(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)
(page 1661) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Bailly prie la Chambre de réviser le tarif des actes des huissiers. »
M. Lelièvre. - J'appuie tout particulièrement la pétition, qui est parfaitement fondée, et vu son caractère d'urgence, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission avec prière de faire un prompt rapport. Il est temps de faire droit à la légitime réclamation des huissiers.
- Adopté.
« La chambre de commerce d'Alost demande le maintien du tarif actuel des voyageurs appliqué aux longues distances sur le chemin de fer de l'Etat et l'application du prix réduit aux petites et aux moyennes distances. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.
« Des habitants de Denée appellent l'attention de la Chambre sur la pétition du conseil communal des Monts de Godinne, au sujet du pont à établir pour réunir le Condroz à l'Entre-Sambre-et-Meuse. »
« Même pétition d'habitants de Bioul et d'Annevoie-Rouillon. »
- Même décision.
« Des habitants de Bruges demandent que le gouvernement ne relève pas les tarifs des chemins de fer pour le transport des voyageurs. »
« Même demande d'habitants de Ghlin, Liège. »
- Même décision.
« Le sieur Samuel-Benjamin Korpes, courtier à Anvers, né à Amsterdam, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi à M. la ministre de la justice.
« Par messages en date du 10 juillet, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :
« 1° Contenant le budget des travaux publics pour 1871 ;
« 2° Qui proroge la loi du 7 juillet 1865, relative aux étrangers. »
- Pris pour notification.
‘ M. Vleminckx, chargé de présider les examens en médecine à Liège et à Louvain, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
« M. Jottrand, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quatre jours. »
- Accordé.
« M. Van Hoorde, obligé de s'absenter, demande un congé de deux jours. »
- Accordé.
« M. de Kerckhove, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - Messieurs, j'ai reçu de M. le président du Sénat une lettre dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture.
« Bruxelles, le 8 juillet 1871.
« Monsieur le président,
« La questure du Sénat ayant pris connaissance du rapport fait au nom de la section centrale de la Chambré des représentants par M. Delaet, sur le projet de loi allouant des crédits spéciaux à concurrence de 22,000,000 de francs, a remarqué que ce rapport contient cette assertion, que le projet destiné à l'agrandissement des locaux occupés par le Sénat n'a pu être approuvé par le bureau et la questure du Sénat qui seraient d'avis de le modifier profondément. Cette assertion contient une erreur ; elle a trait à un projet primitif qui, en effet, ne répondait pas aux exigences du service du Sénat ; mais le plan a été modifié depuis, et celui soumis à la section centrale et qui a remplacé le plan primitif atteint parfaitement le but que nous nous proposons d'obtenir et a reçu notre complet assentiment.
« La section centrale fait donc des réserves au sujet du projet dont il s'agit et demande qu'il ne soit fait, dans la rue de Louvain, d'autres expropriations que celles rigoureusement nécessaires pour l'agrandissement de divers ministères et le développement des locaux du Sénat.
« Je crois devoir vous faire observer que ces expropriations, en ce qui concerne le Sénat, ne seraient pas suffisantes si elles se bornaient au déblaiement des terrains sur lesquels devront s'élever les constructions des locaux nécessaires au service du Sénat.
« Le Sénat a fait connaître qu'il désirait, en outre, l'établissement, du côté de la rue de Louvain, d'une cour ou place destinée aux voitures de MM. les sénateurs les jours de fête et de cérémonie publique, et on éviterait ainsi un encombrement qui présente aujourd'hui plus d'un inconvénient.
« C'est dans cet ordre d'idées que le dernier plan a été dressé et le Sénat désire vivement que, pour ce qui le concerne, il n'y soit apporté aucun changement, ainsi que semblaient l'indiquer les réserves du rapport de la section centrale.
« Veuillez agréer, M. le président, l'assurance de ma haute considération.
« Le président du Sénat,
« Prince de Ligne. »
M. Delaet. - Je demande le renvoi de la lettre de M. le président du Sénat à la section centrale qui s'est occupée du projet de loi sur les travaux publics.
M. Dumortier. - Je ferai observer à la Chambre que le dernier plan dont il est parlé dans la lettre de M. le président du Sénat n'a pas été communiqué à la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet de loi sur les travaux publics ; elle ignorait l'existence de ce plan, et c'est ce qui explique cette partie du rapport de la section centrale à laquelle la lettre de M. le président du Sénat fait allusion.
Je demande donc que le dernier plan dont il est question soit communiqué à la section centrale ; je demande également, avec l'honorable M. Delaet, que la lettre dont ii a été donné lecture soit renvoyée à la section centrale qui examinera à nouveau cette affaire avec toute la bienveillance possible.
M. Delaet. - Messieurs, quand j'ai demandé le renvoi à la section centrale de la communication, qui vient de nous être faite, de M. le (page 1662) président du Sénat, je n'avais pas seulement en vue de l'erreur qui vient d’être signalée par l'honorable M. Dumortier ; mais pour autant que j'ai pu le saisir à une première lecture, il y a là d'autres inexactitudes à cet égard. Mais le moment de donner des explications détaillées n'est pas venu ; la section centrale vous les donnera sur tous les points, dès qu'elle aura examiné la lettre du Sénat et le dernier plan dont il y est parlé.
M. Lelièvre. - Si le renvoi des observations de la questure du Sénat à la section centrale est prononcé, je demande que le rapport soit fait sans délai afin que la discussion du projet important des travaux publics ne soit pas retardée.
M. Dumortier. - Je demande de nouveau que la section centrale reçoive communication du dernier plan dont M. le président du Sénat parle dans sa lettre.
M. le président. - Messieurs, la lettre dont je viens de donner lecture sera nécessairement insérée aux Annales parlementaires ; la Chambre désire-t-elle qu'elle soit également imprimée comme document parlementaire ?
- Plusieurs membres. - Non ! non !
- Un autre membre. - Elle sera dans le rapport de la section centrale.
Il est procédé au vote par appel nominal sur le projet de loi autorisant des modifications aux bases de liquidation du minimum d'intérêt accordé à la société du chemin de fer de Lierre à Turnhout.
66 membres sont présents.
57 adoptent.
9 rejettent.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. Anspach, Bara, Beeckman, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Crombez, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Moerman d'Harlebeke, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Funck, Gerrits, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jamar, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Magherman, Mascart, Muller, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Reynaert, Sainctelette, Snoy, Tack, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke, Amédée Visart, Wasseige, Wouters et Thibaut.
Ont voté le rejet :
MM. Allard, Bergé, David, de Baillet-Latour, Defuisseaux, Demeur, Derhuin, Guillery et Rogier.
M. Anspach. - Messieurs, à la suite des événements qui viennent de se passer en France, la direction d'une fabrique d'eaux de senteur, établie dans un des faubourgs de Paris, forma le projet de transporter son établissement à Bruxelles. Cet établissement est peut-être le plus important qui existe en Europe, J'appris avec joie, cette nouvelle, car je me réjouissais à l'idée de voir s'implanter à Bruxelles une pareille industrie, de. voir s'ouvrir des ateliers où l'on emploie plus de 300 femmes, et de plus il était facile de supputer l'influence que cette industrie nouvelle pourrait avoir sur le développement de la distillerie, de la fabrication du papier, de la verrerie, de l'imprimerie et de bien d'autres industries encore.
Un seul détail fera du reste connaître à la Chambre l'importance extraordinaire d'une pareille fabrication ;
L'usine de Neuilly, qu'il s'agissait de transporter à Bruxelles, achète annuellement pour une somme de plus de 100,000 francs de flacons en verre, et l'on sait la minime importance du prix unitaire de ces objets ; elle emploie au delà de 50,000 litres d'alcool distillé par an.
Mais la satisfaction que j'avais éprouvée, je le répète, à la nouvelle de ce projet, satisfaction analogue à celle que m'avait causée l'année dernière, l'établissement à Bruxelles de l'industrie des fleurs artificielles, cette satisfaction, dis-je, ne devait pas durer.
J'ignorais, en effet, que nos lois fiscales établissent à nos frontières une barrière infranchissable, une espèce de muraille de Chine qui empêcha absolument l'établissement de cette industrie en Belgique.
Il est évident, messieurs, que notre consommation intérieure entre pour très peu de chose dans une fabrication aussi importante.
L'usine dont je parle écoule ses produits principalement dans un pays du Sud, au Chili, au Pérou, au Brésil, au Cap, au Japan et jusque dans les ports de la mer Jaune.
Or, les fabricants de produits similaires dans les pays qui nous entourent, en France, en Angleterre, en Hollande, reçoivent, à la sortie, la restitution des droits d'accise sur l'alcool employé, tandis qu'en Belgique la chose est impossible.
La législation actuelle s'y oppose.
Pour qu'il y ait restitution, en Belgique, sur l'alcool exporté, il faut qu'il soit pur, en fût, en quantité déterminée, 50 litres, je crois, et présenté par le distillateur lui-même.
Il résulte de là, messieurs, que les eaux de senteur qui seraient fabriquées dans le pays se trouveraient sur les marchés étrangers dans une condition d'infériorité telle que toute lutte serait impossible.
La fabrication d'eaux de senteur en Belgique, pour l'exportation, serait donc impossible.
Je dis qu'une législation qui offre de pareils résultats, qui empêche une industrie importante, intéressante, de s'implanter dans le pays, doit être modifiée plutôt aujourd'hui que demain.
C'est une législation barbare, que je dénonce comme telle à la Chambre.
Cependant, messieurs, lorsque j'ai demandé à M. le ministre des finances de prendre l'initiative d'un changement dans la législation fiscale, changement que la Chambre reconnaîtra aussi facile que nécessaire, l'honorable ministre l'a refusé par une série de motifs qui me semblent aussi peu fondés les uns que les autres.
Je n'attaque pas précisément M. le ministre des finances. Il m'a reproché fort injustement, je crois, dans une discussion récente, de manquer de perspicacité.
Je ne lui retournerai pas aujourd'hui le reproche. Je le crois animé d'excellentes intentions.
Je crois qu'il doit avoir, comme il sied à un homme de talent qui arrive jeune aux plus hautes fonctions, des aspirations larges.
Je ne lui fais qu'un reproche, c'est de n'avoir pas trouvé encore le courage de s'affranchir de l'esprit de routine et de résistance des bureaux.
Parmi les motifs de refus que l'on m'a opposés au ministère des finances il n'en est pas un seul qui ne revienne à un type unique : on craint la fraude, on craint de compromettre les intérêts du trésor, on craint la difficulté des opérations auxquelles il faudrait se livrer à la frontière pour permettre la restitution des droits à la sortie.
D'abord, messieurs, je pourrais faire au département des finances une réponse générale ; je pourrais lui dire que j'ai tout autant de confiance dans l'intelligence de la douane belge que dans celle des douanes française, hollandaise et anglaise, et que ce que ces dernières réussissent à faire chez elles, la douane belge pourrait également réussir à le faire ici.
Mais, en fait, vous allez voir que rien n'est plus pratique, que rien n'est plus facile que d'établir les règles qui permettraient à cette industrie de s'établir en Belgique.
On déterminerait d'abord deux ou trois points de la frontière par lesquels la sortie des produits fabriqués pourrait avoir lieu.
Là se trouveraient des flacons jaugés, très peu nombreux pour la parfumerie, puisqu'il suffirait, je pense, de six flacons-types ; là se trouveraient aussi des employés munis d'un instrument très connu, très usuel (l'aéromètre), au moyen duquel ils mesureraient le degré de l'alcool. Ils n'auraient pas même à faire le calcul exact de la force du liquide, puisqu'il leur suffirait de s'assurer si le liquide contient un nombre de degrés supérieur ou égal au chiffre convenu, établi ou accepté par le gouvernement et sur lequel seulement la restitution devrait se faire.
Y a-t-il dans ces opérations quelque chose qui puisse paraître difficile, qui puisse même se prêter à la fraude et compromettre ainsi les intérêts du trésor ?
Je ne le pense pas. Mais il y a, parait-il, un liquide nouveau qui n'est pas encore imposé en Belgique, qui s'appelle le méthylène, qui est, je crois, un acide tiré du bois et qui peut aussi servir de base aux eaux de senteur ; de telle sorte que le fisc serait exposé, à la sortie, à la restitution de droits qu'il n'aurait pas perçus.
A cette crainte exprimée à la maison dont il s'agit, celle-ci a répondu que l'usage du méthylène était impossible, elle a offert, d'ailleurs, de se soumettre à une précaution à laquelle elle n'est astreinte ni en France ni en Hollande : elle a offert de supporter la charge du traitement de l’employé du département des finances qui serait chargé de surveiller chez elle l’entrée et la sortie de l’alcool employé.
Mais c'est à cette offre que le fisc fait une réponse vraiment merveilleuse : « Nous n'avons jamais fait de pareille vérification, répondit-il ; cette (page 1663) vérification serait contraire aux principes (car il y a des principes dans ces matière), cette vérification serait contraire aux principes de noire législation fiscale. »
Mais c'est précisément parce que votre législation fiscale est mauvaise que nous vous demandons de la modifier, et c'est parce que vous ne faites pas ce qu'il serait bon de faire que nous vous demandons de faire autre chose que ce que vous faites aujourd'hui.
D'ailleurs, si vous avez peur de ce méthylène, que ne suivez-vous l'exemple de l'Angleterre en l'imposant ? Vous pouvez le faire sans aucun inconvénient puisque ce liquide n'est employé dans aucune industrie importante du pays.
II y a, du reste, quelque chose de vraiment singulier à voir le fisc s'effrayer si fort de ces fraudes que je viens de vous montrer improbables, presque impossibles, tandis que, d'un autre côté, il permet et tolère, puisqu'il ne la réprime pas, une fraude qui se commet à l'occasion de la restitution des droits à la sortie de l'alcool pur.
Je m'explique : les distillateurs payent le droit d'accise non pas à raison de la production réelle de leurs établissements, mais d'après une probabilité admise par le gouvernement : c'est-à-dire que, pour une capacité donnée de cuve matière il y a un rendement déterminé d'après lequel le droit est perçu.
Ainsi je suppose que, pour une capacité donnée, le rendement officiel soit de huit ; eh bien, il y a certains distillateurs qui ont poussé si loin les progrès de la fabrication, qu'ils parviennent à obtenir un rendement supérieur au chiffre légal et arrivent à produire 9, 10, 11 et parfois même 12.
M. Elias. - Ils vont jusqu'à 13.
M. Anspach. - En sorte, messieurs, que, pour chaque litre fabriqué dans ces conditions, le gouvernement restitue, s'il est exporté, un tiers du droit en trop...
M. Coomans. - C'est une prime.
M. Anspach. - Ce n'est pas une prime, et quand je me suis rendu dans son cabinet pour l'entretenir de cette affaire, M. le ministre des finances, faisant allusion à cette fraude, la reconnaissait lui-même et s'en plaignait ouvertement.
M. Coomans. - C'est une fraude, et elle se commet également par les fabricants de sucre.
M. Anspach. - Nous sommes donc d'accord. (Interruption.) J'établis ceci : je dis qu'à cause de la crainte de voir se produire une fraude, qui ne saurait être importante en supposant qu'elle soit possible, le fisc empêche une grande industrie de s'établir en Belgique ; tandis que, d'un autre côté, le fisc tolère une fraude importante, une fraude des plus préjudiciables au trésor, et il ne paraît pas songer à la supprimer.
Ainsi, messieurs, d'un côté il y a une fraude ouverte, patente, connue de tout le monde, très préjudiciable au trésor ; mais il y aurait, pour la faire disparaître, un changement à apporter à notre législation fiscale ; la routine l'emporte et on laisse faire. D'un autre côté, c'est l'objet de ma réclamation, il y a une industrie nouvelle, très importante, qui cherche à s'implanter dans le pays ; mais il faudrait changer quelque chose à notre régime douanier, pour se prémunir contre une fraude presque impossible ; ici, encore une fois, la routine l'emporte, et, de peur d'une fraude improbable, on refuse à cette industrie la possibilité de s'établir.
Je vous le demande, messieurs, n'y a-t-il pas là une véritable inconséquence ? Ici, il y a un mal, et, pour que la routine ne se trouve pas compromise, on se refuse à y porter remède ; et quand je demande un léger changement à notre législation en vue d'obtenir un résultat désirable, on me le refuse pour le triomphe de la routine.
Enfin, messieurs, et je termine par là, on fait encore quelques objectons secondaires, auxquelles d'ailleurs la réponse est facile.
Vous allez, nous dit-on, provoquer une foule de demandes de réductions et faire naître un dédale inextricable de réclamations. Si nous accordons la restitution du droit à la sortie des eaux de senteur, quelle raison aurons-nous de la refuser à tout autre liquide à base d'alcool, comme les alcools sucrés, c'est-à-dire les liqueurs, les vinaigres, les vernis, etc. ? Voilà l'objection ; voici la réponse que j'y fais : En ce qui concerne les liqueurs, si M. le ministre avait la conviction qu'une restitution de droit pourrait favoriser une exportation extraordinaire, il aurait le devoir de chercher un moyen analogue à celui que je demande pour les eaux de senteur.
Ce n'est pas une chose nouvelle. Il y a d'autres pays dans lesquels les alcools sucrés obtiennent la restitution des droits à la sortie ; dans des pays bien moins avancés que le nôtre au point de vue du commerce et de 1'industrie, une pareille législation existe ; je citerai notamment la Suède et la Norvège.
Quant aux vinaigres, aux vernis et aux autres liquides à base d'alcool, suivez l'exemple donné par la législation hollandaise : les liquides qui marquent moins de 50 degrés à l'aréomètre, n'obtiennent aucune réduction à la sortie ; il en est de même de tous autres liquides qui ne permettent pas l'usage facile et régulier de l'aréomètre.
En résumé, à quelques points de vue que je me place, je ne comprends pas qu'on veuille empêcher une industrie importante de s'implanter dans le pays, et cela sans motifs sérieux, et sans que le trésor public y soit moins du monde intéressé.
Je me plais à croire que j'obtiendrai de M. le ministre des finances autre chose qu'un refus absolu.
S'il n'en était pas ainsi, j'userais de mon initiative parlementaire pour déposer un projet ayant pour objet de modifier la loi du 18 juin 1842 qui règle ce qui concerne la restitution des droits à la sortie du pays.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, quand l'honorable 'al. Anspach m'a parlé pour la première fois de cette industrie considérable qu'il s'agissait d'implanter en Belgique, j'ai été séduit comme lui par cette perspective.
Un examen approfondi de la question m'a fait reconnaître que, si elle ne se réalise, pas, il ne faut accuser ni les bureaux d'encroûtement, ni la législation de barbarie ; il faut se rendre aux raisons que je vais avoir l'honneur de vous exposer.
Nous avons trois grandes marchandises d'accise qui jouissent d'un drawback, d'une décharge à l'exportation : les bières et vinaigres, les alcools et les sucres.
Les bières ne donnent lieu à aucune difficulté ; elles ne s'exportent qu'à l'état de bières. Mais le sucre et l'alcool entrent dans la composition d'une foule de produits ; ces sortes de matières premières se dénaturent et se transforment en produits fabriqués ; c'est ainsi que l'alcool entre dans la composition des vernis, de certains vinaigres, des eaux de senteur et des liqueurs sucrées où il se trouve mêlé à une autre marchandise d'accise, le sucre.
Le sucre entre dans tous les produits de la confiserie : dragées, sucreries, confitures, fruits confits, chocolats, mélangé tantôt aux fruits, tantôt à l'amidon, tantôt au cacao, tantôt à d'autres substances.
Depuis longtemps toutes les industries qui emploient le sucre et l'alcool comme matière première et qui les dénaturent, ont demandé la décharge à l'exportation pour la quantité de sucre ou d'alcool que contiennent leurs produits. On s'y est toujours refusé.
On s'est dit que, sous peine de compromettre une recette de 23 millions pour l'alcool, de 6 millions pour le sucre, on devait refuser toute décharge à l'exportation au sucre contenu dans le chocolat et les confiseries ; à l'alcool contenu dans les vernis, les vinaigres, les eaux de senteur,
C'est une règle générale pour toutes les matières dans lesquelles le sucre et l'alcool entrent pour une part plus ou moins considérable.
L'Etat n'est pas seul à suivre cette règle.
Lorsque nous avions des octrois, la plupart des villes percevaient des droits d'octroi sur les alcools. La ville de Bruxelles était du nombre, et elle tenait alors aussi strictement à ce principe que l'Etat y tient aujourd'hui. La question s'est présentée pour l'eau de Bruxelles ; elle s'est présentée pour les punchs ; la ville de Bruxelles s'est refusée à toute espèce de décharge, à cause de la difficulté du contrôle en pareille matière.
Ce contrôle, messieurs, est extrêmement difficile. Il s'agit d'abord de constater la quantité de sucre ou d'alcool qui se trouve dans ces produits. Il s'agit, ensuite, pour l'alcool, de constater le degré.
L'honorable membre nous a parlé de l'aréomètre comme d'un instrument que le premier venu peut manier et qui n'est jamais en défaut.
On s'en sert, dit-il, en Angleterre, en Hollande et en France pour constater le degré des eaux de senteur et accorder une décharge de droits.
En Angleterre, messieurs, la restitution est entourée de tant de difficultés qu'elle se réduit à peu près à rien.
L'exemple de la France et de la Hollande n'a aucune valeur pour la Belgique. Il existe deux systèmes entièrement différents pour la perception des droits sur l'alcool ; le système belge et le système français ; le système français, c'est l'exercice : on paye sur les quantités produites que le fisc constate dans l'usine ; pour mieux empêcher la fraude, la circulation de l'alcool est assujettie à des formalités minutieuses ; il ne peut circuler sans un permis. Avec cette garantie, il est presque impossible que l'alcool parvienne à se glisser dans la consommation sans payer de droits ; le (page 1664) distillateur dont les produits sont constatés et surveillés aurait beau exporter sous le nom d'alcool de l'eau claire ou tout autre liquide, en obtenant frauduleusement décharge de droits, il n'en serait pas plus avancé ; l'alcool censément exporté se trouvant toujours dans l'usine et n'en pouvant sortir serait considéré par le fisc comme une fabrication nouvelle, faite à l'insu de l'administration, et payerait une seconde fois les droits.
En Belgique, au contraire, comme en Prusse, la base de l'impôt est la contenance des vaisseaux employés à la fabrication, quel que soit la quantité produite ; le rendement est l'objet d'une présomption légale presque toujours inexacte. L'exportation frauduleuse à la frontière ne permet aucune contre-vérification dans l'usine.
Au point de vue du fisc, le système belge est évidemment moins parfait ; mais au point de vue du contribuable et du consommateur, il entraîne infiniment moins de vexations.
Si l'honorable M. Anspach veut proposer un système nouveau, complet, s’il veut introduire l'exercice en Belgique, je lui prédis qu'il provoquera un pétitionnement et des réclamations universelles.
En Allemagne, messieurs, l'alcool est imposé d'après le même système qu'en Belgique. ; on paye sur la contenance des vaisseaux imposables ; là comme ici aucune restitution n'est accordée à la sortie des eaux de senteur, Ce qui n'empêche pas l'eau de senteur la plus connue, l'eau de Cologne, de se faire un marché dans toutes les parties de l'univers comme les produits que fabrique M. Rimmel,
C'est une erreur que de prétendre que les fabriques d'eaux de senteur ne peuvent s'établir en Belgique sous l'empire de la loi actuelle, puisque, sous ce même régime, en Allemagne, l'eau de senteur, lorsqu'elle a une vertu réelle, parvient à faire le tour du monde.
Un autre point de la question que j'ai signalé à l'honorable membre, c'est l'apparition d'un liquide nouveau, l'alcool de bois, le méthylène,
L'Angleterre, pour se mettre à l'abri de la fraude, a dû déjà frapper cette substance comme les spiritueux. On ne l'a fait dans aucun autre pays, parce que cette liqueur n'est pas potable et qu'elle a même une odeur désagréable.
Mais si elle ne peut entrer dans la consommation, on peut parvenir à l'utiliser pour les eaux de senteur, car l'art du parfumeur consiste précisément à chasser les mauvaises odeurs et à en substituer de bonnes.
Vous voyez, messieurs,, que la question posée par l'honorable M. Anspach dépasse le cadre dans lequel l'enferme l'honorable membre.
C'est la question tout entière du système de nos droits d'accise, la question de savoir si, comme en France, en Angleterre, en Hollande, nous substituerons l'exercice au système actuellement établi.
Si l'on se décide à adopter ce changement, il n'y aura pas grand inconvénient à accorder la décharge ; mais en Belgique comme en Prusse, tant que le système basé sur le rendement légal existera, on ne pourra accéder à la demande de l'honorable membre.
Vous si soucieux des intérêts du fisc, nous dit-il, comment tolérez-vous donc une fraude manifeste de la part des distillateurs qui obtiennent un produit supérieur au rendement légal, un excédant indemne de droits ?
Ici, messieurs, c'est encore l'exercice et le système contraire qui sont en présence.
Si l'on ne constate pas les quantités produites, l'on doit avoir recours à la présomption.
Cette présomption existe pour les alcools et les sucres. On essaye de la faire aussi exacte que possible.
Je crois que pour les alcools elle n'est plus juste et qu'il faudra la rectifier dans un avenir plus ou moins prochain. Mais il y aura toujours, dans ce système, des distillateurs qui seront au-dessus du rendement légal et d'autres qui seront au-dessous.
Il y a prime pour la bonne fabrication et perte pour la mauvaise, mais il n'y a pas fraude.
Je conclus, messieurs, que ni l'administration ni la législation ne méritent les critiques, que leur a adressées l'honorable M. Anspach.
Je ne prétends pas qu'il faille refuser à l'avenir tout examen à nouveau de. la question, mais j'ai dû faire connaître, en toute sincérité, à la Chambre les considérations qui disculpent la législation du reproche de barbarie et l'administration du reproche d'encroûtement.
M. Anspach. - Messieurs, je ne veux pas abuser des moments de la Chambre, d'autant plus que. nous approchons de la clôture de la session et que tous nous avons hâte d'en finir ; je veux seulement répondre un mot à l'honorable ministre et je le. remercie de la promesse qu'il vient de me faire en terminant.
Je crois qu'il est dans, une erreur complète, lorsqu'il veut rattacher la question que j’ai soulevée au système général existant peur la perception des droits d'accise.
Je crois qu'il est parfaitement possible de détacher du système général la mesure que j'ai indiquée et qui est employée dans d'autres pays.
Je crois que le moyen que j'ai proposé ne s'oppose pas à ce que le fisc continue de percevoir le droit sur la fabrication de l'alcool et je crois que sur ce point je n'ai pas reçu de véritable réponse de l'honorable ministre.
J'ai la confiance que l'honorable ministre, après un examen nouveau, reviendra sur sa décision.
M. Thonissen. - Messieurs, il y a deux ans, dans un discours où je demandais la suppression complète, absolue, de la contrainte par corps, je disais, à cette même place :
« Je repousse la contrainte par corps comme une mesure inutile, irrationnelle et arbitraire ; comme une arme dangereuse aux mains des forts contre les faibles ; comme un legs funeste d'un passé a jamais évanoui. Je le repousse encore pour donner une marque de bon vouloir, un témoignage de sympathie aux classes inférieures, qu'on nous accuse de ne pas aimer et à qui il importe de prouver le contraire. »
Ce que je pensais alors, je le pense encore aujourd'hui : En 1871, comme en 1869, je suis l'adversaire décidé et convaincu de la contrainte par corps. Aujourd'hui comme alors, je désire sa suppression, même en matière de presse et surtout en matière de presse. Ainsi que je l'ai dit, il y a quelques jours, mes opinions ne se modifient pas avec les changements qui s'opèrent dans une partie de la population de la rue de la Loi.
Dès lors, messieurs, en homme fidèle à ses convictions et soucieux de sa dignité personnelle, j'ai dû me demander sérieusement quel était le rôle que j'avais à jouer dans le débat actuel, quelle était l'attitude que j'avais à prendre vis-à-vis du projet présenté par mon honorable ami, M. le ministre de la justice.
Je vais, messieurs, avec une entière sincérité, vous rendre compte de l'espèce d'examen de conscience auquel j'ai procédé avant de prendre un parti définitif ; et je vous prie d'entendre cet exposé, non pas dans mon intérêt personnel, qui ne mérite pas de vous préoccuper, mais dans l’intérêt de la cause que j'ai défendue, sinon avec science et talent, au moins avec une persévérante énergie, depuis près d'un quart de siècle.
Etudiant attentivement le projet, j'ai commencé par rechercher quelles sont les matières pour lesquelles M. le ministre de la justice propose la suppression de la contrainte par corps.
Il la supprime d'abord complètement en matière de commerce.
C'est là un pas immense ; c'est un progrès dont l'importance ne doit pas être méconnue. En 1859, l'honorable M. Tesch disait que la contrainte par corps était la condition même du crédit commercial. En 1868, l'honorable M. Delcour disait, de son côté, que la contrainte par corps était indispensable pour maintenir le commerce dans les voies de l'honneur et de la probité ; qu'elle était indispensable pour rappeler les commerçants à la prudence et à la circonspection.
L'honorable M. Cornesse, repoussant ces prétendus axiomes, que tous les légistes ont successivement répétés depuis trois siècles, nous demande de voter la suppression absolue de la contrainte par corps en matière commerciale. Encore une fois, c'est là un progrès considérable.
L'honorable ministre fait, un deuxième pas en avant, il supprime la contrainte par corps pour l'exécution des condamnations prononcées contre les étrangers. Or, ici encore, depuis le moyen âge jusque vers le milieu de ce siècle, une foule de jurisconsultes ont très énergiquement résisté. En 1858, l'honorable M. Delcour, en sa qualité de rapporteur de la section centrale, disait encore : « Si la contrainte par corps doit être maintenue à l'égard des régnicoles, elle ne peut être abandonnée, à plus forte raison, contre les étrangers non domiciliés en Belgique/ » Ici donc l'honorable ministre de la justice se range de nouveau du côté des novateurs ; ii propose, pour les dettes contractées par les étrangers, l'abolition complète de la contrainte par corps.
Ce n'est pas tout. Le projet supprime encore complètement la contrainte par corps à l'égard des femmes, des mineurs et des personnes civilement responsables ; et, de plus, en matière civile, il ne la maintient que pour les seules condamnations résultant d'un acte illicite commis méchamment et de mauvaise foi. Il la supprime donc, en matière civile, pour la restitution de sommes consignées entre les mains de personnes publiques désignées à cette fin ; pour la représentation des minutes détenues par les officiers publics ; pour la représentation des titres et des deniers remis aux notaires, aux avoués et aux huissiers ; pour les reliquats de comptes de tutelle et de curatelle ; pour délaissement d'immeubles ; pour restitution de frais perçus ; pour retard dans le dépôt d'un rapport d'experts, etc., etc. Dans tous ces cas, les juges ne pourront plu», suivant le texte du projet (page 1665) prononcer la contrainte par corps, si ce n'est dans le seul cas où il existe un acte commis méchamment ou de mauvaise foi.
Voilà les cas de suppression de la contrainte par corps.
Etant fixé sur ce point, j'ai recherché, en deuxième lieu, quels sont, en dehors des cas de suppression intégrale, les modifications, les adoucissements que l'adoption du projet ferait subir à la législation existante.
Sous ce rapport, messieurs, je suis arrivé, au résultat suivant.
Le projet réduit la durée de la contrainte par corps à une année, tandis que, suivant l'article 37 de la loi du 21 mars 1859, elle peut se prolonger jusqu'à cinq ans.
Il n'autorise l'emploi de la contrainte par corps, même en matière répressive, que pour une somme excédant 300 francs ; tandis que, suivant l'article 46 du Code pénal, l'exécution des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais, peut toujours être poursuivie par voie de contrainte par corps, quel que soit le montant des condamnations prononcées au profit de l'Etat ou des parties lésées.
A coup sûr, ce sont là deux concessions importantes, sérieuses à tous égards.
On peut donc, messieurs, résumer la tendance, la portée réelle du projet en deux mots : d'un côté, il supprime la contrainte par corps pour les matières les plus importantes où elle existe en vertu de la législation actuelle ; de l'autre, dans les matières où il maintient la contrainte par corps, il adoucit considérablement la sévérité du système consacré par la loi du 21 mars 1859.
Jusqu'ici, messieurs, j'ai pu faire l'éloge du projet ; je dois maintenant en faire la critique.
L'article premier supprime en principe la contrainte par corps ; mais l'article 2 porte : Elle est maintenue en matière criminelle, correctionnelle et de police, pour l'exécution des condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais.
Dans l'exposé des motifs, j'ai lu une phrase à peu près ainsi conçue : On est aujourd'hui généralement d'accord pour maintenir la contrainte par corps pour les condamnations civiles, prononcées par les tribunaux criminels. C'est une erreur : on est bien loin d'être d'accord ; je dirai même qu'on ne l'a jamais été, même en France, depuis la promulgation du code civil, en 1804.
Je. constate d'abord que la disposition, en ce qui concerne les frais, est réellement insignifiante. Le gouvernement n'a pas besoin de la contrainte par corps pour récupérer ces dépenses dans la mesure du possible. Cela est tellement vrai que, en France, dans une discussion relative à la contrainte par corps, le ministre de la justice est venu en faire la déclaration formelle au corps législatif. Les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des délinquants se composent de gens ne possédant rien, et, quant aux autres, ils s'empressent de payer les frais afin qu'on ne saisisse pas leurs meubles. Pour les indigents, le recours à la contrainte par corps ne produit d'autre résultat qu'une nouvelle dépense.
J'en dirai autant des restitutions. Si la justice a mis la main sur la chose soustraite, elle la rend au propriétaire ; mais quand le délinquant a déjà aliéné ou dissipé la chose enlevée, aucun recours n'est possible dans la presque totalité des cas, parce que le délinquant est complètement dépourvu de ressources.
L'article 2 n'a donc une véritable importance que pour les dommages-intérêts. Toutefois, ici même, il ne faut pas se faire illusion. Je n'ai pas pu me procurer le montant des condamnations à des dommages-intérêts prononcées dans la période de 1865 à 1870 ; mais l'honorable M. Bara, étant ministre de la justice, nous avait fourni le tableau des condamnations prononcées dans la période de 1858 à 1865. Or, dans cet espace de sept années, le montant total des dommages-intérêts pour lesquels on avait eu recours à la contrainte par corps ne s'était élevé qu'à 20,311 francs, moins de 5,000 francs par an.
Peu importe du reste la valeur matérielle de l'article 2. Pour le repousser il me suffit de dire qu'il renferme une erreur en droit et une injustice en fait. Un homme a commis un crime, un délit ou une contravention. Il est condamné à une peine criminelle, correctionnelle ou de police. La vindicte publique est satisfaite. Le reste de la condamnation, les dommages-intérêts accordés à la partie lésée, ne sont autre chose qu'une dette civile. C'est une dette, comme toutes les dettes en général, et je ne sais pour quelle raison elle doit être exceptionnellement garantie par la contrainte par corps.
Qu'on ne me réponde pas qu'on est d'accord sur ce point, voici un fragment d'un discours de Portalis, un des auteurs de la législation française, et ce fragment vous prouvera que Portalis parlait absolument dans le sens où j'ai l'honneur de vous parler en ce moment. Il disait : « Les dettes civiles qui résultent de réparations accordées par les cours d'assises, les tribunaux correctionnels ou de simple police sont des dettes purement civiles ; la vindicte publique une fois satisfaite, il n'y a plus rien de pénal dans les dispositions des jugements que rendent les tribunaux de répression quels qu'ils soient. »
Aujourd'hui, cependant, on nous demande encore de garantir le recouvrement de cette dette exclusivement civile au moyen de la contrainte par corps.
La contrainte par corps, qu'est-ce qu'elle est en définitive ? Qu'est-elle dans la réalité des choses ? Elle est une peine véritable, un emprisonnement.
Je sais bien qu'on peut subtilement soutenir que, dans le système du Code civil, elle n'est qu'un moyen spécial de recouvrer une créance, une simple voie d'exécution. En fait, elle n'en est pas moins une peine, comme je l'ai prouvé, il y a deux ans.
Du reste, en ce moment, ce point n'est plus contestable. Au Sénat, l'honorable M. Barbanson disait, avec une entière franchise : La contrainte par corps est une peine caractérisée ; et l'honorable M. Cornesse est absolument du même avis, puisque, à l'article 5 du projet, il dit que la durée de la contrainte par corps sera déterminée par le jugement ou l'arrêt, d'après la gravité de la faute commise. Dès l'instant que l'on doit calculer la durée de la contrainte par corps selon la gravité de la faute commise, il faut bien la considérer comme une véritable peine.
Qu'en résulte-t-il ? C'est que l'individu condamné, qui ne peut payer les dommages-intérêts, est puni deux fois, parce qu'il se trouve dans l'impossibilité de se libérer ; tandis que l'homme qui possède une certaine fortune n'est puni qu'une seule fois. En droit et en fait, il n'est pas juste de punir deux fois pour le même fait, et il n'est pas juste surtout d'appliquer ce système à l'un et pas à l'autre. Je ne saurais approuver cet article 2.
Je dois également repousser l'article 3, uniquement dirigé contre les journalistes.
On se souviendra peut-être que, dans mon très long discours prononcé en 1869, j'ai soutenu, d'accord avec les jurisconsultes les plus éminents de l'Allemagne et de l'Italie, qu'il fallait, en bonne législation, établir une distinction radicale, complète, entre les délits et les faits dommageables, entre les réparations civiles et les peines.
Je disais que les faits dommageables devaient avoir pour conséquence les dommages-intérêts, les nullités, la forclusion, l'annulation des actes, les fins de non-recevoir, etc. ; mais j'affirmais que les peines devaient être exclusivement réservées aux crimes, aux délits et aux contraventions. Je soutenais même que, dans le langage strict du droit, il n'y avait pas de délit civil, et que si les auteurs français disaient le contraire, c'était à cause d'un phraséologie vicieuse introduite dans le code civil.
Cette doctrine fut combattue dans cette enceinte, mais elle le fut surtout et avec une grande vivacité, dans un document parlementaire du Sénat, qui nous a été distribué et dont j'ai, par conséquent, le droit de parler ici, puisqu'il a pu faire impression sur vos esprits.
L'honorable auteur de ce document disait : « Vous prétendez qu'il n'y a pas de délits civils... Mais ouvrons nos codes civils ; nous y trouverons, en foule et à chaque pas, des dispositions catégoriques et formelles, établissant ce qu'on dénie, excluant ce qu'on affirme. » Et à la suite de cette phrase tranchante, on citait l'article 213 du code de procédure civile qui punit d'une amende de 150 francs celui qui dénie faussement sa signature en justice, l'article 413 du code civil, qui frappe d'une amende de 50 francs le parent ou l'allié qui ne veut pas se rendre à un conseil de famille, etc. Et l'on disait ensuite : Voilà des délits prévus dans le code civil et dans le code de procédure civile, et vous prétendez qu'il n'y a pas de délit civil ! Qui applique la peine ? N'est-ce pas le tribunal civil ?
Messieurs, cette argumentation prouve uniquement qu'on s'était placé en dehors de la question. Les articles 415 du code civil, l'article 213 du code de procédure civile, et bien d'autres articles de même nature qu'on pourrait citer, prévoient non des délits civils, mais de véritables délits, dans le sens de la justice répressive. N'est-on pas unanime à enseigner qu'un fait punissable d'une amende de moins de 25 francs est une contravention de police, et qu'un fait punissable d'une amende de plus de 25 francs est un délit ? N'enseigne-t-on pas, avec la même unanimité, qu'il y a délit ou contravention, quelle que soit la loi qui prononce la peine et quel que soit le tribunal appelé à en faire l'application ?
Il est vrai que l'honorable sénateur citait encore d'autres articles à l'appui de sa thèse, notamment l'article 618 du code civil, qui prive du droit d'usufruit l'usufruitier qui abuse de sa jouissance ; l'article 1142, qui prive de la jouissance des revenus de ses enfants mineurs l'époux survivant qui néglige de faire inventaire ; l'article 801, qui déclare déchu du bénéfice d'inventaire l'héritier qui omet de mauvaise foi de déclarer des effets appartenant a la succession, etc., etc. Mais ce sont là, non des délits, (page 1666) mais des faits dommageables à autrui, qui entraînent précisément les conséquences civiles dont j’avais parlé dans mon discours.
La système que j'avais défendu reste donc, messieurs, entièrement intact. On n'a nullement prouvé que des peines figurant dans le code pénal, telles que l'emprisonnement, puissent être attachées à des délits autres que ceux prévus par la législation pénale.
Il ne faut donc pas incarcérer, par une voie détournée, celle de la contrainte par corps des citoyens, journalistes ou non, qui n'ont commis que dis faits dommageables.
Après cette digression, un peu longue peut-être, mais indispensable, je reviens au projet du gouvernement en matière de presse.
On dit bien souvent qu'il faut mettre la presse dans le droit commun, qu’il ne faut pas de privilège en faveur des journalistes.
Mais que fait-on à l'article 3 ? On met la presse en dehors du droit commun, et en voici la preuve : un spéculateur, plus ou moins adroit, qui ruine un grand nombre de familles, qui leur fait perdre un million, mais qui est assez habile pour dissimuler sa mauvaise foi et ne pas commettre ce qu'on nomme un acte illicite, ne sera pas contraignable par corps.
Mais quand un journaliste aura injurié quelqu'un et qu'on l'aura condamne à 501 francs de dommages-intérêts, il pourra être incarcéré. Est-ce là, je vous le demande, mettre la presse dans le droit commun ?
Messieurs, 1a liberté de la presse présente certains inconvénients. Il est sans doute très désagréable de voir calomnier ses intentions et dénaturer ses actes, de se voir dénigrer et parfois calomnier.
Mais qu'est-ce qu'un intérêt individuel lésé, quand on le met en présence de l'intérêt général ?
Qu'est-ce qu'un amour-propre blessé, à côté du rôle immense et salutaire que la presse est appelée à remplir dans les gouvernements parlementaires ?
Absolument rien !
On parle toujours des inconvénients de la liberté de la presse ; mais elle a aussi ses avantages. Qu'on aille visiter les pays où elle n'existe pas ; qu'on examine ce qui s'y passe ! La liberté individuelle, cesse d'être garantie ; toute sécurité disparaît ; l'arbitraire se glisse dans toutes les sphères de la vie sociale ; l'espionnage s'étend sur une échelle immense, et la corruption s'y installe à tous les degrés de la hiérarchie administrative, depuis la base jusqu'au faîte. On devrait ne pas oublier ces faits irrécusables.
Du reste, on n'atteindra pas avec l'article 3 le but auquel on vise. Cet article maintient la contrainte par corps pour les dommages-intérêts. Mais l'article 6 la supprime pour les femmes, quel que soit leur âge, et pour les hommes qui ont atteint l'âge de 70 ans.
Il ne peut pas s'agir ici des journalistes sérieux, des journaux sérieux. Ceux-ci ont des gérants sérieux, qui payent quand on les condamne. Il ne s'agit que du libelliste, du pamphlétaire, qui fait métier de dénigrement. Or, pour les journalistes de cette espèce, il y aura un moyen on ne peut plus simple d'échapper à votre contrainte par corps. Ils prendront pour gérant une femme ou un vieillard.
M. Coomans. - On pourra aussi prendre un mendiant. Il sera enchanté d'aller en prison.
M. Thonissen. - Evidemment.
J'ai d'ailleurs, au sujet de l'article 3, une importante question à adresser à l'honorable minière de la justice.
L'article 3 prévoit évidemment le cas d'une action civile portée devant le tribunaux civils, mais dérivant d'un fait prévu par la loi pénale,
Je demande à M. le ministre de la justice si cet article préjuge la question de la compétence des tribunaux civils pour les faits dommageables commis par la voie de la presse ? A-t-il pour but de décider que les tribunaux civils ont le pouvoir de condamner les journalistes à des dommages-intérêts, alors même qu'aucun fait délictueux n'a été constaté par le jury ? En d'autres termes, tranche-t-il la question de droit constitutionnel que j'ai soumise à l'appréciation de la Chambre, d'accord avec mon honorable collègue M. de Baets ? Ou bien, cette question reste-t-elle entière, en ce sens que ceux qui ne partagent pas mes idées ne pourront pas, plus tard, m'opposer le texte de l'article 3 ?
M. Drubbel. - Certainement.
M. Thonissen. - Je désire une réponse de M. le ministre. Il s'agit d'une question extrêmement importante.
Je voterai donc contre les articles 2 et 3. Il y a plus ; si, dans le cours des débats, on propose un amendement tendant à supprimer complètement la contrainte par corps, je voterai cet amendement.
Mais, en supposant que la Chambre rejette cet amendement «t qu'elle vote les articles 2 et 3 du projet, que devrai-je faire ? Que devront faire, avec moi, comme moi, tous les partisans convaincus et décidés de la suppression intégrale de la contrainte par corps ?
Ici, je l'avoue, j'ai éprouvé un certain embarras avant de prendre mon parti. Si la Chambre rejette un amendement proposant la suppression complète de la contrainte par corps et si, en même temps, elle vote les articles 2 et 35, si la Chambre en un mot adopte le projet dans ses parties essentielles, et s'il y a certitude qu'au Sénat les mêmes votes seront émis, car antérieurement il s'est déjà prononcé, la question me semble complètement changer de face.
Eu réalité, je serai alors forcé de choisir entre deux systèmes : l'un, celui de la loi du 21 mars 1859, c'est-à-dire le maintien pur et simple de la législation draconienne qui nous régit aujourd'hui ; l'autre, celui qui nous est présenté par le gouvernement et dans lequel on supprime la contrainte par corps contre les commerçants, contre les étrangers, contre les personnes civilement responsables, contre les mineurs et les femmes.
Puis-je, sans inconséquence, sans renier mes antécédents, sans compromettre ma dignité personnelle, admettre ce second système, non pas dans tous ses détails, mais dans son ensemble ?
Permettez moi, messieurs, une supposition,
Le code pénal attache la peine de mort à l'attentat contre la personne du roi, à l'attentat contre la vie du prince royal, au parricide, à l'assassinat, à l'empoisonnement, ou meurtre accompagné d'un autre crime, à l'incendie ayant entraîné une mort d'homme.
Si, demain, on venait nous présenter un projet de loi supprimant la peine de mort pour tous ces cas, sauf un seul, le parricide, par exemple, devrais-je dire, moi, adversaire de la peine de mort ; Je vote contre la loi parce qu'il y a un crime pour lequel vous maintenez la peine de mort ; je ne veux pas qu'on supprime la peine de mort pour l'assassinat, pour le meurtre, pour l'empoisonnement, pour l'incendie, pour l'attentat à la majesté royale, parce que vous la maintenez pour le parricide ? Devrais-je m'écrier, avec une obstination, aveugle : Il me faut tout ou rien ?
Non, tous les adversaires de la peine capitale me blâmeraient à juste titre. Ils m'accuseraient, avec raison, d'être inconséquent avec moi-même, en m'opposant à la réalisation presque complète de mon système.
Eh bien, pourquoi ne pourrais-je pas faire, à l'égard de la contrainte par corps, ce que je pourrais et ce que je devrais faire à l'égard de la peine de mort ? Pourquoi devrais-je indirectement voter le maintien de la contrainte par corps contre les commerçants et les étrangers, parce que, contrairement à mon avis et aux vives instances que j'ai faites auprès de lui, M. le. ministre de la justice maintient la contrainte par corps contre les journalistes ? Pouvant et devant voter pour la suppression partielle de la peine de mort, pourquoi ne pourrai- je pas voter la suppression partielle de la contrainte par corps ?
Voici donc, messieurs, la marche que je compte suivre. Si on propose la suppression complète de la contrainte par corps, je voterai cet amendement. Je voterai contre l'article 2 et contre l'article 3 ; mais si la Chambre, comme il y a lieu de s'y attendre, adopte les articles 2 et 3, alors placé entre le système du gouvernement et le maintien de la loi actuelle, je voterai pour le. système du gouvernement.
il n'y aurait pas seulement inconséquence à agir autrement, il y aurait inhumanité.
Plusieurs personnes sont aujourd'hui détenues pour dettes commerciales, alors que le gouvernement, le Sénat et la Chambre sont d'accord pour déclarer que ces personnes ne doivent plus être détenues.
Je croirais manquer à mon devoir si, par une prédilection excessive pour le système que je désire voir triompher, je condamnais indirectement ces débiteurs malheureux à rester en prison !
Je regrette infiniment, messieurs, que le gouvernement n'ait pas demandé la suppression complète de la contrainte par corps, et je ferai ultérieurement, dans la mesure de mon influence, tous les efforts possibles pour l'obtenir ; mais si, en attendant, je me trouve dans la nécessité de choisir entre un système qui maintient la contrainte par corps dans toute sa rigueur actuelle, et un projet qui la supprime dans la plupart des cas, je crois qu'il ne m'est pas permis d'hésiter.
M. de Moerman d’Harlebeke. - Messieurs, je n'ai pas la prétention de faire un discours, au sujet d'une question qui est véritablement épuisée, j'entends uniquement motiver le vote approbatif que je me propose d'émettre sur le projet de lui.
Je suis un adversaire avoué de la contrainte par corps, j'en désire la suppression pure et simple et hâte de mes vœux le moment où elle disparaîtra complètement de notre législation.
(page 1667) C'est assez vous dire que je répugne aux dispositions restrictives du projet et plus particulièrement à celle de l'article 3 ; je considère cette disposition, spécialement dirigée, il faut bien l'avouer, contre la presse, comme illibérale et inefficace.
Illibérale : elle est manifestement contraire à l'esprit de la Constitution. Au jury seul il appartient de décider s'il y a délit de presse et, par conséquent, s'il y a lieu d'emprisonner.
Que si l'on se méfie du jury et si l'on préfère recourir aux tribunaux civils en dommages-intérêts, dans ce cas le jugement de condamnation qu'on obtient, fût-il inexécutable à raison de l'insolvabilité du condamné, doit néanmoins suffire comme réparation de l'atteinte portée à l'honneur, à plus forte raison au simple amour-propre blessé ; aller au delà, prétendre au droit d'incarcérer à défaut de payement du dédommagement accordé, c'est substituer la vengeance à la justice.
Inefficace : car à moins de repousser l'exception consacrée par l'article 6 du projet en faveur des femmes et des vieillards, le pamphlétaire trouvera toujours le moyen de s'y soustraire.
Et cependant je voterai le projet de loi, mais uniquement comme transaction, comme une étape, un acheminement vers la suppression radicale qu'aujourd'hui on est moralement certain de ne pouvoir obtenir de la législature ; je le voterai parce que, comme le dit si bien le rapport de la section centrale, je ne veux pas renfermer une question d'humanité dans l'inflexible roideur d'un tout ou rien.
M. Lelièvre. - J'énoncerai brièvement les motifs qui me portent à donner mon adhésion au projet de loi.
Je le considère d'abord comme un progrès marqué, réalisant un état de choses tracé par la justice et par l'équité.
A mon avis, le gouvernement a suivi, dans l'espèce, la seule voie rationnelle qui était indiquée par la nature des choses.
N'oublions pas qu'il s'est élevé un conflit entre deux branches du pouvoir administratif.
La Chambre des représentants admettait la suppression complète de la contrainte par corps.
Le Sénat, au contraire, n'admettait la suppression que dans le plus grand nombre de cas, maintenant uniquement la contrainte par corps dans les cas prévus par l'article 3 du projet.
Que faire en pareille occurrence ? Mais évidemment supprimer la contrainte par corps dans tous les cas à l'égard desquels il y a accord entre les diverses branches du pouvoir législatif.
C'était là le seul moyen de mettre fin au conflit et, remarquez-le bien, il ne fallait pas hésiter à l'employer en présence des résultats fâcheux qui sont la conséquence de la divergence d'opinion existante entre les deux Chambres.
N'est-il pas vrai, en effet, que nous supprimons la contrainte par corps dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent ?
Eh bien, est-il conforme à la justice et à l'équité de maintenir en état de détention des individus dont l'incarcération est jugée contraire à l'humanité et cela par le motif qu'on laisse subsister la mesure rigoureuse dans un nombre de cas excessivement restreint.
Ce n'est pas tout : savez-vous ce qui résultera d'une voie contraire à celle dont il s'agit ?
Tout fait présumer que le Sénat persisterait dans son opinion antérieure. Le conflit continuerait ainsi à se perpétuer et il aurait pour conséquence de faire maintenir en état de détention les individus qui, de l'aveu de tous, doivent être rendus immédiatement à la liberté.
N'est-il pas vrai que c'est le conflit de 1870 qui a eu pour conséquence de consacrer un état de choses que tout le monde considère comme inique ? N'est-il pas vrai que des malheureux, ayant en justice droit à récupérer leur liberté, en ont été privés depuis 1870 ?
Eh bien, c'est pour mettre fin à cet état de choses que la raison et l'humanité commandent de voter le projet de loi.
Quant à moi, je voterai le projet de loi comme devant produire d'heureux résultats. Du reste, messieurs, je dois ajouter qu'il n'est pas exact de dire que l'article 3 est uniquement dirigé contre la presse. Cette disposition s'applique à tous les actes illicites, par quelque voie qu'ils soient commis, soit par la presse, soit par tout autre moyen.
La presse est placée uniquement sur la même ligne que les autres moyens à l'aide desquels on commet les faits méchamment et de mauvaise foi énoncés à l'article 3.
Il est donc inexact de dire que cette disposition ne concerne que la presse ; il y a plus, il est à remarquer qu'elle ne frappe en aucune manière la question soulevée par la proposition de M. de Baets. En effet, l'article 3 n'est pas relatif à la compétence, mais uniquement au fond du droit.
La question de savoir qui sera juge, reste complètement intacte. Ce sera lors de l'examen de la proposition de M. de Baets, que l'on examinera si les actions civiles du chef des délits commis par la voie de la presse seront déférées au jury, et je n'hésite pas à dire qu'en ce qui concerne les faits délictueux commis par la voie de la presse, je me propose de me rallier au projet de M. de Baets ; il est donc évident que le projet en discussion n'aura aucune influence sur la proposition de M. de Baets.
En ce qui me concerne, je pense que le projet réalise tout ce qu'on peut espérer de mieux pour le moment en matière de contrainte par corps.
Adopter le projet de loi, c'est supprimer la mesure dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent.
Vouloir autre chose, c'est remettre tout en question, comme cela a été fait sous le ministère, précédent. C'est s'exposer à perpétuer l'état de choses inique existant depuis le conflit.
Quant à moi, je suis convaincu de servir les intérêts de la justice et de l'humanité en votant le projet de loi. Je le vote avec d'autant plus d'empressement qu'en réalité il dotera la Belgique d'une des législations les plus libérales de l'Europe.
M. Delcour. - Je ne comptais pas, messieurs, prendre part à la discussion. L'état de ma santé ne me le permet pas, mais mon nom venant d'être cité par l'honorable M. Thonissen, qui a rappelé avec peu d'exactitude quelques-unes des opinions que j'ai développées dans cette enceinte, je crois nécessaire d'exposer les faits sous leur véritable jour.
Vous vous rappelez tous, messieurs, comment le débat a été introduit dans la Chambre.
L'honorable M. Bara, ministre de la justice, avait proposé la suppression pure et simple de la contrainte par corps.
La section centrale chargée d'examiner ce projet de loi ne s'est pas ralliée à ce principe. Cependant, elle n'a pas voulu maintenir la contrainte par corps d'une manière absolue, comme M. Thonissen l'a insinué ; elle n'entendait l'appliquer qu'aux cas de dol, de fraude et de violence.
Voici le texte de la proposition de la section centrale, tel qu'il est écrit dans les documents officiels.
« Art. 1er du projet. Dans tous les cas où la contrainte par corps est autorisée par la loi du 21 mars 1859, en matière de commerce, en matière civile, contre les étrangers ou en matière de deniers publics, les juges ne la prononceront qu'en cas de dol, de fraude ou de violence, ou lorsqu'il sera constaté que le débiteur n'est pas insolvable. »
Tel est le système de la section centrale de 1868.
Il apportait de profondes modifications à la loi de 1859. Il supprimait la contrainte par corps en toute matière, sauf lorsque le fait donnant lieu aux dommages-intérêts présentait un caractère de dol, de fraude ou de violence. Nous disions qu'il fallait la maintenir dans ces cas, dans l'intérêt du crédit, de la bonne foi, de la sécurité, parce que la victime se trouvait en présence d'un malhonnête homme.
L'honorable M. Watteeu est entré dans ces vues. Cependant, il a pensé que la contrainte par corps ne devait être appliquée qu'à la réparation du dommage causé par un fait illicite ; il restreignait, par cet amendement, aux quasi-délits, la proposition plus générale de la section centrale.
L'amendement était conçu en ces termes : « La contrainte par corps ne peut être décrétée que pour assurer le recouvrement des condamnations prononcées à titre de réparation du préjudice matériel ou moral, procédant d'un fait indépendant de toute convention et de tout contrat. »
Cet amendement a réuni 43 voix ; il a été rejeté par 33.
L'abolition absolue de la contrainte par corps votée par la Chambre ne rallia pas la majorité du Sénat.
Le Sénat substitua au projet du gouvernement voté par la Chambre la proposition suivante :
« Art. 1er. La contrainte par corps est supprimée, sauf les exceptions qui suivent.
« Art. 2. Elle est maintenue en matière criminelle, correctionnelle et de police, et spécialement à l'égard des témoins défaillants dans toute instruction judiciaire.
« Art. 3. Les jugements et arrêts portant condamnation à des restitutions ou dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé, méchamment ou de mauvaise foi, par des méfaits ou actes illicites, sont exécutoires par la voie de la contrainte par corps, pour les sommes excédant trois cents francs.
« La durée de la contrainte est limitée à une année. Pour en fixer le (page 1668) terme, le juge aura égard à la gravité de la faute commise et à l'étendue du dommage à réparer.
« La contrainte n'atteindra jamais les personnes civilement responsables suivant la loi. »
Ce projet fut renvoyé à la Chambre des représentants, et la section centrale me confia de nouveau le soin de faire le rapport.
En 1869, nous étions en présence de la nouvelle proposition du Sénat, c'est le point de départ du projet que nous discutons.
Eh bien, la majorité de la section centrale, qui était composée des membres de la Chambre qui en avaient fait partie en 1868, adhéra à ce nouveau projet.
Est-il vrai, comme vient de le dire M. Thonissen, que la section centrale a maintenu la contrainte par corps en matière de commerce, en matière civile et contre les étrangers ?
C'est le rapport même de la section centrale qui répondra a l'honorable membre. (Interruption.)
Je ne serai pas long ; je n’ajouterai qu’un mot.
Voici en quels termes j'ai exprimé la pensée de la majorité :
« Les deux Chambres sont d'accord pour repousser la contrainte lorsqu'elle atteint le débiteur malheureux. Elle ne sera donc plus appliquée aux dettes commerciales ; elle ne servira plus de sanction aux engagements que fait naître un contrat librement consenti ; elle n'inquiétera plus l'étranger qui se confie au sol hospitalier de la Belgique. La section centrale n'insistera pas, messieurs, sur l'importance de cette réforme. Dans ces termes, l'abolition de la contrainte par corps réalise un progrès et fait cesser les plaintes légitimes que l'emprisonnement pour dettes a soulevées. La réforme répondra à l'opinion publique qui ne réclame pas la suppression absolue de cette voie d'exécution ; elle satisfera à nos relations commerciales avec les pays étrangers qui, tous, sauf peut-être quelques petits cantons de la Suisse, ont établi des exceptions à la suppression de la contrainte par corps. »
Peut-on être plus clair, plus précis ? Loin de maintenir la contrainte par corps en matière commerciale, en matière civile et contre les étrangers, je déclare, au nom de la section centrale, en termes non équivoques, que les deux Chambres sont d'accord pour la repousser, et que cette réforme satisfera l'opinion publique.
La Chambre a repoussé de nouveau les conclusions de la section centrale ; elle a maintenu le projet du gouvernement qui décrétait l'abolition complète de la contrainte par corps.
Le conflit entre les deux Chambres était donc manifeste. D'un côté, la proposition du gouvernement qui est absolue ; de l’autre, le projet du Sénat qui admet des exceptions à la suppression de la contrainte par corps.
C'est alors que l'honorable M. Guillery fit la proposition de supprimer provisoirement la contrainte par corps pendant quelques mois, espérant que les Chambres parviendraient dans l'intervalle à arrêter une rédaction qui pourrait lever le conflit.
J'ai combattu la proposition d'ajournement qui, a mes yeux, aggravait le conflit existant. J'ai supplié l’honorable membre de se rallier aux points sur lesquels les deux Chambres étaient d'accord, mais il n'y a pas consenti et a maintenu sa proposition d'ajournement ; c'était ajourner pour longtemps peut-être une solution qui était désirée cependant par tous les membres de la Chambre.
Eh bien, c'est cette solution transactionnelle que vous propose le projet de loi que nous disputons. Le gouvernement a repris le projet du Sénat, qu'il a modifié dans l'intérêt de la liberté ;- il vous propose de supprimer la contrainte par corps dans tous les cas sur lesquels les deux Chambres sont d'accord en laissant à l'avenir le soin de décider s'il convient d'aller plus loin. Cette proposition est sage ; sans rien préjuger pour l'avenir, elle donne la solution d'un problème qui nous a trop longtemps divisés.
M. Thonissen vous a dit qu'il votait la loi, parce qu'en réduisant la durée de la contrainte par corps à une année, le projet renferme une amélioration considérable.
Permettez-moi, messieurs, de réclamer cette amélioration pour la section centrale de 1869. C'est elle qui a posé, dans l'article 4 du projet, le principe que la durée de la contrainte ne peut excéder une année. Le rapport s'exprime en ces termes :
« L'article 4 limite la durée de la contrainte à un an. Le juge en fixera le terme en ayant égard à la gravité de la faute commise et à l'étendue du dommage à réparer. Elle ne sera prononcée que pour les sommes excédant 300 francs, sans atteindre jamais les personnes civilement responsables devant la loi. »
L'honorable M. Thonissen a critiqué le maintien de la contrainte par corps en matière criminelle, correctionnelle et de police ; il vous l'a représentée comme une mesure inique et comme une inconséquence.
Messieurs, en matière répressive, la contrainte protège de grands intérêts. Sans doute, le dommage qui est causé par un délit est une dette civile ; personne n'en a jamais douté : mais c'est une dette qui a un caractère particulier.
« Il ne faut pas perdre de vue, disait l’éminent professeur Haus, que cette obligation résulte d'un délit, et que le coupable ne mérite pas les ménagements que l'équité commande en faveur des débiteurs ordinaires. »
L'honorable M. Roussel, rapporteur de la commission de la Chambre, s'exprimait en ces termes :
« Après en avoir délibéré, votre commission a jugé le maintien de la contrainte par corps indispensable pour le recouvrement des dommages-intérêts et restitutions, lors même que cette voie d'exécution disparaîtrait dans les matières commerciales. En effet, l'origine de la condamnation, même civile, n'est-elle pas une infraction à la loi répressive ? L'indemnité ne doit-elle pas opérer le rétablissement des choses dans l'état où elles se trouvaient avant l'infraction ? La partie lésée n'a-t-elle pas un droit évident à ce rétablissement, et les moyens les plus rigoureux pour l'obtenir ne doivent-ils pas lui être accordés ? Il semble que la suppression de la contrainte par corps, en cette matière, diminuerait l'efficacité de la répression, puisqu'elle anéantirait une suite nécessaire de l'infraction, suite dont la perspective peut servir, dans certaines éventualités, à détourner l'agent de la violation d'une loi répressive.
« Quant aux restitutions, la solution de la question se présente encore plus naturellement. N'est-il pas conforme à la justice et à la raison que le délinquant ne possède aucun moyen de s'affranchir de la restitution, les choses sujettes à restitution ne lui appartenant point, ces choses ne se trouvant en sa possession que par une infraction à la loi pénale ?
« Enfin, la condamnation du délinquant aux frais n'étant autre chose que la nécessité légalement constatée de rembourser des avances qu'il a rendues nécessaires, les mêmes principes gouvernent les voies d'exécution à l'aide desquelles ce remboursement peut être obtenu. »
Ainsi, en 1869, la section centrale, en se ralliant à la proposition du Sénat, conservait les précédents législatifs et elle donnait une nouvelle sanction aux dispositions du code pénal récemment votées. Le projet actuel nous paraît irréprochable sous ce rapport.
Encore un dernier mot : En 1868, l'honorable M. Thonissen nous a vivement critiqué pour avoir maintenu dans notre théorie la distinction faite de tous temps entre le délit civil et le délit pénal, distinction que consacre encore l'article 3 du projet de loi.
Qu'entend-on par délit civil ? On entend par délit civil le fait dommageable posé méchamment et de mauvaise foi, quoiqu'il ne soit pas frappé d'une peine par le code pénal ; moins la peine, ce fait présente les caractères d'un acte délictueux et illicite.
Cette théorie, qui est connue de tout étudiant en droit, est généralement enseignée ; elle donne lieu à des conséquences pratiques importantes. Je savais qu'elle était la doctrine de l'école de droit de Paris ; mais, voulant apporter à la Chambre un témoignage irrécusable, j'ai demandé à M. Valette, un des professeurs les plus éminents de l'école, de me faire connaître le dernier état de la science à Paris. Ce savant a confirmé mon appréciation dans une lettre qui a été lue à la Chambre en 1848, et dont le résumé se trouve aux Annales parlementaires.
Comme j'ai eu l'honneur de le dire en commençant, mon intention n'était point d'intervenir dans la discussion ; je l'ai fait pour venger la section centrale qui avait été chargée en 1868 et en 1869, de l'examen du projet de loi sur la contrainte par corps ; je l'ai fait, en second lieu, pour expliquer des paroles que je n'ai point prononcées dans le sens que l'on m'a attribué.
M. Thonissen (pour un fait personnel). - L'honorable préopinant, en terminant son discours, vous a dit que je lui avais attribué des paroles qu'il n'avait pas prononcées. Eh bien, messieurs, voici ce que je lis à la page 235 de son rapport :
« Renfermé dans ces limites, l'emprisonnement du débiteur est non seulement légitime, mais il maintient le commerce dans la voie de l'honneur et de la probité. Si c'est un sentiment moral qui porte l'homme à la justice, n'oublions pas que ce sont ordinairement les rigueurs de la loi qui le rappellent à la prudence et à la circonspection. »
Je prie donc l'honorable membre de vouloir bien rétracter l'accusation qu'il m'a adressée.
M. Delcour. - Je ne rétracte rien.
M. Thonissen. - J'ai dit, messieurs, qu'en 1868, l'honorable M. Delcour avait exprimé cette opinion, je vous en fournis la preuve par son rapport ; je suis donc complètement justifié.
(page 1669) M. le président. - M. Guillery a fait parvenir au bureau l’amendement suivant :
« La contrainte par corps est supprimée, sauf en ce qui concerne les témoins défaillants. ;>
M. Bara. - Je n'entends pas discuter à nouveau la question de la contrainte par corps ; je tiens simplement à motiver mon vote.
Je voterai contre le projet de loi, non parce que je ne veux pas que les personnes qui se trouvent incarcérées et que le projet met en liberté ne soient pas mises en liberté, mais parce que le gouvernement n'a pas, selon moi, fait ce qu'il devait faire pour arriver à la réussite complète du projet de loi que la Chambre avait voté et parce qu'en outre le projet consacre des principes en matière de presse qu'il m'est impossible d'admettre, les considérant comme contraires à l'esprit de la Constitution.
On a dit, messieurs, que c'était un acte d'inhumanité que de ne pas voter le projet de loi. Ce reproche, messieurs, je ne l'accepte pas, surtout lorsqu'il se trouve dans la bouche d'adversaires politiques. Personne n'ignore que si la question de la contrainte par corps n'avait pris, à un certain moment, le caractère d'une question politique, nous serions à l'heure qu'il est, en cette matière, sur la même ligne que tous les autres Etats de l'Europe ; nous n'aurions plus de tache dans notre législation et la contrainte par corps n'existerait plus. J'ai voulu obtenir ce résultat, même en me retirant ; j'ai donné ma démission, mes collègues ne m'ont pas permis de la maintenir. Mais, messieurs, si l'on était si pressé de faire sortir de prison les personnes qui s'y trouvent pour dette commerciale, comment a-t-on attendu presque un an pour présenter ce projet, car il faut bien le remarquer, ce projet est absolument le même que celui qui a été voté par le Sénat ; il n'y a qu'une seule différence ; c'est que tandis que dans le projet du Sénat la contrainte par corps en matière de dommages intérêts pour des faits détermines était obligatoire, elle est facultative dans le projet actuel. Il n'y a pas d'autre différence.
Les termes sont les propres termes du projet du Sénat. Je ne parle pas des articles relatifs à la codification, cela n'a aucune espèce de portée. Eh bien, on a attendu presque un an pour arriver à ce résultat ; la question d'humanité n'a pas pesé grandement sur la décision du cabinet.
Mais, messieurs, devait-on craindre de proposer l'abolition complète de la contrainte par corps ? Je ne le pense pas. Quel était l'obstacle autrefois ? L'obstacle c'est la droite du Sénat. Presque toute la gauche du Sénat, sauf quelques membres, avait voté les dernières propositions qui avaient été soumises à la Chambre, et avait voté l'amendement de M. Guillery ; il ne s'agissait donc plus que de conquérir quelques voix dans la droite du sénat et le ministère a, dans celle Chambre, une très grande influence. Le ministère n'a pas voulu tenter cette épreuve.
Il faut donc que la Chambre des représentants, qui a condamné le système que le gouvernement présente, subisse une loi que tous les orateurs déclarent injuste, illégale et inefficace parce qu'une trentaine de sénateurs ne veulent pas de cette loi, ne veulent pas de la réforme complète. C'est là, messieurs, un point que je constate et sur lequel j'appelle les méditations du pays. (Interruption.) Messieurs, le gouvernement avait, pour obtenir du Sénat l'abolition complète de la contrainte par corps, des moyens que nous n'avions pas.
Il pouvait certainement obtenir un vote pour l'abolition complète dans la Chambre des représentants,, car je ne crois point que les éléments qui y sont entrés soient de nature à déplacer la majorité qu'on a réunie autrefois pour l'abolition complète de la contrainte par corps.
M. Coomans. - Au contraire !
M. Bara. - Donc mon argument est d'autant plus juste. Et s'il en est ainsi, qui dit que l'élément nouveau qui est entré au Sénat n'aurait pas contrebalancé la faible différence qui a fait tomber jadis le projet présenté par le gouvernement ?
Et puis, messieurs, la majorité était-elle si rebelle vis-à-vis du ministère que la droite du Sénat aurait dû faire grande résistance pour émettre un vote favorable au projet de loi ?
Mais, messieurs, le cabinet a, depuis son entrée aux affaires, accompli bien d'autres miracles. Il a obtenu au Sénat le vote de la réforme électorale et certainement l'on sait que tous ses amis n'étaient pas partisans de cette réforme. (Interruption.)
Il a obtenu une aggravation de l'impôt foncier ; il vient même, après avoir donné l'ordre au ministre, belge de suivre Victor-Emmanuel à Rome, d'obtenir un succès complet au Sénat. Dans cette affaire il a été approuvé complètement ; il lui a même été, à cette occasion, donné des marques de dévouement et de confiance, après quelques paroles hostiles, par ceux-là mêmes qui plaçaient la question romaine au-dessus de la diplomatie et qui se proclamaient dévoués avant tout au pays et à l'Eglise. (Interruption.)
Eh bien, quand on peut obtenir de pareilles transactions de conscience sur les questions les plus essentielles, sur les questions primordiales sur lesquelles il ne devrait point y avoir de transaction possible, comment peut-on supposer que le ministère, avec les moyens de persuasion dont il dispose, que l'honorable M. d'Anethan n'aurait pas obtenu de ses anciens collègues, de quelques-uns seulement de ses anciens collègues, de vouloir bien voter le projet de la contrainte par corps ?
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Il faut d'abord que ce soit mon avis.
M. Bara. - L'honorable M. d'Anethan dit : Il faut d'abord que je sois de cet avis. Mais est-ce que le projet de loi est déposé comme étant l'expression de l'opinion de la majorité du Sénat ? Au contraire, lorsqu'on l'a déposé, on a exprimé, dans le rapport de la section centrale, le regret de ne pas pouvoir aller plus loin.
Est-ce que les membres du ministère qui, comme M. Jacobs, voulaient l'abolition complète de la contrainte par corps ont abdiqué ?
Est-ce le projet du Sénat ou le projet de la Chambre que la majorité da ministère approuve ? Voilà la question.
D'après l'interruption de M. d'Anethan, il semblerait que le ministère ne veut pas du projet de la Chambre et dès lors plus un effort ne sera fait pour obtenir la suppression complète de la contrainte par corps ; le ministère ne fera plus rien. Mais que devient alors l'opinion de M. Jacobs ? '
Le gouvernement aura donc à s'expliquer, afin que nous sachions s'il y a dans son sein des hommes qui ont abandonné leur opinion et si l'ensemble du cabinet ne veut que de la contrainte par corps morcelée.
Je dis donc, messieurs, qu'il ne m'est pas démontré que le cabinet a fait ce qu'il devait faire pour obtenir l'abolition complète de cette loi. C’est là un des motifs pour lesquels il me sera impossible, de donner un vote approbatif au projet de loi. Ce ne sera point pour empêcher les malheureux qui sont en prison d'en sortir, car il est évident que la majorité est acquise au projet de loi et qu'il passera ici comme il passera au Sénat.
Le second motif de mon vote négatif, c'est que je veux protester énergiquement contre les articles 3 et 5 de la loi qui vous est soumise, articles qui sont empruntés au projet du Sénat.
On fait appliquer la contrainte par corps à ceux qui ont commis un acte illicite de mauvaise foi ou méchamment et on dit au juge de mesurer la durée de cette contrainte à la gravité de la faute commise.
Cette disposition, messieurs, est uniquement dirigée contre la presse. On a eu la bonne foi de le reconnaître, du moins dans certains documents.
On ne peut le nier ; et, en effet, il est presque impossible de citer ces faits illicites commis méchamment ou de mauvaise foi, en dehors de la presse. Quels seront-ils ? Qu'on nous les indique. Si vous portez atteinte à la personne ou à la propriété d'autrui ; si vous avez agi méchamment et de mauvaise, foi, vous aurez presque toujours un délit. Ainsi, si vous injuriez quelqu'un, si vous le frappez, si vous vous livrez à quelque voie de fait, si vous volez, si vous détruisez une propriété méchamment, etc., vous commettez un délit prévu par le code pénal.
Il est donc presque, impossible que l'article 3 soit applicable à d'autres personnes qu'à des journalistes. Cela est indubitable et cela résulte clairement, d'ailleurs, des discussions qui ont eu lieu dans cette Chambre et au Sénat. Eh bien, je ne puis pas admettre qu'on fasse subir aux journalistes un traitement différent de celui qu'on fait à tous les autres citoyens. Le journalisme est une profession comme celle de l'avocat, du commerçant, de l'industriel, etc.
Prenons un commerçant : un commerçant commettra, dans l'exercice de sa profession, tous les actes imaginables ; il fera des contrats frauduleux, il les violera doleusement, il s'enrichira aux dépens d'autrui, il ne payera pas, etc. ; pour lui point de contrainte. Mais qu'un journaliste, dans un moment de vivacité ou d'irritation, dans un entraînement politique, ait le malheur de chatouiller un peu trop l'épiderme d'un sénateur ou d'un représentant, immédiatement, on lui infligera la contrainte par corps. Est-ce là de la justice ? je vous le demande ! Vous aurez beau dire tout ce que vous voudrez, cette loi sera une véritable iniquité et cette iniquité provient de la différence de législation pour les journalistes vis-à-vis des autres citoyens. (Interruption.)
Vous ne pouvez pas frapper de peines différentes des actes reconnus identiques dans l'ordre social ; vous ne pouvez pas soumettre à des régimes différents des catégories différentes de citoyens qui se rendent coupables de faits identiques.
De plus, messieurs, jusqu'à présent, la contrainte par corps, d'après la législation en vigueur, était purement et simplement une épreuve de solvabilité ; c'est-à-dire que c'était un moyen de recouvrer les sommes auxquelles des journalistes avaient été condamnés. Et qu'en faites-vous (page 1670) maintenant ? Vous en faites une véritable peine. Vous aurez beau, M. Delcour, parler de code civil ; votre délit civil, tel que vous l'instituez ici est, aux yeux du véritable législateur, un délit pénal. Qu'est-ce qu'un acte illicite, commis méchamment ou de mauvaise foi ? Je dis qu'un acte illicite commis méchamment peut être érigé en délit.
M. Delcour. - Certainement.
M. Bara. - Eh bien, érigez-le donc en délit et alors nous aurons la garantie du jury, de toutes les formes de la procédure admises en matière de presse.
M. Delcour. - Nous vous avons demandé, dans la première section centrale de le faire, et vous avez avoué votre impuissance.
M. Bara. - Je n'ai point avoué mon impuissance ; j'ai dit que c'était inutile puisque la plus petite injure est punie. Je vous ai dit : Faites-le vous-même ; mais quoique vous soyez jurisconsulte et professeur de droit, vous n'avez jamais su rédiger la formule que je vous demandais. (Interruption.)
Il faut le dire, messieurs, ce qu'on nous propose, c'est une forme hypocrite de soustraire les délits de presse au jury pour les livrer aux tribunaux civils. Vous prétendez que c'est un délit civil. Je dis que la manière dont vous l'instituez en fait un délit pénal, et il n'y aura pas de différence devant l'opinion publique quand vous aurez dit, en vertu d'un jugement civil, que M. un tel a calomnié tel autre, qu'il a commis cet acte méchamment et de mauvaise foi et quand il aura été condamné à un an de contrainte par corps, que quand un tribunal civil ou criminel déclarera qu'il y a eu calomnie ; l'effet produit sur l'opinion publique serait le même. (Interruption.)
Vous aggravez la situation de la presse, car maintenant la contrainte est la même.
Maintenant vous allez faire mesurer l'étendue de la faute. Auparavant la contrainte par corps était un moyen, une épreuve de solvabilité pour se faire par corps. Maintenant en faisant prononcer par le tribunal la durée de la contrainte par corps, vous allez frapper plus vivement le journaliste en disant dans le jugement : Votre faute est aggravée. En vain, viendrez-vous prétendre que c'est moins grave, puisque aujourd'hui le citoyen pourrait rester détenu pendant toute la durée indiquée par la loi, et que d'après le projet, cette durée sera déterminée par le jugement.
Mais, je le répète, au point de vue de l'honneur du journaliste, la situation sera devenue plus grave, parce que, dans les considérants du jugement, on va préciser toutes les circonstances de la calomnie, de l'injure, et le journaliste sera frappé comme s'il s'était trouvé devant un tribunal criminel, et vous prononcerez un peine qui peut varier d'un jour à un an. C'est véritablement attribuer aux tribunaux civils une matière qui est de la compétence du jury... (Interruption.) Vous pouvez vous livrer à toutes les arguties de raisonnement imaginables ; je soutiens que c'est déférer la presse, pour de véritables délits, aux tribunaux civils.
Puis, messieurs, qu'est-ce qu'un acte illicite ? Tout à l'heure l'honorable M. Delcour l'a dit : on a été impuissant a le définir...
M. Delcour. - Ce n'était pas mon rôle.
M. Bara. - Pardon, vous avez, dans le temps, présenté cinq ou six amendements. Pourquoi n'en avez-vous pas présenté un définissant l'acte illicite ? Si l'on trouve que les mots « acte illicite » aient un sens, il faudra bien qu'on m'en donne la définition, ou l'on aura une loi vague laissée à l'appréciation arbitraire du juge.
Mais ce qui est vrai, c'est qu'on ne peut pas définir ce nouveau délit. Aussi on s'en remet à l'arbitraire du juge qui le définira comme il le voudra. Vous créez donc un délit vague, indéterminé !
Vous abandonnez les journalistes à l'appréciation arbitraire des tribunaux. (Interruption.)
.Le juge civil, messieurs, est obligé de juger d'après certaines règles qui lui sont indiquées par le droit civil et le Ccode de procédure.
Le juge civil n'obéit pas aux mêmes règles que celles auxquelles obéit le jury. Et c'est là le danger.
Quand le juge aura devant lui un journaliste qui aura interprété les intentions de son adversaire politique, il ne se demandera pas si le journaliste, en interprétant ainsi les intentions de son adversaire, n'est pas peut-être dans la vérité, bien qu'il n'ait pas de preuve à fournir ; quand même il aurait la conviction morale que le journaliste est dans la vérité, il dira : Je n'ai pas de preuves, et il condamnera. Il en sera autrement du jury.
Un journaliste déclare qu'un ministre de la justice, en posant un acte, n'a pas été sincère. Le journaliste est traduit devant la justice civile. Que va faire le ministre, s'il veut gagner son procès ? Il dira au journaliste : « C'est à vous de faire la preuve que je n'étais pas de bonne foi. »
Mais cette preuve est radicalement impossible. Et le tribunal condamnera le journaliste à des dommages-intérêts, parce qu'il n'a pas prouvé que le ministre n'était pas sincère, bien que l'opinion publique soit peut-être de l'avis du journaliste.
Aussi de pareils faits doivent être déférés au jury qui se place au-dessus de ces règles d'interprétation. En procédant comme vous proposez de le faire, vous dénaturez l'esprit de la Constitution, vous créez insidieusement (je n'attaque les intentions de personne) une déviation des articles de la Constitution relatifs à la presse. (Interruption.)
Evidemment, la législation qui résultera de la loi qui nous occupe en ce moment sera une violation de l'esprit de la Constitution qui déclare que les délits de la presse sont du ressort du jury.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Vous avez eu la faculté de modifier la législation sur la presse et vous ne l'avez pas fait.
M. Bara. - Votre observation n'a aucune espèce de fondement. Ma réforme à moi, c'est la suppression de la contrainte par corps d'une manière absolue, de telle sorte que le journaliste ne pouvait plus encourir la peine que vous comminez aujourd'hui contre lui.
Vous, vous venez aggraver la situation du journaliste, vous créez contre lui un nouveau délit.
En supprimant la contrainte par corps en matière de dommages-intérêts vous n'aviez plus d'action sur le journaliste pour les véritables délits, autrement que par sa condamnation en cour d'assises ; c'est ce que nous voulions et c'est précisément ce qui était le fondement de l'opposition au Sénat. On disait : supprimer la contrainte par corps, c'est supprimer de fait l'action civile ; vous serez obligés chaque fois qu'il y aura calomnie ou injure, d'aller devant la cour d'assises, parce que vous vous trouverez devant des insolvables... (Interruption de M. le ministre de la justice.) Vous n'allez pas prétendre, je suppose, que votre opinion toute seule va prévaloir contre celle qui a prévalu à la Chambre et au Sénat ?
Voilà un des motifs pour lesquels le Sénat repoussait l'abolition de la contrainte par corps, il la repoussait parce que l'action civile contre le journaliste sans la contrainte par corps ne pouvait pas avoir d'effet, parce qu'on n'aurait pu tirer aucun profit de cette action.
Voilà précisément pourquoi votre observation de ce que je n'ai pas modifié la législation sur la presse ne tient pas : elle ne serait vraie que si je n'avais pas supprimé la contrainte par corps en toutes matières, même en matière de dommages-intérêts. (Interruption.)
- Un membre. - Les considérants.
M. Bara. - Les considérants ? Les considérants ne sont pas du tout la même chose. C'est là une question très grave que nous aurons à examiner quand nous discuterons la proposition de M. de Baets, celle de savoir s'il ne faut pas interdire aux tribunaux civils de se prononcer sur le caractère calomnieux et injurieux des articles incriminés et leur prescrire de constater seulement le caractère illicite et dommageable des articles qui leur sont déférés. Alors, quand on voudrait faire déclarer qu'un journaliste a commis une calomnie, on devrait, selon la Constitution, passer par la cour d'assises. C'est peut-être la solution la meilleure dans la matière sans avoir besoin de la proposition de M. de Baets. En tout cas, je ne fais qu'indiquer ce point, sans l'avoir approfondi et sans me prononcer.
Messieurs, un autre inconvénient de l'article 3, c'est que cet article rend la contrainte par corps facultative.
Or, messieurs, il va en résulter ceci : c'est que dans certains ressorts, selon l'opinion des magistrats quant à la contrainte par corps, on appliquera cette peine, tandis que dans d'autres ressorts on ne la prononcera pas. Le projet de loi n'indique aucune espèce de règle pour le juge ; il ne lui dit pas quand il doit prononcer la contrainte par corps ou quand il ne doit pas la prononcer. Cela est laissé complètement à sa volonté.
C'est une modification dont n'avait pas voulu le Sénat, parce qu'il comprenait qu'elle jetterait dans l'application de la loi un grand doute. Vous trouverez des tribunaux civils, vous trouverez une cour d'appel qui prendront pour jurisprudence d'appliquer toujours la contrainte par corps, vous en trouverez d'autres qui ne l'appliqueront jamais. Et le cas s'est présenté. Ainsi, sous la date de 1859, une des dispositions certainement qui devait disparaître par suite des abus constatés dans la pratique, c'est celle qui laisse la faculté de condamner à la contrainte par corps pour les sommes de 300 à 600 francs. Quand j'ai pris des informations pour savoir comment le tribunal de commerce de Bruxelles appliquait cette disposition, on m'a répondu que jamais il n'appliquait la contrainte par corps. C'était donc une règle pour lui de ne pas user de cette disposition.
Eh bien, vous aurez la même chose. Car on ne dit nulle part sur quoi le juge se basera pour appliquer ou ne pas appliquer la contrainte par corps.
(page 1671) Je sais que vous direz qu'il résulte de l'esprit de la loi que c'est quand l'acte sera méchant, quand ce sera un acte de mauvaise foi. Mais voyez à quel arbitraire vous livrez la presse et les citoyens. On croira, s'en rapportant à la jurisprudence de tel ou tel tribunal, qu'on peut appliquer la contrainte par corps. Pas du tout, le tribunal saisi dira que la mauvaise foi n'est pas assez étendue, que le degré de méchanceté n'est pas suffisant, et vous aurez une garantie incertaine pour les citoyens et un vague arbitraire pour la presse.
Il m'est impossible, pour mon compte, de voter de pareilles dispositions. Cette loi, avec les additions qui découlent des votes du Sénat, est une loi inique, complètement inique. Elle crée pour la presse une position exorbitante en dehors du droit commun, elle la frappe d'une manière spéciale, sans lui donner les garanties auxquelles elle a droit.
Dès lors, votre loi n'aura qu'un caractère éphémère. Elle sera constamment battue en brèche d'autant plus qu'on en verra de suite l'iniquité. Quand on verra d'un côté des spéculations qui échapperont à la contrainte par corps, quel que soit le degré de méchanceté de leurs actes, et quand on verra d'un autre côté des journalistes aller en prison pour répondre de quelques peccadilles, je dis que votre loi sera jugée, qu'elle sera frappée du caractère d'iniquité que j'indiquais tout à l'heure. (Interruption.)
Je ne puis donc voter cette loi. Je ne veux en rien que ce soit prêter mon concours à une pareille disposition qui a pour but de violer l'esprit de la Constitution, de faire subir à certains citoyens un régime différent de celui qui est fait aux autres.
J'émettrai un vote négatif comme protestation contre cette loi, avec l'espoir formel qu'elle ne restera pas longtemps dans notre législation.
M. Guillery. - Je demande la parole.
M. le président. - Si c'est pour développer votre amendement, vous pourrez le faire à l'article premier.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je dois nécessairement répondre. Mais si l'on veut clore la discussion générale, je pourrai le faire à l'article premier.
- La discussion générale est close.
La Chambre passé à la délibération sur les articles.
« Art. 1er. La contrainte par corps est supprimée, sauf les modifications qui suivent. »
M. le président. - La parole est à M. Guillery pour développer son. amendement.
M. Guillery. - La Chambre connaît l'état de la question qui lui est soumise aujourd'hui. Si la proposition transactionnelle que j'ai eu l'honneur de déposer en 1867 avait été adoptée, les malheureux au nom desquels on a si souvent fait entendre la voix depuis lors seraient en liberté depuis deux ans. Pour ceux-là, il n'y avait aucune espèce de doute : la réforme était faite et irrévocable parce qu'elle était dans les vœux de tout le monde. Une disposition provisoire et pour quelques mois seulement ne compromettait rien, quant au reste.
Il eût été libre alors à la législature de rétablir la contrainte par corps en matière de dommages-intérêts si elle l'avait jugé convenable ; dans tous les cas, la loi n'était que provisoire, il fallait une loi nouvelle et la question restait entière. Aujourd'hui nous nous trouvons devant un projet de loi qui nous est en quelque sorte imposé. Le gouvernement n'a pas voulu tenter la réussite d'un projet voté déjà par la Chambre des représentants.
Malgré l'appui que trouvait ce projet dans les élections nouvelles et que lui auraient donné plusieurs de nos collègues nouveaux venus, le gouvernement n'a pas cru devoir faire le moindre effort en faveur du principe de l'abolition complète de la contrainte par corps.
Eh bien, messieurs, avant de subir le projet que présente le gouvernement, je veux faire un dernier effort ; je veux voir si la majorité dans cette Chambre ne sera pas tellement imposante qu'elle dictera la conduite du gouvernement et que le Sénat, qui lui aussi a été renouvelé, qui lui aussi contient des éléments nouveaux, ne partagera pas cette opinion favorable à la suppression complète.
Je ne dirai qu'un seul mot contre le projet de loi.
Il y a, selon moi, une véritable inconstitutionnalité à maintenir la contrainte par corps contre la presse, alors qu'on la supprime en toute autre matière.
Qu'a-t-on invoqué contre la presse lorsqu'on a établi cette jurisprudence qui soumet aux tribunaux civils les questions de dommages-intérêts ? On a invoqué le droit commun. C'est au nom du droit commun qu'on a dit que la presse devait être soumise à l'action en dommages-intérêts absolument comme tout le monde.
Mais si, aujourd'hui, nous supprimons la contrainte par corps pour toutes les autres matières, en vertu de quel principe la maintiendrez-vous contre la presse ?
Il y a une législation exceptionnelle en faveur de la presse, exceptionnelle en ce qu'elle donne à la presse des garanties, des privilèges qu'elle ne donne point aux autres, et cette exception vous la retournez contre la presse, vous mettez la presse hors le droit commun. Au lieu de dire, comme le Congrès : La presse aura le privilège d'être jugée par le jury, il n'y aura point d'arrestations préventives pour délit de presse, vous lui dites : Vous seule serez soumise à la contrainte par corps alors que pour tout autre, quel que soit le dommage causé, la contrainte par corps n'existera plus. Vous établissez un privilège odieux, un privilège en sens inverse de ce qu'a voulu le Congrès.
Eh bien, messieurs, avant de me résigner à cela, je veux faire une tentative en faveur de l'abolition radicale, complète, loyale, égale pour tout et conforme à cet esprit de liberté et d'égalité qui doit régner dans notre législation.
M. le président. - L'amendement a été développé. Il est appuyé ; il fait partie de la discussion.
- Voix nombreuses. - A demain !
M. le président. - La remise à demain est demandée. Je consulte l'assemblée sur le point de savoir si elle entend lever la séance.
- La Chambre décide que la discussion continue.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, le projet du gouvernement a été l'objet de critiques et d'éloges.
L'honorable M. Lelièvre a parfaitement caractérisé les améliorations que le projet introduit dans la législation.
L'honorable M. Thonissen a rendu également hommage aux propositions du gouvernement dans la première partie de son discours, et ces honorables membres m'ont ainsi dispensé du soin de faire connaître à la Chambre l'économie du projet et les progrès réels qu'il consacré.
Ces améliorations sont telles, messieurs, qu'on peut affirmer que la contrainte par corps, si le projet de loi est voté, est supprimée dans 99 cas sur 100, pour me servir d'une expression qui a déjà été employée dans les discussions qui ont occupé la Chambre sur cette matière.
L'honorable M. Bara s'est chargé de la critique du projet.
Il a reproché au cabinet de n'avoir pas fait ce qu'il aurait dû faire, de n'avoir pas usé de son influence pour faire passer le projet d'abolition absolue, d'abord à la Chambre, ensuite au Sénat.
Le gouvernement n'a pas cru, messieurs, qu'il était de son devoir d'agir de la sorte.
En supposant que la chose fût en son pouvoir, il' ne voudrait pas abuser de l'influence qu'il peut exercer sur ses amis politiques pour leur imposer une mesure qui heurterait leurs convictions. Il entend respecter la conscience et la liberté des membres de la majorité qui le soutient dans l'une et dans l'autre Chambre.
Avant de présenter le projet sur la contrainte par corps, il a consulté la situation qui résultait des rétroactes.
Quelle était cette situation, messieurs ?
Tout le monde s'en souvient : le projet avait passé et repassé d'une Chambre à l'autre ; le Sénat et la Chambre se trouvaient dans un désaccord complet, parce que, je dois bien le dire, l'honorable M. Bara n'a voulu se prêter de bonne grâce à aucune espèce de concession sérieuse ; parce qu'il s'est obstiné à vouloir l'abolition complète et absolue ; parce que, à l'exemple de je ne sais quel conventionnel ou constituant, il a mis en pratique la maxime : « Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! »
Il en est résulté qu'une réforme qui était en définitive désirée par tout le monde, la réforme en matière commerciale, en matière civile, contre les étrangers et en matière de deniers et effets publics, s'est trouvée indéfiniment ajournée.
En présence de cet état de choses créé par le précédent cabinet, trois voies étaient ouvertes au gouvernement.
Nous pouvions rester dans l'inaction ; c'était plus commode. Nous ne l'avons pas voulu parce qu'il est de ces questions qui, une fois soulevées, doivent être résolues.
Nous pouvions présenter un projet d'abolition absolue ; je viens de dire que l'on ne pouvait espérer le voir aboutir en présence de la composition actuelle du Sénat et nous ne voulions pas essayer de le faire voter en usant d'une pression illégitime.
Nous pouvions enfin faire de la conciliation, nous placer sur le terrain de la transaction, chercher une solution qui eût chance de rallier à nous (page1672) les partisans de la' suppression absolue en leur faisant de larges concessions. C'est cette troisième voie que nous avons suivie.
Des concessions très larges ont été accordées dans le projet aux partisans de la suppression absolue, mais je m'aperçois à regret que ces concessions sont stériles et que l'auteur du projet qui voulait l'abolition absolue de la contrainte par corps, persiste dans ses anciennes idées et votera contre la loi.
J'espère cependant que, malgré cette opposition, le projet que nous avons eu l'honneur de présenter dans un esprit de loyale transaction et dans lequel nous avons introduit de bonne foi toutes les améliorations que nous croyons pouvoir faire accepter, j'espère, dis-je, que, malgré cette opposition, le projet ralliera la grande majorité de la Chambre.
Ce projet, messieurs, a été l'objet de critiques injustes, imméritées. Il maintient la contrainte par corps pour dommages-intérêts, restitutions et frais en matière répressive ; en ce point, il conserve ce que la loi française de 1867 a décrété. On conçoit qu'en matière de faits prévus par la loi pénale, la réparation civile doive être sanctionnée d'une manière plus efficace qu'en matière de dettes ordinaires.
Ce n'est pas une créance ordinaire que celle qui prend sa source dans un fait puni par les lois répressives. Lorsqu'un individu se rend coupable d'un crime ou d'un délit, son innocente victime n'a absolument rien fait pour mériter le préjudice qui lui est causé ; il faut donc que la réparation soit complète et cette réparation ne peut l'être que si celui qui éprouve un dommage s'en voit indemnisé intégralement. L'équité et l'intérêt social exigent qu'il en soit ainsi.
M. Bara lui-même, dans les discussions qui ont eu lieu au Sénat, avait reconnu qu'en matière pénale on pouvait admettre la contrainte par corps ; il ajoutait, il est vrai, que cette concession ne serait peut-être pas très rationnelle, très logique, mais qu'il pourrait cependant céder sur ce point ; M. Frère-Orban était du même avis et allait même jusqu'à admettre ce mode d'exécution en cas de faits illicites posés méchamment et de mauvaise foi.
Messieurs, du moment que l'on admet que la contrainte par corps peut être maintenue pour la réparation des dommages et comme sanction de l'action civile en matière répressive, on doit également l'admettre lorsqu'il. s'agit de faits illicites, posés méchamment dans le dessein de nuire, quoiqu'ils ne tombent pas sous l'application de la loi pénale.
La victime de ces faits est-elle moins intéressante que celle qui a à se plaindre d'un crime, d'un délit ou d'une contravention ? Ne doit-elle pas être protégée par le législateur, et dès lors les moyens les plus efficaces ne doivent-ils pas aussi lui être accordés pour assurer une réparation complète ? Dans le cas de faits illicites posés méchamment et de mauvaise foi, nous laissons la contrainte facultative.
Nous laissons au juge le soin d'apprécier les circonstances ; et je m'étonne vraiment d'entendre l'honorable M. Bara, qui, pendant plusieurs années, a été ministre de la justice, mettre en suspicion l'intervention de la magistrature en cette matière. Est-ce de l'arbitraire que de laisser aux tribunaux le soin de prononcer ou de ne pas prononcer la contrainte par corps selon la gravité des circonstances, de laisser à la sagesse et à la prudence du juge l'appréciation des faits et la faculté de dire s'ils graves pour mériter à la victime d'un fait illicite la garantie de la contrainte par corps ?
Tous les griefs qu'on articule contre le projet s'effacent, messieurs, devant un reproche excessivement grave qui, s'il était fondé, exposerait la foi à une légitime impopularité.
Est-il vrai, messieurs, que ce soit une loi dirigée exclusivement contre la presse ? Est-il vrai, comme on l'affirme, que nous placions la presse en dehors du droit commun ? Est-il vrai que nous sanctionnions législativement la compétence des tribunaux civils en matière de délits de presse ?
Mais, messieurs, il n'y a pas un mot de vrai dans tous ces reproches. La loi ne s'occupe pas spécialement de la presse ; elle n'y est même pas mentionnée. (Interruption.)
Messieurs, de deux choses l'une : ou la créance née d'un fait illicite, accompli méchamment et de mauvaise foi, doit être garantie par la contrainte par corps ou elle ne doit pas l'être.
Je vous ai démontré qu'elle doit l'être ; que l'équité, la raison, la justice, l'intérêt social exigent que, dans ce cas, un moyen d'exécution plus rigoureux protège la victime et garantisse la réparation.
Eh bien, s'il en est ainsi, voudrait-on placer le journaliste en dehors du droit commun ?
Voudrait-on qu'il fût soumis à un autre régime que tous les autres citoyens ? Là serait le privilège, là serait l'abus.
Mais, messieurs, quels sont donc les journalistes que vous défendez en ce moment ? Ce sont des journalistes capables de commettre des faits illicites méchamment et de mauvaise foi.
Mais de pareils écrivains sont-ils dignes de la sollicitude et de la protection du législateur ? Ne méritent-ils pas de subir le châtiment de leurs mauvaises actions ? Le dommage qu'ils auront causé à l’honneur des citoyens ne doit-il pas être aussi efficacement réparé que le dommage subi par ceux-ci à la suite d'un acte coupable dans leur fortune ou leur propriété ?
La contrainte par corps se justifie mieux dans ce cas que dans tous autres. Pourquoi ?
Mais, messieurs, parce qu'elle empêche des insolvables d'être mis en avant comme hommes de paille, parce qu'elle empêche les écrivains, les journalistes de se soustraire à la responsabilité de leurs actes, parce qu'elle est un frein qui contient et prévient les écarts et les abus. Ne serait-ce pas un véritable malheur que de permettre à des écrivains de se soustraire à la responsabilité de leurs actes ? Il n'est pas un journaliste, digne de ce nom, qui voulût pour la presse le privilège de l'impunité pour réparer le préjudice causé.
Le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi et devant la justice est donc parfaitement respecté.
Remarquez, messieurs, je vous prie, que nous n'innovons en rien, que nous ne changeons pas ce qui existe ; et cependant on nous traite de réactionnaires !
Aujourd'hui déjà les tribunaux civils peuvent, en vertu de la loi de 1859, prononcer la contrainte par corps contre les journalistes, lorsque l'action civile est introduite devant eux pour des faits prévus par la loi pénale et en cas de dol, de fraude et de violence.
Loin d'aggraver ce régime, nous l'atténuons, nous l'améliorons notablement en faveur de la presse. Nous diminuons la durée de la contrainte par corps. Nous élargissons les exemptions. Nous ne confions plus aux créanciers seuls le soin d'en fixer le terme. Nous investissons la magistrature du droit d'apprécier les circonstances et de déterminer la durée de la contrainte par corps d'après l'étendue du préjudice causé et la gravité des faits.
Ne venez donc pas dire que nous faisons une loi contre la presse. Au contraire, nous améliorons ce qui existe, nous faisons à la presse une meilleure position.
Mais, confondant des choses qui n'ont aucun rapport, on nous dit : Vous maintenez la juridiction des tribunaux civils.
Messieurs, nous ne touchons en rien à la question de juridiction et de compétence. La compétence fait l'objet d'une proposition soumise à la Chambre et qui sera discutée ultérieurement.
Aujourd'hui, nous n'avons pas à nous en occuper. Nous n'avons qu'à rechercher, à préciser les cas où la contrainte par corps doit, garantir certaines créances, sans nous préoccuper nullement de la presse en particulier.
La question de compétence en matière de presse divise les meilleurs esprits.
La jurisprudence actuelle, unanimement admise par nos tribunaux, a soulevé beaucoup de réclamations et de protestations.
Lorsque la proposition qui a pour but de restituer à la presse la juridiction exclusive du jury sera soumise à vos délibérations, nous l'examinerons avec tout l'intérêt qu'elle comporte. Quand le moment sera venu, nous nous expliquerons franchement, et nous verrons alors de quel côté sont les véritables amis de la presse. Nous rechercherons alors s'il n'y a pas lieu de rendre au jury l'appréciation exclusive de certaines questions de presse ; si, par exemple, un fonctionnaire public qui a été l'objet d'attaques de la part de journaux, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, peut introduire une action civile devant les tribunaux civils.
Mais aujourd'hui nous n'avons pas à discuter ces questions ; nous ne touchons pas à la compétence ni aux juridictions. Après comme avant le vote du projet de loi, la position des journalistes sera la même : ils resteront dans le droit commun.
- Des membres. - A demain !
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je comprends que la Chambre soit impatiente d'en finir ; l'heure est fort avancée.
(page 1673) Je demande cependant de pouvoir présenter encore une seule observation sur l'amendement de l'honorable M, Guillery.
Je crois que pour aboutir à un résultat pratique, pour réaliser une réforme sérieuse, ceux mêmes de nos amis politiques qui ont été autrefois et qui sont encore partisans de la suppression absolue de la contrainte par corps ne peuvent se rallier à l'amendement de l'honorable député de Bruxelles.
Voter cet amendement, ce serait travailler à rétablir la situation qui existait avant la dissolution ; ce serait faire revivre un conflit entre les deux Chambres, conflit qui, en présence de la composition actuelle du Sénat, aurait pour effet d'empêcher, à coup sûr, la réalisation de la réforme sur tous les points où elle est réellement importante.
Messieurs, si le gouvernement pensait que la proposition de M. Guillery a des chances d'être admise par les deux branches de la législature, il ne tiendrait pas le langage que je fais entendre en ce moment devant la Chambre. (Interruption.)
Mais il est certain que l'honorable M. d'Anethan, qui n'a jamais été lui-même partisan de l'abolition absolue de la contrainte par corps, ne peut pas se porter fort que le Sénat votera la suppression complète. Au contraire, il croit, comme nous, que la suppression absolue ne saurait aboutir en présence de la constitution actuelle du Sénat. (Interruption.)
Je crois fermement qu'eu égard à la composition actuelle du Sénat, il n'y aurait pas de chance de voir aboutir une réforme radicale. Vous l'avez reconnu vous-mêmes implicitement tout à l'heure, M. Bara, en disant que l'obstacle à vos projets, vous l'avez rencontré surtout dans la droite du Sénat.
Eh bien, cette droite est renforcée ; la plupart des membres qui vous ont fait opposition s'y trouvent encore, et croyez-vous que nous aurions une position bien digne, si nous allions dire à ces sénateurs : Il faut voter le projet que nous vous présentons alors que vous l'avez rejeté quand il vous était soumis par nos adversaires politiques ? Non, messieurs, c'est là un rôle que nous ne pouvons pas accepter ; la dignité du Sénat et la nôtre nous empêchent de le remplir.
Ainsi quelle serait la conséquence du vote de l'amendement de M. Guillery, qui est en apparence si large et si radical ? Le vote de cet amendement aboutirait à rétablir la situation que nous avions avant la dissolution et à faire renaître le conflit entre les deux Chambres.
L'amendement n'est plus de la transaction ; ce serait le triomphe exclusif des abolitionistes absolus et du système de l'honorable M. Bara. J'adjure donc mes amis et tous les membres de cette Chambre qui veulent réellement un résultat pratique, la suppression de la contrainte dans les cas où tout le monde est d'accord, qui veulent mettre un terme à un état de choses qui a fait maintenir en prison pendant plusieurs années des commerçants, des étrangers, tant de détenus intéressants, à qui l'on avait fait entrevoir l'élargissement et la délivrance, j'adjure ces honorables membres de se rallier à la proposition du gouvernement et de voter contre l'amendement de M. Guillery.
Messieurs, l'honorable M. Thonissen a posé au gouvernement une question à laquelle j'ai déjà répondu, mais sur laquelle j'ajoute quelques mots en terminant ; c'est celle de savoir si, en proposant les articles 3 et 5, nous entendons trancher législativement la question relative de la jurisprudence des tribunaux en matière d'action civile pour des faits de presse.
J'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure ; il est certain que le projet actuel ne touche en rien à la question de juridiction et de compétence, et que ceux-là qui le voteront resteront complètement libres quant à la proposition qui est soumise à la Chambre et qui émane de l'initiative de l'honorable M. de Baets.
Je crois, messieurs, pouvoir borner là mes observations et je suis convaincu que la Chambre, voulant hâter la réalisation d'une réforme sérieuse et qui est dans les vœux de tous, rejettera l'amendement de M. Guillery et votera le projet du gouvernement.
M. le président. - La parole est à M. Guillery.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Guillery. - Je n'ai qu'un seul mot à dire, messieurs. Le gouvernement ne se rallie pas à l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter et je comprends pourquoi : c'est que l'honorable ministre de la justice a une opinion entièrement conforme à celle qui est consacrée par le projet de loi.
Il n'est donc pas étonnant qu'il ne se rallie pas au système que nous défendons. Si le gouvernement n'adopte pas mon amendement, je reconnais qu’il a peu de chance de succès devait le Sénat, bien que cette assemblée soit renouvelée en partie et que, quant à moi, il me soit impossible de préjuger l'opinion des honorables membres qui la composent.
Mais, comme il est juste que chacun ait la responsabilité de sa conduite, je demanderai que l'amendement soit mis aux voix.
Je ne veux répondre qu'à un seul des arguments développés par M. le ministre de la justice.
Il m'a dit : Qui défendez-vous en définitive ? Ce sont les journalistes qui ont agi de mauvaise foi et méchamment. Voilà les hommes à qui vous vous intéressez ! Il importe de répondre à cela pour qu'il n'y ait pas de malentendu ; et si un homme aussi éclairé que M. le ministre de la justice s'y est trompé, nous pourrions craindre que le vulgaire s'y trompât beaucoup plus encore.
Je ne dirai pas, pour répondre à cet argument, que les abolitionnistes de la peine de mort sont bien plus coupables encore, puisqu'on pourrait leur dire avec autant et avec aussi peu de raison : Vous défendez des assassins, des voleurs avec escalade et effraction, des parricides, des incendiaires ; vous jouez là un bien vilain rôle. Je préfère répondre que le Congrès, lorsqu'il a décidé que le jury était spécialement compétent pour les délits politiques et les délits de la presse, s'est occupé de tous ceux dont la conduite devait être soumise aux tribunaux, innocents et coupables. Lorsqu'on parle de juridiction, lorsqu'on veut restreindre la compétence du tribunal, lorsqu'on veut caractériser un délit, parle-t-on seulement du coupable ? N'est-ce pas parce que l'on est préoccupé de ce fait que souvent,, avec de mauvaises définitions dans les lois, on arrive à des jugements iniques ? Qu'il importe de préciser les délits, parce que l'erreur se glisse partout et que la passion se glisse quelquefois partout ?
Il importe donc que les délits soient caractérisés de telle sorte que le juge ne puisse pas se tromper, et il importe que la juridiction soit telle que le prévenu ait toutes les garanties possibles. C'est ce qui vous explique la décision du Congrès. Mais, en matière de presse, qui est coupable et qui est innocent ? Le Congrès est parti de cette idée fondamentale qu'en matière de presse, la plupart des délits sont relatifs, qu'en matière de presse, ce qui serait un délit d'après le droit commun, n'est pas un délit. Il faut apprécier si l'acte dont on se plaint ne s'est pas produit dans un débat politique, au milieu de discussions vives, brûlantes, passionnées, où ce qu'on appelle un délit, lorsqu'on parle de sang-froid, n'est, en définitive, que l'usage du droit sacré de la défense, une polémique excusable, si elle n'est pas complètement innocente. Voilà ce qu'il importe de préciser en matière de presse.
Nous pouvons vous demander, au nom de ceux que l'on considère comme de si mauvaise foi, si les délits en matière de presse ne sont pas presque toujours impersonnels et si celui qui a tenu la plume pour écrire un article, pour développer une pensée, pour exprimer une passion, et le seul qui a poussé à la production de l'article, s'il n'est pas, uniquement à raison de sa profession, l'organe accidentel de l'opinion publique, ou du moins de tout un parti, de toute une fraction de l'opinion publique et si vous avez le droit de faire retomber sur lui seul la responsabilité qui appartient à une collectivité, si vous avez le droit de frapper comme victime celui qui sr présente à vous la plume à la main, alors qu'il a souvent adouci dan» l'expression l'idée ou l'attaque qui lui était inspirée.
Voilà pourquoi il importe que, dans cette matière, en respecte la loi, on respecte la Constitution et l'on n'introduise pas des définitions qui prêtent à l'arbitraire.
Enfin, si le reproche qu'on nous adresse était fondé, nous aurions le droit de dire aussi à ceux qui demandent que la contrainte par corps soit abolie en matière commerciale : Vous faites-vous les défenseurs des escrocs, des voleurs dont les actes ne tombent pas sous l'application du code pénal, des hommes qui passent à travers les mailles du code pénal et causent la ruine des familles ?
Ce qui condamne la contrainte par corps et ce qui fait que vous la rejetez en matière commerciale, c'est qu'elle est une exécution inique, c'est que vous n'avez pas le droit de dire à un homme : « Tu n'as pas d'argent, donc tu seras soumis à cette torture morale, qui remplace avantageusement l'ancienne torture. » Non ! vous n'avez pas le droit de séparer le père de famille de sa femme et de ses enfants, parce qu'il a le malheur d'être pauvre, parce qu'il est plus nécessaire que tout autre à ceux dont il est l'unique soutien. Vous n'avez pas le droit d'essayer d'obtenir que, par les douleurs et les lamentations des malheureux, un ami se laisse attendrir et vienne payer leurs dettes.
Si ce moyen est infâme contre les commerçants, il est infime contre tout le monde, il est illégitime, et votre devoir est de le proscrire.
(page 1674) M. Jacobs, ministre des finances présente deux projets de lois, ayant pour objet d'allouer au département des travaux publics un crédit de 205,000 francs pour couvrir l'insuffisance du crédit destiné à l'extension du matériel des chemins de fer, et un crédit de 1,100,000 francs pour faire face 'à une condamnation judiciaire.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets le lois et les renvoie a l'examen de la section centrale.
M. le président. - Un amendement a été déposé par M. le ministre des travaux publics au projet relatif à la concession d'un chemin de fer de Tirlemont par Diest au camp de Beverloo, II est ainsi conçu :
« Art. 3 (nouveau). Les dépenses d'exploitation à déduire du produit brut pour établir le produit net, seront fixées à forfait par le cahier des charges de la concession. »
- Cet amendement sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 5 heures et demie.