(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Tack, premier vice-président.)
(page 487) M. Wouters procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert lit le procès-verbal de la séance du 10 février courant ; la rédaction en est adoptée.
M. Wouters présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Devos prie la Chambre de rejeter le projet de loi concernant l'accise sur la bière. »
« Même demande des sieurs Beesau, Morlion, Meynne, Grimmelprez, Boucquey, Blanckaert, Ceulenaere, Root, Ley, Cornelis, Morael, Cavereel, Dendecker, Markey, Lelieur, Morlion, Lootvoet, Vanstaen, Vanden Berghe-Devoghel, des veuves Verschave, Groensteen-Vermout, Verfaillie et de brasseurs, à Liège. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Les sieurs Amel et Van den Born proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »
M. Lelièvre. - Je demande un prompt rapport sur cette pétition que je recommande tout particulièrement à l'attention du gouvernement.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Vermeersch, ancien sous-officier, prie la Chambre de lui faire obtenir une place d'huissier de salle, de messager ou de garçon de bureau dans un ministère. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Roland, ancien brigadier au 3ème régiment d'artillerie, congédié à la suite d'une infirmité contractée au service, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Par deux pétitions, des habitants de Castel demandent une église paroissiale pour ce hameau de la commune de Moerzeke. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Lebrun et Liégeois prient la Chambre d'améliorer la position des employés des douanes. »
- Même renvoi.
« Le sieur Janssens demande que le projet de loi relatif à la caisse générale de prévoyance des instituteurs contienne une disposition pour faire réviser les pensions des anciens instituteurs. »
« Même demande des sieurs Vanleke, Poorter et Vanden Berg. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des meuniers présentent des observations sur le projet de loi relatif à la libre entrée des farines et demandent, à titre provisoire, le rétablissement du droit I11 fr. 20 c. à l'entrée sur les farines, avec la libre entrée des grains. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la libre entrée des denrées alimentaires.
« Les instituteurs communaux, dans les cantons de Lierre, Duffel et Heyst-op-den-Berg, demandent que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance en faveur des instituteurs primaires prescrive que le montant de la pension sera calculé d'après les cinq années des revenus les plus élevés de l'instituteur. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.,
« Le sieur Wolff, ancien facteur des postes, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le remboursement des retenues qu'il a subies volontairement, du chef de ses services militaires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'une commune non dénommée prient la Chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, de la révision du code de commerce et principalement du chapitre relatif aux Sociétés coopératives. »
M. Guillery. - Messieurs, il s'agit d'un objet très important : c'est le projet de loi sur les Sociétés coopératives déjà adopté par la Chambre dans l'une des dernières sessions. De nombreuses sociétés ouvrières sont sur le point de se constituer et n'attendent que la promulgation de la loi pour pouvoir profiter des principes qu'elle consacre.
Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. Bouvier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la Chambre a renvoyé beaucoup de pétitions à la commission des pétitions avec prière de faire un très prompt rapport. Je fais partie d'une de ces commissions, et elle m'a endossé quelque chose comme une soixantaine de rapports. Je suis prêt à les déposer ; mais pour atteindre ce résultat, il est désirable que la Chambre fixe un jour prochain, vendredi en huit, par exemple, pour s'occuper de tous ces prompts rapports.
M. Van Humbeeck. - Observons le règlement. D'après le règlement, c'est vendredi prochain que les pétitions doivent venir à l'ordre du jour. Nous ne devons pas attendre jusqu'à vendredi en huit.
M. Bouvier. - Nous avons un règlement pour ne pas l'observer. Ainsi, comme l'honorable préopinant vient de le dire, le jour de vendredi est fixé pour la discussion des rapports de pétitions.
Or, depuis que j'ai mes soixante rapports sur le dos, je n'ai pu trouver un seul vendredi pour m'en débarrasser, ce que je désire vivement.
Je demande donc que la Chambre fixe à vendredi en huit la discussion des rapports de pétitions.
- Un membre. - Pourquoi ne demandez-vous pas à les discuter vendredi prochain ?
M. Bouvier. - Pour ne pas interrompre la discussion du budget de la justice.
M. Vander Donckt. - Messieurs, un arriéré très considérable de rapports de pétitions existe à la commission et cet arriéré est tel, qu'à aucune époque il ne s'est élevé au chiffre actuel. Il est urgent d'aviser aux moyens de vider cet arriéré. On demande de discuter les prompts rapports, mais parmi ces rapports il y en a qui ne sont pas plus recommandables que beaucoup de rapports ordinaires et qui se trouvent depuis plus de deux, ans au dossier ; il y a plusieurs feuilletons imprimés et distribués depuis longtemps qui devraient avoir la priorité et sur lesquels les rapports sont prêts ; il n'est pas même nécessaire de convoquer la commission pour occuper toute une séance des rapports de pétitions arriérés, prompts rapports et autres qui restent en souffrance.
M. Wouters. - S'il entre dans les convenances de la Chambre de discuter les rapports de pétitions dans la séance de vendredi prochain, je demanderai de placer en tête de l'ordre du jour de cette séance le vote sur la prise en considération de la demande de grande naturalisation des sieurs Carpentier de Changy.
Cette demande a un caractère d'urgence dont il sera aisé de se convaincre en lisant le rapport que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau.
(page 488) Il importe que le Sénat, qui est convoqué pour le 26, puisse statuer en temps utile.
J'espère que la Chambre ne fera nulle difficulté d'accueillir ma proposition.
M. le président. - M. Bouvier demande que l'on fixe la discussion des rapports de pétitions à vendredi en huit ; M. Van Humbeeck demande qu'on applique le règlement et que les rapports de pétitions soient discutés vendredi prochain.
La Chambre est-elle d'avis de discuter les pétitions vendredi prochain ? (Adhésion.) Il en sera ainsi.
M. Demeur. - Je demande que la pétition dont il s'agit soit renvoyée en même temps a la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la révision du code de commerce.
Il importe que la Chambre soit enfin fixée sur l'ordre de la discussion des différents chapitres de ce projet. La commission chargée de son examen me paraît plus à même de trancher cette question que la commission des pétitions.
La Chambre a décidé que l'on discuterait d'abord les chapitres du gage et celui des commissionnaires. Mais je me rallierais à la proposition qui serait faite de mettre, immédiatement après l'examen du chapitre des commissionnaires celui du titre relatif aux sociétés coopératives.
M. Malou, ministre des finances. - L'honorable M. Pirmez a fait, au nom de la commission, un rapport sur le titre des Sociétés qui comprend les sociétés coopératives. Un nouveau renvoi à la commission des pétitions et une nouvelle demande de rapport sont donc parfaitement inutiles. Ce travail a été fait lors de la dernière session.
Comme la Chambre avait voté une première fois le titre des Sociétés, l'honorable M. Pirmez a proposé de le voter de nouveau après la dissolution. Ce titre comprend les sociétés coopératives.
Il suffit de mettre à l'ordre du jour le titre des Sociétés comme on y a mis d'autres titres du code de commerce.
M. Pirmez. - Je crois que la Chambre peut voter, quand elle le veut, le titre des Sociétés coopératives.
Je ne puis m'empêcher de faire remarquer à la Chambre combien il est regrettable, après que la Chambré a discuté pendant de longues séances un projet de loi, de voir ce travail devenu inutile et tout à recommencer.
Au commencement de la session dernière, j'ai demandé à la Chambre de vouloir examiner si elle ne peut pas considérer un projet de loi déjà voté comme étant maintenu, même après la dissolution des Chambres, lorsqu'il n'a pas été retiré par arrêté royal.
On m'a refusé à cet égard toute espèce d'examen. Je regrette que l'on ait préféré s'attacher à certains antécédents ne reposant sur aucune espèce de raison. On parle de tous côtés de simplifier les formalités administratives, et l'on multiplie comme à plaisir les formalités législatives ? Pourquoi entraver les travaux de la Chambre en adoptant sans raison, je le répète, on ne nous en a donné aucune, un pareil système ?
Je désirerais, messieurs, que l'on examinât cette question pour l'avenir.
Les dissolutions ne sont pas devenues impossibles et rien ne nous assure que le code de commerce sera voté avant qu'il en survienne une.
Déclarerait-on encore, comme on l'a fait dernièrement, que tout ce que les Chambres ont fait l'a été en pure perte ?
Quoi qu'il en soit, je constate que nous allons recommencer une besogne faite et que, si mon opinion avait prévalu il y a plus d'un an, tout au moins cette partie du code de commerce aurait pu être promulguée comme loi.
M. Demeur. - La Chambre sera certainement de mon avis qu'il y a urgence d'en finir du code de commerce. On n'y parviendra pas si l'on persiste dans la voie qui a été suivie jusqu'à présent, c'est-à-dire si l'on veut attendre que le code de commerce soit voté tout entier avant de le promulguer.
Je pense donc, et c'est dans ce sens que j'appuie le renvoi de la pétition qui vient d'être analysée à la commission de révision du code de commerce, je pense qu'il est nécessaire que la Chambre sache au juste dans quelle mesure elle va discuter le code de commerce. Discuter et voter le code de commerce tout entier dans le cours de la session actuelle, c'est chose absolument impossible.
Il est donc désirable que la commission nous dise quels sont les chapitres du projet que nous avons l'espoir de voter dans cette session, de manière que ces chapitres, étant également votés par le Sénat, puissent être promulgués.
J'insiste pour le renvoi de la pétition à la commission chargée d'examiner le projet de révision du code de commerce.
- Ce renvoi est ordonné.
« Des fermiers de la pêche dans les eaux de la Meuse demandent la révision de l'ordonnance de 1669 qui régit la pêche. »
- (erratum, page 501) Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
M. Lelièvre. - Je demande un prompt rapport sur cette requête qui a un caractère d'urgence. Il importe que le projet de loi sur la pêche soit discuté dans le plus bref délai.
- Adopté.
« Le sieur Jean-François Lefebvre, conducteur de travaux à Estaimpuis, prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Des instituteurs communaux non diplômés prient la Chambre de les faire jouir du bénéfice que l'arrêté royal du 17 août 1865 accorde aux instituteurs diplômés. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Kervyn de Volkaersbeke, retenu chez lui par une maladie grave de son fils, demande un congé. »
- Accordé.
« M. Dupont, empêché par son état de santé d'assister aux séances de la Chambre, demande un congé de quinze jours. »
- Accordé.
« M. d'Hane-Steenhuyse, retenu pour affaires administratives, demande un congé de deux jours. »
- Accordé.
« M. Le Hardy de Beaulieu, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
« M. d'Andrimont, retenu à Liège, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
M. le président. - A l'occasion de la discussion du budget de l'intérieur, la section centrale avait proposé le renvoi à M. le ministre de l'intérieur de deux pétitions : l'une émane de la députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale, priant la Chambre d'augmenter le crédit pour l'amélioration de la voirie vicinale ; l'autre émane d'employés provinciaux de la même province qui demandent une augmentation du crédit porté au budget en ce qui les concerne.
Je propose à la Chambre de décider que ces pétitions seront renvoyées à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ayant pour titre : « Code électoral. » C'est la codification de toutes nos lois électorales.
M. Lelièvre. - Je propose de renvoyer l'examen du projet à une commission spéciale. Il s'agit ici de questions qui sont du domaine d'hommes spéciaux.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Comment la Chambre entend-elle que cette commission soit formée ?
- De toutes parts. - Par le bureau.
M. le président. - Il en sera ainsi.
M. Lelièvre. - Le rapport de la section centrale appelle l'attention du gouvernement sur la loi de 1867 qui met à la retraite les magistrats de l'ordre judiciaire qui ont atteint un âge déterminé.
En ce qui me concerne, je pense qu'il faut maintenir cette loi.
En 1867, je n'ai pu assister à la discussion et prendre part au vote, parce que j'étais alors retenu à une enquête concernant une affaire importante ; mais, dès 1849, j'avais partagé l'opinion de ceux qui estimaient que la mesure décrétée par la loi dont il s'agit était fondée sur des motifs irrécusables. Tel était aussi l'avis de M. le procureur général Leclercq, dont le nom a été cité par la section centrale.
A certain âge, les hommes n'ont plus d'ordinaire les lumières et la fermeté nécessaires pour remplir convenablement les fonctions de la magistrature.
Sans doute, le contraire se produit quelquefois, mais ce sont là des exceptions qui ne peuvent en rien altérer le principe général.
D'un autre côté, le maintien dans l'ordre judiciaire d'hommes trop âgés est réellement la confiscation du présent au profit du passé.
La bonne administration de la justice est, d'ailleurs, intéressée à ce que (page 489) les fonctions soient toujours remplies par des hommes valides et en état de s’en acquitter avec fruit. Or, l’état de choses antérieur à la loi de 1867 avait révélé à cet égard des inconvénients et des abus que le législateur a fait disparaître avec fondement.
Je pense donc que le régime actuel doit être maintenu.
Un autre objet que je dois signaler à la Chambre concerne les huissiers qui, rémunérés sur le pied du tarif de 1867, ne reçoivent pas des émoluments en rapport avec l'importance de leurs fonctions et la besogne dont ils sont chargés.
M. Cornesse avait promis qu'il serait fait droit aux légitimes réclamations adressées à la législature.
Mais le temps s'écoule, les sessions se terminent sans qu'on redresse les justes griefs qui sont articulés contre le régime existant. J'espère qu'enfin on accueillera, dans une juste mesure, des plaintes évidemment fondées.
J'espère aussi qu'il ne sera pas donné suite au projet peu heureux ayant pour objet la suppression des avoués.
Tous les hommes d'expérience sont d'avis que semblable mesure entraînerait des conséquences fâcheuses.
Nous verrions surgir des individus exerçant sans responsabilité les fonctions supprimées ; l'indépendance et le caractère des avocats ne resteraient également pas sans atteinte.
A mon avis, c'est là une idée malheureuse qui doit être abandonnée. A une autre époque, la suppression a aussi été prononcée. On a été forcé bientôt à revenir de cette mesure dont les inconvénients n'ont pas tardé à se produire.
Enfin il me reste à dire quelques mots sur une question qui avait donné lieu à une courte discussion sous le ministère précédent.
Lorsque les crimes d'assassinat, d'incendie et autres avaient été commis en grand nombre dans un pays voisin, on avait demandé si les auteurs de ces faits pouvaient être extradés en cas de refuge sur notre territoire. Le gouvernement de cette époque, avait émis l'opinion affirmative, parce qu'il s'agissait de crimes du droit commun.
Quant à moi, je pense que nos lois sur l'extradition laissent à cet égard une lacune regrettable.
Les crimes du droit commun ne peuvent autoriser l'extradition lorsqu'ils sont annexés à des délits politiques ; de sorte que les assassinats, les meurtres, les incendies ne peuvent justifier cette mesure dans le cas où il y a connexité entre eux et des faits politiques.
Il n'y a d'exception à cet égard que dans le cas prévu par la loi du 22 mars 1856, quand il s'agit d'attentat contre un souverain étranger ou les membres de sa famille.
Dans tous autres cas, l'on reste soumis aux règles ordinaires prescrites par la loi sur l'extradition. Par conséquent, les plus grands crimes même du droit commun ne permettent pas de recourir à la voie de l'extradition, du moment qu'il s'agit d'un fait ayant quelque connexité avec des faits politiques.
C'est ce qu'avait parfaitement compris M. Dumortier lorsqu'il avait interpellé l'ancien ministère sur la question de savoir si la législation actuelle était suffisante pour satisfaire aux nécessités de la situation.
Il y a là évidemment quelque chose à faire. Il y a de nouvelles dispositions à prendre et des modifications à apporter aux lois en vigueur chez nous.
Il ne faut pas attendre que des événements se produisent et démontrent les inconvénients du régime existant.
Les chambres de mise en accusation n'émettraient pas un avis favorable à l'extradition dans les cas qui font l'objet de mes observations.
J'estime donc qu'il y a lieu de s'occuper de lacunes qui pourraient éventuellement donner lieu à de regrettables résultats.
M. de Moerman d’Harlebeke. - A l'occasion de la discussion du budget de la justice, je désire appeler l'attention de la Chambre et spécialement de M. le ministre de la justice sur une question que je considère comme étant de la plus haute importance.
Il est incontestable, et c'est notre honneur, que depuis 1830 des progrès marquants ont été réalisés dans le domaine de notre législation. Les peines hideuses et inutiles, telles que les mutilations et l'exposition ont disparu sans retour, et si la peine de mort dépare encore nos codes, au moins elle n'est plus appliquée, et en fait, on peut dire qu'elle n'est plus.
De la contrainte par corps, il ne reste que des traces, et le système de la détention préventive a été considérablement adouci.
Il est une autre réforme qui, parce qu'elle est l'expression de la justice même, finira par s'imposer à nous. Je veux parler de l'indemnité à allouer aux personnes indûment poursuivies.
Le premier devoir de la société est de respecter les droits des individus, et l'accomplissement de ce devoir est aussi l'un de nos plus grands intérêts, car plus un gouvernement se montre lui-même observateur scrupuleux de la justice, plus il acquiert de la force morale pour la faire régner parmi ses administrés.
Une maxime inscrite dans la conscience de tout homme, c'est que celui qui cause du dommage est tenu de le réparer.
Ce principe, qui est vrai et qui est appliqué pour les relations des particuliers entre eux, est vrai aussi pour les relations de l'Etat à l'égard des citoyens et doit également y recevoir son application.
Et cependant que voyons-nous ?
Qu'un particulier occasionne un tort quelconque par simple négligence ou imprudence, et il sera responsable, et il sera condamné à des dommages-intérêts. Et d'un autre côté, qu'un citoyen soit détenu pendant des mois, qu'il soit séparé de sa famille, qu'il soit ruiné dans son commerce, qu'il soit atteint dans son honneur, et l'Etat, auteur de tous ces maux, ne sera responsable de rien et il aura tout fait lorsqu'il aura proclamé l'innocence de sa victime !
Il y a là une injustice évidente, une injustice qui demande une réparation.
Je sais ce que l'on m'objectera.
On me dira que mon système, juste en théorie, présentera en pratique les plus graves inconvénients. Je pourrais répondre que c'est là l'éternelle objection qu'on a opposée à toutes les réformes, je pourrais répondre par les faits et citer l'exemple d'autres pays et notamment de la Suisse, si je ne me trompe ; mais j'aime mieux dire que je suis convaincu que les hommes spéciaux trouveront facilement une solution qui conciliât les intérêts opposés en cause, qui sauvegardât les droits individuels et les droits de la société.
La législation actuelle, on ne peut le nier, consacre une injustice flagrante et je ne veux pas croire qu'il ne soit pas possible d'y échapper ; je me refuse à croire à la nécessité de l'injustice.
J'appelle donc sur la question que je viens de soulever toute l'attention du gouvernement, et j'espère que les études auxquelles il voudra se livrer le conduiront au résultat que j'appelle de tous mes vœux.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, je dois une réponse aux honorables MM. Lelièvre et de Moerman.
L'honorable M. Lelièvre a appelé mon attention sur quatre points.
Il s'est occupé d'abord de la loi sur l'éméritat et des critiques dont elle a été l'objet dans le rapport de la section centrale.
Cette loi a donné lieu, dans cette enceinte, à des discussions très vives et je ne crois pas que le moment soit venu de provoquer le renouvellement de ce débat.
La loi n'existe que depuis 1867.
Il faut attendre au moins qu'on ait pu apprécier d'une manière plus complète, pendant une période d'années plus considérable, quels seront ses effets sur la composition de la magistrature.
On a signalé dès à présent la charge assez lourde que l'application de la loi impose à nos finances ; mais la section centrale a pris soin elle-même de répondre à ce reproche en faisant remarquer qu'un intérêt aussi grave que celui de la distribution de la justice ne peut être mis en balance avec une question d'argent.
Je ne me propose donc pas de soumettre de nouveau la loi sur l'éméritat aux discussions de la Chambre.
M. Bouvier. - Je vous en félicite.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - L'honorable M. Lelièvre s'est occupé ensuite des plaintes des huissiers ée des promesses qui leur ont été faites. Les plaintes des huissiers, messieurs, se fondent d'abord sur l'application du tarif de 1807. Le prix des choses en l'an 1871, dit-on, n'est plus en rapport avec le prix des choses en 1807 et l'application de ce tarif est une véritable injustice.
Les plaintes que soulève le tarif ne sont pas particulières aux huissiers : les greffiers, les notaires, les avoués élèvent les mêmes réclamations.
Je dois reconnaître qu'elles ne manquent point de fondement.
J'ajoute cependant qu'il y a un peu d'exagération et que l'on s'attache trop à un seul côté de la question.
S'il est vrai que le prix des choses a augmenté depuis 1807, il est vrai aussi que le nombre des actes s'est multiplié dans des proportions considérables.
Il y a donc une certaine compensation, dont il convient de tenir compte. D'un autre côté, les honoraires des huissiers ne sont pas tarifés exclusivement par le décret de 1807.
(page 490) Tout ce qui regarde la procédure en matière criminelle est régi par le tarif de 1853, et on ne peut assurément faire au tarif de 1853 le reproche qu'on adresse au tarif de 1807.
Il demeure vrai cependant que l'application du décret de 1807, en matière civile, blesse l'équité. Il est vrai encore (et je rencontre ici un deuxième grief) qu'un grand nombre de nos lois, en diminuant les frais de justice, ont réduit les bénéfices des huissiers. J'ajouterai qu'il existe une autre injustice dont une certaine catégorie de ces officiers ont le droit de se plaindre. Je veux parler des huissiers audienciers près des tribunaux correctionnels et de ceux qui font le service des parquets et des cabinets d'instruction.
Je ne parle point des huissiers audienciers près des chambres civiles, des cours d'appel et des tribunaux. Ces derniers trouvent une compensation au sacrifice de quelques heures d'audience dans le monopole pour la signification des actes du banc, des jugements par défaut et des réassignations, dans les émoluments des appels de cause et enfin dans leurs rapports quotidiens avec les avoués et les avocats.
Ces mêmes avantages n'existent point pour le service correctionnel. Le monopole des significations, outre qu'il astreint à un travail pénible, ne peut servir d'équitable rémunération au service laborieux des audiences. Il est juste que l'Etat indemnise ceux qui consacrent au service de l'administration de la justice la meilleure partie de leur temps. Cette indemnité peut être accordée sans qu'il soit nécessaire de recourir à une loi nouvelle. Il suffira de demander une majoration de crédit au budget.
Seulement, cette majoration, je ne puis la proposer au budget actuel, et voici pourquoi : il est nécessaire de déterminer quel est le nombre des huissiers qu'il convient d'attacher à chaque tribunal, au service spécial dont je viens de parler.
Or, cela demande une instruction qui est commencée, mais qui n'est pas terminée. Quant à la révision du tarif de 1807, elle est en rapport étroit, avec la révision du code de procédure civile.
Le tarif en fait n'est que l'application, la mise en œuvre du code de procédure. Or, aujourd'hui qu'un projet de révision du code de procédure est soumis à la Chambre, je ne puis faire entreprendre un travail de révision du tarif.
Il faudrait le reprendre. immédiatement après que le nouveau code de procédure aurait, été voté. Mais, il existe un autre remède : c'est une augmentation générale et proportionnelle de tous les émoluments. Quel doit être le taux de cette augmentation ? Ici, les avis se partagent, les uns prétendent que 25 p. c. suffisent, d’autres vont jusqu'à réclamer 50 p. c.
Cette question, je ne l'ai pas résolue. Elle devra, dans tous les cas, faire l'objet d'une loi spéciale que j'espère être en mesure de présenter dans le courant de la session actuelle.
M. Lelièvre s'est ensuite occupé de la question de la suppression des avoués. Cette question se rattache au code de procédure ; il serait prématuré de s’en occuper dès aujourd'hui.
L'honorable membre a enfin appelé mon attention sur une modification, qu'il voudrait voir, introduire dans la loi sur les extraditions. Je promets. volontiers à l'honorable membre d'examiner les observations qu'il vient de faire.
L'honorable M. de Moerman a soumis à la Chambre la question des indemnités aux personnes qui ont été indûment poursuivies.
Cette question, messieurs, a été fréquemment agitée. Elle se produit avec beaucoup plus de fondement en faveur des victimes d'erreurs judiciaires reconnues.
Je ne me refuse pas à examiner soigneusement ces questions. Mais je me permettrai de faire observer, dès maintenant, à l'honorable M. de Mœrman, qu'il commet une étrange erreur lorsqu'il compare le fait d'un particulier qui causera autrui un dommage par négligence ou par imprudence au fait du pouvoir judiciaire qui poursuit la répression d'un délit, même alors que ses poursuites tombent sur un individu qui obtient ensuite un acquittement.
La négligence et l'imprudence sont rarement du côté de la justice. Bien plus souvent l'inculpé lui-même attire les soupçons du parquet par des actes qui, pour n'être pas coupables, n'en constituent pas moins des imprudences où des fautes graves.
Au surplus, il importe de ne pas le perdre de vue, s'il est juste que tout dommage injustement causé soit réparé, il est indispensable aussi de ne pas lier les mains à la justice elle-même, de ne pas entraver les parquets dans leur action légitime.
M. Lelièvre. - Je dois nécessairement persister dans mes observations.
Il n'est pas de réclamation plus équitable que celle formée au nom des huissiers. Tout le monde convient que ces fonctionnaires reçoivent aujourd'hui des émoluments vraiment dérisoires qui ne sont plus en rapport avec l'importance des fonctions déférées à ces officiers ministériels.
Ne perdons pas de vue qu'aujourd'hui les huissiers sont rémunérés sur le pied du tarif de 1807. Or, il suffit de comparer le traitement que recevaient alors les membres de l'ordre judiciaire avec les traitements actuels pour se convaincre qu'il y a injustice à laisser les huissiers sous le poids du régime existant en 1807. Aussi l'expérience démontre que presque tous les officiers ministériels dont je parle ne trouvent pas dans leur travail des moyens de pourvoir à leur subsistance et à celle de leur famille.
Cependant ils sont investis de fondions importantes ; si l'on veut qu'ils les exercent avec probité et délicatesse, il est indispensable que les fruits d'un travail honnête leur soient assurés et que l'on ne renvoie pas la révision que je sollicite à une époque postérieure à l'adoption du code de procédure révisé. C'est là évidemment renvoyer les huissiers aux calendes grecques. En effet, il est certain que cette révision ne sera pas adoptée avant plusieurs années.
Entre-temps, le temps s'écoule et les huissiers végètent dans une situation déplorable.
M. Cornesse, prédécesseur de M. le ministre actuel, avait promis de présenter immédiatement un projet de loi ayant pour objet de satisfaire à des besoins reconnus et de rendre aux huissiers la justice qu'ils attendent.
Eh bien, je prie le gouvernement de donner suite au projet de M. Cornesse et de ne pas tarder à proposer des mesures impatiemment attendues.
Il s'agit ici d'un acte, qui tient à la bonne administration de la justice et qui est essentiel dans l'intérêt des fonctions des huissiers.
Je ne puis donc assez insister sur les observations que j’ai émises à cet égard. Tous les magistrats sont d'accord qu'elles sont conformes à ce que réclame l'équité.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Il me semble que j'ai eu le malheur de n'être pas bien compris par l'honorable M. Lelièvre. Je n'ai pas ajourné jusqu'après la révision du code de procédure la réclamation dont il a parlé. J'ai dit à l'honorable membre qu'il pourrait être fait droit à cette réclamation par une double mesure. La première consiste à inscrire au budget une augmentation de crédit pour assurer une indemnité à certains huissiers audienciers. Je proposerai cette augmentation au budget de 1873 ; je ne puis la proposer au budget actuel, parce qu'une instruction est nécessaire et que cette instruction n'est pas terminée.
J'ai répondu, quant au tarif de 1807, que s'il n'est pas possible de le réviser aujourd'hui, il est possible de majorer les émoluments dans une certaine proportion ; mais il faut une loi et on est loin d'être d'accord sur le quantum de la majoration à accorder.
J'espère cependant pouvoir déposer un projet avant la fin de la session.
M. Guillery. - Les différents points qui ont été traités dans la discussion générale jusqu'à présent me paraissent dignes d'attention ; je placerai en premier ordre la loi sur la mise, à la retraite des magistrats.
Je conçois que M. le ministre de la justice attende encore quelque temps que l'expérience ait parlé avant de proposer des modifications à cette loi. Quant à moi, bien que je sois de ceux qui l'ont votée et défendue, je dois constater qu'elle a produit des conséquences que je n'avais pas prévues. Je crois que cette loi doit être révisée et que l'on peu même dès à présent indiquer de quelle manière elle doit l'être.
L'éméritat accordé par la législature devrait toujours être maintenu. C'est là un principe définitivement consacré et sur lequel il serait injuste de revenir ; mais ce qui ne me paraît pas aussi avantageux à l'administration ni aussi nécessaire à l'indépendance des magistrats, c'est la mise à la retraite forcée. On pourrait parfaitement revenir à peu près à l'ancien système et déclarer dans la loi que les magistrats ne pourront être mis à la retraite que par décision du corps auquel il appartient ou de la juridiction supérieure, sur la réquisition du ministère public, qui n'agirait lui-même que sur l'ordre du ministre de la justice.
On aurait ainsi un ordre émané d'un pouvoir tout à fait indépendant ; et les magistrats, comme la société, auraient la garantie d'un jugement. D'un autre côté, les tribunaux n'hésiteraient pas à prononcer puisque, sous cette législation, on n'aurait plus à craindre de placer des pères de famille dans une position de fortune qui ne leur permet plus de vivre honorablement : l'éméritat est leur garantie.
M. Bouvier. - C'est le retrait de la loi.
M. Guillery. - Je désirerais aussi appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur la nécessité d'augmenter le personnel du tribunal de Bruxelles.
(page 491) J'ai déjà eu l'honneur de traiter cette question dans cette Chambre ; je ne reviendrai pas sur les chiffres que j'ai cités, bien que je pusse maintenant trouver plus de force dans les chiffres, puisque l'arriéré du tribunal dépasse aujourd'hui, comme il était facile de le prévoir, ce qu'il était il y a deux ans.
Je suis convaincu que l'honorable ministre de la justice qui a exercé activement et avec beaucoup de distinction les fonctions d'avocat près du tribunal de Bruxelles comme près de la cour, connaît cette question mieux que moi et que je n'ai rien à lui apprendre à cet égard. Je me borne donc à lui demander quelles sont ses intentions en ce point.
Je dirai, avant de me rasseoir, deux mots en ce qui concerne la position des huissiers. Je félicite M. le ministre de la justice de ses bonnes intentions et je suis convaincu, d'après ce qu'il vient de promettre, que le prochain budget de son département fera droit à de légitimes réclamations.
Je me joins à tout ce qu'a dit l'honorable M. Lelièvre en faveur de ces honorables officiers ministériels. Il est certain qu'ils sont victimes, en ce moment, d'une véritable injustice. On leur fait exercer gratuitement des fonctions, alors qu'il n'y a aucune espèce de raison pour leur imposer cette charge sans indemnité. En définitive, personne dans la société n'exerce des fonctions aussi longues et aussi pénibles sans être rétribué.
A Bruxelles tout particulièrement, devant les tribunaux correctionnels et les juges d'instruction, il y a des huissiers dont tout le temps est, pour ainsi dire, pris sans indemnité. Cela est véritablement injuste. On peut d'autant mieux recommander ces officiers ministériels à l'équité et à la bienveillance du gouvernement qu'il faut bien le dire à l'honneur de ce corps : il n'est plus aujourd'hui ce qu'il était il y a trente ou quarante ans.
Il est composé d'hommes très honorables, se conduisant de la manière la plus irréprochable ; les anciens abus, les abus si criants qui se montraient autrefois ont disparu ; il est donc juste de faire tout ce qu'il est possible pour relever une fonction qui est exercée véritablement d'une manière très convenable.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - L'honorable M. Guillery s'est occupé d'une question qu'il a déjà traitée en une autre occasion, celle de l'augmentation du personnel du tribunal de Bruxelles.
J'ai l'honneur d'informer la Chambre que, dans le courant de cette session, je pourrai déposer un projet de loi portant augmentation du personnel des tribunaux de Bruxelles et de Nivelles, car on a vu se produire, à Nivelles, les mêmes nécessités qu'à Bruxelles.
M. Hagemans. - Quand l'honorable M. Bara était au pouvoir, nous partisans de l'abolition de la peine de mort, nous étions rassurés : nous avions la certitude qu'aucune exécution capitale ne viendrait ensanglanter nos places publiques.
Je désirerais savoir quelles sont, à cet égard, les opinions de M. le ministre de la justice. Je serais heureux d'apprendre que, sur ce point du moins, il est d'accord avec l'honorable M. Bara et avec nous.
M. Lescarts. - Messieurs, des critiques très vives s'élèvent en quelque sorte à chaque discussion du budget de la justice à propos des nominations dans l'ordre judiciaire et dans le notariat. Le mode de nomination des notaires et des magistrats de première instance est, en effet, tout à fait vicieux en Belgique : aucune garantie n'existe pour les postulants ; tout dépend de l'unique volonté du ministre de la justice, et le plus souvent les places de notaires et de juges sont données en récompense de services électoraux ou bien sont accordés à ceux qui réunissent en faveur de leur candidature le plus d'influences. Alors qu'on ne devrait avoir égard qu'aux titres réels des candidats, basés sur l'honorabilité, le savoir et le travail, on ne se laisse souvent guider que par des considérations de fortune, de famille, d'influence électorale, de services politiques, etc. Si l'égalité des Belges à l'obtention des emplois publics est inscrite dans la loi, je ne crains pas de dire que la plupart du temps elle n'existe pas en fait.
Dernièrement à l'assemblée de Versailles, dans un discours sur la réforme de la magistrature, M. Emmanuel Arago blâmait vivement ce qu'il appelait le « fléau des recommandations. » Ce fléau n'existe pas seulement en France. En Belgique également l'abus des influences existe : et cet abus existe au ministère de la justice plus que partout ailleurs. Très fréquemment les nominations y sont dues à la faveur : et la grande préoccupation des solliciteurs est bien moins d'établir leurs titres à l'obtention d'une fonction que de chercher à se concilier l'appui d'un personnage influent.
Voici, messieurs, ce que M. Rutgeerts, professeur à l'université de Louvain, écrivait à ce sujet en 1866 :
« Le ministre de la justice est seul maître de toutes les demandes ; il est constitué juge souverain, omnipotent, irresponsable même des mérites de tous les aspirants ; il dispose arbitrairement, sans devoir rendre compte à personne, de toutes les places de notaires ; ni hiérarchie, ni contrôle, ni publicité n'existent dans l'appréciation des titres des candidats ; ce n'est pas toujours l'âge, l'étude, l'intelligence, la probité, la délicatesse qui servent de base à l'appréciation. La volonté personnelle du ministre fixe le droit du gouvernement, sans qu'on puisse dire d'après quelles règles de préférence et d'avancement. »
Un abus contre lequel on ne saurait également trop s'élever, c'est la ratification par le gouvernement des traités de cession des notariats.
La vénalité des offices de notaires a toujours été condamnée en Belgique, ostensiblement du moins :
Prohibée par la loi du 6 octobre 1791, elle fut également condamnée par un arrêté du Régent de Belgique du 16 mars 1831. « Le gouvernement, disait cet arrêté, ne peut admettre de pareils arrangements sans aliéner le droit d'initiative que la loi lui réserve, sans encourager le trafic de fonctions qui ne sont pas vénales, et sans priver le public des avantages qui doivent résulter de l'émulation et du concours des candidats. »
La vénalité est contraire à l'esprit de nos institutions et à la Constitution belge, qui dit que tous les Belges sont admissibles aux emplois civils et militaires.
L'honorable M. d'Anethan, ministre de la justice, annonçait, dans une circulaire datée du 26 juillet 1843, que nos lois ne permettent la transmission à prix d'argent d'aucun office ou charge dont les titulaires sont nommés par le gouvernement : « Avec de pareils arrangements, disait-il, les candidats peu favorisés de la fortune pourraient difficilement aspirer à des fonctions qui, d'après l'esprit de nos institutions, doivent être accessibles à tous, sans autre cause de préférence que le mérite personnel ou les services rendus. »
M. d'Anethan allait même plus loin et ajoutait :
« Ces conventions, contraires à la loi, loin d'être un titre pour les candidats, seront plutôt un obstacle à leur nomination. »
« La vénalité, dit encore M. Rutgeerts, est contraire à la libre concurrence et à l'intérêt public : elle tend à faire prévaloir les prétentions du candidat qui a de la fortune sur les titres de celui qui n'a que sa capacité, son mérite et sa probité à faire valoir. »
Elle est condamnée et par la loi et par l'esprit de nos institutions, et je ne pense pas qu'elle trouverait dans cette Chambre un seul défenseur.
Mais, messieurs, si la vénalité n'existe pas légalement, ostensiblement-, elle n'en existe pas moins en fait, et très fréquemment nous voyons des ministres de la justice ratifier des marchés ayant pour objet la cession d'un notarial : il est vrai que ces ministres ont bien soin de dire hautement et publiquement qu'ils ne connaissent pas ces marchés. C'est là de la vénalité clandestine ; certainement plus condamnable que la vénalité légale.
En France, en effet, messieurs, où la vénalité existe légalement, tous ceux à qui leur position de fortune ne permettra pas d'acquérir un jour un notariat n'embrassent pas une carrière qui ne leur offre pas d'avenir. Il n'en est pas de même en Belgique : se fiant sur l'article de la Constitution belge, qui dit « que tous les Belges sont admissibles aux emplois publics, » un grand nombre de nos concitoyens peu fortunés embrassent la carrière du notariat. Qu'arrive-t-il ? C'est que, ne pouvant traiter de l'acquisition d'un notariat, ils se voient préférer des candidats moins âgés, moins capables, mais plus favorisés de la fortune. »
Un tel état de choses est indigne d'un pays qui se vante à tout propos de ses institutions démocratiques et égalitaires, et je m'étonne, messieurs, qu'une loi ne soit pas venue mettre un terme à ces abus et enlever la nomination des notaires à l'omnipotence ministérielle.
En 1848, alors qu'un besoin général de réformes se faisait sentir, M. de Haussy, ministre de la justice, avait institué une commission, compose de douze membres, qu'il avait chargée d'élaborer un nouveau projet de loi sur le notariat. Cette commission, reconnaissant la défectuosité du mode actuel de nominations, avait proposé le système suivant :
« Les notaires sont nommés par le Roi sur deux listes triples présentées, l'une par la chambre de discipline des notaires, et l'autre par le tribunal de première instance de l'arrondissement judiciaire dans lequel la place est vacante.
« Les candidats portés sur une liste pourront être portés sur l'autre.
« Les présentations seront rendues publiques au moins quinze jours avant la nomination. »
. Les chambres de discipline et le tribunal de première instance, placés au centre du ressort, sont en effet les autorités les plus capables d'apprécier les titres des candidats.
(page 492) C'est le système admis pour les nominations dans la magistrature supérieure : c'est également sur la présentation de candidats pur le tribunal de première instance que se font les nominations d'avoués et d'huissiers. Pourquoi n'appliquerait-on donc pas ce système au notariat et aux magistrats de première instance ?
Aussi longtemps que le système actuel sera en vigueur, il n'y aura aucune garantie de justice dans les nominations notariales et judiciaires.
J'engage donc M. le ministre de la justice à continuer l'œuvre qu'avait entreprise M. de Haussy : c'est, je pense, le seul moyen d'arriver à une répartition équitable des fonctions notariales.
Je me permettrai d'adresser encore une observation à M. le ministre de la justice : je le prierai de ne pas accepter de démissions et de faire de nominations par un seul et même arrêté aux places vacantes, soit dans la magistrature, soit dans le notariat. Je ne puis que blâmer un tel système tout à fait irrégulier et destiné surtout à faciliter des actes de favoritisme.
Je demanderai donc à M. le ministre de la justice, dès qu'une démission sera donnée, de laisser la place vacante pendant un certain temps : il est juste, en effet, messieurs, que dès qu'une vacature se produit dans une fonction publique, tous les candidats qui peuvent y aspirer aient la faculté de faire valoir leurs titres : il est rationnel également d'attendre que les autorités qui doivent être consultées aient pu déposer leurs rapports.
Lors de la discussion du budget de la justice en section centrale, la section ayant posé à M. le ministre la question de savoir « si le nombre des notaires était partout en rapport avec le chiffre de la population et l'importance des affaires ? » M. le ministre de la justice répondit que « le gouvernement aurait soin, si l'utilité d'augmenter le nombre des notaires venait à se produire dans l'une ou l'autre localité du pays, de proposer les mesures nécessaires pour pourvoir aux nouveaux besoins qui seront établis. »
« Une enquête, ajoutait le ministre, est même en ce moment ouverte, à l'effet de vérifier s'il n'y a pas lieu de créer une place nouvelle dans les cantons judiciaires d'Anvers. »
Je prierai M. le ministre de la justice de vouloir bien faire porter également cette enquête sur la demande que depuis de très longues années la commune de Jemmapes a adressée au gouvernement pour obtenir la création d'un notariat dont le siège serait dans cette commune. Les considérations qui militent en faveur de la réclamation des habitants de Jemmapes sont des plus sérieuses, et je ne doute pas qu'après en avoir reconnu le bien-fondé, M. le ministre ne s'empresse d'y faire droit.
Le canton de Mons, dont la population est aujourd'hui de 56,300 habitants, compte dix notaires : tous ont leur siège à Mons : en 1800, alors que le canton de Mons ne renfermait que 35,000 habitants, le nombre des notaires était déjà le même ; la population du canton de Mons a considérablement augmenté, sans que le nombre de notaires se soit accru : le nombre et l'importance des affaires se sont accrus dans les mêmes proportions.
Il résulte, en effet, d'un tableau que j'ai sous les yeux, que pendant la période décennale de 1856 à 1867, ce sont les notaires de Mons qui ont reçu en moyenne le plus d'actes en Belgique : il en est de même pendant la période de 1848 à 1857.
Pendant la période de 1858 à 1867, chaque notaire de Mons a reçu, en moyenne, 385 actes, ceux de Bruxelles 368 actes, ceux de Louvain 344 actes, ceux de Liège 334 actes, ceux de Namur 328 actes, ceux de Tournai 278 actes, ceux de Hasselt 266 actes, ceux de Gand 251 actes, ceux d'Anvers 195 actes et ceux de Bruges 149 actes.
Pendant la période de 1848 à 1857, chaque notaire de Mons a reçu, en moyenne, 322 actes et ceux de Bruxelles 284 actes.
Quant à l'importance des actes, pendant la période décennale de 1861 à 1870, la somme annuelle versée à l'enregistrement par les notaires de Mons a été en moyenne de 309,366 francs, ce qui représente, par chaque notaire, une moyenne de 30,936 francs.
Si, malgré le chiffre et l'importance considérable de ces actes, la nécessité ne s'est pas fait sentir de créer de nouveaux notariats à Mons, il n'en est pas de même à Jemmapes,
La commune de Jemmapes est, après Mons, la commune la plus peuplée de tout l'arrondissement de Mons : elle avait, avant sa séparation du Flénu, 12,115 habitants. Jemmapes est à très courte distance de Cuesmes (6,131 habitants) et de Ghlin (3,892 habitants). Ces communes réunies forment un ensemble de 22,000 habitants.
L'industrie et le commerce sont à Jemmapes très développés : cette commune est distante de Mons de plus de 5 kilomètres.
Je pense donc, messieurs, qu'il serait de toute justice de donner enfin satisfaction à la réclamation des habitants de Jemmapes, et qu'il y a pour le moins autant de motifs de créer un notariat dans cette commune que dans les cantons judiciaires d'Anvers.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - L'honorable M. Hagemans désire connaître quelles sont mes intentions relativement à l'application de la peine de mort.
Je ne puis pas promettre à la Chambre que je n'exécuterai pas une loi qu'elle ne juge pas à propos de révoquer ; et je ne veux surtout pas promettre aux assassins de recommander à la Couronne des mesures qui leur assureraient une impunité, même partielle.
Mais je rassurerai l'honorable membre en ajoutant que j'ai eu l'honneur d'apprendre le droit criminel à l'école de l'honorable M. Thonissen et que je partage en cette matière les opinions qu'il n'a cessé de soutenir.
Quant aux points traités par l'honorable M. Lescarts, il me serait difficile de répondre à des recommandations faites dans des termes aussi généraux. L'honorable membre critique les nominations de faveur, celles particulièrement qui sont dues aux démarches des députés. Je ne sais qui ces critiques atteignent le plus, du ministre ou des députés. Le moyen le plus pratique assurément d'empêcher le ministre de commettre les fautes que l'honorable député redoute serait que les députés se montrassent très sobres de sollicitations et très scrupuleux dans le choix de ceux qu'ils recommandent.
Quant à la ratification des cessions d'office, cessions qui rétablissent indirectement la vénalité des emplois, je ne sache pas qu'un reproche quelconque puisse m'être fait à cet égard.
M. Lescarts. - J'ai blâmé en général les abus qui se produisent dans les nominations notariales, mais je n'ai pas eu l'intention de faire allusion à aucun acte posé par l'honorable M. De Lantsheere.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Je suis très décidé à ne jamais prêter la main à des pactes de cette nature ; seulement je dois faire remarquer à la Chambre que, lorsqu'un notaire vient à donner sa démission, il se rencontre toujours quelque compétiteur, peu scrupuleux, qui ne trouve de meilleur grief contre le concurrent qu'il redoute que d'accuser celui-ci d'avoir traité avec le notaire démissionnaire. Il peut se faire que des marchés de cette nature existent, mais la seule chose que vous puissiez demander au ministre, c'est qu'il les ignore d'abord et que, lorsqu'il les connaît, il n'y ait aucun égard.
L'honorable membre m'a recommandé encore de ne pas faire paraître simultanément les arrêtés portant acceptation de démissions et les arrêtés nommant les successeurs des démissionnaires.
A cet égard, voici, je pense, quelle a été jusqu'à présent la jurisprudence suivie. Lorsque le démissionnaire est un notaire dont le fils présente toutes les conditions requises, il est d'usage de ne pas ouvrir une instruction inutile.
Dans les autres cas, à moins que le gouvernement ne possède des renseignements suffisants, une instruction est ouverte. Dix jours sont accordés aux candidats pour la production de leurs requêtes. Ce délai est certes suffisant. Les solliciteurs attendent même rarement qu'une place soit ouverte pour la postuler. Vingt jours sont ensuite donnés pour l'instruction.
Voilà donc un délai de trente jours, délai suffisant, sans doute, pour permettre à toutes les prétentions légitimes de se produire et pour permettre aussi à toutes les autorités de se prononcer en connaissance de cause.
L'honorable membre me demande enfin d'examiner la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de créer un notariat à Jemmapes. Je promets à l'honorable membre que je ferai instruire cette question immédiatement. Seulement, je le prierai de bien vouloir me défendre, lorsqu'on m'accusera d'instituer des places pour y mettre des créatures.
(page 495) M. Bara.- Messieurs, je désire signaler à l'attention de la Chambre quelques modifications qui ont été introduites dans la jurisprudence du ministère de la justice.
La première est relative à l'application de la loi organique du 18 germinal an X, relativement aux fondations de messes. Je demande pardon à la Chambre de devoir traiter un peu longuement cette question aride ; mais j'y suis forcé, et mes honorables collègues reconnaîtront qu'elle ne peut être élucidée sans d'assez longs développements.
J'ajoute que les observations que j'aurai à présenter ne concernent pas le ministère actuel, puisqu'il n'est pas à ma connaissance que l'honorable M. De Lantsheere ait appliqué la jurisprudence qui a été mise en vigueur par l'honorable M. Cornesse.
Messieurs, le gouvernement, sous le ministère de M. d'Anethan, nous disait qu'il ne nous présenterait pas de loi politique. Mais il ne se faisait pas faute, en certains points, de violer les lois existantes.
Je n'en veux pour exemple que ce qui a été fait en matière de fondations de messes. On a ouvert la porte au rétablissement des bénéfices qui ont été supprimés par les lois révolutionnaires. Et voici comment le fait s'est passé.
A la suite de la loi sur les fabriques d'église, la députation permanente de Liège inséra dans les budgets des fabriques soumis à son approbation l'observation suivante :
« On se conformera au tarif diocésain pour l'acquit des anniversaires, messes fondées, etc. Un état détaillé, accompagné des pièces constatant l'obligation de les desservir, devra en être produit, à l'appui du compte. »
D'après la députation, on ne pouvait donc donner un prix supérieur à ceux fixés par le tarif diocésain. Cette décision de la députation permanente de Liège était conforme à la jurisprudence du département que j'occupais alors. Un arrêté royal du 21 février 1870 avait annulé un arrêté de la députation permanente du Brabant approuvant l'acceptation d'une donation pour anniversaires dont les honoraires dépassaient le taux fixé par le tarif diocésain.
M. l'évêque de Liège s'empressa de réclamer contre la décision de la députation permanente, et il envoya au Roi un long mémoire imprimé dans lequel il demandait formellement que tort fût donné à la députation et que sa décision fût rendue inefficace.
M. le ministre de la justice ne tarda pas à adhérer à l'opinion de M. l'évêque de Liège et adressa une lettre adoptant cette manière de voir à M. le gouverneur du Limbourg, à la date du 16 décembre 1870. Cette lettre fut envoyée en copie à tous les gouverneurs le 30 décembre 1870. Ces deux documents se trouvent au Recueil des circulaires du ministère de la justice de l'année 1870.
M. le ministre de la justice, dans ses instructions, décide qu'à l'avenir il ne se conformera pas à la doctrine que j'avais admise dans l'arrêté du 21 février 1870.
Désormais donc, le gouvernement se réservait d'autoriser les fabriques d'église à accepter des fondations de messes, obits, etc., à des taux supérieurs à ceux fixés par les tarifs.
Ainsi, messieurs, un fondateur ordonnât-il la création d'une messe basse anniversaire au taux de 1,000 francs par an, si le gouvernement ne trouve pas ce taux exagéré, si le gouvernement l'admet et approuve l'acceptation, ce taux devient légal.
Eh bien, messieurs, comme j'aurai l'honneur de vous le démontrer, c'est le rétablissement des bénéfices.
Avant de traiter cette question, je dirai quelques mots sur la création des fondations de messes et la fixation des honoraires.
Autrefois les ministres des cultes n'étaient pas payés par l'autorité. Ils vivaient des offrandes que les fidèles faisaient lors de la célébration de la messe.
Mais bientôt la générosité des fidèles diminua ; les dons ne furent plus en rapport avec les nécessités de la subsistance des ministres des cultes. On se mit alors à percevoir des honoraires, qui étaient souvent très exagérés. Les plus grands abus se produisirent. Les confesseurs demandaient aux malades la création de nombreuses messes et se les faisaient payer des prix exorbitants. Il n'y a pas d'abus scandaleux auxquels cette pratique n'ait pas donné lieu. C'était une véritable fraude organisée par la cupidité la plus condamnable. Toutes les autorités religieuses le reconnaissaient.
Non seulement on ne disait pas toutes les messes et on en touchait le prix (chacun sait qu'un prêtre ne peut, à moins d'autorisation ou d'exceptions admises, dire la messe sans communier ; la messe sèche n'est pas une messe), mais à l'aide d'un procédé peu convenable, pour ne pas dire plus, on touchait des honoraires, pour cinq ou six messes qu'on disait en même temps, en se bornant à communier une fois et en récitant cinq ou six fois les évangiles et les épîtres. On faisait aussi des marchés avec des prêtres pour célébrer les messes que l'on ne pouvait réciter. (Interruption.)
J'expose les faits tels que les écrivains religieux les exposent eux-mêmes. Les abus devinrent si criants et prirent de telles propositions que des conciles et les autorités religieuses les plus considérables défendirent aux confesseurs d'engager les fidèles à fonder des messes, ils prohibèrent toutes les messes sèches, toutes les messes à deux faces, à trois faces et toutes les pratiques que nous venons de signaler.
Les conciles d'Aix-la-Chapelle, de Londres, d'York et d'autres, l'archevêque de Cantorbéry durent recourir à ces mesures pour faire cesser, si possible, ces fraudes et mettre fin aux obsessions qui étaient exercées auprès des fidèles pour les engager à faire dire des messes.
Plus tard, il n'en fut plus de même. Dans un régime qui permettait une grande extension de la mainmorte au profit du clergé, on fonda des messes tant qu'on voulut et on établit les honoraires qui convenaient à ceux qui devaient profiter de la célébration de ces anniversaires.
La révolution fit tomber toutes ces fondations.
Arrivèrent le concordat et la loi organique de l'an X. Que fit-on ? Il est évident que le législateur qui venait d'abolir lés bénéfices, c'est-à-dire le droit perpétuel de recevoir les revenus d'une fondation pieuse accordé à un clerc à raison de quelque office spirituel, ne pouvait pas songer à rétablir, sous une autre forme, les inconvénients que cette mainmorte avait produits.
Dans le concordat et dans la loi organique, on permit deux choses : on reconnut le droit de fonder 1° pour les églises et pour l'entretien des ministres des cultes, 2° pour les messes, les obits et les anniversaires, etc.
Ainsi deux reconnaissances bien distinctes : on permet de fonder pour l'exercice du culte et pour l'entretien de ses ministres, et on autorise les fidèles à fonder pour assurer à leurs âmes l'accomplissement de messes, d'anniversaires, d'obits, mais à des prix fixés par les règlements.
Ces droits, tels que nous venons de les déterminer, sont déposés dans l'article 69 de la loi du 18 germinal, qui est ainsi conçu :
« Les évêques réviseront les projets de règlements relatifs aux oblations que les ministres des cultes sont autorisés à recevoir pour l'administration des sacrements. Les projets de règlements rédigés par les évêques ne pourront être publiés ni autrement mis à exécution qu'après avoir été approuvés par le gouvernement. »
Et dans l'article 73 de la même loi :
« Les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres et l'exercice du culte ne pourront consister qu'en rentes constituées sur l'Etat ; elles seront acceptées par l'évêque diocésain et ne pourront être exécutées qu'avec l'autorisation du gouvernement. »
Ainsi, messieurs, dans le premier article on règle tout ce qui est relatif (page 496) à la création de messes, d'obits, d'anniversaires ; dans le second article, on règle les fondations pour le culte et pour l'entretien de ministres du culte. Ces deux dispositions s'occupent donc de choses complètement différentes : l'une a rapport aux messes, elle est étrangère au clergé qui n'en profite qu'indirectement, elle ne concerne que le fidèle qui veut s'assurer des prières pour le salut de son âme, elle ne touche, en un mot, qu'à un intérêt particulier ; l'autre, au contraire, a trait au service du culte, elle concerne le clergé, à l'entretien duquel elle pourvoit, enfin elle a pour but de desservir un intérêt général.
Mais en édictant ces dispositions, on ne pouvait évidemment vouloir rétablir les anciens bénéfices sous quelque forme que ce fût. Portalis, qui fit le rapport sur la loi organique, ne pouvait songer à restaurer ce que la révolution française avait supprimé et abattu.
Aussi prit-on des garanties contre les dangers pouvant résulter, en matière de fondations de messes, de la vanité des testateurs et des obsessions des ministres du culte auprès des fidèles.
La législation sur le temporel des cultes et notamment le décret de 1809 défend, aux fondateurs, de désigner les personnes qui diront les messes, et la loi organique fixe l'honoraire en déclarant qu'il ne peut être supérieur au taux établi par le tarif diocésain approuvé par le gouvernement.
Des tarifs furent proposés au gouvernement, notamment par l'évêque de Liège Zaepffel. Ce tarif était en général conforme aux usages admis. Mais, dans le tarif de l'évêque de Liège, lequel fut approuvé par deux décrets impériaux, du 13 thermidor an XIII et du 22 brumaire an XIV, se trouvait une disposition portant que lorsque les revenus de la fondation suffisaient pour donner au prêtre officiant un salaire supérieur au taux fixé par le tarif diocésain, on pouvait le lui accorder, on devait suivre en ce cas la volonté du fondateur. Cette disposition du tarif diocésain de Liège faisait disparaître complètement le but de la loi organique de l'an X et rétablissait les bénéfices dans un de leurs plus grands dangers, en ce sens que les honoraires des messes pouvaient dépasser le taux en usage, le taux fixé par le tarif diocésain et que ce taux était abandonné aux caprices ou aux faiblesses du fondateur.
Cette disposition est en complète opposition avec l'article 69 de la loi organique ; elle est par conséquent illégale et elle ne peut avoir aucune valeur.
Vous le savez, messieurs, c'est Portalis qui a préparé la disposition dont nous nous occupons ; il s'est expliqué de la manière la plus complète sur les deux articles dont nous vous avons donné connaissance. Voici comment il s'exprimait. Je demande pardon à la Chambre de la longueur de la citation, mais elle est indispensable à ma démonstration ; elle l'est d'autant plus que M. l'évêque de Liège dans son mémoire au Roi, mémoire sur lequel s'est appuyé l'honorable ministre de la justice d'alors, M. l'évêque de Liège n'a cité de Portalis que certains passages et a omis ceux qui condamnaient la thèse qu'il défendait :
« Dans les premiers âges du christianisme, le désintéressement des ministres ne pouvait être soupçonné et la ferveur des chrétiens était grande ; on ne pouvait craindre que les ministres exigeassent trop ou que les chrétiens donnassent trop peu ; on pouvait s'en rapporter avec confiance aux vertus de tous.
« L'affaiblissement de la piété et le relâchement de la discipline donnèrent lieu à des taxations, autrefois inusitées, et changèrent les rétributions volontaires en contributions forcées : de là les droits que les ecclésiastiques ont perçus sous le titre d'honoraires pour l'administration des sacrements.
« Ces droits, dit l'abbé Fleury, qui ne se payaient qu'après l'exercice des fonctions, ne présentent rien qui ne soit légitime, pourvu que l'intention des ministres qui les reçoivent soit pure et qu'ils ne les regardent pas comme un prix des sacrements ou des fonctions spirituelles, mais comme un moyen de subvenir à leursnécessités temporelles.
« Les ministres du culte pourront trouver une ressource dans les droits dont nous parlons et qui ont toujours été maintenus sous le nom de louables coutumes. Mais la fixation de ces droits est une opération purement civile et temporelle, puisqu'elle se résout en une levée de deniers sur les citoyens. Il n'appartient donc qu'au magistrat politique de faire une telle fixation. Les évêques et les prêtres ne pourraient s'en arroger la faculté ; le gouvernement seul doit demeurer arbitre entre le ministre qui reçoit et le particulier qui paye. Si les évêques statuaient autrefois sur ces matières par forme de règlement, c'est qu'ils y avaient été autorisés par les lois de l'Etat et nullement par la suite ou la conséquence d'un pouvoir inhérent à l'épiscopat.
« Cependant, comme ils peuvent éclairer sur ce point le magistrat politique, on a cru qu'ils pouvaient être invités à présenter les projets de règlements en réservant au gouvernement la sanction et l'autorisation de ces projets.
« Les fondations particulières peuvent être une source de revenus pour les ministres du culte ; mais il est des précautions à prendre pour arrêter la vanité des fondateurs, pour prévenir les surprises qui pourraient être faites et pour empêcher que les ecclésiastiques ne deviennent les héritiers de tous ceux qui n'en ont point ou qui ne veulent point en avoir.
« L'édit de 1749, intervenu sur les acquisitions des gens de mainmorte, portait que toute fondation, quelque favorable qu'elle fût, ne pourrait être exécutée sans l'aveu du magistrat politique ; il ne permettait d'appliquer aux fondations que des biens d'une certaine nature ; il ne permettait pas que les familles fussent dépouillées de leurs immeubles ou que l'on arrachât de la circulation des objets qui sont dans le commerce. Aujourd'hui il était d'autant plus essentiel de se conformer aux sages vues de cette loi que la faculté de donner des immeubles joindrait à tant : d'autres inconvénients celui de devenir un prétexte, de solliciter et d'obtenir, sous les apparences d'une fondation libre, la restitution souvent forcée des biens qui ont appartenu aux ecclésiastiques et dont l'aliénation a été ordonnée par les lois. »
Vous voyez donc, messieurs, que, d'après Portalis, il n'appartient qu'à l'autorité civile de régler le taux des honoraires des messes, que ni l'autorité épiscopale ni le particulier ne peut le fixer, que cette attribution rentre dans les droits du pouvoir politique, que c'est une affaire purement temporelle parce que cela se résume en prélèvement de deniers sur les citoyens. D'un autre côté, il disait que cela devait être ainsi pour combattre la vanité des fidèles et mettre un frein aux obsessions des ministres des cultes.
Il est clair, en présence de cette citation, qu'on ne peut, par une clause introduite dans les règlements exigés par l'article 69, détruire complètement le but que le législateur s'est proposé en décrétant cet article, Déclarer que les fondateurs sont libres de faire ce qu'ils voudront, de fixer au delà d'un minimum les honoraires comme ils l'entendent, c'est rendre inutiles les règlements, c'est supprimer les avantages qu'on en attendait, c'est, contrairement à l'intention manifeste du législateur, exciter la vanité des fidèles et donner libre carrière aux obsessions des confesseurs et des ministres du culte.
Aussi, messieurs, pareille clause est-elle illégale.
L'article 69 de la loi organique a été constamment compris comme je viens de vous le dire. L'honorable M. Cornesse, qui a donné raison à M. l'évêque de Liège, a été induit en erreur par ce prélat.
L'évêque prétendait dans son mémoire qu'au mois de février 1870 cette question a reçu de mol une solution nouvelle, inconnue jusqu'à ce jour. C'était une des monstruosités dont je m'étais rendu coupable.
Jusque-là, les fondateurs pouvaient, paraît-il, créer des messes à 10,000 francs d'honoraires.
Mais arrive M. Bara, qui avait d'abord admis lui-même cette interprétation de la loi et qui, réagissant tout à coup, introduit une jurisprudence nouvelle.
L'évêque de Liège affirme de plus que son opinion est celle de M, Tielemans.
Non seulement cette opinion n'est pas celle de M. Tielemans, mais elle est condamnée de toutes les manières. Vous allez voir s'il peut y avoir le moindre doute à cet égard.
Quand les biens grevant les fondations de messes ont été rendus aux fabriques après le concordat, il est intervenu un décret qui est du 22 Thermidor an XIII et qui porte ce qui suit ;
« Décret relatif à l'administration des biens chargés de fondations pour services religieux, à la perception des revenus de ces biens et à l'acquit des fondations
« Art. 1er. Les biens et revenus rendus aux fabriques par les décrets et décisions des 7 thermidor an XI et 23 frimaire an XII, soit qu'ils soient ou non chargés de fondations pour messes, obits ou autres services religieux, seront administrés et perçus par les administrateurs desdites fabriques, nommés conformément à l'arrêté du 7 thermidor an XI ; ils payeront aux curés, desservants ou vicaires, selon le règlement du diocèse, les messes, obits et autres services auxquels lesdites fondations donnent lieu, conformément au titre. »
Vous voyez donc bien que, d'après cet arrêté, les honoraires doivent être payés non conformément à la volonté du testateur, mais conformément aux tarifs diocésains.
Eh bien, certains marguilliers font des réclamations ; ils voulaient payer les honoraires tels qu'ils étaient fixés par les actes de fondations, ils (page 497) s'adressent à l'empereur, qui soumet leurs réclamations au conseil d'Etat, et voici l'avis qu'émet le conseil d'Etat, avis qui fut approuvé par l'empereur ; vous verrez après cela s'il peut encore y avoir l'ombre d'un doute :
« Le conseil d'Etat qui, d'après le renvoi de Sa Majesté, a entendu le rapport de la section de législation sur celui des ministres des cultes concernant diverses questions qui lui ont été proposées par les marguilliers de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, sur l'exécution de la décision de Sa Majesté du 25 frimaire an XII qui étend les dispositions de l'arrêté du 7 thermidor an XI aux fondations pour messes, anniversaires, obits, etc.
« Est d'avis, sur la première question, savoir : « Les anciens titulaires des fondations peuvent-ils prétendre en acquitter les charges de préférence à tout autre ecclésiastique ? » - que le gouvernement, en rétablissant les fondations dont les biens et rentes subsistent encore, n'a entendu rétablir que la condition principale, celle d'acquitter les charges en prières et services religieux que le fondateur a prescrits et non les conditions accessoires, et surtout de l'attribution exclusive à tel ou tel prêtre d'exécuter ce service religieux ; que si l'on admettait cette attribution exclusive, ce serait rétablir les bénéfices simples, ce qui serait contraire à l'esprit de la loi du 18 germinal an X.
« Sur la deuxième question, savoir : « Le prêtre qui acquitte les charges d'une fondation doit-il jouir du revenu entier comme par le passé ? » que cette question est résolue par l'arrêté de Sa Majesté du 22 fructidor dernier, qui ordonne que les biens et revenus des fondations des fabriques seront administrés par les administrateurs desdites fabriques, qui payent aux curés, desservants ou vicaires, selon les règlements du diocèse, les messes, obits ou autres services auxquels lesdites fondations donnent lieu.
« Sur la troisième question, savoir : « Le droit que le fondateur a réservé a certaines familles d'acquitter les fondations est-il maintenu ? » que par les mêmes motifs de l'avis sur la première question, ce droit ne peut pas être maintenu, attendu qu'il établirait privilège et que le gouvernement n'a rétabli que l'objet principal des fondations. »
Ainsi donc, messieurs, c'est clair. Impossibilité de payer les honoraires à un taux dépassant le tarif du diocèse ; obligation de se conformer à ce tarif et répudiation complète de tout taux supérieur quand bien même il se trouverait dans l'acte de fondation.
Au sujet du décret de fructidor an XIII et de cet avis du conseil d'Etat, que décide M. Cornesse ? Il prétend que ces actes ne règlent que le passé, qu'ils concernent les fondations anciennes, mais que pour les fondations nouvelles, pour celles qui ont suivi la loi organique de l'an X, il y a possibilité de fixer des honoraires supérieurs au taux du tarif diocésain.
Voyez, messieurs, la singulière théorie de M. Cornesse ! Portalis et la loi organique auraient prétendu que les anciennes fondations ne pouvaient avoir un taux supérieur au tarif diocésain, mais ils auraient en même temps décidé que pour l'avenir on pourrait faire ce qu'on voudrait, c'est-à-dire qu'une législation faite contre les abus que la révolution avait supprimés aurait maintenu cette suppression d'abus pour le passé, mais leur aurait ouvert la porte pour l'avenir.
Peut-on imaginer qu'une idée aussi étrange ait régné dans la tête des auteurs de la loi organique ? Comment ! on trouve que la mainmorte est une chose mauvaise, on trouve que les bénéfices doivent être supprimés, et le législateur aurait dit : Les bénéfices sont supprimés pour le passé,. mais demain on peut recommencer à en constituer. (Interruption.)
C'est ce qu'a décidé l'honorable M. Cornesse.
Eh bien, cette décision de l'honorable ancien ministre est condamnée par le décret de l'an X, par les termes formels de l'arrêté du 22 fructidor an XIII, que je vous ai lu, et par l'avis du conseil d'Etat. L'honorable M. Cornesse se trompe lorsqu'il croit que l'opinion émise dans l'avis du conseil d'Etat ne s'applique qu'au passé. Elle s'applique aussi bien à l'avenir qu'au passé. Elle fixe d'une manière précise le sens et la portée de l'article 69 de la loi organique. Et qui le dit ? C'est un homme, à l'autorité duquel tout le monde rend hommage, un homme qui n'a pas examiné cette question pour les besoins de la cause, un homme qui a fait de toute sa vie l'examen de ces questions et qui écrivait, en 1846, il y a vingt-six ans, dans le Répertoire du droit administratif, ce que je vais vous lire. Il y a donc vingt-six ans que la question était connue et résolue. M. l'évêque de Liège se trompe en disant que la question est nouvelle.
Voici ce que disait M. Tielemans.
Il cite le décret de fructidor an XIII, et l'avis du conseil d'Etat que je viens d'invoquer et qui défend de prélever un taux supérieur aux honoraires tels qu'ils sont fixés par le tarif diocésain, et il ajoute :
« Ces réponses n'exigent pas de commentaire. Elles résument tout l'esprit de la loi avec une lucidité et une précision qui satisfera les moins clairvoyants ; lies sont la confirmation la plus explicite de ce que nous avons dit précédemment sur le droit de fondation en général, Et, en effet, les principes qui s'y trouvent rappelés ne concernent pas seulement les fondations anciennes dont il s'agit dans les arrêtés des 28 frimaire an XII et 22 fructidor an XIII ; ils s'appliquent à toutes celles qui ont pu être faites depuis ou que l'on ferait à l'avenir. Ces principes sont d'une application universelle puisqu'ils tiennent à l'esprit même de la loi qui a organisé le culte. Aussi le gouvernement les a-t-il répétés à dessein dans le décret du 30 décembre 1809 sur les fabriques. L'article 30 de ce décret dit d'abord que le curé ou desservant agréera les prêtres habitués et leur assignera leurs fonctions ; puis l'article 31 ajoute :
« Les annuels auxquels les fondateurs ont attaché des honoraires et généralement tous les annuels emportant une rétribution quelconque seront donnés de préférence aux vicaires et ne pourront être acquittés qu'à leur défaut par les prêtres habitués ou autres ecclésiastiques, à moins qu'il n'en ait été ordonné autrement par les fondateurs.
« Ainsi, pour conclure, on ne pourrait stipuler aujourd'hui en faisant une fondation :
« 1° Que le droit d'en acquitter les charges est réservé exclusivement à un prêtre de telle ou telle famille, localité, ordre ou congrégation ;
« 2° Que les revenus entiers de la fondation seront payés au prêtre qui en acquittera les charges.
« Avec de pareilles stipulations, si elles pouvaient avoir effet, on rétablirait les bénéfices simple et les privilèges que la loi a supprimés ; on rentrerait dans l'ancien régime et les fondations qui d'après la loi de l'an X doivent être faites aux églises comme établissements d'utilité publique, soit pour l'exercice du culte, soit pour l'entretien de ses ministres, ne se feraient bientôt plus qu'en considération et au profit de certaines familles ou de certains corps ecclésiastiques, séculiers ou réguliers. »
Ainsi, messieurs, cos passages sont bien clairs. L'honorable M. Cornesse décide qu'à l'avenir on peut fonder des messes n'importe à quel taux,
L'honorable M. Tielemans dit que c'est impossible, que la question est tranchée par la loi de germinal an C et par les actes que je viens de citer.
Il dit que l'opinion de l'avis du conseil d'Etat est conforme à la loi, qu'elle doit régir les fondations anciennes et les fondations que l'on pourrait constituer dans l'avenir, et que si l'on ne respectait pas ces règles salutaires, on rétablirait les bénéfices.
Maintenant, messieurs, sur quoi se fonde l'honorable M. Cornesse pour autoriser des honoraires pour messes à n'importe quel taux ? Sur l'article 73 de la loi organique. Or, dans l'article 73 de la loi organique (et c'est là la confusion de l'honorable membre ), il n'est question que de la fondation pour l'entretien des ministres du culte. Mais les fondations de messes, dont il est question à l'article 69 de la loi organique, ne sont pas des fondations pour l'entretien des ministres du culte.
C'est si peu une fondation pour l'entretien des ministres du culte, qu'on ne sait pas quel ministre du culte sera chargé de dire la messe, qu'il est défendu au fondateur de désigner, dans l'acte de fondation, quel sera le prêtre qui acquittera le service religieux.
Il doit être choisi parmi les prêtres habitués de l'église, sans avoir égard aux désignations du testateur qui ne peut que supprimer la préférence accordée aux vicaires par le décret de 1809.
Donc, les fondations de messes n'ont pas pour but de pourvoir à l'entretien des ministres du culte ; mais il y a plus : si ces fondations avaient pour but l'entretien des ministres du culte, vous devriez diminuer d'autant l'article du budget relatif aux traitements des ministres du culte, comme vous le faites pour les biens des cures. Je vous engage, à cet égard, à lire l'article 29 du budget de la justice.
Vous diminuez, de l'import des revenus des biens curiaux, l'allocation nécessaire pour le traitement des ministres du culte.
Vous devriez donc, si vous aviez raison, si les fondations de messes constituent des fondations, selon l'article 73 de la loi organique, pour l'entretien des ministres du culte, vous devriez diminuer d'autant le budget des cultes.
Les fondations de messes ne sont donc pas des fondations régies par l'article 73 de la loi organique. Ce sont des fondations spéciales, n'ayant rapport qu'indirectement à la position pécuniaire du clergé et réglées par l'article 69 de la loi du 18 germinal an X. Il n'y a aucun lien entre l'article 69 et l'article 73. Les fondations pour entretien des ministres du culte ne doivent pas être constituées à telle ou telle somme, la loi ne fixe pas de limites ; les fondations pour messes, au contraire, prévues par l'article 69, ne peuvent faire payer un honoraire autre que celui fixé par le règlement diocésain.
(page 498) Vous allez comprendre, messieurs, pourquoi le législateur a établi cette distinction. Le législateur n'avait pas besoin d'imposer une limite en ce qui concerne l'entretien des ministres du culte, parce que, dans ce cas, le fondateur n'est pas intéressé, comme lorsqu'il s'agit de messes pour le salut de son âme ; et que, d'un autre côté, les fondations doivent être déduites des traitements. On n'avait donc à se prémunir ni contre la vanité des fondateurs, ni contre les obsessions des ministres du culte.
Mais quand il s'agit de fondations de messes, c'est tout autre chose ; les honoraires n'étant pas déduits des traitements, c'étaient des rentes supplémentaires qu'on créait au clergé. Et comme la vanité des fondateurs pouvait se produire et comme les obsessions des ministres du culte pouvaient être dangereuses, il se trouve qu'en permettant de régler le taux des honoraires d'après la fantaisie des fondateurs, on aurait rétabli la mainmorte et les bénéfices qu'on avait supprimés. C'est ce que le législateur ne voulait pas, et c'est pourquoi il a dit lui-même comment le taux des honoraires serait réglé.
Pour prouver qu'il en est ainsi, je citerai, entre autres, une autorité que l'évêque de Liège, bien à tort, invoque à l'appui de sa thèse ; voici l'avis de M. Bigot de Préameneu,, du 9 octobre 1812, en réponse à des réclamations de curés sur ce sujet :
« M. l'évêque, j'ai reçu la réclamation de plusieurs desservants de votre diocèse relative aux fondations dont ils demandent que tout le produit leur soit attribué, contre l'intention des marguilliers de n'en payer les honoraires qu'aux taux prescrits par votre règlement,
« Pour prononcer sur cette difficulté, il faudrait que j'eusse sous les yeux les titres de ces fondations.
« Au reste, ou les titres attribuent expressément au curé des fonds ou des rentes à charge d'acquitter des services religieux et dans ce cas le curé ou desservant a droit à la totalité du produit des fonds ou de la rente en les acquittant.
« Ou les titres. n'attribuent pas expressément au curé les fonds ou rentes, mais ils les donnent à l'église ou à la fabriqué, et dans ce cas le curé ou le desservant n'a droit aux rétributions dues pour les fondations qu'au taux du règlement épiscopal.
« Mais dans l'un comme dans l'autre cas, l'administration des biens et rentes appartient à la fabrique. »
Eh bien, je suis complètement de l'avis de M. Bigot de Préameneu. Cet avis, que M. l'évêque de Liège a invoqué, tourne contre lui. Il dit, en effet, que lorsque les ministres du culte sont directement institués, ils ont droit aux revenus entiers de la fondation.
C'est là la fondation pour l'entretien des ministres du culte, prévue par l'article 73 ; c'est le curé, le vicaire qui est entretenu ici ; c'est le ministre du culte qui a une fondation pour son entretien ; ce n'est pas une fondation de messe qui est instituée, c'est le ministre du culte qui reçoit telle somme pour son entretien. Il y a, il est vrai, des messes à dire, mais ce n'est qu'une condition, une charge de la fondation. La somme que vous allez payer au ministre du culte, et qui peut être illimitée dans ce cas, vient en déduction de son traitement. Mais lorsqu'il s'agit de la création de messes, lorsque ce n'est pas le vicaire ou le curé que l'on veut faire bénéficier de la fondation, lorsqu'il est prescrit que des messes seront dites, sans désignation possible des prêtres officiants, vous devez en ce cas respecter, comme le dit M. Bigot de Préameneu, le tarif diocésain, quand même l'acte de fondation porterait que les ministres du culte toucheraient des honoraires supérieurs à ceux du tarif. Vous ne pouvez, dans ce cas, dépasser le tarif diocésain.
C'est donc parce que vous confondez les fondations pour l'entretien des ministres du culte et les fondations de messes ; c'est parce que vous assimilez ces deux sortes de fondations, régies par des dispositions différentes, que vous arrivez à cette conséquence qu'on peut admettre le taux illimité des honoraires de messes.
Donc l'avis de Bigot de Préameneu est tout à fait contraire à l'opinion de l'évêque de Liège et à celle de l'honorable M. Cornesse.
On cite encore une lettre de Goubeau en date du 5 février 1822. La voici :
« J'ai examiné les pièces produites au sujet de la contestation existant entre les curés et desservants du canton de Stavelot d'une part et les marguilliers de leurs églises d'autre part, relativement au payement des honoraires attachés aux fondations de services religieux. Voici la décision que cet examen m'a fait prendre. Trois différents cas se présentent dans cette affaire :
« 1° Celui où les actes de fondation existant attribuent expressément au curé ou desservant des fonds ou des rentes à charge d'acquitter certains services religieux désignés ;
« 2° Celui où ces actes ne contiennent aucune stipulation expresse à cet égard et donnent simplement les biens ou les renies à l'église avec telle ou telle désignation ;
« 3°Celui enfin où paraissent se trouver plusieurs des fabriques dont il s'agit, dans lequel les actes de fondation étant égarés l'on ne peut s'assurer des volontés positives du fondateur.
« Dans le premier cas, il n'est pas douteux que, quoique l'administration des biens et rentes appartienne à la fabrique, le produit n'en doive être abandonné en entier aux curés et desservants ; je partage tout à fait, à cet égard, l'opinion énoncée dans la dépêche du ministre des cultes de France du 9 septembre 1812, laquelle est conforme au décret du 30 décembre 1809, qui veut tellement faire respecter les intentions des fondateurs qu'il défend aux marguilliers d'employer ces sortes de revenus a d'autres charges.
« Dans le second cas, non seulement les curés et desservants doivent se contenter des rétributions fixées par le règlement épiscopal, comme le portent la dépêche ministérielle susmentionnée et l'avis du vicaire général de Liège que vous m'avez procuré, mais ils peuvent même en être privés entièrement d'après l'article 31 du décret du 30 décembre 1809, portant qu'à moins que les fondateurs n'en aient autrement ordonné, les annuels auxquels sont attachés des honoraires seront donnés de préférence aux vicaires.
« Enfin lorsque les actes de fondation n'existent plus, l'on doit se conformer, comme le dit le vicaire général diocésain, à l'usage que l'on sait avoir existé de tout temps dans la paroisse, etc. »
Ainsi, vous le voyez, Goubeau distingue, comme Bigot de Préameneu, entre les fondations d'entretien des ministres des cultes et les fondations de messes ; il admet que les premières peuvent atteindre un taux illimité, tandis que les autres doivent se renfermer dans les limites tracées par le règlement du diocèse.
Si la thèse de l'évêque de Liège et de l'honorable M. Cornesse était admise, il n'y aurait plus de distinction.
Pourquoi poser deux hypothèses comme Goubeau et Bigot de Préameneu ? Que l'on fonde pour des messes ou que l'on fonde pour l'entretien de ministres du culte, ce serait la même chose.
Donc les autorités qu'ils invoquent sont précisément contre eux.
Messieurs, on a consulté l'honorable procureur général près la cour d'appel de Liège lorsque le conflit se produisit entre les fabriques d'église et la députation permanente de la province de Liège.
L'honorable procureur général se garda bien de rencontrer la question de face.
Il n'examina pas quelle était la portée des articles 69 et 73 et il mit en avant une solution qui n'est ni celle de l'évêque de Liège ni celle de M. Cornesse.
L'article 69, dit-il, porte qu'on ne pourra prélever des honoraires supérieurs à ceux fixés par les tarifs diocésains, mais aucune disposition de la loi organique ou d'une autre loi n'empêche que ces règlements ne permettent de toucher des honoraires illimités au gré des fondateurs.
Cette opinion est complètement contredite par le passage que j'ai eu l'honneur de vous lire du rapport de Portalis.
L'honorable procureur général de Liège soutient que les règlements épiscopaux pourront dire que les fondateurs fixeront comme ils l'entendront les honoraires des messes.
Est-ce possible ?
Je me demande comment, si cette opinion est vraie, on se serait garanti contre la vanité des fondateurs et les obsessions des ministres du culte, dont s'occupe Portalis dans son rapport sur la loi organique.
Pourquoi le législateur aurait-il édicté l'article 69 ? Pour fixer un minimum de l'honoraire, dit l'honorable procureur général Beltjens. La fabrique peut ne pas demander l'autorisation d'accepter, si l'honoraire est insuffisant. Ce n'est donc pas seulement pour fixer un minimum en cas d'insuffisance de l'honoraire ou de silence de l'acte de fondation, mais, comme le disait Portalis, le règlement est nécessaire pour empêcher qu'on ne dépasse certains taux, qu'on n'exploite la vanité et la faiblesse des fidèles.
L'honorable procureur général de Liège s'est donc placé complètement à côté de la question, il a méconnu le but et la portée de l'article 69 de la loi organique, et il n'a tenu aucun compte du rapport de Portalis lorsqu'il a dit qu'aucune disposition n'oblige à avoir un tarif fixant le maximum des honoraires. C'est s'écarter complètement de la loi que de dire dans ces règlements que les fondateurs peuvent faire ce qu'ils veulent. Mais à nos objections M. le procureur général fait une réponse : Le gouvernement est là ; si le taux est trop élevé, il refusera l'autorisation d'accepter.
Mais ce n'est pas là ce que la loi a voulu ; c'est tout autre chose que la (page 499) garantie du pouvoir ministériel. Les ministres changent, Mais après tout, qu'est-ce que ce droit arbitraire que vous prétendez attribuer au gouvernement ?
Comment ce droit doit-il s'exercer ? Si un fondateur fixe une messe à 1,000 francs, ou un anniversaire à 10,000 francs, peut-il dépendre du ministre de dire : Cela peut se faire ; je trouve, moi, que ce n'est pas trop ? Evidemment non.
La loi organique en disant : « Vous ferez un règlement,» a évidemment voulu quelque chose de sérieux, elle a voulu qu'on établît une barrière que ne pourrait franchir la vanité des testateurs, et qui fût un obstacle aux suggestions de l'intérêt.
Que signifie un règlement qui se bornerait à laisser faire aux fondateurs tout ce qu'ils croient bon, sous la garantie d'un refus d'approbation d'un ministre laissé sans règle et sans boussole ?
Il est donc clair que les règlements prévus par l'article 69 doivent déterminer d'une manière précise le taux des honoraires, et que c'est violer cet article dans son texte comme dans son esprit que de s'en remettre de ce soin dans un règlement au caprice des fondateurs.
Mais, ajoute M. Beltjens, en supposant que l'article 8 du règlement épiscopal soit illégal, il ne doit pas moins être observé dans le diocèse de Liège, parce qu'il a été approuvé par deux décrets impériaux et que ces deux décrets, n'ayant pas été annulés par le sénatus-consulte, ont encore force de loi. Messieurs, je ne puis admettre cet argument.
Ces décrets n'ont pas été publiés au Bulletin des lois et comme, ainsi, ils n'ont pas été portés à la connaissance du tribunat qui n'a pu les dénoncer au sénat conservateur, ces décrets n'ont aucune espèce de valeur.
L'honorable M. Beltjens invoque encore un avis du conseil d'Etat du 25 prairial an XIII, qui dit, d'après lui, que ces arrêtés ne devaient pas être publiés au Bulletin des lois et qu'en conséquence, bien que n'ayant pas été publiés, ils ont force de loi. Cet avis est ainsi conçu :
« Et quant aux décrets impériaux qui ne sont point insérés au Bulletin, ou qui n'y sont indiqués que par leurs titres, ils sont obligatoires du jour qu'il en est donné connaissance aux personnes qu'ils concernent par publication, affiche, notification ou signification ou envois faits ou ordonnés par les fonctionnaires publics chargés de l'exécution. »
Eh bien, je dis que cet avis ne s'applique pas du tout aux décrets en question. Cet avis ne s'occupe que des arrêtés que j'appellerai personnels, non d'intérêt général, que des arrêtés qui concernent les particuliers. Mais quand il s'agit d'un arrêté concernant les fabriques d'église, concernant les fondations, c'est un arrêté d'intérêt général et il ne peut être notifié à toutes les personnes intéressées, car la personne intéressée, ce n'est pas seulement la fabrique d'église, ce sont tous les citoyens du diocèse, ce sont toutes les personnes qui ont intérêt dans l'administration des fabriques d'église ou dans les fondations dont nous nous occupons.
Par conséquent, les décrets impériaux qui ont approuvé le règlement de l'évêque de Liège devaient être publiés au Bulletin des lois ; ils n'étaient pas de ceux dont la publication ne pouvait empêcher la force et l'autorité.
M. Beltjens dit enfin, comme dernier argument : Mais ces arrêtés ont toujours été appliqués ; par conséquent, ils doivent être respectés selon le cri de toutes les lois.
Pour ma part, j'admets difficilement que des lois, des dispositions d'intérêt général obligeant tous les citoyens puissent prendre naissance de cette façon.
Mais en supposant qu'on puisse trouver des auteurs qui l'admettent, je nie complètement que la loi de germinal an X ait été appliquée, comme le prétend M. Beltjens, et que le règlement de l'évêque de Liège ait reçu l'application qu'il suppose, et la preuve c'est que, en l'an XIII et en l'an XIV, le gouvernement et le conseil d'Etat émettent une opinion contraire à ce règlement ; c'est qu'en 1812 et en 1822, vous trouvez deux lettres, l'une de Bigot de Préameneu, l'autre du ministre Goubeau, qui prescrivent le contraire de ce qui est autorisé par le règlement de l'évêque Taepffel ; c'est qu'en 1846, vous trouvez un auteur qui enseigne que la loi doit s'appliquer dans le sens que nous lui donnons.
Pouvez-vous venir dire, parce qu'il y a quelques cas isolés où l'on a autorisé des messes à un taux supérieur, que ces cas constituent des faits dont on puisse se prévaloir pour dire que le règlement en question a force et vigueur ? Cela n'est pas possible.
Qu'est-il arrivé ? Des députations permanentes et le gouvernement ont autorisé ça et là des honoraires dépassant de quelques francs les taux admis ; ce sont là des erreurs inévitables dans toute espèce d'administration.
Mais quand nous avons vu, en 1870. qu'on voulait ouvrir la porte à la création de bénéfices, qu'on voulait constituer des erreurs en faits légaux, que l'on tendait à faire décider que les fondateurs pouvaient, à leur gré, fixer l'honoraire des messes comme ils l'entendaient, alors nous avons vu que la loi était violée et nous nous sommes dit qu'il était temps de mettre fin à une situation qui allait devenir la source de nombreux abus.
Je veux bien admettre que ce n'est pas du jour au lendemain qu'on va rétablir les anciens bénéfices, quoiqu'on puisse dire qu'on crée des messes en nombre excessif.
Vous voyez tous les jours au Moniteur des sommes importantes, 10,000 francs, 5,000 francs, 3,000 francs, 2,000 francs pour fondation de messes. A ce sujet je demanderai à M. le ministre de la justice s'il ne pourrait nous faire connaître officiellement comment s'acquittent toutes ces messes. Le cas est intéressant, car les prêtres des paroisses me paraissent insuffisants pour ce service.
Quand on ordonne de dire cinq mille messes, par exemple, dans une église, comment parvient-on à accomplir la volonté du testateur ?
Je crains fort que nous ayons par ces fondations de messes une mainmorte pour les religieux prêtres, à côté de la mainmorte pour le clergé.
Ces honoraires de messes sont sans doute payés à des Jésuites, à des rédemptoristes et à d'autres religieux prêtres.
M. de Haerne. - Pas aux jésuites.
M. Bara. - Vous en excluez les jésuites. (Interruption.) Je remercie l'honorable M. de Haerne de son renseignement ; il nous rendrait un grand service s'il voulait le compléter en répondant aux questions que j'ai adressées à M. le ministre de la justice.
M. de Haerne. - C'est connu..
M. Bara. - C'est connu, me dit l'honorable M. de Haerne. Mais je désirerais que M. le ministre de la justice nous donnât ces explications sous son autorité et officiellement. (Interruption.)
C'est notre droit, M. le ministre, d'avoir ces renseignements. Ce sont des fondations pieuses reconnues par la loi, qui sont sous votre surveillance et votre autorité, et vous avez le devoir de vous informer si les services religieux prescrits sont ou non acquittés. (Interruption.)
M. Jacobs. - Un gouvernement de sacristains.
M. Bara. - Il est incontestable que le gouvernement peut demander si et comment les fondations pieuses sont exécutées.
M. Jacobs. - S'informe-t-on si l'on dit la messe trop vite ?
M. Bara. - L'honorable M. Jacobs s'imagine que nous allons demander comment se dit la messe. Non ; mais, au surplus, la demande serait peut-être indiscrète, car l'on sait comment autrefois se disaient très souvent les messes fondées ; on recevait deux, trois messes pour une que l'on récitait. Et que disaient les évêques de cette pratique ? Ils disaient que c'était un abus scandaleux.
- Des membres à droite. - Cela regarde les évêques.
M. Bara. - Non, car on ne peut pas payer ce qui n'est pas dû. On ne peut pas payer l'honoraire d'une messe qui n'est pas dite.
Si une messe fondée se disait comme cela se faisait autrefois, la fondation serait-elle observée ?
Un bureau de bienfaisance doit, en vertu d'une fondation, distribuer 100 pains ; s'il n'en distribue que 50, est-ce que la fondation sera observée ? Le gouvernement n'aurait-il rien à dire, rien à faire ?
Je suppose qu'au lieu de dire des messes, on n'en dise pas du tout, est-ce que l'autorité serait désarmée ?
Revenant à mon sujet, je dis qu'il est donc probable qu'il y a mainmorte au profit des ordres religieux. Et on veut donner à cette mainmorte de l'extension ; c'est pourquoi on réclame pour les fabriques d'église le droit d'accepter des fondations à des honoraires illimités ; de telle sorte que vous auriez ainsi le budget des ordres religieux pouvant dire la messe à côté du budget des cultes. Par le moyen de nombreuses fondations de messes, vous aurez une mainmorte que vous croyez profiter aux prêtres habitués des paroisses et qui ne profiteront qu'à des ordres religieux. C'est là encore un abus grave, car c'est rétablir indirectement ce que proscrivent nos lois. Mais, disent M. Beltjens et l'évêque de Liège : Ce ne sont pas les anciens bénéfices, puisque le bénéficiaire ne va pas administrer les biens, comme cela existait sous l'ancien droit.
Qu'est-ce que cela fait ?
Est-ce qu'en 1789 et en 1790 on a supprimé les bénéfices parce qu'ils étaient administrés par le bénéficiaire ? Non ; on les a abolis pour faire disparaître l'immobilisation de ces biens et les avantages accordés à certains prêtres, disproportionnés avec les services rendus par eux.
Or, je dis que le caractère dangereux des bénéfices anciens va renaître, que la grande immobilisation des biens, qui proviendra de l'abus des (page 500) fondations de messes, doit être empêchée, que la rémunération ne doit pas être hors de proportion avec les services rendus. Peu importe que le bénéficiaire administre ou n'administre pas ; la grande affaire, c'est qu'il n'y ait pas de biens qui sortent de la circulation pour aller s'amortir au profit de services qui n'ont pas l'importance du capital qu'on veut leur destiner.
Or, c'est ce que vous allez faire, vous allez créer une mainmorte excessive ; si vous persistez dans la jurisprudence de M. Cornesse, il n'y aura bientôt plus de fidèles qui quitteront cette terre sans laisser des fondations de messes à des taux exagérés, M. Cornesse dit : Je n'accepterai pas. Mais qui dit que le successeur de M. Cornesse n'acceptera pas un jour ; si les tarifs ne sont plus rien, on acceptera les honoraires les plus excessifs quand la réaction sera assez forte et que le parti clérical sera tout à fait maître de la situation,
Eu tous cas, rien que la possibilité légale de pareils abus est un grand mal. La loi n'a pas voulu que, sous notre régime, on pût donner des honoraires considérables pour une simple messe. Elle a voulu qu'on s'en rapportât à un règlement proposé par les évêques et adopté par le gouvernement,
Or, ce règlement ne peut pas contenir cette clause dérisoire, illégale, que les fondateurs peuvent fixer le prix de la messe comme ils l'entendent.
Je signale à l'opinion publique cette tentative de restauration des bénéfices qui a été faite par l'honorable M. Cornesse ; je ne sais si l'honorable ministre de la justice actuel entend se conformer à la jurisprudence de son prédécesseur, mais pour moi je ne saurais trop dire au pays : Ayez l'œil sur ce point ; si ce n'est aujourd'hui, dans l'avenir du moins des abus considérables peuvent naître de cette jurisprudence.
Il est un second point sur lequel j'appelle aussi l'attention de l'honorable ministre de la justice, Je veux parler de la jurisprudence réintroduite, en matière de changement de noms, par l'honorable M. Cornesse, Je commence par déclarer que mes observations ne concernent aucune des personnes qui ont joui des faveurs du gouvernement, Je ne sais si les personnes qui ont obtenu le droit de changer de nom ou de faire des additions à leur nom avaient le droit de demander ce changement en justice.
Aux termes d'une loi de l'an XI, le gouvernement a le droit d'autoriser les particuliers à changer de nom,
L'article 4 de cette loi, qui est du 21 germinal an XI, porte ce qui suit :
« Toute personne qui aura quelque raison de changer de nom en adressera la demande motivée au gouvernement. »
Sous le ministère de M. d'Anethan et au commencement de celui de M. Tesch, on a admis la jurisprudence que M. le ministre de la justice pouvait accorder à des citoyens le droit d'ajouter à leur nom ou une particule ou une sorte de nom de noblesse.
Ainsi, M. un tel, suivi du nom d'une terre, d'un château, d'un village, etc.
L'honorable M, Tesch, ayant examiné la question de plus près, trouva que c'était contraire à la loi des 11-21 germinal an XI, que cette loi n'avait pas été faite dans ce but ; et à la fin de son administration, il cessa d'accorder les autorisations demandées.
Pendant les cinq années que je suis resté au ministère, j'ai scrupuleusement observé la règle admise en dernier lieu par mon honorable prédécesseur. A mes amis comme à mes adversaires politiques qui m'ont demandé des changements de leurs noms dans le seul but de se donner une apparence nobiliaire, j'ai constamment refusé. J'ai eu même des luttes très vives à soutenir contre certains de mes amis. L'honorable M. Rogier pourrait attester l'exactitude de ce que je dis.
M. Rogier. - Je n'ai personnellement jamais demandé de changement de nom. (Interruption.)
M. Bara, - Bien certainement non ; il est assez beau pour n'avoir rien à gagner à un changement. (Interruption.) Je me borne à invoquer votre témoignage, parce que, mieux que personne, vous pourriez me le donner.
L'honorable M. Cornesse arrive au ministère et immédiatement il rétablit l'ancienne jurisprudence.
Messieurs, il ne s'agit pas ici d'une question politique ; il s'agit d'une question de droit et je la soulève dans l'intérêt même de M. le ministre de la justice.
Que dit la loi des 11-21 germinal an XI ?« Toute personne qui aura quelque raison de changer de nom en adressera la demande au gouvernement, »
Or, il est évident que par là on entend des raisons plausibles et qu'on ne peut pas considérer comme ayant ce caractère le simple désir de se donner une apparence nobiliaire et de faire croire qu'on descend des Croisés,
M. Miot, rapporteur de la loi, s'exprimait ainsi :
« Ce changement n'a pour objet que des cas particuliers également indépendants de l'état et de la fortune des personnes, tels que le désir de quitter un nom ridicule ou déshonoré. »
J'admets parfaitement ces changements de noms quand le nom est ridicule ; on pourrait en citer de nombreux exemples.
J'admets encore l'application de la loi quand le nom est tombé sous le mépris public, par suite de condamnation d'une personne qui le portait, et quand quelqu'un a porté, pendant un très longtemps, un nom autre que le sien et qu'il y a une espèce de prescription.
J'admets encore que cela ait pu être autorisé pour un nom illustre dont tous ceux qui le portaient étaient morts. Mais jamais on n'a pu admettre que ce soit une raison plausible que le désir de donner à son nom une apparence nobiliaire.
La preuve qu'il en est ainsi, c'est que le changement de nom doit être autorisé par le ministère de la justice qui n'a rien de commun avec les distinctions nobiliaires.
S'il on était autrement, c'est le ministère des affaires étrangères qui aurait dû être chargé du soin de prendre les arrêtés autorisant les changements de nom.
Il s'agit d'une simple question d'état civil.
On bouleverse, par la pratique que je combats, l'état civil. Que l'on résiste, et toutes les personnes à la poursuite d'une particule ou d'un nom de terre finiront par cesser leurs obsessions ; elles chercheront à s'anoblir d'une autre manière.
Je recommande donc cette question à l'attention du ministre de la justice, et je suis convaincu que s'il veut l'examiner attentivement, il trouvera que la jurisprudence sur laquelle M. Cornesse est revenu, à tort selon moi, est conforme à l'esprit de la loi.
Je désire adresser encore une question à M. le ministre de la justice, au sujet de la fondation Jacquet, de Rochefort. L'honorable ministre n'a probablement pas encore eu le temps de s'occuper de cette affaire, gui est assez ancienne et qui est très compliquée, Mais cependant il est de l'intérêt du pays que les difficultés dont je m'occupe reçoivent une solution.
Voici la situation ; elle est très grave et j'appelle sur elle toute l'attention du gouvernement, La fondation Jacquet consiste en bourses d'étude et en subsides à donner à l'enseignement primaire, Cette fondation avait une administration spéciale.
A la suite de la loi de 1864 sur les bourses d'étude, la fondation Jacquet a été remise à la commission provinciale des bourses d'étude de la province de Namur, qui l'a acceptée avec la charge de payer le subside pour l'enseignement primaire à la commune de Rochefort, Cette commission ne faisant rien pour obtenir les biens et les revenus de la fondation, nous lui avons dit : Agissez. Elle nous a répondu : Les biens sont des immeubles situés à Rome et là on refuse de nous payer les revenus ; négociez avec le gouvernement papal.
Nous avons négocié avec le gouvernement papal, qui nous a répondu : « Ce sont des fondations pieuses sur lesquelles nous avons autorité ; votre loi sur les bourses n'a pas notre approbation et nous né pouvons la reconnaître. Si vous voulez rétablir les anciennes administrations, nous vous rendrons vos biens, mais tant que vous appliquerez la loi de 1864, nous n'acquitterons pas les revenus. »
Il n'en est pas moins vrai que les revenus arrivaient en Belgique et étaient distribués à des boursiers, et que les sommes pour l'enseignement primaire étaient données aux petits frères de la doctrine chrétienne de Rochefort.
Le pape a pris alors un rescrit par lequel il a, en quelque sorte, confisqué tous les biens et il a dit à l'évêque de Namur : « Vous les administrerez comme vous le voudrez, sans vous arrêter même devant la volonté du fondateur. » Ce qui prouve qu'à Rome on ne refait pas les testaments ! (Interruption.)
Nous étions impuissants ; nous ne pouvions rien faire tant que subsistait le gouvernement pontifical. Mais l'Italie s'est étendue jusqu'à Rome, Le pape n'a plus le domaine éminent des biens de la fondation Jacquet. Ces biens sont sous la puissance du gouvernement italien. Les revenus de ces biens, c'est le gouvernement italien qui va en disposer. Les propriétés dont il s'agit sont sur le sol italien. Il est clair que le domaine sur lequel se trouvent ces propriétés appartient aujourd'hui au royaume d'Italie, que le pape n'a plus aucun droit sur ces biens. Je demande au gouvernement ; Reprendrez-vous, avec le gouvernement italien, la négociation que nous n'avons pu faire aboutir lorsque le gouvernement papal existait ?
Notez que la commune de Rochefort, que la députation permanente, que (page 501) le gouvernement, que tout le monde était d'accord pour que les revenus fussent payés entre les mains de la commission provinciale des bourses d'étude. Seulement, on nous opposait le veto du gouvernement papal. Ce veto, vous ne l'avez plus. Vous ne pouvez plus dire que c'est le veto du gouvernement papal qui empêche l'exécution de la loi de 1864 ; cela n'est plus possible. II ne pourrait y avoir que le veto du gouvernement italien. A cet égard, je demande si vous avez réclamé auprès du gouvernement italien pour faire obtenir justice aux citoyens belges lésés par l'acte du gouvernement papal. Si vous ne l'avez pas fait, je vous demande si vous êtes disposés à le faire.
Voilà la première question que j'ai l'honneur de poser.
Si vous ne le faites pas, vous allez abandonner l'exécution de la loi de 1864. Vous allez donner à un prince étranger, qui n'a plus qu'une autorité spirituelle, le droit d'empêcher l'exécution de lois belges.
Si le pape peut paralyser vos droits pour les biens de la fondation Jacquet en Italie, il pourra le faire demain pour des biens d'autres fondations situés en France ou ailleurs. Voulez-vous sanctionner de pareils principes ?
Je demande donc, en premier lieu, des démarches actives auprès du gouvernement italien pour obtenir le payement du revenu de la fondation Jacquet entre les mains de la commission provinciale de Namur, et si vous ne voulez pas faire cela, il y a encore deux autres moyens que je vais vous signaler ; il y a la poursuite civile et la poursuite criminelle.
Quelque temps ayant de quitter le pouvoir, j'ai conseillé à la commune de Rochefort de poursuivre la commission provinciale de Namur et les personnes qui pourraient avoir touché les fonds de la fondation Jacquet revenant à l'enseignement primaire.
La commune de Rochefort décida que mon conseil serait suivi ; mais à la suite d'élections, le conseil communal fut modifié et avec lui les intentions de l'autorité locale,
Mais, messieurs, un citoyen agissant, en vertu de la loi communale, s'offrit pour plaider au nom de la commune et en fit la demande,
Le conseil communal a émis l'avis qu'il n'y avait pas lieu de s'opposer à. ce que ce citoyen intentât une action contre la commission provinciale, les petits frères et toutes les personnes qui pourraient avoir reçu des fonds de la fondation Jacquet appartenant à l'enseignement primaire.
Mais savez-vous ce qu'on exigera, paraît-il, de cautionnement ? 10,000 francs.
Comment ! messieurs, demander à un citoyen de déposer un cautionnement de 10,000 francs, alors qu'il n'y a que les frais de l'adversaire à payer, c'est évidemment empêcher le procès ; c'est mettre ce citoyen dans l'impossibilité d'exercer son droit. Si la députation permanente refuse d'autoriser ce citoyen à plaider et exige un cautionnement exagéré, j'espère que le gouvernement, en cas de recours, saura prendre un arrêté qui puisse sérieusement mettre ce citoyen à même de poursuivre l'action qu'il désire intenter.
Je prie enfin le gouvernement d'examiner s'il n'y a pas lieu d'exercer des poursuites criminelles. Les revenus sont payés à des personnes que chacun désigne ; on a formulé des mandats qui sont signés par le doyen de Rochefort ; des frais d'administration sont même payés à certaines personnes. Tout cela est consommé contrairement à la loi de 1864. C'est un véritable détournement de fonds.
On s'empare secrètement de revenus qui appartiennent, en vertu de la loi et d'un arrêté royal, à une administration publique. M. le ministre de la justice ne trouvera-t-il pas nécessaire d'appeler l'attention du parquet sur ces points ? C'est évidemment son droit ; et c'est son devoir. (Interruption.)
Comment ! «'emparer secrètement de l'argent appartenant à une fondation publique n'est pas un détournement ! Mais il y a certes là matière à poursuite devant la justice répressive. J'ajouterai que tous ceux qui ont reçu indûment des bourses sur les revenus de cette fondation sont exposés à des actions en restitution.
Les catholiques de Rochefort croient, quand ils ont obtenu des bourses pour aller chez les petits frères ou à Carlsbourg, avoir été l'objet d'une grande faveur.
Ils s'exposent à beaucoup de désagréments dans l'avenir. Ils favorisent la fraude et sont sujets à une action qui ne manquera pas de leur être intentée ; car j'ai confiance que le gouvernement fera exécuter la loi.
Parmi les boursiers qui ont reçu ou qui reçoivent de ces bourses se trouve, m'assure-t-on, mais je ne le garantis pas, le fils du brigadier de gendarmerie que M. Kervyn chargeait de surveiller le corps professoral.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'ai jamais chargé aucun brigadier de surveiller le corps professoral.
M. Bara. - Non, mais ses rapports ont été votre guide, Je prie donc le gouvernement de vouloir bien s'expliquer ; je le prie de nous dire s'il entend faire des instances auprès du gouvernement italien pour obtenir les revenus de la fondation Jacquet, s'il entend autoriser une action civile contre la commission des bourses de Namur ; je demanderai enfin au gouvernement s'il entend prendre, au point de vue criminel, des mesures pour découvrir et atteindre les personnes qui ont détourné les fonds de cette fondation.
(page 493) Présidence de M. le président. - Vous avez chargé le bureau de composer la commission qui aura à examiner le projet de codification des lois électorales. Le bureau a choisi pour faire partie de cette commission :
MM.de Naeyer, Muller, Cruyt, Jacobs, Pirmez, Schollaert, Vandenpeereboom.
M. Bouvier. - Je désirerais obtenir, dans la séance de demain, des explications de l'honorable ministre de l'intérieur sur la situation faite au corps enseignant de l'école moyenne de l'Etat à Dinant. Depuis plus d'un an, le directeur et les professeurs ne reçoivent plus leur traitement.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je suis prêt à donner ces explications immédiatement si la Chambre le désire. Mais l'heure est avancée...
- Voix à droite. - Parlez !
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je suis à la disposition de la Chambre ; mais je dois la prévenir que mes explications seront assez longues.
- De toutes parts. - A demain !
- La séance est levée à 5 heures.