(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 127) M. Wouters fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Colson prie la Chambre de s'occuper de sa pétition ayant pour objet la création d'une caisse d'assurances contre les accidents de chemins de fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des obligataires de la compagnie de Matériel de chemins de fer demandent que l'Etat propose à la compagnie une transaction qui fasse terminer les débats judiciaires en dédommageant autant que possible les obligataires. »
- Même renvoi.
« Des cultivateurs à Cortil-Wodon appellent l'attention de la Chambre sur la découverte d'un vétérinaire pour faire disparaître la maladie des pommes de terre. »
- Même renvoi.
« Des habitants d’une commune non dénommée demandent une loi consacrant le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
« Les membres du personnel enseignant de l'école moyenne de l'Etat, à Dinant, réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement de leur traitement. »
M. Lelièvre. - Je demande que cette requête soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport ; elle a un caractère évident d'urgence.
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Maréchal-Ramwez fait hommage à la Chambre de 40 exemplaires de son Croquis biographique de Joseph Lebeau. »
- Dépôt à la bibliothèque.
Les sections de décembre se sont constituées comme suit :
Première section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Van Wambeke
Secrétaire : M. Pety de Thozée
Rapporteur de pétitions : M. Bouvier
Deuxième section
Président : M. Wasseige
Vice-président : M. Julliot
Secrétaire : M. Vanden Steen
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Troisième section
Président : M. Lelièvre
Vice-président : M. Thonissen
Secrétaire : M. Hermant
Rapporteur de pétitions : M. de Zerezo de Tejada
Quatrième section
Président : M. de Smet
Vice-président : M. de Muelenaere
Secrétaire : M. Cruyt
Rapporteur de pétitions : M. Landeloos
Cinquième section
Président : M. Van Cromphaut
Vice-président : M. Santkin
Secrétaire : M. Defuisseaux
Rapporteur de pétitions : M. Verbrugghen
Sixième section
Président : M. David
Vice-président : M. Kervyn de Volkaersbeke
Secrétaire : M. Lefebvre
Rapporteur de pétitions : M. de Macar
M. de Smet. - Au nom de la section centrale du budget des voies et moyens, constituée en commission spéciale, j'ai l'honneur de déposer un rapport sur le projet de loi allouant des crédits provisoires à divers départements.
M. Pety de Thozée. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi fixant le contingent de l'armée pour l'année 1872.
M. Vermeire. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit spécial de 12,090,000 francs au département des travaux publics.
- Ces rapports seront imprimés et distribués. Les projets de lois qu'ils concernent seront mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, le cabinet a promis à la Chambre et il lui doit des explications sur la question militaire. Je vais les donner en toute franchise, en toute loyauté.
Deux points ont été signalés dans le cours des débats antérieurs : l'un se rapporte à ce que j'appellerai un incident ; l'autre, à la question de principe.
L'incident, c'est la question d'Anvers, ou plutôt de la citadelle du Nord. Sur ce point, messieurs, je me réfère à une déclaration qui a été faite à là Chambre par l'honorable M. Frère, sans en retrancher un mot et sans en ajouter un seul. Cette déclaration, faite à la séance du 11 mai 1868, la voici :
« M. Frère-Orban, ministre des finances. - ... On est donc à peu près satisfait quant à la citadelle du Sud. Mais la citadelle du Nord ?
« J'ai dit tantôt, et je ne puis que répéter que le gouvernement tiendra les engagements qu'il a pris devant la Chambre ; qu'il tiendra la promesse qu'il a faite de démolir les fronts intérieurs de la citadelle du Nord.
« M. Coomans. - D'examiner, avez-vous dit.
« M. Frère-Orban, ministre des finances. - Permettez. J'ai dit, en effet, au moment où j'annonçais la constitution du cabinet, que le ministre de la guerre s'était engagé à examiner si les fronts intérieurs pouvaient être démolis et remplacés par un mur crénelé. Depuis, M. le ministre de la guerre a clairement fait connaître son opinion ; il a déclaré à la Chambre que les fronts intérieurs peuvent disparaître. Il s'occupe des moyens de réaliser ce projet. Cela ne peut être improvisé. Il faut d'ailleurs que d'autres travaux soient faits pour que ceux-là puissent être exécutés.
« Lorsque le moment sera venu, lorsque l'exécution sera devenue possible, les promesses du gouvernement s'accompliront, sans restriction ni réserve. Ceci n'est pas nuageux, j'imagine.
« M. Jacobs. - Messieurs, puisque nous en sommes aux explications et que M. le ministre des finances devient de moins en moins nuageux, je lui demanderai encore, d'abord si, dans l'examen auquel il s'est livré et qui a abouti déjà à la substitution du mur crénelé aux fronts intérieurs, il ne comprendra pas la disparition même de ce mur crénelé qu'il pourrait bien sacrifier à son tour ; en deuxième lieu, si ce mur crénelé, en supposant qu'il s'édifie, sera, dans ses projets, précédé, comme les fronts intérieurs en terrassement, d'une zone de servitudes du côté de la ville.
« M. Frère-Orban, ministre des finances. - Le petit colloque qui s'est établi est assez étrange. Non seulement il faudrait entrer dans tous les détails d'un projet qui est à l'étude, mais il nous faut répondre encore à diverses autres questions. C'est là une petite stratégie à laquelle je me prête bien volontiers.
(page 138) « L'honorable membre n'en pas complètement satisfait quoique je devienne de moins en moins nuageux. Il désire savoir si l'on ne pourrait pas dire encore quelque chose quant au mur crénelé. Ne pourrait-on y renoncer ? Nous sommes, en vérité, en si bonnes dispositions que nous ne nous refusons pas à faire examiner cette question. »
En 1871, le 14 décembre, je reprends, pour la faire nôtre, la déclaration dont je viens d'avoir l'honneur de donner lecture à la Chambre.
Messieurs, cet incident expliqué, j'aborde la question ou plutôt les questions militaires.
L'honorable M. Frère-Orban vous disait avant-hier qu'il y avait au banc ministériel la fine fleur des militaristes.
Mais, chose étrange, pour la plupart d'entre nous, dans toutes les phases de notre carrière, nous nous sommes constamment, ou presque constamment, trouvés d'accord avec l'honorable M. Frère-Orban sur les questions militaires.
Je regrette, je l'ai souvent déclaré, que les occasions d'être d'accord fussent si rares ; je dois signaler celle-ci.
A mes yeux, à toutes les époques, dans le présent comme dans l'avenir, les questions militaires doivent être au-dessus et en dehors des préoccupations de parti.
Nous aurons, messieurs, à résoudre successivement quatre ordres de questions ; les unes par leur essence sont sociales, les outres nationales, d'autres encore sont politiques, enfin nous avons les questions d'affaires.
Sur les questions sociales, qu'il faudra bien aborder un jour, car on ne peut ni s'aveugler, ni s'étourdir sur les grands problèmes qui sont posés devant notre siècle, j'espère que nous nous trouverons d'accord, que nos efforts s'associeront pour les résoudre dans le sens national, dans le sens du véritable progrès social.
Sur les questions nationales, ç'a été notre force dans le passé, ce doit être notre force permanente de savoir faire abstraction des considérations de parti et d'y sacrifier ces considérations secondaires lorsque nous avons à les résoudre. Evitons toujours, pour conserver le principe de notre vitalité, d'appliquer aux choses qui nous unissent les tendances, les sentiments, les idées qui peuvent s'appliquer tout au plus à celles qui nous divisent.
Sur les questions politiques, quand elles viendront, c'est l'honneur ou du moins la conséquence de nos institutions d'être divisés. Nous débattons ici, devant le pays, qui doit nous juger, et nos aspirations et nos tendances ; nous échangeons nos idées et nous comparaissons ensuite tous devant le grand jury appelé à décider quel parti mérite la victoire politique.
Préoccupons-nous aussi, sachons nous préoccuper des grandes questions d'intérêt matériel que nous avons à résoudre, parmi lesquelles je place en première ligne les fonctions que doit remplir complètement cette glorieuse entreprise nationale des chemins de fer.
Messieurs, j'indique ces divers ordres d'intérêts auxquels correspondent, selon moi, les situations parlementaires nécessairement différentes. Je les indique parce que ce serait un malheur pour le pays si la position qui correspond à l'un de ces ordres venait à s'appliquer également à un des autres et puisque nous parlons de la question militaire, qu'il me soit permis de puiser un exemple qui est bien récent et bien saisissant.
Dans la dernière campagne, lorsque pour tous les hommes clairvoyants le sort en était décidé, parce que la jonction des armées françaises n'avait pu se faire devant Metz, qu'a-t-on fait ? Quelle faute a amené le désastre de Sedan ?
C'est qu'au lieu de faire de la stratégie militaire, on a fait de la stratégie politique.
Le budget de la guerre, l'organisation de l'armée, à quel ordre d'intérêts appartiennent-ils ? Je dis, messieurs, que par la force des choses, ils appartiennent à l'ordre des intérêts nationaux.
Messieurs, depuis que j'ai l'honneur de faire partie des assemblées délibérantes, j'ai coopéré à quatre grandes résolutions relatives à notre organisation militaire.
Pendant la première phase, s'élevait un doute sur le droit, sur la compétence des Chambres en matière d'organisation militaire ; on soutenait que l'organisation militaire était essentiellement du domaine du pouvoir exécutif.
Une immense majorité de la Chambre a décidé qu'il y aurait une loi d'organisation de l'armée. Je faisais partie de cette majorité, La loi de 1845, notre première loi d'organisation, a été faite à la suite de ce vote où, si j'ai bon souvenir, la minorité se réduisit à 12 ou 15 membres.
Cette loi a été faite dans des circonstances politiques intérieures et extérieures essentiellement différentes de celles que le pays a dû traverser depuis lors.
En 1845, à l'intérieur, le système défensif matériel était celui que nous avaient légué les événements de 1845, et notre union rompue après quinze ans avec les Pays-Bas, nous avions toutes nos forteresses et nous n'avions Anvers que comme l'une de ces forteresses.
A cette époque, à l'extérieur, l'Europe avait joui d'une paix de plus de trente-cinq années. Le beau-père de notre Roi était assis sur le trône de France, dans ce beau règne de dix-huit ans, qui a donné à la France un gouvernement parlementaire et des progrès admirables. Nous avions eu, pendant les premières années de notre existence, de grandes préoccupations du côté du Nord. Nous n'en avions aucune sur aucune de nos autres frontières.
Les choses étaient bien changées lorsque survint la discussion de la seconde loi d'organisation militaire. On était en 1853, sous l'empire, qui avait annoncé qu'il était la paix et qui a fini à la suite de trois guerres, de trois grandes guerres qui se sont successivement rapprochées de nos frontières, à tel point qu'à la dernière, une grande partie du pays entendait le canon.
Nous savions alors, personne ne l'ignorait, nous serions tous inexcusables de le méconnaître aujourd'hui, quelles étaient les convoitises inassouvies qui nous menaçaient à chaque instant. On est entré dans une voie nouvelle ; contemplant les progrès immenses que la science de s'entre-détruire entre chrétiens avait faits, on avait changé radicalement notre système défensif à l'intérieur.
Quant à la situation intérieure, je n'ai pas besoin de la dépeindre, je viens d'en dire assez tout à l'heure.
La grande majorité de nos amis, presque tous ont, comme moi, voté la loi de 1853.
En 1807et 1868, j'ai eu l'honneur de faire partie de la commission militaire. J'ai émis, à cette époque, des votes dans les mêmes intentions, dans le même but ; quelle que soit la situation, je persiste à croire qu'il ne faut pas que la Belgique, si elle veut conserver les biens précieux qu'elle a conquis, se repose sur l'étranger, ou sur des alliances, ou sur des secours, mais qu'elle doit savoir se défendre par elle-même, vivre par elle-même, qu'elle doit avoir une armée sérieuse et forte.
Je ne dis pas que parmi les votes émis dans la commission militaire ou, plus tard, parmi les paroles échangées, parmi les discours qui ont été faits, il n'en est aucun que je ne sois disposé à faire encore aujourd'hui. Comment, lorsque tout change, lorsque les situations s'intervertissent, lorsque vous avez vu se déplacer, permettez-moi cette expression, l'axe politique de l'Europe, y a-t-il quelqu'un qui ose dire : Mes idées militaires n'ont jamais varié, j'ai toujours été du même avis qu'aujourd'hui ?
Non. Tout homme politique dira : J'observe les faits, j'observe la situation et j'examine ce que les intérêts de mon pays exigent.
Donc ici pour ceux qui devraient modifier leur opinion lorsque les faits ont changé, l'accusation de palinodie ne serait pas une injure ; ce serait un mérite d'avoir modifié son opinion lorsque les intérêts nationaux et les faits nous en font un devoir.
N'avons-nous pas vu constamment les hommes du métier varier eux-mêmes et, en définitive, l'état actuel des choses dans notre principale forteresse n'est-il pas le résultat d'études et de transformations successives ?
En premier lieu, autour d'Anvers, il suffisait, disait-on, de quelques fortins. Cette première génération de fortins a disparu. On a demandé ensuite la petite enceinte. La petite enceinte a été condamnée dans cette Chambre, et je me félicite d'y avoir concouru, parce que, au moins, si le pays s'est imposé de grands sacrifices, il doit avoir la confiance aujourd'hui qu'Anvers, lorsqu'il sera complet, sera une grande et bonne chose.
Ces considérations générales, que je demande pardon à la Chambre d'avoir un peu prolongées, m'amènent à demander quelle doit être aujourd'hui la situation parlementaire au point de vue des budgets.
Les budgets, sous notre régime, doivent être, lorsqu'une loi organique existe, la loyale application de cette loi ; ils ne peuvent pas être autre chose.
Supposez, en effet, que chaque année, à propos du budget des voies et moyens, on puisse remettre en question tout le système si compliqué de notre organisation financière ; supposez qu'à l'occasion du budget de la justice on puisse secouer incessamment toutes les bases de notre organisation judiciaire, et demandez-vous, messieurs, non seulement s'il serait possible de produire aucun travail utile pour le progrès dans un ordre quelconque d'idées, mais encore s'il y aurait une seule institution qui pût survivre longtemps à un pareil régime ?
Je demande donc, dans l'intérêt du pays, qu'on rétablisse le véritable principe, c'est-à-dire que les budgets soient des lois d’application de lois organiques, chacun de vous restant libre, de critiquer et de combattre ces (page 139) lois organiques et d'en poursuivre la modification par tous les moyens légaux. S'il est une institution qui a besoin d'avoir confiance en elle-même, qui a besoin de stabilité, c'est assurément l'armée. L'armée au premier abord semble n'être qu'une force matérielle. Et, messieurs, une armée sans force morale, une armée qui chaque jour hésite, doute de son avenir, perd nécessairement cette force morale qui est la condition de sa vie.
Vous payez un budget que beaucoup trouvent trop lourd et vous le payeriez inutilement si vous ôtiez à l'armée la confiance en elle-même, le sentiment de la stabilité qui seuls peuvent vous donner une armée véritable, capable de répondre aux vœux, aux besoins et aux sacrifices du pays.
La dernière loi organique date de 1868, et nous ne sommes séparés de cette époque que par deux ans et demi. Nous croyons qu'il est du devoir du gouvernement de soutenir l'exécution complète et loyale de la loi d'organisation de l'armée.
L'honorable ministre de la guerre, lorsque sont survenus les événements de l'année dernière, s'est trouvé en présence d'une situation toute nouvelle, de devoirs tout nouveaux pour l'armée belge.
La loi de milice, dont je parlerai encore tout à l'heure, était récente, à peine mise en action. L'honorable ministre, dans un rapport qu'on a plusieurs fois cité, a constaté quels étaient les premiers effets de la loi d'organisation.
M. Frère-Orban. - Non.
M. Malou, ministre des finances. - Il a constaté les effets tels qu'ils lui étaient apparus et il a signalé les points qui lui paraissaient exiger des corrections. C'est là, si j'interprète bien sa pensée, l'objet du rapport de mon honorable collègue et ami et la cause de l'institution d'une nouvelle commission militaire.
Cette commission a déjà pris quelques résolutions. Il en est qui ont causé, dans le pays et dans les opinions qui le divisent, une certaine émotion.
Mais, messieurs, qu'il me soit permis de faire remarquer à la Chambre et au pays deux choses essentielles.
La commission elle-même n'a pris en quelque sorte que des résolutions provisoires ; il n'y aura un travail réel que lorsque la commission aura complètement rempli son mandat.
J’indique en quelques mots la situation, quant à la question de remplacement et du service personnel. La commission s'est prononcée contre remplacement ; elle l'a condamné, si vous voulez ; mais ce n'est que la moitié de ce qu'il faut faire. La commission ne s'est pas prononcée et le gouvernement aujourd'hui serait lui-même dans l'impossibilité de se prononcer sur le point de savoir comment il faut remplacer le remplacement, s'il demeure condamné.
Lorsqu'une commission est nommée, et qu'elle a un mandat d'intérêt public, lorsque ce mandat est à peine accompli à moitié, que nous dit-on ? Je vous donne deux mois pour décider toutes les questions militaires que vous avez devant vous.
Eh bien, messieurs, cela n'est pas sérieux, cela n'est pas rationnel, cela n'est pas humainement possible. Pour cette question du remplacement, qu'il me soit permis de rappeler les faits qui se sont passés dans la commission de 1868. On était d'accord que le remplacement, tel qu'il fonctionnait en Belgique, était pour l'armée une mauvaise chose ; on était d'accord, en second lieu, qu'il avait une mauvaise influence sur l'application juste de la loi de milice. Mais de là à conclure, à l'obligation du service personnel, il y avait une distance immense.
La commission, à l'unanimité moins une voix, avait adopté le système de l'exonération.
Ce n'est pas le moment, je le sens, de discuter à fond ni d'apprécier ce système. Je dois néanmoins constater un fait ; non seulement le cabinet de cette époque a laissé à la commission le temps d'accomplir entièrement sa tâche ; mais, après avoir reçu le travail de la commission, le gouvernement, comme c'était son droit et son devoir, a délibéré sur les propositions qui lui étaient faites et il a cru devoir en écarter une qui avait eu la chance heureuse d'être votée à l'unanimité moins une voix.
M. Muller. - Quelques membres absents.
M. Malou, ministre des finances - Je ne sais positivement pas qui était absent ; mais si, pour rendre compte à la Chambre d'un vote qui a eu lieu, je dois mentionner les absents...
M. Muller. - Ce n'est pas une critique que j'ai faite.
M. Malou, ministre des finances. - Je fais, M. Muller, l'exposé le plus loyal, le plus franc que je puisse faire ; vous me rendrez certainement cette justice, Je. me bornerai même, pour vous être agréable, à constater seulement ici qu'il y avait une majorité exceptionnelle en faveur de cette proposition.
Je ne fais pas au gouvernement un reproche de ne l'avoir pas adoptée ; je constate seulement qu'après la fin des travaux de la commission, le gouvernement, comme il en avait parfaitement le droit, a jugé le travail de la commission et ne l'a pas entièrement soumis à la Chambre. Eh bien, ce qui est arrivé alors, pouvez-vous demander que cela n'arrive pas aujourd'hui ? Est-il possible de nous dire : Vous allez vous prononcer hic et nunc ou dans les deux mois sur la question du remplacement, sur la question du service personnel, sur la réaction que les événements extérieurs, les changements en projet quant à l'organisation des armées des diverses puissances peuvent imposer comme nécessité ou comme conseil à la Belgique.
Messieurs, je vous disais un mot tout à l'heure de la loi de milice. La loi de milice qui, - si vous me permettez cette expression, - fournit à l'armée sa matière première, a fonctionné pendant une année. Quel est celui d'entre nous qui peut dire quels sont les effets réels et durables que peut produire l'application de la loi de milice au double point de vue des familles et des intérêts de l'armée ?
Evidemment, c'est une question d'une excessive gravité. Tous ceux qui ont été en contact avec l'application de la loi de milice doivent reconnaître que l'une des choses les plus désirables, c'est de pouvoir en atténuer les rigueurs, surtout pour les familles pauvres, rigueurs nécessaires, je le veux ; mais enfin si nécessité absout, il faut qu'elle existe, qu'elle soit démontrée à l'évidence.
Je voudrais donc qu'avant de statuer ou avant de s'occuper d'autres questions militaires qui peuvent surgir, il fût constaté, par une enquête impartiale, quels ont été, pour les deux premières années au moins, les effets de la nouvelle loi de milice et quels bons ou mauvais résultats on peut en attendre encore.
Il ne suffit pas de dire : La loi d'organisation est bonne, la loi de milice est excellente.
Jusqu'à preuve du contraire, j'en demeure d'accord ; mais je dis que, relativement à ces deux lois, l'expérience n'est ni complète, ni suffisante et que c'est un devoir pour nous tous d'attendre qu'elle ait ce double caractère. (Interruption.)
Messieurs, j'aime beaucoup l'hilarité, mais j'aime encore mieux les bonnes raisons.
- Une voix à gauche. - Commencez par en donner.
M. Malou, ministre des finances. - Commencez par en donner, me dit-on. Pour cela je fais de mon mieux. Je suis en dessous de ma tâche ; soit, la Chambre et le pays en jugeront.
Messieurs, les derniers événements, la guerre de 1870 font naître beaucoup de réflexions.
Au premier abord, on n'a pas pu démêler dans les guerres antérieures quelle était la portée pratique de deux éléments : de ce que j'appellerai la valeur morale de l'armée et des services accessoires.
Il a été parfaitement établi que lorsqu'on se préoccupe exclusivement de la quantité, on néglige un élément essentiel et que l'une des causes de la supériorité des armes allemandes a été la valeur morale individuelle de chacune des unités qui concourent à l'ensemble. (Interruption.)
J'entends la valeur intellectuelle et morale. Je prends cette expression dans l'acception la plus générique, en d'autres termes dans tout ce qui constitue non pas la valeur matérielle, mais le véritable courage. (Interruption.)
Puisque je fais une sorte de confession générale, je dirai que, prenant part soit aux discussions antérieures, soit à l'élaboration des lois organiques antérieures, j'ai, comme d'autres, cédé trop exclusivement peut-être à cette préoccupation qu'une organisation se compose seulement d'un des cadres de l'effectif ; il n'en est nullement ainsi, et l'une des causes principales à mes yeux de la supériorité de certaines armées, c'est le caractère parfait de leur organisation dans toutes les parties et notamment dans les services que j'appelle, accessoires.
S'il m'était permis de le dire, j'ajouterais que la perfection des accessoires est très souvent devenue le principal.
Nous avons tous cédé, je crois, à cette erreur, nous pouvons, peut-être, par l'expérience d'autrui, par l'examen de ce que nous avons fait nous-mêmes, corriger une erreur sans devoir augmenter en rien les charges militaires.
On nous donne deux mois ! Mais, messieurs, l'organisation prussienne est l'œuvre d'un quart de siècle. La France a signé la paix, il y a dix mois ; la France a-t-elle pris aujourd'hui une résolution quelconque, décisive, définitive, sur son organisation militaire ?
(page 140) Une voix à gauche. - Il y a une commission constituée.
M. Malou, ministre des finances. - Nous en avons une aussi. (Interruption.)
Mais par toutes vos interruptions vous déplacez la question, ou bien je me suis mal expliqué. Je dis qu'aujourd'hui, après dix mois, sous le coup des revers qu'elle a éprouvés, la France n'a pas encore trouvé de système, n'a pas encore adopté de système, si vous voulez, qui lui convienne pour reprendre, son rang dans le monde, car j'espère que nous ne serons pas témoins de ce qu'on appelle une revanche.
Messieurs, je vous demandais tantôt que le budget de la guerre demeurât une question nationale en dehors de toute préoccupation de parti. La motion d'ajournement a-t-elle encore aujourd'hui sa raison d'être et peut-elle être maintenue ?
Oh ! je comprends que les partis politiques, faisant ici une guerre civile (je dis civile dans les deux acceptions du mot), usent de stratégie et de tactique. Mais encore faut-il que cette tactique puisse aboutir à un résultat véritablement utile. Or, je suppose la motion d'ajournement adoptée, lorsque je vous ai démontré, par des raisons qui me paraissent péremptoires, qu'il y a une impossibilité physique, matérielle d'avoir résolu ces questions endéans les deux mois, je me demande à quoi cette motion aboutit, si ce n'est à l'instabilité permanente du budget de la guerre, à des ajournements successifs, de telle manière que l'armée ne sache jamais ce qu'elle sera demain. En d'autres termes, c'est le rejet du budget de la guerre, moins la franchise du rejet.
Peut-il y avoir quelques préoccupations électorales ? Et lesquelles ? On nous dira peut-être que si ces questions, que je viens d'indiquer sommairement, ne sont pas résolues avant les élections, chacun pourra dire à ses électeurs qu'il professe telle ou telle opinion sur les charges militaires, sur le budget de la guerre, sur l'exonération, sur le service militaire. Mais je suppose qu'on décide ces questions avant les élections prochaines, y a-t-il une puissance au monde qui puisse empêcher ceux qui se présenteront aux électeurs de leur dire : Je suis foncièrement hostile à tout ce qu'on a voté dans le cours de la dernière session ?
- Un membre. - Vous aurez voté.
M. Malou, ministre des finances. - Nous aurons voté, soit. Mais il est toujours certain que vous ne pouvez jamais dire que l'on se considérera comme lié. (Interruption.)
J'entends des mots qui n'appartiennent pas à une discussion sérieuse ; je les laisse tomber.
M. Bara. - C'est votre argument qui n'est pas sérieux.
M. Frère-Orban. - Je demande la parole.
M. Malou, ministre des finances. - Je dis, messieurs, que lors même que toutes les questions militaires qui peuvent surgir seraient votées, on n'empêchera jamais des représentants ou des candidats nouveaux ou anciens de dire à leurs électeurs tout ce qu'il leur plaît de dire.
- Un membre. - Cela n'est pas sérieux.
M. Malou, ministre des finances. - On dit que cela n'est pas sérieux ; mais je crois que cela est inévitable.
M. Bouvier. - A Saint-Nicolas.
M. Malou, ministre des finances. - Les électeurs de Saint-Nicolas, M. Bouvier, je vous prie de ne pas les supposer inintelligents ; je crois que ces qualifications s'appliquant à l'une ou à l'autre partie du pays sont souverainement injustes. Dieu merci ! le bon sens et le patriotisme ne sont le monopole d'aucune localité de la Belgique... (interruption) ni l'intelligence, non plus.
Messieurs, je n'ajoute plus que quelques mots. Le cabinet vous demande de voter le budget de la guerre comme application de la loi d'organisation militaire et sans rien préjuger sur les questions dont la commission est saisie et sur lesquelles le gouvernement aura a délibérer quand l'examen de la commission sera terminé. (Interruption.)
M. le président, je vous en supplie, demandez à ces messieurs qu'ils fassent des interruptions sérieuses s'ils veulent en faire.
M. le président. - Je demande que personne n'interrompe l'orateur ; les membres qui veulent faire connaître leur opinion doivent demander la parole. Ils s'expliqueront après M. le ministre.
M. Malou, ministre des finances. - Les questions qu'on adresse au gouvernement sur de futurs contingents, il est impossible qu'il y réponde. Ainsi, vous me demanderiez ce que je ferai si la commission décide telle chose, je vous répondrais : J'attendrai que la commission ait pris cette décision. Quand nous soumettrons des propositions à la Chambre, nous devrons être d'accord sur ces propositions.
Il y a, dans cette question, un point que l'on oublie toujours : dans une organisation aussi vaste que celle-là, ne se peut-il pas ou plutôt n'est-il pas certain moralement que l'on peut, sans augmenter le chiffre du budget, amener des améliorations très réelles ?
C'est là un côté de la question qui peut-être n'a pas été, jusqu'à présent, suffisamment étudié et qui doit l'être à l'aide des lumières et de l'expérience fournies par les derniers événements et à l'aide des organisations que l’on établit à l'étranger.
Je conclus au vote du budget de la guerre comme application de la loi organique. Je demande à la Chambre que si elle veut nous adresser un blâme, si elle veut soulever des questions politiques, que ses coups se portent sur nous, nous sommes ici pour les recevoir, mais je demande qu'ils ne se portent pas sur la plus nécessaire de nos institutions nationales, sur l'armée.
M. Defuisseaux. - De même que mon honorable ami, M. Le Hardy de Beaulieu, je crois devoir vous dire cette année, comme je l'ai fait l'année dernière, comme je le ferai l'année prochaine, pourquoi je voterai contre le budget de la guerre.
Je vote contre ce budget parce que je suis ennemi, mais non pas ennemi platonique comme beaucoup d'autres, des armées permanentes et des guerres, parce que je lutterais contre elles en Allemagne ou en France si j'étais Français ou Allemand, comme je le fais en ce moment au parlement belge où j'ai l'honneur de siéger.
Je. vote contre ce budget, parce que notre armée, fut-elle bien organisée, et malheureusement il n'en est rien, serait impuissante à défendre notre territoire.
Je vote contre ce budget, parce qu'il consacre la plus monstrueuse injustice : la conscription.
Je vote contre ce. détestable budget, parce qu'il consacre le privilège le plus immoral, celui de la richesse sur la pauvreté, parce qu'il condamne à l'emprisonnement pendant plusieurs années celui qui n'a pas 1,500 ou 2,000 francs pour se libérer du service des casernes.
Je vote enfin contre ce budget, parce qu'il nous enlève un tiers de nos ressources, sans compter les fortifications et autres dépenses accessoires.
C'en est assez, ce me semble, pour motiver mon vote.
Ne le perdons pas de vue, messieurs, cette question est une des plus importantes que nous ayons à traiter.
Importante au point de vue moral, car elle consacre un abus de pouvoir de la richesse ; importante, au point de. vue matériel, car combien de belles et bonnes choses ne ferions-nous pas avec les 50 millions que nous engouffrons chaque année dans le militarisme ?
Nous avons, messieurs, avec applaudissements du pays, flétri les malversations financières de Langrand. Elles ont coûté au pays des millions. - N'oublions pas que le militarisme coûte au pays, chaque année, autant de millions que Langrand en a dissipé, et que l'actionnaire de nos tristes dépenses militaires est plus intéressant encore que l'actionnaire Langrandiste, car c'est l'ouvrier, c'est le pauvre auquel, à défaut d'argent, on ravit sa personne et sa liberté ! (Interruption.)
Aussi cette question s'impose-t-elle fatalement aux partis politiques, même dans notre pays où une fraction de l'opinion est seule appelée à sa prononcer loyalement, et où la lutte clérico-doctrinaire occupe tous les esprits.
Dans chaque programme politique des candidats représentants, figure la question militaire.
La grande et belle ville d'Anvers s'est levée pour secouer ses fortifications qui l'étreignent et des budgets de la guerre qui obèrent le pays.
Les luttes de partis ont fait dévier ce grand mouvement, mais il renaîtra, et que les députés de la grande cité ne s'y méprennent pas, leur vie politique sera de courte durée, s'ils oublient qu'avant tout Anvers a voulu, veut et voudra toujours protester contre les fortifications et contre le budget de la guerre.
On a parlé plusieurs fois des robes de Nessus de l'ancien et du nouveau ministère.
Selon moi, la robe, de Nessus que doivent revêtir tous ceux qui deviennent ministres, c'est, après la robe courte, étroite et guindée de la Constitution, la robe du militarisme.
Avant de finir, un seul mot à la majorité, je parle de la majorité de la droite sincèrement catholique, de cette majorité que le comte de Theux représente au ministère, et c'est spécialement à lui que je m'adresse.
J'avais dit, l'année dernière, que selon moi la conscription était antichrétienne, que les catholiques sincères ne pouvaient l'admettre ; je ne savais pas, à cette époque, qu'elle était antidogmatique, qu'elle était une hérésie.
(page 141) Je dois à la confidence d'un membre de la droite très sincèrement catholique de savoir qu'elle est condamnée par Pie IX.
Vous m'entendez, messieurs. Quand pour vous Pie IX a parlé, tout le monde doit se taire ; moi surtout. (Interruption.)
Votez donc, au nom de la religion, contre le budget de la guerre ; quant à moi, démocrate, je le ferai au nom de la justice.
M. Van Humbeeck. - Je remercie M. le ministre des finances d'avoir déclaré qu'il entend tenir la question militaire toujours au-dessus des luttes de partis, qu'il veut en faire une question nationale, une question de patriotisme.
La question militaire n'aurait jamais, en effet, dû être considérée à d'autres points de vue ; lorsque M. le ministre des finances la ramène ainsi à la signification qu'elle n'aurait jamais dû perdre, nous ne pouvons trouver dans cette déclaration aucune critique qui s'adresse à nous ; mais sur les bancs de la majorité, bien des membres peuvent y trouver une leçon dont nous leur conseillons de profiter.
Mais il ne suffit pas de proclamer une maxime gouvernementale et vraie ; il faut montrer que la foi qui dicte cette maxime est bien une foi sincère. Vous aurez beau dire que vous voulez laisser à la question militaire un caractère national et patriotique, il faut autre chose pour qu'on croie à la sincérité entière de votre déclaration : il faut que vous ne permettiez plus à ceux qui vous soutiennent de réduire incessamment cette question au rang d'une simple question d'argent, qu'ils pourront exploiter dans un intérêt de popularité et de succès électoral.
C'est pour qu'une pareille situation ne puisse pas se reproduire dans les élections prochaines que j'ai formulé ma proposition d'ajournement. Elle a avant tout pour but d'établir la lutte électorale prochaine dans des conditions de franchise.
Le cabinet ancien se trouvait gêné devant cette proposition. Elle le conviait à des explications qui devaient mettre plusieurs de ses membres en contradiction ouverte avec les engagements formels de leur passé.
Devant le cabinet nouveau, la situation est un peu modifiée.
Deux membres de ce cabinet, M. le ministre des finances et M. le ministre des affaires étrangères, ont accepté pleinement, en 1868, la loi d'organisation et la première augmentation du contingent.
M. Malou, ministre des finances. - J'ai voté contre la loi du contingent.
M. Van Humbeeck. - Soit ; ainsi l'augmentation du contingent, en 1868, n'a été votée que par un seul membre du cabinet.
Pour la question d'organisation, MM. les ministres de l'intérieur et des travaux publics l'ont tous les trois repoussée ; il est vrai que, de même que M. le ministre des finances pour la question du contingent, ils n'ont voulu que donner à leur parti une satisfaction momentanée ; en effet, dès les années suivantes, on les voit tous voter le budget de la guerre comme application de la loi d'organisation et ils votent aussi le contingent, qui cependant a été depuis lors maintenu au même chiffre.
On s'est prêté à une génuflexion d'un instant devant les faux dieux, mais on est revenu bien vite aux principes que l'on vient de défendre dans cette enceinte au banc ministériel.
Notre situation, donc, devant le nouveau cabinet, n'est pas tout à fait la même que devant l'ancien.
Au point de vue militaire, on peut voir, dans le cabinet nouveau, le représentant de principes que le cabinet ancien repoussait.
Mais cela rendra-t-il la situation électorale plus franche, au mois de juin prochain, si nous devons nous tenir aux simples explications qui viennent de nous être données ?
L'honorable ministre des finances n'a pas compris ou n'a pas voulu dire quelle serait la véritable signification de cette lutte électorale.
A l'entendre, les électeurs n'auraient à juger que les candidats ; ceux-ci, dit M. le ministre des finances, quelles que soient les explications données aujourd'hui par le gouvernement, pourront toujours venir déclarer, les uns qu'ils croient à la nécessité d'une forte défense nationale, les autres qu'ils la croient inutile, et, par conséquent, on n'empêchera jamais les professions de foi de se produire, sur ce point, en toute liberté. C'est vrai pour les candidats.
Mais l'élection n'est pas seulement une occasion de juger les députés sortants ou les candidats nouveaux : elle est aussi une occasion de juger le gouvernement.
Et comment voulez-vous qu'on le juge si le gouvernement se tait, si, jusqu'au jour des élections prochaines, il ne veut agiter aucune question qui divise les esprits et s'il met la question militaire au nombre des questions de cette nature ?
On n'aura pas alors dans le passé du gouvernement le moindre élément qui permette d'apprécier ses tendances. Et cependant le lendemain de l'élection, sans avoir dû s'expliquer, le gouvernement se trouvera parfaitement libre de faire ce qu'il voudra, sans que les électeurs puissent en apparence être fondés à se plaindre.
Cela n'est pas admissible ; il faut donc des explications plus précises ; j'indiquerai tantôt comment il pourrait les donner pour arriver à quelque chose de satisfaisant.
La position parlementaire de l'opposition dans cette question, et le gouvernement le comprend parfaitement, est une situation très forte. Si des explications nous sont refusées, si ensuite l'ajournement est rejeté, il s'ouvre pour nous un moyen extrême, mais qui, dans certaines circonstances, devient légitime : c'est le droit de repousser le budget de la guerre. Et alors de qui dépendra entièrement le sort de ce budget ? Des antimilitaristes de la droite.
Or, quel que soit alors le parti qu'ils prennent, l'opposition a toujours un profit politique à en retirer.
Si les antimilitaristes de la droite transigent avec ce qu'ils appellent leurs convictions, s'ils votent le budget de la guerre, il sera parfaitement établi que l'antimilitarisme clérical n'est qu'une arme de guerre contre l'opinion libérale, arme jugée précieuse quand on pouvait s'en servir contre les libéraux, mais qu'on aime à remettre dans les arsenaux lorsqu'elle devrait battre en brèche le retranchement de réticences derrière lequel s'abrite un ministère clérical.
Ce serait déjà pour le pays un enseignement précieux ; il verrait que les votes antimilitaristes, lorsque le ministère est clérical, sont des fusils tirant à poudre, faisant du bruit, mais point de mal. Ce serait un enseignement qu'il serait bien à propos pour l'opposition de recueillir et de pouvoir signaler au pays.
Si, au contraire, les antimilitaristes de la droite persistaient à repousser le budget de la guerre, l'opposition aurait atteint un autre résultat avantageux : elle aurait obligé le gouvernement à lui apporter des propositions ou à lui déclarer que tout est pour le mieux ; cette dernière hypothèse est à peu près inadmissible en présence du rapport déposé par M. le ministre de la guerre et des aspirations bien connues de cet honorable membre du cabinet. Resterait donc la première : nous aurions des propositions.
La situation parlementaire est donc très forte pour nous, je le répète, et au point de vue des intérêts de parti, il n'y a aucun motif pour transiger sur la proposition d'ajournement.
Je me demande maintenant, après le discours de l'honorable ministre des finances, si, au point de vue d'intérêts plus élevés, au point de vue d'intérêts nationaux, d'intérêts patriotiques, il y a lieu de renoncer à cette proposition ?
Les objections contre la proposition peuvent se réduire à trois : le délai de deux mois est trop court pour que toutes les questions puissent être, jugées ; la question du remplacement doit encore faire l'objet d'une enquête ; et enfin le vote du budget n'est que l'application de la loi organique, application que nous ne pouvons refuser, en vertu de la nécessité qu'il y a de laisser à l'armée quelque confiance dans sa stabilité.
Messieurs, s'il peut être difficile d'arriver en deux mois à nous présenter des propositions détaillées, il n'est certainement pas impossible d'arriver à nous présenter dans ce délai les grandes lignes d'un système. On nous a cité les difficultés qui empêchaient en France de se mettre d'accord sur tous les détails d'une organisation. Cependant le dernier message du président de la république, avant le dépôt d'un projet de loi, indiquait déjà ces grandes lignes d'une réorganisation ; que le gouvernement fasse ici la même chose ; il peut y avoir là des renseignements suffisants pour que la lutte électorale pût s'engager dans des conditions de franchise.
Vous dites, quant à la question du remplacement, que là les renseignements donnés ne suffisent pas pour que le gouvernement puisse décider si le remplacement peut être ou non maintenu dans les conditions actuelles. Il faut, dites-vous, une enquête. Si cet argument est sérieux dans votre esprit, il équivaut à dire que vous maintenez provisoirement le remplacement pour un temps illimité.
Si c'est votre pensée, expliquez-vous franchement. On ne comprendrait pas autrement une enquête. Les conditions nouvelles dans lesquelles le remplacement fonctionne datent à peine de plus d'un an. Or, vous ne pouvez pas faire une enquête sur les faits d'une année ; il faut un certain nombre d'années pour juger d'un système, il faut une expérience complète.
Subordonner la question à une enquête sérieuse, c'est maintenir le remplacement pour un temps assez long. Eh bien, dans ce cas, faites-en la déclaration formelle. Faites-le, ne dussiez-vous atteindre que ce seul but de voir des militaristes trop zélés adoucir leurs critiques trop acerbes contre les éléments dont l'armée se compose actuellement, Ce serait déjà (-page 142) chose utile que de mettre quelque trêve à une ardeur dangereuse, qui s'expose à démolir ce qui existe avant d être assurée de le remplacer par quelque chose de meilleur.
.Selon vous, nous ne pouvons pas nous refuser à voter le budget de la guerre, parce qu'il n'est que l'application de la loi organique.
Messieurs, cette théorie parlementaire est nouvelle et par trop étroite ; le budget n'est pas seulement l'occasion d'appliquer les lois existantes, il est aussi l'occasion d'obliger le gouvernement à s'expliquer sur la marche qu'il entend suivre, sur les intentions qu'il entend réaliser. Le refus d'un budget n'est pas toujours un but, c'est quelquefois seulement un moyen ; or, c'est comme moyen seulement, et non comme but, que nous pourrions, dans un cas extrême, devoir voter le rejet du budget de la guerre.
Vous insistez cependant, vous ne voulez pas remettre l'organisation militaire en discussion tous les jours ; le débat que nous soulevons, s'il faut vous en croire, enlèvera à l'armée la confiance qu'elle doit avoir en elle-même, parce que la stabilité lui manquera.
Je veux bien tenir compte de l'objection ; mais ce n'est pas une raison pour retirer la motion d'ajournement. Si nous retirions cette proposition immédiatement et sans aucune condition, la situation ne serait modifiée en rien au point de vue de la confiance que l'armée doit avoir en elle-même et dans sa stabilité.
Nous nous trouverions en présence du rapport de M. le ministre de la guerre ; nous nous trouverions en présence de discours prononcés dans la commission par des généraux qui ont critiqué, d'une façon sévère, la composition de l'armée et dont les idées ont déjà reçu une certaine publicité ; nous nous trouverions en présence de conférences tenues par des officiers supérieurs, conférences également publiées, et dans lesquelles, par l'impatience d'arriver à mieux, on critique souvent trop rigoureusement l'organisation actuelle ; nous nous trouverions devant des aspirations de même nature, manifestées dans des brochures signées par des noms jouissant d'une grande autorité dans l'armée ou attribuées à de pareils noms.
Est-ce que cet état provisoire ne porte pas à la confiance que l'armée doit avoir en elle-même une atteinte plus grande que notre simple proposition d'ajournement ? Est-ce que cette situation d'attente n'est pas même tout ce qu'il y a de plus compromettant pour la conservation de ces rouages dont M. le ministre des finances dépeignait avec tant de bonheur toute la délicatesse ?
Pour moi, je crois que laisser se prolonger cette situation provisoire, c'est maintenir des causes de découragement, c'est amener les chefs de l'armée à négliger l'instrument confié à leurs mains, égarés qu'ils seront par l'espérance peut-être illusoire d'en posséder bientôt un autre dont ils puissent tirer meilleur parti.
On ne peut sortir de cette position-là que par des propositions ou par une déclaration que le gouvernement actuel s'est rendue impossible, que tout serait pour le mieux dans la meilleure des organisations.
Cependant l'honorable ministre des finances a placé la discussion sur le terrain du sentiment national et du patriotisme, sur ce terrain où l'on doit toujours être entendu de ceux qui aiment leur pays.
Je ne montrerai donc pas une obstination exagérée malgré la force de notre position parlementaire. Je veux lui dire quelles concessions, selon moi, on peut lui faire. Je puis admettre que le gouvernement ne fasse pas encore de propositions formelles.
Les propositions qui seraient suggérées aujourd'hui au gouvernement conduiraient à des aggravations.
Un gouvernement placé devant de pareilles propositions a le droit, lorsque aucune nécessité urgente ne doit précipiter sa décision, d'hésiter et de se recueillir.
Ne faites donc pas de propositions, j'y consens ; vous pourrez encore espérer d'écarter les aggravations.
Voilà une première concession que je puis vous faire.
Ne dites pas non plus, si vous voulez, que dans l'organisation actuelle tout est pour le mieux. Vous avez déposé un rapport qui ne vous permet plus de parler ainsi. Convenez cependant, et ici nous avons le droit d'exiger de vous des déclarations formelles, convenez que les sacrifices que l'organisation actuelle impose au pays ne sont pas exagérés, que les auteurs de cette organisation ont fait même de grandes concessions au désir si naturel et si général d'alléger, dans la mesure du possible, les charges personnelles et pécuniaires.
Dites que vous espérez maintenir les concessions faites à cet égard ; dites qu'en corrigeant les points, selon vous susceptibles d'amélioration, vous espérez ne pas devoir aggraver les charges. Mais complétez aussi vos déclarations en reconnaissant ce qui est aujourd'hui évident pour tout le monde, que des réductions sont impossibles. Vous le savez ; il es impossible que vous ne le sachiez pas. Pour arriver à des réductions, tous ceux qui ont étudié les questions militaires savent que l'on n'a que le choix entre trois moyens.
Le premier serait un moyen radical, un changement dans les maximes politiques de l'Etat ; à la neutralité armée il faudrait substituer la neutralité désarmée. Ce moyen-là, je vous défie de vous y arrêter. Pas un gouvernement ne l’adoptera. Ceux qui arriveront aux bancs ministériels, après avoir défendu cette réforme dans l'opposition, seront inexorablement condamnés à se donner à eux-mêmes un flagrant démenti.
Un second moyen d'arriver à des réductions, ce serait d'appliquer à la Belgique le système suisse ; c'est-à-dire de lui donner une armée dans laquelle le soldat se formerait moyennant un temps de service d'un mois pendant la première année et de quelques jours pendant les années suivantes. C'est encore un moyen auquel bien certainement vous ne songez pas.
En dehors de ces deux moyens, il en reste un troisième. Prenez n'importe lequel des autres systèmes européens ; maintenez ou modifiez le système que vous avez. Vous ne pouvez plus arriver à des réductions que par une seule voie : par une diminution considérable sur le temps du service actif du soldat.
Eh bien, ce moyen-là, nous avons cherché à en faire usage en 1868 ; nous l'avons défendu jusqu'à la dernière extrémité contre le gouvernement, d'abord, dans la commission et plus tard à la section centrale ; et nous ne nous sommes rendus que déterminés par des raisons que. j'ai rappelées dans une précédente séance et notamment par celle ci : que, du moment qu'on voulait réduire le temps de service au-dessous de ce qu'il est actuellement, on n'arrivait plus à trouver disponible, pour le cas où on aurait besoin de mobiliser des forces extraordinaires, qu'un nombre d'hommes insignifiant.
C'est surtout cette raison-là qui nous a déterminés à céder, et qui a produit la même impression sur plusieurs membres éminents de la droite également partisans d'une réduction du temps de service. Eh bien, ce troisième moyen, vous ne pouvez pas l'adopter non plus ; vous ne pouvez pas même dire sérieusement que vous avez l'espoir d'y pouvoir recourir.
Dès lors vous ne devez pas non plus entretenir des espérances qui peuvent être décevantes, lorsqu'elles sont de bonne foi et qui sont coupables quand elles reposent sur une erreur volontaire. Vous avez à dissiper de pareilles espérances par une déclaration franche et précise. Un grand intérêt vous impose le devoir de faire cette déclaration, non pas un intérêt électoral, non pas un intérêt de parti, non ; mais à mon tour, je fais appel à un intérêt d'un ordre supérieur.
En refusant de pareilles déclarations, vous vous affaibliriez comme gouvernement ; sans faire de promesses formelles, vous auriez entretenu des espérances que vous devriez détromper plus tard, vous ne vous affaibliriez, pas seulement, vous, le gouvernement du moment, mais encore le gouvernement comme abstraction permanente, comme institution.
il faut que le gouvernement, quel qu'il soit, puisse, sur ces questions militaires être fort ; il faut pour cela que la nécessité de pareils sacrifices demeure une conviction dans le cœur du pays.
Devant des promesses électorales, que feraient vos amis avec approbation tacite, le sentiment de cette nécessité s'effacerait et tous les gouvernements qui se succéderaient en auraient désormais une puissance morale moins grande.
Il faut donc, par des déclarations franches, ramener le pays au sentiment des nécessités, à la résignation patriotique, que quelques-uns de vos amis ont essayé d'ébranler chez lui, mais à laquelle il reviendra sans peine, parce qu'il a le bon sens, l'esprit de sacrifice, et qu'il veut rester libre.
Les ministres libéraux ont affirmé hautement ces nécessités. Vos amis comprenant que certains sacrifices sont peu populaires et qu'un pays ne s'y résigne pas facilement, ont choisi ce terrain pour champ de propagande électorale, et c'est en grande partie sur cette question que le libéralisme a succombé.
Il a été bientôt vengé. Un premier ministère catholique est arrivé. Il s'y trouvait des hommes engagés par des promesses formelles de réductions des chargea militaires. Ils n'ont été au pouvoir que pour prouver l'impossibilité de réaliser leurs promesses.
C'est pour l'opinion libérale une première réparation, c'est pour le peuple un premier et patriotique enseignement.
Vous qui arrivez avec des théories plus gouvernementales, mettez-vous au-dessus des intérêts électoraux et de parti pour affirmer à votre tour une nécessité nationale et politique.
(page 143) Voilà ce que nous avons le droit d'exiger ; sinon, vous feriez du gouvernement avec certains principes et des élections avec des principes qui seraient la négation des premiers.
Nous voulons un gouvernement qui ait un seul visage et qui n'en ait pas deux : l'un gouvernemental et l'autre électoral.
- Voix à gauche. - Très bien !
M. le président. - La parole est à M. Frère-Orban.
M. Frère-Orban. - J'y renonce pour le moment.
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, je remercie l'honorable préopinant d'avoir reconnu, et dans la déclaration que j'ai faite et dans les antécédents de la plupart de nous, que la situation était à peu près correcte au point de vue des principes. Je dis, messieurs, à peu près correcte. Il ne suffit pas à l'honorable membre que je lui dise : Nous voulons maintenir la loi d'organisation militaire ; il faut que j'engage le gouvernement sur une foule de choses que je ne sais pas.
Lorsque nous déclarons vouloir maintenir l'organisation militaire, on vient, par exemple, nous reprocher de céder à des préoccupations électorales. Le discours que je vous ai lu est profondément contraire à l'opinion d'une grande partie des électeurs qui m'ont envoyé au Sénat. Je fais ce discours à la veille d'une réélection ! (Interruption.) On me dit qu'il n'y a point de danger. Mais qu'en savez-vous ? (Interruption.) Mais s'il n'y a pas de danger, n'y a-t-il pas, tout au moins, de la loyauté et vis-à-vis du corps électoral et vis-à-vis de la Chambre à dire aujourd'hui que je suis partisan décidé, résolu du maintien de l'organisation militaire ? Quand je dis le maintien de l'organisation militaire, ce n'est pas une équivoque : c'est une déclaration qui engage.
Et, en effet, messieurs, lorsque de tels engagements sont pris, ce n'est pas pour remettre demain en contestation ce qu'on a affirmé aujourd'hui. C'est pour laisser persister dans toute sa force, dans toute sa vérité, cette organisation militaire jusqu'à ce qu'il soit reconnu, par des nécessités absolues, qu'il faut toucher à cette base de notre existence nationale. Ce n'est pas le jour d'aujourd'hui, ce n'est pas six mois que j'engage, c'est mon opinion que j'engage, jusqu'à ce qu'il y ait une nécessité d'intérêt public démontrée à ce qu'elle soit modifiée.
Quand je répète qu'il faut maintenir l'organisation militaire, cela ne signifie pas qu'il y aura 200,000 francs, un ou deux millions d'économie à réaliser, un ou deux millions de dépenses de plus à faire. J'ai reconnu moi-même que, dans une. organisation aussi vaste, il pouvait y avoir des moyens d'améliorer l'organisation elle-même sans aggraver les charges militaires ; et puisqu'on veut quelque chose de plus, je dirai que je veux cette organisation complète, sérieuse. Je vous ai indiqué, entre autres, cette importance trop méconnue des services accessoires en dehors des cadres et de l'effectif.
Eh bien, j'ajouterai encore quelque chose : s'il m'est possible de satisfaire l'honorable membre et l'opposition, s'il nous est démontré qu'il y a quelque chose à demander pour améliorer ces services, pour compléter cette organisation, pour la rendre efficace, nous aurons le courage de le faire. Que voulez-vous de plus ?
Vous voulez que je vous dise s'il y a des économies possibles, s'il y a des aggravations nécessaires ; vous préjugez que ces aggravations sont nécessaires.
Il n'y a personne, lorsqu'on met en question, non pas si notre organisation militaire doit être modifiée, mais s'il y a des améliorations à y introduire, qui puisse affirmer aujourd'hui qu'il y a un budget plus gros à attendre ou un budget réduit à espérer.
Il me suffit, et si l'honorable préopinant était à ma place il dirait comme moi, il me suffit de déclarer loyalement quel sens précis j'attache à la déclaration que j'ai eu l'honneur de faire à la Chambre. Je ne reculerai pas devant ce devoir, quand ce devoir sera manifeste. Ce que je refuse, ce que j'ai le droit de refuser, c'est d'engager la politique du gouvernement lorsque des questions aussi délicates,, aussi graves, aussi complexes, sont encore à l'étude.
Personne ne déclare que tout est pour le mieux et si l'on avait prétendu qu'il n'y a rien à faire, pas de perfectionnements à introduire, pourquoi le gouvernement aurait-il institué une commission consultative ?
On ajoute que l'on a joué sur la question militaire, ici sur un ton, dans les élections, puis sur un autre ton. Je me rappelle certain programme adopté l'année dernière à Bruxelles ; est-ce que la réduction des charges militaires n'était pas dans le programme de la fédération des associations libérales, qui, si je ne me trompe, était présidée par l'honorable M. Van Humbeeck ?
M. Van Humbeeck. - Je demande la parole.
M. Malou, ministre des finances. - Si mes souvenirs me trompent, vous me rectifierez, mais il y a un programme qui contenait, outre la réforme électorale, que je cite en passant, la diminution des charges militaires.
Ne soutenez donc pas, en vous adressant à mes honorables amis, qu'ils ont fait du budget de la guerre une machine électorale.
Messieurs, les deux opinions politiques qui divisent cette Chambre sont panacées sur la question de l'organisation militaire et je crains fort que si ce que j'ai eu l'honneur de déclarer à la Chambre n'a pas obtenu l'assentiment de l'honorable M. Van Humbeeck, j'aie probablement eu non moins de succès sur certains bancs de la droite. Messieurs, j'ai une grande confiance dans le sentiment patriotique de la Chambre, j'ai une grande confiance dans cet instinct national que l'on peut toujours réveiller même lorsque des préventions ont pu surgir.
Pour moi, je le répète, il est impossible que la Belgique s'assure des conditions de durée si le pays n'a pas le courage de faire tous les sacrifices reconnus nécessaires pour maintenir une organisation militaire forte, solide, aussi complète que possible.
Qu'il se produise à cet égard des dissentiments soit du côté de la gauche soit du côté de la majorité, je croirais faillir à tous mes devoirs si, ayant été amené par les circonstances que vous savez sur le banc de douleur, je n'osais pas exprimer ouvertement, loyalement, quelle est la politique que nous avons l'intention d'y pratiquer.
L'honorable membre a rappelé que dans la commission militaire, j'avais voté avec lui une réduction du temps de service.
Je crois que cette question n'a pas encore été suffisamment étudiée. Veuillez remarquez, je vous prie, que plus l'instruction augmente, que plus les aptitudes militaires peuvent être facilement créées, plus il existe aussi de facilité pour diminuer la pesanteur individuelle, si je puis parler ainsi, du service militaire ; je considère que tout progrès que nous pourrons faire dans cet ordre d'idées aura pour résultat à la fois de maintenir cette force que nous devons tous conserver et de soulager considérablement les populations.
Et, en effet, messieurs, tous ceux qui ont vu fonctionner la loi sur la milice peuvent, se dire quelles sont les douleurs et les souffrances, lorsque, par exemple, l'aîné d'une famille assez nombreuse et pauvre, dont le chef est mort, vient à être appelé sous les drapeaux ; tous peuvent se dire qu'on réaliserait une immense amélioration si l'on pouvait, en ce cas, gagner quelques mois de réduction.
Je me suis occupé longtemps de ce problème ; en examinant la loi sur la milice, j'ai reconnu qu'on pourrait obtenir un grand résultat ; c'est par exemple, lorsqu'une famille pauvre contient plusieurs jeunes gens, et que le père vient à décéder, on voulût laisser l'aîné des fils à la mère veuve. (Interruption.)
Je voudrais que ce fût la règle ; cela n'existe aujourd'hui que lorsqu'il est reconnu que le fils unique est le soutien de la mère veuve.
Messieurs, il est un point essentiel que l'honorable ministre a négligé de rencontrer.
Il est matériellement, physiquement impossible que nous vous apportions, dans un délai rapproché, une solution rationnelle et complète. Si demain, l'honorable membre se trouvait à ma place, il le constaterait comme moi.
On me demande de répondre à des questions sur lesquelles les meilleurs esprits, les hommes spéciaux sont encore divisés ; je dois répondre alors que ceux qui doivent éclairer le gouvernement et les Chambres n'ont pas encore répondu.
Je puis vous affirmer que, de la part du gouvernement, il y a un désir sincère d'amener le plus tôt possible à bonne fin les travaux de la commission.
Je puis vous affirmer en second lieu que lorsque la commission aura terminé ses travaux, nous considérerons tous comme un devoir de les examiner immédiatement et de ne pas perdre un jour, une heure, une minute ; mais ce que je ne puis pas promettre, c'est de dire aujourd'hui ou dans deux mois ce que je ne sais pas et ce que peut-être je ne saurai pas dans deux mois. (Interruption.)
J'écarte du débat toutes les questions de tactique parlementaire, notamment celle de savoir si, en adoptant telle ou telle combinaison de votes, on ne pourrait pas amener le rejet du budget de la guerre ; c'est, contrairement aux intentions de l'honorable membre, déplacer la question nationale pour l'amener sur le terrain politique.
Je me suis efforcé de la maintenir où elle devait être ; mais s'il arrivait un jour que tous les membres de la gauche vinssent à amener le rejet du budget de la guerre, je ne sais trop si, à côté de ce qu'on a appelé le profit politique, il n'y aurait pas aussi une grande perte d’influence nationale.
(page 144) M. Bouvier. - J'ai eu l'honneur de poser au cabinet deux questions : la première est celle concernant cette fameuse citadelle du Nord, qui a tant occasionné d'émotion dans le pays. Il résulte de la déclaration claire, nette et sans ambages, de l'honorable ministre des finances, que la citadelle du Nord restera intacte.
M. Malou, ministre des finances. - C'est la déclaration de M. Frère-Orban.
M. Frère-Orban. - C'est incontestable.
M. Bouvier. - Evidemment. Ce sont les idées de l'honorable M. Frère, que les meetinguistes d'Anvers combattaient avec tant d'acrimonie qui triomphent.
Non seulement ce sont ses opinions, mais c'est son langage. Ce sont ses propres paroles qu'on s'assimile, qu'on s'approprie, c'est une victoire dont il a le droit d'être fier et dont notre parti peut revendiquer avec honneur sa part légitime.
L'honorable ministre des finances, M. Malou, a pris la place de l'honorable M. Frère-Orban.
Il n'y a donc que les hommes de changés, les principes, les opinions restent les mêmes, c'est avec une joie non dissimulée que je constate et m'empresse de prendre acte de ce touchant accord.
Je ne doute pas que la douce satisfaction que j'éprouve en ce moment ne soit partagée avec délice par MM. les Anversois.
MM. les Anversois ont été mystifiés par MM. les meetinguistes et à l'heure actuelle ils restent mystifiés de par la parole de l'honorable ministre des finances. Et je leur prédis qu'ils restent mystifiés. Je remercie l'honorable ministre de sa déclaration si claire, si nette, si franche, et j'en fais mon sincère compliment en ne lui épargnant pas mes félicitations les plus méritées.
Je suis fâché de ne pas pouvoir lui prodiguer mes éloges et les mêmes félicitations quant à la question du remplacement militaire. L'honorable ministre des finances est resté dans des nuages où je ne m'exposerai pas à le suivre dans la crainte d'une chute par trop dangereuse. L'honorable ministre des finances ne répond pas à cette question avec la rare habileté qui le distingue ; il cherche à se dérober, à s'enrouler autour d'elle sans l'aborder aussi carrément que celle qui avait trait a la citadelle du Nord.
Il se retranche toujours derrière la commission militaire, créée comme un dernier refuge pour tout cabinet aux abois ; elle vient à propos de tout et à propos de rien. Etrange et singulière commission ! Et quand on s'en informe, qu'on se demande : Mais où se trouvent ses rapports et ses conclusions ? l'honorable M. Vleminckx fait connaître dans une interruption que vous venez d'entendre que cette commission n'a pas fonctionné depuis six mois. Mais, réplique l'honorable ministre des finances, qui se met fort à son aise : Si elle n'a pas fonctionné, plus elle fonctionnera à l'avenir. La vérité est que vous n'oseriez pas faire connaître à la Chambre et au pays la vérité sur certains votes qui y ont été émis et notamment en ce qui touche le service personnel et l'abolition du remplacement. Quand vous vous retranchez derrière cette commission, je dis que vous vous abritez derrière une véritable équivoque.
La commission, - l'aveu nous en a été fait dans une séance précédente par l'honorable M. Thonissen, ) la commission militaire a tranché l'importante question du remplacement militaire ; ses conclusions ont été prises, un vote a eu lieu : 24 membres contre 3 ont voté le principe du service personnel ; en d'autres termes, que le remplacement serait désormais effacé de nos lois militaires. Voilà la vérité.
Ne vous retranchez donc pas derrière cette commission ; l'invoquer constamment comme vous le faites, c'est user d'un véritable faux-fuyant. Cela n'est ni franc, ni loyal.
Du reste, vous avez à côté de vous l'honorable ministre de la guerre, dont vous connaissez l'opinion. Il a déclaré hautement qu'il considérait le remplacement comme un véritable danger pour le pays. Or, en présence d'une pareille déclaration, comment pouvez-vous hésiter un seul instant à partager sa manière de voir ? Etes-vous divisés ? Déclarez-le. Si vous ne l'êtes pas, n'hésitez pas à proclamer franchement votre opinion. Nous saurons à quoi nous en tenir. Nous la discuterons, nous l'examinerons avec loyauté, sans autre préoccupation que notre amour pour la sécurité de notre pays.
Ce que nous voulons, ce que nous avons le droit d'exiger en notre qualité de mandataires de la nation, ce sont des explications catégoriques.
Jusqu'à présent, nous ne connaissons rien, nous ne savons rien, et il faut que M. le ministre de la guerre dise, oui ou non, s'il répudie ses anciennes opinions ou s'il entend les faire prévaloir.
M. le ministre des finances nous répète sur tous les tons : Ayez un peu de patience, ne précipitons rien, attendez au moins jusqu'au moment ou la France ait fixé son organisation militaire.
Mais, messieurs, tout le monde connaît le projet de loi dont la chambre française est en ce moment saisie : service obligatoire pour tous les Français, en temps de guerre.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Ici aussi. (>Interruption.)
M. Bouvier. - Je vous demande bien pardon ; en Belgique, le service n'est pas personnel ; en France, ce sera le contraire.
Voici le système projeté, tracé à grands traits : Contingent annuel de 90,000 hommes, net de toute déduction. Tirage au sort de 300,000 hommes tous les ans à l'âge de service. Les premiers numéros sont appelés. Huit années de service actif dont trois en congé renouvelable. Ces huit contingents forment un total de 720,000 hommes ; et y ajoutant 100,000 hommes, ne se recrutant point par des appels, vous aurez le chiffre global de 820,000 combattants, ramenés à 800,000 hommes par les déchets. Le surplus reste dans ses foyers jusqu'au moment d'une déclaration de guerre. Dans cette situation, elle a la garde des places fortes.
Plus de remplacement, mais faculté de la substitution d'un numéro à un autre.
Quant à moi, je le déclare une dernière fois, je ne fais point du budget de la guerre une question de parti. Je suis trop national pour en avoir la pensée.
Je me place à un point de vue plus noble, plus élevé. L'amour de ma patrie, son indépendance et sa sécurité, c'est la seule passion qui me domine. Quand il s'agit de si grands intérêts, c'est vous dire que je voterai pour l'ajournement proposé par l'honorable M. Van Humbeeck, et, au cas de rejet, pour le budget de la guerre.
M. Van Humbeeck. - L'honorable ministre des finances a commis une erreur que je tiens à rectifier.
Selon lui, j'aurais préjugé la nécessité d'une aggravation des charges militaires.
Il n'en est rien. Si quelqu'une de mes paroles a pu le faire croire, j'ai été mal inspiré dans mon langage.
Au contraire, l'espérance de ne pas voir aggraver les charges militaires est, selon moi, une espérance légitime, un peu fragile peut-être, mais à laquelle il ne faut pas renoncer prématurément.
Devant toute proposition d'aggravation, je comprends que le gouvernement prenne le temps de réfléchir et ne veuille rien préjuger.
Mais, en dernière analyse, je demandais à M. le ministre des finances d'avouer, au nom du gouvernement, l'impossibilité de penser sérieusement à une réduction des charges militaires.
Je considère cette déclaration comme un devoir du gouvernement ; sur ce point, le doute ne paraît pas possible.
J'ai indiqué les seuls moyens d'arriver à une réduction ; je les considère tous comme également impraticables dans l'état actuel des choses.
L'honorable ministre ne fait pas de déclaration en ce sens ; même, loin de ne pas croire à la possibilité d'une réduction, il fait entrevoir cette possibilité.
Le seul moyen relativement pratique et le dernier que j'aie signalé d'arriver à cette réduction, c'est une diminution de temps de service. M. le ministre des finances ne croit pas ce point suffisamment étudié ; il croit à la possibilité d'une solution nouvelle, et, comme conséquence, à une réduction éventuelle du budget qui pourrait être assez considérable : cela dépendrait de l'importance de la diminution du temps de service. Mais, messieurs, si l'on croit à la possibilité d'une réduction du temps de service, ce n'est pas là une question qu'il faille deux mois pour résoudre. Vous pouvez arriver à cette solution en moins de quinze jours.
Adressez-vous aux autorités militaires, qui sont avant tout compétentes ; mais vous savez bien que vous n'en trouverez pas une qui accepte une diminution du temps de service ; il vous restera alors à vous mettre comme gouvernement, n'ayant que des aptitudes civiles, au-dessus de ce que vous serez réduits à qualifier de préjugés militaires. C'est une résolution extrême ; vous pouvez la prendre ou la repousser ; mais vous pouvez vous décider en moins de deux mois ; si, cependant, vous déclarez ne pas pouvoir arriver à une solution aussi prompte, c'est que vous êtes mus par une préoccupation électorale ; vous ne direz pas sérieusement qu'il faille deux mois pour résoudre cette unique question, simple et déjà rebattue, dont la solution doit permettre ou non d'arriver à une diminution des charges militaires.
En vous refusant donc à la déclaration que je demandais et moyennant laquelle j'aurais pu retirer ma proposition, vous montrez que cette proposition d'ajournement a sa raison d'être et que vos critiques, fondées sur le délai trop restreint qu'elle vous accorderait, ne sont nullement justifiées.
(page 145) Mais on est revenu à une autre raison, déjà donnée contre l'ajournement. Comment veut-on, a-t-on dit, que le gouvernement.se prononce alors que ceux qui doivent l'éclairer ne se sont pas encore prononcés ?
Je l'ai déjà fait remarquer, c'est une raison dont je ne puis tenir compte. J'ai dit pourquoi. J'ai exposé le vice imprimé aux travaux de la commission dont on attend les décisions.
Arrivé dans cette commission vers la fin de ses travaux, je lui ai montré que la marche qu'elle suivait ne permettait pas d'arriver à un résultat pratique. J'ai démontré qu'elle ne faisait que proclamer des solutions de principe, dans les conditions telles que lorsqu'on arriverait à l'application, la seule chose dont la législature devrait être ultérieurement saisie, on se diviserait. J'ai demandé qu'on en revînt à la marche suivie dans la commission de 1868 et que l'honorable ministre des finances connaît ; qu'on nommât des sous-commissions, que celles-ci arrêtassent un projet d'organisation, arrêtassent un chiffre de budget, un chiffre de contingent et qu'on votât sur ces propositions précises. On a répondu que des décisions antérieures de la commission empêchaient de suivre cette voie et que ma proposition était en désaccord avec le vœu du gouvernement, qui demandait seulement des solutions de principe, sur lesquelles il établirait lui-même un projet d'organisation, un budget et un chiffre de contingent.
Eh bien, depuis six mois ces solutions sont envoyées au gouvernement qui n'a pas jugé à propos d'arrêter une organisation, un budget, et de fixer un contingent d'après les solutions indiquées. Le gouvernement s'est donc mis dans une position telle, qu'il arrête indéfiniment la commission, et dès lors il ne peut pas remettre l'énoncé de son opinion jusqu'à ce que la commission se soit prononcée elle-même. La commission, s'il le veut, ne se prononcera jamais. (Interruption.)
Les décisions de la commission sur les questions de principe ont été closes dans le courant de l'été, après qu'il m'eut été dit que si l'on suivait cette marche, c'est que des solutions de principe seulement devaient être présentées au gouvernement qui, d'après cela, arrêterait ses résolutions.
M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je déclare que le gouvernement n'a donné aucune instruction qui entravât les travaux de la commission.
M. Van Humbeeck. - La marche des travaux de la commission a dû cependant vous être connue ; le gouvernement ne peut dire qu'il l'ignorait.
M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je ne dis pas cela. Je constate que la commission ne m'a pas remis jusqu'ici le résultat de ses travaux.
M. Van Humbeeck. - C'est une question à laquelle le bureau de la commission pourrait seul résoudre. Mais, d'après les explications qui m'ont été données alors, le gouvernement serait en position aujourd'hui d'arrêter indéfiniment les travaux de la commission.
Un seul mot encore, messieurs, sur un fait tout personnel. L'honorable ministre des finances a rappelé que, dans un programme arrêté à Bruxelles par une réunion des délégués de toutes les associations libérales du pays, figurait la réduction des charges militaires.
L'honorable ministre des finances n'a pas eu la mémoire tout à fait heureuse lorsqu'il a fait cette citation dans ces termes ; je veux la compléter le programme porte : « Réduction des charges militaires en tant qu'elle soit compatible avec les nécessités de la défense nationale. »
Dans ces termes, il n'est pas un seul militariste, qui n'adopte l'article. M. le ministre de la guerre, le premier, serait très heureux de pouvoir venir déclarer aux Chambres qu'elles peuvent réduire les dépenses militaires sans compromettre la défense nationale.
A une réduction faite dans ces conditions, la défense nationale et l'armée gagneraient incontestablement. Mais la réduction était-elle possible avec cette réserve ? Ici rien n'était décidé. Il s'agissait d'une formule de programme et ces formules ne peuvent être que vagues ; mais pour que le sens de celle-ci soit quelque peu précisé, il suffit d'en rappeler l'origine ; elle a été empruntée au programme de l'association libérale de Gand, où elle avait été proposée par l'honorable M. d'Elhoungne, qui y avait donné ce commentaire :
« Les libéraux veulent bien l'économie dans les dépenses militaires, mais ils veulent avant tout l'indépendance du pays. »
Je ne redoute donc, à l'égard du vote de cet article, aucun reproche sérieux.
M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, j'avais annoté, pendant le discours de l'honorable M. Van Humbeeck, que le gouvernement ne pouvait pas se faire illusion et qu'il savait dès à présent que les nouvelles études conduiraient à une aggravation de charges. Je ne demande qu'une chose : que l'honorable membre veuille bien reconnaître que si je me suis trompé, c'est avec une parfaite bonne foi.
Le programme électoral, tel qu'il vient d'être défini par l'honorable membre, était, comme il l'a dit, le seul moyen d'obtenir l'unanimité sur la question.
Evidemment il n'y a personne ni dans cette Chambre, ni dans le pays, qui ne puisse se déclarer parfaitement libéral, en acceptant le programme tel qu'il était.... (Interruption.)
Comment ! des délégués de tous les associations libérales se réunissent à Bruxelles ; ils adoptent le programme, et quand nous discutons ce programme, on nous dit qu'il ne signifie rien !
Je vous fais l'honneur de croire que vous avez pensé comme nous qu'il fallait saisir le corps électoral tout entier de ce problème, à savoir s'il n'y avait pas moyen de diminuer les charges militaires, et vous n'avez pas donné en pâture une équivoque insignifiante ; vous avez tout au moins donné une espérance. Je ne parle que de ceux qui ont voté le programme. J'entends dire derrière moi : « Je ne l'ai pas voté. » Moi, non plus, je ne l'ai pas voté.
C'était donc, sous une forme très commode, très habile, je veux bien le reconnaître, une excellente formule électorale.
L'honorable M. Van Humbeeck réduit toutes ces questions à une seule : il veut que je déclare simplement qu'il est impossible d'arriver à une réduction. Eh bien, en mon âme et conscience, je ne puis pas le déclarer ; je désire qu'une réduction soit possible ; tout le monde le désire, et je dis que s'il était démontré qu'une réduction fût possible, le devoir du gouvernement et de la Chambre serait de l'opérer. Vous voulez me faire déclarer qu'il est impossible d'arriver à une réduction. Or, de quoi est-il question ? C'est précisément de savoir si cette impossibilité existe.
Pour moi, si on veut que je m'énonce en mon nom personnel, car je n'ai pas le droit, à chaque parole, d'engager la politique du gouvernement, je crois aussi, comme l'honorable membre, que si l'on peut arriver à une réduction, je ne dis pas des dépenses, mais remarquez-le bien, des charges militaires, ce serait par le moyen que j'ai indiqué.
Ainsi mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, me disait et avec beaucoup de raison : Si les éléments de l'armée changeaient notablement, la durée du service pourrait être diminuée. Et, en effet, on comprend parfaitement que lorsque les hommes auront reçu plus d'instruction, si, par exemple, on en venait à enseigner certains maniements d'armes dans les écoles primaires, on pourrait en arriver aussi en très peu de temps, non pas peut-être à des réductions de dépenses, mais à des réductions des charges militaires qui pèsent sur les familles, et ce, sans diminuer en rien la force réelle de notre armée.
Cette question-là pas plus que les autres ne peut se vider en quinze jours et, pour ma part, je trouve cette question, qui touche si directement à notre existence nationale, trop grave, trop sérieuse, pour vouloir la sabrer ; je désire qu'on puisse la décider rationnellement après une étude complète.
M. Van Humbeeck (pour un fait personnel). - Il a plu à M. le ministre des finances d'insister sur le vote du programme de 1870 et de plaisanter assez agréablement sur le vague de ce programme, qui permettait à tout le monde de le voter.
Comme c'est surtout mon assentiment donné à ce programme que l'honorable ministre a entendu critiquer, je lui rappellerai qu'à l'époque même de la discussion de notre organisation, j'avais indiqué un moyen d'aboutir à des réductions, non pas considérables, non pas immédiates, mais cependant réelles. Ce moyen consistait dans la création d'une réserve nationale, que j'avais alors préconisée, que je continue à préconiser et à l'absence de laquelle l'honorable ministre de la guerre, dans son rapport, a consacré quelques paroles de regret.
Mon vote au congrès de 1870 n'était donc pas complètement sans portée. Il avait, dans mon esprit, une portée précise et restreinte ; dans d'autres esprits, il avait sans contredit une portée plus large. C'est le fait ordinaire dans tous les votes de ce genre. Rien dans tout cela ne doit me mériter des critiques bien sévères.
M. Frère-Orban. - Je regrette de constater que la Chambre n'a pas obtenu les explications qu'elle devait avoir, que rien de ce qu'elle désirait connaître ne lui a été communiqué. On lui a dit ce qu'elle savait ; on lui a répété ce qu'elle ne pouvait ignorer ; quant à lui apprendre, non pas même quelle est l'opinion du gouvernement sur les questions soulevées à propos de l'organisation de l'armée, mais à quel moment il fera connaître son opinion, on a persisté à se maintenir dans des régions mystérieuses, (page 146) favorables aux équivoques et qui ne permettent pas de pénétrer la pensée du cabinet.
Je mettrai en relief ce que cette situation a d'étrange ; mais, auparavant, je dois dire quelques mots au sujet d'une question incidente, ainsi que l'a nommée M. le ministre des finances, en répondant à une interpellation de l'honorable M. Bouvier. La question incidente a été celle des fortifications et surtout celle de la citadelle du Nord. Sur ce point l'honorable ministre, dont l'opinion est engagée, qui a voté les travaux d'Anvers...
M. Malou, ministre des finances. - Non.
M. Frère-Orban. - Je croyais que vous aviez dit tout à l'heure qu'ils avaient eu votre approbation.
M. Malou, ministre des finances. - Je ne faisais pas partie de la Chambre.
M. Frère-Orban. - Vous en avez parlé au Sénat.
M. Bouvier. - Et devant la commission militaire.
M. Malou, ministre des finances. - Je faisais partie de la Chambre lorsque la proposition de la petite enceinte a été faite ; j'ai parlé et voté contre ce projet. Je n'appartenais pas aux Chambres lorsqu'elles ont voté la grande enceinte ; après, elle a été construite ; j'ai constaté logiquement qu'il fallait la compléter, la terminer et non pas la démolir.
M. Frère-Orban. - L'honorable ministre confirme, au fond, ce que je disais. S'il n'a pas voté les travaux des fortifications d'Anvers, il les a approuvés lorsqu'ils ont été exécutés, et non seulement il les a approuvés, mais il les a trouvés insuffisants et il a demandé qu'on les complétât.
M. Bouvier. - Avec des installations.
M. Frère-Orban. - L'honorable membre a fait à cet égard, si mes souvenirs ne me trompent, une proposition au sein de la commission militaire. En 1867 et au Sénat, il en a parlé également. Il a demandé qu'on ajoutât des fortifications à celles qui existent, approuvant ainsi ce qui existait et voulant même l'extension de ces fortifications.
Je n'ai donc pas été étonné d'entendre l'honorable ministre se retrancher derrière moi pour répondre à la question bien précise qui lui était posée, de savoir si les travaux de défense de la rade, connus sous le nom de citadelle du Nord, seraient maintenus. A cette question, l'honorable ministre des finances a répondu : Je prends sous ce rapport la position qui a été prise par l'un de mes prédécesseurs : je n'ai absolument rien à y changer. Voici ce qu'il a déclaré dans la séance du 11 mai 1868 et je m'en réfère à ses propres déclarations. Eh bien, ces déclarations, qui émanent de moi, impliquent le maintien de ces travaux militaires ; nous sommes donc d'accord. (Interruption.) Oh ! je le sais, on voudrait bien se retrancher encore derrière une équivoque ; mais je ne permettrai pas qu'il y en ait.
Dans cette séance de mai 1868, dont vous avez parlé, lorsque j'ai fait allusion à ces travaux, on m'a dit : Démolira-t-on les fronts intérieurs de la citadelle du Nord ? J'ai répondu, - comme on vient de le rappeler, - que j'étais disposé à consentir (j'étais en veine de concession) à ce qu'on examine aussi cette question.
L'honorable ministre des finances s'est arrêté là dans ses recherches ; mais il y a eu quelque chose depuis : cet examen a été fait ; on a reconnu et je l'ai déclaré dans cette Chambre, qu'il fallait maintenir les travaux de défense, mais que les fronts intérieurs, pouvaient disparaître, à la condition toutefois qu'ils fussent remplacés par un mur crénelé.
Ce n'était là, je l'ai dit, qu'une question d'argent ; or, je déclarais en même temps que l'on ne pouvait songer à demander des crédits pour exécuter un travail dé ce genre qui n'était fait que pour donner une satisfaction nominale à la ville d'Anvers, l'établissement militaire continuant à subsister ; que si toutefois l'administration communale d'Anvers voulait, à ses frais, exécuter ce mur crénelé, nous n'aurions aucune raison de nous y opposer.
Est-ce avec ce complément que vous acceptez ma première déclaration ?
Est-ce bien là ce que vous avez voulu dire ? ou bien avez-vous voulu faire entendre que vous vous arrêtez à la première et n'acceptez pas la seconde ? Expliquez-vous d'une manière claire et précise.
Je sais que l'on a insinué, dans les journaux, quelque chose à ce sujet. Je lisais, dans un des journaux d'Anvers, quelques jours après la retraite du cabinet précédent : Quel grand dommage ! disait-on. M. Jacobs avait un si beau plan. S'exécutera-t-il ?
Il a peut-être un beau plan, mais, pour l'exécution de ce beau plan, on n'affaiblira pas, quoi qu'on fasse, l'établissement connu sous le nom de citadelle du Nord.
Je pose cette question formelle à M. le ministre de la guerre.
Consentira-t-il à une modification quelconque qui puisse affaiblir la défense ? Fera-t-il disparaître l'établissement militaire connu sous le nom de citadelle du Nord qui portait ombrage aux meetings d'Anvers ?
On peut répondre à cette question. Les opinions sont fixées, il ne faut pas de renvoi à la commission pour cela.
M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je n'admettrai aucune modification qui puisse affaiblir le système de défense d'Anvers.
M. Frère-Orban. - Nous sommes d'accord.
Ainsi, cet établissement connu sous le nom de citadelle du Nord sera maintenu ?
Nous sommes d'accord. (Interruption.)
M. Bouvier. - On vient de le dire.
M. Frère-Orban. - C'est l'établissement connu sous le nom de citadelle du Nord qui sera maintenu.
M. Jacobs. - Mais pas du tout.
M. Frère-Orban. - Comment, vous connaissez donc l'opinion du gouvernement ?
M. Jacobs. - Je dis que vous n'avez pas compris le gouvernement.
M. Frère-Orban. - Et vous, comment l'avez-vous compris ?
M. Jacobs. - Parce que je sais le français.
M. Frère-Orban. - 11 n'y a pas deux manières de comprendre, et j'invite en tous cas M. le ministre de la guerre à s'expliquer. Jusqu'à ce jour toutes les commissions militaires ont reconnu que l'établissement dont nous nous occupons était indispensable à la défens, de la place, à la défense de la rade, qu'on ne pouvait pas porter atteinte à cet établissement. On a dit, il est vrai, que certains talus en terre pourraient être remplacés par un mur crénelé, mais tout cela est secondaire. Le point capital est celui-ci : l'établissement armé de canons subsistera ? Voilà toute l'affaire.
L'honorable représentant d'Anvers a passé dix-huit mois au ministère ; il n'est pas arrivé à changer la situation ; il n'a pas su donner à la ville d'Anvers ces satisfactions qui étaient prétendument la condition sine qua non de son avènement dans cette Chambre.
Les membres de la députation d'Anvers qui avaient déclaré qu'ils feraient une opposition systématique, à tout cabinet qui ne donnerait pas satisfaction aux exigences de la ville d'Anvers, notamment et surtout par la démolition de la citadelle du Nord, ont, au lieu d'une opposition systématique, accordé un appui sympathique au dernier cabinet, qui a maintenu cette citadelle.
Voilà la morale de l'histoire. Quoi qu'il en soit, pour le moment, l'incident se trouve donc vidé et nous sommes d'accord avec le gouvernement. (Interruption.) Mais le gouvernement vous a déclaré qu'il s'en réfère à mes déclarations dont il vous a donné lecture ; il ne veut ni plus ni moins. (Interruption.) J'entends bien que sur les bancs anversois on prétend que nous ne sommes pas d'accord ; mais j'attends que le gouvernement le dise. Il y a peut-être encore là quelque mystère, on le dissipera. Peut-être pour couvrir l'impuissance constatée du dernier cabinet en face de cette fameuse citadelle du Nord, veut-on imposer au cabinet nouveau de faire une chose quelconque dont on se déclarera satisfait. On appellera cela la satisfaction donnée aux réclamations de la ville d'Anvers ; ce sera une chose quelconque, peut-être le bassin à pétrole, dont, jadis, avait parlé l'honorable M. Jacobs. Aussi longtemps que l'établissement subsistera, aussi longtemps qu'il sera armé de canons, aussi longtemps qu'on pourra en placer, dût-on ne plus en mettre 500 en batterie, comme on l'a fait pendant le ministère de l'honorable M. Jacobs lui-même, sans protestation de ses collègues d'Anvers ; aussi longtemps qu'on pourra voir ces canons redoutables, ta question sera la même pour la députation anversoise ; car c'étaient ces canons qui faisaient peur, qu'on redoutait au plus haut point ; c'était le péril pour la ville d'Anvers ; on pouvait de là bombarder la ville ; un autre duc d'Albe pourrait la réduire en cendres. Eh bien, je le répète, aussi longtemps que l'établissement militaire subsistera, qu'il y aura des canons dans la citadelle du Nord, il n'y a pas de bassin à pétrole qui pourrait excuser ou expliquer la satisfaction de la députation d'Anvers.
L'honorable ministre des finances a traité après cela la question de défense, la question du budget de la guerre. A ce sujet, comme je l'ai dit en commençant, il ne nous a absolument rien appris de ce que nous avons intérêt à savoir.
L'honorable ministre des finances nous a rappelé ce qu'il avait fait à diverses époques en ce qui touche la question militaire. Nous le savions parfaitement. J'étais, pour ma part, très convaincu qu'arrivé au banc (page 147) ministériel, il n'aurait pas changé d'avis. Ses opinions bien connues, il continuera à les défendre. Voilà ce qu'il vous déclare ; mais de cela nous n'en doutions pas.
Vous nous dites ; Nous avons des questions qui nous divisent ; c'est l'honneur des partis d'agiter ces questions qui les préoccupent dans l'intérêt du pays. Mais il y a des questions nationales qui sont au-dessus des partis. On a oublié, pour le dire en passant, que, dans une de nos dernières séances, le ministère a déclaré qu'étant un ministère d'apaisement, il ne voulait agiter aucune espèce de question de parti.
C'est ainsi qu'il répondait à la question de savoir quel était son programme. Il le tenait prudemment caché ; il le réservait pour l'avenir ; il ne songeait pas que c'est l'honneur des partis de faire connaître et d'agiter les questions qui les divisent. Mais il est des questions qui dominent les partis, les questions nationales, les questions militaires, les questions sociales, car il paraît que le ministère veut aussi aborder les questions sociales. Je l'attends. Le mot fait bon effet dans les discours. « On ne pourra pas toujours reculer devant ces questions. » Ainsi parle l'honorable ministre des finances.
J'espère qu'elles viendront aussi avant les élections.
M. Bouvier. - Voilà la question.
M. Wasseige. - Oui, surtout pour vous, M. Bouvier, que la question électorale paraît préoccuper infiniment.
M. Frère-Orban. - Les questions donc qui sont au-dessus des partis sont notamment la question militaire. Eh bien, je l'ai dit pendant de longues années ; j'ai convié la Chambre à s'unir sur les questions nationales, à s'unir sur la question militaire. J'ai demandé, et Dieu sait si l'on m'en a fait assez longtemps un grief, j'ai demandé que sur cette question l'on marchât la main dans la main, et que m'a-t-on répondu ?
Sept ou huit membres de la droite, seulement, ont suivi le gouvernement dans cette campagne en faveur des intérêts militaires ; tous les autres, tous, ont combattu nos propositions, tous ont voté contre nos propositions.
On ne s'est pas borné à voter contre nos propositions,, on en a fait un thème électoral, on a été les agiter dans des meetings, dans des meetings tumultueux, on les a agitées au sein de toutes les associations cléricales et parce qu'il y a eu des engagements pris, parce qu'on a déserté un intérêt national dans un intérêt de parti, le cabinet actuel, par une conduite semblable à celle du cabinet précédent, maintient une équivoque et ne veut pas poser nettement la question.
Voici, indépendamment des discours qui ont été prononcés dans des meetings côte à côté avec les agents de l'Internationale ; voici ce qu'on disait, à la veille des élections, au sein des associations cléricales, notamment à l'association de Bruxelles. C'est un honorable membre de cette Chambre, M. de Kerckhove, qui prend la parole :
« Il y a dans le pays, disait-il, beaucoup d'hommes qui s'imaginent que le triomphe du 14 juin est un triomphe religieux. C'est une illusion ; la vérité est que la victoire est due à une coalition. Dans cette coalition, il y a des catholiques qui sont intervenus et des libéraux qui nous ont donné leur appoint.
« Je crois, pour en revenir à la question pratique, qu'il nous faut agir sur l'opinion publique, sur la conduite du gouvernement dans l'avenir ; tel est le but des vœux qu'on nous propose.
« Mais il faut avoir soin de laisser de la marge pour toutes les nuances, car si nous précisons trop, nous nous exposons à rencontrer une opposition prématurée. Il faut tâcher de rallier tout le monde ; je me bornerai donc, quant à moi, à dire réduction graduelle des charges militaires, sans parler des fortifications. » (Interruption.)
Non seulement l'honorable M. de Kerckhove, qui m'interrompt, a prononcé ce discours à Bruxelles ; mais il a pris des engagements formels dans les meetings de Liège contre la conscription et pour la réduction des charges militaires ; il n'en votera pas moins le budget de la guerre, car, maintenant le tour est fait.
M. de Kerckhove. - Je ne fais pas de tours, moi, monsieur ; c'est de votre école.
Je demande la parole.
M. Frère-Orban. - Et l'on admettait, en conséquence, des résolutions fort différentes de celles que l'on a citées comme émanant de certaines associations libérales. On n'y mettait ni restrictions ni réserves. Il n'y avait pas à examiner, il n'y avait pas à délibérer ; on s'engageait à agir et sur l'heure. Ecoutez ;
« L'association conservatrice de Bruxelles est d'avis qu'il est urgent de... procéder a une diminution et à une meilleure répartition des charges militaires. »
Eh bien, nous, nous tenions un autre langage. Non seulement nous n'avons pas adhéré à ce programme qui vous a été lu tout à l'heure et qui cependant pouvait être signé puisque en réalité il subordonnait toute espèce de réduction à l'intérêt de la défense nationale ; au lieu d'adhérer à un pareil programme, nous avons maintenu les principes que nous avions défendus au pouvoir, nous n'avons rien rétracté ; nous avons revendiqué devant le corps électoral l'honneur des mesures que nous avions prises dans l'intérêt de la défense nationale. Mon ami, M. Pirmez, en butte à des attaques odieuses, a publiquement, dans des meetings à Charleroi, professé les mêmes opinions qu'il avait professées au banc ministériel.
Voilà comment nous avons entendu et pratiqué nos devoirs sur une question d'intérêt national.
« Il est une question, a-t-il dit, qui soulève de nombreuses oppositions : je veux parler de celle de l'armée. L'armée, je me hâte de le dire, impose au pays de lourdes charges et je ne voudrais pas qu'on dépensât un franc de trop ni qu'il y eût un seul homme de trop dans l'armée. Je crois qu'il faut que les dépenses et les levées soient limitées à ce qui est strictement nécessaire ; mais il y a aussi de grands intérêts que je ne veux pas qu'on méprise. II y a l'indépendance de la patrie et le maintien de l'ordre à l'intérieur (applaudissements), et il est certain que nous ne reculerons pas devant un sacrifice pour assurer le maintien de notre indépendance et de nos libertés, plus grandes ici que dans aucun pays du monde, et pour le maintien de notre sécurité industrielle qui fait notre prospérité. Si, pour cela, il faut des sacrifices, nous saurons en faire. (Bravos.) »
M. Bouvier. - Voici de la franchise.
M. de Kerckhove. - Nous les ferons.
M. Frère-Orban. - Eh bien, messieurs, lorsqu'on a souffert de cette position, lorsque nous avons l'aveu que c'est grâce à une coalition formée sur cette question des dépenses, des charges et même des servitudes militaires que l'on a triomphé dans les élections, nous avons le droit de dissiper à tout prix des équivoques qui ne sont pas dignes d'un gouvernement. Nous avons le devoir de signaler et de stigmatiser des menées qu'on essayera de reproduire dans les élections prochaines. On veut dire d'un côté : Nous sommes pour la réduction des charges et des dépenses militaires ; mais nous n'avons pu encore appliquer nos idées, parce que le temps, les circonstances, les guerres extérieures ne nous ont pas permis de le faire. Toutefois soyez tranquilles : la paix est maintenant définitivement consacrée ; nous n'attendons plus que les conclusions de la commission qui examine les affaires militaires, pour obtenir enfin, quoi que cette commission décide, les réductions légitimes promises depuis si longtemps. Et vous espérez que ceux qui poursuivent réellement un changement radical dans notre organisation militaire, vous viendront encore une fois en aide pour assurer votre succès clérical, le seul que vous chercherez !
Eh bien, messieurs, nous demandons que ces équivoques disparaissent, et l'honorable ministre des finances, quoique personnellement convaincu qu'il n'y a pas de réduction à faire dans les dépenses militaires, quoique appréhendant peut-être qu'il faille même les augmenter (interruption)... peut-être, ai-je dit ; je ne préjuge pas votre opinion ; l'honorable ministre des finances ne veut pas s'expliquer, ni consentir à s'expliquer en temps opportun avant les élections.
L'honorable M. Van Humbeeck lui a posé des questions précises auxquelles il n'a pas suffisamment répondu. Je veux lui en faire une autre qui nous mettra peut-être d'accord. Je demande si le gouvernement prend l'engagement de déposer avec le prochain budget de la guerre, qui sera présenté avant le 1er mars, les propositions qu'il doit nous faire en ce qui touche l'armée.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - C'est la demande de M. Van Humbeeck ?
M. Frère-Orban. - Ce n'est pas précisément l'objet de la motion de M. Van Humbeeck. Il propose l'ajournement du vote du budget. Si l'honorable ministre des finances nous déclarait aujourd'hui que la communication que je réclame sera faite avec le prochain budget, nous pourrions voter immédiatement le budget de la guerre.
Je n'insisterais pas, pour ma part, sur la motion d'ajournement si nous avions une promesse formelle de la présentation de propositions définitives pour l'époque que je viens d'indiquer. Si nous avions cette déclaration, nous pourrions renoncer à la motion d'ajournement et laisser au gouvernement la liberté de s'expliquer sur toutes les questions militaires en temps opportun.
Quelles raisons, messieurs, peut-on donner pour ne pas accéder à cette proposition ? Le temps qui manquerait ! Mais à aucune époque on n'a employé un pareil temps à l'examen des questions militaires.
(page 148) Il y a un an que la commission a été instituée. Mais, messieurs, la commission de 1867 a terminé ses travaux en quatre mois. D'ailleurs, M. le ministre de la guerre a des opinions arrêtées ; il les a exposées plusieurs fois ici devant la Chambre. La commission s’est prononcée depuis longtemps déjà sur la question capitale, la base même de l’organisation de l’armée ; les autres points sont sans difficulté réelle ; pourquoi ne hâterait-il pas les travaux de la commission afin que le gouvernement pût à son tour délibérer prochainement ?
Si l'on persiste à marcher avec cette lenteur, toutes les organisations militaires de l'Europe seront faites et mises à exécution avant que nous connaissions même l'opinion du gouvernement sur la question qui nous occupe.
M. le ministre des finances s'est retranché derrière la France, qui, après avoir subi les effets d'une guerre désastreuse, étudie depuis dix mois, a-t-il dit, une nouvelle organisation et ne l'a pas encore trouvée. Mais l'honorable ministre s'est complètement trompé. En France une commission a été nommée, elle a délibéré, elle a formulé un projet de loi ; elle a développé son opinion dans un rapport présenté par M. Chasseloup-Laubat, rapport qui a été reproduit dans le Moniteur belge.
Il y a un projet de loi ; seulement, on est en dissentiment sur les propositions qui y sont formulées et nous serons probablement aussi en dissentiment sur les propositions que vous aurez à nous soumettre. Tout le monde ne sera pas du même avis dans la Chambre. Ce que nous vous demandons, c'est de nous faire connaître votre pensée, de déclarer nettement ce que vous avez l'intention de faire.
Nous vous supplions de ne pas permettre que l'on continue à agiter cette question parce que si, comme vous l'affirmez, vous la placez très haut, vous devez la résoudre.
Que va-t-il arriver ?
L'organisation militaire actuelle a été fortement ébranlée par le rapport de M. le ministre de la guerre.
L'honorable ministre de la guerre a beau dire : Je trouve l'organisation bonne, j'y indique quelques vices auxquels je désire qu'il soit porté remède. L'honorable ministre des finances a beau répéter le même langage. La vérité, la voici : c'est l'organisation militaire dans sa base fondamentale, le recrutement, qu'il a attaquée.
Si le recrutement actuel donne une armée défectueuse, vous ne pouvez le maintenir, vous ne pouvez prolonger cette situation et souffrir que l'on continue à attaquer la constitution de l'armée, de sorte que la confiance disparaît complètement parmi ceux qui sont chargés de la commander et parmi ceux qui doivent obéir.
Lisez les discours de nos généraux ; que disent-ils de l'armée en vue de faire prévaloir le système du service obligatoire et personnel ? Ils ébranlent l'armée jusque dans sa base.
Et c'est dans cette situation que le gouvernement s'abstient !
II prétend que cet intérêt national doit dominer sur tous les autres et sur l'intérêt de parti.
Eh bien, non, le gouvernement place cet intérêt au-dessous des intérêts de parti ; il fait dominer ici l'intérêt de parti.
Mais autre danger qui a déjà été signalé ici.
Vous ne pouvez pas espérer que tous les membres de cette assemblée qui ont voté le budget de la guerre et l'organisation militaire consentiront, à toutes les époques et toujours, à jouer ce rôle de dupes, à servir de moyen électoral à vos amis ; eux se chargent de l'odieux et de la responsabilité.
Vous ne pouvez pas l'espérer ; cette situation sera démasquée ; à un moment donné elle le sera, et ceux-là mêmes qui sont le plus partisans du budget de la guerre seront condamnés par vous et par vous seul à voter contre lui ! (Interruption.) C'est parce que j'entrevois et que je redoute ce péril que je vous avertis.
Je veux vous aider à le conjurer. Si vous persistez, c'est aux adversaires de notre établissement militaire qui siègent sur les bancs de la droite que sera remis le soin de consacrer le budget de la guerre ; et s'ils sont accusés d'avoir violé leurs promesses, d'avoir manqué à leurs engagements électoraux, ils se consoleront en disant qu'ils ont mis au-dessus de tout les intérêts de leur parti. Il est vrai que c'est ce qu'ils n'ont pas cessé de faire jusqu'à ce jour et ce qu'ils continueront à faire dans l'avenir. Mais le pays saura ce que valent leurs programmes électoraux.
M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet de proroger la composition des jurys d'examen pour les deux sessions de 1872.
Cet objet présentant un certain caractère d'urgence, je prierai la Chambre de vouloir ordonner son renvoi à l'examen d'une commission spéciale.
- Adopté.
La séance est levée à 5 heures et un quart.