(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 537) M. Hagemans procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Hagemans présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des officiers de la garde civique d'Anvers demandent la révision de la loi d'organisation de la garde civique. »
M. Van Humbeeck. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière d'en faire l'objet d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Du Dois demande la création d'un troisième notariat dans le canton de Châtelet. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lefrancq demande l'expulsion de tous les conspirateurs contre les institutions de la Belgique. »
- Même renvoi.
- « Le sieur Ryckaert demande que la commission fasse un prompt rapport sur les pétitions des secrétaires communaux. »
- Même renvoi.
« Les avocats du barreau de Nivelles prient la Chambre d'adopter le projet de loi portant création d'une seconde chambre au tribunal de cette ville. »
M. Le Hardy de Beaulieu. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi déposé par M. le ministre de la justice pour augmenter les tribunaux de Bruxelles et de Nivelles.
C'est un objet qui intéresse au plus haut degré les justiciables de notre arrondissement.
L'arriéré des causes est considérable. Il se passe parfois plusieurs mois et quelquefois des années avant qu'une affaire civile soit plaidée.
Cela tient surtout à l'accumulation des affaires commerciales, très nombreuses et souvent très importantes, qui viennent à chaque instant prendre le pas sur les affaires civiles.
Je demanderai en même temps que la section centrale veuille bien hâter autant que possible son travail, afin que le projet de loi puisse être discuté dans le courant de cette session.
M. M. de Vrints. - Messieurs, cette pétition est très importante pour l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.
Je me joins à mon honorable ami et collègue, M. Le Hardy de Beaulieu, pour demander le renvoi de la pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
Je n'entrerai pas aujourd'hui dans les détails pour engager la Chambre des représentants à voter la loi présentée, me réservant de prendre sa défense si elle était attaquée.
- Adopté.
« Des brasseurs à Lierre prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à l'accise sur la bière. »
« Même demande des brasseurs à Hemixem, Buggenhout, Châtelet, Rœulx, Lede, Audegem, Somergem, Louvain, Hautem-Saint-Liévin, Ledeberg, Buvrinnes, Chièvres, Wilryck, Autryve, Furnes, Gembloux, Schelle, Enghien, Dampremy, Charleroi, Courcelles, Gosselies, Bourlers, Seloignes, Villers-Perwin, Pommeroeul, Seraing, Mouscron, Chênée, Elouges, Fontaine-l'Evêque, Vieux-Dieu, Niel, Waerloos, Broeckem, Ranst, Aertselaer, Reeth, Blaesvelt, Puers, Hal, Comines, Binche, Putte, Menin, Houthem, Boom, Assche, Ohain, Hekelgem, Wolverthem, Tirlemont, Hougaerde, Diest, Londerzeel, Laeken, Tamise, Ghislenghien, Saint-Nicolas, Nivelles, Marchienne-au-Pont, Liège, Jette, Koekelberg, Boitsfort, Cureghem, La Hulpe, Calevoet, Oplinter, Wavre, Bruxelles, Beveren, Willebroeck, Silly, Gand, Grammont, Thisne, Duffel, Leeuw-Saint-Pierre, Jodoigne, Casterlé, Lichtaert, Gheel, Lille, Turnhout, Court-Saint-Etienne, Iseghem, Termonde, Incourt, Hantecs-Wiheries, Dinant, Ucele, Malines, Boom, Wodecq, Ellezelles, Thielrode, Itegem, Wavre-Notre-Dame, Heyst-op-den-Berg, Nylen, Attre, Boisschot, Schrieck, Beersel, Binche, Haulchin, Lobbes, Peissant, Sart-la-Buissière, Rouveroy, Merbes-le-Château, Bastogne, Warneton, Lierde-Sainte-Marie, Huy, Jemeppe, Tourpes, Stambruges, Belœil, Basècles, Raemsdonck, Wilryck, Wolverthem, Maffles, Brugelette, Saint-Gilles, Exaerde, Lokeren, Elversele, Wervicq, Eename, Courtrai et Breendonck.
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Marcus Adler. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. le gouverneur de la Banque Nationale adresse 150 exemplaires du compte rendu des opérations de cet établissement pendant l'année 1871. »
- Distribution et dépôt.
(erratum, page 547) « MM. de Montblanc et Simonis demandent un congé. »
- Accordé.
M. Couvreur. - Messieurs, le gouvernement nous a dit hier que les démonstrations qui ont eu lieu à Anvers à l'occasion de la présence du comte de Chambord s'étaient bornées à quelques injures dont on ne pouvait pas rendre le prince responsable et qui avaient été proférées par des étrangers qui n'avaient pas craint d'infliger cette honte à la vieille hospitalité belge.
Depuis lors, des faits nouveaux se sont produits. S'il faut en croire les journaux d'Anvers, des troubles, des désordres plus ou moins graves auraient eu lieu hier et avant-hier soir ; les partisans et les adversaires du prince en seraient venus aux prises.
J'ai l'honneur de donner avis au gouvernement que je l'interpellerai mardi prochain sur les désordres qui ont eu lieu à Anvers, sur les craintes que nous pouvons nourrir de les voir s'aggraver et sur les causes qui les ont amenés, à savoir la présence du prince à Anvers et les visites de politesse qui ont été faites par les agents et les représentants du gouvernement belge à lui ou à des personnages de sa suite.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 271,100. »
M. le président. - A cet article il y a un amendement qui consiste à augmenter de 9,500 francs le chiffre de l'article, qui serait ainsi porté à 280,500 francs.
- L'article ainsi amendé est adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 35,000. »
- Adopté.
(page 538) « Art. 4. Frais de rédaction et de publication de recueils statistiques : fr. 6,000. »
M. Demeur. - Messieurs, je voudrais appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur la nécessité de publier plus rapidement les documents statistiques relatifs à l'administration de la justice civile et criminelle. Une demande en ce sens a été adressée au gouvernement par la section centrale. Dans sa réponse, le gouvernement a constaté que les derniers documents sur cette matière ont paru en 1865, et qu'ils s'arrêtent, quant aux renseignements fournis, à l'année 1860. De telle sorte que depuis l'année 1860 nous ne connaissons rien des détails relatifs à l'administration de la justice civile et criminelle dans notre pays, du moins d'une manière officielle.
Le gouvernement a ajouté, dans sa réponse, que l'on s'occupe de la statistique qui s'arrêtera a l'année 1867, c'est-à-dire à la date de la mise en vigueur du nouveau code pénal.
Si mes renseignements sont exacts, cette statistique s'arrêtant à l'année 1867 ne serait pas même commencée. On a bien réuni des documents, mais l'impression n'est pas commencée, et nous sommes exposés à attendre encore longtemps la publication.
Je crois, messieurs, que ce sont là des retards très préjudiciables. Si ces documents, dont tout le monde reconnaît l'importance, ne sont distribués qu'après un long temps et à titre en quelque sorte de documents historiques, leur importance est singulièrement diminuée.
J'appellerai aussi l'attention de M. le ministre de la justice sur l'application d'une disposition de la loi sur l'organisation judiciaire qui a été mise en vigueur en 1869. Un des articles de cette loi impose à MM. les procureurs généraux près des cours d'appel le devoir de signaler, chaque année, à l'assemblée générale de la cour, après les vacances, la manière dont la justice a été administrée dans le ressort de la cour d'appel. Cette disposition est exécutée, mais d'une façon qui m'a paru incomplète, du moins à Bruxelles. Elle n'est, d'ailleurs, pas exécutée de la même manière par les procureurs généraux. Je crois que, grâce à l'intervention de M. le ministre de la justice, une certaine unité pourrait être introduite dans la manière dont ces honorables fonctionnaires remplissent la mission qui leur a été conférée par la loi, et qu'ainsi il serait paré, dans une certaine mesure, aux retards apportés à la publication des documents qui nous sont dus par le ministère de la justice.
J'ajouterai une dernière observation. Elle concerne un document statistique spécial que le ministère de la justice s'est engagé à publier, ou du moins que la loi lui a fait un devoir de publier. Il s'agit du rapport sur les fondations de bourses. La loi de 1864 exige qu'il soit publié sur les fondations de bourses d'étude un rapport triennal. Nous avons eu un premier rapport relatif aux trois premières années, 1865-1866 à 1867-1868.
Trois nouvelles années se sont écoulées ; il s'est même écoulé six mois depuis la fin de la deuxième période triennale.
Le premier rapport est tout à fait incomplet parce que la loi sur les bourses d'étude n'avait reçu qu'une exécution partielle. Il ne permet pas de se rendre compte de la situation. Cela ne sera possible que par la publication du second rapport.
Il s'agit d'un travail qui ne demande pas un temps très long, et je m'étonne que l'administration de la justice laisse s'écouler six mois sans le publier.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. -Messieurs, je sais que l'on s'occupe activement, au département de la justice, de la publication statistique à laquelle l'honorable M. Demeur vient de faire allusion. C'est un travail très compliqué. La nécessité de renforcer le bureau chargé de ce travail est une des causes qui m'ont fait proposer une majoration à l'article 2 du budget.
En ce qui concerne la manière dont MM. les procureurs généraux appliquent l'article 222 de la loi d'organisation judiciaire, j'examinerai si l'observation de l'honorable membre est fondée et je prendrai, s'il y a lieu, les mesures nécessaires pour amener l'unité que l'honorable membre recommande.
L'honorable membre a demandé encore qu'il soit publié un nouveau rapport sur la situation des fondations de bourses.
Le dernier rapport est très récent. Je ne sais s'il n'embrasse pas la période qui s'étend jusqu'à la fin de 1868.
Quoi qu'il en soit, je promets à l'honorable membre que je tiendrai la main à ce que le rapport soit présenté à l'époque voulue.
- L'article est adopté.
« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 7,500. »
- Adopté.
(page 539) M. Bara. - J'ai dit, messieurs, qu'à propos de l'ordre judiciaire je prendrais la parole pour faire quelques observations au sujet du rapport de la section centrale et au sujet des nominations judiciaires faites par le précédent cabinet.
Messieurs, l'honorable M. Malou a dit dans un discours qu'il n'entendait pas revenir sur les lois qui avaient été présentées et votées sous le cabinet libéral, et qu'il en était ainsi de la loi sur les bourses d'étude et de de la loi sur la mise à la retraite des magistrats.
L'honorable ministre de la justice, M. De Lantsheere, a lui-même récemment déclaré qu'il n'avait pas l'intention de toucher, du moins quant à présent, à la loi sur la mise à la retraite des magistrats.
Messieurs, est-ce, de la part du cabinet, un acte de modération ? Je ne le crois pas.
Il faut tirer de ces faits leur véritable signification. La loi sur les bourses d'étude a été très violemment attaquée et elle l'est encore par l'opinion cléricale.
Si le cabinet n'en propose pas l'abrogation, il ne peut pas prétendre que c'est pour le même motif que le parti libéral n'a pas fait voter la réforme de la loi de 1842. En effet, il n'y a pas, dans le parti libéral, de majorité suffisante pour réaliser cette réforme, tandis qu'il n'en est pas de même pour le parti catholique, en ce qui concerne la loi sur les bourses d'étude.
Le cabinet est en possession d'une puissante majorité qui atteint presque le chiffre de 30 voix.
Cette majorité persiste à condamner les principes de la loi sur les bourses d'étude. Le cabinet est ici le mandataire d'un parti politique dont la presse dit tous les jours que la loi sur les bourses d'étude est une loi de spoliation, de vol, et le cabinet respecte cette loi ! Comment ! on a consommé un vol et une spoliation dans le pays ; on a violé les commandements de Dieu, qui défendent le vol ; on a mis la main sur le bien d'autrui ; les défenseurs, prétendus du moins, de la propriété arrivent au pouvoir ; ils ont une écrasante majorité, ils peuvent réparer ce vol et, au lieu d'en arrêter les funestes effets, ils se font receleurs !
Il y a un proverbe qui dit que les receleurs sont plus coupables que les voleurs. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, si cette loi sur les bourses d'étude est une loi de vol et de spoliation, pourquoi ne l'abrogez-vous pas ? pourquoi ne venez-vous pas, dans cette Chambre, proposer de la modifier ? Vous êtes certains d'une majorité.
Et si vous ne la modifiez pas, pourquoi continuez-vous à nous attaquer dans vos journaux au sujet de cette loi ? Ne voyez-vous pas qu'en agissant ainsi vous vous rendez complices de ces vols et de ces spoliations ?
En quoi êtes-vous obligés de continuer nos œuvres ? En quoi êtes-vous obligés de faire persister les effets d'une loi mauvaise, d'une loi coupable au point de vue du respect de la propriété ?
Vous ne sauriez donner, pour justifier votre attitude, aucune espèce de bonne raison.
Je m'en vais, moi, vous donner le véritable motif de votre conduite. La vérité est que vous ne pouvez le faire sans rendre hommage à l'excellence de cette loi. Vous êtes très forts, mais quelque forts que vous soyez, il n'y a pas de parti qui ne désire se fortifier encore.
Si vous aviez à gagner quelque popularité, quelque force, en modifiant la loi sur les bourses d'étude, il n'y a pas de doute que vous le feriez.
Si vous ne le faites pas, nous avons le droit de dire que c'est parce que vous reconnaissez vous-mêmes qu'en touchant à cette loi vous vous affaibliriez parce que vous reconnaissez que l'opinion publique ne condamne pas cette loi, qu'au contraire elle l'approuve hautement et en reconnaît les bienfaits.
Votre, attitude d'aujourd'hui condamne vos accusations et vous faites ainsi table rase de toutes les injures dont nous avons été l'objet au sujet de cette loi sur les bourses d'étude.
Nous avons donc le droit de dire que quand M. Malou se présente devant le corps électoral en déclarant que vous ne toucherez pas aux lois libérales, c'est que vous êtes obligés de rendre hommage à la justice de ces lois, et que vous savez qu'elles sont acceptées par l'opinion publique.
Quant à la loi sur la mise à la retraite des magistrats, le cas est encore plus grave. J'admets que l'on respecte, du moins qu'on ne touche pas momentanément à des lois qu'on ne prétend que contraires à l'esprit de la Constitution, sur le caractère constitutionnel desquelles on peut discuter. Mais la loi sur la mise à la retraite des magistrats, comment l'avez-vous qualifiée ?
C'est une loi inconstitutionnelle, c'est une loi qui décapitait la magistrature ; c'est une loi qu'on ne pouvait voter et appliquer sans déchirer le texte de la Constitution.
La Constitution, après le vote de cette loi, n'existait plus. Et notez bien, messieurs, qu'il ne s'agissait pas de la violation de l'esprit et du vœu du législateur constituant, sur lesquels un doute était possible. Pas le moins du monde.
Vous disiez nettement, sans hésitation aucune, que la Constitution était violée dans son texte formel ; que l'on ne pouvait pas dire que les magistrats nommés à vie pouvaient être mis à la retraite à une époque quelconque de leur vie. C'était donc le texte matériel qui était violé.
Vous êtes au pouvoir ; vous avez une énorme majorité. Il suffit de présenter un petit bout de loi dans laquelle on dirait : La loi de 1867 est abrogée.
M. Bouvier. - Ils ne le feront pas.
M. Bara. - Pas de difficultés.
Il ne s'agit pas ici de reconstituer d'autres administrations comme dans la loi sur les bourses d'étude ; il ne s'agit pas de troubler un ordre de choses qui existe ; il s'agit purement et simplement d'annihiler pour l'avenir la loi de 1867.
Les magistrats qui ont été mis à la retraite continueront à toucher leur traitement ; les magistrats qui doivent être mis à la retraite resteront en foctdions. Aucune perturbation dans l'ordre judiciaire ; aucune entrave au service de la justice.
Rien de plus facile donc que de revenir sur ce qui a été fait. Pourquoi ne le faites-vous pas, messieurs ? Parce que vos attaques contre la réforme votée en 1867 n'étaient pas sérieuses et parce que vous êtes obligés, au pouvoir, de reconnaître que vous avez attaqué à tort cette loi.
Vous avez, vous anciens ministres, passé dix-huit mois au pouvoir, vous n'avez rien fait : et vous, nouveau ministère, vous avez annoncé que vous ne feriez rien. Donc, toutes ces iniquités dont nous nous sommes prétendument rendus coupables continueront à souiller la Belgique avec votre approbation, de votre consentement et avec le concours de vos signatures ! (Interruption.)
Or, messieurs, voyez quelle étrange situation va être celle du ministère ! L'honorable M. De Lantsheere ne s'est pas encore formellement prononcé sur la question ; il ne siégeait pas dans cette enceinte en 1867. Mais le vénérable chef du cabinet, l'honorable comte de Theux, chaque fois qu'il voit paraître au Moniteur un arrêté mettant à la retraite un magistrat à l'âge de 70 ou de 72 ans, doit éprouver de singuliers remords.
L'honorable comte de Theux a vivement attaqué la loi et il ne s'est point borné à l'attaquer lorsqu'elle fut en discussion : il s'est produit ultérieurement dans la discussion un incident curieux, très remarquable et assez ignoré pour qu'il soit permis de le rappeler.
Nous avons voté la loi sur l'organisation judiciaire qui, originairement, comprenait les dispositions relatives à la mise à la retraite des magistrats.
(page 540) Au moment du vote, on demande, dans un but de codification, d'insérer dans la loi sur l'organisation judiciaire les articles relatifs à la mise à la retraite des magistrats.
L'honorable comte de Theux se lève et dit : C'est impossible. S'il s'agissait d'une loi n'ayant soulevé que de simples objections, il n'y aurait à cela aucun inconvénient sérieux ; mais insérer des dispositions inconstitutionnelles dans une loi, c'est impossible !
Et que voyons-nous aujourd'hui ?
Nous voyons l'honorable comte de Theux assister impassiblement chaque jour à quelque nouvelle lacération de la Constitution par la mise à la retraite de magistrats en vertu de la loi de 1867. (Interruption.)
Soyons sérieux et sincères, messieurs ; si, réellement, dans votre pensée, nous avons violé la Constitution ; si, réellement, nous sommes chargés de tant de crimes, qu'est-ce qui vous empêche de modifier la loi de 1867 ? Est-ce pour nous faire plaisir ? Mais vous n'êtes point là pour cela ; au contraire. Et puis, à quoi sert votre majorité si ce n'est à redresser vos griefs ? Si la loi sur les bourses d'étude, si la loi sur la mise à la retraite des magistrats sont ce que vous disiez lorsqu'on les a discutées, pourquoi n'en provoquez-vous pas la révision ? Et puisque vous ne le faites pas, n'est-ce point pour les raisons que je vous disais tout à l'heure, parce que ces lois sont bonnes, irréprochables ?
Je vous en prie, messieurs, cessez une bonne fois d'attaquer la loi sur les bourses d'étude du chef de vol et de spoliation et cessez de prétendre que la loi sur la mise à la retraite des magistrats est inconstitutionnelle.
Proclamons que ces deux lois sont excellentes et qu'elles ont produit les meilleurs résultats, que la loi sur la mise à la retraite des magistrats n'est pas inconstitutionnelle.
Je crois, messieurs, que ce qui se passe est la consécration complète du langage que je viens de tenir.
Messieurs, au sujet de la loi concernant la mise à la retraite des magistrats, la section centrale a fait remarquer que l'exécution avait donné lieu a une dépense considérable.
Dès le jour où la loi a été présentée, on savait quelle dépense elle entraînerait. Il suffisait de voir à quelle date les magistrats en fonctions atteignaient l'âge de 70, 72 et 75 ans.
Cela a été fait.
Si l'honorable M. Van Overloop veut relire la discussion, il verra que l'on avait parfaitement connaissance des dépenses.
Mais il est à remarquer que dans les années qui suivirent la révolution, on a dû renouveler le personnel de la magistrature. Beaucoup de personnes du même âge y entrèrent. Naturellement, elles sont mises à la retraite en même temps.
Mais la situation se régularisera, et dans un temps donné les dépenses ne seront plus aussi considérables.
Messieurs, permettez-moi maintenant de dire quelques mots au sujet des nominations. Mon intention, si je ne consultais que mes goûts, ne serait pas de discuter ce point. Le parti catholique est au pouvoir, je ne lui chicane pas le droit de nommer ses amis politiques.
Les libéraux l'ont laissé arriver au gouvernement, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes d'avoir été indolents et parfois hostiles.
Mais, messieurs, l'opposition quand nous étions au pouvoir a fait un bruit épouvantable contre toutes les nominations qui ont été alors faites par le gouvernement libéral.
La magistrature avait perdu ses couleurs de virginité, la magistrature était avilie, elle était politique à tous les degrés de la hiérarchie. C'était la magistrature Bara. L'honorable M. Wasseige ne pouvait plus voter le budget de la justice ; cela lui était impossible en présence d'un ministre qui avait fait des nominations aussi odieuses, aussi exclusives, et si j'en crois mon honorable ami, M. Pirmez, qui m'interrompt, ses remarquables paroles lui ont valu un banquet.
M. Wasseige. - Plus d'un.
M. Bouvier. - Ils en font beaucoup de banquets !
M. Bara. - Enfin arrive l'ère des réparations. Les catholiques parviennent au pouvoir : un cabinet catholique est composé, M. Wasseige y entre.
On peut espérer que les nominations de parti, que les nominations exclusives vont cesser, que tout va être pour le mieux, qu'on va nommer, ainsi que le disaient les circulaires ministérielles, les magistrats en raison de leur mérite ; qu'on ne demandera aux candidats ni d'où ils viennent, en politique, ni où ils vont, ni ce qu'ils pensent, ni ce qu'ils font.
On ne constatera que le plus ou moins de capacité et ils seront nommés d'après leur degré de mérite. La magistrature allait grandir comme talent, comme capacité, elle allait gagner en esprit d'impartialité. Enfin nous allions être délivrés d'un très grand malheur. (Interruption.)
Vous allez voir ce qu'il est advenu de toutes ces belles promesses.
Messieurs, j'ai blâmé l'honorable M. Wasseige d'avoir fait une statistique politique de la magistrature. Je lui ai dit que c'était de l'inquisition. Cependant j'ai été forcé de le suivre, à titre de représailles, dans l'intérêt supérieur de mon parti, qui est l'intérêt du pays. Nous ne pouvons pas se laisser répandre cette opinion que nous avons fait de la politique dans nos nominations, et que vous, vous êtes, en cette matière, des hommes modérés, des hommes justes.
Je regrette d'avoir dû faire cette statistique. Mais ma tâche a été facile parce que les hommes que l'ancien ministère a nommés étaient généralement connus ; pour presque tous, il n'était pas besoin, pour un homme un peu au courant de ce qui se passe dans le pays, de rechercher longtemps leurs opinions politiques.
Eh bien, j'ai fait cette statistique. Je n'y ai pas compris les magistrats qui ont reçu de l'avancement, par une raison fort simple : les magistrats qui ont reçu de l'avancement passent à la cour d'appel ou sont nommés présidents de tribunaux ou passent dans les parquets des cours d'appel.
Il est à remarquer que, pour le plus grand nombre de ces nominations, le gouvernement est lié. C'est exceptionnellement que le gouvernement ne prend pas les candidats qui lui sont désignés. La proportion est très minime sous tous les cabinets.
II en est de même pour les avancements dans le parquet ; mais ce qu'il importe pour un ministère d'avoir, ce sont des vides dans le personnel pour y placer ses adhérents. C'est quand il s'agit de faire entrer dans la magistrature des membres nouveaux, de nommer à une place quelqu'un qui n'est pas encore dans le corps de la magistrature, que l'esprit et le système du gouvernement se montrent.
Quand alors on a besoin d'une place, on donne de l'avancement au titulaire. C'est donc à bon droit qu'il faut, dans une statistique, ne pas tenir compte des avancements.
Sous tous les ministères, à peu de chose près, la situation sous ce rapport est la même. Voici le résultat de mes recherches :
M. Wasseige établissait sa statistique de la manière suivante :
Dans la magistrature, il a été nommé, sous mon ministère, 216 libéraux, 28 catholiques et 20 douteux.
Proportion des catholiques aux libéraux, 12.9 p. c.
Proportion des douteux, 9 à 10 p. c.
Pour les notaires, M. Wasseige disait qu'il avait été nommé 144 libéraux, 25 catholiques et 22 douteux.
Proportion des catholiques aux libéraux, 17 p. c.
Proportion des douteux, 15 p. c.
Voici, messieurs, les nominations de M. Cornesse dans la magistrature : 49 catholiques, 2 libéraux et 2 douteux.
M. Bouvier. - Voilà une belle proportion !
M. Bara. - Proportion des libéraux aux catholiques, 4 p. c ; proportion des douteux, 4 p. c.
M. Cornesse a, dans le notariat, nommé 36 catholiques, 2 libéraux et 4 douteux.
Proportion des libéraux aux catholiques, 5.5 p. c. ; proportion des douteux, 11 p. c.
Réunissons les nominations de magistrats et de notaires. Nous avons sous mon ministère, d'après M. Wasseige, 360 nominations pour les libéraux, 53 pour les catholiques et 42 pour les douteux.
Proportion des catholiques aux libéraux, 14 à 15 p. c. ; proportion des douteux, 11 à 12 p. c.
Sous M. Cornesse, 85 catholiques sont nommés, 4 libéraux et 6 douteux.
Proportion des libéraux aux catholiques : 4.7 p. c. ; proportion des douteux : 7 p. c.
M. Bouvier. - Qu'en dites-vous, M. Wasseige ?
M. Bara. - Ainsi, en prenant les chiffres mêmes de l'honorable M. Wasseige, les nominations faites dans le parti de l'opposition descendent, sous le ministère clérical, de 14 à 4 p. c, différence 10 p. c. ; les douteux descendent de 11.3 p. c. à 7 p. c.
M. de Clercq. - Il fallait une réparation.
M. Bara. - Il fallait une réparation !
En arrivant au pouvoir, vous ne parliez pas ainsi, vous rédigiez une circulaire dans laquelle on disait que désormais toutes les nominations se feraient d'après le mérite, que l'esprit de parti ne serait plus pour rien (page 541) dans les nominations ; que la justice distributive serait observée pour tout le monde.
Eh bien, sous le ministère odieux qu'on venait de renverser, on avait 14 à 15 p. c. de catholiques nommés, et maintenant, sous le ministère de la justice pour tous, il n'y a plus que4i libéraux sur 100 catholiques. (Interruption.)
M. Wasseige. - Il n'y avait plus de libéraux : ils étaient tous pourvus.
M. Bara. - Ainsi, vous le reconnaissez ?
M. Wasseige. - Je ne reconnais rien du tout.
M. Bara. - Si on doute de mes chiffres, je suis prêt à faire une proposition. Le bureau de la Chambre n'est pas composé de mes amis ; il n'y en a qu'un seul. Eh bien, je m'engage à produire la preuve devant le bureau que mes calculs sont exacts, si l'on conteste mes chiffres ; je ne fais pas comme vous, je suis prêt à prouver la vérité de ma statistique.
J'ai accepté vos calculs, quoiqu'ils fussent inexacts. (Interruption de M. Wasseige.)
Vous ne me comprenez pas, je n'ai jamais accepté vos chiffres comme vrais, mais je les accepte comme terme de comparaison. Je dis qu'en supposant vos chiffres exacts la proportion des nominations catholiques sous mon ministère était de 14 pour 100, tandis que, sous votre ministère, la proportion des nominations de libéraux est de 4 à 5 sur 100. Mais il y a plus, parmi les nominations aux tribunaux de première instance, et ce sont les nominations les plus importantes, les entrées dans la magistrature, il n'y a pas un seul libéral connu comme tel. (Interruption.) Pas un libéral n'a trouvé grâce devant le Seigneur, et je pense qu'il n'y a qu'un douteux, c'est-à-dire un magistrat qui n'a pas fait connaître ses opinions politiques.
- Un membre. -C'est une mauvaise plaisanterie.
M. Bara. - C'est -une mauvaise plaisanterie ! Quel est le mauvais plaisant qui dit cela ? Si c'est l'ancien ministre de la justice, qu'il accepte ma proposition de soumettre mes chiffres au bureau de la Chambre, et il verra qui plaisante.
Je répète qu'il n'a pas nommé un seul libéral juge de première instance ou substitut.
Et remarquez, messieurs, que ces nominations n'ont pas été faites parmi les hommes modérés du parti catholique ; on a choisi parmi tout ce qu'il y avait de plus accentué, on a pris le rédacteur d'un des journaux les plus violents qui n'avait jamais rien fait au barreau, on a introduit dans la magistrature des agents de Langrand-Dutnonccau (interruption), jusqu'au nombre de cinq... (Interruption.) Oui, des gens qui avaient placé des lettres de gage, des actions, qui avaient fait des circulaires et les avaient signées en nom.
M. Bouvier. - Voilà de la moralité !
M. Bara. - Dans les Flandres, on préférait souvent les agents d'affaires aux candidats notaires ; cela est arrivé plusieurs fois. Si l'on admet dans le notariat des personnes qui ont été agents d'affaires, on compromet la sécurité que donnent l'institution du notariat et la dignité de la profession.
Nous, messieurs, nous avons fait tous nos efforts pour combattre le plus possible l'envahissement du notariat dans les Flandres par les agents d'affaires.
Qu'il me soit permis de soumettre ici incidemment une observation à M. le ministre de la justice. Dans les Flandres, beaucoup de notaires ne peuvent vivre convenablement, les affaires manquent ; il y a trop de notaires. Quand des places deviennent vacantes, il faut examiner si des suppressions ne sont pas possibles. C'est là un point important qui a été négligé par M. Cornesse et sur lequel je prie M. le ministre de la justice de porter son attention.
Je reviens à mon sujet. Messieurs, vous connaissez mes chiffres. Voilà la réparation que l'opinion publique devait avoir et je demande ce qui reste des lauriers dont s'est couvert l'honorable M. Wasseige. L'honorable membre se posait en accusateur, il se donnait le rôle de redresseur de torts, d'homme impartial, d'homme modéré ; il attaquait mon administration comme contraire à la justice. Il n'est pas plus tôt arrivé au pouvoir qu'il fait - en supposant que ce qu'il a dit de moi soit exact - pis que moi. Il nomme exclusivement tous ses amis politiques et il se montre exclusif envers ses adversaires.
Je demande à la Chambre ce qu'il restera de toute cette campagne entreprise contre moi et la magistrature par M. Wasseige ?
M. Wasseige. - Ce qui restera malheureusement de cette campagne, ce sont les magistrats nommés par vous.
M. Bouvier. - Et ceux nommés par vous.
M. Bara. - Avec votre atticisme habituel, vous vous permettez de faire des insinuations contre les magistrats dont j'ai contresigné la nomination. Je me mettrai vis-à-vis de vous sur un autre terrain. Je n'attaquerai pas personnellement les magistrats que M. Cornesse a nommés. Et je crois qu'en agissant ainsi je me conduisais d'une manière plus convenable que vous.
M. Wasseige. - C'est ce que vous avez fait jusqu'à cette heure.
M. Bara. - Je vous ai parlé au point de vue politique.
M. Wasseige. - Moi aussi.
M. Bara. - Vous avez dit : Il reste des magistrats libéraux ; je vous réponds : Il restera aussi lès magistrats catholiques que vous avez nommés. Vous me reprochez d'avoir fait des nominations politiques et vous n'êtes pas plus tôt au pouvoir, que vous en faites infiniment plus que moi.
Voilà, messieurs, ce qui donne la mesure de la sincérité de vos anciennes attaques. Si vous aviez été sincère dans cette Chambre, si vous aviez été sincère quand vous vous faisiez fêter dans un banquet à Gand, vous auriez dû dire : Dès que je serai arrivé au pouvoir, je ferai plus de nominations politiques que M. Bara n'en a fait. Mais alors qu'aurait-on dit de vos attaques, de vos prétendus griefs contre les nominations faites par le ministère libéral ; que signifient les violences de langage dont nous avons été l'objet de votre part ?
M. Wasseige. - Voilà de l'atticisme !
M. Bara. - Mon langage est plus attique, à coup sûr, que les grossières injures que vous avez adressées à la magistrature.
M. Wasseige. - Je n'ai jamais injurié personne.
M. Bara. -Comment ! vous n'avez injurié personne ? Quand vous disiez dans un de vos discours qu'un magistrat n'avait d'autre titre à sa nomination que d'avoir traversé l'Egypte à dos de chameau, c'étaient des éloges que vous lui accordiez ? Et quelque temps après, vous étiez obligé de reconnaître toute l'injustice de vos attaques, et votre collègue de la justice nommait à la cour d'appel le magistrat que vous aviez ainsi dénigré.
M. Wasseige. - C'est une preuve de son impartialité.
M. Bara. - Vous croyez ? Eh bien, cette nomination est un des actes les plus incroyables de l'ancien ministère. (Interruption.) Messieurs, pas d'équivoque. Vous devez d'abord reconnaître que vous avez été injuste en me blâmant pour avoir nommé ce magistrat, et que vos insinuations déplacées étaient imméritées, puisque, quelque temps après, vous appeliez vous-même ce magistrat, de préférence à d'autres, à un poste plus élevé.
M. Cornesse. - C'est une preuve de mon impartialité.
M. Bara. - Ah ! c'est à discuter. L'honorable M. Cornesse devrait nous dire quels étaient les candidats qui se présentaient pour cette place. C'étaient des libéraux.
M. Cornesse. - Il y avait aussi des catholiques.
M. Bara. - Oui, mais qui n'avaient pas des titres.
Pour donner un avancement il faut au moins des titres.
Voici la chose. La place qu'occupait ce magistrat, devenant vacante, pouvait être donnée à un homme politique qui avait attaqué le gouvernement, qui avait joué un rôle politique actif. Ce candidat ne tenait, sans doute, pas à être à Bruxelles ; il voulait une cour d'assises, un terrain pour se préparer un avancement.
Ne parlez donc pas de votre impartialité, il ne faut pas être très perspicace pour en découvrir la cause.
Un des griefs de l'opposition, devenue majorité, a consisté à prétendre que, sous l'administration libérale, la magistrature était imbue de l'esprit de parti.
Je me demande comment il est possible à l'opinion catholique de soutenir une pareille thèse, elle qui n'a jamais nommé aux fonctions de la magistrature que des personnes appartenant à son opinion. On connaît, sur ce point, les déclarations formelles faites au Sénat et à la Chambre par M. d'Anethan.
A l'avènement du ministère libéral, en 1847, la magistrature était presque toute dans la carrière politique ; je vais vous en donner la preuve.
Je prends les années 1843-1846, celles où votre pouvoir était le mieux établi. Voyons quelle était, à cette époque, la situation de la magistrature. De 1843 à 1846 il y avait 727 magistrats effectifs ; en 1843, il y en avait 22 à la Chambre des représentants ; 96 dans les conseils provinciaux et 44 dans les conseils communaux ; en tout 162 magistrats, c'est-à-dire un sur quatre et une légère fraction. Ainsi, voilà donc, sous un ministère catholique, un magistrat sur quatre qui s'occupait de politique, qui remplissait des fonctions politiques, qui prenait part aux luttes politiques.
(page 542) En 1870, messieurs, sur 764 magistrats, il y en avait en tout 25 qui faisaient partie des conseils communaux, soit 1 sur 30. (Interruption.) Grâce à la loi sur les incompatibilités, évidemment. Mais je réponds à ce reproche que les catholiques font aux libéraux d'avoir lancé la magistrature dans la politique, et je leur, dis : Votre reproche n'est ni sérieux, ni sincère, car vous vous taisiez, vous ne parliez pas de magistrature politique en 1846, alors cependant que la magistrature était presque tout entière mêlée à la politique active.
J'ajouterai que, dans le tableau que je viens de faire, on ne tient pas compte des membres de la magistrature qui avaient échoué dans les élections de 1843 à 1846, et ils étaient nombreux cependant. Un extrait du rapport que M. le procureur général de Gand a adressé à M. le ministre de la justice le 17 mai 1845 le constate : « Sur sept procureurs du roi de mon ressort, trois sont actuellement membres de la Chambre des représentants, savoir : MM. les procureurs du roi à Audenarde, à Bruges et à Court rai. Trois autres ont échoué, ce sont MM. les procureurs du roi à Gand, Ypres et Furnes, et certainement ceux-ci n'ont pas renoncé à leurs prétentions. De sorte qu'il n'y a dans le ressort de Gand qu'un seul procureur du roi qui se soit abstenu jusqu'à présent de toute brigue électorale.
« Parmi les magistrats inamovibles des tribunaux de première instance du ressort, il y en a trois qui sont membres de la Chambre des représentants, ce sont MM. les présidents des tribunaux de Bruges et d'Audenarde et un juge au tribunal de Bruges ; trois autres ont échoué, savoir MM. les présidents des tribunaux de Termonde et de Gand et un juge à Furnes, et il est à présumer qu'à la première occasion favorable, ces trois magistrats se remettront sur les rangs.
« Ainsi, parmi les magistrats des sept tribunaux de première instance du ressort de la cour d'appel de Gand, il y en a six qui sont membres de la Chambre des représentants et six autres qui ont aspiré ou aspirent encore à la représentation nationale ; total, douze, sans compter ceux qui sont membres des conseils provinciaux. »
Voilà donc ce que faisaient les procureurs du roi, les hommes qui doivent requérir, ceux qui ont l'initiative des poursuites. Sur 7 procureurs du roi, il y en avait 6 qui se trouvaient dans les luttes électorales. Comment pouvez vous donc sérieusement soutenir que vous aviez raison, lorsque, il y a quelques années, vous combattiez à outrance la magistrature que vous accusiez de se mêler à la politique ?
Comment, lorsque vous avez un pareil passé, osez-vous prétendre que la magistrature avait été rendue par nous plus politique qu'elle ne l'était sous votre administration ? Vous objecterez la loi sur les incompatibilités, mais il n'en est pas moins vrai qu'en fait la magistrature de 1846 était politique et que vous ne réclamiez pas, parce que vous étiez au pouvoir.
Messieurs, je ne suis pas de ceux qui croient qu'un magistrat doit abdiquer toute espèce de conviction et rester étranger à toute vie politique.
C'est une grande perte de forces pour un pays si un ensemble d'hommes aussi instruits, aussi intelligents que les membres du corps judiciaire, croit de son devoir de ne prêter aucune attention à ce qui se passe en dehors de leurs fonctions, de rester indifférents à la marche des affaires publiques. Ce renoncement aux devoirs des citoyens, prêché par certaines personnes comme une doctrine utile, n'est pour moi qu'une abdication, aussi nuisible au pays qu'à la magistrature elle-même. Personne ne suspectera mon langage, je suis dans l'opposition et dans la minorité.
En s'asseyant sur le siège du magistrat, on ne donne pas sa démission de citoyen. Sans doute, il faut de la réserve chez le magistrat ; la politique trop active et trop militante ne lui convient pas ; mais il n'y a aucune utilité à ce qu'il s'efface, à ce qu'il se refuse à travailler dans des limites convenables à faire les affaires du pays et je ne puis admettre cette opinion que le type du magistrat accompli est celui qui en politique n'est et ne dit rien, et qui se tient tellement à l'écart de la vie publique, que personne ne saurait dire quelle est son opinion.
Et vous-mêmes, messieurs de la droite, qui propagiez ce système sous le ministère libéral, est-ce que vous n'êtes pas, au fond, de mon avis ? Est-ce que dernièrement encore, au banquet qui a été offert à M. Wasseige, le premier président de la cour d'appel de Liège n'assistait pas ?
M. Wasseige. - C'est un ami intime.
M. Bara. - Qu'est-ce que cela fait ? Etait-ce une fête intime que ce banquet ? Le banquet qu'on vous offrait était une démonstration politique, une protestation contre votre chute, et M. le premier président de la cour de Liège, en prenant part à ce repas, s'est associé à cette protestation essentiellement politique.
Voulez-vous une autre preuve ? Est-ce qu'un magistrat que vous avez toujours mis en honneur, est-ce que l'honorable M. de Gerlache ne présidait pas le congrès de Malines, ne disait pas des libéraux les choses les plus violentes qui jamais aient été dites ?
Est-ce que vous sauriez trouver un magistrat libéral qui ait dit au part catholique ce que M. de Gerlache a dit au parti libéral ? Ecoutez : Parlant, au congrès de Malines, des libéraux, il disait :
« Ils s'associent, non pour un principe, non pour une croyance, ils n'en ont guère, mais pour s'emparer du pouvoir et dès qu'ils y sont parvenus, pour se distribuer entre eux les places, les faveurs, les honneurs. Je vous demande, messieurs, si les choses ne se passent pas ainsi. »
Et cependant M. de Gerlache était et est toujours pour vous le type du magistrat, c'est toujours l'homme impartial par excellence ; il est l'objet, de votre part, d'un véritable culte.
Eh bien, en présence de tout ce que je viens de dire, de votre conduite au pouvoir, des nominations que vous avez faites, des actes politiques des magistrats appartenant à votre opinion, comment pouvez-vous expliquer toutes vos attaques contre la magistrature nommée sous le ministère libéral ? Comment pouvez-vous continuer à me représenter comme un homme ayant jeté la magistrature dans la lutte des partis, et comme ayant diminué son impartialité ?
Quand je vous signalais vos actes tout à l'heure, on disait sur vos bancs : « C'est une réparation. » Mais la réparation serait bien plus grande si, en vous bornant à exclure les libéraux des fonctions, vous l'accordiez en matière de principes. Vous avez violemment attaqué la loi sur les bourses d'étude ; rapportez cette loi de vol et de spoliation.
Rapportez la loi sur la mise à la retraite des magistrats, cet outrage à la Constitution.
Montrez, en un mot, que vous n'êtes pas ce que M. de Gerlache disait bien injustement des libéraux.
Vous n'agissez pas, et, comme je vous l'ai démontré, c'est parce que vous ne pouvez pas agir contre des lois que vous savez bonnes, utiles et acceptées par la majorité de la nation.
Permettez-moi, messieurs, de dire un mot sur une grâce qui a été accordée par l'ancien ministère, cela me dispensera de prendre la parole sur un autre article du budget.
Messieurs, je n'ai pas l'intention d'examiner comment M. Cornesse a exercé le droit de grâce qui appartient au Roi. Je ne m'occupe que d'un seul fait, parce que ce fait dépasse de beaucoup l'importance d'une grâce ordinaire plus ou moins justifiée.
Vous savez, messieurs, que de nombreux incendies ont éclaté à Saint-Genois. La population a été épouvantée. Pendant longtemps, on n'a pu mettre la main sur les coupables. Les incendies se succédaient toutes les nuits et la justice était à bout de ressources. Enfin on mit la main sur les coupables ; on les poursuivit en cour d'assises, non pas devant la magistrature Bara, mais devant le jury, et ils furent condamnés. Parmi ces condamnés se trouve un nommé Depoorter. (Interruption.)
Je crois qu'il avait été condamné à 3 années de réclusion.
La presse cléricale, après le verdict, attaqua violemment le jury qui a rendu cet arrêt ; elle déclara que la justice avait frappé un innocent. Le ministère catholique arrive aux affaires, et quelque temps après, grâce entière est accordée à Depoorter.
M. Bouvier. - Entière ?
M. Bara. - Grâce entière.
Immédiatement, la presse catholique commente l'acte qui vient d'être posé par M. le ministre de la justice, et voici comment le Journal de Bruxelles s'expliquait à cet égard :
« Il est évident que la passion politique a franchi le seuil de la cour d'assises.
« Dans le fait qui nous occupe, il n'y a pas même de doute. L'injustice de la condamnation qui a frappé Depoorter est évidente, manifeste.
« Dès lors, il était du devoir du gouvernement de faire usage de son droit ; c'était donc, pour lui, le cas où jamais de donner à la Couronne l'occasion d'exercer une de ses plus précieuses prérogatives. La grâce accordée à Depoorter est un acte de bonne justice et de réparation. »
Le Journal d'Anvers n'était pas moins énergique et il disait que Depoorter n'était pas un coupable, mais une victime des haines de parti.
La justice du pays est donc représentée comme ayant commis un acte odieux, comme ayant frappé un homme par haine politique. Les attaques contre le verdict du jury avaient précédé l'acte de grâce comme elles servirent à l'expliquer, et c'est dans une pareille situation que M. Cornesse fait à Déporter grâce pleine et entière.
Je vous demande ce qui doit rester du respect de la justice, je vous (page 543) demande comment on pourra s'habituer h s'incliner devant les dérisions judiciaires après de pareils procédés et de pareils affronts.
L’ancien ministre de la justice, qui a accordé cette grâce, avait-il des éléments d'appréciation ? La grâce lui avait-elle été proposée ou conseillée par le procureur général ? Il ferait bien de nous le dire ; quant à moi, j'ai tout lieu de croire le contraire.
L'honorable aucun ministre de la justice a-t-il pris connaissance du dossier ? A-t-il lu toute l'instruction préparatoire ? Je n'en sais rien et j'espère qu'il voudra bien aussi nous éclairer à ce sujet.
Et s'il n'a rien fait de cela, combien est grave l'acte du ministre qui accorde la grâce d'un individu, contrairement à l'avis du procureur général et alors que la peine ne faisait que commencer. C'est donner raison aux accusations violentes lancées contre la justice du pays et pour un ministre de la justice cet acte est hautement condamnable.
Si M. le ministre de la justice a lu le dossier, entendait-il réviser dans son cabinet les décisions judiciaires ?
Il voudra bien sur ce point me donner quelques explications.
Permettez-moi, messieurs, à ce sujet, de faire un rapprochement. Vous savez quelles attaques, quelles violences ont fait naître les derniers événements politiques qui se sont accomplis à Bruxelles. Nous avons eu ensuite une promenade du cabinet dans tout le pays. Les ministres ont été congratulés des pieds à la tête et je ne sais s'ils n'ont pas éprouvé plus de fatigues dans leurs pérégrinations gastronomiques qu'ils n'en ont essuyé pendant leur passage aux affaires. Nous les avons vus se montrer dans divers banquets comme les défenseurs de l'ordre et de la légalité ; ils protestaient contre les cris des citoyens de Bruxelles et contre des manifestations qu'ils trouvaient odieuses, abominables.
Mais l'incendiaire condamné par une cour d'assises est gracié ; c'est un héros, une. victime des haines de parti, on lui doit une réparation, on se hâte de la lui accorder et on défend ainsi l’ordre et la légalité. Une commune a été le théâtre de nombreux incendies, de déprédations de toute espèce. (Interruption.) Il y a eu 15 à 20 crimes ou délits, le chiffre ne doit pas être inférieur à celui que j'indique.
M. Bouvier. - On a incendié des meules.
M. Bara. - Il y a eu une. quinzaine de chefs d'accusation. (Interruption.)
Au surplus, peu importe ! les incendies ont été nombreux. Une commune a donc été le théâtre de nombreux incendies ; elle a vécu longtemps sous la terreur et la menace de nouveaux crimes ; l'ordre et la légalité avaient cessé d'y régner.
Eh bien, les partisans de l'ordre et de la légalité s'empressent de gracier l'un des coupables qui a été condamné pour ces faits à 3 années de réclusion. (Interruption.)
Un vicaire, à raison de ces mêmes faits, a été condamné...
M. Reynaert. - Non pas à raison de ces mêmes faits, il n'a pas été condamné.
M. Bara. - Au sujet de ces mêmes faits, ce vicaire ayant prononcé un discours qui a été considéré comme contraire à la loi, a été condamné à une peine correctionnelle.
M. Reynaert. - Délit politique.
M. Bara. - Non, ce n'est pas un délit politique ; il a été jugé par le tribunal correctionnel. Dites, si vous voulez, que le mobile était politique, comme on peut dire que c'est par un sentiment d'indignation politique qu'étaient poussés ceux qui criaient : « A bas le ministère ! » lorsque le ministère a voulu réhabiliter Langrand et ses agents. (Interruption.)
Ce vicaire a donc été condamné pour avoir enfreint l'ordre, la légalité. J'ignore si l'honorable M. Reynaert s'est associé à la manifestation, mais ce que je sais, c'est qu'un sénateur de son arrondissement est allé chercher, aux confins de la commune, le héros sortant de la prison ; il l'a ramené dans sa voiture en triomphe au presbytère ; on l'a couvert de fleurs, tout comme on a couvert de fleurs les anciens ministres dans leurs nombreuses pérégrinations ; on lui a offert un cadeau, absolument comme aux anciens ministres, en souvenir de leur belle conduite, et on lui a porté une quantité de toasts, toujours comme aux anciens ministres. (Interruption.)
Eh bien, je vous demande ce qu'il faut penser encore de la légalité quand on la voit ainsi traitée selon les circonstances. Vous attaquez les infractions à la légalité quand elles sont contre vous, mais vous y applaudissez dans le cas contraire.
Ainsi, la loi sur les bourses d'étude est votée et vous trouvez tout naturel que les évêques y résistent. Je sais bien qu'on a fait des distinctions ; je sais que l'honorable M. Delcour a distingué entre la résistance active et la résistance passive. Mais enfin, il y a eu résistance de la part des évêques et vous avez trouvé que les évêques avaient raison.
Dans l'affaire de Rochefort, on a résisté aussi à l'exécution de la loi, et l'honorable M. Wasseige disait : Je suis de l'avis du pape ; il n'y a plus rien à faire.
Dans l'affaire de Saint-Genois, nous voyons encore la même chose, Chaque fois, en un mot, qu'un manquement à la légalité vous est profitable, vous y applaudissez ; mais quand il vous nuit, aussitôt éclatent les protestations les plus énergiques.
Je ne connais pas de parti politique qui sache crier plus fort au scandale que le parti catholique ; d'un cri dans la rue, d'une démonstration un peu bruyante, il fait de suite une émeute et même une révolution. Si l'on avait à faire l'histoire des partis politiques, au point de vue du recours à la violence, ce serait une chose vraiment curieuse, et l'on verrait que le parti catholique ne serait pas précisément un modèle.
Souvenez-vous de ce qui se passe en Irlande, de ce qui s'est passé récemment à New-York et en Silésie ; vous constaterez que ce sont les catholiques qui se livrent à des violences et recourent à la force brutale pour imposer leurs volontés.
Nous connaissons les processions de New-York, les émeutes d'Irlande. En Roumanie, les fanatiques persécutent les juifs.
M. Jacobs. - Il y a peu de catholiques en Roumanie.
M. Bara.- Il y en a. A New-York et en Irlande, n'y a-t-il pas de catholiques ?
Soyez sincères ! On n'est pas nécessairement dévoué à l'ordre et à la liberté parce qu'on est catholique. (Interruption.)
M. Jacobs. - Les évêques ont blâmé les violences des fénians.
M. le président. - Je demande qu'on n'interrompe pas, et je prie l'orateur de ne pas provoquer lui-même les interruptions.
M. Bara. - M. le président, vous avez introduit une jurisprudence nouvelle pour les interruptions.
Les interruptions qui troublent l'ordre doivent être interdites ; mais celles qui ne causent aucun inconvénient doivent être tolérées.
M. le président. - Elles sont interdites par le règlement.
M. Bara. - Mais non. Le règlement, cela va de soi, en proscrivant les interruptions, ne parle que de celles qui troublent les débats. On ne peut raisonnablement prétendre qu'il est défendu de demander une explication ou d'appeler l'attention de l'orateur sur un point.
M. Bouvier. - C'est évident.
M. le président. - M. Bouvier, je vous invite à vous taire.
M. Bouvier. - Je fais une réflexion in petto.
M. Bara. - Je reprends. Vous donc qui défendiez l'ordre et la légalité et qui mettiez en liberté des gens condamnés du chef d'incendie, vous êtes sans pitié pour cette population de Bruxelles qui s'est livrée à quelques manifestations contre vous. Vous avez même calomnié cette population. Vous avez prétendu qu'elle avait été soudoyée.
L'honorable M. Cornesse a dit à Verviers que la population de Bruxelles avait été soudoyée... (Interruption.)
Je ne sais si les journaux dans lesquels j'ai lu ces assertions ont donné le texte exact du discours de M. Cornesse ; mais il y est dit que, d'après. M. Cornesse, le mouvement bruxellois avait été soudoyé.
Ce que l'ancien ministre de la justice n'a pas ajouté, c'est par qui le mouvement avait été soudoyé ; c'était là la difficulté, c'était là le hic.
Cependant l'honorable M. Cornesse était au département de la justice pendant les journées auxquelles nous faisons allusion ; il devait savoir à quoi s'en tenir sur la vérité de ses assertions. Nous lui demandons quelles preuves il a apportés de ses accusations ? Moi, messieurs, qui connais la population de Bruxelles depuis bien longtemps, qui réside à Bruxelles depuis dix-huit ans, je sais que cette population est excessivement honorable, honnête...
M. Bouvier. - Et très libérale !
M. Bara. - … et libérale et je ne la crois pas capable de recevoir de l'argent pour se livrer à des démonstrations. Je n'étais pas ministre de la justice quand les événements sont arrivés, mais j'ai cependant pu recueillir quelques faits qui prouvent que, s'il y a eu de l'argent donné et des manœuvres montées, cela n'a pas été par des libéraux. (Interruption.)
Ainsi, un journal clérical, je crois que c'est le Bien public, a annoncé qu'on avait fait venir de province 1,000 personnes pour contre-manifester.
M. Bouvier. - Des stickslagers !
M. Bara. - On est allé demander, même à des libéraux, - on s'est trompé, - d'employer toute leur influence pour faire venir à Bruxelles le plus de jeunes gens possible pour faire une grande manifestation en faveur du ministère.
(page 544) La manifestation a été maigre, mais il y a eu des frais ; qui les a payés ? (Interruption.)
On raconte que, dans une ville de province, un tout jeune homme de bonne famille voulait bien venir à Bruxelles, mais il fallait le protéger contre les fureurs bruxelloises. Il y avait dans cette ville un magnifique suisse avec une belle hallebarde ; on a adjoint ce suisse au jeune homme, et tous deux sont partis pour la capitale, pour sauver le ministère, comme jadis on partait pour la Palestine pour sauver les lieux saints.
Arrivés à Bruxelles, ils se sont trouvés dans une contre-manifestation et le suisse a été littéralement mis en pièces. (Interruption.)
Après cela il est retourné chez lui déchiré complètement et pas content. Néanmoins, il a dit le lendemain à tout le monde que cela lui était égal, parce qu'il était indemnisé. (Interruption.)
Voilà des faits : l'on en cite bien d'autres. Il est clair qu'une foule de gens sont venus ici pour contre-manifester et qu'on a payé les frais de voyage et de nourriture.
Au surplus, qui aurait donné l'argent ? Voilà ce qu'il faudrait dire. Il faudrait au moins indiquer qui a soudoyé.
Je trouve très mauvais, très inconvenant ce procédé d’injurier toute une population dans un banquet, de venir dire très légèrement : On l'a soudoyée. Mais, messieurs, personne ne pouvait vous contredire. Et quand bien même vous auriez appris qu'on aurait donné de l'argent à quelques ouvriers, serait-ce une raison pour prétendre que toute une population a été soudoyée ? Je ne sais si cela a eu lieu, si celui qui a affirmé, dans un journal de vos amis, avoir vu donner de l'argent, a dit vrai.
Des autorités de la commune m'ont assuré qu'aucun fait de ce genre n'était parvenu à leur connaissance.
Le mouvement a été spontané. Il vous a renversés et vos amis ont reconnu que vous étiez bel et bien renversés. Je reconnais que cela était désagréable pour vous, mais ce n'est pas une raison pour passer toute votre vie à promener vos douleurs en accusant la population de Bruxelles. Je crois que vous avez été suffisamment récompensés. Si je compte bien, vous avez eu au moins dix banquets ; presque tous vous avez reçu des cadeaux ; hier on vous distribuait encore des médailles. Que vous faut-il encore ? (Interruption.)
M. Jacobs. - Ils vous ont donné une indigestion, ces banquets.
M. Bara. - Oh, certes, si j'y avais assisté. De plus, dans ces banquets, on attaque ses collègues de la façon la plus violente. Si l'on nous avait attaqués ici, lors de la discussion qui a eu lieu, nous aurions répondu. Mais, n'étant pas à ces manifestations, nous ne pouvons que répondre ici à ce qui y a été dit.
M. Jacobs. - Nous n'étions pas à votre banquet non plus, et je n'ai pas injurié.
M. Bara. - Je ne vous ai rien dit à vous ; vous vous êtes contenté de rester au pied de la cathédrale d'Anvers.
Mais, l'honorable M. Cornesse a attaqué, l'honorable M. Wasseige a attaqué aussi. Pour lui c'est une habitude. (Interruption.)
Messieurs, je demande donc que les partisans de la légalité, de l'ordre, s'expliquent, d'un côté sur la grâce accordée à un incendiaire, de l'autre sur l'extrême sévérité avec laquelle ils attaquent les manifestations qui ont eu lieu à Bruxelles.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. -Messieurs, on vous a entretenus longuement de beaucoup de choses, notamment de la magistrature, des bourses d'étude et des magistrats politiques.
Quant aux bourses, messieurs, et à la magistrature, j'ai émis, sous le ministère de l'honorable M. d'Anethan, cette opinion qu'il n'y avait pas lieu de revenir sur ces matières. Est-ce à dire que j'abandonnais mes opinions précédentes ? En aucune manière ; je professe et je persiste fermement, sans hésiter, dans mes convictions.
On nous dit : Vous êtes en contradiction ; du moment que vous êtes revenus au pouvoir, vous deviez retirer ces lois.
Je réponds, messieurs, que cela ne serait pas raisonnablement pratique, que cela serait contraire aux usages parlementaires, car nous voyons, dans les différents pays, des lois vivement combattues au nom de l'intérêt public et au nom de la constitution, mais ces lois une fois votées, le parti qui arrive au pouvoir les abolit bien rarement.
Je suppose que nous eussions obtenu le retrait de la loi sur la magistrature et que le parti libéral, revenant aux affaires, reproduisît sa loi sur l'éméritat pour cause d'âge.
Quel rôle ridicule jouerait alors le parlement ? Un parti est renversé du pouvoir ; celui qui lui succède propose de défaire une loi faite par ses prédécesseurs ; ceux-ci reviennent au pouvoir, et font refaire la loi que l'autre parti a défaite ; et ce jeu ridicule se jouerait indéfiniment.
Mais cela n'est pas sérieux. Les intérêts actuels, les intérêts du moment seraient complètement négligés, et la session législative serait absorbée par cette fabrication et démolition de lois. Ola n'est pas raisonnable, cela n'est pas dans l'ordre des pays constitutionnels.
Lors de la discussion de la loi sur l'organisation judiciaire, j'ai demandé que l'on n'y comprît pas la loi sur la mise à la retraite des magistrats.
Pourquoi ? Paréc que cela aurait pu déterminer plusieurs membres de la Chambre à voter contre un projet de loi qui, à tous les égards, sauf celui-là, était susceptible d'être voté par tous les partis.
Mais dit-on : « Vous vous êtes appuyés, lors des élections, sur la loi concernant les bourses et sur la loi relative à la mise à la retraite de la magistrature. »
Oui, sans doute ; mais ce n'était pas le seul grief, il y en avait une foule d’autres qui formaient un ensemble, et c'est sur cet ensemble que le pays a prononcé son verdict.
Nous n'avions nullement pris l’engagement de défaire la loi sur les bourses et la loi sur la mise à la retraite de la magistrature.
On a glissé en passant un mot sur l'éméritat et sur les conséquences pécuniaires de cette disposition. Je ferai remarquer que, quand le projet a été présenté primitivement, il n'y était pas question d'éméritat, mais que la commission embarrassée a produit l'éméritat comme une espèce d'indemnité pour cause d'expropriation.
Voilà la véritable raison de l'éméritat.
On a parlé, messieurs, de magistrature politique, on a signalé le grand nombre de magistrats qui se trouvaient dans les conseils électifs, ceux de la nation, de la province et de la commune. Mais remarquez, messieurs, qu'il a été constaté, dans des écrits ayant un grand caractère d'autorité dans le pays, que la magistrature était en général libérale.
Veuillez vous rappeler aussi que dans la loi des incompatibilités on exemptait des catégories entières de magistrats des incompatibilités et le parti libéral croyait qu'il y avait profit à ce que la magistrature pût continuer à être élue aux diverses fonctions politiques et administratives.
Il est donc inexact de dire que la magistrature était composée presque entièrement d'hommes adhérant à l'ancienne politique qui a suivi immédiatement le Congrès national.
Je bornerai ici mes observations, car les autres critiques qui ont été formulées s'adressent plus particulièrement à des collègues qui, j'en suis sûr, répondront. Je crois qu'il est inutile de prolonger le débat, sauf, bien entendu, le droit de défense, parce que ce n'est pas le moment d'une discussion politique... (Interruption.)
Je ne m'attendais pas à cette discussion. Ce n'est pas qu'elle m'embarrasse, mais je ne veux pas faire perdre plus de temps à l'assemblée, qui a encore tant de lois à faire avant les prochaines élections.
M. Wasseige. - Je ne veux pas attendre jusqu'à mardi avant de répondre, par quelques mots, à ce que je pourrais qualifier de fait personnel. Quant aux actes qui concernent mon honorable ami et ancien collègue du département de la justice, il saura bien repousser les attaques dirigées contre lui, et je suis convaincu qu'il s'acquittera de cette tâche de manière à ne pas laisser les rieurs du côté de l'honorable M. Bara. L'honorable membre vous a dit qu'il nous était excessivement désagréable d'avoir été renvoyés du pouvoir et qu'il le comprenait. Je crois bien qu'il le comprend ! Mais je vous laisse juges, messieurs, du point de savoir à qui de lui ou de nous la perte du pouvoir a été le plus sensible.
Après bientôt deux ans, voyez comme la blessure est encore chez lui saignante et avec quelle animosité M. Bara se retourne contre ceux à qui il croit pouvoir attribuer sa chute ! Nous sommes encore, nous, les ministres du 2 juillet, dans le délai où l'on peut maudire ses juges ; quant à M. Bara, le délai de grâce est pour lui depuis longtemps expiré, et cependant il ne se fait pas faute de montrer à tout propos sa mauvaise humeur et son dépit. Voilà ce qui me vaut un titre tout particulier à son ressentiment, vous venez d'en avoir une nouvelle preuve.
Il vous a parlé des statistiques qui ont été dressées à propos de ses nominations judiciaires ; M. Bara, qui a tant blâmé ce moyen d'opposition lorsque j'y ai eu recours, ne s'est pas fait faute de me suivre dans la même voie, lorsqu'il croyait en retirer du profit pour sa cause.
La statistique que j'ai produite devant vous comprenait non seulement les nominations, maïs aussi les promotions de toute espèce. Je me suis expliqué dans ce sens-là, lorsque j'ai eu l'honneur de parler en 1870. J'ai dit que, s'il y avait quelques nominations catholiques, il y en avait parmi elles d'obligatoires. J'ai exposé alors exactement l'argument que vient de développer l'honorable M. Bara. Mais je n'ai pas fait comme lui ; je n'ai fait qu'une seule statistique, celle de toutes les nominations et promotions réunies. C'est ainsi - je n'ai pas pu vérifier le calcul, je crois l'honorable M. Bara sur parole - que je suis arrivé à 14 p. c. de nominations catholiques.
(page 545) L'honorable M. Bara n'a pas suivi le même système ; il ne prend que ce qui convient à sa cause ; il ne parle que des nominations et il oppose ses chiffres aux miens qui comprennent l'ensemble, et c'est ainsi qu'il arrive à prétendre que les nominations faites par mon ancien collègue de la justice sont descendues à 1 et même à 2 p. c. de libéraux.
J'avais en outre divisé ma statistique entre les diverses cours d'appel et entre les différentes catégories de magistrats ; j'avais fait remarquer que la partialité suivait le degré d'utilité politique et électorale, que la moyenne catholique s'élevait dans le ressort de la cour d'appel de Liège, où cela pouvait être sans danger, qu'elle baissait notablement, qu'elle descendait même à 4 p. c. dans celui de la cour d'appel de Gand, où la lutte électorale était la plus vive ; j'avais signalé enfin les nominations les plus politiques ; j'avais parlé des juges de paix et des greffiers et j'avais dit que ces magistrats, qui se trouvent constamment en contact avec les populations, qui agissent le plus directement sur elles, dont l'influence électorale est le plus considérable, figuraient dans mes calculs pour 4 et même pour 2 p. c. seulement de catholiques, ce qui représente, à peu près les chiffres de M. Bara lui-même. J'ajoutais que, dans toute la période dont je m'occupais alors, sur 44 greffiers nommés, il n'y en avait qu'un seul appartenant a l'opinion catholique.
Mais enfin, admettons, sauf examen ultérieur, que tous les chiffres de M. Bara soient exacts, quelle serait aujourd'hui la situation ? Si nous additionnions les nominations de libéraux et de catholiques, faites respectivement par MM. Bara et Cornesse, nous trouverions, depuis 18G6, 364 libéraux et seulement 138 catholiques ; de sorte que, dans cette période de cinq années environ et malgré la légitimité des réparations qui leur étaient dues, les catholiques n'auraient obtenu que moins du tiers des places qui ont été conférées.
J'avais donc raison de dire tout à l'heure que l'équilibre était loin d'être rétabli.
Je l'ai, d'ailleurs, déjà déclaré dans une interruption ; s'il n'y a pas eu plus de nominations libérales dans ces derniers temps, c'est par la raison bien simple qu'il n'y avait plus de libéraux à placer. Tous les candidats possibles et même, je dirai bien des candidats impossibles, tous avaient été pourvus ; il n'en restait plus à caser.
Nos amis avaient été repoussés systématiquement et depuis si longtemps, qu'ils avaient renoncé à faire encore le moindre effort pour se faire nommer à n'importe quelle fonction judiciaire. Dès qu'ils ont pu espérer que leurs titres seraient impartialement examinés, ils se sont naturellement présentés et le long ostracisme dont ils avaient été l'objet explique tout naturellement le nombre des candidats. Si beaucoup d'entre eux ont été nommés, l'on a eu parfaitement raison de le faire, ce n'était que justice et réparation.
Oui, messieurs, la statistique que j'ai fournie devant vous, il y a deux ans, a produit beaucoup d'effet. Oui, elle a eu des résultats dont M. Bara se plaint encore aujourd'hui avec une amertume que vous avez pu apprécier et que le temps n'adoucit pas chez lui ; mais pourquoi cette émotion impossible à nier ? C'est que les faits étaient accablants et que l'accusation portée par moi à la tribune nationale répondait au véritable sentiment public. J'en appelle à tous mes honorables collègues, l'émotion a été profonde dans le pays, beaucoup plus que ne l'aurait souhaité l'honorable M. Bara.
Mais, je le répète, mes révélations avaient répondu au sentiment de la nation tout entière, et jamais, je l'affirme, la comparaison essayée par mon honorable contradicteur ne produira la même émotion, ni surtout les mêmes résultats. Oui, messieurs, ainsi que l'a rappelé M. Bara, un banquet me fut donné à cette occasion, non pas à Gand, mais à Bruxelles, où il m'a été offert par tous mes honorables amis de la droite, dont la conduite en cette circonstance a hautement témoigné qu'ils s'associaient pleinement à ce que j'avais dit.
D'autres banquets ont succédé à celui-là, tous plus chaleureux, plus enthousiastes les uns que les autres ; ils paraissent peser beaucoup à M. Bara, mais il oublie que, lui aussi, a eu le sien, et j'espère qu'il aura mieux digéré le banquet de Tournai qu'il ne paraît digérer ceux offerts à ses adversaires.,
J'ai souvent pris la parole dans ces manifestations, j'y ai été vif, parfois violent peut-être, au souvenir des manifestations indignes dont nous venions d'être l'objet à Bruxelles. Mais je n'ai rien à retrancher de ce que j'ai dit.
M. Bara se plaint de n'avoir pas été présent pour me répondre, mais, mon Dieu ! si une discussion est impossible devant la Chambre, et j'en conviens, M. Bara sait que je serai toujours disposé à lui donner personnellement toutes les explications qu'il pourrait juger convenable de me demander.
Deux mots pour finir, à propos de la nomination de M. Van Schoor.
J'ai déclaré qu'au moment où il avait été nommé substitut par l'honorable M. Bara, il n'avait d'autre titre à cette faveur que son diplôme ; qu'il n'avait pas fréquenté le barreau, ni donné encore aucune preuve de capacité ; qu'à sa sortie de l'université, il avait fait un voyage, en Egypte, ce qui n'a jamais passé pour un stage, ni une préparation à la carrière judiciaire et que sa nomination n'était alors basée que sur des considérations politiques.
Je me plais à reconnaître que M. Van Schoor a prouvé depuis qu'il était capable de remplir les fonctions qui lui avaient été conférées et qu'il a mérité la promotion qu'il a obtenue de mon honorable ami, M. Cornesse.
M. Bara. - J'ai donc bien fait de le nommer.
M. Wasseige. - Non, mais vous avez eu la main plus heureuse que dans bien d'autres circonstances. Vous avez deviné juste.
(page 538) - a href='/personne/CornesseP/'>M. Cornesse. - Je demande la parole.
Voix nombreuses. - A mardi !
M. le président. - Il n'est que 4 heures et un quart et la Chambre ne se sépare ordinairement qu'à 4 heures et demie.
- Plusieurs voix à gauche. - Continuons.
M. Bara. - Je demande à répondre à M. Wasseige.
M. Cornesse. - Je suis complètement à la disposition de la Chambre, mais je crois devoir l'avertir que j'en ai au moins pour une heure, et il est de l'intérêt de ses travaux, je pense, de ne pas scinder la discussion qui, du reste, ne peut être close aujourd'hui.
M. le président. - La Chambre entend-elle remettre la suite de la discussion à mardi ?
- Voix nombreuses. - Oui ! oui. C'est l'usage ; le samedi on part à 4 heures et demie.
M. Allard. - La parole avait été donnée à M. Bara.
M. le président. - Sans doute ; si M. Bara insiste, la Chambre l'entendra.
M. Bara. - Tout à l'heure l'honorable ministre des finances m'a dit lui-même qu'il était désirable d'en finir avec le budget de la justice afin de pouvoir l'envoyer au Sénat. L'honorable M. Cornesse dit qu'il en a pour une heure. Il me semble qu'il pourrait parler immédiatement. Je m'engage, pour ma part, à ne pas être très long.
M. Reynaert. - Messieurs, alors même que M. Cornesse prendrait la parole immédiatement, edois vous avertir qu'il est impossible de voter aujourd'hui le budget de la justice. Je compte intervenir dans le débat et j'en aurai également pour une heure au moins. Je demande donc à M. le président de m'inscrire.
M. le président. - La Chambre entend-elle renvoyer la suite de la discussion à mardi ?
- Voix nombreuses. - Oui ! oui !,
M. le président. - La suite de la discussion est donc remise à mardi.
- La séance est levée à 4 heures et demie.