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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 3 février 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 398) M. Reynaert fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Paris-Paris, Verat et autres commissaires et délégués de l'Association générale des brasseurs belges présentent des observations contre le projet de loi relatif à l'accise sur la fabrication de la bière et demandent le maintien pur et simple de la loi du 2 août 1822. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Marin demande que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs contienne une disposition qui permette d'accorder aux instituteurs ayant fonctionné comme intérimaires ou comme instituteurs-adjoints la faculté de faire entrer en ligne de compte, pour la fixation du chiffre de leur pension, les années pendant lesquelles ils ont exercé ces fonctions. »

- Même renvoi.


« Les instituteurs du canton de Puers demandent que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires admette pour base du calcul de la pension les cinq années des revenus les plus élevés de l'instituteur. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Pont demande que le Musée moderne soit agrandi et enrichi de tous les tableaux remarquables appartenant au gouvernement et qui sont placés dans divers bâtiments de l'Etat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Colson demande que le département des finances lui restitue toutes les sommes qui ont été retenues sur ses appointements en faveur de la caisse de retraite. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal d'Iteghem prie la Chambre d'appuyer auprès du gouvernement la demande de concession faite par l'ingénieur Michotte, pour l'établissement d'un chemin de fer vicinal de Malines à Heyst-op-den-Berg et Herenthals.

« Même demande du conseil communal de Putte et des administrations communales de Heyst-op-den-Berg, Herenthout, Wavre-Notre-Dame et Koningshoyckt. »

M. de Kerckhove. -- Je prierai la Chambre de vouloir ordonner que les pétitions dont il vient d'être fait mention soient jointes à celle que l'administration communale de Malines a adressée, il y a quelques jours, à la Chambre dans le même but et qu'elles soient renvoyées à la commission des pétitions, avec prière d'en faire l'objet d'un prompt rapport.

Comme il s'agit d'une question très importante pour l'arrondissement que j'ai 1'honneur de représenter, et que précisément l'administration des chemins de fer est saisie de l'examen de cette question, je me permettrai d'émettre le vœu que la commission des pétitions nous présente, si possible, avant tout autre le rapport que je sollicite.

- Le renvoi a la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport est prononcé.


« M. Kervyn de Lettenhove fait hommage à la Chambre, au nom de la commission de l'Académie spécialement chargée de la publication des grands écrivains belges, des tomes XI à XIV des Chroniques de Froissart et des tomes I, II et III de ses poésies. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Bernaert, major du 2ème chasseurs à pied à Tournai, fait hommage à la Chambre de 124 exemplaires d'un opuscule intitulé : Vœu national. »

- Distribution aux membres.

Composition des bureaux de section

Les sections de février se sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. Hagemans

Vice-président : M. Pety de Thozée

Secrétaire : M. Reynaert

Rapporteur de pétitions : Julliot


Deuxième section

Président : M. Mulle de Teschueren

Vice-président : M. de Vrints

Secrétaire : M. de Montblanc

Rapporteur de pétitions : de Clercq


Troisième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. Biebuyck

Secrétaire : M. Vanden Steen

Rapporteur de pétitions : Simonis


Quatrième section

Président : M. de Liedekerke

Vice-président : M. Van Cromphaut

Secrétaire : M. de Kerckhove

Rapporteur de pétitions : Vander Donckt


Cinquième section

Président : M. de Haerne

Vice-président : M. de Muelenaere

Secrétaire : M. Pirmez

Rapporteur de pétitions : Van Outryve d’Ydewalle


Sixième section

Président : M. Van Overloop

Vice-président : M. Wouters

Secrétaire : M. d’Hane-Steenhuyse

Rapporteur de pétitions : Visart (Léon)

Projets de loi portant dissolution des conseils provinciaux et communaux et nouvelle répartition des conseillers

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer deux projets de lois :

L'un concerne la dissolution des conseils provinciaux et la nouvelle répartition des conseillers ;

L'autre objet, la dissolution des conseils communaux et la révision des états de classification des communes.

- Des membres. - La lecture !

M. Delcour, ministre de l'intérieur, donne lecture des deux projets de lois.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1872

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VI (nouveau)

Rapport de la section centrale

M. De Lehaye, rapporteur. - La section centrale reconnaît toute l'utilité de la mesure proposée par le gouvernement. Elle pense qu'il est nécessaire que la police tant judiciaire qu'administrative soit fortifiée dans l'agglomération bruxelloise.

L'intérêt général réclame une sécurité complète et incessante pour la capitale et pour les pouvoirs qui y ont leur siège.

Pour atteindre ce but, c'est à bon droit que le pays tout entier soit appelé à contribuer aux dépenses que cette sécurité réclame.

La section centrale est convaincue que la Chambre ne fera pas défaut au ministère.

Mais l'emploi de l'allocation devant être réglé par une loi, il est conforme à tous nos antécédents que cette loi précède l'allocation du crédit sollicité.

La section centrale, à l'unanimité des cinq membres présents, vous propose l'ajournement jusqu'après le vote de la loi indiquée par M. le ministre.

(page 399) M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, le gouvernement a proposé l'allocation d'une somme de 100,000 francs, après s'être entendu avec les chefs des administrations communales de Bruxelles et des communes limitrophes sur le principe de l'intervention de l'Etat et même, à certains égards, sur le mode d'application.

Le vote du crédit, dans notre pensée, (erratum, page 410) n’avait pas pour conséquence de préjuger soit le chiffre de la dépense effective, soit les bases de l'accord à établir définitivement, soit les dispositions législatives qui seraient reconnues nécessaires pour atteindre complètement le but que le gouvernement a en vue.

La section centrale adopte le principe de l'amendement ; mais, tout en se ralliant aux motifs que j'ai eu l'honneur d'exposer hier, elle estime qu'il vaudrait mieux soumettre simultanément à l'examen de la Chambre la demande de crédit et les mesures organiques relatives à l'application.

Si la Chambre préfère que cette marche soit suivie, je n'y fais aucune opposition, et je me rallierai à la disjonction, d'autant plus que la section centrale admet le principe de l'intervention du gouvernement.

M. Bouvier. - Est-ce que l'amendement est retiré ?

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Il n'est pas retiré, mais simplement ajourné ; c'est une disjonction que réclame la section centrale ; elle demande à disjoindre de la discussion du budget l'examen de l'amendement qui propose un crédit de cent mille francs.

M. Pirmez. - Ce que M. le ministre propose est évidemment impossible ; on ne peut pas ajourner un amendement au budget, à moins d'ajourner le budget tout entier.

M. le ministre de l'intérieur pourra, du reste, faire de cet amendement un projet spécial ou le rattacher au projet qu'il annonce.

M. Malou, ministre des finances. - Je crois, messieurs, que cette question de forme n'a aucune importance.

Il est arrivé plus d'une fois qu'un amendement ait été disjoint du projet de loi auquel il se rapportait. Ainsi à la fin de la dernière session, un amendement proposé par les honorables députés de Mons, MM- Sainctelette et collègues, a été disjoint du projet de loi de travaux publics et la Chambre en est restée saisie.

Il est reconnu que la proposition doit faire partie d'un projet de loi qui comprendra également les dispositions organiques. Dès lors, il est assez indifférent au fond ou que l'on ajourne, ou que l'on disjoigne, ou que l'on considère la Chambre comme dessaisie.

M. le président. - Dans tous les cas, il ne peut être question maintenant de l'amendement de M. le ministre de l'intérieur.

M. Guillery. - Je ne connais pas le rapport de la section centrale.

M. De Lehaye. - Je viens d'en donner lecture.

M. Guillery. - Je vous demande pardon ; mais, de la place où je suis, je n'ai pas bien pu le comprendre. Il est difficile d'ailleurs de se former une idée à une simple lecture.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement a présenté un amendement allouant une somme de 100,000 francs pour la police de Bruxelles.

D'après moi, ce qu'il y a à faire maintenant, c'est de voter le chiffre avec le budget. On pourra ensuite, si l'on veut, présenter une loi pour modifier la police communale. C'est là une chose extrêmement grave, sur laquelle je ne puis me prononcer quant à présent. C'est une loi qui sera discutée je ne sais quand, car elle n'est pas présentée ; il n'est pas du tout certain qu'on puisse la discuter à temps pour que l'allocation figure au budget de 1872.

Je demande donc au gouvernement de persister dans sa première proposition.

Il a fait une proposition toute d'équité, il juge que la part contributive de l'Etat doit être de 100,000 francs ; nous en prenons acte ; nous demandons que le gouvernement insiste ; si le gouvernement ne veut pas insister, ce n'est pas nous qui pourrons l'y forcer. Nous ne doutons pas d'ailleurs de sa bienveillance, et nous sommes au contraire très heureux de constater qu'il vient de nous en donner une preuve évidente.

Mais il me semble que la section centrale s'est un peu pressée en proposant la disjonction. Pourquoi ne pas voter maintenant le subside ? Cela ne porte aucun préjudice au projet de loi qui sera présenté ultérieurement ; la Chambre sera parfaitement libre d'y faire prévaloir les principes qu'elle jugera convenables. Cette question, je le répète, est tout à fait indépendante de celle du subside.

Vous resterez toujours libres de faire la loi, comme vous voudrez, et de régler la matière comme vous le jugerez convenable. Ce qu'il y a de certain, c'est que la dépense qui vous est proposée intéresse le pays tout entier ; il s'agit d'un intérêt général et non d'un intérêt exclusivement communal, car il y a, dans la police de Bruxelles, une partie qui intéresse le pays ; tout le monde le reconnaît, il serait facile de le démontrer si on le contestait.

Votons le chiffre que le gouvernement nous propose, et nous discuterons plus tard le projet qui nous sera présenté pour régler la police de la capitale et de l'agglomération bruxelloise.

M. De Lehaye, rapporteur. - Il serait inutile de voter le chiffre en ce moment, par la raison que le gouvernement déclare lui-même que ce chiffre est destiné à solder des mesures qui devront être prises en vertu d'une loi qui sera présentée. (Interruption.)

Le ministre, dans les considérations à l'appui de sa proposition, dit que la réalisation de cette mesure devra faire l'objet d'une loi que le gouvernement se réserve de présenter à la Chambre.

Il est donc juste que la loi soit présentée avant que nous nous prononcions sur une question qui n'est que la conséquence de cette loi. Voter aujourd'hui, ce serait mettre la charrue devant les bœufs.

Je crois donc que les. considérations de la section centrale se justifient parfaitement. (Interruption.)

La section centrale déclare que dans sa pensée la mesure proposée par le gouvernement est bonne ; elle déclare qu'il est nécessaire que le pays tout entier contribue à la dépense que nécessite la sécurité de la capitale et surtout des pouvoirs qui y siègent.

La section centrale a donc reconnu la nécessité de la mesure, mais elle a été d'avis que, puisqu'il fallait une loi pour permettre de prendre cette mesure, il fallait d'abord voter cette loi.

- La discussion est close.

Chapitre XV. Instruction publique. Enseignement universitaire

Article 76

« Art. 76. Universités. Bourses de voyage. Matériel : fr. 169,240.

« Charge extraordinaire : fr. 2,400. »

M. Julliot. - Récemment on a doublé le nombre de bourses de voyage pour les jeunes gens diplômés.

Je voudrais savoir de M. le ministre de l'intérieur si, sous la rubrique de bourses pour les sciences, insérée dans cette loi, les sciences morales et politiques sont comprises.

Ces sciences, par le temps qui court, sont plus nécessaires que jamais et ne peuvent être trop répandues.

Eh bien, dans les universités, c'est une matière à certificat et on ne va pas au cours.

Dans l'enseignement moyen, on n'en parle pas, cependant je crois me rappeler qu'à la suite d'un excellent discours de l'honorable baron de Vrière, l'honorable M. Pirmez avait promis de s'en occuper. Je ne sais quelle suite y a été donnée.

Mais, messieurs, où les connaissances des éléments du mécanisme social sont indispensables dans l'intérêt de la sécurité même de la société, c'est chez la classe des travailleurs grands et petits.

Les luttes incessantes que vous voyez surgir entre le capital et le travail, ce qui est un non-sens, prouvent que les uns et les autres ne possèdent pas assez la science sociale.

Si les patrons et les ouvriers étaient mieux initiés aux principes qui gouvernent l'activité humaine, vous n'auriez pas à déplorer cet antagonisme entre le travail et le capital, fâcheux pour les patrons et ruineux pour l'ouvrier. Quand l'ouvrier ignore les conditions indispensables au travail, il est facile de lui monter la tête et de le pousser dans la rue.

J'ai entendu préconiser l'idée d'enseigner dans les écoles primaires les principes de la Constitution, et pour justifier ce projet on disait que le citoyen belge devait connaître ses droits ; mais on ne parlait pas de son devoir.

Eh bien, moi, je désire qu'on enseigne à l'école que le prix de toute chose dépend de l'offre et de la demande ;

Que le patron ne peut donner d'autre salaire que celui qui lui permet de vendre ses produits ;

Que le capital et le travail sont inséparables et ont le même intérêt ;

Que le travail sans capital est impossible et que le capital sans travail devient inerte et improductif ;

Que l'entente entre le capital et le travail crée l'aisance qui conduit à la fortune, et que la guerre entre le capital et le travail crée la gêne des uns et la misère des autres ;

Que la concentration des capitaux donne la production au meilleur compte, tandis que la diffusion des capitaux ne peut fournir que des produits chers et de mauvaise qualité ;

Enfin que l'ouvrier qui joint à la moralité le travail et l'épargne est assuré de s'élever et de se créer un repos satisfaisant pour ses vieux jours, et que le cabaret est un ennemi implacable de sa famille.

(page 400) Tel est le catéchisme laïque que je voudrais voir enseigner à nos populations en même temps que le catéchisme de l'église, qui est la source ou la morale puise ses meilleurs préceptes. Quand vous aurez vulgarisé cet enseignement, ces grèves tumultueuses n'auront plus de prétexte à se produire et la société ne sera pas menacée dans sa base.

Je désire donc savoir ce que l'honorable ministre en pense.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Julliot vient de demander s'il entre dans les vues du gouvernement de donner des bourses aux élèves qui se rendent à l'étranger pour y étudier les sciences morales et politiques. Je pense que l'honorable M. Julliot n'a pas voulu parler des bourses universitaires. On s'en est occupé dernièrement, et on en a fait l'objet d'une loi spéciale. Le docteur en sciences administratives et politiques, qui est en même temps docteur en droit, peut évidemment profiter de la bourse. Il ne peut exister aucune difficulté à cet égard.

En ce qui concerne les bourses réservées aux élèves de l'enseignement moyen, je pense que les propositions de crédit qui se trouvent inscrites au budget sont conçues d'une manière très large et très générale.

Quand des jeunes gens sortis de nos écoles moyennes veulent se rendre à l'étranger, c'est ordinairement pour y étudier soit les sciences exactes, soit la pédagogie et les méthodes.

Or, un article spécial du budget permet d'accorder des subsides aux jeunes gens qui fréquentent les établissements pédagogiques étrangers.

L'honorable M. Julliot a posé une question fort générale : peut-on accorder un subside pour étudier les sciences morales à l'étranger ?

D'abord, il faut évidemment que ces sciences morales rentrent dans la catégorie des études qui font l'objet de l'enseignement moyen. Eh bien, les libellés des crédits sont conçus en termes généraux ; j'aurai donc à examiner, dans chaque cas particulier, si véritablement les études qu'on se propose de faire à l'étranger rentrent et dans l'esprit et dans les motifs qui ont dicté les votes des différents crédits de cette nature.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je vais mettre l'article 76 aux voix.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je voudrais pouvoir revenir un instant à l'article 76, que M. le président propose de mettre aux voix. Je demanderai à la Chambre une augmentation de crédit pour le matériel des universités.

Je désirerais que le crédit fût majoré de 1,000 francs ; voici dans quel but :

Il existe, messieurs, une collection d'une extrême valeur réunie par M. Schmerling, qui appartient à l'Etat, et se trouve déposée à l'université de Liège. C'est une collection paléontologique de la plus haute importance ; mais elle est dans un état si peu satisfaisant, qu'on n'oserait pas l'exposer aux regards du public.

Or, vous savez, messieurs, qu'un congrès de paléontologie se réunira cette année en Belgique. Il importe donc que notre pays puisse produire toutes ses richesses scientifiques aux yeux des savants étrangers qui tiendront le visiter.

La somme que je demande est destinée à mettre la collection dont je parle en état d'être exhibée. Je propose donc de porter le crédit de 33,485 francs à 34,485.

M. le président. - Je dois faire remarquer que l'article 76 ne comporte pas de crédit de 33,485 francs ; c'est à l'article 110 que ce crédit figure.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - J'ai exposé les motifs de mon amendement ; si la Chambre l'adopte en principe, nous le rattacherons à tel article qu'on jugera le plus à propos.

M. le président. - L'article 76 est donc adopté.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Il s'agit du matériel des universités. Or, comme je viens de le dire à l'instant, la dépense se rapporte, en réalité, aux collections de ces établissements.

M. le président. - Il s'agit d'augmenter de 1,000 francs la somme qui figure dans la colonne des charges extraordinaires et temporaires à l'article 76 et de porter cette somme de 2,400 francs à 3,400 francs,

- Adopté.

Articles 77 à 79

« Art. 77. Frais de route et de séjour, indemnités de séance des membres des jurys d'examen pour les grades académiques, pour le titre de gradué en lettres et pour le grade de professeur agrégé de l'enseignement moyen de l'un et de l'autre degré, pour le diplôme de capacité relatif à l'enseignement de la langue flamande, de la langue allemande et de la langue anglaise et pour le diplôme de capacité à délivrer aux élèves de la première commerciale et industrielle des athénées ; salaire des huissiers des jurys et matériel : fr. 185,000. »

- Adopté.


« Art. 78. Dépenses du concours universitaire. Frais de publication et d'impression des Annales des universités de Belgique : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 79. Subsides pour encourager la publication des travaux des membres du corps professoral universitaire et pour subvenir aux frais des missions ayant principalement pour objet l'intérêt de cet enseignement : fr. 12,000. »

- Adopté.

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Article 80

« Art. 80. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen : fr. 5,000. »

M. de Rossius. - Messieurs, je désire adresser une demande au gouvernement à l'occasion du chapitre de l'enseignement moyen.

Le ciel me préserve de vouloir entrer ni surtout rentrer dans la discussion grave dont l'enseignement du grec a été, à plusieurs reprises déjà, l'objet dans cette Chambre. Mais il me semble cependant qu'il y aurait un moyen d'éclairer les hommes de bonne volonté qui désirent juger en connaissance de cause.

Après chaque session des jurys qui confèrent le grade d'élève universitaire, les présidents adressent des rapports au gouvernement. Je voudrais que ces rapports fussent mis à la disposition des membres de cette Chambre ; qu'ils fussent déposés sur le bureau et que l'on pût en prendre connaissance.

D'après mes renseignements, ces rapports causeraient une situation déplorable.

L'enseignement du grec aurait véritablement des résultats dérisoires en Belgique et les versions grecques que doivent faire les récipiendaires attesteraient d'une façon incontestable la nécessité soit de supprimer l'étude de cette langue, soit de modifier complètement les méthodes employées.

Aux termes des règlements, ces versions doivent être brûlées. Je voudrais qu'on revînt sur cette mesure et que, tout en biffant le nom du patient, on déposât également un certain nombre de ces versions sur le bureau de la Chambre. (Interruption.)

Mais, messieurs, il y a certes parmi nous quelques honorables membres capables d'en apprécier la valeur. Je n'en suis pas, bien entendu, je déclare immédiatement que je fais pas partie de ce docte corps (non sum dignus intrare), mais enfin il existe dans cette Chambre des personnes qui ont assez bien su le grec et en ont assez gardé pour apprécier le travail des récipiendaires et se rendre compte des résultats de ces cinq ou six années d'étude imposées aux jeunes gens dans nos athénées et dans les collèges dirigés par les jésuites.,

Je demande donc la production des rapports des jurys d'examen ; je demande en second lieu, pour l'avenir, qu'on cesse de faire un auto-da-fé de ces malheureuses versions et que, tout en taisant les noms des récipiendaires, on en dépose également un certain nombre au greffe pour qu'elles y soient à la disposition des membres de la Chambre. Ils pourraient ainsi apprécier les résultats des longues heures que dans les athénées et dans les collèges du clergé, on consacre à l'étude du grec.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je ne me refuse pas à déposer sur le bureau de la Chambre les extraits des rapports des présidents des jurys d'examen relatifs à l'étude du grec et leurs observations sur les résultats constatés de cette étude.

Mais il n'est pas possible de conserver les copies de tous les examens qui auront eu lieu et de les déposer sur le bureau de la Chambre.

A quoi cela pourrait-il servir ? Si, messieurs, à l'époque où l'épreuve écrite existait dans les examens universitaires, on était venu demander de déposer à la Chambre les réponses écrites des récipiendaires pour apprécier la solidité des études, c'eût été là, permettez-moi de vous le dire, réclamer une mesure ridicule.

Restons dans les choses pratiques. Je ne me refuse pas à mettre sous les yeux de la Chambre des extraits des rapports des présidents des jurys, et cela suffira, je l'espère, pour apprécier l'état de l'enseignement dans cette branche des humanités : aller au delà, ce serait, semble-t-il, convertir la Chambre en un corps pédagogique.

M. de Kerckhove. - A propos de l'observation que vient de présenter l'honorable M. de Rossius, je me permettrai d'adresser une proposition à l'honorable ministre de l'intérieur.

On se plaint beaucoup, dans cette enceinte, de l'enseignement du grec, (page 401) et je crois qu'en effet cet enseignement laisse à désirer. Eh bien, messieurs, il y aurait un moyen de rendre cet enseignement beaucoup plus intéressant, sinon aux yeux de la Chambre, au moins pour les jeunes gens qui font leurs humanités : ce serait de considérer, de traiter le grec comme une langue vivante ; et la chose ne serait pas bien extraordinaire, puisque en définitive, comme l'a fait remarquer, il y a une couple de jours, un de nos collègues que je regrette de ne pas voir à son banc, l'honorable M. Thonissen, le grec tend de plus en plus à redevenir une langue vivante.

M. de Naeyer. - C'est une langue vivante.

M. de Kerckhove. Ce qui nous sépare du grec moderne, c'est la prononciation et l'écriture. Voilà tout.

Je me suis souvent demandé, surtout quand j'étais en Orient et que j'ai été forcé d'apprendre le grec moderne, pourquoi l'on s'obstine dans nos collèges à suivre la prononciation dite d'Erasme à laquelle les Grecs modernes ne comprennent absolument rien.

C'est tout bonnement faire perdre aux jeunes gens un temps précieux.

Si l'on faisait, en Belgique, ce que l'on commence à faire en France, si je suis bien informé, et ce qui se pratique dans une partie de l'Allemagne, si l'on adoptait la prononciation des Grecs modernes, ce qui n'est pas bien difficile, les jeunes gens qui ont appris le grec ancien se trouveraient immédiatement en rapport avec les Grecs modernes. Car, je le répète, le grec moderne revient de plus en plus aux formes du grec ancien, et, au fond, il n'y a réellement plus de différence, si ce n'est, quant à nous, la différence de prononciation.

Eh bien, messieurs, pourquoi ne ferait-on pas ce que conseillait l'honorable M. Thonissen, pourquoi n'enverrait-on pas l'un ou l'autre de nos lauréats, de nos jeunes philologues à l'école d'Athènes pour se mettre au courant de la prononciation du grec moderne, afin d'introduire ensuite cette prononciation dans tous les collèges de la Belgique ? On ferait en cela une chose très pratique et l'on rendrait ainsi au grec son véritable caractère de langue vivante.

Qu'on veuille bien le remarquer : le grec est resté beaucoup plus vivant que le latin, le latin n'existe plus comme langue parlée ; il a disparu à peu près complètement des districts de la Hongrie, de la Transylvanie, de l'Esclavonie où il s'était si longtemps maintenu.

Le latin a enfanté, je le sais, de nobles idiomes et a laissé après lui d'admirables monuments, mais, encore une fois, il n'existe plus comme langue parlée, tandis que le grec n'a jamais cessé d'être parlé et qu'il se parle encore dans une grande partie de l'Orient.

Aujourd'hui, ce n'est pas seulement une langue littéraire, c'est aussi une langue commerciale et une langue commerciale très importante. Aussi, ferait-on beaucoup mieux, selon moi, d'enseigner le grec moderne à l'institut commercial d'Anvers, que, par exemple, le portugais ; car nous avons beaucoup plus de rapports commerciaux avec le Levant qu'avec le Portugal.

Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur de vouloir faire examiner par le conseil de perfectionnement quelles mesures on pourrait prendre pour introduire dans nos collèges la prononciation et l'écriture cursive des Grecs modernes.

Je dis l'écriture, car veuillez le remarquer, messieurs, ici encore nous sommes dans le faux : Dans nos collèges, on se sert, pour écrire le grec, des caractères d'impression, tandis qu'en Grèce, on a une écriture cursive spéciale, comme c'est naturel. Or, cette écriture, il peut être très utile pour nos jeunes gens de la connaître, quand ce ne serait que pour la correspondance, sans parler des facilités qu'ils trouveraient ainsi pour déchiffrer, au besoin, des manuscrits ou autres documents.

M. de Rossius. - Je remercie l'honorable ministre de l'intérieur de l'accueil qu'il a fait sinon à toute, du moins à une partie de ma proposition.

Cet accueil est de sa part un acte quelque peu méritoire, car on sait que l'honorable M. Delcour est un partisan convaincu de l'étude du grec.

Or, il doit savoir que la production des rapports des présidents du jury d'examen ne plaidera pas en faveur du maintien de l'état de choses actuel.

En ce qui concerne le travail des récipiendaires, je comprends parfaitement, qu'on ne puisse pas le communiquer entièrement à la Chambre. Mais rien ne s'oppose, me paraît-il à ce qu'on produise quelques-unes de ces malheureuses versions, une dizaine, cinq seulement si vous voulez, les meilleures.

Sans même entrer dans l'examen de la valeur du travail, nous serons en mesure de constater le mérite des récipiendaires par le nombre de points qu'ils auront obtenu. Ce nombre est infiniment petit ; je parle des meilleures versions.

Si mes renseignements sont exacts, le jury en est réduit à accorder quelques points, 4 ou 5, afin que le jeune homme puisse être admis à l'épreuve orale.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, je ne viens pas combattre la proposition de l'honorable M. de Rossius qui a été, d'ailleurs, déjà acceptée par le gouvernement. Mais je dois faire mes réserves quant à une conclusion que l'honorable membre semble disposé à tirer dès maintenant et que je ne puis admettre.

Dans ma prévision, les rapports des présidents des jurys de gradués en en lettres, constateront que les résultats de l'enseignement du grec en Belgique sont fort peu satisfaisants.

L'honorable M. de Rossius semble dire que, si cela est constaté, il ne restera qu'une chose à faire : supprimer l'enseignement du grec.

De ce qu'il serait constaté qu'on n'apprend pas le grec, il n'en résulterait pas qu'il soit inutile de l'apprendre. Seulement on serait ramené une fois de plus au point de vue indiqué, il y a quelques jours, par les honorables MM, Guillery et Pirmez, à la nécessité de changer les méthodes, de manière à arriver rapidement au point où l'étude du grec est intéressante, parce qu'elle revêt un caractère littéraire.

Ce qui empêche aujourd'hui l'étude du grec de produire de bons résultats, c'est que le cachet littéraire fait entièrement défaut ; on se laisse absorber entièrement par des détails purement techniques et souvent rebutants.

Peut-être est-on obligé de faire ainsi, à cause du chiffre considérable des élèves qui suivent les études moyennes. Peut-être un trop grand nombre d'intelligences rebelles à l'étude des humanités s'obstinent-elles cependant à les suivre jusqu'au bout ; peut-être hésite-t-on trop à laisser en route ceux qui ne sont pas complètement aptes à ces études particulières.

Alors, ceux qui ont des dispositions réelles, qui leur permettraient d'aller très loin, ont à pâtir des mauvaises dispositions des autres.

Il y a, à ce point de vue, quelque chose à faire ; car c'est là une cause d'affaiblissement trop peu observée.

Pour le moment, je ne veux pas entrer dans plus de détails. Je tiens seulement à faire mes réserves sur la portée que M. de Rossius donne à sa proposition. Je me rallie volontiers à celle proposition, mais j'examinerai si je n'aurai pas à en tirer d'autres conclusions que celles que M.de Rossius semble vouloir en déduire.

M. Couvreur. - C'est d'un autre objet que je désire entretenir la Chambre.

L'année dernière, dans la discussion du budget de l'intérieur, l'honorable M. Vleminckx et moi nous avons insisté auprès du gouvernement pour qu'il voulût bien organiser d'une façon sérieuse, rationnelle, scientifique, l'enseignement de la gymnastique dans les écoles moyennes et primaires.

Depuis lors par les soins d'une société de Bruxelles, aux dernières fêtes de septembre, une fête de gymnastique a été organisée et a prouvé non seulement qu'on pouvait faire de la gymnastique un élément intéressant, moral et instructif de nos fêtes populaires, mais encore qu'il y avait, dans le pays, plus de ressources qu'il n'en faut pour lui donner tous les développements qu'elle a pris en Allemagne.

L'année dernière, le chef du département de l'intérieur avait bien voulu nous promettre de faire une enquête sur l'état de l'enseignement de la gymnastique.

M. Kervyn de Lettenhove. - Elle a été faite.

M. Couvreur. - Il avait aussi accepté le concours que nous lui avions offert, mon honorable collègue M. Vleminckx et moi. Je ne sais si le concours de M. Vleminckx a été réclamé, le mien n'a pas été demandé.

Je serais heureux d'apprendre de M. le ministre de l'intérieur que cet objet n'a pas été perdu de vue. Un rapport lui a-t-il été fait et ce rapport peut-il nous être communiqué ?

L'enquête a été faite d'une manière impartiale et complète, elle doit démontrer que l'enseignement de la gymnastique n'existe pas, en Belgique, dans les conditions où il devrait exister et, par voie de conséquence, il s'ensuivra la nécessité de donner à cet enseignement une base scientifique par la création d'une école normale de gymnastique, ou tout au moins de cours normaux de gymnastique.

Nous devrons emprunter à l'étranger le modèle de cette organisation. Je demanderai donc au gouvernement s'il ne serait pas disposé à compléter son enquête sur l'état de la gymnastique en Belgique par une enquête sur l'enseignement de la gymnastique dans les pays du Nord et en Allemagne.

(page 402) Déjà sous l'empire, le gouvernement français, qui avait reconnu la nécessité de faire une large part à l'éducation physique du corps dans ses écoles primaires et moyennes, avait pris la mesure que je sollicite, Il avait envoyé à l'étranger, pour y prendre des renseignements, une personne compétente, M. Pagg, professeur de gymnastique. C'est un bon exemple à suivre.

Nous saurions ainsi ce qui se pratique en Allemagne, en Suède, dans tous les pays où la gymnastique fait partie essentielle de l'instruction publique.

Munis de ces renseignements, nous aurions tous les éléments nécessaires pour procéder à une réforme de cette partie si importante de notre enseignement.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Mon honorable prédécesseur a tenu compte de la demande de l'honorable M. Couvreur. Une enquête a été ouverte ; mais je ne puis encore en faire connaître les résultats, parce que les pièces ne sont pas toutes rentrées au ministère. Cette enquête, messieurs, a été ouverte dans les écoles moyennes en vertu d'une circulaire du 13 mai 1871 ; elle l'a été, pour les écoles primaires, à la suite d'une circulaire du 24 août 1871.

Une série de questions ont été posées aux inspecteurs provinciaux ; pour y répondre, ceux-ci doivent s'entourer de renseignements que l'on prend dans les écoles primaires. C'est là un travail qui exige du temps, de sorte qu'à l'heure où je parle les renseignements ne sont pas encore complets.

Je me suis déjà préoccupé de donner une nouvelle impulsion à cette enquête et de réunir le plus tôt possible tous les documents qui s'y rattachent.

Quant à cette enquête que l'on voudrait voir faire jusque dans les pays du Nord, je crois, messieurs, que, sans sortir du pays, nous pourrons nous procurer des renseignements suffisants par tous les moyens qui sont à la disposition du gouvernement.

Je m'engage bien volontiers à fournir à la Chambre, d'ici au prochain budget, les éléments complets d'une discussion approfondie et sérieuse sur cet objet intéressant.

L'honorable M. Couvreur avait soulevé, dans la discussion du budget de l'exercice écoulé, une question plus importante se rattachant directement à la proposition dont il vient de vous entretenir : je veux parler de la création d'écoles normales de gymnastique. Ce point n'est pas suffisamment étudié pour que nous puissions en faire l'objet d'un rapport circonstancié à soumettre dès maintenant à la Chambre ; mais il ne sera pas perdu de vue ; il sera compris dans le travail général que l'on prépare actuellement.

Dans le rapport que j'aurai l'honneur de présenter à la Chambre, j'aurai soin, messieurs, de faire connaître les principales mesures qui ont été prises à l'étranger pour le développement de la gymnastique.

Nous pourrons alors mieux apprécier, et décider, en pleine connaissance de cause, quelles sont les conclusions qu'il conviendrait d'adopter.

M. Vleminckx. - Nous nous sommes bornés à demander à M. le ministre de l'intérieur une seule chose, mais que nous considérons comme essentielle ; à savoir, par qui et comment la gymnastique est enseignée dans les écoles moyennes et primaires. Nous savons qu'il y a des exercices gymnastiques dans certaines écoles ; mais ce que nous avons prétendu, l'honorable M. Couvreur et moi, c'est que généralement la gymnastique y est mal enseignée, c'est qu'elle est pratiquée d'une façon irrationnelle et par des personnes qui sont étrangères à cette science.

Dans les pays du Nord, la gymnastique est enseignée et pratiquée rationnellement et scientifiquement.

C'est cet enseignement, c'est cette pratique que nous voulons pour la Belgique.

Nous insistons donc tout particulièrement, l'honorable M. Couvreur et moi, pour que, dans le rapport qui nous est promis, on nous dise par qui et comment la gymnastique est enseignée dans nos écoles, de manière à nous permettre de porter un jugement sur cet enseignement, non moins au point de vue moral qu'au point de vue physique.

M. Kervyn de Lettenhove. - Si cela peut être agréable aux honorables préopinants, je leur donnerai quelques renseignements qui me sont parvenus dans les derniers temps de mon passage au ministère.

J'avais, conformément à l'engagement que j'ai pris dans cette Chambre, ouvert une enquête dans toutes les provinces, en demandant à MM. les inspecteurs provinciaux des renseignements sur ce qui se passait dans leurs ressorts ; j'avais réclamé aussi des éclaircissements sur l'exécution du règlement du 10 octobre 1868, qui a prescrit l'enseignement de la gymnastique dans les écoles normales.

Il résulte de ces diverses informations que la situation des choses n'est généralement pas satisfaisante, Néanmoins, on est unanime pour reconnaître que les exercices gymnastiques contribuent au bien-être intellectuel et physique et qu'ils offrent un élément de délassement, de santé, d'ordre et de discipline.

Voici, messieurs, quel est l'état de l'enseignement de la gymnastique dans tout le royaume :

Dans la province d'Anvers, il n'est donné qu'à Anvers et à Malines ; dans le Brabant, il est donné dans seize écoles primaires ; dans la Flandre occidentale, il n'existe que dans douze écoles primaires ; si je passe à la Flandre orientale, je le trouve dans les écoles primaires de Gand et dans seize communes rurales. Dans le Hainaut, ce n'est guère que depuis 1871 que la gymnastique a fait de notables progrès ; elle est aujourd'hui enseignée dans 280 écoles primaires, et cet enseignement tend encore à s'étendre.

Dans la province de Liège, l'enseignement de la gymnastique est également développé. Il y existe dans 206 écoles primaires sur 519.

Dans le Limbourg, on le retrouve dans 52 écoles primaires.

Dans le Luxembourg, il n'existe aucunement.

C'est dans la province de Namur, où toutes les branches de l'enseignement ont réalisé de si notables progrès, que la gymnastique est dans la situation la plus florissante. Elle y est enseignée dans 335 écoles sur 515.

J'arrive à cette conclusion qui est indiquée par MM. les inspecteurs provinciaux, qu'il importe que, dans les écoles normales, on se préoccupe sérieusement d'organiser l'enseignement de la gymnastique et que, dans la situation actuelle des choses, il conviendrait d'autoriser un professeur de gymnastique à se rendre dans les conférences d'instituteurs, qui apprendraient ainsi les éléments de la gymnastique ; ceux-ci, à leur tour, se feraient aider par des moniteurs spéciaux qui seraient choisis parmi les jeunes élèves.

Voilà, messieurs, quels sont, à peu près, les résultats qu'il faut chercher à atteindre, à ce que constate l'enquête, et je suis persuadé que ces données seront confirmées par les nouveaux documents qu'attend le gouvernement.

M. Pirmez. - L'honorable M. Kervyn vient de nous dire qu'il avait cherché à répandre l'enseignement de la gymnastique dans les écoles primaires. Il oublie qu'il l'a complètement supprimé par la circulaire dans laquelle il a déclaré que les préaux couverts, que j'avais, en 1868, prescrit de construire, étaient complètement inutiles.

En été, les enfants peuvent, à la campagne surtout, se livrer à des jeux en plein air qui constituent un exercice salutaire.

C'est surtout en hiver, par les mauvais temps, qu'il est nécessaire de leur donner des exercices corporels et pour cela un endroit couvert est indispensable.

Je demanderai donc à l'honorable ministre de l'intérieur de revenir sur la décision de son prédécesseur.

Tout le monde sait qu'avec une dépense de quelques centaines de, francs on peut créer un abri suffisant où les enfants peuvent respirer de l'air pur et se livrer à quelques exercices gymnastiques.

On aura ainsi dans chaque école un véritable gymnase, élémentaire il est vrai, mais il rendra tous les services qu'on peut attendre au point de vue de l'hygiène nécessaire aux élèves.

J'espère donc qu'on reviendra sur cette mesure et puisque M. Kervyn veut se représenter comme le promoteur de l'enseignement de la gymnastique dans les écoles primaires, je l'engage à témoigner ses regrets de la mesure qu'il a prise et qui consiste à supprimer les préaux couverts qui devaient servir de gymnase.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'ai pas entendu le moins du monde me poser comme le promoteur de l'enseignement de la gymnastique. J'ai fait sérieusement une enquête, pénétré de cette pensée que l'enseignement de la gymnastique est, sous tous les points de vue, une chose excellente et qu'il y a lieu de le développer.

Quant aux préaux ouverts, je n'en ai jamais ordonné la suppression, mais en présence du besoin constaté de la construction d'un grand nombre d'écoles primaires, j'ai cru qu'il y avait pour le gouvernement un devoir sérieux de se préoccuper avant tout de ce besoin, parce que les dépenses nécessaires doivent passer avant celles qui, quoique présentant un caractère d'utilité, ne sont pas toutefois urgentes au même degré. (Interruption.)

M. Vleminckx. - Elles sont aussi nécessaires que les autres.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je ne pense pas qu'on puisse me reprocher d'avoir jamais négligé quelque chose en ce qui touche le développement de l'enseignement primaire et la construction des maisons d'école.

(page 403) Les documents qui seront soumis a la Chambre donneront la preuve que, pendant mon séjour au ministère de l'intérieur, les constructions des maisons d'école ont été plus nombreuses que jamais.

Mais il est, messieurs, une autre observation pour laquelle je désire répondre aux paroles de l'honorable préopinant. Les inspecteurs provinciaux sont unanimement d'avis que l'enseignement de la gymnastique doit se faire d'une manière excessivement simple, qu'il faut peu d'appareils ; qu'il est bon que tous les enfants qui fréquentent l'école primaire, quelle que soit entre eux la différence de l'âge, puissent prendre part simultanément aux mêmes exercices.

Un capitaine de notre armée a soumis à ce sujet un travail très remarquable au département de l'intérieur ; d'autres mémoires, conçus dans le même sens, lui sont également parvenus. Tous tendent a ce but de créer, pour la gymnastique, un enseignement fort simple et de le rendre ainsi plus général.

M. Vleminckx. - L'honorable M. Kervyn de Lettenhove vient de nous faire connaître l'avis de MM. les inspecteurs provinciaux sur la manière dont il faut organiser l'enseignement de la gymnastique. Il nous a dit que la base de ce système doit être, d'après eux, l'enseignement de cette science dans les écoles normales (c'est ainsi du moins que je l'ai compris, d'après les paroles de l'honorable M. Kervyn) pour de là se répandre dans les écoles moyennes et dans les écoles primaires. Mais, messieurs, qui donc donnera, dans nos écoles normales, cet enseignement à ceux qui devront l'enseigner plus tard et dans nos écoles moyennes et dans nos écoles primaires ? Qui ? je vous le demande !

Je doute que nous ayons ici, en Belgique, un seul professeur compétent de gymnastique rationnelle et scientifique, et vous arrivez toujours à cette conséquence que pour qu'il y ait un bon enseignement dans nos écoles, il faut aller le chercher ailleurs. Il faudra donc que l'honorable ministre se décide à demander un jour des fonds qui serviront à faire voyager quelques Belges, allant apprendre, dans les pays du Nord, comment on doit enseigner cette science. Je n'ai pas à examiner ce que doit être cet enseignement, si c'est avec des instruments simples ou avec des instruments compliqués qu'il faut la pratiquer et l'enseigner, mais nous avons le droit d'exiger qu'il soit rationnel et scientifique, quels que soient les instruments qu'il faille employer à cet effet.

Je recommande cet objet à l'honorable ministre de l'intérieur, et je le préviens qu'il éprouvera un désappointement bien grand, s'il ne fait pas donner cet enseignement dans les écoles normales par des professeurs capables et compétents.

(page 409) M. Jottrand. - Je ne viens pas vous parler de la gymnastique, quelque utile qu'elle soit.

Nous avons tous conservé le souvenir de certaines circulaires qui ont marqué l'entrée du précédent ministère au pouvoir. Ces circulaires, qui n'étaient que la paraphrase d'un vers d'une chanson célèbre de Béranger :

« Nous rentrons, songez à vous taire ! »

s'adressaient à tous les fonctionnaires de quelque ordre qu'ils fussent, même aux instituteurs et aux professeurs de l'enseignement moyen. Elles avaient pour but de leur interdire de se mêler d'une façon active à toute politique hostile au gouvernement qui venait de s'établir.

Je demanderai à l'honorable ministre de l'intérieur si ces circulaires doivent être considérées comme existant encore ; si les professeurs, à quelque degré de l'enseignement qu'ils appartiennent, seront, au mois de juin prochain, sous la menace qu'on leur a adressée en 1870 ; si leur liberté naturelle de citoyen sera confisquée ?

Si ces circulaires sont maintenues, leur maintien constitue un abus et une injustice.

M. le ministre de l'intérieur actuel se flatte de rester impartial dans toute la carrière ministérielle qu'il est appelé à parcourir. Eh bien, pour être impartial et juste, M. le ministre de l'intérieur doit nécessairement laisser à tous les membres du corps enseignant laïque de la Belgique la liberté la plus absolue quant à la manifestation de leurs opinions politiques. Il ne pourrait échapper à cette obligation que si, restreignant cette liberté, il voulait et surtout pouvait en même temps imposer des restrictions équivalentes à une autre grande catégorie de professeurs, payés également par l'Etat, je veux parler des professeurs de morale religieuse. (Interruption.)

Je conçois que cela ne vous plaise pas, messieurs de la droite, mais je ne suis pas condamné, je pense, à ne jamais dire que des choses qui vous plaisent !

Or, vis-à-vis de ce grand corps enseignant que nous payons tous, même ceux qui ne veulent pas profiter de ses leçons, vis-à-vis de ce grand corps enseignant, M. le ministre de l'intérieur est impuissant ; il ne peut agir par voie de circulaires, par voie d'autorité ; tout au plus pourrait-il agir par voie d'humble avis, par voie de conseil.

Mais je ne crois pas que nous devions attendre de lui, quelque ardent désir qu'il ait de rester impartial, même d'aussi modestes actes dans ce sens, et à supposer qu'il s'y décidât, je ne crois pas qu'il réussisse et qu'à sa prière, ce corps enseignant cesse d'agir partout, en toute circonstance et avec grande ardeur comme parti politique.

Je ne puis donc compter sur M. le ministre pour l'emploi de ce deuxième moyen de rétablir la balance de l'impartialité et de la justice.

Dès lors, il faut que j'insiste pour qu'il veuille bien revenir au premier ; puisqu'il est obligé de laisser la liberté à la masse de professeurs qui constituent le clergé, je lui demande de restituer à tous les professeurs laïque une liberté aussi grande.

Je ne veux pas m'étendre sur l'attitude prise aujourd'hui par le clergé catholique sur toute la surface de l'Europe, sur sa transformation ouverte en un grand parti politique séparé de tous les autres.

Nous sommes, en Belgique, obligés de subir cette situation et je dois le dire, car j'aime la liberté, je ne me croirais pas le droit de m'en plaindre, pour ma part, si nous n'étions tenus de solder ce clergé sur le trésor public, si nous libéraux, nous n'étions ainsi obligés de payer les verges dont on nous fouette.

Malheureusement la Constitution est là. La transaction conclue en 1850 doit être respectée par nous, alors même qu'elle ne l'est plus, au moins dans son esprit, par ceux avec qui nous l'avions conclue. Je dis dans son esprit, car je ne puis admettre qu'on ait voulu faire alors au clergé catholique vis-à-vis de la société politique une situation où il n'ait que des droits, sans aucun devoir. Si l'on avait pu prévoir, à cette époque, l'abus que fait aujourd'hui le clergé de la position qui lui a été donnée, je doute qu'on se fût montré si généreux.

Mais je passe, car j'ai hâte de préciser auprès de M. le ministre de l'intérieur les points sur lesquels il doit laisser complètement libres les professeurs laïques. Pour cela, rien de mieux que de lui rappeler quelques-unes des exigences des chefs de notre clergé catholique vis-à-vis des membres du corps enseignant laïque. Ces exigences ont été formulées sous un ministère libéral en 1869 ; je ne sais quel accueil leur a été fait alors. Je n'ai aucune raison de douter qu'elles ne persistent aujourd'hui, et j'ai tout lieu de craindre que le ministère actuel, comme celui qu'il a remplacé, ne. soit que trop disposé par une pente naturelle à leur donner un accueil favorable.

Il ne faut pas que ces exigences restent ignorée, du pays.

Elles se trouvent enterrées dans une de ces volumineuses publications que l'on ne lit que par obligation ; je veux parler du dernier rapport triennal sur l'enseignement primaire.

Je vais les en extraire.

A la page 98, nous lisons ce qui suit : c'est un blâme officiel adressé par le chef du diocèse de Bruges aux tendances qu'à cette époque (1869) le corps de nos braves instituteurs primaires manifestait.

« L'immixtion de quelques instituteurs dans les luttes politiques... »

M. le président. - Nous ne sommes pas encore au chapitre de l'enseignement primaire, M. Jottrand.

M. Jottrand.—Si vous voulez que je ne parle en ce moment que des professeurs de l'enseignement moyen, je serai obligé, tout à l'heure, de reprendre de nouveau ma thèse et ce sera du temps perdu ; il vaudrait donc mieux, ce me semble, me laisser achever.

M. le président. - Si la Chambre veut vous laisser continuer, je ne m'y oppose pas.

M. Jottrand. - Je reprends donc ma citation :

« L'immixtion de quelques instituteurs dans les luttes politiques, leur affiliation à la Ligue de l'enseignement, leurs réunions tenues récemment dans un esprit dont l'inspection civile s'est effrayée à bon droit, leurs souscriptions à des recueils périodiques qui, sous le couvert de pédagogie, répandent de funestes doctrines, la collaboration même de quelques-uns à des publications de l'espèce, leurs fédérations dans le but apparent d'améliorer leur position, - que le gouvernement est loin de laisser malheureuse, - voilà, M. le ministre, autant de causes de désorganisation, autant d'éléments mauvais qui me font craindre que, dans un avenir peut-être peu éloigné, le corps des instituteurs, longtemps si recommandable, ne soit animé d'un esprit entièrement opposé à cette vocation où le dévouement, est la plus grande force et la piété sincère et éclairée la meilleure garantie du succès. »

Je demande à M. le ministre de l'intérieur s'il entend céder à de pareilles sollicitations ; s'il entend interdire aux instituteurs et aux professeurs toute immixtion dans les luttes politiques, toute affiliation à la Ligue de l'enseignement, les réunions qu'ils jugent convenable de tenir pour s'occuper de leurs intérêts et aviser aux moyens de les défendre, leurs souscriptions à des recueils périodiques qui ne seraient pas pédagogiques dans le sens le plus étroit, et leur collaboration à des publications de l'espèce, à des écrits qui, aux yeux de M. l'évêque de Bruges - et on sait ce que cela veut dire, - répandent de funestes doctrines.

Si M. le ministre de l'intérieur me dit : « Je n'ai pas l'intention d'enfermer ainsi le corps enseignant, que j'ai l'honneur de diriger, dans une prison morale ; j'ai le dessein de lui laisser toute liberté, » je féliciterai M. le ministre de l'intérieur,

Nous aurons alors la satisfaction de voir beaucoup de nos amis, - il est heureusement beaucoup de membres du corps enseignant de Belgique (page 410) à qui les doctrines et les idées libérales sont chères, - pouvoir donner au moins une libre carrière à leurs convictions et intervenir, s’ils le jugent à propos, dans la lutte politique du mois de juin 1872. Ainsi se rétablira, autant que faire se peut, la balance véritable entre les forces de nos partis, balance dont l’équilibre naturel est troublé par l’entrée, drapeaux déployés et trompettes sonnantes, du clergé catholique belge, à la suite du clergé de toute l’Europe, dans le champ clos de la politique.

S'il entre dans le rôle des prêtres de s'occuper de politique, d'interdire ou de favoriser la lecture de certains journaux, de recommander publiquement certains candidats, d'en combattre certains autres ; si tel est leur droit, le même droit doit appartenir aux professeurs et instituteurs ; c'est pour vous un impérieux devoir de leur permettre d'entrer, à leur tour, dans l'arène politique, d'y proclamer leurs préférences et d'exercer sur ceux avec lesquels ils peuvent être en rapport une pression qui, de leur part, ne dégénérera jamais en abus de pouvoir, restera toujours purement morale et ne devra sa force qu'à la persuasion.

Si, au contraire, M. le ministre de l'intérieur nous déclare que la situation faite au corps enseignant par la circulaire de son prédécesseur, reflet des plaintes du clergé, est maintenue tout entière, j'aurai le regret de devoir lui dire que la modération dont il se pare, l'impartialité dont il fait montra, ne sont l'une et l'autre que pure comédie.

(page 403) M. Kervyn de Lettenhove. - Je me bornerai à protester énergiquement contre les paroles prononcées tout à l'heure par l'honorable préopinant. Jamais je n'ai pesé sur la conscience des instituteurs. J'ai toujours déclaré bien haut que, lorsqu'ils se rendaient au scrutin pour y remplir leurs devoirs électoraux, ils avaient le droit de déposer tels suffrages qu'ils jugeaient convenables et qu'en agissant ainsi ils ne relevaient que de leur conscience.

Mais ce que j'ai dit aussi et ce que je répète, c'est que je ne puis pas admettre que les instituteurs se transforment en agents électoraux et, qu'oubliant la mission sociale qu'ils ont à remplir, ils s'abandonnent aux égarements des passions politiques.

Il ne faut pas que l'instituteur s'aliène la confiance des familles et le respect des élèves en créant autour de lui des catégories d'amis et d'adversaires.

Ce n'est pas moi, messieurs, qui, le premier, ai proclamé ces principes ; ils l'ont été par mes prédécesseurs comme ils le seront, j'en suis certain, par mes honorables successeurs. Tous les ministres se sont fait et se feront une loi de maintenir l'instituteur primaire dans le cercle de sa mission si utile et si élevée. S'il appartient à l'instituteur de remplir librement ses devoirs de citoyen, il ne faut point oublier que ses devoirs d'instituteur lui imposent l'obligation de rester étranger aux luttes des partis.

- Voix à gauche. - Et le clergé !

M. Bouvier. - Je demande la parole pour féliciter M. le ministre de l'intérieur d'avoir nommé un inspecteur de chant attaché au Conservatoire royal de Bruxelles. Je l'en félicite d'autant plus qu'il a eu la main extrêmement heureuse en choisissant un artiste d'une grande valeur. (Interruption.)

Seulement, je désirerais savoir quels sont les émoluments attachés à cet emploi.

Je félicite le gouvernement de pousser au développement de l'art dramatique en Belgique. (Interruption.) Je regrette que l'honorable ministre, qui a montré une si louable sollicitude à faire cette nomination, n'ait pas été animé du même zèle pour pourvoir à l'emploi d'inspecteur général de l'enseignement moyen, vacant depuis le 13 avril 1871.

Si j'ai félicité l'honorable ministre de la sollicitude qu'il a apportée dans la première nomination, je ne puis que le blâmer de l'apathie qu'il apporte dans la seconde, qui est cependant de la plus haute importance.

On a de grands mots à la bouche quand il s'agit de proclamer la nécessité de l'enseignement universitaire, moyen et primaire, mais quand il s'agit de réaliser des actes qui doivent profiter à l'enseignement, on ne fait rien.

J'attendrai donc une évolution d'une même période de temps pour adresser une demande au chef du département de cette lointaine époque, si, malgré les sinistres et lugubres prédictions proférées par M. Wasseige dans un banquet célèbre et inter pocula, j'ai encore l'honneur de siéger dans cette enceinte.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je commencerai par répondre à l'honorable membre qui vient de se rasseoir.

Il me demande pourquoi je n'ai pas encore nommé d'inspecteur général de l'enseignement moyen. J'ai, messieurs, l'intention de pourvoir le plus tôt possible à cette place qui, comme vient de le dire l'honorable M. Bouvier, est vacante depuis un certain temps déjà.

Il sera donc bientôt donné, sous ce rapport, satisfaction à l'honorable membre.

M. Bouvier vous a parlé aussi d'une autre inspection, de celle qui vient d'être confiée à M. Faure, mais là, il s'est mépris à deux points de vue différents.

D'abord, la nomination de M. Faure comme inspecteur d'études de chant ne crée pas une inspection générale. Cette nomination, faite sur la proposition du directeur du Conservatoire et de l'avis unanime des membres de la commission, a eu pour but de charger M. Faure de la surveillance des études de chant au Conservatoire de musique de Bruxelles ; mais M. Faure n'est pas inspecteur général, comme se l'imagine l'honorable membre.

M. Bouvier m'a ensuite demandé quel était le traitement alloué à ce nouveau titulaire. Je répondrai que M. Faure ne touche aucun traitement, que sa position est purement honorifique.

J'arrive, messieurs, à une question plus sérieuse qu'a soulevée l'honorable M. Jottrand. Cette question touche en quelque sorte à la politique générale et les éléments pour la trancher me paraissent bien simples. Je vois dans l'instituteur, dans le professeur quel qu'il soit, deux qualités distinctes. Je lui trouve d'abord sa qualité de citoyen qui lui laisse la plus grande liberté et qui lui assure le droit de prendre part à la lutte, d'appartenir à tel parti politique qui peut lui convenir ; mais à côté de la qualité de citoyen, il y a les fonctions d'instituteur, qui imposent des devoirs sacrés à celui qui les accepte.

J'ai pour mission, messieurs, de veiller à ce que ces devoirs soient remplis, et je ne faillirai point à cette mission.

L'instituteur doit, non seulement dans son enseignement, mais aussi dans ses relations privées, conserver à la position qu'il occupe, non pas cette indépendance absolue dont on vous parlait tout à l'heure, mais cette dignité qui convient, qui est nécessaire même à la mission dont il est investi.

M. Bouvier. - Et le clergé aussi.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Et le clergé aussi, me dit-on. Je n'ai pas à parler du clergé. Le clergé use de sa liberté de citoyen, de cette liberté, précisément, que je reconnaissais, il n'y a qu'un instant, à l'instituteur. Seulement je veux que l'instituteur soit bien convaincu qu'à côté de cette liberté il existe pour lui un devoir, et que ce devoir lui impose certaines obligations. Telle est la réponse que j'avais à faire. Vous comprendrez maintenant que je ne puis pas aborder tous les détails dans lesquels voudrait m'entraîner l'honorable M. Jottrand.

Il vous a parlé de la ligue de l'enseignement. Il m'a demandé si je tolérerais que les instituteurs fassent partie de cette association, Je n'ai pas à m'expliquer à cet égard. Je vous dirai seulement qu'en règle générale, j'éprouve peu de sympathie pour la ligue de l'enseignement, parce que je remarque que les instituteurs qui sont entrés dans cette ligue y acquièrent généralement, non pas cette indépendance que l'on prônait tout à l'heure, mais un certain esprit d'insubordination qui nuit souvent à la hiérarchie, si nécessaire pourtant à la bonne organisation de l'instruction primaire.

- Des membres. - Très bien !

M. Bouvier. - C'est à droite qu'on dit très bien.

M. Delcour, ministre de l'intérieur - Je crois, par ces explications (page 404) générales, avoir répondu au côté politique des interpellations que vient de m'adresser l'honorable M. Jottrand. J'ajouterai un seul mot.

Il n'entre pas du tout dans la pensée du gouvernement d'intervenir directement dans les élections. Le gouvernement s'abstiendra ; il est assez fort par lui-même, assez fort par la considération dont il jouit dans le pays, pour ne pas avoir besoin de recourir à de pareils procédés, de chercher ainsi à peser, sur la conscience des électeurs.

(page 410) M. Jottrand. - Messieurs, l'honorable M. Kervyn m'a répondu tantôt de façon à me faire croire qu'il n'avait pas compris mon blâme.

Je n'ai jamais reproché à l'honorable M. Kervyn d'avoir empêché les membres du corps enseignant d'exercer librement ce que j'appellerai le côté passif de leur droit politique. Heureusement, chez nous, le vote est secret ou à peu près, et l'on n'en est pas encore venu jusqu'à forcer les professeurs et les instituteurs à voter à bulletin ouvert ; mais l'exercice des droits politiques, la liberté des citoyens ne consiste pas uniquement dans le fait matériel d'aller déposer un bulletin dont on cache soigneusement le contenu à tout le monde ; les droits de citoyen ne sont complets et on n'est vraiment libre de les exercer que quand on a le droit de faire, en faveur des idées qu'on a adoptées, une propagande énergique et ouverte.

Certes, il faut que cette propagande reste dans les limites de la dignité et des convenances.

Il ne faut pas, et sous ce rapport je suis d'accord avec l'honorable ministre de l'intérieur actuel, il ne faut pas que le professeur ou l'instituteur se livre à ces excès qui, chez nous comme dans tous les pays de liberté large, soulèvent parfois, en temps de lutte électorale, la réprobation des gens honnêtes et calmes ; je n'admettrais pas qu'un professeur, qu'un instituteur pût impunément couvrir d'injures ou de calomnies le candidat qu'il désirerait voir échouer. Je n'admettrais pas que l'instituteur ou le professeur se mit en état d'hostilité violente et personnelle avec l'une ou l'autre des autorités dont le contact journalier lui est imposé. Mais heureusement on n'est pas obligé d'aller jusque-là pour pouvoir faire agir fructueusement et efficacement en faveur des idées politiques auxquelles on s'est librement dévoué.

Les professeurs de l'enseignement moyen, par exemple, peuvent très bien, sans manquer à ce que leur commandent la dignité et les convenances, faire partie d'associations libérales et y jouer un rôle actif, y signer par exemple de leurs noms des proclamations, des avis, des circulaires ; ils peuvent collaborer à des journaux politiques, ils peuvent, en cas de réunion publique, monter à la tribune et y défendre leurs idées, sans manquer, je le répète, à ces devoirs de respect de soi-même et des autres auxquels je reconnais qu'ils doivent s'astreindre. Eh bien, je demande à M. le ministre dé l'intérieur s'il interdit aux membres du corps enseignant moyen les actes que je viens d'énumérer, actes qui apparemment leur étaient formellement défendus par les circulaires que signait l'honorable M. Kervyn de Lettenhove quand il était ministre de l'intérieur. Si M. le ministre de l'intérieur actuel maintient des prohibitions de ce genre, je dis qu'il entrave, qu'il détruit la liberté politique des. membres du corps enseignant ; qu'il les empêche d'exercer leurs droits les plus précieux de citoyen.

Quant aux instituteurs primaires, leur position, je le reconnais, est parfois plus délicate et plus difficile ; ils se trouvent, notamment dans les petites communes, en contact direct et permanent avec l'administration locale qui les nomme, les surveille et les paye.

La participation active aux luîtes politiques de la localité peut engendrer de graves inconvénients, si elle n'est pratiquée par l'instituteur avec la plus grande prudence et la plus grande réserve.

Il n'en est pas de même des luttes de la politique générale. Sur ce terrain déjà plus grande doit être la liberté de l'instituteur.

Mais où elle doit être entière, c'est dans les actes que j'ai énumérés tout à l'heure et que le clergé voudrait voir interdire aux instituteurs primaires, et certainement aussi aux professeurs de l'enseignement moyen. Aucun de ces actes n'a le moindre rapport avec ces attitudes violentes, avec ces attitudes de parti que je ne veux pas recommander.

Si l'instituteur s'affilie à la Ligue de l'enseignement, il y contractera, dites-vous, des habitudes d'insubordination. Messieurs, la Ligue de l'enseignement compte dans cette Chambre de nombreux représentants, son président siège sur nos bancs et c'est une véritable injure que de dire de cette utile institution, de cette institution qui, à peine fondée chez nous, a eu immédiatement des imitateurs dans plusieurs grands pays de l'Europe, qu'elle est un instrument de désordre et d'anarchie.

Que si un instituteur affilié à la Ligue de l'enseignement se montre insubordonné, frappez-le, mais comme insubordonné, et rien de plus.

C'est un principe de notre droit constitutionnel que, contre les excès de la liberté, les mesures préventives nous sont interdites, que les mesures répressives seules restent debout.

Quoi ! sous le prétexte qu’un instituteur court le danger de devenir insubordonné en s'alliant à une institution qui, loin d'être combattue, devrait réunir les suffrages et l'appui de tous les Belges, vous lui enlèverez le droit qu'il puise dans sa qualité de citoyen de coopérer de ses deniers et de ses efforts personnels avec, d'autres de ses concitoyens à la diffusion des connaissances, au progrès des méthodes, au perfectionnement de tout notre système d'enseignement, seul but de la Ligue.

M. Bouvier. - C'est de l'intimidation...

M. Jottrand. - C'est là l'unique motif pour lequel M. le ministre de l'intérieur s'est déclaré, aussi nettement qu'il pouvait le faire en conservant son apparence de modération, hostile à toute affiliation des instituteurs primaires à la Ligue de l'enseignement.

Ah ! il n'est pas nécessaire d'être plus clair ! Après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, quel est l'instituteur qui osera s'affilier encore à la Ligue de l'enseignement -Il faudra même une grande dose d'indépendance et de courage civique à ceux qu'elle s'est attachés pour qu'ils lui restent fidèles.

M. Bouvier. - Nous les soutiendrons.

M. Jottrand. - Ce que je dis de la Ligue de l’enseignement, je puis le dire de toutes les autres défenses qu'on voudrait voir intimer aux instituteurs et sur lesquelles M. le ministre de l'intérieur ne s'est pas expliqué. En quoi un instituteur primaire peut-il manquer à ses devoirs d'homme et de fonctionnaire, si vous le voulez, en tenant avec ses collègues dés réunions où ils s'occupent ensemble des intérêts de la profession qui est leur gagne-pain ? Les secrétaires communaux ne le font-ils pas librement ? En quoi peut-il manquer à ses devoirs d'homme, de citoyen et de fonctionnaire, en souscrivant à des recueils périodiques qui répandent des doctrines désagréables à nos évêques ? N'y a-t-il donc plus d'autres droits ni d'autres devoirs pour les instituteurs que de recevoir et dé lire les publications qu'imprègne l'esprit clérical ?

M. Bouvier. - Et celui de l'Encyclique.

M. Jottrand. - Si des instituteurs ont des idées, s'ils songent à les faire connaître, devront-ils se taire et tenir ces idées sous le boisseau si elles ne sont pas de nature à mériter l'approbation de M. l'évêque de Bruges et des autres membres de l'épiscopat ? Vont-ils devoir rester muets s'il ne leur plaît d'écrire à la louange du dogme de l'infaillibilité ? Faudra-t-il qu'ils ne prennent la plume que pour traiter le roi d'Italie de roi-larron ; pour appeler les populations au secours de ce malheureux pape « prisonnier dans son propre palais et dépouillé de tout par ses persécuteurs, » comme le disent véridiquement les journaux chers à notre clergé ?

M. Bouvier. - Il a trois millions.

M. Jottrand. - Si ce sont de pareils devoirs que vous voulez imposer à nos instituteurs, de pareils droits que vous voulez leur enlever, je lé déclare, et en le déclarant je ne dépasse pas la vérité, l'instituteur sera, sous votre ministère, dans une situation pire que le soldat dans les casernes.

(page 404) M. Bergé. -. Tout le monde, messieurs, sera d'accord avec M. le ministre de l'intérieur pour reconnaître que l'instituteur est obligé de conserver une certaine réserve. Mais il s'agit de savoir de quelle façon cette réserve doit être interprétée.

Ainsi, je comprends très bien, pour ma part, que les nombreux instituteurs du pays qui, subissant en cela l'influence de l'autorité ecclésiastique, se sont faits les agents de la propagande langrandiste, ont certainement méconnu leurs devoirs.

Je comprends que là ils auraient dû observer une sage réserve et j'espère que de si pareilles spéculations se produisent encore, l'honorable M. Delcour sera là pour rappeler aux instituteurs la véritable conduite qu'ils doivent tenir.

Mais je constate que si l'on interdit aux instituteurs certaines manifestations de la pensée ; si on les blâme de faire partie de telles ou telles associations ayant un caractère libéral, d'autre part, non seulement on les autorise, mais on les pousse à s'affilier aux institutions du clergé.

On oblige en quelque sorte l'instituteur à assister à des retraites ecclésiastiques. Si on lui défend, ou, tout au moins, si on le blâme de faire partie de la ligue de l'enseignement, on l'encourage au contraire, on le pousse à solliciter son admission à des sociétés, à des cercles de Saint-Vincent de Paul, on l'oblige en quelque sorte à participer de ses faibles ressources à la prospérité de confréries en l'honneur de tel ou de tel saint.

S'il s'agit de célébrer quelqu'une de ces fêtes du catholicisme où souvent le catholicisme célèbre la perte de la liberté ; s'il s'agit de s'associer à quelque manifestation qui constitue souvent, pour une partie de la population, une véritable injure, une véritable insulte, il n'y a plus alors pour l'instituteur de réserve à garder : on le sollicite, au contraire, à prendre part à ces manifestations ; on l'y pousse, on lui en fait en quelque sorte une obligation morale ; et on a pour arriver à ces résultats tous les prêtres qui, grâce à la loi de 1842, ont la main haute sur l'instruction primaire ; ces prêtres qui, depuis le haut jusqu'au bas de l'échelle, s'occupent d'inspecter et de diriger l'enseignement primaire.

L'honorable ministre de l'intérieur vient nous dire qu'il n'aime pas les instituteurs affiliés à la ligue de l'enseignement parce qu'il a remarqué qu'en général ils sont insubordonnés.

Mais envers qui sont-ils insubordonnés ? Quels sont leurs forts ? Quels sont les méfaits qu'on peut mettre à leur charge ?

Du reste, si par hasard, quelques instituteurs affiliés à la ligue de l'enseignement étaient insubordonnés, ce n'est pas à la ligue qu'il faudrait en faire remonter la responsabilité, car elle n'a été fondée que dans le but de propager l'enseignement, de stimuler le zèle des instituteurs, de les faire travailler, de les faire sortir de l'esprit de routine, de leur faire connaître les méthodes nouvelles, de leur apprendre ce qui se fait à l'étranger, de leur montrer ce que sont les instituteurs américains, de leur enseigner à former la jeunesse, à faire des citoyens véritablement dignes d'exercer leurs droits.

Voilà, messieurs, ce que la ligue de l'enseignement se propose de faire ; voilà ce qu'elle fait, voilà ce qui ressort de ses débats et de ses publications.

Ce n'est donc pas là, messieurs, la raison pour laquelle la ligue de l'enseignement se trouve frappée d'anathème.

Mais si la ligue est mal vue par M. le ministre de l'intérieur, c'est parce qu'il sait bien que la ligue pousse à la sécularisation de l'enseignement, qu'elle a pour but la révision de la loi de 1842, parce qu'elle sait qu'elle fera tous ses efforts pour répandre dans le pays l'enseignement obligatoire et hâter le moment où l'instituteur jouira de la position qui lui est due, mais que des efforts réactionnaires ont malheureusement empêché de lui donner jusqu'ici.

Voilà les raisons pour lesquelles la ligue est mal vue du cabinet, mais il n'y a absolument aucune raison fondée d'argumenter de l'insubordination des instituteurs qui en font partie.

Il faudrait citer des faits précis. Ces faits font défaut. Nous sommes donc devant une accusation légère qui ne repose absolument sur rien.

M. Guillery. - Messieurs, je ne comptais pas parler sur le chapitre de l'enseignement moyen ; je m'étais fait inscrire pour le chapitre de l'instruction primaire, mais il m'est impossible de laisser passer sans réponse l'attaque violente et imméritée que le ministre de la modération a dirigée contre la ligue de l'enseignement. On peut, par des paroles doucereuses dans la forme, lancer une calomnie. Or, c'en est une de la plus belle eau que de dire que les instituteurs qui font partie de la ligue de l'enseignement sont insubordonnés. Qui vous le dit ? Comment le savez-vous ? Quels sont ces instituteurs ?

Tant que vous n'aurez pas justifié votre accusation, elle méritera la qualification qu'on donne aux accusations non motivées et non justifiées.

L'honorable M. Malou, chef du cabinet, nous a dit, pour tout programme, qu'il représentait le ministère de la modération et qu'il ne voulait que l'apaisement des esprits. L'honorable M. Delcour, lui, au début de la discussion du budget de l'intérieur, a déclaré qu'il serait, avant tout, impartial et modéré.

Or, voilà que, dès le début, à peine le ministère installé, nous avons un exemple de sa modération et de son impartialité. Nous traitons la question la plus importante qui soit agitée dans le pays, celle qui touche au cœur même de nos libertés : la liberté de l'instituteur primaire. Et l'on veut nous payer de vaines paroles, quand on vient nous dire qu'on n'empêchera pas l'instituteur de voter comme bon lui semble, mais que, pour le reste, on ne lui permet pas de faire partie de telle ou telle association à moins, sans doute, que ce ne soit une association religieuse.

On peut être jésuite en robe courte, on peut être serviteur du curé de son village, mais on ne peut pas être de la ligue de l'enseignement. Or, qu'est-ce que c'est que la ligue de l'enseignement ? C'est simplement une société libre qui se propose de développer l’enseignement dans le pays, c'est une société qui comprend dans son sein plusieurs ministres du culte ; c'est une société qui n'a aucune profession de foi, ni religieuse, ni antireligieuse. Elle se propose le développement de l'enseignement avec la plus grande liberté possible, en respectant les convictions de chacun.

Et, sous le ministère précédent, la ligue de l'enseignement s'est donné, entre autres choses, pour mission d'enseigner à lire, à écrire et à calculer à tous les prisonniers français réfugiés en Belgique ; elle l'a fait avec le plus grand succès, et les prisonniers, en quittant la Belgique, lui en ont témoigné la plus profonde reconnaissance.

Nous avons renvoyé dans leur pays des hommes instruits, et nous avions reçu des ignorants.

Depuis que la ligue de l'enseignement s'est occupée des prisonniers, tout symptôme de désordre a disparu parmi eux. On a constaté, une fois de plus que le meilleur moyen de gouverner les hommes est d'occuper leur esprit par des travaux utiles.

Mais, messieurs, il doit nous être permis de nous étonner, quelle que soit votre indignation, des doctrines qui sont développées. L'instituteur, d'après la loi de 1842, catholiquement appliquée, doit être un esclave. Sous l'empire d'un ministère libéral, il trouve une protection dans le gouvernement. Sous un ministère religieux, il est sans protection. Il est sans protection le jour où l'on accepte contre lui toutes les calomnies qui proviennent de l'inspecteur ecclésiastique et de l'inspecteur provincial, souvent plus ecclésiastique encore. Il est sans protection le jour où il ne lui est permis que de faire partie d'associations religieuses.

Voilà, messieurs, quel est malheur, pour un pays, d'avoir aux affaires un ministère qui représente un parti religieux. La Belgique est le seul pays de l'Europe qui ait ce malheur. (Interruption.) C'est le seul pays de l'Europe où le ministère qui est au pouvoir y soit au nom d'un parti religieux. Il y a, dans d'autres pays, des ministères qui comptent des hommes politiques appartenant à la religion catholique, appartenant à la religion protestante, appartenant à telle ou telle religion ; mais ils ne sont pas au pouvoir au nom d'un parti religieux.

Mais nous avons ici un ministère catholique pur, arrivé avec l'autorisation de l'épiscopat... (Interruption.) Oui, c'est l'épiscopat qui nomme les professeurs de l'université de Louvain, qui donne à ces professeurs des congés temporaires, qui est leur maître et seigneur, qui leur imprime sa politique.

L'honorable représentant qui est au ministère de l'intérieur émane de cette université, émane de l'autorité la plus intolérante qui existe dans le monde, c'est-à-dire de Rome. Eh bien, ce ministre doit être un sectaire et agir en sectaire. Or, c'est agir en sectaire que de déclarer que l'instituteur primaire ne peut pas faire partie de telle ou telle association, parce qu'elle ne partage pas les opinions religieuses du cabinet.

Il n'y a pas d'autres motifs à donner ; pas un seul, je défie qu'on en donne un autre ; je défie qu'on justifie cette accusation qui consiste à dire (page 405) qu'un instituteur qui fait partie de la ligue de l'enseignement est insubordonné.

La ligue de l'enseignement n'a d'autre mission que de faire tous ses efforts pour perfectionner l'enseignement en Belgique, dans ce pays qui, quoi qu'en disent les rapports officiels, est très arriéré.

Il est donc tout naturel que les professeurs et les instituteurs fassent partie de la Ligue de l'enseignement pour contribuer au développement de ce qu'ils ont de plus cher au monde ; or, M. le ministre de l'intérieur vient de le leur interdire, sous prétexte qu'ils sont insubordonnés. Ils sont insubordonnés peut-être envers M. le curé, envers des exigences injustes, mais ils ne sont pas obligés d'être les humbles serviteurs du clergé, il ne doit pas être permis au clergé d'opprimer les instituteurs et de les empêcher d'user du droit d'association.

Le droit d'association n'a pas été créé uniquement pour les capucins, les carmes chaussés et déchaussés, les joséphites, les augustins, les jésuites, les rédemptoristes et toutes les autres émanations de Rome.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je m'explique les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Guillery, par un seul mot. de son discours : « Il a parlé, dit-il, sous le coup d'une grande indignation ». Pourquoi ? Parce que, faisant connaître à la Chambre quelle est la ligne de conduite que j'entends suivre à l'égard des instituteurs, tout en reconnaissant que l'instituteur possède la même liberté qui appartient aux autres citoyens, j'ai dit que sa position spéciale lui imposait néanmoins des devoirs particuliers, et que je veillerais à l'accomplissement de ces devoirs.

Eh bien, cette déclaration je la maintiens, je n'en retranche pas une ligne, pas un mot.

Seulement lorsque l'instituteur sera l'objet d'une plainte, j'examinerai si dans ses actes il y a quelque chose qui s'écarte des devoirs qui lui sont imposés par son état. Si je trouve qu'il a réellement méconnu les devoirs de sa profession, je le briserai ; je le soutiendrai, au contraire, si je reconnais que les actes incriminés ne sont pas répréhensibles.

Voilà la conduite que j'entends tenir envers les instituteurs.

Mais l'honorable M. Guillery est allé plus loin : il nous a représentés, encore une fois, comme l'émanation des évêques. Je croyais qu'un pareil thème d'opposition avait fait son temps ; qu'il ne pourrait plus se produire dans cette enceinte. (Interruption à gauche.)

Comment ! nous arrivons ici, appelés par une majorité considérable ; nous arrivons avec l'adhésion presque unanime du pays ; et l'honorable M. Guillery vient nous dire : « Vous êtes des hommes de parti, et vous n'êtes pas des hommes nationaux. »

Je prétends que l'indépendance civile existe au même degré, qu'elle existe à un degré plus élevé peut-être chez l'homme qui est animé de sentiments religieux que chez l'homme que n'inspirent pas de pareils sentiments. Le sentiment religieux n'affaiblit pas l'indépendance chez l'homme, il la relève, au contraire.

On nous a demandé : « Que faites vous ici ? Vous allez obliger les instituteurs à proclamer tous les principes du catholicisme ! »

Mais, messieurs, le catholicisme, c'est une grande chose ; c'est le catholicisme qui a jeté les bases de la civilisation ; il est encore, à l'heure qu'il est, la grande expression des intelligences du monde. (Interruption.)

Je dis que le catholicisme est l'expression d'un grand sentiment, d'un grand principe, et que l'Europe entière repose sur les bases du catholicisme.

Je ne veux pas entrer dans le fond de la question. Si un jour on croit devoir aborder ce terrain, je ne reculerai pas ; je dirai ce que je pense sur tous les points que l'on a indiqués d'une manière passagère.

Pour le moment, j'en reviens au débat qui nous occupe.

Que me reproche-t-on ? On me reproche de vouloir maintenir l'instituteur dans l'accomplissement de ses devoirs ; on me blâme, en définitive, parce que je ne veux pas tenir à l'instituteur ce langage : « Vous êtes affranchi de toute obligation ; faites ce que voulez. »

Eh bien, non, messieurs, vous ne voulez pas que je parle ainsi, parce que tous, nous désirons que l'instituteur soit avant tout un homme raisonnable, un homme moral, un homme d'ordre ; car c'est sur lui que repose l'instruction de la jeunesse.

Messieurs, je crois en avoir dit assez pour justifier la proclamation de principes que j'ai faite.

Je n'ajouterai plus qu'un mot au sujet de la Ligue de l'enseignement.

Loin de moi la pensée d'adresser le moindre reproche à ceux de mes honorables collègues de la Chambre qui font partie de cette association ; il n'y a pas eu dans mes paroles un mot dirigé contre l'institution ; mais ce que je sais, ce que j'affirme, et je l'affirme contrairement à ce que dit l'honorable M. Guillery, et il aura beau appeler cela une calomnie, je dis, moi, que c'est la vérité ; j'affirme, dis-je, messieurs, que j'ai connu des instituteurs, que j'en connais encore qui précisément parce qu'ils sont affiliés à la Ligue de l'enseignement et qu'ils croient y rencontrer une protection, sont amenés à l'insubordination. C'est un fait constant, que tous les hommes qui ont la pratique de l'enseignement affirmeront.

Je ne retranche donc pas un mot de ce que j'ai dit et je repousse le mot si injurieux que vient de m'adresser l'honorable M. Guillery, lorsqu'il a dit que je n'avais apporté ici qu'une calomnie, des accusations que je ne saurais justifier.

M. Bouvier. - Vous ne citez aucun fait.

M. Guillery. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - Il n'y a rien eu de personnel dans les paroles de M. le ministre.

M. Guillery. - J'ai été personnellement blessé et je suis personnellement attaqué comme président de la Ligue de l'enseignement. (Interruption à droite.) Oh ! le bruit de la droite ne m'empêchera pas de parler, elle devrait le savoir. (Interruption.) Vos rires ne prouvent pas que vous ayez raison, ni que vous soyez tolérants. (Interruption.) J'attendrai que le calme se rétablisse...

Je dis que je suis atteint personnellement, comme président de la Ligue de l'enseignement, par les paroles de M. le ministre de l'intérieur et que mes paroles à cet égard n'ont pas été trop sévères ; il vient de le prouver par le discours qu'il a prononcé.

Il ne suffit pas de dire : Je suis modéré. Il faut le prouver par ses actes. Il ne suffit pas de dire : Je suis impartial, indépendant, même plus indépendant que vous. Il ne suffit pas de dire tout cela. Il faut le prouver. Il ne faut pas se mettre au service des passions du clergé, ni se faire l'humble serviteur de ses intérêts, si vous voulez être indépendant ; il ne faut pas, parce que la Ligue de l'enseignement est excommuniée par le clergé et notamment par l'évêque d'Orléans, croire que l'on a, pour cette raison, l'obligation d'empêcher les instituteurs d'en faire partie.

Je nie le fait que vous avez avancé que les instituteurs qui font partie de la Ligue soient plus insubordonnés que les autres. Je demanderai si ceux qui sont affiliés à l'ordre des jésuites sont meilleurs et plus obéissants. Je ne crois pas que l'on fasse d'opposition à ceux-là. Vous dites que vous avez le droit et le devoir d'exiger que l'instituteur soit un homme raisonnable, moral et d'ordre.

- Des membres à droite. - Il n'y a rien de personnel là dedans.

M. Bouvier. - Vous parlez ainsi parce que M. Guillery s'occupe des jésuites.

M. Guillery. - Je suis dans le fait personnel. Vous dites donc que l'instituteur doit être avant tout un homme raisonnable, moral et d'ordre et qu'il ne peut être en conséquence affilié à la Ligue de l'enseignement.

C'est-à-dire que l'on ne peut être un homme raisonnable, moral et d'ordre et appartenir à la Ligue, (Interruption.) Cela se trouve implicitement dans vos paroles. Est-ce là ce que vous appeler respecter la liberté, être un ministre impartial et modéré ?

Je répète cette accusation que vous croyez surannée, mais qui grandira tous les jours et finira par vous écraser. Vous faites l'éloge de votre force et de votre puissance. Libre à vous. D'autres avant vous se sont glorifiés de même. Votre grand chef l'a fait avant vous. Bien d'autres sont tombés qui se sont glorifiés comme vous le faites. Vous avez l'orgueil du pouvoir. C'est déjà un péché capital.

M. Bouvier. - Un des sept.

M. Guillery. - Vous êtes de plus un catholique bien aveugle et bien étranger aux faits pour un professeur de l’Alma Mater quand vous dites que le catholicisme est, dans l'Europe, la plus grande expression de l'intelligence du monde. Voilà l'Allemagne, la grande, la docte Allemagne qui disparaît, l'Angleterre, l'empire britannique qui s'effondre ; l'Amérique n'est plus rien pour M. le ministre de l'intérieur. (Interruption.)

Il faut convenir, messieurs, qu'on enseigne de belles choses à l’Alma Mater.

- Voix à droite. - Ce n'est pas là un fait personnel.

M. le président. - M. Guillery, vous sortez absolument du fait personnel.

(page 406) M. Guillery. - Pas du tout, M. le président. (Interruption.) Je me défends...

M. le président. - Je ne puis vous permettre de continuer. Vous avez demandé la parole pour un fait personnel.

M. Guillery. - Et je suis dans le fait personnel.

M. le président. - Non, vous n'y êtes plus. C'est au président à apprécier si l'orateur est dans la question.

M. Guillery. - Moi aussi, M. le président, j'ai le droit d'appréciation ; soyez impartial, M. le président, mettez-vous au-dessus des passions de la droite. (Interruption.)

M. le président. - Le président n'a pas de conseils à recevoir.

M. Guillery. - Je vous demande pardon, M. le président, d'ailleurs ils sont tout bienveillants.

M. le président. - Je dois faire observer le règlement.

M. Guillery. -Si vous m'ôtez la parole, il ne me reste plus qu'à me rasseoir. (Interruption.)

M. de Kerckhove. - Je suis vraiment étonné de l'indignation qui anime les honorables préopinants à propos des réserves faites par M. le ministre de l'intérieur sur le compte de la ligue de l'enseignement.

Je comprends que le président de cette institution prenne sa défense ; mais ce que je comprends beaucoup moins, ce sont les arguments dont il se sert. Ainsi, il va jusqu'à prétendre qu'il se trouve dans la ligue de l'enseignement des membres du clergé.

M. Guillery. - Je n'ai pas parlé du clergé catholique.

M. de Kerckhove. - Soit. Mais l'honorable membre qui s'indigne si fort qu'on ose soupçonner la ligue de l'enseignement ignore peut-être comment cette société est appréciée dans les rangs d'une autre institution un peu plus avancée, celle-là, et dont l'honorable M. Guillery ne se soucierait pas beaucoup d'être président. Je veux parler de la Libre pensée. (Interruption.) Je crois que sur le compte de la Libre pensée nous sommes à peu près tous d'accord. (Interruption.)

Eh bien, messieurs, je trouve précisément, dans un rapport publié dernièrement par la société de la Libre pensée, un renseignement qui me paraît assez précieux pour la discussion dans laquelle nous sommes engagés.

La société de la Libre pensée ne cache pas son drapeau ni ses idées, et nous devons lui en savoir gré. C'est au moins de la franchise, et sous ce rapport, elle a, à mes yeux, un mérite que n'a pas tout à fait la Ligue de l'enseignement.

Quoi qu'il en soit, voici ce que nous dit le rapport de la Libre pensée :

« La Ligue de l'enseignement, constituée par votre société, » - veuillez remarquer que le rapport s'adresse aux membres de la Libre pensée, - « et inspirée de vos idées, est devenue une institution universelle... etc. »

Maintenant je me demande si un ministre de l'intérieur, dans un pays, je ne dirai pas catholique, mais seulement chrétien, dans un pays où certaines croyances sont encore jugées nécessaires pour le maintien de la famille et de l'ordre social, si un tel ministre peut permettre aux instituteurs de s'affilier à une société qui fait ouvertement profession d'irréligion et même, je dirai le mot, d'athéisme ?

Du reste, messieurs, on vient nous affirmer que la Ligue de l'enseignement n'a d'autre but que la diffusion de l'enseignement, la réforme des méthodes, et je ne sais quoi encore. Et cependant, cette société nous a fait, dans les principales villes du pays, des conférences très accentuées où l'injure était prodiguée aux catholiques, au dogme catholique et à l'enseignement catholique. C'est-la liberté, dira-t-on. La liberté ! messieurs. Entendons-nous, s'il vous plaît !

Sans doute, il faut bien tolérer la différence des opinions chez l'instituteur ; c'est la liberté, mais je n'admets pas, je n'admettrai jamais cette lutte à outrance contre les croyances de la grande majorité de la population, de cette population qui, disons le mot, paye l'instituteur.

Quant à moi, je le déclare hautement, si un ministre tolérait une chose pareille, je protesterais contre lui de toutes mes forces et en toute occasion. Oh ! je comprends que vous, membres de la Ligue de l'enseignement, vous ayez vos écoles, que vous y enseigniez tout ce qui vous conviendra, voire même l'athéisme, c'est votre affaire ; mais nous n'entendons pas, nous catholiques, soutenir et payer un enseignement qui nous blesse, nous insulte, nous outrage chaque jour. Ce serait trop absurde, ce serait immoral.

M. Guillery. - L'honorable M. de Kerckhove a fait appel à la franchise et il a eu bien raison, car il a été, quant à lui, parfaitement sincère. Mais il a fait à la Ligue de l’enseignement un reproche que je ne puis laisser passer sans réponse.

Il a plu à une société que je ne connais que de nom et dont je fais autant partie que M. de Kerckhove...

M. de Kerckhove. - Je le sais.

M. Guillery. - Eh bien, alors si vous le savez, vous n'auriez pas dû dire ce que vous avez dit.

M. de Kerckhove.—J'ai lu le rapport.

M. Guillery. - Vous n'auriez pas dû en tirer la conclusion que vous en avez déduite.

L'honorable M. Delcour a parlé de ce sentiment religieux qui relève l'homme et assure son indépendance ; je ne lui reconnais pas le droit de dire à l'un de ses collègues qu'il n'a pas autant que lui le sentiment religieux. La conscience est un sanctuaire où il n'a pas le droit de pénétrer.

M. de Kerckhove. - Je n'ai pas dit cela.

M. Guillery. - Il ne s'agit pas de vous, mon honorable collègue ; je parle de l'honorable ancien professeur de l’Alma mater, qui a donné sa démission. Nous avons le droit de protester contre ce système des catholiques politiques, qui font de la religion un instrument politique et qui soutiennent qu'on n'a le sentiment religieux que quand on émane de l'épiscopat. Le sentiment religieux, qui élève l'homme vers Dieu, n'est pas de notre compétence, et il y a entre ce sentiment religieux, qui soutenait les chrétiens dans les catacombes et l'exploitation de la religion en faveur d'un parti politique, il y a la différence de tout un monde ; il y a la différence qui existe entre la religion du cœur et ceux qui l'ont exploitée à leur profit.

Quant à la Ligue de l'enseignement, il paraît qu'elle renferme dans son sein des libres penseurs. Mais, messieurs, la Ligue de l’enseignement est une société libre ; personne en y entrant ne doit faire la profession de foi qu'on fait à l'université de Louvain : tous les membres restent libres de leur opinion, qu'ils appartiennent à la libre pensée, à la religion réformée, à la religion israélite ou à la religion catholique, peu importe. Le seul but de la Ligue de l'enseignement, c'est de propager l'enseignement dans le pays, c'est de combattre l'ignorance et, comme telle, c'est une société dont on a le droit de faire partie, quand on est instituteur.

Le professeur a des devoirs à remplir. Oui, quand il est à l'école, quand il enseigne. Mais en dehors de l'école, aucun esclavage ne doit peser sur lui. Il doit être libre, il doit pouvoir professer ses opinions politiques ou religieuses, il doit pouvoir dire ce qu'il pense, il doit être un homme.

Comment ! la Belgique serait partagée entre deux espèces d'hommes : ceux qui, étant catholiques, sont libres de tout dire et de tout faire, et ceux qui, n'étant pas catholiques, n'ont plus aucun droit, sont de véritables ilotes. Comment ! je ne croirai pas à la religion catholique ; je croirai qu'elle enseigne des doctrines fausses et je ne jouirai plus d'aucune liberté !... Mon voisin, instituteur catholique, pourra dire tout ce qu'il pense, et moi, parce que je ne partage pas ses opinions, parce que je crois qu'il y a des objections à faire, je devrai enchaîner ma parole ; ma bouche sera fermée et je ne peux pas faire partie d'une association, parce que cette association n'appartient pas au parti catholique ! Cette façon de diviser un pays entre des gens libres de tout faire et des ilotes, je ne l'accepterai jamais, fût-elle pratiquée par un ministère impartial et modéré.

M. le président. - Ordinairement nos séances du samedi se terminent plus tôt. Il est cinq heures moins un quart. La Chambre veut-elle remettre, la discussion à mardi ?

- Des membres. - Oui ! oui !

- D'autres membres. - Non ! non ! continuons.

M. le président. - La parole est à M. Bara.

M. Bara.- Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire, c'est que je ne puis pas admettre les tendances de l'honorable ministre de l'intérieur, surtout s'il se dit d'accord avec l'honorable M. de Kerckhove.

L'honorable M. de Kerckhove a nettement déclaré que, dans l'enseignement, tous les professeurs devraient, en matière religieuse, avoir les mêmes idées que le ministère et le clergé. (Interruption.)

M. de Kerckhove. - Je n'ai pas dit cela.

M. Van Wambeke. - Il n'en a pas dit un mot.

M. Bara. - Je formule mon appréciation.

M. de Kerckhove. - Vous dénaturez mes paroles.

M. Bara. - Du tout, ce sont vos tendances.

M. de Kerckhove. - C'est un procès de tendance.

M. Bara. - Permettez-moi de m'expliquer. Si vous voulez parler en même temps que moi, nous ne pourrons aboutir.

M. de Kerckhove. - Je parlerai après.

(page 407) M. Bara. -- Vous parlerez après. J'en serai très flatté.

D'après M. de Kerckhove et d'après ce que j'ai pu comprendre du discours de l'honorable ministre de l'intérieur, un membre du corps enseignant doit absolument avoir des opinions catholiques et s'il a d'autres opinions il ne peut pas enseigner. Je ne puis pas admettre cette thèse ; elle n'est ni plus ni moins que le renversement de la Constitution.

Aux termes de la Constitution, tout Belge, sans distinction de religion, peut exercer les fonctions publiques, celles d'instituteur comme toutes les autres.

Et remarquez, messieurs, que l'on a pas eu le pouvoir, par la loi de 1842, de corriger la Constitution et de dire : « Les catholiques seuls sont admissibles aux fonctions d'instituteurs. » La loi n'a pu faire cela et elle ne l'a pas fait. Je le démontrerai au besoin. Or, d'après l'honorable M. Delcour, c'est ainsi que la loi de 1842 devrait être appliquée.

Eh bien, si un conseil communal nommait comme instituteur un protestant ou même un libre penseur, vous ne pourriez pas vous y opposer sans froisser les principes d'égalité qui existent dans la Constitution. (Interruption.)

Supposons qu'un professeur de l'enseignement primaire soit un protestant érudit, et attaque la religion catholique dans une revue et en termes très convenables, vous ne pourriez sévir contre ce professeur. L'honorable M. de Kerckhove est d'un autre avis et dit : Nous ne pouvons pas payer un homme qui attaque nos croyances.

Eh bien, si cette doctrine est vraie, si elle est applicable, je demande quelle espèce de droits peuvent avoir les personnes qui n'appartiennent pas à la religion catholique ?

Et remarquez qu'en Belgique on n'est catholique que quand on fait tout ce que les évoques ordonnent. Les meilleurs catholiques ne le sont plus quand il plaît aux évêques.

Votre doctrine a donc pour conséquence de remettre au clergé la nomination des instituteurs, puisque le clergé seul s'arroge, bien à tort, selon moi, le droit de diviser les Belges en catholiques et en non-catholiques.

Il ne suffît pas de se dire catholique, pour l'être vis-à-vis de l'épiscopat ; il faut encore qu'on ait été reconnu comme tel par lui ; j'en citerai un exemple, alors même que des personnes disent vouloir mourir en catholiques, elles sont exclues des secours de l'Eglise, quand le clergé dit que ces personnes ne le sont pas.

C'est donc le clergé qui décide si vous êtes catholique ou si vous ne l'êtes pas.

Vous allez livrer tous les instituteurs du pays au clergé ; voilà où vous conduit le système de M. de Kerckhove, si vous ne le condamnez pas, si vous laissez passer les hérésies constitutionnelles de l'honorable M. de Kerckhove sans protester.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur protestera... (Interruption.) N'espérez pas, me dit l'honorable M. Guillery. Certes, messieurs, je ne l'espère pas.

L'honorable ministre paraissait s'étonner de tout ce qui se passe ; moi, je ne m'en étonne pas ; je m'étonne même de son étonnement. On devait s'attendre à ce que les cléricaux au pouvoir n'auraient aucun respect pour la liberté de conscience.

Vous voyez que le soulagement universel, dont on parlait jadis, commence à devenir un embarras universel. (Interruption.)

Les libéraux n'ont rien à attendre du ministère clérical. Il ne nommera ni un dissident, ni un libéral, même de religion catholique. Il écartera de l’enseignement tous les libéraux.

Le clergé est tellement pénétré de cette vérité qu'à l'heure qu'il est, il agit par lui-même, sans passer par le gouvernement ; il exerce sur l'instituteur la pression la plus vive ; il le menace.

Ainsi, il est à ma connaissance qu'un curé d'une très grande commune du pays a écrit à l'instituteur, qui est franc-maçon : « Je vous invite à venir dans les trois jours déposer à la cure vos insignes maçonniques ; et si vous ne le faites pas, vous serez destitué. »

M. Bouvier. - Où allons-nous ?

M. Bara. - A des situations prévues, conséquences inévitables de notre défaite. Le clergé se croit tout-puissant. Craint-il d'être désavoué par l'honorable M. Delcour ? Il sait bien que non. L'honorable ministre de l'intérieur disait tout à l'heure : « Nous, ministres des évêques, allons donc ! »

Oui, M. le ministre, vous êtes le ministre de l'épiscopat. Le clergé sait parfaitement que vous ne pouvez rien contre lui, il est plus fort que vous ; vous ne pouvez que mettre votre signature au bas des arrêtés qu'il vous présente. (Interruption.)

Je ne parle pas de votre liberté individuelle et morale ; vous avez accepté cette situation, vous êtes de bonne foi ; mais oseriez-vous soutenir sérieusement que si vous vous représentiez dans vos arrondissements, ayant contre vous le clergé, vous réussiriez ? (Interruptions à droite.) Vous diminuez la valeur des appuis qui vous soutiennent, vous allez tourner contre vous le clergé qui va se dire : Voilà des ingrats qui nous doivent tout et qui prétendent ne nous devoir rien. Eh bien, si vous croyez pouvoir vous passer du clergé, je ne vous dis qu'un seul mot : Essayez.

M. Van Wambeke. - Si vous aviez les loges contre vous, vous ne réussiriez pas non plus...

M. Bara. - Les loges... Mais en admettant que les loges nous soutiennent, les loges c'est nous-mêmes et vous, vous n'êtes pas le clergé.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Nous sommes le parti catholique.

M. Bara. - Les loges, mais ce sont vos associations conservatrices. Ce seraient des moyens de faire les élections si les loges s'en occupaient, mais je nie qu'elles s'en occupent. (Interruption de M. de Kerckhove.)

M. de Kerckhove paraît tout connaître ; il est probablement maçon. (Interruption.)

- Une voix à gauche. - Il l'a été !

M. Bara. - Eh bien, messieurs, je dis que vous êtes ingrats envers le clergé et qu'on a parfaitement le droit, sans porter atteinte à votre dignité ni à votre honneur, de prétendre, que vous, êtes sous la puissance du clergé. (Interruption.) Qu'il y ait homogénéité de vues entre vous et l'épiscopat, c'est possible ; mais ne vous récriez pas quand on affirme que vous voulez ce que l'épiscopat veut. (Interruption à droite.)

Est-ce que vous ne le voudriez pas, par hasard ? (Interruption.) Vous le voulez ! vous le voyez bien ! (Interruption.) Eh bien, de quoi vous plaignez-vous, quand on dit que vous êtes le ministère des évêques ?

Messieurs, je termine. J'engage mes honorables amis de la gauche à ne pas trop se fâcher contre les actes du ministère. Ils en verront bien d'autres. Les nominations cléricales ne sont que l'eau qui coule à la rivière. Cela arrivera tous les jours et les libéraux seront mis de côté.

L'honorable M. Malou viendra contester, c'est son rôle.

Il fera de la modération en paroles ; il se représentera comme le ministre le plus doux, le plus impartial, le plus modéré que le monde ait jamais vu. Il sera tout miel, mais, au fond, il sera, comme je vous le dis, l'adversaire de tous les libéraux. De belles paroles, mais des actes administratifs très douloureux, très énergiques, très nets et très exclusifs contre les libéraux. Nous devons supporter cela. Nous sommes les vaincus. Nous nous résignons à l'être. (Interruption.)

M. Van Wambeke. -Nous avons été pendant si longtemps vaincus et exclus de toute fonction.

M. Bara. - Vous avez été les vaincus, M. Van Wambeke ; mais je ne crois pas que, dans l'opposition, vous teniez le langage que je tiens ici. Vous ne vous résigniez pas du tout. Vous veniez ici nous attaquer très vivement à chaque nomination.

Je dis donc à l'honorable M. Guillery : Vous vous étonnez de cette exclusion ; je la trouve naturelle et logique.

Je ne m'attends pas à autre chose. Il est clair et net qu'un ancien professeur de l'université de Louvain ne va pas nommer des libéraux et donner quelque liberté politique aux instituteurs.

Il ne va pas démentir, lui qui a été constamment en rapport avec les évêques, tout son passé, tous ses enseignements, pour tolérer dans le personnel enseignant des personnes qui froissent l'opinion catholique.

Donc, je dis à mes honorables amis de la gauche : Patientons, attendons. Sous le régime actuel, nous devions craindre bien d'autres actes.

M. Delcour, lui, n'est pas encore responsable de grand-chose ; il arrive. Sous le ministère précédent, on a vu bien autre chose. Toutes les nominations ont été cléricales ; vous n'avez pas idée de ce qu'a fait ce ministère, et c'était un ministère qui allait rétablir l'égalité entre tous les Belges, sans distinction d'opinions politiques ! (Interruption.)

Nous vous montrerons plus tard ce qu'il a fait, et vous verrez que mes paroles sont en dessous de la vérité. Mais, encore une fois, prenons patience ; nous devons nous attendre à ce que la liberté de conscience ne soit plus qu'un vain mot en Belgique. Il est impossible, sous un ministère dépendant de l'épiscopat, que les citoyens qui ne font pas de la politique cléricale jouissent des droits garantis à tous les Belges.

Et du reste l'honorable M. Malou ne me démentira pas, car il a siégé dans un ministère à côté d'un homme, M. le baron d'Anethan, qui a déclaré nettement, en plein Sénat, que jamais il ne conférerait aucune fonction à quiconque aurait fait acte d'hostilité contre le gouvernement.

Le pays jugera : si cela lui plaît, il vous maintiendra au pouvoir ; si cela le fatigue, il renverra le ministère aux évêques. (Interruption.)

(page 408) M. Malou, ministre des finances. - Il me semble, messieurs, que nous sommes bien loin de l'objet primordial du débat. Deux questions sont réellement soulevées : l'une se rapporte à l'enseignement primaire et au degré de liberté qu'il est politiquement et socialement utile de reconnaître à l'instituteur ; l'autre est un procès de tendances politiques.

Messieurs, s'il m'était permis de résumer la première partie de ce débat, je dirais que personne dans cette enceinte ne proclame la liberté absolue de l'instituteur.

Mais, où est la limite, où doit-elle être ?

Je comprends parfaitement que des membres la placent où elle ne doit pas être, parce qu'ils sont sous la préoccupation que loi de 1842 doit disparaître.

Et, en effet, vous l'avez entendu, ce n'est pas seulement de la liberté de l'instituteur qu'il est question ; il s'agit encore de savoir si le système de la loi de 1842 doit être maintenu.

Messieurs, la liberté d'attaquer le principe de la loi de 1842, de chercher à la faire abroger, existe incontestablement pour les membres de la législature, mais pour le gouvernement, tant que la loi de 1842 existera, la liberté de ne pas l'exécuter n'existe pas.

Cette loi est fondée sur le principe social. Je viens d'en relire l'article 6 d'après lequel l'atmosphère de l'école doit être religieuse.

On a voulu concilier ce principe et, dans le fait, il se concilie avec le principe de la liberté des cultes, parce que la loi a voulu que les dissidents ne fussent pas tenus de suivre l'enseignement de la religion et de la morale.

Voilà la loi. Il n'appartient ni au gouvernement ni à la Chambre de se mettre au-dessus de la loi, qui ne peut être défaite que par une autre loi.

La limite de la liberté de l'instituteur, où est-elle ? On pourrait, pendant une, deux, dix séances, poser des questions, préciser des faits ; on pourrait interroger M. le ministre de l'intérieur sur tous ces faits, transformer le gouvernement parlementaire en gouvernement interrogatif, qu'on ne serait pas plus avancé. Il serait toujours incertain, après de longs débats, si un seul de ces faits se produira dans la vie réelle avec le caractère qu'on y aurait donné.

Une chose est pour moi incontestable et le sera pour tous ceux qui passeront au pouvoir ; on ne peut considérer celui qui accepte un mandat public comme n'ayant pas abdiqué au moins une partie de sa liberté personnelle.

Faut-il que les instituteurs puissent user dans toute leur plénitude de tous les droits du citoyen, de telle sorte que la hiérarchie, l'ordre, l'exécution régulière de la loi viennent à disparaître ?

Non ! personne ne peut le vouloir.

Je ne discute pas les faits spéciaux relatifs à la Ligue de l'enseignement.

L'honorable M. Guillery, à plus d'une reprise, a singulièrement forcé le sens de l'observation qui a été présentée par mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur.

Mon honorable collègue a dit et répété qu'en fait on avait constaté plusieurs fois, - ce que l'honorable membre traduit par : toutes les fois, - qu'on avait constaté plusieurs fois que la discipline, la subordination, la hiérarchie avaient disparu à l'égard de certains instituteurs qui faisaient partie de cette association.

Eh bien, je n'hésite pas à dire qu'il faut, si l'on veut que l'instruction primaire se propage et progresse, maintenir l'exécution complète, loyale et large des principes delà loi de 1842.

La liberté existe en dehors, elle peut faire d'autres tentative. La liberté, ne l'oublions pas, en matière d'enseignement primaire, a une belle part à revendiquer en Belgique à côté de la loi. La liberté catholique, la liberté chrétienne et même la liberté des cultes dissidents sont devenues aussi des auxiliaires de l'action officielle pour propager l'instruction primaire.

Chacun de nous, et c'est l'honneur de nos institutions, peut faire des efforts comme la Ligue de l'enseignement. Mais ce que personne n'a le droit de demander c'est que le gouvernement méconnaisse le texte, méconnaisse l'esprit d'une loi qui existe et qu'il est tenu de faire exécuter.

Maintenant, messieurs, un mot sur la seconde partie, et qu'on me permette de l'appeler la partie parasite du débat. A quoi aboutissent les théories de nos adversaires ? Vous n'êtes pas un parti politique, nous dit-on ; vous êtes un parti religieux et vous êtes indignes du pouvoir. Messieurs, je laisse aux honorables membres la liberté de ces appréciations ; ils peuvent critiquer tous nos actes, mais ils ne sont pas les juges de notre conscience et de notre pensée ; nous ne connaissons qu'un seul juge, c'est celui qui a créé la majorité actuelle, c'est celui qui l'a maintenue dans des épreuves qu'elle a eu à traverser.

Nous sommes un parti politique. Ces vieilles accusations, je ne veux pas dire calomnies, car je crois que le mot ne doit pas devenir parlementaire, mais ces vieilles accusations d'abdiquer notre indépendance personnelle, d'abdiquer toute liberté d'esprit parce que nous sommes attachés à la religion de nos pères, lorsque notre opinion a traversé tant de fois le pouvoir en maintenant intactes toutes les libertés constitutionnelles, étaient, me semblait-il, surannées et je ne pouvais croire qu'elles se produiraient encore.

Messieurs, d'honorables membres nous ont dit : Nous vous connaissons assez pour croire que jamais vous ne nommerez un de nos adversaires politiques.

Eh bien, nous, nous aspirons à nous différencier d'avec vous en ne suivant pas cette politique-là et déjà nous l'avons fait et chaque jour nous le faisons.

Nous croyons que les partis acquièrent une force plus réelle qu'en pratiquant cette politique d'exclusion.

Nous croyons qu'il y a pour nous, pour notre opinion, pour les convictions que nous défendons, une plus grande source de force que dans cet esprit étroit et exclusif qui demande à celui qui veut devenir magistrat, par exemple, non pas s'il est le plus digne et le plus capable, mais quelles sont ses opinions politiques ou quelles sont ses opinions religieuses. (Interruption.)

- Des membres. - Très bien ! très bien !

M. Malou, ministre des finances. - Vous me demandez : Quelles sont mes opinions, quelles sont mes convictions, ce que nous entendons faire ? Eh bien, je vous le dis et je vous promets que cela sera ainsi.

M. Vleminckx. - M. d'Anethan ne parlait pas ainsi.

M. Malou, ministre des finances. - Je dis que nous faisons et entendons faire, avec impartialité, les nominations, notamment dans l'ordre judiciaire.

M. Bara. - Vous désavouez M. Cornesse ?

M. Wasseige. - Nullement, c'est M. Cornesse qui a nommé M. Van Schoor.

M. Malou, ministre des finances. - Je ne désavoue personne. C'est une chose incroyable que cette tendance ; je dirai plus : c'est une chose intolérable. Vous demandez à ceux qui représentent en ce moment le pouvoir ce qui se passe, quelles sont nos aspirations et nos tendances ; et vous voulez m'entraîner à discuter tout le passé, le vôtre peut-être compris, quoique vous ne l'ayez pas directement demandé et qu'il vaille peut-être mieux ne pas le faire.

Messieurs, je me borne à ces simples observations. L'heure de la séance est très avancée ; je crois avoir résumé en quelques mots quel est le double caractère de ce débat. Quant au premier point, nous avons l'intention de maintenir franchement, loyalement, selon l'esprit dans lequel elle a été conçue, l'exécution de la loi de 1842, dans l'intérêt même du progrès de l'enseignement primaire. Quant à la seconde question, nous avons la prétention d'être au pouvoir un gouvernement et non pas un parti.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.