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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 novembre 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 57) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse suivante dés pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Heylen, secrétaire communal a Oolen, propose des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« M. le ministre des finances adresse à la Chambre 135 exemplaires du tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers pendant l'année 1870. »

- Distribution et dépôt.


MM. de Smet et Schollaert, retenus par une indisposition, demandent un congé de quelques jours.

- Accordé.


M. Jottrand demande un congé d'un jour.

- Accordé.


M. le président. - J'ai reçu la lettre, suivante de M. Brasseur :

« M. le président,

« Je prépare un mémoire en réponse aux accusations odieuses dont je suis l'objet. Dans ces circonstances, il m'est impossible de m'occuper des travaux de la Chambre.

« J'ai l'honneur de solliciter de sa bienveillance un congé de quinze jours.

« Agréez, M. le président, etc. (Signé) Brasseur. »

- Voix à gauche. - Sa démission.

M. De Lehaye. - Il n'a pas besoin de donner sa démission !

M. Bricourt. - Je tiens à déclarer que si j'avais pu assister à la séance d'hier j'aurais voté contre la clôture proposée par la droite et en faveur de l'ordre du jour proposé par M. Bara.

M. Houtart. - Je tiens à déclarer que si j'avais assisté hier à la séance, j'aurais voté la motion de M. Bara.

Projet de loi relatif aux bourses de voyage

Rapport de la section centrale

M. De Lehaye. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a. examiné le projet de loi relatif aux bourses de voyage.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Motion d’ordre relative aux mesures de police prises pour empêcher les attroupements autour du palais de la Nation

M. Anspach. - J'ai reçu tout à l'heure la lettre suivante de M. le ministre de l'intérieur :

« M. le bourgmestre,

« J'ai l'honneur de vous transmettre la lettre ci-jointe que m'adresse M. le président de la Chambre.

« Je vous prie de me mettre à même de répondre le plus tôt possible à M. le président.

« Il est une mesure qui est indispensable pour assurer le respect dû aux membres de la représentation nationale : c'est d'empêcher les attroupements et d'assurer la liberté de la circulation aux abords du palais de la Nation et spécialement rue de la Loi.

« Agréez, monsieur le bourgmestre, l'assurance de ma considération très distinguée.

« (Signé) Kervyn de Lettenhove.

« A M. Anspach, bourgmestre de la ville de Bruxelles. »

A cette lettre était jointe l .lettre du président, qui est ainsi conçue :

« Bruxelles, le 21 novembre 1871.

« Monsieur le ministre,

« Les membres de la Chambre ont été, hier et avant-hier, à l'issue des séances, l'objet d'injures et d'outrages dont, comme président, j'ai le droit et le devoir de me plaindre. J'ai l'honneur de vous demander, M. le ministre, si vous avez pris des mesures efficaces pour que ce scandale ne se renouvelle pas aujourd'hui. J'ai pu constater par moi-même l'insuffisance de celles que M. le bourgmestre avait ordonnées hier et je désire être informé de ce que vous avez décidé de faire pour que la représentation nationale soit respectée.

« Veuillez agréer, etc.

« Le président de la Chambre,

‘(Signé) Thibaut.

« A M. le ministre de l'intérieur. »

Il m'est impossible, de ne pas protester devant la Chambre contre les appréciations de son président, qui trouve que les mesures que j'ai prises sont des mesures insuffisantes...

- Des membres. - Très insuffisantes.

M. de Naeyer. - Nous avons tous été insultés.

M. Anspach. - Quoi ! c'est au moment où le bourgmestre de Bruxelles n'hésite pas un instant à compromettre sa popularité qu'on lui adresse ces reproches ?

- Des membres à gauche. - C'est vrai !

M. Anspach. - Je ne me vante pas des efforts que je fais pour prévenir et réprimer le désordre. C'est un devoir pour moi, et ce devoir je l'accomplis. Une fois que je suis dans la rue, je n'appartiens plus à aucun parti, si ce n'est au parti de l'ordre.

Aussi montre-t-on une ingratitude inouïe en venant me blâmer précisément au moment où j'accomplis un devoir pénible en votre faveur. (Interruption.) Il y a vraiment quelque chose qui me passe...

- Un membre à droite. - Et nous aussi.

M. Anspach. - Est-ce que vous, MM. les ministres, est-ce que vous, MM. de la majorité, est-ce que vous tous, qui hier avez étouffé le débat dont il s'agit, vous avez cru qu'on pouvait faire impunément cette nomination insensée et extravagante de l'administrateur des sociétés Langrand au poste de gouverneur de province ? (Interruption.)

M. le président. - Vous n'êtes plus dans la question.

M. Bouvier. - Il est dans la question.

M. Anspach. - Avez-vous cru, messieurs, que devant une population intelligente et honnête, comme l'est celle de la ville de Bruxelles, vous pouviez faire cette nomination sans soulever une profonde indignation ? Avez-vous pu supposer qu'il n'y aurait pas de manifestations et de cris ? Est-ce que vous ne savez pas aussi, messieurs, que quand il y a de ces émotions populaires explicables, il arrive souvent, dans les grandes (page 58) agglomérations comme Bruxelles, que de mauvais éléments s'y joignent et qu'elles deviennent répréhensibles et fâcheuses ?

J'en viens, messieurs, aux termes de la lettre de M. le président. Voici ce que dit en substance M. le président dans cette lettre :

« Des membres de la représentation nationale se sont vus hués et siffles, hier ; par conséquent, les mesures prises par le bourgmestre de Bruxelles étaient insuffisantes. »

Je nie cette conséquence. Il n'est donné à personne, ni au bourgmestre de Bruxelles, ni à aucune autorité, d'empêcher que ces cris et ces huées soient poussés.

M. Delaet. - Allons donc ! (Interruption.)

M. Anspach. - Je voudrais bien savoir...

M. Demeur. - C'est la police qui vous a protégé, M. Delaet. (Interruption.)

M. le président. - M. Anspach a seul la parole ; n'interrompez pas.

M. Bouvier. - C'est la droite qui interrompt.

M. le président. - C'est à la droite que je m'adresse.

- Voix à gauche. - Ah ! oui !

M. le président. - Je m'adresse à tous les interrupteurs.

M. Bouvier. - C'est connu.

M. le président. - C'est connu et c'est vrai.

M. Anspach. - Je demande quelles autres mesures que celles que j'ai prises, j'aurais pu prescrire ?

On m'avait interrogé sur ce point. Hier, les membres du cabinet m'avaient demandé si je ne pouvais pas m'opposer à la formation de groupes dans la rue de la Loi.

Sans doute, messieurs, je le pouvais et le moyen était facile : je pouvais intercepter la circulation dans toute la rue de la Loi depuis la rue Royale jusqu'à la rue Ducale ; je n'avais pour cela qu'un seul mot à dire à la légion de la garde civique que j'avais convoquée ; je n'avais qu'un mot à dire à cette admirable milice citoyenne de Bruxelles à laquelle jamais on ne fait vainement appel pour assurer le respect de l'ordre et de nos libres institutions.

M. Dethuin. - Le respect des honnêtes gens.

M. Anspach. - Eh bien, je ne l'ai pas dit ce mot, et cela pour un motif que tout le monde appréciera et spécialement ceux qui sont souvent en contact avec le peuple : c'est qu'en matière de répression d'émotions populaires, il est absolument indispensable, sous peine de créer les plus graves dangers, de n'avoir pas l'air de faire des provocations ; il est indispensable de ne prendre que les mesures strictement nécessaires pour que l'ordre ne soit pas gravement compromis.

Et si j'avais intercepté le passage dans la rue de la Loi, si j'avais pris cette mesure grave de me montrer défiant à l'égard de la population bruxelloise, au point de devoir faire protéger jusque-là la représentation nationale, il est probable qu'au lieu de 4,000 à 5,000 personnes stationnant devant le Parc, il y aurait eu 10,000 personnes à chacune des extrémités de la rue de la Loi.

Et puis je le demande : A quoi cela eût-il servi ? Cela eût-il empêché les huées les cris, les protestations de la foule indignée ? Les représentants devaient toujours sortir quelque part et là j'aurais mis dix rangs de gardes civiques, que les cris, les protestations de l'indignation publique ne s'en seraient évidemment pas moins produits !

Messieurs, il faudrait véritablement, pour que l'on pût me faire à moi et à la police bruxelloise un grief de ces cris et de ces huées, qu'on allât jusqu'à dire que je devais empêcher toute circulation dans les rues.

Si le gouvernement partage l'opinion de M. le président de la Chambre, s'il trouve, après tout le dévouement que nous avons mis dans cette affaire, après les séances du collège et de l'administration qui ont duré jusqu'au milieu de la nuit, que les mesures prises par le chef de la police locale ont été insuffisantes, il peut, aux termes de la loi, substituer sa responsabilité à la mienne. Qu'il le fasse, et il ajoutera une faute de plus à celles qu'il a déjà commises.

MpT. - Messieurs, si je devais me défendre, je descendrais du fauteuil et je parlerais de ma place ; mais je n'ai qu'une courte explication à donner à la Chambre.

La lettre que j'ai écrite à M. le ministre de l'intérieur et dont l'honorable M. Anspach vous a donné lecture ne contient à l'égard du bourgmestre de Bruxelles aucun blâme.

J'étais même disposé à écrire à M. Anspach pour le remercier des mesures qu'il avait prises pour maintenir l'ordre aux abords du palais : elles ont pleinement suffi.

Mais il est constant pour tout le monde qu'au delà de ce qui constitue le palais de la Nation, les membres de la Chambre ont été, hier et avant-hier, comme je l'affirme dans ma lettre, l'objet d'injures et d'outrages.

J'ai cru de mon devoir, comme président de la Chambre, d'engager M. le ministre de l'intérieur à se préoccuper de ces faits et je lui ai demandé s'il avait pris des mesures pour éviter que pareil scandale se renouvelât aujourd'hui.

Je me suis adressé à M. le ministre de l'intérieur, et non à M. le bourgmestre, parce que, au delà de la Chambre et de ses abords, mes pouvoirs cessent.

Je n'ai pas le droit d'adresser une réquisition à M. le bourgmestre de la ville pour prescrire des mesures de police dans les rues de la capitale.

Comme président de la Chambre, je me suis plaint au gouvernement des injures et des outrages dont la plupart des membres de cette assemblée ont été l'objet, hier et avant-hier, dans les rues de Bruxelles.

M. Dumortier. - Messieurs, j'ai été hier, en particulier, l'objet d'une manifestation double et dont l'une était excessivement grave. S'il ne s'agissait que de ma personne, je ne serais pas revenu sur ce regrettable incident, mais comme il s'agit de la représentation nationale, de ses droits, du respect que le pays doit lui porter et de la sécurité de chacun de nous, vous me permettrez de vous dire ce qui s'est passé quant à moi. Quand je vous aurai fait connaître les avanies dont j'ai été l'objet, je pense que vous serez, comme moi, d'avis qu'il y a quelque chose à faire.

Voici ce qui s'est passé : j'étais avec mon honorable collègue, M. Demeur, dans la salle des conférences ; nous en sommes sortis les derniers. Arrivés au coin de la place de la Nation et du ministère des affaires étrangères, les attroupements étaient tels, qu'il n'existait plus de passage. (Interruption.)

Que vous ayez pu passer, c'est possible ; vous êtes partis avant nous et un vide qui avait été établi le long des murs vous livrait un passage plus ou moins facile. Mais plus tard la foule s'étant portée jusqu'au mur du ministère, il n'y avait plus moyen de passer. Nous n'étions pas encore arrivés à la porte du ministère des affaires étrangères qu'un grave spectacle se présenta à nos yeux : une foule énorme se précipitait pour entrer au ministère des affaires étrangères ; là se trouvaient sept ou huit agents de police qui refoulaient la foule, et puis derrière ces agents de police j'ai vu un de mes honorables collègues dont la tête dépassait la foule, contre lequel on vociférait des menaces de mort ; c'était mon honorable collègue, M. Nothomb.

La police, je dois le reconnaître, s'est admirablement conduite.

- Voix à gauche. - C'est vrai ! c'est vrai !

M. Bouvier. - Pourquoi vous plaignez vous ?

M. Dumortier. - La police de Bruxelles arrêtait la foule. On a fini par ouvrir la porte et l'honorable M. Nothomb et avec lui, je crois, l'honorable M. Delaet, sont entrés dans le ministère. Mais la rue et tout le trottoir étaient envahis. Il y avait une foule menaçante. Qu'est-il arrivé ? J'ai mis environ un quart d'heure, au milieu des cris et des menaces de mort, pour aller du coin du ministère des affaires étrangères jusqu'à la rue Royale. Là se trouvait une foule de gens excessivement menaçants, C'étaient des cris de mort ; c'étaient des poings levés, menaçants ; c'étaient des cris : « A la potence ! A la lanterne ! » Je dois le dire, j'ai trouvé dans les excellents habitants de Bruxelles une garde qui a été parfaite. Ces messieurs, je n'ai pas l'honneur de les connaître et je les prie de recevoir ici l'expression de toute ma reconnaissance, m'ont entouré ; deux d'entre eux, M. Jouniaux et un autre que je ne connais pas, m'ont pris par les bras, (erratum, page 90) M. Wael a eu la bonté de nous faire ouvrir les rangs en distribuant des coups de poing à droite et à gauche. Un ou deux agents de police nous précédaient. Après environ un quart d'heure, au milieu de ces cris de mort, nous sommes arrivés à la rue Royale.

Je dois le dire cependant, ce qui prouve que ce n'était pas à ma personne qu'on en voulait, lorsqu'un de ces messieurs criait : « C'est M. Dumortier, » immédiatement la foule criait : « Vive Dumortier ! » Cela n'empêchait pas qu'immédiatement après on criait de nouveau : « A la lanterne ! »

M. Demeur. - On criait : « Vive Dumortier ! A bas les voleurs ! Dumortier n'est pas de la bande ! »

M. Dumortier. - J'ai été, de la part de beaucoup d'honorables citoyens, l'objet d'ovations ; mais une partie de la foule se livrait à des outrages, et d'ailleurs la nuit on ne reconnaît pas les personnes et ces outrages auraient pu arriver à chacun de vous.

Nous sommes donc arrivés au coin de la rue de la Loi dans la rue Royale. Là encore j'ai trouvé cinq ou six agents de la police de Bruxelles qui ont été parfaits. Ils m'ont dit : « Monsieur, vous ne pouvez traverser cette foule. »

(page 59) La rue Royale et la rue de la Loi étaient tellement encombrées, qu'il n'y avait pas moyen de passer. Les agents de police ont fait des efforts inouïs pour percer la foule et ils sont parvenus à nous frayer un passage. Je remercie du plus profond de mon cœur les honorables bourgeois de Bruxelles qui m'ont entouré et qui ont empêché toute espèce de sévices personnels.

Je remercie les agents de police ; ils ont été parfaits, repoussant la foule d'une manière passive, mais en même temps avec la plus grande énergie. Je leur témoigne ici toute ma reconnaissance et je suis persuadé que vous vous associerez tous à moi pour le faire. (Interruption.)

Mais, messieurs, malgré sa belle conduite, la police était insuffisante. Il y avait une foule de 10,000 personnes et vous savez tous que si, dans ces foules, il y a des gens bien intentionnés, il s'y mêle aussi d'autres éléments.

H y en avait qui criaient : « A la potence ! » et vous savez que la foule s'enivre à ces cris ; en sorte que la personne des représentants était sérieusement menacée.

En Angleterre, les abords du parlement sont interdits à l'émeute à une distance qui est déterminée par les lois anglaises, afin d'empêcher l'émeute d'attenter aux membres des chambres.

Hier, on nous traitait de voleurs comme si la Chambre se composait de voleurs. Moi, je trouve que cette assemblée est une assemblée d'honnêtes gens ; je vois des honnêtes gens à droite comme à gauche, n'est-il pas pénible de vous entendre qualifier de voleurs, vous qui avez la conscience pure ?

Je dis que nous devons laisser à nos successeurs l'indépendance et la dignité que nous avons reçues de ceux qui nous ont précédés. Il est donc indispensable qu'à l'avenir, si des circonstances semblables se présentent, il soit pris des mesures efficaces pour sauvegarder l'honneur et la vie des représentants.

Le bourgmestre de Bruxelles n'a pas une police suffisante, mais il faut que les députés qui se réunissent ici puissent au moins retourner paisiblement chez eux. J'espère que, pour des circonstances semblables, le gouvernement prendra les mesures nécessaires.

Il y avait un moyen bien simple à employer, c'est celui auquel on a eu recours en 1857, et c'est celui qui a été employé hier au soir devant le palais du Roi ; une quinzaine de gendarmes à cheval a suffi pour faire évacuer la place. Voilà ce qu'il aurait fallu faire pour nous : un peu de gendarmerie à cheval, et nous serions tous sortis sans subir ces injures et ces outrages et sans être exposés à ces menaces de mort qui auraient pu être suivies d'effet.

M. Guillery. - Messieurs, le discours de l'honorable M. Dumortier est le démenti le plus complet donné à la lettre de M. le ministre de l'intérieur ; il est la réfutation la plus explicite des accusations qui ont été dirigées contre mon honorable ami, M. le bourgmestre de Bruxelles...

- Des membres (à droite). - Il n'y a pas eu d'accusations.

- D'autres membres. - Nous n'avons pas incriminé les intentions de M. le bourgmestre de Bruxelles.

M. Guillery. -... la réfutation de toutes les protestations violentes par lesquelles la droite a interrompu mon honorable ami, lorsqu'il venait si franchement et si loyalement vous faire connaître la manière dont il avait rempli ses devoirs..

Je suis très heureux de voir que la loyauté de l'honorable M. Dumortier soit venue, cette fois, encore condamner une attaque aussi injuste que celle de la droite...

- Un membre (à droite). - Il n'y a pas eu d'attaque.

M. Guillery. - Messieurs, je suis convaincu que la dignité de la représentation nationale doit être respectée, et que lorsque cette dignité est atteinte dans un de nous, nous sommes tous frappés.

Si nous devons tous employer notre influence pour qu'il soit toujours respecté, est-ce à dire que l'on puisse, dans cette enceinte ou hors de cette enceinte, rendre un homme politique ou un administrateur responsable des manifestations, quelque regrettables qu'elles puissent être dans la forme, d'une indignation qui ne s'explique que trop ? (Interruption.)

Vous avez cru qu'en clôturant la discussion vous feriez cesser l'indignation publique, vous avez cru que vous pouviez en vain porter atteinte à la liberté de la tribune, vous avez cru que vous pouviez en vain, par des coups de majorité, empêcher les membres de cette Chambre de venir protester contre des actes qu'ils réprouvent, vous avez cru que vous pouviez faire tout cela impunément.

Vous vous trompez.

Il y a chez une population honnête, et la Belgique est restée honnête au milieu de la corruption qui atteint certaines nations de l'Europe, il y a de ces sentiments qu'on ne peut comprimer, je veux parler de ceux qui flétrissent les coups de majorité et les actes de complaisance

M. Jacobs, ministre des finances. - On les comprimera.

M. Frère-Orban. - Vous l'avez bien prouvé à Anvers.

M. Jacobs, ministre des finances. - Nous voulons l'ordre.

M. Guillery. - Nous avions des griefs à reprocher au gouvernement ; nous avions des comptes à demander à M. le ministre de la justice au sujet de faits graves ; vous nous avez fermé la bouche, vous ne voulez pas entendre la vérité, vous la redoutez.

Voilà ce que signifie la clôture, aussi violente qu'imprévue, que vous avez prononcée hier.

Nous ne pouvons pas, la police ne peut pas, vous ne pourriez pas même si vous mettiez Bruxelles en état de siège, empêcher l'indignation publique ; et je dirai, empruntant une parole célèbre, qu'il y a, dans les pays qui s'occupent eux-mêmes de leurs affaires, de ces émotions rapides, contagieuses, se propageant avec une intensité qui se constate plus facilement qu'elle ne s'explique et avec lesquelles il est plus sage de transiger que de raisonner.

Celle-ci s'explique et il n'est pas sage de la dédaigner.

Ce qui se manifeste, c'est un sentiment d'honnêteté publique. De même que vous n'aviez pas le droit de faire la nomination que vous avez faite, de même vous n'auriez pas le pouvoir de comprimer l'indignation.

On a cité l'exemple de l'Angleterre. Mais est-il un pays au monde où l'opinion publique se produise plus librement, où l'on ait vu plus souvent les membres du parlement siffles et hués par la foule ? Ne vous rappelez-vous pas les manifestations faites contre cette partie de la majorité qui avait abandonné M. Gladstone, lorsque pas un membre de cette fraction dissidente ne pouvait sortir sans être accueilli par des sifflets ?

Voilà cependant la ville où l'autorité est la plus forte, où la police est le mieux faite, où elle est la plus puissante, où elle a le plus d'action sur la population.

Je suis heureux, quant à moi, que ce débat ait été soulevé, il importe que l'on constate que tout ce qui a pu être fait par nous individuellement, - M. Dumortier vient de l'attester en citant l'exemple de M. Demeur, - il importe, dis-je, que l'on constate tout ce qui a pu être fait par nous individuellement et par l'autorité de la capitale, pour protéger nos collègues, a été fait. Quant au reste, il n'est pas en notre puissance de vous soustraire au jugement de l'opinion publique. Ce jugement est votre avenir comme il sera votre condamnation.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, ni le gouvernement ni la Chambre ne peuvent admettre que la direction des affaires publiques puisse être transférée dans la rue.

Le pays qui jouit d'institutions libres et parlementaires, ne parle que par ses représentants légaux ; il n'a pas d'autre tribune que celle-là, et toute émeute, toute manifestation de la rue doit être flétrie par tous les partis. (Interruption.)

M. De Fré. - Il fallait laisser continuer la discussion.

M. Bouvier. - Ils ont eu peur !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - La Chambre apprécie dans sa pleine liberté les résolutions auxquelles elle juge convenable de s'arrêter.

Lorsque le parlement a prononcé, le pays entier et tout d'abord les membres de cette Chambre doivent un respect profond à ses décisions.

M. Frère-Orban. - Nous avons le. droit de les critiquer.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Quoi ! pendant deux jours nous avons délibéré ici au bruit des clameurs de la rue qui pénétraient jusque dans cette enceinte, et les membres, au sortir de cette assemblée, ont été en butte à des huées, à des outrages, à des injures.

Une telle situation est-elle acceptable, est-elle tolérable ?

Peut-elle se concilier avec nos libres institutions parlementaires ?

Je n'adresse aucun reproche à l'administration communale ; je crois qu'elle est animée de bonnes intentions. Je loue avec tout le monde le zèle dont ont fait preuve les agents de la force publique. Mais à côté des bonnes intentions de l'administration communale, il y a un fait incontestable, c'est qu'il y a eu insuffisance de moyens et qu'on n'a pas pu assurer le respect dû aux membres de la représentation nationale dans l'exercice de leur mandat.

Voilà, messieurs, la situation qu'il importe à tout le monde de faire cesser.

Lorsque j'entendais M. Guillery citer le nom de M. Gladstone, je ne pouvais oublier qu'il y a quelques jours à peine le premier ministre de (page 60) l'Angleterre rendait hommage à cette petite nation, modèle de l'Europe, si remarquable par le bon sens de ses populations et par l'admirable conduite de ses affaires.

M. Bouvier. - Et par son honnêteté.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Et c'est cette situation que nous nous plairions nous-mêmes à démolir ; nous désavouerions nous-mêmes l'hommage que nous adressait le premier ministre de la grande et libre Angleterre ! (Interruption.)

J'ai écrit ce matin une lettre à M. le bourgmestre de Bruxelles. Cette lettre transmettait les observations de M. le président de la Chambre, et j'ajoutais qu'il était à désirer qu'on prît des mesures pour empêcher les attroupements et pour assurer la liberté de la circulation dans la rue de la Loi.

Si je ne me trompe, M. le bourgmestre, tout à l'heure, n'a pas présenté exactement les choses sous le même aspect : il a cru que je demandais qu'on défendît la circulation dans la rue de la Loi. Cela n'est pas dans ma lettre.

M. Anspach. - Je demande la parole.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'en ai les termes sous les yeux ; je demande expressément, au contraire, que des mesures soient prises pour empêcher les attroupements et assurer la liberté de la circulation aux abords du Palais de la Nation et spécialement dans la rue de la Loi.

Les termes de ma lettre sont donc bien précis ; je demande que les membres de la Chambre puissent quitter l'enceinte du parlement sans être exposés à des outrages, sans traverser des attroupements ; en un mot, qu'ils n'aient plus rien à craindre.

Eh bien, cette situation, il importe de la faire cesser. Cela importe à l'honneur du pays tout entier, à l'honneur de la représentation nationale. Et je ne veux emprunter au discours de l'honorable M. Guillery qu'une seule phrase, celle dans laquelle il disait que nous sommes tous intéressés à maintenir la dignité du parlement et que, lorsqu'elle est atteinte dans un seul de nous, nous sommes tous frappés. (Interruption.)

(page 65) M. Bara. - M. Guillery a dit tantôt qu'il voulait faire respecter la dignité du parlement. Il a raison ; mais ce qui a compromis la dignité du parlement, ce ne sont point les émotions de la rue, mais les actes qui ont provoqué cette émotion.

Vous ne parlez, messieurs, que des attaques que vous avez essuyées sur la voie publique ; mais les honnêtes gens ont essuyé d'autres attaques dans leur cœur, dans leur conscience, dans leur honneur, quand ils ont vu appeler à la tête d'une province belge un homme qui sortait d'une société véreuse et scandaleuse ; ils ont été outragés dans ce qu'il y a de plus sacré chez l'homme, la conscience. (Interruption.)

Et c'est vous qui avez posé cet acte. C'est vous qui avez été les provocateurs, qui avez fait descendre le peuple de Bruxelles dans la rue. (Interruption.)

M. de Moerman d’Harlebeke. - Nous étions avertis.

M. Bara. - Vous étiez avertis, vous n'êtes que plus coupables, car cela prouve que vous pouviez éviter cet acte que tout le monde condamne et qui déshonore nos institutions. (Interruption.)

Comment voulez-vous que le peuple soit calme ? Comment voulez-vous que l'indignation ne bondisse pas quand on voit à la tête du ministère un ancien commissaire de l'Industriel, un homme qui, jusqu'en 1870, jusqu'à son entrée au ministère - j'en ai les preuves entre les mains - avait encore des relations avec Langrand, fugitif et latitant, et lui donnait des conseils ?

Voilà la honte que le pays doit subir, et si M. Gladstone connaissait tout cela, il ne dirait pas que nous sommes, en ce moment, le modèle de l'Europe ; il dirait, au contraire, que nous traversons une phase pénible et douloureuse pour une nation honnête. (Interruption.)

Voilà ce que j'ai à dire au pays, tant mon indignation est grande.

Oui, nous pouvons avoir des catholiques au pouvoir, nous pouvons avoir des radicaux, nous pouvons avoir des libéraux, mais nous ne voulons pas que jamais le sentiment de l'honneur et de l'honnêteté belge puisse être compromis.

Les manifestations publiques, je les regrette, mais elles sont votre œuvre, et l'expression des sentiments d'indignation qui agitent le pays.

Ces attaques de la rue, vous les avez provoquées. Ces attaques regrettables et déplorables pour le régime représentatif, c'est vous qui en êtes responsables devant l'opinion publique.

Si le régime parlementaire a subi un amoindrissement, c'est plus par ce qui se passe dans cette enceinte que par ce qui se passe au dehors. C'est sur vos têtes que la responsabilité en doit retomber. (Interruption.)

Je parle en homme profondément convaincu. Si nous ne nous arrêtons pas sur cette pente, nous sommes perdus.

Je demande la démission du ministère ; je dis qu'il est impossible que ce ministère reste au pouvoir. (Interruption.) Je dis que les affaires du pays ne peuvent être faites dans de pareilles conditions ; je dis que nous sommes amoindris ; je dis que toutes nos institutions sont violées, dans ce qu'elles ont d'honnête ; je dis qu'il n'y a qu'un seul moyen de sortir de cette situation, c'est la démission du cabinet. (Interruption.)

MfJ. - Je demande la parole.

M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.

(page 60) M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, si jamais l'indignation a été de mise dans un parlement, c'est après les paroles que M. Bara vient de prononcer. (Interruption.) Se faisant l'écho de l'émeute de la rue, il est venu demander la démission du ministère (Interruption.)

M. le président. - Je prie la Chambre de ne pas interrompre.

M. Jacobs, ministre des finances. - Et c'est au nom des honnêtes gens qu'on prétend parler !

- Voix à gauche. - Oui ! Oui !

M. Jacobs, ministre des finances. - L'attaque personnelle de M. Bara s'applique plus spécialement à l'honorable chef du cabinet, qui ne s'abaissera pas jusqu'il se défendre. (Interruption.)

M. de Moerman d’Harlebeke. - C'est un honnête homme !

M. Jacobs, ministre des finances. - Sa respectabilité incontestée est à l'abri de vos attaques.

Voila plus de seize mois que nous sommes à la tête des affaires et l'on n'a jamais osé prétendre jusqu'ici que le cabinet comptât dans son sein des hommes qui n'étaient pas dignes d'occuper le banc ministériel.

M. Bara. - Je l'ai dit dès le premier jour.

M. Jacobs, ministre des finances. - Vous n'avez pas osé le soutenir, et, vous succédant à vous, il n'y avait pas à descendre. (Interruption.)

- Voix à gauche. - A l'ordre ! A l'ordre !

M. Frère-Orban. - C'est une insolence !

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs...

- Voix à gauche. - A l'ordre !

M. le président. - Messieurs, les paroles que M. Bara avait prononcées tout à l'heure étaient excessivement vives. Je ne l'ai pas arrêté, parce que je comprends qu'il faut laisser beaucoup de liberté à la tribune.

M. Demeur. - La liberté de l'insulte ! (Interruption.)

M. le président. - Des membres échangent entre eux des interpellations qu'il nous est impossible d'entendre.

M. Guillery. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. - Vous avez la parole pour un rappel au règlement.

- Un membre. - M. le ministre n'a pas fini.

M. le président. - On peut avoir la parole pour un rappel au règlement, même au milieu du discours d'un orateur.

M. Guillery. - Noire règlement dit, et il était fort inutile de le dire, que toutes les insinuations malveillantes sont interdites. Il y a plus que cela dans les paroles de M. le ministre des finances. Il a dit que, succédant au dernier ministère, il n'y avait pas moyen de descendre. (Interruption.) Si M. le ministre des finances demande à s'expliquer, je lui céderai la parole. Je ne demande pas mieux que d'entendre des explications satisfaisantes.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je m'explique et je satisfais à la demande de l'honorable membre en précisant la pensée que j'ai exprimée devant cette Chambre. D'abord, je n'ai pas parlé d'un ministère ; je n'ai parlé que d'un homme, d'un homme qui venait, j'ai le droit de le dire, de nous traîner dans la boue ; je lui ai dit : Vous nous accusez d'être indignes d'être ministres ; le niveau moral du pouvoir n'a pas été abaissé lors de notre arrivée. (Interruption.)

- Des membres. - Ce n'est pas cela !

- D'autres membres. - Oui ! oui !

M. Jacobs, ministre des finances. - Voilà ce que j'ai dit et pensé. Quand nous vous avons succédé, le pouvoir ne s'est pas abaissé ; le pouvoir s'est relevé. (Interruption.)

- Des membres. - Oui ! oui !

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, vous me permettrez de croire qu'au milieu de l'animation et du bruit qui règnent dans cette Chambre, je suis mieux à même que ceux qui m'interrompent constamment d'indiquer mes paroles et ma pensée.

M. Guillery. - Permettez-moi de finir sur le rappel au règlement.

Si M. le ministre des finances retire ses paroles...

M. Jacobs, ministre des finances. - Non, je les explique.

M. Guillery. - ... je n'insiste pas. Mais s'il ne les retire pas, je demande formellement son rappel à l'ordre.

Je n'ai pas été un flatteur du précédent ministère. Mais autant que personne, avec le pays tout entier, j'ai toujours rendu hommage à sa parfaite honorabilité, et en particulier à l'honorable M. Bara, qui a été un modèle de travail et de persévérance.

Si M. le ministre des finances retire ses paroles, et il aura parfaitement raison, je retirerai ma demande de rappel à l'ordre.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je n'ai rien à retirer, j'ai précisé mes paroles et il me semble qu'après que M. Bara avait osé nous dire indignes d'être ministres, j'avais le droit de répondre : Moins indignes que vous.

Je reprends.

C'est après seize mois d'exercice du pouvoir qu'on s'aperçoit que le plus digne, je le dis hautement, d'entre nous, pour avoir été commissaire d'une société Langrand, et être resté jusqu'à telle époque en correspondance avec Langrand, est lui et ses collègues indigne d'être ministre !

Tout cela est puéril, tout cela ne se discute même pas ; et, quand on est le baron d'Anethan, on n'y répond pas.

M. Bara, se faisant l'écho des cris qui se poussent le soir devant nos portes, a réclamé la démission du ministère. Eh bien, je lui déclare très nettement qu'il ne l'aura pas.

Le ministère est arrivé par le jeu régulier de nos institutions ; le ministère ne. se retirera que lorsqu'il se trouvera en désaccord ou avec la Couronne, ou avec la Chambre, ou avec le corps électoral ; il ne se retirera pas parce qu'il est en désaccord avec une partie de la population de Bruxelles ou attirée à Bruxelles.

M. de Naeyer. - Voila votre pays !

M. Jacobs, ministre des finances. - Ce n'est pas le pays qui s'attroupe sur la place, ce n'est pas ce pays que nous représentons ; c'est une autre partie du pays : la partie du pays paisible, tranquille, ne descendant pas dans les rues, mille fois plus nombreuse que la foule qui entoure le Palais de la Nation ; nous représentons la majorité du pays.

- Un membre. - A Anvers !

M. Jacobs, ministre des finances. - A Anvers, comme à Bruxelles, comme partout, la majorité fait la loi à la minorité et elle n'en abuse pas.

Je me plais à le constater : jamais, à Anvers, il n'y a eu vitres brisées, désordre public, jamais il n'y a eu des faits approchant de ce qui s'est vu hier dans les rues de la capitale.

Certains membres prétendent que les manifestations qui ont eu lieu dans les rues de Bruxelles ont été provoquées par la conduite du parlement, par la conduite du gouvernement. Je déplore ce langage.

Ce prétexte, messieurs, n'a manqué à aucune émeute ; c'est celui de toutes les révolutions.

(page 61) Jamais émeutier n'a prétendu qu'il se soulevait sans droit, qu'une émeute n'était basée sur rien. Toujours on a dit : « C'est la majorité, c'est le gouvernement, c'est le roi qui en est cause ! » Cela s'est toujours dit en pareil cas, dans tous les pays parlementaires ou despotiques. Mais voilà ce que la représentation nationale ne peut dire.

Qu'il y ait eu ou qu'il n'y ait pas eu de faute de la part du gouvernement ; qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de faute de la part de la majorité ; qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas faute de la part de n'importe quelle autorité, il n'appartient à personne de se substituer aux pouvoirs publics.

Quand ceux de nos collègues qui nous combattent dans cette enceinte seront revenus à des sentiments plus calmes, ils diront avec nous qu'on ne peut plaider la provocation en faveur du désordre, de l'émeute, de la révolution, à moins de passer dans le parti de la révolution.

C'est le terrain sur lequel, au nom du gouvernement, je leur demande de se réunir.

Nous ne prétendons pas être infaillibles ; nous ne prétendons pas nous éterniser au pouvoir.

Mais notre droit et notre devoir est de ne quitter le pouvoir que par le jeu régulier de nos institutions ; surtout notre devoir est de ne pas l'abandonner en face du désordre de la rue et d'événements du genre de ceux dont nous avons été témoins.

- à droite. - Très bien ! Très bien !

M. Anspach. - Messieurs, on fait toujours, en pareilles circonstances, appel au droit, au jeu régulier de nos institutions.

Nous avons, à cet égard, prouvé des intentions qui ne sont suspectées par personne.

Mais il y a au fond de la question quelque chose que l'honorable ministre des finances n'a pas dit et qu'il est cependant convenable que le pays sache. Si maintenant il y a quelque part des révolutionnaires, ils se trouvent à droite. (Interruption.)

Je vais le prouver. (Interruption.) Oh ! je n'espère pas vous convaincre, mais je dirai néanmoins en quoi vous l'êtes.

L'essence de notre gouvernement représentatif est de pouvoir discuter librement toutes les questions qui se présentent, et il n'y en a pas de plus importante que celle qui était en discussion hier. Comment ! pendant trois semaines, vous avez discuté les affaires de Saint-Genois et nous ne pouvons pas discuter deux jours des questions qui touchent à l'honneur et à la dignité du pays ! Comment ! dans ce parlement où l'on doit s'occuper de toutes les affaires du pays, on nous ferme violemment la bouche ! Eh bien, je dis que ce n'est pas là le jeu régulier de nos institutions et que ceux qui se conduisent ainsi sont les véritables révolutionnaires, ceux qui mettent en danger la patrie tout entière.

Il se passe ici quelque chose de bien extraordinaire et que je veux aussi signaler à la Chambre. Dans la motion que j'ai faite tantôt, je me plaignais de ce qu'on eût injustement attaqué l'administration communale de Bruxelles.

En réponse à cette motion, M. le président déclare qu'il ne blâme pas l'administration communale de Bruxelles, et M. Dumortier reconnaît que la police et l'administration communale de Bruxelles se sont admirablement conduites. Seulement ; on ajoute quelque chose. : L'administration communale de Bruxelles a fait, il est vrai, tout ce qu'elle a pu, la police également. Ce qui n'empêche pas qu'on a insulté les membres de la représentation nationale.

Il y a de l'émotion dans la rue. Cela est fâcheux.

Oui, cela est fâcheux ; mais savez-vous ce que l'on voudrait ? On voudrait quelque chose de plus, on voudrait bien désarmer la police de Bruxelles, mettre complètement de côté l'autorité locale et faire appel à l'armée. (Interruption.) Voilà ce que l'on cherche.

Lorsque nous parlions de la moralité publique outragée, lorsque nous disions : Il est de ces émotions auxquelles les citoyens honnêtes de Belgique s'abandonnent, l'honorable ministre des finances a prononcé un mot que j'ai entendu, et ce mot c'est : On les comprimera.

Ah ! vous vous êtes dit : Nous ne sommes pas, comme M. De Decker, en 1857, et nous ne reculerons pas devant l'émeute. Nous allons la comprimer immédiatement. On hésite, parce qu'on sait qu'il est impossible d'accuser l'administration communale de Bruxelles de ne pas prendre toutes les mesures nécessaires au maintien de l'ordre public. Mais ce qu'on veut, ce qu'on veut depuis trois jours, c'est recourir aux moyens extrêmes. On voudrait immédiatement arriver à cette mauvaise chose de mettre les soldats dans la rue.

Eh bien, messieurs les ministres, laissez-moi vous donner un conseil bien désintéressé, car je ne désire pas que vous restiez au pouvoir ; je ne crois pas que vous fassiez les affaires du pays, je ne croîs pas qu’il soit heureux pour la nation que vous soyez à sa tête. Ce conseil, c'est de ne point désarmer la police de Bruxelles ; c'est de ne pas renvoyer les soldats citoyens dans leurs foyers. Ne dites pas que la garde civique est impuissante à concourir à la défense de la Chambre, qui, du reste, n'est pas sérieusement menacée ; ne faites pas appel maintenant à l'autorité militaire, parce que vous prendriez une mesure bien grave et bien dangereuse, plus grave, peut-être encore, que l'abominable nomination que vous ayez faite.

(page 65) M. Nothomb. - Je ne veux pas rester un instant, pour moi ni pour mes amis absents, sous le poids des quelques paroles que je viens d'entendre de la bouche de M. Bara. Qu'il me soit permis d'abord de signaler la singulière position que l'on prend ici vis-à-vis de moi et de faire appel à la bonne foi, à la loyauté, à l'honneur des hommes qui forment l'opposition que j'ai devant moi.

Comment, messieurs, je suis exposé moi et mes amis aux suspicions les plus injustes ! J'ai entendu avant-hier M. Bara appeler sur nous le courroux céleste et la main de la justice ! On sait ce qu'il veut dire par là !

Et que fait-on maintenant ? On reprend, on accentue les insinuations délatrices ; on nous verse un flot d'injures indirectes ; on nous accable d'invectives ; et cela quand je suis menacé (puisqu'il faut bien que je parle de moi, - je ne l'eusse point fait sans cet incident), quand ma liberté est menacée dans les rues, dans mon foyer, quand je suis inquiété dans ma personne et quand ma sécurité même n'est pas assurée. (Interruption.) Oh ! il n'est pas possible que vous, qui êtes des hommes de cœur, vous puissiez vous associer à de pareilles indignités et laisser appeler sur un homme seul, désarmé, la fureur aveugle de cette foule qui vocifère dans la rue.

Oui, je suis menacé ; oui, j'ai été hier, en sortant par la grande porte, quoi qu'on en ait dit, celle par laquelle je suis toujours jusqu'aujourd'hui entré et sorti, j'ai été sérieusement menacé ; j'ai été probablement sur le point d'être maltraité. J'ai été protégé par quelques hommes que je remercie profondément, entre autres par deux de MM. les employés de la bibliothèque de la Chambre et par M. de Borchgrave, secrétaire de M. le baron d'Anethan. J'allais être saisi et j'étais sans armes, sans aucune espèce de moyen de défense, fatigué d'avoir parlé deux heures devant vous, et, je l'avoue, j'ai trouvé, grâce à eux, un refuge à l'hôtel du ministère des affaires étrangères.

Ce n'est pas tout : j'ai été assailli jusque dans ma propre demeure. Ils sont venus à onze heures, peut-être deux cents, que sais-je ! contre un seul homme ; ils sont venus briser les carreaux de mes fenêtres et ils ont essayé de forcer la porte d'entrée. Je n'en eusse rien dit ; on m'y oblige et je vous le prouve en lisant ce que ce matin même j'ai écrit au chef de l'administration locale.

M. Anspach. - Vous reconnaîtrez que la police de Bruxelles vous a protégé.

M. Nothomb. - Je ne parle pas de la police de Bruxelles. (Interruption.)

Je parle des faits à ma connaissance et je dis que devant l'hôtel du ministère des affaires étrangères j'ai été surtout protégé par quelques hommes à qui j'exprime ici toute ma reconnaissance.

J'ai été préservé de je ne sais quels mauvais traitements par ces hommes courageux que je remercie profondément.

Si votre police m'a protégé, je l'ignore ; elle n'aurait fait que son devoir et je ne lui dois pas de reconnaissance.

M. Anspach. - Elle ne vous demande pas de reconnaissance.

M. Nothomb. - Je ne sache pas que la police demande de la reconnaissance lorsqu'elle empêche un homme isolé d'être maltraité, et quand des particuliers, l'ont préservé...

- Une voix à gauche. - C'est bien de faire son devoir.

M. Nothomb. - Voici ce que j'ai écrit ce matin à l'honorable bourgmestre d'Ixelles :

« M. le bourgmestre,

« Cette nuit, vers onze heures, une bande d'individus est venue vociférer devant ma demeure et a cassé, à coups de pierres, des carreaux de trois fenêtres. J'ai l'honneur de vous prier de faire constater ce dégât. Ce n'est pas que j'y attache grande importance ; ce n'est qu'une polissonnerie et une lâcheté et une affaire de vitrier. S'il n'y avait que cela, je n'aurais rien dit et j'aurais payé, en silence, les frais de ce glorieux exploit. Mais ceci devient plus grave ; ma servante déclare (j'avoue que, fatigué de la journée, je dormais) que plusieurs individus ont essayé, à diverses reprises, de forcer la porte d'entrée, entremettant leur tentative de paroles de menace telles que : « Nous l'aurons cependant », etc.

« J'ai cru de mon devoir de vous faire connaître cette circonstance, parce que je suis résolu à repousser énergiquement, n'importent les conséquences, quiconque passerait de nuit, violemment, le seuil de ma porte, et d'avance je décline la responsabilité morale de tout malheur qui pourrait arriver.

« Agréez, M. le bourgmestre, etc.

« Vendredi matin, 9 h., 24 novembre 1871. »

M. Couvreur. - C'est comme chez Victor Hugo.

M. Nothomb. - J'entends que l'on parle de M. Victor Hugo.

(page 66) Si M. Victor Hugo a été l'objet d'attaques, il avait le droit de se défendre comme je le fais. (Interruption.)

J'ajoute que M. le bourgmestre d'Ixelles s'est immédiatement rendu chez moi et a constaté les faits ; il m'a promis de prendre toutes les mesures que ma sécurité pourrait exiger.

Je sais d'avance qu'il fera son devoir et que je puis compter sur sa protection énergique, et de cela je le remercie.

Voilà, messieurs, quelle est ma position personnelle, et c'est dans ce moment que je vois se déployer ici, contre moi, objet de ces violences et de ces excès, que j'entends raviver contre moi toutes ces iniques accusations, que l'on ne recule pas à ameuter contre moi la vengeance des rues en reproduisant, envenimée, cette généreuse invocation que vous savez !

Je livre cette conduite à l'opinion publique et je la livre à vous-mêmes, messieurs de la gauche, lorsque, revenus de votre exaltation du moment, vous contemplerez, en hommes d'honneur que vous êtes, la situation que l'on fait à un homme isolé.

M. Bara ajoutait tantôt : Mais c'est le peuple qui descend dans la rue ; c'est lui qui est là, c'est lui qui demande justice ! Eh, messieurs, j'ai vu aussi cette foule : je l'ai entendue crier, menacer ; je ne me courbe pas devant elle ; je ne la brave pas et je passe mon chemin.

Eh bien, dans cette foule, qu'ai-je donc vu ? Mais j'ai vu des collégiens qui feraient mieux d'apprendre l'orthographe ; j'ai vu des fruits secs des universités ; j'ai vu des piliers d'estaminet, ce type bien connu, à chapeau déformé et à bottes éculées, et de ces hommes déclassés qu'on retrouve dans tous les tumultes.

M. Bara. - Ils n'ont pas touché de dividendes, eux !

M. Nothomb. - Voilà ce que j'ai vu. Mais le peuple, je ne l'ai pas vu ; il ne viendra pas. Ah ! ce peuple pour lequel nous demandons des droits que vous lui refusez, ce peuple, dont M. Bara disait, dans une circonstance mémorable, qu'il constituait la partie la moins estimable de la société...

M. Bara. - Je n'ai jamais dit cela.

Je demande la parole pour un rappel au règlement, qui dit qu'un membre de la Chambre ne peut pas imputer à un collègue des paroles qui sont complètement inexactes. Or, M. Nothomb sait très bien que je n'ai pas prononcé les paroles qu'il vient de m'attribuer, puisque le point auquel il vient de faire allusion a fait l'objet d'un débat dans cette Chambre.

M. Nothomb. - Je cite de mémoire. J'en appelle au souvenir de l'assemblée ; à propos de la discussion de la réforme électorale, vous avez qualifié d'une manière injurieuse une classe de la population et si vous n'avez pas dit que c'était la partie la moins estimable, vous avez tout au moins dit : la moins respectable de la population.

M. Bara. - Je demande la parole. (Interruption.) M. Nothomb n'a pas le droit de m'attribuer des paroles que je n'ai pas prononcées, comme cela est constaté par les Annales parlementaires. (Interruption.) Ah ! les Annales parlementaires ne font pas foi ! Mais alors vous pourrez inventer dans vos journaux n'importe quelles attaques contre moi et puis vous viendrez dire après que cela a été dit !

M. Nothomb. - Messieurs, quoique M. Bara prétende et s'en défende, je déclare et j'affirme que, même dans les Annales parlementaires, on trouverait, à cet endroit-là, une appréciation sévère et, selon moi, injuste de cette partie de la population ; appréciation tellement outrageante que des membres de la minorité se sont récriés avec une extrême énergie, et que lès journaux de cette opinion se sont soulevés, c'est le mot, contre le langage que vous avez tenu. Osez donc niez cela !

Je n'ai pas sous les yeux ces journaux ; mais si je les avais, je vous montrerais combien cette espèce de flétrissure imprimée à une partie de la population a excité une grande et légitime indignation. Et si j'avais sous la main le compte rendu de cette séance des journaux libéraux, nous verrions qui serait confondu.

Eh bien, le peuple, le vrai peuple ne répondra pas à votre appel. C'est plutôt à notre appel à nous, catholiques démocrates, que, s'il le fallait, viendrait le peuple, le vrai peuple, celui qui travaille dans l'industrie, qui laboure les champs, qui défend le pays dans l'armée !

(erratum, page 90) M. Guillery. - Consultons-le.

M. Nothomb. - Ce qu'on veut de moi, je le sens bien, je le vois bien, c'est une insulte, c'est une violence de langage ou autre chose. Eh bien, j'éviterai ce piège, il est trop visible, on n'aura ni l'une ni l'autre chose. Je saurai rester calme, quoi qu'il en coûte, et j'attends d'autres temps. Mais je n'insulte personne par voie indirecte. Je ne fouille pas dans les lettres confidentielles. Je n'espionne pas la pensée d'un adversaire. Je ne fais pas ce joli métier-là ! Non ; mais quand il m'arrive de m'en prendre à un homme, je le fais directement, en face, au grand jour, n'empruntant mon attaque à personne.

Oui, il est des occasions, où un malheur de la vie, où poussé à bout, surexcité, sous le poids d'injustes persécutions, on est poussé par une sorte de fatalité, pour défendre son honneur, à la provocation envers un homme qu'on estime cependant. On a été trop prompt, on le regrette parfois, mais la parole est sortie, elle reste et que fait-on alors ? On offre sa poitrine à cet homme-là... à lui de viser juste... Mais on ne s'embusque pas derrière un dossier et des lettres intimes pour insulter les gens.

On est envers moi sans ménagements, je n'en dois pas non plus à mon adversaire, je ne lui dois que la vérité. Eh bien, je vais la dire à M. Bara : Le vrai mobile de votre conduite dans cette affaire, le seul, c'est un mobile politique, vous ne parvenez pas assez à le cacher ; ce qui vous enflamme contre nous, c'est l'ambition déçue, c'est l'orgueil blessé ; vous n'étiez pas digne de votre fortune politique, car vous supportez mal l'adversité politique et la chute du pouvoir.

Supporterez-vous mieux les malheurs privés qui ne vous épargneront pas un jour, je vous le prédis ?

Oui, c'est la soif du pouvoir perdu qui vous guide dans la guerre inqualifiable que vous faites au ministère ! Ah ! vous vous êtes cru immuable, immortel au pouvoir !

Insensé ! vous avez cru que le pouvoir vous appartenait à jamais, vous avez cru intimider, terroriser le pays par des mesures, par des destitutions illégales et scandaleuses, vous avez frappé des magistrats respectables, protégés par un passé sans tache et cela parce qu'ils ne cédaient pas, parce qu'ils résistaient à vos haines et à vos rancunes politiques ; vous avez frappé M. de Bavay, cet homme qui quarante ans avait honoré son siège, tout comme hier vous avez jeté ici l'insulte à la face d'un autre procureur général irréprochable que votre colère ne peut atteindre autrement !

Eh bien, c'est contre ce terrorisme que le pays s'est soulevé. Il vous a brisé et vous aurez beau faire, beau jeter vers ce portefeuille un regard mélancolique, vous ne l'aurez plus ; vous resterez condamné ; vous avez péri par votre régime de violence, entraînant votre parti avec vous. C'est vous, qui êtes le véritable père du ministère, c'est votre punition. Sans vous, ce ministère n'existerait pas, et c'est de vous qu'on doit répéter une parole dite prématurément autrefois : C'est vous qui avez été le mauvais génie du libéralisme.

M. Bara. - Messieurs, la position de M. Nothomb est très délicate. Je lui dirai simplement : Si vous n'avez rien à vous reprocher, si tout a été bien dans les affaires Langrand, vous avez un moyen de faire immédiatement la lumière. Vous avez vos amis au pouvoir. Adressez-vous à votre collègue, M. le ministre de la justice, et demandez-lui de prier M. le procureur général de publier toutes les pièces du dossier, ou même seulement dix lettres que vous me laisserez choisir. Si vous osez faire cela, je me tairai et je renoncerai à vous attaquer. (Interruption.)

Mais j'ai aussi entre les mains contre vous d'autres preuves, des preuves que la justice n'a pas et qui sont absolument contraires à ce que vous avez dit hier.

La vérité sur les affaires Langrand est faite, le pays sait à quoi s'en tenir, mais la vérité se fera plus complètement encore. Pourquoi n'avez-vous pas demandé à la justice la suppression de ce que les curateurs ont avancé, à savoir que lorsqu'on a fait la fusion de l'International et de l'Hypothécaire, lorsqu'on s'est attribué et partagé six millions, on savait que l'Hypothécaire était une affaire ruinée ? Une affaire ruinée, messieurs, et on la vend à soi-même pour compte d'actionnaires avec six millions de bénéfice qu'on se partage !

Voilà les faits ; ce ne sont pas seulement les curateurs qui les font connaître ; mais Langrand le dit lui-même, il accuse vos appétits dévorants ; l'un de vos amis, M. Brasseur, le dit aussi ; il dit que tous les tripots, tous les scandales ont été commis à l'Industriel, dont vous étiez du conseil de surveillance et dont le chef du cabinet, M. d'Anethan, était commissaire.

Qu'avez-vous répondu ? Nous avions, avez-vous dit, un magnifique coup à faire, Kaschau-Oderberg.

Voilà jusqu'à cruel point on descend, c'est là ce qui doit restaurer une institution financière. Une concession de chemin de fer, une faveur gouvernementale, voilà votre salut pour vous qui annonciez des affaires sérieuses en dehors de toute spéculation, des affaires foncières.

Messieurs, ce que l'on a fait auprès du gouvernement autrichien, auprès de l'empereur d'Autriche, est inouï. On a usé à l'égard de ce souverain du chantage le plus éhonté, comme le prouvent les pièces du dossier Langrand ; c'est incroyable !...

M. le président. -Vous recommencez...

- Des membres à gauche. - Laissez donc parler.

(page 67) M. le président. - Permettez, vous ne savez pas même ce que j'allais dire ; je voulais exprimer le désir de ne pas voir se renouveler le débat d'hier.

M. Bara. - Vous faites votre devoir, M. le président, et je rends hommage à votre énergie.

Mais on n'étouffe pas un débat de ce genre, et on ne l'étouffera jamais ; on aura beau le clore par des coups de majorité, il renaîtra constamment de ses cendres, c'est la robe de Nessus qui se trouve sur les épaules du ministère et qui y restera jusqu'à sa disparition du pouvoir. (Interruption.)

Quant à votre désir, je suis obligé de m'y conformer, mais sur le point que je traite, j'ai le droit de répondre, parce que M. Nothomb a fait entendre des récriminations qui ne sont pas fondées. Je l'ai ménagé énormément ; j'ai borné mon interpellation à M. De Decker et je ne me suis pas occupé du dossier de M. Nothomb ; ce dossier est encore intact. (Interruption.)

Il est évident que quand je m'occupais des affaires de l'Industriel et de l'International, j'étais forcément obligé d'atteindre M. Nothomb en parlant de M. De Decker. Mais c'était la nécessité dans laquelle le gouvernement m'a placé en nommant M. De Decker. Est-ce moi qui ai provoqué ce débat ? Vous dites, M. Nothomb, que je soulève la foule contre vous ; mais pourquoi ne vous êtes-vous pas levé pour blâmer la nomination de M. De Decker ? Pourquoi êtes-vous encore dans cette Chambre, et n'avez-vous pas donné votre démission ?

Je le répète, qui vous oblige à rester dans cette Chambre, qui obligeait M. De Decker à accepter des fonctions de gouverneur ? Quand on a fait des affaires, ne fussent-elles que malheureuses, est-ce qu'on s'expose à l'évidence, est-ce qu'on prétend commander, est-ce qu'on vient dire aux honnêtes gens de la majorité, comme vous venez de le dire : Jamais vous ne reverrez le pouvoir ; est-ce qu'on prend ce ton d'arrogance, de commandement ?

Le pouvoir, que d'après vous je regrette, je ne l’ambitionne pas. Vous croyez m'atteindre en prétendant que c'est le désir de le recouvrer qui est le mobile de ma conduite. Vous usez d'une tactique qu'explique votre position. La Chambre et le pays savent que lorsque l'ancien ministère était en pleine puissance, que la majorité libérale était considérable, j'ai à plusieurs reprises voulu quitter le ministère, et que je n'y suis resté que sur les instances de mes amis.

Vous sortez des affaires Langrand, M. Nothomb, amoindri tout au moins, avec un cortège de victimes nombreuses et vous nous dites que le peuple, le vrai peuple, va vous acclamer et vous porter en triomphe.

Je ne sais comment vous comprenez la moralité du pays..

De pauvres gens, vos victimes, m'écrivent tous les jours. Hier encore l'une d'elles m'écrivait : Que l'on nous donne au moins un secours ; je vais être mis en faillite ; demandez à la Chambre que l'on avance quelque chose pour les porteurs de lettres de gage de Langrand. (Interruption.)

Et vous, vous allez monter au Capitole ! Du moins, vous l’annoncer.

Est-ce le moment de faire le fort, le fier, l'arrogant, de commander à la Chambre, de dire à certaines parties de la population que vous les méprisez, qu'elles portent des chapeaux défoncés et des bottes éculées, et de prédire à vos collègues de la gauche qu'ils ne reverront plus le pouvoir ?

Vous injuriez le pays, vous le supposez donc corrompu et incapable de se relever ! (Interruption.)

J'appelle sur votre conduite l'attention publique ; elle ne prouve pas en faveur de vos sentiments ; elle n'atteste pas même les regrets que, par convenance, les affaires Langrand devraient vous faire exprimer. Une conduite plus humble et plus modeste, une obscurité complète, voilà ce qui vous convient. (Interruption.)

Je n'ai qu'un mot à répondre au ministère, mais je veux avant faire une courte réponse à une attaque que M. Nothomb a lancée contre moi. Il a prétendu que j'avais insulté le peuple. Je n'ai jamais insulté le peuple. J'ai toujours aimé et respecté le peuple ; j'ai fait pour lui ce que j'ai cru le plus convenable à ses intérêts ; je ne l'ai pas flatté ; j'ai cherché seulement à le servir.

Lorsque vous dites que j'ai dit du mal d'une partie du peuple, vous dites le contraire de la vérité et vous dénaturez les Annales parlementaires.

Dans la discussion de la loi électorale, j'ai repoussé un article du projet de loi qui donnait le droit de vote même aux habitants des bataillons carrés, le ministère lui-même est venu retirer cette partie de la loi.

A ce sujet, j'ai dit que ces bataillons carrés contenaient la partie du peuple la moins éclairée, la moins apte à l'exercice des droits électoraux. Je ne l'ai pas insultée par ce langage, qui est vrai et que personne ne pourrait contester.

Je n'ai donc pas dit les paroles que vous m'avez attribuées.

Un mot maintenant au ministère qui s'imagine que je demande sa démission à cause des émotions de la rue. Il se trompe : c'est à cause des faits qui sont maintenant révélés et qui sont dans le domaine public.

L'émotion de la rue n'est qu'un effet. La cause, ce sont les actes des sociétés Langrand et les actes du ministère. Je dis qu'il est impossible à un cabinet dont le chef a été commissaire de l'Industriel et a été vivement attaqué au sujet de cette affaire dans des assemblées publiques par ses propres amis, et dont l'un des membres a été conseiller de l'Agricole, je dis qu'il est impossible, à un pareil cabinet de rester utilement au pouvoir, indépendamment des émotions de la rue.

Je persiste à croire que votre retraite est indispensable à la dignité du pouvoir et à l'intérêt du pays. Et, au nom du pays, je vous ai demandé votre démission volontaire. (Interruption.)

Ah ! je sais parfaitement bien que vous ne la donnerez pas. Vous ne rendrez pas vos portefeuilles. Je sais parfaitement bien que ce n'est pas à d'anciens administrateurs des sociétés Langrand qu'il faut demander de rendre quelque chose (interruption) : ils ne rendent que quand la main de la justice les y contraint. (Interruption.) Mais vous rendrez compte à la justice électorale. Les portefeuilles que vous ne voulez pas déposer, le corps électoral vous les reprendra. (Interruption.)

M. de Moerman d’Harlebeke. - Nous vous y attendons.

- Personne ne demandant plus la parole, l'incident est clos.

Projet de loi portant le budget des dotations pour l’exercice 1872

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Liste civile et dotation au comte de Flandre

Article premier

« Art. 1er. Liste civile (fixée en vertu de l'article 77 de la Constitution par la loi du 25 décembre 1865) : fr. 3,300,000. »

- Adopté.


Article 2

« Art. 2. Dotation de S. A. R. le Comte de Flandre : fr. 200,000. »

M. Demeur. - Je prends la parole à propos de ce crédit de 200,000 francs qui nous est demandé pour la dotation de S. A. R. le Comte de Flandre.

Depuis environ quinze ans, la Chambre vote sans observation cette dotation. C'est la première fois que je suis appelé à exprimer mon opinion ; je veux donner les motifs de mon vote.

Ce vote, messieurs, sera négatif. La dotation ne peut se justifier par aucun motif. Il n'y a aucun motif pour prendre chaque année dans le trésor public une somme de 200,000 francs et les donner à S. A. R. le Comte de Flandre.

J'ai cru trouver la raison de cette dotation dans edes motifs du projet de loi qui l'a établie. Or, l'exposé des motifs n'en dit absolument rien.

Lorsque le budget des dotations s'est présenté en sections, je me suis adressé à mes honorables collègues ; je leur ai demandé pourquoi on donne chaque année 200,000 francs à S. A. R. le Comte de Flandre.

Aucun d'eux n'a pu me fournir d'explication.

Le procès-verbal de la section constate qu'un autre membre déclarait aussi que cette dotation ne peut se justifier par aucun motif.

J'ai espéré trouver des renseignements à cet égard dans le rapport de la section centrale. Ce rapport est muet, et je dois dire que je comprends son silence quand je vois la signature du rapporteur, car c'est lui-même qui a déclaré, dans ma section que cette dotation ne peut se justifier.

Lorsque je suis appelé à voter une dépense, je ne puis m'empêcher, messieurs, de me rappeler que le trésor n'y subvient qu'en faisant des prélèvements sur le nécessaire d'un grand nombre de nos concitoyens.

Tout récemment, à l'occasion du budget des voies et moyens, un honorable membre exprimait le regret que les grains et les farines soient encore imposés aujourd'hui d'une façon assez notable à la douane.

L'honorable ministre des finances constatait que ces aliments nécessaires à tous sont imposés de manière à produire chaque année au trésor une somme de 1,900,000 francs. Il disait qu'il était impossible que le trésor public se passât de ce revenu, à raison des obligations financières qui pèsent sur lui.

Voici, messieurs, une de ces obligations financières, nous la créons chaque année volontairement.

Dans la dernière séance de la précédente, session, vous avez encore voté une dépense analogue, absolument superflue.

Vous avez voté une somme de 700,000 francs pour faire des travaux au palais du Roi. Voilà déjà ensemble 900,000 francs. Eh bien, avec un peu de bonne volonté on arriverait sans peine, je pense, à économiser la somme de 1,900,000 francs que M. le ministre, des finances ne trouve pas pour dégrever des droits de douane le pain et la farine.

Quant à moi, messieurs, je dois le dire, ma conscience me défend de prendre sur le nécessaire de la masse, ces sommes considérables pour les consacrer à des dépenses superflues.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, le gouvernement se préoccupe autant que l'honorable membre des classes malheureuses, mais il doit se préoccuper de toutes les classes, de toutes les positions.

Nous avons en Belgique de grands pouvoirs ; il importe que ces pouvoirs soient convenablement installés ; de même qu'on n'a pas reculé devant la dépense très considérable faite pour le palais de justice de Bruxelles, parce qu'il s'agissait d'y installer le pouvoir judiciaire, de même (page 62) ne faut-il pas hésiter davantage devant les dépenses à faire au palais du Roi pour y installer convenablement le chef du pouvoir exécutif.

Passant des choses aux personnes, je constate qu'on a toujours reconnu que le Roi et les princes de la famille royale devaient occuper un rang dans le monde, le premier rang dans leur pays ; il ne serait pas convenable de voir des membres de la famille royale ne pas occuper ce rang, et l'on ne peut supposer que les rois et les princes des familles royales trouveront, dans leur fortune personnelle, de quoi occuper ce rang. De là est sortie une institution qui existe partout : la liste civile. La liste civile existe, dans tous les pays et a existé de tout temps.

Pour les princes de la famille royale, deux systèmes sont possibles : ou bien on peut fixer la liste civile de façon que le Roi puisse prélever sur un chiffre global de quoi doter convenablement les autres princes de la famille royale ; ou bien l'on peut fixer des listes civiles séparées et pour le Roi et pour son frère, le Comte de Flandre. On a jugé préférable en Belgique d'établir des dotations distinctes.

Cela a été ainsi jugé utile pour le Roi par les auteurs de la Constitution, le Congrès, et, depuis longtemps, par les Chambres pour le Comte de Flandre. Lors du mariage de ce prince, les Chambres ont jugé unanimement, je pense, qu'il y avait lieu d'augmenter cette dotation qui, à cette époque, a été portée à 200,000 francs.

M. Guillery. - Pas unanimement.

M. Jacobs, ministre des finances. - Mes souvenirs ne sont pas précis à cet égard.

- Un membre. - A deux voix près.

M. Jacobs, ministre des finances. - On me dit : à deux voix près ; donc à la presque unanimité.

Messieurs, il y a ici une question de principe. Généralement on tient et jusqu'à présent presque tout le monde a tenu en Belgique à ce que le Roi et les princes de la famille royale aient une position sociale apparente en rapport avec le rang qu'ils occupent dans la société. Pour cela, il faut recourir au système des dotations.

La Chambre n'est pas à la veille de se déjuger.

Je comprends que l'honorable M. Demeur, se plaçant au point de vue des classes laborieuses, se préoccupe de leur sort ; j'unirai mes efforts aux siens pour améliorer leur condition sans qu'on doive toucher, ni à la liste civile, ni à l'apanage du Comte de Flandre.

M. Defuisseaux. - Je tiens également à motiver mon vote et à répondre quelques mots à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances nous dit que les princes et les rois doivent tenir un certain rang ; que, pour tenir ce certain rang, les peuples doivent leur donner des sommes considérables.

La question est de savoir où doit commencer et où doit s'arrêter notre générosité et je pense que ces libéralités envers le Comte de Flandre qui, tout le monde le sait, a une fortune considérable, sont parfaitement inutiles.

Je sais que les dépenses, que l'on dit excessives, auxquelles se livre la Cour enrichissent le commerce, que la générosité très connue de toute la famille, royale de Belgique est très appréciée par le commerce et les habitants de Bruxelles. Mais je ne crois pas qu'il soit nécessaire, pour exciter cette générosité, de donner au Comte de Flandre une dotation de 200,000 francs.

Les objections de M. le ministre ne sont donc pas sérieuses et j'émettrai avec conviction un vote négatif sur le crédit demandé.

- L'article est mis aux voix par appel nominal et adopté par 69 voix contre 7.

Ont voté l'adoption :

MM. De Lehaye, de Macar, de Moerman d'Harlebeke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Dumortier, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hayez, Hermant, Jacobs, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Mascart, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Simonis, Snoy, Tcek, Tesch, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Verwilghen, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Biebuyck, Bouvier-Evenepoel, Cornesse, d'Andrimont, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delcour et Thibaut.

Ont voté le rejet :

MM. Demeur, Guillery, Houtart, Lescarts, Bergé, Coremans et Defuisseaux.

Chapitre II. Sénat

Article 3

« Art. 3. Sénat : fr. 50,000.

« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Chambre des représentants

Article 4

« Art. 4. Chambre des représentants : fr. 653,778 25. »

- Adopté.

Chapitre IV. Cour des comptes

Article 5 à 8

« Art. 5. Traitement des membres de la cour : fr. 70,750. »

- Adopté.


« Art. 6. Traitement du personnel des bureaux : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 7. Matériel et dépenses diverses : fr. 16,900. »

- Adopté.


« Art. 8. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 1,200. »

- Adopté.

Vote de l’article unique

« Article unique. Le budget des dotations est fixé, pour l'exercice 1872, à la somme de 4,399,597 fr. 25 c, conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le président. - Avant de procéder à l'appel nominal sur le budget des dotations, je propose à la Chambre de fixer l'ordre du jour de la prochaine séance.

- Des membres. - A mardi !

M. le président. - Le premier objet à l'ordre du jour est le projet de loi sur les servitudes militaires.

M. Bouvier. - Messieurs, le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre nous étant parvenu, il me semble que ce que nous avons à discuter en premier lieu, ce sont les budgets ; cela est d'autant plus nécessaire que nous aurons plusieurs questions de principe à soulever au point de vue de l'organisation militaire.

Je propose, en conséquence, de mettre comme premier objet de notre ordre du jour de mardi prochain le budget de la guerre. (Adhésion.)

M. Demeur. - Messieurs, la question a déjà été posée une première fois, et la Chambre a décidé que le code de commerce serait discuté avant le budget de la guerre. Qu'on ne discute pas en une fois tous les articles du code de commerce, soit ; mais si nous ne l'entamons pas, il restera éternellement à l'ordre du jour. Je demande donc que la décision de la Chambre soit maintenue, et que nous abordions le code de commerce avant le budget de la guerre.

M. Sainctelette. - Messieurs, je désire signaler à la Chambre cette circonstance essentielle, que la plupart des documents qui constituent les travaux préparatoires du code de commerce, font défaut. Ainsi, la bibliothèque a été dans l'impossibilité de me procurer un document relatif aux lettres de change. Ainsi encore la loi allemande sur les lettres de change qui a une grande importance, n'a pas été traduite.

Il est impossible d'aborder la discussion du code de commerce, et surtout de certains titres, avant que la commission ait pu se réunir et ordonner la réimpression de certains documents.

M. Bouvier. - Messieurs, je partage l'avis de l'honorable M. Sainctelette de faire réimprimer les pièces qui sont indispensables tant aux membres de la commission qu'aux membres de la Chambre, qui ont rapport aux divers titres du code de commerce.

Je crois qu'il est indispensable de les discuter dans le plus bref délai ; les intérêts commerciaux le réclament avec insistance. Depuis longtemps la révision du code de commerce est inscrite à notre ordre du jour, mais je pense que les budgets doivent avoir la priorité si nous ne voulons recourir aux crédits provisoires,

Comme je le disais tantôt, il y a des questions de principe qui seront discutées à l'occasion du budget de. la guerre ; nous devons savoir si, oui ou non, nous aurons le service militaire obligatoire, si le remplacement et la substitution ne feront plus partie de nos lois militaires. Ce sont de graves questions, qu'il importe d'autant plus de discuter prochainement que nous aurons forcément une courte session, des élections devant avoir lieu au mois de juin et peut-être plus prochainement.

Je demande donc que le budget de la guerre soit porté en tête de l'ordre du jour de mardi prochain.

M. Pirmez. - Je crois que le code de commerce doit être voté dans un bref délai et, la semaine dernière, j'avais même fait une proposition dans ce sens ; si elle eût été adoptée, ce code serait peut-être aujourd'hui voté, (page 63) Mais quelque urgence qu'il y ait à le mettre en discussion, il est plus urgent encore de voter les budgets ; la chose essentielle est d'assurer la marche des services publics.

Je voudrais cependant signaler à M. le ministre de la justice cette circonstance qui permettrait de faire droit à l'observation de M. Sainctelette ; je crois que le département de la justice a fait faire au Moniteur des tirés à part des rapports sur le code de commerce ; s'il en conservait quelques exemplaires, ne pourrait-il pas les faire distribuer ? Il n'en faudrait qu'un nombre très restreint.

Il ne faut pas se dissimuler que si les rapports doivent être réimprimés, le code de commerce ne pourra pas être discuté dans la session actuelle.

M. Cornesse, ministre de la justice. - J'examinerai s'il y a moyen de faire droit à l'observation de M. Pirmez et il y sera satisfait si la chose est possible. :

M. le président. - La Chambre paraît d’accord pour ne pas tenir séance demain. (Adhésion.)

Projet de loi portant le budget des dotations pour l’exercice 1872

Vote sur l’ensemble

Nous passons à l'appel nominal sur l'ensemble du budget des dotations.

72 membres prennent part au vote.

71 répondent oui.

1 dit non.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Ont répondu oui :

MM. De Lehaye, de Macar, de Moerman d'Harlebeke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Theux, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lescarts, Mascart, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Verbrugghen, Vermeire, Verwilghen, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Biebuyck, Bouvier-Evenepoel, Coremans, Cornesse, d'Andrimont, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Kerckhove» Delaet, Delcour et Thibaut.

A répondu non :

M. Defuisseaux.

Motion d’ordre relative à la non-livraison de charbon par le chemin de fer de l’Etat

M. M. de Vrints. - Je viens de recevoir une lettre qui intéresse la ville de Nivelles et le département des travaux publics. Cette lettre est de M. Gendebien ; elle est ainsi conçue :

« 21 novembre 1871.

« Monsieur Fassiaux,

« Voici la dépêche que je reçois de nos ateliers de Nivelles. Nous avons épuisé tous les moyens et nous avons vidé à prix d'or les magasins des marchands de la ville.

« Il ne nous reste d'autre espoir qu'en vous, ou bien nous serons obligés de fermer et de mettre nos 100 ouvriers sur le pavé en attendant qu'il nous arrive du charbon.

« Tout cela est sérieux au premier chef.

« Je le répète, nous n'avons plus d'espoir qu'en vous.

« Votre bien dévoué,

« (Signé) Gendebien. »

Cetre lettre est adressée à M. Fassiaux. J'espère que M. le ministre des travaux publics, après avoir pris connaissance de cette lettre, s'occupera sérieusement de l'affaire dont elle traite. J'aime mieux le prévenir que d'avoir à constater une situation qui serait des plus désastreuses.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Dès que j'ai eu connaissance de la dépêche à laquelle l'honorable membre vient de faire allusion. J'ai envoyé au directeur général l'invitation d'aviser aux mesures à prendre pour parer à la situation qui m'était signalée. Je dois dire cependant que le gouvernement, dans la position où il se trouve, ne peut faire qu'une chose ; c'est de tenir la balance égale entre tous les intérêts de manière à les satisfaire tous dans la mesure du possible.

M. M. de Vrints. - J'espère cependant que M. le ministre parviendra à satisfaire à la demande dont je me suis fait l'organe. Il serait vraiment déplorable qu'une ville si rapprochée des centres houillers restât privée de charbon et fût exposée aux conséquences les plus désastreuses pour la classe ouvrière.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - A l'instant même je reçois du directeur général l'avis que les ordres ont été donnés dès hier pour satisfaire à la demande sur laquelle l'honorable membre vient d'appeler mon attention.

- La séance est levée à 4 heures.