banc ministériel cette allégation que les états de recensement sont seuls exempts de toute erreur ; que ce sont les seuls dans lesquels on puisse avoir confiance.

J'ai démontré tout à l'heure, et à cela M. le ministre des finances n'a rien répondu, j'ai démontré par des faits péremptoires que les états de recensement, en ce qui concerne Bruxelles, Liège et les autres grandes villes du royaume, étaient fautifs ; et j'ai démontré qu'ils étaient au moins aussi erronés que les états de population.

J'ai concédé que les états de population peuvent contenir certaines erreurs ; et j'ai même indiqué comment elles pouvaient s'expliquer. Mais, d'autre part aussi, j'ai démontré que, quant aux états de recensement, les erreurs étaient flagrantes, indiscutables, puisqu'elles résultaient de faits incontestables. Et, messieurs, je ne suis pas seul à le soutenir ; la commission centrale de statistique elle-même a fait l'aveu de l'impossibilité d'éviter ces erreurs. Voici ce qu'elle a dit dans un rapport adressé à l'honorable comte de Theux, le 23 décembre 1846.

« Cependant, la commission centrale est convaincue qu'il existe encore des omissions comme il s'en trouve dans tout recensement ; car, quel que soit le soin qu'on apporte à de semblables opérations, les chiffres annoncés sont toujours en désaccord avec les chiffres réels. »

Nous avons montré, par des tableaux que nous pouvons mettre sous les yeux de la Chambre, qu'à Bruxelles nous trouvons à p e près la moitié de l'écart indiqué en 1866, entre le recensement et les états de population.

Nous démontrons que l'erreur est flagrante pour le recensement.

Que cherchons-nous ?

Nous cherchons quelle est la population en ce moment.

J'entendais tout à l'heure l'honorable M. Delcour parler de question de principe.

Mais il n'y a pas de question de principe et cela est si vrai que vous n'oseriez pas enlever à des communes des conseillers qui leur seraient enlevés si l'on appliquait strictement les états du recensement de 1866 mais qu'elles ont, en fait, le droit de conserver.

Il ne s'agit donc que de connaître la population réelle du moment actuel.

Et puisque nous ne pouvons nous placer sur un terrain absolu, prenons ce qu'il y a de plus probable.

Nous démontrons que le recensement est aussi erroné que les états de population.

Prenons donc les états de population de la cinquième année, dont l'exactitude est infiniment probable.

C'est pourquoi l'amendement de l'honorable M. Muller ne pouvait être repoussé.

Je me demande, messieurs, en voyant la résistance du gouvernement, si l'on ne poursuit pas un but politique. (Interruption.)

Je vais dire à la Chambre et au pays ce qui en est.

Savez-vous, messieurs, où se produit la plus grande augmentation de la population ? C'est dans les provinces libérales.

Or, vous voulez vous prémunir contre ce qui devrait arriver lorsqu'il s'agira d'une nouvelle répartition des membres de la Chambre.

Jusqu'ici la Chambre a constamment fixé le nombre de ses membres d'après les états de population.

On tient à faire aujourd'hui autrement, dans une question qui n'a pas un grand intérêt, je le reconnais ; on veut poser un principe dans une loi et dire : Nous prendrons non pas les chiffres des états de population, mais ceux d'un recensement datant de 6, de 8, de 12 ans auparavant.

(page 726) Voila le motif le plus sérieux, peut-être, de la mesure proposée par le gouvernement, et je convie la Chambre à y faire grande attention. Si réellement il y a une question de principe dans l'application de la recherche de la population, je demande qu'on me l'explique ; mais s'il n'y a pas d'arrière-pensée au banc ministériel, je demande pourquoi cette résistance et pourquoi on ne prend pas, comme base du projet de loi, ce qui est évidemment le plus près de la vérité.

M. Dumortier. - La question est aussi simple que bonjour. II est évident que les états de population ne signifient rien, et qu'ils ne peuvent pas être pris comme base, puisque vous déclarez vous-mêmes qu'ils indiquent une population trop élevée. Le recensement, au contraire, est un fait constant, un fait acquis, et notez bien que la loi porte textuellement que c'est sur le recensement que seront faites les répartitions dont il s'agit.

- Voix à gauche. - Non ! non !

M. Dumortier. - Ce qu'il y a de clair, c'est que vous ne voulez pas avoir tort. Vous avez fait, en 1866, une nouvelle répartition des représentants, en vous basant sur des états de population, et le recensement a prouvé que votre population présumée n'existait pas.

Maintenant, messieurs, quant à ce qu'on a dit des communes qui ont perdu quelques conseillers par suite du recensement, M. le ministre propose de les maintenir. C'est, du reste, ce qui s'est toujours fait ; on a toujours respecté les droits acquis. Ce n'est pas là une question de principe ; c'est simplement une question de convenance.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, je croyais, je l'avoue, avoir répondu à l'argument principal de l'honorable M. Anspach.

L'honorable membre me dit que j'ai reconnu qu'il y avait une erreur, qu'on pourrait évaluer à la moitié, quant à Bruxelles. Je le concède ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve-t-il qu'il est juste aujourd'hui de prendre la base que M. Muller indique ? (Interruption.) Pas du tout ; il faudrait démontrer que l'erreur est proportionnelle aux populations, tandis que j'ai établi qu'elle n'existait que dans certaines localités qui, par l'application du nouveau système, profiteraient non pas de la population qu'elles ont, mais de la population que faussement on leur attribue par ces erreurs-là.

En établissant cela, j'ai répondu directement à l'argument de l'honorable M. Anspach.

Messieurs, j'avoue que je ne vois dans tout ceci qu'un seul principe, un principe de justice ; la loi doit avoir la base légalement reconnue,,1a plus juste, celle qui contient le moins d'erreurs, qui n'en contient même, d'après moi, que bien peu, ainsi que je viens de le démontrer tout à l'heure.

On veut nous attribuer des idées que je n'ai jamais eues. Qu'est-ce qui empêchera la Chambre de faire une nouvelle répartition des membres des conseils provinciaux, quand on connaîtra les faits réels par le recensement de 1876 ?

Mais on a procédé ainsi en 1859. On a révisé le tableau annexé à la loi électorale d'après le recensement de 1856.

M. Muller. - Non, c'est une erreur.

M. Rogier. - D'après les états de population ; c'est la règle qui a toujours été suivie.

M. Malou, ministre des finances. -Je commets donc une erreur, me dit-on. On a ajouté à la population résultant du recensement les augmentations que donnaient les états de population. Soit.

Une autre fois, on a été plus loin ; on a, en 1866, fait une loi en présumant quelle devait être la population, et le recensement a prouvé que c'était aussi une erreur. (Interruption.)

Le recensement a prouvé cela, en admettant même qu'il n'y ait eu erreur que de moitié.

M. Frère-Orban. - Les chiffres du recensement sont erronés.

M. Malou, ministre des finances. - Même en faisant la part de l'erreur, mon argument subsiste pour toute la partie restante. Il en reste au moins la moitié, de l'aveu même de l'honorable M. Anspach.

Je voulais seulement vous faire remarquer qu'on peut fort bien appliquer aux élections pour les Chambres, quand on le voudra, une nouvelle répartition. On discutera alors si ce doit être d'après le recensement ou si ce doit être d'après un état de population.

En ce moment, il ne s'agit que d'une seule chose ; de savoir quel doit être le principe appliqué aux provinces et aux communes. (Interruption.) On dit : Vous n'avez pas de principe ; nous proposons, pour éviter toute lésion d'intérêt, de dire, quel que soit le système qui a été adopté, qu'on maintiendra les positions acquises. Cela a été fait en 1860 et l'honorable M. Muller le propose lui-même.

Il n'y a donc pas contradiction ou, s'il y a contradiction, elle est commune à tous les systèmes.

- Un membre. - Et les communes ?

M. Malou, ministre des finances. - Quant aux communes, nous proposons d'établir les mêmes règles. Si l'on appliquait le recensement de 1866 aux communes, il y en aurait six, y compris la ville de Tournai et la ville de Namur, qui perdraient chacune deux conseillers.

Si l'on applique, au contraire, les états de population, il y a huit communes qui perdent chacune deux conseillers.

Eh bien, nous disons : Qu'on adopte le recensement ou qu'on adopte les états de population, maintenons pour ces communes le statu quo.

Ainsi pour les premières parmi lesquelles se trouve Tournai avec cinq autres localités, comme pour les huit communes où l'application des chiffres posés par les états de population serait défavorable, il n'y aura pas de diminution de la représentation communale, le statu quo sera maintenu.

Il n'y a pas là de contradiction ; c'est, au contraire, un système parfaitement logique.

- La discussion est close.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Muller.

- On demande l'appel nominal. Il est procédé à cette opération.

71 membres répondent à l'appel.

40 répondent non.

31 répondent oui.

En conséquence, la proposition de M. Muller n'est pas adoptée.

Ont répondu non :

MM. Berten, Biebuyck, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Kerckhove, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Smet, de Theux, Drubbel, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Pety de Thozée, Reynaert, Schollaert, Snoy, Thienpont, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Verbrugghen, Verwilghen, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman et Tack.

Ont répondu oui :

MM. Boucquéau, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Dorlodot, De Fré, Demeur, de Rossius, Descamps, de Vrints, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Jamar, Jottrand, Lescarts, Muller, Orts, Pirmez, Puissant, Rogier, Sainctelette, Van Humbeeck, Anspach, Balisaux, Bara et Bergé.

- L'article est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Dans la première session des conseils, il sera procédé au tirage au sort, pour régler l'ordre du renouvellement partiel, tant des conseillers que des membres des députations permanentes, conformément aux articles 93 et 100 de la loi provinciale précitée.

« La première sortie aura lieu le premier mardi du mois de juillet 1874. »

M. le président. - C'est à cet article que se rattache l'amendement de M. Magherman.

- De toutes parts. - A mardi !

- La séance est levée à 5 heures.