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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 décembre 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 149) M. Wouters fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

«.Les sieurs Dulait, Stainier et autres membres de l'Association charbonnière de Charleroi prient la Chambre d'ordonner une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer de Belgique et de décider que cette enquête sera faite par une commission composée de membres de la Chambre et de représentants du commerce et de l'industrie. »

M. Hermant. - Je demande un prompt rapport sur cette pétition.

M. Balisaux. - J'appuie cette demande de prompt rapport sur la requête de l'Association charbonnière de Charleroi et son dépôt sur le bureau de la Chambre lors de la prochaine discussion du projet de loi de travaux publics.

M. Sainctelette. - Il serait bon que cette requête fût déposée sur le bureau et pût être discutée en même temps que le crédit de 12 millions demandé par le département des travaux publics.

M. De Lehaye. - Cette pétition se rapporte directement à l'industrie. Ne conviendrait-il pas qu'elle fût renvoyée à la commission permanente d'industrie, avec demande d'un prompt rapport et déposée ensuite sur le bureau, comme le propose M. Sainctelette ?

- Cette proposition de M. De Lehaye est adoptée.


« Des habitants d'Oostacker prient la Chambre de rejeter tout système de réorganisation militaire qui prendrait pour point de départ le service obligatoire personnel. »

M. De Lehaye. - Cette pétition, qui est signée par plus de cent habitants d'une commune de la Flandre orientale, n'a pas directement trait au budget de la guerre qui est actuellement en discussion. Elle se rapporte surtout à la réorganisation de l'armée. Comme vous venez de l'entendre, les pétitionnaires demandent que la Chambre rejette tout système de service obligatoire. Je propose que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions et déposée sur le bureau pour que l'on puisse utilement en prendre connaissance.

- Cette proposition est adoptée.


« M. Drubbel demande un congé pour la séance de ce jour. »

- Accordé.


« Des habitants de Termonde demandent une loi consacrant le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


M. le président. - Voici, messieurs, comment le bureau a composé la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi qui proroge, pour 1872, le mode de formation des jurys d'examen : MM. De Lehaye, Thonissen, Vleminckx, de Haerne, Orts, Lefebvre et Dupont.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre pour l’exercice 1873

Discussion générale

M. Jacobs. - Je ne m’occuperai que de la question d'Anvers.

L'honorable M. Frère n'a jamais porté le mouvement anversois dans son cœur et pour cause. C'a été la première révolte, puis-je dire, contre sa domination. Et quand aux députés d'Anvers sont venus se joindre les députés de Gand et de Bruges, c'en a été fait de cette domination.

Aussi, le mouvement anversois et la question anversoise n'ont guère été ménagés par l'honorable membre du temps où il était ministre. Il a cependant eu un bonjour dans le nombre ; c'était le 11 mai 1868.

Ce jour-là, l'honorable membre annonçait à la Chambre la démolition de la citadelle du Sud. Quant à la citadelle du Nord, la suppression des fronts intérieurs était résolue. La seule question restante était de savoir s'il fallait, oui ou non, y substituer un mur crénelé. « En vérité, nous sommes en si bonnes dispositions, disait M. Frère, que nous ne refusons pas d'examiner ce point. »

L'un de mes collègues d'Anvers s'écriait : « Nous sommes très heureux de cette déclaration. » Je disais à mon tour : « Nous vous en savons gré. » Mais M. Frère trouvait que nous ne le remerciions pas assez.

Hier, l'honorable M. Malou reprend la déclaration faite par M. Frère dans un jour de bonne humeur, et M. Frère en conclut que la citadelle du Nord est maintenue.

Je suppose un moment que cette interruption se fût trouvée dans ma bouche, le 11 mai 1868, quand M. Frère tenait le langage repris par M. Malou ; qu'aurait-il dit ? « Ah ! je reconnais bien là votre noire ingratitude, je reconnais là votre opposition systématique. Je vous annonce l'examen et vous vous prétendez condamné ! » Tel est évidemment le langage que l'honorable membre aurait tenu et qu'il aurait été en droit de tenir.

Messieurs, s'il fallait admettre que la déclaration faite, le 11 mai 1868, par M. Frère eût pour interprétation vraie le maintien intégral de la citadelle du Nord, c'était un leurre, une mystification. Il n'y avait rien de sérieux dans cette promesse d'examen. Je ne veux pas même le supposer.

Nous devons accueillir la déclaration de M. Malou avec la même faveur avec laquelle nous avons accueilli, au mois de mai 1868, la déclaration de M. Frère.

Nous devons l'accueillir avec plus de faveur encore, parce que, depuis le mois de mai 1868, il s'est passé plusieurs faits.

Dans la déclaration qu'a reproduite M. Malou, il y a une finale qui n'a pas été lue, parce qu'elle n’a plus aucun intérêt actuel ; elle se rapporte aux servitudes intérieures.

M. Frère les maintenait le 11 mai 1868. Depuis, il y a renoncé lui-même. C'est un nouveau point écarté du débat.

Depuis lors encore, le cabinet dont j'ai fait partie a proposé un projet de loi relatif aux servitudes militaires, accordant des indemnités, comme cela a été fait en Angleterre et en Hollande et comme cela vient de se faire dans le pays le plus militaire du monde, en Allemagne.

Je dis que nous sommes en droit d'accueillir avec faveur la promesse d'examen faite par l'honorable M. Malou.

Mais M. Frère voudrait bien endosser à M. Malou la responsabilité de tout ce qu'il a dit et fait, non seulement le 11 mai 1868, mais avant et après, pendant toute sa carrière politique, au sujet de la question d'Anvers.

Il n'y parviendra pas.

M. Malou ne prend pas la position de M. Frère. Il ne lui emprunte que son langage du 11 mai 1868 ; il ne prend pas, il s'en gardera bien, la position d'avant, ni la position d'après.

Spirituel comme toujours, l'honorable ministre des finances, pour annoncer la résolution du gouvernement d'examiner les questions relatives à la citadelle du Nord, a emprunté des paroles par lesquelles, à une certaine époque, M. Frère disait absolument la même chose.

La position de M. Frère au 11 mai 1868 est donc la position de M. Malou au 13 décembre 1871 et je m'étonne d'entendre dire qu'il fallait remercier le premier et qu'il faut maudire le second.

M. Frère voudrait bien qu'à l'examen promis on substituât une solution (page 150) défavorable ; il voudrait qu'au lieu de dire : Nous examinerons les questions relatives à la citadelle du Nord ; on déclarât, au contraire, qu'on ne touchera en aucun cas à cette citadelle.

C'est dans ce but que, hier, usant d'un procédé qui, dans cette Chambre, n'appartient guère qu'à lui, il sommait le général Guillaume de lui répondre sur l'heure, par un oui ou un non, s'il toucherait à la citadelle du Nord. Le général Guillaume, lui a répondu qu'il ne se prêterait à aucune modification de nature à affaiblir le système défensif d'Anvers.

Et immédiatement, M. Frère, d'un air de triomphe, se dit d'accord avec le gouvernement.

Il n'en est rien, je suis forcé de le constater. Je dirai qu'au contraire le gouvernement est d'accord avec moi ; pendant le temps que j'ai passé au pouvoir, ce que j'ai voulu, ce que j'ai cherché à atteindre, c'est de donner satisfaction à Anvers sans affaiblir la défense.

Il faudrait, pour que la thèse du député de Liège fût vraie, qu'on ne pût toucher à cette citadelle sans affaiblir la valeur défensive de la place d'Anvers.

A cet égard, je rappellerai les paroles d'un des collègues de M. Frère, du plus compétent de ses collègues, du général Renard, au sujet de cette question des fronts intérieurs. Parlant des divergences qui se produisent entre hommes compétents, entre tacticiens et militaires, au sujet des question de fortifications, il les constatait et en concluait ce qui suit :

« De pareilles divergences surgissent toujours dans les questions techniques. Elles peuvent exercer quelque influence dans les détails, mais elles n'en ont aucune sur l'ensemble. C'est là un point essentiel. On a beaucoup discuté sur la citadelle du Nord, sur le type de la fortification adoptée, etc.... Tous ces points sont secondaires, leur solution dans un sens ou dans un autre n'avancerait pas d'un jour la reddition de la place. » (Annales parlementaires, 1867-1868, page 510, séance du 29 janvier 1868.)

L'honorable député de Liège reconnaîtra que l'on peut toucher aux fronts intérieurs, à toutes les questions secondaires, sans que la reddition de la place soit avancée d'un jour, sans que le système défensif soit en rien affaibli.

Ce que veut le gouvernement actuel, ce que voulait le gouvernement précédent, c'est chercher à donner satisfaction à la ville d'Anvers, sans affaiblir la défense de la place. L'examen portera sur ce point ; je suis convaincu qu'il aboutira.

J'ai eu avec plusieurs de nos officiers les plus distingués des entretiens sur cet objet ; il en résulte pour moi la conviction que, bien loin qu'une solution soit impossible, une solution au contraire est facile.

Ce qui ne peut être douteux, c'est qu'il faut modifier la citadelle du Nord. Cela n'est douteux pour aucun militaire. On reconnaît qu'elle a changé de but, qu'elle est aujourd'hui tout autre chose que ce qu'elle était autrefois. Peut-on admettre que, changeant de but, il ne faille en rien la modifier ? Si elle était parfaitement appropriée au premier but auquel on la destinait, il est impossible qu'elle le soit au but actuel, au nouveau but.

Quel était le but ancien et quel est le but actuel ? Une courte citation fera voir combien son usage a été modifié. A notre séance du 14 mars 1862, le général Chazal déclarait à la Chambre ce qui suit :

« Cette citadelle a pour but de permettre à la garnison de faire une défense énergique, de renforcer le moral de la garnison, parce qu'elle saura qu'elle a toujours un dernier refuge Elle a aussi pour but de décourager l'ennemi par les périls, par les difficultés de plusieurs attaques successives.

« Ainsi, si un ennemi se présente pour attaquer la position d'Anvers, il saura qu'il aura un camp retranché formidable à prendre ; que, quand il aura pris ce camp retranché, il devra s'emparer de la ville, qui est également formidable, et que, la place étant prise, il resterait encore les deux citadelles du Nord et du Sud qui serviraient de refuge à la garnison.

« Mais ces citadelles ont encore une autre importance : la ville d'Anvers est ouverte à la gorge, c'est-à-dire qu'il y a un côté de la ville, celui qui longe le fleuve, qui n'a aucune fortification. Jadis ce côté était fortifié comme les autres.

« Pourquoi ne l'est-il plus ?

« C'est que le fleuve est la source de la richesse, de la prospérité d'Anvers, et que l'intérêt du commerce exigeait qu'on n'en fermât pas les mes et les abords par des remparts. »

II disait encore, au Sénat, le 8 mai 1862 (Annales parlementaires, p. 232) :

« Ces deux citadelles auront pour effet de fortifier le moral de nos troupes et d'affaiblir celui de l'ennemi, qui aura la perspective de trois sièges à faire : celui du camp retranché ; celui de la grande enceinte et peut-être celui des citadelles. »

Vous savez, messieurs, qu'aujourd'hui ce troisième siège, que devait soutenir la citadelle, n'aura plus lieu ; elle n'est plus un réduit et la rive gauche est défendue.

Le but de l'ouvrage s'est complètement modifié. Dans le rapport de M.de Brouckere sur l'aliénation de la citadelle du Sud, on trouve l'opinion du gouvernement en réponse à une neuvième question. Cette réponse est ainsi conçue :

« L'établissement militaire connu sous le nom de citadelle du Nord est réduit à une batterie de côte, servant à la défense de la rade, indispensable pour cette défense dans l'intérêt d'Anvers, et ne pouvant avoir aucune action vers la ville. II ne saurait être envisagé comme une citadelle, puisque, non seulement le terre-plein n'en est point formé, mais qu'il ne renferme aucun établissement militaire, ni casernes, ni abri d'aucun genre pour les troupes.

« Dans cette situation, il y aurait peu d'inconvénients à jeter les remparts dans les bas-fonds, à remblayer ainsi une partie du terre-plein et à remplacer la clôture actuelle par un mur crénelé. Mais il n'y aurait à cela aucun avantage, et il n'en résulterait aucune sécurité de plus. » Ce travail, considéré comme absolument inutile, entraînerait une dépense de plus d'un million de francs, sans compensation ; et comme cette dépense ne présente aucun intérêt pour le. pays, elle ne pourrait être justement imposée au trésor public. Il y aurait un moyen plus simple de faire cesser toute plainte, si peu justifiée qu'elle soit : ce serait de supprimer la servitude intérieure, et le gouvernement ne s'y opposerait pas. »

La citadelle change donc complètement d'objet. Elle n'a plus pour but de défendre une rive ouverte, puisque cette rive ouverte n'existe plus. Elle n'est plus un réduit, puisque le réduit est transporté sur la rive gauche. Elle n'est plus qu'une batterie de côte.

Ce qu'il y a donc à conserver, c'est la partie qui forme batterie de côte, et nullement la partie qui ferme la citadelle du côté de la ville et qu'il s'agissait de remplacer par un mur crénelé.

Il est donc incontestable que cette citadelle, établie pour un but qui n'est plus le sien, doit être appropriée à son nouveau but, qu'elle doit être modifiée.

L'honorable M. Frère le prévoit lui-même ; dans son discours d'hier, il nous a dit : Je vous devine ; on fera une chose quelconque, peut-être le bassin à pétrole, on fera quelque chose et vous vous déclarerez satisfaits.

Si c'est satisfaisant, pourquoi pas ?

Avant que l'examen du gouvernement ait abouti, il m'est impossible de savoir si le résultat sera satisfaisant. Je ne me déclarerai pas d'avance satisfait, suivant la pensée que M. Frère me prêtait hier, pas plus que je ne suis résolu d'avance à être mécontent, comme M. Frère le prétendait autrefois.

Craignant de nous voir satisfaits, M. Frère voudrait bien nous le défendre. Vous n'avez pas le droit de vous déclarer satisfaits du bassin à pétrole, nous dit-il, car, en fin de compte, ce qui vous inquiétait, c'étaient les canons dont cette citadelle était hérissée ; or, ces canons subsisteront tant qu'il restera quelque chose de la citadelle.

L'honorable membre se trompe ; ce qui a causé les alarmes de la ville d'Anvers, c'est le troisième siège dont il est question dans les déclarations du général Chazal. C'est le siège final, l'enceinte étant prise, l'ennemi occupant l'enceinte et l'armée se trouvant dans le réduit de la citadelle.

Tant qu'il sera possible de la considérer comme un réduit, on sera en droit de craindre qu'en cas de besoin, elle ne serve à cet usage. Si vous transformez l'ouvrage de façon que ce ne puisse plus être une citadelle, qu'elle ne soit évidemment qu'une batterie de côte, malgré les canons des remparts nous n'aurons pas plus de craintes à avoir que nous n'en avons au sujet des canons qui garnissent l'enceinte dont la citadelle du Nord ne sera plus que la continuation.

Je crois, en effet, que la solution la meilleure sera d'y placer le bassin à pétrole ; je crois que c'est à cela qu'on aboutira. Je l'ai déclaré avant d'arriver au pouvoir, quand nous discutions, le 18 décembre 1859, la convention Strousberg ; j'ai déclaré alors qu'à mon avis ce qu'il y avait lieu de faire, c'était d'affecter à cette destination commerciale une partie des terrains occupés par la citadelle du Nord, de façon qu'Anvers ne pût plus craindre de voir le troisième siège se produire, l'ennemi étant dans la ville et l'armée belge dans la citadelle. C'était mon opinion avant d'arriver au pouvoir ; j'ai gardé cette opinion pendant que j'y étais ; c'est encore mon opinion aujourd'hui.

J'ai toujours cru que, pour résoudre convenablement et honorablement pour tout le monde cette partie importante de la question d'Anvers, c'est sur le terrain commercial qu'il faut se placer.

Demander à l'élément militaire de reconnaîtra que la citadelle ne vaut rien, il ne faut pas y songer ; on avoué difficilement qu'on a conçu une (page 151) œuvre défectueuse ; demander à la ville d'Anvers de reconnaître que cette citadelle est inoffensive, après qu'on lui a indiqué la perspective de ce troisième siège, il n'y faut pas songer davantage.

Mais l'élément militaire peut se plier aux nécessités du développement du commerce d'Anvers. Ce n'est pas devant un intérêt local qu'il s'incline, c'est devant un intérêt général, avec lequel il se concilie. En face des nécessités du commerce, l'élément militaire doit transiger. Ce n'est pas moi qui l'ai dit le premier. L'honorable général Renard, lorsqu'il n'était pas encore ministre, fit partie d'une commission chargée d'examiner ces questions ; il fit connaître à la Chambre, le 29 janvier 1868, quel avait été son avis sur cette question, avis qu'il déclarait partager encore.

« Les fronts intérieurs de la citadelle lui paraissent d'une importance secondaire. Il pense qu'ils pourront être démolis sans inconvénient, si, comme tout paraît le démontrer, la ville commerciale est appelée à prendre une grande extension vers le nord. Voilà, ajoutait-il, mon opinion à moi personnellement. »

Il ne s'agit pas là de remplacer les fronts intérieurs par un mur crénelé qui ne donnerait aucun espace nouveau à la ville commerciale. Il s'agit de supprimer le mur crénelé ; il s'agit de donner au commerce une partie du terrain occupé par le terre-plein, les fronts, les fossés et glacis intérieurs de la citadelle du Nord pour que les établissements commerciaux puissent se développer de ce côté.

C'est dans cet ordre d'idées que je me suis placé pendant que j'ai été ministre, et, puisqu'on a demandé ce que j'ai fait pour la solution de la question d'Anvers pendant cet intervalle de dix-huit mois, je vais le dire.

D'abord, j'ai déposé un projet de loi sur les servitudes militaires qui donne satisfaction sur ce point.

M. Bouvier. - Vous pouvez vous en flatter. Il est beau votre projet de loi !

M. Frère-Orban. - Vous avez déposé cette proposition antérieurement à votre entrée au ministère.

M. Jacobs. - J'avais, de mon initiative, déposé une proposition qui, par suite de la dissolution, est venue à tomber. Etant ministre, au nom du gouvernement, d'accord avec mes collègues, j'ai déposé un projet de loi accordant des indemnités en matière de servitudes militaires, comme en Angleterre, comme en Hollande, comme en Allemagne.

Quant à la citadelle du Nord, me plaçant précisément sur ce terrain commercial, qui est le vrai, j'ai contribué, autant qu'il était en mon pouvoir, à étendre les établissements commerciaux jusqu'à la citadelle du Nord. Leur développement est nécessaire en présence du développement du commerce, mais il fallait avant tout déblayer le terrain en écartant divers obstacles.

La ville d'Anvers ne pouvait songer à étendre ses établissements commerciaux vers le nord avant que les graves questions relatives aux établissements commerciaux en construction fussent réglées. Il fallait terminer les établissements décrétés et en cours d'exécution avant d'entamer une nouvelle série de travaux. Il y avait, sous ce rapport, une grosse difficulté, qui avait provoqué un conflit entre le gouvernement précédent et la ville d'Anvers.

Il s'agissait de l'installation des stations commerciales.,,.,

L'honorable M. Wasseige et moi, d'accord avec l'administration communale d'Anvers, non sans peine et sans labeur, nous avons résolu cette question préparatoire ; nous l'avons résolue en dotant la ville d'Anvers de stations qui satisferont à tous les besoins du commerce.

Nous avons obtenu le concours de la ville d'Anvers dans une large mesure, dans une mesure que n'a jamais atteint le concours d'aucune ville à l'établissement de stations de chemins de fer.

Le gouvernement, de son côté, a fait de grands sacrifices et nous croyons que nos efforts communs produiront une grande œuvre. Ce point n'a été réglé définitivement que quelques jours avant notre retraite.

Un second point préliminaire devait être réglé. Les nouveaux établissements commerciaux d'Anvers se combinent avec la dérivation du canal de la Campine. C'est sur ce canal dérivé que viendra se greffer le bassin à pétrole que je voudrais voir établir dans la citadelle du Nord.

La ville d'Anvers devait obtenir préalablement que le gouvernement décrétât la construction d'une nouvelle écluse maritime destinée à servir de débouché à ces nouveaux bassins.

Nous avons demandé à la Chambre, par le dernier projet de loi de travaux publics, de décréter le principe de cette écluse maritime en allouant un premier crédit.

Le terrain ainsi déblayé, il ne restait plus à la ville d'Anvers qu'à soumettre un plan d'établissements maritimes au gouvernement et au gouvernement qu'à l'examiner, à le modifier ou à l'approuver. Pour faciliter ce travail, j'ai fait élaborer officieusement un plan et officieusement je l’ai soumis à la ville d'Anvers.

L'administration communale d'Anvers s'occupe en ce moment, depuis deux mois environ, de l'élaboration du plan d'ensemble des nouveaux établissements maritimes. Elle sera à même, je pense, de le soumettre au gouvernement sans grands retards.

Ce n'est point, messieurs, par pure fantaisie que la ville d'Anvers donnera un développement considérable à ses établissements.

Je ne sais si la Chambre se rend un compte exact du développement qu'a pris le commerce d'Anvers. Quelques chiffres vont l'édifier sur ce point.

Le tonnage des navires entrés dans le port était de 177,315 tonneaux en 1840, 233,760 tonneaux en 1850, 532,083 tonneaux en 860 et 1,343,795 tonneaux en 1870.

De 1870 à 1871, il s'établit une progression qui égalera peut-être, en une seule année, le tonnage complet de 1860.

Pendant les six premiers mois de 1871, le tonnage des navires entrés a été de 891,446 tonneaux ; en doublant pour l'année, nous aurons environ 1,800,000 tonneaux en 1871, alors qu'il n'y en a eu que 1,313,000 en 1870.

Devant un accroissement de mouvement aussi anomal, la ville d'Anvers a l'obligation de créer de nouveaux établissements maritimes et de donner satisfaction complète aux intérêts commerciaux.

La ville d'Anvers est prête à le faire, d'accord avec le gouvernement. Elle soumettra au gouvernement un plan de nature à donner satisfaction au commerce et, notamment, à concentrer, dans un bassin isolé, sur ce terrain à l'écart que couvre la citadelle du Nord, toutes les matières inflammables, le pétrole, le naphte, les huiles minérales dont la présence au milieu des autres marchandises constitue un danger sérieux.

Voilà ce que j'ai fait pendant que j'étais au pouvoir.

J'espère avoir assez déblayé le terrain pour que mes honorables successeurs puissent résoudre la question.

J'ai grand espoir dans l'examen que M. Malou nous a annoncé hier.

Je disais tantôt à la Chambre que j'ai eu occasion de causer avec des militaires distingués de la citadelle du Nord ; je n'en ai trouvé aucun pour qui ce fût quelque chose de sacro-saint que l'on ne pût modifier et qui ne pût se prêter aux nécessités du développement du commerce.

Je les ai trouvés tous disposés, non à affaiblir le système de défense (aucun n'est de cet avis), mais à concilier les intérêts de la défense avec ceux du commerce.

Ce que l'on veut, c'est une batterie de côte.

Eh bien, je veux communiquer à la Chambre et au gouvernement une des idées que ces militaires m'ont soumises à cet égard.

Je puis le faire sans responsabilité aujourd'hui. Je ne pouvais le faire hier.

Quelle batterie de côte est-ce que la citadelle du Nord ? C'est une batterie de côte découverte, c'est un rempart en terre comme tous les autres sur lequel on place des canons, non pas 500, comme l'a dit M. Frère, il faudrait pour cela les mettre les uns sur les autres, mais enfin un bon nombre de canons. (Interruption.)

Quiconque suit les progrès de l'art militaire, quiconque sait ce que sont les flottes cuirassées, reconnaîtra qu'une batterie de côte, qui n'est qu'un simple terrassement, n'est pas en mesure de lutter avec une flotte cuirassée qui entrerait dans l'Escaut, seule hypothèse pour laquelle une batterie de côte soit nécessaire.

Aux flottes cuirassées, on oppose aujourd'hui les batteries fixes cuirassées et ces batteries ont cet avantage de pouvoir, avec un beaucoup moins grand nombre de canons et sur un beaucoup plus petit espace, produire un résultat beaucoup plus utile que ne le ferait l'immense terrassement de la citadelle du Nord qui, avec ses 132 hectares, n'arrêterait pas un navire.

L'on peut supprimer les fronts intérieurs et une partie du front qui regarde le fleuve et y substituer un tout petit fortin à coupoles cuirassées, un fort que je puis appeler un coffre-fort, car il est impossible d'y entrer, se composant, comme le fort Philippe, de trois petites tourelles cuirassées, renfermant chacune deux canons et ne pouvant contenir que 200 hommes, 100 artilleurs pour manœuvrer les six canons et 100 hommes d'infanterie pour défendre les fossés par un feu de mousqueterie au cas ou l'on voudrait attaquer ce coffre-fort imprenable. Ce petit fortin ne pourrait inquiéter la ville d'Anvers ; les 200 hommes de ce fortin ne soutiendront pas un siège contre l'armée qui se serait emparée de la place.

(page 152) Le cas de la citadelle du Nord subissant un troisième siège ne serait plus possible. Mais les six énormes canons renfermés dans leurs tourelles, dans leurs carapaces, feraient aux navires cuirassés qui voudraient arriver devant Anvers un mal beaucoup plus grand que ne pourrait leur en faire l'immense citadelle du Nord.

Le terre-plein de la citadelle du Nord, les fossés qui regardent la ville, le glacis vers la ville, s'ils étaient aliénés, permettraient de couvrir la dépense du petit coffre-fort.

Messieurs, je vous cite en passant une des modifications possibles. Je pourrais en citer d'autres ; mais je ne veux pas énumérer ici toutes les idées qui ont été émises sur ce point. J'aime mieux laisser au gouvernement toute sa liberté d'appréciation, le laisser poursuivre son examen avec impartialité et bienveillance, convaincu qu'il aboutira à un résultat satisfaisant.

Ce qui me porte d'autant plus à le croire, c’est précisément la présence aux affaires de l'honorable M. Malou. L'examen annoncé par M. Malou vaut mieux que l'examen annoncé par bien d'autres. Car, si M. Frère a, dans ses antécédents, d'autres dates que le 11 mai 1868, M. Malou en a d'autres également.

M. Malou a été rapporteur au Sénat de la convention Strousberg. Je lis dans le rapport qu'il fit sur cet objet :

« Comme il est reconnu maintenant que la citadelle du Nord doit être réduite au rôle modeste d'une batterie de côte, il est aussi très probable que, dans un avenir peu éloigné, une combinaison analogue à celle qui fait l'objet de la convention du 14 octobre se réalisera de ce côté. S'il en est ainsi, les fronts intérieurs disparaîtront : les terrains dont le génie militaire n'aura plus besoin seront livrés au génie civil et appropriés à des établissements commerciaux. En même temps disparaîtront entièrement, sans que l'intérêt national en souffre, les alarmes et les émotions si vives dont cet ouvrage militaire a été la cause principale. »

Dans la discussion du projet, l'honorable M. Malou persista dans son langage. Il parla, à son tour, de ce troisième siège qu'on avait eu le tort de faire entrevoir à la ville d'Anvers et qui avait causé tant d'alarmes.

Il terminait ainsi :

« M. Malou. - Je ne prolongerai pas le siège de la citadelle du Nord condamnée. Je n'ajoute qu'un seul mot.

« Jamais il n'est entré dans ma pensée de demander la démolition de cette partie de l'enceinte. Je demande et j'espère bien voir se réaliser l'utilisation, au profit du commerce, des terrains dont le génie militaire n'a plus besoin. J'ai ici le plan de cette citadelle ; il sera curieux de le conserver, car je doute qu'on l'exécute jamais. Je désire que l'on supprime les fronts intérieurs en réservant au département de la guerre tout ce que réclame une batterie de côte et que l'on arrive à employer le plus utilement possible tout ce qui n'est pas indispensable à sa défense, tout en laissant subsister la grande enceinte. »

Nous, non plus, nous ne demandons pas la démolition des forts de la citadelle du Nord qui sont le prolongement de l'enceinte.

Lorsque l'examen de la question d'Anvers nous est promis par l'honorable M. Malou, j'ai le droit de dire que nous pouvons avoir confiance ; j'attendrai sans crainte le résultat de cet examen et, si M. Frère est content des déclarations de M. Malou, moi, j'en suis satisfait aussi et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.

M. Frère-Orban. - Messieurs, mon intention n'est pas de prolonger la discussion sur cet incident. M. le ministre des finances ayant invoqué une déclaration que j'ai faite au sujet des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, en ajoutant qu'il y adhérait, je m'étais borné à compléter cette déclaration et à établir quelle était la véritable situation de cette affaire en ce qui me concerne.

L'honorable préopinant a pris texte de ce qui s'est dit à ce propos pour faire en son honneur une pompeuse réclame. Il a énuméré tout ce qu'il a accompli dans l'intérêt d'Anvers ; il a aussi exposé son système militaire ; il a annoncé enfin, ce que du reste nous savions depuis longtemps, que malgré ces abominables fortifications qui devaient marquer l'ère de la décadence du commerce d'Anvers, ce commerce a continué à se développer de la manière la plus heureuse. Nous, nous l'avions prédit.

Messieurs, l'honorable préopinant dît que je n'ai jamais porté dans mon cœur le mouvement anversois, et qu'il ne s'en étonne pas, parce que le mouvement d'Anvers avait été la première démonstration contre « ma domination » qu'il avait fini par renverser.

Messieurs, je me suis toujours élevé contre les manifestations qui ont eu lieu dans la ville d'Anvers, à cause de leur caractère, à cause des principes pernicieux sur lesquels elles étaient fondées, à cause surtout des assertions mensongères à l'aide desquelles on essayait d'égarer la population. Nous n'avons pas cru devoir céder à des réclamations faites en vue d'intimider le pouvoir, qui ont revêtu un caractère anarchique et qui n'était, au fond, comme l'événement l'a prouvé, qu'une intrigue politique et cléricale.

Nous avons résisté, comme c'était notre devoir : nous y avons résisté, appuyés sur la Chambre et le pays tout entier. Nous considérons comme un titre d'honneur pour l'opinion à laquelle nous appartenons, nous considérons comme un titre d'honneur, pour le gouvernement dont nous avons fait partie d'avoir su résister a de pareilles manifestations.

Si vous vous persuadez que c'est grâce à l'agitation que vous avez fomentée à Anvers que le cabinet libéral a été renversé, il faudra bien convenir qu'il vous a fallu pour cela longtemps ; vous avez mis presque dix ans à atteindre ce résultat.

En parlant ainsi, vous faites au surplus un aveu compromettant. On a toujours nié, à vos côtés que l'agitation eût une autre cause qu’une réclamation d’intérêt local. Les hommes d’opinions diverses qui s’y rencontraient devaient se séparer une fois cet intérêt local satisfait. Ainsi que nous l'avons toujours soutenu, vous confessez le but politique qui a été poursuivi.

Vous avez fait germer dans le pays un principe corrupteur sous l'influence duquel on a vu des hommes d'opinions les plus divergentes, des hommes qui se proclamaient les apôtres de la libre pensée, des hommes qui se proclamaient démocrates, des hommes qui avaient nié la divinité du Christ, se faire les partisans, les soutiens honorés de la grande opinion conservatrice et catholique. C'est ce système de corruption...

M. Jacobs. - Je demande la parole.

M. Frère-Orban. - C'est à l'aide de ce système dé corruption, qu'on a colporté dans divers collèges électoraux, que vous avez obtenu des succès que je ne vous envie pas, Je vous dirai quelque jour, dans un moment opportun, quelles sont pour vous et pour le pays les conséquences dé l'abdication des vrais principes moraux qui doivent diriger les partis.

Cela dit, messieurs, je précise l'objet de la controverse en ce qui me concerne. L'honorable M. Malou, interpellé sur le point de savoir s'il s'agissait de démolir la citadelle du Nord, a spirituellement, d'après ce que dit M. Jacobs, a spirituellement lu une déclaration émanant de moi et dont le sens ne pouvait être douteux.

Nous avions promis l'examen de la question de savoir si l'on pouvait faire disparaître les fronts intérieurs de la citadelle du Nord. Mais j'ai ajouté que cet examen avait été fait ; qu'on avait reconnu qu'il était nécessaire de maintenir la citadelle du Nord, l'établissement connu sous ce nom, qui est réduit à une batterie dé côte et qui est indispensable à la défense de la rade. Et j'ai demandé à l'honorable M. Malou si c'était ma pensée qu'il reproduisait, si c'était la même attitude que la mienne qu'il entendait garder, M. Malou a dit ; Ni plus ni moins.

M. Malou, ministre des finances. - Vos paroles de 1868.

M. Frère-Orban. - Oui, ni plus ni moins. Continuant, j'ai interpellé M. le général Guillaume sur le point de savoir s'il était également d'accord avec moi et l'honorable général m'a répondu qu'il ne consentirait à rien faire qui pût affaiblir le système défensif de la place. J'en ai conclu que nous étions parfaitement d'accord, et des deux ministres, aucun n'a réclamé.

L'honorable M. Jacobs, qui paraissait mieux connaître la pensée du gouvernement que le gouvernement lui-même, s'est écrié : Point du tout. C'est tout autre chose. Vous n'avez pas compris. J'ai compris moi, parce que je comprends le français, m'a dit l'honorable M. Jacobs. Eh bien, j'aurais admis une chose : c'est qu'il attendît les propres explications du gouvernement contredisant les paroles que j'énonçais et auxquelles il se ralliait. Il est impossible pour moi qu'il y ait deux sens dans les paroles qui ont été prononcées.

Je ne pouvais pas faire aux honorables membres qui siègent aux bancs ministériels, et que j'estime, l'injure de croire que le français qu'ils parlaient était un français flétri par Pascal, le français des restrictions mentales. Je n'ai pas interrogé les ministres sur des projets que j'ignore et dont ils n'ont point parlé ; mais j'ai eu le droit de demander à ceux qui se plaçaient derrière moi, qui invoquaient mes paroles, mon langage, s'ils étaient d'accord avec moi, s'ils avaient la même pensée que moi.

Voilà la seule question, et elle avait été résolue en face de l'assemblée. Jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas parlé pour me contredire ; mais vous parlez en son nom, à ce qu'il semble. Le gouvernement n'a rien dit qui soit en contradiction avec ce qui a été constaté dans la discussion d'hier, et, sans mission, j'imagine, vous entreprenez d’expliquer la pensée du gouvernement.

(page 155) Le gouvernement a dit : Je m'en tiens à la déclaration que vous avez faite en 1868. Or, que porte cette déclaration ? Que l'on examinera s'il y a lieu de démolir les fronts intérieurs, car c'est là seulement ce que j'ai indiqué ; mais on a oublié que cet examen a été fait. N'importe ; on se réfère donc à ma déclaration de 1868, examen du point de savoir si l'on peut démolir les fronts intérieurs. Cela est bien formel. Selon vous, ce n'est pas là ce que le gouvernement fera. Il n'examinera pas s'il y a lieu de démolir les fronts intérieurs. Il examinera s'il n'y a pas lieu de faire disparaître ce que vous persistez à appeler la citadelle du Nord. Alors, pourquoi se retrancher derrière moi et invoquer ma déclaration de 1868 ?, non seulement vous savez qu'il procédera de la sorte ; mais vous avez tout un plan ; vous avez consulté des militaires ; ils vous ont donné leur avis ; ils vous ont dit comment on pourrait remplacer les ouvrages qui existent par d'autres ouvrages qu'ils ont indiqués. Vous savez tout cela.

Mais comment se fait-il que, ayant été pendant dix-huit mois au banc ministériel, vous n'ayez rien produit ?

M. Jacobs. - Je vous ai dit ce que j'ai fait pendant ce temps.

M. Frère-Orban. -- Oui, nous savons que vous avez proposé une loi sur les servitudes militaires ; mais cette proposition datait déjà de plusieurs années ; vous l'avez faite alors dans cette Chambre. Nous savons cela depuis longtemps.

Vous avez fait un arrangement avec la ville d'Anvers pour le développement de ses stations. Tout cela est parfait. Mais là n'est pas la question. Je vous parle de la question de la citadelle du Nord que vous connaissez si admirablement, dont vous indiquiez les moyens de démolition.

Comment donc se fait-il que vous n'ayez rien proposé ; comment se fait-il que vous n'ayez rien répondu aux interpellations de l'honorable M. Bouvier qui s'est borné à les répéter de nouveau à notre successeur ? Vous étiez alors au banc ministériel et vous ne répondiez pas. Au banc ministériel vous ne saviez rien, et depuis que vous l'avez quitté, vous savez tout. Vous en savez même plus que ceux qui vous ont remplacés.

M. Bouvier. - C'est la mystification des mystifications. (Interruption.)

M. Frère-Orban. -» Le gouvernement fera ce qu'il voudra ; c'est son affaire ; je n'ai pas à m'en occuper en ce moment ; je jugerai ses propositions quand elles nous seront soumises. Mais ce que le gouvernement n'a pas le droit de faire, ce que vous avez moins encore le droit de faire en son nom, c'est quand il cite mes paroles, quand il déclare accepter la position que j'ai prise, c'est d'annoncer qu'il fera diamétralement le contraire de ce que j'ai promis et que j'ai d'ailleurs exécuté.

Maintenant, je vais vous dire quelle est la solution de cette affaire que l'on poursuit et j'engage le gouvernement à y réfléchir. Ce qu'on poursuit ici ce n'est pas une satisfaction réelle. Depuis très longtemps tout le monde sait que ce qu'on nomme la citadelle du Nord est purement et simplement une batterie de côte.

Cet ouvrage ne présente aucun caractère offensif pour la ville d'Anvers, pas plus que tout autre établissement militaire par lequel il serait remplacé et il expose beaucoup moins la ville que les travaux sur la rive gauche qu'on exécute ou. qu'on se propose d'exécuter.

De ces nouveaux forts, en effet, on pourrait manifestement bombarder la place.

Ce qu'on poursuit, c'est une satisfaction nominale. Ce qu'on veut, c'est de pouvoir dire à Anvers, à cette population qu'on a agitée et égarée : Enfin, nous l'emportons ! Nous avons obtenu la démolition de la citadelle du Nord.

Le jour où l'on aura permis aux meneurs des meetings de calmer ainsi leur amour-propre, ce jour-là, la force et le prestige du gouvernement et celui de la royauté seront gravement compromis.

N'oubliez pas, messieurs, que l'une des grandes fautes qui ont fait périr le cabinet précédent, c'est, avec celles qu'il a commises dans ces derniers temps, d'avoir, aux premiers jours de son avènement, donné des décorations à ceux qui avaient propagé ce mouvement d'Anvers et insulté le chef du gouvernement national.

Eh bien, aujourd'hui, on dirait de même que pour donner une satisfaction nominale aux meneurs des meetings d'Anvers, on abaisse le gouvernement, on abaisse la prérogative royale jusqu'à la contraindre à reconnaître que cette citadelle du Nord a été érigée subrepticement, illégalement et malgré les engagements pris par le Roi de préserver la ville d'Anvers de tout danger !

C'est ce triomphe des meetings que l'on poursuit, et il y a là un péril plus grand pour le gouvernement que celui de secouer le joug que l'on essaye de faire peser sur lui. Le jour où les meneurs pourront dire qu'ils ont enfin fait justice de ce qu'ils ont nommé « l'œuvre d'une insigne déloyauté » en accusant mensongèrement le chef de la dynastie d'avoir manqué à sa parole ; le jour où il sera constaté que le gouvernement leur a permis de célébrer leur triomphe, ce jour-là le gouvernement sera aussi bien près de sa chute.

M. Jacobs. - Il faut qu'une cause soit bien près d'être perdue pour que l'honorable M. Frère la défende avec l'énergie du désespoir. (Interruption.)

L'honorable membre ne sait plus où chercher des alliés ; il voudrait intéresser à sa cause le gouvernement et même la Couronne !

J'examine, moi, la question avec calme et de sang-froid ; je n'ai pas besoin de me laisser aller aux exagérations de langage de l'honorable membre.

A l'en croire, il est une sorte d'Aristide, un juste par excellence, ne sacrifiant jamais au flot populaire ni aux nécessités électorales.

Je me souviens, au contraire, que l'honorable membre a été prêt à faire des concessions au mouvement anversois toutes les fois qu'il a cru pouvoir, par des concessions, obtenir quelque résultat électoral.

M. Frère a abandonné les servitudes intérieures, il a abandonné la citadelle du Sud et, le 11 mai 1868, à la veille du renouvellement du mandat des élus d'Anvers (interruption), il disait ici même : « Nous sommes en vérité dans de si bonnes dispositions que nous ne refusons pas même d'examiner si l'on peut se passer du mur crénelé ! » Il était ce jour-là en veine de concessions, comme il le faisait remarquer hier.

Eh bien, qu'il se souvienne de son discours d'hier ; qu'il ne prétende plus n'avoir jamais été en veine de concessions, qu'il ne se donne pas pour un homme inébranlable : ses faits protestent contre ses paroles. M. Frère a fait différentes concessions ; mais, je le lui ai dit plus d'une fois, il les a toujours faites trop tard, après s'être fait prier pendant des années, si bien qu'au moment où les concessions étaient faites, il en recueillait l'humiliation, puisqu'il prétend qu'il y a humiliation de la part du pouvoir de céder aux meetings d'Anvers, il n'en obtenait aucun bénéfice.

Ah ! c'est un titre d'honneur pour vous que de n'avoir pas cédé devant ces meetings, et vous ne regrettez pas d'avoir, par votre résistance, perdu un certain nombre de vos amis.

Mais, quand vous avez fait ces concessions à la veille des élections, vous les regrettiez ces amis et vos concessions étaient autant d'échelons, au moyen desquels vous espériez les voir remonter sur leurs sièges.

Il y a, dites-vous, un principe corrupteur dans le mouvement anversois. Ce principe, c'est la coalition d'éléments de natures différentes, c'est la coalition de libres penseurs avec des catholiques fervents.

Messieurs, ces coalitions de catholiques fervents et de libres penseurs sur le terrain de la liberté, je déclare que je les accepterai toujours ; elles se sont loyalement pratiquées en Belgique depuis le jour où l'on a vu l'opinion unioniste porter au gouvernement provisoire M. de Potter à côté du comte Félix de Mérode ; je les accepterai chaque fois qu'elles se produiront sur un terrain véritablement libéral, ou quand il s'agira de défendre un grand intérêt comme celui qui se trouve engagé dans la question d'Anvers. Je ne dirai à personne : Vous n'allez pas à confesse, je refuse votre concours.

Vous voudriez que toutes les coalitions vous soient permises, et qu'aucune ne le soit pour nous. L'accord existe-t-il entre vous ? Sur vos bancs, je vois des militaristes et des antimilitaristes ; je vois des personnes qui se trouvaient à ces fameux meetings de Liège que M. Frère abomine ou qui écrivaient pour déclarer qu'ils regrettaient de ne pouvoir s'y rendre.

Sur vos bancs il y a des catholiques qui vont à la messe, et il y a des membres, comme l'honorable M. Bergé, qui n'aiment pas qu'on invoque le nom de Dieu.

S'il y a des opinions différentes sur nos bancs, la variété des couleurs est bien plus grande sur les vôtres.

L'honorable membre en veut encore au mouvement anversois, parce que, à différentes reprises, on a mis le Roi en cause dans les meetings.

Messieurs, dans les réunions publiques, soit en plein air, soit ailleurs, il peut se présenter aisément des faits regrettables, précisément parce que chacun y est admis ; ce qu'on peut demander à ceux dont l'opinion a provoqué ces réunions, c'est de blâmer de pareils faits ; nous n'avons pas attendu qu'on nous le demandât, et M. Frère a blâmé, à son tour, les faits que la lie de son parti commettait il y a quelques jours. Si l'on devait, malgré notre désaveu, nous rendre responsables de quelques mots irrévérencieux, prononcés dans des réunions tumultueuses, nous pourrions, au même titre, vous rendre responsables des cris « Roi de carton, » etc., des indignités qui se vociféraient, le 30 novembre, sous les fenêtres du Roi.

(page 154) Vraiment, parce que dans un meeting d'Anvers quelques paroles inconvenantes ont été prononcées, désormais quiconque tient au mouvement anversois ne pourra plus être décoré de l'ordre de Léopold ! Si la lie dont je parlais tantôt peut engager la responsabilité des hommes politiques, vous devriez vous dépouiller tous de vos décorations.

Et, s'il n'est pas juste de rendre les hommes politiques responsables de ce que la lie de leur parti a pu dire, soit dans la rue, soit dans des réunions où tout le monde est admis, cessez donc d'en parler pour Anvers, si vous ne voulez pas qu'on vous rétorque l'argument.

Il s'est passé d'autres faits plus réellement regrettables, en matière de décorations. Vous avez décoré, pour 40 années de services, un homme qui, pendant les dix premières années de la Belgique indépendante, a été à la tête de toutes les intrigues orangistes. (Interruption.)

Je ne vous aurais pas reproché ce fait, j'aurais jeté le voile de l'oubli sur les conspirations qui ont tant ému le pays ; je ne me serais souvenu que des services qu'a pu rendre l'homme à qui j'ai fait allusion comme avocat du département des travaux publics.

Mais j'ai le droit de vous rappeler cette décoration lorsque vous venez nous faire un grief d'avoir décoré un député d'Anvers, comme si l'on ne pouvait à la fois figurer dans la députation anversoise et dans l'ordre de Léopold.

Les décorations qui foisonnent déjà parmi vous devraient donc être votre monopole !

J'en reviens à la question spéciale. M. Frère conteste au gouvernement le droit d'emprunter les paroles prononcées par lui sans accepter en même temps toutes les suites données à ces paroles.

Le gouvernement a parfaitement le droit de se placer aujourd'hui dans la situation où était M. Frère le 11 mai 1868.

Au moment où celui-ci prononçait les paroles reprises par M. Malou, il n'avait pas d'opinion préconçue, il annonçait l'examen.

La question était entière à ce moment ; il l'a résolue depuis, mais le gouvernement, en ne lui empruntant que ses paroles du 11 mai 1868 et non ses paroles postérieures, indique nettement ses intentions.

Il est clair que, si les paroles de l'honorable général Guillaume, relatives à Anvers, avaient le sens que leur prête M. Frère, il serait en contradiction formelle avec M. Malou, qui annonce l'examen. L'honorable général Guillaume s’est exprimé comme le général Renard, il n'admet pas un affaiblissement du système défensif de la ville d'Anvers, mais le gouvernement se prêtera à l'examen des détails, entre autres des fronts intérieurs.

M. Bouvier. -.La citadelle d'Anvers reste toujours debout.

M. Jacobs. - Mon honorable interrupteur, si elle ne reste pas plus longtemps debout que vous ne resterez dans cette Chambre, je n'aurai pas trop à me plaindre.

M. Frère représente le gouvernement comme subissant le joug du banc anversois.

Le banc anversois n'a jamais prétendu imposer de joug au gouvernement. Le banc anversois n'a que six voix dans cette Chambre.

Les députés d'Anvers votent comme ils croient en conscience devoir le faire ; ils ne peuvent évidemment voter en faveur d'un gouvernement qui se mettrait en état d'hostilité contre eux. Cela est élémentaire. Mais les députés anversois ne prétendent pas plus imposer leur loi au gouvernement que les députés de Liège ou de n'importe quel district.

C'est au gouvernement à discerner la ligne de conduite qu'il doit suivre, pour disposer de la majorité. Nous n'avons pas de conseils à lui faire entendre, nous avons encore moins de menaces à lui adresser.

M. Rogier. - Je m'occuperai d'abord de la question spéciale qui nous est soumise, non pas que les autres soient étrangères au débat, mais elles sont soutenues avec tant de talent et de vigueur par mes amis que je ne crois pas nécessaire de me joindre à eux.

Messieurs, dans la séance d'hier l'honorable M., Frère proposait au gouvernement un moyen de sortir immédiatement des embarras de cette discussion, qui présente, en effet, des difficultés pour tout le monde, pour des membres de la droite, pour des membres de la gauche et surtout pour le cabinet.

Je me trouve moi, parmi les membres embarrassés. En émettant un vote pour l'ajournement du budget de la guerre, j'ai la chance d'être accusé de vouloir porter atteinte à cette institution que, depuis un si grand nombre d'années, j'ai toujours défendue énergiquement au sein de cette Chambre et comme membre du gouvernement. Il n'en est rien ; si je me prononce pour l'ajournement, c'est parce que je considère l'attitude du nouveau ministère dans cette affaire comme équivoque et regrettable.

Qu'a-t-on dit hier au gouvernement ? On lui a dit : Nous sommes prêts à voter immédiatement le budget de la guerre, mais ayez l'obligeance de nous promettre qu'avant la présentation du budget de l'année prochaine, vous aurez fait connaître l'opinion du gouvernement sur l'organisation de l'armée et les questions essentielles qui s'y rattachent. Vous aviez donc deux mois et demi devant vous ; on peut dire dès lors que l'auteur de la proposition y met de la complaisance, alors qu'on serait en droit de demander hic et nunc au ministère nouveau : Quelle est voire opinion sur la question militaire ?

C'est une question des plus importantes, des plus gouvernementales, des plus urgentes.

Nous avons un ministre de la guerre qui a fait connaître son opinion personnelle et qui a le rare mérite de ne pas la dissimuler ; il l’a exposée à diverses reprises. Je ne pense pas qu'il y ait renoncé. Lorsque le ministère nouveau s'est formé, - je veux bien reconnaître qu'il s'est constitué dans des circonstances assez difficiles - on n'a pas eu le temps, je l'accorde, d'examiner à fond toutes les questions. Mais il me semble que la première question à poser par le ministre de la guerre, qui restait en fonctions, était celle de savoir s'il était d'accord avec ses nouveaux collègues, ou s'il renonçait aux principes qu'il avait exposés ici et ailleurs.

Cette question, à ce qu'il semble, n'a pas été posée. Le ministère actuel ne s'explique pas plus que celui qui l'a précédé et il ne sait pas même s'il pourra s'expliquer dans deux mois et demi. Cette attitude manque de convenance gouvernementale vis-à-vis de la Chambre, je dirai presque de franchise.

J'espère encore que MM. les ministres que je ne demande pas mieux que de ne pas combattre sur cette question, nous feront une réponse qui nous permettra de renoncer à la proposition d'ajournement et qui me permettra à moi de voter le budget de la guerre. Et, messieurs, si j'avais l'honneur d'être ministre, je n'y mettrais pas tant de façons. Je déclarerais que nous avons assez travaillé à organiser et réorganiser l'institution de l'armée.

A mon sens, on s'occupe beaucoup trop de ces questions d'organisation et de réorganisation en ce qui concerne l'armée et aussi la garde civique. Que l'armée, telle qu'elle est constituée, soit susceptible, comme toute autre institution, d'améliorations dans quelques services spéciaux, je veux bien l'admettre ; mais venir tous les trois ou tous les quatre ans s'occuper de la réorganisation de l'armée, c'est jeter partout le doute et le désordre dans les esprits ; c'est faire naître d'un côté des espérances, de l'autre du désappointement et semer le mécontentement, je ne dis pas seulement dans l'armée, mais dans le pays, qui a toujours vu, comme conclusion à tous ces problèmes de réorganisation de l'armée, une augmentation considérable du budget.

Or, messieurs, je suis grand partisan de l'armée, mais je déclare dès à présent qu'à mon avis nous avons atteint les dernières limites des crédits budgétaires qui lui sont consacrés.

Il ne s'agit pas, je l'espère, de venir nous proposer un nouveau budget de la guerre comportant des augmentations de dépenses. Il y a dans le budget, s'il est administré par un ministre capable et vigilant, et je pense que M. le ministre actuel présente ces qualités, il y a dans le budget des ressources suffisantes pour tirer de l'organisation de l'armée tout le parti que l'on est en droit d'en attendre.

On se rappelle qu'en 1847 un ministre de nos amis à qui on ne reprochera certes pas de manquer de zèle pour le bien de l'armée, déclarait qu'un budget de 27 millions pouvait suffire ; et nous voici arrivés déjà à 36 ou 37 millions.

Aussi, messieurs, si le ministère, après avoir étudié la question, nous proposait des diminutions, je ne serais pas aussi rigide qu'un honorable ami, député de Bruxelles, qui a parlé hier. Tout en sauvegardant les intérêts de l'armée, nous sommes ici pour veiller aussi aux intérêts des contribuables et quand des diminutions de dépenses seront proposées par un ministère, en ce qui concerne le département de la guerre, je ne les accueillerai pas avec répugnance, si, bien entendu, ces diminutions n'entraînent pas la désorganisation des services.

Mais nous n'avons pas, je crois, à prévoir cette éventualité-là ; je prévois bien plutôt des augmentations de dépenses, et je déclare, dès à présent, quant à moi, que je suis bien décidé à ne pas dépasser la limite actuelle.

Ce que je dis de l'organisation de l'armée, je puis le dire de la garde civique.

Il y a eu pour la garde civique trois ou quatre lois déjà ; la dernière, que j'ai combattue en partie, est de 1854. Mais où est l'urgente nécessité de réorganiser la garde civique ; quels sont les vices essentiels qui affectent sa constitution ? L'institution est excellente ; son organisation (page 155) bonne ; ce qui lui manque peut-être, c'est l'énergie, la bonne volonté des citoyens appelés a y jouer un rôle.

On dit que les cadres de la garde civique sont quelquefois mal composés.

A qui la faute ?

Aux hommes propres à remplir les fonctions d'officier et qui les dédaignent, qui les refusent et fuient l'élection.

Mon opinion sur la garde civique, j'ai déjà eu l'occasion de la formuler dans le sein d'une commission dont on m'a fait l'honneur de me nommer membre et dont j'ai dû aussi accepter la présidence, vu les démarches bienveillantes qui ont été faites auprès de moi par mes collègues.

J'ai exprimé l'opinion que, sans doute, il y avait des améliorations à introduire dans la garde civique, comme en d'autres services publics ; qu'il n'y avait pas lieu, à mon avis, de procéder à la réorganisation de cette institution.

La commission s'est assemblée, elle a pris des conclusions et fait un rapport. Mais ce rapport est allé s'endormir dans les tiroirs de l'honorable ministre de l'intérieur.

. Je trouve qu'il faut laisser cette institution à peu près telle qu'elle est ; elle offre assez de garanties à l'ordre public, pour la défense duquel elle est principalement instituée.

Il y a notamment dans la garde civique des corps spéciaux qui valent autant que les meilleurs corps de l'armée.

Ils sont composés de telle manière qu'ils présentent à la fois toutes les conditions d'énergie et de modération qui assurent le maintien de l'ordre public.

Le principe que professe M. le ministre de la guerre et sur lequel ses honorables collègues ne s'expliquent pas, ce principe du service personnel est inscrit en toutes lettres dans la loi de la garde civique.

Le service y est personnel et obligatoire.

Pour qui fait-on exception ? Pour la classe inférieure, pour les individus qui ne sont pas en situation de se vêtir eux-mêmes, de se procurer un uniforme à leurs frais. Ceux-là sont exceptés : c'est tout le contraire de ce qui existe pour l'armée. Là ce sont ceux qui n'ont pas le moyen de s'habiller qui servent : les autres peuvent se dispenser du service personnel au moyen du remplacement.

Il y a donc là, je crois, quelque chose à faire et quant à moi, je ne me prononce pas du tout contre le service personnel dans l'armée. Il faut qu'on nous fasse des propositions à ce sujet pour que nous puissions décider ; il faut qu'on se mette d'accord au ministère sur une question que j'appellerai primordiale.

On a pour cela deux mois et demi ; il me semble qu'avec l'intelligence qui distingue les membres du cabinet, le cabinet peut se mettre d'accord, dans cet intervalle, au moins sur quelques principes. Maintenant si le ministère prétend avoir besoin de trois mois, je ne pense pas que l'honorable M. Frère tienne absolument à ses deux mois et demi.

On fait des rapprochements entre l'époque des élections et la question militaire ; j'aime à croire que chacun de mes collègues se montre animé vis-à-vis de ses mandants d'assez d'énergie et d'indépendance pour n'avoir pas à redouter de faire connaître toute son opinion avant les élections. Quant à moi, je dirai qu'à l'époque de ma réélection, le principe de la réduction des dépenses militaires ayant été mis en avant, je me suis déclaré contre ce principe, parce qu'on proposait la réduction des dépenses dans des proportions exagérées.

Messieurs, j'ai maintenant, je ne dirai pas une interpellation, mais une question assez importante qui se rattache à l'armée, à adresser au cabinet. J'espère qu'il voudra bien me donner une réponse précise.

Une assemblée générale des délégués de toutes les associations conservatrices du pays a eu lieu ces jours passés, le 6 décembre, je crois. Je ne sais pas si quelques-uns de mes collègues y assistaient. Dans ce cas, je les prierais de vouloir rectifier ce qu'il pourrait y avoir d'inexact ou d'incorrect dans mes appréciations. Moi je n'y ai pas assisté. Ce n'était pas une assemblée ordinaire, sans cela je ne lui ferais pas l'honneur de l'introduire dans cette Chambre. Il s'agissait de la réunion de toutes les associations conservatrices du pays, dont la gravité des circonstances, disait-on, motivait la réunion.

On s'y est montré très ému des événements ; on n'a pas ménagé les injures à ceux qu'on appelait les auteurs, fauteurs et payeurs de l'émeute. On n'a pas ménagé les outrages à la garde civique qui, au lieu de réprimer l'émeute, l'a plutôt favorisée. On s'est en outre montré très alarmé sur l'avenir, sur un avenir prochain.

M. de Borchgrave. - Est-ce la question ? C'est le budget delà guerre que nous discutons.

M. Rogier. - C'est parfaitement cela ; je suis dans la question ; vous allez le voir, M. le président est d'ailleurs là pour diriger les débats.

On a été unanime, à ce qu'il semble, pour reconnaître que le pays était menacé d'émeute prochaine, que les événements qui venaient de se passer se renouvelleraient très prochainement, que telle était la tactique du parti doctrinaire ; et, en vue, - m'y voici, monsieur l'interrupteur, - et en vue de ces dangers très prochains d'une émeute, on s'est demandé si le gouvernement était armé de moyens suffisants pour réprimer ces futures émeutes et on a déclaré que non, qu'il lui fallait d'autres moyens, d'autres allures ; et un honorable général dont je ne citerai pas le nom, bien qu'il ait cru opportun de citer le mien, cet honorable général a déclaré qu'il n'y avait qu'un seul remède, qui était de revenir à l'arrêté du 31 août 1857, qu'avec cela il n'y avait plus d'émeute possible.

J'avoue, messieurs, que j'ai été surpris de cette découverte d'un remède efficace contre l'émeute, qui était déposé dans l'arrêté du 31 août 1857. Seulement, j'éprouvais un regret, c'est qu'au dire de l'honorable général j'aurais à moi tout seul annulé cet arrêté. Après avoir fait de vaines recherches pour le retrouver, j'ai prié M. le ministre de la guerre de vouloir bien me le procurer.

M. le ministre n'a pas été plus heureux que moi. Il n'a rien trouvé. Ce qu'il a trouvé, c'est une instruction rédigée de commun accord entre le ministre de la guerre, le ministre de la justice et le ministre de l'intérieur du cabinet de 1857 qui réglait le rôle, qui, dans les cas de rassemblements tumultueux et dans l'éventualité de troubles, était assigné à l'autorité civile, à l'autorité militaire, à la police, à la garde civique, à l'armée.

Les instructions des 6 et 25 décembres 1857 sont encore en vigueur ; elles tracent d'une manière très nette le rôle de chaque autorité.

En cas de trouble ou d'une apparence sérieuse de tumulte, le bourgmestre doit prendre des précautions dans le cercle de ses attributions ; il a sa police ; si la police ne suffit pas, il a la gendarmerie. Lorsque ces deux forces ne paraissent pas suffisantes, le bourgmestre convoque la garde civique.

Et nous le dirons ici à l'honneur de la garde civique, chaque fois que la garde civique de Bruxelles a été convoquée dans le cas de troubles, d'émeutes ou de désordres, elle a rempli constamment son devoir.

Maintenant, si la garde civique ne suffit pas pour empêcher les attroupements, le tumulte, l'émeute, l'autorité civile a recours à l'autorité militaire ; les deux autorités doivent d'abord se mettre d'accord pour les premières mesures à prendre, pour le renforcement des postes, l'occupation de certains quartiers, l'emplacement des troupes.

Cet accord obtenu, il y a encore une formalité essentielle ; toutes formalités que l'orateur que j'ai cité tout à l'heure veut, je présume, supprimer, parce qu'il les considère comme complètement insuffisantes pour réprimer les mouvements.

Quand les deux autorités se sont mises d'accord sur les mesures préparatoires, si le tumulte continue, si la police et la garde civique paraissent insuffisantes, l'autorité communale requiert l'armée.

L'armée requise, est-ce à dire qu'elle peut se précipiter aveuglément sur tous les attroupements, sur toutes les personnes rassemblées, tirer des coups de fusil, distribuer des coups de sabre ? Mais non ; hors le cas de flagrant délit où chaque agent de la force publique, comme chaque citoyen, a le droit d'agir, l'autorité militaire ne peut faire usage de la force que sur la sommation de l'autorité civile. (Interruption.)

Avant ces sommations, elle n'a pas le droit de recourir à la force. Ne sommes-nous pas d'accord avec M. le ministre de la guerre ?

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Non.

M. Rogier. - C'est cependant ce que porte la circulaire de mes honorables collègues de 1857, circulaire qui n'a pas été modifiée par vos prédécesseurs ni par vous. (Interruption.) Je puise mes citations dans le règlement : Service de garnison, que M. le ministre de la guerre a bien voulu me passer.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Voulez-vous me permettre ? M

M. Rogier. - Volontiers.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - L'honorable M. Rogier a dit que lorsque l'autorité militaire était requise, elle ne pouvait pas encore agir sans l'intervention de l'autorité civile. Or, il n'en est pas tout à fait ainsi. Lorsque l'autorité militaire a été requise, elle prend la direction de toutes les opérations.

M. Rogier. - Si la direction consiste à prendre des positions, je n'aurais rien à dire, l'armée ne peut rester dans les casernes ; mais il ne s'agit pas de cela. Il s'agit d'employer la force des armes. Pour recourir (page 156) directement à ce moyen extrême, l'autorité militaire doit attendre les sommations de l'autorité civile, sauf le cas de flagrant délit. Sommes-nous d'accord ?

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Oui.

M. Rogier. - Nous sommes donc d'accord. C'est qu'il y a des esprits impétueux qui voudraient voir l'armée agir tout de suite, sans réquisition, sans sommation.

Eh bien, je mets M. le ministre de la guerre en garde contre de pareilles velléités et de pareilles excitations.

Or, voici pourquoi j'ai introduit cette question dans la discussion du budget de la guerre :

Le congrès a décidé dans sa très récente réunion à Bruxelles d'adresser au Roi et aux ministres une pétition dans le but de provoquer, semble-t-il, des mesures propres à rendre l'autorité militaire, sans l'intervention de l'autorité civile, capable de dissiper les attroupements, de dissiper les émeutiers et, au besoin, de les anéantir.

Ceci est très important et très grave ; car, si l'armée, pour laquelle j'ai toujours voté et parlé, était appelée à jouer ce rôle que des esprits excessifs voudraient lui assigner, je deviendrais un adversaire de l'armée. L'armée est soumise à la société civile ; elle ne peut rien faire de son propre mouvement sans tomber elle-même dans l'émeute, ou même dans l'insurrection. L'armée ne peut, - tous les chefs raisonnables sont d'accord avec moi sur ce point, - l'armée ne peut s'engager directement contre la population ameutée que dans le cas de flagrant délit ou après que le gouvernement civil l'a sommée d'employer la force.

On sait les conséquences fatales qu'entraîne un seul coup de fusil tiré à l'aventure ou un ordre militaire donné mal à propos. Eh bien, je désire savoir de M. le ministre de la guerre s'il s'en tient strictement aux instructions qui ont été données en 1857, par trois ministres, conformément aux règlements qui existaient déjà, ou bien s'il compte prendre ou nous proposer d'autres mesures, sous prétexte de pourvoir aux inconvénients, aux dangers que ferait naître une émeute que l'on nous représente comme prochaine.

J'attendrai la réponse de M. le ministre de la guerre.

Je demande pardon à la Chambre de dire encore un mot.

Dans cette même réunion de MM. les délégués de toutes les associations conservatrices du pays, il m'a été adressé - et je ne sais pas pourquoi on m'a fait personnellement intervenir - un autre reproche.

Le même orateur, - j'aime mieux l'accuser de manque de mémoire que d'un défaut de sincérité, - le même orateur a dit : Ce même ministre a laissé en 1834, sans rien faire, dévaster je ne sais combien d'hôtels à Bruxelles.

Ce reproche m'a été particulièrement sensible.

A cette époque, messieurs, le gouvernement n'était pas consolidé comme il l'est aujourd'hui. A cette époque, ce n'étaient pas des doctrinaires que l'opposition accusait des émeutes ; c'était surtout l'opinion catholique qui était l'objet de ces accusations ; on prétendait que les émeutes étaient provoquées et dirigées par le clergé. (Interruption.)

Je vous dis quelles étaient les accusations de nos adversaires d'alors.

M. Dumortier. - Citez-en une seule !

M. Rogier. - N'est-il pas vrai, M. Dumortier, que l'opinion catholique était accusée, dans tous les journaux de l'époque, d'avoir encouragé ces violences, ces déplorables pillages ? Est-ce vrai, oui ou non ?

M. Thonissen. - Les orangistes le disaient.

M. Rogier. - Je vous dis : nos adversaires de l'époque.

M. Thonissen. - Ils allaient plus loin encore, ils en accusaient bien d'autres que les membres du clergé. (Interruption.)

M. de Borchgrave. - En quoi cela concerne-t-il le budget de la guerre ?

M. Rogier. - Je reconnais que mon discours vient de prendre des développements que je ne me proposais pas d'abord ; mais vous comprenez, messieurs, que les accusations que je relève ayant été faites publiquement dans une réunion solennelle où assistaient probablement des membres des Chambres, je ne pouvais pas les laisser sans réponse.

Je dis donc que si nous avons été impuissants pour arrêter des excès qui avaient été provoqués de la manière la plus flagrante, la plus imprudente, personnellement je n'ai rien à me reprocher.

On dit que j'ai laissé faire. J'étais ministre de l'intérieur. Je n'avais pas la police dans mes attributions.

J'ai cependant payé de ma personne. J'ai arrêté de mes propres mains un des fauteurs des désordres, un porte-drapeau et peu après, tandis que j'adressais des menaces énergiques aux émeutiers, sur la place Ste-Gudule.

j'ai été gravement atteint par l'un d'eux, et si je n'avais pas été ferme sur mon cheval, ma vie aurait été menacée gravement au milieu du rassemblement.

M. Thonissen. - Cela est vrai.

M. Rogier. - Je remercie l'honorable membre de la droite qui me donne son témoignage.. J'espère qu'il ne sera pas suspect pour cela à ses collègues. (Interruption.)

Ce sont des faits historiques. Je ne pensais pas avoir à y revenir. Mais, franchement, quand j'ai vu une pareille accusation émaner, non pas du premier voyou venu, mais d'un homme que j'ai connu, qui a occupé des grades supérieurs dans l'armée et auquel je pourrais peut-être répondre par des récriminations plus sérieuses, j'ai été étonné profondément.

Je me tais et j'espère que ma protestation ira jusqu'à l'auteur même de l'accusation et que peut-être il regrettera de l'avoir produite dans la chaleur de l'improvisation.

En résumé, j'attendrai la réponse de M. le ministre de la guerre en ce qui concerne les résolutions qu'il compte prendre dans le cas où il serait appelé à renforcer les instructions qui existent et qui me paraissent suffire complètement à toutes les situations.

M. le président. - L'honorable M. Cruyt, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours.

- Accordé.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - L'honorable M. Rogier m'a demandé si j'avais l'intention de modifier les instructions en vigueur relativement à l'intervention des troupes en cas d'émeutes, d'attroupements ou d'atteintes graves portées à la paix publique.

Je pense que les instructions qui existent à cet égard sont parfaitement claires ; qu'elles déterminent de la manière la plus précise la marche à suivre lorsqu'il est question de faire intervenir les troupes pour le maintien de l'ordre public.

Voici l'économie de toutes les instructions en vigueur dans l'armée.

Lorsqu'il s'agit de mesures préventives, il doit s'établir au préalable un accord entre l'autorité civile et l'autorité militaire.

Si cet accord ne peut s'établir, l'autorité militaire doit s'abstenir complètement jusqu'à réquisition, lorsque les désordres deviennent tels, que l'autorité civile juge nécessaire d'adresser un réquisitoire à l'autorité militaire ; dans ce cas, l'autorité militaire prend la direction des opérations qu'il peut y avoir lieu d'exécuter en vue des événements qui se produisent. Mais dans aucun cas on ne peut faire usage de la force des armes, sans les sommations qui sont toujours de rigueur.

Voilà tout le système des instructions.

M. Thonissen. - Sauf le flagrant délit.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Dans le cas de flagrant délit, l'autorité militaire doit agir spontanément, sans réquisition. Il ne peut être question de changer ces instructions, qui sont très claires et précises et qui ont toujours été en vigueur. Elles ont été fidèlement exécutées lors des derniers événements dont la capitale a été le théâtre ; l'autorité militaire, n'ayant pas été requise par l'autorité civile, s'est complètement abstenue d'intervenir.

M. de Kerckhove. - Je ne viens pas faire un discours ; je tiens seulement à répondre quelques mots à l'honorable M. Frère. A propos du budget de la guerre, l'honorable député de Liège a cru devoir me faire l'honneur de me mettre en scène, hier, en reproduisant des paroles que j'avais prononcées à une réunion de l'association conservatrice de Bruxelles. Si ma mémoire est fidèle, c'était le 18 juin 1870.

L'honorable M. Frère m'a reproché diverses choses ; j'y ai répondu par des interruptions que M. le président a un peu blâmées et sans doute avec raison. Il paraît même qu'on m'a infligé quelque part une sorte de peine disciplinaire, puisque ces interruptions ont disparu des Annales. Mais n'importe, l'honorable M. Frère me reproche d'abord, ou, du moins, il constate, avec une apparence de reproche, que j'ai dit des élections du mois de juin qu'elles étaient le résultat d'une coalition. Il paraît aussi que j'ai encouragé cette coalition, en mettant un masque, cela va sans dire. Eh bien, oui, messieurs, j'ai constaté que les élections étaient le résultat d'une coalition ; et j'ai applaudi à cette coalition ; je l'ai encouragée.

Dussé-je étonner l'honorable M. Frère et quelques-uns de ses amis, j'ajouterai que j'ai été plus loin : j'ai dit que, ce résultat étant constaté, le pouvoir devait aussi appartenir à une coalition. Je vous prie de croire que je ne songeais pas à moi en ce moment : je sais trop bien que je ne saurais être un candidat ministre, je ne l'ai jamais été et ne le serai jamais, (page 157) Seulement, simple soldat volontaire dans les rangs de mon parti, j'avais, comme tel, quelque droit de parler franchement. C'est bien ce que je compte encore faire aujourd'hui, pour n'en pas perdre l'habitude.

J'ai donc constaté une coalition, c'est vrai. Qu'ai-je dit ? J'ai dit que, parmi ceux qui avaient voté contre la « doctrine » (passez-moi ce mot ; il est consacré par l'histoire contemporaine), j'ai dit qu'il y avait des libéraux, beaucoup de libéraux qui avaient voté avec nous. Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve seulement qu'il y avait mécontentement des deux côtés, et certes ce n'est pas ma faute ; ce n'est pas moi non plus qui ai inventé le fait ni le mot de « soulagement », qu'on a tant répété ; ce sont bien des libéraux et des journaux libéraux qui ont proclamé, en voyant le résultat des élections, qu'un immense cri de soulagement s'était échappé de toutes les poitrines.

Encore une fois, je n'ai fait que constater ce fait.

Et savez-vous pourquoi j'encourageais cette coalition, pourquoi j'y applaudissais ? Je l'ai dit dans celle même réunion a laquelle on fait allusion ; mais l'honorable M. Frère n'a pas voulu aller jusqu'à citer ces paroles-là. Elles l'auraient gêné.

J'ai dit que j'applaudissais à la coalition, que je l'appuyais de toutes mes forces, parce que je voyais là un acheminement à la disparition d'une lutte fatale et stérile, à la disparition de ce thème funeste, qui est la seule raison d'être de la doctrine : le thème clérico-libéral.

« Mais, dit l'honorable M. Frère, pourquoi donc avez-vous voté le budget de la guerre, pourquoi avez-vous voté les dépenses militaires, vous adversaire de la conscription ? » Et à ce propos, l'honorable M. Frère cite, peut-être pour la douzième fois, certain meeting de Liège qui paraît lui tenir fort à cœur, tout comme les meetings d'Anvers et pour le même motif sans doute.

Mais quel est-il ce motif ? Ici, je vous demande la permission de vous donner entre parenthèse une simple appréciation personnelle. Je me suis demandé plusieurs fois quelle pouvait être la raison mystérieuse de cette haine profonde de l'ancien ministre contre le meeting de Liège et contre les meetings d'Anvers ; eh bien, je vous ai promis d'être franc, et je vous dirai avec une entière franchise ce que j'en pense. En politique, les petites causes produisent de grands effets.

Or donc, je me suis rappelé qu'à la fin du meeting de Liège (celui du moins auquel j'ai assisté) où se trouvaient réunies trois à quatre mille personnes, et il y avait du monde jusque sur les toits voisins...

- Un membre. - C'étaient des curieux.

M. de Kerckhove. - Qu'importe ? J'admets que ce fussent des curieux, cela ne fait rien à la question. A la fin donc de ce meeting, quelqu'un proposa, selon la mode anglaise, un grognement à l'intention de M. Frère.

Eh bien, messieurs, aussitôt éclata un enthousiasme indicible, un bruit épouvantable, à faire crouler la salle. Tout le monde criait : « A bas Frère ! » même les curieux des toits. Je m'empresse, d'ajouter que pour moi je ne criais pas ; pas plus que M. Frère n'a crié l'autre jour « A bas les voleurs ! » Mais j'ai peut-être souri comme lui.

Maintenant, messieurs, j'avoue que ce fait, se passant dans la ville de Liège, dans une ville qui tient par tant de liens à M. Frère et à sa famille, m'a étonné ; j'avoue aussi qu'à la place de M. Frère, ce fait m'aurait profondément ému ; je comprends surtout qu'il ait laissé à l'ancien premier ministre un très pénible souvenir.

Aussi, pour M. Frère, ce malheureux meeting ne saurait-il être suffisamment stigmatisé. L'honorable représentant de Liège est allé jusqu'à l'accuser d'avoir été une assemblée de l'Internationale ; seulement il y a une petite rectification à faire à cette saisissante version, c'est que l'Internationale était à peine connue en Belgique à cette époque ; qu'à proprement parler elle n'existait pas. (Interruption.) Elle n'existait pas, du moins, à l'état d'organisation avouée, officielle, si je puis m'exprimer ainsi.

- A gauche. - Allons donc !

M. de Kerckhove. - Je maintiens mon assertion : elle n'avait pas alors l'organisation qu'elle a aujourd'hui, avec les doctrines qu'elle avoue et proclame devant le monde, avec ces doctrines infâmes... (Nouvelle interruption.)

Oui, infâmes, et auxquelles je n'ai jamais, ni de près ni de loin, prêté ni pu prêter le moindre appui, ni donner le moindre encouragement. Je l'affirme sur l'honneur. Est-ce clair ?

L'honorable M. Frère m'a demandé comment moi, adversaire de la conscription, j'avais pu voter en faveur des dépenses militaires sous l'administration actuelle. Je lui ai répondu par une interruption que mes sentiments au sujet de la conscription n'avaient pas changé. Est-ce la vérité ?

Messieurs, je suis tellement l'adversaire de la conscription que je vous demanderai la permission de rappeler ici une déclaration que j'ai faite à une autre époque, dans une réunion électorale où il s'agissait de. la question militaire. On examinait ce que nous avions à faire, quelle attitude nous avions à prendre. J'ai dit alors à nos électeurs : « J'ai une telle horreur de la conscription que si moi, père de quatre fils, j'avais à choisir entre la conscription et le service obligatoire, je n'hésiterais pas, je me prononcerais pour le service obligatoire, et j'enverrais mes quatre fils à l'armée. »

Or, messieurs, aujourd'hui la conscription est abandonnée par les militaristes les plus décidés, par ceux qui, autrefois, nous reprochaient très durement notre opposition ; on nous appelait alors énergumènes, révolutionnaires et je ne sais quoi encore, parce que nous repoussions la conscription et le remplacement.

Je vous le demande, messieurs, serait-ce le moment pour nous de nous convertir à ces belles institutions, alors que nous les voyons décriées par leurs anciens partisans ?

« Mais, reprend M. Frère, comment alors pouvez-vous voter les dépenses militaires ? »

Voyons les faits et voyons surtout les dates de ces votes.

C'était l'année dernière. Nous étions en présence d'événements extraordinaires. Je n'ai pas besoin de rappeler combien ils étaient menaçants pour nous ; j'avoue que ces événements m'avaient profondément troublé, et j'aurais cru commettre une coupable imprudence si, lorsque je voyais autour de moi les hommes les plus compétents, les plus sérieux, ébranlés dans leurs opinions, je m'étais avisé d'aller moi seul mettre flamberge au vent pour faire de l'antimilitarisme.

Je me suis donc abstenu, comme c'était mon devoir, ou plutôt je me suis tenu au diapason de mes électeurs, car eux aussi étaient ébranlés ; eux aussi ne savaient plus que penser de la question militaire. Ne dites donc pas que ç'a été pour nous une question de parti ; c'était tout bonnement alors une question de patrie, car il n'y avait pas à hésiter en ce moment. Il fallait songer au pays avant tout.

Messieurs, ceci me rappelle une phrase à effet que nous avons entendue hier.

Nous avons entendu dire que M. Frère et ses honorables amis ne reculent jamais quand il s'agit du salut de la Belgique ; qu'ils sont toujours prêts à faire, des sacrifices dans l'intérêt national ; et j'ai répondu (encore une interruption qui a été biffée), j'ai répondu : « Nous tous. » Et on a ri.

M. Frère-Orban. - Vous avez répondu : Nous en ferons.

M. de Kerckhove. - Je me rappelle très bien d'avoir répondu : « Nous tous. » Mes voisins l'ont parfaitement entendu.

M. Frère-Orban. - Vous ajoutez des interruptions aux Annales.

M. de Kerckhove. - Je maintiens ce que j'ai dit. Mais peu importe, du reste.

Je constate que vous avez ri, voilà l'essentiel. Eh bien, je demande ce que sont ces sacrifices dont vous paraissez être si fiers. Certes, il n'est pas bien difficile d'envoyer les enfants des autres à la frontière, en entonnant le Chant du départ ou la Brabançonne-. Je ne vois pas qu'il y ait là une bien grande abnégation de votre part. C'est le sacrifice imposé, mais non le sacrifice accompli.

Je comprendrais votre sacrifice si l'on vous appelait vous-mêmes à la frontière, si vous-mêmes vous deviez présenter vos poitrines à l'ennemi. Mais, quoiqu'il en soit, je ne viens pas mettre votre patriotisme en doute. Seulement veuillez nous rendre la pareille ; veuillez bien ne plus contester notre dévouement au pays et avouez une bonne fois que ces reproches, et bien d'autres encore dont vous êtes si prodigues envers nous, sont aussi injustes que de mauvais goût.

M. Bouvier. - Comme les grognements.

M. de Kerckhove. - Du reste, messieurs, il ne faut pas l'oublier, il y a dans la question militaire deux éléments : il y a l'opinion du représentant et il y a celle des représentés, des électeurs. Je crois, messieurs, - j'en ai touché un mot tout à l'heure - je crois qu'un député consciencieux doit tenir compte, sérieusement compte de ce que pensent ses électeurs.

On peut avoir des opinions parfaitement raisonnées, on peut être profondément convaincu ; mais si populaire qu'on puisse se croire, on doit, autant que possible, rester en communauté d'idées avec ses électeurs, se préoccuper de ce qu'ils pensent, de ce qu'ils sentent, de ce qu'ils craignent, (page 158) de ce qu'ils espèrent. Or, dans tous ces débats, je m'étonne un peu, je l'avoue, de n'entendre guère parler des électeurs.

On parle beaucoup de la fixité des opinions ; on prétend ne pas avoir changé ; on affirme qu'on est resté fidèle à ce que l'on a dit ou pensé, il y a quelques années. Mais, messieurs, est-ce là tout ? L'honorable M. Malou nous a fait, hier, à ce sujet une observation fort juste. Il a dit : « Personne n'a le droit d'affirmer qu'il n'a jamais changé ; aucun homme raisonnable ne peut déclarer qu'il ne changera jamais. »

Je sais que l'honorable M. Frère-Orban tient beaucoup à cette persistance dans les idées : il y met son honneur, sa gloire. II s'en est encore vanté hier.

il a cité également son honorable ami, M. Pirmez. Ces messieurs n'ont jamais changé ; ils sont toujours restés fidèles à leur drapeau. Eh bien, soit, je le veux bien et je ne m'en étonne pas. C'est bien là le caractère de la « Doctrine. » Je savais depuis longtemps que vous étiez la doctrine de l'infaillibilité.

M. Bouvier. - Nous y voilà ! (Interruption.)

M. de Kerckhove. - Oui, tout à fait.

Quant à moi, messieurs, voici la situation particulière où je me trouve, et je demande la permission d'en dire un mot.

L'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter n'est pas militariste ; je crois qu'il ne l'a jamais été.

M. Bouvier. - Il est papiste.

M. de Kerckhove. - Eh oui, sans doute. Or, mon arrondissement s'est profondément et légitimement ému de tout le bruit qui s'est fait dans ces derniers temps autour de la question militaire, de tous ces projets que vous savez de réorganisation militaire ou plutôt d'aggravation des charges militaires ; projets qui se sont étalés dans les journaux, dans des brochures et ailleurs encore, dans des sphères plus élevées.

Certes, si je n'écoutais chez mes électeurs que ce sentiment d'inquiétude très naturelle, je devrais voter, dès à présent, quand je ne le ferais qu'à titre d'avertissement au gouvernement, je devrais voter, dis-je, contre, toutes les dépenses militaires. Mais il y a autre chose encore à considérer : l'arrondissement dont je parle, mon arrondissement, permettez-moi de l'appeler ainsi, n'est pas seulement antimilitariste ; il est aussi catholique.

Et, par là même, il tient et doit tenir à conserver une administration catholique.

Ah, nous y voilà ! direz-vous. Je crois entendre l'honorable M. Frère répéter comme hier : La question de parti !

M. Frère-Orban. - Je n'ai rien dit du tout.

M. de Kerckhove. - Vous l'avez dit hier.

M. Frère-Orban. - Oui, mais vous prétendez que je l'ai répété aujourd'hui.

M. de Kerckhove. - Si vous ne l'avez pas répété, vous auriez pu le faire. (Interruption.)

M. Bouvier. - C'est cela, comme dans la fable.

M. de Kerckhove. - Je vous en prie, M. Bouvier ; il m'est tout à fait impossible de causer avec tout le monde.

Si vous voulez me faire l'honneur de réserver vos observations jusque après la séance, je serai fort heureux de les entendre.

Mais maintenant elles m'arrivent par bribes et si mutilées au milieu du bruit, que je ne saurais en apprécier le mérite. Et cela vous fait tort dans mon esprit.

M. Bouvier. - J'en suis vraiment désolé.

M. de Kerckhove. - Messieurs, parlons clairement, nettement. Il s'agit donc de la question de parti. Qu'est-ce à dire ? C'est très simple. La question de parti entre vous et nous se réduit à ceci : quand nous sommes minorité, nous sommes exclus de tout, foulés aux pieds ; et, quand nous sommes majorité, on nous chasse, on travaille du moins à nous chasser par l'émeute. (Interruption.)

Voilà la vérité.

Et voilà aussi la perspective très peu agréable qu'entrevoient mes électeurs et beaucoup d'autres.

Si nous n'admettons pas cette explication, si vous croyez que j'exagère, je me permettrai de vous rappeler les discours prononcés par les honorables MM. Frère-Orban et Bara, il y a trois ou quatre jours. Que disaient ces messieurs au nouveau ministère ?

« Vous, M. Delcour, vous êtes un professeur de l'université catholique ; vous représentez la réaction ; vous représentez le pape, le syllabus, l'encyclique, c'est-à-dire tout ce qui est en opposition avec les idées modernes ; vous devez être un ennemi de la civilisation ; donc vous êtes impossible au ministère, etc. »

Eh bien, messieurs, la conclusion pratique de ce beau raisonnement, la voici pour tout homme de bon sens : Vous, simples électeurs, simples citoyens, qui êtes catholiques, qui allez à la messe, qui croyez aux enseignements de l'Eglise, vous aussi pratiquez les principes du syllabus, de l'encyclique ; donc vous êtes des ennemis de la civilisation, donc vous ne méritez aucun emploi, pas même celui de garde champêtre. (Interruption.)

Oh ! c'est très bien raisonné d'après vous.

Mais, comme nous savons que vous faites ce raisonnement, nous tâcherons, de notre côté, croyez-le, de vous tenir hors du pouvoir tant que nous pourrons. C'est notre devoir.

Voilà ce que mes électeurs comprennent parfaitement, et, s'ils ne sont pas militaristes, s'ils n'aiment pas les charges militaires, ils aiment encore beaucoup moins les charges de votre domination.

Messieurs, je n'en dirai pas davantage pour le moment. J'ai tâché de répondre de mon mieux aux commentaires de l'honorable M. Frère. Quant à mon vote, je le réserve jusqu'à la fin de la discussion.

M. Bara. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel, pour un fait qui regarde mon administration, et dont j'accepte l'entière responsabilité.

L'honorable M. Jacobs a attaqué la décoration d'officier de l'ordre de Léopold qui a été accordée à un honorable avocat de Gand, ancien bâtonnier de l'ordre, M. Metdepenningen.

L'honorable député d'Anvers prétend que le gouvernement d'alors a eu grand tort d'accorder cette distinction à M. Metdepenningen parce qu'il était orangiste et qu'il l'était resté longtemps après la révolution de 1830. De plus, il a voulu assimiler cette nomination à celle qui avait été faite en faveur de M. d'Hane-Steenhuyse, échevin de la ville d'Anvers. (Interruption.)

Vous allez juger, messieurs, par quelques mots si, au point de vue moral, la situation est la même.

M. Metdepenningen, qui d'abord, - tout le monde le sait et M. Jacobs l'a reconnu lui-même, - est un des caractères les plus estimables du pays, un homme dont la vie a été un modèle de probité et d'honnêteté, un homme estimé de tous et qui ne peut avoir d'autre tort aux yeux de la droite que d'être libéral. Il a joui de la confiance des catholiques aussi bien que des administrations libérales, car il est avocat du département des travaux publics, et il a conservé cette position sous M. Wasseige et il les exerce encore sous M. Moncheur.

M. Metdepenningen était orangiste avant 1830 et il l'est resté. (Interruption.)

Il était orangiste avant 1830 ; quand la révolution a éclaté, il ne s'est pas rangé du côté des vainqueurs ; il a conservé son dévouement à la cause vaincue et il a fait tous ses efforts en faveur du rétablissement de la dynastie hollandaise. Et vous prétendez que pareille conduite ne soit pas digne d'éloges !

Vous trouverez à blâmer la conduite d'un homme qui reste dévoué à une cause vaincue, qui lui conserve son dévouement !

Mais, messieurs, qu'a fait cet homme lorsque, après un long espace de temps, la révolution belge est devenue un fait accompli et que la dynastie belge a été acceptée par tout le monde ?

M. Metdepenningen a cessé une lutte qui n'avait plus de but et ne pouvait plus avoir de résultat devant un état de choses reconnu même par la dynastie hollandaise, par le roi Guillaume lui-même et par ses successeurs. Est-ce qu'il avait le droit de continuer une lutte qui n'avait plus de partisans, qui n'avait plus de chance de succès et qui portait uniquement sur la question dynastique ?

Il s'était donc rallié depuis longtemps à l'état de choses accompli et sans intervenir dans la politique autrement que comme citoyen, car cet homme éminent, qui aurait pu s'ouvrir des horizons très étendus, n'a jamais accepté de mandats importants.

Dans cette situation, un ministre n'aurait pas pu récompenser les quarante années de service de M. Metdepenningen et lui accorder une distinction dont son talent le rendait digne à tous égards ?

Pour moi, messieurs, je me félicite et je m'honore d'avoir contresigné l'arrêté nommant M. Metdepenningen officier de l'ordre de Léopold.

Au surplus, à cette époque le Roi n'avait plus, comme jadis Léopold Ier, à lutter contre les prétentions de la dynastie hollandaise.

Alors que la paix et l'entente les plus complètes existaient entre les deux gouvernements belge et hollandais et entre les dynasties, le Roi aurait dû, d'après M. Jacobs, frapper une personne qui «avait été dévouée à l'état de choses renversé par la révolution de 1830. Cela n'était pas possible.

Mais le cas de M. d'Hane est bien autre. Que s'était-il passé à Anvers ? M. d'Hane était un citoyen belge dont la vie politique a commencé sous le régime actuel. M. d'Hane était échevin de la ville d'Anvers et il a pris une (page 159) grande part au mouvement qui avait pour but d'amoindrir le roi Léopold Ier. (Interruption.)

Apparemment c'était pour le grandir que vous refusiez une place à sa statue. Apparemment c'était pour relever devant l'étranger que vous avez placé sa statue dans un endroit impossible, pour ne pas dire plus. C'était évidemment pour honorer la mémoire de Léopold Ier que la ville d'Anvers a agi de cette façon. (Interruption.)

Mais, messieurs, peut-on sérieusement venir soutenir devant cette Chambre que tout le mouvement anversois n'était pas empreint d'un grand sentiment d'hostilité au roi Léopold Ier ? N'avons-nous pas les caricatures, n'avons-nous pas les gravures et les photographies ? N'avons-nous pas tous les écrits qui ont paru alors et qui tous étaient outrageants pour le Roi, et n'est-ce pas la preuve évidente que le mouvement anversois injuriait le roi Léopold ? Ne vous êtes-vous pas plaints amèrement de la manière dont le roi Léopold vous a reçus ? N'avez-vous pas fait là-dessus les caricatures les plus incroyables, les plus insultantes ?(Interruption.)

M. d'Hane n'a-t-il pas accusé le roi Léopold d'avoir fait construire la citadelle du Nord par un acte de déloyauté ?

Et vous venez prétendre qu'il faut tout oublier, que tout cela n'est rien ? Et parce que vous étiez derrière le rideau, parce que vous n'osiez pas accepter aujourd'hui la responsabilité de ce qui se faisait, alors que vous en avez recueilli les bénéfices, vous croyez que l'opinion publique va accepter vos appréciations et vos dénégations intéressées.

Eh bien, c'est au moment où M. d'Hane sortait de ce mouvement, qu'on va demander au fils du roi Léopold Ier de le décorer ! Je dis que vous avez commis là une haute inconvenance. En dehors même des raisons gouvernementales, vous ne deviez pas demander au fils de Léopold cette décoration ; et si j'avais été M. d'Hane, non seulement je ne l'aurais pas demandée, mais je ne l'aurais pas acceptée.

M. Jacobs. - Comme M. Metdepenningen.

M. Bara. - M. Metdepenningen n'a pas attaqué la dynastie pour la dynastie elle-même. (Interruption.) Il est facile de rire ; mais je voudrais bien voir un des rieurs se lever et dire en quoi je me trompe. M. Metdepenningen a soutenu la cause du roi Guillaume, comme les légitimistes soutiennent la cause d'Henri V, comme les orléanistes soutiennent la cause des d'Orléans.

Mais est-ce que les légitimistes se déshonorent parce qu'ils restent fidèles à la cause d'Henri V ? Est-ce que les orléanistes se déshonorent parce qu'ils restent fidèles à la cause de la famille d'Orléans ? Est-ce qu'un républicain se déshonore en restant républicain ?

M. Metdepenningen est resté orangiste c'est-à-dire partisan de la famille d'Orange, et il s'est rallié quand la cause qu'il défendait a été perdue sans retour.

La lutte qu'il a soutenue contre la dynastie sortie de la révolution de 1830 n'a donc aucun des caractères des attaques que M. d'Hane a dirigées contre le roi Léopold, au sujet d'un acte régulier du pouvoir établi et reconnu par M. d'Hane. (Interruption.)

On m'interrompt ; mais, messieurs, vous savez bien que si, au lieu du roi Léopold, il y avait eu un autre roi, M. Metdepenningen aurait agi absolument de la même manière.

Je dis donc qu'il y avait une haute inconvenance à faire accorder par le fils du Roi qui avait été traité de cette manière, à faire accorder une décoration à l'un de ceux qui avaient été un des chefs de toute cette agitation.

Il y a eu là non seulement une faute politique, mais une grande inconvenance personnelle.

Mais, messieurs, à bien d'autres titres encore, vous ne deviez pas décorer M. d'Hane-Steenhuyse. J'admire M. Jacobs. « Toutes les coalitions, dit-il, sont bonnes sur le terrain de la liberté ». Charmant terrain, à la vérité, quand c'est l'honorable M. Jacobs qui le choisit, l'honorable M. Jacobs qui a proposé dans une section centrale de réviser le code civil pour donner la mainmorte aux couvents. (Interruption.) Cela est constaté par les Annales parlementaires. Vous vouliez accorder l'indivision pendant vingt ou trente ans.

M. Jacobs. - Je demande la parole.

M. Bara. - Vous pouvez demander la parole tant que vous voulez, mais le fait restera. (Interruption.)

Vous avez proposé de la manière la plus nette d'augmenter le nombre d'années pendant lequel l'indivision peut être stipulée, et cela n'avait pas d'autre but que de favoriser les couvents, ainsi que l'a démontré un de mes honorables amis, M. Allard, professeur à l'université de Gand.

Il est tellement vrai que vous vouliez favoriser la mainmorte, que, quand vous êtes arrivé au pouvoir, le moment n'étant pas bon pour pareille besogne, vous vous êtes bien gardé de vous y livrer. Vous avez trompé même les couvents et les religieux, car ils avaient été pour quelque chose dans votre élévation, ils n'ont pas obtenu ce que vous leur aviez promis. Vous avez trompé les couvents comme vous avez trompé les meetings d'Anvers. Les dépenses militaires, que vous deviez réduire, ont au contraire augmenté. La citadelle du Nord, que vous deviez supprimer, est toujours la même sans mur crénelé.

Les couvents n'ont pas eu les cadeaux que vous leur aviez promis. Ainsi, vous avez mystifié tout le monde. (Interruption.) Votre arrivée au ministère n'a servi qu'à vous-même, et vous en êtes sorti d'une façon peu glorieuse. (Interruption.) Je reprends. A aucun point de vue, vous ne deviez décorer M. d'Hane. M. d'Hane-Steenhuyse était un homme qui avait appartenu au parti de la libre pensée. (Interruption à droite.)

Maintenant, on ne se gêne plus à droite ; on y traite toutes les questions religieuses fort irrespectueusement et fort cavalièrement. Je le demande à la droite : Etes-vous enecore le parti catholique, ou ne l'êtes-vous plus ? Et cette question n'est pas inopportune, quand on voit la droite accueillir, fêter, combler de faveurs des libres penseurs, des athées, des hommes qui ont soutenu que la divinité du Christ était une invention.

Nous voyons dans vos journaux que vous êtes les soutiens les plus inébranlables de la religion du pape et de ses doctrines. Je vous demande quel effet tout cela doit faire dans le public, quand on voit vos actes et quand on connaît les gens que vous fêtez et honorez ?

M. d'Hane-Steenhuyse, qui avait commis toutes les hérésies possibles, vous l'avez accueilli dans vos rangs ; ce n'est pas seulement M. Jacobs qui l'a accueilli, mais, la veille de l'élection, on avait répandu le bruit que les membres du clergé d'Anvers ne voteraient pas pour lui.

Qu'a fait alors le clergé d'Anvers ? Il a écrit une lettre qui a été publiée dans tous les journaux de cette ville et dans laquelle on déclarait que le clergé voterait comme un seul homme pour M. d'Hane-Steenhuyse.

M. Jacobs. - Cela n'est pas.

M. Bara. - Vous dites qu'il n'y a eu rien de semblable ; et moi j'affirme que cela est parfaitement exact.

Vous savez très bien que ce fait a été publié dans les journaux d'Anvers.

Evidemment on peut se tromper au sujet des faits d'Anvers. Mais ce n'est pas l'honorable membre qui devrait se tromper. Ce n'est pas la première fois d'ailleurs qu'il est question ici de ce fait. Mon honorable collègue, M. Tesch, me dit qu'il a également lu cette lettre. Il y a eu dans les journaux d'Anvers une lettre, annonçant que le clergé d'Anvers voterait tout entier pour M. d'Hane-Steenhuyse. Cette lettre était nécessaire parce que des craintes s'étaient manifestées sur l'intervention du clergé.

M. Jacobs. - Vous n'en savez rien.

M. Bara. - Pourquoi niiez-vous tout à l'heure. Vous vous êtes dit : Nions toujours, nous verrons après.

A un double point de vue donc vous ne deviez pas décorer M. d'Hane.

Vous parlez toujours des renégats qui existent dans notre parti, mais vous savez bien que cela n'est pas exact.

Il y a des divisions dans notre parti, divisions que je regrette ; mais les divisions de notre parti ne portent pas sur les points fondamentaux du libéralisme ; nous n'avons pas de divisions sur la question que vous appelez la question du libéral et du clérical ; or, vous adoptez, vous, d’anciens libéraux qui viennent vous donner leurs suffrages, vous adoptez des renégats sur les questions politiques.

Nous pouvons avoir, nous, des divisions sur certaines questions importantes, je le veux bien ; sur les questions de liberté de conscience et de liberté des cultes, il n'y en a pas. Dès qu'on déserte, sur ces points, le parti libéral, on est traître. Quand vous avez un de vos membres qui veut venir à nous, nous ne l'accueillons pas, tandis que lorsque l'un de nos membres veut entrer dans vos rangs, vous l'acceptez immédiatement et avec empressement.

M. Bouvier. - Ils acceptent tout et ne refusent jamais.

M. Bara. - La preuve qu'il en est ainsi, c'est que vous le reconnaissez vous-même ; c'est que vous-même vous déclarez que les renégats ne sont admis que dans vos rangs. (Interruption.)

Voici ce que disait encore hier le Journal de Bruxelles, votre Moniteur :

« Ah ! messieurs les libéraux, vous vous étonnez qu'il n'y ait de renégats que chez vous ; cela ne nous surprend nullement. Chez les catholiques tout est au grand jour, et une fois enrôlé dans l'armée de l'ordre et de la civilisation chrétienne, le soldat, pas plus que le chef, ne rougit de son drapeau. »

Ainsi, messieurs, vous l'avouez. Il n'y a de renégats que dans le parti libéral, et tous ces renégats passent dans le parti catholique. Le Journal de Bruxelles reconnaît que cela ne le surprend nullement.

(page 160) Pour ne parler que d'un fait tout récent, nous avions ici un ancien professeur de l’université de Gand qui avait défendu les principes du libéralisme au point de mériter les épithètes les plus sonores de M. Dumortier, qui se connaît cependant en sonorités d’épithètes. Vous l’avez fait nommer député… (interruption ; vous avez tout au moins contribué à le faire entrer ici. Plus tard, il y a quelques jours, même après la publication de certains mémoires, le président l'a nommé membre de la commission chargée d’examiner les crédits provisoires.

Il reste donc immaculé. On me communique le rapport sur les crédits provisoires. Le nom de M. Brasseur se trouve parmi ceux des membres composant la commission d'examen de ces crédits.

M. le président. – Une section centrale a examiné le budget des voies et moyens. M. Brasseur en faisait partie. Quand on a déposé les projets de lois de crédits provisoires, on les a renvoyés à la section centrale du budget des voies et moyens constituée en commission spéciale.

M. Bara. - M. le président, je puis inférer de cet incident que si la commission avait été nommée, par le bureau, il n'y eût pas appelé M. Brasseur. Voilà la seule signification que voire observation puisse recevoir.

M. le président. - Je ne vous reconnais pas le droit d'interpréter mes paroles.

M. Bara. - Alors il n'y a pas de quoi faire ce bruit et réclamer. J'avais cru que M. Brasseur avait été nommé par le bureau, et j'ai été induit en erreur parce qu'il est parlé de commission. Au surplus, il est certain que la majorité a nommé M. Brasseur membre de la commission permanente des finances. Voilà quel a été le premier acte de la majorité à l'égard de M. Brasseur en récompense sans doute de sa fidélité, à ses anciens principes.

Je prie donc M. Jacobs de ne plus reprocher à l'opinion libérale les défections qui se sont produites dans ses rangs ; ces défections ne déshonorent que ceux qui les font et les partis qui en profitent.

Quant à nous, nous ne voulons pas de renégats, et j'engage tous mes amis à les repousser de la façon la plus absolue sur le terrain électoral. Quand un homme, n'est pas assez sûr de ses convictions pour y rester fidèle, qu'il s'abstienne de solliciter des mandats.

M. De Lehaye. – Je n'ai qu'un mot à dire. Les paroles de l'honorable M. Rogier rendent absolument nécessaire que je donne quelques explications à l'égard du général auquel il a fait allusion.

L'honorable M. Rogier a mis en doute la légalité des actes qui ont été accomplis en 1857 à Gand.

Je dois dire, messieurs, que des que je suis arrivé à Gand, j'ai immédiatement convoqué toutes les autorités civiles et militaires, et ce n'est qu'après cette réunion et d'accord avec la résolution prise que le général Capiaumont a pris les mesures qui ont maintenu l'ordre à Gand.

Au reste, le général Capiaumont sera suffisamment vengé de tout ce que l'on a dit, lorsque je dirai que le conseil communal, qui était composé en grande partie de libéraux, lui a voté des remerciements.

Il y a plus, quelque temps après, on a ouvert une souscription pour donner au général Capiaumont une épée d'honneur.

Il n'a pas accepté, mais il a voulu que la somme souscrite fût consacrée à la fondation d'un lit à l'hôpital en faveur des pauvres.

Voilà, messieurs, quelle a été la conduite du général Capiaumont, et je suis heureux de saisir cette occasion de lui rendre ce témoignage.

J'étais alors bourgmestre, de Gand. Je puis le dire, c'est à l'énergie, et au courage du général Capiaumont que nous devons d'avoir pu maintenir l'ordre dans la ville de Gand, sans qu'un carreau de vitre ait été brisé, sans qu'il ait fallu répandre une seule goutte de sang.

Il n'en a pas été de même, messieurs, quelque temps auparavant. Une grève avait éclaté et l'on avait fait intervenir l'autorité militaire : un homme avait été tué.

De cet événement on ne dit rien parce qu'à cette époque se trouvait au pouvoir un homme qui convenait au parti libéral.

Je le déclare, messieurs, le général Capiaumont a bien rempli son devoir et la ville de Gand lui doit une reconnaissance qu'elle lui a, du reste, témoignée d'une manière éclatante.

M. Rogier. - Je ne comprends pas la violente sortie de l'ancien bourgmestre de Gand. Il vient de rendre hommage à un général que personne n'avait attaqué et il a réveillé le souvenir des événements de Gand en 1857.

Messieurs, si je voulais entreprendre ici le récit de cette affaire, je crois que ce ne serait pas en l'honneur de tous les acteurs et notamment du bourgmestre de cette époque, notre ancien ami politique. Le conseil communal de Gand a, du reste, dans une délibération officielle, infligé un blâme au pouvoir exécutif de la commune.

M. De Lehaye. – Après.

M. Rogier. - Evidemment et ne pouvait pas être avant.

M. De Lehaye. – C’était une autre administration.

M. Rogier. - Si l'ancien bourgmestre de Gand prétend se couronner, je ne m'y oppose pas ; seulement, je lui oppose la délibération de son propre conseil communal, délibération qui était si dure, si irrévérencieuse que le ministère d'alors, qui était composé des amis de M. De Lehaye, a annulé cette délibération, et l'arrêté d'annulation, qui est signé par MM. de Decker et Greindl, est, je pense, du 31 août 1857.

Du reste, je ne crois pas avoir dépassé les bornes de mon droit, quand j'ai répondu aux accusations dont j'ai été l'objet dans une assemblée générale composée des délégués des principales associations catholiques du pays.

Je ne retire rien de ce que j'ai dit ; j'accepte la responsabilité de toutes mes paroles ; je me suis plaint de mauvais procédés, je me suis plaint d'attaques injustes et inopportunes et je maintiens tout ce que j'ai dit.

M. De Lehaye. - Messieurs, je ne sais à quel acte l'honorable M. Rogier vient de faire allusion. Je puis seulement garantir à la Chambre que le vote de reconnaissance exprimé par le conseil communal de Gand envers l'honorable général Capiaumont a été accueilli avec plaisir par la ville tout entière.

Le ministère de M. Greindl est intervenu dans cette affaire. Il a prétendu que toutes les dispositions prises par l'autorité n'étaient pas conformes aux lois.

M. Rogier. - Etaient intempestives.

M. De Lehaye. - Mais remarquez que M. Greindl se trouvait à Bruxelles et que, nous, nous nous trouvions à Gand.

Il y a plus, l'honorable M. Rogier vient de faire allusion au bourgmestre de Gand. Mais c'est précisément le bourgmestre de Gand, et ce bourgmestre c'était moi, qui a fait prendre toutes les mesures légales contre lesquelles M. Greindl n'a pas protesté.

Comme président de la Chambre, je remplissais ici mes devoirs. J'étais remplacé à Gand par le premier échevin, M. de la Poterie, attaché au parti libéral. Toutes les mesures, avant mon retour à Gand, avaient été prises par lui. Mais qu'est-il arrivé ? C'est que M. de la Poterie a quitté la ville et avait oublié de prévenir l'échevin qui le suivait par rang d'ancienneté.

Revenu à Gand le samedi, je me suis empressé de convoquer les autorités civiles et militaires et toutes ont été d'accord que le seul parti à prendre pour maintenir l'ordre dans la ville, c'étaient les mesures qui avaient été arrêtées.

M. Rogier. - Quelles mesures ?

M. De Lehaye. - Les mesures arrêtées de concert entre l'autorité civile et l'autorité militaire.

Je le déclare, M. le général Capiaumont, à cette, époque comme dans toutes les circonstances, a fait preuve d'un dévouement extrême.

Est-ce à dire que j'approuve ce qu'on peut avoir dit de blessant pour l'honorable M. Rogier ? Je ne sais pas ce qui s'est passé dans la réunion dont on a parlé, à laquelle je n'ai pas assisté, je ne sais donc pas ce qu'on a pu dire de l'honorable M. Rogier. Mais ce que je connais, ce sont les services signalés rendus par M. le général Capiaumont à la ville de Gand ; je suis heureux et je suis certain de n'être contredit par aucun de ceux qui ont pu apprécier ses actes, de lui en exprimer publiquement ma reconnaissance ; il a bien mérité de la ville de Gand et du pays.

Ordre des travaux de la Chambre

M. Malou, ministre des finances. - Je demande à la Chambre de bien vouloir mettre comme premier objet à l'ordre du jour de demain la discussion du projet de loi sur le contingent de l'armée.

C'est dans l'intérêt des travaux du Sénat, qui se réunit lundi prochain. J'ai lieu de croire que ce sera un simple vote et, dans tous les cas, s'il y avait une discussion, elle se rattacherait directement à 1 objet dont la Chambre s'occupe en ce moment.

- La proposition de M. le ministre des finances est adoptée.

M. Dumortier. - Messieurs, je demande la clôture de la discussion générale. Depuis deux jours, on ne parle plus du budget de la guerre, et je crois que le moment de prononcer la clôture est réellement venu.

M. Malou, ministre des finances. - Je ne puis pas adhérer à la demande de clôture ; le gouvernement doit encore des explications à la Chambre ; je supplie mes honorables amis de ne pas insister.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.