(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 329) M. Wouters fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture, du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Sirejacobs demande que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »
« Même demande d'habitants d'une commune non dénommée. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi sur l'enseignement obligatoire.
« Des habitants de Mont demandent l'ouverture, au moins pour les grosses marchandises, de la gare de Courtil. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale de Rixingen prient la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. »
« Même demande des membres de l'administration communale de Corbeek-Dyle, Hendrieken, Saint-Trond, Nederheim, Grand-Looz, Coninxheim, Berg, Roclenge-sur-Geer, du conseil communal et d'habitants de Tongres. »
M. Julliot. - Messieurs, cette pétition se rapporte à un chemin de fer qui est déjà réclamé par trente ou quarante communes. J'en demande donc le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« M. Boulenger, retenu par un devoir de famille et M. Descamps, forcé de s'absenter, demandent un congé d'un jour. »
- Ces congés sont accordés.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Messieurs, la Chambre est d'accord pour accélérer autant qu'il est possible toutes les mesures qui sont de nature à satisfaire l'industrie et le commerce. Le gouvernement, messieurs, marche dans la même voie ; il ne se sépare en aucune façon de la manière de voir de la Chambre.
II nous reste donc à rechercher, messieurs, quels sont les moyens les plus efficaces, les plus simples pour arriver à satisfaire les intérêts de l'industrie et du commerce.
Plusieurs membres concluent à une enquête mixte. Je pense que ce moyen n'est pas heureux et qu'au lieu de nous rapprocher du but que nous désirons tous atteindre, il nous en éloignera. On cite pour exemple la France, l'Angleterre, l'Allemagne, mais on oublie que les situations sont différentes et que nous ne pouvons prendre comme base de ce que nous avons à faire ce qui se passe dans ces trois grands pays.
Vous savez, messieurs, que la moitié de la France a été envahie par la guerre, quels obstacles au bon emploi des chemins de fer cette situation a apportés en France.
Vous savez qu'en France tous les chemins de fer sont concédés. Il n'y a donc pas d'analogie entre la situation de la France et celle de la Belgique.
Il n'y en a pas davantage entre la situation de l'Angleterre et la nôtre.
En Angleterre, tout est également concédé, et non seulement concédé,, mais concédé à perpétuité. Ensuite, en Angleterre, on a trouvé un moyen qui a une certaine efficacité, c'est de ne pas permettre aux compagnies de faire plus de 9 à 10 p. c. de bénéfice, avec l'obligation d'employer tous les excédants à la prospérité du chemin de fer et au service du public. Mais les compagnies qui ne veulent pas réduire leurs tarifs ont recours à divers moyens pour les conserver dans leur intégrité.
En Allemagne, la situation est également très différente. L'Allemagne est divisée en plusieurs souverainetés unies sous une seule domination ; mais là encore vous ne trouvez point d'analogie avec la situation on Belgique.
Je crois donc que les partisans de l'enquête n'ont aucun motif sérieux de s'autoriser des trois exemples qu'ils invoquent.
En Belgique, le gouvernement exploite les chemins de fer. Par cette exploitation, il acquiert une grande expérience. Il a pour s'instruire un grand nombre de fonctionnaires à tous les degrés et, parmi les fonctionnaires supérieurs, les hommes les plus intelligents et certainement les plus dévoués à la prospérité de nos chemins de fer ; cela ne peut faire de doute pour personne.
On peut objecter qu'ils craignent les innovations qui viendraient les surcharger de besogne. Mais cette crainte ne peut être sérieuse ; car je ne pense pas que l'ensemble de l'administration puisse verser dans de pareils sentiments ; cela n'est pas admissible.
Mais, dit-on, l'enquête éclairera nécessairement le gouvernement. Elle sera publique ; tous les intérêts s'y feront entendre.
Je réponds, messieurs, qu'en Belgique il existe une enquête permanente et perpétuelle ; je vais l'expliquer en peu de mots. Le gouvernement s'instruit constamment par son expérience. Les chambres de commerce usent aussi de leur droit en portant au gouvernement leurs plaintes sur ce qui manque aux intérêts de l'industrie et du commerce, sur les améliorations à introduire. C'est bien là une grande enquête et la discussion actuelle en fournit la preuve la plus évidente ; les chambres de commerce ont envoyé leurs avis et toutes leurs plaintes ont été recueillies ; toutes les questions ont été examinées et il ne reste au gouvernement qu'à choisir les moyens les plus efficaces pour atteindre le but.
Les deux Chambres législatives apportent leur contingent dans cette discussion. A chaque demande de crédit importante, nous prenons part à la discussion, tant à la Chambre qu'au Sénat, et les deux Chambres renfermant un grand nombre d'industriels qui comprennent parfaitement les besoins de leurs arrondissements, quoi de plus efficace que toutes ces discussions ?
Non seulement nous avons la discussion des crédits spéciaux que le gouvernement demande, nous avons encore annuellement la discussion du budget des travaux publics ; nous avons encore les discussions qui peuvent s'élever à propos des pétitions qui nous sont adressées. Les journaux apportent aussi leur contingent à l'élucidation des divers problèmes qui se rattachent à l'exploitation des chemins de fer. Je demande donc s'il est possible de réunir plus de lumières soit devant le gouvernement, soit devant l'administration des travaux publics.
Aussi M, le ministre des travaux publics n'a-t-il pas négligé d'exprimer à la Chambre le vif désir qu'il a de satisfaire à tout ce qu'il y a de fondé parmi les observations qui ont été présentées ; il est des observations qui sont contradictoires les unes aux autres, c'est au gouvernement à choisir celles qui sont les plus fondées et, de préférence, celles qui sont les plus considérables.
Le gouvernement ne néglige pas non plus de prendre des informations à l'étranger sur tous les perfectionnements qui s'y accomplissent et sur toutes les découvertes qui s'y font en tout genre.
(page 330) Messieurs, dans mon opinion et d'après le simple bon sens, ce qui résulterait de l'institution d'une commission d'enquête, ce serait une perte de temps considérable, et nous marcherions exactement à l’encontre des vœux qui ont été exprimés par les chambres de commerce et par les intéressés.
De quoi se plaignent plusieurs orateurs ? De ce que M. le ministre des travaux publics se trouve dans l'impossibilité de satisfaire par lui-même et par ses fonctionnaires aux vœux exprimés.
Il manque, dit-on, du temps aux ministres, il en manque aux fonctionnaires.
Eh bien, pensez-vous que vous donnerez plus de temps aux ministres et aux fonctionnaires en instituant une enquête ? Loin de là, l'enquête ferait perdre beaucoup de temps ; ce qui serait très fâcheux dans les circonstances actuelles dont chacun reconnaît l'urgence, puisque nul membre de la Chambre ne repousse le crédit de 12 millions ni celui de 4 millions ; au contraire, plusieurs membres veulent aller au-devant de nouveaux besoins.
Je crois que si ces 16 millions sont employés dans l'intervalle des deux sessions, le gouvernement sera à même - c'est du moins son opinion - de satisfaire à tout ce qui est réellement urgent, et d'étudier pour la session prochaine tout ce qui pourrait encore manquer. Il est probable qu'il manquera encore bien des choses ; mais du moins nous aurons des fonds suffisants pour pourvoir à ce qui est urgent et ce qui est le moins contesté ;
On vous propose une commission de 18 membres, pris dans la Chambre, pris dans l'industrie, présidée, si vous le voulez, par le ministre, aidé de ses fonctionnaires ; pensez-vous que ces 18 membres vont élucider en peu de temps toutes les questions qui sont agitées ici ? Ce serait vous faire une étrange illusion. Il est certain que parmi ces 18 membres on rencontrera beaucoup d'opinions contradictoires ; chacun voudra soutenir la sienne, la faire partager par ses collègues ; il faudra que le ministre et ses fonctionnaires réunissent tous les documents dont cette commission aura besoin, ce qui, nécessairement, prendra une partie de leur temps.. Or, l'homme ne peut doubler ses facultés et plus le ministre prêtera son concours à la commission, moins il aura de temps pour remplir les fonctions de sa charge et mettre ainsi sa responsabilité à couvert.
Il est donc évident qu'au lieu de hâter, vous reculerez, par l'institution d'une enquête, l'exécution des mesures qui sont réclamées aujourd'hui comme utiles et nécessaires.
Une nouvelle organisation du département des travaux publics a été faite par M. Wasseige ; un nouveau ministre est à la tête du département et dans chaque service il y a des fonctionnaires nouveaux. Le ministre et ses fonctionnaires ont donc besoin de tout leur temps, ils ne peuvent rien en distraire sans porter préjudice à l'administration et sans exposer leur responsabilité.
Il est vrai que M. Wasseige avait consenti à la formation d'une enquête ; je tiens à déclarer que, lorsque M. Wasseige était ministre, je ne partageais pas sa manière de voir ; je lui ai même prédit alors qu'il y perdrait beaucoup de temps et qu'au lieu de mettre sa responsabilité à couvert il l'aggraverait.
Je crois donc que l'honorable ancien ministre, qui n'a plus les mêmes raisons d'adhérer à une proposition d'enquête, ne la soutiendra plus aujourd'hui et ne soutiendra pas l'institution de cette commission. Le ministre compte agir avec maturité et préparer, pour la session prochaine, toutes les demandes pour lesquelles nous avons besoin du concours delà Chambre.
Si, contre l'attente de la Chambre, le gouvernement se trouvait encore à la session prochaine en défaut, j'appuierai la proposition d'enquête ; mais, dans le moment actuel, je la considère comme essentiellement contraire au but que l'on veut atteindre, et j'espère que la Chambre ne l'adoptera pas.
(page 335) M. Couvreur. - Messieurs, comme l'honorable comte de Theux qui vient de se rasseoir, je crois que dans cette Chambre, sinon l'unanimité, du moins la grande majorité est disposée à voter les crédits qui sont sollicités.
Mais le débat porte plus loin et plus haut !
Même après le vote de ces crédits et après l'exécution des travaux auxquels ils doivent s'appliquer, la question que nous débattons sera entière.
Alors, comme aujourd'hui, nous aurons a nous demander quelles ont été les causes principales et les secondaires de la crise de transport que nous traversons, et quels sont les remèdes que le pays doit employer pour prévenir le retour des mêmes faits.
L'honorable M. Sainctelette, au début de son remarquable discours, a dit une grande vérité : c'est que la cause de la crise n'est pas seulement dans les événements extérieurs que nous avons traversés, mais qu'elle est encore dans la rupture qui s'annonçait depuis longtemps de l'équilibre entre la puissance de notre production et la puissance de notre appareil de locomotion.
Les chiffres que l'honorable M. Balisaux a cités hier viennent corroborer cette incontestable vérité. A ce point de vue la question que nous discutons est l'une des plus importantes dont un parlement puisse s'occuper, et nous n'avons pas à regretter le temps que nous y consacrons. De cette question des transports dépend toute la prospérité nationale.
Nous aurons beau améliorer notre système d'impôts, abaisser nos tarifs de douane, notre industrie aura beau trouver de nouveaux débouchés au delà des mers, si nos voies de transport ne sont pas organisées et exploitées comme le développement de notre industrie, tous ces bienfaits seront compromis.
La prospérité de nos classes laborieuses est profondément intéressée au bon état et au bon fonctionnement de notre appareil circulatoire. Et sous cette dénomination de classes laborieuses, je comprends toutes les classes qui vivent, non du fruit de leurs épargnes, mais du fruit de leur travail, soit intellectuel, soit manuel.
Un économiste belge, dont on peut ne pas partager toutes les opinions, mais qui est un penseur original, M. Haeck, a pu comparer avec raison l'appareil circulatoire des capitaux et des produits, dans le système social, à la circulation du sang et des nerfs dans le corps humain. On peut impunément retrancher du corps un bras ou une jambe, la vie subsistera dans sa plénitude. Mais un trouble dans le système de la circulation amène fatalement l'anémie et la mort.
Les chaussées, les canaux, les voies ferrées sont les nerfs du corps social. Et de même que les êtres les mieux organisés sont ceux dont le système nerveux est le plus complet, le plus sensible, le plus délicat, de même aussi le pays dont les voies de transport sont les plus perfectionnées marche à la tête de la civilisation.
Celui qui, dans un pays, est maître du crédit, ce point de départ du travail, maître de la circulation des produits, qui en est le couronnement, celui-là est le maître du travail.
Il peut l'enrayer à son gré, lui enlever le plus clair de son bénéfice, le ruiner : il peut aussi le pousser à sa plus grande intensité.
De là, chez les peuples contemporains, cette tendance persistante et de plus en plus accentuée à mettre l'organisation du crédit et celle des transports du pays sous le contrôle de la puissance publique et sous son action, contrairement aux lois de l'économie politique. De là encore la nécessité de donner à ces deux facteurs de la fortune publique la meilleure organisation possible.
Nous aurons occasion de revenir sur le problème de l'organisation du crédit lorsque se posera la question du renouvellement du privilège de la Banque. Pour le moment, nous n'avons à nous occuper que des voies de transport et de leur exploitation.
Avons-nous, sous ce rapport, une bonne organisation, une organisation dont nous puissions nous déclarer satisfaits ?
Les plaintes de l'industrie répondent négativement. Les discours prononcés depuis l'ouverture de la discussion, tous ceux que nous entendons périodiquement à chaque discussion du budget des travaux publics, disent plus haut encore toutes les lacunes de cette organisation.
Que faut-il donc faire pour amender l'état de choses actuel ? Les laisser aller ? Vivre au jour le jour ? Procéder par voie d'expédients et demi-mesures, parer de notre mieux aux nécessités à mesure qu'elles se produisent, sans programme arrêté à l'avance, sans idées d'ensemble, sans être certains de bien faire et nous exposer à des écoles qu'il faut regretter le lendemain ? C'est le système que nous avons suivi jusqu'à présent, c'est celui que vient encore de nous conseiller l'honorable comte de Theux.
Les fruits de ce système sont connus.
Nous concédons des canaux, nous accordons des subventions pour les établir, et à peine sont-ils mis en exploitation que nous ruinons la batellerie par les tarifs de nos chemins de fer.
Nous accordons des concessions de chemins de fer ; ces chemins établis, si nous constatons qu'ils font concurrence au chemin de fer de l'Etat, nous les rachetons pour les exploiter nous-mêmes, sauf à retomber, après cette opération, dans les mêmes errements.
Un ministre nouveau arrive au pouvoir, il cherche à donner satisfaction à des réclamations qui se sont produites, il est jaloux des lauriers cueillis par son prédécesseur : vite des tarifs nouveaux, dussent-ils être en contradiction avec la logique et les lois d'une exploitation rationnelle. C'est au pays de payer les frais de l'expérience et nous n'en connaîtrons le résultat que lorsque le mal sera accompli.
Je pourrais, messieurs, allonger beaucoup l'exposé de ces contradictions, surtout si je descendais dans les détails d'application. Je n'aurais qu'à analyser les discours prononcés dans cette discussion et tous ceux sur la même matière qui les ont précédés.
Il n'y a de reproche à faire à personne. La vérité est que depuis une quarantaine d'années l'application de la vapeur aux transports a si profondément bouleversé le monde économique que la science des transports n'est pas encore faite, que ses lois ne sont pas encore formulées avec la netteté de certaines autres lois économiques.
Deux voies, messieurs, peuvent nous faire sortir plus ou moins vite de ce labyrinthe d'idées et d'appréciations divergentes.
L'une de ces voies, c'est celle que préconisait tantôt l'organe du gouvernement : c'est de nous en remettre complètement, exclusivement à ses soins, aux soins de ses fonctionnaires ; c'est de nous placer à un point de vue déterminé à l'avance, d'observer un nombre limité de faits dans un champ restreint, de poser des principes d'après ces faits, et d'en tirer des déductions qui, très souvent, risquent d'être erronées parce que le champ d'observation n'est pas assez vaste et que la routine ou les idées préconçues parlent plus haut que l'expérience.
Je laisse de côté les chances d'erreur dans les raisonnements et les déductions, chances d'autant plus grandes que le raisonnement joue, dans ce système, le principal rôle.
Ces procédés, nous ne les avons que trop longtemps mis en œuvre.
L'autre système est beaucoup plus large, beaucoup plus fécond.
Avant de raisonner et souvent de déraisonner, avant de faire des compromis entre des théories plus ou moins sujettes à caution, ce système accumule les faits, les renseignements de toute nature ; il ramasse les avis les plus divergents, il ne juge à priori aucune théorie ni aucune expérience, mais il les accumule toutes et il étend, autant que possible, le champ de ses observations. C'est le procédé expérimental appliqué à la politique et à l'économie politique ; c'est la méthode de Bacon introduite dans le domaine de la science sociale. C'est cette méthode expérimentale que nous devons introduire chez nous.
Ce système, messieurs, la France et la Belgique l'ont peu pratiqué jusqu'à présent ; les Anglais et les Américains, qui peuvent nous servir de modèles dans le fonctionnement des institutions constitutionnelles, le pratiquent sans cesse, même pour des lois quelquefois très secondaires.
Les chambres de commerce belges, ainsi que les différentes associations industrielles qui se sont groupées autour d'elles, ont eu l'intuition de la puissance de ce système le jour où elles nous ont demandé une enquête (page 336) parlementaire sur toutes les questions qui intéressent la circulation et l'exploitation de nos chemins de fer.
Cette enquête, je le constate à mon très vif regret, le gouvernement n'en veut pas ; je dis le gouvernement et non pas la majorité, parce que jusqu'à présent la majorité paraît vouloir se désintéresser du débat. Aucun de ses orateurs, jusqu'ici, n'a pris parti pour la demande des Chambres de commerce et des associations industrielles.
La question qui nous occupe n'est pas cependant une question politique, et l'on ne peut prétendre que les chambres de commerce et les associations industrielles, recrutées dans les divers partis qui divisent le pays, aient envoyé ces pétitions à la Chambre pour chercher noise au gouvernement ou à la majorité.
Nous n'avons donc eu, jusqu'à présent, en face de nous que le gouvernement représenté par deux de ses membres : l'honorable ministre des finances et l'honorable comte de Theux ; car M. le ministre des travaux publics s'est contenté de répéter quelques-uns des arguments déjà présentés par l'honorable M. Malou. Quant à l'honorable M. Wasseige, prédécesseur de l'honorable M. Moncheur, il a, lui, accédé au principe de l'enquête, et nous comptons qu'il restera fidèle à sa promesse.
Voyons, messieurs, les arguments qu'on nous a opposés.
L'honorable comte de Theux estime que nous avons tort d'invoquer l'exemple de l'Angleterre, de la France et de l'Allemagne, parce que l'Allemagne est une agglomération d'Etats avec les combinaisons les plus diverses appliquées à l'exploitation des voies de transport, parce que les chemins de fer en France sont complètement désorganisés, parce que l'organisation en Angleterre ne ressemble en rien à la nôtre.
Nous avons un chemin de fer qui est dans les mains de l'Etat et qui marche bien ; par conséquent nous n'ayons pas à nous enquérir de ce qui se fait en pays étranger. Seulement, l'honorable comte de Theux perd de vue que nous ne sommes pas satisfaits de la façon dont l'administration des chemins de fer gère nos intérêts. Nous prétendons qu'elle succombe à sa tâche, qu'elle né rend pas les services que nous sommes en droit de lui demander ; il oublie que cette exploitation a soulevé, à juste titre, les plus vives réclamations ; que l'exploitation des compagnies particulières soulève également des objections et des plaintes, et que c'est pour ces motifs que nous voulons, une fois pour toutes, voir clair dans la situation.
Sous ce rapport, notre situation aujourd'hui est identique à celle qui se présentait en Angleterre, il y a quelques années. Là, on se plaignait du privilège des. compagnies, on préconisait le rachat des lignes ferrées par l'Etat, tout comme ici, nous nous plaignons du chemin de fer de l'Etat et de son exploitation. Le parlement anglais a décrété une enquête pour examiner les griefs des intéressés. Pourquoi nous refuserions-nous à imiter cet exemple ?
Hier, nous avons été saisis d'un amendement de l'honorable M. David, qui demande 30 à 4,0 millions pour les besoins du chemin de fer, besoins parfaitement motivés par les nécessités qui ont été signalées dans le cours des débats. Mais comment la Chambre pourra-t-elle statuer sur l'utilité de l'amendement, sur l'importance des sommes qu'il convient d'accorder, sur les nécessités auxquelles il convient de satisfaire, si elle n'est pas, au préalable, éclairée, non par les renseignements de l'administration, mais par les témoignages des intéressés ? Les résistances que l'administration a opposées pendant si longtemps à l'extension du matériel prouvent la nécessité de contrôler par une enquête ses affirmations.
L'honorable comte de Theux nous dit encore que toutes les questions sont parfaitement connues et qu'il ne reste plus au gouvernement qu'à choisir les meilleurs moyens pour donner satisfaction aux réclamations qui se sont produites.
Mais je conteste le fait. Bien des choses ne sont pas connues, ou du moins ne sont pas assez généralement connues, à commencer par les abus qui existent dans l'exploitation de nos chemins de fer, On ne dira pas, certes, que tout y est pour le mieux. Et que serait-ce donc si j'abordais les questions de principe ? Nous avons des partisans très déterminés de l'exploitation des voies ferrées par le gouvernement, des partisans non moins convaincus de l'excellence des exploitations particulières, et entre les deux une foule d'excellents esprits qui hésitent encore aujourd'hui sur la question de savoir comment on peut concilier les lois de la concurrence avec le monopole qui s'impose plus ou moins par la nature même de l'industrie des transports. Les lois mêmes qui doivent régir l'industrie des transports sont encore sujettes à contestation, et c'est alors qu'on vient prétendre que tout est connu et que nous n'avons plus rien à apprendre !
L'honorable ministre des finances, pour combattre l'enquête, nous a fait l'histoire de l'enquête de 1853. Il nous a. dit comment la commission, refusée d’abord par feu M. Van Hoorebeke, puis subie par lui, de consultative qu'elle était, avait pris un caractère administratif et impératif, pour finir, après cette usurpation, par discuter quelle tête devaient avoir les boulons des locomotives.
Ce fut, en effet, une excellente plaisanterie de cet homme intelligent et capable qui s'appelait M. Masui : entré comme accusé dans la commission, il ne tarda pas à devenir son maître et se vengea d'elle en l'usant, en la tuant par le ridicule. MM. Devaux, Frère-Orban, M. Malou lui-même et le parlement avec eux ont condamné l'existence et le principe de cette commission ; d'où l'on conclut qu'il faut aussi condamner la commission dont nous réclamons l'institution.
Aux opinions qu'il a citées, l'honorable ministre peut ajouter la mienne, qui ne date pas d'aujourd'hui. La preuve s'en trouve dans les protestations que j'ai dirigées dans cette enceinte contre le procédé fallacieux, contraire à l'esprit de la Constitution, de l'institution des commissions mixtes pour les affaires militaires, commissions qui tantôt dominent le ministère de la guerre et tantôt sont dominées par lui ; commissions qui jettent la confusion dans la responsabilité des pouvoirs et nuisent au contrôle parlementaire.
Mais la commission que nous demandons aujourd'hui n'a aucun caractère consultatif. Loin de contrarier le contrôle parlementaire, elle doit le servir.
Elle n'aura à intervenir en rien dans les agissements du département des travaux publics ni pour le conseiller, ni pour le surveiller ou l'enrayer, et lorsque l'honorable M. de Theux craint que le ministre, chargé de diriger ce département et ses fonctionnaires, déjà accablés de besogne, seront dans l'impuissance de consacrer leur temps aux travaux de la commission d'enquête, je puis lui donner l'assurance que moins le ministre et ses fonctionnaires s'en occuperont, mieux ils répondront à nos désirs.
Le rôle de la commission, tel que nous le comprenons, doit consister uniquement à recueillir par voie d'enquête, c'est-à-dire par voie d'interrogatoires sur faits et articles, toutes les données propres à expliquer les causes multiples de la dernière crise ; à entendre les griefs de tous les intéressés, industriels et commerçants ; à recueillir leurs observations, leurs conseils et leurs suggestions ; à les confronter avec les observations, les conseils et les suggestions de tous ceux qui s'occupent de l'industrie des transports, aussi bien les fonctionnaires du département des travaux publics qui sont chargés de l'exploitation du chemin de fer de l'Etat, que les administrateurs des chemins de fer concédés, les bateliers et entrepreneurs qui naviguent ou font naviguer sur nos fleuves et canaux.
Mais cette enquête, dit-on encore, durera un an, deux ans et paralysera le département des travaux publics. Comment ! l'administration se croiserait les bras ? Pourquoi ? Parce qu'elle court risque de se tromper ? Mais ce risque, elle y est exposée avec ou sans enquête. Qu'elle continue donc à agir au mieux de ses connaissances et de ses convictions. Du moins, si elle se trompe, l'enquête nous permettra un jour et permettra à l'administration elle-même de rectifier les erreurs. Il suffit qu'elle soit de bonne foi.
Je comprendrais à la rigueur l'objection, si nous songions à faire de la commission un pouvoir hostile au département des travaux publics ; si nous la chargions de nous présenter une série de projets de lois pour donner satisfaction aux griefs qui pourront être formulés. Mais nous ne demandons rien de pareil. Nous voulons seulement que les griefs soient exposés devant le pays, contrôlés et contradictoirement discutés.
Quant aux propositions de loi, elles pourront émaner soit de l'initiative des membres de la Chambre, éclairés par les travaux de la commission, soit de l'initiative du gouvernement, selon qu'il adoptera ou non les conclusions à tirer de l'enquête.
La commission n'a pour mission que de réunir les matériaux à l'aide desquels nous avons à perfectionner notre organisation de transports. A elle de signaler les parties de l'édifice qui doivent être complétées ou restaurées : elle n'a pas à édifier.
L'honorable ministre des finances nous disait que plus cette commission produirait d'effet, plus elle annulerait l'action du ministre des travaux publics ; que, d'un autre côté, si elle ne produisait pas d'effet, if était inutile de l'instituer. Eh bien, que M. le ministre me permette le jeu de mots ; la commission ne doit pas produire d'effet, elle doit produire des faits. Son action ne doit se faire sentir que par les conséquences à tirer des témoignages qu'elle aura recueillis et analysés.
L'honorable M. Malou se demande encore si la commission sera un juge d'instruction collectif chargé d'examiner ce que les administrations ont fait ou ont pu faire de bien ou de mal.
A cette observation, je me suis demandé si c'était, le bout de l'oreille qui passait et si ce n'était pas là la cause, réelle et non, avouée de la résistance opposée aux désirs des représentants légaux de l’industrie et du commerce.
(page 337) Le gouvernement pense-t-il, par hasard, que nous demandons l'enquête pour mettre en accusation l'honorable M. Wasseige ? Si c'est là le motif de sa détermination, je puis le> rassurer. Nous n'avons nullement l'intention de faire une querelle à l'honorable M. Wasseige ; ce serait du temps perdu. Pour nous, le procès est gagné.
M. Wasseige n'est plus ministre ; cela nous suffît.
Sans doute, si des fautes ont été commises, les dépositions que la commission recevra ou provoquera les signaleront à la charge du dernier ministre des travaux publics ou de ses prédécesseurs pour qu'il en soit tenu compte à l'avenir ; mais découvrir les erreurs des uns et glorifier les mérites des autres, ne doit pas être l'objectif de l'enquête.
On a dit encore ; Mais ce sont des questions spéciales qu'il s'agit de résoudre, et ces questions ne peuvent être examinées que par des hommes spéciaux. Il faut établir un autre mode de comptabilité pour les chemins de fer ; il faut fixer la législation sur les transports.
Ce sont là d'excellentes réformes et je les approuve fort.
Je reconnais qu'elles réclament l'intervention d'hommes spéciaux ; mais avouez avec moi que ces hommes spéciaux feront une besogne d'autant meilleure, d'autant plus utile et plus complète, qu'ils auront pu, au préalable et sous le contrôle du public, reconnaître dans leurs moindres détails les besoins de l'industrie d'une part, ceux du service des transports de l'autre. Sinon, on s'expose à faire, dans l'ombre, des lois unilatérales, qui ne donneraient satisfaction qu'à un certain ordre de nécessités, selon que tel ou tel élément domine dans les commissions chargées de les élaborer. Et le mal qui se fait dans ces conditions, avec des idées préconçues par des hommes qui ne connaissent pas et qui ne peuvent connaître l'ensemble des faits auxquels ils ont à pourvoir, ne se révèle que lorsque les intéressés en sont déjà les victimes..
L'opinion publique, qui n'est pas suffisamment éclairée, ne peut fonctionner avec efficacité et préventivement.
Voyez d'ailleurs les contradictions dans lesquelles vous tombez, Organisons nos chemins de fer, qui sont une des gloires de notre pays, disent les membres du gouvernement ; pourvoyons à toutes les nécessités ; complétons nos voies ferrées, nos canaux ; donnons-leur toutes les installations nécessaires,
Qui fera cela ? Qui pourra le faire ? Les hommes spéciaux seulement. Très bien ; mais qui jugera les propositions de ces hommes spéciaux ? Qui accordera les fonds ? La représentation nationale. Ceci, l'honorable M. Malou ne le conteste pas. La Chambre, dit-il, conservera tous ses droits pour contrôler le gouvernement, pour le forcer à améliorer ce qui doit être amélioré. Et comment, je vous prie, la Chambre pourra-t-elle, dans une matière aussi grave, aussi compliquée, conserver et exercer utilement ses droits si elle ne connaît pas les faits ? Comment pourra-t-elle juger les propositions qui lui sont faites si elle n'est pas éclairée au préalable sur toutes les nécessités auxquelles il y a lieu de répondre ; si, pour les contrôler, elle doit s'en remettre exclusivement aux communications et aux appréciations de l'administration ? Le contrôle, dans ces conditions, est-il efficace ? Est-il sérieux ? Et comme nous ne pouvons exercer nos droits collectivement, quoi de plus simple que d'en déléguer une partie à ceux d'entre nous qui veulent bien se dévouer à ce travail d'élaboration pour en référer ensuite à notre appréciation ?
Et au-dessus de la Chambre, n'y a-t-il pas l'opinion publique ? Comment voulez-vous qu'elle fonctionne au grand profit de tous, si vous ne l'éclairez par un travail préparatoire, si vous ne la mettez à même de juger la portée et l'efficacité des solutions que vous lui apportez ? Vos propositions, dans ce cas, ne seront connues que par leurs effets, c'est-à-dire quand le mal sera fait et qu'il s'agira de le corriger.
Quoi qu'en ait dit M, le ministre des finances, la nécessité d'une enquête a été reconnue par la commission de l'industrie. Cela résulte du texte de son rapport, comme des explications données hier par l'honorable rapporteur.
Seulement, cette commission n'a pas été d'accord sur le mode d'enquête à adopter. Quelques membres voulaient une enquête faite par la Chambre selon les vœux des industriels ; d'autres voulaient une enquête faite par les soins du gouvernement, et cette commission, le gouvernement lui-même la refuse puisqu'il se borne à quelques promesses assez vagues, comme celles que vient de formuler l'honorable comte de Theux : promesses d'un rapport et d'une exécution ultérieure de mesures propres à donner satisfaction aux réclamations qui se sont produites.
Des rapports ! La Chambre sait ce qu'ils valent : nous l'avons appris à nos dépens dans la question d'organisation militaire. Le rapport fantôme du général Chazal a permis d'ajourner pendant deux années la réorganisation militaire de 1868. Le rapport du général Guillaume sera l'assise sur laquelle s'établiront le service militaire, obligatoire et une augmentation considérable du budget de la guerre.
Les rapports du gouvernement ne sont jamais que des plaidoyers dans lesquels on accumule tous les faits favorables au résultat que le gouvernement veut atteindre, aux principes qu'il désire faire prévaloir ; dans lesquels on dissimule, on masque ou l'on nie les faits qui gênent le pouvoir et que le pays aurait intérêt à connaître. Ce n'est pas ainsi que l'on arrive à la connaissance de la vérité.
J'en dis autant de l'institution des commissions gouvernementales. N'oublions pas, messieurs, qu'en cette matière comme en toute autre, le gouvernement est juge et partie. Il ne représente pas seulement les intérêts généraux du pays, il est en même temps propriétaire et exploitant de chemin de fer.
Il a intérêt à prouver que les griefs dirigés contre lui soit par l'industrie, soit par ses concurrents en transports, sont imaginaires ou exagérés. Par l'intermédiaire de la commission nommée par lui, il groupera tous les faits qui peuvent lui donner raison, il étouffera ceux qui lui donneraient tort. Je ne veux pas que l'enquête se fasse contre le gouvernement, mais je ne veux pas non plus qu'elle se fasse exclusivement à son profit.
Pour placer tous les intérêts sur un pied d'égalité et atteindre l'impartialité, il n'y a de possible qu'une enquête parlementaire, exclusivement parlementaire. Et, ici, je me sépare des vœux des chambres de commerce et des propositions déjà formulées dans cette enceinte par quelques honorables membres pour constituer une enquête à la fois parlementaire et mixte. Je suis convaincu, d'ailleurs, que lorsque les pétitionnaires y auront réfléchi, ils se rallieront à ma manière de voir.
Et d'abord, je fais remarquer que les deux termes s'excluent. Une enquête ne peut pas être à la fois parlementaire et mixte. Si elle est mixte, elle n'est plus parlementaire. Ce point, l'honorable M. Pirmez l'a déjà fait ressortir. Il ne faut pas confondre les pouvoirs. La Chambre, par sa commission, doit fonctionner comme un jury pour statuer sur les intérêts divergents de l'industrie et du commerce d'une part, des entrepreneurs de transport d'autre part. Admettre dans la commission des intéressés avec voix délibérative, c'est fausser le caractère de l'enquête. A côté des plaignants, il faudrait aussi placer, avec voix délibérative, la partie adverse. Ceci, l'honorable M. Balisaux l'a compris.
Allant plus loin que les chambres de commerce et les associations d'industriels, il a fait entrer, dans la commission, des représentants du département des travaux publics.
Mais pourquoi en exclure les représentants des chemins de fer concédés ? Est-ce qu'ils n'ont pas, eux aussi, des intérêts à défendre soit contre l'Etat, leur concurrent, soit contre les diverses industries du pays ?
Et puis, voyez les autres difficultés. Vous voulez donner des garanties à l'industrie, et vous limitez à cinq le nombre de ses représentants, il faudra donc que ces cinq privilégiés, bien difficiles à choisir, soient les organes fidèles et impartiaux des intérêts multiples et souvent contradictoires des diverses industries de nos provinces. Est-ce qu'ils connaîtront toutes les nécessités, toutes les exigences du commerce et de l'industrie ?
De même, messieurs, pour le service des chemins de fer.
Pourquoi appelleriez-vous plutôt tel chef de service que tel autre ? Et pour les chemins de fer concédés n'est-ce pas la même chose ? N'avez-vous pas là des intérêts divergents et ces intérêts divergents n'auraient-ils pas tous le droit d'être représentés dans votre commission avec voix délibérative, si vous vous engagez dans cette voie sans issue ?
Je dis donc que cela n'est pas pratique et qu'il y a d'autres moyens de donner satisfaction aux préoccupations qui ont dicté cette exigence spéciale des chambres de commerce.
En effet, que veulent les pétitionnaires ? Qu'on me permette l'expression triviale, bien qu'un mémoire célèbre fait mise à la mode ; les chambres de commerce, qui savent ce que valent les commissions telles qu'elles ont fonctionné jusqu'à présent, ne veulent pas être roulées par l'habileté du gouvernement ; elles veulent prendre leurs précautions. En cela, elles sont parfaitement bien avisées. Mais les procédés ne manquent pas, pour leur donner toutes les garanties qu'elles ont le droit d'exiger.
Il y a, d'abord, la publicité de l'enquête, et ici, messieurs, qu'on me permette de faire une diversion pour toucher encore un point du discours de l'honorable comte de Theux.
L'honorable ministre juge l'enquête inutile, parce qu'elle se fait tous les jours, en Belgique, par la presse, par le parlement, par les pétitions.
Mais, à ce compte, les enquêtes ne seraient jamais nécessaires dans les pays libres. En Angleterre, les institutions fonctionnent avec une intensité bien plus grande encore que chez nous ; cependant, le parlement a toujours quatre ou cinq enquêtes qui fonctionnent en permanence. Et il s'en trouve (page 338) bien. Il ne croit pas, lui, suffisant ce dont on nous invite à nous contenter. L’enquête que nous réclamons doit être comme celles du parlement anglais, une enquête publique ; elle doit être accessible à tous les intéressés, au moins pendant la phase des interrogatoires. Il faut que la presse puisse y envoyer ses représentants ; il faut que la sténographie conserve les dépositions des témoins appelés ; il faut que ceux-ci puissent dire librement tout ce qu’ils savent ; il faut que leurs assertions soient contrôlées par tous les intéressés.
Voilà une première garantie.
En second lieu, je demande que le droit d’interrogation soit aussi large, aussi complet que possible ; qu’il puisse être exercé par tous les membres de la commission ; que tout homme qui a un bon avis à donner, un renseignement utile à fournir, soit appelé devant la commission, fût-il régnicole ou étranger. En cela, nous ne ferons encore qu’imiter l’exemple de nos voisins. Dans la grande enquête française sur la question de la liberté commerciale, des industriels de Verviers et de Liége, des notables belges ont été appelés à Paris et y ont porté le fruit de leurs lumières et de leur expérience.
La commission que nous instituerons devrait pouvoir rendre le même honneur aux spécialistes étrangers.
Cette faculté donné à tous les intéressés de se faire entendre devant la commission d’enquête et de voir acter leurs dépositions, produirait un effet bien plus utile que l’espèce de délégation qu’on demande pour eux au sein même de la commission.
Enfin, pour donner les garanties qu’on réclame à bon droit, il faut que la commission d’enquête soit composée d’une façon intelligente et impartiale. Sans doute, il y a là une difficulté. L’honorable M. Balisaux a cherché à la lever en confiant au gouvernement le soin de choisir les membres de la commission. Il se méfié de l’esprit de parti.
Je crois que la Chambre ne peut pas ici abdiquer son droit. Il faut qu’elle nomme elle-même, ou par son bureau, les membres chargés de faire l’enquête. Quant aux garanties d’impartialité, on les trouvera dans le procédé usité en Angleterre.
Il est simple et pratique, c’est le speaker qui choisit en Angleterre. Ici, ce serait le bureau. Mais ces nominations se font de concert avec ceux qui ont proposé l’enquête et le gouvernement qui en accepte le principe. Dans ces conditions, l’accord n’est pas difficile pour composer la commission d’une manière impartiale, pour choisir des hommes à même de rendre de bons et loyaux services dans un simple travail d’investigation, où chaque solution n’est pas préjugée. Certains noms s’imposeraient d’eux-mêmes et avec un peu de bonne volonté de part et d’autre, toutes les opinions et tous les intérêts s’équilibreraient aisément.
Parmi les objections formulées par l’honorable ministre des finances, figure la nécessité de bien préciser le caractère de l’enquête et les attributions de la commission.
Mon collège et ami, M. Le Hardy de Beaulieu, a dû lui donner, sous ce rapport, toute satisfaction.
Le cadre qu’il a tracé est très complet ; d’autant plus complet qu’il est calqué sur celui de l’enquête établie pour le même objet. La formule a paru trop compliquée. C’est le tort de son origine. Le législateur anglais aime à préciser. Rappelez-vous le texte diffus de ses lois. D’ailleurs, mon honorable ami a mis tout le monde à l’aise en ne donnant pas à sa proposition un caractère impératif. Il a tracé un cadre que la Chambre peut étendre ou restreindre, selon le zèle, l’intelligence et la capacité qu’elle attribuera à sa commission, selon l’importance qu’elle attache au problème à résoudre.
Il y a, d’ailleurs, un moyen de simplifier beaucoup les difficultés de la proposition, c’est de ne voter que sur la prise en considération du principe de l’enquête, en déclarant qu’elle sera parlementaire et publique.
Quant à la proposition elle-même, avec ses détails d’application, la Chambre pourrait la renvoyer soit aux sections, soit à une commission spéciale. Celle-ci étudierait alors le nombre des membres chargés de faire l’enquête, leur choix et leur mode de nomination ; elle délibérerait aussi sur l’étendue des attributions de la commission, sur la durée de son mandat, et tous autres détails qui ne touchent pas au principe.
J’ai présente en ce sens une proposition que je déposerai sur le bureau.
Il me reste, messieurs, à faire une dernière observation.
A entendre le gouvernement, on croirait que la nomination d’une commission d’enquête parlementaire est la chose la plus anormale, la plus impossible, la plus contraire aux institutions constitutionnelles, une chose que l’on n’a jamais vu fonctionner dans les pays libres.
C’est possible en France, où les Chambres n’ont que trop abandonné à l’administration le soin de prendre et d’agir pour le pays ; où toute initiative individuelle, en dehors de celle du pouvoir, a toujours été proscrite ; où les gouvernements ont toujours tenu aux citoyens le langage que tenait tantôt le chef du cabinet : « Dormez en paix, le gouvernement veille sur vous, il agit pour vous, il pense pour vous ; ne vous inquiétez pas. »
Nous avons vu où ce système a mené la France. Si nous avons à prendre des exemples à cet égard, ce n’est pas chez nos voisins du Midi que nous devons aller les chercher.
En Belgique aussi, les enquêtes parlementaires ont été rares, parce que nous remettons trop volontiers les soins de nos intérêts aux mains du pouvoir ou plutôt de la bureaucratie. Nous avons eu une enquête, cependant, qui n’est pas sans analogie avec celle que nous proposons ; et bien que ses résultats n’aient pas répondu aux véritables intérêts du pays, elle a contribué à semer quelques-unes des idées qui ont triomphé contre elle.
En Angleterre, les enquêtes parlementaires fonctionnent en quelque sorte d’une façon constante. Il n’y a pas de session où l’on en institue pas pour l’un ou l’autre objet.
J’ai assiste aux interrogatoires d’une de ces commissions ; des Belges, des Hollandais, des Allemands ont été appelés dans le sein d’autres commissions pour donner des explications sur telle ou telle branche de leur législation.
Pour bien préciser ce point, permettez-moi, messieurs, de vous lire un extrait d’un travail très intéressant de M. Maurel Dupeyré, secrétaire de l’ancien corps législatif de France, sur le fonctionnement des enquêtes parlementaires en Angleterre. Ce ne sera pas long.
« Les enquêtes – qui sont fréquemment ordonnées par le parlement, - se font dans des comités particuliers (select committees). D’autres travaux encore, qui demandent des informations spéciales, certains villes, des pétitions, sont également renvoyés à ces commissions. Elles entendent des témoins et s’entourent de tous les documents qui peuvent les éclairer.
« Tout membre qui veut proposer à la chambre la nomination d’un comité particulier doit, un jour à l’avance, en donner avis et joindre à cet avis les noms des membres, au nombre de quinze, ordinairement, dont il demandera que le comité soit composé. Il a donc à s’assurer préalablement de leur adhésion. Parfois les noms sont simplement tirés au sort. »
Vous remarquerez, messieurs, avec quelle simplicité fonctionnent ces rouages. Il suffit, pour obtenir l’institution d’une commission d’enquête, que le promoteur se mette d’accord avec quinze collègues et qu’il fasse une proposition, laquelle, je le dis en passant, est bien rarement refusée.
Je ne crois pas que les annales du parlement anglais offrent de nombreux exemples de résistances face à des propositions de cette nature par le gouvernement ou par la chambre, alors que la proposition n’a d’autre but que d’éclairer le gouvernement, la chambre et le pays sur les besoins d’une branche quelconque du service public.
M. Maurel continue :
« Quand un comité est chargé d’entendre des témoins, les étrangers peuvent y assister, et les journaux, dans les enquêtes intéressantes, y envoient des reporters, mais ils doivent se retirer lorsque le comité délibère.
« Les membres de la chambre des lords peuvent prendre la parole dans les comités particuliers dont ils ne font pas partie, mais ils ne doivent pas voter.
« Il y a des comités secrets.
« Les dépositions faites devant les comités particuliers sont recueillies par la sténographie, imprimées chaque jour pour le comité, communiquées aux déposants pour qu’ils en reconnaissent l’exactitude.
« Quand un comité a terminé l’étude de la question qui lui était soumise, son président prépare des conclusions, qui sont imprimées, discutées, adoptées, avec ou sans amendements, puis apportées à la chambre. »
Ce travail de M. Maurel Dupeyré n’est pas unique en son genre. Un écrivain hollandais, M. Karstent, a fait, sur les enquêtes parlementaires dans les pays constitutionnels de l’Occident, des recherches très consciencieuses. Enfin, un publiciste belge, ancien membre de cette assemblée, l’honorable M. Hymans, qui connaît à fond les usages du parlement anglais, a également étudié les enquêtes dans un intéressant opuscule. Je conseille la lecture de ces ouvrages à tous ceux qui s’effarouchent à l’idée d’introduire ce moyen d’investigation dans les pratiques de notre parlement.
Je suis convaincu, messieurs, que si nous imitions l’exemple de l’Angleterre, si nous appelions devant une commission d’enquête constituée et fonctionnant comme les commissions d’enquête anglaises, tous les intéressés capables de les éclairer, nous arriverions à des solutions bien plus fécondes et bien plus satisfaisantes que toutes celles que l’administration (page 339) des travaux publics pourra trouve dans l’isolement de sa sagesse et de son omnipotence.
(page 330) M. Houtart. - J'insiste sur l'institution d'une enquête parce que je la crois nécessaire (erratum, page 340) et qu'elle est réclamée par un grand nombre d'industriels et de commerçants de mon arrondissement.
Lorsque j'ai interrompu M. le ministre des finances dans son discours, je voulais lui faire observer que l'industriel qui est obligé de fermer son usine s'inquiète fort peu si le chemin de fer fait de bonnes affaires quand lui en fait de mauvaises par le fait même du chemin de fer.
Je me suis rappelé les nombreuses interpellations qui ont été adressées à M. le ministre des travaux publics pendant le cours de la dernière session, interpellations qui sont parties de tous les bancs de cette Chambre, les unes pour réclamer du combustible pour des usines à gaz qui étaient sur le point de devoir chômer, les autres pour réclamer que l'on vienne en aide aux industriels menacés de devoir congédier leurs ouvriers.
Je me rappelle entre autres une interpellation de M. de Vrints, qui nous a signalé qu'un industriel avait été obligé de fermer son usine, le combustible n'arrivant plus.
Eh bien, c'est pour éviter le retour de ces désastres partiels que nous proposons une enquête.
Je sais bien que le département des travaux publics, secondé par (erratum, page 340) un personnel instruit, éclairé, peut apporter de grandes améliorations dans l'exploitation des chemins de fer. Mais quand les membres des chambres de commerce de Mons, de Charleroi et de beaucoup d'autres localités industrielles, quand les membres les plus éminents des comités industriels et les industriels eux-mêmes se mettent à la disposition du gouvernement pour perfectionner l'instrument dont il dispose, je me dis qu'il y a présomption, qu'il y a imprudence peut-être à refuser le concours de ces hommes expérimentés qui ont élevé l'industrie belge à un niveau qui n'a jamais été dépassé. Pourquoi ne feraient-ils pas pour les chemins de fer ce qu'ils ont fait pour l'industrie ? Je dirai plus : si ce concours ne vous était pas offert spontanément, il me semble qu'il serait de l'intérêt général de le leur réclamer. Ce n'est pas trop, selon moi, de toutes les lumières des hommes qui s'occupent de l'intérêt général pour donner à la question qui nous occupe une solution convenable.
Voilà mon opinion. M. le ministre des travaux publics déclare que cette enquête nous ferait perdre plusieurs années peut-être. Mais je me demande d'où ce retard pourrait provenir. M. le ministre a-t-il l'intention de stériliser les fonds que nous allons mettre à sa disposition ? A-t-il l'intention de suspendre les adjudications de waggons, d'arrêter le travail des installations dans les stations ? Je suis persuadé que non. M. le ministre travaillera de son côté et la commission du sien. Dans un moment donné, vous trouverez dans le rapport qui vous sera soumis des enseignements que vous pourrez appliquer avec une grande utilité dans l'intérêt général.
Voilà quelques observations que j'avais à présenter sur la question en discussion.
Je ne m'étendrai pas davantage parce que des orateurs plus autorisés que moi ont donné des détails excessivement circonstanciés et complets. Je me bornerai simplement à rappeler à M. Malou qu'il a promis d'être prévoyant ; dans le crédit qui nous est demandé encore aujourd'hui, je vois que l'on donne une certaine satisfaction à l'industrie charbonnière et à l'industrie métallurgique. On accorde à ces industries quelques waggons ; mais il y a d'autres industries qui souffrent également du manque de matériel.
Je citerai notamment les verreries, les faïenceries et bien d'autres encore qui manquent du matériel spécial qui leur est indispensable pour le transport de leurs produits. Ces industriels subissent parfois de la sorte des pertes assez considérables, parce qu'ils ne peuvent pas faire arriver à jour fixe, pour le départ d'un navire à Anvers par exemple, les marchandises qu'ils se sont engagés à livrer et cela parce qu'on ne met pas de waggons à leur disposition.
Je rappellerai donc à la bienveillante attention de M. le ministre des travaux publics le vœu émis par la section centrale dans le rapport qui nous a été présenté, de mettre prochainement en adjudication quelques waggons fermés de dix tonnes, qui sont réellement indispensables aux industries dont je viens de parler.
M. Wasseige. - J'avais l'intention de répondre au discours prononcé il y a quelques jours par l'honorable M. Jamar. Je me proposais de combattre les chiffres qu'il a indiqués pour établir que le chemin de fer était en bon état lorsqu'il quitta le ministère ; j'étais en mesure de prouver que la plupart de ces chiffres sont erronés et que, par conséquent, les déductions qu'il en a tirées sont forcées.
Mais l'absence de mon honorable prédécesseur, absence légitimée par un nouveau deuil de famille auquel nous prenons tous part, m'impose une réserve que vous comprenez tous.
J'ajourne donc ma réponse à la discussion du budget des travaux publics, qui me fournira probablement l'occasion d'un débat contradictoire. Quant à la question des nouveaux tarifs des voyageurs, je ne crois pas que la Chambre soit disposée à l'examiner actuellement à fond. Les arguments produits hier par l'honorable M. David ne sont d'ailleurs ni neufs, ni concluants : c'est la réédition de deux discours que l'honorable membre a déjà prononcés sur cet objet et auquel deux fois aussi j'ai répondu. Si, l'honorable membre a un jour quelques arguments nouveaux et sérieux à faire valoir, je me ferai alors un plaisir de lui répondre.
Je renonce donc à la parole et je la cède à mon honorable collègue, M. Simonis. (Interruption.)
(page 331) M. le président. - Il y a d'autres orateurs inscrits avant lui.
(page 339) M. Malou, ministre des finances. - J'ai quelques observations à présenter encore à la Chambre. Je m'efforcerai de les abréger le plus possible, l'intention de la Chambre me paraissant être de finir aujourd'hui ce débat.
- Quelques voix. - Non ! non !
- D'autres voix. - Oui ! oui !
M. Malou, ministre des finances. - J'ai entendu exprimer ce désir par plusieurs membres siégeant des deux côtés delà Chambre.
D'honorables préopinants croient qu'il suffît de voter millions sur millions pour décider la question que nous discutons depuis huit jours. Là, n'est pas du tout le problème à résoudre.
Le chemin de fer de l'Etat, considéré comme entreprise industrielle, ne doit point augmenter, sans une évidente nécessité, les immobilisations, mais, au contraire, tâcher de tirer des capitaux nouveaux qu'il doit y engager avec la plus grande utilité possible.
Il faut, et c'est un principe élémentaire, considérer quels sont les besoins les plus urgents et les moyens les plus efficaces et les plus économiques pour augmenter les recettes du chemin de fer de l'Etat, c'est-à-dire pour pouvoir faire face au trafic actuel et à la progression du trafic.
Ainsi, l'honorable M. David propose un amendement par lequel il offre 30 à 40 millions, (l'honorable membre n'est pas fixé sur le chiffre ni moi non plus) pour l'agrandissement et l'aménagement des gares de marchandises.
Si ce libellé était admis, on ne pourrait presque rien faire, au moyen de ces 30 où 40 millions, parce que nous n'avons qu'exceptionnellement des gares de marchandises distinctes. (Interruption.)
Comment l'honorable membre est-il arrivé à ces 30 ou 40 millions pour un seul article des dépenses du chemin de fer de l'Etat ?
Je l'ignore et il ne nous l'a pas dit.
Evidemment, ce n'est pas ainsi que l'on peut administrer l'entreprise du chemin de fer de l'Etat. Le véritable problème, est donc celui-ci.
C'est de consacrer au chemin de fer de l'Etat le nombre de millions qui sera reconnu successivement nécessaire afin de le rendre de plus en plus productif, c'est-à-dire de plus en plus utile à tous les intérêts qu'il doit desservir.
Messieurs, nous avons eu l'honneur de déclarer, mon honorable collègue des travaux publics et moi, comment nous croyons que promptement, d'une manière sûre, ce résultat peut être atteint.
Je vais le répéter encore une fois, pour que nul n'en ignore. Nous demanderons, nous exigerons qu'il soit dressé un état complet des besoins du chemin de fer, pour suivre la progression des recettes sur laquelle nous avons le droit de compter ; nous exigerons qu'il soit dressé, le plus tôt possible, afin de pouvoir demander à la Chambre, même avant la clôture de la session, s'il y a lieu, les sommes qui seront reconnues nécessaires, le travail fût-il encore incomplet à cette époque.
S'il est démontré que les 16 millions demandés aujourd'hui sont insuffisants pour maintenir les choses au courant et pour faire ce qui est nécessaire et urgent, nous demanderons encore des crédits. Ce que nous ne pouvons pas admettre, c'est qu'on entraîne la Chambre à voter en blanc 30 ou 40 millions de plus, sans savoir à quoi ils doivent servir et à quoi il est de l'intérêt du pays de les appliquer.
Nous promettons de faire cela, pourvu, bien entendu, qu'il n'y ait point d'autre enquête.
M. Bouvier. - C'est la condition.
M. Malou, ministre des finances. - Je vous en supplie : si vous faites des interruptions qui servent à la discussion, je les accepte volontiers, mais point celles qui font dérailler le débat.
Je répète donc que nous serons en mesure de faire cela s'il n'y a point d'enquête.
La situation est assez étrange ! On dit : Nous allons voter le crédit de 16 millions à valoir en compte, en quelque sote, et nous demandons qu'on fasse une enquête. Mais, messieurs, la plus simple logique semble devoir, au contraire, porter les honorables membres à dire : Puisque nous voulons une enquête, nous attendrons, avant de voter de pareils crédits, que l'enquête soit finie. (Interruption.) Permettez ! un seul membre, partisan de l'enquête, a porté la logique jusque-là ; c'est l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ; il a indiqué les objets de l'enquête et déclaré que, selon lui, l'enquête devait être préalable à tout vote de fonds. (Interruption.)
C'est bien là, messieurs, ce qu'a dit l'honorable M. Le Hardy et c'est la seule position qui soit logique.
Il y a trois ordres principaux de questions : la comptabilité, la législation, l'exploitation.
Pour la comptabilité et la législation, faut-il une enquête parlementaire ou autre ? Car j'arriverai tout à l'heure à toutes les variétés d'enquête qui sont écloses dans cette discussion. Il est clair que deux commissions peu nombreuses composées d'hommes spéciaux auront bien mieux et plus promptement résolu ces deux ordres de questions qu'une commission d'enquête, à laquelle on donnerait un mandat en quelque sorte universel.
Je me défie beaucoup des commissions nombreuses et si j'avais à faire l'histoire des commissions et surtout l'histoire nécrologique des commissions en Belgique, vous verriez qu'il en est beaucoup dont on peut compter l'existence par une durée proportionnelle au nombre de leurs membres et que souvent une commission de vingt membres vécut vingt mois et plus encore lorsqu'elle était plus nombreuse.
Nous n'avons pas besoin en ce moment de longs discours et de longues investigations ; nous avons besoin de waggons, d'un meilleur aménagement dans nos gares ; nous avons besoin d'améliorer à tous les points de vue tous les organes de cette immense machine qu'on appelle le chemin de fer.
Et où sont les inconnues ? Et comment la commission d'enquête pourrait-elle les dégager ?
Le problème actuel, dégagé de ce qui concerne la comptabilité et la législation, consiste exclusivement à savoir, en étudiant le mécanisme et l'exploitation, le trafic et ses courants, les installations, les voies, les directions des transports, le matériel de traction ou de transport, quels organes de la machine sont défectueux et doivent être perfectionnés. Permettez-moi de préciser, suivant que les voies sont bien ou mal établies dans les stations, il est évident qu'on peut y faire avec facilité, économie et célérité un mouvement plus ou moins considérable.
Je suppose que l'on ait nommé une commission d'enquête de laquelle les ingénieurs, les hommes techniques, les exploitants sont exclus ou dans laquelle ils sont en minorité, et que successivement elle aille parcourir chacune de nos stations pour examiner quels sont les changements qui doivent être faits dans la disposition des voies, dans les installations. (Interruption.)
Je cite un exemple. Ce n'est pas tout, je le sais. Mais c'est là l'une des choses les plus délicates, les plus difficiles, et elle doit, comme d'autres purement techniques, être examinée par la commission et même en premier lieu. Bien qu'ayant participé à l'administration active de plusieurs chemins de fer, je déclare humblement que, sur ce point et sur bien d'autres, je devrais décliner ma compétence.
Ce n'est pas, je le répète, l'objet unique, mais c'est l'un des objets sur lesquels devraient se porter les investigations de la commission d'enquête, et la plupart sont de même nature.
Messieurs, j'avais compris que votre commission d'industrie ne proposait pas l'enquête, parce que, tout en déclarant qu'elle adhérait aux conclusions des pétitions, elle ne proposait que le dépôt sur le bureau de la Chambre. L'honorable M. Balisaux et l'honorable rapporteur disent que l'on était d'accord sur le principe de l'enquête, mais qu'on était divisé sur la manière de la faire.
Messieurs, être d'accord sur un principe abstrait lorsque tous les membres ont des opinions différentes sur la manière d'organiser ce principe, j'avoue que cela n'avance pas beaucoup la question. Je rappelle, en passant, que la commission avait parfaitement le droit d'être claire et précise puisque l'article 59 du règlement l'autorise à prendre l'initiative de toute proposition à l'occasion des pétitions qui lui sont renvoyées. Il y a à cet égard des antécédents nombreux. Les commissions peuvent proposer des projets de loi, des projets d'enquête, etc., etc.
Mon erreur sur les conclusions de la commission est donc excusable.
On dit : la Chambre réglera l'espèce de l'enquête ; on pourrait même ajouter la variété à choisir parmi les espèces. Chacun veut une chose différente. Ainsi les honorables MM. Pirmez et Couvreur veulent une commission d'enquête exclusivement parlementaire.
L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu la veut aussi, mais avec un programme qui a paru effrayer tout le monde et particulièrement l'honorable président qui serait le président-né de cette commission dont le mandat serait limité à deux ans.
Mais on nous dit et tout le monde répète que, quelle que soit la forme de l'enquête, la liberté d'action du gouvernement et la responsabilité ministérielle doivent subsister.
Encore une fois, messieurs, on aura beau le dire, cela ne sera pas, cela (page 340) ne peut pas être. Que cette commission soit instituée, et elle doit immédiatement agir.
Si elle doit agir, évidemment tout ce qu'elle fera ou paralysera l'action ministérielle, ou sera complètement inopérante, si le ministre, dans l'intervalle, fait le contraire.
Vous ne pouvez pas, pour les mêmes objets, créer des pouvoirs parallèles ; celui qui a la responsabilité cédera-t-il et laissera-t-il agir celui qui n'a pas la responsabilité ? Quels que soient les termes employés, c'est en réalité une impossibilité qui se manifestera aussitôt que la commission sera créée.
L'honorable M. Balisaux vous a défini un autre mandat pour la commission d'enquête. Elle doit régler un peu les comptes du passé ; mais elle doit surtout se mettre à rechercher tout ce qui peut être fait d'utile, non seulement pour le chemin de fer, mais pour les canaux existants ; elle doit se mettre à rechercher également tous les travaux publics qui peuvent être exécutés, fût-ce même au prix de 300 à 400 millions.
Messieurs, on n'a jamais procédé et je souhaite qu'on ne procède pas ainsi. Si l'on voulait chercher 300 a 400 millions de dépenses à faire en Belgique, on n'aurait qu'à prendre, par exemple, toutes les demandes de concession qui ont été faites et qui sont encore en instance. Si l'on voulait faire l'inventaire de ce que tout le monde peut désirer en Belgique, je crois qu'on dépasserait de beaucoup, en quelques semaines tout au plus et sans le pénible labeur d'une commission d'enquête, les 300 à 400 millions dont parle l'honorable M. Balisaux.
Pour les travaux d'utilité publique, j'estime qu'il faut rester dans la voie qu'on a toujours suivie, c'est-à-dire étudier quels sont ceux qui présentent le caractère d'utilité la plus générale et d'urgence la mieux établie ; et, comme nous l'avons fait, couvrir successivement par notre budget des dépenses extraordinaires ces nouveaux travaux publics dont l'utilité sera reconnue, mais qu'il ne faut pas prétendre régler tout d'avance pour un long avenir et engager 300 ou 400 millions.
Messieurs, le dissentiment le plus profond entre les partisans de l'enquête porte sur la composition même de la commission. Ainsi les honorables MM. Balisaux et Descamps demandent que la commission se compose de dix-huit ou vingt membres, qu'elle soit parlementaire, mixte et publique.
D'après l'honorable député de Charleroi, il y aurait huit ou dix représentants, cinq industriels et cinq fonctionnaires du chemin de fer de l'Etat.
Je me demanderai s'il est possible, sans que l'administration soit complètement supprimée, d'introduire l'élément fonctionnaire dans une pareille commission d'enquête.
D'ans un autre pays, sous le règne de Louis-Philippe, il y a eu un conflit très grave lorsque la commission d'enquête parlementaire, établie seulement pour vérifier les pouvoirs d'un membre de la Chambre des députés, a voulu interroger des fonctionnaires publics.
Le ministre de l'intérieur s'y est formellement opposé ; il a défendu à ses agents de se rendre aux convocations de la commission d'enquête ; ce conflit a duré longtemps et il a fini par une transaction assez singulière : le ministre a consenti à présenter à la commission d'enquête les deux fonctionnaires qu'elle désirait surtout entendre en leur permettant de parler en sa présence.
Je ne dis pas qu'il faille établir ce principe-là ; mais voyez cependant si vous n'arrivez pas nécessairement, en établissant la commission d'enquête et en y introduisant des fonctionnaires, à introduire l'anarchie dans l'administration.
La commission se composera de fonctionnaires ; ils pourront interroger leurs supérieurs ; le ministre lui-même pourra être appelé devant la commission et il aura à s'expliquer devant ses subalternes. La commission entendra le témoignage de tous les chefs de station, par exemple, pour constater l'insuffisance des gares.
Naturellement, vous ouvrez ici la porte à deux battants à des dépenses en quelque sorte illimitées. Lorsqu'on aura interrogé tous les chefs de gare sur le point de savoir si l'espace ne manque pas, s'il ne faut pas d'autres installations, tous diront qu'ils seraient plus à leur aise si leurs gares avaient le double des voies, des dimensions plus grandes et ainsi de suite. On va acter tous ces témoignages et on va, à l'insu du ministre, interroger tous ses subalternes, entasser contre lui un dossier dix fois plus formidable que n'a jamais pu être le dossier Wasseige.
L'honorable M. Couvreur n'a pas reculé devant ces conséquences. La commission, dit-il, sera un jury exclusivement parlementaire ; elle interrogera les intéressés, les fonctionnaires et elle prononcera, par exemple, entre les industriels et l'Etat.
Le droit de prononcer sur les griefs qui sont allégués contre des ministres appartient à la Chambre ; il ne dépend pas d'elle de le déléguer à des tiers ou même à quelques-uns de ses membres. Ce pouvoir constitutionnel doit être conservé à la Chambre ; elle ne peut pas abdiquer.
Il y a d'autres choses assez étranges encore dans tout ceci. Au début, une chambre de commerce fait autographier un modèle de pétition qu'elle envoie à toutes les autres chambres de commerce ; celles-ci signent la pétition et l'adressent au gouvernement.
Les chambres de commerce, qui sont des corps consultatifs institués par le gouvernement, font ensuite une sorte de fédération et se présentent en corps devant le gouvernement pour lui demander quoi ? Pour demander au ministre une enquête parlementaire.
On leur a répondu qu'on ne pouvait les recevoir qu'à titre individuel, et elles ont compris qu'une enquête parlementaire ne pouvait être demandée qu'à la Chambre. Maintenant nous discutons sur le principe et sur le caractère de l'enquête ; plusieurs membres, l'honorable M. Balisaux et l'honorable rapporteur de la commission d'industrie, entre autres, veulent faire décider par la Chambre que le gouvernement nommera une commission. En effet, si l'enquête n'est pas exclusivement parlementaire, c'est demander aujourd'hui à la Chambre de prescrire au gouvernement de nommer une commission dont on lui indique d'avance tous les éléments.
Cela n'est pas conforme aux droits qui dérivent de nos institutions. La Chambre a sa prérogative ; il lui est parfaitement libre de l'exercer en ordonnant une enquête parlementaire. Mais je ne pense pas que la Chambre puisse prescrire au gouvernement de nommer une commission composée de telle manière et de lui donner tel ou tel mandat.
C'est incontestablement au gouvernement seul qu'il appartient de juger si, oui ou non, il croit devoir instituer une pareille commission.
Dans la situation actuelle, on ne peut pas croire que nous combattions l'enquête à cause de l'interprétation qui pourrait y être donnée.
Généralement la proposition d'une enquête parlementaire peut être considérée comme ayant un caractère de blâme ou de défiance à l'égard du gouvernement. Je comprendrais que ce caractère lui fût donné si le ministère qui est sur ces bancs était plus âgé ; mais il vient à peine de naître ; il ne peut pas encore s'être exposé à un blâme, à raison de l'exploitation des chemins de fer.
Ce n'est donc nullement cette préoccupation-là qui nous porte à combattre l'enquête ; c'est le sentiment du devoir que nous avons à remplir pour rétablir complètement la situation du chemin de fer de l'Etat ; c'est la volonté ferme et arrêtée de remplir complètement et le plus tôt possible, dans toute son étendue, ce grand devoir qui nous détermine à combattre l'enquête comme étant un obstacle à ce que le bien se réalise et comme pouvant avoir pour effet une confusion de pouvoirs, l'annulation de la prérogative du pouvoir exécutif que nous avons le mandat de sauvegarder.
Un dernier mot sur ce point.
Je comprends qu'à l'époque où se sont produites les pétitions, on ait cru trouver dans une enquête le remède à une situation qui était désagréable ou difficile ; mais lorsque nous déclarons aujourd'hui ce que nous voulons faire, comment et dans quel délai nous voulons le faire ; lorsque, sans distinction d'opinion politique, nous réclamons, pour remplir ce devoir, le concours de la Chambre, est-il opportun, est-il raisonnable, passez-moi le mot, de persister encore à créer cet obstacle, cette cause d'anarchie dans l'administration et cette cause d'inertie contre nos projets d'amélioration du chemin de fer de l'Etat ?
(page 331) M. Bouvier. - Messieurs, nous assistons a un singulier spectacle.
Tous les orateurs qui se sont succédé, réclament, avec les plus vives instances, une enquête, le gouvernement s'y oppose. L'honorable ministre des finances vient de vous déclarer, à l'aide d'arguments plus ou moins spécieux, qu'il n'en veut à aucun prix.
Je ne comprends pas cette obstination à décliner une enquête sollicitée par tout le monde.
Ne demandez pas l'enquête, dit l'honorable M. Malou, et tous les besoins du chemin de fer seront satisfaits.
Pas d'enquête, ajoute-t-il, car nous prenons l'engagement vis-à-vis de la Chambre de lui soumettre les demandes de crédits jugés nécessaires pour satisfaire aux besoins du chemin de fer.
En vérité, je ne comprends pas les raisons pour lesquelles M. le ministre des finances ne veut pas d'enquête. Celles qu'il a alléguées ont déjà été victorieusement réfutées par les orateurs qui m'ont précédé.
Ce n'est pas un acte ni de blâme ni de défiance que nous formulons contre le ministère en insistant comme nous le faisons.
L'enquête que nous demandons n'a aucun caractère politique, on l'a dit, on l'a répété.
Ce que nous voulons, c'est que la lumière se fasse ; ce qu'on veut dans le monde industriel comme dans le monde commercial, c'est que l'on examine dans son ensemble ce qu'il faut faire, comment il faut faire, quels sont les besoins à satisfaire, les crédits à obtenir de la législature, afin de pourvoir à cet immense intérêt qui s'appelle le chemin de fer. Comment vérifier et constater ces besoins et le chiffre des crédits nécessaires pour y satisfaire ? C'est par l'ouverture d'une enquête.
Les délégués des chambres de commerce, des comités charbonniers, miniers, etc., la demandent dans une pétition. Pourquoi ? Parce que le gouvernement lui-même a donné la preuve la plus claire de son irrésolution.
En effet, M. le ministre Wasseige sollicite de la Chambre, non sans efforts, un crédit de 12 millions.
Il disparaît du banc des ministres, l'honorable M. Moncheur lui succède.
Le crédit réclamé s'élève à 16 millions, soit 4 millions en plus. Que M. Moncheur disparaisse demain, et nous verrons probablement surgir une demande de crédit de 20 millions. Dans les gouvernements libres, les ministères sont changeants et éphémères. (Interruption.)
A un ministère nouveau, des crédits nouveaux. Voilà l'évolution à laquelle nous assistons. C'est pour sortir d'une situation aussi étrange, aussi saccadée, que tout le monde dans cette enceinte, je me trompe, je veux dire la gauche, demande, s'appuyant sur les notabilités industrielles et commerciales du pays, une enquête.
Ce n'est pas par un sentiment d'animosité contre le ministère que nous préconisons l'enquête, puisqu'il continuera à administrer comme par le passé, mais uniquement pour nous éclairer.
Pour ma part, je suis décidé à voter le crédit de 16 millions, mais seront-ils suffisants ? Je l'ignore et beaucoup de mes collègues sont dans cette situation. L'honorable M. David, lui, propose par amendement 30 à 40 millions.
L'honorable ministre des finances ne veut pas de ces 30 ou 40 millions. Il les repousse, en quelque sorte, avec indignation. Mais il ajoute qu'il réclamera toutes les sommes jugées nécessaires...
M. Malou, ministre des finances. - Quand on aura constaté les nécessités.
M. Bouvier. - Quand on aura constaté les nécessités ; c'est précisément ce que nous voulons, ce que les pétitionnaires réclament de nous. Est-ce l'honorable M. Moncheur qui va faire ce travail ? (Interruption.) Je le demande : cet honorable ministre se trouve-t-il à la hauteur d'accomplir une tâche aussi difficile, aussi ardue, surchargé de besogne qu'il est et à l'âge où il est arrivé ? (Nouvelle interruption.) Mais l'honorable M. Moncheur n'est ministre que par pur dévouement à son parti. Je ne conteste pas son intelligence, j'ai beaucoup d'estime pour cet honorable collègue ; mais je crois qu'il se trouve dans l'impossibilité, malgré toute sa bonne volonté, de nous dire quels sont les besoins pour arriver à une bonne exploitation de nos chemins de fer. Je prends un exemple. Lorsque les honorables MM. Pirmez et Le Hardy de Beaulieu ont demandé quand le chemin de fer de Luttre serait livré à l'exploitation, qu'a fait l'honorable M. Moncheur ? Je l'ai vu tirer un papier de sa poche pour y lire que ce chemin de fer, d'après ce qu'on lui a suggéré dans son département, pouvait probablement être livré à la circulation au mois de juillet prochain.
On lui a demandé quels ont été les motifs qui ont empêché que ce chemin de fer fût exploité plus tôt ? Il a répondu que les expropriations avaient duré plusieurs années. Mais ce sont ses directeurs ou ses commis qui lui ont suggéré cette réponse. Au lieu de diriger, les bureaux mènent et conduisent, en thèse générale, les ministres.
Il est impossible qu'un ministre, quelque bien doué qu'il soit quant aux facultés intellectuelles, puisse, à peine installé dans un département, nous faire part des vues d'ensemble qu'il compte faire prévaloir dans la direction d'une administration compliquée, immense, embrassant un vaste horizon.
Messieurs, tous les arguments ont été épuisés, en quelque sorte, sur la nécessité de faire une enquête. Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Mais je demanderai à M. le ministre des travaux publics où en est l'établissement de la gare de l'Ouest ?
Je me suis donné la peine de me rendre dans la direction où cette gare devrait être établie, à l'heure où je parle. Je l'ai cherchée sans la trouver ; en effet, messieurs, elle n'existe pas, et non seulement elle n'existe pas, mais il n'y a pas d'apparence de la voir commencer.
J'ai poursuivi mon exploration et je me suis trouvé sur le chemin de fer de ceinture. A Koekelberg, il y a un bâtiment devant servir de station, mais à mon grand étonnement, il est entièrement veuf de fenêtres, le vent et la pluie s'y jouaient comme à plaisir. Plus loin, j'avise un ouvrier et lui demande où est le bâtiment pour la gare du Pannenhuis ; il me répond qu'on en parle, que cela viendra. Cela veut dire, en d'autres termes, qu'il faudra des années pour la voir sortir de terre. J'arrive enfin à la gare de Laeken, résidence royale, où des ouvriers étaient occupés à élever une baraque en planches, à côté d'une autre, également en planches, devant servir d'agrandissement.
Et voilà comment on conduit les travaux en Belgique.
Il est donc urgent d'ouvrir une enquête, non pas contre le ministère, mais en faveur de la bonne exploitation du chemin de fer. Ce sera une boussole, un guide, un phare lumineux pour le gouvernement, et une fois que nous connaîtrons les conclusions de la commission d'enquête, nous voterons, en connaissance de cause, tous les millions nécessaires pour assurer la bonne exploitation de cet immense et vaste outillage qui s'appelle le chemin de fer national.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Malou, ministre des finances. - Laissez parler M. Sainctelette. (Adhésion.)
M. Sainctelette. - Messieurs, si la Chambre ne veut pas suivre la même marche que la commission d'enquête dont l'honorable ministre des finances nous a si spirituellement raconté l'histoire, il faut nécessairement, avant que la discussion soit close, constater les résultats acquis.
Je me propose de le faire succinctement quant aux points principaux.
Le fait capital de la situation, celui qui domine tout le débat et forme pour ainsi dire la clef de la position, c'est le défaut d'harmonie entre la puissance de travail de notre système de transport et la puissance de travail de nos industries.
Ce défaut d'harmonie productrice est indéniable ; on peut en discuter l'importance, on peut chercher à l'expliquer par des causes diverses, mais l'existence du fait en lui-même est indéniable.
Ce fait ne peut continuer à exister. Personne ne peut sérieusement contester qu'il faille y aviser, qu'il faille mettre l'industrie des chemins de fer en état de suivre exactement et fidèlement dans toutes leurs allures nos industries productrices.
Il est impossible que l'industrie des chemins de fer continue à dicter la loi à toutes les autres, à en comprimer l'essor, à en arrêter le développer ment..
J'ai appelé l'attention du gouvernement sur ce point. J'ai demandé au gouvernement s'il était disposé à mettre dorénavant le matériel roulant en état de suffire aux besoins de nos grandes industries dans les périodes mêmes de leur plus grande activité.
A ma grande surprise, M. le ministre des finances, M. Wasseige et M. le ministre des travaux publics ont tous trois prétendu que je soutenais une utopie.
Je reprends et je dis qu'un pareil langage est de nature à jeter un profond découragement dans le pays. Evidemment, il ne s'agit pas de mettre le chemin de fer en état de faire face, à un jour donné, à toute quantité de transport qu'on pourrait lui offrir.
Il doit y avoir entre nous quelque malentendu.
M. le ministre des finances a rappelé qu'à un jour donné un grand nombre d'industriels ont mis le département des travaux publics en demeure de leur fournir les moyens d'exécuter des marchés importants, et il a fait remarquer que la livraison immédiate du matériel nécessaire à (page 332) l'exécution instantanée de tous ces marchés aurait absorbé tout le matériel roulant de la Belgique,
Si j'avais tenu un pareil langage, j'aurais été entraîné par la discussion à énoncer une véritable absurdité.
Mais ce n'est pas la ce que j'ai dit. J'ai dit, avec M. Jacqmin, directeur du chemin de fer de l'Est, et avec la commission d'enquête française de 1862, qu'il fallait que le matériel roulant fût en état de faire face à l'oscillation du maximum du trafic.
Or, tout le monde sait qu'en matière de transport par chemin de fer le trafic se répartit entre quatre périodes qui correspondent presque exactement aux quatre saisons de l'année ; que la saison d'automne est celle où il se fait le plus de transports, et que la saison d'été est celle où il s'en fait le moins.
Je persiste à croire qu'il faut aux chemins de l'Etat un matériel suffisant pour parer aux besoins de la période la plus chargée. Supposons que pendant ces quatre périodes la demande de transports soit respectivement de 4, 8, 10, 12 ; il faut, selon moi, que le matériel roulant soit en quantité suffisante pour transporter régulièrement et ponctuellement 12 au moins, et non pas 9.
A cela on fait une objection.
On dit : « Il faut éviter de construire des voilures qui devraient être immobilisées pendant une grande partie de l’année au détriment du trésor. »
Placez ce langage dans la bouche d'un concessionnaire. Supposez qu'une compagnie vous dise : « Il me faut distribuer des dividendes à mes actionnaires ; il me faut réaliser un profit net de certaine importance ; à cette fin, je dois éviter d'immobiliser mes capitaux dans la construction de voitures qui ne circuleraient qu'une partie de l'année. Je sais bien que par là, je m'expose à faire perdre à ma clientèle beaucoup plus d'argent que je n'en gagnerai personnellement. Je sais bien que, par là, je vais rendre improductifs les capitaux immobilisés par les grandes industries productrices, que je vais leur faire perdre le fruit de leurs installations, de leur outillage, de leurs approvisionnements, mais il faut que je puisse préparer des affaires, augmenter un peu mon profit net, mon boni. » Evidemment, vous ne toléreriez pas un pareil langage de la part d'un exploitant. Pouvez-vous donc le tolérer de la part de l'Etat ?
Il faut sortir d'une semblable situation. Il faut faire ou laisser faire. Si vous ne voulez pas faire vous-mêmes, permettez donc aux industriels de faire, de se pourvoir à leurs frais de l'instrument que vous leur refusez et de fournir eux-mêmes le matériel roulant.
C'est dans ce but que j'ai proposé un amendement. L'idée de cet amendement n'est pas neuve et je ne discuterai pas un instant le point de savoir à qui doit revenir en Belgique l'honneur de l'avoir signalée.
L'important, c'est que la chose se fasse.
Le gouvernement accepte en principe l'amendement. Il le juge inutile ; il se croit suffisamment autorisé par la législation actuelle. Soit, je ne ferai pas de difficulté à le retirer, mais à une condition, c'est qu'il soit bien entendu qu'il poursuivra l'exécution de cette idée avec le désir de la faire réussir et non avec celui d'y trouver des objections. Il faut qu'il soit bien entendu qu'on procédera par voie de tarifs spéciaux et non par voie de traités particuliers. MM. les ministres des finances et des travaux publics savent assez quels ont été les inconvénients des traités particuliers ; je n'insisterai donc pas sur ce point.
Il faut aussi qu'on détermine d'une façon durable les conditions de la circulation du matériel privé et le type d'après lequel ce matériel pourra être admis à circuler. Il faut empêcher que, par des variations continuelles dans les conditions et dans les types, on décourage les maisons de construction ; il faut que, pendant cinq ans au moins, les waggons admis à circuler puissent continuer de travailler ; autrement personne ne s'engagera dans cette voie.
Je demande, en second lieu, qu'il soit bien entendu que le service de nuit sera parfaitement organisé et restera désormais organisé.
Je ne veux pas revenir longuement sur la discussion qui s'est engagée l'autre jour entre M. Wasseige et moi à ce sujet. Je sais que M. Wasseige a successivement augmenté le nombre des lignes sur lesquelles le service de nuit est en vigueur, mais j'affirme que, pendant toute cette dernière période et encore aujourd'hui, la distribution du trafic entre le jour et la nuit ne se fait pas avec intelligence.
J'affirme que le chemin de fer du Flénu vient seulement (14 janvier 1872) d'être soumis à ce régime, quoique j'eusse, dès le mois d'avril dernier, conseillé à l'honorable M. Wasseige de l'y astreindre. J'affirme que la plupart des usines - et, sans doute, il en est de celles de Charleroi comme de celles de Mons - reçoivent les waggons vides non pas aux heures auxquelles le chargement pourrait se faire rapidement, mais souvent après que la journée d'extraction est finie, et en tous cas avec une désespérante irrégularité.
Lu circulation ne redeviendra rapide, l'ordre n'y sera rétabli que lorsque tous les waggons seront amenés vides le matin et enlevés chargés le soir.
Un troisième point important est la situation des gares.
J'ai signalé, à cet égard, deux mesures principales à prendre. D'abord une nouvelle rédaction des tarifs de magasinage ; la substitution d'une échelle progressive à la taxe uniforme ; puis l'organisation du camionnage.
L'honorable M. Julliot, en termes très bienveillants d'ailleurs, a prétendu que je me mettais en état de contradiction, parce que, d'une part, je recommandais l'admission du matériel privé, et que, d'autre part, j'insistais sur la nécessité d'organiser un camionnage propre à l'Etat. Ou M. Julliot m'a mal compris, ou je me suis bien mal expliqué. Je n'ai pas recommandé le monopole du camionnage par l'Etat.
J'ai reconnu que tout industriel, possesseur d'un service de camionnage propre, fonctionnant régulièrement, doit pouvoir en user librement. Mais j'ai fait remarquer en même temps que les gares tendent à devenir des magasins pour une foule de consommateurs de détail, qui ne possèdent point personnellement des moyens de camionnage ; or, l'encombrement des gares frappe les voies de stérilité.
L'Etat a donc le devoir de faire évacuer les gares. Il ne le peut qu'à la condition d'avoir des camionneurs. Sans porter la moindre atteinte à la liberté de l'industrie et au camionnage privé, je recommande donc, d'accord avec M. Jacqmin et avec la commission d'enquête de 1862, l'organisation, dans les grandes villes, d'un camionnage soumis aux ordres de l'Etat.
Et, puisque l'occasion s'est offerte, pour moi, d'invoquer l'autorité de M. Jacqmin, permettez-moi de signaler un fait qui vous prouvera combien est grande cette autorité.
Tout récemment, un des grands industriels de Charleroi m'a dit que j'avais eu d'autant plus raison d'invoquer l'autorité de M. Jacqmin et de recommander, d'après lui, la circulation du matériel privé et l'organisation du service de nuit, qu'aujourd'hui, malgré toutes les épreuves que la compagnie de l'Est a eu à subir, malgré la destruction d'une grande partie de son matériel, elle est encore celle qui sert le mieux sa clientèle. Et à l'appui de cette assertion, on m'a cité ce fait qu'à Charleroi toutes les industries recevaient du matériel de la compagnie de l'Est en plus grande quantité et d'une façon plus régulière que de n'importe quelle autre source.
M. Balisaux. - C'est exact.
M. Sainctelette. - Ainsi, les mesures que l'honorable M. d'Andrimont et moi nous avons recommandées au gouvernement ont pour elles non seulement l'autorité des théoriciens, mais encore l'autorité de la pratique et les applaudissements de la clientèle ; cela suffit à nous venger des épigrammes de l'honorable M. Wasseige.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Je comprends que la Chambre soit impatiente de terminer ces débats ; cependant, je dois lui demander la permission de répondre brièvement à quelques-unes des observations que d'honorables membres m'ont présentées. C'est pour moi un devoir et je désire, messieurs, que vous me permettiez de le remplir.
Mais, avant cela, je dirai à l'honorable M. Bouvier que je n'ai ni ambitionné ni recherché le ministère des travaux publics : je l'ai accepté parce que j'ai cru pouvoir y faire quelque bien.
J'avais depuis longtemps une idée que j'ai exprimée dès le premier discours que j'ai prononcé dans cette discussion : c'est que le chemin de fer de l'Etat doit être considéré comme une entreprise industrielle et administré industriellement. Cette idée qui est partagée par mon honorable collègue, M. Malou, serait, je crois, féconde en résultats si nous parvenions à la réaliser.
Il en résulterait d'abord, et cela suffirait à faire rejeter la proposition d'enquête, que le gouvernement serait obligé, comme nous avons la résolution de le faire, de rechercher immédiatement quels sont les besoins du chemin de fer.
Cette recherche n'a jamais été faite au point de vue auquel nous nous plaçons. Ce qu'il faut, c'est un travail d'ensemble, c'est un système. L'honorable M. Balisaux disait hier, un peu avec raison, que les travaux restant à exécuter n'ont jamais été examinés d'une manière systématique, d'après leur importance, leur nécessité, le degré d'utilité qu'ils doivent produire et l'ordre dans lequel ils doivent être entrepris.
C'est ce que nous devons et c'est ce que nous voulons faire. Y réussirons-nous ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que la lumière doit être faite sur ces points par des personnes parfaitement instruites de la matière.
(page 333) Mais, dit-on, les industriels veulent bien se mettre à la disposition du gouvernement et l'éclairer sur les conditions que le chemin de fer doit remplir pour répondre convenablement a la mission qui lui est dévolue.
Eh bien, ces industriels ont un moyen très simple de ne pas laisser stériles leurs bonnes dispositions ; ils n'ont qu'à bien vouloir communiquer leurs observations et leurs conseils au département des travaux publics, soit par écrit, soit verbalement.
Je serai enchanté de les recevoir et de les écouter ; j'étudierai moi-même sérieusement et je ferai étudier avec soin toutes les idées qu'ils me soumettront et je suis persuadé que nous arriverons ainsi avec beaucoup plus de promptitude au résultat désiré.
Vous savez tous, messieurs, ce que c'est qu'une commission. Elle délibère énormément et souvent elle retarde ou empêche la réalisation de choses qui se feraient d'une manière beaucoup plus prompte et peut-être plus heureuse si l'on n'attendait pas la conclusion de ses délibérations.
J'ai dit que j'avais à répondre à quelques points soulevés par différents orateurs.
L'honorable M. Balisaux a demandé si l'on ne pourrait pas construire une centaine de waggons plats de 20 tonnes au lieu de se borner à en faire quarante.
Messieurs, il serait impossible, en ce moment, de dépasser le chiffre prévu par le projet de loi, le crédit que vous allez voter et ceux dont on a pu disposer antérieurement étant complètement absorbés ou engagés.
Mais s'il est reconnu qu'il y a lieu de faire droit à la demande de l'honorable membre, nous le ferons au moyen des premiers fonds qui seront mis ultérieurement à notre disposition.
Je ferai seulement remarquer que les waggons plats sont d'un usage assez restreint et même exceptionnel ; leur emploi est très onéreux pour le chemin de fer, attendu que, généralement, ils s'expédient vers des destinations lointaines et rapportent proportionnellement peu.
Je suis loin toutefois de vouloir m'opposer en termes absolus à l'extension de ce matériel, parce que je reconnais que le chemin de fer doit rendre à l'industrie nationale les plus grands services possibles.
L'honorable M. d'Andrimont a dit, de son côté, qu'il serait indispensable de faire plus de waggons qu'il n'en a été commandé.
Je pense, au contraire, que les waggons qui sont compris dans les évaluations du projet de loi, et qui sont au nombre de deux mille, suffiront lorsque les installations que nous méditons seront achevées.
C'est l'encombrement qui a stérilisé en partie notre matériel, qui en a entravé la circulation.
Eh bien, messieurs, on compte que les installations nouvelles à faire dans le courant de cette année augmenteront d'au moins 25 p. c. l'utilisation des waggons.
Ainsi, dans la situation actuelle, un waggon est utilisé une fois sur quatre jours. Si nous pouvons parvenir, et nous espérons y arriver, à utiliser un waggon sur trois jours, ce sera absolument comme si nous avions le quart en plus.
En outre, les waggons nous reviendront de France et d'Allemagne ; car ces deux pays sont en train de se pourvoir aussi de nouveaux véhicules. La compagnie du Nord, notamment, en fait faire, elle en achète, elle en loue en Angleterre et nous avons déjà vu rouler sur notre territoire un matériel venu d'Outre-Manche.
Il est clair que lorsque cette société pourra remplir ses obligations envers nous, c'est-à-dire lorsqu'elle pourra nous donner le nombre de waggons qu'elle est tenue de nous fournir pour l'exploitation des Bassins houillers de Charleroi et du Borinage, il est clair, dis-je, que nous aurons, de ce chef, un excédant de waggons dont nous n'avons pu disposer pendant toute l'année dernière. Nous sommes donc autorisés à croire que les waggons que nous possédons, accrus encore de ceux qui se construisent, suffiront pour pourvoir à tous les besoins.
Je suis d'accord avec l'honorable M. Sainctelette pour déclarer que le chemin de fer doit pouvoir effectuer tous les transports qui lui sont offerts, mais je ne crois pas que jamais aucune administration, aucune société puisse s'engager à satisfaire en tout temps et d'une manière instantanée à un trafic qui ne serait que le résultat de crises et d'événements de force majeure.
Il y a ce que l'on peut appeler le trafic faible, le trafic fort et le trafic des crises. Loin de moi la pensée de n'outiller le chemin de fer qu'en vue du trafic faible ; mais je ne saurais non plus me rallier à l'idée de tenir constamment le matériel au niveau des besoins éventuels, fortuits, accidentels, que font naître les crises analogues à celle que nous venons de traverser. A mon avis, nous aurons rempli notre devoir en nous plaçant à la hauteur du trafic fort qu'amènent les circonstances normales d'une exploitation bien étudiée et bien comprise.
L'honorable M. David a présenté un amendement ayant pour but d'allouer au département des travaux publics un crédit d'une quarantaine de millions.
Il a dit, à l'appui de sa proposition, qu'il faut agrandir les gares, qu'il faut pourvoir nos stations d'engins de chargement et de déchargement, qu'il faut payer les ouvriers plus qu'ils ne sont.
En ce qui touche ce dernier point, nous avons déjà commencé à relever les salaires et j'espère que nous continuerons. Mais quant à tous les travaux à faire dans les stations, c'est précisément ce qui fera l'objet du rapport que nous vous avons promis. Attendez ce rapport ; voyez quel il sera et toutes vos critiques pourront s'exercer sur le programme que nous vous apporterons. C'est à ce programme que pourront s'adresser les observations que vous jugerez convenable s dans des vues d'amélioration.
En attendant, je crois que le mieux est que nous employions promptement et d'une manière utile l'argent que vous allez mettre à notre disposition.
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
M. de Baets (contre la clôture). - Il a été dit, par un orateur de la gauche, que la droite voterait quand même et sans faire un discours. Eh bien, j'avais l'intention de motiver mon vote en deux mots. La Chambre décidera si elle veut m'entendre.
M. David (contre la clôture). - Je n'ai que deux mots à dire ; ce n'est pas un discours que je veux faire.
M. le président. - Vous ne pouvez parler que sur la clôture.
M. David. - C'est sur la clôture que je parle.
M. le ministre vient, à l'instant, de me donner raison. C'est l'encombrement des stations qui est cause de l'immobilisation des waggons ; qui est cause de tout le mal ; il faut que la discussion continue pour que mon amendement soit discuté à fond. Mon amendement fera son chemin. S'il n'est pas discuté à fond cette fois, c'est que j'ai eu le malheur de ne pouvoir le déposer qu'hier, alors que la Chambre était fatiguée ; dans cette situation, je le retirerai et je le représenterai lors de la discussion du budget des travaux publics.
M. Dumortier (sur la clôture). - Voilà quinze jours que nous discutons cette loi que très probablement nous allons voter à l'unanimité. Je demande s'il est raisonnable de prolonger encore ce débat. Je vous engage à clore et à voter.
M. le président. -.Je pense que nous devons voter d'abord sur les articles du projet de loi et aborder ensuite la proposition de M. Couvreur.
M. Braconier. - Il me semble qu'il vaudrait mieux voter en premier lieu sur le principe de l'enquête, car beaucoup de membres ne voteront pas le projet de loi si l'enquête n'est pas admise.
M. Couvreur. - Je crois, en effet, que la proposition du bureau est plus conforme à nos habitudes et au règlement de la Chambre, mais je crois aussi que si la Chambre voulait donner la priorité aux différentes propositions d'enquête, la liberté des votes serait mieux sauvegardée. Il y a un certain nombre de membres, très favorables au crédit, qui cependant ne le voteraient pas si l'enquête était repoussée.
M. Malou, ministre des finances. - Je crois que nous allons perdre du temps fort inutilement. Tout le monde sait parfaitement ce qu'il veut voter, et je crois qu'on peut fort bien statuer d'abord sur le principe de l'enquête.
M. Dumortier. - Il est impossible de voter d'abord sur le principe de l'enquête, car l'enquête n'a de raison d'être qu'autant qu'on ajourne le projet de loi.
M. le président. - Une seule proposition est parvenue au bureau : c'est celle de M. Couvreur. Elle est ainsi conçue :
« La Chambre, faisant droit aux pétitions dont elle est saisie au sujet de l'insuffisance du service des chemins de fer, décide qu'il sera ouvert une enquête parlementaire et publique sur les améliorations à introduire dans l'établissement, l'organisation et l'exploitation de nos voies de transport. »
La Chambre vient de décider qu'elle votera d'abord sur cette proposition.
- L'appel nominal est demandé.
Il y est procédé. En voici le résultat :
96 membres y prennent part.
38 répondent oui.
56 répondent non.
2 se sont abstenus.
En conséquence, la proposition n'est pas adoptée.
(page 334) Ont répondu oui : MM. Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Muller, Pirmez, Puissant, Rogier, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bergé, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Couvreur, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, Dethuin, Elias, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hermant et Houtart.
Ont répondu non :
MM. Janssens, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Sainctelette, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Verwilghen, Léon Visart, Wouters, Bara, Beeckman, Berten, Biebuyck, Cornesse, Cruyt, de Baets, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Frère-Orban, Hayez, Jacobs et Thibaut.
Se sont abstenus :
MM. Orts et Wasseige.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître à la Chambre les motifs de leur abstention.
M. Orts. - Je me suis abstenu parce que je ne pouvais pas ne pas voter le principe de l'enquête, puisque j'avais proposé moi-même d'en faire une sur le même objet.
Mais je n'ai pas voté l'enquête proposée par M. Couvreur, parce qu'il ne l'admet que publique et que, d'après moi, la publicité est une atteinte à la liberté des témoins dans un pays où, comme dans le nôtre, il n'est pas possible de défendre à la presse de discuter chaque jour les témoignages qui se sont produits.
M. Wasseige. - Je n'ai pas voté contre la demande d'enquête parce que je reconnais qu'en principe elle pouvait avoir de l'utilité, je l'ai déclaré publiquement et je n'ai pas varié d'opinion à cet égard.
Je n'ai pas voté pour, parce que l'enquête ne me paraît pas suffisamment définie dans l'amendement de l'honorable M. Couvreur, et que je ne vois pas apparaître assez clairement la composition de la commission et les limites du mandat à lui donner.
Ma position personnelle me paraît d'ailleurs expliquer suffisamment mon abstention, à un autre point de vue.
M. le président. - Nous passons à la discussion des articles.
Voici l'article premier tel qu'il a été amendé par M. le ministre des travaux publics.
. « Art. 1er. Il est ouvert au département des travaux publics un crédit spécial de seize millions quatre-vingt mille francs (16,080,000 francs ), destiné :
« 1° Dix millions sept cent quatre-vingt mille francs (10,780,000 fr.) à l'extension du matériel de traction et des transports ;
« 2° Un million de francs (1,000,000 fr.) à la construction de nouvelles remises aux locomotives ;
« 3° Un million trois cent mille francs (1,300,000 fr.) à l'outillage des ateliers et des stations et à l'achat d'un matériel perfectionné pour le chargement et le déchargement des marchandises ;
« 4° Trois millions de francs (3,000,000 de francs), pour l'achat de rails et accessoires et travaux d'extension ou de parachèvement des voies du railway. »
M. Houtart. - Je prierai M. le ministre des travaux publics de vouloir bien nous dire s'il ne pourrait pas substituer aux waggons de voyageurs quelques waggons fermés destinés au transport des marchandises. Je crois qu'il y aurait une plus grande utilité en ce moment à mettre en adjudication les waggons de marchandises que des waggons pour le transport des voyageurs.
M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Je ne pourrais pas dire dès maintenant s'il est possible de substituer à des voitures de voyageurs les voitures fermées pour marchandises. J'examinerai la question et je promets à l'honorable membre, s'il n'y a pas d'inconvénients, de donner satisfaction à son désir.
- L'article premier, amendé, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous passons à l'article 2, que M. le ministre des travaux publics propose de rédiger comme suit :
« Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires ou de l'émission de bons du trésor.
« Les bons du trésor pourront être émis à des échéances diverses sans que l'échéance la plus longue dépasse cinq ans. »
M. le président. - La parole est à M. Demeur.
M. Demeur. - Je demanderai à la Chambre de remettre la séance à demain. Il est cinq heures et je devrai garder la parole pendant assez longtemps.
- Des membres. - A demain !
M. le président. – La Chambre semble désireuse de remettre la séance à demain.
Il est entendu que nous aurons en premier lieu à notre ordre du jour le projet de loi qui est en discussion. Après le vote de ce projet de loi, viendra l'examen du rapport déposé par M. Vander Donckt sur la pétition de M. Bochart.
M. le président. - M. de Montblanc demande un congé.
- Accordé.
La séance est levée à 5 heures.