(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)
(page 1689) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« La chambre de commerce et des fabriques de Bruges prie la Chambre de terminer promptement la discussion du code de commerce. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
e Les membres du. conseil communal et autres habitants de Baelegem réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir une halte sur le chemin de fer de Gand à Braine-le-Comte dans l'aggloméré de Baelegem. »
M. Verwilghen.- Les habitants de Baelegem attachent une grande importance à l'objet de cette pétition. Comme nous sommes à la veille de la clôture de la session, je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition, afin que nous puissions encore statuer sur ses conclusions avant de nous séparer.
M. Vander Donckt. - Je me joins à mon honorable collègue pour réclamer un prompt rapport sur cette pétition. L'importance de l'objet dont elle s'occupe est réelle et mérite toute la sollicitude de la Chambre.
M. Verwilghen. - Je suis heureux de voir ma demande appuyée par l'honorable président de la commission des pétitions.
- Le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, est ordonné.
« Des habitants de Bruxelles demandent une enquête pour constater la dimension réelle du monument de la Bourse en construction dans cette ville, vérifier les cubages et subsidiairement pour déterminer la valoir réelle de l'édifice et la somme à payer par la ville. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Staelens demande que son fils Isidore, milicien de 1868, soldat au 2ème régiment de chasseurs à cheval, soit libéré du service militaire. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires et cultivateurs de l'arrondissement d'Arlon se plaignent d'une décision de l'administration qui remet en vigueur la loi du 7 ventôse an XII concernant la largeur des jantes de voiture et prient la Chambre d'abolir ou de modifier cette loi. »
M. Lelièvre. - J'appuie cette requête qui intéresse les cultivateurs. Je demande qu'elle soit renvoyée a la commission des pétitions qui sera invitée à faire un prompt rapport. J'estime aussi qu'il y a lieu de prendre des mesures pour protéger les intérêts signalés par la pétition.
- Adopté.
« Des habitants de Lessines demandent que le gouvernement ne relève pas le tarif des chemins de fer pour les zones à grande distance et qu'il abaisse les tarifs pour les petits parcours. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.
« Des habitants de Stavelot demandent le maintien du tarif actuel des voyageurs sur le chemin de fer de l'Etat. »
« Même demande d'habitants de Gosselies et d'autres communes. »
- Même dépôt.
« Les membres du conseil communal de Pollinchove demandent l'exécution de travaux pour mettre cette commune à l'abri des inondations. »
- Même dépôt.
« Le sieur De René demande que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »
« Même demande d'habitants de Willebroeck. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
« Des habitants de Vossem demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.
« M. le ministre de l’intérieur informe la Chambre qu’à l’occasion de l’anniversaire de l’inauguration de l’auguste fondateur de la dynastie, un (page 1690) Te Deum sera célébré le vendredi 21 de ce mois, à midi, en l'église des SS. Michel et Gudule. »
M. le président. - La Chambre voudra sans doute se rendre en corps à ce Te Deum.
- Voix nombreuses. - Oui ! oui !
- Une voix. - Si elle est encore réunie.
M. le président. - Si elle est encore réunie.
- De toutes parts. - Oui ! oui !
M. le président. - Une proposition d'enquête a été déposée sur le bureau ; elle a été renvoyée aux sections, qui en ont autorisé la lecture.
M. Orts a la parole pour la communiquer à la Chambre.
M. Orts (à la tribune). - Les soussignés font à la Chambre la proposition suivante :
« Vu l'article 40 de la Constitution :
« La Chambre des représentants arrête les dispositions suivantes :
« A. Une commission d'enquête est chargée de s'enquérir des effets de la réforme des tarifs du chemin de fer de l'Etat, inaugurée en 1866, tant au point de vue des finances publiques qu'au point de rue des intérêts du commerce, de l'agriculture et de l'industrie ; 2° d'examiner s'il y a lieu de relever les tarifs ou de compléter au contraire la réforme dans le sens d'un abaissement du tarif des voyageurs pour les zones les moins favorisées.
« B. La commission sera composée de neuf membres, nommés par la Chambre dans son sein, au scrutin secret et à la majorité absolue.
« Elle nomme en dehors de son sein, si elle le juge convenable, un secrétaire.
« C. Les frais de l'enquête sont à la charge du budget de la Chambre.
« Fait à Bruxelles, au palais de la Nation, le juillet 1871.
« Aug. Orts ; Charles Sainctelette ; A. Jamar. »
M. le président. - Quel jour M. Orts désire-t-il développer sa proposition ?
M. Orts. - Si cela convient à la Chambre, pour ne pas avoir deux discussions sur le même objet, on pourrait placer le développement de notre proposition et la discussion sur sa prise en considération à la discussion du projet de crédit pour travaux d'utilité publique.
M. Jacobs, ministre des finances. - Développez-la immédiatement.
M. Orts. - Je crois qu'il serait préférable de remettre ces développements au moment que j'indique, parce que la Chambre a renvoyé des pétitions relatives au même objet à la discussion de ce projet. (Interruption.) Cependant, si le gouvernement déclare ne pas s'opposer à la prise en considération, on pourrait passer outre.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Développez votre proposition maintenant.
M. Orts. - Soit, je le veux bien.
M. Orts. - Messieurs, la Chambre connaît le mouvement qui s'est produit dans l'opinion publique à l'annonce d'une réforme dans les tarifs du chemin de fer, qui ont été abaissés considérablement sens l'administration de l'honorable M. Vanderstichelen, ministre des travaux publics en 1866.
D'après les explications fournies par M. le ministre des travaux publics d'aujourd'hui, la pensée du cabinet paraît incliner vers le relèvement de certains tarifs de voyageurs.
L'opinion publique, je le répète, s'est émue de cette réforme, des pétitions nous sont arrivées, des réunions publiques se sont formées pour la discussion de la question ; des débats parlementaires ont eu lieu sur la question ; les opinions les plus divergentes ont été exprimées au sein de la Chambre et du Sénat par des hommes considérables et au courant de la question, sur l'opportunité du relèvement des tarifs ; et d'autre part, sur l'opportunité qu'il y aurait peut-être, avant de juger définitivement la réforme de 1866, de la compléter, au contraire, là où elle n'avait point été étendue par son auteur primitif.
Lorsque ces discussions se sont produites au sein des Chambres devant nous comme devant le Sénat, M. le ministre des travaux publics a émis l'opinion que l'agitation dont on lui parlait, que les préoccupations des intéressés n'étaient point dictées uniquement par des considérations d'intérêt matériel ; qu'il y avait une circonstance dont profitaient non pas les adversaires du relèvement des tarifs, mais les adversaires de la politique du cabinet.
Il est évident que l'examen d'une question économique fait uniquement à un point de vue politique, en dehors de toute préoccupation financière, de toute préoccupation d'intérêt matériel, ne serait chose mauvaise ; car ce serait un examen imparfait, ne présentant de garantie à personne.
Pour faire disparaître cette objection, nous avons pensé, mes honorables collègues et moi, qu'il était utile de conférer l'examen de l'état des choses actuel, des défectuosités que cet état des choses peut présenter, de l'opportunité qu'il y aurait d'abandonner la réforme de 1866, de la modifier ou de la compléter, à une commission parlementaire choisie par la majorité sympathique au cabinet, qui aurait soin d'entendre, sans distinction d'opinions, tous les hommes compétents en pareille matière, quelles que soient les catégories d'intéressés auxquelles ils appartiennent ; de façon à mettre de côté les témoignages de ceux qu'on représente comme ne parlant dans cette affaire qu'en vue de causer des embarras politique» au ministère.
Une enquête parlementaire sur une question économique de cette importance n'a rien d'exorbitant et de contraire aux traditions parlementaires, soit dans notre pays soit à l'étranger.
On sait qu'en Angleterre il n'est presque pas de réforme économise ou financière un peu importante qui ne soit précédée d'une enquête ordonnée par le parlement et dont le parlement s'attribue la direction en instituant une commission spéciale prise dans son sein.
Mais, sans sortir de notre pays, nous avons un précédent, et un précédent importait à invoquer. En 1840, notre régime douanier, au point de vue du commerce extérieur, était l'objet de préoccupations très vives, de propositions de réforme partant d'une part des idées protectionnistes et d'autre part des idées libre-échangistes qui, à cette époque, n'avaient pas la popularité et le caractère généralement accepté qu'elles ont aujourd'hui.
En 1840 donc une proposition d'enquête parlementaire a été faite pour savoir si notre régime douanier, au point de vue du commerce extérieur, satisfaisait aux besoins réels de la Belgique, s'il fallait réformer dans un sens plutôt que dans un autre, dans le sens protecteur plutôt que dans le sens libre-échangiste.
La proposition fut accueillie par toutes les opinions et d'une commission d'enquête instituée par la Chambre est sorti un régime nouveau qui a fonctionné dix ans, un régime dont je n'étais point partisan et que j'aurais combattu si j'avais fait partie de la représentation nationale à cette époque : le régime des droits différentiels.
Mais l'utilité d'une enquête parlementaire pour une question de cette importance, question entièrement dégagée, à cette époque, de toute espèce d'esprit de parti - il y avait, en 1840, des protectionnistes à droite comme à gauche dans cette Chambre - l'utilité de la mesure n'a été cependant contestée par personne ; elle a été reconnue par la section centrale, dont l'honorable M. Dechamps était l'organe, et ensuite par la Chambre ; l'enquête s'est faite sans aucune difficulté, et elle a apporté un contingent de lumières dont la législature a profité.
Certainement, la question des tarifs du chemin de fer a au moins une importance économique égale à la question du régime des droits différentiels.
On ne peut nier, quelle que soit l'opinion que l'on ait de la réforme de 1866, que sur la foi de cette réforme, des relations, des intérêts se sont créés et qu'un retour vers un état de choses antérieur, après un fonctionnement de réforme de cinq années, doit troubler et les relations et les intérêts qui se sont créés pendant la période transitoire.
Il me semble donc qu'il n'y aurait aucun inconvénient au point de vue soit administratif, soit gouvernemental, soit parlementaire, à donner cette satisfaction à l'opinion publique, de ne trancher la question du relèvement des tarifs qu'après avoir consulté cette opinion de la manière la plus complète et la plus impartiale.
Voilà les motifs qui nous déterminent à solliciter de la Chambre qu'elle veuille bien prendre en considération la proposition que nous avons l’honneur de lui soumettre. Il est entendu, comme toujours, que cette prise en considération n'implique autre chose, sinon qu'il est utile d'examiner s’il y a lieu ou non d'ouvrir une enquête parlementaire.
Si la Chambre faisait accueil à notre proposition, à ce point de vue très restreint, je lui demanderais de la renvoyer à une commission spéciale. Celle-ci pourrait arriver à nous faire son rapport de façon à faire coïncider son examen avec la discussion des pétitions déposées sur le bureau, lorsque la Chambre s'occupera du projet de travaux publics et de celui de l'emprunt de 50 millions qui en est la conséquence.
M. le président. - La proposition vient d'être développée. Est-elle appuyée par cinq membres ? Elle est appuyée.
M. le président. - La discussion est ouverte sur la prise en considération.
(page 1691) M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, je suis convaincu que personne de vous n'a pu croire que je me rallierais à la proposition qui vous est soumise.
Ainsi qu'on vient de Je dire, une seule enquête parlementaire a été ordonnée depuis que notre régime constitutionnel fonctionne ; c'est celle qui a été établie en 1840 à propos du régime douanier. Or, je ferai immédiatement remarquer que cette enquête n'a aucune analogie avec celle qui est demandée actuellement. L'enquête de 1840 était faite sur un point où le gouvernement n'avait le droit de prendre une décision que pour autant qu'il y fût autorisé par une loi qui n'existait pas encore.
Ici, au contraire, il s'agit de restreindre les pouvoirs accordés au gouvernement par une disposition législative dont nul ne propose l'abrogation. Aucun de vous ne peut croire que je donnerai mon assentiment à une pareille mesure.
J'ai annoncé que je modifierai les tarifs du chemin de fer. Mais il ne faut pas donner une proportion exagérée à ce que j'ai l'intention de faire. D'abord il n'est pas question de changer en quoi que ce soit le tarif des marchandises, si ce n'est peut-être pour l'améliorer dans le sens indiqué par d'honorables membres de la Chambre.
Et quant aux tarifs des voyageurs, les modifications que j'ai en vue, je puise le droit de les décréter dans cette même loi en vertu de laquelle l'honorable M. Vanderstichelen a substitué le tarif de 1866 à celui de 1851-18S4.
La loi du 1er juillet 1865 n'avait pas d'autre but que de rendre au gouvernement les pouvoirs auxquels il avait renoncé quatorze ans auparavant, et ces pouvoirs je ne puis consentir à ce qu'ils s'amoindrissent contre mon gré aussi longtemps que j'en serai dépositaire.
J'ai dit, en plusieurs occasions, que, selon moi, le tarif de 1866 est injuste envers le plus grand nombre des voyageurs belges et, qu'en outre, je le trouve mauvais au point de vue des produits du chemin de fer.
Au même titre que l'honorable M. Vanderstichelen, je demande de vous, messieurs, que vous laissiez intact mon droit de modifier ce tarif et je le demande sous ma responsabilité exclusive.
Ces modifications, on les a réclamées de moi dès mon entrée au département dzs travaux publics. Dans la séance du 23 décembre 1870, elles étaient recommandées instamment eu Sénat. L'honorable rapporteur du budget des travaux publics les conseillait également en adressant à cet effet une question spéciale au gouvernement.
Toujours je me suis exprimé de la même manière. Toujours j'ai déclaré d'abord ne pas vouloir laisser subsister l'injustice commise envers les voyageurs fournissant les petits parcours, c'est-à-dire envers plus des neuf dixièmes des voyageurs belges ; et après ce but principal, j'appuie sur le mot, après ce but principal de la réforme, j'ai dit que je désirais arriver à un accroissement de revenu du chemin de fer.
Je désire appliquer cet accroissement au chemin de fer lui-même, à l'avantage du public, du commerce, de l'agriculture et de l'industrie.
Je veux l'employer surtout à l'avantage des populations nombreuses qui sont encore privées actuellement du bénéfice des chemins de fer exploités par l'Etat. Car, une grande partie de nos populations, un tiers peut-être, se trouvent complètement privées du bénéfice des réductions de tarif et de tous les autres bienfaits que procurent les chemins de fer de l'Etat, et cependant ces populations sont obligées de créer, de maintenir et d'entretenir de leurs deniers ces chemins dont elles ne profitent pas. Il serait donc parfaitement injuste de ne pas faire produire à cette grandiose entreprise ce qu'elle peut donner à la décharge des populations qui ne jouissent pas des avantages qui en découlent.
- Un membre : C'est l'intérêt des compagnies.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Non, ce n'est pas l'intérêt des compagnies ; c'est l'intérêt des populations qui n'ont pas à leur disposition d'autres chemins de fer que ceux des compagnies. Mon but, tout le monde le poursuit avec moi. Car, enfin, les nombreuses pétitions qui vous ont été envoyées, les différents discours que vous avez entendus le prouvent, tout le monde désire qu'une réduction de tarif soit faite pour les petits parcours. Sur ce point, il y a unanimité dans cette Chambre et en dehors de cette Chambre.
Eh bien, ce résultat, j'ai déclaré qu'il était impossible de l'atteindre sans un relèvement des taxes appliquées aux longues distances et je suis convaincu, par les premiers aperçus qui m'ont été fournis, que l'application du tarif de 1866 à toutes les zones, sans relèvement, provoquerait immédiatement, dans les recettes du chemin de fer, un nouveau déficit qu'on peut évaluer à 2 millions.
Mais j'ai dit que le relèvement serait atténué par la création de billets d'aller et de retour.
J'ai ajouté devant la Chambre et devant le Sénat qu'en dehors de ces principes rien n'est encore arrêté sur le quantum du relèvement, ni sur celui des compensations à offrir, ni sur les relations qui, dès le premier jour, profiteraient des billets d'aller et de retour, ni sur la validité de ces billets, ; que ces questions font l'objet des études les plus sérieuses de la part des hommes les plus compétents du département des travaux publics ; que la conclusion de ces études n'est pas encore connue, pas plus sur la diminution qui pourra être faite sur le barème de 1851-1854 que sur les autres points, ce qui doit, vous le comprenez, avoir la plus grande influence sur la réforme que je me propose de décréter.
Encore une fois, rien n'est arrêté ; rien ne peut être précisé actuellement.
Tel est mon système, que l'on a très improprement appelé « relèvement des tarifs ». Il eût été beaucoup plus simple, il eût été beaucoup plus juste, il eût été plus conforme à la vérité de l'appeler « abaissement des tarifs sur les petits parcours. »
Voilà ma réforme, voilà l'étiquette que je me propose de lui donner : « abaissement des tarifs sur les petits parcours », au bénéfice des classes les plus nombreuses et les plus pauvres de la société.
C'est après avoir ainsi exposé les principes que j'ai l'intention de faire prévaloir, que j'ai prié la Chambre et le Sénat de ne me juger que sur mes œuvres et lorsque ces assemblées auraient pu apprécier le nouveau régime dans son ensemble et d’après ses résultats.
Je ne demande pas autre chose que ce qui a été accordé à l'honorable M. Vanderstichelen lui-même et je le demande avec le même droit. En votant mon budget à la presque unanimité, la Chambre et le Sénat m'ont donné, après m'avoir entendu, tout l'appui moral que je sollicitais. Je les en remercie et je m'en tiens à leur approbation.
Dans cet état de choses, messieurs, une enquête parlementaire serait un acte de défiance envers le gouvernement et surtout envers le ministre des travaux publics.
Je la repousse de toutes mes forces.
Ce serait réclamer du ministre des travaux publics une abdication des pouvoirs qu'il tient de la confiance da Roi et de la loi que vous-mêmes avez votée à l'unanimité. Cette abdication, jamais je n'y souscrirai volontairement. Ce serait plus, ce serait délivrer un certificat d'incapacité à l'administration des chemins de fer dont vous-mêmes proclamez toujours si haut et avec tant de raison le mérite et dont on paraîtrait cependant contester l'intelligence, le savoir et l'impartialité en prétendant faire sa besogne.
L'enquête, messieurs, on ne l'a pas réclamée contre l'honorable M. Vanderstichelen lorsqu'il faisait, en 1866, une réforme bien autrement importante que celle que je me propose d'introduire ; on ne l'a pas réclamée lorsque l'honorable M. Jamar faisait connaître, en 1869, les résultats de la réforme de 1866, en faisant pressentir que des modifications devraient être apportées au système inauguré par l'honorable M. Vanderstichelen ; eh bien, messieurs, je ne vois aucun motif, si ce n'est un motif de défiance contre moi, pour voter l'enquête aujourd'hui.
Cette enquête, messieurs, n'aurait d'autre résultat que de prolonger indéfiniment cette situation que je déclare mauvaise et à laquelle je suis décidé à apporter, sous ma responsabilité, un remède prompt et énergique.
Je ne veux pas que l'amélioration qui est due aux classes pauvres, aux classes qui ne fournissent que les petits parcours, je ne veux pas que cette amélioration soit par mon fait retardée d'une heure de plus qu'il n'est indispensable.
J'espère donc que vous repousserez la prise en considération de la proposition qui vous est soumise.
M. Orts. - Messieurs, la proposition qui vous est faite avait pour but, avant tout, de restituer à une question qui est, dans la pensée de ses auteurs, purement économique, le caractère purement économique qu'elle devait conserver.
M. le ministre des travaux publics s'était plaint, dans une autre enceinte, qu'on l'eût transformée de question économique en question politique. Aujourd'hui pour permettre à M. le ministre des travaux publics de consulter une opinion impartiale sur sa réforme, aujourd'hui que nous apportons un moyen d'écarter un reproche, auquel il paraissait être sensible, M. le ministre des travaux publics lui-même place la question sur le terrain exclusivement politique et il dit : Ce n'est pas une question économique, c'est une question de confiance dans le cabinet que l'on pose. Pour l'écarter, il dit à ses amis : Vous qui avez confiance dans le cabinet, vous voterez contre la proposition d'enquête, n'eussiez-vous pas confiance dans ma réforme.
(page 1692) Je ne comprends plus, messieurs, cette manière d'envisager successivement les choses sous des aspects aussi diamétralement opposés.
Comment M. le ministre des travaux publics, qui fait de la question une question politique aujourd'hui, a-t-il cru pouvoir légitimement se plaindre au Sénat de ce qu'en dehors du Parlement on ferait de cette question une question d'hostilité au cabinet ?
Mais je laisse de côté cette contradiction. Je fais remarquer que s'opposer à la prise en considération d'une proposition aussi inoffensive est un acte qui n'a guère de précédents dans nos annales parlementaires, et je suis charmé qu'il n'en ait pas. Refuser la prise en considération d'une demande d'enquête sur une question qui touche à des intérêts matériels d'un ordre aussi considérable, aussi général, aussi élevé, c'est, en définitive, refuser d'apporter sur la question les lumières qu'elle demande pour être bien résolue selon l'intérêt vrai du pays.
Je vous ai montré une enquête faite en 1840 à propos d'une question de pur intérêt matériel.
L'honorable ministre rejette bien loin l'analogie ; il s'agissait alors, dit-il, d'une chose toute neuve sans précédents, il s'agissait de mener le gouvernement dans une voie que personne ne connaissait.
Je réponds à M. le ministre des travaux publics, à fortiori, une enquête est indispensable, tout au moins hautement utile, lorsqu'il s'agit, non plus de se placer sur un terrain nouveau, lorsqu'il s'agit de bouleverser un terrain acquis par une expérience de cinq années, alors que sur ce terrain se sont engagés, comme je le disais tout à l'heure, des intérêts, des relations, des combinaisons d'ordre matériel des plus variées et des plus respectables.
L'honorable membre veut, je le répète, bouleverser ce qui existe. Si ce bouleversement n'est pas heureux il froissera incontestablement des intérêts qui méritent notre considération et notre sympathie et qui ne doivent pas être traités à la légère ou sans façon.
L'honorable ministre nous dit encore : Mon but à moi est de faire cesser un privilège aujourd'hui favorable à une certaine catégorie de citoyens belges et défavorable à une catégorie de citoyens plus nombreuse et plus intéressante ; je veux faire, moi, une réforme démocratique, qui profitera aux classes pauvres, aux classes ne retirant aujourd'hui aucun avantage de la réforme qui fonctionne.
Je déclare à l'honorable ministre de nouveau et il résultait déjà des termes de notre proposition que nous ne faisons pas le moindre obstacle à ce que la Chambre éclairée complète, dans le sens de la réforme de 1866, son idée mère et l’étende à ces populations qui, selon M. le ministre, ne profitent pas de la réforme inaugurée par M. Vanderstichelen.
Nous avons eu soin de dire qu'il s'agissait de faire porter l'enquête tout à la fois sur la question d'opportunité de relèvement des tarifs et sur la question d'opportunité de les abaisser davantage, au profit de ceux qui aujourd'hui ne profiteraient pas de l'abaissement.
Nous avons, tout comme M. le ministre, la préoccupation des intérêts qu'il a invoqués tout à l'heure à l'appui de ses desseins ultérieurs. Mais, j'ajoute : c'est une façon dangereuse de raisonner que celle de M. le ministre des travaux publics.
Il est dangereux dans un pays de représenter comme un privilège au profit d'une catégorie de citoyens les dépenses publiques qui ne profitent pas directement à tout le monde.
Avec ce système, il n'est presque pas de dépenses, spécialement dans le budget de l'honorable ministre, qui ne pourraient être considérées comme des injustices faites au détriment des trois quarts de la population belge.
Tout ce qui se dépense pour un polder, pour un canal, pour la création d'une route dans une localité, au point de vue où se plaçait M. le ministre des travaux publics, devrait être considéré comme un privilège injuste pour ceux qui, à raison de leur situation territoriale, profitent exclusivement de ces travaux, et comme une injustice pour tous ceux qui en profitent peu ou point.
Si j'appliquais ce raisonnement à d'autres budgets, j'arriverais aux mêmes conclusions pour vingt services publics.
Que font, par exemple, à ceux qui n'ont pas de procès les dépenses de la justice civile ? Pourquoi, ne plaidant jamais, doivent-ils payer des juges pour juger les différends des plaideurs ? Pourquoi ceux qui ne professent pas l'un des cultes rémunérés par le budget des cultes doivent-ils payer leur part de ce budget ? Pourquoi les libres penseurs ou ceux qui appartiennent à un culte qui, à cause du petit nombre de ses participants, n'a pas place au budget, doivent-ils payer quelque chose pour les cultes subsidiés ?
Avec ce système, nous pouvons aller très loin et qui pis est, jeter des idées fausses, dangereuses dans les populations, les diviser en excitant les classes les unes contre les autres.
L'honorable ministre des travaux publics a réclamé pour lui la même liberté en vertu de laquelle M. Vanderstichelen avait fait les premiers pas dans la voie de la réforme de 1866.
Mais M. le ministre des travaux publics oublie que cette réforme de 1866 avait été annoncée et exposée par M. Vanderstichelen, à la Chambre, dès 1865. (Interruption.)
M. le ministre d'aujourd'hui oublie que M. Vanderstichelen avait trouvé alors une approbation nette, positive de ses projets, ce que M. le ministre des travaux publics ne peut pas trouver, malgré l'extrême complaisance qu'on met toujours à trouver ce qu'on désire, dans l'approbation très indirecte, unanime ou quasi unanime donnée au budget des travaux publics. Tout le monde a conservé dans cette Chambre le souvenir parfait de ce qui s'est passé en cette occasion récente. Tout le monde ici sait encore combien de membres ont voté ce budget des travaux publics parce que ce budget n'est pas de ceux qui comportent un refus d'approbation alors que ce refus est basé non sur des raisons radicales, mais sur un dissentiment partiel relatif à certains détails d'administration.
Prenez les noms de ceux qui ont voté le budget à la Chambre et au Sénat, vous verrez parmi eux beaucoup de partisans de la réforme de 1866, bien des gens qui avaient manifesté cette opinion dans la discussion et qui dès lors ne doivent pas être considérés loyalement comme ayant abdiqué leur opinion sur le mérite de la réforme.
Je persiste donc à demander à la Chambre de donner satisfaction à une opinion inquiète considérable dans le pays, à des intérêts sérieux très alarmés, qui sont complètement étrangers à la politique.
Il se rencontre, j'en suis convaincu, parmi les signataires des pétitions en faveur du maintien de la réforme, bien des hommes qui, s'ils siégeaient dans cette Chambre, voteraient, dans toutes les questions politiques, avec la droite et appuieraient le cabinet dont fait partie M. le ministre des travaux publics.
Je demande donc à la Chambre de ne point rejeter d'une manière offensante (interruption)... oui offensante, - je maintiens le mot, - offensante pour un mouvement considérable de l'opinion publique, une simple demande de prise en considération.
M. Dumortier. - Je félicite M. le ministre des travaux publics d'avoir compris nettement la portée de la proposition qui vous est faite, de l'avoir dégagée de toutes les phrases qui l'enveloppent pour en voir le fond et d'avoir compris que la question dont il s'agissait n'était, en définitive, qu'une question de confiance. Nous ne voulons pas, nous membres de la droite, être mystifiés. M. le ministre l'a compris et je l'en remercie.
Et, en effet, de quoi s'agit-il ? On vous demande une enquête sur la tarification des chemins de fer ; et quels sont les noms qui figurent au bas de cette proposition ? Le premier est celui de M. Orts ; le second est celui de M. Jamar, de M. Jamar qui, il y a un an à peine, était encore ministre des travaux publics. Mais pourquoi donc M. Jamar n'a-t-il pas proposé cette enquête quand il était encore ministre ? (Interruption.)
- Voix à gauche. - A quoi bon, puisqu'il maintenait la réforme ? (Interruption.)
M. Dumortier. - Oui, mais la question, alors comme aujourd'hui, était de savoir si cette réforme était bonne ?
Pourquoi venez-vous demander cette enquête aujourd'hui, si ce n'est pour chercher à donner un croc-en-jambes au successeur de M. Jamar ? Cela est clair comme le jour ; mais ne vous imaginez pas que nous nous prêtions à ce jeu odieux.
M. de Rossius. - Ce qui est odieux, c'est de refuser de s'éclairer.
M. Dumortier. - Vous voulez nous éclairer, et sur quoi ? S'agit-il ici d'une augmentation de tarifs ? Non, messieurs, il s'agit d'une plus juste répartition des frais de transport des voyageurs. Voilà toute la question.
M. Crombez. - Sans doute ; mais c'est ce qu'il faudrait établir.
M. Dumortier. - Messieurs, depuis que M. Vanderstichelen a été, par une loi, investi du droit de proroger les tarifs, il a été fait ce qu'on a appelé une expérience, expérience qui a été vivement critiquée et qui l'est encore tous les jours.
Et pourquoi, messieurs ? Mais parce que cette expérience était faite au profit du riche et que le pauvre n'en retirait aucun bénéfice. (Interruption.) Oui, voilà quelle a été cette fameuse réforme.
Eh bien, nous qui représentons l'opinion publique autrement que vous, nous qui la représentons dans ses intérêts les plus légitimes, nous ne voulons pas souffrir plus longtemps que ceux qui n'ont rien soient sacrifiés à ceux qui possèdent.
Voilà, messieurs, l'unique cause de notre opposition à la proposition qui nous est faite. En présence de cette proposition et dans les conditions (page 1693) où elle nous est faite, nous avons le droit de vous renvoyer ce mot de l'honorable M. Frère : A bas les masques ! Cette proposition n'est pas autre chose qu'un vote de défiance contre le ministère et spécialement contre M. le ministre des travaux publics, qui est un honnête homme, à qui nous tenons.
M. Bara. - C'est donc le ministre de la droite et pas le ministre du pays.
M. Dumortier. - Il est le ministre du pays ; mais à ce ministre, que vous injuriez tous les jours dans vos journaux, nous donnons un témoignage de nos sympathies en repoussant une proposition qui ne tend qu'à obtenir un vote de défiance contre lui.
Maintenant, messieurs, n'allez pas croire que je sois antipathique aux enquêtes parlementaires ; bien loin de là, je voudrais qu'on en usât plus souvent, mais non pas quand elles cachent une question ministérielle.
Or, en dépit du langage emmiellé qu'on nous tient, il est clair que la proposition d'enquête qu'on nous présente tend purement et simplement à la chute d'un ministère que nous voulons conserver.
« Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille »
Voilà le but de votre demande d'enquête ; et voilà pourquoi nous n'en voulons pas.
Encore une fois, messieurs, je ne suis pas antipathique aux enquêtes parlementaires ; je l'ai suffisamment prouvé puisque à peine entré dans cette enceinte, j'ai proposé l'institution de la grande enquête de 1831, mais la Chambre ne doit user de ce moyen de s'éclairer que quand il y a un intérêt public réel ; elle ne doit pas le faire quand, comme c'est ici le cas, l'enquête demandée n'a évidemment pas ce but. (Interruption.)
Comment ! vous allez aujourd'hui, en vertu du tarif de 1866, d'une extrémité du pays à l'autre, pour 3 fr. 50 c ; et dans ce même moment, le paysan, l'ouvrier, le petit particulier qui vont à quatre lieues doivent payer l'ancien tarif. Mais c'est là une criante injustice contre laquelle on ne peut assez s'élever et que l'honorable ministre des travaux publics veut faire disparaître ; et en cela il aura notre appui le plus cordial.
Je dis que la Chambre n'a jamais fait d'enquête sur la question des tarifs du chemin de fer.
On a fait une demande d'enquête, il y a un certain nombre d'années, sur la question des chemins de fer, mais la proposition n'a pas été prise en considération.
L'honorable ministre des travaux publics a notre confiance ; nous devons lui laisser sa liberté d'allure ; il vient de nous exposer ses principes qui ont de l'écho dans nos cœurs. J'adjure donc la droite de rejeter la prise en considération.
Ce rejet est le seul moyen d'empêcher une question de cabinet contre M. le ministre des travaux publics.
M. Orts. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier assigne une singulière préoccupation aux signataires de la proposition. Il dit : « Vous voulez faire une question ministérielle, une question de cabinet contre M. le ministre des travaux publics. »
Je répondrai un seul mot : L'honorable M. Dumortier doit supposer une certaine dose de bon sens aux signataires de la proposition ; eh bien, ces signataires n'auraient pas eu un grain de bon sens s'il avait pu entrer dans leur tête, vu l'état numérique de la droite et de la gauche, de chercher à provoquer une crise ministérielle. Nous en serions parfaitement pour nos frais.
La gauche, pour triompher, n'a pas à renverser le ministère ou un ministre : son adversaire, c'est la majorité, et le vote d'une enquête ne la changerait pas.
M. Jamar. - Messieurs, je ne m'attendais pas, je l'avoue, à ce qu'on adressât aux signataires de la proposition, comme vient de le faire l'honorable M. Dumortier, le reproche d'avoir posé un acte odieux. L'honorable membre me demande pourquoi je n'ai pas fait cette enquête quand j'étais ministre des travaux publics.
Je n'hésite pas à lui répondre que si les conclusions du rapport que j'ai eu l'honneur de présenter le 9 décembre 1869 à la Chambre avaient été l'objet de contestations sérieuses et que l'on eût proposé une enquête sur cette question, je n'eusse point hésité à acquiescer à une demande qui alors probablement, comme aujourd'hui, n'aurait eu d'autre but que de permettre de faire la lumière sur une question économique et commerciale, en dehors de toute préoccupation politique.
La Chambre est trop impatiente de terminer ses travaux pour que je cherche à renouveler un débat sur la question des tarifs. Il ne pouvait, au reste, avoir à ce débat qu'une base sérieuse. J'ai eu l'honneur de l'indiquer à l'honorable M. Wasseige ; c'était le rapport présenté par le département des travaux publics en 1869 sur les résultats de la réforme.
Cela n'a pas été du goût de l'honorable M. Wasseige qui a repoussé cette discussion par un propos fort étrange, à coup sûr, dans sa bouche : « On fait dire aux chiffres tout ce qu'on veut » a dit l'honorable M. Wasseige.
Ce propos s'applique à un document qui n'avait aucun caractère politique, émané des fonctionnaires les plus éminents de l'administration qui est dirigée aujourd'hui par l'honorable M. Wasseige.
Ce propos, messieurs, m'a laissé fort indifférent parce que je n'y ai vu qu'une preuve de l'impuissance absolue où se trouvait M. le ministre des travaux publics de réfuter un travail, remarquable surtout par l'étude sérieuse des faits et leur analyse minutieuse qui permettait d'établir presque mathématiquement quels étaient les résultats de la réforme.
La tâche était des plus ardues, et la manière dont elle a été accomplie a fait le plus grand honneur aux fonctionnaires supérieurs qui formaient la commission chargée d'examiner le remarquable travail dû à M. l'inspecteur général Vandersweep.
La conclusion de ce travail était que l'on pouvait affirmer, sans crainte de se tromper, que l'accroissement du mouvement, en 1868, dans tous les services réunis, à attribuer à la réforme, était au moins de 500,000 voyageurs.
L'honorable ministre des travaux publics a trouvé une méthode beaucoup plus simple que celle suivie par les hommes qui ont fait de ces questions l'étude de toute leur vie, mais ceux-ci trouveront sans doute cette méthode beaucoup trop simple et à coup sûr peu concluante.
Je doute qu'elle ait rallié à M. le ministre des travaux publics un grand nombre de convictions.
L'honorable M. Wasseige se borne à prendre l'accroissement du mouvement en 1864, et l’appliquant aux années 1866, 1867, 1868, 1869, il trouve qu'il y a un déficit de 300,000 voyageurs.
La démonstration tient dix lignes aux Annales parlementaires. Quoi qu'il en soit, messieurs, la Chambre se trouve en présence de deux affirmations contraires :
Celle qui résulte du rapport de 1869 et qui indique pour 1868 un accroissement de 500,000 voyageurs, tandis que, d'après M. Wasseige, il y aurait un déficit de 300,000 voyageurs, en y comprenant même l'exercice de 1869 qui a donné des résultats très favorables.
Or, tout est là :
Qu'il y ait, comme le rapport de 1869 l'indique, un accroissement de mouvement de 500,000 voyageurs, et la cause de la réforme est gagnée aux yeux de tous les hommes compétents et désintéressés.
Mais si M. le ministre des travaux publics est dans le vrai, s'il y a eu un déficit de 300,000 voyageurs, je m'associe à ses projets et je suis le premier à lui demander de revenir au barème antérieur au 1er mai 1866.
La question est donc bien simple et je vous demande s'il s'est trouvé une seule circonstance où une demande d'enquête parlementaire a été plus justifiée que dans la circonstance présente.
Comme vous l'a dit mon honorable ami, M. Orts, il n'y a en jeu qu'une question économique et commerciale, mais elle est des plus graves, elle est des plus sérieuses.
Tout ce qui s'y rattache est, dans les pays qui nous entourent, le sujet des préoccupations les plus attentives et les plus sympathiques.
Eh bien, je vous en conjure, ne permettez pas qu'on dise au dehors que la majorité de cette assemblée n'a pas même voulu prendre en considération une proposition d'enquête qui n'avait d'autre but que de demander que la lumière se fît sur des affirmations contraires.
D'autres points, messieurs, sont aussi l'objet d'un désaccord complet entre mon honorable successeur et moi et le langage de l'honorable ministre au Sénat m'a fort surpris.
Voici, messieurs, comment l'honorable ministre des travaux publics s'exprimait dans la séance du 6 juillet dernier ;
« Mon but est d'abord de réparer une injustice qui a duré trop longtemps au préjudice des voyageurs fournissant les petits parcours et au préjudice des classes pauvres, qui sont surtout celles qui ne vont pas au loin.
« Je veux que ces classes, qui ont plus besoin de la protection du gouvernement que les classes qui font de longs voyages, reçoivent une compensation qu'elles ont attendue vainement jusqu'à ce jour. »
Antérieurement l'honorable ministre nous avait dit déjà : « Vous avez donné des paroles séduisantes à ceux qui voyagent en troisième, je veux leur donner des billets d'aller et retour à prix réduit. Je crois qu'ils préféreront mes billets à vos paroles. »
(page 1694) Il résulte du langage de M. Wasseige qu'il croit très sérieusement que le relèvement des tarifs est la réparation d'une grande injustice commise au détriment des classes laborieuses et que la réforme qu'il projette sera un bienfait pour les classes pauvres, auxquelles, paraît-il, on n'avait donné, avant lui, que des paroles séduisantes.
Les assertions de M. le ministre des travaux publics ont produit une grande impression sur ceux à qui il s'adressait ainsi avec une conviction sérieuse, sans doute. Mais il me faut enlever ces illusions à l'honorable ministre des travaux publics, et je lui déclare que, bien loin de faire plus que l'administration précédente, je le défie de faire autant qu'elle dans l'intérêt des classes laborieuses et des classes pauvres. (Interruption.) Et je vais le prouver. (Interruption.)
Oh ! j'étonnerais fort ceux qui m'interrompent, en leur disant que la réforme est complète pour les classes laborieuses. La réforme nouvelle est accomplie non seulement aux longues distances, mais à toutes les distances.
J'ai pourvu en effet, pendant le cours de mon administration, par des réductions de tarifs bien plus considérables que celles que consacrait l'honorable M. Vanderstichelen en 1866 ; j'ai pourvu aux deux intérêts les plus importants des classes laborieuses.
J'ai établi, en effet, des abonnements de semaine qui permettent aux travailleurs de se rendre chaque matin à leur atelier dans un rayon de 50 kilomètres pour une somme infime.
Ils sont ainsi soustraits aux influences délétères des logements d'ouvriers dans les centres industriels et je défie M. le ministre des travaux publics, à l'aide de ses billets d'aller et retour, d'apporter une modification favorable aux conditions dans lesquelles les ouvriers se transportent aujourd'hui à n'importe quelle distance.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je vous félicite de cette réforme et je la maintiens.
M. Jamar. - Comment ! vous me félicitez ! Mais où donc alors est l'oubli des intérêts des classes pauvres dont vous faites un argument contre l'ancienne administration ? (Interruption.)
En outre les enfants des classes peu aisées trouvèrent dans le tarif des écoles la possibilité de se rendre chaque matin, non seulement à l'école primaire distante de quelques kilomètres, mais aux conservatoires, aux écoles spéciales, aux écoles moyennes dans un rayon de 10 lieues. Encore une fois je défie l'honorable ministre des travaux publics, à l'aide de ses billets d'aller et retour, d'apporter à cette organisation des modifications qui ne tournent pas contre ceux qui en profitent aujourd'hui.
Voilà, messieurs, la vérité sur ces prétendues injustices que l'honorable M. Wasseige se prépare à réparer à l'aide de relèvements de tarifs contre lesquels le commerce et l'industrie protestent en demandant tout au moins que la Chambre prescrive une enquête dont les pétitionnaires attendent avec raison les résultats avec confiance. Notre proposition se justifie à tous égards et je ne comprendrais pas que la Chambre s'opposât à la prise en considération.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je ne veux pas dépouiller l'honorable M. Jamar des lauriers dont il s'est couvert. Je ne veux pas entrer non plus dans le fond de la question. Nous discutons la prise en considération et je dois déterminer exclusivement le caractère de la proposition et les motifs pour lesquels nous nous y opposons.
Le gouvernement n'est contraire en principe à aucune enquête. Il ne faut en rien la lumière ; mais dans certaines circonstances, ce qu'on cherche en demandant une enquête, ce n'est pas la lumière, c'est l'humiliation d'un ministre. (Interruption.)
Je vais le démontrer à la dernière évidence.
Cette question n'est pas née d'hier. Depuis que mon honorable collègue est au département des travaux publics, il en a été question à différentes reprises dans les Chambres.
D'abord, mon honorable collègue a promis d'examiner la question, plus tard, il a indiqué quelques bases d'un programme. Récemment, il a pris une position plus accentuée. Eh bien, tant qu'il a annoncé qu'il examinait la question, qu'il avait déterminé un programme contraire au système existant, on n'a rien dit, on n'a pas demandé d'enquête ; mais le jour où il a déclaré au Sénat qu'il était décidé à faire sa réforme, le jour où sa personnalité a été engagée, c'est ce jour-là qu'on a choisi pour déposer une proposition d'enquête. (Interruption.)
- Des membres. - C'est évident !
M. Jacobs, ministre des finances. - Si vous aviez voulu vous éclairer, c'était dès le jour où la bonté des anciens tarifs était mise en doute qu'il fallait demander une enquête. La demander le jour où le ministre est engagé, c'est demander un blâme contre le ministre.
Je demande à mes honorables contradicteurs, je demande à l'honorable M, Jamar si, lorsqu'il était au département des travaux publics, ayant annoncé aux Chambres qu'il était résolu à prendre telle ou telle mesure importante, il aurait accepté, au lendemain de cette déclaration, une enquête sur l'objet au sujet duquel il s'était exprimé. Personne n'accepterait cette position, pas plus l'honorable M. Jamar que l'honorable M. Wasseige. La proposition est un blâme contre le ministre, et, sous ce rapport, j'attends avec confiance le verdict de la Chambre.
M. Le Hardy de Beaulieu. - J'ai demandé la parole au moment où l'honorable ministre des travaux publics déniait en quelque sorte à la Chambre le droit de s'enquérir des faits de son administration et où il disait qu'il avait reçu de la loi tous les pouvoirs pour modifier à son gré les tarifs. Je ne puis admettre cette théorie, qui est absolument contraire au texte même de la loi constitutive des chemins de fer construits par l'Etat belge.
En effet, je lis dans l'article 5 ce qui suit : « Les produits de la route provenant des péages qui devront être annuellement réglés par la loi, serviront à couvrir les intérêts, etc. »
Il en résulte qu'annuellement les Chambres ont le droit de fixer les tarifs et les péages du chemin de fer. Il en résulte que lorsque la Chambre demande à s'éclairer sur un de ces points, elle ne fait que remplir son devoir. Il en résulte que lorsque la Chambre demande à s'éclairer sur la question des tarifs, elle n'empiète en aucune façon sur la mission du ministre ; elle n'empiète en aucune façon sur ses droits. Elle ne fait qu'accomplir son devoir. Au contraire, lorsque le ministre dénie à la Chambre la faculté de s'enquérir de ce qui la concerne, c'est le ministre qui cherche à empiéter sur les droits et sur les devoirs de la Chambre.
Messieurs, j'ai annoncé, dans le discours que j'ai prononcé sur le budget des travaux publics, que je proposerais une enquête. Je n'ai pas formulé cette demande à la fin d'une session longue et laborieuse et je m'étais réservé de la présenter au commencement de la session prochaine.
Il est indispensable, messieurs, que la Chambre sache où l'exploitation des chemins de fer conduit les finances de l'Etat. Il est indispensable qu'elle sache définitivement par elle-même, et non plus en s'en rapportant à l'administration, quelque distinguée qu'elle puisse être, il est indispensable qu'elle sache si les chemins de fer conduisent les finances de l'Etat à la prospérité ou à la ruine.
Pour ma part, messieurs, je suis convaincu que l'exploitation des chemins de fer par l'administration conduira inévitablement les finances de l'Etat à la ruine.
Pour vous en convaincre, attendrez-vous que l'Etat dépose son bilan ? attendrez-vous que l'Etat vienne déclarer qu'il ne peut pas aller plus loin ? Ne vaut-il pas mieux s'en enquérir quand il est temps encore d'examiner la situation du chemin de fer dans son ensemble ?
Je suis donc d'avis qu'il faut prendre en considération la proposition d'enquête, et je déclare dès maintenant que si elle est prise en considération, je proposerai un amendement qui aura pour objet d'étendre l'enquête à toutes les questions qui se rattachent aux chemins de fer exploités par l'Etat, et notamment aux propositions de reprise qui ont été faites. A ce point de vue, sans en faire une question ni de pour ni de contre aucun cabinet, je demande instamment que l'enquête soit votée le plus tôt possible,
- La clôture est demandée.
M. de Baets (contre la clôture). - Messieurs, je ne désire pas faire un discours, mais comme je me suis donné le droit de voter contre le cabinet, en diverses circonstances, je voudrais motiver mon vote.
M. Coomans. - Messieurs, je ne désire jamais qu'une question soit étranglée, même quand on me menace du plaisir de me libérer du petit discours que j'aurais à faire.
J'avais à présenter quelques observations qui ne dureraient peut-être pas cinq minutes ; d'autres membres peuvent se trouver dans le même cas et je pense qu'il est de la dignité de la Chambre de ne pas prononcer la clôture en ce moment. (Interruption.)
M. le président. - Il y a encore quatre orateurs inscrits. M. Coomans vient en première ligne.
M. David. - Je dois m'opposer à la clôture ; j'ai à démontrer l'erreur dans laquelle a versé l'honorable ministre des travaux publics en insistant principalement sur cette considération qu'il fallait, dans l'intérêt de la bourgeoisie et des classes ouvrières, modifier les tarifs en les relevant dans une certaine mesure. Mais la réforme fatale annoncée est dirigée contre cette fraction de la société ; documents officiels et authentiques en mains, je prouverai qu'il n'y a eu en 1866, 1867, 1868, 1869 et 1870 que 7 p. c. de voyageurs de première classe, express et ordinaires, tandis que les deuxièmes et troisièmes classes des deux catégories ont donné 93 p. c., (page 1695) 4,000,000 chiffre rond de voyageurs d'un côté, sur 62,000,000 transportés et 58,000,000 de l'autre ; j'arriverai à cette preuve en très peu de mots ; je citerai seulement le résumé de chaque année de mes calculs statistiques.
M. le président. - Je vais mettre la clôture aux voix.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
94 membres y prennent part.
53 membres répondent oui.
40 membres répondent non.
1 membre (M. Wasseige) s'abstient.
En conséquence, la clôture est prononcée.
cnt répondu oui :
MM. Wouters, Beeckman, Biebuyck, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Lehaye, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Reynaert, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Léon Visart et Thibaut.
Ont répondu non :
MM. Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, Boucquéau, Boulenger, Brasseur, Coomans, Crombez, David, de Baets, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Rossius, Descamps, Dethuin, Elias, Guillery, Hagemans, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Mouton, Muller, Orts, Puissant, Rogier, Sainctelette, Tesch, Thienpont, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Amédée Visart et Vleminckx.
M. le président. - M. le ministre des travaux publics est prié de faire connaître les motifs de son abstention.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - La position spéciale que me faisait la demande d'enquête me paraît justifier complètement pion abstention.
M. le président. - Je mets aux voix la question de savoir si la Chambre prend en considération la proposition d'enquête.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
94 membres y prennent part.
60 membres répondent non.
33 membres répondent oui.
1 membre (M. de Baets) s'abstient.
En conséquence, la proposition d'enquête n'est point prise en considération.
Ont répondu non :
MM. Wouters, Beeckman, Biebuyck, Boucquéau, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Reynaert, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige et Thibaut.
Ont répondu oui :
MM. Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, Boulenger, Crombez, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, Elias, Guillery, Hagemans, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Mouton, Muller, Orts, Puissant, Rogier, Sainctelette, Tesch, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vleminckx.
M. le président. - M. de Baets est prié de faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Baets. - Je me suis abstenu pour le motif très simple que voici : J'aurais voulu, par une discussion plus approfondie, pouvoir constater si la proposition faite à la Chambre était le résultat d'une délibération prise en conseil de famille ou, pour me servir d'une autre expression,
en conseil de guerre par la gauche et si elle constituait simplement une machine de guerre... (Interruption.) une machination politique si vous voulez. Cette discussion n'ayant pas pu avoir lieu, j'ai dû m'abstenir.
M. Delaet. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi de travaux publics, le rapport complémentaire à propos de la lettre de M. le président du Sénat.
- Impression et distribution.
M. Sainctelette. - Messieurs, je ne me lève pas pour contester l'utilité du chemin de fer concédé. Je viens seulement demander quelques explications au gouvernement sur le mode d'exécution.
Ou il faut renoncer à comprendre la signification des faits, ou il faut bien reconnaître que l'expérience a définitivement condamné en Belgique le régime de l'exploitation par concession. On ne pourrait imaginer une démonstration plus décisive à ce sujet que celle qui est fournie par les événements eux-mêmes. Ils ont mis en pleine et vive lumière le nombre et la gravité des inconvénients du régime d'exploitation par concession ; dérivation du trafic de l'Etat ; difficultés d'organisation du service public ; cherté et imperfection du service intérieur ; inégalité des conditions officiellement créée entre les diverses parties du pays ; complications de toute nature pour les consommateurs de transports.
Dans ces derniers temps, ces inconvénients se sont accusés avec une telle énergie que l'Ettl a été contraint de reprendre l'exploitation d'un grand nombre de lignes et de la reprendre à des conditions incontestablement beaucoup plus onéreuses que celles dont les concessionnaires se seraient contentés à l'origine.
Je conclus de là qu'en thèse générale, et à part des situations exceptionnelles, l'Etat ne doit concéder des voies de communication qu'en retenant l'exploitation ou tout au moins en se réservant le droit de la reprendre dans un délai fixé et à des conditions définies d'avance dans le cahier des charges.
Agir autrement, ce serait aller de gaieté de cœur s'empêtrer dans une situation dont nous avons tant de peine à nous tirer aujourd'hui.
Ce serait recommencer en pleine connaissance de cause et commettre non plus simplement une erreur, mais une faute véritable.
Je prie la Chambre de remarquer que la réserve de l'exploitation n’a rien d'incompatible avec la garantie de minimum d'intérêt.
Dans le système pratiqué jusqu'aujourd'hui, le concessionnaire exploite, il encaisse la recette brute, il prélève les frais d'exploitation calculés d'une façon plus ou moins exacte, détermine le profit net acquis et vient demander au gouvernement le complément jusqu'à concurrence du profit net promis.
Dans la combinaison que je recommande, l'Etat exploite, il encaisse toute la recette brute, il reçoit donc non pas seulement les frais d'exploitation, mais même le profit net acquis. En revanche, il paye au constructeur tout le profil net promis.
Au fond, l'opération est donc la même.
Mais la seconde combinaison a sur la première cet avantage qu'elle ôte à l'exploitant la possibilité de se procurer, par l'exagération des frais d'exploitation, un bénéfice illicite.
Ni l'exposé, ni le rapport de la section centrale ne font connaître sur cette question si intéressante les intentions du gouvernement. Il me semble cependant que c'est le cas ou jamais de réserver l'exploitation.
Le chemin de fer projeté nous est présenté comme un élément de la défense nationale, comme devant servir à concentrer rapidement au camp et à en emmener soudainement une grande masse de troupes avec tout l'appareil nécessaire.
L'exploitation devra donc être ici organisée d'une façon toute particulière.
Il faudra que dans un moment déterminé on puisse disposer d'un outillage relativement considérable d'embarquement et de débarquement et d'un personnel plus nombreux, mieux exercé, plus intelligent que partout ailleurs. Il faudra surtout une administration attentive à suivre les améliorations introduites dans les autres pays et disposant d'assez de ressources pour les réaliser immédiatement.
J'ai peine à croire que les hasards de l'adjudication publique fournissent à un exploitant satisfaisant à toutes ces conditions et réunissant toutes ces qualités.
Cet exploitant sera évidemment sans intérêt à avoir ce personnel nombreux, cet outillage supplémentaire. Il cherchera, autant que possible, à (page 1696) se soustraire aux obligations imposées à ce sujet par le cahier des charges.
Et comme il s'agira d'une affaire nouvelle, quelque soin que vous apportiez à la rédaction du cahier des charges, il est bien difficile que vous puissiez tout prévoir.
Je crois donc qu'il existe des raisons toutes spéciales de réserver ici l'exploitation.
Je vais plus loin et je demande si ce ne serait pas le cas de construire aux frais de l'Etat.
Dans tous les cas, j'exprime le regret de n'avoir trouvé, ni dans l'exposé des motifs, ni dans le rapport de la section centrale, certaines données qu'il eût été très intéressant de posséder pour pouvoir mesurer l'étendue des sacrifices demandés à l'Etat.
Le chemin de fer sera-t-il à double voie ?
Le coût en a-t-il été évalué ?
Je suis d'autant plus en garde contre les demandes faites d'une garantie de minimum d'intérêt que c'est en vue d'un bénéfice de construction que la concession de ce chemin de fer est aujourd'hui demandée.
Le chemin de fer dont il s'agit a déjà été concédé une première fois. On n'a pas pu l'exécuter.
Aujourd'hui on vient solliciter une garantie d'intérêt. Les demandeurs ne comptent donc sur aucun bénéfice d'exploitation. Or, ce n'est point par civisme qu'ils agissent. Ils ont donc en vue l'écart entre le capital qu'ils se procureront à l'aide de la garantie d'intérêt et le capital qu'ils dépenseront.
Je borne là mes observations, me réservant, selon la réponse du gouvernement, de déposer un amendement.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, les considérations que l'honorable M. Sainctelette vient de développer sont d'un grand poids ; elles m'ont vivement touché. Il est positif que, pour se faire dans de bonnes conditions, l'exploitation du chemin de fer dont il est question devra probablement être confiée à l'Etat, et je suis tout disposé à insérer dans le cahier des charges une clause par laquelle l'Etat se réserverait l'exploitation.
Quant à la construction, si le gouvernement ne s'est pas décidé à s'en charger, c'a été réellement parce que la question d'argent y fait obstacle. Nous venons de vous présenter un projet de travaux publics pour 22 millions ; nous avons demandé en même temps l'autorisation d'émettre un emprunt de 50 millions ; d'autre part, des capitaux considérables sont engagés dans des travaux en cours d'exécution.
Dans cette situation, le gouvernement a pensé qu'il serait préférable d'abandonner la construction du chemin de fer à l'industrie privée.
Cependant, ainsi que cela s'est fait en différentes circonstances analogues, il sera possible de stipuler le droit de l'Etat à la reprise, non seulement de l'exploitation, mais encore du chemin de fer lui-même. Ce sera un point à examiner et à prévoir dans l'octroi de concession.
Quant au chiffre du minimum d'intérêt, c'est sur les indications des ingénieurs et sur la proposition du comité mixte des ponts et chaussées qu'il a été calculé.
M. Rogier. - Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics voudra bien ne pas voir une tactique d'opposition dans les observations que j'ai à présenter et dans la proposition que je vais faire. Je ne vois rien de politique, au moins en ce qui divise ordinairement les deux opinions, je ne vois rien de politique dans les chemins de fer et spécialement dans celui dont nous avons à nous occuper. Je dois toutefois à le combattre dans les conditions où il nous est proposé. Mais j'ai peine à comprendre comment une pareille proposition nous est faite par M. le ministre des travaux publics et certes les explications qu'il vient de nous donner m'ont paru bien insuffisantes pour la justifier.
Messieurs, je ne viens pas combattre le chemin de fer en lui-même, j'en avertis dès à présent l'honorable représentant de Hasselt qui me lance un regard un peu sévère ; je ne viens pas combattre le chemin de fer en principe, au contraire ; je demande simplement qu'au lieu de le concéder avec primes, l'Etat fasse lui-même ce chemin de fer ; il le fera mieux et l'exploitera dans de meilleures conditions pour le public, et il se dispensera de payer la prime de 250,000 francs que le projet de loi alloue généreusement pendant 50 années à l'entrepreneur quelconque, à la société anonyme quelconque qui obtiendra la concession.
Cette prime, rien ne la justifie ; je ne saurais en aucun cas l'admettre. Comment ! voilà un chemin de fer que l'exposé des motifs exalte en des termes dignes d'un prospectus ; c'est un modèle de chemin de fer.
Au point de vue agricole, au point de vue industriel, au point de vue militaire, au point de vue international, il est de la plus haute utilité, il se présente dans les meilleures conditions, de telle sorte que la société concessionnaire n'aurait rien de mieux à faire pour la rédaction d'un prospectus attrayant que de copier l'exposé des motifs de M. le ministre des travaux publics.
Ce n'est pas tout.
Cet admirable chemin de fer, qui sera en rapport avec la Hollande, avec l'Allemagne, avec la France, qui aboutit partout en Belgique, n'aura que 65 kilomètres de longueur, recevra de l'Etat pendant cinquante années une rente de 250,000 francs, oui le trésor public lui fait ce cadeau-là. Nécessairement ces 250,000 francs de rente brilleront d'un grand éclat dans le futur prospectus de la société concessionnaire anonyme.
M. le ministre des travaux publics vient de nous dire que quand le chemin de fer sera construit, il se réserve d'en prendre l'exploitation, se faisant ainsi le serviteur d'une société qui lui fournira un chemin de fer qu'elle aura construit et outillé pour le mieux de ses intérêts.
Or, le but de toutes les entreprises-particulières est naturellement de faire le moins de dépenses et le plus de bénéfices possibles.
Je dis à M. le ministre : Si vous vous proposez d'exploiter le chemin, construisez-le d'abord vous-même.
L'honorable ministre répond : L'état des finances ne permet pas de faire la dépense. Mais il ne nous dit pas ce que coûtera ce chemin de fer de 65 kilomètres, construit sur ces terrains qui n'ont pas aujourd'hui grande valeur, qui pourront en acquérir beaucoup dans la suite grâce au chemin de fer lui-même. Nous n'avons aucune donnée sur le coût du chemin de fer pas plus que sur le tracé, sur le plan de détail, et sur le cahier des charges. Ce chemin de fer sera-t-il à une voie ou sera-t-il à une double voie ? Nous n'en savons rien ; l'exposé des motifs, le rapport de la section centrale, les explications du ministre nous laissent à cet égard dans le doute et l'obscurité.
Quoi qu'il en soit, je suis prêt à voter de confiance ce chemin de fer, si le gouvernement consent à se charger lui-même, sous sa responsabilité, de son exécution.
Que M. le ministre nous demande donc simplement un chemin de fer de 65 kilomètres.
Il a, sous plusieurs points de vue, de sérieuses raisons à fournir pour que ce chemin de fer reste absolument dans la main de l'Etat.
La section centrale semble l'avoir compris en introduisant dans le projet un nouvel article en vertu duquel, à défaut d'offres suffisantes de la part des concessionnaires, le gouvernement est autorisé à construire lui-même le chemin de fer qu'il propose de concéder.
Je supprime la réserve de la section centrale et je modifie un seul mot dans l'article premier en disant : « Le gouvernement est autorisé à construire, etc. »
M. le ministre objectera-t-il la dépense de construction ? Mais à quelle somme l'évalue-t-il ?
Est-ce à six, huit ou dix millions ? A défaut de données officielles à cet égard, je prends la moyenne de huit. C'est beaucoup. Eh bien, est-ce que le trésor public est dans l'impossibilité de faire face à une dépense de 8 millions en trois ou quatre ans ? M. le ministre ne me fera pas croire cela. Le trésor trouvera bien de quoi payer à M. X. ou à M. L. une rente annuelle de 250,000 francs par an, pendant cinquante ans !
Je commence maintenant à comprendre la théorie de M. le ministre des travaux publics en ce qui concerne le rehaussement des tarifs. En faisant cette contre-réforme, soi-disant antiaristocratique, M. le ministre espère un surcroît de recettes et ces ressources nouvelles prélevées sur les voyageurs serviront à doter les compagnies qui voudront bien construire des chemins de fer.
Ainsi, voilà le système ; je ne puis l'approuver aucunement. Pour fournir 250,000 francs de rente à une société anonyme, on rehaussera les tarifs vis-à-vis de ce qu'on appelle les classes riches.
Or, messieurs, si l'abaissement des tarifs profite à la classe riche et par conséquent la moins nombreuse de la société, il profite bien plus aux classes inférieures, aux personnes peu aisées, qui ne peuvent pas atteindre aux longs parcours à cause de leur cherté relative ; et lorsqu'on abaisse les tarifs pour les longs parcours, on les abaisse précisément au profit des voyageurs qui ne peuvent en profiter aujourd'hui. Ce serait donc en fait priver ces classes d'un avantage sur lequel elles sont en droit de compter, pour le faire passer dans les mains d'une société anonyme. Je ne puis approuver une pareille combinaison. Je ne puis admettre non plus qu'elle soit sérieusement entrée dans les vues de M. le ministre des travaux publics.
Tout à l'heure on lui a donné un certificat d'honnête homme. Je confirme le certificat que l'honorable M. Dumortier a délivré à l'honorable M. Wasseige. Mais si l'honorable M. Dumortier avait, à propos de cette (page 1697) loi-ci, combinée avec l'abaissement des tarifs, donné a l'honorable M. Wasseige un certificat de prévoyance et d'habileté, je n'aurais pas pu m'y associer.
Messieurs, ma proposition est essentiellement gouvernementale. Je suis favorable au chemin de fer proposé. Je reconnais qu'il est très utile, qu'il y a beaucoup de motifs de le construire, qu'il importe, entre autres raisons d'Etat, que de grandes parties de notre territoire, comme celles que renferme la Campine, reçoivent, avec l'aide du gouvernement, les améliorations dont elles sont susceptibles, que c'est un enrichissement pour le pays tout entier que les progrès de l'agriculture et de la population s'étendent dans les contrées les moins favorisées.
Mais plus je comprends, à ce seul point de vue, l'importance du chemin de fer, plus je suis en droit de dire à l'Etat : Faites-le vous-même et exploitez-le vous-même. Vous éviterez les ennuis, les tracasseries que vous donne souvent le système des concessions. Vous n'aurez pas à débattre, plus tard, les conditions de la reprise de ce même chemin de fer que vous concédez aujourd'hui avec prime. Vous n'aurez pas non plus à jouer le rôle subalterne d'exploitant d'une société qui restera, elle, propriétaire.
Quant à la dépense, répartie sur trois ou quatre années, véritablement c'est une misère. L'honorable M. Wasseige ne peut pas persister dans cette objection.
Maintenant veut-il réfléchir à ma proposition ? Veut-il en ajourner l'examen jusqu'à la discussion très prochaine de la loi générale des travaux publics ? Je le veux bien. Mais à sa place, je commencerais d'abord par prélever ce premier morceau.
J'ose croire que M. le ministre ne fera pas de difficulté à se rallier à ma proposition, qui est toute gouvernementale, qui n'a en vue que l'intérêt public et qui est conforme à tous les principes que j'ai toujours défendus.
Lorsque je combats l'exploitation d'un objet d'intérêt général par l'intérêt privé, je n'obéis à aucun sentiment d'hostilité contre les hommes qui, loyalement, appliquent leur aptitude et leur activité à des entreprises d'où ils peuvent retirer des avantages personnels ou collectifs, mais en certaines matières et particulièrement quand il y a des intérêts généraux en jeu, je donne la préférence à l'action de l'Etat.
Le gouvernement qui les représente exploite non pas au point de vue d'un intérêt privé, mais sous sa responsabilité et par sa mission, il doit chercher à donner satisfaction à tous les intérêts, comme à toutes les plaintes légitimes.
Si les observations que je viens de faire sont jugées dignes d'être prises en considération, je saurai gré aux membres de la droite de me prêter leur concours en cette circonstance.
M. le président. - M. Rogier, veuillez faire parvenir votre amendement au bureau.
M. Rogier. - Je propose de dire que le gouvernement sera autorisé à construire le chemin de fer aux frais de l'Etat au lieu de dire qu'il est autorisé à le concéder.
M. le président. - L'amendement serait donc ainsi conçu : « Le gouvernement est autorisé à construire aux frais de l'Etat un chemin de fer de Tirlemont par Diest, etc. (le reste comme dans l'article premier).
M. Pery de Thozée, rapporteur. - Messieurs, la section centrale est à moitié d'accord avec l'honorable M. Rogier, puisqu'elle a pris l'initiative d'un amendement portant qu'à défaut d'offres satisfaisantes, le gouvernement est autorisé à construire le chemin de fer aux frais de l'Etat.
Cependant, messieurs, d'après les renseignements dont elle était entourée, la majorité de la section centrale a cru que la construction par une société particulière,, moyennant la garantie, pendant les cinquante premières années, d'un minimum d'intérêt ne pouvant pas excéder 250,000 fr. par an, présenterait certains avantages, au point de vue de l'économie surtout.
Nous avons estimé, comme vient de le faire l'honorable M. Rogier, que le coût du chemin de fer pouvait être évalué approximativement à 7,000,000 de francs.
M. Sainctelette. - Dans un pays plat !
M. Pery de Thozée. - Il y a une partie de la ligne où le terrain est accidenté, et où il y aura de grands travaux de terrassement et de déblai à exécuter.
En tout cas, les 250,000 francs de garantie d'intérêt ne représentent qu'un capital de construction de 5 millions de francs et un revenu kilométrique de 4,000 francs.
Vous savez tous, messieurs, que des garanties beaucoup plus considérables ont été accordées à d'autres lignes.
Si je ne me trompe, ce n'est que moyennant une garantie deux fois plus élevée que le chemin de fer de Virton sera construit.
En résumé, la section centrale a pensé qu'il n'y avait rien d'exagéré dans le chiffre que nous propose le gouvernement ; et, dans ces conditions, elle a cru qu'il y avait lieu de faire un appel public à la concurrence.
Elle n'a pas été appelée à se prononcer sur la question qu'a posée l'honorable M. Rogier, et je ne puis dire quel accueil elle eût fait à cette proposition.
M. Vleminckx. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour expliquer à la Chambre dans quel sens je voterai pour le projet qui nous est soumis.
J'ai été l'année passée rapporteur du budget de la guerre. Dans le rapport de la section centrale, était formulé le vœu que le chemin de fer vers le camp de Beverloo fût promptement construit. J'ai adhéré moi aussi à ce vœu mais dans mon opinion, ce chemin devait être construit et exploité par l'Etat.
L'honorable M. Sainctelette vous l'a déjà dit, messieurs, c'est un chemin de fer véritablement national qu'il s'agit de construire. Il faut pour ce chemin un outillage spécial et de plus une gare toute spéciale à Beverloo.
Vous savez tous que le prompt embarquement et débarquement des troupes est une chose à rechercher et qu'il y a lieu de faire, à cet égard, des études considérables.
C'est au gouvernement qu'il appartient de faire cette installation ; de telle façon qu'elle soit le plus profitable à l'instruction de l'armée.
D'un autre côté, savez-vous ce qui ne manquera pas d'arriver ? C'est que, dans 5 ou 6 ans, il s'agira de racheter ces mêmes chemins qu'on demande de pouvoir concéder aujourd'hui.
Est-ce que nous n'en faisons pas tous les jours l'expérience ? Est-ce qu'il n'y a pas une tendance générale à de semblables rachats ? Je dis donc avec mon honorable collègue, M. Rogier, que je ne voterai le projet qu'à la condition que le gouvernement fasse et exploite le chemin de fer lui-même.
M. Le Hardy de Beaulieu. - J'ai demandé la parole pour faire remarquer à la Chambre que l'administration a une tendance de plus en plus marquée à se passer de nous. Si nous ne tenions pas les cordons de la bourse, il est évident qu'on ne nous donnerait plus la moindre explication sur quoi que ce soit.
Dans le projet dont il s'agit, on vous l'a fait remarquer, aucune explication ne nous a été donnée. On nous dit : Autorisez le gouvernement à promettre 250,000 francs pendant cinquante années à un concessionnaire qui se présentera.
En Angleterre, la Chambre ne se dessaisit, en aucune façon, de la question des chemins de fer ; aucune société ne peut changer quoi que ce soit à la construction de ses lignes, à son aménagement, sans l'autorisation de la chambre des communes.
Ici nous nous sommes dépouillés nous-mêmes de ce moyen d'action considérable sur les intérêts publics, et contrairement à l'esprit et je dirai même à la lettre de la Constitution, nous nous en sommes dépouillés au profit d'une administration anonyme et sans responsabilité.
On me dira : le ministre des travaux publics est responsable. Mais, messieurs, vous savez combien cette responsabilité est illusoire. Avec une majorité, un ministère ni un ministre n'est jamais responsable ; il endosse la responsabilité à sa majorité et ainsi la responsabilité tombe.
Après cette première remarque, qui expliquera le vote hostile que j'émettrai contre le projet, je vais vous dire quelques mots en réponse à quelques observations de M. Rogier quant à la construction du chemin de fer par l'Etat.
Je crois que le moyen choisi par M. le ministre des travaux publics, s'il peut obtenir un concessionnaire, est le plus économique possible ; l'Etat est le plus mauvais, le plus coûteux des constructeurs.
M. Vleminckx. - C'est toujours la même chose.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Il suffit de prendre les rapports annuels de la commission des travaux publics pour savoir ce que coûtent la construction et l'exploitation par l'Etat. Les chemins de fer construits par l'Etat coûtent au delà de 400,000 francs par kilomètre et 29,000 fr. d'exploitation par kilomètre.
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Donc M. le ministre des travaux publics, en nous proposant de ne payer que 250,000 francs par an pendant cinquante ans pour la construction de 65 kilomètres, fait une bonne opération.
Je doute que l'Etat parvienne à construire le moindre chemin de fer pour moins de 8 millions, c'est-à-dire 250,000 francs d'intérêts à perpétuité, et (page 1698) par conséquent, avec les extensions, avec les agrandissements de station et les perfectionnements de matériel qui pleurent chaque année, au bout de quelques années, le même chemin de fer coûtera 15, 16 millions et finira pas ne plus pouvoir rembourser même les frais d'exploitation.
Je suis donc d'avis que si ce chemin de fer est décrété, il devra être construit d'après la méthode proposée par M. le ministre des travaux publics. Je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'il trouve un concessionnaire dans les conditions les plus favorables.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Ce chemin de fer, messieurs, se trouve dans une position exceptionnellement favorable, puisque tout le monde désire qu'il soit fait et que tout le monde le désire au point de conseiller de le faire construire aux frais de l'Etat.
Je suis reconnaissant aux honorables préopinants qui ont exprimé cet avis ; car, moi aussi, messieurs, et autant que qui que ce soit, je désire que ce chemin de fer se fasse. C'est, comme on l'a dit, une voie essentiellement nationale et, à ce titre, elle a également toutes mes sympathies.
Je puis donc garantir à mes honorables collègues que, dans toutes les conditions possibles, le chemin sera construit ; et c'est pour cette raison que je déclare formellement me rallier à l'amendement de la section centrale qui formerait l'article 5 de la loi et qui est ainsi conçu :
« A défaut d'offres satisfaisantes, le gouvernement est autorisé à construire, aux frais de l'Etat, le chemin de fer décrit à l'article premier de la présente loi. »
Cette déclaration paraît suffire comme manifestation bien formelle de l'intention du gouvernement.
Maintenant, messieurs, pourquoi désiré-je commencer par l'adjudication ? C'est parce que, dans mon opinion, une adjudication faite publiquement et au rabais peut produire les meilleurs résultats,
M. Sainctelette. - Les amateurs s'entendront.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ne le crois pas ; mais c'est, dans tous les cas, pour empêcher l'entente que je me rallie à l'amendement de la section centrale. Si les offres produites à l'adjudication ne sont point favorables, il n'y sera pas donné suite. Mais le chemin sera néanmoins construit.
Je suis donc disposé, messieurs, à tenter d'abord l'adjudication publique et j'ajoute que la somme de 250,000 francs constitue un maximum. Si le résultat de l'adjudication n'est point acceptable, je n'hésiterai pas à user de l’autorisation que je trouverai dans l'article 5.
Je reconnais, messieurs, que les renseignements fournis par l'exposé des motifs ne sont pas très développés ; les regrets qu'on peut exprimer à cet égard sont fondés dans une certaine mesure. Mais je ferai remarquer que, pour fournir des indications tout à fait complètes, il eût fallu que le tracé fût décidé ; tandis que nous n'avons pu déterminer que le point de départ et le point d'arrivée.
Les études du tracé eussent nécessité un travail assez long ; et c'est précisément parce que je n'ai pas voulu perdre une année, que je me suis empressé, dans l'intérêt même de la prompte solution de cette affaire, de la soumettre dès à présent à la Chambre, même en l'absence d'une partie des éclaircissements nécessaires pour pouvoir l'apprécier sous toutes ses faces et d'une manière approfondie.
Je ferai déterminer le tracé par les ingénieurs de l'Etat ; il sera ensuite procédé à la mise en adjudication.
Il résulte d'un travail préparatoire que le chemin de fer doit coûter environ 7,000,000 de francs.
Il est impossible de donner un chiffre plus approximatif. Quand les études du tracé seront terminées, je saurai plus exactement à quoi m'en tenir.
Mais, permettez-moi d'insister sur ce point, l'adjudication n'a qu'un but, c'est de chercher à obtenir la meilleure construction au meilleur marché possible ; et quel que soit le résultat de l'appel à la concurrence, le chemin de fer sera exécuté.
A ce propos, je ferai remarquer à l'honorable M. Vleminckx que la chose importante, ce n'est pas que la construction se fasse aux frais de l'Etat.
Il importe peu comment la construction aura lieu, par un concessionnaire ou aux frais du trésor public ; ce qui importe avant tout, ce sont les considérations qu'a présentées l'honorable M. Sainctelette : l'exploitation doit être laissée à l'Etat.
Je tiens à ce qu'il en soit ainsi.
En résumé, je me propose de m'occuper du projet immédiatement après le vote de la loi. Les plans étant dressés, je procéderai à l'adjudication publique. Cela durera deux ou trois mois. Et si l'adjudication publique ne donne pas un résultat satisfaisant, je viendrai, invoquant l'article proposé par la section centrale, vous demander la somme nécessaire à la création du chemin de fer.
M. Rogier. - Messieurs, je ne puis me rallier aux observations et réserves que vient de faire M. le ministre des travaux publics. J'ai constaté, d'après l'exposé des motifs, quelle était l'importance de ce chemin de fer, au point de vue de l'agriculture et de l'industrie, au point de vue militaire et au point de vue international.
Je n'ai plus rien à ajouter pour défendre le chemin de fer en lui-même.
Je me suis plaint de l'absence de tous documents. M. le ministre des travaux publics vient de justifier ces plaintes.
Il n'y a ni plans, ni devis, ni cahier des charges, et en l'absence de tous documents, l'honorable ministre des travaux publics ne craint pas de nous proposer d'allouer, pendant cinquante ans, une rente de 250,000 francs à l'entrepreneur qui sera déclaré adjudicataire.
On ne dit pas même à quelle époque commencera le payement de la prime. Serait-ce peut-être au jour même de l'adjudication ? Dans les fois antérieures de l'espèce, il était stipulé que le payement prendrait cours à partir de l'achèvement et de la réception du chemin de fer subsidié. Ici, on ne dit pas quand on commencera le payement de la garantie.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - C'est dans le cahier des charges.
M. Rogier. - Nous n'avons pas vu ce cahier des charges. On ne nous a rien communiqué.
M. le ministre vient de dire qu'il fallait faire ce chemin de fer au meilleur marché possible, et que c'est pour cela qu'il préférait en confier la construction à l'industrie privée.
Ici M. le ministre des travaux publics se trouve un peu en communauté de principes et de vues avec l'honorable représentant de Nivelles, et je m'en étonne ; je croyais à M. le ministre des travaux publics un esprit plus pratique.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Le système que j'ai défendu est pratique aux Etats-Unis.
M. Rogier. - Je n'ai pas voyagé aux Etats-Unis ; mes connaissances techniques d'ingénieur sont très faibles ; mais cela n'empêche pas que je trouve vos théories peu soutenantes et peu pratiques.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Discutons-les ; et nous verrons.
M. Rogier. - Oh ! j'en ai assez de ces discussions-là. Donc, M. le ministre des travaux publics veut que ce chemin de fer s'exécute au meilleur marché possible.
Ici je distingue.
Il ne s'agit pas seulement de chercher le bon marché dans l'exécution d'un chemin de fer, il s'agit avant tout de s'assurer de la bonne qualité de l'instrument ; il s'agit de faire un bon chemin de fer avant de faire un chemin de fer à bon marché.
Or, que font les sociétés particulières ? Elles construisent au meilleur marché possible sans s'inquiéter du reste.
Je ne veux pas avoir le chemin au meilleur marché possible. Je veux avoir le chemin de fer le meilleur possible, où l'on puisse le mieux marcher. Voilà comment il nous faut des chemins de fer. C'est là une différence énorme entre les deux systèmes.
On nous dit, c'est encore l'honorable ingénieur, représentant de Nivelles, qui nous dit cela, on nous dit que les sociétés particulières marchent admirablement, qu'elles exploitent à meilleur compte que le gouvernement. Mais oui, quand elles ont fini d'exploiter le bon public-actionnaires et qu'elles se mettent à exploiter le public voyageur, elles exploitent au meilleur marché possible pour elles-mêmes, c'est-à-dire, le plus mal possible ; elles ne s'inquiètent pas le moins du monde des avantages, des commodités et des facilités qu'elles doivent procurer au commerce et aux voyageurs ; ce qu'elles cherchent, c'est de gagner le plus d'argent possible en faisant le moins de dépense possible.
Lorsque vous comparez l'exploitation du chemin de fer de l'Etat à celle des chemins de fer concédés, vous voyez que la première est de beaucoup supérieure à la seconde, parce que l'Etat ne doit avoir encore une fois qu'un but à poursuivre, celui de desservir le mieux possible les intérêts du commerce, de l'industrie et des voyageurs en général, tandis que le seul but des sociétés particulières est tout simplement et tout brutalement de gagner le plus d'argent possible. Elles n'ont pas d'autre but que cela : ce ne sont pas des associations philanthropiques disposées à se préoccuper du bien-être d'autrui ; elles n'ont pas charge des intérêts publics comme l'Etat.
(page 1699) Je reconnais sans difficulté que l'exploitation des lignes concédée se fait avec le moins de dépenses, le moins de sacrifices possible par les sociétés. Pour beaucoup d'entre elles la première exploitation, la principale, c'est celle des actionnaires et quand, par une circonstance ou l'autre, l'argent manque pour entretenir convenablement la route et le matériel, c'est le pauvre voyageur qui en souffre et à qui on impose un service incommode et incomplet au tarif le plus élevé qu'on peut lui appliquer.
Voila pourquoi je m'oppose énergiquement à la continuation du système qui consiste non pas seulement à concéder purement et simplement les chemins de fer, mais à les concéder avec prime. Si le chemin de fer est bon en lui-même, il n'a pas besoin de prime ; si le chemin de fer est mauvais, on ne doit pas encourager a le construire ; si enfin le chemin de fer a un caractère d'utilité générale, il faut, dans l'intérêt du pays, que le gouvernement en reste chargé.
M. le ministre des travaux publics a déclaré au Sénat que l'intention du gouvernement était de reprendre successivement tous les chemins de fer. Est-ce bien cela ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Si les offres sont acceptables.
M. Rogier. - Eh bien, si votre intention est de reprendre tous les chemins de fer, commencez dès maintenant l'application de votre système, n'allez pas livrer à des particuliers un chemin de fer que vous vous proposez de reprendre plus tard d'une manière probablement onéreuse, parce qu'on nous tendra toute espèce d'embûches pour obtenir de ce chemin de fer le plus haut prix possible.
Ainsi donc, au lieu de concéder ce chemin de fer, construisez-le vous-même : commencez l'application de votre système.
Messieurs, en ce qui concerne la reprise de tous les chemins de fer, je fais certaines réserves. Tout partisan que je suis de la construction et de l'exploitation des grands chemins de fer nationaux par l'Etat, je ne repousse pas les concessions de chemins de fer particuliers ou d'intérêt secondaire.
Je ne verrais même pas sans une espèce de défiance le monopole de tous les chemins de fer entre les mains de l'Etat ; il y a là un côté politique auquel des hommes prévoyants doivent songer.
Me résumant et me renfermant dans le projet lui-même, je demande à M. le ministre de ne pas tenir à cette espèce de réserve de la section centrale, « à défaut d'offres satisfaisantes. » Qu'entend-on d'ailleurs par ces mots ?
Si les offres des soumissionnaires sont insuffisantes, M. le ministre ne consentira pas, mais dans quelles conditions consentira-t-il ? Si au lieu de 250,000 fr. offerts, on se contente de 240,000 fr. ou de 230,000 fr., ces offres seront-elles jugées avantageuses pour l'Etat ?
On nous a dit que nous n'avions rien à craindre, que la concession sera mise en adjudication. Il se présenterait donc plusieurs concurrents et l’on espèrerait sans doute obtenir par ce moyen un abaissement considérable dans les conditions faites par le gouvernement. Eh bien, je ne crois pas qu’on atteigne ce but. A mon avis, il n’y aura pas deux concurrents sérieux pour l'adjudication. Il y aura peut-être des concurrents pour la forme, qui se seront mis d'accord à l'avance, mais en fait, ce chemin de fer avec sa prime de 250,000 fr. est destiné à un seul adjudicataire, qui peut-être est déjà connu.
Et si l'on veut se donner les apparences de faire une économie, on obtiendra facilement de l'adjudicataire qu'il abaisse ses prétentions de quelques mille francs. Supposez même qu'il descendra 200,000 francs, ce sera encore, pour un chemin de fer qui doit coûter 6,000,000 à 7,000,000, une fort jolie prime, qu'une rente pendant cinquante ans. J'engage M. le ministre des travaux publics à faire un autre usage des fonds de l'Etat en les appliquant au nouveau chemin de fer dont il s'agit de doter le pays. S'il veut l'exploiter, c'est une raison de plus pour qu'il le construise. Il évitera ainsi les embarras d'une négociation future avec les concessionnaires. S'il n'a pas d'engagement personnel vis-à-vis du concessionnaire futur, je l'engage beaucoup à se rallier à ma proposition. Elle est toute gouvernementale. Elle n'a rien d'antiministériel et je crois que l'honorable M. Wasseige peut, sans faire preuve d'une grande condescendance, se rallier à ma proposition. S'il ne s'y rallie pas, je voterai contre le projet de loi.
M. Sainctelette. - Je partage en principe l'opinion de l'honorable M. Rogier sur la question de construction. Je pense, contrairement à l'opinion de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, que l'Etat construit dans de meilleures conditions et à meilleur marché que les sociétés concessionnaires des entreprises particulières.
L'Etat fait, en tous cas, l'économie des primes données aux faiseurs d'affaires, et des bénéfices que l'on réalise par la voie de l'entreprise générale. De plus, quand des chefs de service capables et intelligents sont préposés à la construction en régie d'un chemin de fer et qu'ils procèdent par voie d'adjudications partielles, je crois que, eu égard aux conditions de solidité, le travail ne coûte guère plus en régie que par voie de concession.
Mais je reconnais avec M. le ministre des travaux publics que la question de construction est primée par la question d'exploitation ; et je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il verrait un inconvénient à modifier la rédaction de l'article premier dans les simples termes que voici : « Le gouvernement est autorisé à concéder la construction d'un chemin de fer, etc. »
M. Wasseige, ministre des travaux publics.- Je suis prêt à accepter cela.
M. Rogier. - C'est honteux de concéder la construction ; construisez vous-même.
M. Sainctelette. - Je voterai d'abord l'amendement de l'honorable M. Rogier. Mais s'il était rejeté par la Chambre, je demanderais qu'on adoptât la modification que je propose.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, je n'ai que deux mois à répondre à l'honorable M. Rogier.
Il paraît supposer que le concessionnaire est déjà connu et que l'affaire est déjà plus ou moins arrangée.
Eh bien, messieurs, je déclare positivement que plusieurs demandes me sont faites et que je n'ai voulu entendre les ouvertures d'aucun des demandeurs. Je leur ai dit à tous : Je vous attends à l'adjudication publique et je n'ai pas de communications à vous faire.
J'espère que cette déclaration satisfera l'honorable M. Rogier, qui a bien voulu me reconnaître, au moins, un caractère d'honnêteté.
Maintenant, messieurs, ce n'est pas une rente de 250,000 francs que nous voulons garantir ; ce chiffre n'est qu'un maximum. La rente, du reste, décroîtra rapidement et il est permis de compter qu'elle sera complètement éteinte au bout de quelques années.
M. Rogier. - On s'arrangera de manière à toucher le plus et le plus longtemps possible.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - J'ai prévu le cas et j'ai fait un amendement précisément pour ne pas être dupe des entrepreneurs de chemins de fer qui se permettraient d'exagérer les dépenses. J'ai, en effet, demandé l'insertion, dans la loi, d'un article nouveau qui serait ainsi conçu : « Les dépenses d'exploitation à déduire du produit brut, pour établir le produit net, seront fixées à forfait par le cahier des charges de la concession. »
Je suis désireux de tenter l'expérience d'une adjudication publique ; mais si cette adjudication ne nous donne pas le chemin de fer à meilleur marché que nous ne pourrions le construire nous-mêmes, je viendrai demander franchement la somme nécessaire pour l'établir aux frais de l'Etat.
Je ne puis aller plus loin.
Je dois ajouter, messieurs, qu'il ne s'agit nullement d'une construction qui se ferait quand même au meilleur marché possible, comme paraît le redouter l'honorable M. Rogier ; la construction aura lieu sous la direction des agents de l'Etat qui surveilleront les entrepreneurs avec la même vigilance que s'ils surveillaient les ouvriers travaillant en régie, pour le compte du trésor.
Quant à l'amendement de M. Sainctelette, je suis tout prêt à m'y rallier. Il signifie, si j'en ai bien saisi la portée, que ce sera la construction seule qui pourra être concédée et que, dans tous les cas, l'exploitation sera faite par l'Etat.
M. Pery de Thozée, rapporteur. - Messieurs, je ne discuterai pas les avantages et les inconvénients de l'intervention de l'Etat ; je ne veux pas entrer aujourd'hui dans ce grave débat.
Mais, surtout après les observations que vient de présenter l'honorable M. Rogier, il peut être utile de compléter les renseignements sommaires qu'a donnés M. le ministre des travaux publics.
D'ailleurs, je serais désespéré que l'on pût croire que c'est sans éléments d'appréciation que la section centrale a ratifié le chiffre de 250,000 francs, inscrit dans le projet de loi dont l'examen lui était confié.
Si nous n'avons pas demandé des renseignements au gouvernement sur ce point, ce n'est pas seulement parce qu'il était nécessaire de déposer le rapport sans aucun délai, pour que le projet pût encore être discuté pendant cette session ; c'est surtout parce que les explications données par plusieurs membres de la section centrale ont paru nous éclairer suffisamment.
La question n'est pas nouvelle, messieurs. La concession d'un chemin de (page 1700) fer de Tirlemont à Diest, avec un droit de préférence éventuel pour la continuation de cette ligne jusqu'au camp de Beverloo, avait été accordée dès l'année 1864. D'après les statuts de la compagnie, qui a été déclarée déchue par un récent arrêté royal, les actions et les obligations que l'on se proposait d'émettre représentaient un capital effectif de 6,000,000 de francs environ. Et rien n'était compté pour le matériel ; car la compagnie avait fait un traité pour l'exploitation, avec la société de Tubize.
Cette somme de 6,000,000 de fr., pour la construction de la seule section de Tirlemont à Diest, était exagérée peut-être. Mais, d'après l'avis d'ingénieurs compétents, le coût kilométrique ne sera pas de moins de 160,000 francs, ou près de 5,000,000 pour les 30 kilomètres de cette section.
Cette partie de la ligne sera la plus coûteuse. Les terrains y atteindront un prix élevé ; les terrassements seront considérables, et les travaux d'art fort nombreux.
Tenant compte des facilités de la construction et de la faible valeur des terrains, on évalue la dépense à 100,000 francs par kilomètre, pour la section de Diest à Beverloo et Wechmael.
D'après ces évaluations, cette seconde section coûterait 5,000,000 de fr. environ ; la dépense totale serait donc de 7 à 8,000,000.
Pour le coût de la construction, lequel sert naturellement de point de départ pour fixer la garantie d'intérêt, on ne peut mieux comparer la section de Tirlemont à Beverloo qu'à la ligne de Hasselt à Maeseyck.
Or, une garantie annuelle de (erratum, page 1741) 1500,000 francs, ou près de 4,000 francs par kilomètre, est accordée à cette dernière ligne, d'une longueur de 38 kilomètres.
En acceptant la même base pour la section de Tirlemont à Diest, il y aurait lieu de majorer le chiffre de 4,000 francs de 60 p. c, pour tenir compte de la différence dans le coût de la construction, et d'appliquer une garantie kilométrique de 6,400 francs.
Dans ces conditions, la garantie totale serait de plus de 300,000 francs pour les 60 à 65 kilomètres de notre ligne.
Ce chiffre représente un revenu kilométrique de 5,000 francs, tandis que la garantie maximum, que le gouvernement octroierait, serait de 4,000 francs à peine par kilomètre, c'est-à-dire la même que pour la ligne de Hasselt-Maeseyck.
En résumé, messieurs, la Chambre peut voter la garantie de 250,000 francs, sans craindre de tomber dans une exagération et même avec l'espoir fondé que les revenus de l'entreprise seront assez élevés, pour qu'il ne soit pas fait appel, longtemps du moins, à l'intervention du trésor public.
D'après les rapprochements sur lesquels je viens d'avoir l'honneur d'appeler votre attention, il ne doit rester qu'une crainte, semble-t-il, c'est qu'il ne se présente pas de concessionnaire qui accepte les conditions dans lesquelles un appel public sera fait à la concurrence. C'est pour ce motif, messieurs, que la section centrale a cru devoir vous proposer d'autoriser le gouvernement à construire, aux frais de l'Etat, un chemin de fer dont l'exposé des motifs et les rapports de la section centrale font connaître l'importance, sans rien exagérer, quoi que l'on ait paru dire.
En terminant, je me joins à nos honorables collègues des arrondissements que traverse cette voie ferrée, et à vous tous, messieurs, je crois pouvoir le dire, après les déclarations faites par les honorables préopinants, pour exprimer le vœu que ce travail d'utilité publique soit inauguré dans le plus bref délai possible.
- La clôture est demandée.
M. Demeur. - Je veux seulement appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur un point qui n'a pas encore été touché dans le débat. Si la clôture était prononcée, je présenterais mon observation dans la discussion de l'article 4 ; mais il me paraît préférable de la présenter dès à présent.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Demeur. - Messieurs, le chemin de fer de Tirlemont à Diest a déjà fait l'objet d'une convention, un cautionnement avait été déposé et un arrêté royal a prononcé la confiscation de ce cautionnement.
Dans le projet de loi, il y a un article qui autorise le gouvernement à restituer le cautionnement de 200,000 francs.
Je ne veux pas dire d'une manière absolue que l'Etat ne doit jamais restituer les cautionnements confisqués, mais je crois qu'il est désirable en principe que le cautionnement reste la propriété de l'Etat, lorsque le concessionnaire, n'a pas rempli ses engagements ; sinon il vaudrait tout autant ne plus en exiger.
Dans la pratique, les compagnies considèrent le dépôt d'un cautionnement comme une simple formalité.
Pourquoi ?
Parce que, quand les engagements ne sont pas remplis, on leur restitue le cautionnement. C'est pour ainsi dire un fait constant.
Je crois que nous devons réagir contre cette pratique et j'ai réclamé la parole uniquement pour demander à M. le ministre des travaux publics les raisons particulières qui, dans l'espèce, légitiment la restitution aux anciens propriétaires d'une somme qui est dès maintenant acquise à l'Etat.
M. Thonissen. - Messieurs, on place les représentants des localités intéressées dans une position passablement embarrassante.
L'honorable M. Rogier demande que le chemin de fer soit construit et exploité par l'Etat. Evidemment, nous ne demandons pas mieux, de notre côté. Dès l'instant que le chemin de fer sera construit dans de bonnes conditions, nous sommes satisfaits.
Mais l'honorable membre ajoute que, si son amendement n'est pas admis, il votera contre le chemin de fer. Ici je crois qu'il a tort, et il me permettra de le lui démontrer.
Il est trop bon patriote pour ne pas revenir sur sa détermination si, comme je l'espère, je réussis à lui démontrer qu'il est allé trop loin.
Il y a, entre la proposition faite par l'honorable M. Rogier et le système présenté par l'honorable ministre des travaux publics, une bien faible distance.
L'honorable M. Rogier demande que l'Etat construise et exploite le chemin de fer.
Mais l'honorable ministre des travaux publics ne déclare pas que l'Etat se refuse à construire lui-même le chemin de fer. Il commence par dire que l'Etat exploitera, et il ne dit pas que l'Etat ne construira pas. Il déclare uniquement qu'il y aura adjudication publique et que si, par suite de cette adjudication, il est démontré que l'Etat a intérêt à faire construire la voie par une compagnie, il adoptera ce mode de construction. C'est donc une simple question d'intérêt pécuniaire, une simple question d'économie.
J'espère, en conséquence, que l'honorable M. Rogier, si son amendement est écarté, n'en votera pas moins en faveur du projet du gouvernement.
En ce qui me concerne, j'étais disposé, je le déclare, à me rallier à l'amendement de l'honorable membre. Mais le gouvernement repousse cet amendement. Il n'en veut à aucun prix, et dès lors, s'il refuse sa sanction à la loi que nous allons voter, nous n'obtiendrons pas une voie de communication dont les localités que nous représentons ont un besoin immense.
Placé ainsi entre un système qui m'est sympathique et le danger auquel m'expose la résistance du gouvernement, je ne puis que m'abstenir.
Il va de soi que mon vote sera acquis à l'ensemble de la loi.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je dois déclarer qu'en principe je partage la manière de voir de l'honorable M. Demeur ; je suis d'avis que le dépôt d'un cautionnement n'est aujourd'hui qu'une formalité et qu’il serait temps d'en faire une chose sérieuse.
Cependant, je dois dire que le cautionnement dont il s'agit remonte à 1864, alors que les errements étaient différents de ce qu'ils sont devenus plus tard. Le concessionnaire qui l'a déposé de bonne foi n'a pas trouvé de capitaux et cela se comprend, puisque nous avons été obligés de recourir à la garantie d'un minimum d'intérêt pour assurer l’établissement du chemin.
Je crois que dans ces conditions, et eu égard aux circonstances, nous devons restituer le cautionnement, mais je suis bien décidé à me montrer plus sévère dans l'avenir. Chaque fois que la restitution d'un cautionnement ne sera pas réclamée pour des raisons péremptoires, je repousserai la demande.
- Voix nombreuses. - La clôture !
- La clôture est prononcée.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à concéder, aux clauses et conditions ordinaires, la construction d'un chemin de fer de Tirlemont par Diest au camp de Beverloo avec raccordement au chemin de fer en exploitation de Hasselt à Eyndhoven, soit à la station de Wychmael, soit à celle d'Exel, soit en un point intermédiaire. »
M. Rogier propose de remplacer cet article par le suivant :
« Le gouvernement est autorisé à construire aux frais de l'Etat un chemin de fer de Tirlemont par Diest au camp de Beverloo avec raccordement au chemin de fer de Hasselt à Eyndhoven, soit à la station de Wychmael, soit à celle d'Exel, soit en un point intermédiaire.
« Un premier crédit de 1,000,000 de francs est mis à la disposition du gouvernement. »
Je mets aux voix l'amendement de M. Rogier.
- Voix à gauche : L'appel nominal !
(page 1701) II est procédé à rappel nominal.
76 membres y prennent part.
42 répondent non.
31 répondent oui.
3 s'abstiennent. En conséquence, l'amendement de M. Rogier n'est pas adopté.
Ont répondu non :
MM. Balisaux, Coomans, Coremans, de Baets, de Borchgrave, de Clercq, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Lexhy, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Reynaert, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Vermeire, Verwilghen, Léon Visart et Wasseige.
Ont répondu oui :
MM. Allard, Anspach, Bara, Beeckman, Biebuyck, Boulenger, Crombez, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, Elias, Funck, Hagemans, Mouton, Muller, Orts, Puissant, Rogier, Sainctelette, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van
Overloop, Amédée Visart, Vleminckx et Thibaut. Se sont abstenus : MM. Wouters, Schollaert et Thonissen.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Wouters. - Je me suis abstenu par les considérations développées tout à l'heure par l'honorable M. Thonissen.
M. Schollaert. - Je me suis abstenu pour les mûmes motifs.
M. Thonissen. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai indiqués tout à l'heure à la Chambre.
M. le président. - Je mets aux voix l'article premier tel qu'il a été amendé par M. Sainctelette.
- L'article premier ainsi amendé est adopté.
« Art. 2. La concession de ce chemin de fer sera accordée, moyennant une garantie d'intérêt, pendant les cinquante premières années de la concession, à la suite d'un appel public à la concurrence, d'après un tracé dressé préalablement par les agents de l'Etat et arrêté par le ministre des travaux publics, en faisant porter le rabais sur le montant de cette garantie dont le maximum est fixé à 250,000 francs. »
M. Demeur. - Je dois dire que je ne me rends pas bien compte de ce que devient cette disposition après le vote de l'article premier amendé ; je ne comprends plus la combinaison des articles 1 et 2.
D'après le projet primitif, le gouvernement était autorisé à concéder le chemin de fer et à garantir, aux termes de l'article 2, un minimum de revenu net d'exploitation. Le projet primitif supposait donc la concession tout à la fois de la construction et de l'exploitation. Mais la Chambre vient de décider, par son vote sur l'article premer, que le gouvernement n'est plus autorisé à concéder que l'exploitation. (Interruption.) Permettez, M. Julliot, vous m'interrompez sans comprendre ce que je dis.
Je répète que le gouvernement n'est plus autorisé à concéder que la construction ; dès lors, comment appliquerez-vous l'article 2 ?
M. Muller. - Et l'article 3 ?
M. Demeur. - L'article 3 a été modifié par M. le ministre des travaux publics. Mais je m'occupe seulement de l'article 2. Si je comprends bien la pensée de l'article 2, il avait originairement pour but de garantir un revenu de 250,000 francs du chef de l'exploitation.
Or, puisque vous venez de décider que c'est l'Etat qui exploitera, que la construction seule sera concédée, j'avoue ne plus comprendre l'article 2 dans les termes où il est conçu.
M. Jacobs, ministre des finances. - Il n'y a pas de difficulté possible quant à l'article 2. Que dit cet article ? II dit que le gouvernement interviendra au moyen d'une somme annuelle de 250,000 francs au maximum. C'est dire : Nous payerons la construction au moyen d'une rente annuelle de 250,000 francs au maximum.
On arme toujours a ce résultat, mais tantôt directement, tantôt par un détour.
Un contrat d'exploitation peut se greffer sur le contrat de construction. Pour déterminer dans quelle mesure le constructeur touchera les 250,000 francs, ou fixe de commun accord avec le concessionnaire les frais d'exploitation et l'on établit le produit net qui doit être complété, le cas échéant, jusqu'à concurrence du minimum garanti.
Par suite de l'amendement introduit à l'article premier, on pourrait modifier ou supprimer les articles 3 et 3bis ; mais l'article 2 doit être nécessairement maintenu.
L'Etat aura un entrepreneur de la construction du chemin de fer qu'il payera, non pas au moyen d'un capital, mais au moyen d'une rente pendant cinquante années. Voilà le système de l'article premier ; cet article se concilie parfaitement avec l'article 2.
M. Demeur. - Malgré les observations de M. le ministre des finances, le raisonnement que je faisais tout à l'heure reste debout.
Aux termes du premier projet, le produit net de l'exploitation venait diminuer la garantie de l'Etat. Si la compagnie faisait 200,000 francs de recette, le gouvernement n'avait à payer que 50,000 francs.
Il n'en est plus de même maintenant. Vous avez à payer à la compagnie la garantie de 250,000 francs purement et simplement, alors que l'exploitation se fait par l'Etat.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable membre ne comprend pas qu'on puisse rémunérer la construction au moyen d'une partie des produits du chemin de fer. C'est cependant ce qui a eu lieu, pour n'en citer qu'un exemple, pour la ligne de Braine-le-Comte à Gand ; l'Etat exploite et les bénéfices se partagent entre l'Etat et la compagnie. Il en sera de même ici ; la construction sera rémunérée au moyen des produits de l'exploitation.
M. Sainctelette. - Messieurs, je voulais faire les mêmes observations que M. le ministre des finances. La clause de la garantie d'intérêt est parfaitement compatible avec l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre. Pour s'en convaincre, il suffit de se rendre compte des deux combinaisons.
Dans la combinaison pratiquée jusqu'à ce jour, le concessionnaire exploite. Il encaisse toute la recette brute, prélève les frais d'exploitation, retient le reste à titre d'à-compte sur le profit net garanti et reçoit le solde du trésor public.
Dans la seconde combinaison, l'Etat exploite, encaisse toute la recette brute, aussi bien la partie qui constitue le profit net que la partie qui couvre les frais d'exploitation. Il paye tout le profit net promis.
Les déboursés sont les mêmes dans les deux hypothèses. Seulement, dans la seconde il y a recette pour ordre de la somme qui, dans la première, est directement perçue par le concessionnaire.
Le résultat final de l'opération est le même. Il n'y a de diversité que dans le mode de rédaction des écritures.
M. Demeur. - Je demande qu'on en fasse une faculté pour le gouvernement ; qu'on substitue dans l'article, au mot « sera », les mots « pourra être ».
- Le gouvernement déclare se rallier à cet amendement.
L'article 2, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - L'article 3 nouveau que j'ai proposé, doit venir immédiatement après l'article 2.
M. Pery de Thozée, rapporteur. - Alors l'article 3 ancien deviendra l'article 4.
En effet, l'article 3 nouveau est ainsi conçu :
« Les dépenses d'exploitation à déduire du produit brut, pour établir le produit net, seront fixées à forfait par le cahier des charges de la concession. »
Cet amendement n'a de valeur que si l'article 3 du projet est maintenu.
- La discussion est ouverte.
M. Sainctelette. - L'Etat retenant l'exploitation, l'article 3bis ne me paraît plus avoir d'utilité. Autant l'on conçoit, lorsque le concessionnaire exploite, que l'Etat, pour faciliter son contrôle et prévenir les fraudes, stipule que les frais d'exploitation ne pourront dépasser tel ou tel taux, autant il serait absurde, lorsque l'Etat exploite, de limiter le taux du prélèvement qu'il fera pour se rembourser de sa dépense. Il faut que ce prélèvement soit toujours égal à la dépense effective. La compagnie n'a point à craindre de fraudes de la part de l'Etat,
Celui-ci retiendra donc toujours sur la recette brute les frais d'exploitation, quels qu'ils soient, après l'expiration de l'époque de garantie comme pendant cette époque. Le concessionnaire n'aura droit qu'au profit net, tel qu'il résultera des écritures de l'Etat et sauf, bien entendu, l'application de la garantie, s'il y a lieu.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, les articles 3 et 3bis ont été rédigés dans l'hypothèse de l'exploitation par la compagnie ; dans l'hypothèse qui vient d'être admise par la Chambre, ces deux articles doivent disparaître.
M. le président. - Nous passons à l'article 4, les articles 3 et 3bis (page 1702) tombent, par suite de l'adoption d'un amendement à l'article premier.
M. le président. – Cet article est ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à restituer à cautionnement de deux cent mille francs qui avait été déposé à titre de garantie de la concession d'un chemin de fer de Tirlemont à Diest, octroyée, en exécution de la loi du 24 juin 1853, par arrêté royal du 13 février 1864.
« Cette restitution ne pourra toutefois être effectuée qu'après la concession du chemin de fer de Tirlemont, par Diest, au camp de Beverloo, avec son raccordement à la ligne de Hasselt, vers Eyndhoven, mentionnée à l'article premier de la présente loi, aura été définitivement octroyée. »
A cet article, la section centrale propose un amendement ainsi conçu :
« Cette restitution ne pourra toutefois être effectuée qu'après le complet achèvement du chemin de fer de Tirlemont, par Diest, au camp de Beverloo, avec son raccordement à la ligne de Hasselt vers Eyndlhoven. »
M. le ministre se rallie-t-il à cet amendement ?
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Non, M. le président.
M. Muller. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour soumettre à la Chambre une hypothèse qui peut se présenter : c'est celle où le gouvernement ne trouverait pas de concessionnaire et exécuterait lui-même le chemin de fer ; dans ce cas il résulterait de la rédaction du second paragraphe de l'article 4 que le gouvernement ne serait pas autorisé à restituer le cautionnement.
Il y aurait donc lieu, me semble-t-il, d'apporter une modification à la rédaction de ce paragraphe.
M. Demeur. - J'ai une observation à présenter dans le même ordre d'idées, M. le ministre des travaux publics pourra y répondre en même temps.
Messieurs, lorsque ce cautionnement a été confisqué pour inexécution des travaux, la restitution s'en fait en thèse générale en cas de nouvelle concession parce que la restitution de ce cautionnement est un moyen pour l'Etat de trouver un nouveau concessionnaire.
Il se fait des arrangements entre les concessionnaires dont le cautionnement a été confisqué et le nouveau concessionnaire.
'Dans le système du gouvernement, la restitution peut avoir lieu immédiatement après une nouvelle concession, de telle sorte que si le nouveau concessionnaire ne remplit pas ses engagements, le cautionnement aura néanmoins été restitué.
Le système de la section centrale me paraît beaucoup plus rationnel. Il sauvegarde bien davantage les intérêts de l'Etat. Il s'agit ici d'une somme qui appartient à l'Etat, que l'Etat n'est pas tenu de restituer.
La restitution ne s'explique aujourd'hui que parce que dans la pratique, comme le disait M. le ministre des travaux publics, l'Etat n'a pas considéré comme sérieux les cautionnements des concessionnaires. Mais si l'Etat fait cette restitution, il faut qu'il y trouve au moins un avantage certain et cet avantage n'existe réellement que si, comme le propose la section centrale, le cautionnement n'est restitué qu'après l'achèvement du chemin de fer.
Dans ces conditions, je comprends que l'Etat restitue le cautionnement, niais dans le système du gouvernement, l'avantage pour l'Etat est tellement peu important, que l'opération se réduit à un véritable cadeau pour l'ancien concessionnaire.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je réponds d'abord à l'honorable M. Demeur pour justifier le maintien de la rédaction du gouvernement.
Le système du gouvernement est qu'il faut un cautionnement et non deux. Le premier cautionnement ne donne aucune garantie ; quand le deuxième est fait, le conserver ce serait infliger une peine au premier concessionnaire.
Que veut l'Etat ? Que certain capital donné en nantissement assure l'exécution d'un travail concédé. Mais ce capital versé par le concessionnaire nouveau, le premier cautionnement ne sert plus de garantie pour la construction de la ligne. Il est donc rationnel qu'on le restitue et qu'on n'attende pas, pour le rendre, que la ligne soit achevée.
De deux choses l'une : ou le cautionnement doit être confisqué, et je comprends le système de l'honorable M. Demeur pour empêcher que l'on vienne demander trop légèrement des concessions. Mais du moment qu'il est convenu qu'on remboursera le cautionnement, je ne vois aucune bonne raison pour qu'on ne le fasse pas, après qu'un nouveau concessionnaire a été accepté et a fourni à son tour une garantie nouvelle.
Quant à l'observation de l'honorable M. Muller, je trouve qu'elle est fondée. D'après le texte du projet, le premier cautionnement ne doit être remboursé que lorsqu'il y aura un nouveau cautionnement versé. Or, si c’est l’Etat qui construit, il n’y a pas de nouveau cautionnement et il n’y a plus obligation de restituer l’ancien. Si donc le gouvernement est appelé à construire lui-même, lorsqu’il demandera le premier crédit qui lui sera indispensable, il soumettra la question à la législature et celle-ci prononcera.
M. Pery de Thozée, rapporteur. – La section centrale s'est placée à un autre point de vue. Elle a considéré que la société concessionnaire, en ne donnant pas suite à l'entreprise garantie par le cautionnement, était cause d'un préjudice pour la chose publique, et qu'aussi longtemps que ce dommage n'était pas réparé par la construction de la ligne, soit par un autre concessionnaire, soit par le gouvernement, il n'y avait aucun motif de restituer le cautionnement.
Le gouvernement peut, en réalité, dire à l'ancien concessionnaire : Vous n'avez pas rempli vos engagements ; un autre ne vient pas construire le travail d'utilité publique dont vous vous étiez chargé ; nous conservons dès lors votre cautionnement.
- La discussion est close.
Le paragraphe premier de l'article 4 est adopté.
Le paragraphe 2, proposé par la section centrale, est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Le paragraphe 2, proposé par le gouvernement, est adopté.
M. le président. - Il y a un article 5 proposé par la section centrale. Le gouvernement a déclaré s'y rallier.
« Art. 5. A défaut d'offres satisfaisantes, le gouvernement est autorisé a construire, aux frais de l'Etat, le chemin de fer décrit à l'article premier de la présente loi. »
- Adopté.
M. le président. - La Chambre veut-elle passer immédiatement au vote définitif du projet ? (Oui ! oui !)
M. Schollaert. - Si la Chambre ne remet pas à un autre jour, ce que je désire moi-même, il faudra que la rédaction de l'article 4 soit changée. Comme l'a dit l'honorable M. Muller, l'article ne prévoit pas le cas où l'Etat construirait lui-même ; il est absolument nécessaire de rendre la restitution exigible dans cette hypothèse comme dans le cas actuellement prévu par l'article 4.
Le dernier paragraphe de l'article 4 porte :
« Cette restitution ne pourra toutefois être effectuée, qu'après le complet achèvement du chemin de fer de Tirlemont, par Diest, au camp de Beverloo, avec son raccordement à la ligne de Hasselt vers Eyndhoven » Il faudrait ajouter : « ou bien après que le gouvernement aura entrepris lui-même la construction. »
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, nous consentons à suivre les errements précédents, d'après lesquels toutes les fois qu'un concessionnaire nouveau constitue un cautionnement nouveau, l'ancien cautionnement est restitué. Mais le cas de restitution ne s'est pas encore présenté dans le cas où le gouvernement lui-même exécute la ligne aux lieu et place du concessionnaire déchu.
Dans ce cas, il serait légitime que le gouvernement, obligé de construire le chemin de fer à grands frais, conservât le cautionnement.
Nous ne tranchons pas cette question ; si le cas se présente, si aucun concessionnaire n'est admis, en demandant à la Chambre le premier crédit pour la construction du chemin par l'Etat, nous lui ferons, au sujet du cautionnement, la proposition qui nous paraîtra devoir être faite.
- La Chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.
Les amendements admis au premier vote sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet qui est adopté par 62 voix contre 14.
Ont voté l'adoption :
MM. Wouters, Balisaux, Beeckman, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Coomans, Coremans, David, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Elias, Gerrits, Hayez, Hérault, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Maller, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Puissant, Reynaert, Sainctelette, Schollaert, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Léon Visart, Wasseige et Thibaut.
(page 1703) Ont voté le rejet ;
MM. Allard, Anspach, Bara, Crombez, de Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius, Funck, Le Hardy de Beaulieu, Mouton, Rogier, Amédée Visart et Vleminckx.
M. le président. - Messieurs, la section centrale a été saisie de quelques pétitions. Elle propose de les renvoyer à M. le ministre des travaux publics.
- Ce renvoi est ordonné.
« Art. Ier. Il est ouvert au département des travaux publics des crédits spéciaux à concurrence de 248,430 fr. 66 c, pour solder des dépenses concernant les travaux énumérés ci-après, décrétés par, des lois antérieures :
« Paragraphe premier. Chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. - Solde de créances litigieuses : fr. 85,000. »
« Paragraphe 2. Reconstruction des parties écroulées des musoirs du chenal de l'écluse maritime, à Anvers. Travaux supplémentaires : fr. 137,400.
« Paragraphe 3. Approfondissement de la Sambre. - Solde d'une créance litigieuse : fr. 5,775 76.
« Paragraphe 4. Construction de deux embarcadères au quai des bateaux à vapeur, à Ostende. Dépense complémentaire : fr. 20,254 90.
« Total ; fr. 248,430 68. »
- Adopté.
« Art. 2. Ces crédits seront couverts au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1871. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa promulgation. »
M. le président. - Il faut remplacer, je pense, le mot « promulgation » par le mot « publication ».
- L'article, ainsi modifié, est adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble.
66 membres y prennent part.
Tous répondent oui.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Wouters, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Beeckman, Berge, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Brasseur, Coomans, Coremans, Crombez, David, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Macar, Demeur, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Elias, Funck, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Magherman, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Reynaert, Sainctelette, Tack, Thienpont, Thonissen, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige et Thibaut.
Personne ne demandant la parole, la discussion générale est close et l'assemblée passe aux articles.
« Art. 1er. Des dépenses se rapportant à des exercices clos (1869 et antérieurs) pourront être imputées à charge du budget des travaux publics pour l'exercice 1870, jusqu'à concurrence de 85,496 fr. 64 c, et y formeront un chapitre X, subdivisé comme suit :
« Paragraphe premier. Administration centrale.
« Art. 91. Matériel. Impressions (exercice 1869) ; fr. 905 40
« Art. 92. Honoraires des avocats (exercice 1869) : fr. 1,926 15
« Paragraphe 2. Ponts et chaussées
« Routes
« Art. 93. Entretien ordinaire (exercice 1868) : fr. 1,032 52.
« Canaux et rivières
« Art. 4. Entretien ordinaire
« Exercice 1868 : fr. 139 51
« Exercice 1869 : fr. 2.102 95.
« Travaux d’amélioration
« Art. 95. Dyle et Demer (exercice 1869) : fr. 4,210 52µ
« Art. 96 : Yser (exercice 1869) : fr. 200 47.
« Ports et côtes
« Art. 97 : Entretien ordinaire (exercice 1869) : fr. 27,633 08
« Travaux d'amélioration :
« Art. 98. Port de Nieuport (exercice 1868) : fr. 375 92
« Art. 99. Côte de Blankenberghe (exercice 1869) : fr. 1,887 68.
« Frais d’études et d’adjudication
« Art. 100. Etude de projets ; impressions, etc. (exercice 1869) : fr. 4,829 90.
« Personnel des ponts et chaussées
« Art. 101. Frais de déplacements (exercice 1869) : fr. 46.
« Paragraphe 3. Chemins de fer, postes et télégraphes
« Art. 102. Voies et travaux : entretien (exercices 1861 à 1869) : fr. 4,257 87.
« Art. 103. Transports : pertes et avaries (exercices 1867 à 1869) : fr. 23,000.
« Art. 104. Postes : matériel (exercice 1869) : fr. 400.
« Art. 105. Télégraphes : salaires ( exercice 1869) : fr. 1,447 50.
« Art. 106. Télégraphes : entretien (exercice 1869) : fr. 116 44.
« Art. 107. Services en général : salaires (exercice 1869) : fr. 45.
« Paragraphe 4. Traitement de disponibilité
« Art. 108. Traitements de fonctionnaires et d'agents en disponibilité.(exercice 1869) : fr. 11,569 57.
« Paragraphe 5. Dépenses imprévues
« Art. 109. Dépense non prévue au budget (exercice 1869) : fr. 21 50.
« Total de l’article premier : fr. 85,490 64. »
- Adopté.
« Art. 2. Des crédits supplémentaires, à concurrence de 315,980 fr. 31 c, sont alloues au département des travaux publics pour couvrir les insuffisances que présentent certaines allocations du budget de 1870 ; ils sa répartissent comme suit entre les divers articles de ce budget auxquels ils sont rattachés :
« Chapitre premier. Administration centrale.
« Art. 4. Salaires des gens de service : fr. 10,477 02.
« Art. 5. Matériel: fr. 2,656 46
« Art. 6. Honoraires des avocats : fr. 6,546
« Chapitre II. Ponts et chaussées.
« Routes.
« Art. 7. Travaux en dehors des baux d'entretien : fr. 42,000.
« Bâtiments civils.
« Art. 9. Entretien et réparation des hôtels : fr. 6,000.
« Art. 11. Reconstruction et appropriation d'une partie des bâtiments de l'hôtel du gouvernement provincial, à Bruges : fr. 4,900.
(page 1704) « Canaux et rivières
« Travaux d’amélioration
« Art. 20. Canal d'embranchement vers Turnhout : fr. 1,555.
« Art. 21. Sambre canalisée : fr. 7,076 81
« Art. 27. Canal de dérivation de la Lys : fr. 5,793 18
« Art. 28. Canal de Gand à Ostende : fr. 1,657 81
« Art. 35. Dyle et Demer : fr. 3,943 54
« Ports et côtes
« Travaux d'amélioration :
« Art. 40. Port d'Ostende : fr. 200.
« Art. 41. Côtes : fr. 5,329 »
« Frais d'études et d'adjudication.
« Art. 43. Etudes de projets, frais d'impressions, etc.. : fr. 1,500 »
« Chapitre IV. - Chemins de feu, postes, télégraphes.
« Traction et matériel.
« Art. 60. Salaires des agents payés à la journée ou par mois : fr. 1,197 86
« Transports.
« Art. 65. Salaires des agents payés à la journée ou par mois : fr. 17,178 59
« Art. 67. Camionnage : fr. 82,000.
« Art. 68. Pertes et avaries : fr. 40,000.
« Postes.
« Art. 71. Traitements et indemnités des facteurs, etc. : fr. 18,843 41
« Art. 72. Indemnité à payer éventuellement à la compagnie concessionnaire de la ligne des paquebots belges sur le Brésil. et la Plata, pour compléter jusqu'à concurrence de 250,000 francs le produit des taxes maritimes des correspondances transportées par le service : fr. 38,519 03.
« Télégraphes.
« Art. 76. Salaires des agents payés à la journée ou par mois : fr. 10,816 40.
« Art. 77. Entretien : fr. 4,409.
« Services en général.
« Art. 79. Salaires des agents payés à la journée ou par mois : fr. 2,794 25.
« Total de l'article2 : fr. 315,980 34. »
- Adopté.
« Art. 3. Ces crédits seront couverts au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1870. »
- Adopté.
M. le président. - Avant de passer à l'appel nominal, je propose à la Chambre de fixer ainsi qu'il suit son ordre du jour de demain :
1° Crédit supplémentaire de 3,250,000 francs au département de la guerre ;
2» Crédit spécial de 450,000 francs au département de la guerre pour l'installation de l'académie militaire à la Cambre ;
3° Crédit complémentaire de 205,000 francs au département des travaux publics ;
4° Crédit de 1,100,000 francs au département des travaux publics ;
5° Garantie d'un minimum de produit postal pour la ligne de paquebots-poste entre Anvers et New-York ;
6° Pensions militaires ;
7° Pension à la veuve du général Niellon ;
8° Feuilleton de naturalisation ordinaire ;
9° Crédits spéciaux, à concurrence de 22,000,000 de francs, pour exécution de travaux publics ; emprunt de 50,000,000 de francs.
M. Delaet. - Messieurs, dans la séance de samedi dernier, on a proposé d'ajourner le projet de loi concernant le transfert de l'école militaire à la Cambre. M. le ministre des finances s'est levé alors pour demander que la Chambre entendît d'abord les explications de M. le ministre de la guerre sur cette affaire. Le projet de loi soulève une foule de questions de fait et de principe que nous pourrions, à mon avis, discuter plus utilement à la session prochaine qu'il n'est possible à la Chambre de le faire à présent. Comme l'honorable ministre de la guerre n'est pas à son banc, je crois qu'on pourrait faire figurer le projet de loi comme dernier objet à l'ordre du jour, et alors la Chambre aviserait, après avoir entendu les explications de M. le ministre de la guerre.
- La Chambre, consultée, fixe son ordre du jour de demain vendredi, comme l'a proposé M. le président.
M. le président. - M. de Vrints demande un congé de quelques jours.
S'il n'y a pas d'opposition, le congé est accordé.
Nous passons maintenant à l'appel nominal sur le projet de loi dont la Chambre a voté en dernier lieu les articles.
- L'appel nominal constate la présence de 61 membres.
La Chambre n'est plus en nombre.
La séance est levée à 5 heures et un quart.