(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)
(page 1742) M. Wouters procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« La chambre de commerce de Hasselt prie la Chambre de terminer promptement la discussion du code de commerce. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants du canton de Durbuy demandent la remise de tout ou partie de la contribution foncière pour cette année. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Péruwelz demandent la suppression des servitudes douanières ou la consécration du principe de l'indemnité pour les populations qui se trouvent dans le rayon douanier. »
- Même renvoi.
« La chambre de commerce de Courtrai demande le maintien du tarif actuel des voyageurs pour les grandes distances et l'application d'un tarif à prix réduits aux parcours à courtes distances. »
« Même demande de la chambre de commerce de Hasselt. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.
« Le sieur Lempereur-Closset demande une augmentation de salaire pour les ouvriers de la station de Verviers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lempereur-Closset demande qu'il soit interdit au chef-surveillant des ouvriers à la station de Verviers de faire le commerce. »
- Même renvoi.
« M. le gouverneur du Hainaut adresse à la Chambre 124 exemplaires de l'annexe au rapport annuel de la députation permanente sur la situation administrative de la province de Hainaut pendant l'année 1870. »
« La chambre de commerce et des fabriques de Tournai adresse 120 exemplaires de son rapport annuel pour 1870. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
M. le président. - La parole est continuée à M. Anspach.
M. Anspach. - Messieurs, à la suite des tarifs différentiels inaugurés en 1866 par M. Vanderstichelen, la Chambre se rappelle peut-être qu'il s'est élevé une polémique très vive dans les colonnes du Journal des intérêts matériels entre M. Malou et un fonctionnaire supérieur du département des travaux publics.
A cette époque, M. Malou cédant surtout aux préoccupations que faisait naître chez lui sa qualité de président de conseils d'administrations de chemins de fer concédés, voyait dans l'application de la réforme inaugurée un véritable désarroi pour les recettes des chemins de fer de l'Etat. C'était une ruine, un effondrement, c'était la mesure la plus désastreuse qui se pût prendre au point de vue des finances générales de l'Etat.
Eh bien, messieurs, ces sinistres prévisions ne se sont pas réalisées ; la réforme a été accomplie et il n'y eut pour le trésor qu'une perte très insignifiante.
M. David. - Il n'y a eu qu'une légère diminution de bénéfices.
M. Anspach. - Et c'est précisément au moment où une expérience décisive a si radicalement donné tort à M. Malou que le ministre des travaux publics actuel songe à se reporter à des errements qui devraient être oubliés.
Je viens de dire que la réforme introduite par M. Vanderstichelen n'avait causé à l'Etat qu'une perte très insignifiante, et je m'explique.
La Chambre sait que l'année. 1865 a été une année exceptionnellement prospère, pour les recettes des chemins de fer ; que, depuis cette époque, nous avons traversé une crise continue, et qu'ainsi il serait extrêmement difficile d'établir avec quelque certitude quel aurait été le résultat des recettes des chemins de fer de l'Etat si les anciens tarifs avaient continué à être appliqués jusqu'en 1870.
La réforme a eu du malheur, elle a eu ce malheur d'être introduite à une époque où une série d'événements malencontreux devait amener une dépression dans toutes les affaires, et spécialement dans les recettes des chemins de fer.
Eh bien, malgré ces bases de comparaison très défavorables, je crois être en mesure de démontrer à la Chambre qu'il n'y a pas eu pour l'Etat de perte sensible.
Je le demande, en supposant qu'il y ait un certain fléchissement dans les recettes, une certaine perte pour le trésor, ne serait-ce pas déjà un résultat magnifique que d'avoir, après cinq années d'application d'une réforme aussi importante, l'équilibre à peu près rétabli dans les recettes des chemins de fer et d'être arrivé à ce grand résultat de doubler et plus le nombre des voyageurs de certaines catégories ?
Il ne faut pas oublier que toute réforme économique d'une certaine importance est suivie d'une époque de trouble et de perte. Mais je ne sache pas que les esprits éclairés aient reculé devant l'application d'une réforme qu'ils croient devoir être favorable dans la crainte de cette époque de transition.
Je rappelle à la Chambre un exemple qui, pour être ancien, peut être utilement rappelé.
Lorsqu'il a été question d'introduire les machines dans l'industrie de la filature, il y a eu des économistes à courte vue qui ont jeté des cris de désespoir, ils ont surtout présagé la ruine de milliers de familles d'ouvriers. Eh bien, qu'est-il arrivé ? Après une crise de courte durée, les salaires ont augmenté et les ouvriers se sont trouvés dans une situation meilleure que celle où ils étaient auparavant. A cette époque, ces économistes disaient que la réforme qui consistait à introduire les machines dans cette industrie était une réforme antidémocratique, qu'on allait ruiner les petits, les misérables au profit des grands industriels. Où en serait-on si l'on avait suivi ces dangereux conseils ? Que dirait-on de l'industriel qui, pour éviter cette crise que tout le monde devait prévoir, aurait résisté à l'entrée des machines dans ses établissements ?
Messieurs, l'honorable M. Wasseige fait pis que cela. L'Etat a traversé cette époque de trouble qui suit toute réforme économique. Cette époque de perte a été traversée par l'Etat ; et c'est au moment où nous allons jouir pleinement de la réforme libérale et féconde de M. Vanderstichelen que l'honorable M. Wasseige se décide à revenir aux anciens tarifs d'avant 1866.
Messieurs, que l'honorable M. Wasseige me permette de lui faire une observation. Est-ce qu'il n'est pas étrange qu'un ministre des travaux publics qui est à peine assis sur son banc aille se lancer dans une réforme de cette importance ? Mais quelque intelligence qu'on reconnaisse à (page 1743) l'honorable M. Wasseige, quelle que puisse être son assiduité au travail, il me paraît impossible qu'il ait acquis les connaissances nécessaires pour que, contre l'opinion de son personnel, contre l'avis de personnes qui ont blanchi sous le harnais, qui se sont occupés toute leur vie de ces questions de chemins de fer, il ne. craigne pas de faire une réforme aussi considérable que celle qu'il médite, et je dois croire que l'honorable M. Wasseige a accepté les yeux fermés l'opinion d'un ancien membre du cabinet, l'honorable M. Malou.
Mais, messieurs, il est temps d'aborder la réforme d'une manière générale. Je voudrais montrer à la Chambre, en quelques mots, de la façon la plus claire possible quels ont été les motifs et la base de la réforme de 1866.
Avant 1866, la base de la taxe était uniforme, c'est-à-dire que le péage était proportionnel à la distance parcourue. Ainsi le prix de transport se calculait exactement sur le nombre de kilomètres parcourus. Or, messieurs, il est très facile de comprendre que c'était là un système d'une complète fausseté. L'industrie des chemins de fer est certainement une des industries où les frais fixes sont les plus considérables, et où les frais variables, les frais d'exploitation sont les moindres, comparés au capital de premier établissement. Veuillez vous rendre compte de ce qu'il faut pour établir un chemin de fer : acquisition des terrains, établissement de la voie, établissement des stations, construction du matériel, personnel central, tout cela forme des frais fixes, tandis que les frais variables ne se constituent que des frais de combustible, de l'usure du matériel et d'un personnel restreint, le personnel des trains et les surveillants des convois.
Il suit de là que les frais de transport d'un voyageur ne sont pas du tout proportionnels à la longueur qu'il parcourt. II est évident que le coût du transport à deux lieues et le coût du transport à trois lieues sont sensiblement les mêmes, et que le prix rémunérateur à deux lieues ne doit être majoré que d'une très minime fraction pour être rémunérateur à trois lieues.
En d'autres termes, tandis que la distance augmente dans la proportion de. 2 à 3, les frais n'augmentent que dans la proportion de 2 à 2 et une très minime fraction et le barème purement proportionnel d'avant 1866 était contraire à la vérité des faits, c'est-à-dire qu'on faisait payer au voyageur plus qu'il ne devait pour le service qu'on lui rendait. Ce principe faux qui existait avant 1866, comme tous les principes faux, produisait les plus mauvaises conséquences. C'est ce qui a été établi, par les statistiques faites sur le mouvement des voyageurs, statistiques qui ont servi de base à la réforme de 1866.
On a pris, messieurs, l'accroissement ordinaire et normal des voyageurs à différents parcours. Je n'en citerai qu'un exemple, car le discours très étudié que l'honorable M. David a prononcé hier m'a rendu la tâche extrêmement facile en me permettant de renvoyer à ce discours pour tout ce qui est calcul.
Voici, messieurs, comment se chiffrait le mouvement des voyageurs sur les différents parcours de 1864 à 1865 :
Augmentation des voyageurs transportés de 1 à 7 lieues, 15 1/2 p. c.
L'augmentation des voyageurs transportés de 7 à 15 lieues tombe immédiatement à 4.90 p. c, tandis que, au delà de 15 lieues, l'augmentation se réduit à 2 1/2 p. c.
Quelle pouvait être la cause du manque d'accord entre les augmentations des différentes zones ? Ce ne pouvait être que l'application d'un tarif qui n'était pas conforme à la vérité. Il y avait donc lieu de le changer, car il est évident que la multiplicité des voyages est un accroissement de la richesse publique.
Aussi, c'est aux applaudissements de cette Chambre et aux applaudissements du pays tout entier que la réforme de M. Vanderstichelen a été accueillie et cela au moment où l'on pouvait encore avoir des appréhensions sur les résultats. Aujourd'hui, au contraire, on sait par l'expérience acquise que la réforme a été accomplie sans qu'il y ait eu une véritable perte pour le trésor.
Pour accomplir cette réforme, messieurs, comment s'y est-on pris ? On a pris les différentes zones que j'ai indiquées tout à l'heure ; dans la première zone, on ne modifia pas le tarif ; dans la deuxième, on introduisit une différence sensible, et ce ne fut que dans la troisième zone que le tarif différentiel reçut sa pleine application. C'est alors, messieurs, que les adversaires très intéressés de la réforme, ces adversaires dont je parlais tout à l'heure, qui devaient nécessairement se trouver dans les exploitations particulières des chemins de fer concédés, ces adversaires de la réforme trouvèrent un argument que l'on emploie souvent pour jeter de la défaveur sur une mesure ; ils dirent : c'est une réforme antidémocratique ; vous allez favoriser les voyageurs à longue distance, c'est-à-dire ceux qui sont riches, et vous ne faites rien pour les voyageurs à courte distance, qui appartiennent aux classes laborieuses.
Ce reproche, messieurs, n'était pas fondé ; les voyageurs de la troisième classe profitaient également de la réforme du tarif différentiel et le nombre des voyageurs dans les longs parcours était plus important que celui des voyageurs qui prenaient la première et la deuxième classe.
De plus, comme je le disais tout à l'heure, si l'on mettait dans une meilleure situation les industriels et si on leur permettait de faire de plus grands bénéfices, est-ce que tout le pays n'en profite pas, est-ce que les classes des travailleurs ne sont pas les premières à en profiter ?
D'ailleurs, pour répondre à cette attaque qui consiste à dire que la réforme était antidémocratique, l'honorable M. Jamar, dans un discours récent, a démontré que, pour les travailleurs voyageant à petit parcours, il y avait une réforme bien autrement radicale que celle du tarif différentiel.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il serait bon d'ajouter que c'est sur ma demande que la réforme a été introduite.
M. Jamar. - C'est une erreur et une étrange plaisanterie.
M. Anspach. - Je ne veux enlever à personne le mérite de ce qu'il a fait.
Si cette heureuse innovation a été introduite sur la demande de M. Kervyn de Lettenhove, je l'en félicite de tout cœur.
Je constate seulement que cela a été fait sous le cabinet libéral qui a précédé le cabinet actuel.
Le ministère au pouvoir ne pourrait rien faire de plus pour les classes ouvrières.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Voulez-vous me permettre un mot ? Je suis le premier à reconnaître que ces améliorations sont bonnes ; je l'ai déjà dit à l'honorable M. Jamar lui-même. Mais à chacun le mérite de ses œuvres, et je crois pouvoir réclamer celui d'avoir complété la mesure prise en faveur des jeunes gens se rendant aux écoles de tout genre. Je leur ai permis, en effet, de prendre place dans les trains express, ce qui ne leur avait pas été accordé par mon prédécesseur.
M. Anspach. - Je vous en félicite et je vous en sais un gré infini. Je voudrais que l'honorable M. Wasseige allât encore plus loin dans cette voie et, chaque fois qu'il le fera, je l'applaudirai de tout cœur.
Mais, cela ne détournera pas, je l'espère, la Chambre de l'argumentation à laquelle je me livre.
Je disais qu'on a accusé la réforme d'être antidémocratique, en 1866, et je disais que c'était une fausse enseigne, puisqu'on avait fait, sous le ministère précédent, tout ce qu'on pouvait faire, mais l'honorable M. Wasseige vient de dire qu'il a donné une extension à la réforme faite par l'honorable M. Jamar ; s'il en est ainsi, je voudrais bien que l'honorable ministre voulût m'expliquer comment il se fait que depuis quelque temps il y ait eu des suppressions nombreuses de voitures de deuxième et de troisième classe aux trains express. Il me semble que ce n'est pas là faire des concessions aux classes laborieuses, ni prendre ces mesures démocratiques auxquelles il se déclare favorable.
Voyons maintenant, messieurs, quelle a été la répercussion de la réforme sur les voyageurs dans ses effets sur les recettes de l'Etat.
Je pourrais me référer à ce que vous a dit hier avec tant de raison l'honorable M. David ; je ne veux citer qu'une seule preuve que je tire de ce discours.
Quelle a été l'augmentation de voyageurs en 1868 pour les trois différentes zones sur lesquelles a porté la réforme ? Sur la première, la plus courte, l'augmentation a continué à être ce qu'elle était normalement, 15 1/2 p. c. ; dans la deuxième, l'augmentation a été de 29.29 p. c. ; dans la troisième, l'augmentation a été de 97.77 p. c. et il résulte de documents officiels que depuis cette époque l'augmentation des voyageurs dans la troisième classe a été de plus de 100 p. c.
Si, d'une part, on a diminué le prix à peu près de moitié et que, de l'autre, on ait attiré un nombre de voyageurs qui dépasse le double, où est la perte pour le trésor ? Il n'y en a plus, et il reste donc cet immense avantage d'avoir permis à un nombre double de nos concitoyens de se transporter à longue distance.
A ce fécond résultat qui est incontestable, qui ressort de documents officiels et que personne ne saurait nier, on n'a su trouver qu'une seule réponse et celle-là, comme elle est un peu plus compliquée, je demande à la Chambre de me continuer encore quelques instants sa bienveillante attention.
On a dit, et c'est, je crois, M. Malou qui est l'auteur de cet argument, on a dit : Vous faites grand étalage de votre augmentation de recettes et (page 1744) de votre augmentation de mouvement. Maïs vous ne pariez pas de votre augmentation de dépenses. Cependant, plus vous transportez de voyageurs, plus vos dépenses augmentent.
Cela est clair, mais l'auteur de l'argument ajoute : Vos dépenses augmentent proportionnellement au nombre de voyageurs que vous transportez, ce qui est complètement faux, je l'ai démontré tout à l'heure ; il ne s'agit, quand on augmente le nombre de voyageurs, que de l'augmentation d'un seul élément de frais de chemin de fer, l'élément qui se rapporte aux frais variables d'exploitation.
Certainement, messieurs, il y a une augmentation de dépenses quand en transporte plus de voyageurs, mais l'équilibre est rétabli lorsque par l'augmentation du nombre de voyageurs les recettes augmentent d'une manière supérieure à l'augmentation de ces frais spéciaux.
Mais alors, messieurs, on fait une autre objection ; on attaque l'administration des chemins de fer parce que les frais d'administration s'élèvent ainsi.
M. Malou trouve à priori qu'il n'y a pas d'administration de chemin de fer qui soit bonne si elle dépense pour frais d'exploitation plus de 50 p. c. de ses recettes brutes.
Par conséquent il élèverait aux nues une administration qui aurait fait 100,000 francs de recettes brutes et qui dépenserait 50,000 francs pour transporter 10,000 voyageurs et il trouverait détestable une administration qui aurait une recette brute de 150,000 francs, mais qui dépenserait 100,000 francs de frais d'exploitation pour transporter un nombre double de voyageurs ! On attache ainsi une importance à un chiffre qui n'en a aucune quand il s'agit d'un service public.
Je conçois que l'on s'occupe de la question de savoir de quelle hauteur sont les frais variables d'une exploitation quand on est une société d'exploitation particulière, où tout est pour le mieux si l'on donne le plus gros dividende possible aux actionnaires et les plus gros traitements possibles aux administrateurs. Mais quand on est l'Etat, on doit se placer à un autre point de vue, à un point de vue plus élevé. Ce qu'il faut, c'est transporter le plus grand nombre de voyageurs sans faire fléchir les recettes de l'Etat.
Il faut donc les deux choses : il importe peu qu'on fasse l'exploitation à 70, à 75, à 80 p. c. si la recette nette est la même, mais il est du plus haut intérêt de savoir si en même temps on a fourni au pays une somme d'utilité beaucoup plus grande.
Je me résume donc. De ce qui précède, il résulte que l'Etat n'a point perdu à la réforme de 1866, qu'il n'y a pas eu réellement perte pour le trésor ou du moins qu'il n'y en a plus aujourd'hui ; en second lieu, que les voyageurs pour la seconde et la troisième zone ont augmenté dans de larges proportions, que ceux de la troisième notamment ont plus que doublé.
Et comment l'honorable M. Wasseige justifie-t-il aujourd'hui ses desseins ? Il dit : Je veux augmenter les ressources du trésor en relevant les tarifs et j'arriverai ainsi à combler le déficit, le prétendu déficit des exercices antérieurs.
Eh bien, je prédis à l'honorable M. Wasseige qu'il n'en fera rien ; qu'il n'aura pas d'augmentation de recette parce que l'on va retomber immédiatement, pour la seconde et la troisième zone, au maigre chiffre des voyageurs de 1865.
Peut-être même vais-je encore trop loin ; car en 1865 on était habitué à payer des prix élevés, tandis qu'ils ont été réduits de 50 p. c. depuis cette époque, et qu'une réaction se produira très certainement dans le mouvement des voyageurs, au point de le ramener peut-être à un chiffre moins considérable qu'en 1865 ; en sorte que la réforme annoncée par l'honorable M. Wasseige aura vraisemblablement pour effet une diminution de recette au lieu de cette augmentation sur laquelle on compte pour combler un déficit qui n'existe même pas.
Que résultera-t-il encore d'une augmentation des prix ? Mais, messieurs, il en résultera inévitablement un déclassement.
Il est un certain nombre de voyageurs qui se servent constamment du chemin de fer par métier, par profession.
A la faveur des tarifs réduits qui ont été établis en 1866, un certain nombre de ces voyageurs se sont habitués à se servir de voitures de première ou de deuxième classe. Or, il est bien certain que, du jour où ces prix seront plus que doublés, ils seront obligés, pour réduire leurs frais de transport, de descendre d'une classe. Peut-être en est-il même qui se verront dans la nécessité de restreindre leur cercle d'affaires, parce qu'ils ne feront plus des bénéfices suffisants pour couvrir leurs frais de transport.
A côté des gens qui voyagent par nécessité, pour leurs affaires, il en est d'autres qui, grâce aux tarifs modérés dont nous jouissons actuellement, peuvent voyager fréquemment pour rendre visite à des parents, à des amis, pour aller à une ville d'eaux, etc. Il est de tout évidence que ceux-là aussi seront désormais forcés de se priver de cette satisfaction, au grand détriment, encore une fois, des recettes du trésor.
De quelque point de vue donc qu'on envisage la réforme projetée, on n'aperçoit que diminution de mouvement, diminution certaine, inévitable.
Mais, messieurs, qui dit diminution de trafic, dit atteinte portée au commerce, à l'industrie, à la prospérité générale du pays. Diminution de trafic, cela veut dire ralentissement de tout ce qui est affaires, relations, source de bénéfices et de bien-être.
Jusqu'à présent, je me suis placé uniquement au point de vue des intérêts matériels ; mais, messieurs, n'est-il pas évident que cette question présente une importance de premier ordre au point de vue de l'intérêt moral des populations ?
N'est-il pas d'un intérêt moral de premier ordre de faciliter le plus possible les excursions, de favoriser par là, d'une manière réellement efficace, la fusion complète des deux races qui constituent notre population ?
Du reste, il y a quelque chose qui parle plus haut que tout ce que je pourrais dire ici. C'est l'émotion rapide qui s'est emparée de tout le pays à la nouvelle de votre projet de relever les tarifs des chemins de fer ; c'est cette opposition qui grandit chaque jour, qui, chaque jour, s'accentue davantage, qui deviendra formidable, M. le ministre ; c'est ce pétitionnement spontané, sérieux, qui vient aboutir à cette Chambre et qui, je le crains bien, ne rencontrera qu'un non possumus de la part des hommes assis au banc ministériel, qui ont cependant, comme premier devoir à remplir, celui d'assurer le bien-être des citoyens et de développer la prospérité publique.
M. de Macar. - Messieurs, malgré mon désir de ne pas prolonger cette trop longue session, il m'est impossible de ne pas suivre l'exemple qui m'a été donné par les honorables MM. Le Hardy et Julliot, et de ne pas protester, à mon tour, contre la situation exceptionnellement défavorable faite à l'arrondissement de Huy par le projet de loi que nous discutons. Alors que les millions sont prodigués très largement à une partie du pays, alors qu'Anvers et les Flandres obtiennent peut-être plus qu'ils n'ont demandé, pas une obole n'est accordée à l'arrondissement que je représente dans cette enceinte.
Et cependant les réclamations que nous avons à formuler sont aussi légitimes que celles d'aucun autre arrondissement du pays. Aussi, quelle que soit la difficulté de se faire écouler par la Chambre lorsqu'on vient défendre des intérêts locaux, je crois de mon devoir d'essayer de lui prouver que l'arrondissement de Huy est réellement victime d'un déni de justice inqualifiable.
Depuis nombre d'années, en effet, nous avons poursuivi la réalisation de trois choses : la reprise par l'Etat de l'exploitation des chemins de fer de Namur à Liège et de Landen à Aye, l'abolition des droits de barrières sur les routes de Tirlemont à Huy et de Huy à Stavelot, et enfin, la construction d'un certain nombre de ponts sur la Meuse et sur l’Ourthe.
Que se passe-t-il, en ce moment, quant au premier point ? Lorsque j'ai rappelé, dans une circonstance récente, à M. le ministre des travaux publics les engagements pris par son honorable prédécesseur, engagements qu'il ne conteste plus, l'honorable ministre m'a répondu par une fin de non-recevoir presque absolue et je ne vois pas que, dans l'avenir, les promesses très vagues qu'il a faites puissent être suivies d'un résultat sérieux.
Où en sont les négociations, quant à l'exploitation du chemin de fer de Namur à Liège ?
Et, quant à la reprise de l'exploitation du chemin de fer de Landen à Aye, reprise d'autant plus importante qu'elle assurerait l'exécution prochaine de toute cette ligne, y a-t-il eu la moindre démarche faite par l'honorable ministre ?
Sommes-nous plus heureux en ce qui concerne la question des barrières ? Les routes qu'elles grèvent sont, je pense, les seules routes de l'Etat de Belgique sur lesquelles des barrières existent encore. Elles sont situées aux portes de Huy, et conduisent aux contrées avec lesquelles les relations de la ville sont les plus habituelles, l’une mène vers le Condroz, l'autre vers la Hesbaye. C'est dans ces conditions si exceptionnelles que M. le ministre des travaux publics ne trouve pas un centime pour procurer le dégrèvement de ces routes à des populations qui attendent cet acte de réparation depuis longtemps.
Il veut bien construire de nouvelles routes ; mais, lorsqu'il s'agit de rendre justice à des populations trop longtemps lésées, pas une obole ! Mon honorable collègue, M. de Lhoneux, a proposé un moyen de solution à M. le ministre, Celui-ci nous a-t-il donné quelque espoir à ce sujet ? M. le (page 1745 ) ministre des finances veut-il promettre qu'il acceptera la solution si conciliante que nous avons proposée ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Nous attendons les offres des intéressés.
M. de Macar. - Etes-vous disposé à accepter leurs propositions î
M. Jacobs, ministre des finances. - Je suis disposé à discuter leurs offres avec le désir d'aboutir.
M. de Macar. - C'est déjà quelque chose ; ce n'est pas beaucoup ; mais, si peu que ce soit, je l'accepte. Le gouvernement, si je comprends bien M. le ministre, est donc prêt à traiter dès qu'une offre lui sera faite. Il ne veut pas prendre l'initiative ; mais il reconnaît que les intéressés qui possèdent un revenu normal ne peuvent être trop fortement lésés. Il faut qu'ils aient à peu près le capital des sommes qu'ils reçoivent en ce moment du produit des barrières. C'est bien ainsi qu'il faut entendre que la reprise est possible.
Du reste, je crois que M. le ministre a tort de ne pas saisir cette occasion de donner satisfaction aux intérêts de la ville de Huy. De concert avec l'honorable M. de Lhoneux et l'honorable M. de Lexhy, nous proposons un amendement dans ce but. M. le ministre devrait l'accepter. La position de Huy est tout à fait exceptionnelle. Il y a une question de justice distributive qui doit militer très fortement en sa faveur. C'est par une loi spéciale qu'il est le plus aisé de la reconnaître et de faire cesser la discordance sans s'exposer aux nombreuses demandes de concessionnaires de routes lesquelles ne manqueront pas de se produire en invoquant le précédent de Huy, si celui-ci n'est posé à titre tout exceptionnel.
Que M,, le ministre veuille bien le croire, ce n'est pas la première fois que je traite la question. Je l'ai soulevée sous l'administration de son prédécesseur ; il m'a été répondu alors : Nous reconnaissons la parfaite légitimité de vos réclamations ; seulement, en présence de la multiplicité des routes concédées, nous désirons traiter d'abord pour des routes qui ne rapportent rien aux concessionnaires et pour lesquelles l'Etat serait entraîné à des dépenses onéreuses s'il acceptait le principe du rachat de droit de barrières ; l'espoir qu'on nous donnait était plus ou moins éloigné, mais il était fondé. Aujourd'hui l'occasion se présente de réaliser le projet conçu, et si M. le ministre des finances voulait faire preuve de quelque bonne volonté, il accepterait notre amendement.
Je me contenterais, quant à moi, d'une somme très minime, s'il veut laisser consacrer le principe.
J'en arrive à mon troisième point : la question des ponts. Celle-ci se présente dans des conditions assez singulières. En effet, nous avons construit, avec le concours du gouvernement, un pont à Ombret. Les fonds ont été, en grande partie, souscrits par des particuliers. Le gouvernement a accordé un subside qui n'était pas trop considérable, mais qui a permis cependant d'arriver à une solution. Depuis lors, la concession d'un autre pont a été demandée à Engis. Le gouvernement consent également à intervenir en sa faveur.
A propos de subsides, je dois ici parler incidemment d'un autre pont. Je ferai remarquer à M. le ministre qu'il mentionne dans son projet divers ponts sur l'Ourthe, il oublie d'indiquer celui de Comblain-Fairon, qui est un des plus importants.
M. le ministre nie dira peut-être qu'il n'a pas encore les plans et devis de ce travail, mais cette objection se réfute par elle-même, attendu que beaucoup de travaux compris dans le projet n'ont à l'appui ni plans ni devis. Je prie donc M. le ministre de mettre ce pont sur la même ligne que les autres : c'est de stricte justice.
Mais pour en revenir à mes ponts sur la Meuse, tandis qu'en aval de Namur, dans les arrondissements de Liège et de Huy, il s'en construit un certain nombre avec le concours des particuliers, la jurisprudence de M. le ministre des travaux publics change complètement du moment qu'il s'agit de localités sises en l'amont de Namur.
Là on ne réclame aucune intervention des particuliers ; je crois même qu'on refuse cette intervention ; on se borne à prendre l'argent de l'Etat et à dire : Nous allons nous-mêmes construire les ponts, non pas des ponts à péages qui sont onéreux pour les populations, mais des ponts gratuits ; l'Etat est assez riche pour poser cet acte de munificence vis-à-vis de la province de Namur depuis que l'honorable M. Wasseige est ministre des travaux publics. Je ne sais ce que nos honorables collègues de Liège diront de cette différence de traitement, mais en ce qui me concerne, je proteste contre ces différences.
Et remarquez-le, messieurs, alors qu'on agit avec cette prodigalité pour Namur, on épluche avec minutie le cahier des charges du pont d'Ombret, on y découvre un point douteux, mais où la bonne foi et l'équité militent incontestablement en notre faveur, M. le ministre ne le contestera pas, et l'on tranche la question contre nous en s'armant judaïquement d'un texte que la justice sera, au reste, appelée à interpréter avant que nous acceptions la décision ministérielle.
Je me demande si, depuis que l'honorable M. Wasseige est ministre de travaux publics, il doit y avoir des privilèges pour la province de Namur. (Interruption.)
Messieurs, ce premier acte de favoritisme qu'a posé l'honorable ministre des travaux publics n'intéresse, en définitive, que quelques arrondissements.
Mais il n'est pas le seul que je doive lui reprocher et l'acte que je vais avoir l'honneur de soumettre à l'appréciation de la Chambre a peut-être plus d'importance encore, puisqu'il dépend de l'emploi de matériaux convenables que nos ouvrages d'utilité publique aient la solidité, la durée désirables.
Il existe depuis 1863 un cahier des charges qui dit : « La pierre de taille bleue sera généralement de l'espèce dite de petit granit et proviendra des Ecaussinnes, etc., etc. »
M. le ministre a jugé à propos de remplacer cette disposition par la disposition suivante :
« Les ingénieurs, en dressant les cahiers des charges des divers ouvrages d'art, indiqueront les carrières, et, autant que possible, les bancs fournissant la pierre de taille bleue qui devra entrer dans la construction de ces ouvrages. »
- Une voix. - C'est là une garantie.
M. de Macar. - C'est une garantie négative.
Les qualités des pierres de Namur ne sont certainement pas égales de celles des pierres dites de petit granit, il y a une différence spécifique considérable.
La pierre de Namur est essentiellement gélive et schistoïde. Ah ! vous le niez, M. le ministre ! Je ne comptais pas entrer dans la discussion de ce point, mais je vous citerai des autorités dont vous ne récuserez pas la haute compétence : MM. d'Omalius d'Halloy, André Dumont, Demanet, Devillez, Malécot, Boudin, Lambotte, Marcq, le corps des ponts et chaussées et le génie militaire de Belgique, le Waterstatl hollandais, etc.
Tous acceptent parfaitement le petit granit et repoussent la pierre de Namur, qu'ils déclarent mauvaise. Je tire ma citation du mémoire adressé par les maîtres de carrières à M. le ministre des travaux publics.
S'il fallait, en outre, citer des exemples, je pourrais indiquer des constructions, où l'on a employé des pierres de Namur et qui n'ont pas résisté.
On attribue la chute du pont de la Boverie à l'emploi de ces matériaux. A ce propos, je ferai à l'honorable ministre des travaux publics une réclamation que je le prie de noter.
On s'est servi de pierres de Namur pour construire des garde-corps le long de la Meuse.
L'état de choses actuel devient très dangereux, et je prie l'honorable ministre d'ordonner des mesures pour empêcher que ces perrés ne tombent réellement en ruine.
L'emploi des pierres de Namur est en outre dangereux, parce qu'elles sont très différentes les unes des autres ; la nature des bancs varie à de très courtes distances.
M. le ministre l'a si bien compris qu'il a, par son arrêté, appelé les ingénieurs à indiquer les carrières où l'on pourra prendre ces pierres.
Or, voyez la position que vous faites à nos ingénieurs.
Jusqu'ici ces fonctionnaires sont à l'abri de tout soupçon ; ils sont probes, désintéressés.
Si vous les placez dans cette situation, et elle est fatale, de choisir un exploitant plutôt que l'autre, n'en viendra-t on pas facilement à suspecter leur impartialité ?
Il y a là un danger des plus sérieux, et je crois que l'honorable ministre a cédé en cette circonstance à un sentiment de favoritisme qui peut avoir des conséquences fâcheuses pour le pays. (Interruption.)
Je crois qu'il a cédé à une préoccupation absolument locale et personnelle. (Interruption.).
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Que voulez-vous dire ?
M. de Macar. - Je pense que vous avez cédé à une préoccupation électorale.
M. Dumortier. - A une préoccupation électorale ?
M. de Macar. - L'honorable M. Dumortier est toujours prêt à soutenir l'honorable M. Wasseige. Peut-être a-t-il des raisons pour le faire ? (Interruption.)
(page 1746) M. le président. - N'interrompez pas. Les interruptions allongent inutilement la discussion.
M. de Macar. - Messieurs, je ne dirai qu'un mot de la question des tarifs. Cette question a été discutée très longuement, chiffres en mains, par divers honorables membres. Je n'ai rien à y ajouter ; ce serait, au surplus, peine inutile.
Cependant, je crois qu'il est bon de constater la situation qui nous est faite devant le pays.
L'honorable ministre des travaux publics a décrété un changement de tarifs, mais : 1° il n'a pas démontré jusqu'ici que le tarif de l'honorable M. Vanderstichelen fût vicieux ; 2° il n'a rien démontré non plus quant à l'efficacité du tarif qu'il compte introduire. Son programme, c'est l'inconnu. Sera-ce le système proportionnel à toute distance ? Sera-ce le système différentiel mitigé ? Dans cet ordre d'idées, il y aurait peut être moyen de s'entendre.
Que seront les billets d'abonnement, les billets d'aller et de retour ? Serviront-ils pour un ou pour deux jours ou pour une semaine ? Quel sera le dégrèvement accordé à ces billets ? Ce sont toutes questions auxquelles l'on se garde bien de répondre.
Aussi, messieurs, lorsque l'honorable ministre est venu poser la question de confiance devant le pays, le pays a répondu par un pétitionnement considérable contre ses idées, ce qui n'est que le prélude d'un mouvement plus sérieux, j'en suis persuadé.
Messieurs, je sais, au reste, que les pétitions ont une valeur assez minime pour MM. les ministres. Dès qu'on n'est pas d'accord avec eux sur une question de tarifs, de finances, d'impôts peu importe, c'est la passion politique qui est en jeu et qui les dicte.
Je rappelle à cet égard à M. le ministre des finances ce qui s'est passé lorsqu'il a traité de déclamations, de récriminations politiques les pétitions contre l'augmentation de l'impôt foncier. Il disait : Pourquoi vous inquiéter ? Les conseils provinciaux vont reprendre la taxe de débit de boisions, l'impôt foncier ne sera pas augmenté.
Qu'est-il avenu ? et qui donc induisait en erreur les pétitionnaires des arrondissements de Huy, de Waremme et de Liège ? Ceux ci avaient-ils bien tort de réclamer contre l'augmentation d'impôt ? Je vous en fais juge ?
Eliez-vous de bonne foi ?
M. le président. - M. de Macar, vous ne pouvez suspecter la bonne foi de. vos collègues.
M. de Macar. - Evidemment, M. le ministre des finances n'a pu croire un instant que le conseil provincial de Liège reprendrait la taxe.
M. Jacobs, ministre des finances. - Certainement.
M. de Macar. - Alors vous avez eu tort. Entre un monceau d'or d'une part et l'affirmation de notre conscience politique d'autre part, nous n'hésitons pas.
M. Jacobs, ministre des finances. - Les six provinces qui ont adopté la mesure ont leur conscience politique aussi.
M. de Macar. - Il est évident que les conseils provinciaux libéraux avaient le droit, l'obligation même de ne pas prêter la main à l'exécution de votre loi de parti. (Interruption.)
Messieurs, j'ai voulu constater que le ministère qui, à son avènement, a déclaré ne vouloir suivre que l'impulsion du pays, se montre très peu respectueux pour lui dès qu'il réclame contre les projets ministériels. Je crois avoir discuté ce point avec la modération désirable.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Vous ne pouvez appeler cela de la modération !
M. de Macar. - Je déclare qu'en discutant les actes du cabinet, je n'ai aucune arrière-pensée et je n'y mets ni passion ni haine. Ne m'opposez donc pas une fin de non-recevoir politique.
Messieurs, je me demande pourquoi le ministre des travaux publics aujourd'hui et d'autres ministres, dans d'autres circonstances, ont cédé si facilement à des préoccupations financières.
Car qu'est-ce, en définitive, que la modification de tarif ? C'est un relèvement d'impôt, une augmentation de charges, rien de plus, rien de moins.
M. le ministre espère, à l'aide de ses nouveaux tarifs, procurer des ressources nouvelles au trésor ; il l'a déclaré au Sénat :
« Je veux, a-t-il dit, que ces classes, qui ont plus besoin de la protection du gouvernement que les classes qui font de longs voyages, reçoivent une compensation qu'elles ont attendue vainement jusqu'à ce jour. J'ai déclaré ensuite que je compte trouver, dans un relèvement immédiat des tarifs, un accroissement de ressources pour le trésor public. »
Somme, toute, c'est donc tout bonnement une question d'augmentation d'impôts, exactement comme la suppression du droit de débit de boissons était obtenue par l'augmentation de l'impôt foncier. Eh bien, je dois protester contre cette tendance de l'honorable ministre des finances de peser sur ses collègues.
M. Jacobs est un ministre à la capacité duquel je puis rendre hommage. Mais il est dangereux que ce soit le ministre des finances qui soit l'inspirateur, le guide de ses collègues, s'il ne possède lui-même un grand tact politique, il a pesé sur son collègue de l'intérieur quand il s'est agi de mesures à prendre en faveur de l'agriculture. Celui-ci n'a rien dit alors pour la défendre ; aujourd'hui il pèse sur M. le ministre des travaux publics qui ne démontre nullement que l'ancien tarif était mauvais, mais qui accepte l'impopularité qui doit lui revenir du relèvement à cette seule fin d'améliorer la position de son collègue des finances.
Eh bien, je crois que, dans un gouvernement comme le nôtre, il est fâcheux que le ministre des finances ait une prépondérance aussi grande ; elle ne peut manquer de se traduire par des augmentations d'impôts. (Interruption.)
Vous contestez cette prépondérance. Qu'avez-vous vu encore dans la question des jeux de Spa ? M. le ministre de la justice vient appuyer un amendement et le fait réussir ; le surlendemain, M. Jacobs se lève pour le combattre, et l'amendement, qui avait été adopté à une grande majorité au premier vote, est rejeté sans que l'honorable M. Cornesse dise un mot pour le défendre. (Interruption.) Je constate le fait et je dis que la position de M. Cornesse en a été amoindrie.
Pour conclure, je voterai contre le projet parce qu'il consacre, au détriment de mon arrondissement, un déni de justice auquel il m'est impossible de m'associer.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ne croyais pas prendre la parole en ce moment ; je voulais attendre que la discussion générale fût plus avancée ; mais j'avoue franchement que, ministre seulement depuis quelque temps, j'ai encore l'épiderme trop sensible et que j'ai été piqué au vif par quelques-unes des observations de. M. de Macar. Je ne veux pas tarder un seul instant à y répondre.
L'honorable représentant de Huy a eu l'air de vouloir me faire poser comme, député de Namur ; il vous a dit que depuis que je suis ministre, j'ai accordé des faveurs non justifiées à la province de. Namur. Je liens à repousser immédiatement cette allégation.
Il vous a dit que, dans l'intérêt de cette province, j'aurais fait prévaloir un système nouveau pour les ponts qui doivent se construire en amont de Namur, le système de ponts sans péages et que j'aurais accordé aux carrières de Namur un privilège qu'elles ne méritent à aucun titre.
Eh bien, ce système de ponts sans péages ne date pas de mon administration ; depuis longtemps déjà, le département des travaux publics a trouvé qu'il y avait une anomalie injustifiable, alors qu'on supprimait ou qu'on abaissait les péages de tous côtés, alors qu'on supprimait les barrières sur les routes (et l'honorable membre lui-même vient encore nous demander la suppression des péages existants sur deux routes de l'arrondissement de Huy), le département a trouvé, dis-je, qu'il y aurait une anomalie injustifiable et une incroyable inconséquence à construire des ponts avec péages.
Les ponts ne sont souvent que le trait d'union entre deux sections d'une route, et dès lors le maintien d'un péage sur un pont, alors qu'il n'en existe pas sur la route elle-même, serait un véritable manque de logique.
M. de Macar. - Pourquoi n'agissez-vous pas pour Engis comme vous le faites ailleurs ?
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Parce que là il ne s'agit pas d'un pont qui serait établi par l'Etat, mais d'un ouvrage dont la concession a été demandée par la société qui se propose de l'exécuter.
Quant aux autres ponts, je n'étais pas ministre des travaux publics lorsqu'ils ont été décrétés ; je n'avais donc rien à décider. Le système qui a prévalu n'est pas mon œuvre ; c'était déjà celui de mon honorable prédécesseur et je l'en félicite.
Trois crédits ont été demandés à la législature et votés par elle pour construction de ponts : l'un par la loi du 5 juin 1868 pour la reconstruction du pont de Dinant et pour construction de deux ponts sur la Meuse et sur l'Ourthe ; un second crédit a été accordé par une loi du 12 juin 1869, pour le même objet et enfin un troisième crédit a été ouvert par une loi du 3 juin 1870, pour construction et reconstruction de ponts appartenant à des routes. Pour tous ces ponts, mon honorable prédécesseur avait suivi les mêmes errements que moi.
(page 1747) Ce n'est pas au moment où les péages disparaissent partout qu'il peut être question de les rétablir.
M. Jamar. - J'ai soutenu précisément la thèse contraire contre vous-même dans la discussion de la dernière loi de travaux publics.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je vous oppose un fait bien précis. Lorsqu'il a été question de construire un pont à Godinne sur la Meuse, il était bien arrêté que ce pont serait construit aux frais de l'Etat, avec des subsides de la province et des localités intéressées.
M. Jamar. - J'ai eu l'honneur de vous recevoir dans mon cabinet à propos de ce projet. Je vous ai dit alors, comme je vous l'ai répété plus tard à la Chambre, qu'à mon avis la province, les communes, les industriels même devaient intervenir dans les frais de construction des ponts de cette nature et que le département des travaux publics ne pouvait y participer que pour un subside.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ne me rappelle plus exactement ce qui a été dit alors quant à la question de subsides ; mais je dis que des instructions étaient données au département pour que le pont fût mis en adjudication, construit aux frais de l'Etat et exonéré de tout péage.
Quant au pont d'Ombret, il avait été concédé bien longtemps avant et ce pont était d'une importance bien plus considérable puisqu'il était évalué au moins à 400,000 francs. (Interruption.)
A la suite d'une visite de l'honorable M. de Macar, j'ai fait examiner de nouveau la question, avec le plus grand désir d'arriver à une solution qui lui fût agréable. La commune d’Ombret avait d'abord promis un subside de 50,000 francs, mais plus tard, s'appuyant sur le summum jus, elle a jugé convenable de retirer son engagement. Il a été reconnu qu'il était de toute impossibilité, en présence des clauses du cahier des charges, de donner satisfaction au concessionnaire.
J'ai dit à l'honorable membre qu'il y aurait peut-être encore moyen de concilier tous les intérêts en donnant au chemin qui doit être construit en prolongement de ce pont des dimensions un peu plus grandes que les dimensions projetées, de manière à justifier l'intervention du gouvernement et de la commune intéressée.
J'ai fait tout ce qui était possible dans cette question du pont d'Ombret, qui présente des côtés assez délicats et très intéressants.
M. de Macar. - Il s'agissait d'une simple question d'interprétation du cahier des charges.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. -Sans doute ; mais j'ai consulté les fonctionnaires de l'administration, ainsi que les avocats du département, et malgré tout leur bon vouloir, ils ont dû persister dans leur interprétation. Je n'y puis donc rien.
Voilà pour ce qui concerne la question des ponts.
Quant à la question des pierres, je m'étonne que l'honorable membre, qui se prétend si libre échangiste, si ennemi de la faveur, si large, si généreux, veuille maintenir le privilège résultant des dispositions de l'article 31 du cahier des charges-type publié en 1865. Cet article déclarait en termes positifs qu'il n'y a de bonnes pierres à employer pour les constructions de l'Etat que le petit granit provenant de certaines localités. Ce privilège était injuste. Je désire la libre concurrence, je veux que tous soient admis à prendre part aux adjudications et aux travaux publics, d'après la valeur des produits qu'ils ont à présenter.
On vous a dit que j'avais voulu favoriser certaines carrières dans un but électoral. J'affirme qu'il n'en est rien. Je pourrais rétorquer l'argument et insinuer que c'est précisément la pensée que l'on m'impute injustement, qui inspire les récriminations dont l'honorable membre se fait l'organe et que c'est lui-même qui poursuit un but électoral en voulant maintenir l'article injustifiable dont il s'agit. Mais c'est un genre d'argument auquel je ne veux pas avoir recours ; je le laisse tout entier à l'honorable membre et je continue en faisant connaître à la Chambre ce qui s'est passé au sujet de cette affaire. La question était agitée au département des travaux publics longtemps avant que je fusse appelé à le diriger. Plusieurs fois, la chambre de commerce et le conseil provincial de Namur avaient vivement insisté pour que l'injustice signalée disparût.
Frappé par les raisons que ces deux corps invoquaient et aussi par les observations fondées que lui soumirent différents maîtres de carrières, voici ce que mon honorable prédécesseur répondait à ces derniers sous la date du 9 avril 1870 :
« Désirant toutefois faire en faveur des exploitants des carrières de la vallée de la Meuse tout ce qu'il est possible, en assurant la conservation des ouvrages exécutés par le département des travaux publics, je vous prie de m'adresser l'indication des bassins qui ont fourni les pierres employées dans des édifices anciens et dont l'expérience a constaté la bonne qualité. Aussitôt que j'aurai reçu cette pièce, je déléguerai un ingénieur pour visiter les lieux et me faire un prompt rapport, de sorte que si votre travail me parvient bientôt, j'espère qu'une solution pourra intervenir avant l'adjudication des grands travaux d'utilité publique projetés. »
Qnand on vous a dit que la pierre de Namur était toujours mauvaise, que chaque fois qu'on l'employait on avait à le regretter, on était dans une erreur profonde. Je pourrais citer des monuments, parmi les plus anciens et les plus beaux, faits avec la pierre de Namur et qui sont aussi intacts que ceux qui ont été faits avec du petit granit.
Qu'a fait l'honorable M. Jamar ? D'abord la question a été examinée par l'ingénieur en chef de la province de Namur, et je ferai observer à l'honorable M. de Macar qu'au moins ce fonctionnaire ne peut pas être soupçonné d'avoir obéi à des influences électorales ; le rapport de cet ingénieur a été favorable à l'admission des pierres de certaines carrières de la. province de Namur.
Ensuite M. l'inspecteur général Maus a été envoyé sur les lieux ; et cet honorable ingénieur a rapporté les mêmes conclusions ; il a dit que si la pierre de Namur ne peut pas toujours être considérée comme bonne, il existe cependant certains bancs et certaines carrières où elle est excellente ; que ces bancs peuvent être facilement reconnus et désignés et que les pierres qui en proviennent pouvaient être admises, comme les autres, pour l'exécution des travaux publics.
Dans ces conditions, fallait-il conserver dans le cahier des charges l'article 31, aux termes duquel la pierre de taille bleue à employer dans les travaux du gouvernement devait être généralement de l'espèce dite petit granit et provenir des carrières de Maffles, de Soignies, de Feluy, d'Arquennes ou de l’Ourthe ?
Etait-il possible à un ministre qui, quoi qu'en puissent dire mes honorables adversaires, professe les opinions les plus libérales en matière de commerce et d'industrie, lui était-il possible de maintenir un privilège comme celui-là ? Cette clause constituait un véritable monopole ; non seulement elle tendait à faire déprécier les produits des carrières de la Meuse dans l'esprit des ingénieurs chargés de l'exécution des travaux publics ; mais elle jetait encore l'interdit sur ces mêmes produits, aux yeux des particuliers en Belgique et à l'étranger.
Le gouvernement ne pouvait se montrer injuste et maintenir une clause qui, indépendamment des défauts que j'ai signalés, tendait à entraver la libre concurrence. C'est ce que je n'ai pas voulu, et j'ai décidé que toutes les pierres reconnues bonnes peuvent être employées, mais seulement les pierres reconnues bonnes. Les ingénieurs qui dirigent les travaux savent quels sont les meilleurs matériaux à mettre en œuvre et ils indiqueront dans les cahiers des charges les pierres qu'ils proposent d'employer pour chaque cas particulier : le comité consultatif examinera en dernier ressort et, s'il y a contestation, le ministre décidera.
Du reste, comme il n'y a pas accord sur les défauts et les qualités des pierres indigènes, le département des travaux publics procédera à des recherches et à des expériences pour se guider dans les choix à faire ultérieurement.
Voilà quant aux deux points qui avaient en quelque sorte un caractère personnel.
Puisque j'ai la parole, j'en profiterai pour répondre quelques mots aux autres questions qui m'ont été posées et notamment à celle des tarifs.
Je ne crois pas cependant qu'il entre dans les intentions de la Chambre de discuter de nouveau cette question. (Interruption.) On aura beau soutenir, dans l'intérêt de la cause, que je n'ai rien dit, que je n'ai rien prouvé, que je n'ai rien établi, que je me suis borné à certaines évaluations sans preuves. Ceux qui ont lu mes discours sans esprit de parti, sans idée préconçue, ne partageront pas, j'en suis convaincu, l'opinion émise à cet égard par l'honorable M. de Macar.
Je me suis exprimé, me paraît-il, de façon à justifier le principe que j'ai dit vouloir adopter, tout en déclarant que l'application en est subordonnée à un examen qui pouvait en modifier les bases ; j'ai déclaré que, dans ces conditions, toute discussion actuelle était inopportune, et j'ai demandé à être jugé lorsque le système serait positivement arrêté et appliqué de façon que les résultats pussent en être appréciés.
On m'annonce que mes prévisions ne se réaliseront pas, que j'arriverai à un déficit au lieu d'obtenir un bénéfice. S'il en est ainsi, j'aurai mal fait ; on pourra m'attaquer et me renverser. J'accepte toute la responsabilité de la situation.
Je suis obligé, pour la dernière fois que je prends la parole sur cet objet, de relever quelques chiffres fournis par l'honorable M. David.
M. David. - Ils sont tous officiels.
(page 1748) M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je suis obligé de relever les conclusions que vous avez tirées des chiffres officiels, si vous le préférez, chiffres qui ont servi aussi de canevas au discours de l'honorable M. Anspach. Celui-ci a seulement ajouté l'histoire des machines qui a aussi tant agité l'opinion publique. Je m'attendais à voir rappeler également la question des chevaux, si profondément discutée lors de la construction des chemins de fer ; mais elle n'est pas venue.
L'honorable M. David s'est donné beaucoup de mal pour établir ce qui n'est contesté par personne et pour apprendre à ses collègues ce que, je crois, ils savaient aussi bien que lui. C'est ainsi que l'honorable représentant de Verviers a commencé par vous exposer, d'après les comptes rendus de l'administration, quels étaient les tarifs des voyageurs de 1851 et de 1854.
Toujours d'après les mêmes documents, il vous a indiqué quel était le barème introduit à dater du 1er mai 1866. Il aurait pu élaguer cette partie de son discours ; ce qu'il nous a dit, tout le monde le sait.
L'honorable M. David a paru ensuite exprimer la crainte que tout ne fût remis en doute dans la gestion financière des chemins de fer de l'Etat par la réforme dont j'ai annoncé le désir de faire l'expérimentation. Je le prie de se rassurer à cet égard. Je l'ai déjà dit à différentes reprises, je ne veux apporter de changements qu'aux tarifs des voyageurs, et si j'introduis peut-être quelques modifications dans les tarifs des marchandises, ce sera dans le sens d'un abaissement et d'améliorations qui ont été réclamées sur tous les bancs de celle Chambre.
Voilà donc un point sur lequel on peut avoir tout apaisement.
Je viens de dire que l'honorable M. David a cru que je méditais un bouleversement radical des tarifs.
Qu'a fait l'honorable membre ? Il a montré la prospérité toujours croissante des chemins de fer, s'exprimant par l'augmentation continue du taux de l'intérêt obtenu et par la diminution constante du rapport proportionnel de la dépense à la recette.
Mais il a perdu de vue que, pour rester sur le terrain de la discussion ouverte devant vous, il aurait dû démontrer que ces améliorations dont il tire argument sont dues au nouveau tarif des voyageurs.
C'est ce qu'il n'a pas fait.
En confondant toutes les sources de produits, il a négligé l'objet principal de la démonstration, qui devait être son unique objectif.
Dire que l'on a obtenu, en 1867, en 1868 et en 1869, respectivement 4.84, 5.13 et 5.89 p. c. du capital moyen utilisé et faire remarquer que ces chiffres accusent une progression sensible et non interrompue, ce n'est pas prouver que le tarif des voyageurs soit pour quelque chose dans ces résultats dont le gouvernement et moi-même sommes les premiers à nous féliciter.
On peut, je ne dis pas que cela soit, avoir réalisé ces tantièmes à, l'aide du trafic des marchandises, tout en supportant une décroissance relative du chef du transport des voyageurs.
L'honorable membre ne se rendrait certainement pas à mon raisonnement si je voulais reporter au nouveau tarif des voyageurs la diminution très sensible constatée entre le taux de l'intérêt obtenu en 1865, c'est-à-dire avant la réforme de l'honorable M. Vanderstichelen, et le taux de l'intérêt de 1869, qui a été si fort exalté par M. David au profit de cette réforme.
Et cependant en 1865 on avait atteint 6.99 p. c. du capital utilisé.
On avait été jusqu'à 7.06 p. c. en 1864 et même jusqu'à 7.23 p. c. en 1862. Si donc l'on veut m'opposer la progression croissante des trois années postérieures à la réforme pour en tirer un argument contre moi, je puis bien, à mon tour, invoquer les tantièmes plus considérables que l'on atteignait auparavant, mais ni M. David, ni moi, nous n'aurons rien prouvé ni pour ni contre l'efficacité du système inauguré en 1866.
Je puis en dire autant, messieurs, de la signification que l'honorable membre attribue au rapport existant entre la dépense et la recette. On a exploité, dit-il, en 1867 à 60.73 p. c, en 1868, à 59.15 p. c. et, en 1869, à 55.53 p. c..
Mais avant cela on avait exploité à 51.9 p. c, en 1865, et l'on était même descendu en 1862, à 45 3/4 p. c. Encore une fois, qu'est-ce que cela prouve en faveur de la réforme ou contre la réforme ? Une augmentation même temporaire, du prix des principaux objets de consommation, de la houille ou du fer, par exemple, suffit à provoquer les variations, soit, en plus, soit en moins, qui se remarquent d'une année à l'autre.
Dieu me garde de soutenir que l'exploitation du chemin de fer de l'Etat ne se fait pas dans des conditions qui doivent satisfaire les plus exigeants, et sous ce rapport le discours de l'honorable M. David est un véritable hors-d'œuvre ; il n'avait personne à convertir ici, si ce n'est peut-être l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.
Là n'est donc pas la question, et pour moi elle gît ailleurs ; l'honorable M, David ne s'en est un peu approché que quand il a parlé de l'accroissement de mouvement qui s'est manifesté, postérieurement à la réforme, dans les différentes zones qu'elle avait établies. Cette partie de son discours a été répétée par l'honorable M. Anspach avec beaucoup de complaisance.
Mais là encore je crains bien que l'honorable membre ne se soit quelque peu fourvoyé et ne m'ait fourni des arguments qui, loin de servir sa thèse, viennent singulièrement à l'appui de la mienne.
En effet, l'honorable membre a, dans la deuxième partie de son discours, accumulé les chiffres pour établir un fait qui n'a jamais été nié, que je sache, et qui, s'il est exact, prouve directement en faveur de mes projets et les justifie mieux que ne pourrait le faire toute mon argumentation.
Voyez, a dit M. David, combien est grande, incontestable et heureuse l'influence de la réforme sur le mouvement des voyageurs ! Tandis que l'accroissement ne dépasse pas 16 p. c. dans la première zone, il monte à 65 p. c. dans la troisième (1868 comparé, à 1865), témoignage éclatant de l'effet hautement satisfaisant que la réforme a produit dans le sens du développement des voyages à longue distance. Mais c'est là précisément la meilleure et la plus irréfutable confirmation de mon appréciation qui consiste, à prétendre que la réforme a fait trop en faveur des voyageurs fournissant les longs parcours, puisqu'elle en a augmenté le nombre de 65 p. c. et qu'elle n'a rien fait, ou presque rien, pour les voyageurs restant dans, les petites distances, puisqu'elle n'en a augmenté le nombre que de 16 p. c. La réforme a favorisé les longs parcours ; elle a procuré des avantages sensibles, trop sensibles à mon avis, aux voyageurs qui vont au loin, c'est-à-dire à 900,000 personnes.
Laissez-moi donc placer à côté de ces 900,000 personnes, les 12,000,000 de voyageurs auxquels la réforme n'a rien ou presque rien accordé, et permettez-moi de répéter que ceux-ci sont, à mes yeux, aussi, dignes, plus dignes même d'intérêt et de sollicitude que ceux auxquels vous voulez réserver vos faveurs. (Interruption.)
Vous me dites de compléter la mesure ; mais en appliquant le système de l'honorable M. Vanderstichelen, il était impossible de le faire sans compromettre les finances de l'Etat.
Je reprends la suite de mes idées.
On m'objectera sans doute que les 900,000 voyageurs de la troisième zone comprennent des personnes de toutes les classes et qu'ainsi, parmi les favorisés, il se trouve ce que l'on a appelé des petites bourses aussi bien que des riches.
Mais je répondrai d'abord que les petites bourses allant au loin sont en grande minorité, et qu'en tous cas, les longs voyages, quel que soit celui qui les fait, répondent toujours à un intérêt assez important pour justifier la perception d'un prix plus élevé.
J'ai déjà déclaré dans d'autres discours qu'il n'est nullement décidé que l'on en reviendra d'une manière rigoureuse et absolue aux anciens prix, même pour les distances de plus de 16 lieues. Je n'ai jamais dit, d'une façon positive, qu'on leur reprendrait tout ce qu'elles ont reçu.
Je veux surtout, et, encore une fois, c'est ainsi que se définit sincèrement mon programme, je veux surtout abaisser les prix relativement exagérés que la réforme, appliquée comme elle l'est actuellement, inflige à la grande masse des voyageurs et principalement à ces petites bourses qui ne sortent guère des relations de voisinage. Je veux reprendre au profit des voyageurs de la première zone et peut-être aussi au profit du trésor, les sacrifices qui ont été faits inutilement (j'insiste sur le mot, car là est toute la question). Pour qui ces sacrifices ont-ils été consentis, si ce n'est pour des voyageurs qui peuvent payer, surtout pour les voyageurs internationaux qui, à eux seuls, occasionnent, d'après le tarif en vigueur, une, perle sèche qui peut être évaluée à plus d'un demi-million ?
J'ajoute qu'il n'entre pas dans ma pensée de puiser, dans les mesures de réparation que j'ai en vue, une source de revenus pour le trésor. ; je n'en fais pas matière à impôt, car, si j'obtiens le produit que j'espère, il sera appliqué à l'amélioration du chemin de fer dans l'intérêt du commerce, de l'industrie et de l'agriculture.
Ce que je désire enfin, c'est d'arriver à ce résultat qui a été indiqué parle gouvernement lui-même à la fin de son rapport de 1869.
Mon prédécesseur a dit alors en toutes lettres :
« Le gouvernement veut rechercher par de nouvelles expériences les mesures à prendre pour rendre plus faciles et plus économique, les voyages, à petits parcours. »
« Cette phrase est textuelle ; elle termine le rapport du 10 décembre 1869 ; ou elle n'a pas de sens, ou elle signifie que le secret n'avait pas encore été trouvé par M. Vanderstichelen quant aux petits parcours ; elle signifie, en outre, que l'honorable M. Jamar lui-même se proposait de demander et secret à de nouvelles expériences.
(page 1749) Eh bien, c'est ce que je veux faire, notamment en introduisant le système des billets d'aller et de retour.
Ma réforme, je l'ai déclaré plusieurs fois, mais je suis obligé de le répéter encore, puisque l'on feint de ne pas le comprendre, tendra à amener une réduction de prix sur les petits parcours ; ce but ne peut être atteint sans un relèvement de tarif sur les grands parcours, parce qu'une réduction, quelque minime qu'elle soit, si elle agit sur une masse de 10 à 12 millions de voyageurs, produit immédiatement une grande diminution de recettes, à laquelle je ne yeux pas exposer le trésor.
Que sera le relèvement ? Comment fonctionneront les billets d'aller et de retour ? Quelle réduction offriront-ils au porteur ? De tout cela rien n'est fixé. La Chambre le sait et c'est dans ces conditions que, par un vote solennel, elle a déclaré qu'elle avait confiance en moi et qu'elle m'attendait à l'œuvre pour me juger.
Je me maintiens dans cette situation et je crois que de nouvelles explications seraient inopportunes pour le moment.
M. Bara (pour une motion d’ordre). - Je n'étais pas présent lors de l'analyse des pétitions. Il en est arrivé une du conseil communal et d'habitants de Péruwelz demandait la suppression des servitudes douanières ou la consécration du principe de l'indemnité pour les populations qui se trouvent dans le rayon douanier.
Cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions.
Je crois qu'il serait préférable de la renvoyer à la section centrale qui a examiné la proposition relative aux indemnités à accorder pour servitudes militaires, et j'en fais la proposition.
- Cette proposition est adoptée.
M. Vermeire. - Je ne m'attendais pas à ce que, dans la discussion de ce projet, on aurait discuté des questions qui y sont étrangères et, surtout, celle qui concerne le tarif des chemins de fer.
L'honorable député de Huy a déclaré qu'il ne pourrait voter le projet de loi, parce que son arrondissement n'est pas compris dans les faveurs du gouvernement. Si je devais user du même procédé, je devrais aussi voter contre le projet, parce que l'arrondissement de Termonde y est compris pour zéro.
Je le voterai, cependant, parce que je me préoccupe, avant tout, de l'intérêt général.
Il y a, dans la discussion qui s'est établie sur le projet qui nous est en ce moment soumis, des contrastes que je tiens à mettre en évidence. Ainsi, on dit que les tarifs actuels sont bons, qu'il faudrait les maintenir, et, d'un autre côté, on ne veut pas conserver ce même tarif pour les longs parcours.
Pour moi, je l'ai déclaré bien souvent, je ne suis pas partisan des augmentations de tarifs sur les chemins de fer ; mais je dis que si l'on pouvait améliorer les tarifs dans ce qu'ils ont d'anomal, de ridicule même, on ne devrait pas tarder un jour à le faire.
Ainsi, comment ces tarifs sont-ils établis ? Ce n'est pas sur la distance réellement parcourue, comme quelques orateurs ont paru le penser ; c'est sur ce qu'on est convenu d'appeler la distance légale.
Eh bien, messieurs, cette distance légale ne signifie absolument rien.
Ainsi comprenez-vous que, de Termonde à Bruxelles, on doive payer en première classe 3 fr. 60 c. en express et 3 francs en train ordinaire ; tandis que de Termonde à Mons ou à Saint-Ghislain on ne paye que 4 francs et quelques centimes ; et cela pour une distance triple de celle de Termonde à Bruxelles ?
Si vous vouliez faire subir des changements aux tarifs, il faudrait adopter comme base la distance à vol d'oiseau.
Pourquoi ne réclame-t-on pas contre ces exagérations des tarifs ? C'est messieurs, qu'on finit par s'habituer aux prix exigés, quelque injustes qu'ils soient.
Si je devais me placer au point de vue exclusif des recettes, à ce point de faire produire, par le chemin de fer, autant qu'il est possible de le faire ; au point de vue exclusif de la situation financière de l'exploitation des chemins de fer, voici ce que je ferais : je diminuerais les prix de parcours en première et en seconde classe. Je sais bien qu'on dirait encore une fois que ce serait là une réforme aristocratique ; on nous accuserait de favoriser les grands au détriment des petits. Mais je soutiens qu'au point de vue financier de l'exploitation cesserait la meilleure des réformes ; un simple raisonnement vous le fera aisément concevoir.
Le prix de transport en voitures de première classe est considérable relativement au prix des voitures de deuxième et surtout de troisième classe ; et la plupart du temps, ces voitures ne contiennent que très peu de voyageurs. Ainsi pour trois ou quatre voyageurs, il faut mettre en service un véhicule qui coûte dix fois plus peut-être que ceux qui servent au transport (les voyageurs en deuxième et en troisième classe.
Eh bien, je dis qu'au point de vue financier, si vous pouviez amener un déclassement des voyageurs de troisième classe dans la deuxième classe et de ceux de deuxième classe dans la première, vous obtiendriez des recettes bien autrement considérables qu'aujourd'hui.
Il suffit de jeter un coup d'œil sur le compte rendu du chemin de fer, pour constater que la recette de la première classe est de 23.04 p. c, celle de la deuxième classe de 21.33 p. c. et celle de la troisième classe, de 53.38 p. c. En sorte que si le nombre de voyageurs restait le même pour toutes les classes, nous aurions une augmentation de recette assez considérable.
Mais je ne puis conseiller le gouvernement à cet égard parce qu'on pourrait m'objecter que, voyageant en première classe, je prêche pour ma chapelle.
On a dit, dans cette discussion, que le chemin de fer ne doit pas être exploité à perte ; on disait autrefois que le chemin de fer était la ruine dés finances du pays.
Nous avons protesté une première fois contre cette assertion et nous venons dire aujourd'hui encore que le chemin de fer profite à l'Etat, dans une proportion très satisfaisante ; en effet, malgré toutes les vicissitudes politiques, les produits deviennent de plus en plus considérables. La comparaison d'une année à l'autre donne une augmentation considérable. Je ne veux pas citer beaucoup de chiffres, la Chambre doit en être saturée, mais je demanderai à faire la comparaison des deux premiers mois des exercices 1870 et 1871...
Dans leur ensemble, 1871 présente sur 1870 une augmentation de 2,079,853 fr. 18 c.
La part de l'Etat dans les recettes est de 9,254,338 fr. 99 c.
Celles des sociétés de 2,475,375 fr. 71 c.
Total : 11,729,714 fr. 70 c.
Si les autres mois de l'année donnaient la même augmentation, 1871 présenterait sur 1870 une différence de plus de 25,000,000 de francs.
Je crois qu'un système qui donne de tels résultats peut être considéré comme très satisfaisant, et qu'il serait dangereux d'y toucher. En chemins de fer, comme en industrie, ce qu'il faut faire, c'est produire beaucoup, avoir le mouvement le plus considérable possible pour récupérer beaucoup de bénéfices.
Voilà, selon moi, ce qu'il convient de faire dans l'exploitation des chemins de fer.
Je crois donc pouvoir engager le gouvernement à ne pas changer son tarif dans le sens d'une élévation qui, par ses résultats, exercerait une mauvaise influence sur la situation générale.
Maintenant, messieurs, on dit que, pour les longs parcours, les tarifs ne, seront plus proportionnés aux tarifs des petits parcours. Cela se comprend. Que devons-nous faire ? Nous devons engager les personnes qui voyagent à faire les voyages les plus longs possibles, et nous devons pour ainsi dire les attirer par l'appât des bas tarifs. Voilà la vérité.
Ainsi, vous avez toujours vos convois qui doivent parcourir les longues distances comme les petites ; vous pourriez toujours exploiter avec un convoi, je ne dirai pas tout à fait rempli, mais à moitié rempli ; tandis qu'aujourd'hui pour les longs parcours, vous n'avez presque pas de voyageurs. Je crois que votre situation financière pourrait être beaucoup meilleure, si vous pouviez avoir toujours vos trains remplis de monde.
Nous devons tâcher de trouver ce critérium, d'arriver enfin à cette situation.
Mais, dit-on, dans les pays étrangers on n'exploite pas comme en Belgique ; par exemple, les tarifs sont beaucoup plus élevés.
Cela est vrai ; les tarifs des chemins de fer y sont très élevés, et même si élevés que beaucoup de personnes hésitent à faire le voyage. Si les tarifs n'y étaient pas plus élevés qu'en Belgique, tout le monde irait voir ce beau pays de Prusse ; on s'en abstient aujourd'hui, précisément parce que les frais de transport y sont trop coûteux. Voilà la vérité.
Autre raison pour ne pas augmenter les tarifs pour les longues distances. Si vous élevez trop considérablement les tarifs, les ouvriers, les petits fabricants, les artisans ne pourront pas étendre leurs affaires. Vous (page 1750) n'exploiteriez le chemin de fer qu'en faveur de ceux qui ont des fortunes relativement élevées ; et ceux qui voudraient étendre leurs affaires, vous les en empêcheriez,
Il faudrait donc qu'il fût démontré pour moi que le chemin de fer exploite en perte, pour que je pusse approuver le moindre changement dans les tarifs. Si vous voulez les diminuer, diminuez-les pour les petites distances, pour lesquelles ils sont aujourd'hui comparativement trop élevés.
Mais ce n'est pas en augmentant les tarifs pour les longues distances que vous atteindrez un but désirable.
Dernière observation. On croit que les frais d'exploitation du chemin de fer peuvent être considérablement diminués par la suppression des convois. C'est là une erreur profonde. Comment ! vous avez un chemin de fer dont les frais d'établissement ont été assez élevés ; et vous ne voulez pas user de cet engin d'une manière complète et le plus rapidement possible. Ainsi, je ne comprends pas pourquoi, - je ne veux pas parler de mon arrondissement ; je pourrais cependant en dire beaucoup, - je ne comprends pas pourquoi on a supprimé le train de midi qui parfait de Mons vers Bruxelles. (Interruption.)
Il n'avait pas de voyageurs, me dit-on ; je réponds qu'il en avait assez pour faire ses frais. Si vous n'aviez qu'un train ou deux par jour, vous auriez un chemin de fer, mais vous n'auriez pas de recette, parce que vous n'exploitez plus votre ligne comme elle devrait être exploitée,
Messieurs, il se présente un fait singulier. On ne veut pas que les chemins de fer soient exploités par l'Etat, Mon honorable ami, M. Julliot, et l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ont professé hier cette idée, Il est vrai que si l'on consulte l'économie politique proprement dite, l'Etat ne doit pas exploiter. Mais une exploitation comme celle des chemins de fer, où l'intérêt général domine à un si haut point, ne peut être laissée aux mains des compagnies.
Et que demande-t-on aujourd'hui en Angleterre, où ce sont les compagnies particulières qui exploitent les chemins de fer ? On demande que cette exploitation soit reprise par l'Etat.
M. Julliot. - On a tort.
M. Vermeire. - On a tort, selon vous. Mais je dis que l'intérêt général domine cette question.
On avait peut-être tort aussi autrefois de faire construire par l'Etat les routes ordinaires.
Il y avait des routes de l'Etat ; il y avait des routes provinciales ; il y avait des routes communales.
Les communes et les provinces auraient très bien pu construire toutes les routes. On établissait des barrières sur les routes pour en percevoir quelque chose, tout le monde pouvait, à ces conditions, construire des routes. Cependant on s'adressait à l'Etat et hier encore vous avez entendu l'honorable M. Julliot demander que le gouvernement intervienne pour une plus grande part dans les subsides pour la voirie dans le Limbourg.
Vous voyez, messieurs, qu'il ne faut pas être trop absolu dans ces sortes de questions.
Je me résume, car je ne veux pas abuser plus longtemps de l'attention de la Chambre.
Je dis que nous devons tâcher de faire transporter les hommes et les choses au meilleur marché possible, que nous devons tâcher de supprimer toutes les entraves à la circulation. Lorsque nous aurons travaillé dans ce sens, nous verrons la Belgique prendre dans les affaires, comme en toute autre chose, un développement beaucoup plus considérable que celui qu'elle a déjà pris et que tout le monde admire.
M. Delaet, rapporteur. - Messieurs, hier, M. le bourgmestre de Bruxelles a commencé son discours en vous disant qu'il avait été aussi affligé qu'étonné à la lecture de certains passages du rapport de la section centrale, passages où la violence ne le disputait qu'à l'absurdité et à la vue desquels il s'était demandé si l'auteur avait bien toute sa raison.
Je ne vous dirai pas que j'ai été affligé de ce langage ; mais j'en ai été au moins fort étonné. M. le bourgmestre de Bruxelles a, sans doute, voulu démontrer à la Chambre qu'il n'a rien compris au rapport, comme il ne comprend rien à l'histoire de Belgique et aux besoins actuels de la Belgique.
Si la section centrale devait s'attendre à quelque chose de la part de la ville de Bruxelles, c'était à des remerciements et non pas à des récriminations.
L'honorable M. Anspach a eu beau grossir sa voix, prendre un accent dramatique et déclamatoire, il n'a pu faire accroire à personne qu'il y a quelque chose d’injuste, de violent, d'absurde dans le rapport de la section centrale,
Voudrait-il soutenir qu'il ne faut pas arrêter certaines tendances dans ce qu'elles ont d'excessif, et que lorsqu'il s'agit de puiser dans le trésor public, il ne faut pas y mettre certaines bornes et une certaine modération ?
Le rapport ne dit absolument que cela. Sous ce point de vue, M. le bourgmestre de Bruxelles n'a donc pas compris le rapport.
Je voudrais que la Chambre fût moins fatiguée, qu'elle eût moins le désir de terminer cette longue session, car les questions que le rapport a soulevées sont de celles qui méritent d'être discutées et étudiées.
Malheureusement, messieurs, force m'est bien d'opposer le laconisme le plus sévère au singulier atticisme de M. le bourgmestre de Bruxelles.
Je disais donc que M. le bourgmestre de Bruxelles n'a pas compris la portée des principes énoncés par la section centrale. Il n'a pas compris non plus à qui s'adressaient les réflexions de la section centrale.
Dans tout le rapport, il ne s'est pas agi une seule fois de l'administration de la ville de Bruxelles. La section centrale ne s'est pas occupée de cette administration ; elle n'avait pas à s'en occuper ; elle n'y a pas même songé. Pourtant, tout le discours de l'honorable bourgmestre de Bruxelles est une défense de l'édilité bruxelloise.
Les principes que la section centrale a soumis aux réflexions de la Chambre sont ceux-ci : Il y a une tendance évidente à centraliser toute la vie nationale à Bruxelles... (Interruption.) parce que Bruxelles est la capitale ! Mais oui l Quand on centralise il faut bien que ce soit quelque part. Le gouvernement a été immodéré, imprudent dans les dépenses.
Je n'ai pas besoin, je suppose, de citer les nombreux bâtiments pour lesquels on est venu demander un crédit excessivement modéré au début, mais qui, plus tard, a été quintuplé et sextuplé.
- Un membre. - Il faudrait préciser.
M. Delaet. - Je citerai, par exemple, l'église de Laeken. (Interruption.) Messieurs, je n'ai jamais cru que les députés de Bruxelles pussent vouloir limiter à la commune bruxelloise la centralisation de la capitale.
D'ailleurs, si le pays et la Chambre vous laissaient faire, Laeken serait peut-être Bruxelles demain. A ce propos, j'aurai tout à l'heure à dire un mot sur une autre face de cette question.
Si vous voulez que je précise davantage encore, nous avons le palais de justice. Le crédit de 6 millions est absorbé dès maintenant et vous savez tous à quelle hauteur a été poussé jusqu'aujourd'hui ce bâtiment-là.
Il est incontestable - personne ne le niera - que le crédit de 6 millions, plus les 2 millions de la province et de la ville, seront doublés.
Ce n'est plus ni la province de Brabant ni la ville de Bruxelles qui interviendra. C'est à l'Etat qu'on demandera les fonds.
Mais si j'en dois croire les renseignements qui me sont parvenus comme à d'autres membres de la section centrale, non seulement ce crédit sera doublé, il sera plus que quadruplé.
En effet, on ne se contente pas de faire un palais de justice digne de la capitale de la Belgique, contre laquelle, croyez-le bien, nous n'avons aucune jalousie ni aucun sentiment mauvais ou malsain, - on élève la corniche au double de la hauteur de celle du Palais de la Nation. On l'élève, d'après le plan, jusqu'à la hauteur de Saint-Pierre de Rome, et l'on fait surmonter la salle des Pas-Perdus d'une coupole de 80 mètres de hauteur.
J'espère bien, messieurs, que quand on viendra nous demander de nouveaux crédits pour ce bâtiment, la Chambre se fera délivrer tous les plans, tous les dessins, tous les devis, et que nous ne voterons plus, cette fois, de crédits à l'aveugle.
Messieurs, l'honorable bourgmestre de Bruxelles n'est pas plus content de la forme que du fond du rapport.
Nous ne parviendrons à nous mettre d'accord avec lui sur aucun point, pas même sur le genre grammatical du nom de Bruxelles. Moi j'ai cru naïvement, -pardonnez-le-moi, je suis Flamand et n'ai pas une grande expérience de la langue française, - j'ai cru que Bruxelles était masculin et qu'on disait le beau Bruxelles.
Il paraît que dorénavant il faudra dire la belle Bruxelles. Dans ce cas, je l'avoue, il y aura un motif de plus pour que le gouvernement la dote.
M. de Kerckhove. - Et l'entretienne !
M. Delaet. - Bien entendu. Pardonnez-moi cette plaisanterie, messieurs, dans une matière si grave.
L'histoire de la Belgique (interruption), - je ne vous ferai pas de conférence, - est l'histoire de la décentralisation.
Chaque ville a sa vie propre et son rôle à remplir.
Dans noire ancienne histoire, il n'y avait pas de ville vivant aux dépens de toutes et attirant à elle seule toute la sève vitale de la nation.
C'est pourquoi la Belgique, comme j'ai eu l'honneur de le dire dans le rapport, a pu passer à travers deux siècles de domination étrangère se (page 1751) retrouvant, après deux siècles, plus vivace et plus énergique, bien qu'elle fût tombée sous la puissance étrangère, épuisée par la guerre.
Que voyons-nous aujourd'hui ?
La centralisation se décrète-t-elle ?
Marche-t-elle drapeau déployé ; avance-t-elle tambour battant ?
Pas le moins du monde !
Elle va pas à pas et gagne le terrain petit à petit.
Tantôt c'est telle branche de la vie nationale qu'elle attire et absorbe, tantôt c'est telle autre.
On vend des collections de musées à l'Etat pour payer des dettes résultant de la révolution, comme si Gans, Anvers et d'autres villes du pays n'avaient pas été ruinées par la révolution sans rien recevoir.
Et puis que fait-on ? On a vendu les propriétés et on a vendu aussi l'obligation de les entretenir et de les augmenter ; vous avez les bibliothèques publiques, les musées, leks collections scientifiques, et un beau jour on vient vous dire, - coince pour l'académie militaire, pas plus tard qu'hier, - toutes les ressources sont à Bruxelles, tous les moyens d information scientifiques sont à Bruxelles, il faut que l'école soit à Bruxelles.
On n'est plus content de savoir l'école, de cavalerie à Ypres, l'école des sous-officiers dans une autre ville, il faut tout réunir à Bruxelles. Et voila comment marche la centralisation. Anvers a, dit-on, une école des beaux-arts. C'est parfait ; mais à cette école, Anvers devrait ajouter le musée de l'Etat. Bien loin d'avoir le musée de l'Etat, je crois savoir que le musée d'Anvers ne peut acheter un tableau sans s'être assuré d'avance que le musée de l'Etat n'a pas l'intention de l'acquérir.
Voila où nous en sommes.
Gand était la ville, des fleurs, c'était la Florence belge ; nous venons d'acquérir le Jardin Botanique et toutes les collections, tous les herbiers, tous les ouvrages rares et précieux viendront se centraliser à Bruxelles.
Voilà ce qu'est la centralisation ; voilà comment vous enlevez à la nation belge sa vie historique, et voilà aussi dans quel sens j'ai pu dire avec une pleine vérité et avec le cœur d'un vrai patriote que votre tendance est fatale à la nationalité belge.
Qu'y a-t-il dans le rapport qui aille au delà ; qu'y a-t-il qui implique la négation, je dirai plus, la critique de la primauté de Bruxelles ?
Est-ce que la section centrale ne vous dit pas que Bruxelles doit être la première ville du pays, la capitale du pays, être le centre administratif et politique du pays ? Voilà ce que vous dit la section centrale : elle va même plus loin, elle vous dit : Ne faites pas, aux frais de l'Etat, de luxe inutile ; mais quand vous aurez des travaux sérieux, des travaux d'assainissement à faire, la Chambre ne vous marchandera pas les fonds nécessaires.
Voilà ce que dit le rapport. Contre quoi a donc protesté M. le bourgmestre de Bruxelles ?
« La section centrale, dit-il, tout en reconnaissant que la ville de Bruxelles a, comme capitale, droit à des faveurs particulières, tout en étant disposée à se montrer très large, très généreuse, est d'avis que lorsqu'il, s'agit de puiser dans le trésor public pour défrayer certains travaux de simple embellissement ou d'une convenance toute locale, il est juste et sage de ne point dépasser certaines limites. »
Voilà ce que M. Anspach appelle la violence et l'absurdité du rapport et voilà ce qui lui fait demander si le rapporteur de la section centrale, car il m'a isolé de mes collègues de la section centrale, si le rapporteur avait bien toute sa raison en écrivant ces lignes !
Mais au fond, M. le bourgmestre peut avoir très bien compris et n'avoir pas été satisfait du rapport. Il n'envisage pas le caractère de la nationalité belge comme nous l'envisageons ; il veut, lui, une capitale centralisée ; il veut, ce sont ses expressions, que Bruxelles soit la tête et le cœur du pays.
Or, messieurs, nous n'avons pas besoin, nous, du cœur de Bruxelles, parce que le sang belge circule chaudement dans nos veines, et, Dieu merci ! jusqu'ici nous n'avons pas eu besoin de la tête de Bruxelles pour penser.
Pour nous, messieurs, Bruxelles est primus inter pares, ou prima si M. Anspach tient à rendre Bruxelles du genre féminin, mais il n'est que cela ; ce n'est point, pour nous, une capitale à la française. Ne perdons jamais de vue cette grande vérité que ce n'est point la délimitation géographique, ce ne sont point les frontières ni les drapeaux qui font un peuple, mais la pensée qui anime la nation.
M. le bourgmestre de Bruxelles a dit aussi que nous enviions la grandeur et la prospérité de la capitale. Je crois pouvoir me dispenser, tant en mon nom personnel qu'au nom de la section centrale, de nous défendre d'un pareil reproche.
Mais M. le bourgmestre a dit aussi que, pas plus que nous, il ne veut la centralisation, qu'il n'aime pas le pouvoir fort ; et que si l'indépendance de la dernière commune de la Belgique était menacée, Bruxelles lui prêterait immédiatement aide et assistance.
Jusqu'ici nous sommes d'accord ; mais... il y a un grand mais, - les actes, ce nous semble, ne sont pas tout à fait en harmonie avec les paroles. Ce n'est pas d'hier, en effet, que Bruxelles convoite les communes indépendantes qui l'entourent. Déjà, en 1853-1854, un effort considérable a été fait pour arriver à l'annexion de ces communes à la capitale ; l'effort n'a pas abouti alors au sein de cette Chambre et quoique je n'eusse pas l'honneur de siéger dans cette enceinte, je crois n'avoir pas été tout à fait étranger à l'insuccès de la tentative. Les journaux nous ont appris qu'il y a quelques jours à peine un conseiller communal de Bruxelles a de nouveau, comme on dit, levé ce lièvre.
Or, messieurs, l'annexion des faubourgs à la capitale serait la transformation de Bruxelles en une capitale française au lieu de rester, ce qu’elle est aujourd'hui, une capitale qui, comme Londres, comprend plusieurs communes, lesquelles pourraient s'entendre parfaitement si l'on voulait franchement établir un pacte de voirie et de police qui satisferait à tous les besoins sérieux. Le jour que serait décrétée l'annexion des faubourgs, il n'y aurait plus de bourgmestre de Bruxelles.
M. Anspach qui aujourd'hui déjà ne sait plus faire sa police avec les moyens qu'il a à sa disposition comme bourgmestre, demande que le gouvernement la subsidie comme les gouvernements prussien et français subsidient les polices de Berlin et de Paris. Et faisant le calcul du subside que Bruxelles devrait obtenir de ce chef, il nous a dit que, Bruxelles étant dix fois moins grand que Paris, le subside devrait être égal au dixième, de ce qui est alloué à Paris, soit 900,000 francs.
Quelle est, messieurs, cette police de Paris ? Est-ce une police communale comme la nôtre ?
Non, messieurs, c'est une police politique et voilà pourquoi le gouvernement la subsidie.
Mais si le gouvernement était moins libéral, s'il voulait réellement confisquer les libertés communales, il vous accorderait votre demande, et vous seriez obligés d'introduire en Belgique le régime des mouchards. Voilà où nous en serions, et Voilà ce que vous appelez la décentralisation !
Messieurs, je pourrais discuter point par point le discours de l'honorable bourgmestre de Bruxelles et voir si, en réalité, la ville de Bruxelles est si mal lotie dans le projet de loi.
Si l'on voulait bien y comprendre le chemin de fer de Luttre à Bruxelles, je pense que l'exécution de ce chemin de fer est d'intérêt bruxellois, la ville de Bruxelles aurait quelque chose comme 7,405,000 francs, à moins encore que l'honorable bourgmestre ne nous vienne dire : Que l'Etat fasse ou ne fasse pas de travaux et de monuments., cela m'est parfaitement indifférent, cela n'a aucun intérêt pour Bruxelles.
Je crois que personne, pas même l'honorable M. Anspach, ne voudra assumer la responsabilité d'une pareille affirmation. Si donc le chemin de fer de Luttre doit être porté au compte de Bruxelles, cette ville est comprise, de ce chef, dans le projet de loi pour une somme de 7,405,000 francs.
Messieurs, je ne veux pas faire descendre le débat de la hauteur où l'avait placé la section centrale. La section centrale ne s'est pas même préoccupée de la question financière. Qu'a-t-elle fait, par exemple, pour la construction d'une salle de concerts au conservatoire ? Elle a admis cette construction, quoiqu'elle fût presque certaine que la salle des concerta au palais Ducal ne servira plus absolument à rien, si ce n'est tout au plus à la distribution des prix aux lauréats du tir national et à d'autres solennités de ce genre.
Il est cependant un point du discours auquel je désire répondre en quelques mots.
L'honorable bourgmestre de Bruxelles a dit que la section centrale ne se serait pas occupée de cette ville dans son rapport, si elle n'avait peut-être voulu détourner l'attention des grands avantages que le projet de loi accorde à la province et à la ville d'Anvers.
Ces grands avantages dont on gratifie Anvers, quels sont-ils ?
J'y vois pour la province d'Anvers :
Continuation du canal de la Campine (continuation à laquelle les provinces de Liège et de Limbourg sont autant intéressées que la province d'Anvers). Cela fait un million.
Il y a ensuite un million pour construction de nouveaux murs et d’embarcadère le long des quais du Kattendyck et du Rhin, etc.
Et puis après ? Il y a 4 millions pour installation des service du chemin de fer aux établissements maritimes d'Anvers, c'est-à-dire au profit du chemin de fer de l'Etat. Il y a bien longtemps que l'Etat aurait dû compléter (page 1752) son outillage, s'il avait tenu à tirer de son réseau de chemin de fer tout le parti possible.
Qu'avons-nous fait pour l'Etat ? Nous avons construit pour 21 millions de travaux maritimes, et nous n'ayons pas reçu de l'Etat un centime de ce chef.
Nous avons récemment fait pour un million et demi de travaux d'assainissement ; nous avons élargi des rues, amélioré des quartiers pauvres ; et l'Etat n'est intervenu absolument pour rien dans les dépenses. Voilà les faveurs que l'on fait à la ville d'Anvers !
L'Etat va dépenser à Anvers, au profit de ses chemins de fer, une somme de 4 millions. Mais un fait que vous ignorez sans doute, c'est que pour dépenser cette somme, dans les conditions que je viens d'indiquer, l'Etat exige que la ville d'Anvers lui accorde, à lui Etat, un subside considérable. Les autres villes reçoivent des subsides ou obtiennent gratuitement la construction de travaux publics ; quand il s'agit de la ville d'Anvers., on n'accorde rien, si elle ne consent à s'imposer elle-même des sacrifices très lourds, si lourds même que la ville ne peut les consentir dans les conditions que propose l'Etat. Voilà la situation. Vous le voyez, les traditions sont tout à fait interverties. L'Etat ne nous accorde pas, en temps opportun, ce qui nous est nécessaire. Mais quand il a quelque chose à faire chez nous, quand il a à faire des travaux qui sont siens, c'est à nous qu'il vient demander des subsides,
Je vous disais que ces travaux devaient être faits depuis longtemps. En effet, depuis une dizaine d'années, l'Etat n'a presque pas touché, sérieusement du moins et à titre définitif, à l'aménagement des chemins de fer à Anvers. Or, en 1860, le tonnage de tous les navires arrivés à Anvers était de 546,444 tonnes. Je ne veux pas prendre une année exceptionnelle, je ne veux pas citer 1870 ; mais, en 1869 déjà, le tonnage est monté à 1,225,596 tonnes. Ainsi, voilà le mouvement maritime beaucoup plus que doublé, un tiers en plus. Et pourtant l'Etat n'a rien changé à l'aménagement de ses railways. Or, ce n'est pas lorsque, après une attente de dix années, on vient créer ce qu'on aurait dû créer depuis longtemps, qu'il y a lieu de crier à la faveur, alors même qu'on ne nous demanderait pas d'intervenir très largement dans les travaux à faire.
Si l'on me répond, j'entrerai peut-être dans des détails. Il me suffit, pour le moment, d'avoir déterminé le sens réel du rapport de la section centrale, le caractère historique de la nation belge et les besoins politiques du pays. J'ai, de plus, établi ce qu'hier j'avais promis de démontrer ; je n'abuserai pas de la bienveillante attention que la Chambre a bien voulu m'accorder.
(page 1800) M. Sainctelette. - Les observations que je vais soumettre à la Chambre ont trait à deux questions distinctes. Je voudrais adresser à M. le ministre des travaux publics quelques demandes d'explications relativement aux tarifs. Je voudrais aussi lui poser quelques questions relativement aux travaux projetés à Anvers.
Quant aux tarifs, j'ai deux choses à demander au gouvernement.
La première, c'est de différer jusqu'au 1er janvier 1872 la mise en vigueur de la réforme qu'il projette. Il y a, pour cela, plusieurs bonnes raisons. Et d'abord, il importe qu'on laisse fonctionner pendant un exercice complet la convention du 25 avril 1870. Nous sommes au début des opérations d'affermage de chemins de fer. La convention du 25 avril 1870 avec les Bassins houillers est un acte sans doute très important en soi, mais ce n'est que le premier de toute une série d'actes similaires. Pour tous ceux qui seront appelés à prendre part à la négociation ou à la ratification de ces conventions d'affermage, qu'ils appartiennent à l'administration, au gouvernement ou aux Chambres, il serait très utile de pouvoir étudier, dans les faits, la portée, les avantages, les défauts de la convention du 25 avril 1870.
Si l'on veut que cette étude pratiqué soit possible, il faut, pendant un an, laisser fonctionner la convention sans qu'aucune influence étrangère en vienne troubler le jeu naturel.
Il y a une seconde raison de différer jusqu'au 1er janvier 1872 la mise en vigueur de la réforme projetée, c'est que, pour la première fois et pour la seule fois depuis 1866, le barème de l'honorable M. Vanderstichelen pourra, en 1871, fonctionner dans des circonstances spéciales.
La convention du 25 avril 1870 n'a pas pu supprimer la concurrence, maïs elle l'a régularisée, elle lui a donné des digues et lui a imposé une limite.
Les dérivations de trafic ne pourront pas, en 1871, se donner pleine carrière comme elles ont fait en 1868, en 1869, en 1870. Elles n'enlèveront pas au chemin de fer de l'Etat l'équivalent des accroissements que procure l'influence des tarifs réduits.
Le jeu du barème Vanderstichelen sera donc en 1871 beaucoup plus facile à étudier, beaucoup plus dégagé de toute influence étrangère, qu'il l'a été dans les années antérieures.
Enfin, M. le ministre des travaux publics voudra sans doute que l'on puisse facilement comparer les résultats du barème Vanderstichelen avec les résultats du barème qui portera son nom. Or, de semblables comparaisons doivent porter sur des périodes entières. En matière de trafic, les mois se suivent mais ils ne se ressemblent pas.
Il n'est possible de faire une étude sérieuse qu'à la condition d'opérer sur des exercices complets.
La seconde demande que je veux faire à. M. le ministre des travaux publics, c'est de fournir à la Chambre des documents qui lui permettent de discuter, preuves en mains, les résultats des deux systèmes. L'étude si intéressante faite par M. l'inspecteur Vandersweep sur l'exercice 1868 n'a pas été continuée pour 1869 et 1870.
Le compte rendu de 1869 n'énonce même pas les données les plus élémentaires en matière de transport de voyageurs. Je veux parler de l'analyse du mouvement des voyageurs par services, par classes, par zones. Je n'ai trouvé, dans aucune des pièces qui nous ont été communiquées cette année, ces renseignements pour l'exercice 1869. Il est cependant certain que les influences qui s'étaient accusées pendant l'exercice 1868 ont dû se caractériser davantage pendant les exercices suivants, 1869 et 1870.
J'hésite, je l'avoue, messieurs, à entrer dans la discussion de la question des tarifs. Je suis découragé. Ce n'est pas seulement parce que M. le ministre des travaux publics nous répond du ton d'un homme dont le parti est pris et que la droite le soutient avec une telle ardeur qu'évidemment la discussion même de cette question d'affaires ne servira de rien ; ce qui me décourage plus encore que le parti pris de M. le ministre des travaux publics, c'est sa manière d'argumenter. M. le ministre des travaux publics ne rencontre pas nos arguments, ne réfute pas nos objections. Il rend la discussion impossible. Nous sommes vis-à-vis de lui dans la position des partisans de l'unité italienne quand le cardinal Antonelli leur répond : « Nous ne parlons pas la même langue, nous ne pouvons pas nous comprendre. »
Ceci, messieurs, n'est pas une exagération. Je vais vous en fournir une première preuve.
M. le ministre des travaux publics et plusieurs des membres qui lui sont vernis en aide, l'honorable M. Dumortier, par exemple, ont longtemps parlé d'injustice, ont dit que le barème Vanderstichelen était injuste pour les classes inférieures, que c'était une réforme aristocratique profitant exclusivement aux privilégiés de la fortune.
L'honorable M. Dumortier a embelli tout cela des éclats de sa fougue ordinaire et j'ai vu le moment où il allait évoquer tous les grands principes de 1789.
Messieurs, il suffit de quelques rapides réflexions pour constater combien, en disant tout cela, on se met à côté de la question.
Il ne s'agit pas de savoir si l'on est juste ou injuste, par la raison qu'il ne s'agit pas ici d'impôt. Les perceptions du chemin de fer ne peuvent être autre chose que la rémunération du service rendu.
Toute somme, si légère qu'elle soit, qui viendrait s'ajouter a la rémunération du service rendu, constituerait un impôt, un impôt perçu à charge des citoyens qui voyagent et dont seraient exempts ceux qui ne voyagent pas, un impôt grevant les classes laborieuses, pesant sur la production et dont le produit viendrait, à la décharge de ceux qui ne travaillent point, satisfaire aux besoins généraux de la société.
Or, nous plaçant à ce point de vue de la rémunération du service rendu et recherchant ce que le transport coûte pour déterminer ce qu'il vaut, nous avons fait observer à M. le ministre des travaux publics que le prix du transport s'abaisse au fur et à mesure que s'allonge le parcours.
Un train a fait un trajet de 60 kilomètres.
Nierez-vous que ce train coûte moins que feraient dix trains ayant parcouru chacun 6 kilomètres, ou six trains ayant parcouru chacun 10 kilomètres ou trois trains ayant parcouru chacun 20 kilomètres ?
Il ne semble pas que l'on puisse hésiter sur la réponse à faire. Que si l'on hésite, c'est entre le oui et le non. Mais il ne paraît pas possible que l'on dise à la fois oui et non. C'est cependant ce que fait l'honorable ministre des travaux publics. Au lieu de répondre tout de suite à la question, il nous dit : « Laissez-moi voir ce qu'il y a dans ces voitures. S'il y a des marchandises, vous avez bien raison ; mais s'il y a des voyageurs, vous avez tout à fait tort.
Nous croyons, nous, que la consommation du combustible, que la dépense en salaires, que l'usure de la voie et du matériel roulant sont indépendantes de la nature de la matière transportée. M. le ministre veut savoir préalablement ce que traîne la locomotive, ce que portent les waggons.
S'agit-il de marchandises, le coût kilométrique de la fraction s'abaisse au fur et à mesure que s'allonge le parcours. S'agit-il, au contraire, de voyageurs, ce cout kilométrique reste invariable.
Et l'honorable ministre s'en tient là.
Il faut avouer qu'il est fort difficile d'argumenter avec un adversaire aussi sobre de raisons.
Mais M. le ministre sait-il bien ce qu'il veut faire et peut-il caractériser réellement son projet ?
Dans le premier exposé qu'il en a fait à la Chambre, voici comment il l'a présenté.
Rappelant ce qu'avaient dit et mon honorable ami M. Descamps et l'honorable M. Braconier, il ajoutait : « Ce qui me sépare des honorables membres, c'est qu'ils voudraient que le rapprochement s'opérât par une nouvelle diminution de tarif sur les deux premières zones, tandis que je suis d'avis que c'est par le relèvement des tarifs de la troisième zone que l'harmonie doit être rétablie. »
Ceci est bien catégorique. C'est bien la suppression des écarts actuellement subsistants entre les trois zones, et cette suppression, c'est bien par le relèvement des prix de la troisième zone qu'il s'agit de l'amener.
Dans ce même discours, l'honorable ministre indique ce que son programme comprend et quels buts se propose le gouvernement. Il dit :
« En arrêtant ce programme, le gouvernement s'est proposé :
« 1° De ramener le tarif normal à des bases rationnelles et conformes à celles admises partout ailleurs ;
« 3° De rectifier ce qu'il y a d'excessif dans les réductions résultant du tarif actuel ;
« 5° De rendre le tarif acceptable par les compagnies et d'assurer ainsi l'uniformité si désirable dans l'exploitation de toutes les lignes belges ;
« 7° Enfin, d'améliorer les recettes. »
De cet exposé des motifs, nous avons conclu que le tarif nouveau du ministre des travaux publics était, en réalité, un tarif de relèvement. Et nous l'avons discuté comme tel. Eh bien, que vous a dit l'autre jour M. le ministre des travaux publics répondant aux développements donnés par M. Orts à la proposition d'enquête ?
(page 1801) « Tel est mon système que l'on a très improprement appelé relèvement des tarifs. Il eût été beaucoup plus simple, il eût été beaucoup plus juste, il tût été plus conforme a la vérité de l'appeler abaissement des tarifs sur les petits parcours. »
Les bras me tombent, je l'avoue, messieurs, d'entendre l'auteur de la réforme la définir dans des termes aussi éloignés, lui donner deux sens aussi incompatibles. Pour moi, les mots ont perdu leur signification et je n'entends plus rien au dictionnaire de la langue si la réforme de M. le ministre des travaux publics n'est pas une réforme par le relèvement des prix au lieu d'être une réforme par l’ des prix.
Il ne suffit pas de prendre un pavillon et de la mettre au haut du mât pour changer la nature de la marchandise.
Vous avez beau prendre pour pavillon l'abaissement des prix, la marchandise que vous couvrez de ce pavillon est une surtaxe. (Interruption.)
Le but que vous poursuivez, c'est l'augmentation de. la recette, et cette augmentation, vous la demandez non pas à un accroissement du mouvement, mais à un relèvement des prix de la troisième zone. C'est par une surtaxe que vous voulez revenir à ce que vous appelez les bases rationnelles d'un tarif.
C'est par une surtaxe que vous espérez arriver à l'entente cordiale avec les compagnies ; jamais les compagnies n'ont accepté l'entente sur la base du bon marché.
Comment discuter avec un adversaire si peu d'accord avec lui-même, avec un adversaire qui change à ce point le sens des mots et la nature du débat, qui, constamment, fuit au moment même où on le serre de plus près ?
Cependant je ne puis laisser passer, sans en dire quelques mots, les nombreuses pétitions adressées à la Chambre et au gouvernement.
Ces pétitions émanent de deux catégories d'hommes bien différentes ; les unes nous viennent des chambres de commerce de Gand, de Liège, de Verviers, de Mons, de Roulers, de Bruges, de Courtrai, de Hasselt, des associations commerciales, des cercles industriels, de tous les grands groupes producteurs du pays ; les autres nous arrivent de meetings où se sont rendus les négociants proprement dits, les hommes qui font le commerce de l'entremise entre le producteur et le consommateur.
Ces deux groupes se sont rencontrés dans l'expression de leur sentiment. Le premier est composé d'hommes qui connaissent à fond les lois du trafic des marchandises, parce que le trafic des marchandises est leur affaire de chaque jour, d'hommes essentiellement intéressés à la prospérité du chemin de fer, d'hommes qui comprennent que les améliorations qu'ils sollicitent, réductions des tarifs, augmentations de matériel, perfectionnements de l'outillage fixe et du matériel roulant, sont subordonnées à la prospérité financière du chemin de fer.
Le second est composé de négociants, et surtout de commis voyageurs, de courtiers, de facteurs, de préposés de toute espèce, qui visitent la clientèle, fréquentent les marchés, parcourent le pays de tout temps et en tous sens, d'hommes qui, par conséquent, savent le mieux quelle est l'influence du prix sur le nombre des voyageurs, à quelles impulsions le voyageur obéit et qui, faisant dans une même année et beaucoup de petits parcours et plusieurs longs parcours, sont, pour ainsi dire, personnellement désintéressés dans le débat.
Eh bien, les uns comme les autres, ceux qui savent de quelle importance est pour eux la prospérité des chemins de fer comme ceux qui représentent le plus fidèlement l'intérêt des voyageurs, n'hésitent pas à demander le maintien du barème actuel.
Ils vous disent qu'il faut maintenir le barème Vanderstichelen parce que c'est ce barème qui, en permettant à une foule d'hommes d'affaires de suivre tous les principaux marchés du pays pour y étudier les fluctuations des cours, a donné au commerce des grains et des farines, au commerce d'huiles, aux affaires en sucre, etc., à toute une série aujourd'hui très considérable de négoces, un développement réel, un rayonnement très étendu.
Toutes les pétitions signalent à votre attention un nouvel aspect de la question, un point bien digne d'être pris en très sérieuse considération, à savoir qu'il ne faut pas chercher dans les résultats des tarifs des voyageurs la seule réponse et toute la réponse à la question posée.
Les relations des hommes influent incontestablement sur le mouvement des affaires. Quand il s'est agi de la réforme postale, quand il s'est agi de la réforme télégraphique, on vous a dit que si l'abaissement du port de la lettre, si la réduction du prix du télégramme devaient momentanément provoquer une flexion de la recette, il fallait en chercher la réaction dans le trafic des marchandises, dans le mouvement et dans la recette des marchandises.
Plus vous rendrez, vous a-t-on dit, les correspondances postales et télégraphiques faciles, plus aussi se développeront les affaires, plus les marchandises vous viendront de loin, plus elles vous viendront en grandes quantités. Or, ce qui est vrai de la lettre et du télégramme ne peut pas n'être point vrai du voyage ; dans un pays comme le nôtre surtout, où, de préférence, les affaires se traitent de vive voix, où c'est un adage populaire que l'on s'entend plus vite et mieux de vive voix que par écrit et que toute lettre-contrat doit, autant que possible, n'être que le résumé d'une conversation. (Interruption.) Mais je sais que je parle dans le désert.
M. Dumortier. - Votre motion a été écartée par un vote formel.
M. Sainctelette. - Oui, la Chambre a refusé l'enquête ; la Chambre a refusé de s'éclairer sur un fait économique des plus complexes, sur un intérêt de premier ordre pour le pays. Car c'est une grave erreur que de penser que les intérêts du trésor de l'Etat soient ici seuls en cause.
Il s'agit de la prospérité nationale ; il s'agit de tout notre régime économique, et c'est rapetisser le débat que de se figurer qu'il n'y est question que du nombre plus ou moins grand des millions qui entreront dans les caisses de l'Etat.
Oui, la Chambre a refusé de s'éclairer, et cependant il n'y a rien de plus difficile à étudier qu'un fait économique. Les faits économiques comme les faits moraux sont toujours complexes et, par cela même, ils sont beaucoup plus difficiles à définir et à analyser que les faits mathématiques et scientifiques. L'honorable M. Dumortier, qui m'interrompt, serait fort embarrassé de m'expliquer pourquoi, dans le système auquel il se rallie, ce qui est vrai de la marchandise devient tout à fait faux du voyageur.
Il m'a combattu lors, e la discussion du budget des travaux publics, mais alors il s'est borné à dire : « Comment ! on peut aller d'Ostende à Verviers pour 4 francs ! mais cela est ridicule ! cela n'a pas le sens commun ! »
C'est se mettre fort à l'aise que de discuter ainsi en ne répondant pas. Mais l'observation est, au surplus, tout à fait fausse. Je ne me suis pas permis d'interrompre l'honorable M Dumortier ; mais la réplique m'est immédiatement venue à l'esprit. On vend aujourd'hui pour 60O centimes le mètre de toile peinte qu'on vendait jadis 6 francs. Cela aussi est-ce donc ridicule aux yeux de l'honorable M. Dumortier ?
Pourquoi en serait-il du transport autrement que de toute autre marchandise. Le transport n'est pas autre chose qu'une marchandise. Cela est vrai, soit qu'il s'agisse du transport des voyageurs, soit qu'il s'agisse du transport des marchandises. Là-dessus on a fait un mot ; on a dit qu'il ne fallait pas assimiler l'homme à un colis.
L'argument paraît avoir eu du succès, car l'honorable M. Moncheur l'a reproduit. J'ai beau chercher, je ne trouve là qu'un mot ; je n'y trouve pas une raison de décider.
L'homme, quand il est dans un waggon et qu'une locomotive le traîne, n'est autre chose qu'un volume et un poids, absolument comme le colis. Du point de vue du port et de la traction, qu'on me cite donc une différence quelconque entre l'homme et le colis.
Mais si le voyageur est une marchandise-transport, la loi économique, vraie de la marchandise, l'est donc aussi du voyageur !
Il n'est donc pas si simple qu'on le suppose, si facile qu'on se plaît à le croire, de bien lire les faits économiques, et, les voyant tels qu'ils sont, d'en reconnaître les vraies lois. Rien n'était donc mieux indiqué qu'un examen préalable. Mais la Chambre a rejeté l'enquête proposée. L'honorable M. Wasseige a cru que la proposition était un acte de défiance dirigé contre lui, et il a pensé qu'on devait lui accorder le même blanc seing que l'honorable M. Vanderstichelen a obtenu en 1866. Il a professé cette opinion, malgré les observations très judicieuses présentées à ce sujet par un de ses honorables amis, dans un travail dont on conteste les conclusions, mais non le mérite.
Que l'honorable M. Wasseige, un jour, quitte les affaires, que son successeur ait, sur cette question, une manière de voir contraire à la sienne, ce successeur sera donc recevable à s'autoriser des prudents de la Chambre, à venir, comme M. Vanderstichelen et comme M. Wasseige, réclamer un blanc seing, exécuter sa réforme, et lui aussi pourra donc dire : Vous ne devez pas vous défier de moi plus que vous n'avez fait de mon prédécesseur. Vous devez m'accorder une réforme parce que vous en avez accordé une à M. Wasseige.
Mais, vraiment, messieurs, avec ce système-la, il n'y a pas de raison pour que, de ministre en ministre et de réforme en réforme, on sorte jamais de la voie des expériences.
Quand on ne veut pas d'une enquête parlementaire, on prend les devants et l'on fait une enquête administrative.
Si l'honorable M. Wasseige avait chargé une commission d'étudier cette question, s'il l'avait composée de hauts fonctionnaires de son département, (page 1802) spécialement initiés à ces questions de trafic, s'il leur avait adjoint quelques-uns des hommes notoirement instruits des questions de transport, nous n'aurions pas déposé notre proposition.
Mais on n'avait nul désir de s'informer des vraies aspirations du pays en matière de transports et l'on croyait inutile d'étudier les principes d'une science, cependant encore aussi imparfaite que l'économie des transports.
On ne s'est pas demandé s'il n'y aurait pas quelques renseignements utiles à emprunter aux industries de transport autres que les chemins de fer, par exemple, aux messageries maritimes. On ne s'est pas demandé non plus s'il est complètement exact de dire que partout la base rationnelle du tarif est considérée comme étant la proportionnalité. Possède-t-on même des indications bien précises et bien récentes à ce sujet ? Enfin, se rend-on bien compte des raisons qui, dans plusieurs pays, ont engagé les compagnies à s'en tenir aux tarifs proportionnels ? Croit-on, par exemple que, pour le transport des voyageurs, la situation soit la même en France et en Belgique ? Croit-on que la densité de la population, l'aisance plus ou moins grande dont elle jouit, la nature du travail auquel elle se livre, travail, ici surtout industriel, là plutôt agricole, le nombre des grandes agglomérations, leur situation, soient des circonstances indifférentes dont on puisse impunément ne pas tenir compte, quand on étudie les lois de l'attraction des voyageurs ?
La majorité, malgré nos instances, n'a pas voulu étudier la question ; la majorité, parce que son ministre avait annoncé une réforme, a voulu qu'on s'en tînt à ce qui avait été dit.
Voilà ce que je tenais à constater.
Voilà ce contre quoi protestent toutes les pétitions adressées à la Chambre. On y trouverait d'excellentes indications. Mais on ne les consultera pas. Le parti est pris.
Je passe à la seconde des questions dont je désirais entretenir la Chambre : aux travaux projetés à Anvers.
Je commencerai par déclarer aux honorables députés d'Anvers que je n'ai pour leur ville aucun sentiment d'opposition.
J'ai l'honneur d'y compter un grand nombre d'amis personnels. J'y ai trouvé, dans diverses circonstances et tout récemment encore, lors de la constitution de la Société de géographie, un accueil sympathique, un concours aussi actif qu'éclairé.
A Dieu ne plaise donc que je fasse jamais, de gaieté de cœur, quelque chose qui lui soit désagréable !
Mais, si sympathique que me soit l'intérêt anversois, je ne puis pas lui sacrifier l'intérêt de mes commettants et aussi l'intérêt de tout le reste du pays.
Voici ce dont il s'agit.
Si je comprends bien l'exposé des motifs, il est question, au paragraphe 15, de l'établissement à Anvers de nouveaux bassins destinés tout spécialement aux charbons. Il s'agit de dériver le canal de la Campine vers le nord et d'établir un bassin par lequel seront mis en communication les nouveaux chantiers de la société Cockerill, les chantiers de l'Etat, les bassins d'huile de pétrole, etc. Un outillage spécial facilitera le déchargement, le transbordement ou le déchargement des charbons. Le travail se composera de l'élargissement et de l'approfondissement du canal, puis de la construction d'une écluse de mer sur l'Escaut.
L'élargissement du canal est, au point de vue financier, la partie la moins importante du travail. L'établissement de l'écluse de mer, dans de fortes proportions, est, au contraire, une entreprise qui ne coûtera pas moins de 2 millions.
Je suis loin, messieurs, de contester l'utilité du bassin, je suis loin même de contester, qu'en principe, ce soit à l'Etat qu'incombe la construction des écluses de mer, mais je désirerais savoir de MM. les ministres des finances ou des travaux publics si les charbons provenant de l'intérieur, chargés sur bateaux ou déposés sur quais, seront soumis au droit de 30 centimes par tonne établi par résolution de l'administration communale ?
Vous savez, messieurs, qu'après le rachat des péages de l'Escaut, on a supprimé le droit de tonnage et réduit les frais de pilotage à la simple expression de la rémunération du service rendu. A ce moment le gouvernement a demandé à la ville d'Anvers d'unifier et de réduire les taxes que, sous divers noms et à divers titres, elle prélevait à son profit exclusif.
La ville d'Anvers percevait, à cette époque, des droits de quai, de bassin et de cuisine. On a unifié ces taxes et on les a réduites dans une certaine proportion. Ces mesures ont été prises par la ville en une délibération approuvée par un arrêté royal du 22 juillet 1863.
L'article 5 de cette résolution porte :
« Les bateaux à voile et les steamers de l'intérieur, y compris les remorqueurs qui entreront dans les bassins, payeront :
« Ceux de moins de 50 tonneaux, 10 centimes par tonneau ; ceux de 50 tonneaux et plus, 30 centimes par tonneau. »
Il semble donc, au premier abord, que les bateaux de l'intérieur portant environ 500 tonneaux de charbons et entrant dans le nouveau bassin aux charbons auront à payer 90 francs de droits de séjour au profit de la ville d'Anvers.
Je n'hésite pas à déclarer que si le gouvernement n'a pas sollicité et obtenu de la ville qu'elle renonçât à cette taxe sur les charbons, le travail qu'on se propose de faire est à peu près inutile.
On n'exportera pas de charbons par la voie d'Anvers, si, indépendamment des prix de transport élevés qu'il faut payer, des taxes locales aussi importantes sont établies.
Je désire apprendre de MM. les ministres des finances et des travaux publics quelle est la situation ?
A-t-on obtenu de la ville d'Anvers la renonciation à cette taxe ?
M. Jacobs, ministre des finances. - On n'a pas négocié jusqu'à présent sur ce point.
M. Sainctelette. - La question reste donc entière.
Permettre à la ville d'Anvers de prélever à son profit des taxes sur un. travail fait aux frais de la généralité du pays, ce serait dépasser la mesure des abus de pouvoir que peut se permettre une majorité, si impatiente qu'on la suppose de toute opposition.
Incontestablement, la ville d'Anvers a le droit de percevoir des taxes qui la rémunèrent des dépenses qu'elle fait pour établir des bassins nouveaux et leurs dépendances.
Mais la perception qu'elle peut faire trouve sa mesure en même temps que sa raison d'être dans le service rendu.
Que des taxes soient établies sur toutes les marchandises, sur tous les bassins et que le produit de ces taxes serve à payer l'entretien du port, l'augmentation de l'outillage et même l'établissement de quais nouveaux ou le creusement de nouveaux bassins, rien de mieux. Je reconnais que cela est parfaitement légitime. Mais ce contre quoi je ne saurais assez m'élever, c'est que des taxes soient perçues sur les marchandises venant de l'intérieur ou de l'étranger et servent à construire des boulevards, des théâtres, des monuments.
Je voudrais donc que l'on fît des taxes perçues par la ville d'Anvers sur les marchandises un fonds spécial exclusivement consacré à l'entretien et au développement du port, à son agrandissement, au perfectionnement de son outillage, mais sans distraction possible au profit personnel de la ville d'Anvers ; qu'en un mot, le port ait son budget spécial, distinct du budget de la ville.
Autrement il arrivera du nouveau port ce qui est déjà arrivé de l'ancien, c'est que, après l'avoir payé en partie de nos deniers, nous serons forcés un jour de traiter avec la ville d'Anvers pour le libérer des taxes locales, absolument comme l'Etat a dû racheter les péages de l'Escaut.
Depuis l'adoption par les principaux pays de l'Europe occidentale de traités de commerce inspirés par les saines doctrines économiques, la concurrence est devenue telle entre les divers pays producteurs qu'une différence insignifiante dans le prix de revient suffit pour déplacer tout un courant commercial.
Les relations d'un groupe producteur avec la plus grande partie de sa clientèle peuvent être bouleversées par le prélèvement d'une taxe en apparence insignifiante ; je crois donc de mon devoir de protester contre le maintien des taxes communales, à Anvers, en tant qu'elles ont pour objet autre chose que l'agrandissement du port et le perfectionnement de son outillage.
J'espère qu'on en fera un fonds spécial exclusivement consacré à cette fin. J'attendrai, avant d'insister davantage, les explications qui nous seront données à cet égard.
(page 1752) M. Jacobs, ministre des finances. - Je tiens à répondre immédiatement quelques mots à l'honorable M. Sainctelette.
D'abord il n'est pas exact de dire que les travaux maritimes existants à Anvers ont été faits en grande partie avec les fonds de l'Etat. Les deux bassins qui remontent au règne de Napoléon ont été construits, il est vrai, par l'Etat, pour la marine militaire, mais ils ont été cédés à la ville d'Anvers par le roi Guillaume à une époque où leur entretien était une charge onéreuse.
La ville d'Anvers, en les acceptant, a accepté une charge et non pas une source de revenus. Si, depuis, ces bassins sont devenus productifs, on ne peut pas en refuser le bénéfice à la ville d'Anvers.
Quant aux nombreux bassins qui ont été construits depuis lors, on a toujours suivi le mode que nous nous proposons de suivre à l'avenir. Le bassin dont il est question aujourd'hui sera construit intégralement aux frais de la ville d'Anvers ; mais l'écluse par laquelle débouchera le canal de la Campine sera faite par l'Etat.
L'honorable M. Sainctelette. ne critique pas ce mode, il trouve que, dans l'avenir, l'Etat peut continuer à agir comme par le passé, l'Etat construisant l'écluse maritime, la ville faisant le bassin elle-même.
Mais, messieurs, l'honorable membre voudrait se prévaloir de cette intervention de l'Etat pour exercer une espèce de tutelle sur les droits de navigation établis par la ville d'Anvers.
Messieurs, cette tutelle existe déjà, dans une certaine mesure, mais il ne faut pas l'exagérer.
Le gouvernement, lors du rachat du péage de l'Escaut, a obtenu de la ville d'Anvers la fusion et la réduction des différents droits qu'elle percevait.
C'a été l'objet d'une transaction, d'une convention entre le gouvernement de cette époque et la ville d'Anvers, qui a réglé les droits de port au taux auquel ils sont réduits par le règlement du 22 juillet 1863.
On a décidé alors que c'était là la mesure juste et équitable des perceptions au profit de la ville d'Anvers.
Quant à créer un fonds spécial, dans lequel on mettrait d'une part les recettes, et, d'autre part, les dépenses faites pour le port, c'est impossible. La ville d'Anvers est une ville commerciale par excellence. La plupart de ses dépenses ont un caractère commercial ; la police, par exemple. Serait-il possible de distinguer le coût de la police du port de celui de la police de la ville ? Il en est de même pour la plupart des dépenses. Il serait impossible de distinguer la dépense faite exclusivement au point de vue maritime. Je répète que la plupart de ses dépenses générales rentrent, à certain degré, dans cet objet.
Ne poussons pas la tutelle trop loin. N'établissons pas un compte spécial pour le port d'Anvers. Restons dans la mesure admise en 1863, mesure équitable alors, équitable encore aujourd'hui.
Mais l'observation de l'honorable M. Sainctelette a cependant un côté juste et je veux lui donner satisfaction. Il nous a demandé si les navires chargés de charbon qui se trouveront dans cette nouvelle dérivation du canal de la Campine, dérivation fort élargie et qui formera de véritables bassins, seront astreints au droit de 10 ou de 30 centimes par tonneau suivant leur capacité ?
Ici nécessairement il y aura une négociation à ouvrir avec la ville d'Anvers. Il ne faut pas perdre de vue que cette dérivation, quoique formant un ensemble de bassins, n'en est pas moins la continuation du canal de la Campine, et que les bateaux qui viennent de Liège, par exemple, avec du charbon, ne pourront pas se soustraire au passage à travers ces bassins ; qu'ils seront même naturellement amenés à décharger dans ces bassins puisque ceux-ci seront munis d'un outillage spécial. L'Etat sera donc en droit, dans la négociation avec la ville d'Anvers, de lui dire : Ces bassins nouveaux ne sont qu'une continuation du canal de la Campine. Bien que faits par vous, moi, qui y interviens par la construction de l'écluse, j'ai quelque chose à dire dans cette partie des bassins et à ce titre, je vous demande, dans ces circonstances spéciales, pour les navires qui viennent par le canal et déchargent dans sa continuation, un abaissement de droits.
Messieurs, nous n'avons pas perdu de vue cette question, mais nous ne posons aujourd'hui que le premier jalon de cette grande entreprise qui prendra nécessairement plusieurs années. D'ici au temps où l'on mettra la main à l'œuvre, il s'écoulera un temps suffisant pour que la question soit examinée et qu'un accord avec la ville d'Anvers soit établi à la satisfaction réciproque.
M. Delcour (pour une motion d’ordre). - J'ai demandé la parole pour proposer à la Chambre de clore la discussion générale.
On s'est beaucoup occupé des tarifs. C'est pour la troisième fois que la question reparaît dans cette enceinte depuis quelques semaines. Il me semble que toutes les opinions doivent être à peu près faites sur la réforme qui est projetée et sur celle qui a été opérée par l'honorable M. Vanderstichelen. Vous avez entendu beaucoup d'orateurs ; la plupart vous ont exposé des idées qui leur sont propres. Nous sommes en présence d'une loi qui a conféré au gouvernement des pouvoirs et comme la Chambre l'a déjà décidé, il y a quelques jours, nous demandons que cette loi reçoive sa pleine et entière exécution. Si M. le ministre trouve que la tarification établie par l'honorable M. Vanderstichelen n'est pas conforme aux intérêts du trésor, à l'équité et à la justice, il adoptera un système qui répondra mieux que ne le faisait celui aujourd'hui en vigueur, à ces conditions. Il me semble que tout a été dit sur ce point et qu'une discussion plus longtemps prolongée n'aboutirait véritablement qu'à faire perdre du temps à la Chambre.
II y a longtemps que nous désirons mettre fin à nos travaux parlementaires ; après avoir siégé pendant douze mois, nous avons bien le droit, nous surtout qui sommes appelés à remplir d'autres fonctions dans quelques jours, de demander que la session soit terminée.
Messieurs, il ne faut pas qu'on s'y méprenne, la question des tarifs...
M. le président. - Ne discutez pas le fond.
M. Delcour. - Je voulais seulement prouver qu'il est nécessaire de mettre un terme à la discussion.
Je propose, messieurs, de clore la discussion générale et, pour le cas où cette proposition ne serait pas adoptée, je demanderai qu'au moins la discussion soit close sur la question des tarifs.
M. Guillery. - Messieurs, je ne puis admettre la proposition de l'honorable M. Delcour. L'honorable membre croit pouvoir déclarer à son gré que l'on a assez discuté le projet de loi sous toutes ses faces. Je ne puis être donné que d'une chose, c'est que la discussion paraisse longue à certains membres. Il s'agit d'un projet presque aussi important que le budget des travaux publics.
Il s'agit de 22 millions pour une série de travaux dont beaucoup (page 1753) exigeront des crédits ultérieurs, puisqu'on déclare que les crédits que le projet affecte à ces travaux ne sont qu'un commencement.
H s'agit d'un emprunt de 50 millions. Et c'est en présence d'un semblable projet, présenté tardivement, que l'on vient demander la clôture !
Quant à la question des tarifs, je ferai remarquer a la Chambre que lorsqu'on a eu à s'occuper des pétitions on a dit que la question serait examinée à l'occasion du projet de loi actuel ; on a donné rendez-vous aux orateurs et lorsqu'ils se présentent on leur montre visage de bois,
M. le président. - On a discuté.
M. Guillery. - On a discuté fort peu et nous avons encore à entendre un discours de M. le ministre des travaux publics.
Quant à moi, je ne reproche pas à l'honorable ministre d'avoir modifié son opinion première ; au contraire, je l'en félicite et je suis convaincu qu'en homme intelligent et consciencieux il tiendra compte des observations qui lui seront faites.
Si maintenant la Chambre désire clore la session, ajournons la discussion du projet de loi ou bien que M. le ministre des travaux publics nous promette de ne rien changer au tarif avant la session prochaine et avant que la Chambre ait pu discuter à fond la question.
Sans vouloir gêner l'initiative de M. le ministre, nous réclamons l'honneur d'être entendus sur les projets qu'il nous a annoncés et nous croyons pouvoir lui apporter quelques lumières.
Il y a donc un moyen de tout simplifier : Si on ne veut pas ajourner le projet de loi, qu'il soit convenu que la question des tarifs ne recevra pas de solution, par exemple, avant le 1er janvier prochain. Les partisans les plus ardents de la réforme ne diront pas qu'elle soit tellement urgente qu'on ne puisse la différer de quelques mois.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ne comprends pas que l'honorable membre puisse dire que j'ai presque gardé le silence sur la question des tarifs.
Cela me ferait croire qu'il n'était pas à la Chambre quand j'ai parlé ou qu'il ne m'a pas écouté et je le regretterais, car je tiens beaucoup à son appréciation.
J'ai toujours déclaré que mon but était la réduction des prix sur les petits parcours et que je ne pouvais y arriver que par le relèvement des prix sur les grands parcours.
J'ai dit que ce relèvement ne serait peut-être pas le retour complet au barème de 1851-1854.
Telle est ma déclaration. Mais cela ne veut pas dire que je sols disposé à repousser systématiquement ni les pétitions adressées à la Chambre et au gouvernement ni les observations présentées ici par d'honorables collègues ; au contraire, si j'y trouve des idées pratiques et s'adaptant à mon cadre, je ne refuse pas d'en tirer profit.
Je dois déclarer à l'honorable M. Sainctelette que je ne puis prendre l'engagement de n'appliquer le tarif qu'à partir du Ier janvier 1872. La question est soumise à une commission d'hommes très compétents de mon département. Quand j'aurai reçu leur travail, je choisirai l'heure et le moment que je croirai les plus conformes à l'intérêt général.
J'examinerai au surplus les raisons qu'a fait valoir l'honorable M. Sainctelette ; elles ont beaucoup de poids pour moi, car je le considère comme très compétent.
En ce qui touche la demande de compléter le compte rendu, je tâcherai de donner satisfaction à l'honorable membre.
Quant à l'amendement de l'honorable M. Julliot, nous pourrons le discuter à l'article auquel il se rattache.
Il ne me reste plus qu'à répondre un mot à l'honorable M. Anspach. Il m'a reproché de ne pas avoir fait figurer au projet de crédit une somme quelconque pour la nouvelle distribution d'eau de Bruxelles.
L'honorable membre me rendra cette justice, quoique adversaire politique, que j'ai déjà donné beaucoup de marques de sympathie à Bruxelles.
Je pourrais citer le subside pour le percement de la rue de la Régence et l'incorporation de la rue Royale dans la grande voirie. (Interruption.)
Ces affaires ont été entamées, il est vrai, par mon honorable prédécesseur, mais j'ai signé et les conventions et les arrêtés royaux qui les traduisent en faits, alors que j'aurais pu remettre tout en question. (Interruption.) |
L'honorable membre a l'air de suspecter la sincérité de mes déclarations. : Je ne sais quel intérêt il pourrait avoir à douter de mes bonnes dispositions pour la ville de Bruxelles. Je ne lui ai jamais donné le droit d'en douter.
Le gouvernement est disposé à venir en aide à la ville de Bruxelles dans l'accomplissement du grand travail de la distribution d'eau.
Mais c'est à la ville de prendre l'initiative ; elle doit indiquer ce qu'elle se propose de faire et ce que coûtera ce travail ; le gouvernement est disposé à y intervenir par un large subside, lorsqu'un plan complet lui aura été soumis avec les devis et tous les documents propres à faire apprécier cette œuvre importante, sous toutes ses faces et au point de vue de son utilité aussi bien qu'au point de vue du coût et des détails d'exécution.
M. Anspach. - Messieurs, je tiens à faire remarquer combien il est fâcheux que nous terminions cette discussion sur les tarifs du chemin de fer.
M. le ministre nous déclare qu'il ne peut dire dans quelles limites il fera sa réforme ; mais, messieurs, c'est certainement une question bien intéressante à connaître pour le pays.
C'est une question importante pour beaucoup d'intérêts que de savoir s'il y aura ou s'il n'y aura pas de relèvement des tarifs ; c'est une question intéressante que de savoir dans quelle limite ce relèvement, le cas échéant, doit se faire. Et lorsque le pays veut s'éclairer d'une manière légale, c'est-à-dire par une discussion dans le Parlement, le ministre des travaux publics laisse sa majorité réclamer la clôture de la discussion, il n'éclaire pas le pays, il ne dit rien. (Interruption.) J'entends des murmures sur les bancs de la droite ; je voudrais bien qu'un membre se levât pour me dire ce qu'il y a à répondre à mes paroles. Nous sommes ici pour provoquer des explications de la part du gouvernement, et quand il s'agit d'une réforme aussi considérable que celle des tarifs des chemins de fer, il est de toute nécessité que le gouvernement déclare à la Chambre dans quel sens sa réforme doit être faite.
Donc de deux choses l'une : si l'honorable ministre des travaux publics a une opinion personnelle, je l'adjure de dire quelle elle est ; s'il n'en a pas à l'heure qu'il est, je l'adjure de ne rien faire avant la session prochaine et de nous faire ensuite connaître sa réforme avant de l'accomplir, afin que nous puissions la discuter ; cela est beaucoup plus régulier.
Nous avons le droit de savoir ce que le gouvernement veut faire de l'industrie des chemins de fer. M. Jacobs hausse les épaules.
M. Jacobs, ministre des finances. - Vous vous trompez complètement.
M. Anspach. - Si la loi qui a donné un pouvoir exorbitant à M. le ministre des travaux publics doit avoir pour effet d'empêcher la Chambre de discuter, je demande qu'on la condamne. (Interruption.) Il a toujours été entendu que les représentants avaient pour mission d'éclairer la nation, que le gouvernement ne pouvait pas se refuser à donner des explications. Eh bien, la réforme dont il s'agit est trop grave pour qu'on ne réponde pas à la question que je pose.
M. Jamar. - Je crois qu'il n'est ni désirable ni honorable, pour la majorité et pour le gouvernement, de clore le débat en ce moment.
Jamais on n'a présenté une loi aussi importante à une date aussi rapprochée de la fin de la session ; je n'aurais pas songé à en faire un reproche au gouvernement, mais quand un projet a déjà cette tache originelle, il ne faut pas aggraver une situation déjà regrettable en cherchant à étouffer la discussion.
Lorsque l'honorable ministre a demandé la parole, j'ai pensé que c'était avec l'intention de s'opposer à la clôture du débat. En effet, l'un des derniers votes de l'honorable M. Wasseige, comme représentant, a été un vote hostile au budget des travaux publics de 1870, parce qu'il voulait échapper, disait-il, à la pression qu'on voulait exercer sur lui par une discussion insuffisante de ce budget.
Quant à la question des tarifs, je crois avec mes honorables amis, MM. Anspach et Sainctelette, qu'elle est trop importante pour que la majorité veuille sérieusement nous empêcher de présenter à la Chambre des observations que nous croyons de nature à faire hésiter le ministre des travaux publics.
Il y a, d'autre part, une considération qu'il ne faut pas perdre de vue, celle de l'importance des pétitions que les déclarations de M. Wasseige, au sujet de la réforme, ont fait affluer sur le bureau de la Chambre.
J'ai le désir de présenter à l'honorable ministre quelques observations.
L'honorable M. Wasseige a déclaré qu'il ne pensait pas qu'on pût réduire les tarifs pour les petits parcours sans compenser ces réductions par le relèvement des tarifs à longs parcours. C'est une erreur et si la Chambre décide de continuer la discussion, je crois que je lui prouverai qu'il est possible d'abaisser les prix des petits parcours sans faire subir au trésor un sacrifice de 1,400,000 francs, comme l'a dit l'honorable M. Wasseige dans la séance du 13 juin, ou de deux millions, comme il l'a dit dans la séance du 7 juillet.
Je prie donc la Chambre de ne point prononcer la clôture dans de pareilles conditions.
(page 1754) M. Dumortier. - Je ne puis nullement admettre avec l'honorable préopinant que la Chambre manquerait à sa dignité en prononçant la clôture de la discussion générale,
M. Jamar. - Je n'ai pas dit cela.
M. Dumortier. - Vous vous êtes tout au moins servi d'une expression équivalente.
Messieurs, nous sommes réunis ici depuis le mois d'août de l'année dernière (Interruption) et nous n'avons été en vacance que pendant le mois d'octobre.
Or, messieurs, il me semble qu'après une session aussi laborieuse nous ayons certainement droit à quelque repos ; et il n'y a que les amateurs de la parole qui peuvent nous engager à siéger plus longtemps. (Interruption.)
La Chambre, messieurs, ne manquera ni a la dignité ni aux convenances en prononçant la clôture d'une discussion qui doit évidemment avoir une fin. Ce que vous voulez, c'est nous tenir encore ici pendant quinze jours (Interruption.) et profiter peut-être de la lassitude de certains de nos collègues pour obtenir certains succès de vote pendant leur absence.
Eh bien, cette tactique ne réussira pas, messieurs, pas plus que vous ne réussirez à prolonger la discussion en continuant à discuter à côté de la question, comme on vient de le faire encore. (Interruption.)
Mais vous-même, M. Sainctelette, qui m'interrompez, pourquoi avez-vous parlé, si ce n'est pour faire le discours que vous comptiez prononcer à l'occasion de votre motion d'enquête ? (Interruption.)
Je le répète, messieurs, il est temps d'en finir et j'engage vivement la Chambre à adopter la proposition de l'honorable M. Delcour.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - La parole est à M. Bara contre la clôture.
M. Bara. - C'est, messieurs, pour que la discussion ne vienne pas trop tard que nous demandons à la Chambre de vouloir bien permettre qu'elle ait lieu immédiatement. (Interruption.) C'est précisément pour connaître l'opinion du ministère que nous faisons tant d'efforts. Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que l'honorable M. Hayez, qui m'interrompt, donne un blanc seing au ministère pour l'application d'un tarif qu'il ne connaît même pas !
M. Jacobs, ministre des finances. - C'est la loi !
M. Bara. - Non, ce n'est pas la loi, et je me suis levé précisément pour protester contre cette allégation.
Comment la loi a-t-elle été votée ? C'est ce qu'il importe de bien établir. L'honorable M. Vanderstichelen avait fait connaître les bases de sa réforme ; on savait donc ce qu'il préparait, et la Chambre, en l'approuvant en principe, savait que la réforme consisterait dans un abaissement des tarifs.
Voila le blanc seing que vous avez donné. Maintenant vous voulez renverser ce que la Chambre a alors approuvé.
A cette époque, vous ne demandiez ni discussion, ni enquête ; vous approuviez le système ; nous l'approuvions aussi, et c'est précisément parce qu'on veut aujourd'hui réformer radicalement ce que tous nous avons approuvé alors, que nous demandons une discussion et un examen approfondi.
Il faut que cette discussion précède la réforme ; sinon l'honorable M. Wasseige pourra faire tout ce qu'il voudra ; il pourra même maintenir le tarif, même le diminuer, et il aurait toujours la ressource de nous objecter plus tard, quand nous nous plaindrions : « Vous n'avez pas protesté, »
M. le ministre des travaux publics, quelle que puisse être sa capacité, est un homme ; il peut se tromper.
Or, la question du tarif des voyageurs est en définitive une question des plus importantes ; elle a fait naître une grande agitation dans le pays ; des corps constitués, notamment des chambres de commerce, vous ont adressé des pétitions. (Interruption.)
L'honorable M. Delcour ne paraît pas tenir grand compte des avis des chambres de commerce ; mais comme premier rapporteur du projet de loi sur la contrainte par corps, l'honorable membre s'étayait alors volontiers de ceux des avis des chambres de commerce qui étaient contraires au projet de loi.
Je demande que la discussion continue ; qu'elle soit complète et approfondie. Si la majorité prononce la clôture, c'est parce qu'elle a peur du débat.
- Personne ne demandant plus la parole, M. le président met aux voix la clôture de la discussion sur la proposition de M. Delcour.
- Des membres. - L'appel nominal !
M. Vleminckx. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole sur la position de la question.
M. Vleminckx. - A la manière dont M. le président a mis la question aux voix, il semblerait qu'il n'y eût qu'une proposition ; mais il y a deux propositions ; la première est celle-ci : Prononcera-t-on la clôture de la discussion sur les tarifs ? Je demande qu'on mette d'abord aux voix cette proposition-là.
M. le président. - Voici ce qu'a proposé M. Delcour ; il a demandé d'abord la clôture de la discussion générale du projet de loi, et, si cette proposition n'est pas adoptée, il a demandé la clôture de la discussion sur les tarifs du chemin de fer.
Je mets donc d'abord aux voix la proposition tendante à clore la discussion générale du projet de loi.
- Des membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal sur la proposition de M. Delcour.
77 membres y prennent part.
44 répondent oui.
33 répondent non.
En conséquence la discussion générale est close.
Ont répondu oui : MM. Drion, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Nothomb, Pety de Thozée, Reynaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Wambeke, Vermeire, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Coremans, Cornesse, de Borchgrave, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Zerezo de Tejada et Thibaut.
Ont répondu non :
MM. Dupont, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Muller, Orts, Puissant, Rogier, Sainctelette, Tesch, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Anspach, Bara, Boucquéau, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Macar, Demeur, de Rossius et Descamps.
- L'amendement de M. de Macar est appuyé, il fait partie de la discussion.
La séance est levée à 5 heures et un quart.