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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 janvier 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 341) M. Wouters fait l'appel nominal à 2 heures et un quart,

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Balthazart, soldat au 8ème régiment de ligne, demande de pouvoir rentrer dans ses foyers avec la classe de 1869. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des imprimeurs, typographes et fabricants de papier, à Bruxelles, se plaignent du régime que l'on fait subir à l'importation, en France, des livres, papiers ou imprimés quelconques. »

M. Couvreur. - Je demande le renvoi à la commission de l'industrie, avec prière de nous présenter un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants du canton d'Houffalize demandent que la station de Courtil soit ouverte aux marchandises. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Leclercq prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à faire accorder aux employés inférieurs du département des finances une indemnité ou une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Hombourg prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »

« Même demande des membres de l'administration communale de Ryckel, Eben-Emael, Overrepen, Melckwcser, Heelenbosch, Millen, Voordt, Hamme-Mille et Grand-Jamine. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur De Bleid demande que le projet de loi modifiant la loi d'accise sur le sucre contienne une disposition accordant la restitution de 10 francs dé droit perçu aux 100 kilogrammes de glucose fabriquée lorsqu'elle sera exportée. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« M. Hagemans, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé de huit jours. »

- Accordé.


« M. de Theux, également obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Projet de loi accordant un crédit spécial de 16,080,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article 2.

M. Demeur. - Lorsque, au mois de novembre dernier, le gouvernement déposa le projet que nous discutons en ce moment, l'article 2 de ce projet, qui détermine les moyens de couvrir la dépense, était ainsi conçu : « Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires. »

Le 114janvier, lorsque la discussion s'ouvrit dans cette Chambre, l'amendement suivant à l'article 2 fut proposé par le nouveau ministre des finances : « Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires ou de l'émission de bons dû trésor. Les bons du trésor pourront être émis à des échéances diverses sans que l'échéance la plus longue dépasse cinq ans. »

Quelle est, messieurs, la portée de cette modification ? Quelle en est la raison ? Est-elle nécessaire ?

Il s'agit, d'après l'amendement, d'autoriser le gouvernement à contracter un emprunt de seize millions. Je dis : à contracter un emprunt de seize millions ; car l'émission de bons du trésor n'est autre chose qu'un emprunt et les bons du trésor dont il s'agit pourront être émis pour cinq ans, alors que d'habitude ces bons sont émis pour un an.

Les ressources du trésor, aujourd'hui à notre disposition, sont insuffisantes pour subvenir à la dépense que la Chambre va voter ; il nous faut un emprunt. Voilà la portée naturelle de l'amendement.

Cependant, messieurs, il y a six mois à peine, la Chambre a voté un emprunt de 50 millions.

Aussi quand l'ancien cabinet a présenté le projet actuel, il ne croyait pas avoir besoin de nouvelles ressources : il comptait trouver dans l'emprunt et dans les ressources du budget les sommes nécessaires pour faire face a la dépense.

Est-il survenu un changement dans la situation, depuis le 14 novembre, qui motive la nouvelle rédaction proposée par M. Malou ? Je ne le crois pas. S'il y a un changement, c'est une amélioration notable dans la situation du trésor public. Ce matin, messieurs, le Moniteur nous a mis à même de constater cette amélioration notable. Nous avons reçu un tableau, publié par le ministère des finances, et indiquant le résultat comparatif du produit des impôts directs et indirects pendant les années 1870 et 1871. Que constate ce document ? Nous y voyons que, pour l'année 1871, et rien que pour les impôts indirects, les recouvrements effectués dépassent de 25 millions et demi les évaluations du budget.

J'ai donc raison de dire que depuis la présentation du projet primitif il y a eu un changement dans le sens d'une amélioration, et je ne connais aucune circonstance qui se soit produite depuis le 14 novembre et qui ait empiré, à quelque point de vue, la situation, à moins que ce ne soit l'arrivée de M. Malou au pouvoir.

Aussi, messieurs, M. le ministre des finances a cru devoir, dans la discussion générale du projet, vous exposer la situation du trésor. Il l'a exposée sommairement, mais de manière cependant qu'on puisse parfaitement la comprendre, et en vue sans doute de prouver qu'il y a nécessité d'autoriser le gouvernement à émettre des bons du trésor.

Mais, messieurs, la conclusion à tirer de l'exposé de la situation du trésor public, qui a été donnée par M. le ministre des finances, conduit précisément à la conclusion contraire à laquelle il a abouti ; je vous en fais juges.

Je ne veux pas revenir sur tous les chiffres de cet exposé ; mais à l'aide des trois ou quatre chiffres les plus importants, je pense que chacun de vous sera à même de comprendre qu'il n'y a pas lieu, dans la situation financière actuelle, de recourir à une émission de bons du trésor.-

M. le ministre des finances constate qu'au 1er janvier 1871, la réserve du trésor public s'élevait à 39,6 millions de francs.

Pour l'exercice 1871, il estime les excédants de recettes, d'abord sur les services ordinaires à 15,5 millions de francs, et sur les services spéciaux à 21,9 millions de francs. De telle sorte, qu'au 1er janvier de cette année, la réserve du trésor public était de 74 millions de francs.

Mais, à cette même date, le trésor public avait des engagements, ou du moins le gouvernement avait été autorisé à faire certains travaux d'utilité publique. M. le ministre des finances vous a dit quel était, à la date du (page 342) 1er janvier 1872, le montant des crédits encore ouverts à cette fin dans les différents départements ministériels. Les crédits spéciaux encore ouverts s'élevaient, d'après M. le ministre, à 64 millions.

Voilà la situation du trésor résumée au 1er janvier 1872 : la réserve du trésor public excédait de 10 millions tous les crédits spéciaux disponibles à cette date.

En ce qui concerne l'année courante, M. le ministre a donné ses prévisions. Toutes les dépenses de quelque nature qu'elles soient, résultant du budget ou de crédits supplémentaires ou de crédits spéciaux, seront couvertes par les recettes probables de l'année courante et au delà. D'après M. le ministre, les recettes de l'année courante excéderont de 4 millions tous les crédits votés et à voter cette année.

Ainsi, messieurs, au 1er janvier 1872, nous avions un excédant de 10 millions et, en ce qui concerne l'année courante, M. le ministre constate un excédant probable de 4 millions, ce qui fait un excédant de 14 millions à la fin de l'année.

J'accepte ces chiffres et je dis : Si vous êtes en face de cet excédant, pourquoi demandez-vous l'autorisation d'émettre des bons du trésor ?

Mais, messieurs, si j'accepte ces chiffres, je dois les accompagner de deux observations. Voici la première : nous n'aurons qu'un excédant de 14 millions à la fin de l'année, mais c'est dans l'hypothèse que tous les crédits qui étaient ouverts au 1er janvier et ceux qui seront ouverts dans le courant de l'année soient épuisés avant la fin de l'année.

L'ensemble de ces crédits s'élèvera, d'après M. le ministre, à 82 1/2 millions, mais ces 82 1/2 millions ne seront pas dépensés au 31 décembre prochain, tant s'en faut.

Nous pouvons dire approximativement quelles sommes seront dépensées sur ces crédits.

ïl suffit pour cela de constater ce qui s'est passé pendant les années précédentes.

Si nous prenons, par exemple, l'exercice 1870, nous voyons que la somme des crédits qui étaient disponibles au 1er janvier 1870 et ceux qui ont été alloués dans le courant de la même année, se sont élevés à une somme à peu près égale à celle que nous aurons pour l'année 1872, c'est-à-dire à 85 millions.

Or, sur ces 85 millions, en 1870, on a dépensé 25 millions.

En 1869, en 1868 et en 1867, la moyenne annuelle de la dépense sur les crédits spéciaux n'a pas dépassé 24 millions.

L'année 1866 a été une année exceptionnelle. Les crédits spéciaux ont absorbé, en 1866, plus de 37 millions.

Je suppose que le gouvernement, en 1872, dépense, sur les crédits spéciaux, jusqu'à 42 1/2 millions. Il nous resterait donc, sur les 82 1/2 millions de crédits ouverts et à ouvrir, 40 millions de disponibles. C'est 40 millions à ajouter à la fin de l'année, à l'excédant que nous a signalé M. le ministre des finances, de sorte que nous aurions un excédant de 54 millions.

Voici la seconde observation que j'attache à l'exposé de la situation fait par M. le ministre des finances. Déjà, pour bon nombre des crédits dont il s'agit, nous avons autorisé des émissions de bons du trésor. J'ignore à quel chiffre s'élèvent encore aujourd'hui ces autorisations. M. le ministre des finances seul pourrait nous le faire savoir. Je constate que, dans son exposé, il n'en a pas tenu compte.

Peur moi, il n'existe aucun doute que, dans la pensée de l'honorable ministre des finances actuel non plus que dans la pensée de son prédécesseur, il n'y a pas lieu, eu égard à la situation financière de l'Etat, d'autoriser une émission de bons du trésor, et ce n'est pas en vue de pourvoir à la dépense que nous sommes appelés à voter qu'il vous demande cette autorisation. Je dirai même que cela résulte implicitement du discours qu'il a prononcé.

Pour quel motif nous demande-t-on cette autorisation ? Ce motif me paraît indiqué dans un alinéa du discours de M. le ministre des finances, que je vous demande la permission de lire :

« Messieurs, très souvent quand les dépenses de cette nature ont été présentées et même des dépenses beaucoup moindres dans des circonstances analogues à celles-ci, on a cru prudent de donner à M. le ministre des finances, si belle que fût la situation financière, cette faculté d'émettre des bons du trésor. Nous avons le bonheur d'avoir, depuis longtemps, comme vous le savez, un encaisse très fort ; c'est une excellente situation qu'il faut savoir maintenir. Nous avons tous l'espoir qu'aucun orage ne se produira au dehors, mais personne de nous ne peut en avoir la certitude. »

Ainsi ce n'est pas, comme je le disais tout à l'heure, pour les dépenses que nous sommes appelés à voter en ce moment, que l'autorisation d'émettre des bons du trésor est demandée, c'est pour des éventualités qui peuvent se produire.

Ce passage du discours de l'honorable ministre des finances soulève une des questions les plus graves dont la législature puisse avoir à s'occuper.

Il s'agit de savoir ce que ferait l'Etat belge, au point de vue financier, le jour où un péril éminent surgirait pour lui à l'improviste.

A ce moment notre pays peut avoir besoin de ressources extraordinaires ; où les trouverait-il ?

Cette question est une de celles qu'il faut débattre dans le calme et pour la solution de laquelle il ne faut pas attendre qu'elle soit soulevée par les événements ; je dirai plus, c'est une question qui devrait être résolue par la loi ; elle touche à l'existence même de notre nationalité, et pour la résoudre, ce n'est pas trop du concours de tous les pouvoirs.

Cette question a reçu, en Prusse, une solution différente de celle qu'elle recevra sans doute jamais dans notre pays. Là, on a institué ce qu'on appelle le trésor de l'Etat.

En 1866, au jour où la guerre éclata entre l'Autriche et la Prusse, le trésor de l'Etat mit à la disposition du gouvernement une somme de 17 1/2 millions de thalers. La guerre de 1866 était à peine terminée, qu'une loi reconstituait le trésor de l'Etat et relevait même à 27 1/2 millions de thalers.

Tout récemment le parlement allemand a voté une nouvelle loi sur cette matière. Je dois dire que je ne connais pas les termes de la dernière loi qui a été votée. Quoi qu'il en soit, dans ce pays la question a été résolue, et elle a été résolue par une loi.

En Belgique, la question a surgi aussi et on a tenté de la résoudre. On l'a tenté en quelque sorte par voie administrative, avec l'assentiment tacite des Chambres. Comment a-t-on procédé ? En manœuvrant de telle sorte que l'encaisse métallique-de l'Etat, chez son caissier, se montât à un chiffre élevé. L'encaisse de l'Etat qui est destiné à subvenir au service de la trésorerie pourrait, s'il n'avait en vue que ce seul service, être réduit à une somme qu'on peut estimer à 15, 20 ou 25 millions ; je né suis pas à même de fixer exactement le chiffre.

Mais au lieu de ce chiffre modeste, on a élevé l'encaisse à une somme qui a quelquefois atteint près de 100 millions. Ainsi, en 1868, la moyenne de l'encaisse de l'Etat, la moyenne des sommes qui lui étaient dues par son caissier en compte courant, s'est élevée à environ 87 millions et demi pour l'année entière. En 1869, la moyenne a été de 83 millions ; en 1870, elle a été de 76 millions ; et à la fin de juin 1870, à la veille du jour où la guerre a éclaté, l'encaisse était de 90 millions.

On s'est donc dit : Nous laisserons chez notre caissier 40, 50, 60 millions au delà de ce qui est strictement nécessaire pour le service de la trésorerie proprement dit, et, au moment du péril, l'argent sera là ; nous pourrons en disposer et, le cas échéant, sauver le pays.

Voilà la solution qui a été donnée chez nous à ce difficile et important problème.

Or, je me demande si nous devons persister dans cette solution ; il m'a paru, à la lecture du passage du discours de l'honorable M. Malou que j'ai cité tout à l'heure, que telle était sa pensée.

Il nous dit, en effet, qu'il est désirable de maintenir l'encaisse à un chiffre élevé. C'est là, messieurs, ce qui m'a surtout déterminé à prendre la parole, à demander si les bons du trésor qu'on nous propose d'émettre sont destinés, non pas à satisfaire aux besoins à résulter du projet de loi en discussion, - pour lesquels, je l'ai prouvé, nous avons des ressources évidemment suffisantes, - mais a alimenter l'encaisse de l'Etat, en vue de pourvoir à des besoins éventuels.

M. Malou, ministre des finances. - C'est une simple faculté que demande le gouvernement.

M. Demeur. - Sans doute, mais on use des facultés. Ainsi M. le ministre des finances nous a demandé en 1870 l'autorisation d'émettre un emprunt de 50 millions de francs. Il a émis cet emprunt au mois d'août. Eh bien, je voudrais, si je pouvais peser, par le raisonnement, sur la décision de M. le ministre des finances, je voudrais l'amener à chercher une solution à la question qu'il a posée incidemment ailleurs que là où on l'a cherchée. Et pourquoi ? Parce que chaque fois que l'Etat se trouvera dans un besoin extrême, il ne pourra pas disposer, selon son droit, de l'encaisse qu'il aura laborieusement accumulé. On peut trouver, dans l'histoire de notre pays, la démonstration éclatante de ce fait. Nous en avons plusieurs témoignages historiques depuis le jour où le roi Guillaume a concentré les opérations du caissier de l'Etat dans les mains de la banque qu'il a fondée et dont il était le principal actionnaire ; mais la raison, me semble-t-il, doit vous montrer que, dans le cas de péril extrême que l'on doit prévoir, il y aurait impossibilité radicale pour l'Etat de disposer de son encaisse.

(page 343) Et pourquoi ? C'est que cette somme est mise en compte courant chez le caissier de l'Etat, qui, au jour du péril, se trouverait dans une situation non moins difficile, plus difficile que l'Etat lui-même. N'est-il pas évident que ce jour-là, la Banque Nationale aurait des obligations impérieuses à remplir, non moins impérieuses, plus impérieuses, au point de vue financier, que les obligations de l'Etat, puisque ces obligations sont exigibles à vue, au porteur, sur l’heure, d.e obligations plus considérables que les obligations de l'Etat, surtout en tenant compte de ses ressources.

Or, les mêmes sommes étant destinées à la fois à acquitter toutes les obligations de la Banque et à rembourser à l'Etat son encaisse, comment pourraient-elles y subvenir cumulativement ?

Messieurs, je ne veux pas laisser de côté les événements du passé. Il ne faut pas que l'histoire soit vaine pour nous. Je n'ai pas rappelé quelle était la situation du caissier de l'Etat en septembre et octobre 1830. L'honorable M. Malou, qui a écrit l'histoire de la Société Générale, connaît cette situation certainement mieux que moi. Je ne veux pas rappeler quelle a été la situation, en février et mars 1848, et demander si, dans ces deux circonstances, le caissier de l'Etat a rempli ses obligations, ou si c'est l'Etat qui est venu au secours de son caissier. Mais je ne puis pas ne pas parler de ce qui s’est présenté hier, en 1870, dans des circonstances par trop mémorables. Alors la démonstration de l'inefficacité et des dangers du système en vigueur chez nous a été éclatante et il faudrait systématiquement fermer les yeux à la lumière, pour ne pas le reconnaître.

Vous rappelez-vous l'agitation qui s'est produite dans le monde financier, dans le pays entier, lorsqu'on a appris, le 15 juillet, que le gouvernement dans la personne de l'honorable M. Tack, alors ministre des finances, avait non pas réclamé à la Banque l'encaisse de l'Etat, mais avait seulement donné l'ordre de le transférer à Anvers ?

Ce seul fait jetait le désarroi dans le pays. La Banque doublait presque le taux de son escompte, elle prenait des mesures extrêmes, restrictives à la lois de l'escompte et de l'échange des billets.

Je ne veux pas, messieurs, entrer dans les débats qui ont surgi sur le point de savoir si les torts, dans ces circonstances critiques, ont été du côté du gouvernement ou du côté de la Banque, Je me borne à constater une seule chose, c'est que le transfert à Anvers de l'encaisse de l'Etat avait jeté la perturbation dans le pays. L'Etat n'avait pas réclamé son encaisse à la Banque, celle-ci restait en possession de l'encaisse qui était seulement transféré à la succursale d'Anvers, mais ce transfert avait les apparences extérieures d'un dessaisissement, et tout le monde savait que, sans l'encaisse du trésor, la Banque se trouvait dans l'impossibilité de continuer ses opérations d'escompte et de faire face aux demandes de remboursement de ses billets.

L'encaisse de l'Etat était, à la fin de juin 1870, de 90 millions et l'encaisse propre de la Banque était, à la même date, de 95 1/2 millions. C'est au moyen de ces 95 1/2 millions que la Banque devait tout à la fois pourvoir à toutes ses obligations, notamment aux demandes de remboursement sur environ 200 millions de francs de billets en circulation et aux besoins de l'Etat à concurrence des 90 millions de francs, composant l'encaisse du trésor.

Eh bien, qu'aurions-nous vu si l'Etat avait eu besoin, je ne dis pas des 90 millions dont il était le créancier à la fin de juin, mais même de 30 ou de 40 millions ? La Banque Nationale eût été impuissante à les lui donner.

M. Frère-Orban. - Vous êtes dans l'erreur, puisque la Banque avait une somme supérieure rien qu'en valeurs sur l'étranger.

M. Demeur. - Je suis dans l'erreur, me dit l'honorable M. Frère-Orban ; non, je suis dans le vrai et je vais vous en donner une preuve sans réplique.

Voici les procès-verbaux de la commission consultative qui a été instituée alors au département des finances et qui était composée, le 15 juillet 1870, dans sa première séance, de :

M. Tack, ministre des finances ;

M. Malou, sénateur ;

M. de Naeyer, membre de la Chambre des représentants ;

MM, Prévinaire et Bischolfsheim, délégués de la Banque Nationale ;

M. Liedts, délégué de la Société Générale ;

MM. Fortamps et Sabtlier, délégués de la Banque de Belgique, et

M. Mercier, directeur général de la trésorerie et de la dette publique.

Or, que lisons-nous dans le compte rendu de cette première séance ?

« MM. Prévinaire et Bischoffsheim demandent à connaître les dispositions que le gouvernement compte faire sur son encaisse dans un délai rapproché.

« M. le ministre répond qu'il serait difficile de préciser les chiffres ; il pense, toutefois, qu'en dehors des dispositions courantes, il n'y aura pas pour plus de 10 millions de dépenses extraordinaires.

« M. Prévinaire trouve que, dans les circonstances actuelles, ce chiffre est considérable, d'autant plus que les échéances sont déjà insuffisantes pour pourvoir au remboursement des billets et aux besoins de l'escompte.

« M. le ministre prend l'engagement d'aviser la Banque, quelque temps à l'avance, des fortes dispositions que le gouvernement aurait à faire, afin qu'elle puisse régler ses opérations en conséquence.

« M. Malou pense que l'on pourrait également prendre des mesures pour faire rentrer les deniers publics.

« Plusieurs membres discutent la question de savoir s'il faut recourir à une émission de bons du trésor pour renforcer l'encaisse de la Banque.»

N'avais-je donc pas raison de dire que si l'Etat avait eu à demander à la Banque 30 ou 40 millions, celle-ci se fût trouvée dans l'impossibilité de les lui donner ?.

Il y a plus, messieurs. En juillet 1870, au moment de la crise, c'est l'Etat qui a été obligé de venir en aide à son caissier.

A la fin de la première séance de la commission consultative, M. le ministre des finances d'alors résuma comme suit la délibération :

« Il est entendu :

« Que la Banque reviendra publiquement sur les mesures restrictives qu'elle a prises, non pas en déclarant grandes ouvertes les portes de l'escompte, mais en reprenant les errements du passé ; il va sans dire qu'elle écartera tout le papier qui n'a pas une cause commerciale bien caractérisée ou qui ne serait pas réellement belge ;

« Par contre, le gouvernement s'engage à contribuer à l'amélioration de la situation de l'encaisse, en restreignant ses dépenses dans les limites du possible ; ensuite, afin de permettre à la Banque de régler le mouvement de ses opérations, de lui faire connaître, quelque temps à l'avance, le chiffre des dépenses extraordinaires qu'elle aurait à faire pour son compte.

« Enfin, pour soutenir l'encaisse et régulariser, au besoin, la situation de la Banque, le gouvernement ne reculerait pas devant une émission de bons du trésor, ni même devant l'application d'une partie de son encaisse à l'escompte d'effets de commerce du portefeuille de la Banque. »

Remarquez cette dernière partie de la résolution.

L'Etat dit : Non seulement je ferai tout ce que je pourrai pour restreindre mes dépenses, mais en outre, pour soutenir l'encaisse de la Banque, je ne reculerai pas devant une émission de bons du trésor ; bien plus je ne reculerai pas devant l'application d'une partie de mon encaisse à l'escompte des effets de commerce du portefeuille de la Banque !

Et le procès-verbal ajoute :

« L'accord ainsi établi, M. le ministre lève la séance. Il retient MM. Prévinaire et Bischoffsheim pour arrêter en commun les termes de la proposition à faire à la Banque dans le sens de ce qui précède. »

L'Etat va donc prendre l'engagement d'escompter le papier de la Banque !

Voici, en effet, la lettre que M. le ministre des finances de cette époque, M. Tack, écrivit le même jour, 19 juillet, à l'administration de la Banque.

Je ne lis pas tout ce document. J'arrive au passage que je veux citer ;

« J'aviserai, dit le ministre, aux moyens de fortifier encore l'encaisse de l'Etat.

« D'autre part, durant la durée de la crise, j'autorise la Banque à effectuer la conversion, à concurrence de dix millions, maximum, d'une partie de l'avoir du trésor en effets sur la Belgique dont l'échéance moyenne n'excédera pas vingt jours. »

Eh bien, je le demande : si l'Etat avait eu besoin de ses ressources pour la défense nationale, comment aurait-il fait ? Aurait-il pu disposer de son encaisse ? Aurait-il trouvé disponible la somme dont il aurait eu besoin on un moment pareil ?

Ce n'est pas à 10 millions qu'on s'est arrêté. Quelques jours après, le 28 juillet, M. le ministre des finances écrit ce qui suit à la Banque :

« J'avais admis en principe que dix millions de l'encaisse de l'Etat pourraient être convertis, au besoin, en effets commerciaux, sans que l'échéance en dépassât vingt jours.

« Bien que la nécessité de cette conversion ne soit pas immédiate pour la Banque, le gouvernement, voulant lui témoigner combien il désire la rassurer et l'aider, même en engageant sa responsabilité par un acte irrégulier, consent à ce que les valeurs à transférer ainsi s'élèvent à 15 millions de francs, et ne refuse pas d'admettre que les effets de vingt à trente jours y soient compris pour la moitié de la somme totale. »

Ainsi, messieurs, pendant de longues années l'Etat a conservé 70, 75, (page 344) 80 millions dans sa caisse pour en user dans les moments de péril extrême, et ce jour-là, c'est lui qui doit prêter à son caissier !

Je reviens à la question de l'émission de bons du trésor. Je crois même n'être pas sorti de cette question ; car, de deux choses l'une : ou les bons du trésor seront émis immédiatement, et alors ils ne serviront qu'à une chose, à augmenter encore l'encaisse ; c'est une hypothèse. Je ne crois pas que ce soit la pensée de M. le ministre des finances ; il n'émettra pas, je l'espère du moins, d'ici à longtemps, les bons du trésor qu'il réclame l'autorisation d'émettre ; c'est un en-cas, il l'a dit lui-même.

Il y a une seconde hypothèse, c'est celle de l'émission au moment où surgirait une crise ; mais si M. le ministre des finances suit les indications que lui-même a données en 1870, il ne fera pas, l'encaisse étant ce qu'il est, une émission de bons du trésor dans un pareil moment.

Vous venez de le voir, en 1870, alors que l'Etat avait un encaisse considérable, on agitait la question de l'émission de bons du trésor. Eh bien, qu'a dit alors l'honorable M. Malou ? C'était dans la séance de la commission consultative du 25 juillet. M. Bischoffsheim, directeur de la Banque, demandait « si, avant de recourir à des moyens extrêmes, on ne pourrait pas émettre des bons du trésor » ; et l'honorable M. Malou répondait ; « Je ne voudrais exclure aucun moyen, mais je ne puis admettre qu'un gouvernement, qui a 88 millions à son actif, crée des bons du trésor. Quel effet produirait un ministre des finances qui donnerait des promesses à trois mois au lieu d'argent ? »

Eh bien, les promesses dont on nous demande aujourd'hui d'autoriser l'émission ne sont pas des promesses à trois mois ; ce sont des promesses qui peuvent aller jusqu'à cinq ans.

Je dis donc, messieurs, que ni la situation actuelle de nos finances, ni les éventualités auxquelles on a fait allusion n'autorisent, à mon avis, une nouvelle émission de bons du trésor.

Ainsi que je l'ai dit en commençant ; si M. le ministre des finances, en prévision de ces éventualités, voulait être armé, je serais le premier à appuyer un projet de loi qu'il présenterait dans ce sens. Mais il ne faut pas qu'on vienne nous dire : Nous demandons l'émission de bons du trésor pour subvenir à des dépenses, alors que cette émission n'est pas nécessaire ; il ne faut pas que, par ce moyen détourné, on donne un semblant de solution à une question qui touche de si près aux plus grands intérêts du pays.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, l'honorable préopinant a traité deux questions : l'une se rattache directement au projet de loi ; l'autre s'y rattache très difficilement ou très peu. La première consiste à savoir pour quels motifs le gouvernement demande aujourd'hui l'autorisation de couvrir au besoin par une émission de bons du trésor les dépenses qui vous sont proposées. L'autre concerne le système du caissier de l'Etat et du service du trésor public.

Quant à la première, je dirai brièvement à la Chambre les motifs de la proposition qui lui est soumise. Je n'ai à contester, fort heureusement, aucun des chiffres cités par l'honorable préopinant comme déduits de ceux que j'avais précédemment produits pour montrer que la situation du trésor est excellente et que pour tous et pour le ministre des finances en premier lieu, il y a, dans les faits actuels, un légitime espoir de ne pas devoir user de la faculté que le gouvernement vous demande.

Mais, messieurs, alors que nous avons des engagements considérables auxquels nous proposons d'en ajouter d'autres, s'ensuit-il qu'il ne faille jamais prévoir, parce qu'il fait beau aujourd'hui, qu'un autre jour la situation peut être troublée ? Je ne le pense pas et je crois que c'est faire acte de prudence d'autoriser le gouvernement, dans un cas exceptionnel, en présence de nécessités dont en définitive vous serez juges puisque vous avez à apprécier les actes du gouvernement, à émettre une certaine quantité de bons du trésor. J'ai cité un précédent et il est frappant. La situation du trésor était belle, très belle, lorsque, inopinément, la Belgique et l'Europe ont eu de grandes préoccupations qui heureusement n'ont guère duré.

L'honorable M. Frère-Orban, qui avait le pouvoir d'émettre des bons du trésor, y a recouru alors ; c'était pour lui un devoir, c'était une nécessité au point de vue des intérêts publics et si la crise avait duré, il n'y aurait eu qu'une seule voix dans le pays pour approuver cet acte de prudence.

Si la Chambre, dans les diverses lois qui avaient précédé cet incident, n'avait pas donné au gouvernement le droit d'émettre des bons du trésor, demandez-vous si le ministre des finances, obligé de venir alors demander à la Chambre celle faculté-là, n'aurait pas aggravé singulièrement la situation qui d'elle-même présentait déjà des éventualités qui nous impressionnaient tous.

Dans l'histoire du passé, nous devons trouver des enseignements. J'espère que ni moi ni mes honorables successeurs nous n'aurons besoin d'émettre des bons du trésor. Mais je désire que la Chambre donne l'autorisation pour ne pas devoir, si cette nécessité se produit, venir demander alors, dans une situation complètement différente, cette autorisation demandée aujourd'hui et dont j'espère n'avoir pas à user.

L'honorable membre demande si, en vertu des lois antérieures, il n'existe pas de nombreuses autorisations d'émettre des bons du trésor. Je tiens ici le relevé et je crois reconnaître, d'après la nature des dépenses que le gouvernement a été autorisé à couvrir au moyen de bons du trésor, qu'il en est peu et pour de faibles sommes qui n'aient pas été complètement réalisées, c'est-à-dire à l'égard desquelles la faculté d'émettre des bons du trésor existe encore aujourd'hui.

Il me serait impossible, n'ayant pas prévu ce point, de dire exactement ce qui peut rester disponible sur un crédit de 1867, s'élevant à 8,400,000 francs, pour la transformation de l'armement de l'infanterie, ou sur les 5,900,000 francs qui ont été votés par la loi du 15 juin 1868, pour divers travaux d'utilité publique. Ce sont là les plus gros chiffres parmi les lois de crédit qui ont autorisé l'émission de bons du trésor. J'ai lieu de croire, à vue de pays, qu'il n'en reste peut-être, pas la moitié, et que les autorisations doivent se borner aujourd'hui à peu près à 4 ou 5 millions.

Evidemment, à ce point de vue de prudence politique que j'indiquais tout à l'heure, c'est trop peu, et il faut donner l'autorisation au gouvernement par la loi actuelle.

J'ai dit précédemment une autre raison. Il est possible que la situation du trésor dans deux ou trois ans et la prospérité du chemin de fer soit telle, que nous puissions ne pas consolider ces bons du trésor dont je vous propose l'émission, c'est-à-dire que nous puissions, au moyen d'une partie du bénéfice net du chemin de fer, les amortir sans augmenter notre dette publique et notre fonds de premier établissement.

C'est encore une raison de ne point, dès à présent, considérer ceci comme une dette « acquise » à notre grand-livre de la dette publique, s'il m'est permis de me servir de cette expression incorrecte.

Sur le premier point, ces explications, je l'espère, paraîtront suffisantes à la Chambre.

L'autre question se présente, à mon sens, d'une manière beaucoup moins opportune. Le système du caissier de l'Etat existe en Belgique depuis 1825 et, à diverses reprises depuis 1830, la Chambre a discuté les mérites ou les défauts de ce système.

Il n'y a point en cette matière de perfection absolue et si, à mon tour, je voulais établir les défauts du système qui existe, par exemple, en France, c'est-à-dire du système des receveurs généraux et particuliers, il me serait assez facile de démontrer à la Chambre que le nôtre, qui s'est maintenu à travers les différentes discussions, est préférable à plusieurs égards.

Je n'en citerai qu'un seul : lorsque le système des receveurs généraux existe, il en résulte cette conséquence, que les fonctionnaires qui se trouvent dépositaires de l'encaisse de l'Etat, sont réellement, par la nature de leurs opérations, des banquiers particuliers qui font valoir les fonds de l'Etat ; et il peut arriver alors dans certaines circonstances des difficultés beaucoup plus graves et une disponibilité beaucoup moindre de l'encaisse que dans le système du caissier général, établi en 1825 et qui a subi plusieurs fois l'épreuve du feu dans nos discussions.

Est-ce à dire que ce système soit parfait ? Ce n'est pas le moment de discuter ce point d'une manière approfondie. Ce moment ne peut pas être éloigné. Dans quelques années expirent les effets de la loi d'institution de la Banque Nationale, et c'est à propos du renouvellement du privilège de la Banque Nationale que la Chambre pourra discuter utilement et décider la question traitée tout à l'heure par l'honorable membre.

Dans l'impossibilité où je me trouve d'apprécier aujourd'hui quels seraient éventuellement les changements à faire à l'état actuel des choses, il vaut mieux, ce me semble, ne pas entrer dans l'examen des faits spéciaux qui viennent d'être exposés.

Pour ne parler que du fait de 1870, je pense que l'honorable membre a perdu de vue quelque peu la situation dans laquelle on se trouvait à cette époque : il y avait une panique dont je ne veux pas rechercher les causes ; mais enfin il y avait une panique réelle.

J'ai eu l'honneur de faire partie de la commission consultative qui avait été nommée par l'honorable M. Tack ; tous les efforts du gouvernement ont tendu alors à guérir le mal qui s'était produit, sans devoir engager en quoi que ce soit ou au-delà des nécessités strictement établies, sa liberté d’action financière.

(page 345) L'honorable membre s'exagère beaucoup la portée d'un ou de deux faits qu'il a cités.

Le gouverneur.de la Banque Nationale était effrayé, lorsqu'on lui demandait 20 millions.

Si l'honorable membre ou moi nous pouvions lire ici tous les procès-verbaux de la commission, vous verriez que les appréhensions du gouverneur de la Banque Nationale ou plutôt les réserves qu'il faisait étaient, à certains égards, assez naturelles.

Il disait : Je. ne nie point que je doive payer les dispositions du gouvernement ; mais comme, dans les circonstances présentes, j'ai moi-même quelques charges que je n'avais pas prévues, je demande que le gouvernement m'annonce ses dispositions à des délais un peu plus longs que les délais réglementaires.

Lorsque la commission a conseillé au gouvernement de consentir éventuellement à convertir une partie de l'encaisse de l'Etat en traites sur la Belgique à courtes échéances, ne n'était pas autre chose qu'un moyen moral de guérir la peur qui s'était répandue dans le pays, c'était un moyen d'éviter que, dans les publications périodiques de la Banque Nationale l'encaisse métallique ne parût pas inutilement affaibli.

Je ne reviens pas sur cette malheureuse question du transfert de l'encaisse. Il y a eu là un malentendu ou une faute ; je ne veux pas le juger, mais il est clair pour moi que, dans le système actuel, le gouvernement a la parfaite disponibilité de son encaisse et qu'au besoin il saurait en user ; quelque soit le représentant du pouvoir, si des temps troublés ou difficiles surgissent, je suis convaincu qu'il en usera comme on en a usé en 1870, c'est-à-dire en cherchant à concilier les deux intérêts, celui de l'Etat et celui de la grande institution fondée en 1850, institution qui, je me plais à le reconnaître, a si admirablement réussi.

Nous aborderons donc ces questions probablement dans la session prochaine et peut-être plus tôt, mais pour le moment la chose essentielle à décider est simplement celle-ci : Est-il prudent et sage de donner l'autorisation d'émettre des bons du trésor si le ministre des finances, en présence de la situation du trésor, le juge nécessaire ?

Je n'ajoute plus que deux mots pour réparer un oubli.

Je crois que nous pouvons et même que nous devons nous donner le luxe d'avoir un encaisse respectable.

En second lieu, en esquissant tout à l'heure à grands traits le système des receveurs généraux, j'ai oublié de faire remarquer que les receveurs fonctionnaires de l'Etat font valoir les fonds de l'Etat à leur profit, tandis que dans le système actuel du caissier, les fonds de l'Etat concourent, dans cette espèce de réservoir commun, au bien-être du commerce et de l'industrie.

M. Demeur. - Je crois devoir insister, bien que j'aie peu d'espoir de faire adopter aujourd'hui mes idées.

Sur la question de savoir s'il y a lieu à l'émission de bons du trésor. L'honorable ministre des finances a, en somme, considéré mes observations comme fondées. Il a reconnu que l'émission n'était en aucune façon on nécessaire pour subvenir aux dépenses qui sont proposées. Il a aussi reconnu l'exactitude des chiffres que j'ai ajoutés à ceux de son exposé de la situation du trésor.

Il est donc vrai que le ministre aurait à sa disposition, à la fin de l'année courante, tout au moins une réserve de 54 millions de francs. Et cependant il vient vous dire : Donnez-moi la faculté de faire de l'argent, vous serez juges de ma conduite.

Mais ce n'est pas là du gouvernement parlementaire ! Il y a une disposition dans la Constitution qui dit que les budgets sont votés année par année. Il ne suffit donc que la Chambre soit juge de faits accomplis et accomplis secrètement.

Comment procède-t-on pour l'émission de bons du trésor ?

D'après la pratique de l'administration actuelle, cela se fait à l'insu du public.

Nous apprenons, un an ou dix-huit mois après l'émission, qu'il a été fait usage de la faculté accordée.

Quant à moi, je ne veux pas donner au gouvernement un blanc seing, je n'en ai pas le droit.

Je n'entrerai pas dans les détails des chiffres en ce qui concerne les bons du trésor que M. le ministre des finances est encore en droit d'émettre. D'après des lois antérieures, il a le droit d'en émettre encore, selon lui, pour 4 ou 5 millions Ce chiffre est, dans mon opinion, beaucoup plus élevé ; mais ce sont là les détails de la question.

Quoi qu'il en soit, que le gouvernement doive avoir encore à sa disposition 54 millions ou 75 millions entièrement libres à la fin de l'année, sachant d'avance qu'il a plus que le nécessaire, je ne puis lui donner une nouvelle autorisation d'émettre des bons du trésor.

L'honorable ministre des finances a abordé un autre ordre d'idées auquel je n'ai pas touché.

Il a semblé dire que j'avais attaqué le système du caissier de l'Etat organisé en dernier lieu par une loi de 1850, et que j'avais préconisé le système des receveurs généraux qui fonctionne en France et qui a fonctionné en Belgique jusqu'en 1825.

Cela n'est pas exact. Je n'ai pas même touché à cette question.

Je me suis occupé de cette portion considérable de l'encaisse du trésor public qui n'est pas destinée au service normal du caissier de l'Etat, mais qui est accumulée et conservée en vue d'un besoin immédiat et imprévu.

J'ai dit : Faut-il laisser les fonds à une personne qui en dispose, qui ne les conserve pas en caisse ?

Si nous voulons avoir une réserve en numéraire ou en autres valeurs, nous devons pouvoir en disposer dans des circonstances périlleuses.

Ce que je critique, c'est que cet encaisse soit remis à une personne qui en a besoin quand le gouvernement lui-même en a besoin et qui en dispose à ce moment.

Je ne veux pas préconiser le système organisé en Prusse, système dans lequel on laisse improductive la somme considérable dont on se servira au moment nécessaire ; mais je dis que ce système, s'il est onéreux, réalise au moins le but que l'on veut atteindre.

Parmi les allégations de l'honorable ministre des finances, il y en a une qui m'a surtout frappé, c'est que l'Etat aurait, dans le système suivi en Belgique, l'entière disponibilité de son encaisse. Oui, cette disponibilité existe, même dans les temps de crise, mais c'est à la condition que le jour où vous aurez subitement besoin d'une somme considérable et où la Banque vous la remettra, celle-ci cesse de payer les billets au porteur dont on lui demandera le remboursement ou qu'elle cesse ses opérations.

C'est ce qui était constaté, M. le ministre, en 1870, dans un document dont vous ne pouvez pas ne pas avoir connaissance. Je veux parler de la lettre adressée à M. le ministre des finances par le commissaire du gouvernement près la Banque Nationale, le 17 juillet 1870, alors que la crise venait d'éclater.

Le premier mot du commissaire du gouvernement a été celui-ci : Le cours forcé est indispensable.

Mais pourquoi ? Parce que la somme que la Banque avait à sa disposition ne dépassait pour ainsi dire pas la somme qu'elle devait au trésor public. Si la crise n'a pas eu de conséquences, d'où cela provient-il ? De ce que le danger n'a été pour nous qu'apparent ; nous en avons été quittes pour la peur ; en définitive, on n'a rien tenté contre notre pays : nous n'avons eu qu'une panique de quelques jours, mais ce ne sont pas seulement ces circonstances-là qu'il faut prévoir.

Si vous vous étiez trouvés en présence d'événements plus graves, si notre pays avait été attaqué, envahi, vous auriez dû disposer alors de votre encaisse, et la Banque n'aurait pas pu le livrer, à moins que l'on ne donnât le cours forcé à ses billets. Le commissaire du gouvernement le déclarait dans la lettre qu'il a adressée à M. le ministre. (Interruption.)

M. Frère m'interrompt et me dit que la Banque n'avait qu'à réaliser son portefeuille. Elle avait en effet en portefeuille 50 millions de valeurs sur l'étranger. Elle les a réalisés. (Interruption.) Elle pouvait, aussi, me dit-on, réaliser son portefeuille de valeurs sur la Belgique ; c'est évident.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'elle pouvait cesser ses opérations. La solution est véritablement belle ! Le jour de la crise, le jour où tout le monde accourra pour demander l'escompte, la Banque, pour subvenir à ses obligations vis-à-vis de l'Etat, réalisera son portefeuille belge, elle cessera ses opérations : voilà la solution que l'on indique !

M. Frère-Orban. - On n'indique rien de semblable. Ne faites pas dire ce que l'on ne dit pas. Cinquante millions de valeurs étrangères, c'était déjà plus de la moitié de la créance de l'Etat !

M. Demeur. - Je dis que vous affectez une même somme à deux emplois différents. D'une part, l'encaisse métallique doit subvenir aux besoins de l'Etat qui a déposé, des sommes dans la caisse de la Banque pour en faire usage le cas échéant. Il doit subvenir en même temps au remboursement des billets, à l'escompte, en un mot à toutes les opérations de la Banque. Eh bien, une même somme ne peut pas servir en même temps à deux usages différents, à acquitter deux dettes. Si la Banque Nationale avait dû rembourser à l'Etat la somme qu'elle lui devait, il est clair, comme le jour ainsi que vous le dites, qu'elle n'aurait pu le faire qu'en réalisant son portefeuille, c'est-à-dire, en cessant ses opérations de banque.

Voici, messieurs, ce que disait le commissaire du gouvernement le (page 346) 17 juillet, le surlendemain du jour où l'encaisse de l'Etat était, en partie, dirigé sur Anvers ;

« Une prescription statutaire, absolue, impérieuse, oblige la Banque à posséder, en espèces métalliques, le quart au moins du montant de ses engagements ; aucune autorisation ministérielle ne peut la soustraire à cette obligation. Lors donc que les proportions extrêmes, fixées dans les statuts en vertu d'une prescription de la loi de 1850, seraient près d'être atteintes, l'administration de la Banque ne pourrait plus contracter de nouveaux engagements et se verrait forcée de repousser tous les escomptes qui lui seraient présentés. Quel que soit son bon vouloir, il viendrait se heurter contre cet obstacle et contre l'obligation non moins impérieuse, dans les circonstances actuelles surtout, de pourvoir à tous les besoins métalliques que le trésor peut éprouver dans les limites de sa créance en compte courant, à charge de la Banque.

« Il est à peine besoin de le dire, M. le ministre, il serait téméraire à la Banque d'attendre le dernier moment pour opposer des restrictions à l'escompte, car alors le moindre échange de billets ou le plus faible remboursement métallique pour compte du trésor pourrait la forcer à sortir de ses statuts, et virtuellement elle se trouverait en état de suspension de payements. Cela n'est certes pas à craindre, parce que l'administration de la Banque est trop imbue de sa responsabilité ; mais ce qu'il faut redouter, c'est de voir les mesures conservatrices qu'elle va prendre pour sauvegarder l'institution, semer dans tout le pays d'inévitables catastrophes. La Banque restera debout, mais elle planera sur des ruines. »

Et le commissaire du gouvernement, en présence de la situation, en venait à dire : Il n'y aura qu'un moyen de vider la difficulté, ce sera le cours forcé ; et il est évident que c'eut été la seule solution possible si la crise avait duré quelque temps encore.

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas que l'Etat procède autrement que les particuliers. Il n'est ni négociants, ni banquiers, ni grandes institutions financières qui procèdent comme le fait l'Etat. Le gouvernement dit : J'aurai besoin d'une certaine somme à un moment donné ; je vais déposer chez une seule personne, moins riche et moins puissante que moi, tout mon encaisse, et j'autoriserai cette personne à en faire usage pour ses propres opérations.

Voilà le système du gouvernement.

Eh bien, je dis qu'il n'est ni banquier, ni financier, ni particulier quelconque qui agisse de cette façon. La Société Générale, par exemple, a un encaisse très limité, mais, à côté de cet encaisse, elle a des valeurs réalisables, valeurs qui lui sont dues non par un seul établissement, mais par un grand nombre, non seulement par des particuliers, mais par différents Etats du monde entier, en Europe et en Amérique. Comme les crises politiques ou financières n'éclatent jamais en même temps sur le monde entier, elle est assurée d'avoir toujours des valeurs disponibles, qui, en même temps sont productives d'intérêt.

Voilà un exemple. C'est celui que nous donnent les établissements de crédit les mieux organisés. On peut y trouver les éléments de la solution du problème soulevé par l'honorable M. Malou, et ce problème mérite, je le répète, l'examen le plus sérieux à raison de son incontestable gravité.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, je suis vraiment surpris de m'entendre accuser d'avoir soulevé ce débat. Je ne m'y attendais pas.

J'ai proposé à la Chambre, conformément à un grand nombre de précédents, de donner au gouvernement la faculté d'émettre des bons du trésor, mais je n'ai pas soulevé ainsi la question de savoir comment doit être représenté l'encaisse et comment doit être organisée la Banque Nationale.

C'est l'honorable membre qui a soulevé ces questions.

Je veux bien accepter la responsabilité ministérielle tout entière.

Je ne puis pas accepter la responsabilité qui incombe naturellement à l'honorable membre en cette circonstance.

Messieurs, l'honorable M.. Demeur disait. : Nous en avons été heureusement quittes pour la peur en 1870.

Pour tous ceux qui veulent bien examiner de près les choses, la vérité est que lorsque, en 1870, nous avons été quittes de la peur factice, le mal a été aussitôt réparé.

Ainsi c'est surtout ce mot malheureux de cours forcé qui avait fait naître la crise et la panique.

Dès que la commission consultative a été réunie, elle a soufflé sur ce fantôme ; à la presque unanimité, elle a repoussé cette malencontreuse idée et sa décision a contribué, plus que toute autre chose, à rétablir la confiance et à réparer les conséquences de la faute qui avait été commise.

Messieurs, l’honorable membre nous dit que les particuliers ne laissent pas leurs fonds en dépôt. Eh bien, nous avons toujours vu et nous voyons encore aujourd'hui qu'un très grand nombre de particuliers font précisément ce que fait l'Etat.

Ainsi, il y a eu jusqu'à 60 millions de dépôts effectués à la Banque Nationale, sans faire le compte d'autres établissements.

Aujourd'hui encore, la somme, si je ne me trompe, est de 27, 28, 30 millions à peu près.

Il ne suffit pas de critiquer ce qui se fait. Il faudrait arriver à un système défini pour dire comment l'Etat pourrait augmenter la sécurité et la disponibilité de l'encaisse.

Cette question, nous la discuterons quand le moment utile sera venu, je me borne à l'indiquer en ce moment.

J'avais compris et je pense que toute la Chambre a compris que lorsqu'il critiquait le système du caissier général, l'honorable membre mettait en parallèle avec ce système celui des receveurs généraux ; il m'était impossible de croire qu'on critiquant le système belge, l'honorable membre ne voulait pas en mettre un autre en parallèle.

Faut-il discuter en ce moment la trompeuse analogie que l'honorable membre établit entre des établissements particuliers de crédit et l'Etat ? Est-il possible que l'Etat se crée une sorte de mutualité de fonds publics d'autres puissances, d'autres Etats et qu'il rende ainsi productive une partie de son encaisse ? Encore une fois, c'est une question qui se discutera si on veut la produire lorsque nous examinerons les conditions du renouvellement du privilège de la Banque Nationale ; mais je prédis à celui qui produira cette idée qu'il aura contre lui l'opinion de la presque unanimité de la Chambre et en premier lieu celle du ministre des finances.

Pour ramener le débat aux termes dans lesquels il me semble qu'il aurait dû se résumer, je pose cette simple question :

Est-il prudent, est-il sage, lorsqu'on crée des dépenses extraordinaires aussi importantes, quel que soit l'encaisse, de ne pas prévoir qu'il peut survenir des orages au dehors, ou des difficultés ou des crises financières, et est-il bon que le gouvernement, sans devoir par des propositions nouvelles de bons du trésor augmenter la panique ou les causes de non-confiance qui existeraient en ce moment-là, soit muni du droit de créer des bons du trésor ?

L'honorable membre nous dit : On le fait à notre insu.

Mais, messieurs, c'est un des mérites de l'opération et cette inconnue est bien vite dégagée puisque le ministre, après avoir usé de l'autorisation d'émettre des bons du trésor, doit presque immédiatement demander à la Chambre les fonds nécessaires pour servir les intérêts de ces bons. Dès lors, il est justiciable de la Chambre, qui peut examiner s'il a agi sagement ou s'il s'est trompé.

- La discussion est close. L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Second vote et vote sur l’ensemble

M. le président. - Les amendements de MM, Le Hardy de Beaulieu et Sainctelette ont été retirés ; nous sommes donc arrivés au terme de la loi.

La Chambre veut-elle procéder immédiatement au vote définitif ? (Oui ! oui !)

- Les deux articles du projet sont définitivement adoptés.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

83 membres répondent à l'appel nominal.

79 votent pour le projet.

1 vote contre.

3 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Anspach, Balisaux, Bara, Beeckman, Bergé, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Coremans, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Lhoneux, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Theux, de Vrints, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drubbel, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hayez, Houtart, Jacobs, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Magherman, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Orts, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Rogier, Santkin, Schollaert, Simonis, Tesch, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Amédée, Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard et Thibaut.

(page 347) A voté le rejet :

M. Julliot.

Se sont abstenus :

MM. Couvreur, Jottrand et Le Hardy de Beaulieu.

M. Couvreur. - Je n'ai pas voulu voter contre le projet de loi, parce que je crois à la nécessité du crédit ; mais le refus de l'enquête me mettant dans l'impossibilité de m'éclairer sur l'utile distribution des sommes pétitionnées, force m'a été de m'abstenir.

M. Jottrand. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Couvreur.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, je me trouve en présence de deux responsabilités : la responsabilité de l'Etat, qui exploite les chemins de fer, et si je lui refusais les ressources qu'il déclare nécessaires pour continuer son exploitation, il pourrait rejeter sur moi l'insuccès de son exploitation. Par conséquent, je n'ai pas voté contre le projet de loi.

D'autre part, messieurs, il y a ma responsabilité, celle de tous les membres de ce parlement, qui est comptable vis-à-vis de la nation des sommes qu'il lui réclame. Cette responsabilité est d'autant plus grave, que nous ne sommes pas les mandataires de toute la nation, et que nous devons rendre compte à ceux dont nous gérons la fortune, sans mandat, comme tuteurs.

Je ne veux pas qu'un jour ils puissent me reprocher d'avoir voté des sommes sans m'être suffisamment rendu compte de leur emploi. Dans cette situation, messieurs, j'ai dû m'abstenir.

Rapport sur une pétition, relative aux mesures contre la peste bovine

M. Thienpont. - Messieurs, depuis que l'honorable M. Nélis a quitté cette enceinte, je me trouve à peu près seul et isolé à ne pas admirer tous les faits et gestes, du gouvernement en face de la peste bovine.

Autrefois l'honorable M. Vleminckx partageait bien quelque peu nos opinions. Il soufflait, il est vrai, le chaud et le froid. Tout en approuvant les mesures rigoureuses du gouvernement, il les critiquait et il donnait des conseils qui se rapprochaient beaucoup de la demande de M. Bochart.

L'honorable M. Vander Donckt, négligeant trop la pétition si sensée sur laquelle il avait à faire rapport, se donne des peines pour dénaturer mes opinions et pour m'attribuer des contradictions qui n'existent que dans l'esprit de l'honorable rapporteur.

Sans admettre certaines exagérations dont on ne tardera pas à revenir, je suis d'avis, j'ai toujours été d'avis que la peste bovine est éminemment contagieuse. Je dis seulement qu'il y a de l'exagération à soupçonner le virus attaché au sabot d'un cheval, à la roue d'une voiture ; il y a de l'exagération à croire qu'il peut se transmettre par une pelleterie, par une botte de paille ou de foin transportée au loin. Notez, messieurs, qu'il ne s'agit pas ici du fourrage provenant d'un endroit infecté ; celui-là est détruit avec autant d'empressement que de soin, y compris le plancher et les poutrelles sur lesquelles il a séjourné.

En admettant ces divers modes de contagion, le gouvernement doit prendre des mesures pour empêcher l'oiseau de passer d'une ferme suspecte dans la basse-cour de celle qui ne l'est pas. Ceci est faisable ; la poudre peut tuer les moineaux. Mais comment s'y prendra-t-il pour dominer la circulation de l'air qui, peut-être, est l'agent le plus actif de la transmission morbifique ?

Chez l'homme, la variole est une des maladies les plus contagieuses. Certains médecins admettent en sa faveur les mêmes facilités de transmission. D'après eux, une personne saine, ayant passé par la chambre d'un malade, peut infecter une maison et transmettre le principe variolique.

Si le gouvernement partage cette opinion, et il ne peut, sans inconséquence, ne pas la partager, je dis qu'il est de son devoir de faire désinfecter le praticien au fur et à mesure qu'il aura vu un malade. Quant à sacrifier ce dernier avec les suspects, il n'y a pas à y songer.

Messieurs, j'aborde le sujet de la pétition qui réclame un traitement homéopathique ou autre ; car je suppose que l'honorable M. Bochart n'a pas eu l'intention d'être exclusif à cet égard. Le traitement serait appliqué dans des pacages spéciaux, préparés à cet effet.

Rien de plus raisonnable que cette demande.

Le bétail placé dans de bonnes conditions hygiéniques n'aurait-il pas mille chances de guérison, lorsqu'on songe qu'abandonné à lui-même, dans les steppes de la Russie, sans soins aucuns, un tiers se rétablit ? L'honorable M. Vleminckx nous a appris ce détail intéressant dans une circonstance récente. En ce qui me concerne, j'ai pu constater, dans les environs d'Audenarde, que les fermiers qui n'ont pas eu recours aux vétérinaires ont été les mieux inspirés et s'en sont bien trouvés. Leur zèle à tuer, à brûler et à détruire est du reste excusable. M. le ministre ne leur a-t-il pas décerné des éloges pour les services qu'ils ont rendus dans ces derniers temps ? Je suppose que M. le ministre faisait allusion à la peste bovine. J'avoue que j'ai peine à découvrir des services là où l'office du boucher parait être suffisant.

J'aime à croire que le gouvernement ne tardera pas à largement indemniser les propriétaires, victimes de toutes ces destructions opérées dans un intérêt général. J'en connais parmi eux qui sont complètement ruinés. En attendant, je désire qu'il mette en pratique les sages conseils de M. Bochart. Dans ces termes, j'appuie les conclusions de l'honorable rapporteur qui demande le renvoi de la pétition à M, le ministre de l'intérieur.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Thienpont vient de vous dire qu'il n'est pas en contradiction avec lui-même dans les deux discours qu'il a prononcés et dont j'aurai l'honneur de vous lire des passages.

Dans la séance du 28 février 1867, l'honorable M. Thienpont a dit : « C'est là une assertion d'une très haute importance, qui, si elle était fondée, ne manquerait pas d'avoir les conséquences les plus désastreuses et les plus alarmantes ; mais heureusement, messieurs, aucune preuve ne vient à l'appui de cette assertion, ce qui me permet d'affirmer hautement que ce mode de contagion n'existe pas. »

Et dans la séance du 15 décembre 1871, l'honorable ministre de l'intérieur disait :

« Mes honorables prédécesseurs ont tout fait pour arrêter les conséquences de cette terrible épidémie. Je dois déclarer à mon honorable ami, M. Thienpont, que je persévérerai dans la même voie, car je suis loin de penser comme lui que le typhus bovin ne soit pas contagieux.

« a href='/personne/ThienpontL/'>M. Thienpont. - Je n'ai pas dit cela. »

Eh bien, messieurs, je vous le demande, n'est-ce pas là une contradiction évidente entre le discours du 28 février 1867 et celui du 13 décembre 1871 ?

La commission des pétitions qui a examiné la pétition du sieur Bochart a été unanimement d'avis qu'il y avait lieu de continuer les mesures prises par le gouvernement et qui sont dues à l'initiative de l'honorable M. Vandenpeereboom qui, étant alors ministre de l'intérieur, a su nous préserver de la propagation de ce terrible fléau.

Ses successeurs, MM. Kervyn et Delcour, ont apprécié et suivi les mêmes errements ; sans cela, nous aurions été exposés à nous voir envahis par la peste bovine comme la Hollande, où il a été constaté que les dommages résultant de ce fléau s'élevaient à plus de 40 millions ; or, malgré tous les sacrifices que M. Vandenpeereboom et ses successeurs ont ordonnés, la peste, pour la Belgique, s'élève à peine à 400,000 francs.

Les mesures prises en Belgique sont donc marquées au coin de la sagesse, et de la prévoyance, et nous ne pouvons qu'adresser des éloges aux ministres qui les ont prises et engager leurs successeurs à persévérer dans la voie qui a été suivie.,

Profitons de l'expérience que nous offre la France. Ce malheureux pays payera très cher l'inexécution des mesures qu'il a prescrites et qu'il n'a pas le courage de faire exécuter comme il le devrait.

On commence à le comprendre ; dans les localités où la maladie a éclaté, les populations ont reçu avec beaucoup de bienveillance les vétérinaires et les autorités qui sont venus exécuter les dispositions prescrites.

Je crois donc devoir engager le gouvernement à persister dans cette voie jusqu'à ce que l'on ait trouvé de meilleurs moyens. Aujourd'hui on vient nous dire : Mais l'homéopathie a fait des merveilles en Hollande.

Qu'est-ce qui prouve que l’homéopathie a fait les cures merveilleuses dont on parle. Jusqu'à présent, rien ne vient à l'appui de ces assertions vagues, mais attendons et voyons si l'on a réellement obtenu des guéri-ons. Je ne suis pas hostile à l'homéopathie, quoique je sois médecin allopathe.

M. Bouvier.—Voilà !

M. Vander Donckt, rapporteur. - Je n'ai jamais rien fait, dit ni écrit contre l'homéopathie.

Je crois devoir lui laisser toute sa liberté ; si elle parvient à prouver qu'elle a réellement trouvé un remède efficace à opposer au fléau, je serai le premier à l'appuyer. Mais en attendant, on me permettra, comme on permettra aux autorités, de se méfier un peu de tout ce charlatanisme et de ne pas se jeter tête baissée dans l'inconnu.

(page 348) M. Bouvier. - Vous êtes allopathe.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Nous avons guéri, disent les homéopathes, un tiers des malades, mais qu'on me prouve à l'évidence qu'on a guéri une seule tête de bétail.

M. Thienpont a rappelé que l'on avait dit que, dans les steppes, le bétail se guérissait même spontanément de la peste. Mais il faut tenir compte de toutes les circonstances et particulièrement du climat. Notre climat est plus propre à développer ce mal que les steppes de la Russie. La température froide de ce pays en est un préservatif. Entre la Belgique et la Russie, il n'y a pas de comparaison possible sous le rapport de la propagation de la peste. Voilà pourquoi il ne faut pas légèrement adopter les dispositions que l'on propose de prendre.

L'honorable M. Vandenpeereboom a trouvé un moyen cruel, je le reconnais, mais qui du moins a eu pour résultat de préserver notre pays d'un fléau qui a fait tant de ravages ailleurs ; et tant qu'on n'aura pas trouvé un autre remède, je crois que le plus sage est de maintenir les mesures qui ont été adoptées et appliquées depuis plusieurs années.

On a dit que le rapport contenait un paragraphe blessant pour un honorable membre de cette Chambre. Je le regrette et je déclare qu'il n'est jamais entré dans mon intention de rien dire de désobligeant pour mes collègues ; c'est un article de journal inséré dans le rapport pour prouver simplement que l'administration a rencontré la meilleure volonté et le concours le plus efficace chez les cultivateurs et les autorités pour l'exécution des mesures prescrites.

Votre commission conclut donc à engager le gouvernement à persévérer dans la voie où il est entré et qui a donné les plus heureux résultats.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je m'occuperai de la pétition de M. Bochart et j'examinerai les deux propositions qui y sont formulées.

Le pétitionnaire s'attache en premier lieu à faire ressortir l'influence désastreuse que la peste bovine et l'abattage systématique par lequel on la combat exercent sur le prix de la viande et, par suite, sur l'alimentation des classes les plus nombreuses de la population.

Messieurs, pour apprécier une question de cette nature, il convient de tenir compte des chiffres. Les chiffres que je vais indiquer à la Chambre prouveront que l'honorable pétitionnaire s'est mépris sur les conséquences des mesures ordonnées par le gouvernement.

Depuis le commencement de la peste bovine (12 novembre 1870) jusqu'à ce jour ( 20 janvier 1872), l'épizootie a régné dans six provinces et a donné lieu à 52 animaux morts, 248 animaux malades abattus, 165 animaux suspects, qui ont été également abattus ; soit en tout 465 animaux morts ou sacrifiés.

Comme la viande des animaux suspects (que la maladie n'a pas encore atteints) peut être livrée à la consommation et qu'elle l'est en réalité, il résulte des chiffres cités ci-dessus que le nombre des animaux que la peste a détruits au détriment de l'alimentation publique s'élève, en définitive, à 300. Or ce nombre n'équivaut pas à la moitié des bêtes bovines, vendues en moyenne, en un seul jour de marché à Bruxelles.

Cette moyenne est, en effet, de 657 bêtes et elle ne représente pas la 111ème partie de toutes celles qui, en une année, se débitent sur ce marché. Il est évident qu'une perte semblable ne peut avoir aucune influence sur le prix de la viande dans le pays.

Pour mieux faire ressortir les faits, j'ajouterai qu'en moyenne et par an, on livre en Belgique à la consommation plus de 150,000 bêtes bovines de tout âge, qui fournissent plus de trente millions de kilogrammes de viande brute, équivalant à plus de vingt millions de kilogrammes de viande nette.

En présence de ces chiffres, je demande ce que sont 300 animaux produisant au plus 35,000 kilogrammes de viande ?

Il est manifeste que ce résultat ne saurait être de nature à exercer une influence quelconque sur le marché du pays.

Cette conclusion rassurera nos populations sur les conséquences des mesures que le gouvernement a dû prendre.

M. Bochart appelle ensuite l'attention de la Chambre sur un second point. Il recommande au gouvernement l'établissement de pacages spéciaux où les animaux atteints de la peste seraient traités par la méthode homéopathique, qui a eu, d'après le pétitionnaire, de grands succès en Hollande.

Vous comprenez, messieurs, que je n'ai pas l'intention de discuter ici les divers systèmes de traitement que l'on propose d'adopter ; c'est là une question médicale qui sort de ma compétence, mais j'affirme, en présence des renseignements qui m'ont été fournis par des hommes d'une science incontestée, que la peste bovine est essentiellement contagieuse.

M. Thienpont. - Personne n'a soutenu le contraire.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - J'ai consulté, sur la pétition même qui est soumise à la Chambre, le directeur de l'école vétérinaire, M. Thiernesse.

Il m'a assuré de nouveau que toutes les expériences et les dernières études qui ont été faites n'ont abouti qu'à démontrer la nécessité de prendre les plus grandes précautions pour arrêter les progrès de la contagion.

Selon M. Bochart, le traitement homéopathique suivi en Hollande par MM. Gaudy et Seutin aurait amené 75 p. c. de bêtes guéries. Cette statistique est inexacte, on n'a constaté que 60 p. c. de guérisons.

D'ailleurs les mêmes résultats, même des résultats plus brillants, peuvent être invoqués en faveur du traitement allopathique. Dans les steppes de la Russie, où la peste naît spontanément et où les animaux ne subissent pas de traitement médical, il se guérit habituellement 70 à 80 p. c. de sujets malades.

Ne renonçons pas, messieurs, aux mesures si sages que le gouvernement a prises à toutes les époques. Si la peste bovine a exercé en France de cruels ravages, c'est parce qu'on n'a pas ordonné les mesures sanitaires que nous avons appliquées en Belgique ; le gouvernement français a dû défendre tout traitement et prescrire, comme chez nous, l'abattage immédiat des bêtes atteintes du typhus contagieux.

M. Vleminckx. - Parce qu'on a fait l'expérience du traitement.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Non, là n'est pas la raison. Je suis décidé, messieurs, à ne pas modifier le système qui a été suivi jusqu'à présent. Je l'ai dit, dans la séance du 13 décembre 1871, j'entends maintenir toutes les mesures sanitaires qui ont été prises antérieurement ; je les appliquerai avec la même rigueur que mes honorables prédécesseurs, convaincu que le gouvernement, en empêchant ainsi l'épizootie de s'étendre, aura rendu un grand service à l'agriculture et au pays.

M. le président. - La discussion est close ; les conclusions consistent dans le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.

M. Vleminckx. - Dans le sens indiqué par l'honorable rapporteur ? Sinon, je dois faire une autre proposition.

- Le renvoi, dans les termes indiqués par M. Vander Donckt, est ordonné.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le président. - L'objet suivant à l'ordre du jour est la discussion du budget de l'intérieur.

- Des membres. - Non ! Non ! A mardi !

M. Guillery. - Nous avons à l'ordre du jour des projets de naturalisation qui ne demanderont qu'un appel nominal, et parmi lesquels il y en a d'assez urgents. La Chambre pourrait consacrer utilement la fin de sa séance au vote de ces projets.

M. le président. - Nous devons aussi régler notre ordre du jour de demain.

- Des membres. - A mardi !

- La Chambre décide qu'elle s'ajournera, après cette séance, à mardi.

M. Elias. - Nous n'avons pas les projets de loi de naturalisation. Je propose de les mettre comme premier objet à l'ordre du jour de mardi.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Nous avons donc, à l'ordre du jour de mardi d'abord les projets de naturalisation et ensuite le budget de l'intérieur.

- La séance est levée à 4 heures et demie.