Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 6 février 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 411) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur De Coorebyter demande une modification aux lois de 1844 et de 1857, relativement à la pension de la veuve. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les administrations communales de Grand-Leez, Thorembais, Tourinnes, Orbais demandent l'établissement d'une station au point d'intersection du chemin de Grand-Leez à Tourinnes-Walhain avec la voie ferrée de Tamines a Landen. »

M. M. de Vrints. - Vu l'importance de cette pétition, j'en demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Accordé.


« Le secrétaire communal de Marbais prie la Chambre de s'occuper, pendant la présente session, des réclamations des secrétaires communaux. »

M. Lelièvre. - J'appuie cette pétition et son renvoi à la commission, qui sera invitée à faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Les membres de l'administration communale de Rhode-Sainte-Agathe prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »

« Même demande des membres des administrations communales de Meldert et Herten. »

- Même renvoi.


« Le sieur Leroy prie la Chambre de décider que la distribution des lois et arrêtés, ainsi que du compte rendu des séances des Chambres, sera faite à chaque famille ou communauté de personnes qui en fera la demande. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi relative à la traduction flamande des Annales parlementaires.


« Le sieur Bouwens demande que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs contienne une disposition pour faire réviser les pensions des anciens instituteurs. »

M. Lelièvre. - J'appuie cette pétition en priant la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de vouloir s'en occuper avec un soin particulier.

- Adopté.


« M. le recteur de l'université de Liège fait hommage à la Chambre de 127 exemplaires des discours prononcés par les autorités académiques aux funérailles du professeur Spring, le 20 janvier dernier. »

- Distribution aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.


« M. Houtart, retenu par un deuil de famille, demande un congé de quinze jours. »

- Accordé.


M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, je crois devoir proposer quelques amendements au budget de la justice. Je ne crois pas qu'un renvoi à la section centrale soit nécessaire. Je demande la per mission de les faire imprimer et distribuer.

- Adopté.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1872

Discussion générale

Chapitre XVI. Enseignement moyen

M. le président. - Messieurs, dans la précédente séance il a été convenu que la discussion générale comprendrait les chapitres XVI et XVII ; s'il n'y a pas d'opposition, nous continuerons de même.

(page 419) M. Bergé. - Messieurs, je me félicite grandement de la tournure que vient de prendre le débat, car, le ministère se retranchant toujours derrière des fins de non-recevoir, nous ne savions véritablement pas quelles étaient ses intentions précises ; et il nous était impossible de combattre énergiquement sa politique.

Il semblait que les doctrines du cabinet se trouvaient inspirées de ces paroles de Machiavel : « Il faut que le peuple soit adroitement trompé et qu'il pense avoir ce qu'il n'a pas. » Elles manquaient complètement de franchise. Il y a quelques jours encore, le ministère restait muet lorsque je le félicitais de ne rien faire. Heureusement l'honorable M. Delcour a rompu le silence.

La discussion a porté sur la liberté qui doit être conservée à l'instituteur ; on a disserté sur la question de savoir si l'instituteur devait conserver sa liberté de citoyen et jusqu'à quelle limite cette liberté devait lui être conservée.

Comme citoyen, l'honorable M. Delcour reconnaît à l'instituteur tous les droits possibles, mais il lui adresse deux discours ; dans le premier, il lui déclare qu'il est libre, qu'il peut affirmer toutes ses idées, défendre tous les principes qu'il juge bons et utiles.

Mais, après ce premier discours, il lui en adresse un second. Il lui rappelle sa position d'instituteur. Il lui fait comprendre alors qu'il est dans sa dépendance complète et absolue et que s'il s'écarte de la ligne de conduite qu'il veut lui tracer, il sera là pour le briser. Car la déclaration de l'honorable ministre de l'inférieur, faite à la dernière séance, est bien celle-ci : Si l'instituteur, disait-ifl s'écarte de la voie convenable, je le briserai. Sinon je le maintiendrai.

Tout le monde peut tenir pareil langage. Mais quelle est cette voie convenable indiquée par l'honorable M. Delcour ?

Il est facile de comprendre que ce n'est pas la participation aux travaux de la Ligue de l'enseignement, puisque cette institution a été dénoncée par le ministre de l'intérieur.

C'est même là un de ces actes qu'il ne sera pas permis à l'instituteur de poser ; il ne pourra pas faire partie de la Ligue de l'enseignement, parce qu'on le considérera comme un instituteur insubordonné et on le brisera. Cependant, tout en accusant la Ligue de l'enseignement, M. le ministre de l'intérieur ne nous a pas cité d'exemple d'instituteur insubordonné ; il ne nous a pas cité surtout qui avait constaté cette insubordination, et nous en sommes encore à nous demander si cela résulte de rapports de la gendarmerie, comme au beau temps de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove.

L'honorable M. Delcour vient nous représenter le cabinet comme émanant de la presque unanimité du pays, et plusieurs fois cette idée a été défendue par le cabinet et par ses amis.

L'honorable M. Delcour ne devrait pas oublier cependant que des centres importants ne partagent pas sa politique, que ni Bruxelles, ni Liège, ni le Hainaut n'appartiennent au parti catholique qu'il représente dans cette assemblée. Il devrait savoir que dans la partie wallonne du pays, c'est l'opinion libérale qui a l'immense majorité, Il devrait savoir qu'il n'y a parmi les provinces wallonnes que la province de Namur où le parti catholique a son autorité et sa puissance.

II devrait se rappeler aussi que la députation gantoise ne siège dans cette enceinte qu'à une différence de voix très minime. (Interruption.) Que, par conséquent, si l'arrondissement de Gand se trouve légalement représenté dans cette enceinte, la minorité gantoise, cette minorité qui a échoué au mois d'août 1870, peut facilement redevenir ce qu'elle était, c'est-à-dire majorité.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Ce ne sera pas de sitôt.

M. Bergé. - On ne devrait pas oublier non plus que la ville de Gand est libérale et que cette députation gantoise siège dans cette enceinte en vertu des voix obtenues dans les campagnes.

M. Bouvier. - Les ruraux.

- Un membre à droite. - Et vous, les communaux.

M. Bergé. - Je remarque que les plus grands interrupteurs sont ceux qui d'ordinaire parlent le moins. Si M. Kervyn de Volkaersbeke a quelque chose à me répondre, il peut se faire inscrire, je l'écouterai bien volontiers.

Je disais donc que la majorité actuelle n'est pas aussi solide qu'elle voudrait le faire croire, et qu'elle n'a pas de racines profondes dans le pays.

Voyons ce qu'est la Ligue de l'enseignement, attaquée d une manière si violente par M. de Kerckhove. Il a pensé que la Ligue de l'enseignement allait se trouver frappée d'anathème lorsqu'il aurait fait ressortir que cette Ligue de l'enseignement émanait de la Libre pensée.

Il a lu quelques lignes d'un rapport de la Libre pensée et il a cru faire toute une révélation en citant ce passage :

« La Ligue de l'enseignement, constituée par vos soins et inspirée de vos idées, est devenue une institution universelle. » Eh bien, oui, la Ligue de l'enseignement a été fondée par la Libre pensée. La Libre pensée s'est occupée d'enseignement de même que les catholiques croient utile de s'en occuper, et après avoir constaté que cette question était vaste, elle a voulu constituer une association analogue à celle qui existait déjà en Hollande depuis très longtemps, sous le nom de Toi nut van 't algemeen, association qui, en Hollande, a été fondée par un pasteur protestant.

La Ligue de l'enseignement, quoique émanant d'un groupe de libres penseurs, membres de la Libre pensée, a son autonomie, elle est indépendante de la Libre pensée. Nous avons cru que ce n'était pas une agglomération d'hommes, ayant certaines idées philosophiques déterminées, qui pouvait s'occuper exclusivement de la question de l'enseignement. Nous avons cru qu'il fallait faire un appel à toutes les opinions ; qu'il fallait ouvrir les portes très largement !, et qu'il fallait confier les grands intérêts de l'enseignement à une association où seraient admis les hommes appartenant à toutes les opinions philosophiques.

La Libre pensée s'est donc montrée bien plus large, bien plus tolérante en cette circonstance que l'opinion catholique, qui, elle, s'occupe de cette question dans des groupes composés exclusivement de catholiques.

Mais doit-on rendre la Ligue de l'enseignement solidaire de ce que fait la Libre pensée, parce que c'est cette dernière qui lui a donné naissance ? Où iriez-vous avec un pareil système ?

Quand les loges fondent des ambulances pour soigner les blessés ; quand elles créent des comités de pain, des comités de charité, des fourneaux économiques, des crèches, vous proscrirez toutes ces institutions ? Vous rendrez ces institutions solidaires de tout ce que la maçonnerie a pu faire et soutenir ? La maçonnerie a son rôle ; si ces institutions ont été créées par des maçons et des libres penseurs, elles ont leur programme et leur but spécial et elles n'ont plus rien de commun avec les associations qui ont présidé à leur naissance.

Si la Libre pensée a créé la Ligue de l'enseignement,, elle entend laisser faire à la Ligue de l'enseignement ce qu'elle n'a pas voulu faire exclusivement elle-même.

Et la preuve, c'est qu'à la tête de la Ligue de l'enseignement se trouve un homme qui n'appartient pas à la Libre pensée. Il est vrai qu'on pourrait objecter que le président qui l'avait précédé était un membre de la Libre pensée. Mais cela est fort indifférent ; et l'on ne se demande pas à la Ligue de l'enseignement, lorsqu'il s'agit de distribuer les rôles au comité directeur, si l'on appartient à la Libre pensée, si l'on est ministre d'un culte, ni à quelle religion on appartient ; s'il faut un président ou un secrétaire, on ne demande pas au candidat s'il est un philosophe pensant de telle. Ou telle façon ; on voit s'il est dévoué à la vulgarisation de l'enseignement, s'il a du zèle et du talent.

Mais vous proscrivez les Ligues de l'enseignement en vertu d'une vieille tradition de votre parti. Vous proscrivez la Ligue de l'enseignement comme vous avez essayé de frapper de proscription l'université de Bruxelles comme vous avez essayé de frapper de proscription la Revue trimestrielle, parce qu'elle se trouvait recommandée par une lettre de M. Defacqz, comme vous avez cherché à proscrire les bibliothèques populaires que vous avez dénoncées dans vos journaux ultramontains comme étant une (page 420) œuvre dangereuse et cela parce que la maçonnerie les avait encouragées et organisées.

Mais voyous maintenant ce qu'est la Libre pensée elle-même.

L'honorable M. de Kerckhove disait : M. Guillery se soucierait fort peu d'être président de cette association sur laquelle nous sommes tous à peu près d'accord.

Je ne sais ce que pense l'honorable M. Guillery, mais, quant à moi, j'ai été le fondateur et pendant quatre ans le président de la Libre pensée et je m'en honore.

On a dit de la Libre pensée que c'était une association qui professait l'athéisme. C'est encore là une de ces vieilles accusations, une de ces vieilles rengaines que nous rencontrons toujours dans la bouche des catholiques ; quand on a prononcé le mot « athée », pour les catholiques on a tout dit.

Mais cependant il y a des déistes dans la Libre pensée ; il y a des hommes qui ont soutenu l'idée de Dieu et de l'immortalité de l'âme ; elle compte parmi ses membres des écrivains qui ont publié des ouvrages sur cette matière et ont donné des conférences dans lesquelles ils se sont montrés excessivement durs envers l'athéisme.

Je sais bien qu'on dira : Mais la doctrine philosophique professée par ces hommes, par le seul fait qu'ils appartiennent à la Libre pensée, constitue de l'athéisme déguisé, comme on l'a dit chaque fois que M. Tiberghien a publié ses doctrines philosophiques.

Les catholiques l'ont parfaitement accusé d'athéisme, et cependant on sait combien M. Tlberghien s'est défendu de ce reproche ; on sait qu'il a prononcé un discours dans ce sens à l'ouverture des cours de l'université de Bruxelles dont il était recteur. Mais l'honorable M. de Kerckhove, qui a lu, paraît-il, le rapport de la Libre pensée, a dû voir que, dans le rapport annuel de cette année, la Libre pensée s'exprime comme suit :

« Voulait-elle trancher les grandes questions qui, depuis tant de siècles, divisent les meilleurs esprits, décide de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'âme, de tous ces problèmes qui avaient donné lieu à d'interminables controverses ?

« Non : son but était plus simple et plus modeste.

« De doctrines, elle n'en avait point ; ses membres n'étaient-ils pas partagés en camps opposés ? Le déisme n'y était-il pas représenté à côté de l'athéisme ?

« Les positivistes ne coudoyaient-ils pas, dans son sein, les adeptes et les professeurs de la métaphysique spiritualiste ?

« Et n'est-il pas vrai de dire qu'aucun lien de doctrine n'unissait ces hommes qui paraissaient si énergiquement résolus à associer leurs efforts en vue d'une victoire commune ?

« La Libre pensée ne poursuivait donc le triomphe d'aucune thèse philosophique déterminée.

« Ce qui réunissait ces défenseurs d'opinions, si diverses, c'était le commun amour de la liberté, la haine du mensonge, l'horreur de l'oppression, la volonté d'arracher du sein de l'humanité le cancer rongeur de la superstition qui semblait ne pouvoir arrêter ses ravages que par la destruction et la mort de l'organisme social.

« Ils comprenaient que nulle recherche de la vérité n'est possible, que nulle controverse n'est loyale en dehors de la liberté.

« Et la liberté, pour eux, se constituait non seulement de cette tolérance de la loi qui permet tout ce qui n'est pas formellement défendu, mais encore et surtout de la rectitude des mœurs et de l'affranchissement de l'esprit qui délivrent l'homme de la domination des préjugés et ouvrent ses yeux à la lumière, à la science, à la vérité. »

En effet, c'est ce qui ressort encore de ce préambule qui figure en tête des statuts de l'Association :

« Elle demande aux hommes de la franchise et de la sincérité ; elle n'impose ni dogmes, ni croyances. Respectant la liberté absolue de l'homme, elle ne demande à ses adhérents que l'affirmation de la liberté de tous et elle a pour principe la liberté de conscience. »

Voilà ce qu'est la Libre pensée. Mais ce qui adonné naissance à la Libre pensée, ce qui a constitué sa force dès l'origine, eh bien, c'est cet esprit de vénalité du clergé ; c'est précisément parce que l'on a vu si souvent que les faveurs de l'Eglise, que les prières, que les cérémonies du culte étaient réservées à celui-là qui avait l'argent pour les payer et non à l'homme vertueux qui avait passé une noble existence sur la terre ; c'est parce que l'on savait parfaitement que lorsqu'un malheureux, dans un moment de délire, se suicidait, l'Eglise n'a point de prières pour lui.

Tandis qu'au contraire, si le riche se trouvait dans le même cas, rien ne lui était refusé, grâce à l'appât du gain qui était en jeu.

C'est à cause de cet esprit de vénalité du clergé que la Libre pensée a obtenu un si grand succès,

C'est à cause aussi de cet esprit d'intolérance dont le clergé a fait preuve ; c'est à cause de cet esprit de prescription qui l'a toujours dirigé contre des hommes qui pratiquaient les principes du libre examen ; c'est à cause de ces persécutions que la Libre pensée est née et a grandi.

Mais, dit-on, organiser des enterrements civils, quel blasphème ! Oui, messieurs, ainsi marchent les conquêtes de l'esprit humain. Avant 1789, nul ne pouvait naître sans devoir passer par l'Eglise, sans être enregistré sur ses contrôles ; nul ne pouvait se marier sans passer également par son intermédiaire ; nul ne pouvait songer à avoir une sépulture et le repos de la tombe sans encore une fois avoir passé par les fourches caudines de l'Eglise.

Elle s'était infiltrée dans toute l'organisation sociale, lorsque enfin la société civile a revendiqué pour elle ses droits, et elle a dit : Il y aura un état civil ; l'inscription des naissances se fera par l'autorité civile ; ce sera l'autorité civile encore qui sera là pour décréter les unions légitimes ; ce sera l'autorité civile enfin qui présidera aux inhumations. Aujourd'hui, c'est encore l'autorité civile qui revendique ses droits en matière de cimetières et qui proteste contre vos coins des réprouvés. Oui, messieurs, qui ne se rappelle les scènes scandaleuses qui ont si souvent marqué les enterrements d'hommes qui n'auraient point été les fidèles serviteurs de l'Eglise, que l'Eglise avait rejetés de son sein, alors qu'eux-mêmes n'avaient fait que protester contre certains de ses actes qui répugnaient à leurs consciences honnêtes. A ceux-là, l'Eglise réservait le coin des réprouvés et exposait leur dépouille aux injures les plus grossières.

M. le président. - Je dois vous rappeler, M. Bergé, que nous nous occupons de l'enseignement primaire.

M. Bergé. - Parfaitement, M. le président ; mais l'honorable M. Delcour a fait des digressions ; je suis obligé de le suivre.

Il a mis enjeu la Ligue de l'enseignement ; l'honorable M. de Kerckhove a parlé de la Libre pensée ; il est impossible que ce débat se ferme sans que j'y réponde.

Il y a en quelque sorte ici un fait personnel. Il n'est pas possible que nous nous laissions attaquer sans que la réponse puisse se produire. Si elle ne se produit pas aujourd'hui, elle se produira demain ; si elle ne se produit pas demain, elle se produira après-demain. Je ne céderai que si vous voulez m'imposer le silence par la violence et alors je parlerai hors de cette enceinte.

M. le président. - On a parlé de la Ligue de l'enseignement que pour autant qu'elle se rattache à l'enseignement. On n'a parlé de la Libre pensée que très incidemment.

M. Bergé. - J'aurais déjà terminé sur ce sujet si je n'avais été interrompu.

M. le président. - Je vous fais cette observation en acquit de mes devoirs, mais si la Chambre veut vous entendre, je n'y vois pas d'inconvénient.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. Bergé. - La Libre pensée compte trop d'adhésions pour qu'on puisse dire, comme l'honorable M. de Kerckhove, que nous sommes tous d'accord ici pour condamner cette société.

Les enterrements civils se sont multipliés dans notre pays, à tel point qu'ils ne sont plus une manifestation, mais qu'ils sont passés dans la pratique des faits.

Pour citer quelques noms et pour prouver qu'on ne peut jeter cette Libre pensée par-dessus bord avec autant de sans façon que le fait l'honorable M. de Kerckhove, je citerai les enterrements civils de deux fondateurs de notre nationalité, MM. de Potter et Gendebien.

Je vous parlerai de celui qui a présidé les débats de cette Chambre si longtemps, l'honorable M. Verhaegen, de l'honorable M. Delfosse, dont les travaux ont été si importants dans cette assemblée.

Je vous citerai des magistrats de la cour de cassation, Van Meenen qui la présidait, Defaeqz qui a été enlevé récemment à la Belgique et au libéralisme.

Je citerai l'ancien conseiller de la cour d'appel, M. Van Mons ; je vous citerai des professeurs de l'université, comme Callier, à Gand, et Tarlier, à Bruxelles, des professeurs comme M. Le Hardy de Beaulieu, des officiers comme les colonels Ladrière et Huybrecht, des généraux comme le général Le Hardy vicomte de Beaulieu ; je vous citerai, parmi les artistes, les Wiertz, Lies,Fourmois, etc., etc., dans le commerce et l'industrie, tant de personnes qu'on pourrait citer et qui ont laissé les plus honorables souvenirs et qui ont droit à tous les respects.

Et parmi les hommes qui ont habité la Belgique et qui, par l'éclat de leur talent et de leur honorabilité, ont attiré les regards, je pourrais vous citer des hommes comme le colonel Charras, comme Désiré Bancel, cet (page 421) éminent orateur, comme cet ancien ministre du pape Pie IX, Armellini, ancien ministre de l'intérieur des Etats pontificaux. Et s'il fallait citer les vivants qui marchent dans la même voie et professent les mêmes principes, combien d'illustrations dans la magistrature, dans le barreau, dans le négoce et dans l'enseignement ; combien d'hommes qui approuvent les principes de la Libre pensée, mais qui n'osent pas toujours se montrer au grand jour par la raison que vous êtes là pour épier leurs actes et pour les briser au besoin, pour les dénoncer comme on dénonçait M. Defacqz en 1845 dans cette même Chambre, où on l'accusait, lui maçon, d'avoir fomenté des troubles en Suisse et on ne lui ménageait en aucune façon l'injure ; mais aussi on sait quelle a été, dans cette circonstance, la noble et énergique réponse de Defacqz.

Cet honorable président de la cour de cassation, qui, lui aussi, était des nôtres, ne jetait pas la Libre pensée par-dessus bord ; il m'écrivait en 1863 :

« Je me glorifie d'avoir, en qualité de grand maître national, concouru à organiser et présidé les premières funérailles civiles ou plutôt maçonniques dont l'appareil se soit montré publiquement dans la capitale. Il y a de cela vingt ans (janvier 1843)... Vous pouvez donc juger si mes sympathies sont acquises d'avance à l'œuvre d'émancipation qui s'élabore sous votre direction... »

Quand on a, messieurs, des approbations comme celles-là, on peut s'honorer d'avoir été l'organisateur de cette association et l'on peut, sans honte, répondre à M. de Kerckhove qu'on n'est pas d'accord avec lui ni sur la valeur ni sur la moralité de la Libre pensée.

Vous condamnez la Ligue de l'enseignement sous prétexte qu'elle émane de la Libre pensée, mais en réalité, je vous le disais, vous la condamnez pour rester fidèle à la tradition ; toujours les Ligues de l'enseignement ont été condamnées par les catholiques.

En 1817, on voit s'établir en Angleterre une association et elle met dans son rapport cette phrase : « Les nations étrangères préfèrent notre méthode, non seulement parce qu'elle est plus efficace et plus économique qu'aucune autre, mais encore, parce qu'on inculque les principes les plus purs de morale tirés de la source des écritures sacrées ; on |ne prescrit aucune croyance, on ne tente de faire aucun prosélyte et on laisse les croyances libres de toutes chaînes. »

Eh bien, cette association qui allait puiser les bases de la morale dans les livres sacrés, qui déclarait qu'elle ne voulait pas faire de prosélytes, qu'elle laissait toutes les croyances libres, se trouvait immédiatement dénoncée par la presse catholique comme une association qu'il fallait proscrire.

Et, en 1829, le 24 mars, parait une lettre encyclique de Pie VIII contre une ligue de l'enseignement :

« Entre toutes les sociétés secrètes, nous avons surtout à vous signaler une association formée récemment et dont le but est de corrompre la jeunesse élevée dans les collèges et les lycées.

« Comme on sait que les préceptes des maîtres sont tout-puissants pour former le cœur et l'esprit de leurs jeunes élèves, on apporte toute sorte de soins et de ruses à donner à la jeunesse des maîtres dépravés qui les conduisent dans les sentiers de Baal, par des doctrines qui ne sont pas selon Dieu... On peut dire de ces maîtres que leur loi c'est le mensonge, leur dieu, c'est le démon, et leur culte, ce qu'il y a de plus honteux. »

Et le pape demande de proscrire ces propagateurs de l'enseignement. Vous le voyez, en 1829, comme en 1871, la Ligue de l'enseignement était mise à l'index.

En examinant toutes ces questions, en me reportant en arrière, je sais bien que l'on pourra tout à l'heure venir me répliquer, en disant : Mais ne jetez pas un coup d'œil en arrière, c'est en avant qu'il faut regarder.

Et c'est l'honorable M. Malou qui dira cela ; car il en a l'habitude. Cette phrase revient dans presque tous les discours : Ce n'est pas en arrière, c'est en avant qu'il faut jeter les yeux. Parle-t-on de chemin de fer, c'est en avant qu'il faut regarder. Parle-t-on instruction publique, discute-t-on le cabinet, c'est toujours en avant qu'il faut voir, nous répète M. Malou. Il semble en quelque sorte repousser tout ce que l'opinion publique peut lui opposer.

Si alors nous essayons de voir ce que le cabinet fera dans l'avenir, comme c'est bien notre droit et notre devoir, il nous dit que nous faisons un procès de tendance, et l'on ne nous permet pas plus de faire de procès de tendance qu'on ne nous permet de jeter un coup d'œil en arrière.

Cependant le cabinet n'est pas composé d'hommes si jeunes et si nouveaux que nous puissions nous attendre à des choses extraordinaires et inattendues. L'honorable M. de Theux n'est pas né d'hier ; il a une longue carrière politique, il a professé des principes qu'il a toujours défendus dans cette assemblée, on peut donc parfaitement savoir quelles sont ses idées en toutes matières, dans toutes celles du moins qui ont été agitées aux Chambres belges.

L'honorable M. Malou, malgré toute son excessive verdeur, bien qu'il se trouve encore dans toute la plénitude de son talent, l'honorable M. Malou a un passé politique assez long ; il fera sans doute ce qu'il a déjà fait, il ne va pas abdiquer la politique qu'il a toujours suivie pour venir inaugurer une politique nouvelle.

Nous savons donc parfaitement à quoi nous en tenir sur l'esprit qui anime le cabinet ; nous savons ce qu'il fera. Et s'il hésite à marcher plus résolument dans la voie qu'il désire, c'est qu'il ne l'ose pas, c'est qu'il voit peut-être que le pays n'est pas avec lui. Mais on connaît parfaitement ses tendances.

Quand le cabinet feint de vouloir pratiquer une politique nouvelle et inconnue, c'est comme si je déclarais qu'on ne connaît pas mon opinion sur la loi de 1842 ; cela n'est pas sérieux.

L'honorable M. Delcour nous dit qu'il est aussi indépendant, plus indépendant même que ceux qui ne professent pas le catholicisme ; mais il oublie complètement les actes pontificaux, les encycliques de 1852 et de 1864 ; il oublie complètement le Syllabus.

Si je prends le Moniteur du catholicisme en Belgique, le Bien public, j'y trouve que les actes pontificaux, les encycliques de 1852 et de 1864 et le Syllabus sont choses très sérieuses et qui lient les catholiques. Voici ce que dit le Bien public :

« Mais il y a des actes pontificaux, il y a les encycliques de 1852 et de 1864, il y a le Syllabus, qui formulent sur la moralité des libertés modernes des jugements doctrinaux qu'il est du devoir des catholiques d'accepter sans restriction ni réserve, comme l'expression infaillible de la vérité.

« C'est sur notre adhésion à ces actes que l'on nous interroge, en nous demandant de déterminer la nature et la portée de cette adhésion.

« Pour notre part, nous n'avons jamais hésité à répondre à des interpellations de ce genre. Nous pouvons même dire que nous les avons devancées, étant d'avis que le rôle principal de la presse catholique, à notre époque, est de faire pénétrer dans les esprits, par des affirmations et par des démonstrations réitérées, les solennels enseignements descendus de la chaire apostolique.

« Sur ce terrain on nous trouvera toujours prêts à renouveler notre profession de foi.

« Oui, nous croyons que la liberté des cultes, entendue dans le sens moderne et libéral du mot, est une calamité publique et une plaie sociale.

« Oui, nous croyons que la liberté d'enseignement, c'est-à-dire la libre diffusion des doctrines les plus immorales et les plus erronées, est une liberté funeste.

« Oui, nous croyons que la liberté d'association, pratiquée indistinctement, même en vue des buts les plus mauvais que puisse poursuivre l'activité humaine, est un fléau qui doit fatalement mener les peuples aux abîmes.

« Oui, nous croyons que la liberté de la presse est, pour nous servir de l'expression de Grégoire XVI, une peste effroyable dont les ravages empoisonnent les nations et tuent les âmes.

« Oui, nous croyons que le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat est en lui-même, et dans ses applications logiques, également funeste à la société civile et à la société religieuse ; qu'il doit entraîner la ruine des patries et qu'au point de vue spirituel, il engendre la perte éternelle d'un grand-nombre d'hommes.

« C'est dire aussi que, loin de regarder le développement de ces libertés et leurs fruits naturels comme un progrès, nous y voyons le germe des dernières décadences et la source de tous les maux dont souffre aujourd'hui le monde. Le progrès, à nos yeux, c'est le rétablissement du règne social de N. S. Jésus-Christ, c'est-à-dire la reconnaissance des droits de Dieu et la pratique des devoirs qui lient à la vérité et à la justice les nations aussi bien que les individus.

« La position des catholiques du XIXème siècle, en face de cet ensemble d'institutions et de lois qu'on désigne sous le nom générique de civilisation moderne ressemble, à beaucoup d'égards, à celle des premiers chrétiens condamnés à vivre au sein de la civilisation païenne. Nous ne sommes point rebelles ; mais ne voulons pas être idolâtres. On nous trouve soumis aux lois humaines aussi longtemps qu'elles ne contredisent et ne viole nt pas la loi divine ; mais nous répétons aujourd'hui à tous les pouvoirs issus des « immortels principes de 89 » ces paroles que l'auteur de l'Apologétique adressait aux magistrats romains : « Je reconnais dans le chef de l'empire mon souverain ; mais qu'il ne prétende pas que je le reconnaisse (page 422) pour mon Dieu ; car, du reste, je suis libre. Je n'ai d'autre maître que le Dieu tout-puissant, éternel, qui est aussi le sien. »

« En tain nous objecterait-on que si la civilisation moderne abrite toutes les monstruosités doctrinales et morales, elle offre aussi la même protection et la même liberté à l'église de Jésus-Christ. Cela fût-il vrai que le principe de cette civilisation n'en demeurerait pas moins essentiellement faux. Quel est, en effet, ce principe, sinon l'indifférentisme érigé en système de gouvernement ?

« Or, cet indifférentisme systématique est véritablement un péché contre-nature : l'homme et les sociétés qui sont des réunions d'hommes, ayant pour fin de connaître la vérité, de l'aimer et de la pratiquer. »

Voila ce que dit un des organes les plus autorisés du catholicisme ; il le dit, non pas comme une opinion personnelle, mais il le développe comme étant un véritable article de foi, comme étant la loi sur laquelle le catholicisme doit se fonder, sous peine de forfaiture ; il veut ainsi obtenir le règne universel du Christ.

Tel est aussi le langage d'un autre journal de la presse catholique, d'une feuille qui doit faire autorité, car son rédacteur était cité, il n'y a pas longtemps, dans cette enceinte par l'ancien ministre de la justice ; je veux parler du journal de M. Lebrocquy.

Qu'y voyons-nous ?

C'est que, dans la séance du 11 janvier, l'assemblée nationale de France a été saisie d'une proposition qui n'a pas été assez remarquée au dire du journal La Cloche, et qui lui paraît cependant mériter l'attention de tous les penseurs sérieux, des hommes d'Etat dignes de ce nom.

Voilà qui s'adresse aux membres du cabinet.

Je cite l'extrait de La Cloche :

« M. Jean Brunet est monté à la tribune, demandant l'urgence pour la proposition suivante :

« Dieu dans sa justice a frappé la France d'un châtiment terrible, parce que la France, rédemptrice des nations, s'était laissé corrompre par les impies et les ruffians (Hilarité générale.) par les histrions (Très bien !) et qu'elle insultait le Christ..

« Dans l'abîme où elle est plongée, elle se heurtera aux hontes de toute sorte, ou se relèvera du chaos pour marcher dans la voie du salut. Pour se régénérer, il faut un principe capital !

« Ce principe, le cherchera-t-elle dans les doctrines des bas-fonds qui aboutissent à l'athéisme. (Rires. - Très bien ! à droite.)

« Elle peut se sauver en rentrant avec fermeté dans la voie du Christ universel.

« Il faut qu'elle se hâte, car le glaive du châtiment est suspendu sur nos tètes.

« En conséquence l'assemblée nationale décrète :

« Art. 1er. La France se voue à Dieu tout-puissant.

« Art. 2. Elle élèvera un temple à Paris sur les hauteurs de la place du Roi de Rome.

« L'étendard de la France, comme celui du Christ, portera ces mots : Dieu protège la France, le Christ est vainqueur, règne et commande. (Agitation.)

« M. Brunet conclut en demandant l'urgence.

« Cette proposition, dit-il, est soumise à l'assemblée, qui est le grand soldat du Christ.

« Voix à gauche. - Revenons aux matières premières.

« M. Jean Brunet. - Il faut replâtrer les fissures d'un édifice vermoulu. Pour ce travail, il faut un esprit supérieur ; et cet esprit est celui du christianisme. (Bruits ; cris : Assez !)

« Voix à gauche. - La question préalable ! •

« L'urgence ne fut pas déclarée. Seuls MM. Robert, Du Temple et Lorgeril ont voté pour.

« Quant à nous, nous sommes profondément surpris et affligés même du silence qui s'est fait sur cette proposition ; elle méritait, selon nous, un accueil enthousiaste et aurait dû être votée par acclamation.

« Quelles objections pouvait-elle soulever ? En quoi manque-t-elle d’opportunité ou de vérité ? L’orateur a-t-il caractérisé trop sévèrement la situation quand il a dit que les impies et les histrions avalent pris la place du Christ ? Est-il vrai que la France ainsi que tous les pays qui se rationalisent se heurtent et se heurteront à toutes les hontes et à tous les désespoirs? Est-il vrai que le remède ne saurait se trouver dans les bas-fonds qui aboutissent à l'athéisme? Est-il vrai, en un mot, que le Christ universel seul guérira les plaies gangrenées dont souffrent nos sociétés! .

« Ah ! nous comprenons que des déistes, des panthéistes, des athées de toute nuance, des positivistes bimanes, - de l'ordre des primates à poil rare, - hésitent, ricanent, invoquent la question préalable et taxent une telle proposition de folie. Le Christ lui-même et son Evangile ne furent-ils « une folie pour les nations ? » Les scribes et les pharisiens ne firent-ils pas passer l'Homme-Dieu pour insensé et pour blasphémateur, parce qu'il prêchait des doctrines qui condamnaient leurs passions et écrasaient leur orgueil ? Mais des catholiques, des chrétiens, des disciples du Christ, lui faire un accueil si froid, hésiter, demander du temps, se consulter, comme pour s'en laver les mains !

« Si Jésus-Christ, fils de Dieu, n'est pas l'imposteur de Renan, ou le mythe de Strauss ; si son Evangile a régénéré l'humanité ; si nous catholiques nous avons la prétention de nous dire ses disciples, ne rougissons pas de notre maître, afin qu'au grand jour du jugement il n'ait pas à rougir de nous.

« Que le Christ soit dans nos actes, dans nos pensées, dans nos aspirations. Ouvrons-lui un sanctuaire dans nos maisons, dans nos temples et dans toutes les manifestations de la vie publique. Plus de lâches et stupides timidités ! Hâtons de tous nos vœux, préparons par une unanime, grande et pacifique agitation, nous que le baptême a faits les soldais du Christ, l'avènement du Christ universel. » (La Cloche. 28 janvier 1872.)

Eh bien, voilà les doctrines qui sont professées par les membres du cabinet, car ce sont là ses défenseurs, car au jour de l'élection ils se garderaient bien de repousser ceux qui ont écrit ces lignes et qui patronneront leur candidature. Tout ce qui se trouve dans ces journaux doit être considéré comme étant la pensée de ceux qui gouvernent actuellement la Belgique.

L'honorable M. Delcour est venu soutenir dans cette assemblée que le catholicisme c'est la grande expression des intelligences du monde, que l'Europe repose sur les bases du catholicisme..

Voyons ce que vaut cette affirmation ; l'Espagne catholique se traînait misérablement à la queue des nations ; elle avait à sa tête une reine orthodoxe, qui était chérie du pape, qui était désignée par lui comme la pure d'entre les pures, et, peu après, il semblait que la bénédiction papale lui portait malheur ; car la reine d'Espagne était chassée. Si on soulevait ici un voile de ce drame mexicain, nous y verrions encore le catholicisme être la cause de la mort d'un prince et de l'aliénation d'une princesse. En France, le catholicisme était puissant ; il avait pour soutien encore une de ces femmes considérée comme une pur -d'entre les pures par la papauté ; eh bien, c'est encore après que la papauté eut reconnu la pureté de cette impératrice que le trône impérial s'écroulait et s'écroulait d'une manière honteuse.

Et l'Italie ? Qu'était-elle devenue sous la domination des princes catholiques ? Qu'étaient devenues Venise et Naples ? L'Italie se trouvait aussi à la queue des nations ; elle n'avait plus de littérature ni de science, elle se soutenait misérablement lorsque, malgré les princes catholiques, malgré l'appui de toutes les corporations religieuses, malgré le pape, toute cette domination théocratique s'est effondrée ; l'Italie s'est reconstituée, régénérée, et elle marche aujourd'hui résolument dans la voie du progrès.

L'Europe repose sur les bases du catholicisme, nous dit M. Delcour ; mais la Russie, cet immense pays qui progresse et se développe, est-ce un pays catholique ?

L'Allemagne, cette Allemagne savante, cette Allemagne si souvent citée appartient-elle au catholicisme ? Nous y voyons les catholiques allemands eux-mêmes se diviser ; il y a, en effet, un déchirement dans le catholicisme. On se sépare de Rome ; on trouve que Rome veut exercer une puissance trop grande, trop dominatrice, et certains esprits catholiques disent : Non, nous n'irons pas plus loin ; nous n'accepterons pas les nouveaux dogmes. Est-ce que l'Allemagne protestante, est-ce que l'Allemagne des nouveaux dissidents repose sur le catholicisme ?

Et l'Autriche elle-même, de quand a daté sa régénération ? Du jour où elle s'est séparée du catholicisme. La Hollande a commencé à grandir à prospérer le jour où elle s'est constituée en Etat protestant, elle nous fournit l'exemple d'un Etat où l'on exclut le prêtre de l'école ; ce qui n'a nullement empêché la Hollande d'être une grande nation, malgré l'exiguïté de son territoire et de se tenir parfaitement au niveau du progrès.

Et l'Angleterre, est-elle donc catholique ? Non seulement l'Angleterre n'est pas catholique, mais nous voyons aujourd'hui s'y produire cette agitation dans le domaine des écoles pour en repousser l'enseignement de la religion, pour faire que les écoles soient neutres au point de vue religieux, comme aux Etats-Unis.

Et les Etats-Unis, messieurs, cette puissante république américaine qui nous sert si souvent de modèle, encore une fois, est-elle catholique ?

Où, dites-moi, si ce n'est peut-être à une époque bien reculée, l'Eglise (page 423) a-t-elle jamais contribué au progrès, à la civilisation ? Chaque fois qu'un Etat a été soutenu par la papauté, nous l'avons bientôt vu décliner. Ceux, au contraire, qui s'en sont séparés ont le plus marqué dans la voie de la civilisation.

Et néanmoins, l'honorable ministre de l'intérieur vient nous dire : Le catholicisme est l'expression de l'intelligence du monde ! Mais qu'était donc l'art chez les Grecs et les Romains ? Quelle est donc cette immense tradition artistique, qu'étaient donc tous ces grands artistes qui ont même travaillé pour vos églises, qui y ont fait des peintures, qui y ont élevé des monuments ?

Est-ce qu'ils étaient inspirés par le catholicisme ? Est-ce que ce n'étaient pas les libres penseurs de l'époque ? N'étaient-ils pas des francs-maçons ? Est-ce que ce n'étaient pas des hommes qui allaient puiser leurs inspirations tout autant et bien plus dans l'ancien Olympe que dans l'histoire du catholicisme ?

Mais, du reste, est-ce que le catholicisme est une science ? Est-ce qu'il est une science dans laquelle on puisse aller puiser des notions utiles ? Mais, messieurs, elle n'est pas plus une science que l'histoire sacrée n'est une histoire.

Je vous le demande, que peuvent inspirer à un artiste toutes ces idées fausses que répand le catholicisme, et le buisson ardent de Moïse, et la baleine de Jonas, et la fosse aux lions de Daniel, et le soleil arrêté dans sa marche par Josué, et l'immense chevelure de Samson, et toutes ces histoires enfin qu'on ne peut mettre en parallèle qu'avec les légendes du Petit-Poucet et du Chaperon rouge ?

Est-ce que c'est là véritablement que l'artiste ira puiser ses inspirations ?

Au point de vue de la science, est-ce que c'est l'Eglise qui peut revendiquer d'en avoir été la protectrice ?

Mais elle n'a jamais fait que persécuter la science.

Elle a persécuté Galilée et Vésale. Elle a emprisonné Bernard Palissy. Elle a proscrit Van Helmont. Elle a repoussé toutes les innovations par le seul fait que ce sont des innovations.

Mais la renaissance italienne nous prouve que l'art a été puiser ses inspirations aux sources de l'antiquité ; la mythologie grecque a fourni plus de belles conceptions aux artistes que toute l'histoire sacrée, et, du reste, l'histoire sacrée elle-même n'est pas le monopole du catholicisme et je ne sache pas que l'histoire de l'Eglise de Rome ait inspiré beaucoup d'artistes.

Elle n'a voulu ni de l'éclairage au gaz, ni des chemins de fer, ni de l'éclairage au pétrole, ni de la lumière électrique.

Mais, l'Eglise, dites-vous, est le flambeau de la civilisation et du progrès, elle est l'expression de l'intelligence du monde en littérature.

Ces grands génies, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, les encyclopédistes, les écrivains anglais et allemands ; Shakespeare, Gœthe, Schiller, qu'ont-ils de commun avec le catholicisme ?

Qu'est-ce que cette immense pléiade d'écrivains appartenant à toutes les opinions politiques et religieuses a de commun avec le catholicisme ? Sans doute le catholicisme peut en revendiquer quelques-uns. Il serait bien malheureux qu'une secte religieuse qui a, pendant une si longue suite de siècles, établi sa domination partout, ne possédât pas quelques hommes d'intelligence, quelques esprits qui ont pu soutenir les doctrines catholiques.

Mais tout en reconnaissant - parce que c'est une question de justice - qu'il y a parmi eux des hommes d'une grande valeur, nous ne pouvons admettre que l'on vienne proclamer, comme l'a fait l'honorable M. Delcour, que le catholicisme est l'expression la plus haute de l'intelligence du monde et qu'en dehors de ce catholicisme, il n'y aurait pour le progrès qu'à péricliter et pour la civilisation qu'à s'éteindre.

Fort heureusement, le flambeau du progrès et de la civilisation a brillé avant le catholicisme et il éclairera encore le monde quand le catholicisme aura disparu. (Interruption.)

L'Eglise catholique n'est pas l'expression de l'intelligence du monde, mais l'expression de l'esprit d'intolérance et d'exclusivisme.

Cette intolérance ne résulte pas seulement des lettres encycliques et des articles des journaux du clergé qui s'adressent aux hommes d'une certaine élévation d'esprit, mais elle résulte de l'enseignement de la religion ; cela résulte du catéchisme de Malines.

J'en ai ici un exemplaire un peu vieux, il est vrai, parce que le Bien public ne m'a pas fait, comme à M. Bara, la gracieuseté de m'en envoyer un nouveau, mais enfin quoique un peu usé je puis encore y lire ces paroles :

« D. Comment faut-il se conduire à l'égard des hérétiques ou des impies qu'on est obligé de fréquenter ?

« R. Il faut être animé à leur égard de l'esprit de paix et de charité ; rendre, par sa conduite, la religion aimable ; prier pour leur conversion, et surtout avoir soin de ne prendre aucune part à leurs péchés ou à leurs erreurs, et de ne point les approuver.

« D. Est-il permis d’assister aux prêches ou aux autres réunions des hérétiques ou des impies ?

« R. Il est ordinairement dangereux d'y assister ; mais on pécherait mortellement si l'on y prenait part, si on les approuvait, ou que, par sa conduite, on fît croire qu'on appartient à leurs sectes. »

Donc, il faut éviter de se trouver avec des impies. Mais est-il permis au catholique de mettre en doute ce que l'Eglise enseigne ? Non, il est lié. Il doit croire fermement et le catéchisme dit : « Croire fermement, c'est croire de manière à ne pas admettre le moindre doute. » La raison, l'évidence des faits, tout cela n'est rien pour le catholique, il est lié, il est enchaîné par l'Eglise ; aussi le catéchisme dit encore : « Nos yeux et notre raison peuvent se tromper et ils se trompent souvent ; tandis que Dieu et la sainte Eglise sont infaillibles. »

Voilà la liberté du catholique, dont se prévaut M. le ministre de l'intérieur !

Voilà ce que le clergé enseigne dans nos écoles, grâce à la loi de 1842 ! L'esprit d'exclusion et d'intolérance du clergé le pousse à célébrer des fêtes qui souvent sont une offense pour les dissidents et une injure pour le pays.

Nous voyons célébrer avec grande pompe, par le clergé, l'anniversaire de la bataille de Roosbeek : c'est là cependant l'anniversaire de la mort de 21,000 Flamands tombés sur le champ de bataille ; c'est l'anniversaire de la défaite de ces héroïques phalanges de Philippe d'Artevelde ; c'est un anniversaire douloureux pour les hommes de cœur, amis de la liberté, c'est un douloureux anniversaire pour tout Belge qui respecte la gloire de sa patrie.

C'est un douloureux anniversaire, car les légions flamandes succombaient battues, écrasées par les légions françaises. Mais qu'importe ! Si l'Eglise en a retiré quelques avantages, elle le célébrera, cet anniversaire, en grande pompe. Vous aurez beau proclamer votre tolérance à certains moments ; lorsqu'il s'agira de célébrer un fait qui aura pour objet de remettre en mémoire les persécutions dirigées contre des non-croyants, de célébrer le martyre subi par des israélites, vous aurez encore des processions, vous aurez des fêtes dans vos églises ; vous célébrerez ces jubilés en grande pompe, sans vous préoccuper si ce n'est pas là une atteinte grave à l'esprit même de la Constitution et des libertés consacrées en 1830.

Ah ! vous avez beau dire que vous, parti catholique, vous n'êtes pas un parti révolutionnaire. C'est là la thèse soutenue par vous et les vôtres ; c'est la thèse que le Bien public venait encore nous présenter il y a quelques jours ; vous n'êtes pas des révolutionnaires ; mais vous combattez, pour arriver à vos fins.

Vous n'êtes pas des révolutionnaires. Cependant l'Eglise a fait décréter des lois pour assurer sa domination. Vous n'êtes pas des révolutionnaires. Mais le catholicisme a armé le bras séculier, parce que l'Eglise, ayant horreur du sang, le faisait répandre par d'autres. Vous avez condamné toutes les institutions qui avaient pour principe de proclamer la liberté de conscience. Vous ne les avez pas seulement condamnées en théorie, et c'était votre droit ; mais quand vous avez eu la puissance, quand vous avez pu conquérir cette puissance par la force des armes, car vous employez la force brutale plus qu'aucun de vos adversaires ; alors, quand vous avez eu la puissance, le catholicisme n'a pas reculé devant le sang versé lorsqu'il le croyait nécessaire au bien-être de l'Eglise.

Quand vous avez été les maîtres, vous avez fait sentir votre domination et vous avez persécuté, torturé, proscrit tous ceux qui étaient partisans du libre examen, comme vous voulez proscrire aujourd'hui la Ligue de l'enseignement, comme vous voulez proscrire la Libre pensée, comme vous voulez proscrire tous ceux qui ne pensent pas comme l'Eglise vous oblige vous-mêmes à penser.

Vous pouvez vous montrer plus sévères dans un temps, plus circonspects dans un autre, mais l'esprit est toujours le même à travers les époques ; il se modifie selon le plus ou moins de puissance que vous avez.

Il ne faut pas remonter bien haut pour voir l'inquisition à l'œuvre ; il me suffit de remonter au 28 août 1824 pour voir des francs-maçons exécutés à Grenade par ordre du clergé ; voilà l'esprit que vous avez répandu en Espagne. Vous n'avez tenu aucun compte du progrès des idées modernes ; pour vous, ni la rénovation du XVIème siècle, ni les principes du XVIIIème n'ont de valeur.

Et vous viendrez encore nous dire que le catholicisme est un (page 424) flambeau de lumière, d'intelligence et de progrès ! Allons donc ! Ce catholicisme, qui veut revendiquer à son profit les réformes réalisées par les penseurs de tous les pays, n'a rien fait pour l'abolition de l'esclavage ; il l'a maintenu parce que, suivant les paroles de saint Vincent de Paul, « le meilleur moyen de convertir les nègres à la religion, c'est d'abord de les rendre esclaves. » Malgré toutes vos affirmations contraires, vous avez si peu combattu pour l'émancipation des nègres, que nous voyons l'un des vôtres, le père Lavalette, acheter cinq cents esclaves dans un pays où la traite des nègres était défendue.

Si le catholicisme avait voulu réellement l'abolition de l'esclavage, les Etats catholiques auraient donné l'exemple de l'affranchissement des nègres, tandis qu'ils ont été les derniers à entrer dans cette voie.

Le catholicisme a produit la discorde dans les Etats ; il y a été cause de meurtres et l'ordre des jésuites y a présidé au crime.

La main criminelle des jésuites...

M. Reynaert. - Ce sont les vôtres qui ont assassiné les jésuites !

M. Bergé. - ... a été cause des plus monstrueux attentais et cependant vous n'oseriez pas combattre cet ordre, vous n'oseriez pas le répudier, parce que vous savez fort bien que c'est lui qui domine à Rome, qui fait de la papauté ce qu'il veut.

Le pape, cet ancien franc-maçon, cet ancien carbonaro, ce pape aujourd'hui entièrement dévoué à l'ordre des jésuites, ce vieillard n'a plus la possibilité de se défendre et il fait tout ce que la corporation des jésuites lui impose.

« Vous n'êtes pas des révolutionnaires, dites-vous. Vous êtes des conservateurs. »

Mais vous avez le moyen d'interpréter les mots. Les mots changent de signification dans votre bouche selon les circonstances. Nous savons ce qu'ont dit Azor et Busembaum ; nous savons avec quel art ils savent apprécier les choses ; et pour ne citer qu'un seul extrait de ce dernier jésuite, voici ce qu'il dit dans sa Théologie morale :

« On n'est pas ivre tant qu'on sait distinguer un homme d'une charrette de foin. »

Et ainsi du parti catholique : il n'est pas révolutionnaire, comme on n'est pas ivre, aussi longtemps qu'on peut distinguer un homme d'une charrette de foin. On n'est pas révolutionnaire aussi longtemps qu'on travaille au bien de l'Eglise. Ainsi, on peut déposséder les empereurs, les rois, « lorsque, suivant Azorius, jésuite italien et prédicateur célèbre, ces rois et ces empereurs vexent les prédicateurs jésuites. »

Que d'empereurs, de rois, d'hommes qui ont occupé le pouvoir se sont trouvés victimes d'assassins, de persécutions, d'emprisonnements provoqués par ces hommes qui ont toujours l'a ir d'être persécutés et qui prétendent ne persécuter personne !

Vous prétendez être l'expression de l'intelligence du monde, mais vous avez exercé une influence immense sur la société ; vous avez dominé certains Etats. Eh bien, là où le catholicisme a passé, il a semé la ruine ; la domination de l'Eglise de Rome a énervé les esprits, fait disparaître peu à peu, de tous les Etats où sa domination s'est établie, la vie intellectuelle ; et avec la vie intellectuelle disparaissait fatalement la prospérité matérielle elle-même.

Chaque fois que de grandes idées se sont fait jour comme au XVIème siècle et à la fin du XVIIIème, ce n'est pas de vos rangs qu'elles sont sorties, mais du rang de ceux qui étaient le plus en opposition avec vos idées.

Vous avez ravalé le travail au lieu d'en faire le moteur de la société ; vous l'avez représenté comme étant une humiliation, comme étant une peine infligée par Dieu et vous avez organisé comme conséquence ces nombreux ordres monastiques qui se sont répandus partout.

Sous prétexte de charité, vous avez fait de l'aumône la base de la société ; au lieu, par votre intervention, de rendre l'aumône inutile, vous avez tressé des couronnes aux agioteurs de toute espèce, vous avez remplacé la fidélité aux principes, aux traditions d'honneur et d'indépendance par une sorte de scepticisme et d'abaissement moral ; vous avez défendu aux fonctionnaires publics de manifester librement leur opinion ; vous défendez aujourd'hui à l'instituteur de participer à des sociétés qui s'occupent d'enseignement ; aux luttes de doctrines et de parti, vous substituez les compétitions d'intérêts.

Vous avez persécuté l'instituteur, vous avez dispersé les bibliothèques populaires en les considérant comme inutiles, et vous avez trouvé le moyen de les remplacer par la chapelle et le chapelet ; vous avez été les glorificateurs des mauvaises mœurs en soutenant de votre influence les petits frères dans les turpitudes et les ignobles actes auxquels ils se livrent dans leurs écoles. (Interruption.)

Vous avez traité de martyrs les prêtres qui étaient flétris par la justice de leur pays et vous vous êtes rendus là logiquement solidaires du Svllabus qui voudrait voir créer en faveur du clergé une juridiction spéciale, qui voudrait l'enlever aux tribunaux où peuvent se rencontrer des francs maçons et des libres penseurs, pour confier l'examen de leurs cas particuliers à des juges qui sont inféodés au cléricalisme. (Interruption.)

Vous avez voulu des tribunaux spéciaux parce que, comme disaient Fénélon et Chateaubriand : « lorsqu'un prêtre s'écarte du droit chemin, se rend coupable de quelque forfait, il faut baisser modestement les yeux et laisser passer. »

Oui, vous avez présenté au peuple le luxe de vos églises, vous l'avez entretenu des miracles renouvelés du moyen âge ; vous n'avez pas songé que des siècles avaient passé et qu'on ne pouvait plus décemment produire de ces scènes de charlatans en plein XIXème siècle.

Vous en avez produit de nouvelles ; les anciens miracles avaient vieilli, paraît-il, et il fallait en ressusciter d'autres. Vous avez semé la démence dans l'esprit des populations ignorantes en leur parlant de toutes choses surnaturelles. Vous avez aidé les manœuvres de brasseurs d'affaires ; vous avez prodigué les honneurs à des hommes qui s'étaient lancés dans des spéculations de toute espèce. Vous avez méconnu les bases de la morale en établissant le culte du succès et l'adoration de la force.

Oui, vous avez remplacé l'étude, le travail par l'intrigue. Vous avez calomnié les actes du libéralisme ; vous voulez maintenant, en continuant votre politique, ruiner peu à peu le système de nos libres institutions. Vous voulez, par une interprétation habile de nos lois, devenir les dominateurs de tout l'enseignement. Ces lois que vous avez trouvées à votre avènement, ces lois qu'on avait eu le tort de vous laisser et qu'on avait considérées abusivement comme des lois de transaction, vous voulez aujourd'hui les interpréter entièrement dans le sens du catholicisme. Vous ne voulez pas même accorder à cette opinion libérale un semblant de satisfaction auquel elle avait bien droit.

Ah ! vous avez la majorité ; vous avez la force, il est vrai, mais continuez dans cette voie, persistez à nous montrer une politique d'intolérance, continuez à proscrire les instituteurs, à les faire surveiller par la gendarmerie, à les empêcher de se livrer à des manifestations, contestez au fonctionnaire et à l'instituteur des droits de citoyen, enlevez-leur la liberté, et c'est par cette politique étalée au grand jour, qu'on verra combien le pays a tort d'avoir eu un instant de sommeil.

Le pays verra alors qu'il ne peut point s'engourdir, qu'il doit se réveiller au souffle des idées de progrès ; qu'il doit se préoccuper de l'avenir et qu'il ne peut pas laisser s'affaisser la Belgique qui a été à la tête de la civilisation pendant si longtemps, et qu'alors que les peuples voisins grandissent, la Belgique ne peut pas s'abaisser aux derniers degrés des nations.

Le libéralisme comprendra en vous voyant à l'œuvre qu'il est obligé de s'unir, qu'il est obligé de combattre l'ennemi commun et que cette fois lorsque le libéralisme aura le pouvoir il devra réaliser des réformes sérieuses et arriver à une séparation complète de l'Eglise et de l'Etat.

Restez dans vos temples, prêchez-y vos doctrines ; vous y serez respectés. De leur côté, les philosophes pourront discuter en toute liberté. Alors, messieurs, le catholicisme ne sera plus ici l'objet de débats politiques irritants ; alors le catholicisme ne sera plus l'objet de luttes au sein du parlement ; alors ce brandon de discorde aura disparu pour le plus grand bien de la nation entière.

(page 411) M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Je regrette beaucoup, messieurs, de n'avoir pu assister à la séance de samedi. Mais une chose m'étonne profondément, c'est que la circulaire de M. le ministre de l'intérieur, relative aux instituteurs et aux fonctionnaires publics, ait servi de point de départ au discours que vous venez d'entendre. Je vous demande s'il y a la moindre analogie, le moindre rapport entre ce que vous venez d'entendre et la circulaire de M. le ministre de l'intérieur qui devait faire le fond du débat.

Voyons, messieurs, où sont donc les victimes de cette circulaire ? Pour moi, je n'en connais ni dans l'instruction primaire, ni dans l'enseignement moyen, ni parmi les fonctionnaires publics.

J'entends critiquer cette circulaire comme une abomination, comme devant produire les plus grands maux ; et si je regarde autour de moi, si je recueille mes souvenirs, je ne trouve absolument rien.

Pourquoi donc tout ce débat ? Pour effrayer une partie du pays, pour lui faire croire au l'oppression. Quand on poursuit un pareil but, il faudrait au moins apporter des faits à l'appui de ses allégations ; on ne le fait pas ; donc, il n'y en a pas.

On a beaucoup discuté, messieurs, sur la religion catholique, sur les autres cultes, on a parlé du pape, on a parlé de tout. Mais ce qui m'a le plus profondément étonné, c'est de voir qu'on ait oublié tous les bienfaits du culte catholique. Qu'on veuille donc bien se rappeler quelle était la situation de la société lors de la venue du Christ ; qu'on la compare à la situation actuelle ; sous aucun rapport cela n'est possible.

Si l'Europe est aujourd'hui très civilisée et infiniment au-dessus de l'état du paganisme, même parmi les nations protestantes qui ont en partie abandonné le catholicisme, c'est parce que beaucoup de principes et de mœurs inspirés par le catholicisme sont restés intacts.

Si le culte catholique et le culte protestant étaient abolis, l'Europe retomberait dans le paganisme. Je crois que cette prédiction est bien plus vraie que celle que nous a faite l'honorable M. Bergé.

Certes, messieurs, nous savons tous que l'intelligence et la prospérité ne sont pas dues exclusivement à la profession du vrai culte. Nous savons que le paganisme a eu des hommes très distingués.

Le Christ, quand il a apporté la foi et les mœurs à suivre, ne nous a pas promis tous les biens matériels.

Les catholiques ont su se résigner à tous les malheurs en vue du bonheur futur.

Aujourd'hui encore on dit : Le catholicisme est intolérant.

La vérité est une. La vérité et l'erreur se sont toujours combattues ; elles se combattront toujours.

Toutes les persécutions que le catholicisme a subies proviennent des principes intolérants de leurs adversaires.

On dit à l'honorable M. Delcour : Vous avez été professeur à l'université de Louvain, vous avez dû adopter l'intolérance de l'Eglise catholique.

Oui, quant aux dogmes, quant à la morale, cela est vrai. Mais que de liberté dans les questions intellectuelles, que de discussion sur les questions de morale !

Qu'est-ce qui constitue l'enseignement de l'université de Louvain ? Je ne (page 412) vois rien de blâmable dans cet enseignement, absolument rien, ni rien qui soit incompatible avec les fonctions que l'honorable M, Delcour occupe et a occupées, absolument rien.

Messieurs, je ne veux pas pousser les choses très loin ; je dirai seulement, quant à l'instituteur, qu'il a une charge à remplir ; elle est définie dans la loi de 1842 ; quant au professeur des collèges, il a également une charge à remplir ; elle est définie par la loi de 1850 sur l'enseignement moyen, article 6 et article 8.

Eh bien, on dit que le ministre ne veut pas que l'instituteur s'affilie à une société de la Ligue d'enseignement ; mais, messieurs, l'honorable M : Delcour n'a pas été tout à fait aussi loin ; il a dit qu'il ne pouvait pas autoriser les abus qui peuvent résulter de l'affiliation. Voilà la véritable position que M. le ministre de l'intérieur a prise.

On dit également que l'instituteur peut se prononcer contre la loi de 1842, qu'il peut chercher à la détruire. Ou serait donc la responsabilité ministérielle si pareil fait était toléré ? La loi de 1842 doit être observée non seulement dans l'école, mais aussi en dehors de l'école, dans les relations entre les instituteurs et ses élèves ; sinon l'instituteur serait un comédien enseignant une chose dans l'école et autre chose en dehors de l'école ; détruisant de la main gauche ce qu'il a édifié de la main droite. Ce serait une position inacceptable suivant la simple notion de la saint raison.

Messieurs, je me garderai de suivre l'honorable M. Bergé dans tout ce qu'il nous a dit en fait de catholicisme, de scepticisme, de toutes les religions quelconques ; tout cela n'est point de la compétence de la Chambre ; toutes ces discussions sont autorisées par la Constitution, et l'honorable membre, à coup sûr, ne sera poursuivi ni inquiété par aucune autorité à raison du discours qu'il a prononcé.

Tout cela, messieurs, est abandonné à l’appréciation du public qui jugera de quel côté est la saine raison, de quel côté est la vérité.

Je ne puis pas comprendre que l'honorable membre se soit cru autorisé à prononcer dans cette enceinte un semblable discours. J'ose affirmer que ni du temps du Congrès, lorsque nos libertés ont été consacrées, ni dans les législatures qui ont suivi rien de semblable ne s'est jamais produit. J'ai l'habitude de lire les discussions qui ont lieu dans les autres pays constitutionnels, et jamais discours semblable n'a été prononcé dans une assemblée délibérante.

En effet, à quoi bon ? A quoi veut-on aboutir ? Faire décréter par la Chambre que l'honorable membre a raison ? Mais un pareil vote ne pourrait être suivi d'aucun effet, ne pourrait avoir aucune influence. Ainsi ces discussions sont complètement inutiles. Si l'on veut faire parade de ses opinions, quelles qu'elles soient, qu'on, écrive des livres, qu'on écrive dans les journaux. Mais il n'appartient à personne de produire de pareilles discussions dans cette enceinte. C'est un véritable abus ; c'est essentiellement contraire au règlement.

Je n'en dirai pas davantage. Prolonger cette discussion, ce serait perdre notre temps.

M. de Kerckhove. - Messieurs, vous n'attendez pas de moi, je suppose, que je réponde en détail à la longue diatribe de l'honorable M. Bergé. (Interruption.)

M. Bouvier. - Diatribe ! Est-ce que cela est parlementaire ?

M. de Kerckhove. - M. Bouvier s'étonne du mot que je viens d'employer. Je profiterai de l'étonnement de l'honorable membre pour faire immédiatement une observation à l'adresse de certains de ses amis.

Il paraît, messieurs, que, sur les bancs de l'opposition, on est excessivement chatouilleux et susceptible. On s'indigne bien facilement.

Ainsi tout le discours que nous venons d'entendre et dont je dirai un mot tout à l'heure est né d'une susceptibilité de ce genre : j'avais pris la liberté de rappeler que la Ligue de l'enseignement est issue de la Libre pensée ; de son côté, M. le ministre de l'intérieur avait cru devoir signaler la tendance à l'insubordination qui a été constatée chez les professeurs affiliés à la Ligue de l'enseignement.

Là-dessus on a crié à la calomnie, et je ne sais même si l'on ne s'est pas servi d'un mot plus énergique.

Il semble donc que l'on soit bien délicat de ce côté. Oui, mais tout cela change complètement quand il s'agit de nous. Quand on en vient à parler de nous, de ce que nous avons de plus cher, de plus respectable, de nos croyances, de notre Eglise, de la foi de nos pères ; oh ! alors on n'a pas assez d'injures, pas assez de calomnies dans son vocabulaire pour nous humilier ; pas assez d'insinuations méchantes pour nous flétrir.

Et puis, on s'étonne que nous nous indignions : au premier mot, on nous arrête ; on nous crie : « Cela n'est pas parlementaire ! »

Eh bien, soit. Je suis, pour ma part, fatigué de ces procédés inconvenants, Je les signalerai chaque fois que j'en aurai l'occasion, et dussé-je même être rappelé à l'ordre, je ne m'inclinerai jamais devant ces outrages ; je protesterai de toute l'énergie de mon âme. Je respecte votre conscience ; vous respecterez la mienne.

Messieurs, j'ai commencé par dire que je ne suivrais pas l'honorable M. Bergé dans la longue diatribe qu'il a dirigée contre le catholicisme et les catholiques.

M. Bouvier. - Et les jésuites.

M. de Kerckhove. - Et les jésuites, cela va de soi, et contre le pape, car, l'orateur a couronné son exposition par un trait qui était digne de tout le reste, par une insulte à ce noble, à cet illustre vieillard que ses vertus et ses malheurs devraient mettre à l'abri de pareils outrages.

Je le répète, je ne suivrai pas l'orateur dans sa laborieuse énumération, et voici pourquoi : c'est que tous les reproches qu'il a articulés ou plutôt réédités, ont déjà été cent fois réfutés ; cent fois déjà, on a démontré que c'étaient là autant de calomnies. Je ne prendrai, en passant, que deux ou trois de ses assertions.

L'orateur nous dit que l'Espagne et l'Italie ont dégénéré parce que c'étaient des pays catholiques. C'est le catholicisme qui a été cause de la décadence de ces peuples et de beaucoup d'autres. Mais, vraiment, messieurs, il faut que l'honorable M. Bergé me permette de le lui dire, il faut complètement ignorer l'histoire pour se permettre de pareilles affirmations. Comment ! l'Europe était-elle en décadence pendant les XIIème, XIIIème, XIVème et XVème siècles ? Tout au contraire sans doute. Et cependant l'Europe était bien catholique, je pense !

L'orateur a parlé de l'Espagne, mais est-ce que l'Espagne n'était pas catholique à l'époque de sa plus grande splendeur, aux XVème et XVIème siècles ? Et l'Italie donc ?

Est-ce que, depuis Dante jusqu'à la Renaissance, l'Italie n'était pas un pays profondément catholique ! Et les papes n'étaient-ils pas les protecteurs des arts ? Léon X n'était donc pas un prince catholique !

Je le répète, je ne comprends pas qu'un membre de la Chambre, un professeur puisse venir nous débiter de pareilles énormités. Et ce n'est pas tout : « L'Eglise n'a rien fait pour l'art, » dit l'honorable M. Bergé ; il n'y a pour lui que l'art païen, l'art grec et romain.

Mais l'orateur oublie ou ignore qu'il y a autre chose que l'art gréco-romain.

Que fait-il des chefs-d'œuvre du moyen âge, de cet art ogival qui a laissé partout, et en particulier dans notre pays, de si admirables traces de son passage ?

Cet art ogival, d'où est-il sorti ? N'est-ce pas des entrailles d'une société toute catholique ? N'est-il pas né de l'Eglise et je pourrais dire pour l'Eglise ?

Oui, mais l'Eglise n'a rien fait pour la science, d'après l'honorable membre. Et qui donc a sauvé la science au milieu de ce déluge de barbarie où s'abîma l'Europe après la chute de l'empire romain ? N'est-ce pas l'Eglise ?

C'est là un fait incontestable et que personne ne conteste plus, pas même les protestants.

Je regrette de n'avoir pas sous la main le volume où M. Guizot (dont je suppose que l'honorable, membre voudra bien admettre l'autorité) rend hommage en termes si éloquents à l'Eglise du moyen âge ; proclame sa bienfaisante influence, les immenses services qu'elle a rendus à la civilisation, et constate, entre autres, qu'au milieu des débordements de la barbarie, ce sont les monastères qui ont sauvé les sciences et les lettres.

L'honorable M. Bergé a fait l'éloge des hommes du XVIIIème siècle ; mais pourquoi donc oublier le XVIIèmee ? Est-ce parce qu'il était chrétien ?

L'orateur a parlé de la décadence de certains pays catholiques ; mais quand donc a commencé cette décadence, celle de la France, par exemple ? Elle a commencé précisément quand le sentiment religieux s'y est affaibli. II est vrai que, pour la France, M. Bergé a une explication toute particulière : Si la France a été humiliée par l'Allemagne, c'est parce que la France (régénérée jusque-là par la révolution) s'est tout à coup mis au pied du pape, grâce à l'influence d'une femme. Ceci peut être très fort ; mais je dois faire remarquer à l'honorable membre que l'Allemagne qui a battu cette France dégénérée est un pays éminemment religieux.

M. Bergé. - L'Allemagne n'est pas catholique.

M. de Kerckhove. - Elle est chrétienne et elle renferme d'ailleurs une nombreuse population catholique, d'excellents catholiques. Les sentiments religieux y sont développés à un haut degré, aussi bien qu’en Angleterre et aux Etats-Unis, pays dont l'honorable M. Bergé ne contestera pas la grandeur ni les progrès incessants.

Mais en voila, assez sur ce point.

(page 413) Le discours de M. Bergé n'est que le commentaire du rapport de la Libre pensée ; du moins les deux documents ont-ils entre eux une très grande ressemblance,

Du reste, j'avais déjà rencontré ailleurs ce discours ; il se trouve dans les annales de la Commune de Paris.

M. Bouvier. - Et à l’Internationale à Liège.

M. de Kerckhove. - Messieurs, j'ai indiqué un premier motif pour lequel je ne pouvais ni ne voulais suivre dans tous ses détails le discours de l'honorable membre. En voici un second, plus décisif encore : c'est que, comme vient de le dire l'honorable comte de Theux, nous ne sommes pas ici pour discuter des questions religieuses, mais pour faire les affaires du pays.

Or, je crois que les affaires du pays sont dans l'ordre politique et non dans le domaine des croyances.

Je sais bien qu'il convient à quelques membres de l'opposition de stériliser les débats de la Chambre.

Le moyen est connu, on nous l'a annoncé à l'avance, et on l'a pratiqué déjà l'année dernière : on veut stériliser les travaux de la Chambre. (Interruption.)

Oh ! nous comprenons fort bien la tactique ; vous voulez pouvoir dire, dans quelques mois aux électeurs : « Voyez ! on n'a rien fait, on n'a pas même voté les budgets ; c'est la faute des catholiques. »

M. Bouvier. - Et quand il s'est agi des affaires de Saint-Genois, est-ce que vous avez gardé le silence ?

M. Bara. - Et quand il s'est agi des bourses ?

M. de Kerckhove. - A propos des interruptions dont je suis l'objet, je me permettrai de faire une question.

Il y a eu dans la dernière séance une interruption que je n'avais pas entendue, car j'y aurais répondu immédiatement.

L'honorable M. Bara venait de dire : « M. de Kerckhove est probablement maçon, » et je trouve dans les Annales : « Une voix à gauche ; Il l'a été. » Eh bien, je demande à connaître cette voix.

M. Bouvier. - Je vous avoue que je crois me reconnaître comme l'auteur de cette interruption.

M. de Kerckhove. - Vous, M. Bouvier ! Oh ! alors tout s'explique, Je ne saurais, messieurs, en vouloir à M. Bouvier. L'honorable membre a été de bonne foi : il a entendu dire que j'avais habité l'Orient, et il a confondu cet Orient-là avec l'orient de la franc-maçonnerie. (Interruption.)

Je vous demanderai maintenant, messieurs, la permission de répondre quelques mots à M. Bara.

L'honorable membre disait, dans la séance de samedi :

« D'après M. de Kerckhove et d'après ce que je crois comprendre du discours de M. le ministre de l'intérieur, un membre du corps enseignant doit absolument avoir des opinions catholiques et s'il a d'autres opinions, il ne peut pas enseigner. »

Je suppose que l'honorable M. Bara, s'il a relu les Annales parlementaires, aura pu se convaincre que je n'avais pas exigé absolument, comme il me faisait l'honneur de le supposer, que les instituteurs eussent des opinions catholiques.

J'ai déclaré que je reconnaissais à l'instituteur la liberté de suivre telle opinion religieuse qui peut lui convenir, comme tout citoyen peut le faire. Mais il y avait une autre question en jeu : celle de savoir si l'instituteur ne va pas au delà et quelles sont les garanties qu'il nous présente à nous, pères de famille. (Interruption.) Si vous voulez me le permettre, messieurs, je vais m'expliquer et vous jugerez après.

On paraît ne pas se soucier des préoccupations des pères de famille catholiques.

On invoque la liberté de conscience de l'instituteur.

Eh bien, je me permettrai de demander ce qui arriverait dans l'hypothèse que voici.

Je suppose une ville ou la grande majorité des habitants est catholique, mais où il y a des dissidents, des protestants, des israélites, etc. Les dissidents demandent une école ; l'autorité leur répond qu'il n'y a pas de professeur protestant ou israélite, et qu'elle ne peut leur offrir qu'un professeur catholique.

Les pères de famille s'inquiètent et déclarent à l'autorité qu'ils accepteront ce professeur appartenant à la religion catholique, mais à la condition qu'il n'enseigne ni ne dise rien aux enfants qui puisse froisser les convictions religieuses de la famille. Cela est parfaitement naturel et légitime.

Le directeur de l'école est nommé, mais, à peine installé, il s'en va dans des conférences, dans des lieux publics,, déblatérer, contre la religion protestante ou israélite. Que diront les pères de famille ? Ils diront probablement que c'est une haute inconvenance.

Eh bien, ce que ces pères de famille protestants ou israélites diraient avec raison, ce qu'ils auraient le droit d'appeler une haute inconvenance, nous avons certes le droit de le dire comme eux, de le qualifier de la même façon, quand il s'agit de nos enfants. Et nous avons d'autant plus ce droit que, comme je le disais l'autre jour, c'est nous, majorité catholique, qui payons les instituteurs.

Que les instituteurs croient ce qu'ils veulent, en dehors de leur enseignement, c'est leur droit ; mais moi, père de famille, je n'entends pas livrer mes enfants à des libres penseurs qui, comme l'honorable M, Bergé, par exemple, iraient, en toute occasion, déchirer à belles dents la religion de nos pères. C'est là une liberté de conscience que je ne comprends pas.

Mais, ce n'est pas la liberté de conscience que vous demandez ; ce que vous voulez organiser, c'est l'anarchie, ou plutôt c'est l'oppression des consciences.

Encore un mot ; l'honorable M. Bara s'est étonné d'une interruption que je me suis permise dans la séance de samedi, à propos des loges, lorsque M. Bara affirmait que les loges ne s'occupent pas de politique.

J'ai trouvé cela très fort et j'en avais bien le droit. Il est possible qu'il y ait des loges, qui ne s'occupent pas ouvertement de politique, mais cela importe assez peu quant au résultat. D'ailleurs, pour mon compte, j'en connais plusieurs qui s'en occupent très activement et je crois que beaucoup de mes collègues les connaissent comme moi...

M. Bouvier. - Elles font comme le congrès de Malines.

M. de Kerckhove, - Oui, mais les loges ont des moyens d'action tout différents des nôtres. L'honorable M. Bara les a comparées à nos associations conservatrices. Mais où donc est le secret chez nous ? Dans nos associations, nous délibérons devant tout le monde ; tellement que, très souvent, ce sont vos journaux qui rendent les premiers compte de nos délibérations.

Nous ne cachons rien, avouez-le, mais aussi nous n'avons rien à cacher. Voilà la différence entre vous et nous.

M. Lelièvre. - Je désire soumettre une observation que je signale à l'examen du gouvernement.

La loi du 1er juin 1850 a établi cinquante écoles moyennes.

Ce nombre répondait aux nécessités de l'époque, mais, après vingt-deux ans, die nouveaux besoins se sont révélés. Il existe des localités importantes qui, jusqu'à présent, sont privées d'écoles moyennes.

C'est ainsi que, dans l'arrondissement de Namur, semblable établissement serait utilement créé à Gembloux et dans d'autres localités.

Dans l'arrondissement de Dinant, Ciney et peut-être encore d'autres chefs-lieux de cantons ont besoin de semblable école.

Je pense donc que, dans un intérêt public incontestable, le gouvernement devrait être autorisé par une loi à augmenter, dans une certaine mesure, le nombre des écoles moyennes fixé par la loi de 1850. Ce serait un service immense rendu à des localités qui sont aujourd'hui privées des bienfaits de ces institutions.

M. David. - Messieurs, j'ai été extrêmement surpris des dénégations de la droite, lorsque l'honorable M. Bergé a dit que dans les pays dominés par les croyances ultramontaines, on avait repoussé, pendant bien longtemps, les inventions des temps modernes : la vapeur, le gaz, le télégraphe électrique, le pétrole, etc.

J'apporte, messieurs, un fait qui ne pourra être récusé, qui sera constaté par un habitant de la Belgique, de Verviers. Ce fait s'est passé dans un pays où, depuis bien des siècles, l'instruction a été donnée par les jésuites, les petits frères affiliés à eux et les couvents, en Romagne, aux environs de Rome. Un capitaliste, un philanthrope de ce pays, désirant améliorer par le travail la situation d'un certain nombre d'ouvriers, avait l'intention d'établir une fabrique d'étoffes, de drap, de laine, etc.

Il avait le terrain ; il fait construire une fabrique, il vient à Verviers chez l'un de nos premiers mécaniciens et commande tous les ustensiles et machines à cet industriel ; ce mécanicien se rend à Rome pour y prendre toutes ses mesures pour l'aménagement et l'outillage de la fabrique. Mais comme la fabrique n'était pas bâtie auprès d'un cours d'eau, elle devait être mise en activité par une machine à vapeur.

Cette machine à vapeur est donc construite, expédiée et installée, et une fois établie, la fabrique étant prête à marcher, le riche particulier que j'ai cité va demander au gouvernement papal, à Rome, l'autorisation de mettre sa fabrique en activité.

On le questionne et on lui demande quels sont les moteurs qu'il compte employer pour mettre ses métiers en mouvement ? Est-ce une roue hydraulique que vous avez ?

(page 414) Non, c'est une machine à vapeur. Une machine à vapeur ! On lui répond alors : Mais la machine à vapeur est une invention du diable ; vous n'ouvrirez pas votre fabrique. (Interruption.) Pendant dix-huit mois, cet habitant de Rome et le mécanicien de Verviers ont employé tous les moyens pour décider Grégoire XVI à donner l'autorisation de mettre la fabrique en mouvement. Pas moyen de l'y décider ; heureusement pour eux, Grégoire XVI est venu à mourir, et Pie IX, qui était libéral à cette époque-là, a donné l'autorisation. Voilà donc, d'un côté, un pontife infaillible qui refuse l'autorisation et, de l'autre côté, un autre pape, infaillible aussi, qui l'accorde. Lequel des deux avait raison ? Et c'est là un fait dont je pourrais obtenir la constatation par la personne à qui la chose est arrivée !

M. Bouvier. - Il faut aller à Rome pour voir cela.

M. David. - L'honorable M. de Theux a dit, à propos des paroles de M. Bergé, qu'il n'avait jamais entendu pareil discours dans cette enceinte. M. de Theux a fait partie du Congrès national et il devrait se rappeler les discussions de l'article de la Constitution sur le droit d'association.

Il devrait relire les discussions sur cet article et il y trouverait des discours fulminants contre l'ordre des jésuites : on voulait faire, à cette époque-là, une exception à l'égard de la milice des jésuites et ce n'était certes pas sans raison.

J'arrive maintenant, messieurs, à l'objet que je voulais plus spécialement traiter.

Vous vous rappelez tous la vive sollicitude professée par l'honorable M. Kervyn de Lettenhove, pendant son ministère, en faveur du développement de l'instruction des jeunes filles dans les écoles. Il entourait cet enseignement communal et laïque du même amour que les ultramontains eux-mêmes. Il voulait, comme eux, que la femme restât ignorante, bigote, superstitieuse, fanatique, et que plus tard, lorsqu'elle entrerait dans le monde, restant sous l'influence de son confesseur, elle favorisât, par son ascendant si naturel sur l'homme, tous les projets des ennemis acharnés de toutes les libertés modernes,

Il a répandu cette même sollicitude jusque sur la commune que j'habite.

Nous faisons, dans notre commune, tous les sacrifices possibles pour donner tous les développements imaginables à l'instruction jusqu'à l'instruction moyenne du second degré, et nous avons des écoles primaires de filles.

Mais l'école primaire principale est insuffisante quant aux locaux et elle est absolument trop élémentaire.

Le conseil communal a déjà depuis longtemps décidé l'érection d'une nouvelle école en lui donnant une destination un peu plus élevée quant à l'instruction à y répandre. Nous avons, depuis deux ans déjà, voté, certaines quotités de fonds ; nous nous sommes engagés à voter toutes les sommes nécessaires pour l'établissement de l'école et le payement de l'institutrice. Nous possédons le terrain. Nous avons fait les plans, les devis, nous sommes absolument en règle sous ce rapport. Nous avons soumis nos délibérations, nos plans et nos devis à la députation permanente de la province e Liège qui a approuvé et promis un subside.

Mais nos décisions, nos efforts devaient venir échouer devant cette sollicitude si verte de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove. Toutes les pièces, avec l'approbation de la députation permanente de Liège, ont été renvoyées au département de l'intérieur au mois d'avril de l'année dernière.

Depuis lors, nous avons demandé à bien des reprises l'autorisation de construire notre école et de l'organiser ; nous avons demandé que le gouvernement nous donnât un subside ; nous n'avons pu obtenir absolument aucune réponse.

Nous aurions désiré pouvoir ouvrir cette école pour l'année scolaire 1871-1872, eh bien, nous n'avons seulement pas encore obtenu l'autorisation de construire.

Nous devions nous y attendre de la part de M. Kervyn.

L'année dernière, lorsque nous avons discuté le budget de l'intérieur proposé par M. Pirmez, l'honorable M. Kervyn de Lettenhove a biffé une somme de 50,000 francs proposée dans le but de venir en aide aux communes qui veulent organiser l'enseignement moyen des jeunes filles. (Interruption.)

Je voulais demander à l'honorable M. Delcour, lui qui est un professeur et qui doit si bien connaître la nécessité de développer l'instruction de la femme, s'il ne trouve pas utile, tout à fait indispensable même, en présence des couvents, de rétablir cette somme de 50,000 francs au budget.

En ce qui concerne notre commune, je demanderai à l'honorable ministre s'il persistera dans le mauvais vouloir de M. Kervyn de Lettenhove pour tout ce qui concerne l'enseignement des jeunes filles,

M. Thonissen. - Messieurs, ma conscience m'oblige à protester, au moins par quelques paroles convaincues, contre le prétendu tableau historique de l'influence sociale du catholicisme qui vient de nous être présenté par l'honorable M. Bergé.

Je n'attaque pas la bonne foi de l'honorable membre ; je suis, au contraire, parfaitement convaincu de cette bonne foi, mais je puis dire hardiment que son discours est un tissu d'erreurs ; je puis même affirmer, sans exagération, que jamais la vérité historique n'a été plus complètement méconnue.

Ainsi, l'honorable membre n'a pas craint de s'écrier que la religion catholique avait protégé et consolidé l'esclavage !

En vérité, il faut que l'honorable député de Bruxelles n'ait jamais ouvert les livres des Pères de l'Eglise ; il faut qu'il n'ait jamais jeté un coup d'œil ni sur les décisions des conciles, ni sur les canons des premiers siècles de l'ère chrétienne. Il y aurait vu tout autre chose que ce qu'il affirme à la tribune. Il y aurait vu pendant sept siècles un travail constant, énergique, habile et jamais interrompu contre l'esclavage. Savez-vous ce qu'on disait aux mourants ? Que l'œuvre la plus utile devant Dieu, la plus profitable à leurs âmes, c'était l'affranchissement de leurs esclaves.

On accordait des faveurs spirituelles extraordinaires à ceux qui libéraient les esclaves, on poussait à la suppression de cette lèpre sociale par tous les moyens dont l'Eglise pouvait disposer. Lisez les œuvres des Augustin, des Ambroise, des Grégoire de Naziance, de tous ces beaux génies qu'on appelle les Pères de l'Eglise, partout vous verrez de magnifiques tendances vers l'abolition de l'esclavage.

Et comment n'en serait-il pas ainsi ? L'honorable M. Bergé a assez étudié pour savoir qu'avant le christianisme l'esclavage était considéré, dans tout le monde civilisé, comme l'une des bases fondamentales de l'ordre social.

Les hommes d'Etat, les poètes, les philosophes, les pontifes, toutes les illustrations du paganisme étaient unanimes à cet égard. Aristote distinguait deux natures humaines, la nature libre et la nature esclave. Platon et toute son école ne sortaient pas de cette désolante doctrine !

Quand le premier cri de l'affranchissement des esclaves s'est-il fait entendre ? Ce fut le jour où les apôtres dirent au monde : « Tous les hommes sont égaux devant Dieu, tous sont frères, tous ont été rachetés par le sang d'un même Dieu ! »

Ce jour-là, l'esclavage pouvait encore rester momentanément debout ; mais il était frappé au cœur, il devait disparaître.

Or, telle était la doctrine unanime des Pères de l'Eglise, de tous les évêques catholiques.

Je comprends parfaitement, car je suis tolérant ; je comprends qu'on ne partage pas nos opinions religieuses. Mais je ne comprends pas qu'on puisse dénaturer la vérité historique, au point de nier ce que ne nient plus aujourd'hui les protestants et les incrédules les plus illustres ; au point de nier, dis-je, que c'est l'Eglise catholique qui a semé partout les germes de la liberté du monde.

N'est-ce pas l'Eglise qui a proclamé l'égalité de tous les hommes devant Dieu ?

N'est-ce pas elle qui a fait abolir l'esclavage dans le monde romain ? En niant cela, je le répète, on ne peut pas nier plus audacieusement la vérité historique.

Je ne puis, messieurs, à la fin d'une séance, suivre l'honorable M. Bergé dans tous les développements où il est entré. Je pourrais, si le temps ne manquait pas, répondre à toutes les parties de son discours, comme je viens de le faire en ce qui concerne l'esclavage. Mais je me bornerai à dire quelques mots des nombreux, des innombrables services que l'Eglise a rendus dans le domaine de la science et des lettres.

Il ne faut pas croire que, par suite de l'invasion des barbares, la science, les lettres, toutes les lumières disparurent tout d'un coup. Même après cette effroyable catastrophe, il y avait encore dans le monde romain, devenu chrétien, des éléments vivaces et capables de résister à ce flot dévastateur. Au VIIème siècle, Isidore de Séville écrivait encore une admirable encyclopédie de toutes les connaissances humaines cultivées dans le monde ancien. Ce ne fut que plus tard que d'épaisses ténèbres se répandirent sur le monde, livré à tous les abus de la force matérielle. Et alors en quel lieu la science et les lettres allèrent-elles se réfugier ?

Dans les monastères catholiques !

Si vous cherchez la vérité de bonne foi, lisez l'histoire de ces temps, non dans les livres composés par les adversaires du catholicisme, mais dans les documents de l'époque, dans les sources contemporaines. Vous y verrez que l'Eglise disait aux moines : « Tous vous devez travailler ; ceux qui ne défrichent pas la terre doivent faire des œuvres pieuses. » Or, (page 415) chose à jamais mémorable ! parmi les œuvres pieuses figurait la transcription des manuscrits, sans en excepter les œuvres des grands écrivains du monde profane. Et voilà comment ces humbles moines nous ont conservé Cicéron, Démosthène, Platon, Sophocle, Homère et Virgile !

Voilà les œuvres de cette Eglise que vous accusez de n'avoir fait que répandre la barbarie sur le monde. Si vous n'aviez pas eu l'Eglise dans le moyen âge, si vous n'aviez pas eu ces moines que vous décriez, vous ne seriez pas au point où vous êtes et la civilisation moderne serait encore à naître. Vous êtes des ingrats !

Votre tableau n'est pas plus exact en ce qui concerne l'histoire de la liberté ; je pourrais citer de siècle en siècle des actes des papes et des conciles qui prouvent que l'Eglise se montra constamment la protectrice de la liberté et l'ennemie de toutes les oppressions. Je n'en citerai qu'un seul, qui appartient au XIIIème° siècle, au règne du roi Jean d'Angleterre.

Vous connaissez, M. Bergé, la grande charte, qui constitue aujourd'hui encore le fondement de la vie politique de l'Angleterre, la grande charte qui est encore, en plein dix-neuvième siècle, la base de la constitution anglaise. Eh bien, qui a rédigé cette charte ? Les évêques d'Angleterre ! Et sous la présidence de quel prélat a-t-elle été rédigée ? Sous la présidence du nonce du pape ! Et savez-vous comment a signé le premier des témoins de cet acte mémorable, Fitz-Walther ? Il s'intitulait maréchal de l'Eglise pour le service de Dieu !

Maintenant, qu'arrive-t-il à cette époque ? La lumière se montre et devient chaque jour plus abondante. L'art, les sciences et les lettres reparaissent. Où reparaissent-ils ? Dans les monastères. Et quels sont leurs caractères distinctifs ? C'est l'art chrétien, la science chrétienne, la littérature chrétienne !

Et alors aussi de grandes écoles se fondent. Des universités florissantes attirent des milliers d'élèves au pied des chaires de maîtres illustres. Qui avait établi ces universités dans toute l'Europe civilisée ? On voudrait en vain le nier : ce furent les papes qui créèrent ces vastes foyers de lumière.

Nous arrivons ainsi au xvi° siècle, au siècle de la Renaissance, époque si brillante, si admirable et dont la civilisation a retiré tant d'avantages, avantages pour les arts, avantages pour les lettres, pour le bon goût, pour tout ce qui élève et ennoblit l'intelligence humaine. Encore une fois, où ce mouvement de régénération artistique et littéraire a-t-il pris naissance ? Ou ? A l'ombre du Vatican, sous le règne d'un pape, au centre même de ce catholicisme que vous calomniez.

Il est vrai que dans le même siècle il y a eu des actes de persécution barbare ; il y a eu l'inquisition, que j'ai en horreur, parce que je considère comme criminelle l'idée d'imposer ses croyances par la torture ou par l'oppression.

A mon avis, il ne faut les propager que par la persuasion, par la persuasion seule, parce que, sans elle, on ne recueille que des hypocrites et non des croyants sincères.

Je répudie donc l'inquisition espagnole, je le répète : je l'ai en horreur.

Mais permettez-moi d'ajouter que vous dénaturez encore une fois l'histoire, en représentant l'Eglise catholique comme étant seule intolérante au XVIème siècle. Vous méconnaissez l'histoire en disant que les princes catholiques persécutaient seuls ceux qui ne partageaient pas leurs convictions religieuses. Tout le monde était intolérant. Guillaume d'Orange l'était ; la république des Provinces-Unies l'était ; les princes protestants l'étaient ; les réformateurs, les grands réformateurs, comme vous les appelez, étaient tout aussi intolérants que les princes catholiques. En voulez-vous la preuve ? Allez à Genève ; vous n'aurez pas besoin d'autre preuve ! Calvin avait été l'ami de Servet et son allié contre les catholiques ; mais le jour où Servet osa contredire Calvin, celui-ci le fit brûler.

Je pose en fait que, s'il fallait comparer les persécutions qui ont eu lieu dans les domaines de Philippe II aux persécutions qui ont eu lieu en Angleterre sous les règnes d'Henri VIII et d'Elisabeth, la plus grande somme d'horreurs serait incontestablement du côté de l'intolérance protestante.

M. Guillery. - Et Marie Tudor ?

M. Thonissen.- Oh ! je sais ; il est facile de prendre quelques arguments à droite et à gauche et d'en former un acte d'accusation contre son adversaire. Ne parlons pas de quelques actes isolés ; lisez le livre d'un protestant, de William Cobbet, et vous verrez quelles sentences ont été prononcées contre les catholiques, combien ont été brûlés, pendus, écartelés, bannis, ruinés, persécutés de toutes les façons. Lisez ce tableau tracé par un homme parfaitement instruit, et vous reconnaîtrez qu'il peut rivaliser avec les plus sombres tableaux de l'inquisition d'Espagne.

M. Jottrand. - Qui est-ce qui avait commencé ?

M. Thonissen. - Mais, M. Jottrand, restons donc d'accord avec la vérité historique. Sont-ce les chrétiens qui ont donné le signal des persécutions ? Rappelez-vous les catacombes ! (Interruption.)

M. Bouvier. - C'étaient de bons chrétiens, ceux-là.

M. Thonissen. - Que demandaient les chrétiens aux Césars et à leurs séides ? La liberté, rien que la liberté. Plus tard, il y a eu des persécuteurs, et ce n'est pas moi, messieurs, qui entends les justifier ; bien d'autres les ont condamnés avant moi et, parmi les plus autorisés, je me bornerai à citer saint Augustin.

M. Bouvier. - Et les Albigeois et les Dragonnades ? (Interruption.)

M. Thonissen. - En résumé, messieurs, j'ai tenu simplement à faire mes réserves.

Je pourrais, comme je l'ai déjà dit, répondre point par point ; mais il me faudrait du temps, et ce temps-là je ne l'ai pas. Pour tout homme qui cherche de bonne foi la vérité et qui consulte sérieusement l'histoire, - j'entends la véritable histoire et non pas l'un ou l'autre livre superficiel fabriqué au XVIIIème siècle, - il est incontestable que deux grandes choses ne sauraient être niées ; c'est que la civilisation moderne n'existerait pas sans l'influence heureuse du catholicisme ; c'est que la liberté moderne n'existerait pas davantage si cette influence n'avait pas agi souverainement dans le passé.

Qu'importe que des erreurs aient été commises, que des pontifes même se soient trompés, que des actes regrettables aient été posés ? A quel résultat arriverons-nous en évoquant ces souvenirs du passé ?

Si nous constations qu'il y a eu des rois criminels, en résulterait-il que nous devrions supprimer la royauté ? Devrions-nous condamner la science, parce qu'il y a eu un nombre considérable de savants qui se sont trompés ? Quelques abus commis par des princes catholiques ou même des prélats catholiques ne sauraient nous faire oublier les grands, les immenses bienfaits dont l'Europe est redevable à l'Eglise.

Maintenant, un dernier mot.

Soyons tolérants, messieurs, les uns envers les autres. Respectons nos opinions de. part et d'autre, parce que toutes les opinions sont sincères.

Mais l'honorable M. Bergé doit cependant bien comprendre qu'il nous blesse au cœur quand, pendant deux heures, il vient, à l'aide de contre-vérités historiques, dénaturer notre culte et nos croyances, qui sont notre bien le plus précieux ; quand il nous représente comme les ennemis de toute liberté et de tout progrès ; quand il nous reproche de ne pas respecter la Constitution.

Quand nous avons juré de respecter et de défendre la Constitution la plus libérale du monde et que nous sommes fidèles à ce serment, nul n'a le droit de dire que nos croyances religieuses nous forcent à être hypocrites ou parjures !

M. Bergé. - Je demande la parole.

M. le président. - Je crois que cet incident doit être clos.

En définitive, l'assemblée n'est pas un congrès historique.

- Plusieurs voix à droite. - Laissez parler !

(page 424) M. Bergé. - Messieurs, s'il y a, de ce côté de l'assemblée, quelqu'un dont la parole a de l'autorité auprès de moi, quelqu'un que je respecte profondément, c'est bien l'honorable M. Thonissen.

Certes, si je ne voyais que des catholiques de son espèce, je l'avoue bien franchement, jamais une attaque un peu agressive ne sortirait de ma bouche.

Quand un homme professe le catholicisme et l'applique avec cet esprit éclairé et cette tolérance dont fait preuve l'honorable M. Thonissen, je lui tends la main.

Je ne songe, en aucune façon, à lui adresser un reproche, encore moins à lui dire quelque chose de désagréable.

Je comprends que l'honorable M. Thonissen, dans sa foi catholique, ait été froissé des paroles que j'ai prononcées dans cette enceinte ; mais l'honorable M. Thonissen croit-il que les apôtres du libre examen, qui, eux aussi, ont quelques droits, ne se sentent pas profondément blessés au cœur quand tous les jours, dans la presse, dans les discussions de cette (page 425) assemblée, dans les discours électoraux, on leur adresse les injures les plus sanglantes ?

Quand on ne respecte même pas la tombe d'un des leurs, quand sur le cercueil à peine fermé d'un libre penseur, comme cela s'est passé il y a quelques jours pour M. Defacqz, on voit proférer les injures les plus grossières et les paroles les plus outrageantes, quand on voit la presse catholique fouiller jusque dans sa vie privée, intacte et pure, pour chercher à la calomnier et pour la livrer en pâture à ses ennemis, quand on s'est trouvé en butte à autant d'attaques, à autant de calomnies, il arrive un moment où la coupe déborde, et où l'on prend la parole pour défendre les siens avec bec et ongles...(Interruption.) Quand un ministre prétend que le catholicisme est la plus haute expression de l'intelligence du monde, il faut aussi soutenir les droits de la raison et défendre la vérité historique.

Si nous examinions les questions historiques que j'ai soulevées, nous pourrions les discuter pendant longtemps, mais, comme le disait l'honorable président, nous ne sommes pas un congrès historique. Aussi je n'ai pas l'intention de faire la réfutation de ce qu'a dit M. Thonissen ; je comprends aussi que M. Thonissen n'ait pas eu le temps, de son côté, de faire la réfutation de tout ce que j'ai dit et qu'il se soit borné à donner son appréciation.

Cependant, sans vouloir entrer dans le débat historique, je demande à pouvoir faire observer en quelques mots que les monastères n'ont nullement sauvé la science, que les monastères, s'ils ont conservé quelquefois des dépôts historiques, ont aussi détruit quantité de manuscrits, quantité d'œuvres de l'antiquité et qu'on a chargé bien souvent des savants de cette opération délicate de faire disparaître les décisions des conciles qui se trouvaient sur les parchemins et de tâcher d'en reconstituer le texte primitif.

C'est ainsi que le traité de la République de Cicéron, dont Villemain a donné une traduction, se trouvait entièrement recouvert par les travaux du concile de Calcédoine. Je voudrais encore faire observer que l'école arabe avait jeté la plus vive lumière, que cette civilisation arabe était des plus importantes ; qu'au point de vue des connaissances en chirurgie, des connaissances en médecine et en chimie il y avait là de véritables trésors scientifiques ; qu'au point de vue de l'agriculture aussi, et l'honorable M. Thonissen doit le savoir, les procédés d'irrigation qui existent encore actuellement en Espagne, tout ce qui constitue la prospérité agricole de l'Espagne, cela est tout entier dû à cette civilisation arabe, tuée par le catholicisme, qui traitait les Arabes d'hérétiques et qui les tuait à la plus grande gloire de Dieu.

Si les croisades ont ouvert un nouveau champ aux idées, elles ont aussi été fatales à l'humanité. La prise de Constantinople par les croisés a été déplorable au point de vue des études ; la soldatesque latine a détruit un grand nombre de bibliothèques, et si l'invention de l'imprimerie n'était pas venue à temps, tous les ouvrages de l'antiquité disparaissaient ; les manuscrits qui échappaient aux flammes servaient aux moines à y copier des psaumes après avoir gratté le texte primitif ou, vu la cherté du parchemin, ils servaient de reliure aux missels.

On nous a parlé de décisions de certains Pères de l'Eglise au sujet de l'esclavage, et d'après l'honorable M. Thonissen, j'aurais professé une hérésie en disant que l'Eglise n'a pas combattu l'esclavage.

Il est vrai que des Pères de l'Eglise se sont prononcés contre l'esclavage. Mais les Pères de l'Eglise ont dit tant de choses. Ils sont assez nombreux ; leurs opinions sont assez différentes, et on sait combien l'Eglise a méconnu leurs préceptes. Il est certain que, parmi les hommes qui faisaient partie de l'Eglise primitive, il y avait des hommes des plus distingués. Mais étaient-ils écoutés ? Etaient-ils écoutés surtout des gouvernants catholiques ? Mais ne connaissez-vous pas, par exemple, les difficultés qui ont été suscitées à un homme d'un extrême mérite, saint Charles Borromée, lorsqu'il voulut faire des réformes dans les couvents ? Il fut dénoncé au pape et excommunié.

Il est vrai que plus tard on en a fait un saint ; voilà donc un saint qui a été excommunié. Et pourquoi ? Parce qu'il avait été dénoncé par les corporations religieuses qui voulaient conserver ce qu'elles appelaient leurs immunités et leurs privilèges, c'est-à-dire pour les religieuses l'autorisation de recevoir des hommes chez elles, et pour les hommes le droit de s'amuser avec des femmes.

Saint Charles Borromée s'y est opposé ; il trouvait que c'était là un scandale, et sa conduite n'a pas été approuvée par la papauté.

On a commencé par tirer un coup d'arquebuse sur lui ; on fit entourer sa maison de soldats et on obtint son excommunication du pape infaillible. Il est vrai que plus tard on a reconnu que Charles Borromée avait mille fois raison, et on en fit un saint ; ce qui prouve que l'Eglise peut errer.

Quant à l'esclavage, c'est un fait constaté, quand l'Eglise a été toute-puissante, quand elle pouvait amener l'abolition de l'esclavage, elle n'en a rien fait.

Lorsque l'autorité du catholicisme était incontestée dans quantité de pays, lorsque c'était le catholicisme qui dirigeait les nations, il a maintenu l'esclavage et l'esclavage a subsisté plus longtemps dans les pays catholiques que dans ceux qui l'ont abandonné.

Enfin, j'ajouterai encore un mot, quand l'esprit public s'est réveillé dans un Etat catholique, c'est toujours grâce aux hommes les moins dévoués à l'Eglise et la gloire de Dante Alighieri, cité par l'honorable M. Thonissen, ne peut être invoqué pour le catholicisme, puisque Dante était du parti gibelin.

Je n'en dirai pas davantage.

(page 415) M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclare la discussion close sur les chapitres XVI et XVII.

M. de Rossius. - Je crois devoir dire que sur les bancs de la gauche il n'a pas été entendu que la discussion porterait à la fois sur les chapitres XVI et XVII.

M. Jacobs. - Messieurs, je crois que nous sortons un peu du règlement. Il n'y a pas de discussion générale sur un chapitre ; nous ne pouvons pas nous opposer à ce qu'à l'occasion du premier article d'un chapitre les orateurs présentent des observations sur l'ensemble de ce chapitre, mais cela n'est pas dans l'esprit du règlement.

M. le président. - Dans la séance de samedi, lorsque M. Jottrand a mêlé l'enseignement primaire à l'enseignement moyen, je lui ai fait remarquer que la discussion était ouverte sur le chapitre de l'enseignement moyen ; seulement l'orateur a été autorisé par la Chambre à parler en même temps sur les deux chapitres ; les orateurs qui ont succédé à M. Jottrand ont suivi son exemple, et aujourd'hui, au commencement de la séance, j'ai demandé à la Chambre si elle entendait continuer la discussion sur les deux chapitres ; personne n'a fait d'opposition. La discussion a donc continué sur les deux chapitres.

M. Van Humbeeck. - C'est à tort que l'honorable M. Jacobs dit qu'il n'y a pas de discussion générale sur un chapitre ; ce qui est vrai, c'est qu'il n'y a qu'une discussion générale et une discussion des articles, lorsque la Chambre n'en décide pas autrement ; mais le règlement laisse (page 416) à la Chambre le droit d'ouvrir une discussion générale sur un ou plusieurs chapitres.

M. le président a très bien rendu compte de ce qui s'est passé dans la dernière séance.

Lorsque M. Jottrand a parlé sur l'enseignement moyen, il a émis en même temps des considérations qui se rapportaient plutôt à l'enseignement primaire ; M, le président a voulu l'arrêter, mais M. Jottrand a demandé à parler simultanément sur l'enseignement moyen et sur l'enseignement primaire.

M. le président le lui a permis, et la partie du discours de M. Jottrand qui se rapportait a l'enseignement primaire a soulevé un incident qui a duré tout le reste de la séance et toute la séance d'aujourd'hui.

Mais les orateurs qui avaient des observations générales à présenter sur l'enseignement primaire les ont présentées incidemment à l'occasion de la discussion du chapitre de l'enseignement moyen. Il peut donc y avoir régulièrement une discussion générale sur le chapitre de l'enseignement primaire.

M. David. - J'ai posé deux questions à M. le ministre de l'intérieur ; je lui ai demandé s'il entendait rétablir au chapitre de l'enseignement moyen le crédit de 50,000 francs que l'honorable M. Pirmez y avait inscrit pour la création d'écoles moyennes de filles. Nous avons l'intention de construire une semblable école à Dolhain ; nous devons aussi savoir si l'honorable M.-Delcour persévérera à cet égard dans les mêmes errements que son honorable prédécesseur, M. Kervyn de Lettenhove.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, l'honorable M. David me demande si j'ai l'intention de proposer, au chapitre XVI du budget, un crédit pour l'enseignement moyen des filles. Je répéterai ce qui a été dit l'année dernière. Non, messieurs, je ne le ferai point. Mon motif est bien simple : c'est que l'enseignement moyen des filles n'est pas organisé par la loi ; quand il le sera, j'aurai, pour y pourvoir, à demander des crédits à la Chambre.

Au chapitre XVII, j'aurai l'occasion de vous faire connaître ce que je pense de l'enseignement primaire développé pour les filles.

Vous le savez, messieurs, en vertu de la décision prise en 1871 par la Chambre, il a été inscrit au chapitre XVII un crédit à l'effet de pourvoir aux besoins de l'enseignement primaire des filles, à programme développé.

L'honorable M. David me pose une seconde question relative à l'érection, dans la commune de Limbourg, d'une école moyenne de filles, et il reproche au gouvernement de ne pas avoir pris de décision à cet égard.

M. David avait bien voulu me faire connaître son intention de m'adresser une interpellation sur ce point. J'ai donc fait opérer des recherches dans les bureaux et il m'a été répondu qu'il n'existe au département aucun dossier concernant l'école en question.

Ainsi l'honorable M. David se trompe, lorsqu'il affirme qu'au mois d'avril dernier les pièces ont été envoyées par le gouvernement provincial de Liège au département de l'intérieur.

Je le répète, messieurs, aucun dossier concernant cette école n'existe dans les bureaux du ministère de l'intérieur ; mon honorable prédécesseur s'est donc trouvé dans l'impossibilité de statuer, et le gouvernement ne mérite, en conséquence, aucun reproche de ce chef.

M. David. - Lorsque l'administration communale a réclamé les pièces au commissaire d'arrondissement, il lui a été répondu que les pièces avaient été renvoyées à Bruxelles depuis le mois d'avril par la députation permanente de Liège.

J'ai dû supposer, dès lors, que c'était par sa vive sollicitude pour cet enseignement que M. le ministre de l'intérieur d'alors ne nous donnait pas de réponse.

- L'incident est clos.

Articles 80 à 82

« Art. 80. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 81. Inspection des établissements d'instruction moyenne (personnel) : fr. 21,000. »

- Adopté.


« Art. 82. Frais de tournées et autres dépenses de l'inspection des établissements d'instruction moyenne : fr. 9,000. »

- Adopté.

Article 83

« Art. 83. Frais et bourses de l'enseignement normal pédagogique, destiné à former des professeurs pour les établissements d'instruction moyenne du degré supérieur et du degré-inférieur ; subsides pour aider les élèves, les plus distingués de l'enseignement normal du degré supérieur qui ont terminé leurs études à fréquenter des établissements pédagogiques étrangers : fr. 86,928. »

M. Vleminckx. - Je prends la parole pour demander à M. le ministre de l'intérieur s'il, n'a rien à répondre à la demande faite par MM. Sainctelette et Lelièvre, d'augmenter le nombre des écoles moyennes.

Je suis sûr que la Chambre désirerait entendre la réponse de l'honorable ministre de l'intérieur à cette importante question.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je crois que l'honorable M. Vleminckx est dans l'erreur lorsqu'il dit que le gouvernement ne s'est pas encore expliqué à ce sujet.

Dans la discussion générale on a touché cette question, et j'ai eu l'honneur de déclarer que j'en ferais l'objet d'un examen approfondi ; j'ai ajouté que cet examen devrait être fait à un triple point de vue : d'abord au point de vue des écoles moyennes de l'Etat ; ensuite en constatant la situation de l'enseignement communal ; et enfin en tenant compte, dans une certaine mesure, des nécessités auxquelles l'enseignement privé a pourvu.

Je ne puis pas dire aujourd'hui d'une manière positive comment j'agirai dans tous les cas qui pourront se présenter.

Pour le moment, la loi de 1850 est là ; cette loi, je l'exécuterai complètement.

Quant à la question de savoir s'il y a lieu de créer de nouvelles écoles moyennes, je ne puis que répéter que je l'examinerai dans son ensemble, c'est-à-dire en tenant compte des établissements existants.

Cette situation doit être étudiée à fond ; je vous promets de me livrer à cette étude et j'aurai l'honneur de venir vous proposer une solution.

Ce n'est pas en quelques jours qu'il est possible d'approfondir une question semblable et d'aboutir à des conclusions définitives.

M. Sainctelette. - Je constate que M, le ministre de l'instruction publique, au lieu de se préoccuper exclusivement des besoins des populations et des devoirs de l'Etat, se préoccupera désormais des intérêts de l'instruction privée.

Voilà la déclaration qui est sortie tout à l'heure de la bouche de l'honorable ministre de l'inférieur, Je ne puis la laisser passer sans une très vive protestation.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Il est étonnant, messieurs, que l'on puisse abuser de mes paroles comme vient de le faire l'honorable M. Sainctelette. Qu'ai-je dit ? J'ai rappelé que la question avait été soulevée dans la discussion générale et j'ai ajouté qu'elle méritait un examen sérieux.

J'ai déclaré aussi que, pour l'apprécier au point de vue des besoins réels de nos populations, j'aurais tout naturellement à me préoccuper des trois catégories d'établissements : des écoles moyennes, des collèges communaux et des institutions libres. Car le gouvernement n'a pas seulement à exécuter la loi de 1850 ; il est appelé encore et avant tout à veiller au maintien des libertés existantes, à veiller à l'exécution de la Constitution, qui est la loi des lois. (Interruption.)

M. Bara. - Je ne puis, messieurs, me dispenser de protester contre la doctrine de M. le ministre de l'intérieur. (Interruption.) Que vient de faire M. le ministre ? Il vient de formuler un principe qui jamais n'avait été professé, même par ceux de ses prédécesseurs appartenant à l'opinion catholique. Il a dit que pour augmenter le nombre des école moyennes fixé à 50 par la loi de 1850 il fallait tenir compte du nombre des établissements privés.

. Mais, messieurs, rien n'est moins exact. Jamais le législateur n'a entendu subordonner le nombre des écoles moyennes au nombre des établissements libres.

La loi de 1850 a fixé à dix le nombre des athénées royaux. Le législateur a cru que ce nombre suffirait ; mais jamais il ne lui est venu à la pensée de s'en tenir perpétuellement à ce nombre et moins encore de décider qu'il n'y aurait pas d'athénée là où il y aurait un collège libre.

Jamais les cabinets catholiques, jamais les ministères cléricaux n'ont soutenu jusqu'à présent la thèse de l'honorable M. Delcour, qui est le bouleversement de la Constitution. Que veut la Constitution ? Qu'il y ait un enseignement public, quand même l'enseignement privé satisferait aux besoins ; elle veut un enseignement public universitaire, un enseignement public moyen, un enseignement public primaire. Et bien, que fait M. Delcour ? Il raye cet article de la Constitution et déclare qu'avant de créer de nouvelles écoles moyennes il examinera si l'enseignement privé n'est pas suffisant. Je comprends une pareille théorie de la part d'un professeur de l'université de Louvain ; je ne la comprends pas de la part d'un ministre constitutionnel, d'un ministre de l’instruction publique.

(page 417) M. de Theux, membre du conseil des ministres. - L'honorable membre interprète la Constitution d'une façon diamétralement opposée à son texte.

La Constitution proclame la liberté de l'enseignement ; mais elle a en même temps autorisé un enseignement aux frais de l'Etat ; et il ne peut pas être question de créer un enseignement public qui aurait pour effet de tuer l'enseignement privé. Si dans toutes ces communes l'enseignement public est organisé, je demande où restera la place pour l'enseignement libre ?

On sait tous les frais qu'entraîne l'enseignement moyen dans les petites communes de 5,000 âmes. S'il fallait un. enseignement publie officiel dans toutes ces localités, où serait la place pour l'enseignement privé ? (Interruption.)

La Constitution a proclamé la liberté de l'enseignement pour satisfaire aux besoins de renseignement. Vous aurez beau crier, je ne changerai pas d'opinion,

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour ramener la question sur son véritable terrain.

De quoi s'agit-il ? Uniquement de savoir s'il sera nécessaire de créer des écoles moyennes nouvelles conformément au vœu manifesté par d'honorables membres.

De quelle manière faut-il apprécier cette nécessité ? N'est-ce pas en examinant la situation des populations, les besoins réels de l'enseignement ? Et, à cet effet, ne doit-on pas rechercher si les collèges communaux, combinés avec les écoles de l'Etat et les établissements libres, répondent ou non à toutes les exigences de l'enseignement moyen ? Si non, je me ferai un devoir de vous présenter un projet de loi qui répondra aux besoins réels reconnus et constatés.

M. Bara. - Messieurs, le débat qui s'engage est très important, Je demande que la Chambre et le pays y soient attentifs. Nous avons au moins ici un des articles du programme du ministère, Il se démasque. Il convient de le juger par ses actes.

L'honorable M. de Theux dénature complètement le texte de la Constitution.

La Constitution dit que l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est réglée par la loi. Qu'en résulte-t-il ?

C'est qu'il doit y avoir une instruction publique organisée à tous les degrés.

Pourquoi ? Pour que les citoyens puissent aller puiser l'enseignement dans les établissements publics. Il faut que tous les citoyens puissent étudier dans des établissements publics. Et voyez quelle est votre théorie ! Vous venez dire ici que quand le nombre des établissements privés est suffisant, il n'y a pas lieu de créer de nouvelles écoles de l'Etat.

Vous venez dire, par conséquent, que là où il y aura des collèges de jésuites, il n'y aura pas d'écoles moyennes.

Eh bien, vous renversez l'article de la Constitution. M. Delcour, s'il ne l'a pas dit, voudra bien expliquer sa pensée ! Mais ce que je dis est irréfutable. Quand on à fait la loi de 1850, quand on a créé un athénée dans chaque chef-lieu de province, il y avait déjà là des collèges communaux.

On a même supprimé ces collèges pour les remplacer par des athénées. Vous voyez donc que ces établissements ne tiennent pas lieu des athénées, des écoles moyennes.

Pourquoi le législateur de 1850 n'a-t-il pas tenu compte des établissements privés ? Parce que l'enseignement qui se donne dans les écoles libres, l'Etat ne peut le contrôler et il ne peut savoir s'il est bon ou mauvais. (Interruption.)

Si, par hasard, il y avait dans une commune un collège dirigé par des protestants, est-ce que vous ne le supprimeriez pas ? Mais certainement. Car vous diriez : Il faut des écoles publiques pour les catholiques. Vous voyez donc que l'enseignement privé ne peut en rien, aux termes de la Constitution, remplacer l'instruction publique ; vous ne pouvez pas avoir égard aux établissements privés qui existent ; vous ne pouvez pas dire : Puisque les jeunes gens peuvent aller étudier dans les établissements privés, je ne leur offre pas les ressources de l'enseignement public. Vous êtes obligés d'organiser cet enseignement parce que la Constitution l'exige, vous devez avoir un enseignement public parce que les citoyens ont le droit de réclamer l'enseignement donné dans des établissements de l'Etat.

M. Jacobs. - Il faudrait alors une université dans chaque ville de la Belgique.

M. Bara. - Nous ne demandons pas de créer des écoles moyennes dans toutes les communes de la Belgique. C'est M. de Theux qui nous prête cette exagération. Nous avons demandé d'augmenter le nombre des écoles moyennes ; nous laissons au gouvernement le droit de désigner les localités où des écoles moyennes sont nécessaires.

Il faut créer des écoles moyennes d'après les besoins des populations. L'enseignement doit être général ; il doit être mis à la portée de tout le monde. Sans doute, il faut pour l'instruction moyenne comme pour l'instruction supérieure que les besoins d'une population suffisante soient constatés, et de même que le nombre des universités est forcément limité, de même nous ne pouvons exiger qu'il y ait une école moyenne par commune.

Mais l'honorable M. Delcour viole complètement les principes de la Constitution, lorsqu'il se fait le protecteur des établissements privés au détriment des établissements publics, lorsqu'il déclare que, dans l'examen qu'on sollicite de lui, il aura égard à la situation des établissements privés dont il ne connaît pas l'enseignement, qu'il ne contrôle pas, qui. ainsi que le dit l'honorable M. Muller, peuvent disparaître du jour au lendemain, qui peuvent donner un bon enseignement, mais qui peuvent aussi en donner un mauvais.

Eh bien, l'honorable M. Delcour va faire dépendre l'intérêt public de l'existence d'établissements privés. Ne pourra-t-on pas dire avec raison que c'est pour favoriser cet enseignement privé, que c'est dans l'intérêt des collèges des jésuites que vous ne voulez pas de l'instruction de l'Etat ? Ne venez-vous pas annoncer aujourd'hui d'une manière formelle que pour ne pas faire concurrence aux établissements des jésuites, vous ne créerez pas de nouvelles écoles du gouvernement ?

Voilà un fait que l'opinion publique jugera et appréciera. (Interruption.)

- Voix à droite. - Oui ! oui !

M. de Rossius. - Elle appréciera vos motifs.

M. Bara. - Un honorable membre de la droite m'interrompt. Je ne sais pas pourquoi. Si vous croyez que l'opinion publique demande que le gouvernement favorise les établissements du clergé au détriment de l'enseignement de l'Etat, dites-le, et si l'opinion publique est de votre avis, tant mieux pour vous ; bientôt vous demanderez la suppression des athénées et des écoles moyennes. (Interruption.)

- Un membre. - C'est de l'exagération.

M. Bara. - Moi qui ne partage pas cette opinion, qui veux des établissements publics en grand nombre, qui crois que dans aucun pays l'instruction publique ne doit abdiquer devant l'instruction privée, je proteste contre une doctrine qui met au second rang les établissements publics qui fait de l'enseignement public le suppléant, l'auxiliaire de l'enseignement privé.

Je prie donc l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien examiner de plus près le principe constitutionnel que sa réponse met en jeu, de ne pas se prononcer à la légère, et de ne venir nous dire qu'après une étude approfondie s'il entend maintenir cette doctrine monstrueuse, anticonstitutionnelle, que l'enseignement public n'est que l’appoint de l'enseignement privé.

M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Je dois à mon tour protester contre l'opinion de l'honorable M. Bara. Je veux maintenir la Constitution entière. Or, que dit la Constitution ?

« Art. 17. L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite. »

Voilà le principe dont le Congrès s'est occupé avant tout. L'article continue :

« La répression des délits n'est réglée que par la loi.

« L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est également réglée par la loi. »

Est-ce là mettre l'enseignement de l'Etat au premier rang, comme le voudrait M. Bara ? L'article 139 dit :

« Le Congrès national déclare qu'il est nécessaire de pourvoir, par des lois séparées et dans le plus court délai possible, aux objets suivants :

« 1° La presse ;

« 21 L'organisation du jury ;

« 3° Les finances ;

« 4° L'organisation provinciale et communale ;

« 5° La responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir ;

« 6° L'organisation judiciaire ;

(page 418) « 7° La révision de la liste des pensions ;

« 8° Les mesures propres à prévenir les abus du cumul ;

« 9° La révision de la législation des faillites et des sursis ;

« 10° L'organisation de l'armée, les droits d'avancement et de retraite, et le code pénal militaire.

« 11° La révision des codes. »

Vous le voyez, il n'y a pas un mot de l'enseignement.

Il y a plus, messieurs, la commission, chargée par le gouvernement d'élaborer un projet de loi sur l'enseignement primaire, a présenté un projet très restreint et ce n'est qu'en 1842 qu'on est entré dans une voie plus large. Or, la commission était composée presque entièrement de membres du Congrès.

Cela prouve bien qu'à cette époque on entendait que le gouvernement ne devait organiser l'enseignement primaire que de manière qu'il y eût une grande place pour l'enseignement libre.

Lors de la discussion en 1842, on voulait même que, lorsque dans une commune il était suffisamment pourvu aux besoins de la population par l'enseignement libre, la commune pût être dispensée d'établir une école publique.

Messieurs, toute cette discussion est oiseuse ; il suffit de lire les articles de la Constitution que je viens de citer, et vous serez parfaitement convaincus que mon opinion est la vraie, et la seule vraie.

- Des membres. - A demain !

La séance est levée à 5 1/4 heures.