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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 juillet 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1729) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur De Ceunynck demande qu'avant la fin de la session, la Chambre statue sur les réclamations relatives à la langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Burton demandent la remise de la contribution foncière pour cette année. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Milot, ancien vérificateur, Houssu, ancien sous-lieutenant et Laurent, ancien sous-brigadier des douanes, demandent une augmentation de 20 p. c. sur le montant de leurs pensions. »

- Même renvoi.


« La dame Caro, veuve du sieur Redouté, décédé instituteur, demande une pension dont la fixation serait déterminée d'après les bases de l'article 31 de l'arrêté royal du 10 décembre 1832. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lempereur-Closset demande qu'il soit donné suite aux deux pétitions qu'il a envoyées à la Chambre au mois de février. »

- Même renvoi.


« Des instituteurs à Leupeghem prient la Chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, du projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Choquet demande que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

« Même demande du sieur Mayer. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative a l'enseignement primaire obligatoire.


« Des habitants de Seraing demandent le maintien du tarif actuel des voyageurs sur le chemin de fer de l'Etat. »

« Même demande d'habitants de Louvain et d'autres communes du pays. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.


« Le conseil communal de Bruges prie la Chambre de s'opposer à toute augmentation de tarif pour les voyageurs à grande distance et demande que la réduction proportionnelle soit appliquée aux zones non favorisées jusqu'ici. »

- Même décision.


« Le sieur Lempereur-Closset demande que le gouvernement relève le tarif des voyageurs de première et de deuxième classe et qu'il abaisse celui de la troisième. »

- Même décision.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Jean-Nicolas Ludovici. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Bourger, éditeur à Arlon, adresse à la Chambre 122 exemplaires d’une note sur le projet de chemin de fer d’Athus à Givet »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« MM. Janssens et Van Wambeke, se trouvant dans l'impossibilité de se rendre aux séances, demandent un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Interpellation relative aux formalités imposées aux étrangers

M. Couvreur. - Messieurs, à la suite des déplorables événements de Paris, le gouvernement belge a jugé utile, nécessaire, indispensable, de rétablir le régime des passeports et des visas diplomatiques. Les étrangers, voulant séjourner dans le pays, ou seulement le traverser, ont été astreints de nouveau à tous les ennuis, à toutes les vexations dont ils avaient pu se croire débarrassés à jamais. Ces ennuis leur ont été d'autant plus sensibles que les pays auxquels ils appartiennent pour la plupart, l'Allemagne, l'Angleterre, la Hollande, la Suisse, n'ont pas cru devoir, comme la Belgique, suivre le mauvais exemple que leur a donné le gouvernement français.

Depuis un mois, la presse anglaise, comme la presse allemande, retentit des plaintes de voyageurs entravés dans leur libre circulation.

Quelques faits, messieurs, vous permettront d'apprécier combien ces plaintes sont fondées.

Il y a une quinzaine de jours, un étranger, un Français né en Belgique, mais qui a négligé ou n'a pas voulu faire, à l'époque de sa majorité, la déclaration qui lui donnait l'indigénat, se pourvoit d'un passeport auprès de sa légation pour aller, en France, visiter ses parents, dans un village à deux lieues de la frontière. Il y passe le samedi et le dimanche.

Lorsqu'il se présente, le lundi, à la station frontière, on lui refuse l'entrée du pays, parce qu'il n'a pas de visa belge, et l'on exige qu'il aille chercher, sur le territoire français, chez un consul qui lui délivrera un certificat de bonne conduite, une légitimation quelconque. Il faut que cet homme, établi à Bruxelles, où il a ses relations, ses affaires, se rende dans une ville française où il est complètement inconnu ; qu'il se présenté devant un fonctionnaire qui ne l'a jamais vu et qu'il lui demande un certificat constatant qu'il est un citoyen inoffensif et qu'il peut impunément rentrer chez lui, au sein de sa famille, dans son pays d'adoption.

Il y a mieux : Voici un Français de France. Il habite une localité où ne se trouve pas de consul belge. Les autorités françaises garantissent son honorabilité, sa moralité. Il est porteur d'un passeport qui le recommande a la protection des autorités belges. Cela ne suffit pas. Il faut encore qu'il se déplace, qu'il se mette à la recherche d'un agent belge, qu'il lui paye un impôt, qui s'élève à la somme de 10 francs, pour avoir l'autorisation de pénétrer en Belgique.

Un Anglais quitte son pays avec toute sa famille pour se rendre en Allemagne. Redoutant les inconvénients de la traversée maritime, il prend la route de Calais. Il traverse la Belgique. Comme c'est un homme prudent qui aime à se mettre en règle, et qui se méfie à bon droit des exigences de la police française, il se pourvoit d'un passeport français et d'un visa français. Mais il ne peut pas s'imaginer que la Belgique, dont on lui a toujours parlé comme d'un pays libre, aussi libre que l'Angleterre, a pu prendre, contre les Anglais, des mesures de précaution. Il se dit qu'en règle vis-à-vis des autorités françaises, il le sera à bien plus forte raison vis-à-vis des autorités belges.

Il suffit qu'il ait franchi la distance qui sépare Calais de Blandain, pour devenir suspect. On l'arrête, on le renvoie à Lille pour y faire viser son passeport. Il a beau protester qu'il ne descendra même pas du train en Belgique ; il offre de faire enregistrer ses bagages pour Cologne, rien n'y (page 1730) fait. Il ira coucher à Lille, avec sa famille, à la grande joie des hôteliers de cette ville et le lendemain, quelque garçon de place ira chercher le fameux visa, sans qu'il ait même besoin de se présenter en personne devant le consul, tant la mesure est, en réalité, de pure forme.

Un Américain parti du fin fond du Missouri, et qui avait entendu dire, lui aussi, que la Belgique était une terre de liberté, traverse l'Atlantique, passe en Angleterre et arrive sans passeport dans un port français. Nulle part on ne l'a arrêté, questionné. Les autorités françaises, reconnaissant en lui un citoyen américain, lui permettent de traverser leur territoire. Et cet homme qui vient de faire 3,000 lieues est encore obligé de rebrousser chemin et d'aller verser dans la caisse d'un consul les droits d'un visa de chancellerie,

Quelle était la justification de ces mesures ? Le visa avait-il une utilité quelconque ? Je parviendrais à la saisir s'il y avait eu sur place, à la frontière, des fonctionnaires agissant en connaissance de cause, vérifiant les signalements, s'assurant par un interrogatoire de l'identité de l'individu ; mais les choses ne se passaient pas ainsi ; l'étranger invité à retourner sur ses pas, la plupart du temps, s'installait tant bien que mal à Blandain, à Quévy, à Erquelinnes et, comme dans tous les grands convois internationaux, il y avait toujours un certain nombre de voyageurs, munis de passeports non visés, une industrie fort ingénieuse s'était greffée sur la mesure prise par M. le ministre des affaires étrangères. Un commissionnaire se chargeait d'aller présenter les passeports en bloc au visa du consul belge le plus voisin : à Saint-Quentin ou à Lille.

Le consul signait et timbrait à tour de bras, encaissait les 10 francs, et le commissionnaire rapportait les passeports visés. Où, dans ces conditions, était la garantie du visa ? Où était son utilité ? Oui, il y avait quelqu'un qui trouvait la mesure excellente, parfaite, à l'abri de toute critique : c'est le commissionnaire. On m'en a cité un qui, en un mois de temps, a amassé un petit capital de 2,000 à 3,000 francs. Cet industriel intelligent aura été fort désappointé en lisant certain avis qui a été publié ce matin au Moniteur.

J'ai eu, en effet, tantôt la très agréable surprise d'apprendre par la lecture de notre journal officiel que désormais les visas ne seront plus exigés. M. le ministre des affaires étrangères a reconnu lui-même que la mesure prise par ses bureaux n'a plus d'utilité. Il a fait droit ainsi, en partie et par anticipation, aux observations que je voulais présenter. Quel que soit le motif qui a dicté sa résolution, je l'en félicite. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Une partie de mon interpellation est, par là, devenue inutile. Si j'y suis revenu, c'est afin de prouver à la Chambre que j'avais de bonnes raisons pour contrarier son désir d'entrer en vacances.

M. le ministre lui-même m'en saura gré, puisque les faits que je viens de signaler mettront en relief tout le mérite de la mesure réparatrice qu'il a prise hier et annoncée au public ce matin.

Les visas sont donc supprimés ; mais la mesure n'est pas complète ; les passeports ont été maintenus. Je le regrette, mais je ne tenterai pas, en ce moment, de plaider leur abolition radicale. Le moment serait mal choisi.

La question légale, la question des droits du gouvernement sur les étrangers qui demandent l'entrée du pays, pourra s'examiner une autre fois avec plus d'opportunité. Je me bornerai à traiter la question de fait en me plaçant sur le terrain même où s'est placé le gouvernement.

Dans ces conditions, je lui demande s'il est bien indispensable de maintenir le passeport pour tous les étrangers, sans distinction de nationalité ?

Je comprends, à la rigueur, que M. le ministre des affaires étrangères puisse défendre la mesure en ce qui concerne les citoyens français.

Il y a eu, en France, de grands désordres. Il n'est que juste que tous les habitants de ce pays soient plus ou moins solidaires des fautes et des crimes commis par quelques-uns d'entre eux. En mettant des entraves à leur libre circulation sur notre territoire, nous nous nuisons à nous-mêmes ; mais cet inconvénient est compensé par certains avantages de sécurité publique. Enfin, de tous les peuples, les Français seront ceux qui se plaindront le moins des ennuis qu'ils rencontreront à nos frontières. On a dit d'eux qu'ils étaient un peuple ingouvernable, le peuple le plus ingouvernable de la terre. C'est une très grande erreur. Ils aiment, au contraire, à se sentir gouvernés, administrés et protégés. Il suffit qu'on leur démontre l'utilité de gêner leur liberté, pour qu'ils se laissent lier bras et jambes et exploiter par le premier despotisme venu.

Mais les peuples du Nord, ne s'accommodent point de ce genre de régime. Ils aiment leurs coudées franches, leur libre allure ; toute entrave les gêne et les irrite, ils ne se laissent pas convaincre que si on les enchaîne, c'est pour leur rendre service. Je n'insiste donc pas, jusqu'à

nouvel ordre, pour qu'on supprime les passeports en faveur des Français ; mais je demande s'il faut persister à en exiger des Américains, des Anglais, des Allemands, des Suisses, des Hollandais, de tous ces étrangers chez lesquels l'ordre n'a pas été troublé, qui sont, avec nous, dans d'excellentes relations et qui n'ont jamais songé à prendre, contre nos nationaux, des mesures de représailles.

Cependant, les prétextes auraient pu ne pas leur manquer. Ils eussent pu dire que la Belgique est un nid de démocrates ; que l'Internationale y compte de puissantes ramifications ; qu'il était indispensable de se mettre en garde contre la propagande de cette secte nouvelle, destructive de tout ordre social.

On n'en a rien fait. Les Belges ont pu continuer à entrer en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, en Suisse, sans visa ni passeport. Pourquoi ne pourrions-nous pas rendre à ces pays le même traitement et recevoir leurs nationaux comme nous recevons les nôtres, c'est-à-dire se contenter d'une simple constatation d'identité et de nationalité ?

En demandant cette concession, je pars naturellement de ce fait que les Belges peuvent toujours rentrer chez eux sans passeport. Le Moniteur l'a annoncé, mais il me serait agréable d'en recevoir la confirmation par la bouche de M. le ministre des affaires étrangères.

Il me serait agréable d'apprendre qu'on n'exige du Belge que la preuve de sa nationalité ; qu'aucun d'eux n'a été molesté à la frontière, qu'aucun d'eux ne sera repoussé du pays, se fût-il même compromis dans les événements de Paris.

Si un Belge a commis des crimes à l'étranger, il tombera sous l'application de la loi pénale. Mais il ne peut pas appartenir au pouvoir administratif de lui interdire l'accès du territoire national.

Il me reste, messieurs, un dernier point à recommander à la sollicitude de M. le ministre des affaires étrangères.

Le gouvernement français, comme je le disais tantôt, a jugé nécessaire de rétablir les passeports et de donner ainsi un bien mauvais exemple à l'Europe. Il peut avoir eu pour cela des raisons que je n'ai pas à apprécier.

Mais il ne s'est pas contenté de rétablir le passeport ; il a aussi remis en vigueur le visa diplomatique et les taxes de chancellerie qui y sont attachées : exemple détestable que nous avions mis le plus grand empressement à suivre.

Lorsque l'exigence de cet impôt prélevé sur les citoyens étrangers que leurs affaires appelaient en France a été connue en Suisse, le gouvernement fédéral a immédiatement envoyé à son représentant à Paris les instructions les plus formelles pour réclamer contre le traitement dont ses nationaux étaient l'objet.

Il a été dit à cette occasion à l'assemblée fédérale suisse que les citoyens suisses qui s'étaient imposé des sacrifices considérables pendant la guerre entre la France et la Prusse, qui étaient venus libéralement au secours des Français blessés ou prisonniers internés dans leur pays, ne méritaient pas un pareil traitement.

Messieurs, un bienfait reproché est un bienfait perdu. Je n'ai pas l'intention de me prévaloir des arguments qu'on a fait valoir en Suisse. Nous en avons d'autres à faire valoir, des arguments économiques puisés dans l'intérêt même de la France, pour obtenir d'elle que nos nationaux soient dispensés des embarras du visa et des frais qu'il entraîne. Je serais heureux d'apprendre que M. le ministre des affaires étrangères n'a pas attendu mon interpellation pour inviter notre ministre à Paris à joindre ses instances à celles de M. Kern, afin que nos nationaux puissent jouir, eux aussi, des avantages qui pourraient être accordés aux citoyens suisses.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères ; - L'honorable M. Couvreur a commencé par critiquer la mesure prise par le gouvernement relativement au rétablissement du visa des passeports. Il s'est occupé ensuite de la question de savoir si les passeports mêmes sont utiles et doivent encore être exigés ; en troisième lieu, il a demandé au gouvernement de déclarer que cette formalité ne s'applique pas aux Belges, même aux Belges qui auraient participé aux troubles de Paris.

Le gouvernement a cru devoir rétablir, le 5 mai, l'obligation pour les Français de se munir de passeports. Le gouvernement français avait pris, à l'égard de tous les étrangers, cette mesure dès le 3 août 1870, et celle du visa le 14 avril.

Les événements que vous connaissez nous ont forcés de recourir à ce moyen, afin de pouvoir remplir exactement, fidèlement, complètement les intentions que nous avions manifestées dans cette Chambre et qui y avaient reçu une approbation unanime.

Sans cette formalité, l'entrée de nos frontières restait libre,, et n'y avait-il pas lieu de craindre que, contrairement aux internions des Chambres et du gouvernement, notre territoire ne devînt l'asile de ceux que, dans l'intérêt public, nous ne voulions pas recevoir ?

(page 1731) Je crois qu'on ne peut pas sérieusement méconnaître la nécessité impérieuse dans laquelle nous nous sommes trouvés de rétablir la formalité des passeports à l'époque où nous l'avons rétablie.

Veuillez-vous rappeler qu'il avait été dit publiquement, dans une réponse faite aux maires de Paris, qu'on consentirait à laisser aux révoltés une porte libre, deux, trois ou quatre jours afin de leur donner la faculté de quitter la France et de se réfugier sur un territoire étranger.

Cette déclaration, revêtant pour nous un grand danger, nous a, en quelque sorte, obligés à rétablir immédiatement la formalité du passeport.

Ces courtes observations me paraissent suffire pour justifier la mesure prise. Je n'hésite pas à dire qu'elle était indispensable ; les résultats obtenus ont démontré combien elle a été efficace.

Maintenant, pourquoi avons-nous, peu après, rendu le visa obligatoire ? Mais par une raison excessivement simple.

A la suite d'une insurrection formidable, il s'était constitué à Paris une espèce de gouvernement qui, sous le nom de la Commune, avait usurpé dans cette capitale les pouvoirs du gouvernement régulier. Cette Commune pouvait délivrer et délivrait, en effet, comme le gouvernement de Versailles, des passeports aux individus qui en demandaient et leur fournissait ainsi la possibilité de se rendre dans les pays étrangers, même dans ceux où les passeports étaient obligatoires. Nous étions ainsi exposés à voir pénétrer sur notre territoire précisément ceux que nous avions le plus grand intérêt a ne pas recevoir.

N'y avait-il pas lieu de craindre en effet que les vérificateurs de passeports, que les agents de la douane à la frontière ne distinguassent pas toujours les passeports délivrés par la Commune d'avec ceux délivrés par le gouvernement de Versailles et ne laissassent entrer en Belgique des individus munis de documents émanés de leurs complices ?

Nous avons paré à ce danger en exigeant le visa et en enjoignant à nos agents de ne viser que les passeports délivrés par le gouvernement régulier de la France. De cette manière l'entrée de la Belgique n'était permise qu'à ceux qui s'étaient mis en règle conformément aux prescriptions protectrices du gouvernement.

Cette mesure a dû subsister quelque temps encore après l'anéantissement de la Commune pour empêcher qu'on ne fît usage de passeports antérieurement délivrés par elle. Mais l'intention du gouvernement n'a jamais été de maintenir indéfiniment l'obligation du visa. La suppression de cette formalité était arrêtée dans son esprit dès que cette suppression serait jugée opportune et prudente. Nous avons pensé que le moment était arrivé, et, nous avons fait insérer au Moniteur de ce matin l'avis annonçant la suppression du visa ; cette annonce a dû donner pleine satisfaction à l'honorable M. Couvreur.

Quant aux Belges, il suffit de lire le Moniteur du 18 juin pour y trouver la réponse à la partie de l'interpellation qui les concerne.

Voici ce qu'il porte :

« Divers journaux annoncent que les Belges arrivant de France en Belgique sont tenus de faire viser, au préalable, le passeport qui leur a été délivré pour se rendre en France.

« C'est là une erreur. Les Belges arrivant de France ne sont soumis, peur être admis en Belgique, ni à la formalité du passeport ni à celle du visa. Il leur suffit de justifier de leur identité et de leur nationalité par la production d'une pièce quelconque ou par le témoignage d'une personne honorable. »

Voilà les règles indiquées pour les Belges : quels que soient les faits qu'ils aient pu commettre à l'étranger, le gouvernement ne peut jamais, sous aucun prétexte, leur refuser l'entrée de la Belgique. Comment nous supposer la pensée de violer un principe aussi élémentaire ?

Qu'on lise le Moniteur du 3 mai, il ne peut laisser aucun doute. Voici ce qu'il contient :

« Dans notre numéro du 3 août 1870, nous avons prévenu le public que les Belges qui se rendent en France doivent être munis d'un passeport à l'étranger en due forme. Nous croyons devoir rappeler que l'autorité française exige en même temps le visa de ce document par un agent diplomatique ou consulaire français.

« A partir du 5 mai courant, les Français arrivant en Belgique, n'importe par quelle frontière, seront soumis à la formalité du passeport.

« Tous les étrangers indistinctement qui pénétreront dans le royaume par la frontière française, devront également être munis d'un passeport. »

Ainsi quant aux étrangers autres que les Français arrivant soit de l'Allemagne, soit de la Hollande, soit de l'Angleterre, on n'exige pas la production d'un passeport.

Ils sont libres comme autrefois de pénétrer et de circuler en Belgique.

Mais si, empruntant le territoire français, ils arrivent en Belgique par notre frontière du midi, ils sont soumis, comme tous les individus venant de France en Belgique, à la formalité du passeport.

Toutefois, je m'empresse de le dire, des instructions out été données pour rendre les mesures prises aussi peu vexatoires que possible, et pour les étrangers qui n'arrivent pas par la France, on se borne à exiger la preuve de leur nationalité. On se montre très large quant aux preuves à fournir. Telles sont au moins les instructions données.

Il peut y avoir eu quelques faits isolés regrettables comme ceux dont vient de parler l'honorable M. Couvreur. Cela se présentera toujours. Ces inconvénients sont inévitables, ils sont une conséquence du régime que nous avons dû momentanément établir dans l'intérêt de la sécurité de la Belgique.

Dès qu'un fait de cette nature nous a été signalé, nous nous sommes empressés, M. le ministre de la justice et moi, de donner immédiatement, même par le télégraphe, les ordres nécessaires pour lever tous les obstacles et laisser entrer en Belgique les personnes non munies de passeport régulier, mais dont la nationalité et l'honorabilité nous étaient attestées.

L'honorable M. Couvreur m'a demandé en dernier lieu si nous avions, de même que le gouvernement suisse, réclamé en France contre l'obligation de soumettre les passeports belges à un visa français.

Evidemment, puisque nous avions introduit chez nous le visa, nous ne pouvions pas adresser au gouvernement français une réclamation dans un sens contraire.

Maintenant que le visa est supprimé pour l'entrée en Belgique, je tâcherai d'obtenir la même suppression en faveur des Belges allant en France, et de soustraire ainsi nos compatriotes à cette mesure gênante.

Du reste, je n'ai pas attendu les observations de l'honorable membre pour provoquer des mesures favorables à l'égard des Belges, notamment à l'égard des ouvriers.

Le 2 mai, j'écrivais à notre ministre à Paris, pour le charger d'exprimer au gouvernement français notre désir de voir les ouvriers belges des provinces limitrophes dispensés de l'obligation d'avoir un passeport. Le livret me semblait suffire ; mais c'est en vain que nous avons réclamé cet adoucissement au régime adopté par nos voisins.

En terminant, je dois déclarer que quant au passeport je ne puis pas consentir encore à le supprimer, mais j'ajoute que je continuerai à faire tous mes efforts pour rendre la mesure la moins vexatoire possible.

M. Couvreur. - Messieurs, j'ai déjà félicité le gouvernement d'avoir supprimé le visa ; je le remercie des démarches qu'il a faites pour faciliter les communications des citoyens belges avec la France, et notamment des ouvriers qui vont chercher dans ce pays leur gagne-pain.

Mais je ne puis pas accepter toutes les raisons que l'honorable ministre vient de nous donner pour avoir maintenu, jusque dans ces derniers temps, les mesures qu'il avait cru devoir prendre ; je ne suis pas satisfait non plus de sa résolution de ne pas supprimer les passeports pour les étrangers non Français qui empruntent le territoire français pour traverser la Belgique.

La Commune de Paris avait créé des passeports, et pour cette raison le visa était nécessaire. Mais ce passeport irrégulier devait se distinguer par un signe quelconque des passeports délivrés à Versailles. Les signatures, je m'imagine, n'étaient pas les mêmes. Est-ce qu'un vérificateur de passeports n'a pas l'intelligence nécessaire pour distinguer l'un ou l'autre de ces documents ? Il était facile de lui donner les indications nécessaires. Comment le visa du consul était-il, dans ces conditions, un contrôle plus efficace, alors surtout que ce contrôle s'exerçait hors de la présence de l'étranger porteur du passeport ?

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - C'était pour la régularité des passeports.

M. Couvreur. - Soit ; mais cela pouvait rentrer dans les attributions du vérificateur à la frontière.

Reste le passeport délivré par le gouvernement régulier de la France,

Ce gouvernement avait menacé, dit-on, de lancer sur la Belgique les 30,000 communeux, dont il ne sait plus que faire !

Mais cette intention, on n'y a pas donné suite. Donc, la formalité du visa diplomatique n'avait pas de raison d'être. Tel qu'il s'exerçait, le contrôle était sans efficacité aucune. Il eût fallu ou le supprimer depuis longtemps, ou le pratiquer à la frontière même, en présence de l'intéressé et sur le vu de son signalement.

Quant à la question de savoir s'il est nécessaire qu'un étranger, qu'un Anglais, qu'un Américain, qu'un Allemand qui a déjà passé par le contrôle (page 1732) des agents français, soit encore soumis à de nouvelles formalités à son entrée en Belgique, je ne puis que la résoudre négativement.

Son passeport a été reconnu régulier par les autorités françaises ; les autorités françaises ont reconnu qu'il n'était pas un citoyen dangereux, quelles garanties voulez-vous de plus ? Pourquoi tracasser cet étranger, pourquoi lui demander de nouvelles formalités ? Il en est beaucoup qui arrivent de distances très grandes.

Est-ce que le Moniteur belge est lu dans les pays étrangers : en Angleterre, en Amérique, au delà de l'Océan où l'on ne connaît pas vos dispositions restrictives, où l'on croit que la Belgique est un pays essentiellement libre, ou l'on peut entrer et voyager sans être soumis à des formalités vexatoires ?

Imaginez une famille hollandaise venant des Indes. Elle débarque à Marseille, traverse la France et se présente à la frontière belge pour regagner ses foyers. Elle a quitté les colonies avant même de connaître les événements de Paris. Pouvez-vous lui refuser l'accès du pays parce qu'elle n'est pas porteur d'un passeport en règle ?

Le fait, je crois, s'est présenté. Naturellement, au bout d'un certain nombre d'heures, l'interdiction a été levée. Mais les ennuis n'en ont pas été moins grands pour les voyageurs.

Je le répète, du moment qu'un étranger a pu traverser la France, nous n'avons pas de bonnes raisons d'être, à son égard, plus exigeants que nos voisins du Midi. Vous voulez maintenir les passeports contre les Français, soit ; je ne veux pas discuter la question pour le moment. Mais je demande que vous repreniez au plus tôt, vis-à-vis de tous les autres étrangers, nos bonnes allures d'autrefois. Notre intérêt y est engagé de toutes les façons, autant que notre honneur national. Je ne puis que le répéter, car j'ai pu constater le fait par ma propre expérience : les mesures que nous avons prises ont contribué à nous amoindrir en Europe et au delà des mers.

M. Jottrand. - Je désirerais que M. le ministre des affaires étrangères fît savoir, d'une façon positive et précise, quelles sont les formalités que doivent remplir les Belges qui s'absentent momentanément du pays, afin de pouvoir y rentrer sans difficulté. J'ai appris ce matin qu'un honorable avocat du barreau de Bruxelles s'étant rendu en Angleterre par Ostende. pour ses affaires, et revenant d'Angleterre par Ostende samedi dernier, a été menacé de devoir rester sur le bateau jusqu'à ce qu'il donnât des justifications suffisantes de son identité, et cela à quatre heures du matin, à une heure où il était extrêmement désagréable de faire inutilement une station prolongée à bord, après une traversée en mer dans le bateau que vous savez.

Il a eu beau déclarer qu'il était de Bruxelles, donner son nom, son adresse, parler le flamand avec l'accent bruxellois, rien n'y a fait. Il n'avait pas de passeport, il ne pouvait entrer. Il avait cependant pris la précaution, avant de partir pour l'Angleterre, de s'assurer auprès de l'administration bruxelloise qu'un passeport n'était pas nécessaire pour rentrer en Belgique. A quel procédé a-t-il dû avoir recours pour poser le pied sur le sol de son pays, et cela dans une ville, détail plus curieux, où se trouvaient en ce moment sa femme et ses enfants dont il donnait l'adresse, et d'autres personnes à qui l'on pouvait s'adresser immédiatement comme référence pour constater son identité ? A quel procédé a-t-il dû avoir recours ? Il a dû exhiber un vieux passeport anglais dont il était porteur !

Il se trouve que cet honorable avocat de Bruxelles est en même temps Belge et Anglais. Son père étant Belge ; mais sa mère étant Anglaise, le gouvernement britannique le considère comme sujet anglais et consent à le couvrir comme tel de sa puissante protection. Ah ! s'est-il écrié, vous ne voulez pas me laisser rentrer chez moi comme Belge ? Eh bien, je suis Anglais ! Et immédiatement les portes de la Belgique lui ont été ouvertes.

Je voudrais, messieurs, que l'honorable ministre des affaires étrangères donnât des instructions pour que de pareilles anomalies ne puissent plus se produire, et surtout qu'il fît savoir aux Belges comment ils doivent s'y prendre pour pouvoir, quoi qu'il arrive, être sûrs de pouvoir en tout temps rentrer chez eux.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, les Belges peuvent rentrer dans leur pays de la manière la plus simple et la plus facile, sans avoir besoin de se munir de passeport.

J'ai déjà eu l'honneur de le dire et le Moniteur l'avait dit avant moi, quand un Belge arrive à la frontière, s'il n'est pas connu du vérificateur des passeports ou d'un agent des douanes, il lui suffit d'un certificat du commissaire de police, d'une simple lettre, du témoignage d'une personne connue pour établir sa nationalité. Il se fait ainsi reconnaître comme Belge et entre sans le moindre obstacle en Belgique.

Je ne pense pas que le fait cité par l'honorable M. Jottrand se soit souvent produit ; je suis même porté à croire qu'il est unique dans l'histoire des passeports depuis qu'ils sont rétablis. Il me semble qu'il devait être bien aisé à ce voyageur de prouver sa nationalité ; son langage seul aurait pu suffire.

Les instructions qui ont été données par M. l'administrateur de la sûreté publique disent en effet : « Lorsque par le langage, les allures, la physionomie du voyageur, on reconnaît qu'il n'est pas Français, il peut pénétrer en Belgique. »

M. De Fré. - Cela dépend de l'intelligence du vérificateur.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Sans doute ; mais quant à la mesure, au fond je la crois bonne et je la maintiens.

Il ne peut suffire, en effet,. de déclarer sa nationalité, il faut encore la prouver ; seulement il ne faut pas se montrer difficile pour les preuves à fournir, et sous ce rapport la plus grande tolérance a été ordonnée à nos agents aux frontières. Si une simple déclaration était suffisante, autant vaudrait supprimer la formalité des passeports, elle n'aurait plus aucune efficacité.

Je dirai avec l'honorable M. De Fré, il faut un peu s'en rapporter à l'intelligence des vérificateurs de passeports quant à l'exécution de nos instructions qui ont été données dans l'esprit le plus large et, je puis le dire, le plus tolérant.

Nous avons cherché à sauvegarder tous les intérêts : ceux de la Belgique avant tout, ceux des voyageurs ensuite.

Je ne pense pas que les mesures prises soient de nature à porter atteinte à la réputation de terre hospitalière dont jouit, à juste titre, la Belgique, mais la Belgique, tout en étant et en restant une terre hospitalière, ne peut pas abdiquer le droit de se protéger contre tout danger, et le gouvernement a le devoir d'empêcher que des agents de désordre et d'anarchie ne viennent troubler le repos et la sécurité dont la Belgique jouit.

M. Jottrand. - Messieurs, M. le ministre des affaires étrangères a au début de sa réponse, déclaré que l'on devait considérer comme certificat suffisant d'origine pour le Belge, la langue qu'il parle.

Je désirerais que cela fût bien connu de tous les vérificateurs de passeports. Car, la personne à laquelle j'ai fait allusion tantôt a donné, je crois l'avoir dit, cette preuve de son origine. Elle a parlé le flamand de Bruxelles...

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Dans ce cas, le vérificateur a eu tort.

M. Jottrand. - ... et cependant cela n'a pas suffi.

Pourtant, s'il est une marque d'origine qu'on ne puisse contrefaire, c'est bien celle-là.

Ce sera un privilège pour les personnes originaires de la partie septentrionale de notre pays que de pouvoir facilement rentrer chez elles par ce moyen ; mais, au point de vue de la langue, elles n'en ont pas tant, en définitive, qu'on doive le leur envier.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Les autres parleront le wallon.

M. Jottrand. - Certainement, ceux qui parleront le liégeois seront dans les mêmes conditions.

M. Snoy. - Et ceux qui parleront le marollien aussi.

M. Jottrand. - Puisque j'ai la parole, je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien faire connaître au pays, avant que nous nous séparions, où en sont les négociations qui, d'après ce qu'il nous a annoncé il y a quelques semaines, sont poursuivies avec vigueur afin de faire rendre la liberté, le plus tôt possible, à ceux des Belges incarcérés en France qui n'ont pas à leur charge de préventions bien sérieuses.

Je ne lui demande pas une réponse immédiate qu'il peut n'être pas préparé à nous donner, mais je crois qu'il est utile qu'il nous dise aujourd'hui ou demain, comme complément des explications qu'il nous a données il y a un mois, où ont abouti les négociations diplomatiques dont il nous a parlé alors.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, les efforts de notre diplomatie à Paris n'ont pas cessé. Nos consuls dans les différents ports de mer où se trouvent des Belges arrêtés, ont continué de faire tout ce qui était en leur pouvoir en faveur de nos nationaux ; mais je dois dire que jusqu’à présent, à ma connaissance, aucun des Belges arrêtés n'a été mis en liberté.

- L'incident est clos.


M. Simonis (pour une motion d’ordre). - Messieurs, au commencement de la séance, on a donné l'analyse d'une pétition de la veuve Redouté, dont le mari était instituteur primaire.

(page 1733) Cette dame se plaint de n'avoir pas la pension à laquelle elle prétend avoir droit.

Le bureau a proposé de renvoyer cette requête à la commission des pétitions.

Je crois qu'il serait préférable de la renvoyer à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur la caisse de retraite des instituteurs.

M. le président. - Je crois que le résultat serait plus facilement atteint en renvoyant à la commission des pétitions qu'en renvoyant à la section centrale dont vous parlez.

M. Simonis. - Je n'insisté pas, M. le président, mais je demanderai alors un prompt rapport sur la pétition en question.

- La résolution proposée par le bureau est maintenue.

Projet de loi allouant des crédits spéciaux à concurrence de 22 millions de francs pour exécution de travaux publics et autorisant un emprunt de 50 millions de francs

Discussion générale

M. le président. - Ce projet contient deux objets distincts : un crédit de 22 millions pour travaux et l'autorisation d'un emprunt de 50 millions.

Je suppose que la Chambre ne confondra pas les discussions de ces deux objets.

- Un membre. - Pourquoi pas ? On peut le faire.

M. le président. - Certainement, mais il vaudrait mieux, ce me semble, réserver la discussion sur l'emprunt à l'article 2. (Interruption.) Enfin, les orateurs seront libres.

- La discussion est ouverte.

M. Julliot. - Messieurs, on nous propose le vote d'un crédit de 22 millions de francs destiné à des travaux dits publics, parce que tout le public y paye, et dont voici la distribution :

La province de Liège reçoit.1,484,000 fr.

Celle de la Flandre occidentale 1,281,000 fr.

Celle de la Flandre orientale 1,200,000 fr.

Celle d'Anvers 6,630,000 fr.

Celle de Namur 1,500,000 fr.

Celle de Hainaut 1,100,000 fr.

Celle de Brabant 5,655,000 fr.

Celle de Luxembourg 200,000 fr.

et celle de Limbourg, ni route, ni écluse, mais néant.

Je me trompe, l'Etat se propose de bâtir une maison à Hasselt à l'usage de son représentant et alors on nous dit : Voilà votre part.

Or, il est évident que l'activité industrielle et commerciale de la province ne retire rien de cette dépense que le gouvernement trouve bon de faire à son usage ; je dis donc que le Limbourg est seul à être pour rien dans cette loi qui distribue entre toutes les autres provinces 22 millions de francs.

Messieurs, vous vous rappellerez que tous les ministères qui se sont succédé ont placé le Limbourg et le Luxembourg sur la même ligne ; on traitait ces deux provinces, ayant subi le même sort, en sœurs, et certes le ministère actuel ne voudra pas innover sous ce rapport.

On ne prétendra pas, par exemple, qu'entre les besoins de la province d'Anvers et ceux du Limbourg il y a la distance de 6 millions à zéro ; ce serait trop fort ! Contentons Anvers, je le veux bien, mais souvenons-nous que le Limbourg aussi doit vivre.

Il ne sera donc pas dit qu'il était réservé à nos amis de faire une distinction défavorable à notre égard entre la province wallonne de Luxembourg et la province flamande de Limbourg ; non, cela ne serait ni juste ni politique, car les motifs donnés en faveur du Luxembourg sont en tout applicables au Limbourg.

Messieurs, ce que je vais dire n'est pas nouveau, mais c'est toujours vrai et la vérité ne peut être trop répétée.

Vous savez qu'en principe je suis l'adversaire de la dépense de tant de capitaux dont une grande partie reste improductive, et à première vue, on s'étonnera de mon initiative.

Mais je ne puis me résoudre à jouer le rôle de dupe, et quand ce principe que je n'aime pas est voté et va être appliqué malgré moi, je suis autorisé à y prendre ma part, ne fût-ce qu'à titre de restitution de la portion fournie dans l'impôt par mes commettants.

Je propose donc, avec mes honorables collègues du Limbourg, de traiter cette province à l'égal du Luxembourg, en ajoutant au paragraphe 3 de l'article premier, intitulé Routes, l'amendement que voici :

« Construction de routes de l'Etat dans le Limbourg : fr. 200,000 francs. »

Je pense qu'en présence des nombreux millions gaspillés dans la construction d'une église, d'un palais de justice et autres extravagances auxquelles le Limbourg paye sa part et dont nous sommes encore menacés, le gouvernement et les Chambres ne refuseront pas de reconnaître que nos prétentions si modestes sont plus que justifiées, surtout alors qu'on considère que le Limbourg est la province qui coûte le moins et donne le moins d'embarras aux pouvoirs publics ; ce qui doit être une bonne note.

J'arrive à un autre ordre d'idées.

Le gouvernement se propose d'élever le tarif des voyageurs à long parcours, et les intéressés poussent des cris aigus et discordants contre ce projet et cela se comprend.

Les populations qui se trouvent le long des lignes de l'Etat jouissent d'un privilège considérable ; il est des compagnies qui perçoivent le double de ce que perçoit l'Etat, cela est-il tolérable ? Est-il admissible que l'Etat par son fait rende la concurrence impossible entre les producteurs selon leur position sur un chemin de fer de l'Etat ou d'un chemin concédé,

L'Etat ne peut avoir le droit de favoriser une partie de la nation au détriment d'une autre, par le privilège qu'il accorde à la première.

Si ce jeu devait continuer, ce serait la condamnation des chemins de fer entre les mains de l'Etat.

Et c'est notamment le cas du Luxembourg et du Limbourg qui n'ont pas un mètre de chemin ferré de l'Etat.

Et en présence de cette situation, le gouvernement refuse une demande en concession d'Aix-la-Chapelle à Bruxelles, une ligne d'Aix à Tirlemont et ainsi de suite !

Cette absence de chemin de fer de l'Etat a été prise en considération par le gouvernement et les Chambres en ce qui concerne le Luxembourg.

Quand la garantie d'intérêt sur la grande ligne du Luxembourg n'était plus due par suite du chiffre des recettes, on a reporté cette garantie, sur une autre ligne à construire dans la même province, en considération de la défaveur qui résulte d'en être exclusivement réduit à une ligne concédée.

Or, telle est aujourd'hui la position du Limbourg ; il ne possède rien de l'Etat, et une seule ligne concédée sur laquelle nous payons un tarif exactement double de celui de l'Etat.

Il est donc juste qu'on accorde au Limbourg le traitement qu'on a admis pour le Luxembourg. Eh bien, il est un canton des plus importants, qui est celui de Looz, qui n'a rien ; il faut donc reporter la garantie donnée au Liégeois-Limbourgeois, qui n'opère plus sur une ligne de Saint-Trond à Tongres par Looz, et ce sera une stricte justice.

J'ai soulevé cette question en section centrale, mais la réponse du gouvernement, qui consiste à dire que cette garantie restera encore longtemps due à cette ligne du Liégeois-Limbourgeois et qu'on ne peut en disposer en faveur d'une autre ligne, repose sur une complète erreur.

Quand le gouvernement est pris au dépourvu, il doit répondre, et alors il le fait d'une manière qui ne puisse jamais le compromettre, et à sa place j'en ferais autant ; mais il est reconnu que, depuis que le Liégeois-Limbourgeois est en relation directe avec tous les chemins de fer hollandais, il s'y fait un trafic tel que les porteurs d'obligations en retireront un intérêt usuraire, et la faveur dont jouissent ces obligations en dit assez.

Je ne ferai cependant pas de proposition à cet égard, parce que la liquidation entre l'Etat et la société est en souffrance depuis 1867, mais j'engage le gouvernement à ne pas perdre de vue une compensation à donner au Limbourg pour la défaveur de n'avoir qu'une ligne concédée qui coûtera toujours cher à ceux qui s'en servent.

Nous nous bornons donc à déposer notre amendement signé par l'honorable comte de Theux, M. Thonissen, le comte de Borchgrave et moi. De nombreux amis m'ont offert de signer cette pièce avec nous, je les ai remerciés parce que, d'une part, notre cause est trop bonne pour en avoir besoin, et que, d'autre part, nous laissons une belle part d'initiative au ministère qui en usera, j'en suis certain. J'ai dit.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, je veux justifier aussi brièvement que possible le vote triplement négatif que je me propose d'émettre sur le projet.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - J'espère bien qu'il ne comptera que pour un.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je voudrais qu'il pût compter pour trois.

D'abord, messieurs, le projet de loi justifie de la façon la plus complète, la plus indiscutable, les prévisions des constitutions américaines qui interdisent aux Etats comme aux législatures de se mêler de travaux publics et d'emprunter pour construire des travaux qui favorisent toujours, quoi (page 1734) qu'on fasse, certaines localités au détriment d'autres parties du pays, ou certains intérêts privés au détriment des intérêts de tous.

Si, à cette considération, on ajoute celle qui est également invoquée dans les considérants des constitutions américaines pour justifier cette prohibition, c'est-à-dire que c'est un moyen de corrompre les élections et les législatures, mon premier vote hostile sera parfaitement compréhensible.

Le projet qui nous est soumis actuellement comme ceux de même nature qui l'ont précédé, comme ceux qui pourront le suivre, est une tentative de corruption a la fois électorale et parlementaire.

En effet, dans quelle position se trouvent ou peuvent se trouver les représentants de certaines localités en présence de projets semblables ? Est-ce que leur vote est entièrement libre ; est-ce qu'on ne les met pas dans une position difficile ? Et, s'ils votent contre le projet, ne peut-on pas leur susciter une opposition de la part de leurs électeurs, en les accusant de ne pas avoir fait ce qu'ils devaient pour avoir leur part du gâteau, comme on dit en style électoral ?

Sous ce rapport seul, je devrais déjà combattre énergiquement les projets de lois de la nature de celui qui nous est proposé surtout lorsqu'ils sont présentés à la fin d'une session, à la dernière heure pour ainsi dire et alors qu'on n'a plus le temps de les examiner dans leurs détails,

Je n'en dirai donc pas davantage à ce sujet ; je réserve ce point pour une autre occasion, mais je vous démontrerai combien il est mauvais et dangereux de mettre les législateurs en présence de votes semblables à celui qu'on les appelle à émettre aujourd'hui.

La seconde raison qui me fera voter contre le projet, c'est la distribution mauvaise, inique, injuste, inacceptable des sommes qui nous sont demandées. Des 22 millions de travaux que le gouvernement propose, 1,742,000 francs seulement retournent aux campagnes qui fournissent les trois quarts de la somme totale.

En effet, les habitants des campagnes forment les 4/5 de la population et il est bien certain qu'ils payent au moins les 3/4 des impôts, et qu'ils supportent au moins les 3/4 de toutes les charges publiques. Or, dans le projet qui nous est soumis, je trouve que la part qui est réservée non pas directement, mais encore très indirectement aux campagnes ne s'élève, je le répète, qu'à 1,742,000 francs ; tout le reste est appliqué en faveur des villes pour les doter de stations monumentales, de palais, de constructions qui leur sont exclusivement profitables et dont, nous autres campagnards, nous n'avons pas besoin.

On nous dira peut-être : Ce chiffre est le résultat du hasard, les choses se sont passées ainsi cette fois ; mais les campagnes ont eu autrefois leur part dans les travaux publics. Je réponds que cela n'est pas exact ; c'est tout un système.

Ainsi dans le relevé des dépensés extraordinaires que j'emprunte à la situation générale du trésor au 1er janvier 1871, je trouve que, sur un total de 975,655,579 fr. 65 c. de dépenses extraordinaires comprises dans les exercices de 1850 à 1870 inclusivement, la part attribuée aux campagnes s'est élevée seulement à 142 millions, ce qui implique une différence avec la somme totale de 832 millions environ et en admettant qu'elles aient contribué pour les trois quarts de cette différence, le déficit au détriment des campagnes est de 590 millions de francs. Le système est donc mauvais et il est impossible que les représentants des campagnes le défendent.

Comme pour le premier point, je pourrais également en dire long sur ce chapitre, il me suffit aujourd'hui de l'exposer sommairement ; vous avez messieurs, les chiffres sous les yeux comme je les ai moi-même ; vous pouvez vous convaincre que je ne dis pas un mot qui ne soit exact.

Je voterai donc contre ce système de dépouillement des campagnes au profit des populations urbaines et j'espère que la législature n'y persistera pas plus longtemps.

La troisième raison qui me fait voter contre le projet de loi, c'est le système de payement des travaux ; c'est au moyen d'un emprunt que l'on veut subvenir aux nouvelles dépenses que l'on va créer.

De tous les systèmes, il n'y en a pas de plus mauvais, et ce n'est pas la première fois que je le dis ; depuis que je suis dans cette Chambre, je n'ai cessé de combattre le système des emprunts. Je le répète, il n'y a pas de plus mauvais moyen de subvenir aux charges publiques ; je vais le démontrer d'une façon indiscutable.

L'année où le gouvernement a donné le plus de développement aux travaux publics et où il a dépensé le plus d'argent, il n'est pas parvenu à dépenser plus de 23 millions de ce chef ; or nous payons tous les ans maintenant près de 30 millions pour les intérêts des emprunts qui ont servi à faire ces travaux, et comme nous avons supprimé l'amortissement...

- Une voix. - Il n'est pas supprimé.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Oh, non. Lorsque les fonds descendent en dessous du pair, c'est-à-dire quand il n'y a pas d'argent, nous pouvons amortir, mais alors nous n'aurons pas d'argent pour le faire, tandis que quand les fonds sont au-dessus du pair, nous ne pouvons pas amortir. L'amortissement est donc bien supprimé en fait. Eh bien, messieurs, tous les ans nous payons environ 30 millions pour recevoir de petits carrés de papier appelés des coupons, quelques centaines de kilogrammes au plus.

Tandis que, si nous dépensions cette même somme en travaux d'utilité publique, en admettant pour un instant que l'Etat doive continuer à s'en charger, nous aurions tous les ans pour 30 millions de travaux au bout de l'année et nous ne devrions rien à personne.

Les contribuables ne payeraient pas un centime de plus ; ils ne seraient pas chargés tous les ans de nouveaux engagements et de nouvelles dettes.

J'ai voulu savoir un jour par des calculs exacts quelle position faisait à mes commettants le système d'exploitation des uns au profit des autres qui est pratiqué chez nous.

J'ai voulu voir pour quelle part l'arrondissement de Nivelles a contribué aux emprunts contractés et aux dépenses extraordinaires faites jusqu'à ce jour pour travaux d'utilité publique. Ce travail m'a permis de constater que l'arrondissement de Nivelles est dans une situation assez semblable à celle du Limbourg, constatée tantôt par l'honorable M. Julliot, et de l'arrondissement de Turnhout, qui n'ont guère été favorisés jusqu'à présent. J'ai trouvé que l'arrondissement de Nivelles a contribué pour une cinquantaine de millions dans les dépenses extraordinaires.

Or, messieurs, il est incontestable qu'une vingtaine de millions souscrits en actions ou obligations eussent largement suffi pour doter notre arrondissement de tous les chemins de fer que nous pourrions rêver ; surtout si nous avions souscrit pour ces 20 millions d'actions ou obligations destinées à l'établissement de chemins de fer.

Les compagnies concessionnaires en eussent certainement dépensé au moins le double de leur côté, c'est-à-dire un chiffre dépassant de beaucoup tout ce qu'on pourrait utilement dépenser dans l'arrondissement de Nivelles en chemins de fer. Une autre somme de dix millions eût été largement suffisante pour nous doter de toutes les voies de communication nécessaires pour relier entre elles toutes nos communes et pour doter chacune d'elles des bâtiments d'école qui peuvent leur manquer.

Il serait donc encore resté 20 millions, que nous aurions pu laisser dans la poche des contribuables, qui en eussent trouvé un meilleur emploi que l'Etat.

Ainsi, messieurs, qu'on envisage la question au point de vue général ou au point de vue de certains arrondissements, il est bien certain que le système de travaux publics, tel qu'il est pratiqué depuis longtemps dans notre pays, n'est ni juste ni soutenable, et je doute même que les communes, les cantons ou les arrondissements qui se croient réellement favorisés le soient effectivement en proportion des sacrifices qu'ils ont à s'imposer.

Car, messieurs, il faut tenir compte encore.de la manière dont les travaux s'exécutent par l'Etat ou ses agents. Or, si l'on a égard aux lenteurs, aux démolitions et reconstructions, aux frais de toute nature, aux difficultés de tout genre qui sont inhérents aux travaux officiels, on finit par reconnaître que ces travaux coûtent infiniment plus cher que s'ils étaient entrepris par l'industrie privée ou même par les communes ou les provinces.

Messieurs, à propos de dettes et d'emprunts, je voudrais attirer un instant l'attention des propriétaires fonciers sur ces opérations. Je désire qu'ils suivent un peu mes calculs ; ils verront qu'à leur point de vue surtout les emprunts qui paraissent si favorables à la propriété, lui sont au contraire des plus défavorables.

Les dettes des Etats, comme celles des particuliers, se contractent d'après les garanties qui sont offertes ou qui existent naturellement. Si ces garanties sont sérieuses aux yeux des prêteurs, les Etals contractent à bon marché ; si elles sont douteuses, les Etats ne contractent que très difficilement et chèrement. Nous en avons la preuve tous les jours en lisant les journaux. L'Etat belge a une bonne réputation ; il contracte facilement, trop facilement à mon avis, des dettes, et il obtient des conditions en apparence très favorables.

L'intérêt et l'amortissement des dettes en Belgique ne sont pas seulement payés par le produit de l'impôt foncier qui, ne donnant que 20 millions, ne suffit pas pour payer les 50 millions du budget de la dette publique. Il y a donc un déficit de 30 millions.

Jusqu'à présent ce déficit a été couvert par les contributions des classes les plus nombreuses de la société ; dans le genièvre, dans le droit de (page 1755) consommation, on a trouvé de quoi effectuer le paiement intégral des intérêts ainsi que de l'amortissement, quand il y avait un amortissement.

Mais il peut se présenter - et l'histoire contemporaine elle-même en est la preuve - il peut se présenter des cas où les Etats, par suite de crises commerciales, de crises alimentaires, de crises sociales ou politiques, ne trouvent plus dans les ressources de l'impôt de quoi subvenir au payement des intérêts et de l'amortissement de la dette. Alors on est obligé de s'adresser à d'autres garanties.

Vous voyez les Etats de l'Orient, la Turquie et l'Egypte donner les propriétés de l'Etat en garantie de leurs emprunts. Eh bien, ce que font les Etats de l'Orient, nous devrions le faire de no re côté.

Si une crise un peu intense se présentait,- il ne faudrait pour cela que deux années comme celle-ci, - ce ne serait que sur la propriété foncière qu'on pourrait garantir le payement régulier de la dette. Or, à mesure que le chiffre de la dette et que l'intérêt s'accroissent, il est évident que le danger s'accroît également pour la propriété ; comme la dette absorbe annuellement 50 millions, le danger est énormément plus grand que si elle n'absorbait que 20 millions. Car si l'intérêt n'était que de 20 millions annuellement, il n'y aurait pas lieu d'augmenter l'impôt foncier.

Mais s'il fallait demander à cette seule source le payement intégral des intérêts de la dette, il faudrait payer deux fois et demie l'impôt foncier pour arriver à subvenir à cette seule charge. Je pense que les propriétaires feront bien d'examiner cette situation d'une manière très sérieuse et de voir s'il peut convenir plus longtemps de courir les risques d'une dette croissant sans cesse et n'ayant aucune chance de diminuer par suite du non-amortissement qui a été adopté il y a deux ou trois ans.

Messieurs, je ne veux pas retenir la Chambre plus longtemps. J'ai annoncé qu'à la discussion du budget des voies et moyens de l'année prochaine, je proposerais des amendements à notre système financier. J'annonce dès maintenant que, parmi les modifications que je vous soumettrai alors comme devant améliorer nos voies et moyens, je proposerai la conversion de la dette publique. Je justifierai alors, je pense, de la façon la plus complète, que parmi toutes les iniquités, toutes les injustices qu'entraîne avec soi la création d'une dette publique, la plus grande peut-être, c'est lorsque les contribuables, endettés sans leur consentement payent un intérêt beaucoup plus grand qu'ils ne le doivent légitimement.

J'ai déjà démontré, il y a deux ans, que, comparée aux fonds des communes, à l'escompte de la Banque Nationale et à d'autres termes de comparaison, la dette de l'Etat paye 1 à 1 1/2 p. c. de plus qu'elle ne devrait payer légitimement. Or, quand on sait que c'est sur la masse de la consommation, que c'est sur le salaire des ouvriers et d'une grande partie de la population que cet excédant d'intérêt est payé, on doit reconnaître qu'il y aurait toute justice à convertir le plus tôt possible cette charge considérable de l'Etat qui va grossissant sans cesse.

Je voterai donc contre le projet pour les trois motifs principaux que je viens d'indiquer.

(page 1737) M. David. - Messieurs, des pétitions nombreuses ont été déposées sur le bureau depuis quelque temps, depuis qu'on connaît l'intention de M. le ministre des travaux publics de relever le tarif des voyageurs. Ces pétitions émanent de toutes les parties du pays ; elles émanent principalement du commerce et de l'industrie. Elles sont couvertes, si j'ai bien additionné, d'environ 8,000 signatures. Il n'y a pas que des signatures de négociants et d'industriels, beaucoup de conseils communaux se sont joints au mouvement, qui tend en ce moment à se généraliser très énergiquement. Beaucoup de pétitions ne nous sont pas arrivées ici. Elles ont été adressées directement à M. le ministre des travaux publics et je considère celles-là comme presque plus importantes encore que celles qui ont été déposées sur notre bureau. Celles qui sont adressées à M. le ministre des travaux publiés émanent principalement d'un grand nombre de chambres de commerce de notre pays. Dès lors, l'honorable ministre des travaux publics ne pourra plus venir prétendre dans cette enceinte, comme il l'a fait au Sénat, que le mouvement est factice et le représenter comme une manœuvre politique.

La répulsion contre l'augmentation des tarifs devait être générale. Le succès de la réforme inaugurée en 1866 a été absolument trop brillant.

Dans les précédents discours que j'ai eu l'honneur de prononcer sur cet objet, je vous ai démontré en quelques mots que je considérais la réforme projetée comme antisociale et antiéconomique. Aujourd'hui, au moyen de la statistique officielle, des documents émanés du ministère, je vous démontrerai, clair comme le jour, qu'elle est antidémocratique et que, sans favoriser naturellement l'aristocratie, celle-ci la supportera sans beaucoup de peine, elle n'a pas besoin de recompter sa bourse quand elle se met en voyage.

Pour vous faire cette démonstration complète, j'aurai besoin de retourner en arrière et de vous indiquer les tarifs qui existaient avant 1866.

Ces tarifs consistaient en ceci ; je prends le compte rendu de 1866. On payait alors 10 centimes par kilomètre, en train express et en première classe, et 7 1/2 centimes en seconde classe. Les express n'avaient pas de troisièmes à cette époque.

En train ordinaire, on payait 8 centimes en première classe, 6 centimes en seconde classe et 4 centimes en troisième classe.

Ce tarif devait nécessairement comprimer les voyages à long cours, les voyages au delà de 75 kilomètres. Au ministère des travaux publics, on a fait un travail très intéressant ; on a relevé combien de personnes avaient voyagé en 1864 dans la zone de 1 à 35 kilomètres, dans la zone de 36 à 75 kilomètres et dans la zone d'au delà de 75 kilomètres. Pour faire cette statistique on a élague d'abord les voyageurs extraordinaires, c'est-à-dire les enfants, les militaires et les voyageurs privilégiés et extraordinaires comme les pèlerins, le touriste avec carte de circulation, etc., on a écarté ensuite tous les voyageurs internationaux. On n'a tenu compte que des voyageurs à l'intérieur et des voyageurs mixtes.

Les voyageurs mixtes sont ceux qui empruntent les lignes concédées, lignes qui, en vertu de conventions avec l'Etat, ne nécessitent pas un changement de billets en passant de cette ligne sur celle de l'Etat. Voici, messieurs, les résultats que je puise dans les statistiques officielles.

Je vous lirai la chose d'après le compte rendu de l'exploitation de 1866 page 42.

Il y a eu, en 1866, abstraction faite des voyageurs dont je viens de parler, c'est-à-dire les enfants, les militaires, les voyageurs extraordinaires et internationaux, etc., 8,449,583 voyageurs à l'intérieur et mixtes, qui se divisent comme suit :

Pour la zone de 1 à 35 kilomètres 6,552,696 voyageurs. C'est la zone sans réduction jusqu'aujourd'hui. Cela fait 77.55 p. c. du nombre total des voyageurs.

Pour la zone de 36 à 75 kilomètres, qui jouit d'une réduction partielle et provisoire, 1,574,972 voyageurs, soit 18.64 p. c. du nombre total.

Mais pour la zone au delà de 75 kilomètres, celle dans laquelle aujourd'hui déjà la réduction est complète, il n'y avait, sous l'ancien tarif, que 321,915 voyageurs, soit seulement 5.81 p. c. du nombre total des voyageurs.

Cela démontre à toute évidence, messieurs, que les fortes sommes à dépenser empêchaient les voyageurs de se lancer même au delà de la distance de 35 kilomètres.

Arrive, messieurs, en 1866, l'heureuse et intelligente réforme de l'honorable M. Vanderstichelen, mais vous devez admettre avec moi que cette (page 1738) réforme a été faîte dans les conditions les plus mauvaises. En 1866, nous avons eu non seulement une guerre très sanglante en Allemagne qui a paralysé toutes les affaires en Europe, mais aussi le choléra toute l'année, et de la pluie pendant toute la belle saison, celle des voyages précisément.

Malgré cela, messieurs, la réforme a réussi de la manière la plus complète.

Je vais vous lire, messieurs, en quoi cette réforme doit consister lorsqu'elle sera mise entièrement à exécution et j'espère que M. le ministre des travaux publics y donnera suite après mûre réflexion.

Voici, messieurs, les bases du nouveau tarif de l'honorable M. Vanderstichelen :

De 1 a 10 lieues inclusivement (1 à 50 kilomètres) pour chaque lieue : 1ère classe, 30 centimes ; 2ème classe, 20 centimes ; 3ème classe, 15 centimes.

De 11 à 20ème lieue inclusivement (55 à 100 kilomètres), on ajoute aux prix de la 10ème lieue et pour chaque lieue :

1ère classe, 15 centimes ; 2ème classe, 10 centimes ; 3ème classe, 7 1/2 centimes.

Au delà de la 20ème lieue, on ajoute aux prix de la 20ème lieue et pour chaque lieue :

1ère classe, 10 centimes ; 2ème classe, 7 1/2 centimes ; 3ème classe, 5 centimes.

La surtaxe des trains express a été ramenée à 20 p. c. des trains ordinaires (elle était antérieurement de 25 centimes).

Voilà en quoi consistait la réforme complète projetée en 1866. Mais cette réforme n'a été appliquée que partiellement.

Dans la première zone, qui est de 1 à 55 kilomètres, il n'y a pas eu réduction.

De 56 à 75 kilomètres, la réduction est provisoire et déjà assez forte.

C'est à partir de 76 kilomètres que la réduction a été complète et définitive. Au moyen de cette mise à exécution partielle de la réforme, voici comment s'établissait la taxe pour certains voyages.

Je prends Bruxelles comme point de départ et j'indique les prix des voyages en 2ème classe.

Pour la zone à réduction moyenne et provisoire de 56 à 75 kilomètres : [suit un tableau, non repris dans la présente version numérisée. Il vise à mettre en évidence les réductions opérées par le nouveau tarif pour les distances allant entre 44 et 125 kilomètres]

Herbesthal à Ostende, qui est la plus grande distance à parcourir dans notre pays, 260 kilomètres : ancien prix 15 fr. 50 c, nouveau tarif 5 fr. 30 c, donc une réduction de 10 fr. 20 c.

Au moyen de ces prix vraiment démocratiques, combien de centaines de familles de mon arrondissement ont pu aller voir la mer dans sa grandeur et dans ses fureurs, les monuments des villes de Bruges, Gand, Anvers et Bruxelles ! combien de détaillants ont pu venir chercher de première main à Anvers les denrées pour leurs magasins ! combien de petits fabricants leurs laines à Anvers !

Avec ces prix, le rapport de la dépense à la recette a aussi constamment diminué jusqu'en 1869 ; voici le chiffre exact de ce rapport pour les années suivantes :

En 1866, il a été de 57.29 p. c., en 1867 de 60.73 p. c., en 1868 de 59.15 p. c., en 1869 de 55.53 p. c.

Nous n'avons pas encore le compte rendu de 1870 et nous ne savons pas quels sont les résultats que cet exercice a donnés.

Quant à la recette nette, elle a produit du capital employé les pour cent suivants :

En 1866, 5.37 p. c. sur un capital de 244,986,815 fr. 32

En 1867, 4.84 p. c. sur un capital de 256,400,000 fr.

En 1868, 5.13 p. c. sur un capital de 262,800,000 fr.

En 1869, 5.89 p. c. sur un capital de 267,400,000 fr.

Vous voyez, messieurs, qu'il y a eu une amélioration constante avec ce tarif qu'on disait si désastreux pour les finances du chemin de fer. L'amélioration a été constante, quant au nombre des voyageurs, à la diminution des dépenses et à l'augmentation des intérêts des sommes employées ; en 1869, elle touche à 6 p. c.

Je vais maintenant vous faire apprécier toute l'influence qu'a eue ce tarif sur les voyageurs au delà de 75 kilomètres, elle est vraiment remarquable.

Je vais encore prendre le compte rendu de 1870, page 49.

Pour faire ce calcul de comparaison, on a nécessairement éloigné les voyageurs internationaux et extraordinaires, les enfants et les militaires, les pèlerins, comme on en a éloigné tous les voyageurs avec billets-circulaires.

On ne pouvait, en 1866, faire le calcul que sur les mois de mai, juin, juillet, août, septembre, octobre et novembre, parce qu'à l'époque où a été fait le rapport, les résultats du mois de décembre n'étaient pas encore connus. J'extrais du rapport de 1866, page 49 :

Dans la zone sans réduction, il y a eu, en 1865, 4,651,799 voyageurs et en 1866, 4,741,544 pendant les sept mois que je viens de citer ; en tout 89,745 voyageurs de plus en 1866 qu'en 1865.

Dans la zone à réduction provisoire, en 1865, il y avait eu 862,372 voyageurs, et en 1866 il y en a 1,036,298, par conséquent 175,936 de plus en 1866 qu'en 1865. Mais, dans la zone à réduction définitive, l'augmentation est des plus significatives ; voici ce qui se passe. En 1865 il n'y a que 189,207 voyageurs, tandis qu'en 1866 il y en a 363,085, donc 175,876 de plus en 1866 qu'en 1865.

Voici maintenant l'indication de l'augmentation du nombre des voyageurs par zone qui ont parcouru les diverses zones.

Ce qui signifie :

Dans la zone sans réduction il y a eu un accroissement de 89,745 voyageurs sur 4,651,799, donc 1.93 p. c. Dans la zone avec réduction provisoire, il y a eu un accroissement de 173,926 voyageurs sur 862,372, c'est-à-dire 20.17 p. c. d'augmentation. Mais pour la zone à réduction complète, définitive, il y a eu 173,876 voyageurs en plus sur 189,207 ou 91.90 p. c. d'augmentation.

Voilà les résultats étonnants et brillants produits par le tarif abaissé en mai 1866.

II est bien regrettable, messieurs, que ce travail de comparaison entre le nombre des voyageurs ayant franchi, dans leur excursion, les 38 kilomètres n'ait pas été poursuivi pendant les années postérieures. On aurait probablement démontré par là que la plus grande partie de l'accroissement du nombre des voyageurs provenait de la réduction des prix.

Je vais maintenant, messieurs, vous indiquer, année par année de 1865-1870, la proportion entre le nombre des voyageurs des différentes classes. En 1865, il y a eu en tout 10,677,963 voyageurs ; en 1866, malgré la guerre et le choléra et la pluie continue dans la belle saison, 11,657,417 voyageurs, ensemble, une augmentation en 1866 de 959,454 voyageurs :

En voici le détail d'après le rapport de 1866, page. 57 : [détail non repris dans la présente version numérisée] En 1866, en plus, 959,454.

Ce tableau nous démontre, messieurs, combien la réforme est utile aux classes moyennes, au commerce, à l'industrie et aux ouvriers et il nous prouve combien les classes riches attachent peu d'importance à la réduction, elles qui n'ont pas besoin de compter l'argent qui est dans leurs bourses avant de se mettre en route.

Cette vérité ressort à l'évidence de ce qu'en 1866, il y a eu pour les premières classes express, 28,500 voyageurs de moins qu'en 1865. C'est une preuve que celui qui n'a pas besoin de voyager, qui ne voyage que pour son plaisir, pour se rendre aux villes de bains, au pied des Alpes ou en Suisse ou à sa maison de campagne reste chez lui, aussitôt qu'une épidémie règne ou qu'il y a des perturbations politiques, tandis que celui qui doit voyager pour gagner sa vie court le monde dans toutes les circonstances.

En 1866, nous avons eu en première express 262,409 voyageurs, et en (page 1739) première ordinaire 505,216, ensemble,767,625 voyageurs de première classe. En deuxième classe express 152,818, et ordinaire 1,364,375, ensemble 1,517,193 voyageurs. En express, troisième classe 154,911 voyageurs ; en troisième ordinaire 8,949,812 voyageurs ; ensemble : 9,104,725 voyageurs ; je ne tiens pas compte ici ni dans aucun de mes calculs, des enfants, des militaires et des voyageurs extraordinaires. Cela fait que sur un chiffre de 10,621,916 voyageurs de seconde et de troisième classe, il y a eu seulement 767,625 voyageurs de première classe, ce qui donne pour l'année 1866 seulement 7.17 p. c. de voyageurs de première classe des deux catégories et 92 6,7 p. c. de voyageurs de seconde et de troisième classe également des deux catégories.

Voyons maintenant comment se répartit, cette année-là, l'augmentation.

L'augmentation pour les voyageurs de seconde et de troisième classes a été pour ;

- les secondes express, en plus que 1865 : 18,692 voyageurs.

- les secondes ordinaires, en plus que 1865 : 64,873 voyageurs.

Ensemble : 85,565 voyageurs.

- les troisièmes express, en plus que 1865 : 154,911

- les troisièmes ordinaires, en plus que 1865 : 824,424

Ensemble : 979,335

Total : 1,065,900 voyageurs.

Tandis que pour la première classe, en express, il y a eu une diminution de 28,495, et en train ordinaire une augmentation de 41,436, ce qui, en fin de compte, amène, après déduction de ces 28,495 en moins, une augmentation en première classe de 12,981 voyageurs seulement sur 1865. Ce qui fait que l'augmentation des voyageurs de première classe des deux catégories participe dans l'augmentation pour 1 1/3 p. c, tandis que les voyageurs de deuxième et de troisième classes participent pour 98 2/3 p. c.

Je passe à 1867.

En 1866, comme je le disais, il y a eu 11,637.417 voyageurs ; en 1867, il y en a eu 12,616,691.

Voici le tableau détaillé : [détail non repris dans la présente version numérisée]

En premières, express et ordinaires, il y a donc eu 933,073 voyageurs ;

En secondes, express et ordinaires, il y en a eu 1,915,210 ;

Enfin en troisièmes, express et ordinaires, il y en a eu 9,659,885.

Donc, les secondes et les troisièmes additionnées donnent un total de 11,555,093 voyageurs, tandis qu'il n'y a eu que 933,073 voyageurs en premières des deux espèces.

En sorte que pour 1867, les premières ne représentent que 9 p. c. du nombre des voyageurs et que les secondes et les troisièmes représentent 91 p. c.

Quant à l'augmentation de 1867 sur 1866, en voici le détail : [détail non repris dans la présente version numérisée]

Ainsi une augmentation sur les premières des deux catégories de 165,448 voyageurs et sur les secondes et troisièmes : 833,177 voyageurs. Par conséquent, les premières y figurent pour 16 3/10 p. c, les secondes et les troisièmes pour 83.75 p. c.

Je passe à l'année 1868.

Le nombre des voyageurs avait été en 1867 de 12,616,691 ; il s'élève en 1868 à 12,824,354. L'augmentation n'est pas très forte ; j'en ai dit déjà les raisons principales en commençant mon discours ; je tiens cependant à les répéter : c'est que les années 1867, 1868 et I860 ont été véritablement néfastes pour l'industrie et le commerce et que les événements qui ont signalé ces années ont véritablement réagi sur le mouvement des voyageurs.

En 1868, nous avons eu d'après la note que voici : [détail non repris dans la présente version numérisée]

En résumé

En premières des deux espèces 904,188 voyageurs.

En secondes 1,838,769 voyageurs

En troisièmes 9,822,678 voyageurs.

Les secondes et les troisièmes réunies nous donnent donc 11,661,447 ; tandis que les premières ne donnent que 904,188.

Donc les premières classes ne figurent dans le nombre de voyageurs que pour 7 1/7 p. c. tandis que les secondes et les troisièmes figurent dans la proportion de 92 6/7 p. c

Voici le détail des augmentations par catégories de voyageurs : [détail non repris dans la présente version numérisée]

En 1868, il y a eu pour les premières des deux catégories une diminution de 28,885 voyageurs et une augmentation pour les secondes de 23,559 et pour les troisièmes de 182,755.

Les secondes et les troisièmes réunies donnent un total de 206,314 et fournissent le chiffre entier de l'augmentation, tandis que les premières donnent une diminution de 28,885.

Voyons maintenant les résultats de l'année 1869.

Nous venons de voir qu'en 1868 le nombre de voyageurs a été de 12,824,554

En 1869 il a été de 13,577,016, soit une augmentation de 752,682.

En voici le détail : [détail non repris dans la présente version numérisée]

Ce chiffre se subdivise comme suit :

Premières classes des deux espèces : 938,434

Secondes 1,918,079

Troisièmes 10,355,050

(page 1740) Les secondes et les troisièmes ont transporté 12,273,129 voyageurs, tandis que les premières n'en ont transporté que 928,451.

Donc les premières n'ont concouru dans les chiffres totaux des voyageurs que pour 7 1/7 p. c. et les deuxièmes et les troisièmes y ont con-

couru pour 92 6/7 p. c.

Les augmentations ont eu lieu ainsi qu'il suit : [détail non repris dans la présente version numérisée]

Les premières ont donné 34,246 voyageurs de plus ; les secondes, 79,310 voyageurs de plus et les troisièmes, 532,372 voyageurs de plus ; deuxièmes et troisièmes ensemble 611,682.

Ainsi l'augmentation pour les premières a été de 5 1/3 p. c. seulement, et l'augmentation du nombre des voyageurs pour les secondes et les troisièmes a été de 94 2/5 p. c.

J'arrive à l'année 1870. Quant à cette année, j'ai dû recourir aux chiffres publiés mensuellement par le Moniteur sur le mouvement des voyageurs. A ce que m'a dit M. le ministre des travaux publics, le travail de statistique n'est pas encore résumé pour le mois de décembre 1870 ; il y a des raisons de comptabilité qui empêchent certaines compagnies en relation avec l'Etat de terminer ce résumé. J'ai dû. assimiler le mois de décembre au mois de novembre.

Eh bien, d'après ce que j'ai pu recueillir dans le Moniteur, voici comment l'année 1870 se serait conduite :

En 1869, il y avait eu 13,577,016 voyageurs et en 1870, il y en avait eu 14,174,931 ; en voici le détail : [détail non repris dans la présente version numérisée]

Les premières ont donné 920,940 voyageurs ; les secondes, 1,931,165 et les troisièmes, 10,593,739.

Les deuxièmes et les troisièmes ont transporté un nombre de 12,524,904 voyageurs, tandis que les premières n'en ont transporté que 920,940. Ainsi pour les premières, il n'y a qu'un concours de 7 3/4 p. c, tandis qu'il est de 92 1/4 p. c. pour les secondes et pour les troisièmes.

Voici l'augmentation par catégorie : [détail non repris dans la présente version numérisée]

L'augmentation se répartit donc comme suit : Pour les premières, il y a eu, sur le chiffre total des voyageurs, une diminution de 17,494. Ce qui vous prouve que les classes de la société qui vont dans les premières ne voyagent véritablement que quand la température est bonne et que l'horizon politique n'est pas troublé ; en 1870, la guerre sanglante entre l'Allemagne et la France les a empêchées de circuler ; mais pour les secondes, nous avons une augmentation de 34,186 voyageurs ; et pour les troisièmes, une augmentation de 238,689 voyageurs.

Donc, il y a, pour les premières, une diminution de 17,494 voyageurs, et pour les secondes et pour les troisièmes, une augmentation de 273,175 voyageurs.

Ce fait est significatif ; je vous le cite dans le but de vous faire comprendre combien les gens pouvant aller en première voyagent peu dès que le moindre incident trouble leur quiétude.

Je vais vous faire maintenant le résumé des diverses années, de 1866 à 1870.

Vous verrez, d'après ce résumé, que le nombre des voyageurs en première classe augmente, une année, de 10,000 à 12,000, et retombe, une autre année de 12,000 à 14,000.

Voici le tableau statistique exact d'après les documents officiels : [détail non repris dans la présente version numérisée]

En 1866, dans les premières classes, il y a eu 262,409 voyageurs et en 1867, 371,962, la différence entre 1866 et 1867 est plus forte que celle que je vous accusais tantôt, et d'où vient-elle ? C'est que lorsque le tarif de 1866 a été connu convenablement, il y a eu beaucoup de personnes qui avaient l'habitude jusque-là de voyager en seconde qui sont montées en première ; mais à partir de 1867, vous allez voir combien peu le nombre de voyageurs de premières express et ordinaires a augmenté. En 1867, il y a eu en premières express 371,262 voyageurs ; en 1868, 361,043, 10,000 de moins ; en 1869, 383,749 ; en 1870, 359,546, à peu près 30,000 de moins, tandis qu'en express secondes il y a eu, en 1866, 152,818 voyageurs ; en 1867, 238,892 ; en 1868, 305,809 ; en 1869, 353,841 ; en 1870, 377,627.

Voici le nombre des voyageurs en express 3e classe ; ici la progression est incroyable.

En 1866, il y a eu 154,911 voyageurs ; en 1867, 350,036 voyageurs, plus du double de 1866 ; en 1868, à peu près le double de l'année précédente, 588,772 ; en 1869, 670,291 ; en 1870, 754,721.

Voici maintenant le nombre des voyageurs en trains ordinaires première classe : en 1866, 505,216 ; en 1867, 561,111 ; en 1868, 545,145 ; en 1869, 554,685 ; en 1870, 561,394 ; vous voyez qu'ici encore c'est, à quelques milliers de voyageurs près, une fois un peu plus, une fois un peu moins.

Le nombre des voyageurs en 2ème ordinaires était, en 1866, de 1,364,375 ; en 1867, de 1,576,318 ; en 1868, de 1,552,960 ; en 1869, de 1,564,238 et en 1870, de 1,553,538.

En trains ordinaires, le nombre des voyageurs en 3ème classe était, en 1866, de 8,949,812 ; en 1867 de 9,289,847 ; en 1868 de 9,233,906 ; en 1869 de 9,684,759 et en 1870 de 9,850,018.

Dans cette nomenclature, messieurs, je n'ai admis aucun militaire, aucun enfant, aucun voyageur extraordinaire.

Cela nous donne, messieurs, pendant les cinq années que je viens de citer 4,464,260 voyageurs en première ; 9,020,416 en seconde et 49,416,342 en troisième.

Dans ces 62,900,749 voyageurs, chiffre total des cinq dernières années, les premières classes express et ordinaires ont fourni 4,464,260 voyageurs, donc 7 1/15 p. c. de tout le public qui a parcouru nos voies ferrées. Les secondes et les troisièmes ont donné 58,436,489 voyageurs, par conséquent 92 14/15 p. c. du chiffre total.

Vous voyez, messieurs, d'après ceci, que la réforme des tarifs a profité principalement, et dans la plus large mesure, aux classes moyennes de la société, et vous chercherez, j'espère, à influencer l'honorable ministre des travaux publics et à l'arrêter dans la voie qu'il paraît vouloir suivre en relevant les tarifs. Car le nombre des voyageurs a constamment augmenté avec diminution des frais d'exploitation et avec augmentation des recettes et des bénéfices pour l'Etat. Eu 1869, le bénéfice a représenté à peu près 6 p. c. d/s capitaux employés.

(page 1741) Avant de terminer, je dois vous lire les conclusions du rapport que l’honorable ministre des travaux publics a déposé sur le bureau de la Chambre le 11 mars de cette année, et vous verrez que lui-même, dans ces conclusions, trouve les effets de la réforme des plus brillants, Voici ce que dit l'honorable ministre dans ces conclusions :

« La balance de 1869 est meilleure encore, car elle se traduit comme ceci :

« Augmentation de recette brute : fr. 1,535,000

« Diminution de dépense : fr. 471.000

« Augmentation de produit net : fr. 2,006,000. »

« La moitié de l'augmentation obtenue, quant au produit brut, vient du service des voyageurs. La recette des chevaux et des bestiaux a seule fléchi en 1869 par rapport à 1868.

« La dépense a baissé de 936,000 francs sur les chapitres de la traction, du matériel et des transports ; elle s'est élevée de 465,000 francs pour les autres services.

« Le mouvement a comporté les accroissements suivants : 753,000 voyageurs, 456,000 tonnes de grosses marchandises, 4,645,000 kilogrammes d'articles de messagerie et de petits paquets.

« L'année 1869 a donc été prospère, non seulement pour le trésor public à qui elle a procuré des ressources supérieures à celles de 1868 et surtout de 1867, mais aussi pour le commerce, l'industrie et l'agriculture, la multiplication des échanges étant un indice certain du développement des transactions.

« Quelle que soit l'opinion que l'on puisse se former quant à la valeur économique des mesures qui ont provoqué de pareils résultats, on ne peut que se féliciter de ceux-ci. » Et déjà l'honorable ministre veut tout bouleverser, tout renverser, tout gâter, dirai-je ! « L'administration nouvelle ne négligera, du reste, rien de ce qui lui semblera devoir conduire à une situation plus favorable encore, et elle s'engage, dès maintenant, à faire tout ce qui sera en son pouvoir pour que la magnifique entreprise du railway national belge continue à marcher d'un pas ferme et assuré dans la voie d’un progrès solide et d’améliorations continues. »

Je ne vois pas où serait le progrès si on relevait les tarifs. Véritablement c'est une énigme que je voudrais bien voir éclaircir.

Une réforme qui porte de tels fruits doit être exécutée jusqu'au bout.

Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'il y aura des millions de perte. Tous les calculs ont été faits et voici comment s'exprime, à ce point de vue, le rapport de 1866 :

« Quand le moment en sera venu, c'est-à-dire quand on le jugera opportun, selon les circonstances, la réforme pourra recevoir son complément, soit en une fois, soit en deux fois. En deux fois, on pourrait d'abord régulariser les prix transitoires de 8 à 15 lieues et établir une réduction provisoire de 5 à 7 lieues. (Cette seconde partie de la réforme implique, à mouvement égal, une perte de 660,683 francs.) Enfin l'œuvre se couronnerait par la régularisation des prix provisoires de 5 à 7 lieues, et par la réduction définitive des prix de 1 à 4 lieues. (Ces dernières mesures coûteraient, sauf développement du mouvement, une somme de 749,098 francs par année.) »

Cela ferait ensemble une somme de 1,400,000 francs, dans le cas où il n'y aurait aucune augmentation de trafic pour les voyageurs.

Mais l'honorable M. Vanderstichelen n'a pas voulu appliquer immédiatement la réforme aux zones de 1 à 35 et de 36 à 75 kilomètres, précisément parce qu'il craignait de ne pas avoir assez de voitures à voyageurs pour l'augmentation de trafic que la mesure aurait amenée.

J'espère donc bien que l'honorable ministre des travaux publics fera examiner très sérieusement, et à tous les points de vue, la malheureuse réforme dont il nous menace. Cet examen le fera changer d'avis, je n'en doute pas.

(page 1755) M. Anspach. - Messieurs, dans les observations que j'ai à présenter à la Chambre, je dois m'occuper d'abord d'un passage du rapport de la section centrale qui est relatif à l'arrondissement qui m'a envoyé das cette enceinte et à la ville que j'ai l'honneur d'administrer.

Je démontrerai ensuite que le projet de loi soumis actuellement à la Chambre ne se montre pas juste envers l'arrondissement de Bruxelles et je terminerai par quelques considérations sur la dangereuse réforme projetée par M. le ministre des travaux publics.

Messieurs, il y a dans le rapport de la section centrale un passage d'une violence inouïe contre la ville de Bruxelles, c'est ce que quelques membres de la Chambre, qui m'en ont parlé, appelaient une charge à fond et la violence de ce passage n'est égalée que par les absurdités qu'il renferme.

M. Delaet, rapporteur. - C'est charmant !

M. Anspach. - Mais c'est vrai. Je le démontrerai tout à l'heure.

Nous nous devons entre nous, à quelque parti que nous appartenions, de la modération et de la justice ; or la partie du rapport à laquelle je fais allusion manque à l'une et à l'autre.

J'éprouve, messieurs, le plus grand étonnement de voir qu'une section centrale où se trouvent plusieurs de mes honorables amis, des hommes dans l'impartialité desquels j'ai la plus entière confiance, aient pu laisser passer un pareil langage.

J'ai été étonné et attristé à la fois.

Voici, messieurs, ce qu'on lit à la page 6 du rapport de la section centrale :

« Il y a une autre tendance qui, comme celle dont nous venons de parler, date de loin et à laquelle, pour autant qu'elle est excessive, il est temps de mettre obstacle. La section centrale, tout en reconnaissant que ii ville de Bruxelles a, comme capitale, droit à des faveurs particulières, tout en étant disposée à se montrer très large, très généreuse, est d'avis que lorsqu'il s'agit de puiser dans le trésor public pour défrayer certains travaux de simple embellissement ou d'une convenance toute locale, il est juste et sage de ne point dépasser certaines limites. Et notez-le, messieurs, dans la discussion qui a eu lieu à ce sujet, la section centrale ne s'est pas uniquement ni même principalement préoccupée du côté financier de la question. Elle croit même que celui-ci, tout important qu'il est, ne peut dans l'espèce être mis en première ligne. Ses motifs sont d'un autre ordre, d'un ordre plus élevé, plus directement et, si l'on veut bien nous permettre de nous servir ici du terme qui détermine le mieux notre pensée, plus intimement national. S'il est une vérité incontestable, c'est que tout peuple qui prétend avoir droit à une nationalité distincte doit avoir des traditions, un caractère qui lui soient propres, le distinguent de ses voisins et l'appellent à remplir un rôle qui, brillant ou modeste, ait son utilité et sa grandeur. En dehors de ces conditions, une nation peut vivre sans doute, mais son existence sera sans vigueur et sans avenir. »

Ainsi, à travers toutes ces phrases, vous voyez qu'il y a une tendance qui date de loin et à laquelle il faut mettre obstacle, la tendance de la ville de Bruxelles à porter atteinte à la vigueur et à l'avenir du pays.

Vous allez en voir bien d'autres dans les paragraphes suivants. Vous allez voir que Bruxelles veut briller aux dépens de la grandeur réelle du pays. Elle veut même attenter à la liberté des autres communes. Et, pour bouquet, à la fin de ce paragraphe, Bruxelles prépare l'invasion du pays par l'étranger.

Voici, en effet, ce qu'on lit :

« Ce serait méconnaître notre caractère national que de vouloir concentrer dans une seule ville toutes les forces vives du pays. Pour chercher à briller aux dépens de sa grandeur réelle, le Belge est à la fois trop sensé, trop modeste et trop fier. Son histoire, c'est, au fond, l'histoire du bon sens. A toutes les époques de son existence, la Belgique a réclamé sa liberté, non pour en tirer vanité, mais pour en tirer parti.

« Si elle a donné au monde ce précieux exemple d'un peuple peu nombreux et presque complètement privé de ressources militaires, qui a conservé son caractère propre, ses institutions, une indépendance très réelle, en un mot, sa personnalité nationale, après plus de deux siècles de soumission à des souverains étrangers, il ne faut chercher là cause de ce rare phénomène que dans l'esprit communal, dans l'attachement aux traditions, dans le respect du foyer et de la dignité, de la liberté du foyer.

« C'est grâce à l'esprit communal que la vie, également répandue partout, n'a pu être éteinte, nous allions presque dire atteinte, nulle part. Chaque commune, grande ou petite, était un foyer où couvait le feu sacré et que l'étranger respectait, parce qu'il savait que, presque toujours, pour faire naître la flamme, il eût suffi de souffler sur l'étincelle. »

Eh bien, messieurs, si ce langage amphigourique s'applique à la ville de Bruxelles, je me demande si celui qui a écrit ces lignes a encore toute sa raison. (Interruption.)

Comment ! on attaque, avec une violence inouïe, la ville de Bruxelles dans une œuvre aussi importante qu'un rapport de section centrale !

On la dénonce aux autres villes du pays comme un danger national, comme étant l'objet de faveurs particulières, comme préparant l'invasion du pays et compromettant son indépendance !

Et je n'aurais pas le droit de venir démontrer que c'est là une absurdité, un contre-sens ?

Si l'on a simplement voulu dire que l'indépendance communale est la base, le pivot de toutes nos libertés, que nous y sommes très attachés, fallait-il toutes ces phrases alambiquées ?

La ville de Bruxelles est extrêmement attachée à ce qu'on est convenu d'appeler les franchises communales, à l'autonomie que nos lois lui reconnaissent, elle n'y laisserait pas toucher et si l'on voulait porter atteinte à l'autonomie de la plus petite commune du pays, la ville de Bruxelles lui prêterait immédiatement aide et assistance parce qu'elle se sentirait elle-même menacée par cette tentative.

Il y a donc là une accusation injuste et tout à fait imméritée contre Bruxelles.

Mais ce n'est pas tout : le rapport continue :

« Un régime qui rendrait nos populations étrangères à l'esprit de notre histoire, aux traditions et même, si l'on veut, aux préjugés de la nation, nous dépouillerait pour l'avenir de la seule force qui nous ait permis de nous maintenir dans le passé. »

Tout cela à propos de la tendance qu'il s'agit d'arrêter dans le chef de l'administration de Bruxelles, tout cela pour engager le gouvernement à (page 1736) apporter un terme à cette tendance. Je croyais que la force et la stabilité de notre pays étaient surtout dans nos institutions grandes et libres, dans l'attachement que tous les Belges leur portent, et non dans la question de savoir si la ville de Bruxelles a ou n'a pas de subsides du gouvernement.

Le rapport ajoute :

«' Et pourtant, c'est à un pareil régime que l'on fraye les voies, alors qu'au lieu de conserver largement à Bruxelles son rôle et son rang de première ville du pays, de capitale politique et administrative, on tend à la transformer en une capitale de pays de centralisation. »

Voilà ce que l'on imprime ; on imprime que l'on tend à faire de Bruxelles la capitale d'un pays de centralisation. Mais est-ce que celui qui a écrit ces lignes sait bien ce que veut dire centralisation ? Mais est-ce que nos institutions ne sont pas opposées à toute centralisation ? Personne dans cette Chambre ni même dans Bruxelles ne se soucie d'avoir un pouvoir central fort, de sentir la main du gouvernement sur tous les points du pays ; c'est ce qui constitue la centralisation et c'est ce qui n'est ni dans nos lois ni dans nos mœurs, ni dans nos traditions.

Le rapport dit encore que ces mauvaises pratiques tendent à faire de Bruxelles : « le foyer de toute la vie intellectuelle, morale, artistique et scientifique du pays, un Paris fait à notre taille. »

Croit-on par hasard que, moyennant quelques subsides, on peut faire d'une capitale un foyer de lumières ? Il est très important qu'une capitale soit aussi éclairée que possible et l'administration fait tout ce qu'elle peut pour développer ce qui existe à cet égard, mais ce n'est pas le gouvernement en donnant un subside soit pour un monument, soit pour la voirie ou pour tout autre objet, qui peut arriver à en faire un foyer intellectuel, moral, artistique et scientifique.

« Le luxe excessif et irrationnel, dit encore le passage que je cite, des travaux créés à Bruxelles à l'aide du trésor public, est un des symptômes les plus évidents de la tendance si dangereuse que le patriotisme de votre section centrale l'oblige, messieurs, à vous signaler. »

C'est trop fort vraiment ! Quand j'ai lu ce factum amphigourique, ce pathos inintelligible, ma première pensée a été que personne ne se laisserait prendre à ces déclamations dénuées de tout fondement ; mais en songeant combien en dehors de cette enceinte il y a d'esprits superficiels qui accueillent aisément les plus grandes absurdités, des allégations sans preuves, dès qu'elles flattent leurs passions ou leurs intérêts ; je me suis décidé à protester contre ces insinuations malveillantes et malsaines.

Elles sont malsaines parce qu'elles tendent à créer un antagonisme injuste et dangereux, un esprit de clocher, à faire naître un sentiment de jalousie entre la capitale et les autres villes du royaume !

Voilà ce qui est mauvais, voilà ce qui est fatal et voilà ce qui m'autorise à dire que le passage que je viens de lire est une chose mauvaise au point de vue de nos institutions.

- Voix à gauche. - Très bien !

M. Anspach. - Mais, messieurs, ce qui est plus admirable encore dans cette affaire, c'est que cette sortie inqualifiable a lieu à propos d'un projet de loi qui ne contient pas de crédits importants pour l'arrondissement de Bruxelles, tandis que, d'un autre côté, la ville d'Anvers y est exceptionnellement bien partagée.

Aussi, messieurs, en faisant ce parallèle entre Bruxelles et Anvers, je me suis demandé quel pourrait être le motif des lignes que je critique. Elles étaient complètement inutiles ; c'est un véritable hors d'œuvre qui eût pu très bien disparaître sans nuire en rien, au contraire, au reste du rapport ; en faisant ce parallèle, dis-je, je me suis demandé quelle pouvait être la véritable raison de cette digression et si elle n'avait pas été jugée nécessaire dans le but, en attirant l'attention sur la capitale, de la détourner de la ville d'Anvers, qui obtient une si magnifique part dans les 22 millions.

Je me trompe fort, messieurs, ou ce pourrait bien être là le véritable motif de cette inconcevable et inopportune sortie contre la ville de Bruxelles.

Ainsi, messieurs, dans l'opinion de la section centrale, il est d'un intérêt intimement national d'amoindrir la capitale de la Belgique ; ainsi, il est d'un intérêt intimement national d'enrayer sa prospérité, de la rendre aussi petite que possible. Il ne faut plus que Bruxelles soit la tête et le cœur du pays ; il ne faut plus que Bruxelles, comme un miroir fidèle, reflète la Belgique entière par sa grandeur et sa prospérité. L'intérêt national commande de l'amoindrir le plus possible !

C'est là, messieurs, un système politique nouveau dans cette enceinte et j'espère bien qu'il n'aura pas le succès qu'en attend peut-être son auteurs

Et cependant, messieurs, e pensant à ce qui s'est passé dans une circonstance récente, je me suis demandé si ce n'est pas à l'inspiration de ce nouveau système, qui consiste à amoindrir, autant que possible, la capitale du pays, qu'obéissait M. le ministre des finances quand, sans raison aucune, il est venu priver Bruxelles d'une de ses ressources les plus importantes et les plus légitimes.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je vous ai répondu assez longuement, je pense ?

M. Anspach. - Oui, mais vous ne m'avez pas convaincu et vous n'avez pas convaincu le pays.

M. Jacobs, ministre des finances. - Allons donc !

M. de Rossius. - Il a parlé pour ne rien dire.

M. Jacobs, ministre des finances. - Nous vous laissons cette spécialité de parler pour ne rien dire.

M. Anspach. - Je pense que M. le ministre des finances ne prendra pas la défense de M. Delaet et qu'il se gardera bien de défendre le passage du rapport que je relève en ce moment. Si je parle pour ne rien dire, si M. le ministre des finances insinue que ce que je viens de dire à la Chambre est sans portée et sans valeur, je voudrais bien l'entendre s'expliquer sur ce passage du rapport de la section centrale. Mais je l'en, défie.

On lit encore dans ce document :

« Le luxe excessif et irrationnel des travaux créés à Bruxelles à l'aide du trésor public est un des symptômes les plus évidents de la tendance si dangereuse que le patriotisme de notre section centrale l'oblige à vous signaler. »

Mais, messieurs, il ne suffit pas d'alléguer de pareilles choses ; il faudrait au moins se donner la peine de les prouver ; il ne suffit pas de dire d'une manière générale que le trésor public paye ce luxe excessif et irrationnel des travaux créés à Bruxelles : une pareille assertion vaudrait au moins la peine d'une démonstration.

Oui, de grands travaux ont été exécutés à Bruxelles par son administration communale ; mais en cherchant bien quels sont ceux qui pourraient mériter le reproche d'être faits avec un certain luxe, je n'en trouve que deux auxquels on pourrait attribuer ce caractère : c'est l'église de Sainte-Catherine que nous construisons dans le bas de la ville pour remplacer l'ancienne église de ce nom qui tombe en ruine ; c'est ensuite la bourse de commerce.

Il est vrai que la bourse est ornée. La ville de Bruxelles a cru utile, pour des raisons que je n'ai pas à exposer ici, de mettre un certain luxe dans cette construction. Mais avant d'écrire un paragraphe du genre de celui que je viens de rappeler, l'auteur du rapport n'aurait pas dû perdre de vue une chose : c'est que l'Etat n'intervient pour un centime ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux constructions.

La ville de Bruxelles, je pense, est bien libre de décider quel luxe elle doit mettre dans les constructions dont elle paye seule les frais.

M. De Fré. - Elle a raison de le faire.

M. Anspach. - À-t-on voulu faire allusion au palais de justice, aux travaux d'agrandissement des locaux du Sénat, aux travaux des différents ministères qui rendent nécessaire l'élargissement de la rue de Louvain ? Mais ces travaux c'est la nation, c'est la Chambre qui les ordonnent sur la proposition du gouvernement. La ville de Bruxelles n'y est pour rien. D'ailleurs qu'on élargisse plus ou moins la rue de Louvain pour le besoin de services purement publics, cela n'intéresse guère la ville de Bruxelles, cela est à peu près indifférent à sa prospérité.

Que le palais de justice soit un peu plus ou un peu moins grand ; qu'on y emploie la pierre blanche ou la pierre de Soignies, que la façade en soit plus ou moins ornée, pourvu qu'il réponde aux nécessités de sa destination, ce travail n'intéresse certes pas la ville de Bruxelles comme l'intéressent de grands travaux d'assainissement, comme l'assainissement de la Senne, par exemple.

Je prétends, au contraire, que la ville de Bruxelles a toujours été traitée parcimonieusement, économiquement, par tous les gouvernements qui se sont succédé.

J'ai démontré à la Chambre, dans une discussion récente, que la ville de Bruxelles est la seule capitale en Europe qui ne reçoive pas pour sa police un subside du gouvernement central ; elle paye seule sa police, et cependant cette police assure l'ordre et la tranquillité là où sont réunis tous les pouvoirs publics, et seule, parmi les capitales européennes, Bruxelles ne reçoit pas de subside du gouvernement pour la police.

J'ai eu occasion de savoir ce que fait la ville de Berlin sous ce rapport ; cette ville dépense pour la police 20,000 thalers et le gouvernement lui en alloue annuellement 300,000,

(page 1737) Le gouvernement français donne 9 millions à la ville de Paris ; mais la ville de Paris est précisément dix fois plus grande que la ville de Bruxelles.

Eh bien, si on donnait à la ville de Bruxelles 900,000 francs pour cet objet, je me déclarerais satisfait. Et nous pourrions alors avoir à Bruxelles une police mieux payée et plus nombreuse.

La ville de Bruxelles a organisé des écoles primaires gratuites en grand nombre. N'ai-je pas eu encore l'occasion de montrer à la Chambre que sans justice, sans raison, notre ville ne reçoit de ce chef aucun subside du gouvernement, tandis que d'autres villes du royaume, Anvers, par exemple, sont très bien dotées à cet égard.

Et quand la ville de Bruxelles fit cette œuvre éminemment démocratique de créer une promenade pour permettre à ses administrés de sortir de leurs étroites demeures, pour aller chercher l'air et le soleil, quand nous avons créé la promenade du bois de la Cambre, qu'a-t-on vu ? Tandis que le gouvernement français donnait en pleine propriété le bois de Boulogne à la ville de Paris et qu'il accompagnait ce cadeau d'un subside annuel de 400,000 francs pour subvenir à son entretien, la ville de Bruxelles, au contraire, était obligée de faire tout à ses frais exclusifs et elle paye encore annuellement au gouvernement l'équivalent de ce que lui rapportaient les coupes de bois dans cette partie de la forêt de Soignes.

Et c'est là, messieurs, la ville qui est un danger pour notre nationalité, c'est là la ville qui veut tout absorber, qui veut être le centre de tout et qui a pour elle toutes les faveurs du gouvernement ! Je demande, messieurs, s'il est permis, dans cette enceinte, de venir, dans un document aussi important qu'un rapport émané de la section centrale, jeter d'aussi fausses accusations ?

Je tiens encore, messieurs, à signaler à la Chambre l'air d'impartialité qu'on cherche à se donner à travers les injures qui sont contenues dans ce rapport.

« Plus que toute autre ville, dit-on, Bruxelles a besoin de travaux d'assainissement, et nous ne croyons pas que le gouvernement lui marchande jamais les crédits nécessaires. »

Mais, messieurs, s'il en est ainsi, pourquoi n'a-t-on pas inscrit dans la loi un certain subside pour une question d'assainissement de premier ordre que tout le monde connaît, dont tout le monde réclame l'exécution ?

il y a quelques années, messieurs, la nappe d'eau qui alimentait Bruxelles étant devenue moins pure, la ville se résigna à faire des dépenses considérables pour amener de l'eau saine, potable, dans l'agglomération bruxelloise.

Elle a dépensé alors une somme effective de 9 millions et elle a renoncé à une rente.de 400,000 francs ; elle a donc fait de ce chef une dépense qui approche de 11 millions, sans recevoir aucun subside du gouvernement. Bien que la ville de Bruxelles ne soit pas une ville insalubre et qu'elle tienne, parmi les capitales de l'Europe, une place honorable sous ce rapport, il est cependant recommandé par les hygiénistes de donner à l'agglomération bruxelloise une quantité d'eau beaucoup plus considérable que celle qu'elle possède actuellement.

Cela est connu de tout le monde, nous le disons à chaque occasion et nous répétons qu'il est absolument impossible cependant que la ville de Bruxelles, qui a fait a elle seule les premières dépenses, qui étaient considérables, continue, pour l'extension de son régime des eaux, à supporter seule la charge nouvelle qui en sera la conséquence.

Qu'y avait-il de plus simple que d'inscrire un subside pour cet objet, comme l'a fait le gouvernement précédent, pour l'assainissement de la Senne ? Comment se fait-il que le gouvernement n'ait pas cru que dans ce magnifique projet de 22 millions il y eût quelque chose à réserver pour la ville de Bruxelles ?

Il me reste, messieurs, à m'occuper d'un tout autre ordre d'idées, il me reste à m'occuper de la question des tarifs des chemins de fer.

- Des voix. - A demain !

M. Delaet. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je me réserve de répondre demain à M. le bourgmestre de Bruxelles, qui est venu défendre dans cette enceinte ce qu'il croit être les intérêts de la ville qu'il administre. Mais ce que je dois dire immédiatement, c'est que non seulement je prouverai à M. le bourgmestre de Bruxelles que le rapport n'est ni violent, ni absurde ; que l'œuvre de la section centrale est juste, équitable et patriotique ; mais je lui prouverai qu'il ne comprend rien à l'histoire de Belgique et aux besoins actuels de la Belgique. C'est ce que je ferai demain.

- La séance est levée à 5 heures.