(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 453) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les brasseurs de Bruxelles présentent des observations contre le projet de loi portant modification facultative de l'accise sur la bière et demandent le maintien de la loi du 2 août 1822. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Coeuriot demande que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à l'enseignement obligatoire.
M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le. rapport de la commission spéciale qui a examiné la demande d'un crédit de 615,000 francs au département des affaires étrangères pour la construction d'un steamer.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Boulenger. - Messieurs, les discussions auxquelles nous nous livrons ont révélé, une fois de plus, la ferme volonté, de la part de la majorité, de ne changer en rien la loi de 1842, et, d'un autre côté, la ferme volonté de la grande majorité de la gauche de poursuivre la révision de cette loi, qu'elle considère comme inconstitutionnelle.
A cette occasion, j'ai eu la bonne fortune d'entendre une déclaration précieuse, faite au nom de plusieurs de nos amis politiques qui sont encore partisans de la loi de 1842. C'est, en effet, en leur nom que l'honorable M. Pirmez, dans la séance du 31 janvier dernier, disait à la Chambre et notifiait pour ainsi dire son opinion au gouvernement dans les termes suivants : « Je crois qu'il n'est pas bon de forcer, par une réaction dans l'application de cette loi, ceux qui ne l'ont jamais combattue, à se joindre à ses adversaires. »
Je crois, toutefois, que nous pouvons saluer, dans ces paroles, l'espoir légitime et l'espoir fondé, pour le parti libéral, de voir, dans un avenir bien prochain, l'union faite dans cette Chambre et dans le pays sur cette importante question de l'instruction primaire.
Certains pourraient demander peut-être à l'honorable M. Pirmez comment, dans la crainte des applications réactionnaires qu'il entrevoit aujourd'hui comme possibles, il n'a pas lui-même pris des mesures pour les rendre impossibles, alors qu'il était ministre et, qu'il disposait, dans cette enceinte, d'une majorité considérable.
D'autres pourraient même lui demander s'il ne pense pas que les déclarations parties ces jours derniers du banc ministériel au sujet de l'application de la loi de 1842 ne constituent pas, à elles seules, une de ces réactions qui doivent amener chez l'honorable membre une conversion complète, c'est-à-dire un retour vers nous pour demander avec nous la révision de la loi de 1842.
Mais ce serait entamer une discussion sur ces deux points avec l'honorable M. Pirmez ; le moment n'en est pas venu. D'autant plus que je crois que la condition à laquelle l'honorable membre subordonne son arrivée dans nos rangs, est beaucoup plus près de se réaliser qu'il ne l'a cru. J'estime même qu'il est possible que nous la trouverons dans la discussion même qui a amené l'honorable M. Pirmez à formuler cette déclaration que j'ai relevée.
La Chambre se rappellera que l'honorable M. Reynaert a exprimé au gouvernement le vif désir de le voir distribuer d'une manière égale les bourses d'étude aux normalistes des écoles privées et aux normalistes des écoles de l'Etat.
L'honorable M. Pirmez a répondu à l'honorable M. Reynaert et a fait comprendre les inconvénients nombreux qu'une telle doctrine pouvait engendrer ; il a fait sentir et toucher du doigt, d'une façon que je n'essayerai pas d'affaiblir, comment, en droit, il n'était pas possible que le gouvernement abdiquât entre les mains des écoles normales privées la formation des instituteurs appelés à donner l'instruction publique.
Il s'appuyait également sur le langage que l'honorable M. de Theux avait tenu dans la discussion de la loi de 1842 ; il indiquait dans quelle proportion les instituteurs devaient être formés par l'Etat et par l'instruction privée. L'honorable M. Pirmez nous a montré surtout comment une pareille mesure devait avoir pour résultat de créer le vide dans les écoles normales de l'Etat, alors surtout que déjà les écoles religieuses, par les moyens qu'elles possèdent en elles-mêmes, font une si redoutable concurrence aux écoles normales de l'Etat.
Le gouvernement était évidemment mis en demeure de se prononcer formellement sur ce conflit d'opinions. Il devait une réponse à la Chambre, il la devait à l'honorable M. Reynaert, il la devait surtout à ses adversaires politiques.
A mon tour, je demande une déclaration franche à ce sujet, quelle que soit la surprise que j'ai éprouvée en voyant le gouvernement garder le silence le plus absolu.
A moins d'une déclaration formellement contraire, ce silence est pour moi très significatif, et le gouvernement me permettra de lui dire pourquoi et dans quel sens je dois l'interpréter.
La question qu'a traitée l'honorable M. Reynaert n'est pas neuve. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle a été portée devant la Chambre.
Cette prétention de la droite de mettre sur le même pied, en matière de bourses d'étude, les normalistes de l'enseignement privé et ceux de l'Etat est ancienne ; elle s'est fait jour notamment en 1866.
C'est un fait sur lequel presque tous les membres de la droite se sont fondés pour refuser au gouvernement d'alors le vote qu'il sollicitait au profit de la loi portant création des écoles normales laïques.
Cette matière a été spécialement traitée alors par l'honorable M. de Haerne. Sa manière de voir a été vivement appuyée par les honorables MM. Dumortier et Wasseige.
L'honorable M. Reynaert n'a donc fait que reproduire leur doctrine et je crois même me rappeler que l'honorable M. Delcour a hésité à donner son vote à la loi de 1866, précisément parce qu'il n'avait pas ses apaisements sur ce point de doctrine.
S'il en est ainsi, la Chambre doit comprendre que j'ai le devoir d'insister pour obtenir une réponse à la question que l'honorable M. Reynaert a posée au gouvernement.
Je dois, du reste, dire au gouvernement et à M. le ministre de (page 454) l'intérieur que quelle que soit sa réponse, dès l'instant qu'elle est franche et surtout précise, je lui en saurai gré.
Je crois qu'il y a pour nous tous un grand intérêt à ce que la situation soit nettement éclaircie.
Si l'honorable ministre me dit qu'il adhère aux doctrines de l'honorable M. Reynaert, je n'ai qu'à me retourner vers l'honorable M. Pirmez pour lui dire :
« Vous voyez que ce moment que je désire est beaucoup plus proche que vous ne le pensiez ; la raison de votre conversion est arrivée. La loi de 1842, qui complaît dans nos rangs encore quelques défenseurs, n'en a plus : l'union est faite et cette réforme importante de notre programme politique est désormais résolue pour le jour où notre opinion reprendra le pouvoir. »
Si, au contraire, l'honorable M. Delcour croit devoir dire qu'il répudie les doctrines des membres de la droite qui se sont fait jour dans l'opposition, si l'honorable M. Delcour croit qu'il ne peut pas se ranger à l'avis de l'honorable M. Reynaert, eh bien, encore je lui en saurai gré parce que du moins nous aurons l'assurance que l'envahissement de l'enseignement public par l'enseignement religieux est différé.
En cela il aura certes rendu service à l'opinion libérale, et pour mon compte personnel, je le répète, je lui en saurai gré.
Messieurs, comme vous vous le rappelez, j'ai eu l'occasion tout à l'heure de faire allusion à une loi sur laquelle l'honorable M. Delcour a cru devoir s'abstenir ; j'ai parlé de la loi du 29 mai 1866 qui a décrété la création de quatre écoles normales de l'Etat, dont deux d'instituteurs et deux d'institutrices. Deux doivent être érigées dans les Flandres, deux dans les provinces wallonnes. Lorsque le département de l'intérieur était géré par l'honorable M. Kervyn, nous n'avions pas, à son égard, la situation particulière que nous avons à l'égard des deux seuls membres de la Chambre qui siègent au banc ministériel.
M. Kervyn n'avait pas voté la loi ; il ne l'avait pas refusée, mais il ne s'était pas non plus abstenu ; l'honorable M. Kervyn était parfaitement libre quant à cette loi. Mais il n'en est pas de même de MM. Delcour et Moncheur. Le gouvernement, dans cette question, a un passé sur lequel il est désirable que nous nous expliquions. Puissions-nous obtenir une déclaration plus catégorique que la déclaration que le gouvernement a faite, en donnant, pour ainsi dire, son programme lorsqu'il annonçait qu'il maintiendrait les lois existantes, qu'il les appliquerait et les interpréterait législativement, qu'il aurait une politique de modération, d'apaisement. Je crois qu'il convient que nous sachions nettement s'il est bien résolu à appliquer cette loi du 29 mai 1866 et à en maintenir l'exécution franche, complète, loyale. Il est intéressant pour nous de le savoir, et je crois que le gouvernement a maintenant compris les motifs de mon insistance à cet égard.
Dans le courant de la session dernière, l'honorable M. Kervyn nous a fait savoir que, pour deux de ces écoles, les négociations étaient assez avancées. Il a indiqué la cause du retard de la construction des écoles de Liège et de Mons. Il a attribué aux architectes chargés de ce travail la lenteur que ces constructions subissaient.
Depuis lors l'école de Liège a été mise en adjudication. J'espère qu'elle pourra prochainement s'ouvrir à l'enseignement. Mais je ne sais rien de l'école de Mons. Depuis le mois de février 1871, il y a un an, nous ne savons pas si la question a fait un pas. La loi était inexécutée en 1871, c'est-à-dire pendant cinq ans après sa promulgation. Elle est encore inexécutée à l'heure qu'il est.
Je désire donc savoir particulièrement au point de vue de l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte, ce que le gouvernement a fait pour l'école de Mons, quand il compte l'ouvrir, quand, en un mot, l'enseignement laïque pédagogique par l'Etat sera une vérité dans la province de Liège et dans la province de Hainaut.
Mais les deux demandes que je viens de présenter ne peuvent pas se séparer d'une troisième, qui est relative aux écoles à établir dans les Flandres. L'honorable M. Kervyn nous a dit l'an dernier, si mes souvenirs sont exacts, que des négociations avaient été entamées par lui, mais que ces négociations n'avaient pas une allure bien vive, qu'elles rencontraient une certaine résistance quant à l'intervention de la province et quant à l'intervention des villes de Gand et de Bruges. Je désirerais savoir si ces résistances sont vaincues ; si les négociations ont été reprises, si elles ont abouti ; en un mot, Je prie M. le ministre qu'il veuille bien nous dire si les Flandres pourront bientôt avoir leurs écoles d'instituteurs et d'institutrices.
Le gouvernement, sans doute, aura été frappé, comme moi, de la situation que la ville de Bruxelles est venue accuser ici. Je n'ai, dit-elle, que peu d'instituteurs diplômés par une raison fort simple ; je n'en trouve pas.
La ville de Bruxelles n'a donc pas dans les écoles normales un recrutement suffisant pour son personnel enseignant. Celle situation est très grave et malheureusement elle est générale ; ce qui se passe à Bruxelles se passe dans tout le pays ; à l'heure qu'il est, il y a environ 11,000 instituteurs et sur ce nombre il n'y a que 3,500 instituteurs diplômés.
S'il est vrai que le gouvernement veut que les communes nomment toujours des instituteurs diplômés, il a le devoir de veiller à ce qu'il y ait des instituteurs diplômés et à ce que les écoles qui doivent les former sortent de terre.
Je demande donc que le gouvernement nous dise ce qu'il compte faire à cet égard.
S'il y a des résistances dans la création des écoles normales flamandes, hier la ville de Bruxelles a tenu un langage tel, que le gouvernement pourra peut-être trouver à Bruxelles des moyens d'exécution qu'il ne trouverait pas ailleurs. La ville de Bruxelles nous a dit que dans un centre aussi important il faudrait des écoles normales ; eh bien, si les Flandres ne voulaient pas intervenir comme elles le doivent, le gouvernement pourrait peut-être s'adresser à la ville de Bruxelles pour y installer les écoles normales, ou bien encore le gouvernement aurait à voir s'il ne doit pas se passer du concours des provinces.
Il y a là un besoin urgent et il n'est pas loisible au gouvernement de différer d'y satisfaire.
Cette raison d'urgence que je viens de signaler, le gouvernement ne peut s'y soustraire ; personnellement je dois en faire valoir une autre qui touchera moins le gouvernement, mais qui n'en a pas moins sa valeur.
Le gouvernement a adopté récemment un grand nombre d'écoles normales privées ; il a ainsi fourni un nouvel aliment à la création d'instituteurs par les soins de l'enseignement religieux.
Il faut évidemment un contre-poids à cette situation ; et s'il est vrai que dans le fonctionnement de la loi de 1842 il faille maintenir une certaine pondération entre l'élément privé et l'élément de l'Etat, il est du devoir du gouvernement de la maintenir.
Il y a donc là encore un motif d'urgence pour organiser, dans un très bref délai, l'enseignement pédagogique pour les filles et pour les garçons, et M. le ministre de l'intérieur ne pourrait le contester.
Messieurs, vous devez comprendre que quand j'appelle l'attention du gouvernement sur l'instruction primaire, à raison de l'enseignement normal, je dois aussi lui signaler un point qui avait paru le préoccuper très vivement l'année dernière ; je veux parler de la construction et de l'ameublement de maisons d'école.
L'honorable M. Kervyn vous a dit qu'il était vivement pénétré de cette nécessité de pourvoir à l'organisation matérielle des écoles primaires.
A la date du 7 février 1871, l'honorable M. Kervyn nous a fourni un travail duquel il résulte qu'il faudrait une somme de 19,440,842 francs pour compléter cette organisation matérielle.
Eh bien, à ce sujet, je me permets de recommander au gouvernement qu'il veuille bien nous donner autre chose que des chiffres que l'honorable M. Kervyn a cru devoir nous indiquer, en faisant l'éloge de son administration comme ministre de l'intérieur ; je demande au gouvernement, ce qui serait plus intéressant, combien il lui reste de disponible sur le dernier crédit spécial d'un million que nous avons mis à sa disposition. J'ai d'autant plus de droit de lui demander cette indication que je ne trouve d'allocations budgétaires que pour une somme de 150,000 francs. C'est peu de chose ; ou bien l'administration de M. Kervyn aura été extrêmement parcimonieuse, ce qui lui aura laissé des arriérés considérables, ou bien le chiffre est insuffisant.
Je demande donc au gouvernement qu'il nous donne quelques renseignements à cet égard.
Je ne crois pas non plus aller trop loin en lui demandant s'il prétend faire fi de ces indications qui nous ont été données l'an dernier et d'où il résultait qu'au 1er février il fallait encore 20 millions pour compléter l'organisation de l'instruction primaire.
Est-ce que le gouvernement entend s'appliquer sérieusement à compléter cette organisation ? Oh ! je ne demanderai pas au gouvernement qu'il prenne en considération la proposition de M. Funck, tendante à ce que l'instruction primaire soit rendue obligatoire.
Nous savons parfaitement que les conseils de M. l'évêque d'Orléans ont franchi le seuil de cette enceinte et le rapport de M. de Haerne en fait foi.
Je ne crois pas, du reste, que nous puissions nous méprendre sur l'accueil que la droite réserve à la proposition de M. Funck ; le vote qu'elle a émis récemment et par lequel elle a mis au-dessus de cette question la grande question des servitudes militaires d'Anvers nous donne la mesure de ce que nous avons à attendre ; mais si je ne puis trouver là une raison (page 455) qui touchera le ministre, il y en a une autre : tous les ministres qui se sont succédé, presque tous les orateurs qui ont parlé de la question de l'instruction primaire ont été d'accord pour dire que tous les Belges devaient être mis a même de recevoir l'instruction primaire.
Eh bien, s'il en est ainsi, il est indispensable d'établir des locaux suffisants pour l'instruction primaire, et pour avoir ces locaux, il importe que nous nous imposions une dépense de 20 millions. (Interruption.) Je sais que la part de l'Etat n'est pas de 20 millions. Ce chiffre représente la part d'intervention des communes, des provinces et de l'Etat. Mais je voudrais que le gouvernement nous dise ses intentions d'une manière précise sur ces nécessités constatées par le gouvernement précédent.
Je sais, messieurs, qu'il y a dans l'application des entraves avec lesquelles il faut compter ; je sais aussi que le gouvernement actuel pourrait répéter ce que les gouvernements précédents nous ont dit : Il faut tenir compte de l'intervention des provinces et des communes où l'on rencontre du mauvais vouloir et souvent de la misère.
Mais je demande avec instance qu'on nous fasse une réponse qui coupe court à une situation intolérable.
Je pense que d'ici à l'année prochaine, d'ici à la session qui s'ouvrira à la fin de cette année, le gouvernement pourrait nous donner des renseignements définitifs et précis sur l'application des sommes nécessaires pour compléter l'organisation de l'enseignement primaire ; l'indication de ces sommes par provinces et par communes et, en regard de chaque commune, les raisons et les motifs qui sont allégués par ces communes pour se soustraire à ces obligations légales.
Je voudrais, comme complément de ces renseignements, l'appréciation par le gouvernement lui-même de la véracité, de la sincérité et de la justesse des motifs allégués par les communes.
Le document que je demande formerait une suite naturelle de celui que nous devons a M. Kervyn et à côté duquel je tiens à signaler celui que nous venons de recevoir de l'honorable chanoine de Haerne.
Ce dernier travail constate lui-même qu'il y a, dans cinq provinces du pays, 30,000 enfants qui ne peuvent trouver place dans les écoles et que de ces 30,000, 14,000 appartiennent au Hainaut.
Je signale la une situation très dangereuse, très alarmante pour la société, situation à laquelle il faut qu'à tout prix on mette un terme. Ce n'est pas dans de vagues déclarations que nous pourrons trouver des remèdes à cette calamité, mais par des indications certaines, précises, que chacun de nous pourra scruter.
La question d'argent n'arrêtera pas la Chambre ; le gouvernement le sait ; il l'a entendu de la bouche d'un de ses propres amis. L'honorable M. de Baets disait avant-hier : Donnons, dounons à pleines mains, partout où l'enseignement ne satisfait pas aux besoins qui s'accusent.
Je partage complètement, sur ce point, l'avis de l'honorable M. de Baets et j'espère que le gouvernement fera chose utile et sage en déférant à cette demande de renseignements que j'ai l'honneur de lui faire et de formuler avec soin.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je ne reviendrai pas sur la discussion générale dans laquelle ma circulaire du 11 décembre 1870 a été si fréquemment citée.
Je me bornerai, quant à ce point, à demander à la Chambre, pour lui permettre d'apprécier l'esprit et le but des circulaires de décembre 1870 et de juin 1871, de m'autorisera les insérer aux Annales parlementaires. [Insérées aux pages 455 à 457 des Annales parlementaires. Non reprises dans la présente version numérisée.]. Mais il est deux incidents de la séance d'hier sur lesquels je (page 456) suis oblige de prendre la parole et, en quelque sorte, pour un fait personnel.
L'honorable M. de Rossius a signalé hier un fait énorme sur lequel il a appelé l'indignation de la Chambre et du pays. Il y a eu, dans une de nos provinces, une ville qui, en présence de plusieurs institutrices diplômées, a osé choisir une personne qui ne l'était pas ; et le ministre a donné son approbation à cette nomination.
Je n'ai pas reconnu immédiatement le fait auquel l'honorable M. de Rossius faisait allusion ; mais aujourd'hui, après mûre réflexion, je puis attacher à ce fait des noms et des dates que l'honorable préopinant n'a pas indiqués.
Il ne s'agit pas d'une ville cléricale ; il ne s'est pas agi de favoriser une religieuse : il s'agit d'une ville de la province de Liège, dont toutes les sympathies sont libérales. En un mot, il s'agit de la ville de Spa.
Or, voyons, messieurs, ce qui s'est passé a Spa et demandons-nous comment l'honorable préopinant a pu, en cette matière, m’adresser un reproche sérieux.
La ville de Spa a nommé comme institutrice la fille d'un homme très distingué, professeur d'athénée dans un de nos chefs-lieux de province, et lui-même signalé par de longs services rendus à la littérature et à l'histoire nationales. Cette jeune personne sortait d'une école normale, et alors qu'il suffit d'avoir 400 points pour obtenir le diplôme de normaliste, elle (page 457) en avait, dans ses examens, obtenu 436, c’est-à-dire 36 points de plus que ce qui était exigé pour le diplôme.
Mais qu'était-il donc arrivé ? C'est que son père habitait une province flamande et qu'il avait placé sa fille près de lui, dans une école normale où la connaissance de la langue flamande était exigée.
Cette jeune personne appartenant à une province wallonne n'avait pu, sur ce point spécial, satisfaire à ce que réclamait le règlement, c'est-à-dire qu'elle n'avait pu obtenir les deux tiers des points exigés pour la connaissance de la langue flamande.
Mais sur tous les autres points, elle avait répondu d'une manière satisfaisante, si bien que tout en ne justifiant pas de la connaissance de la langue flamande, elle n'en avait pas moins obtenu 436 points.
Or, messieurs, il s'agissait d'une localité wallonne, de la ville de Spa, et je demande à la Chambre s'il existait aucun motif sérieux pour considérer cette jeune personne comme n'étant pas dans une situation parfaitement régulière.
L'administration communale de Spa a donc insisté pour que cette jeune personne fût agréée comme institutrice.
L'inspecteur provincial ayant soulevé certaines difficultés, M. le gouverneur de la province de Liège a émis un avis favorable a la nomination.
Voici, messieurs, la dépêche de M. le gouverneur de la province de Liège :
« J'ai l'honneur de vous soumettre, afin de décision, le dossier ci-joint (page 458) relatif a la nomination de la demoiselle L. L., non diplômée, aux fonctions de sous-institutrice communale a Spa.
« Ainsi que vous le verrez, monsieur le ministre, la position de cette jeune personne, au point de vue des preuves légales de capacité, est tout exceptionnelle et semble commander un certain tempérament dans la règle ordinaire des nominations de l'espèce.
« Le gouverneur, (signé) Ch. de Luesemans. »
Dans les bureaux du ministère, cette affaire n'a souffert aucune difficulté, et les conclusions ont été l'agréation, que j'ai confirmée.
Sur un autre point, messieurs, j'ai d'autres explications à donner, et j'ajoute qu'elles sont d'une nature assez délicate.
Dans la séance d'hier, l'honorable M. Elias m'a posé cette question :
« Dans le cas où il arriverait, aux termes de votre circulaire de décembre 1870, modifiée au mois de juin 1871, que le produit du dixième du fonds des octrois serait inférieur aux 2 centimes additionnels prévus par la loi de 1842, suffirait-il à la commune de consacrer à l'enseignement primaire un dixième du fonds communal ? » Et lorsque je l'interrompais pour lui dire qu'il y avait une prescription formelle dans fa loi de 1842, dont on ne pouvait s'écarter, l'honorable M. Elias me répondait que j'avais affirmé le principe contraire dans une circulaire.
Or, comme il indiquait en ce moment comme date le mois d'octobre 1871 et comme destinataire M. le gouverneur du Hainaut, j'ai dit à la Chambre que je n'avais conservé aucun souvenir de cette circulaire.
En effet, il ne s'agit pas d'une circulaire adressée au gouverneur du Hainaut, mais d'une dépêche au gouverneur du Brabant, et elle n'est pas du mois d'octobre, mais du 25 novembre 1871.
Du reste, après avoir entendu l'honorable M. Elias, je l'ai prié de me communiquer cette dépêche, mais au moment où j'en prenais connaissance, il me l'a redemandée parce que M. de Rossius voulait en faire usage dans son discours.
M. Elias. - Je demande la parole.
M. Kervyn de Lettenhove. - Mon premier soin ce matin a été de me rendre au département de l'intérieur, afin d'obtenir copie de cette dépêche, et j'ai un reproche grave, à adresser à l'honorable député de Liège : c'est qu'il l'a mutilée ; c'est qu'il ne l'a pas lue telle qu'elle existe ; c'est qu'il en a fait disparaître la phrase principale.
Voici, messieurs, le texte de cette lettre, telle qu'il se trouve aux Annales parlementaires :
« En réponse à votre lettre du 6 de ce mois, cabinet, j'ai l'honneur de vous informer que, dans le cas indiqué par ma circulaire du 3 juin dernier, la quote-part obligatoire de la commune dans les frais du service annuel ordinaire des écoles primaires est limitée au dixième de la rente provenant du fonds des octrois, sans qu'on puisse exiger en outre une allocation égale au produit de deux centimes additionnels. »
Et c'est ce paragraphe que l'honorable M. Elias interprétait comme étant assez grave pour m'accuser d'avoir méconnu la prescription de la loi de 1842, comme assez grave pour qu'il y eût utilité à appeler sur cette violation de la loi toute l'attention de mon honorable successeur ; mais que portait ma lettre ? J'en ai ici le texte officiel qui m'a été communiqué ce matin même au département de l'intérieur. J'ai hâte de mettre sous les yeux de la Chambre le second paragraphe omis par l'honorable M. Elias :
« Il doit être bien entendu, toutefois, que la quote-part de la commune ne peut être inférieure ni à celle qui figure au budget scolaire de 1871, ni au produit des 2 centimes additionnels exigés par la loi. »
Ce second paragraphe donnait donc à celui que l'honorable M. Elias a cité sa véritable signification, une signification toute contraire à celle qu'il lui a assignée.
Eh bien, ou mon honorable collègue, M. Elias, n'a eu que la communication d'une partie de cette dépêche et. dans ce cas, une grave responsabilité pèse sur celui qui lui a fait cette communication ; ou bien, l'honorable M, Elias a eu sous les yeux la dépêche tout entière, et dans ce cas, je regrette profondément qu'il se soit écarté de ces règles de discussion loyale et sincère que nous ne devrions jamais perdre de vue.
M. Elias. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, je pourrais me dispenser de parler encore aujourd'hui des circulaires de l'honorable M. Kervyn.
L'honorable M. Delcour, hier, a fait bon marché de ces circulaires et les a pour ainsi dire abandonnées.
L'honorable M. Kervyn, lui-même, dans le discours qu'il a prononcé, a voulu pour ainsi dire repousser loin de lui la responsabilité et l'honneur d'avoir fait cette circulaire ; il nous a dit que cette circulaire était l'œuvre des employés de son ministère.
L'honorable M. Kervyn a attaqué l'usage que j'avais fait d'une pièce qui m'a été passée au moment où, dans mon discours, je demandais des explications à l'honorable M. Kervyn sur un point déterminé et pour savoir si j'étais bien d'accord avec lui sur le point sur lequel je voulais établir une discussion. J'ai pris communication de cette circulaire pendant que l'honorable M. Kervyn me répondait et pendant qu'il énonçait des principes qui n'étaient pas d'accord avec ceux de sa circulaire. Je vais vous le démontrer. (Interruption.)
M. Dumortier. - Il n'y a rien de personnel là dedans.
M. Elias. - Comment ! on m'accuse d'avoir tronqué une dépêche ! On m'accuse d avoir tronqué cette circulaire et je n'aurais pas le droit de me défendre !
Les erreurs que j'avais commises en parlant de cette circulaire auraient dû avertir l'honorable M. Kervyn que je ne l'avais pas eue sous les yeux ; n'a-t-il pas dit, en effet, que j'avais parlé de la province de Hainaut, que j'avais parlé du mois d'octobre, alors que c'était une simple dépêche adressée au gouverneur du Brabant et datée du mois de décembre ?
Si j'avais eu la circulaire, je me serais contenté de la lire. Mais il y a plus. Ce dernier paragraphe ôte-t-il aucune force au raisonnement que je voulais vous présenter ; a-t-il le sens que lui donne M. Kervyn ? Je disais hier qu'en fixant aux communes pauvres le dixième seulement de leur part de l'octroi, on changeait les bases de l'article 23 de la loi de 1842.
Dans cet article, cette part d'intervention des communes est fixée sur les impôts directs, par conséquent sur la propriété foncière bâtie et non bâtie, la contribution personnelle et les patentes.
La part du fonds de l'octroi, au contraire, est distribuée aux communes d'après la contribution foncière sur les propriétés bâties, la contribution personnelle et le produit des patentes ; il en résulte que la contribution foncière sur la propriété non bâtie est exclue de cette base et ainsi il y a une différence considérable dans la répartition des subsides de l'Etat.
Le deuxième paragraphe de la dernière partie de cette circulaire n'ôte donc aucune force à l'argument présenté par moi pour démontrer que la proportionnalité établie par la loi était rompue. Le paragraphe invoqué ici ne change rien à cela. Ceci me paraît parfaitement établi.
Ainsi donc, j'aurais pu supprimer ce paragraphe si je l'avais connu.
M. David. - Messieurs, dans la séance du 6 février, j'avais demandé à l'honorable ministre de l'intérieur les causes du retard qu'éprouve l'approbation, par son département, des plans, devis, etc., envoyés à ce département pour l'érection d'une école primaire de filles à enseignement développé dans la commune de Limbourg, soit à Dolhain,
J'avais dit que les pièces avaient été envoyées au ministère de l'intérieur, au mois d'avril. L'honorable M. Delcour, prévenu par moi quelques jours auparavant de la question que j'avais l'intention de lui soumettre ; l'honorable M. Delcour, après les recherches dont il a parlé, m'a fait, dans la même séance du 6 février, la réponse dont je vous demande la permission de vous donner lecture,
« L'honorable M. David me pose une seconde question relative à l'érection, dans la commune de. Limbourg, d'une école moyenne de filles et il reproche au gouvernement de ne pas avoir pris de décision à cet égard.
« M. David avait bien voulu me faire connaître son intention de m'adresser une interpellation sur ce point. J'ai donc fait opérer des recherches dans les bureaux et il m'a été répondu qu'il n'existe au département aucun dossier concernant l'école en question.
« Ainsi l'honorable M. David se trompe lorsqu'il affirme qu'au mois d'avril dernier les pièces ont été envoyées par le gouvernement provincial de Liège au département de l'intérieur.
« Je le répète, messieurs, aucun dossier concernant cette école n'existe dans les bureaux du ministère de l'intérieur ; mon honorable prédécesseur s'est donc trouvé dans l'impossibilité de statuer, et le gouvernement ne mérite, en conséquence, aucun reproche de ce chef. »
Messieurs, pour que le dossier ne soit pas parvenu à sa destination, il faut véritablement qu'il soit arrivé un de ces grands accidents de chemin de fer (interruption), il faut que l'un des convois de poste, partis de Liège le 5 mai 1871, se soit perdu corps et biens (interruption), sans que le département des travaux publics en ait été averti et sans que nous en ayons rien lu dans les journaux et sans que nous sachions jusqu'à présent ce que ce convoi est devenu.
Afin de contrôler les indications de notre correspondance communale, j'ai voulu savoir pertinemment la date à laquelle le dossier a été renvoyé à Bruxelles ; je me suis adressé à cet effet à M. le greffier de la province, (page 459) et sous la date d'hier, j'ai reçu de cet honorable fonctionnaire la réponse suivante :
« Monsieur le député, en réponse à votre lettre du 7 février courant, j'ai l'honneur de vous informer que le dossier relatif à la construction d'une école de filles à Dolhain (Limbourg), a été transmis à M. le ministre de l'intérieur, le 53mai 1871.
« (Signé) Laloix. »
C'est donc le 3 mai que les pièces sont parties de Liège ; elles ont dû arriver à Bruxelles le 4 au plus tard.
M. le ministre nous a affirmé qu'elles n'étaient pas à son département ; il me semble qu'un ministre, avant de faire une réponse aussi catégorique, devrait s'éclairer ; il ne l'a pas fait sans doute, car le dossier doit être au ministère.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Il n'y est pas.
M. David. - Il est possible qu'on ne l'y trouve pas, mais il y a été envoyé.
M. Vleminckx. - Il y a donc du désordre au ministère de l'intérieur.
M. Bouvier. - Qu'est-ce cela pour un ministère ? Il renferme donc un cabinet noir.
M. David. - Le greffier de la province affirme que les pièces ont été envoyées le 3 mai.
Et, messieurs, selon toute probabilité la disparition de ces pièces n'est pas due à un accident de chemin de fer.
A Dolhain, il existe une petite mauvaise école de sœurs. (Interruption.) Oui, quatre sœurs y donnent l'instruction aux petites filles de Dolhain. D'abord ce personnel est insuffisant, il n'a aucune méthode. (Interruption.) Aucune de ces sœurs n'a passé par une école normale et à chaque instant on les change ; pour éduquer nos jeunes filles wallonnes et belges, on y envoie des Françaises, des Allemandes, des Espagnoles, des Italiennes, des... (Interruption.) Mais c'est ainsi... (Interruption.) et M. d'Andrimont, qui est souvent à Limbourg en été, confirme le fait.
Voilà, messieurs, les raisons pour lesquelles on ne retrouve pas le dossier au ministère de l'intérieur. Partout où il y a une école de petits frères, une école de sœurs, il ne peut y avoir, d'après vous, d'autres écoles. Mais ayez donc la franchise de le dire, on saura au moins alors à quoi s'en tenir.
M. Bouvier. - Nous n'avons pas besoin de cette déclaration pour le reconnaître.
M. David. - J'espère que l'honorable ministre me donnera une réponse plus satisfaisante que celle formulée par lui la première fois le 6 février, car sinon on dira dans tout le pays qu'il marche sur les traces de M. Kervyn. (Interruption.)
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, il y a une parole qu'a prononcée l'honorable M. David que je ne saurais accepter. Il vient de dire : « M. le ministre, devrait avoir la franchise de nous faire connaître ce qui se passe au ministère. » Eh bien, j'ai cette franchise et lorsque je lui ai dit, dans une séance précédente, que l'on ne connaît pas dans mes bureaux de dossier concernant l'école de Limbourg, j'ai parlé avec une franchise, loyale et entière.
M. Bouvier. - Où est-il ? (Interruption.)
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Puis-je courir moi-même à la recherche de ce dossier ? Je ne pouvais faire qu'une chose pour être à même de pouvoir répondre immédiatement à l'interpellation de l'honorable M. David : demander si le dossier se trouve dans les bureaux. Je l'ai réclamé au service de l'instruction primaire, je l'ai demandé à la division de l'instruction moyenne et les chefs de ces divisions m'ont répondu que le dossier n'existait pas.
M. Bouvier. - Il est au cabinet noir.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Vous le voyez, messieurs, la franchise est complète de ma part et je ne puis accepter ni pour moi, n pour mon honorable prédécesseur, les reproches que l'on veut nous adresser.
- Des membres. - Très bien !
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Les fonctionnaires de l'administration de l'instruction publique m'ont répondu que les pièces réclamées ne se trouvent pas au département.
M. Muller. - Il faut faire une enquête.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Voilà, messieurs, tout ce que j'ai à dire sur ce point. Je crois que l'incident peut être considéré comme vidé. (Interruption.)
J'ajouterai seulement que le lendemain de l'interpellation de l'honorable M. David, j'ai voulu m'assurer de nouveau si bien certainement les pièces de cette affaire n'étaient pas parvenues à l'administration centrale.
Il m'a été répondu, dans mon cabinet même, que toutes les recherches faites étaient restées infructueuses et cette réponse m'a été donnée un quart d'heure avant la séance de la Chambre.
M. Vleminckx. - Il n'y a donc pas d'indicateur au ministère ?
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Mais, messieurs, vous admettrez que le rôle d'un ministre n'est pas de courir lui-même de bureau en bureau, d'aller compulser les indicateurs ; je ne pouvais évidemment que m'adresser aux chefs de service, dont la loyauté ne peut être mise en doute, et vous apporter ici les renseignements de l'administration.
Voilà, messieurs, ma réponse à cette espèce d'insinuation (interruption) qu'on eût mieux fait de ne pas produire ici.
M. de Rossius. - Faites faire une enquête.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Laissons donc de côté ce petit incident, pour nous occuper de choses plus importantes.
M. de Rossius. - Je demande la parole.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Boulenger m'a posé des questions plus sérieuses et qui appartiennent réellement au débat qui doit nous occuper. Il m'a demandé d'abord quelles sont les intentions du gouvernement en ce qui concerne la construction et l'ameublement des maisons d'école.
Les intentions du gouvernement, et surtout celles du ministre, vous sont connues, messieurs ; dans toutes les circonstances où l'on est venu demander des crédits à la Chambre pour la construction de bâtiments d'école et pour leur ameublement, j'ai toujours vivement appuyé ces demandes.
Aussi, messieurs, ce n'est certes pas moi qui viendrai aujourd'hui m'opposer à ce qui peut contribuer à la bonne organisation matérielle de nos écoles primaires.
La somme nécessaire pour assurer le développement de cet objet si important a déjà été indiqué par mon honorable prédécesseur, M. Kervyn de Lettenhove.
L'intention du gouvernement est de demander de nouveaux crédits à la Chambre en vue de pouvoir satisfaire aux besoins les plus urgents qui seront reconnus.
J'espère, messieurs, que cette déclaration répondra complètement au désir de l'honorable M. Boulenger.
Mais l'honorable membre voudrait aussi, pour s'éclairer sur la même question, que le gouvernement présentât un rapport complet et détaillé de tous les besoins considérés, soit au point de vue général, soit au point de vue communal, et que tous les renseignements particuliers possibles fussent fournis.
Je ne me refuse pas, en principe, à donner à la Chambre toutes les explications qui me seront demandées. Mais un rapport, tel que le réclame l'honorable membre, ne me semble guère de nature à être produit. Le gouvernement peut-il dire aujourd'hui quels sont, sur l'objet en question, les besoins de toutes les communes ? La chose me paraît bien difficile, messieurs.
Peut-il, alors surtout qu'il n'y a pas d'instruction faite, venir dire à la Chambre : Voici les explications et les renseignements que j'ai recueillis de tous côtés et voici quelles sont mes appréciations quant à ces renseignements ?
Non, messieurs, ce n'est pas ainsi qu'un gouvernement doit procéder.
Lorsque le moment opportun sera venu, j'aurai l'honneur de vous faire des propositions formelles en vue de satisfaire aux besoins qui m'auront été signalés ; l'honorable M. Boulenger peut être convaincu que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour développer l'enseignement primaire et particulièrement pour multiplier le nombre des bâtiments d'école.
On a exprimé le désir de savoir, en second lieu, quelles sont mes intentions au sujet du mode de répartition des bourses d'études normales.
Messieurs, cette question est à l'étude et je n'entends pas me prononcer à présent d'une manière définitive.
Le conseil provincial de Namur a émis un vœu et il a subordonné ce vœu à une modification à introduire dans le programme et dans le mode d'examen des études.
La commission centrale de l'instruction primaire est saisie de la question.
Aussi longtemps que je ne posséderai pas les renseignements qui me permettent de l'étudier moi-même, la Chambre comprendra que je ne prenne aucun engagement.
(page 460) Cependant, je tiens à dire aujourd'hui qu'il n'entre pas dans mes vues d'établir, pour la distribution de ces subsides, le principe d'égalité absolue qui a été préconisé.
Il reste, messieurs, un troisième point touchant les écoles normales dont la création a été décrétée par la loi du 29 mai 1866.
Je me permettrai tout d'abord, messieurs, de vous fournir une explication personnelle, comme on vient de me mettre en cause au sujet du vote d'abstention que j'avais émis sur cette loi.
Messieurs, on a attribué à ce vote d'abstention un sens qu'il n'a assurément pas. J'ai cru devoir m'abstenir parce que la loi était votée à la fin de la session et que, d'accord avec plusieurs de mes collègues, nous ne trouvions pas que la nécessité des nouvelles écoles que l'on voulait établir fût suffisamment démontrée ; mais j'ai déclaré dans les motifs de mon abstention que je ne combattais pas le principe décrété et que je désirais autant que personne le développement de l'instruction primaire dans le pays.
Cette rectification faite et mon vote parfaitement connu de la Chambre, j'arrive, messieurs, à la question que m'a posée l'honorable M. Boulenger ; il m'a demandé où en est l'exécution de la loi de 1866.
Messieurs, vous savez ce qui a été fait pour l'école normale d'institutrices, accordée, en vertu de cette loi, à la ville de Liège. Les plans de cette école ont été approuvés, des arrangements ont été conclus, et à l'heure qu'il est, si je ne me trompe, les travaux sont commencés.
Quant à l'école normale à établir à Mons, j'ai le plaisir d'apprendre à l'honorable M. Boulenger qu'il y a quelques jours j'ai, moi-même, approuvé les plans qui avaient été présentés par M. l'architecte Hubert et j'espère que d'ici au mois d'avril on pourra mettre la main à l'œuvre.
Il reste encore deux écoles normales à établir : l'une à Bruges et l'autre à Gand.
Des pourparlers sont entamés, comme vous le savez, avec ces deux villes ; mais aucune conclusion n'est encore intervenue.
Voici, messieurs, quelle est la situation : le gouvernement n'a pu, jusqu'à présent, se mettre d'accord avec l'administration de la ville de Gand, celle-ci ne consentant pas à intervenir dans les frais de premier établissement de l'école normale de filles qui lui est destinée.
Il est vrai que la ville de Gand offre un terrain d'une valeur de 35,000 fr. environ, mais elle devrait encore contribuer aux frais de construction. C'est la négociation qui reste à poursuivre.
Quant à Bruges, la situation est à peu près la même. La ville, de son côté, offre un terrain d'une contenance de 1 hectare 7 ares et 37 centiares. Ce terrain, sur lequel s'élèvent les bâtiments de l'ancien local de Saint-Georges, est évalué, pour le fond, à 15,000 francs et pour les bâtiments à 32,781 francs.
Par dépêche du 14 novembre dernier, M. le bourgmestre de Bruges a été informé que l'affaire n'était point perdue de vue.
(page 467) M. de Rossius. - L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit qu'il n'a pas trouvé de trace, à son département, du dossier dont a parlé l'honorable M. David.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Que voulez-vous que je vous dise d'autre ?
M. de Rossius. - Je vais au moins vous dire ce que vous devriez faire. (Interruption.)
Ah ! vous trouvez tout naturel qu'un dossier s'égare ! Vous voulez que quand nous signalons qu'un dossier a disparu du département de l'intérieur, aucune réponse ne nous soit faite !
Moi je demande à M. le ministre de l'intérieur quelle mesure il se propose de prendre. Suis-je donc indiscret ?
M. Dumortier. - Dites donc que l'honorable M. Kervyn a escamoté ce dossier pendant qu'il était au département de l'intérieur ?
M. de Rossius. - Ne parlons pas d'escamotage, M. Dumortier, je vous en prie.
L'administration provinciale de Liège a-t-elle, oui ou non, envoyé le dossier au département de l'intérieur ? Voila un premier point. Or, ici aucun doute n'est possible.
Cette administration nous donne une déclaration positive. Elle trouve à son indicateur de sortie la date de l'expédition du dossier. Ce dossier est donc parti pour Bruxelles. Qu'est-il devenu ? Voilà un deuxième point. N'y a-t-il pas un indicateur d'entrée au département de l'intérieur ? Qu'on commence par vérifier si cet indicateur donne la date de réception du dossier expédié de Liège.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
AI. de Rosslus.—Maintenant, dans l'affirmative, ce dossier, qu'est-il devenu ? Est-il ou n'est-il pas sorti du département ? S'il est sorti, on doit pouvoir constater à qui il a été remis. N'est-il pas sorti, au contraire, comment s'est-il égaré ? Assurément, quelqu'un est responsable de la disparition de ce dossier, qui n'a pas quitté les bureaux et je demande que l'honorable ministre procède à une enquête.
Messieurs, je ne m'étonne pas du désordre qui règne dans l'administration, quand je vois l'indifférence de la majorité et du cabinet, quand je vois qu'ils tolèrent les abus qui sont signalés.
Dans les travaux publics, ce sont des séries de réclamations que l'on laisse sans réponse. Au département de l'intérieur, ce sont des pièces qui disparaissent, des dossiers qui s'égarent ; et quand nous protestons, quand nous demandons des explications, nos paroles sont accueillies par les éclats de rire de la droite tout entière.
M. De Lehaye. - Je n'ai pas ri.
M. de Rossius. - Si vous n'avez pas ri, protestez donc contre les rires de vos voisins.
Je dis qu'il y a quelque chose à faire et que nous avons le droit de demander compte du désordre que l'on introduit dans l'administration. J'espère qu'à la prochaine séance l'honorable ministre de l'intérieur viendra nous dire ce qu'il aura cru devoir ordonner.
Messieurs, l'honorable M. Kervyn a protesté contre les paroles que j'ai prononcées dans la séance d'hier. Il a voulu justifier l'autorisation donnée de nommer une institutrice non diplômée dans une ville de la province de Liège.
L'honorable membre a affirmé que cette institutrice est fort instruite. Il faudrait d'abord fournir quelque preuve à l'appui de cette affirmation.
Un fait est certain, c'est que cette institutrice n'a pas obtenu le diplôme requis. Et fût-elle instruite, il n'en reste pas moins vrai que, contrairement à la jurisprudence constante, vous avez décidé que les postulantes diplômées peuvent être écartées par des postulantes sans diplôme.
Voilà la règle nouvelle, et si je la signale, c'est parce qu'elle ouvre la porte à de graves abus fatals à l'enseignement primaire. Voilà pourquoi j'ai protesté contre l'acte de M. Kervyn, et je n'avais pas à me préoccuper des recommandations qui ont pu exercer une pression sur lui.
Je n'admets pas que des postulantes qui n'ont pas de diplômé l'emportent sur celles qui sont diplômées. (Interruption.) L'honorable M. Wasseige me dit : Et Bruxelles ? Je lui réponds qu'on n'a jamais procédé à une nomination à Bruxelles sans avoir fait subir au candidat une épreuve dont il soit sorti victorieux.
M. Wasseige. - C'est ce qui est arrivé à cette institutrice.
M. de Rossius. - Permettez.
Dans l'impossibilité de trouver des instituteurs diplômés, qu'a fait l'administration communale de la ville de Bruxelles ?
Avec l'approbation du gouvernement, elle a organisé une véritable école normale ; un jury y procède à l'examen des élèves-instituteurs, et ceux qui sortent victorieusement de ces épreuves obtiennent seuls une nomination...
M. Anspach. - Le gouvernement devrait nous en remercier.
M. de Rossius. - L'organisation de cette école normale communale révèle une chose : la pénurie de candidats.
Eh bien, créez à Bruxelles une école normale de l'Etat ; vous en avez tous les éléments sous la main. L'école communale qui existe aujourd'hui doit vous donner tous vos apaisements au point de vue religieux, puisque l'inspecteur ecclésiastique, ainsi que l'a dit tantôt, dans une interruption, l'honorable M. Orts, fait partie, du jury d'examen avec d'autres fonctionnaires du gouvernement.
M. Orts. - Il siège en ce moment même à l'hôtel de ville.
M. de Rossius. - Je crois que l'enseignement donné à Bruxelles ne peut être l'objet d'aucune plainte. Déposez demain un projet de loi. Que l'école normale communale devienne une école de l'Etal. C'est bien simple.
Votre projet de loi, nous serons unanimes à gauche pour le voter. Vous rendrez ainsi un grand service à l'enseignement primaire, car je suis convaincu que cette école prendrait immédiatement une grande extension. Vous apporterez un remède efficace à la pénurie de candidats diplômés de toute part signalée.
Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur n'a pas fait une réponse bien claire à la demande de l'honorable M. Reynaert. Sans doute, il nous a dit qu'il n'était pas disposé à proclamer le principe de l'égalité absolue dans la répartition du subside pour bourses d'étude, principe qui est celui de l'honorable M. Reynaert. Il a ajouté que la question était à l'étude et qu'il rechercherait ce qu'il y a à faire pour donner une satisfaction, tout au moins partielle, au vœu de l'honorable représentant de Courtrai.
Je crains bien, messieurs, que la satisfaction partielle dont on parle ne soit bien près d'une satisfaction complète. Nous pouvons nous attendre à voir accorder à l'élève normaliste des établissements du clergé la même bourse qu'à l'élève normaliste de l'Etat.
J'ai été frappé du soin avec lequel l'honorable M. de Theux a nié que, dans la discussion de la loi de 1842, la promesse avait été faite de demander aux établissements officiels les deux tiers du personnel enseignant et un tiers seulement aux établissements privés.
Ce n'est pas la première fois que M. de Theux méconnaît cette promesse de M. Nothomb, l'auteur de la loi. Il me paraît nécessaire de rafraîchir la mémoire de l'honorable chef du cabinet. Voici ce que nous lisons dans la correspondance qui fut échangée entre M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, et les évêques belges au lendemain de la promulgation de la loi de 1842, dans cette correspondance où s'étalent les injustifiables prétentions de l'épiscopat belge, ses exigences inadmissibles, qui ne tarderont pas à renaître, aujourd'hui que nous avons le bonheur de vivre sous un ministère clérical.
(page 468) Dans une lettre du 3 mai 1848, adressée par M. Nothomb à l’archevêque de Malines, je lis ce qui suit :
« Dans la séance du 24 août, pendant la discussion de l'article 35, répondant à M. Rogier, qui voulait que l'on établît plus de deux écoles normales aux frais de l'Etat, je présentai un résumé statistique établissant qu'il peut y avoir en Belgique 164 places d'instituteurs ruraux vacantes annuellement.
« J'ajoutai : « Je dis que sur ce nombre de 164, c'est être très large que d'accorder que le gouvernement en fournira les deux tiers, c'est-à-dire 120. Il y aura donc pour chacune des deux écoles de l'Etat à fournir, annuellement, soixante instituteurs. Ce sera, si l'on veut, un peu plus de la moitié des élèves fréquentants. C'est supposer que l'école renferme 100 à 200 élèves.
« Nous admettons donc que le tiers restant des instituteurs sera fourni par tous les établissements du pays, ecclésiastiques ou laïques, les collèges même, enfin tous les établissements qui peuvent les former. »
«... Dans ce système, continue M. Nothomb dans cette lettre après la citation extraite par lui des Annales parlementaires, dans ce système on admettait cette proportion : deux tiers en faveur des écoles de l'Etat, un tiers en partage entre les écoles privées, ecclésiastiques ou laïques.
« Si le gouvernement avait maintenu cette proportion dans l'exécution, on pourrait dire qu'il s'est fait une large part, mais non pas qu'il a dépassé les bornes indiquées par lui-même.
« Mais dans l'application, le gouvernement a renversé la proportion et l'a encore même forcée en faveur des écoles du clergé. Ce que je prouve très facilement par les calculs suivants ... »
Suivent les calculs qui établissent sa thèse.
Ainsi, dans la séance du 24 août, à propos de l'article 35 de la loi de 1842, M. Nothomb avait déclaré de la façon la plus positive que l'Etat fournirait les deux tiers du personnel enseignant ; l'enseignement privé, tant laïque qu'ecclésiastique, un tiers seulement.
Vous savez, messieurs, que nous n'avons pas aujourd'hui un seul établissement laïque qui forme des instituteurs ; toutes les écoles normales agréées pour instituteurs sont des écoles du clergé, et il est, je pense, bien inutile d'ajouter que la proportion de deux tiers contre un tiers n'a jamais été réalisée. Au lieu des deux tiers, l'enseignement de l'Etat fournit, je crois, la moitié seulement de nos normalistes.
Et l'on veut encore faire de nouveaux avantages aux écoles du clergé pour y attirer les élèves au détriment des établissements de l'Etat !
Cette promesse faite par M. Nothomb, cette promesse méconnue aujourd'hui, l'honorable comte de Theux la reproduisait dans le premier rapport triennal sur l'enseignement primaire. Il est l'auteur de ce rapport qui porte sa signature.
Il y rappelle d'abord la déclaration faite par M. Nothomb dans la séance du 24 août et que je viens de rappeler.
Puis il ajoute :
« La proportion indiquée par le ministre pour le partage des élèves entre les diverses institutions a été suivie autant que possible. Les établissements privés n'ont point à se plaindre ; au lieu de n'avoir à former que le tiers des instituteurs, qu'ils auraient dû partager avec les cours normaux et les autres institutions, ils ont été mis sur le pied d'égalité avec les écoles de l'Etat. »
Messieurs, savez-vous ce qui s'est passé au lendemain de la promulgation de la loi de 1842 ? Sous la pression de l'épiscopal, sous cette pression qu'avec raison nous redoutons aujourd'hui, d'une part on retardait la création des écoles normales de l'Etal. L'article 35 de la loi, qui prescrivait d'adjoindre des cours normaux aux écoles primaires supérieures, n'était pas exécuté.
D'autre part on s'empressait de conférer l'agréation aux sept écoles normales du clergé. Mais il y a plus encore : nous avions à Liège une école normale communale qui était excellente ; sous prétexte qu'elle n'était pas légale, et bien que les écoles pédagogiques de l'Etat ne fussent pas créées, toujours sur l'ordre de l'épiscopat, on contraignait la ville de Liège à la fermer.
Voilà, messieurs, la conduite que l'on tenait au lendemain de la promulgation de la loi de 1842.
Voilà par quelles mesures, en violation des engagements pris vis-à-vis de la gauche, qui avait consenti à voter la loi, on renversait la proportion des deux tiers contre un tiers, au profit du clergé.
Je n'espère pas, messieurs, de l'honorable ministre de l'intérieur beaucoup de bonne volonté pour l'enseignement public. Sans doute, nous n'aurons plus, comme l'an dernier, les grandes prosopopées et les alexandrins de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove. Mais des actes utiles, nous n'en aurons pas davantage.
(page 460) M. Dumortier. - En vérité, messieurs, quiconque a assisté à cette discussion, qui dure depuis plusieurs jours, doit être frappé de l'amoindrissement de nos débats. Autrefois nos discussions se distinguaient par la grandeur des questions qui en faisaient l'objet, par l'élévation des discours des orateurs. Aujourd'hui, messieurs, quelle est la question qui cause une si vive émotion sur les bancs de la gauche ? Il s'agit d'un paquet égaré ! Et à propos de ce paquet perdu, on fait un tapage épouvantable comme si la Belgique entière était sens dessus dessous. Il s'agit d'une institutrice de Spa, pourvue d'un diplôme, que l'honorable M. Kervyn a nommée, et à propos de cette nomination, nouvelle tempête, nouvelle révolution dans le Parlement.
Je demande, messieurs, si cela est raisonnable.
Traitez ces questions dans vos rapports avec les ministres, mais ne venez pas occuper le pays de pareilles bagatelles. N'accusez pas surtout mon honorable ami, M. Delcour, de manquer à la loyauté qui le caractérise.
M. David. - Je n'ai pas attaqué l'honorable M. Delcour.
M. Dumortier. - Je ne vous attaque pas non plus et je ne vous reconnais pas le droit de parler pour un fait personnel.
Je demande qu'on exécute le règlement et qu'on refuse la parole à celui qui aura parlé deux fois. II faut en finir avec des débats qui deviennent ridicules aux yeux du pays.
Un dossier est, dit-on, égaré.
Si c'eût été du temps où l'honorable M. Wasseige était ministre, on aurait dit qu'il l'avait escamoté pour le mettre dans le sien. Mais n'arrive-t-il pas, à chaque instant, qu'un dossier s'égare ?
Et si un dossier s'était égaré, est-ce que l'honorable M. Delcour en serait responsable ? En définitive, c'est de la déraison.
Croyez-moi, mes honorables amis et collègues, nous rabaissons singulièrement l'honneur du Parlement en nous occupant de ces minuties.
Je demande que cet incident soit clos et que l'on vote le budget.
Je profiterai du moment pour proposer à la Chambre de décider qu'après la discussion du budget, conformément à l'usage, elle s'ajournera au mardi 20 février.
Je prie la Chambre de prendre cette résolution aujourd'hui.
M. le président. - La proposition de l'honorable M. Dumortier viendra tout à l'heure.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, j'espère que M. le ministre de l'intérieur me saura gré de lui signaler une occasion de mettre immédiatement en pratique les déclarations qu'il nous a faites dans les dernières séances.
Dans l'arrondissement que je représente, un conseil communal vient de nommer sous-instituteur un candidat non diplômé en concurrence avec un candidat diplômé.
J'espère que quand cette affaire viendra à son département, M. le ministre conformera ses actes aux déclarations qu'il nous a faites.
M. Van Cromphaut. - Messieurs, la discussion qui est engagée me fournit l'occasion d'appuyer les considérations que l'honorable M. Drion a fait valoir dans la séance du 28 mars 1871, concernant la position des instituteurs qui montrent du zèle dans l'accomplissement de leurs pénibles fonctions.
Les communes en général sont peu disposées à venir en aide au zèle de l'instituteur, lorsque celui-ci cherche à attirer un grand nombre d'élèves dans son école, et qu'il devient nécessaire de lui donner un aide. Les communes alors, au lieu de stimuler ce zèle, paralysent en quelque sorte l'ardeur qu'il a déployée pour arriver à ce qu'il n'y ait plus aucun enfant illettré dans sa commune.
L'adjonction d'un aide-instituteur devient une charge pour l'instituteur zélé qui a amené ce bon résultat, et il est obligé de céder une partie de son minerval pour salarier son aide.
C'est là une anomalie qu'il est juste de faire cesser le plus tôt possible, si l'on veut réellement faire développer et prospérer l'enseignement. Les sacrifices qu'il conviendrait de faire dans ce but seraient excessivement utiles, et l'on poserait un acte de haute justice à y songer sérieusement. Il faut que l'instituteur zélé soit récompensé des peines qu'il se donne, au lieu de le punir d'une réduction sur son salaire.
Un autre fait sur lequel j'appellerai l'attention de l'honorable ministre de l'intérieur, c'est que les subsides accordés pour payer l'instituteur arrivent parfois bien tardivement, et il en résulte une grande gêne et des privations pénibles pour ceux d'entre eux qui n'ont aucune autre ressource. A la campagne, les administrations communales sont parfois bien indifférentes à cet état de choses, et lorsque l'instituteur se présente pour réclamer ce qui lui revient, il reçoit pour toute réponse que le subside n'est pas arrivé.
En attendant, le pauvre instituteur doit vivre, il doit payer son boulanger et son boucher et il n'a pas de quoi. Alors l'instituteur est obligé de recourir à des personnes bienfaisantes qui veulent bien pour quelque temps lui faire une avance, mais pareille démarche est humiliante et décourageante ; il faut donc chercher à l'éviter en prenant des mesures pour que les subsides soient envoyés en temps opportun aux administrations communales.
Je dirai aussi un mot sur l'anomalie existant pour la caisse des pensions.
Pour les instituteurs urbains, depuis l'âge de 19 ans, toutes les années de service comptent pour la pension, tandis que, pour les instituteurs ruraux, les années de service ne comptent qu'à partir de 21 ans, sans pouvoir jamais compter pour plus de 30 années pour le règlement de la pension : cela est-il juste ?
Les instituteurs urbains maladifs, si peu de services qu'ils aient rendus peuvent être pensionnés à toute époque, tandis que les ruraux ne peuvent, dans ce cas, obtenir leur pension qu'au bout de 12 années de fonction. Après 10 années de service, la pension des instituteurs urbains profite à leur veuve, tandis qu'il faut 12 années pour les ruraux.
Les orphelins des instituteurs urbains reçoivent une pension jusqu'à l'âge de 18 ans, et ceux de la campagne, seulement jusqu'à l'âge de 16 ans.
Lorsqu'une veuve d'un instituteur urbain se remarie, elle conserve la moitié de sa pension ; celle d'un instituteur rural ne reçoit plus rien.
(page 461) Le diplôme d'un instituteur de ville compte pour deux ans de service, alors qu'il ne compte pour rien pour l'instituteur rural. L'instituteur urbain verse dans la caisse ;
1° Pour un traitement en dessous de 1,500 francs, 3 p. c.
2° Pour un traitement de 1,500 à 5,000 francs.... 3 1/2 p. c.
3° Pour un traitement au-dessus de 3,000 francs... 4 p. c., plus, 1/2 p. c. sur chaque augmentation.
L'instituteur rural verse sur tous les traitements indistinctement 4 p.c. et 2/12 de chaque augmentation de traitement.
L'instituteur urbain reçoit pour pension 1/60ème de la moyenne de tous ses émoluments des cinq dernières années, multipliés par ses années de service.
Par conséquent, si l'on commence par 500 francs et que l'on arrive à 2,400 francs, habitation, jardin, etc. compris, l'on a alors, après 20 jusqu'à 60 années de service :
1/60 X 40 = 40/60 = 2/3 X 2,400 = 1,800 francs de pension.
L'instituteur rural qui aurait eu pour émoluments, dans la première période, 800 francs, dans la deuxième, 1,200 francs, et dans la troisième 1,600 francs, recevra [calcul non repris dans la présente version numérisée] 516 fr.
Pas tout à fait le tiers de la moyenne de la dernière période d'émoluments.
Messieurs, je connais un instituteur rural, comptant plus de quarante ans de bons services pour lesquels S. M. le Roi vient de lui conférer la croix de son ordre, et qui aura droit à la pension à la fin de cette année. Ayant fait valoir sept années de services antérieurs à l'institution des caisses de prévoyance, il aura contribué à celle de la Flandre orientale pendant trente-six ans. Or, la pension serait de près de 800 francs, le quart de son revenu annuel, tandis que sa pension, liquidée d'après les statuts de la caisse centrale, s'élèverait à 2,000 francs, faisant environ les deux tiers du revenu de sa place.
Cela est-il juste, et ne faut-il pas examiner la question de savoir s'il ne convient pas de traiter les uns comme les autres sur le même pied d'équité ? Cela me paraît rationnel.
Il serait équitable, me paraît-il, que les instituteurs fussent traités sur le même pied que les secrétaires communaux pour lesquels :
L'Etat verse 2 p. c. sur la somme totale de leur traitement.
La province 1 p. c.
La commune 3 p. c ;
Par conséquent, pour les secrétaires, 6 p. c. et pour les instituteurs 1/2 p. c.
Je borne ici mes observations, mais je ne finirai pas cependant sans faire remarquer que l'instituteur rural, tant sous le rapport de l'instruction que sous celui de toutes les autres qualités, ne doit le céder en rien à l'instituteur urbain. Sa tâche est, au contraire, plus ardue et plus difficile, en ce sens que l'enfant de la campagne, dans bien des cas, ne trouve pas, comme en ville, l'occasion de fréquenter une école gardienne, où il peut recevoir un commencement d'instruction et de discipline.
J'espère que l'honorable ministre de l'intérieur, si compétent dans la question, voudra bien examiner avec bienveillance les considérations que je viens de présenter à la Chambre, pour y faire droit le plus tôt possible.
M. le président. - La parole est à M. David. Je le prierai de ne pas revenir sur l'incident qu'il a soulevé et de ne pas interrompre la discussion du budget de l'intérieur.
M. David. - Je suis en plein dans la discussion du budget.
M. le président. - Cet incident n'a aucun rapport avec la discussion du budget et devait être produit comme motion d'ordre,
M. David. - Je n'aurais pas redemandé la parole sans le discours prononcé à l'instant par M. Dumortier et dans lequel il a dit qu'on ne devait pas prolonger le débat pour une question de paquet égaré au chemin de fer. Mais ce paquet dont il s'agit, messieurs, a une valeur extraordinaire, il contient les plans et devis d'une école de jeunes filles. Je ferai observer du reste que l'honorable M. Dumortier, lorsqu'il a envie de parler, ne se laisse pas aussi facilement ôter la parole, et je me rappelle que dans certaine circonstance il a parlé, pendant une séance et demie, à propos d'une lettre ouverte reçue d'Allemagne. (Interruption.)
M. le président. - Vous avez la parole, M. David.
M. David. - La question que j'ai traitée, messieurs, est de l'intérêt le plus grave et le plus palpitant, et quand une administration communale, je réponds ici à M. Dumortier, a épuisé tous les moyens d'obtenir satisfaction sans même obtenir de réponse du ministre dont la chose dépend, il faut bien pourtant qu'une voix s'élève devant la Chambre et devant le pays pour amener MM. les ministres à accorder la satisfaction demandée. Je suis, messieurs, député de l'arrondissement de Verviers et je suis en même temps échevin de la commune dans laquelle doit être érigée cette école de jeunes filles. Nous attendons depuis un an l'approbation des plans et devis pour commencer l'école dont il s'agit ; nous avions espéré ouvrir cette école l'hiver dernier.
Il faut que le pays sache pourquoi il y a de ces retards et l'honorable ministre de l'intérieur, je n'en doute pas, fera faire l'enquête dont a parlé mon honorable ami, M. de Rossius. Il faut absolument que ce dossier se retrouve et il faut que nous obtenions le plus promptement possible une réponse favorable ou négative. Nous saurons alors de quel bois se chauffe le ministère.
M. Dansaert (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de demander à la Chambre la permission de déposer sur son bureau quelques amendements au code de commerce.
- Ces amendements seront imprimés et distribués.
M. Bara. - Dans quel ordre va-t-on discuter le code de commerce ?
M. le président. - Nous ne sommes pas près de le discuter ; il faut d'abord terminer le budget de l'intérieur. Viendra ensuite le projet de crédit de 400,000 francs, sur lequel l'honorable M. Vleminckx a fait rapport. Puis le budget de la justice.
M. Bara. - Il serait cependant utile de savoir dans quel ordre on va discuter le code de commerce. Je crois que M. le ministre de la justice n'a pas contredit l'opinion de l'honorable M. Van Humbeeck qu'on commencerait par les premiers articles.
M. De Lehaye.- Cela à été décidé. Le budget est à l'ordre du jour ; qu'on le continue.
M. le président. - On pourra revenir sur cette question à la fin de la séance.
M. Boulenger. - Je me bornerai à répondre quelques mots aux explications que l'honorable M. Delcour a données à la Chambre.
L'honorable M. de Rossius a indiqué ce qu'il attendait du gouvernement au point de vue des écoles normales et j'espère que l'année ne s'écoulera pas sans que les négociations que M. le ministre a annoncé devoir reprendre, aient abouti.
Je demande que M. le ministre remédie au manque d'instituteurs qui se fait sentir partout et que j'ai signalé.
Mais il est un point sur lequel je dois revenir : c'est sur la demande de renseignements que j'avais formulée.
La Chambre doit savoir exactement quels sont les besoins de l'instruction primaire, notamment les besoins que réclament les installations.
L'honorable ministre m'a dit qu'il lui était très difficile de donner ces renseignements.
Je crois qu'il s'est alarmé à tort. L'honorable M. Kervyn, l'an dernier, nous a remis un extrait de rapports des inspecteurs de l'enseignement primaire, où il est constaté qu'à la date du 1er février 1871 le département de l'intérieur a fait une instruction complète sur ce point.
Il est démontré par ces documents, que j'ai entre les mains, qu'à la date du 1er février 1871, on pouvait déterminer par francs et centimes les dépenses nécessaires pour compléter l'organisation matérielle de l'instruction primaire.
M. Kervyn de Lettenhove. - Très approximativement.
M. Boulenger. - Je n'ai pas la prétention de demander un travail (page 462) d'une exactitude telle, qu'il n'y ait aucune différence entre les prévisions du gouvernement et la dépense réelle qui sera faite.
Ce que je demande, c'est une estimation approximative, et elle doit être très approximative, puisque l'honorable M, Kervyn l'a chiffrée par 19,490,812 francs.
Eh bien, je demande que l'on subdivise ce travail et qu'on indique pour chaque commune quelle est la dépense à faire. Il me semble que cela est facile ; l'enquête est faite, il n'y a qu'à diviser les chiffres.
Je demande, en outre, que le gouvernement nous fasse connaître les motifs derrière lesquels les administrations se retranchent pour se refuser à l'exécution de la loi. Je ne demande pas à l'honorable ministre de l'intérieur de nous fournir ces renseignements hic et nunc ; il suffit qu'il nous les communique pour la session prochaine. L'utilité de ces renseignements est incontestable, Nous avons besoin de connaître quels sont les obstacles que le gouvernement rencontre dans l'organisation matérielle complémentaire de l'instruction primaire.
Les déclarations de M. le ministre de l'intérieur, quelque loyales qu'elles puissent être, sont trop vagues ; nous ne pouvons pas les discuter.
Si M. le ministre de l'intérieur veut réellement que l'instruction primaire ait le développement qu'elle doit comporter, je crois qu'il pourra revenir sur l'opinion exprimée par lui tout à l'heure, et nous fournir le travail dont nous lui demandons la production. Ce travail ne sera même pas un surcroît sérieux de besogne pour son administration.
M. Vermeire. - Messieurs, au point où en est venue la discussion, je n'ai pas l'intention de présenter de nombreuses observations. Je me bornerai à constater que, des deux côtés de la Chambre, on manifeste le désir de voir se répandre et se propager l'instruction et surtout l'instruction primaire. Cet intérêt ne rencontre nulle opposition sur aucun banc de la Chambre.
Nous avons entendu, dans cette longue discussion, deux opinions différentes.
L'une de ces opinions veut que l'école conserve une atmosphère religieuse ; l'autre veut, en quelque sorte, bannir la religion de l'école.
Je crois, messieurs, qu'il importe que l'atmosphère religieuse soit conservée dans l'école, parce qu'alors on n'apprend pas seulement aux enfants les devoirs qu'ils ont à observer envers eux-mêmes et envers les hommes, mais aussi envers Dieu.
La question de l'enseignement a fait l'objet des méditations des plus grands esprits, elle est partout à l'ordre du jour. Il ressort des discussions qui ont lieu dans tous les pays, et, partout, il a été reconnu que, pour maintenir la civilisation, il fallait donner aux populations une instruction à la fois scientifique, morale et religieuse. Je demanderai donc que l'on veuille bien, dans la mesure du possible, améliorer la position des instituteurs qui, à mon sens, exercent un véritable sacerdoce.
On prétend qu'il y a pénurie d'instituteurs ; il n'y a à cela rien d'étonnant ; vous ne les payez pas. (Interruption.)
Dans les localités industrielles, quand on a besoin d'un employé on s'adresse à un instituteur avec la certitude qu'il ne fera pas de difficulté à changer de position. (Interruption.)
Beaucoup de sous-instituteurs ont quitté l'enseignement pour entrer dans l'industrie et cela se conçoit ; le commerce et l'industrie payent leurs employés mieux que vous ne payez vos instituteurs, bien que la mission de ceux-ci soit beaucoup plus lourde et plus difficile que la charge des employés du commerce ou de l'industrie.
M. Jottrand. - Je demande la parole.
M. Vermeire. - Je crois donc, messieurs, qu'il faut absolument améliorer la position de l'instituteur et, surtout, de celui qui habite la campagne.
Qu'entendons-nous souvent dire dans cette Chambre ?
Les campagnards n'y sont-ils pas traités comme s'ils appartenaient à une classe inférieure de la société, et, tout cela, parce que, dit-on, ils sont ignorants ? Mais alors, messieurs, je l'espère, vous m'appuierez lorsque je demanderai que le gouvernement favorise un peu les habitants des campagnes ?
Et cependant, messieurs, ils ne méritent pas tous les reproches qui leur sont adressés, et je suis certain que si l'on faisait une statistique sévère, sincère et loyale, le nombre des ignorants des campagnes serait moins grand que le nombre des ignorants des villes.
- Des membres. - La clôture !
M. Vermeire. - Je demande donc que le ministre de l'intérieur veuille bien examiner la question de savoir s’il ne serait pas possible d'améliorer la position des instituteurs ruraux, tout autant, sinon plus, que celle des instituteurs des villes.
Car, ne l'oublions pas, messieurs, la civilisation a tout intérêt à ce qu'il y ait de bonnes institutions et les progrès d'un pays ne grandissent qu'au fur et à mesure que l'instruction y est plus perfectionnée.
- Des membres. - La clôture !
M. le président. - La clôture est demandée ; je la mets aux voix.
- La clôture est prononcée.
« Art. 92. Traitements de l'inspecteur général des écoles normales d'instituteurs et d'institutrices, de l'inspectrice des écoles normales d'institutrices et des inspecteurs provinciaux de l'enseignement primaire : fr. 59,200. »
- Adopté.
« Art. 93. Frais de bureau de l'inspecteur général des écoles normales et des inspecteurs provinciaux de l'enseignement primaire : fr. 19,000. »
- Adopté.
« Art. 94. Indemnités aux inspecteurs diocésains et aux inspecteurs cantonaux ecclésiastiques des écoles primaires : fr. 54,000. »
M. Jottrand. - J'ai demandé la parole pour proposer la suppression de cet article. Voici mes motifs. Cette allocation de 54,000 francs consacrée à payer des indemnités aux inspecteurs diocésains et aux inspecteurs cantonaux ecclésiastiques des écoles primaires, n'est imposée ni par une loi, ni par la Constitution.
La loi de 1842 ne parle nullement de pareilles indemnités, tandis qu'elle s'étend fort longuement sur l'organisation de l'inspection civile des écoles primaires et sur les traitements et indemnités à accorder aux inspecteurs civils.
Le budget de l'intérieur pour l'exercice 1843 est la première loi qui ait consacré l'existence du crédit que je combats et cette loi, comme toutes les lois budgétaires, n'avait qu'une durée d'une année. Chaque année donc ce crédit peut être contesté ; sa légitimité, sa nécessité peuvent l'être. Déjà, en 1843, lorsque pour la première fois ce crédit fut proposé à la législature, M. Verhaegen le combattit ; il alla même plus loin que moi : il en contesta la légalité ; raisonnant à contrario du texte de la loi de 1842, il tirait, des détails dans lesquels elle était entrée sur les traitements et indemnités des inspecteurs civils, et du silence qu'elle gardait sur ceux des inspecteurs du clergé, la conséquence que le législateur n'avait pas voulu payer, aux frais de l'Etat, le travail de ceux-ci.
Il n'a pas réussi.
Je ne sais ce qui s'est passé dans l'intervalle de bientôt trente ans qui nous sépare de l'époque où l'on discutait la loi de 1842. Je ne sais si ce crédit a été contesté depuis.
M. Orts. - Il l'a été en 1848.
M. Jottrand. - Eh bien, en 1872, je crois devoir le combattre de nouveau, ne fût-ce que pour interrompre la prescription, et j'exprime le vœu qu'il soit dorénavant combattu tous les ans. Quant à moi, si je reste dans cette Chambre, je n'y faillirai pas. Ce sera mon delenda Carthago et voici pourquoi.
Les évêques ont assez de ressources ; ils le montrent tous les jours. Ils créent et entretiennent, avec le produit des souscriptions volontaires de leurs fidèles, avec les dons pieux, avec les revenus des cérémonies du culte, des établissements de toute espèce, depuis l'université de Louvain jusqu'aux plus humbles écoles de village, en passant par les écoles normales.
Ils se prétendent assez riches pour faire face à tous les besoins de l’enseignement moyen des garçons, sans intervention de l'Etat, dans des proportions plus grandes que celles qui existent aujourd'hui.
Quand nous proposons l'augmentation du nombre des écoles moyennes subsidiées par l'Etat, on nous dit : Cela n'est pas nécessaire, l'enseignement privé suffit,
Or, on sait ce que c'est que l'enseignement privé dans notre pays. C'est l'enseignement de l'Eglise.
Il en est de même de l'enseignement moyen des filles.
Il n'est pas nécessaire que nous votions des crédits pour organiser cet enseignement.
Encore une fois, le clergé répond de tout et déclare que, grâce à ses efforts et à ses ressources, tous les besoins sont satisfaits. Et après tout cela ses ressources ne seront pas épuisées ; il restera encore assez d'argent à ses fidèles pour alimenter le fonds du denier de Saint-Pierre et offrir des étrennes au captif du Vatican, il restera encore de quoi établir et développer largement dans le pays des maisons de religieux de tout genre.
(page 463) Les religieux et les religieuses augmentent dans notre pays à raison de 2 1/2 p. c. par an, tandis que notre population ne s'accroît qu'à raison d'un demi p, c.
En Belgique, le taux de l'augmentation annuelle du nombre des religieux et des religieuses est donc cinq fois plus élevé que celui de l'accroissement de la population totale.
Cela prouve chez notre clergé une grande richesse, un encaisse pour ainsi dire inépuisable.
Eh bien, dans ces conditions, je trouve que le clergé pourrait parfaitement subvenir, en puisant à cette source intarissable, aux dépenses qu'occasionne aux délégués des chefs du culte l'inspection que la loi de 1842 leur a donné le droit d'exercer.
En définitive, messieurs, en demandant de prendre dans le trésor public une somme annuelle de 54,000 francs pour subvenir aux frais de cette inspection, que nous demande-t-on à nous libéraux ? Mais c'est de mettre à la disposition du clergé, qui s'est organisé ouvertement en parti politique dans notre pays, un subside bénévole de 54,000 francs ! Si nous votons la somme, nous rendons disponible dans les mains de cette grande organisation catholique, qui se vante de faire ces grandes choses que j'ai citées tantôt, une somme de 54,000 francs et cette somme servira à quoi ? A subvenir aux besoins d'une propagande qui est spécialement dirigée contre nous. Nous payons ainsi indirectement et d'avance les frais de la guerre qu'on nous fait et il est déjà bien assez pénible de devoir payer les frais de la guerre après le combat, lorsqu'on a été battu. Nous payons, comme je le disais dans une précédente séance, les verges dont on nous fouette.
Eh bien, quant à moi, je ne veux plus de cette mystification ; chaque fois que je ne pourrai m'y soustraire, je m'y soustrairai.
La Constitution, je l'ai déjà dit, je suis obligé de m'incliner devant elle ; les dépenses que la Constitution et les lois organiques qui en dérivent rendent obligatoires, je suis forcé de les voter. Mais les dépenses facultatives comme celles-ci, les dépenses que la Constitution, qu'aucune loi organique ne consacre, je le répète, je ne les voterai pas.
A ce premier motif, j'en ajoute un deuxième : c'est que les inspecteurs ecclésiastiques abusent de la mission que la loi a permis aux évêques de leur conférer. Ces abus, les rapports présentés à M. le ministre de l'intérieur par les chefs diocésains, en exécution de l'article 8 de la loi de 1848, nous en donnent la preuve.
Que devrions-nous trouver exclusivement dans ces rapports ? Nous devrions y trouver des détails sur l'enseignement de la morale et de la religion, sur la manière dont cet enseignement est donné dans les écoles soumises au régime de la loi, et rien de plus. Au lieu de cela qu'y trouvons-nous ? Heureusement pas dans tous, mais dans la plupart d'entre eux ? J'excepte de mon reproche les rapports présentés par l'archevêque de Malines et, jusqu'à un certain point, ceux présentés par l'évêque de Tournai.
Ces prélats restent dans les limites strictes de la loi. Ils ne s'occupent pas d'autres questions que de celles que leur permet de traiter l'article 8 de la loi ; et en se maintenant ainsi dans les bornes de la loi, ils l'interprètent, la commentent, ils en fixent le véritable sens, ils donnent à leurs collègues de l'épiscopat un exemple que ceux-ci devraient suivre et que malheureusement ils ne suivent pas.
Nous voyons les autres prélats de Belgique sans exception donner leur avis officiel sur un tas de questions qui n'ont aucun rapport direct avec la manière dont l'enseignement de la morale et de la religion se donne. Nous les voyons donner leur avis officiel sur la discipline politique des instituteurs, sur leur degré de ferveur religieuse, sur les livres qu'ils lisent ; nous les voyons surtout s'étendre longuement sur le mérite supérieur des écoles adoptées et sur la protection due spécialement aux religieux et aux religieuses qui y enseignent.
Je vous citais samedi dernier ce que disait l'évêque de Bruges au sujet des devoirs civils et politiques des instituteurs.
Quant au degré de ferveur religieuse des instituteurs, nous le voyons rechercher et constater dans les rapports de l'évêque de Liège et de l'évêque de Namur.
L'évêque de Liège se croit en droit de se plaindre de ce que trop d'instituteurs dans son diocèse « se bornent aux devoirs religieux du chrétien. »
Son collègue de Namur, au contraire, s'applaudit, lui, de ce que ses instituteurs ont, en général, « une vie chrétienne et même édifiante. »
Quant au mérite tout spécial des écoles adoptées, il est l'objet des plus grands éloges de la part de l'évêque de Bruges, Il éprouve le besoin de défendre les corporations religieuses enseignantes, avec une grande ardeur, contre le zèle hostile des inspecteurs.
« Je regrette profondément, dit-il, M. le ministre, l'interprétation nouvelle que plusieurs administrations publiques donnent à la loi de 1842 et en vertu de laquelle les écoles adoptées de filles qui ont rendu, dans nos campagnes, d'incalculables services, voient chaque jour leur avenir menacé et leur existence même mise en question. Quelques inspecteurs, animés d'un zèle que sans doute le gouvernement n'approuvera pas, semblent se donner la mission d'exercer, contre ces utiles institutions, une rigueur inquisitoriale qui devient parfois vexatoire et semble n'avoir d'autre but que de lasser même le dévouement le plus généreux. »
Or, messieurs, pour le dire en passant, quelle est la valeur des institutrices que, faisant abus du droit qu'il a de présenter un rapport sur l'enseignement de la morale et de la religion, l'évêque défend officiellement avec tant de chaleur ?
L'inspecteur civil de l'enseignement, dans la province de la Flandre occidentale, nous le fait connaître aussi dans le dernier rapport triennal sur l'enseignement primaire, d'où j'ai extrait ce qui précède.
« La situation de l'enseignement dans les écoles adoptées, dit-il, est réellement déplorable.
« Les institutrices sont généralement de bonne volonté et dévouées à leur devoir ; mais elles manquent des connaissances nécessaires. Les méthodes suivies sont le plus souvent contraires à la nature de l'enfant et aux lois de la psychologie. Il n'y a pas lieu de s'étonner de cet état de choses, si l'on remarque que, sur un personnel de 516 maîtresses, les écoles adoptées ne comptent que sept institutrices diplômées. »
Et plus loin, parlant des écoles dominicales jointes aux écoles adoptées et qui empêchent la création de cours d'adultes pour filles, il nous apprend que « ces écoles dominicales ne peuvent aucunement tenir lieu d'écoles d'adultes, parce que, malheureusement, les institutrices des écoles primaires adoptées n'ont pas fait de cours normaux et que leur instruction est encore généralement restreinte à la lecture, à l'écriture et aux premiers éléments du calcul. »
Voilà ce qui excite l'enthousiasme de M. l'évêque de Bruges pour les institutrices adoptées de son diocèse ; Voilà l'état de choses que l'on ne peut combattre, d'après lui, sans tomber dans des rigueurs inquisitoriales.
Dans le diocèse de Gand, mêmes éloges pour les corporations religieuses :
« On n'a qu'à se louer des corporations religieuses, qui rivalisent de zèle pour procurer à leurs élèves une éducation vraiment chrétienne. »
Mêmes éloges naturellement dans la bouche de MM. les évêques de Liège et de Namur.
Les instituteurs et institutrices laïques n'ont naturellement pas droit aux mêmes louanges ; ils se permettent d'avoir entre les mains des livres que M. l'évêque de Gand, continuant à abuser du droit qu'il a de faire un rapport sur l'enseignement de la religion et de la morale dans les écoles primaires, dénonce au gouvernement.
« La commune de Gand, dit-il, donne en prix un livre répréhensible ; c'est l'ouvrage de M. Destanberg, intitulé Samerspraken over 't sparen, qui contient des passages hostiles au clergé,
« Un autre livre, également répréhensible, publié par M. Devreese, sous le titre de Meilooveren, est entre les mains d'un assez grand nombre d'instituteurs et d'institutrices. L'auteur ne donne à Jésus-Christ d'autre titréeque celui d'un grand philosophe, et dit avoir pour but de combattre le pouvoir des prêtres et l'argent, de priesters heerschappij en 't geld. »
Et voilà pourquoi ce livre est répréhensible ! Ce n'est pas qu'il outrage la religion, qu'il propage des doctrines perverses ; non, c'est uniquement parce qu'il combat la domination des prêtres ! Voilà ce qui préoccupe surtout l'évêque de Gand ! Voilà ce que ne font pas les livres chers aux congréganistes ! Voilà ce qui lui rend ceux-ci si chers !
Voilà quelques-uns des résultats de l'inspection ecclésiastique.
Eh bien, des travaux qui aboutissent à de pareilles conclusions, je ne veux pas les subsidier ; que ceux à qui ils plaisent les payent, mais qu'on ne nous force pas, nous, à les payer ! J'en veux d'autant moins que les évêques ne peuvent donner les renseignements, formuler les plaintes ou les éloges que je viens de rappeler sans établir par le moyen de leurs inspecteurs une sorte d'inquisition au petit pied contre laquelle je proteste hautement.
On m'a fait croire, depuis mon enfance, que mon pays était l'asile de la liberté des cultes et de la liberté de conscience ; c'est pour cela que je l'aime et que je le respecte. Et je vois que certains de mes concitoyens, des Belges comme moi, sont à tous les instants de leur vie observés et épiés par des agents officiels qui notent et rapportent à leurs supérieurs (page 464) le degré de ferveur qu'ils constatent chez eux. Je vois ces choses et je ne protesterais pas !
Que les instituteurs soient chrétiens, catholiques fervents ; c'est leur droit, je ne m'en plaindrai pas, mais à une condition, c'est qu'ils soient tout cela spontanément et librement.
M. Vermeire se plaignait tout à l'heure de la pénurie d'instituteurs ; il constatait que tous les jours le commerce et l'industrie enlevaient à la noble mission qu'ils avaient acceptée l'élite de ce qui sort de nos écoles normales ; il attribuait ce fait regrettable à la position médiocre qu'on leur fait au point de vue pécuniaire. Mais l'argent n'est pas tout dans ce monde et l'on comprend que des esprits libres et indépendants, et tous les esprits de valeur le sont, désirent, dès qu'ils le peuvent, se soustraire à ce mesquin espionnage sans lequel les rapports dont j'ai parlé tout à l'heure sont impossibles.
Si l'instituteur est chrétien fervent, catholique, qu'il le soit, mais uniquement parce que sa conscience l'y pousse et non parce qu'il a derrière lui un inspecteur ecclésiastique qui compte combien de fois par an il va à la messe et à confesse, qui constate s'il porte un scapulaire ou égrène, un rosaire, s'il fait des signes de croix ou s'il n'en fait pas, qui mesure l'ardeur de ses mea culpa ou la profondeur de ses génuflexions pour ensuite faire connaître le tout à monseigneur et mettre monseigneur à même, dans son rapport officiel, de se plaindre de ce qu'il y a trop d'instituteurs dans son diocèse qui ne remplissent que rigoureusement leurs devoirs de chrétiens, ou de se louer de ce que tous ceux de son diocèse mènent une vie non seulement chrétienne, mais même édifiante.
« Laurent ! serrez ma haire avec ma discipline
« Et priez que le Ciel toujours vous illumine. »
Voilà des paroles que je ne veux pas que l'instituteur ait un intérêt quelconque à répéter. Si je veux qu'il puisse être librement un fervent catholique, je veux qu'il puisse être aussi impunément un fidèle fort tiède, s'abstenant même de pratiques extérieures, et je ne suis pas le seul à le vouloir.
Il y a quelques jours, dans cette Chambre, nous entendions MM. de Theux et de Kerckhove s'expliquer (interruption)... sur les devoirs de l'instituteur.
Qu'exigeait l'honorable M. de Theux ?
« La loi de 1842, disait-il, doit être observée non seulement dans l'école, mais encore au dehors de l'école, même dans les relations entre instituteurs et élèves. »
Et qu'exigeait l'honorable M. de Kerckhove ?
Supposant le cas d'un instituteur protestant ou israélite, mis à la tête d'une école primaire de catholiques, il disait :
« Que les instituteurs croient ce qu'ils veulent en dehors de leur enseignement, c'est leur droit ; mais moi, père de famille, je n'entends pas livrer mes enfants à des libres penseurs qui iraient en toute occasion déchirer à belles dents la religion de nos pères. C'est là une liberté de conscience que je ne comprends pas. »
Ainsi l'instituteur libre de ses croyances et de ses actes en dehors de son enseignement, voilà ce que tout le monde veut. Et comment ne pas le vouloir ? L'instituteur n'est pas la doublure du prêtre ; celui-ci s'est lié par des vœux, entre autres celui d'obéissance ; mais jusqu'ici, on n'a rien exigé de semblable de nos instituteurs.
L'instituteur libre hors de son école et sans autres devoirs que le respect de sa dignité et des croyances d'autrui, voilà ce que nous sommes en droit d'exiger.
M. Dumortier. - Cela n'a rien de commun avec la discussion du budget.
M. Jottrand. - Eh bien, messieurs, pour que l'instituteur jouisse de cette liberté en dehors de l'école et en dehors de ses rapports avec ses élèves, de cette liberté que les honorables MM. de Theux et de Kerckhove, eux-mêmes, fidèles à l'esprit de nos institutions constitutionnelles, ont cru pouvoir leur reconnaître, il faut que les évêques s'abstiennent de se livrer à des investigations comme celles que je viens de signaler, et c'est parce qu'ils ne s'en abstiennent pas ; c'est parce que la liberté de conscience n'est plus une réalité pour les instituteurs, que je dois blâmer les évêques de leur intrusion dans un domaine qui ne leur appartient pas et protester contre leur usurpation, en refusant de voter le crédit demandé pour leurs inspecteurs ecclésiastiques, diocésains et cantonaux.
- Le chiffre de 54,000 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 95. Personnel des écoles normales de l'Etat et des sections normales primaires établies près des écoles moyennes ; traitements et indemnités : fr. 114,000. »
- Adopté.
« Art. 96. Traitements de disponibilité pour des professeurs des établissements normaux de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 6,370. »
- Adopté.
« Art. 97. Subventions des écoles normales agréées pour la formation d'institutrices : fr. 50,000. »
- Adopté.
« Art. 98. Dépenses variables : Frais d'administration, impressions, registres, etc. ; acquisition d'ouvrages périodiques et autres pour le service spécial de l'administration de l'enseignement primaire ; commission centrale de l'instruction primaire ; frais de voyage de l'inspecteur général des écoles normales et de l'inspectrice des écoles normales d'institutrices, des inspecteurs provinciaux, des inspectrices déléguées, des inspecteurs ecclésiastiques du culte protestant et du culte israélite ; suppléments d'indemnité fixe aux inspecteurs cantonaux civils ; indemnités casuelles aux inspecteurs cantonaux civils, du chef des conférences et des concours, ainsi que des tournées extraordinaires ayant, entre autres, pour objet l'inspection des écoles ressortissant au département de la justice et des écoles d'adultes ; frais des jurys d'examen pour les écoles normales ; matériel des établissements normaux de l'Etat ; frais des conférences horticoles des instituteurs ; bourses aux élèves instituteurs et aux élèves institutrices des diverses écoles normales ; bourses de noviciat (article 28, paragraphe 2, de la loi) ; construction de maisons d'école ; service annuel ordinaire des écoles primaires communales adoptées ; subsides aux communes et suppléments de traitement aux instituteurs ; subsides en faveur de l'enseignement des filles dans les écoles primaires à programme développé et soumis au régime de la loi du 23 septembre 1842 ; subsides à des établissements spéciaux (écoles gardiennes et écoles d'adultes) ; frais ces concours entre les écoles d'adultes ; récompenses aux élèves qui se distinguent dans ces concours ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; achat de livres, d'images, etc., à distribuer par les inspecteurs aux élèves les plus méritants des écoles primaires ; publications périodiques et autres intéressant l'instruction primaire ; souscriptions, acquisitions, subsides aux auteurs ; distribution d'ouvrages ou subsides aux bibliothèques des écoles normales et aux bibliothèques cantonales des instituteurs ; subsides aux caisses de prévoyance des instituteurs ; secours à d'anciens instituteurs et dépenses diverses ; supplément de pension aux instituteurs, en conformité de l'arrêté royal du 21 juin 1862 : fr. 4,943,762. »
M. le président. - Il y a un amendement qui a pour objet de porter le crédit à 5,043,762 francs.
M. Demeur. - Messieurs, j'ai une observation à présenter. Elle est de pure forme et ne touche ni au chiffre, ni au libellé de l'article.
J'en demande seulement la division.
Le budget de l'intérieur s'élève à 14 millions environ et il contient 132 articles.
Voici un article qui comporte, à lui seul, 4,900,000 francs et qui renferme un grand nombre d'objets.
Nous avons un seul et unique crédit pour la construction de maisons d'école, pour le matériel des établissements normaux de l'Etat, pour les frais de route des inspecteurs, pour les frais de concours, pour les bourses, etc.
Il y a un poste qui à lui seul s'élève à 3,750,000 francs ; c'est celui relatif au service annuel des écoles primaires communales et adoptées, aux subsides pour les communes et aux suppléments de traitement pour les instituteurs.
Je voudrais donc, pour cet article, ce qui est fait pour l'enseignement supérieur et l'enseignement moyen, le diviser en plusieurs articles.
J'arrive au résultat que j'ai en vue en suivant l'ordre indiqué par M. le ministre de l'intérieur dans les développements du budget et en tenant compte des modifications qu'il propose.
De la lettre a à la lettre h de l'article 98, nous avons onze postes, qui peuvent être réunis et forment ensemble 153,500 francs.
(page 465) Nous avons ensuite les postes l et m qui feraient un article 98bis, relatif aux bourses d'étude, et il comprendrait 310,000 francs. Le chiffre de 130,000 francs, pur construction de maisons d'école, littera n, ferait l'article 98ter. Vient ensuite la lettre o, qui comprend le service annuel ordinaire des écoles primaires, etc. ; le chiffre est de 3,750,000.
Je crois que ce poste lui-même devrait être subdivisé, mais je ne puis pas le faire, n'ayant pas les renseignements que possède M. le ministre de l'intérieur.
Nous arrivons maintenant aux subsides en faveur de l'enseignement des filles, des écoles gardiennes, des écoles d'adultes, littéra p à s, ensemble de 495,262 francs ; enfin les littéras u, v, w, x-, y, relatifs aux achats de livres, secours à d'anciens instituteurs, subsides à la caisse de prévoyance des instituteurs, etc., etc., formeraient un dernier article s'élevant à 85,000 francs.
Ce n'est pas une question politique que je soulève, c'est une question d'ordre, de régularité dans la formation du budget. Je veux mettre la Chambre à même d'exercer son contrôle sur l'emploi des fonds ; je veux obtenir dans le compte de l'administration des renseignements plus détaillés sur l'emploi réel, effectif de ces fonds, en conformité avec les données qui nous sont fournies, à titre de renseignements, dans les développements du budget.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je promets d'examiner avec soin les observations que vient de présenter l'honorable M. Demeur. II est impossible de changer aujourd'hui le budget tel qu'il a été présenté ; les renseignements que j'ai ici ne sont pas suffisants pour éclairer la Chambre d'une manière complète. Pour l'année prochaine, j'examinerai ces observations et ce qu'il y aurait lieu de faire pour améliorer la situation.
M. Demeur. - J'avais préparé un amendement, mais je n'insiste pas. Le budget de l'année prochaine doit être présenté le mois prochain, et je ne doute pas, en présence de la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, qu'il sera tenu compte de mes observations dans le prochain budget.
- Des membres. - Aux voix !
M. de Rossius. - Le gouvernement doit encore s'expliquer sur l'ordre du jour. Je demande qu'on ne vote pas aujourd'hui et qu'on me laisse parler demain au commencement de la séance.
- Des membres. - Parlez ! parlez !
M. de Rossius. - Je ne m'oppose pas au vote de l'amendement de M. Funck ; mais je demande à parler demain sur l'article.
- Des membres. - Parlez aujourd'hui.
M. le président. - La Chambre désire que vous parliez aujourd'hui.
M. de Rossius. - Il est plus simple de dire que vous ne voulez pas que je parle.
- Des membres. - Si ! si ! parlez !
M. le président. - Vous avez la parole.
(page 468) M. de Rossius. - Je vais parler, puisque vous désirez si vivement m'entendre.
Je voulais demander à l'honorable ministre de l'intérieur, s'il allait reprendre et exécuter le projet, conçu par l'honorable M. Pirmez et condamné par l'honorable M. Kervyn, d'instituer des bibliothèques dans les écoles normales.
M. Bouvier. - On examinera. (Interruption.)
M. de Rossius. - L'an dernier, l'honorable M. Pirmez et moi-même nous avons attiré l'attention de la Chambre sur l'attitude inouïe prise par l'honorable ministre de l'intérieur d'alors, par l'honorable M. Kervyn, dans cette question des bibliothèques normales.
A juste titre, nous voyions dans cette attitude la condamnation du projet de son prédécesseur.
L'honorable M. Kervyn se. défendait de cette accusation, et il nous promettait qu'avant peu toute satisfaction nous serait donnée.
Nous avons aujourd'hui un nouveau cabinet. L'honorable M. Kervyn a disparu. Rien jusqu'ici n'a été fait, et nous ignorons si l'on compte faire quelque chose.
Les mesures de l'honorable M. Kervyn étaient, à mes yeux, excellentes. Elles étaient inspirées par des vues larges et on doit regretter vivement qu'elles n'aient pas été entièrement réalisées.
Par une circulaire du 2 octobre 1806, l'honorable M. Pirmez conviait les directeurs et les directrices de toutes les écoles normales tant officielles qu'agréées, tant ecclésiastiques que laïques, à faire choix d'un certain nombre d'ouvrages dans un catalogue de plus de 250 numéros.
Un crédit de 500 francs était mis à la disposition de chaque établissement. Deux autres crédits de 500 francs devaient suivre le premier, en 1870 et 1871.
Ainsi, le coût total de la bibliothèque, estimé à la somme de 1,500 fr., était supporté par le trésor public. C'était un véritable cadeau que l'honorable M. Pirmez faisait aux écoles privées.
Les directeurs et directrices firent leur choix, désignèrent les livres qui leur convenaient, puis le département de l'intérieur fit procéder à une adjudication publique. Elle eut lieu le 15 juillet 1870. Cependant le ministère libéral était tombé, l'honorable M. Kervyn avait pris le département de l'intérieur. Au mois de septembre 1870, il annula l'adjudication. Son arrêté porte la date du 13.
Messieurs, rien n'ayant été fait depuis, et la question étant importante, la Chambre doit nous permettre de la ramener, de la soumettre à un examen, d'autant plus que des accusations très graves ont été dirigées par l'honorable M. Kervyn contre son prédécesseur, à propos du catalogue qu'il avait dressé.
Veuillez remarquer, messieurs, que le projet de l'honorable M. Pirmez a été en quelque sorte exécuté. Le catalogue avait été arrêté ; les établissements avaient fait leur choix ; l'adjudication avait eu lieu ; une seule, chose restait à faire : la livraison des ouvrages par l'adjudicataire, l'expédition des livres à chacune des écoles. L'honorable M. Kervyn prend le pouvoir et c'en est fait des bibliothèques normales.
Messieurs, lorsque l'honorable M. Kervyn fut par nous interpellé, il motiva l'annulation de l'adjudication sur la détestable composition du catalogue. L'honorable M. Pirmez fut accusé d'avoir produit un travail indigne d'un ministre belge, un travail dont un ministre qui se respecte ne pouvait accepter la responsabilité...
M. Kervyn de Lettenhove. - Ce n'est pas moi qui ai dit cela ; c'est un professeur de l'université de Bruxelles.
M. Bouvier. - Vous acceptiez la responsabilité de ces paroles.
M. de Rossius. - Je crois que l'honorable M. Kervyn s'aventure un peu. (Interruption.) De la prudence serait ici nécessaire.
L'honorable M. Kervyn, il est vrai, se retranchait derrière l'opinion d'un professeur de l'université de Bruxelles ; nous parlerons de l'opinion de cet honorable professeur. Nous dirons ce qu'est cette opinion et dans quelle erreur tombait l'honorable M. Kervyn lorsqu'il y puisait des armes contre l'honorable M. Pirmez. Mais M. Kervyn ajoutait qu'il était tout à fait de l'avis de ce professeur ; il faisait donc sienne une opinion mal interprétée. Pour lui le catalogue est une œuvre indigne d'un ministre belge. (Interruption.)
Examinons d'abord une première question.
L'honorable M. Kervyn avait-il le droit d'annuler l'adjudication ? Nous prétendons que cette annulation était une violation véritable de la foi due aux contrats.
(page 469) Voici le cahier des charges de l'adjudication. Je lis dans son article 6 : « Le ministre se réserve le droit, si les offres n'étaient pas acceptables, de n'y donner aucune suite, comme aussi de choisir parmi les plus bas soumissionnaires celui qui lui paraîtra offrir le plus de garanties. »
L'annulation n'était donc possible que si les offres n'étaient pas acceptables.
Messieurs, dans la session dernière, nous avions fait de vains efforts pour obtenir du ministre de l'intérieur la communication du dossier. Plusieurs fois l'honorable M. Pirmez l'avait réclamée avec une grande insistance sans l'obtenir.
M. Kervyn de Lettenhove. - Cela n'est pas exact, il y a eu communication.
M. de Rossius. - L'honorable M. Pirmez demandait à M. Kervyn communication du dossier ; au lieu du dossier, M. Kervyn lui communiqua, quoi ? Le catalogue, rien que le catalogue, catalogue qui était son œuvre à lui, M. Pirmez.
Mais le dossier ne fut pas communiqué. Il a fallu s'adresser à la loyauté de M. Delcour pour obtenir qu'il fût mis sous nos yeux. (Interruption.)
Eh bien, qu'avons-nous trouvé dans ce dossier ?
Nous y avons vu la déclaration des bureaux que les propositions des soumissionnaires étaient acceptables.
Les fonctionnaires du département se sont livrés à un long travail pour apprécier les différentes soumissions, travail d'autant plus difficile que les soumissionnaires n'offraient pas tous les mêmes éditions. De plus, des renseignements furent pris sur chacun des concurrents.
Donc un examen long, sérieux, par les bureaux et une conclusion favorable. Ils affirment au ministre, ils lui prouvent que les offres sont acceptables et que l'adjudication ne peut être annulée. (Interruption.)
Néanmoins, le 13 septembre 1870, le ministre, qui ne peut annuler l'adjudication que si les offres ne sont pas acceptables, prononce l'annulation. Il la prononce, bien qu'il résultât du travail de ses bureaux que les offres étaient acceptables. A la Chambre, messieurs, l'honorable M. Kervyn s'abstint de justifier son arrêté en invoquant le seul motif qui pût le légitimer.
Il s'en est pris au catalogue. Examinons si les griefs qu'il fit valoir étaient fondés.
Il nous déclara d'abord que la langue flamande n'y était pas suffisamment représentée. Nous avons démontré d'une façon péremptoire, dans la séance du 29 mars 1871, qu'on y trouve un grand nombre de livres flamands.
Nous avons fait remarquer d'ailleurs que l'honorable M. Pirmez n'avait soumis aux écoles normales qu'un premier catalogue, destiné à être complété, s'il présentait quelque lacune, que dès lors rien ne légitimait la condamnation radicale prononcée par son successeur, quelque ouvrage écrit en flamand eût-il été oublié.
Mais il y a plus : ce dossier nous révèle encore que la question flamande n'avait pas été perdue de vue par les auteurs du catalogue. Nous y trouvons une lettre de M. Van Hasselt, qui dit ceci :
« J'ai revu le catalogue avec attention et j'y ai ajouté un certain nombre d'ouvrages flamands afin de satisfaire aux exigences que les directeurs des écoles normales appartenant aux provinces flamandes pourraient manifester avec raison. »
Ce grief n'était donc pas fondé et en réalité que cachait-il ? Une opposition systématique à la création des bibliothèques normales.
L'honorable M. Kervyn condamnait l'institution de ces bibliothèques et il cherchait un prétexte pour entraver l'exécution du projet excellent de M. Pirmez.
L'honorable M. Kervyn vient de nous rappeler un article publié dans la Revue de Belgique par un professeur de l'université de Bruxelles. Dans la séance du 29 mars 1871, cet article a pris une large place dans sa défense.
« Lisez, disait-il, ces pages et vous comprendrez qu'il m'était impossible d'accepter la responsabilité du travail de mon prédécesseur. »
L'honorable M. Kervyn, messieurs, n'a pas compris le caractère véritable de l'appréciation de M. Veydt, appréciation qui revêt une forme spirituelle humoristique.
La critique est un peu vive peut-être, mais l'honorable M. Pirmez avait assez d'esprit et de lettres pour l'accepter sans s'en fâcher.
Il en a donc été fort peu ému, et si je parle de cet article, c'est pour dire à la Chambre l'erreur dans laquelle est tombé l'honorable M. Kervyn.
Messieurs, une réflexion a dû venir à l'esprit de tous ceux qui se sont occupés de cet incident dans la session dernière.
Si le catalogue est aussi suspect, aussi condamnable que veut bien le dire l'honorable M. Kervyn, il n'a pas dû être accepté par les directeurs des écoles normales du clergé, des écoles congréganistes.
Eh bien, messieurs, dans ce fameux dossier, nous avons trouvé une série de lettres qui approuvaient le projet de l'honorable M. Pirmez et témoignaient de la plus vive reconnaissance pour le bienfait reçu.
Citons-en quelques-unes.
Le directeur de Carlsbourg (école normale du clergé) fait connaître le choix qu'il a fait. Il ajoute : « Je n'ai pas signalé certains ouvrages quoique très utiles, par la raison qu'ils se trouvent déjà dans la bibliothèque de l'établissement. »
Le directeur de Bonne-Espérance adresse ses remerciements.
Le directeur de l'école normale religieuse de Champion écrit : « Je saisis avec empressement cette circonstance pour remercier M. le ministre d'avoir bien voulu penser à nous. »
De Tongres, on écrit : « Veuillez me permettre de vous offrir en même temps l'expression de ma sincère reconnaissance pour cette mesure d'une utilité incontestable, qui contribuera efficacement à faciliter et à fortifier les études de nos élèves. »
Le directeur de Thourout (école normale d'instituteurs du clergé) exprime sa sincère gratitude ; celui de Saint-Roch (autre école du clergé), sa vive et sincère reconnaissance.
Le directeur de l'école de l'Etat à Nivelles, un ecclésiastique : « Comme suite, écrit-il, aux bienveillantes invitations qui terminent votre circulaire, je vous adresse la liste ci-jointe que nous avons prise comme premier choix. Nous avons formé depuis un an, sur les ressources ordinaires de noire budget, un bon noyau de bibliothèque pour nos élèves, en achetant surtout les grands classiques français et des ouvrages d'histoire nationale qui ont été beaucoup lus par nos élèves. C'est ce qui explique pourquoi dans la liste ci-jointe, nous avons pu porter en partie notre premier choix sur d'autres paragraphes du catalogue. »
J'en passe et des meilleurs.
Voilà donc les directeurs et les directrices qui font leur choix et qui adressent leurs remerciements à M. le ministre de l'intérieur.
Comment serait-il possible de supposer qu'il y eût dans ce catalogue des monstruosités qui en feraient un travail indigne d'un ministre belge ?
Je disais que l'honorable M. Kervyn n'avait pas compris le sens, la portée des critiques de M. Veydt, professeur à l'université de Bruxelles.
Sans doute, pour l'honorable M. Pirmez, il était un adversaire, mais combien son article accuse des tendances opposées à celles de l'honorable M. Kervyn !
Ce n'est pas au nom des mêmes principes qu'ils font la guerre à l'honorable M. Pirmez. En réalité, celui-ci se trouve pris entre le marteau et l'enclume.
Qu'on en juge. De quoi se plaint M. Veydt ? Il déplore notamment de n'avoir pas rencontré dans le catalogue les Provinciales de Pascal ; de n'y avoir pas vu le Turcaret de Lesage.
Quoi ! c'est l'absence des Provinciales et de Turcaret qui offusque M. Kervyn.
Fallait-il pour cela annuler l'adjudication ? Mais il était bien facile alors de satisfaire et M. Kervyn et M. Veydt ; il fallait introduire Turcaret et les Provinciales dans le catalogue. L'omission si regrettable de l'honorable M. Pirmez était ainsi réparée.
M. Veydt regrette aussi l'absence des œuvres de Dancourt. Il paraît que l'honorable M. Kervyn ne pardonnera pus à son prédécesseur d'avoir oublié Dancourt. Mais il fallait mettre Dancourt dans le catalogue.
Le Mercure Galant de Boursault brille aussi par son absence. Pour M. Kervyn c'est une faute nouvelle. Mais, il fallait la réparer en complétant le catalogue par l'introduction du Mercure Galant. Pourquoi donc, M. Kervyn, ne l'avez-vous pas fait ?
Messieurs, parlons sérieusement. En réalité, l'honorable M. Kervyn, qui n'avait rien compris au travail de M. Veydt, n'a vu qu'une chose dans son article : un prétexte pour en finir avec la pensée généreuse de l'honorable M. Pirmez, et ne pas créer les bibliothèques normales. J'ajoute que je suis convaincu que cet honorable professeur est fort malheureux d'avoir contribué, à son insu, à ce qui est arrivé.
Messieurs, M. Veydt termine ainsi son article. Il s'adresse au ministre de l'intérieur, à l'honorable M. Pirmez :
« Votre excellente circulaire du 2 octobre le prouve. Elle fait le plus grand honneur à votre zèle et à votre intelligence. Fallait-il que votre catalogue vînt gâter le lendemain un si bon mouvement ? Fallait-il, après avoir promis un phare à la jeune génération, lui donner, pour l'éclairer, rien que des lampions fumeux ? »
(page 470) Voici quelques-uns de ces lampions fumeux : « Homère, Virgile, le Tasse, Milton, Klopstock, Shakespeare, Goethe Schiller, Cervantes, Plutarque, Fénélon, Bossuet, Corneille, Ratine, Fléchier, Massillon, Pascal, La Bruyère, Montesquieu, Mme de Sévigné, Voltaire, Buffon, Mirabeau, Cuvier, de Barante, Chateaubriand, A. Thierry, Guizot, Thiers, La Rochefoucauld, Mignet, Cormenin, de Maistre, Lamartine, Walter Scott, Manzoni, Macaulay, Cantu, Duruy, de Champagny, Ozanam, Champollion, etc.. »
Sont-ce là des lampions fumeux ?
Trouvez-vous, messieurs, qu'un catalogue qui renferme de semblables ouvrages soit indigne d'un ministre belge ?
Mais j'y vois aussi les œuvres de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove. Seraient-ce peut-être là les lampions fumeux ?
Il n'y avait donc absolument aucun motif pour condamner le catalogue de l'honorable M. Pirmez, accepté d'ailleurs par les directeurs des écoles religieuses.
Je demande donc à l'honorable M. Delcour de reprendre le projet de l'honorable M. Pirmez. Je lui demande de se hâter.
Des promesses formelles avaient été faites par l'honorable M. Kervyn ; il ne les a pas tenues.
Déjà nous avons eu deux fournées d'instituteurs qui ont dû se passer de bons livres. Que cette lacune soit comblée. Si l'honorable M. Delcour a pour l'enseignement et l'instruction le zèle qu'il affirme, qu'il se hâte de créer les bibliothèques.
(page 465) M. Kervyn de Lettenhove. - Je ne pense pas qu'il soit dans l'intention de la Chambre de renouveler aujourd'hui toutes les discussions qui ont été soulevées il y a un an. Celle-ci est de ce nombre. Je m'expliquerai néanmoins en quelques mots sur les divers points dont s'est occupé l'honorable préopinant.
Oui, il est vrai que j'ai trouvé qu'au point de vue des livres qu'il faut répandre dans nos provinces flamandes, il y avait une lacune considérable dans le catalogue de l'honorable M. Pirmez, et j'en donne deux exemples.
Pour les sciences et les connaissances usuelles, il y figurait vingt ouvrages français ; il n'y avait pas un seul ouvrage flamand.
Pour la morale et les sciences sociales, il y avait seize ouvrages français ; il n'y avait pas un seul ouvrage flamand.
J'ai donc le droit de dire qu'il y existait, à ce point de vue, des lacunes considérables.
Mais je remarquais, d'un autre côté, qu'il y avait là une foule d'ouvrages qu'il ne convenait pas de mettre dans les mains des instituteurs, les uns parce qu'ils étaient mauvais, les autre parce qu'ils se trouvaient en dehors de ce cadre d'idées simples et utiles dont l'instituteur doit se nourrir et qu'il doit répandre.
Ainsi, lorsque je vois dans ce catalogue le Kalewala, épopée de la Finlande, et la Ramayana, poème sanscrit (interruption), je me demande s'il faut aller si loin chercher les bases de l'instruction des instituteurs primaires pour qui il est d'autres livres plus connus qui conviennent bien mieux.
Mais le reproche que je fais surtout à ce catalogue, c'est qu'il est trop souvent l'écho et le reflet d'une littérature étrangère dont l'influence délétère est déjà trop considérable en Belgique. (Interruption.)
Parmi ces ouvrages il y en a qu'une saine morale me faisait un devoir de repousser.
Je me bornerai à citer les contes et les romans de Charles Nodier ; et si l'honorable M. de Rossius veut en juger par lui-même, il n'a qu'à lire la nouvelle intitulée : Le dernier chapitre de mon roman.
II sera le premier, j'en suis convaincu, à déclarer que des romans d'une immoralité si révoltante ne peuvent être mis entre les mains des instituteurs. (Interruption.)
J'ajoute que, parmi les ouvrages que je n'ai pas lus, il y en a qui portent des noms qui m'inspirent une profonde méfiance. Je citerai celui de M. Macé, l'un des apôtres de la Libre pensée, l'un des fondateurs de la Ligue de l'enseignement en France. (Interruption.)
Oh ! je sais bien que les honorables interrupteurs et moi nous avons des appréciations différentes ; mais ils comprendront aisément que ce qu'ils approuvent, je ne l'approuve guère ; et quant à moi, je ne pense pas qu'il faille placer entre les mains de nos instituteurs ni les publications de la Libre pensée ni celles de la Ligue de l'enseignement.
Je dois, du reste, déclarer, messieurs, que je n'ai pas perdu cet objet de vue et qu'en attendant que je pusse arrêter une nouvelle rédaction de ce catalogue, j'ai déjà, par un arrêté ministériel du 30 mars 1871, mis à la disposition de MM. les inspecteurs provinciaux une somme de 8,000 francs pour l'achat de livres destinés aux bibliothèques des conférences cantonales d'instituteurs.
J'ajouterai, messieurs, que, dans les provinces flamandes, c'est surtout à l'achat de livres flamands que cette somme a été consacrée.
(page 470) M. de Rossius. - Messieurs, il ne s'agit pas de conférences d'instituteurs ; il s'agit des bibliothèques des écoles normales que vous avez condamnées, malgré la promesse que vous aviez faite de les créer ; vous n'avez pas dégagé votre parole.
Je sais trop comment sera conçu le catalogue des conférences d'instituteurs ; je ne me fais pas d'illusion.
Quand on entend condamner les livres de M. Macé, ces livres ravissants, uniquement parce que M. Macé a fondé en France la Ligue de l'enseignement, il faut s'attendre à tout.
Nous n'exagérons rien.
N'avons-nous pas entendu, notre mémoire ne nous trompe pas, n'avons-nous pas entendu une condamnation prononcée dans cette Chambre par l'honorable M. Kervyn contre les Femmes savantes de Molière... ?
M. Bouvier. - Cela est vrai.
M. de Rossius. - Et l'honorable M. Kervyn s'en vante !
Mais, messieurs, mon but n'a pas été atteint. Je demandais une explication à l'honorable M. Delcour.
Est-ce que cet honorable professeur de l'enseignement supérieur partage les idées étroites de son honorable prédécesseur ? Est-ce que l'honorable M. Delcour prend sous sa responsabilité l'abandon du projet de l'honorable M. Pirmez ? Consent-il, lui le représentant des hautes études, à faire siennes les vues mesquines de l'honorable M. Kervyn ? Qu'il s'explique ; qu'il nous dise un oui ou un non : qu'il se prononce, qu'il déclare s'il répudie le projet de l'honorable M. Pirmez...
Vraiment, messieurs, il devient aussi difficile de faire parler l'honorable M. Delcour qu'il l'était, l'an dernier, de faire parler M. Kervyn.
Je m'arrête. Je ne veux pas croire à un silence obstiné. Je veux admettre que l'honorable ministre ne prend pas la parole à cause de l'heure avancée ; je veux admettre qu'il parlera demain, après réflexion.
(page 465) M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je demande que la discussion soit remise à demain, pour me permettre de répondre aux honorables membres.
M. le président. - Il y a une proposition de M. Dumortier demandant que la Chambre s'ajourne, après le vote du budget, au mardi 20 février.
M. Bouvier. - Je ne puis accéder à cette proposition.
Nous ne pourrons siéger que jusque dans les premiers jours du mois de mai, car il y a des élections au mois de juin ; la Chambre a l'habitude de se séparer à Pâques pendant une quinzaine de jours ; eh bien, en défalquant ces quinze jours, il ne nous reste plus que six semaines de session ; or, nous avons encore à voter le budget de la justice et plusieurs titres du code de commerce, instamment demandés par nos industriels et négociants.
En présence de cette situation, je me demande si nous pouvons nous séparer. Je demande un vote formel sur ce point.
- Voix nombreuses. - L'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Dumortier.
69 membres y prennent part.
42 ont répondu oui.
27 ont répondu non.
En conséquence, la proposition de M. Dumortier est adoptée.
Ont répondu oui :
MM. Dumortier, Hayez, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman-, Biebuyck, Cornesse, de Borchgrave, de Clercq, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada et Thibaut.
Ont répondu non :
MM. Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Rogier, Santkin, Van Hoorde, Verwilghen, Anspach, Bara, Bergé, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Lexhy, de Lhoneux, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin et de Vrints.
M. le président. - La Chambre entend-elle remettre la séance à demain à une heure ? (Adhésion.)
M. le ministre étant présent, ne conviendrait-il pas d'examiner maintenant la motion que M. Bara a produite tantôt ?
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, on a demandé, au commencement de la séance, dans quel ordre le gouvernement (page 466) désire voir discuter le code de commerce. Je propose à la Chambre d'aborder d'abord la discussion des titres VI et VII qui traitent du Gage et de la Commission et de reprendre ensuite l'ordre du code en commençant par le titre I.
S'il ne s'agissait que d'une question de méthode, je me rallierais à l'avis de l'honorable M. Van Humbeeck et je demanderais avec lui de suivre cet ordre sans aucune dérogation.
Mais je crains qu'en agissant ainsi, nous ne soyons exposés à voir les titres du Gage et de la Commission renvoyés à la session prochaine. Le titre des Sociétés précède, en effet, celui du Gage et pourrait donner lieu à d'assez longues discussions. D'autre part, le commerce, et notamment le commerce d'Anvers, insiste vivement pour que les titres dont je parle puissent être discutés immédiatement et promulgués en forme de loi spéciale ; c'est cette considération toute pratique et d'intérêt général qui m'a déterminé à faire ma proposition.
M. Bouvier. - J'accepte, pour ma part, la proposition que vient de faire M. le ministre de la justice ; mais je désirerais qu'on ajoutât à ces deux titres celui qui concerne la Lettre de change, dont le commerce réclame vivement la discussion et le vote.
M. Elias. - Au titre des Commissionnaires se rattache la question de la responsabilité de l'administration des chemins de fer. Le gouvernement a promis de présenter un projet de loi sur cet objet. Je demanderai s'il pourra être présenté pour l'époque où nous nous occuperons du titre de la Commission.
L'urgence d'une solution est évidente ; tous les jours il y a des contestations devant les tribunaux entre des expéditeurs et l'administration du chemin de fer. Il importe donc que le projet de loi annoncé ne se fasse pas attendre.
M. de Lantsheere, ministre de la justice.- C'est une question très compliquée. Le gouvernement s'en occupe. M. le ministre des finances a eu l'occasion d'en entretenir la Chambre au sujet du crédit pour les travaux publics. Une commission composée de jurisconsultes, de fonctionnaires du département des travaux publics et de personnes qui s'occupent des exploitations de chemins de fer a été instituée. Il faut nécessairement attendre son rapport avant de formuler le projet de loi à soumettre à la législature.
M. Bouvier. - J'insiste de la manière la plus pressante pour que l'on discute la Lettre de change après les deux autres titres indiqués par M. le ministre.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Je n'y vois pas d'inconvénient.
M. Bouvier. - M. le ministre accepte ma proposition.
M. Bara. - M. le ministre de la justice nous a annoncé qu'il avait l'intention de proposer des amendements. Comme il s'agit d'une matière très importante, il serait utile que la commission pût délibérer sur ces amendements.
Le budget de la justice ne prendra qu'une huitaine de jours ; comment voulez-vous qu'en si peu de temps la commission puisse se prononcer sur les amendements annoncés ? Il serait a désirer que M. le ministre les présentât dans quelques jours ; de cette façon les membres de la commission pourraient les examiner pendant les vacances.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.