(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 548) M. Wouters fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Gilta demande que la loi exempte de la contribution foncière les maisons et les jardins appartenant aux communes et aux bureaux de bienfaisance et occupés gratis par des indigents. »
M. Lelièvre. - Cette requête a un caractère d'urgence, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions qui sera invitée à faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Les conseils communaux de Masbourg et de Forrière demandent la construction, aux frais de l'Etat, d'une route partant de la station de Forrière, pour se relier, à Masbourg, au chemin de grande communication qui se dirige vers le domaine de Saint-Michel. »
M. Pety de Thozée. - Messieurs, les conseils communaux de Forrière et de Masbourg s'adressent à la Chambre, pour demander la construction d'un chemin qui relie la forêt domaniale de Saint-Michel et plusieurs villages à la station voisine de Forrière.
J'appuie fortement cette requête, sur laquelle j'appelle dès à présent la bienveillante attention de l'honorable M. Moncheur ; et j'ai l'honneur de vous proposer, messieurs, d'ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau de la Chambre pendant la prochaine discussion du budget des travaux publics.
- Adopté.
« Le sieur Rueff fils demande une enquête sur les faits dont il se plaint dans son mémoire à M. le ministre de l'intérieur, relativement à l'exposition internationale d'Amsterdam. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Léopold Rosenheim, commissionnaire en marchandises à Bruxelles, né à Ibenhausen (Wurtemberg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le conseil communal de Wandre demande l'exécution de travaux pour empêcher les eaux de la Meuse d'envahir les campagnes dans les communes de Wandre et de Cheratte. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Le sieur Ergo, ancien employé des postes, demande une enquête sur les faits qui ont motivé sa révocation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Gouders demande que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance en faveur des instituteurs primaires admette pour base du calcul de la pension les cinq années des revenus les plus élevés de l'instituteur. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Les instituteurs du canton de Charleroi prient la Chambre de s'occuper, dans un temps rapproché, du projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance en faveur des instituteurs primaires. »
- Même renvoi.
« Des brasseurs à Maldeghem prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à l'accise sur la bière. »
« Même demande de brasseurs à Nederbrakel, Beveren et Audenarde. »
- Même renvoi.
« Le sieur Schreurer demande que le projet de loi relatif à la dissolution des conseils communaux contienne une disposition pour faire procéder au renouvellement des commissions des hospices et des bureaux de bienfaisance dans un délai déterminé, à dater du jour de l'installation des nouveaux conseils communaux. »
- Même renvoi.
« M. Puissant, retenu par un deuil de famille, demande un congé de quinze jours. »
- Accordé.
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi autorisant le gouvernement à racheter, à partir du 1er mai 1876, la concession des chemins de fer de Dendre-et-Waes et de Bruxelles à Gand.
- Il est donné acte à M. le ministre des travaux publics de la présentation de ce projet de loi.
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, d'après les ordres du Roi et en exécution de la loi de comptabilité, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre : le budget des voies et moyens pour l'exercice 1873, les budgets de la dette publique, du ministère des finances, des dotations, des non-valeurs et remboursements, des recettes et dépenses pour ordre, de la guerre et de la justice. J'espère être en mesure de déposer les trois autres budgets qui ne sont pas encore prêts, c'est-à-dire le budget des affaires étrangères, de l'intérieur et des travaux publics.
M. Malou, ministre des finances. - J'ai l'honneur de déposer également l'exposé de la situation du trésor public au 1er janvier 1872, un projet de loi allouant des crédits spéciaux au ministère des finances à concurrence d'une somme de 141,902 fr. 8 c, un projet de loi allouant un crédit spécial d'un million de francs au département de la justice, pour la continuation des travaux de construction du palais de justice de Bruxelles.
M. Malou, ministre des finances. - Enfin, messieurs, j'ai à déposer un projet de loi qui proroge pour un terme de trente ans la durée de la Banque Nationale.
Je vous demande la permission, messieurs, de vous donner lecture de ce projet et d'y joindre quelques explications sommaires :
« Léopold II, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, Salut.
« Sur la proposition de Notre ministre des finances et de l'avis de Notre conseil des ministres,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Le projet de loi dont la teneur suit sera présenté, en Notre nom, à la Chambre des représentants, par Noire ministre des finances :
« Art. 1er. Les dérogations suivantes sont faites à la loi du 5 mai 1870 :
« 1° A l'article 3 : La durée de la Banque Nationale est prorogée de trente ans à partir du 1er janvier 1873 ;
(page 549) « 2° A l'article 4 : Le capital de la Banque sera porté à 50 millions de francs.
« 3° A l'article 6 : La retenue pour constituer la réserve sera de 15 p. c. des bénéfices excédant 6 p. c.
« 4° A l'article 7 : Le quart du même excédant est attribué à l'Etat.
« 3* A l'article 16, paragraphe dernier : L'emploi de la réserve en fonds publics sera facultatif.
« Art. 2. Le bénéfice résultant, pour la Banque Nationale, de la différence entre l'intérêt de 5 p. c. et le taux d'intérêt perçu par cette institution, est attribué à l'Etat.
« L'article 3 de la loi du 3 mai 1865 est abrogé.
« Art. 3. Les statuts de la Banque Nationale seront modifiés d'après les principes consacrés par les articles précédents.
« Ils pourront être modifiés sur tous autres points non réglés par la loi.
« Ils seront soumis à l'approbation du Roi.
« Art. 4. L'article 7 de la loi du 10 mai 1850 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :
« La Banque Nationale fera gratuitement le service de caissier de l'Etat.
« Elle supportera tous les frais d'administration, de matériel, de transport et de virement des fonds, et interviendra dans les frais de la trésorerie en province à concurrence d'une somme annuelle de cent soixante-quinze mille francs. Cette part ne pourra être augmentée aussi longtemps que la Banque sera chargée des fonctions de caissier.
« Les fonds disponibles du trésor excédant les besoins du service seront placés par la Banque en valeurs commerciales ; elle sera garante des valeurs acquises ou appliquées pour le compte du trésor.
« Art. 5. Par dérogation à la loi du 10 septembre 1862, la Banque Nationale paiera, chaque année, pendant dix ans, à partir du 1er janvier 1873, une somme de quatre-vingt-quatre mille francs, à titre d'abonnement pour le timbre de ses billets au porteur.
« Donné à Bruxelles, le 26 février 1872.
« Lépold.
« Par le Roi : « Le ministre des finances,. J. Malou. »
Messieurs, l'importance de ce projet de loi n'échappera pas à la Chambre.
Le gouvernement et la Banque Nationale se sont attachés avec plein succès à conduire les négociations dont je vous apporte le résultat en conservant un secret absolu jusqu'au moment où le secret devenait légalement et matériellement impossible. C'était un devoir pour nous, parce qu'il fallait éviter que l’on ne produisit des mouvements factices ou désordonnés sur le cours des actions de la Banque Nationale.
Avant le dépôt de ce projet, la loi de 1850 exigeait l'accomplissement d'une formalité, c'était un vœu à émettre par l'assemblée générale des actionnaires pour la prolongation du terme de la société. L'assemblée générale s'est réunie hier ; elle a émis ce vœu à l'unanimité et aujourd'hui je puis déposer et faire connaître à tous les conditions nouvelles qui sont proposées à la législature pour la prorogation de la Banque Nationale.
Je n'entrerai pas en ce moment dans l'examen des dispositions principales du projet de loi. J'en caractérise seulement le but essentiel.
Il s'agit de doubler le capital de la Banque Nationale et en second lieu d'augmenter notablement, par diverses dispositions, la part qui a été réservée par la loi de 1850 à l'Etat dans les bénéfices de la Banque Nationale.
D'autres clauses favorables aux actionnaires, sans être le moins du monde préjudiciables aux intérêts du trésor, compensent en partie ces deux clauses qui sont aggravantes en quelque sorte, s'il m'est permis de parler ainsi, pour les actionnaires.
En second lieu, et je n'indique que les points principaux, veuillez remarquer, messieurs, que le gouvernement vous propose un moyen de rendre productif l'excédant d'encaisse du trésor à la Banque Nationale, tout en conservant la parfaite disponibilité de cet encaisse.
Ce projet, je l'espère, messieurs, pourra être distribué dès ce soir, mais le temps m'a manqué pour mettre la dernière main à l'exposé des motifs qui peut-être (et j'en demande pardon à la Chambre) se fera attendre pendant quelques jours.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.
M. Couvreur. - Messieurs, ce n'est pas pour la mince satisfaction, comme membre de l'opposition, de créer des embarras au gouvernement que j'ai repris une question que le gouvernement et la majorité pouvaient croire close.
Le besoin d'assurer le respect des lois et leur impartiale exécution, le désir de maintenir la tranquillité publique et de rétablir la paix publique entre les enfants d'un même pays, tels sont les motifs de mon interpellation.
Il est des questions, messieurs, qu'on n'aborde que sous l'empire d'une impérieuse nécessité. Celles que je compte poser aujourd'hui au gouvernement ont ce caractère ; il faut que nous sachions quelle est la portée de nos lois, leur caractère obligatoire ; il faut que nous sachions dans quelle mesure le gouvernement entend les appliquer d'une façon impartiale pour tous, comment il entend surtout, sans répression sanglante, ramener la paix et l'ordre dans une des grandes villes du pays.
En posant ces questions, messieurs, je n'oublierai pas les obligations qui pèsent sur nous : je n'oublierai pas que, si divisés que nous puissions être, nous avons un égal intérêt à conserver au dehors et à l'intérieur le prestige de nos libres institutions qui, jusqu'ici, ont toujours su assurer l'union de la liberté et de l'ordre.
Je n'oublierai pas que nous devons maintenir les traditions glorieuses de notre vieille hospitalité.
Je n'oublierai pas non plus que, quels que soient les hommes qui sont assis au banc ministériel, dussent-ils, malgré leur tact et leur habileté, commettre des fautes sous le joug d'une solidarité compromettante, notre devoir est de ménager leur autorité vis-à-vis de nos concitoyens et vis-à-vis de l'étranger.
Je n'oublierai pas, enfin, que je parle dans un moment où, dans une ville voisine, les passions sont violemment excitées, où, depuis deux jours, à la suite d'imprudentes et de coupables provocations, les passions sont descendues dans la rue et ont mis aux mains des citoyens les armes de la guerre civile.
Dans un pareil moment, celui qui veut arrêter ces effets et leurs causes doit mettre dans ses paroles une prudence et une modération qu'il n'est pas toujours facile de réaliser.
Depuis les difficultés suscitées à Anvers par la présence et les actes de M. le comte de Chambord et de ses partisans, l'opposition parlementaire a eu, à un très haut degré, le sentiment de sa responsabilité. Elle s'est bornée à signaler le danger sans en faire une arme contre le gouvernement. Sa modération a été taxée par ses adversaires de faiblesse et d'impuissance. On ne lui en a su aucun gré.
Malgré cette appréciation si fausse et si injuste, je m'efforcerai de garder une sage circonspection.
Le sentiment qui, il y a quelques jours, pesait sur mon esprit le domine encore aujourd'hui.
J'espère qu'il ne m'abandonnera pas pendant les développements quelquefois délicats où je serai obligé d'entrer. J'espère aussi que la majorité facilitera ma tâche en évitant des interruptions qui irriteraient le débat. Depuis deux jours, le sang a coulé à Anvers. Personne ici ne voudra l'oublier. (Interruption à droite.)
Je constate qu'à la modération de mes paroles, la majorité répond déjà par des interruptions violentes et des dénégations qui ne sont pas fondées.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Je demande la parole.
M. Couvreur. - Messieurs, avant d'aborder le fond du débat, qu'il me soit permis de rappeler les faits sur lesquels se base mon interpellation.
Il y a un mois environ, les journaux catholiques, en mesure d'être bien renseignés, annoncèrent que nous ne tarderions pas à recevoir la visite de M. le comte de Chambord. Il avait choisi, disait-on, Malines comme lieu de son séjour. Mais il ne fit que traverser cette ville, et le 13 de ce mois, il s'installa à Anvers avec une suite de quatre personnes.
Pendant plusieurs jours, il y vécut de la vie d'un simple particulier ; et bien qu'on connût sa présence, il n'y eut, contre lui, aucune espèce de manifestation. On respecta en lui l'hôte de la Belgique, comme on avait respecté jadis tant d'autres épaves des révolutions françaises.
Le 17 au soir seulement, quelques cris hostiles et que je n'hésite pas à blâmer furent poussés sous les fenêtres de M. de Chambord ; sa présence commençait à causer de l'émotion.
Les choses cependant ne fussent pas allées plus loin si, dès le lendemain, un assez grand nombre de partisans du prince n'étaient arrivés à Anvers pour lui présenter leurs hommages. Dès ce moment, le drame s'engage. A mesure que le nombre des pèlerins augmente, les feuilles catholiques d'Anvers et du pays sonnent le ralliement.
(page 550) On dirait que la cause légitimiste devient leur propre cause, tant ils mettent d'ardeur à s'en occuper, a la défendre, à faire ressortir la solidarité qui unit au cléricalisme belge les principes représentés par l’« Enfant du miracle. » Des emblèmes légitimistes s'étalent aux vitrines des magasins d'Anvers ; une cour, avec tout le formalisme de l'étiquette des vieilles maisons régnantes, s'installe dans une chambre d'auberge ; chaque train qui arrive à Anvers y jette des flots d'amis, de partisans. Les journaux en portent le nombre à plus de quatre mille.
Des conciliabules s'ouvrent ; on délibère sur un programme qui doit sceller la réconciliation des Bourbons avec les d'Orléans, et après une réception solennelle dans, les salons du prétendant, des députés de la droite du parlement de Versailles, unis à d'autres de leurs coreligionnaires, renouvelant la scène du banquet des gardes du corps qui fut le signal de la révolution de 89, boivent à la santé d'Henri V et à la restauration du pouvoir temporel.
Ces manifestations, ces conciliabules, ces délibérations, cette mise en scène d'une royauté s'installant en pays étranger devaient émouvoir et agiter profondément cette fraction de l'opinion publique à Anvers, qui estime qu'il y a incompatibilité entre les principes du droit divin représentés par M. de Chambord et ce qui fait la base même de nos institutions constitutionnelles.
Sur ces entrefaites se produisit l'interpellation formulée par M. De Fré. J'ai déjà fait ressortir combien l'opposition parlementaire montra de modération en cette circonstance. Elle reçut les explications du gouvernement sans marquer ni approbation ni improbation.
Elle en prit acte, sauf à en tirer ultérieurement les conséquences, mais elle ne poussa pas le débat à ses dernières limites et laissa au gouvernement toute la responsabilité des résolutions à prendre. Quant à la majorité, et au gouvernement, leur attitude fut manifestement sympathique à M. le comte de Chambord. M. le ministre des affaires étrangères, par un lapsus linguae que j'ai eu le regret de ne pas voir corrigé aux Annales parlementaires, parla même de M. le comte de Chambord comme du roi de France et il se porta garant, sous sa responsabilité, que ce roi ne conspirait pas, alors que cette conspiration est patente, publique et que le prince lui-même ne s'en défend pas.
Aussi l'impression en ce sens fut-elle si forte qu'un journal qui a le mérite de la franchise de ses opinions et qui se déclare très ouvertement l'adversaire de notre Constitution et par conséquent l'allié intime de M. de Chambord, le Bien public a pu tirer une singulière conclusion de l'attitude du cabinet. Profondément irrité des manifestations dirigées à Anvers contre le prince qui à toutes ses sympathies, il n'hésite pas à demander à M. le ministre des affaires étrangères d'aller, au nom de notre pays, porter nos très humbles excuses à M. le comte de Chambord pour les avanies dont il a été la victime.
M. Bouvier. - La droite ne désavoue pas le Bien public, qui est son organe.
M. Couvreur. - A Anvers, plus que dans aucune autre ville du pays, la population est profondément divisée.
M. de Chambord, pour y établir sa résidence, ne pouvait faire un choix plus malheureux. Il avait mis les pieds dans un vrai guêpier. Les passions locales sur lesquelles il avait peut-être compté, parce qu'il les croyait unanimement favorables à sa cause, se mirent à l'exploiter, et l'attitude du cabinet brochant sur le tout, ce qui n'avait été d'abord que de l'émotion devint bientôt de la colère. Les intérêts politiques de la localité se mêlant au débat, les démonstrations s'aggravent ; la police, la gendarmerie doivent intervenir ; les rassemblements sont interdits, rien n'y fait.
Les propriétés particulières sont attaquées, le désordre règne dans les rues, des bandes soudoyées assaillent des passants inoffensifs, de toutes parts s'élèvent des plaintes et des récriminations. On accuse l'autorité municipale de prendre fait et cause pour M. de Chambord ; des meetings s'organisent pour protester contre sa présence et ses agissements, des rixes éclatent entre des citoyens isolés d'abord, puis entre des bandes régulièrement organisées, et tous ces désordres s'accomplissent les uns aux accents de la Marseillaise, les autres à ceux du Lion de Flandre, deux chants qui n'étaient en situation ni l'un ni l'autre.
Belges, nous n'avons pas à chanter la Marseillaise, pas à Anvers surtout, aux portes de cette Campine héroïque qui résista si vaillamment aux pillards de 1793 ; et quant au chant du Lion de Flandre, c'était vraiment un hommage qui ressemblait à une dérision que de le faire retentir en l'honneur du descendant de rois qui n'ont cessé d'être les pires ennemis des Flamands... (interruption) en l'honneur d'un prétendant dont les ancêtres ont massacré les nôtres dans les plaines des Flandres ; en l'honneur de l'arrière-petit-fils d'un prince qui a spolié, dévasté, ruiné, morcelé notre pays, d'un prince que les amis de M. de Chambord appellent le grand roi Louis XIV, et qui, pour nous, n'est qu'un brigand couronné.
Quoi qu'il en soit, ces scènes brutales, violentes, agressives, allèrent croissant de jour en jour.
Dans la soirée d'hier, ce n'était plus par cinquante ou cent individus que se comptaient les rassemblements ; des milliers de personnes entravaient la circulation et commettaient pendant une grande partie de la nuit, sur divers points de la ville, les excès les plus graves.
Qui, messieurs, doit porter la responsabilité de ces désordres, de cette situation grave et qui ne peut se prolonger sous peine de semer dans la population d'Anvers le germe d'irréconciliables inimitiés ?
M. Kervyn de Lettenhove. - Ce sont les auteurs des désordres.
M. Couvreur. - Il y a, messieurs, deux causes à ces désordres, deux causes principales, abstraction faite des influences locales, de l'antagonisme naturel et légitime des deux partis politiques qui divisent la localité.
L'une de ces causes, c'est incontestablement la présence de M. le comte de Chambord, le caractère de ses réceptions, l'éclat, le retentissement qu'on a jugé nécessaire d'y donner, les sympathies si bruyantes de la presse catholique, laissant entrevoir l'établissement d'une entente entre le descendant légitime des rois de France et l'Eglise romaine.
On pouvait se croire à la veille d'une croisade clérico-légitimiste rêvant la conquête de la France, pour rendre au saint-siège son pouvoir temporel, passant par Paris pour arriver à Rome et finissant par reconquérir même l'Allemagne protestante et schismatique, grâce au concours de tous les orateurs ultramontains dont les débats du parlement allemand nous on dit les prouesses.
C'était comme un suprême effort de l'Eglise, dépouillée de son autorité temporelle, unie à l'absolutisme, pour remonter le courant des révolutions, pour retrouver son autorité perdue sur les masses. La Belgique devenait la citadelle, la place forte de l’« Internationale noire. »
Si M. le comte de Chambord s'était contenté de vivre à Anvers en bon bourgeois, faisant ses trois repas par jour et suivant régulièrement les offices religieux, personne n'y eût trouvé à redire ; personne ne s'en fût ému ; mais, lorsque les visites de ses partisans sont venues se joindre à sa présence, les choses ont changé de face. Si des manifestations se sont alors produites contre lui, c'est que ses actes et ceux de ses amis constituaient de véritables provocations.
La seconde cause des désordres d'Anvers doit se chercher dans l'attitude si sympathique pour le comte de Chambord du gouvernement et de la Chambre.
On affirme qu'à la suite des premières démonstrations dirigées contre lui, M. de Chambord voulut quitter Anvers ; mais qu'il se ravisa lorsque, par la lecture des débats de la Chambre, il put acquérir la certitude qu'il comptait, au parlement belge, sur les bancs de la majorité et du gouvernement, de nombreux et de puissants amis : M. le ministre des affaires étrangères ne s'était-il pas fait son avocat d'office, et M. le ministre des finances n'avait-il pas glissé avec une prestesse sans égale sur certaines visites de politesse ou de courtoisie qui avaient été faites au comte de Chambord ou à son représentant par un haut dignitaire de la cour, par les gouverneurs civil et militaire de la province d'Anvers ?
Messieurs, j'aurais voulu ne pas revenir sur ces visites. En elles-mêmes, elles sont fort inoffensives, à mon avis.
M. de Blacas, si j'ai bien compris, est un ami personnel de M. Pycke, gouverneur de la province d'Anvers, il a fait une visite à M. Pycke, M. Pycke la lui a rendue. Qu'avez-vous à dire à cela ? M. Eenens, le gouverneur militaire de la province, se rend à l'hôtel Saint-Antoine en grand uniforme.
Visites de courtoisie, dit M. le ministre des finances, prescrites par l'étiquette des cours : cela ne lire pas à conséquence et, d'ailleurs, moi je ne puis être responsable que des choses que j'ordonne.
Cette théorie de l'irresponsabilité du ministère vis-à-vis de certains actes de la couronne s'est déjà produite une fois dans cette enceinte, et par la bouche de l'honorable M. Malou, elle avait pris alors une forme bien anodine, un peu dubitative ; l'honorable M. Frère-Orban la releva avec cette précision de logique qui est un des caractères distinctifs de son éloquence. L'autre jour, elle s'est affirmée avec une hardiesse qui m'a fort surpris. Je n'ai pas jugé à propos de la relever cependant, parce qu'il y a des circonstances où le silence est d'or.
Mais lorsqu'un acte inoffensif en lui-même, sans conséquences en apparence, entraine des conséquences graves, lorsque ces actes de courtoisie, faute d'être démentis ou expliqués, peuvent faire croire à des connivences qui, j'en suis convaincu quant à moi, n'existent pas, alors le silence n'est (page 551) plus possible ; des interpellations doivent avoir lieu pour dissiper des doutes et une responsabilité ministérielle doit se présenter dans cette enceinte pour couvrir ces actes. C'est cette responsabilité que je cherche.
Je me résume, messieurs.
Depuis vendredi dernier, des troubles plus ou moins graves, qui sont allés, dans la soirée d'hier, d'après les déclarations de tous les journaux d'Anvers, jusqu'à l'effusion du sang, ont lieu dans cette ville ; l'administration municipale n'a pas sur la population l'autorité morale voulue pour dominer la situation. Qu'il me soit permis de signaler, en passant, que le chef de cette administration est atteint dans sa santé, et déjà, à raison de ce fait, n'est pas dans les conditions voulues pour tenir tête à la gravité des circonstances.
L'administration communale d'Anvers est débordée, et rien n'indique qu'elle parviendra à rétablir la paix publique aussi longtemps que subsistera la cause qui a motivé les désordres.
Ces causes sont :
La présence à Anvers de M. le comte de Chambord ;
Les visites de ses partisans ;
Les égards officiels qui lui ont été témoignés par le gouvernement et par l'administration communale d'Anvers ;
Enfin, la certitude qu'il a pu avoir que la loi de 1835 ne lui serait pas appliquée.
Je ne suis pas partisan de la loi de 1835 ; je l'ai toujours combattue comme une loi arbitraire, livrant l'étranger aux caprices de l'administration et à l'irresponsabilité matérielle des majorités parlementaires. Je ne suis donc pas suspect en disant que je n'en demande pas l'application à M. de Chambord.
Mais le gouvernement n'est pas, lui, dans les mêmes conditions que moi. Il est partisan de la loi.
Or, que dit la loi ?
Les termes en sont clairs et formels :
« L'étranger qui, par sa conduite, compromet la tranquillité publique, peut être contraint par le gouvernement de s'éloigner d'un certain lieu, d'habiter dans un lieu déterminé, ou même de sortir du royaume. »
M. le comte de Chambord a-t-il compromis, par sa conduite, la tranquillité publique ?
Poser la question, c'est la résoudre. Il l'a si bien compromise, la tranquillité publique, qu'hier encore, les désordres les plus graves régnaient à Anvers.
Cependant, que je sache, il n'a été ni éloigné d'Anvers, théâtre de ses exploits, ni invité à aller habiter un lieu déterminé, ni obligé à sortir du royaume.
Le gouvernement, messieurs, est dans cette alternative, ou bien d'appliquer la loi, ou bien de venir nous déclarer qu'il abandonne la jurisprudence suivie jusqu'ici par tous les gouvernements qui se sont succédé. Voilà le dilemme, dans lequel il est renfermé et dont je le défie de sortir.
Les faits ainsi précisés, voici les questions que j'adresse au gouvernement :
« 1° Le gouvernement accepte-t-il la responsabilité des visites de courtoisie qui ont été faites à M. le comte de Chambord ou à ses représentants ?
« 2° Quel a été le caractère des manifestations organisées à Anvers par M. de Chambord et ses amis ? Est-il vrai notamment qu'un drapeau fleurdelisé ait été déployé et que, dans un lieu public, on ait porté des toasts à la santé d'Henri V, roi de France, et à la restauration du pouvoir temporel ?
« En d'autres termes, est-il vrai qu'on ait bu à l'explosion de la guerre civile en France et à la guerre étrangère en Italie ?
« 3° Quel est le caractère des troubles qui ont eu lieu à Anvers et quelles mesures le gouvernement prendra-t-il pour rétablir, en dehors des moyens répressifs, la paix entre les citoyens de cette ville ?
« 4° Enfin, le gouvernement entend-il appliquer la loi de 1835 aux étrangers sur qui retombe une part de responsabilité des événements d'Anvers, ou son intention est-elle d'introduire des modifications dans la jurisprudence traditionnelle de cette loi ? »
Je me réserve de reprendre la parole après que le gouvernement aura répondu à ces questions.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Après la réponse faite par le gouvernement à l'interpellation formulée par M. De Fré dans la séance du 23 de ce mois, nous avions le droit de croire cet incident vidé. Malheureusement, il n'en est pas ainsi. L'honorable M. Couvreur se fait aujourd'hui l'interprète de nouvelles plaintes ou plutôt de nouveaux griefs articulés contre le gouvernement.
Voyons, messieurs, jusqu'à quel point ces griefs sont fondés, voyons jusqu'à quel point ils sont justes et jusqu'à quel point le gouvernement peut être responsable des faits dont il est accusé.
Autant que l'honorable M. Couvreur, je regrette l'atteinte portée à la vieille, à l'antique, à la noble hospitalité belge.
- Voix à droite. - Très bien !
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Ce sera pour la Belgique une tache qu'on aura beaucoup de peine à effacer de ses annales...
M. Jottrand. - Je demande la parole.
M. Muller. - Vous allez trop loin, M. le ministre ; la Belgique n'est pas responsable des faits qui se sont produits.
M. Jacobs. - Heureusement. (Interruption.) Vous avez raison.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Nous ne devons pas moins considérer comme très regrettable le tort fait à la bonne réputation du pays.
M. Muller. - Par qui ?
M. Kervyn de Lettenhove. - Par les auteurs des désordres.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Par les auteurs des désordres qui se sont produits à Anvers.
Messieurs, on nous dit que le comte de Chambord a été le provocateur des troubles qui ont éclaté à Anvers. En quoi ? Rien ne prouve la vérité de cette assertion.
Au début, comme l'a reconnu M. Couvreur, aucune émotion ne s'est manifestée ; le comte de Chambord résidait depuis plusieurs jours à Anvers, et personne ne s'émouvait de sa présence, lorsqu'un groupe s'est formé et a commencé à présenter le séjour du prince comme un sujet de trouble et comme une excitation à la guerre civile ; ce sont les mots dont il s'est servi.
On est revenu sur les visites officielles ; je croyais réellement qu'elles avaient été expliquées et que nos explications avaient été acceptées par la Chambre. Il est d'usage dans tous les pays civilisés que lorsqu'un personnage de distinction y vient résider, des visites de courtoisie lui sont faites. Ici nous sommes restés strictement dans les usages établis. Je crois que de ce chef le gouvernement ne doit encourir aucun blâme. Des emblèmes légitimistes ont été produits dans les rues d'Anvers. Quels sont-ils ?
D'après les journaux, une serviette arborée au bout d'un bâton a été le drapeau auquel on fait allusion. Nous n'avons jamais appris qu'un emblème quelconque portant des fleurs de lis ait été promené dans lés rues d'Anvers.
Si des faits de ce genre s'étaient produits, le gouvernement aurait eu à aviser ; mais comme rien de pareil n'a eu lieu, nous n'avons pas eu de mesures à prendre.
L'honorable M. Couvreur m'a reproché personnellement mes sympathies pour le comte de Chambord.
On me dit que je l'ai qualifié de roi de France ; mais il ne faut évidemment pas avoir compris la portée des paroles que j'ai prononcées en répondant à l'honorable M. De Fré, qui avait confondu M. le comte de Blacas avec M. le comte de Chambord.
J'ai fait observer que M. de Blacas se trouverait très flatté d'être pris pour le roi de France. Voilà ce que j'ai dit ; mes paroles sont consignées dans les Annales parlementaires et elles témoignent assez que je me servais de cette qualification sans la faire mienne.
On demande sur qui doit porter la responsabilité des désordres qui ont eu lieu à Anvers.
En quoi le gouvernement est-il coupable de ces désordres ?
Auriez-vous voulu que, dès que les rassemblements se sont formés, ils eussent été dissipés par la force ? Auriez-vous voulu que le gouvernement prît la responsabilité de faire couler le sang ?
Lui faites-vous un grief d'avoir été modéré, d'avoir laissé à l'administration communale d'Anvers le soin de maintenir la police chez elle ? Est-ce là ce que vous reprochez au gouvernement ? Je ne le crois pas ; je ne pense pas que vous alliez jusque-là. Evidemment, vous ne demandez pas au gouvernement de faire respecter l'ordre à Anvers en balayant les rues à coups de canon.
Eh bien, qu'avons-nous fait ? Nous avons dit à l'administration communale d'Anvers : Vous avez la police ; faites respecter l'ordre. Voilà ce qu'a fait le gouvernement et je crois qu'en cette occasion il a rempli son devoir.
Des désordres ont été provoqués, dit-on, par deux causes : la première serait la présence du comte de Chambord à Anvers. Je suis convaincu que personne plus que ce prince n'aura regretté les scènes dont Anvers a été le (page 552) théâtre durant son séjour ; mais le rendre responsable de ces désordres, c'est évidemment aller trop loin. Il a cru, en fixant sa résidence en Belgique, qu'il avait le droit, comme tout le monde, comme le premier venu, dirai-je, de jouir de l'hospitalité de notre pays.
Les démonstrations officielles attribuées au gouvernement seraient la seconde cause.
Mais, messieurs, quelles ont été les démonstrations officielles du gouvernement ? Les visites qui ont eu lieu ? Mais elles ont été expliquées surabondamment déjà dans cette enceinte et je crois inutile de répéter ce que j'ai dit à cet égard.
Je me suis fait, dit-on encore, l'avocat du comte de Chambord. Messieurs, je ne me suis fait ni son avocat ni son détracteur : j'ai défendu les droits de l'hospitalité belge, comme je les défends encore en ce moment ; et je répète que le renom hospitalier de la Belgique ne peut qu'avoir souffert de l'incident qui nous occupe.
- Voix à droite. - Très bien !
M. Defuisseaux. - Et la loi ?
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - J'y viendrai tout à l'heure.
Cette réputation-là est assez bien établie pour n'avoir pas à souffrir longtemps des atteintes que quelques fauteurs de désordres lui ont fait subir.
On nous a dit que M. de Blacas était l'ami personnel du gouverneur de la province d'Anvers.
Messieurs, c'est une chose triste que de voir, dans cette enceinte, reproduire ce qui y a déjà été réfuté plusieurs fois.
J'ai déclaré itérativement ici que M. Pycke, gouverneur de la province d'Anvers, ne connaissait pas le comte de Chambord, qu'il n'était pas l'ami de M. de Blacas et qu'il ne l'avait jamais vu avant de recevoir sa visite de simple courtoisie. (Interruption.,)
Messieurs, le comte de Chambord n'a pas voulu être plus longtemps un sujet de discorde dans le pays, il a quitté le sol belge.
Puisque l'on fait remonter jusqu'à lui l'origine des troubles, les désordres, s'ils se perpétuaient, auraient donc un autre caractère. Dans cette hypothèse, le prétexte disparaissant, on connaîtra le véritable mobile de l'agitation.
On nous a demandé, messieurs, si le gouvernement a l'intention d'appliquer la loi sur les étrangers.
Cette loi comme toutes les lois, le gouvernement a l'intention de l'appliquer tant qu'elle ne sera pas rapportée.
Si quelques membres de la Chambre en désirent l'abrogation, ils sont parfaitement libres de la proposer. La Chambre seule a le droit de statuer sur ce point.
Messieurs, je bornerai là, pour le moment, mes explications et si le débat se prolonge, je redemanderai la parole.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Messieurs, s'il ne s'était agi que de la personne même du comte de Chambord, les explications données par M. le ministre des affaires étrangères auraient largement suffi, je pense.
Si j'ai demandé la parole lorsque l'honoqable M. Couvreur a commencé son discours en désignant nominativement l'administration communale et la ville d'Anvers, c'est parce que je ne puis m'empêcher de répondre aux assertions de l'honorable membre.
Je crois pouvoir en parler en connaissance de cause, puisque depuis quelques jours j'ai assisté jour et nuit aux scènes qui se sont passées à Anvers.
L'honorable membre, dans un langage très imagé, très intéressant, nous a fait, au sujet des événements d'Anvers, un véritable roman. Mais comme tous les romans, il a le défaut de manquer de fondement.
Il n'y a réellement que des inexactitudes dans ce que nous a dit l'honorable M. Couvreur, et abstraction faite de la question politique, que je ne veux pas toucher dans ce moment, je me permettrai de dire à l'honorable membre qu'il est dans la plus complète erreur au point de vue des événements qui se sont passés à Anvers et qu'il est fâcheux de venir, dans cette enceinte, les exagérer d'une manière telle, que, s'il fallait en croire l'honorable M. Couvreur, on serait occupé, dans ce moment encore, à s'entrégorger à Anvers.
D'abord, messieurs, l'honorable M. Couvreur nous dit que l'administration communale d'Anvers ne se trouvait pas en état et ne se trouve pas encore en état, en ce, moment, de répondre aux exigences de la situation. M. Van Put, l'honorable chef de la commune, est malade, il est vrai, et il a demandé un congé ; c'est donc accidentellement qu'il est venu au milieu de ses collègues, mais sans y remplir aucune fonction.
Il a cédé ses pouvoirs au premier évhevln, à M. Vanden Bergh-Elsen, qui est aujourd'hui faisant fonction de bourgmestre, et pour compléter le collège échevinal nous y avons appelé le premier conseiller inscrit au tableau, M. Van Hissenhoven ; de sorte que le collège communal d'Anvers se trouve parfaitement au complet, et en état, quoiqu'on dise M. Couvreur, de répondre à toutes les exigences de la situation.
Du reste, messieurs, et je regrette de devoir le dire, puisque je fais partie moi-même de l'administration communale, mais je crois que, dans cette circonstance, l'administration communale a fait son devoir et qu'elle n'est pas restée en deçà de la tâche qui lui était imposée.
L'honorable membre nous dit qu'on a promené à Anvers des emblèmes légitimistes. Eh bien, c'est encore un de ces épisodes qui n'existent que dans l'imagination de M. Couvreur et dans quelques journaux.
Voici ce qui en est des emblèmes dont question. Une enquête est ouverte en ce moment à ce sujet et je crois que cette enquête réduira les faits à un véritable enfantillage.
Pendant qu'il y avait dans l'une de nos rues une agitation assez forte, des personnes se sont amusées, paraît-il, à ouvrir une fenêtre dans un restaurant et ont passé par cette fenêtre un liage blanc, une serviette ou un mouchoir de poche. Immédiatement après, on a, dans un établissement public voisin, pris une autre serviette ou un autre mouchoir de poche que l'on a attaché à une espèce, de hampe ou de grand bâton et l'on s'est vanté dans cet établissement public d'avoir arraché cet emblème à une foule criant : Vive le comte de Chambord !
Les rapports de police réduisent ce fait à des dimensions tellement faibles, que je n'en aurais point parlé si l'honorable M. Couvreur n'en avait fait mention lui-même. Mais je suis persuadé que lorsque l'enquête aura été faite, cette affaire de drapeau se réduira à zéro.
L'honorable membre dit encore, pour grossir les événements d'Anvers, que l'administration communale, quelque incomplète, quelque impuissante qu'elle fût, avait défendu les rassemblements.
L'administration communale n'a pris aucun arrêté pour défendre les rassemblements. Evidemment elle y a songé ; mais les événements n'ont pas été tels, que l'administration communale ait été obligée de prendre un arrêté pour dissiper par la force les rassemblements. Nous avons laissé les citoyens se rassembler comme ils l'entendaient et nous n'avons pas eu à les disperser par la force. La police n'a fait uniquement qu'une sévère surveillance.
L'honorable M. Couvreur a parlé des causes qui ont produit les événements qui viennent de se passer à Anvers. Mais, messieurs, permettez-moi de vous dire que lorsqu'on les attribue ici à la présence du comte de Chambord, on est encore très loin de la vérité. Je veux bien que, pour certaines personnes, la présence du comte de Chambord a été une cause de déplaisir à Anvers ; que les visites qu'il recevait en grand nombre, je l'avoue, ne fussent pas du goût de tout le monde. Mais jusqu'à présent ces visites et la présence du comte de Chambord n'avaient été pour l'autorité communale ni même pour l'autorité supérieure une cause d'embarras. A cette occasion, j'ai deux questions à adresser à M. le ministre des affaires étrangères.
La présence du comte de Chambord, au point de vue politique, pouvait-elle devenir un danger pour le gouvernement et pour la ville d'Anvers, et le gouvernement français a-t-il fait des réclamations auprès du gouvernement belge à ce sujet ?
Si aucune réclamation n'a été faite, pour Dieu, messieurs, ne nous montrons pas plus républicains que M. Thiers ; et puisque M. Thiers et l'assemblée nationale de France ne trouvaient pas d'inconvénient à ce que M. de Chambord résidât à Anvers, nous n'avions pas à nous en inquiéter plus que le gouvernement de la France.
Non, messieurs, la cause n'est pas là.
Le 13 février, M. le comte de Chambord arrive à Anvers ; il y reste jusqu'au 17, c'est-à-dire pendant 4 jours, ayant déjà reçu pas mal de visites, et personne ne songe à lui faire la moindre observation. Le 17février, vers 10 heures du soir, quelques élèves de l'institut commercial d'Anvers, parmi lesquels, ainsi que le porte le rapport de la police, se trouvaient quelques Français, se sont dirigés vers l'hôtel Saint-Antoine, se sont mis à siffler, à crier, à huer, et depuis lors nous avons eu tous les jours de petites manifestations.
Mais, messieurs, la question prit un autre caractère immédiatement après l'interpellation de l'honorable M. De Fré. Remarquez, messieurs, que je ne veux ici accuser personne, je constate les faits et je les constate froidement comme l'un des administrateurs de la ville d'Anvers, comme ayant suivi de près les événements et ayant pu m'en rendre compte. Or, il arriva alors, singulier phénomène, que l'on a fait de la politique contre (page 553) l'administration communale d’Anvers, en se servant, comme prétexte, de la présence du comte de Chambord à Anvers.
On a pu constater ce fait qu'un certain nombre d'étrangers à notre ville se trouvaient mêlés dans la foule et que parmi eux il y en avait, à ce que l'on prétendait, qui avaient pris part aux événements qui ont ensanglanté pendant quelques mois les rues de Paris.
La police a remarqué aussi quelques élèves arrivés, disait-on, hier et avant-hier des universités de Gand, de Liège, etc., et qui sont venus se joindre aux groupes des manifestants.
Je le répète, je n'accuse personne, je ne fais que citer des faits constatés par la police.
Le premier jour, ou plutôt le premier soir où nous eûmes des troubles, le tumulte se produisit uniquement devant l'hôtel Saint-Antoine. Le bruit était tellement fort et la foule de curieux tellement intense, que la circulation était matériellement interrompue.
Pendant ce temps, l'ordre public était véritablement troublé, en ce sens que la voirie n'était plus libre et que les citoyens ne pouvaient plus circuler, grâce à quelques meneurs qui, dans un but politique, s'efforçaient, en faisant du bruit devant l'hôtel du comte de Chambord, de jeter le trouble dans notre cité.
L'administration communale d'Anvers, sans recourir à la dispersion de ces attroupements par la force, s'est bornée à dégager une partie de la Place Verte et du Marché aux Souliers où est l'hôtel Saint-Antoine, en laissant le reste de la ville complètement libre.
Qu'est-il arrivé alors ? Tous ceux qui venaient de crier, de hurler, de manifester devant l'hôtel Saint-Antoine, au lieu de se tenir derrière la ligne de gendarmes et d'agents de police et de continuer là leurs manifestations ; tous ceux-là, dis-je, ont donné alors à la manifestation son véritable caractère. lis ont quitté ces parages ; ils ont fait la même tournée, ils ont pris le même chemin que prennent généralement certains manifestants politiques anversois en temps d'élection, on a constaté leur présence et ils étaient à la tête du mouvement.
Or, je le répète, ce sont les mêmes personnes qui ont fait, dans les circonstances actuelles, ce qu'elles font à chaque lutte électorale qui a lieu à Anvers.
Je crois qu'il faut rendre à ces événements leur véritable valeur. Je ne pense pas que le comte de Chambord en ait été le véritable motif. Il a été le prétexte des troubles. Je viens de le dire et je le répète, l'administration communale a fait son devoir ; elle est parvenue à maintenir l'ordre et elle le maintiendra encore.
D'ailleurs, j'espère que d'ici à quelque temps, les enquêtes auxquelles on se livre en ce moment donneront aux événements dont nous venons de nous entretenir leur véritable caractère.
- Voix à droite. - Très bien !
M. Jottrand. - J'avais demandé la parole exclusivement pour répondre à l'honorable ministre des affaires étrangères, mais avant de lui démontrer combien ses dénégations et ses explications sont faibles devant les faits réels, je dois répondre quelques mots à l'honorable échevin de la ville d'Anvers qui vient de se rasseoir.
A l'en croire, les mouvements qui se sont produits à Anvers ne seraient pas l'expression des sentiments de la partie respectable de la population anversoise ; ils seraient dus à l'intervention de ces éternels communeux que nous sommes condamnés, paraît-il, à rencontrer dans toutes les questions et à l'intervention d'étudiants venus de Gand, de Liège et d'autres villes. (Interruption.)
S'il en est ainsi, si réellement le sentiment de la grande majorité de la population d'Anvers ne s'élevait pas contre les manifestations légitimistes et la connivence du gouvernement et de la ville, pourquoi l'administration communale d'Anvers n'a-t-elle pas convoqué la garde civique (interruption à droite), la garde civique dont l'intervention était absolument exigée par les circonstances ?
Pourquoi, au lieu de convoquer les forces légales qui étaient à sa disposition, a-t-elle laissé s'organiser et peut-être aidé à s'organiser ces bandes de stockslagers recrutés dans la lie de la population et auxquels on a livré sans défense les citoyens les plus respectables ?
S'il y a des taches qui doivent rester à la suite de ces événements, la plus noire de ces taches, celle dont il sera à jamais impossible de se laver, a été imprimée par les faits que je viens de rappeler et cette tache salit l'administration municipale d'Anvers.
M. Jacobs. - Je demande la parole.
M. Jottrand. - Je passe maintenant à mes griefs contre le gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères déplore la grave atteinte que les manifestations d’Anvers ont apporté au vieux et légitime renom d’hospitalité que la Belgique s’est acquis dans l’histoire. L’hospitalité belge, quoi qu’on en dise, messieurs, gardera sa réputation et continuera à la mériter.
Ce n'est pas sans provocations, ce n'est pas sans légitimes motifs que se sont produites les protestations dont la ville d'Anvers a été le théâtre de la part des citoyens les plus respectables et les plus honorables. (Interruption.)
M. Kervyn de Lettenhove. - C'est l'apologie du désordre.
M. Dumortier. - Un tas de communeux.
M. Jottrand. - Laissez-nous tranquilles avec vos communeux ! Vous avez donc un communeux sur le nez ?
On a rappelé, messieurs, l'audace avec laquelle un parti politique étranger est venu choisir la Belgique pour théâtre spécial de ses manifestations. On a parlé et avec justice de la complicité, hautement avouée dans cette circonstance, du parti clérical de Belgique (interruption), complicité prouvée par l'attitude de votre presse tout entière. (Interruption.)
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Jottrand. - On a parlé des marques extraordinaires de respect imprudemment données par de hauts fonctionnaires dont les actes engagent un gouvernement dans tous les pays du monde. Et c'est à ces trois causes et rien qu'à ces trois causes qu'il faut attribuer les événements déplorables qui nous occupent aujourd'hui.
Pour être convaincu que le. Belge, quand on ne le provoque pas, est aujourd'hui encore hospitalier comme ses ancêtres l'ont été, il suffit de comparer les faits qui viennent de se produire à ceux qui se sont produits il y a quelques mois.
Ce n'est pas la première fois que le comte de Chambord daigne poser ses augustes pieds sur le sol de notre patrie. (Interruption.)
Ce n'est pas la première fois qu'il nous permet de contempler la face auguste d'un chargé d'affaires direct de la Providence, à nous qui avons choisi nos rois. (Interruption.)
Il y a onze mois, le 29 mars 1871, M. le comte de Chambord a débarqué à Bruges sans fracas, sans clameurs. Le 24 juillet, la Patrie de Bruges laissait, pour la première fois, déborder l'enthousiasme dont son âme était gonflée depuis que Bruges pouvait s'honorer de la présence du représentant légitime du droit divin. Elle apprenait avec bonheur à ses lecteurs qu'enfin l'incognito dont se couvrait l'auguste personnage venait d'être levé.
Combien étaient grandes sa piété, ses mérites ; combien étaient nombreuses les visites qu'incognito ses partisans lui avaient faites pendant les trois mois qui venaient de s'écouler ; enfin elle pouvait le citer comme exemple à tous les fidèles qui constituent la collection de ses abonnés !
Le lendemain, le Journal de Bruges lui répondait dans les termes suivants :
« Depuis longtemps on savait que le comte de Chambord était à Bruges ; on ne se préoccupait pas de sa présence. C'était un monument archéologique de plus dans une ville qui en contient tant. Dans notre pays hospitalier, on respecte les épaves des partis politiques qui ne compromettent pas ceux qui leur donnent asile.
« Aujourd'hui il n'en est plus ainsi. La Patrie démasque bruyamment l'incognito du comte de Chambord, signale les visites qu'il reçoit, les hommages qu'on lui rend comme roi, les bouquets de lys qu'on lui offre. Cette exaltation du droit divin peut avoir des inconvénients. »
M. de Clercq. - Il n'y avait pas encore de prétextes alors.
M. Jottrand. - Et, pour conclure, il conseillait à la Patrie de se taire dorénavant. La Patrie et ses conseils sentirent que le silence était de mise et qu'elle avait eu tort de parler. Elle ne souffla plus mot.
Le 3 août, peu de jours après, le comte de Chambord quittait Bruges et visitait Gand et Anvers. Le 4, il arrivait à Bruxelles. Le 5, il était à Paris. Le 6, il en partait subitement pour gagner la frontière. On n'a jamais su pourquoi.
Pendant tout ce séjour de M. le comte de Chambord en Belgique, ni le gouvernement, ni les autorités locales, ni la cour n'ont fait la moindre attention à sa présence. Elles l'ont très sagement ignorée.
Aucune visite officielle de hauts fonctionnaires en uniforme ne s'est produite. Aucun feu d'artifice d'enthousiasme n'a éclaté dans les journaux chers à la droite. La douche administrée par le Journal de Bruges avait suffi pour éteindre la petite fusée qu'avait risquée la Patrie.
Avez-vous entendu alors, messieurs, sortir de nos rangs, sortir de la bouche de ceux que les prétentions surannées des rois par la grâce de Dieu indignent, la moindre protestation, la moindre réclamation ? L'hospitalité belge est restée intacte ; son vieux renom a été maintenu, parce (page 554) qu'alors les autorités belges avaient observé leurs devoirs et que les deux partis de Belgique avaient fait vis-à-vis d'un prince étranger ce qu'ils devraient toujours faire.
Quand je dis, messieurs, que le gouvernement et les autorités du pays ont alors complètement ignoré, comme c'était leur devoir, comme c'était leur devoir encore dans ces dernières circonstances, la présence du comte de Chambord sur notre sol, je me trompe.
Un incident s'est produit qui n'a jamais été éclairci quoiqu'il ait été indiqué par la presse, incident que je vais rappeler, et sur lequel j'invite le gouvernement, puisque l'occasion s'en présente, à s'expliquer. Une quinzaine de jours, après le départ du comte de Chambord, départ dont j'ai indiqué la date, nous avons lu l'articulet suivant dans nos principaux journaux.
L'initiative était venue d'un journal très répandu et qui n'est pas sans avoir la réputation de recevoir souvent des renseignements officiels de très bonne source.
Voici ce que nous lisions dans l’Etoile belge :
« Nous croyons savoir que ce n'est pas précisément de son plein gré que le comte de Chambord a quitté la Belgique.
« Le prince se trouvait depuis quelque temps à Bruges, où il vivait très modestement dans un hôtel, tout en recevant beaucoup de personnages de tous rangs, venant particulièrement de France.
« A la suite d'un article publié par le Journal de Bruges, et dans lequel la monarchie de droit divin était, paraît-il, assez malmenée, deux amis ou agents du prince se rendirent dans les bureaux de ce journal, où ils trouvèrent le propriétaire, M. Popp, avec lequel ils eurent une vive altercation. Ces messieurs contestaient au Journal de Bruges le droit de s'exprimer comme il l'avait fait en parlant des prétentions de la branche aînée, et M. Popp revendiquait vis-à-vis d'eux la liberté de les juger comme il l'entendait. A un certain moment, comme ces messieurs prenaient vis-à-vis de lui un ton très altier, en tenant une main dans la poche, ce qui permettait de supposer qu'ils étaient armés et cherchaient peut-être une occasion de faire usage de leurs armes, M. Popp se mit sur la défensive et se disposa à se défendre vigoureusement, en menaçant ses nobles interlocuteurs de les jeter à la porte. Cette scène prit un caractère si violent qu'une autre personne de la maison, qui se trouvait présente, donna ordre en flamand de faire avertir la police de ce qui se passait. M. Popp tint bon en attendant et rejeta les cartes de visite que ces messieurs lui avaient remises d'un ton hautain :
« La scène s'étant assez longtemps prolongée, les visiteurs se doutèrent de ce qui allait se passer, et ils disparurent enfin, de sorte qu'à son arrivée la police ne les trouva plus.
« Mais M. Popp se rendit chez le bourgmestre pour se plaindre de la brutale agression dont il avait été l'objet et l'avertir que si elle se reproduisait, il se tiendrait prêt à recevoir les amis du prince comme ils le méritaient.
« A la suite de cette plainte et de cette menace, M. le bourgmestre de Bruges serait immédiatement venu à Bruxelles, où il aurait obtenu des membres du gouvernement l'assurance que les amis du comte de Chambord seraient invités dès le lendemain à quitter le pays.
« On nous assure que M. le comte de Chambord lui-même aurait été prié de modérer le zèle de ses trop compromettants amis, si peu familiarisés avec les droits de la société moderne. C'est dans ces circonstances que le prince aurait quitté Bruges. »
M. Kervyn de Lettenhove. - Historiette !
M. Jottrand. - C'est le journal l'Etoile belge du 20 août qui contenait ce récit, que l'on n'a jamais démenti.
Voilà, messieurs, les faits de l'été dernier. Voilà quelle a été alors l'attitude des autorités de la Belgique.
M. Kervyn de Lettenhove. - D'après l'Etoile.
M. Jottrand. - Aujourd'hui, au contraire, qu'avons-nous vu ? Nous avons vu d'abord l'arrivée de M. le comte de Chambord annoncée, comme on vous l'a rappelé, à grand fracas par les principaux organes de la presse catholique. Ces annonces coïncidaient avec les menées de tout genre dont Versailles était le théâtre pour arriver à la rédaction de ce fameux manifeste - secret, - le premier du genre ; comme qui dirait un orateur - muet. - Ce n'était plus incognito que débarquait à Anvers M. le comte de Chambord.
M. de Blacas, l'inévitable M. de Blacas, le comte Stanislas de Blacas qui, avec M. de Monti, constitue la garde particulière du prince, qui remplit auprès de lui le rôle que le fidèle Achate remplissait auprès de l'errant Enée, M. le comte Stanislas de Blacas qui se trouvait à Bruges avec son royal maître et qui peut-être - je n'en sais rien, au juste - est pour quelque chose dans la visite à M. Popp dont parlait l’Etoile belge dans le numéro dont j'ai donné connaissance tout à l'heure, à peine arrivé à Anvers, se présentait à l'hôtel du gouvernement provincial, auprès du gouverneur, qu'il ne connaissait pas, pour lui faire une visite.
Cela équivalait à une visite de roi ; on sait que les rois ne font pas ces opérations en personne. Ils ont pour cela des fondés de pouvoir. Aussi, quand M. le gouverneur d'Anvers, qui ne connaît pas non plus M. de Blacas, s'est rendu à l'hôtel qu'occupait le souverain de M. de Blacas et qui, pour le moment, était un palais royal, on ne fera croire à quiconque qu'il allait rendre visite à M. de Blacas personnellement. Il y avait, d'ailleurs, un précédent qui marquait le sens de sa démarche.
M. le lieutenant général Eenens, gouverneur militaire d'Anvers, et M. le grand maréchal du palais, avaient, en grand uniforme, et cloches sonnantes pour ainsi dire, fait déjà leur visite officielle, solennellement proclamée par les journaux orthodoxes de la ville.
On nous dit, messieurs, qu'il n'y avait dans tout cela rien que de la courtoisie et l'observation des règles les plus élémentaires du code de la politesse.
Le code de la politesse change-t-il à six mois d'intervalle et les règles qu'il impose n'existent-elles qu'en hiver ? Sont-elles suspendues en été ?
Pourquoi le gouverneur de la Flandre occidentale n'a-t-il pas jugé convenable de faire à Bruges une visite solennelle ?
M. de Blacas n'est-il pas allé remettre chez ce haut fonctionnaire sa carte habituelle ?
Pourquoi M. le général commandant la province n'a-t-il pas alors endossé sa grande tenue et épousseté ses ordres pour aller saluer Henri V ?
Pourquoi alors le grand maréchal du palais n'a-t-il pas fait le voyage de Bruxelles à Bruges pour y remplir un devoir que l'on a cru récemment indispensable à Anvers ?
Non, vous ne ferez croire à personne qu'il n'y ait pas eu, en février 1872, dans les hautes régions gouvernementales de Belgique, des dispositions, à l'égard du comte de Chambord, tout autres que celles qui existaient à l'égard du même personnage dans les mêmes régions au mois de juillet 1871.
Si le gouvernement, voulant réellement conserver une neutralité absolue, avait été soucieux de ne pas blesser le sentiment public en penchant trop clairement du côté de M. le comte de Chambord, toutes les circonstances ne lui faisaient-elles pas un devoir de prévenir ses fonctionnaires qu'ils n'eussent à se livrer à aucune démarche auprès de ce prince ? Et si ces fonctionnaires avaient déjà agi contrairement à ses intentions, n'était-il pas de son devoir de les désavouer spontanément et de ne pas attendre, pour parler, l'interpellation dont mon honorable ami M. De Fré a pris vendredi l'initiative ?
Mais, messieurs, les circonstances qui ont entouré le séjour de M. le comte de Chambord à Anvers n'étaient-elles pas des plus graves ?
Le comte de Chambord a convoqué à grand bruit à Anvers tous ses adhérents. Ils sont venus en bandes, porteurs de leur drapeau.
Je ne veux pas parler de ce drapeau blanc qu'on a voulu réduire à l'humble rang d'une serviette.
Je laisse cette peu élogieuse comparaison à l'honorable membre qui en est l'auteur.
Mais ce n'est pas tout ; on a répandu dans Anvers, à foison, on y a exposé, aux vitrines de tous les libraires, des portraits photographiés et lithographiés de « l'hôte royal d'Anvers », pour employer le langage de la Patrie de Bruges, portant pour légende : « Henri V, roi de France et de Navarre. »
On a répandu et vendu partout à Anvers une cantate, un hymne de dévouement dont les paroles sont des plus significatives et constituent bel et bien un appel à la révolte et à l'action à main armée en France. En voici le texte :
« Accourez, ô mon roi, pour sauver notre France,
« Au seul cri de l'honneur et de la liberté ;
« C'est l'heure, hâtez-vous, vous êtes l'espérance,
« Vous êtes la grandeur, vous êtes la bonté ;
« Levez votre drapeau, brandissez votre épée,
« Et tous nous volerons, intrépides soldats,
« Pour rendre au roi Henri sa couronne usurpée,
« La France veut un père, un prince : ouvrez vos bras !
« Accourez, nous voici la tête haute et fière,
« L'épée hors du fourreau, le regard enflammé,
« Nous n'attendons qu'un mot pour entrer en carrière,
« De par Dieu venez donc, ô mon roi bien-aimé ! »
Et vous voudriez, messieurs, que, dans de pareilles circonstances, les actes de courtoisie excessive posés par les agents du gouvernement et la (page 555) protection exagérée accordée par l'administration municipale d'Anvers n'aient pas exaspéré le sentiment public ? Ce serait vouloir l'impossible ! A qui pouvez-vous espérer faire croire que l'ensemble de circonstances que j’ai relevées est sans importance et que vous n'avez agi que parce que le code strict de la politesse et les règles impérieuses de la courtoisie vous obligeaient à le faire.
Qu'une comparaison me soit permise ! Le gouvernement et ses agents, dans toute cette affaire, sont comme des amoureux qui, malgré la présence du public, emportés par leur passion, couvrent l'objet de leurs désirs de témoignages de tendresse et se figurent qu'on ne les voit pas.
Quand on leur parle, on les tire comme d'un rêve, ils s'étonnent, ils rougissent, ils nient, mais personne ne croit à leurs dénégations. Tout le monde, en effet, a vu ce qu'ils s'efforcent de contester.
Oui, messieurs les ministres, vous êtes coupables et vous serez blâmés. Blâmés ! Et de quoi ? demandez-vous. Blâmés de ce que, avertis des desseins de M. le comte de Chambord en Belgique, vous ne l'avez pas rappelé au sentiment des convenances. Vous ne lui avez pas posé ce dilemme et ne lui avez pas dit :
Ce que vous venez faire ici, vous pouvez le faire en France ou bien vous ne le pouvez pas. Dans le premier cas, passez notre frontière ; allez chez vous convoquer vos partisans ; allez-y recueillir des témoignages de sympathie et de dévouement. Dans le second cas, ne venez pas nous compromettre ou susciter chez nous des troubles par vos actes. Vous ne devez pas transporter vos opérations d'intérêt privé sur notre sol, parce qu'une prétendue dignité vous empêcherait de rentrer en France autrement que comme roi. On a pu dire de votre ancêtre, Louis XIV : « Il maudit sa grandeur qui l'attache au rivage ; » mais aujourd'hui l'on n'admet plus de pareils scrupules. Les rois payent de leur personne.
Vous devez être blâmés non seulement pour ne pas avoir rappelé M. le comte de Chambord au sentiment des convenances, mais encore et surtout pour l'avoir encouragé dans ses projets par la présence approbatrice de vos fonctionnaires et de vos agents.
Vous devez être blâmés pour ne pas avoir appliqué contre lui la loi de 1835 dans celle de toutes les circonstances connues jusqu'ici dans notre pays, où elle était le plus évidemment applicable.
Lorsqu'il s'est agi dans cette enceinte de l'expulsion de Victor Hugo, j'ai dit que s'il m'était prouvé que cet homme illustre avait pu entrevoir sans horreur la guerre civile déchaînée chez nous, à son propos, il fallait l'expulser.
Mais j'ai nié qu'il se fût trouvé vis-à-vis de cette éventualité et qu'il l'eût froidement acceptée.
Le comte de Chambord s'est trouvé vis-à-vis de cette éventualité ; il l'a vue face à face et elle ne l'a pas fait reculer.
Au contraire, il l'a laissée se produire ; il nous y a plongés presque avec volupté.
Alors que son devoir lui commandait, au premier symptôme de troubles à Anvers, de quitter la ville qu'il menaçait de graves désordres, il a délibéré et il a persisté au contraire à y rester.
Eh bien, ce jour-là, en présence de ce manque absolu d'humanité et de gentilhommerie, il était de votre devoir, l'hypothèse prévue par la loi de 1835 s'étant d'ailleurs réalisée, de prier le comte de Chambord de quitter la Belgique.
C'est pour ne l'avoir pas fait que vous avez mérité le blâme du pays !
M. Malou, ministre des finances. - On nous dit : Vous êtes blâmables ; vous devez être blâmés ; et on ne formule pas de blâme. Je réclame de la loyauté des membres de l'opposition qui ont parlé jusqu'à présent, de déposer une proposition de blâme.
- Voix à droite. - Très bien !
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, quelle est la vérité, quels sont, dans leur simplicité, les faits que l'on cherche à obscurcir, à gonfler outre mesure ?
Un prince, parent de notre Roi, vient pour la seconde fois sur le sol belge ; il était venu à Bruges.
Il avait fait à Bruges ce qu'il a fait à Anvers : à Bruges, il avait reçu la visite du gouverneur de la province et du bourgmestre de la ville de Bruges.
- Voix à droite. - Ah ! ah !
M. Malou, ministre des finances. - A Bruges, un haut dignitaire de la Cour était allé lui présenter ses hommages ; on avait agi alors comme on a fait dans tous les pays où existe la moindre notion de la courtoisie internationale. On a même fait moins à Anvers. Mais il paraît qu'on a fait trop encore parce qu'on a fait quelque chose.
Il fallait donc être sauvage, Il fallait se montrer malappris au point de ne pas rendre une carte de visite qu'était venu apporter le comte de Blacas chez le gouverneur ? C'est là, messieurs, la vérité de la théorie qui vient de vous être exposée.
J'ai été pendant quelques mois gouverneur de la province d'Anvers. Chaque fois qu'un étranger de distinction, non pas même un prince de sang royal, allié de la famille de notre Roi, proche parent de notre Roi, s'est présenté à Anvers, j'ai cru de mon devoir d'aller lui rendre visite et je n'en ai jamais été blâmé.
J'aurais été blâmable de ne pas le faire. Chaque fois qu'un étranger vient se présenter au représentant de l'autorité dans la province, il est de droit, il est de règle, il est de nécessité, pour quelqu'un qui se respecte, de lui rendre sa visite. (Interruption.)
Mais au fond, de quoi sommes-nous blâmables ? De n'avoir pas appliqué au comte de Chambord la loi de 1835, et, dès le premier symptôme d'émotion, il fallait l'expulser.
Messieurs, si tel devait être le sens de la loi de 1835, je crois qu'elle ne trouverait plus un seul partisan ici.
Que dit la loi ?
L'étranger qui par sa conduite compromet la tranquillité publique.
Mais quoi ! il suffirait qu'une mauvaise passion quelconque se produisît contre un étranger paisible en Belgique, pour qu'on dût lui dire : Votre conduite compromet la tranquillité du pays et vous devez être expulsé.
Ce n'est pas là la loi. Si telle elle était, il faudrait la rapporter non pas demain, mais aujourd'hui. (Interruption.)
On ne l'a jamais fait, et si l'on veut discuter toutes les circonstances dans lesquelles nos adversaires politiques comme nos amis ont usé de la loi de 1835, on verra qu'il n'en est aucune où l'on ait donné à la loi le sens inhospitalier, barbare, absurde qu'on prétend nous imposer aujourd'hui comme règle de conduite.
On rappelait encore tout à l'heure ce qui s'est passé lors de l'expulsion de Victor Hugo.
J'ai relu, tout à l'heure, les débats relatifs à ce précédent.
Je le répète, à mon tour, lorsque l'arrêté d'expulsion a été pris, le poète avait imprimé et fait distribuer un écrit dans lequel il déclarait qu'il bravait la défense du gouvernement de recevoir en Belgique des condamnés ou des communeux. 1Il offrait à ces gens un asile dans sa maison, malgré l'autorité publique.
Tel est le fait réel et c'est ce fait-là qui a provoqué la mesure que la presque unanimité de la Chambre, sans distinction d'opinion politique, a approuvée.
En effet, j'en suis convaincu, chaque fois que, dans cette enceinte, une question d'honneur, de devoir national sera posée, cette même unanimité se reproduira.
Nous sommes divisés, messieurs ; je ne dis pas que nous le sommes trop, car le débat actuel que prouve-t-il ?
Il prouve que nous croyons manquer de matière première pour nos discussions.
Il faut que les passions de l'étranger soient importées ici et que des Belges aient à se rencontrer, à se heurter, à se battre peut-être pour ces passions ou ces intérêts qui ne sont pas les nôtres.
Nous paraissons donc n'avoir pas assez de questions qui nous divisent.
Oui, nous sommes divisés, mais heureusement nous ne le serons jamais toutes les fois qu'il y a en jeu une question d'honneur, une question de délicatesse, une question d'intérêt national. Et, messieurs, si je voulais rappeler des précédents, il en est en grand nombre et dans des conditions bien autres que celui-ci. Ainsi les princes de la famille d'Orléans, l'illustre duchesse d'Orléans, lorsqu'il y avait en France une loi de bannissement, lorsque c'étaient des prétendants qui avaient contre eux une loi de proscription, sont venus plusieurs fois en Belgique. Il y a plus : ces proscrits, ces princes étrangers, nous les avons vus dans cette enceinte lors de l'inauguration du Roi ; des honneurs leur ont été rendus, des applaudissements les ont salués et personne n'en a pris ombrage.
M. Couvreur. - Ils n'ont jamais conspiré.
MfM.- Ils n'ont jamais conspiré, dit-on. Mais, puisque vous m'interrompez, permettez-moi de vous dire qu'à la séance de vendredi se trouvaient plusieurs membres de la droite de l'assemblée nationale de Versailles ; leur étonnement a été immense ; ils n'en revenaient pas de voir que la tribune belge était émue des faits qui se passaient à Anvers alors que la tribune de Versailles demeurait muette. (Interruption.) ils n'en revenaient pas et mon étonnement, je dois le dire, est au moins aussi grand que le leur, surtout lorsqu'on nous donne une (page 556) seconde édition avec aussi peu de variantes de la première interpellation de vendredi dernier.
Je ne discute pas, messieurs, et la Chambre m'en saura gré, les articles de journaux, des opinions de journaux, des faits, des cancans, si je puis parler ainsi, qui ont pu se trouver dans les journaux.
Ainsi, l'honorable M. Jottrand a beaucoup insisté sur un fait qui se serait passé à Bruges lors du premier séjour du comte de Chambord.
J'ai lu cela dans le temps ; mais je suis malheureusement sous l'empire de ce préjugé que je ne crois pas absolument et immédiatement tout ce que je lis dans les journaux ; c'est une infirmité que j'ai contractée peut-être parce que j'en ai lu beaucoup. (Interruption.)
Messieurs, il est très possible que des personnes accompagnant un prince aient commis un acte répréhensible ; certainement, si des faits de provocation de la part d'un étranger à l'égard de Belges s'étaient produits dans le cas actuel, cet étranger, troublant réellement la tranquillité par sa conduite, aurait été invité à sortir par la frontière qu'il aurait choisie. Cela est évident ; cela est élémentaire. Mais je ne crois pas que le fait de recevoir chez soi des fidèles, des amis, le fait de faire des vœux, de manifester des espérances, de donner même des qualifications qui seraient illégales en France puissent tomber sous le coup de la loi belge, aussi longtemps que ces faits ne se produisent pas publiquement et avec un caractère vraiment politique. C'est là, selon moi, la véritable limite.
Du moment qu'il y a publiquement des actes politiques qui sont de nature à compromettre la Belgique, à violer sa neutralité, il me paraît évident que la loi de 1835 devient légalement et dans certains cas peut être nécessairement applicable. Mais on a beau vouloir gonfler les faits, les exagérer, les torturer, rechercher dans l'acte le plus simple les intentions qui ont été à mille lieues de ceux qui ont fait ces actes, on ne nous cite absolument rien de semblable, aucun fait par lequel on ait franchi ces limites.
Messieurs, une autre chose est éminemment regrettable ; quelque opinion que l'on ait, il est très fâcheux que les manifestations aient pris le caractère qu'elles ont eu, mais évidemment il faut leur restituer leur véritable portée. Il ne faut pas admettre toutes les exagérations qui se sont produites.
Ainsi, l'honorable M. Jottrand demandait pourquoi l'on n'a pas appelé la garde civique, il aurait pu demander en outre : Pourquoi n'a-t-on pas appelé l'armée ? Il y a une raison bien simple, c'est que la police et la gendarmerie ont suffi.
Je ne sais pas s'il faut faire des appels platoniques soit à la garde civique, soit à l'armée, quand on a réussi comme on l'a fait à Anvers, à l'honneur de l'administration communale de cette ville, à empêcher que ces manifestations ne s'étendissent ou eussent des conséquences regrettables.
On a parlé de « sang versé » ; j'ai lu tous les rapports et je dois dire que je n'ai rien trouvé de semblable, si ce n'est dans les journaux, mais pas dans les écrits.
C'est la lettre moulée qui aura séduit l'honorable M. Couvreur.
Messieurs, n'exagérons rien dans aucun sens. Un pays comme le nôtre peut éprouver, je conçois, j'excuse, j'expliquerais au besoin, de grandes, de légitimes émotions de l'opinion publique, lorsqu'elles sont motivées par un intérêt moral ou matériel dans le pays ; mais, il faut bien le dire, malheureusement nous avons, en ce moment, une sorte d'épidémie d'émotions à propos de tout et même parfois à propos de rien.
Ne nous le dissimulons pas : ce n'est pas une maladie, c'est une faiblesse, c'est quelque chose qui serait éminemment fâcheux, si cette épidémie émotionnaire devait durer.
Ceci m'amène directement à l'interpellation qu'on faisait derrière moi : « Et les stockslagers ? »
Eh bien, soit, remontons à l'origine des stockslagers. Lorsqu'une manifestation éclate dans les rues, elle appelle ou peut appeler une manifestation contraire ; et si nous établissons la lutte, soit sur des intérêts étrangers aux nôtres, soit sur les nôtres, il pourrait fort bien arriver un jour que, sous prétexte de manifestations, on aboutisse à transformer nos rues en théâtre de la guerre civile entre les partis.
Qui a commencé ? (Interruption.) C'est Louvain ! me dit-on. Mais encore une fois, il me semble que nous avons assez de nos discussions intérieures, de nos dissensions actuelles et de nos dissentiments à venir pour n'avoir pas encore à chercher dans notre histoire l'origine des stockslagers !
Pour autant que mes souvenirs sont fidèles, ils ont été établis la première fois pour suppléer à l'inertie prétendue ou réelle de la police dans les luttes électorales d'une de nos villes. Depuis lors est intervenue une loi qui, sans employer le mot qui n'estf pas français, a empêché la chose.
Je ne vois donc pas en quoi, à propos de ce qui s'est passé à Anvers, il peut être utile ici, de manière à éterniser le débat, de rechercher l'origine historique de l'institution condamnée par la loi et qui s'appelle les stockslagers.
Mais il faut, selon moi, que les événements que nous avons traversés récemment et ces jours derniers ne soient pas perdus pour tous les esprits sérieux, pour tous les hommes politiques qui ont à cœur la liberté de notre pays et le maintien de ses libres institutions. Lorsqu'on a des pouvoirs réguliers à tous les degrés et des pouvoirs délibérants, il est déplorable de voir à chaque instant, sans cause réelle, sans réclamations vis-à-vis des pouvoirs légaux, se traduire les opinions, les impressions et les passions par des manifestations dans la rue qui en appellent d'autres.
Si cette situation se répétait, si elle devenait chronique, rappelons-nous bien que c'est la première phase de la décadence pour les nations libres que nous serions appelés à parcourir.
- Une voix à droite. - Très bien !
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, le gouvernement a l'intention d'appliquer impartialement, comme il l'a toujours fait, la loi sur les étrangers. Je crois en avoir déjà indiqué le caractère. Ce qu'on nous reproche réellement aujourd'hui, c'est de ne l'avoir pas appliquée. (Interruption.)
C'est la première fois que des membres de l'opposition articulent ce grief contre le gouvernement ; dans toutes les occasions qui précèdent, on reprochait précisément au gouvernement de l'avoir appliquée.
M. Couvreur. - Je demande la parole.
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, nous n'avons pas appliqué la loi sur les étrangers parce que les faits qui se sont passés à Anvers ne constituent pas ces actes politiques proprement dits qui légitimeraient l'application de la loi. Mais nous n'entendons pas renoncer à l'appliquer lorsqu'il sera reconnu nécessaire ou utile aux intérêts du pays de le faire. Je répète ce que disait tout à l'heure mon honorable collègue : Si l'on veut abolir la loi, qu'on fasse une proposition. J'ajoute : Si l'on veut blâmer la non-application de la loi, qu'on fasse une proposition ; s'il y a un blâme à formuler contre le gouvernement, qu'on le formule ; la Chambre et le pays jugeront.
Je crois qu'après les deux discussions que nous avons eues, il est désirable que la Chambre manifeste son sentiment quant aux circonstances qui viennent de se produire.
M. d'Hane-Steenhuyse. - Je répète ce que j’ai dit en commençant mon premier discours. Je n'ai pas l'intention de m'occuper de la présence du comte de Chambord à Anvers ; j'ai d’autant moins la pensée de le faire, qu'il est parti depuis ce matin. Mais j’ai demandé la parole à la suite de quelques assertions émises par l'honorable M. Jottrand et que je ne puis pas laisser passer sans réponse/
J'ai dit tantôt que les faits que j'ai signalés à la tribune sont des faits constatés par la police et au sujet desquels des enquêtes se font en ce moment.
D'ici à quelque temps nous saurons exactement la vérité à leur égard.
Je n'ai rien inventé ; j'ai exposé exactement ce que j'ai vu par moi-même, ce que j'ai lu et ce que j'ai su par les rapports de la police. L'honorable ministre des finances vient de vous dire qu'il n'a vu dans aucun rapport que du sang ait été versé à Anvers. Je viens confirmer les paroles de l'honorable ministre des finances ; il se peut qu'il y ait eu des contusions comme il y en a dans toutes les rencontres qui s'opèrent entre des partis fort divisés et surexcités.
Nous avons vu les mêmes faits se représenter dans les mêmes conditions à toutes les époques d'élections ; il ne s'est pas passé beaucoup plus ces jours derniers qu'à l'occasion de certaines luttes électorales.
L'honorable M. Jottrand demande pourquoi nous n'avons pas convoqué la garde civique. L'honorable ministre des finances lui a encore parfaitement répondu à ce sujet. Nous n'avons pas été sans discuter quels étaient les moyens à notre disposition pour conserver l'ordre à Anvers, et je remercie M. le ministre des finances de l'appréciation qu'il a faite de nos efforts en faveur du maintien de la tranquillité. L'administration communale a trouvé dans sa police et dans la gendarmerie, dont les officiers et les soldats ont droit à toute noire reconnaissance, un concours suffisant pour assurer la paix publique.
Parmi les assertions de l'honorable M. Jottrand, il en est une contre laquelle je dois m'élever de toutes mes forces. Il a dit que le mouvement qui vient d'avoir lieu pouvait être attribué jusqu'à un certain point à l'aide que l'administration communale aurait pu prêter pour l'organiser. Telles sont bien les paroles prononcées par l'honorable membre. Eh bien, messieurs, je m'étonne qu'un représentant qui, en entrant dans cette enceinte (page 557) doit avoir au moins le respect des plus simples convenances vis-à-vis de ses collègues, vienne apporter à la tribune nationale de pareilles assertions sans avoir, pour les justifier, des preuves indiscutables !
Je livre ce procédé à l'appréciation de la Chambre et du pays, et je mets M. Jottrand et tous ceux qui appuieraient son langage au défi de me prouver ce qu'il est venu alléguer ici.
L'administration communale d'Anvers n'a rien de commun avec les émeutiers et j'espère que, d'ici à quelques jours, nous serons à même de prouver que les émeutiers ont été payés, mais non pas par ceux que pense M. Jottrand.
Ni l'administration communale ni ses amis n'ont été pour rien dans la cause de ces agitations et l'enquête ouverte en ce moment fera bonne justice des allégations de M. Jottrand.
M. Dumortier. - Je ne sais, messieurs, dans les circonstances où nous sommes, ce qui m'afflige le plus : ou des désordres qui ont eu lieu d'une manière si déplorable à Anvers, ou de l'attitude de certains de nos collègues qui sont venus ici prendre fait et cause pour les auteurs de ces désordres et en accuser le gouvernement.
Je ne sais, je le répète, laquelle de ces impressions m'afflige le plus. D'une part, je vois la vieille hospitalité belge entachée par ces désordres ; d'un autre côté, je vois la tribune nationale s'amoindrir lorsque des députés viennent ici prendre directement ou indirectement la défense des émeutiers qui ont provoqué les désordres et en rendre le gouvernement responsable. Il y a dans l'une et l'autre de ces situations quelque chose de pénible pour un cœur qui aime son pays, qui aime ses institutions et le gouvernement de son pays.
Que s'est-il passé ?
Le comte de Chambord est venu demander l'hospitalité à Anvers. Eh bien, est-ce que, par hasard, parce qu'il est comte de Chambord, il ne peut plus jouir de l'hospitalité qui est accordée à tous les étrangers ?
Comment ! vous avez eu à Bruxelles par milliers de réfugiés français ; en ce moment encore vous avez par centaines des communeux dans la ville de Bruxelles ; et vous demandez l'expulsion d'un homme auquel tous les partis en France, les républicains eux-mêmes rendent hommage pour l'honorabilité de son caractère et sa loyauté, d'un homme qui est venu s'asseoir chez nous à l'ombre de l'arbre de la liberté !
Vous viendrez l'accuser de conspirer, vous viendrez l'assimiler aux hommes de désordre que la Belgique maintient chez elle.
Je dis que cela est inouï et que cela est déshonorant pour la Belgique.
Une pareille conduite nous amoindrit considérablement aux yeux de l'Europe et, pour en finir, je déposerai tout à l'heure un ordre du jour motivé, sur lequel j'espère que la Chambre votera.
Messieurs, quelle est la situation de la Belgique vis-à-vis du gouvernement français ?
Il y a en France trois grands partis.
Vous avez le parti de l'ancienne monarchie, branche aînée et branche cadette, vous avez le parti du césarisme, vous avez le parti rouge, le parti républicain. (Interruption.)
La France est-elle un pays d'essence républicaine ?. Il suffit d'ouvrir l'histoire pour constater qu'en France la république a toujours été le préambule du césarisme.
C'est ce que la France ne veut plus.
Et vous êtes étonnés que le principe royaliste qui a exercé en France un si grand empire, qui a été son principe pendant tant d'années, y soit de nouveau bien accueilli.
Vous devriez en être enchantés, car les deux autres principes sont ceux dont la Belgique a le plus à redouter.
Est-ce que par hasard vous voudriez avoir le césarisme ?
Avez-vous oublié les fameuses pièces trouvées chez M. Rouher, que M. de Bismarck a publiées, dans lesquelles on faisait bon marché de la Belgique, on la donnait comme une monnaie de billon pour faire l'appoint des convoitises impériales ?
Avez-vous oublié que le président actuel de la République n'a pas laissé ignorer que s'il y avait une guerre avec l'Allemagne c'est par la Belgique qu'elle aurait lieu ?
Cela a été déclaré à la tribune. (Interruption.) Dans une telle situation, je crois qu'il faut préférer pour le pays un régime de paix et de repos que l'union de l'ancienne maison de France peut donner et qui, dans ce moment, s'y réveille d'une manière si manifeste pour le bonheur de la France.
Eh bien, messieurs, qu'est-il arrivé ? Le comte de Chambord est venu en Belgique se reposer, se recueillir, se fiant à la liberté belge, pensant à la vieille hospitalité belge. Que s'est-il passé alors ? Certains communeux, comme l'a dit l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse, sont venus à Anvers exciter un mouvement contre lui et forcer l'honorable personnage qui s y trouvait à quitter le sol belge. Et vous trouvez que ce n'est pas un déshonneur pour le pays ! (Interruption.) Je dis que pour la Belgique honnête pour le pays qui aime la liberté, cela est déshonorant. (Interruption.)
M. Bouvier. - On traîne le pays dans la boue.
M. Dumortier. - Et en présence de ces faits, l'honorable M. Couvreur, et après lui l'honorable M. Jottrand, sont venus prétendre qu'il fallait user contre le comte de Chambord de la loi d'expulsion.
La loi d'expulsion, qui a été faite en 1835 et que nous avons renouvelée chaque année, est applicable aux étrangers qui viennent en Belgique troubler l'ordre public et compromettre la sécurité du pays. Mais un citoyen, un prince qui vient avec ses amis sur notre sol, mais depuis quand compromet-il la tranquillité publique ?
M. Couvreur. - Ce sont ses amis qui ont compromis la tranquillité publique.
M. Dumortier. - Ce sont ceux qui ont fait des émeutes contre lui qui ont compromis la tranquillité publique. Voilà les hommes que vous devriez blâmer, mais vous n'avez eu pour eux que des éloges, et c'est nous que vous venez accuser en même temps.
Tout cela est intolérable. Je propose donc à la Chambre de voter l'ordre du jour suivant que je vais déposer sur le bureau :
« La Chambre, après avoir entendu les explications du gouvernement, et tout en maintenant la loi du 16 juillet 1835, sur les étrangers, passe à l'ordre du jour. »
M. Malou, ministre des finances.- Je demande à l'honorable auteur de la proposition de vouloir bien retirer la mention de la loi de 1835, mention qui est parfaitement inutile. La Chambre s'est prononcée en 1871 sur cette loi et elle aura encore l'occasion de se prononcer, puisqu'elle est à court terme.
L'ordre du jour se bornerait donc à dire :
« La Chambre, après avoir entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »
M. le président. - M. Lelièvre vient de déposer l'ordre du jour suivant :
« La Chambre, après avoir entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour.
M. Rogier. - Messieurs, si la Chambre, après avoir entendu les explications du ministère, veut passer à l'ordre du jour, je ne m'y oppose pas.
Mais si cet ordre du jour implique l'approbation du langage tenu par les ministres et notamment par M. le ministre des affaires étrangères, je ne m'associe pas du tout à cette proposition.
J'ai d'abord demandé la parole, messieurs, pour répondre à M. le ministre des affaires étrangères, dont j'ai apprécié, en général, la franchise et dont le discours, en plusieurs de ses parties, a reçu ma complète adhésion ; mais j'ai dû protester lorsque, dans l'avant-dernière séance et dans la séance d'aujourd'hui, M. le ministre est venu, de son autorité privée, imprimer un stigmate des plus injustes, dés plus outrageants au pays tout entier. Il est venu dire qu'une tache indélébile, profonde, avait été imprimée au renom de l'hospitalité belge, et son honorable ami, M. Dumortier, vient à son tour nous déclarer, dans un langage des plus fougueux, que la Belgique était déshonorée.
Que s'est-il donc passé ?
M. le ministre des finances a pris soin de ramener la question à ses justes proportions ; après qu'un représentant de l'autorité communale d'Anvers était venu dire que les faits avaient été beaucoup exagérés, M. le ministre des finances a presque plaisanté sur l'importance qu'on avait attachée à ces faits. (Interruption.)
On nous a dit tout à l'heure : Il a suffi de la police ordinaire d'Anvers.
M. Malou, ministre des finances. - Et 35 gendarmes.
M. Rogier. - Et 35 gendarmes. Avec cette force, on a mis fin à cette profonde émotion, à ces événements désastreux qui ont jeté, dit-on, le déshonneur sur la Belgique et imprimé un stigmate ineffaçable à son renom d'hospitalité. N'avons-nous pas le droit de blâmer un pareil excès de langage dans la bouche d'un membre du gouvernement ?
Je compte assez sur la loyauté de M. le ministre des affaires étrangères pour lui demander de reconnaître qu'il a été beaucoup trop loin dans l'expression de son blâme.
Je crois qu'en y réfléchissant il reconnaîtra qu'il a infligé au pays une leçon imméritée.
Si je ne reproche pas au ministère de n'avoir pas fait usage de la loi de 1835, ce n'est pas que je condamne cette loi.
Membre du gouvernement à diverses époques, j'ai eu quelquefois à m'associer à des mesures toujours pénibles à prendre envers des (page 558) étrangers ; j'ai toujours été en principe pour la loi de 1835 et je ne suis pas disposé à me rallier aux membres de la Chambre qui ont exprime l'intention d'en proposer la suppression. Je dois dire cependant comment je comprends cette loi.
La loi de 1835 a pour but de garantir la sécurité publique du pays. Elle n'est pas exclusivement dirigée contre des individus plus ou moins compromis, dont la présence dans le pays peut donner lieu à certains inconvénients, sans cependant offrir de grands dangers ; je comprends que la loi doive être appliquée à ces étrangers-là avec certaine réserve ; mais, la loi de 1835 n'est pas faite seulement en vue de ces individus : elle est faite encore en vue d'autres étrangers dont la personnalité est plus importante, et qui, dans des circonstances données, peuvent, par leurs prétentions, par l'influence dont ils jouissent dans les pays voisins, compromettre la Belgique, je ne dirai pas seulement par leurs actes, mais par leur présence plus ou moins officielle.
La Belgique est hospitalière ; mais, avant tout, elle doit veiller à sa propre sécurité ; et si un personnage étranger, quelque élevé qu'il soit, de quelque vertus qu'on le couronne, quelque mérite qu'on veuille lui attribuer ; si ce personnage étranger, par sa présence en Belgique, vient à compromettre sérieusement le pays vis-à-vis d'un gouvernement étranger, je crois qu'il n'y aurait pas à hésiter, s'il ne prend pas sur lui d'épargner au pays les graves inconvénients que son séjour peut y faire naître ; car, avant les devoirs de l'hospitalité, la Belgique a des devoirs à remplir envers elle-même, en ce qui concerne la sécurité publique,
Eh bien, messieurs, je demande d'abord à l'honorable ministre des affaires étrangères : A-t-il des motifs de croire que la présence sur le sol belge du personnage dont il s'agit, dans les circonstances actuelles, ait été vue d'un œil entièrement indifférent par le gouvernement d'un pays voisin ? Je lui demande s'il n'a reçu aucune espèce d'observation à cet égard ? Je ne sais ce qu'il en est, je ne suis pas dans le secret de la diplomatie. Mais si l'on me répondait qu'aucune réclamation, qu'aucune observation n'a été faite, j'en pourrais conclure que, peut-être, certains hommes politiques d'un pays voisin ne seraient pas fâchés d'avoir en réserve quelques griefs à la charge du pays pour l'avenir. (Interruption à droite.)
Je dis que le silence ne me rassurerait pas plus à cet égard qu'une réclamation quelconque qui aurait été faite sans résultat. (Interruption.)
Je prie les membres de la droite qui m'interrompent de ne pas m'attribuer un sentiment mesquin d'hostilité contre le personnage dont il s'agit. Il a à mes yeux un mérite, c'est de se montrer sincère, persévérant dans ses principes et peu disposé à les sacrifier pour arriver au pouvoir ; c'est là un bon exemple qui devrait toujours être suivi par les hommes politiques.
Mais il n'est pas seul prétendant. Tout à l'heure l'honorable M. Dumortier nous parlait de l'existence de trois partis en France : à ma connaissance, il y en a cinq ou six.
Malheureusement pour ce noble pays sur lequel nous devons, je crois, jeter un regard de tristesse et de sympathie en même temps. Eh bien, je suppose que les chefs de ces divers partis viennent s'installer en Belgique, à Anvers, à Gand ou à Bruxelles ; que là ils attirent à eux, soit qu'ils les aient appelés, soit qu'ils se contentent de les recevoir, des centaines de partisans ; que ces partisans se livrent à des démonstrations sympathiques aux drapeaux respectifs de tous ces chefs. Est-ce que vous trouveriez que les devoirs de l'hospitalité vont pour la Belgique jusqu'à permettre que de pareilles scènes se passent ? Répondez, M. Dumortier.
M. Demeur. - Traitera-t-on tout le monde de la même façon ? Voilà la question.
M. Rogier. - Si demain le prétendant d'une république rouge ou d'un gouvernement révolutionnaire quelconque venait s'installer à Bruxelles et réunissait autour de son drapeau des centaines ou des milliers de partisans, le gouvernement ne serait-il pas en droit de recourir à la loi de 1835, si cet étranger n'était pas assez pénétré des sentiments de convenance et de son devoir d'étranger vis-à-vis d'un pays neutre, vis-à-vis d'un pays faible, pour faire disparaître de lui-même les dangers ou les inconvénients auxquels il exposerait le pays qui lui aurait accordé l'hospitalité ?
Eh bien, messieurs, je citerai, moi, un exemple qui est tout à fait de circonstance.
Je ne sais si le président actuel de la République française a réclamé. On ne me répond pas.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Je ne veux pas vous interrompre ; j'ai demandé la parole.
M. Rogier. - Eh bien, je suppose que, par suite des bouleversements qui peuvent être encore réservés au pays voisin, le président de la république vienne s'établir à Bruxelles, obligé de quitter son pays et qu'ici il convoque autour de lui ses partisans, que fera le gouvernement ?
L'honorable président actuel de la république, que j'ai connu personnellement, a été aussi exilé ; il a subi, lui aussi, la loi de l'exil et il est venu s'établir à Bruxelles, accompagné de trois ou quatre de ses amis.
Là, il n'était l'objet d'aucune démonstration publique, ni de l'intérieur ni de l'extérieur. Mais sa seule présence près de la frontière inquiétait le nouveau gouvernement et donnait lieu à des réclamations. Le ministre d'alors se rendit auprès de M. Thiers et lui fit part de l'émotion que sa présence à Bruxelles produisait au delà de la frontière.
Il nous suffit alors, il me suffit à moi (permettez-moi de me mettre en cause), il me suffit d'exposer à M. Thiers les embarras que sa présence pouvait occasionner au pays pour qu'il me déclarât immédiatement qu'il se retirerait.
Voilà, messieurs, une ligne de conduite que j'aime à signaler ici, une ligne de conduite que j'aurais voulu voir imiter plus tôt.
Maintenant que le personnage qui a été, je ne dirai pas la cause, mais l'occasion des émotions qui se sont produites à Anvers et qui n'ont pas été, je suppose, jusqu'à l'émeute ; maintenant, dis-je, que ce personnage, a quitté le pays, la discussion actuelle n'a plus, à ce point de vue, qu'un caractère purement historique.
Mais ce qui ne peut rester de cette discussion, c'est l'impression que la Belgique, dans cette circonstance, se serait déshonorée, c'est que la réputation d'hospitalité de la Belgique aurait gravement souffert. Cette accusation, tout à fait injuste, impolitique, a d'autant plus de gravité qu'elle est sortie de la bouche d'un ministre.
J'insiste donc pour que M. le ministre des affaires étrangères veuille bien donner à ses premières récriminations tous les adoucissements qu'elles comportent et qu'il ne laisse pas le pays sous la fâcheuse impression qu'elles ont produite.
J'en dirai autant à l'honorable M. Dumortier. Il ne faut pas lancer de pareilles expressions à la légère.
Vous qui aimez le pays et qui avez toujours défendu le drapeau belge, n'allez pas le déshonorer vous-même par de pareilles exagérations, que la passion politique seule ne suffit pas à excuser.
M. le président. - Voici la rédaction proposée par l'honorable M. Dumortier.
« La Chambre, satisfaite des explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - Je commence par remercier l'honorable M. Rogier des paroles bienveillantes qu'il a bien voulu m'adresser et je vais tâcher de les justifier immédiatement.
Quand j'ai dit que l'hospitalité belge avait souffert une atteinte des manifestations qui s'étaient produites à Anvers, ma pensée était facile à saisir.
Je vais l'expliquer en deux mots.
Si les faits, si leur portée s'était renfermée dans le pays, ils n'auraient pas eu cette gravité. Mais du moment que leur retentissement passait la frontière, ils constituaient une atteinte à notre réputation d'hospitalité.
Dans ce sens, ma pensée était parfaitement exacte.
Je déplore pour mon pays que la présence d'un étranger sur le sol belge ait pu être une cause de manifestations dirigées contre lui.
Voilà ma pensée, ni plus ni moins.
On a fait appel à ma franchise. Je crois avoir répondu à cet appel.
L'honorable M. Rogier m'a adressé une autre question. Il a demandé au gouvernement si la présence du comte de Chambord avait fait l'objet de réclamations, de plaintes ou de communications quelconques de la part d'un gouvernement étranger ? Eh bien, non, messieurs, la présence du comte de Chambord n'a fait l'objet d'aucune plainte, d'aucune observation du gouvernement auquel on fait allusion pendant que le prince résidait sur le sol belge.
Maintenant l'honorable M. Rogier voit un danger pour la Belgique dans l'abstention même du gouvernement dont il s'agit, il a semblé appréhender que ce silence ne cachât une sorte de piège.
M. Rogier. - Pardon, je n'ai pas dit cela.
M. d'Aspremont Lynden, ministre des affaires étrangères. - J'ai cru pouvoir l'inférer de vos paroles. Eh bien, à cette question je ne puis pas répondre parce que je ne puis m'expliquer que sur des faits patents et certains.
M. Rogier. - Je demande la parole pour faire une rectification.
M. le président. - Vous avez la parole.
(page 559) M. Rogier. - Je n'ai point parlé de piège. J'ai dit qu'un grief pouvait être réservé : je n'ai point parlé de piège.
- Voix nombreuses. - La clôture !
M. le président. - La clôture est demandée.
M. Jottrand. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Vous avez la parole pour un fait personnel.
M. Jottrand. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour un fait personnel entre l'honorable M, d'Hane-Steenhuyse et moi. L'honorable M. d'Hane-Steenhuyse m'a reproché d'avoir accusé l'administration communale d'Anvers sans preuves.
Je n'ai rien affirmé ; j'ai exprimé des soupçons, rien de plus. (Interruption.) Je me suis rappelé que, d'après les journaux, ceux qui commandaient ces indignes bandes de stockslagers dont tous nous devrions rougir, ceux qui faisaient bâtonner par la lie de la populace d'Anvers ce qu'Anvers compte de plus honorable sont les soutiens les plus ardents de l'administration communale d'Anvers lors des luttes électorales... (Interruption.)
M. le président, je suis dans le fait personnel et je ne me laisserai pas enlever la parole.
Au surplus, messieurs, voici les paroles que met dans la bouche de l'honorable bourgmestre d'Anvers l'organe officiel de M. le comte de Chambord et l'on verra, si ces déclarations sont exactes, comment le chef de l'administration communale d'Anvers a gardé la stricte impartialité, la stricte neutralité que les circonstances lui imposaient comme un devoir sacré.
« Messieurs, a-t-il dit aux Français qu'il est allé visiter, je suis confus et humilié de tout ce qui se passe. Mais croyez bien qu'il n'y a qu'une infime minorité de mes concitoyens qui prennent part à ces scènes brutales.
« Les neuf dixièmes de la cité sont heureux et fiers de posséder parmi eux un prince tel que le comte de Chambord. Je n'avais qu'à laisser faire, et les Anversois auraient eux-mêmes fait bonne et prompte justice de ce ramassis de révolutionnaires que nous envoient Paris, Bruxelles, Malines et, Gand. Je ne l'ai pas voulu. J'ai même interdit, autant qu'il m'a été possible, les contre-manifestations. Mon devoir de magistrat était de prévenir les conflits. J'ai préféré recourir à des mesures d'ordre public. Mais, je vous en prie, n'emportez pas une opinion défavorable de la ville d'Anvers. Elle est des plus sympathiques à votre cause et au noble prince qui la personnifie. »
Voilà votre impartialité, s'il faut en croire le journal l'Union, l'organe officiel de la cause légitimiste en France.
Avant de me rasseoir, je tiens encore à constater ceci, M. le ministre des finances nous a déclaré tantôt que, lors du séjour du comte de Chambord à Bruges, des visites analogues à celles dont nous nous plaignons ont eu lieu. Je constate que si ces visites ont eu lieu, elles ont été couvertes du secret le plus profond ; nul ne les a connues et je défie qu'on m'apporte un journal, même de la ville de Bruges, qui en ait fait la moindre mention !
M. Malou, ministre des finances. - Je demande, à mon tour, la parole pour un fait personnel.
Comment ! Suivant qu'un fait est publié par un journal ou ne l'est pas, ce fait change de caractère, il est coupable ou innocent ! Où marchons-nous si de pareilles théories peuvent s'énoncer dans cette Chambre sans qu'on y réponde avec une conscience indignée ?
M. d'Hane-Steenhuyse. - Messieurs, je m'étonne grandement de la lecture que vient de faire l'honorable M. Jottrand. C'est la première fois que j'ai connaissance de ce document. (Interruption.)
Je certifie à M. Jottrand, à tous les membres de la Chambre et au pays tout entier que l'administration communale n'a pas rendu visite à M. le comte de Chambord.
M. Jottrand. - Il ne s'agit pas du comte de Chambord.
M. d'Hane-Steenhuyse. - J'ai dit tout à l'heure de quelle manière l'administration communale est constituée en ce moment-ci.
J'ai commencé par déclarer que l'honorable chef de la commune n'est pas en fonctions actuellement, de sorte que, comme particulier, M. Van Put aurait pu (j'ignore complètement s'il l'a fait) prendre telle décision, à cet égard, qu'il aurait jugé convenable ; cela ne regarde en rien l'administration communale d'Anvers. (Interruption.)
Laissez-moi donc m'expliquer, le bruit m'empêche d'entendre. Je vous dirai plus, c'est que la question de savoir s'il conviendrait que l'administration communale d'Anvers fît une visite à M. le comte de Chambord a été discutée au sein du collège, et qu’elle a été décidée négativement.
Il n'y a donc rien d'officiel dans la pièce que vient de lire l'honorable M. Jottrand et je doute même, jusqu'à preuve du contraire, de la vérité de ce que rapporte le journal dont il a donné lecture. Je m'informerai, du reste, auprès de M. Van Put de ce qu'il a fait à cet égard, mais je le répète,. il aurait agi comme simple particulier et non comme magistrat de la commune.
L'administration communale d'Anvers ni aucun de ses membres, à ma connaissance, n'a rendu visite à M. le comte de Chambord ni à aucun des personnages de sa suite.
Maintenant, messieurs, qu'il me soit permis de revenir sur les dernières paroles de l'honorable M. Jottrand.
Quand il a parlé la première fois de l'administration communale d'Anvers il a dit que peut-être cette administration pouvait avoir aidé à organiser la manifestation.
J ai protesté et je proteste encore contre ces paroles ; je ne veux pas laisser un membre de la Chambre dire ici que l'administration communale d'Anvers a été capable de se déshonorer 1
- On demande la clôture.
M. le président. - M, Orts a déposé sur le bureau un ordre du jour qui n'est que la reproduction de l'ordre du jour proposé par M. Lelièvre.
« La Chambre, après avoir entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, l'honorable M. Rogier demandait tout à l'heure si, en adoptant un ordre du jour motivé, on votait l'approbation de tout ce que les ministres avaient dit. Je crains que la rédaction proposée par l'honorable M. Dumortier ne paraisse à des membres de l'opposition impliquer cette signification, qui est très loin de notre pensée.
Pour éviter toute équivoque dans le vote, je demande que la Chambre veuille bien voter sur la rédaction proposée par les honorables MM. Lelièvre et Orts.
M. Couvreur. - Messieurs, l'ordre du jour, accepté par le gouvernement, laisse flotter un doute sur l'appréciation de la Chambre ; l'ordre du jour, tel qu'il est proposé par l'honorable M. Dumortier, au contraire, a cette signification précise, que la Chambre prend fait et cause pour la conduite tenue par le gouvernement dans les derniers événements.
Si le gouvernement persiste à engager M. Dumortier à retirer son ordre du jour, s'il se rallie à celui des honorables MM. Lelièvre et Orts, ordre du jour que nous désapprouvons parce qu'il semble justifier la partialité dont le gouvernement a fait preuve dans l'application de la loi de 185, nous serons obligés de présenter un ordre du jour précis pour marquer notre sentiment.
- Des membres à droite. - Présentez-le.
M. Couvreur. - Je considérais que la clôture ayant été prononcée, je n'avais plus la parole. (Interruption à droite.)
M. Malou, ministre des finances. - Proposez votre ordre du jour.
M. Couvreur. - Si la clôture n'est pas encore prononcée, si la discussion peut continuer, j'attendrai que des explications ultérieures me soient données.
M. Malou, ministre des finances. - Je crois que la Chambre a le désir de clore la discussion. J'invite donc itérativement l'honorable membre, s'il a un blâme à proposer, à vouloir bien le formuler et à le déposer, parce que tout à l'heure il serait trop tard. Il ne faut pas qu'il y ait surprise à l'égard de l'honorable membre.
S'il ne le fait pas, expliquons-nous clairement sur le sens de l'ordre du jour proposé et que nous demandons à la Chambre de voter.
M. Orts. - Je demande à pouvoir m'expliquer d'abord.
M. Malou, ministre des finances. - Je vous cède la parole.
M. Orts. - Pardon, je ne veux pas vous interrompre.
M. Malou, ministre des finances. - J'allais dire qu'en l'absence d'explications du père de l'ordre du jour, je l'avais compris dans ce sens que M. Orts était d'avis qu'il n'y avait pas lieu à un blâme à l'égard du gouvernement.
M. Frère-Orban. - C'est cela, nous ne voulons pas blâmer.
M. Malou, ministre des finances. - Eh bien, c'est tout ce qu'il faut ; le ministère n'a pas besoin qu'on lui dise qu'on est satisfait de lui ; il lui suffit qu'on dise qu'on ne le blâme pas. (Interruption.)
Je suis surpris du mouvement qui se produit dans la Chambre, car ce que je viens de dire est toute la théorie constitutionnelle en deux mots. Lorsque la Chambre croit que le gouvernement a mal agi, elle le blâme et elle le renverse, mais le ministère n'a pas besoin de demander tous les jours à la Chambre des satisfecits.
M. Orts. - Je tiens aussi, pour éviter toute équivoque, à préciser l'ordre du jour que j'ai eu l'honneur de soumettre à vos délibérations.
(page 560) Mon ordre du jour implique une idée positive et une affirmation : c'est que je n'entends pas blâmer le gouvernement,
Le gouvernement n'avait aucune chose à faire autre que celle qu'il a faite : c'était de ne pas expulser M. le comte de Chambord par application de la loi de 1835. Je crois qu'il ne devait pas agir autrement et je n'entends pas le blâmer au sujet de ce qu'il a fait.
Voilà mon ordre du jour. Mais je n'entends pas par là donner raison au gouvernement, ni le louer ; du reste le gouvernement, à en juger par le langage de M. le ministre des finances, n'est pas fier.
Je ne veux donc pas lui donner une approbation quiconque et surtout approuver les explications du gouvernement qui ont eu pour but, non seulement de justifier sa conduite en cette circonstance, mais encore de justifier une foule d'autres choses sur lesquelles je n'entends donner ni explications ni approbation.
Il est donc entendu que je ne blâme ni n'approuve le gouvernement de ne pas avoir expulsé le comte de Chambord. Telle est la portée de mon amendement.
M. Bara. - Je ne veux ni blâmer, ni approuver le gouvernement, et j'ajoute, parce que je ne connais pas les faits, que j'ignore si je ne le blâmerai pas. Je ne puis donc me rallier à la pensée de mon honorable ami, M. Orts, qui dit : Je ne blâme pas le gouvernement. Je déclare que je ne sais pas s'il y a ou s'il n'y a pas lieu de le blâmer. (Interruption.) Vous allez comprendre, messieurs, la portée de mon observation. Le gouvernement ne s'est expliqué ni sur le but ni sur l'étendue des démonstrations qui ont eu lieu à Anvers en l'honneur du comte de Chambord.
Le fait qu'il n'y a pas de plainte de la France est complètement indifférent, car le gouvernement français peut venir vous dire demain qu'il ne sait pas lui-même ce qui s'est passé à Anvers. Ni M. le ministre des finances, ni M. le ministre des affaires étrangères ne nous ont renseignés sur les démonstrations qui ont été faites par de nombreux légitimistes au nombre de plus de 4,000, dit-on, dans la ville d'Anvers.
M. le président. - Une demande de clôture a été régulièrement faite.
M. Bouvier. - Il faut bien qu'on sache sur quoi on vote.
M. le président. - M. Bouvier, faites silence. J'engage M. Bara à se borner à expliquer la pensée qu'il veut attacher à son vote.
M. Bara. - Oui, M. le président. Je dis, par conséquent, que ne sachant rien, je ne puis me prononcer.
Demain, on soutiendra peut-être que le gouvernement a posé des actes qui étaient de nature à mécontenter un gouvernement étranger ou à nuire à l'intérêt belge, je ne veux pas qu'on puisse dire que j'ai approuvé, dans ce cas, la conduite du gouvernement. Je n'ai pas de renseignements positifs et le gouvernement ne m'en donne pas. Dans cette situation, la plus grande prudence m'est commandée.
Je ne dis pas que le gouvernement aurait dû expulser le comte de Chambord ou qu'il n'aurait pas dû l'expulser. Je n'en sais absolument rien. De sorte que l'ordre du jour pur et simple me paraît devoir être la seule conclusion rationnelle de ce débat.
M. Orts. - En présence de la signification que l'honorable M. Bara attache à l'ordre du jour pur et simple, cet ordre du jour se confond avec le mien ; mais il est clair qu'un ordre du jour précédé des mots : « après avoir entendu les explications du gouvernement, » a une signification toute différente, et je crois devoir le maintenir.
M. Dumortier. - Tout ceci me prouve, messieurs, qu'il règne ici une équivoque. La droite ne peut évidemment pas vous suivre dans cette voie. Je maintiens donc mon ordre du jour, qui est net, clair, positif. Ceux qui approuvent la conduite du gouvernement voteront pour cet ordre du jour, ceux qui le désapprouvent voteront contre.
M. Bara. - Je n'accepte nullement l'interprétation que l'honorable M. Dumortier fera de mon vote. C'est moi qui ai proposé l'ordre du jour pur et simple ; je le maintiens avec le sens que j'y ai donné. Mais il n'appartient pas à M. Dumortier de me faire voter comme une marionnette dont il tiendrait les ficelles.
M. Malou, ministre des finances. - Tâchons d'en finir et surtout de nous comprendre. Je ne suis pas fier, dit mon honorable ami, M. Orts ; c'est vrai, parce que je n'éprouve nullement le besoin de me fortifier et que je me sens suffisamment fort.
La proposition de l'honorable membre a été définie deux fois et je pense qu'il la maintient.
M. Orts. - Certainement !
M. Malou, ministre des finances. - Alors on peut voter sur la proposition de M, Orts ? (Non ! non !) Vous dites j Non ! non ! Mais si M. Orts maintient sa proposition, il faudra bien que vous votiez.
Je crois, messieurs, que ce vote peut être émis par la Chambre et qu'il ne restera, après les explications qui ont été échangées, aucune espèce d'équivoque.
M. le président. - Messieurs, il y a deux propositions d'ordre du jour.
La première, déposée par M. Dumortier, que j'ai déjà lue et qui est ainsi conçue :
- « La Chambre, satisfaite des explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »
Il y a ensuite l'ordre du jour déposé par M. Lelièvre, reproduit par M. Orts et qui est ainsi rédigé :
« La Chambre, après avoir entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »
M. Bara. - Je propose de supprimer les mots « après avoir entendu les explications du gouvernement. »
M. de Borchgrave et M. De Lehaye. - Est-ce que le gouvernement se rallie à l'ordre du jour pur et simple ?
M. Pirmez. - Je demande la parole sur la position de la question.
L'ordre du jour pur et simple porte en définitive sur les autres propositions faites à la Chambre.
Je tiens à signaler à la Chambre la position exacte de la question. Nous sommes tous d'accord pour voter un ordre du jour : si donc on met aux voix l'ordre du jour pur et simple, tout le monde le votera, et quand il sera voté, on déclarera que tout est fini.
Je propose donc de prendre un ordre du jour complet ; on votera d'abord sur l'amendement de M. Dumortier. M. Orts et ceux qui partagent son sentiment voteront contre le considérant de M. Dumortier ; s'il est adopté, tout est dit. Si, au contraire, il est rejeté, on mettra aux voix la proposition de M. Orts ; si elle est encore rejetée, on arrivera à l'ordre du jour pur et simple.
Voilà, je pense, l'ordre logique.
M. le président. - J'engage la Chambre à en finir et à admettre l'ordre du jour proposé par M. Pirmez.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, il y a une pratique constante qui a toujours été suivie par la Chambre, c'est que l'ordre du jour pur et simple ait la priorité.
Je demande que la Chambre respecte, ce précédent.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Messieurs, la proposition dont la Chambre est saisie par M. Orts est ainsi conçue : La Chambre, après avoir entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. M. Bara ne veut pas de cet ordre du jour ; il propose l'ordre du jour pur et simple.
Mais, messieurs, nous pouvons considérer ces mots : « après avoir entendu les explications du gouvernement » comme un amendement et le mettre d'abord aux voix.
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. le président. - Je propose à la Chambre de mettre aux voix l'ordre du jour qui s'éloigne le plus de l'ordre du jour pur et simple.
M. Malou, ministre des finances. - Si l'on se mettait d'accord pour voter sur ces mots : « après avoir entendu les explications du gouvernement... »
- Voix nombreuses. - Non ! non !
M. le président. - Maintenez-vous votre proposition, M. Dumortier ?
M. Dumortier. - Oui, M. le président.
M. le président. - En ce cas, je mets d'abord aux voix la rédaction de M. Dumortier :
« La Chambre, satisfaite des explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »
- Cette proposition est mise aux voix par appel nominal.
95 membres prennent part au vote.
58 votent l'adoption,
37 votent le rejet. En conséquence, la proposition est adoptée.
Ont voté l'adoption :
MM. Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Verwilghen, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, (page 561), Biebuyck, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée et Thibaut.
Ont voté le rejet :
MM. Rogier, Sainctelette, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Ansiau, Anspach, Bara, Bergé, Boucquéau, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Couvreur, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Vrints, d'Hane-Steenhuyse, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jaar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Orts et Pirmez.
M. le président. - Messieurs, le bureau a reçu la lettre suivante de M. Braconier :
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous prier d'informer la Chambre que je donne ma démission de représentant.
« Agréez, etc. »
Cette lettre sera transmise à M. le ministre de l'intérieur.
M. de Moerman demande un congé pour cause d'absence.
- Accordé.
La séance est levée a 6 heures.