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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21 juin 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1482) M. Wouters procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des propriétaires, industriels, agriculteurs et commerçants a Dion-le-Mont prient la Chambre d'accorder au sieur Stevens la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Wavre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Abrassart demande qu'il soit pris des mesures pour que les instituteurs, dans les grandes communes, ne puissent cumuler plusieurs fonctions salariées. »

- Même renvoi.


« Le sieur Nidova prie la Chambre d'adopter, pendant la session, le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Jules-Edouard-Ambroise Blanchart, receveur des contributions directes et accises à Charleroi, demande la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Des cultivateurs à Hérinnes prient la Chambre de rejeter les augmentations de la contribution foncière proposées par le gouvernement.

« Même demande d'habitants de Clermont-sous-Huy, Forges, Lavoir, Thys, Crisnée, Huy, Marchin-lez-Huy, Villers-le-Bouillet et d'une commune non dénommée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant les lois d'impôts.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi apportant des modifications aux lois d’impôts

Discussion générale

M. Elias. - Je désire répondre d'abord deux mots au discours de l'honorable M. Cruyt, qui m'a prêté une opinion que je n'ai pas émise.

L'honorable membre me fait dire que j'ai soutenu que le droit de débit des boissons alcooliques est un impôt direct. Je me suis borné à dire que si l'honorable M. Cruyt croyait que ce droit constitue un impôt indirect, la position à prendre par la droite est extrêmement simple : il lui suffit de faire déclarer, par la loi, que c'est un impôt indirect, pour le faire disparaître du cens électoral. Je ne me suis pas expliqué sur la nature de cet impôt. Je me suis borné à un simple rapprochement entre l'opinion de l'honorable membre et le projet de loi.

Je passe au discours de M. le ministre des finances.

L'honorable ministre m'a accusé d'avoir commis une erreur en affirmant que le gouvernement n'avait pas d'action sur le budget des provinces. Je ferai remarquer que lorsque, dans une séance précédente, répondant à une interruption de l'honorable M. Julliot, j'ai dit que l'action du gouvernement sur les administrations locales n'était pas considérable, mes paroles pouvaient s'appliquer aussi bien aux communes qu'aux provinces. Ce que j'ai dit pouvait s'appliquer aux communes. Ce que je disais était conforme, du reste, aux actes du gouvernement, à ses déclarations dans l'exposé des motifs.

Les communes sont mises sur le même rang que les provinces.

« Ces impôts spéciaux, dit l'exposé des motifs, conviennent mieux aux provinces et aux communes qu'à l'Etat. » Donc, aux communes aussi. De plus, lorsque des administrations communales sont allées voir M. le ministre pour avoir des renseignements sur les conséquences possibles de son projet, il leur a dit qu'elles pouvaient s'emparer du droit de débit et y trouver une compensation au déficit qu'elles prévoyaient.

Je n'ai donc fait que suivre l'honorable ministre.

Quoi qu'il en soit, même à l'égard des provinces, je crois que les droits du gouvernement sont bien limités.

En soutenant cette thèse, je ne crois pas encourir le reproche que me faisait M. le ministre en disant que nous poussions les provinces et les communes à la résistance. Ce reproche est sans valeur.

En effet, les conseils provinciaux sont composés d'hommes intelligents ; ils connaissent parfaitement leurs droits et ils n'ont pas besoin de nos avis pour savoir quelle ligne de conduite ils ont à suivre.

Je maintiens que l'action du gouvernement sur les provinces n'est pas prépondérante, qu'il ne pourra pas les contraindre et, pour le démontrer, je n'ai qu'à recourir à l'article 87 de la loi provinciale elle-même. Cet article donne deux droits au gouvernement : le droit de ne pas approuver le budget provincial tout entier et le droit de refuser son approbation à un ou deux articles du budget.

L'honorable M. Cruyt nous a signalé hier un autre moyen d'action : celui de ne pas approuver les nouveaux impôts.

Eh bien, messieurs, je doute fort que le gouvernement puisse user de ces droits. En effet, rejeter un budget tout entier serait un acte excessivement grave ; je ne crois pas qu'il y en ait un seul exemple en Belgique. Refuser l'approbation d'un article du budget n'a pas les mêmes conséquences ; cependant un conflit pourrait en résulter entre le gouvernement et la province ; la province ne cédera pas. Il y aura déficit dans le budget.

Dans ce cas, la ligne de conduite à suivre est tracée par l'article 87 de la loi provinciale. Cet article dit que si, par suite du refus d'approbation d'un article du budget ou si, par suite de l'introduction au budget d'un article de dépense obligatoire auquel la province n'aurait pas consenti, dans ces cas il y sera pourvu par une loi.

Dans ce cas, il y a conflit. Si donc, il y a conflit entre le gouvernement et la province, le gouvernement doit avoir recours à la loi pour le vider.

L'article 87 de la loi provinciale ne fait que rappeler dans ce cas-ci l'article 110 de la Constitution elle-même. Aux termes de l'article 110, les provinces et les communes votent librement tous leurs impôts, sans que le gouvernement ait le droit de leur imposer l'obligation de choisir une taxe spéciale.

Aucune charge, aucune imposition ne peut être établie que du consentement du conseil provincial. Il est vrai que l'article 110 ajoute :

« La loi détermine les exceptions dont l'expérience démontrera la nécessité, relativement aux impositions provinciales et communales. »

Il y a donc un moyen d'obliger les provinces et les communes d'établir des taxes spéciales. Mais ce moyen n'est pas à la disposition du gouvernement ; il est à la disposition des Chambres. L'honorable ministre, en usant de pression pour obliger les provinces et les communes à adopter un impôt, une taxe, contreviendrait formellement à la loi provinciale et à la Constitution elle-même ; il poserait un acte inconstitutionnel.

J'ai donc pu croire qu'il ne pourrait user de pression et ce n'est qu'avoir une bonne opinion de son respect pour la Constitution que de croire qu'il ne recourrait pas à un pareil moyen, contraire au pacte fondamental.

Cela établi, je vais répondre brièvement aux quelques objections que (page 1483) m'a faites l'honorable ministre. J'avais dit que l'impôt foncier subirait une augmentation de plus de 1,800,000 francs.

II résulte déjà que la transformation des centimes additionnels provinciaux en droits de débit de boissons alcooliques n'est nullement assuré. Rien ne prouve que les provinces diminueront l'impôt foncier de pareille somme. Donc jusqu'à ce que vos prévisions se soient réalisées, j'ai le droit de dire que l'impôt foncier sera augmenté de pareille somme.

M. le ministre des finances dit ensuite que les 600,000 francs d'augmentation qui doivent résulter du retrait de l'exemption de la contribution foncière sur les constructions neuves, ne seront pas dus la première et la deuxième années ; par conséquent, que je n'ai pas le droit d'en tenir compte ; mais mon raisonnement reste vrai pour l'année 1874 ; il suffit donc de le transposer d'une année ou de deux pour que son exactitude soit incontestable.

Quant aux 400,000 francs qui résulteront des centimes additionnels communaux et provinciaux, M. le ministre me dit encore que ces administrations diminueront le chiffre des additionnels au foncier. J'en doute très fort.

Dans tous les cas, si elles font cette diminution pendant quelques années, cette diminution n'aura pas de durée, l'égalité se rétablira bientôt. Il y a des exceptions au principal des divers impôts. Sur 2,500 communes, M. le ministre des finances en a cité deux ou trois où ces chiffres sont différents. Ces exceptions sont si rares qu'elles confirment la règle.

L'honorable ministre, n'ayant pas une confiance absolue dans la bonté de ces divers arguments, dans cette preuve de la non-augmentation de l'impôt foncier, nous dit que, somme toute, la propriété foncière n'est pas dans une situation malheureuse, qu'elle n'est pas grevée en Belgique comme elle l'est dans d'autres pays ; que l'aggravation de charges qui résulte de l'augmentation du budget n'est pas aussi grande pour l'impôt foncier que pour les autres impôts.

L'honorable ministre a cité la France. Pour établir l'importance de l'impôt foncier en France, je préfère renvoyer à un ouvrage que j'ai déjà eu l'avantage de citer devant vous, l'ouvrage de M de Parieu. Il dit à la page 237 du premier volume :

« L'administration, en vertu d'une loi du 7 août 1850, a fait exécuter un travail duquel il résulte que la proportion de l'impôt foncier avec le revenu net varie, relativement aux contingents départementaux, entre les proportions extrêmes de 3,74 à 9,07.

« La moyenne résultant du même travail pour la France entière est de 6,06 p. c. »

Il résulte de ces chiffres, que je n'ai pas vérifiés, qu'en France l'impôt foncier est actuellement moins élevé qu'en Belgique. Le multiple est moins élevé..

J'arrive à la deuxième objection de l'honorable ministre des finances.

Il nous a dit que l'impôt foncier n'a pas augmenté dans la même proportion que les autres impôts ; mais ce qu'il n'a pas ajouté, c'est que l'impôt foncier n'est pas le seul qui frappe la richesse immobilière. La richesse immobilière est atteinte par presque tous les impôts inscrits au budget. Quelques impôts la grèvent spécialement d'une façon toute particulière.

Il me suffit de citer les droits sur les successions, surtout les droits de succession en ligne directe ; ensuite les droits d'enregistrement. Eh bien, voyons, messieurs, si ces droits n'ont pas augmenté dans une proportion réellement extraordinaire.

M. le ministre nous a dit que la contribution personnelle avait augmenté de 50 p. c. et la patente de 60 p. c.

Eh bien, les droits d'hypothèque ont augmenté 66 p. c., le produit des droits d’enregistrement de 61 p. c., le produit des droits de succession, enfin, de 131 p. c.

Il me semble, messieurs, que ces augmentations sont assez fortes et compensent facilement la différence de progression de l'impôt foncier.

Je me crois en droit de maintenir les chiffres que j'ai établis devant vous et de persévérer dans mon opposition à la loi.

M. Vander Donckt. - Messieurs, comme j'ai la voix quelque peu voilée, je fais usage de la faculté que le règlement m'accorde de parler de ma place ou de la tribune. Je parlerai de la tribune.

Messieurs, je ne croyais pas prendre la parole dans cette discussion, mais après avoir entendu les jérémiades des grandes villes de Bruxelles, de Liége et autres, dont quelques honorables membres se sont faits les échos dans cette Chambre, je crois devoir vous soumettre quelques observations que leurs discours m'ont suggérées.

A les entendre, depuis la suppression des octrois, les finances des grandes villes sont en mauvais état et il leur est impossible, en ce moment, de frapper leurs administrés de charges nouvelles. A les entendre, les grandes villes sont obligées aujourd'hui d'alimenter les caisses des petites communes. Or, c'est le contraire qui est vrai. Ce sont les communes rurales qui alimentent le fonds communal par l'impôt sur les bières qu'elles payent dans une proportion double de celui des grandes villes, car l'impôt sur les bières préexistait dans les villes avant la suppression des octrois et il a été doublé depuis la suppression des octrois ; donc les communes rurales payent le double dans le fonds communal.

Sous ce rapport donc, les grandes villes n'ont pas le droit de se plaindre et de dire que ce sont elles qui alimentent la caisse des petites communes.

Cela n'est rien moins que vrai.

Ilss nous disent que les communes rurales se trouvent dans l'aisance, qu'elles ont supprimé leur impôt personnel ou de capitation, qu'elles trouvent, dans le fonds communal, de quoi satisfaire amplement à tous leurs besoins.

Messieurs, autant d'assertions, autant d'erreurs. Dans nos Flandres, les communes rurales, à de très rares exceptions près, ont toutes conservé leur impôt personnel ou de capitation qui leur est nécessaire et indispensable. Nos communes ne possèdent pas, comme dans d'autres province,, ces immenses terrains boisés. Elles ne possèdent rien et n'ont d'autres ressources que l'impôt personnel ou de capitation. Elles sont, au contraire, surchargées et accablées de charges très lourdes pour l'entretien de leurs pauvres et de leurs malades et pour faire face à beaucoup d'autres charges, et elles désirent vivement la révision de la loi sur le domicile de secours qui est une des grandes lèpres et une source de ruine des petites communes.

Dans la commune que j'ai l'honneur d'administrer, je suis taxé dans l'impôt personnel ou de capitation, pour une somme annuelle de plus de 550 francs. Comparez cet état de choses à celui de nos grandes villes et dites-moi qui a le plus de motifs de se plaindre !

Messieurs, tout impôt est odieux ; il est vrai de dire que tout le monde se plaint avec plus ou moins de raison et tâche de s'y soustraire. Mais quand on a l'honneur d'appartenir aux édiles d'une grande cité, il faut savoir supporter les charges qui en résultent. C'est le revers de la médaille.

Messieurs, j'ai vu le temps où les finances de la ville de Bruxelles se trouvaient en mauvais état et où le gouvernement lui est venu en aide en lui créant une rente annuelle de 300,000 francs et en reprenant ses collections et musées, qui constituent une charge très lourde pour le gouvernement.

Mais, aujourd'hui qu'elle est la capitale du royaume, qu'elle est le siège du gouvernement et de la cour, que ses propriétés ont décuplé de valeur et que sa prospérité va toujours en augmentant, elle a mauvaise grâce à venir se plaindre. J'en dis autant de la ville de Liège, dont l'industrie métallurgique et l'industrie des mines se trouvent dans l'état le plus prospère.

Messieurs, j'entrevois quelque chose au bout de toutes ces plaintes : elles me paraissent être les prémisses d'un pétitionnement, d'une demande de secours considérables de l'Etat.

Voilà le but des grandes villes qui se plaignent aujourd'hui ; leurs plaintes ne sont fondées sur aucun motif réel ; il n'y a pas de véritables motifs pour ces grandes villes, dont la prospérité a grandi d'une manière exceptionnelle, de venir se plaindre et de prétendre qu'elles ne savent pas supporter aujourd'hui les charges auxquelles elles doivent pourvoir !

L'honorable M. d'Andrimont nous a fourni la preuve de cette grande prospérité de la ville de Liège en produisant le tableau qu'il nous a donné et qui prouve précisément le contraire de tout ce qu'il a soutenu relativement à la détresse dans laquelle se trouverait aujourd'hui cette ville.

L'honorable M. d'Andrimont nous a dit que c'était l'administration de la ville de Liège qui avait construit beaucoup de rues nouvelles et fait beaucoup de travaux dans la ville de Liège et par là créé cet état florissant dont jouit celle ville.

Mais ce n'est pas l'administration qui fait la prospérité d'une grande ville ; ce sont les particuliers, c'est l'industrie, c'est l'initiative privée, Il est bien vrai qu'une administration sage peut, dans une certaine mesure, favoriser le développement de cet état florissant des villes, mais ce n'est certainement pas l'administration seule à qui revient cet honneur.

L'honorable M. d'Andrimont, qui aime beaucoup la comparaison avec les chiens, a comparé d'abord les débitants de boissons aux chiens ; il a dit à ce propos : « Sauf respect. » Mais quand il parle de notre honorable collègue M. le comte d'Hane-Steenhuyse, il le compare tout crûment au chien de Jean de Nivelles.

Eh bien, messieurs, je dis que c'est là une inconvenance et une inconvenance grave qui n'a jamais été tolérée dans cette enceinte jusqu'ici. (page 1484) Depuis que je fais partie de la Chambre, je n'ai pas entendu, sans qu'on ait repris l'orateur, que quelqu'un ait comparé un membre de cette assemblée à un chien.

M. Snoy. - Ce n'était pas un chien. C'était un homme-chien.

M. Muller. - D'après l'orateur, M. le président aurait manqué à son devoir en ne rappelant pas à l'ordre M. d'Andrimont. Or, relisez la phrase de mon honorable collègue de Liège, et vous verrez qu'on la travestit complètement.

M. Snoy. - Jean de Nivelles n'a pas été un chien.

M. Vander Donckt. - Voici ce qu'a dit M. d'Andrimont :

« La ville d'Anvers, elle aussi, avait promis son concours ; M. d'Hane-Steenhuyse devait assister à la réunion ; mais c'est en vain qu'on l'attendit, Il ne se présenta pas ; comme le chien de Jean de Nivelles, il s'enfuit quand on l'appelle. » (Interruption.)

Je répondrai que si c'est une plaisanterie, c'est une très mauvaise plaisanterie et une plaisanterie inconvenante.

De tout ceci, messieurs, je conclus que les plaintes des grandes villes ne sont nullement fondées, que ce ne sont que les avant-coureurs d'un pétitionnement pour demander de grands subsides que ces villes se proposent de demander à l'Etat, que toutes les raisons qu'elles ont alléguées ne sont inventées que pour les besoins de la cause, c'est-à-dire pour combattre le gouvernement et le projet de loi en discussion, et j'estime que leurs plaintes ne sont ni réelles ni fondées.

J'ai dit.

M. Bricoult. - Messieurs, il y a un fait que je trouve étrange dans le débat qui occupe la Chambre, c'est la simplicité inquiétante avec laquelle l'honorable ministre des finances résout la question de droit ; il ne s'agit pas de savoir s'il y a trop de cabaretiers dans le corps électoral, il faut avant tout rechercher s'ils y sont en vertu d'un droit légal. Or, voici de quelle manière l'honorable M. Jacobs s'occupe de ce point :

« La loi de 1838 était une entrave à l'augmentation du nombre des débits de boissons. Elle a été modifiée par la loi de 1849. Jusqu'alors l'impôt était considéré comme un impôt indirect ; une disposition spéciale de la loi de 1853 déclarait qu'il ne ferait pas partie du cens électoral.

« En 1849, cette disposition a été retranchée ; l'impôt a été transformé et une jurisprudence, aujourd'hui constante, le considère comme un impôt direct.

« Chacun est libre de conserver son opinion au sujet de la nature de cet impôt, mais il n'en est pas moins vrai que, par la jurisprudence de la cour de cassation, en fait l'impôt est considéré comme impôt direct ; il doit donc entrer dans la formation du cens électoral. »

Je me demande, messieurs, si, en présence de cette déclaration, l'honorable ministre des finances peut présenter son projet de loi. Comment ! vous déclarez que chacun est libre de conserver son opinion au sujet de la nature de cet impôt et vous supprimez le droit qui en découle. Vous proclamez avec une gravité parfaite que ceux qui ont payé cet impôt en 1870 et en 1871 seront rayés des listes électorales. Mais ils ont des droits acquis et, s'ils sont acquis, ils sont respectables et dès lors vous ne pouvez y toucher qu'avec une extrême circonspection.

L'impôt sur les boissons alcooliques donne trop d'électeurs, supprimons-le. Il y a, dans ce corps de cabaretiers, des gens d'une moralité douteuse, des gens sans aveu, dit l'honorable M. Cruyt, nous devons nous en débarrasser. Vous agissez absolument comme le propriétaire d'une usine qui décide, non pas de la raser, mais d'en conserver les plus mauvaises parties, car vous conservez les plus mauvais cabaretiers ; ils ressemblent ici à des visiteurs incommodes que l'on chasse par une porte et qui rentrent par l'autre. Je vais vous le démontrer.

Ici encore je dois citer un passage du discours de l'honorable ministre des finances :

« J'ai lieu de penser, sans cependant avoir de données exactes à cet égard, que des 100,000 débitants, il y en aura 20,000 qui ne seront pas électeurs communaux. Un grand nombre de ces débitants, en effet, ne payent point de contribution personnelle ; plus de la moitié des maisons du royaume sont exemptées de cette contribution ; ils ne payent que la petite patente de 3 fr. 74 c.

« S'il n’y a que 80,000 débitants de boissons payant le nouveau cens électoral, à la suite du transfert du droit de débit à la province, voici le résultat auquel nous arrivons. Je déduis ces 20,000 censitaires du nombre total qui se trouve réduit à 563,714 ; 80,000 en regard de 563,000 ne donne plus que 14 p. c. Nous voilà tombés de 23 à 14, soit une réduction de 11 p. c. sur la proportion des débitants dans le corps électoral communal, et remarquez que les débitants qui resteront électeurs seront précisément les meilleurs débitants, ceux qui exercent une petite profession, etc. »

Eh bien, c'est le contraire qui se produit tout d'abord pour les élections, législatives. Aussi l'honorable ministre a-t-il soin de ne pas en parler.

Ce silence n'est pas habile ; vous auriez dû commencer par dire que les cabaretiers qui payent, par exemple, 30 à 40 francs d'impôts foncier et personnel, c'est-à-dire, les meilleurs cabaretiers, seraient privés du droit de voter pour les Chambres législatives. Vous vous occupez seulement des élections provinciales et communales, et pour les communes, la facilité qu'ils auront de rentrer dans le corps électoral fera vile oublier aux cabaretiers le tour que veut leur jouer l'honorable ministre des finances.

Vous dites que 20,000 cabaretiers vont sortir du corps électoral. Veuillez remarquer que ces 20,000 là, je désirerais aussi trouver le moyen de, les congédier, avec cette différence que votre congé n'est que provisoire et que, pour ma part, je désirerais leur donner un congé définitif. Pour cela, il ne faut pas s'arrêter en chemin ; supprimez ou révisez tout au moins la loi sur les patentes. Il y a, parmi et à côté de ces 20,000 négociants en petits verres, toutes sortes de trafiquants.

Il y a des boutiquiers, des colporteurs, des marchands de peaux, des négociants en os et en ferrailles, des équarrisseurs, des revendeurs, des chiffonniers, etc.

Voilà vos protégés. Voilà ceux qui sont maintenus ou qui rentreront dans le corps électoral communal. Ce sera une des beautés du système et celle-là vous êtes sûr de la conserver. Il est vrai que, comme correctif, vous avez les électeurs à dix francs.

Un mot maintenant, messieurs, de la combinaison financière de l'honorable M. Jacobs. A première vue, elle paraît d'autant plus laborieuse qu'elle a échappé adroitement au génie financier de nos voisins. L'Allemagne et l'Angleterre n'y ont pas encore songé et le ministre des finances de France, qui veut augmenter les ressources annuelles du budget de 000 millions, ne demande pas un centime à la propriété foncière.

Je crois avec tout le monde qu'il ne faut pas toucher à l'impôt foncier sans une nécessité impérieuse. Les meilleurs impôts sont ceux que l'on a l'habitude de payer ; ce n'est pas vers les transferts qu'un bon gouvernement doit marcher, c'est vers les réductions. Ici, je vous trouve liés par votre programme et je vous demande quand vous en ferez l'application ?

Vous prétendez protéger l'agriculture et vous vous empressez d'augmenter les charges qui pèsent sur elle.

Ce n'est pas le propriétaire qui paye l'impôt, c'est le locataire.

Quel moment choisissez-vous pour prendre cette décision ? Mes honorables collègues de Waremme et de Nivelles ont répondu à cette question et le tableau qu'ils ont tracé de la situation de l'agriculture en Belgique est l'expression de l'exacte vérité. Je fais remarquer en passant que jusqu'ici les interruptions et les dénégations des membres du gouvernement font comprendre qu'ils ignorent complètement la situation. Je prierai l'honorable ministre de l'intérieur, qui est ministre de l'agriculture (je regrette de ne pas le voir à son banc), de prendre des renseignements sur cette situation ; il peut consulter les commissions d'agriculture et les députations permanentes et acquérir ainsi la certitude que mes honorables amis ont dit la vérité.

Sans m'étendre sur les alarmes et les calamités dont on a parlé, je soutiens qu'avant d'augmenter l'impôt foncier il faudrait tout au moins démontrer qu'il ne paye pas sa part, et que les charges actuelles ne sont pas en rapport avec l'augmentation de la propriété foncière. Il faut de plus établir qu'il n'y a pas lieu de faire peser sur autre chose le transfert dont il s'agit.

A cela le gouvernement et l'honorable rapporteur de la section centrale répondent qu'il n'y aura pas d'augmentation ; les provinces vont abandonner les centimes additionnels qu'elles perçoivent sur les contributions foncière et personnelle pour les remplacer par un impôt sur les boissons alcooliques.

Mais, messieurs, il est bien certain qu'en supposant même que toutes les provinces voulussent bien déférer au désir ou plutôt exécuter la stricte volonté du gouvernement, elles feraient une très mauvaise affaire ; elles abandonneraient le certain pour l'incertain. L'impôt foncier ne varie pas ; il y a plus, étant d'un impôt de répartition devenu un impôt de quotité, il augmentera d'année en année, et quoi de plus variable que l'impôt sur les boissons alcooliques ? Vous soutenez que le nombre de débitants augmente en raison de la vivacité des luttes électorales, et que la consommation n'est pas toujours en rapport avec le nombre des débitants. C'est là raisonner par à-peu-près ; je soutiens que c'est là l'exception.

Dans l'arrondissement d'Ath, par exemple, sur 64 communes, il n'y en a que quelques-unes qui aient usé du moyen dont on se plaint. La députation permanente du Hainaut n'a jamais toléré cet abus ; chaque fois (page 1485) qu'elle a reconnu des déclarations frauduleuses faites simultanément, elle a ordonné la radiation de tous ces faux cabaretiers.

Vous ne vous apercevez pas de la portée de votre argumentation ; s'il est vrai que le nombre des débitants surtout s'accroît en raison de la vivacité des luttes politiques et que le droit de débit s'élève aussi moins fortement, je le veux bien, vous devez accepter que ce droit de débit diminuera sensiblement quand il ne sera plus compris dans la formation du cens électoral ; vous m'accorderez bien aussi qu'il est dû à d'autres causes, selon moi, plus générales : L'augmentation de la population, le développement de l'industrie, du commerce, l'ouverture de nouvelles voies de communication, l'augmentation des salaires, etc. ont provoqué l'établissement d'un grand nombre de cabarets. Qu'une crise prolongée intervienne, que l'ouvrier surtout gagne moins d'argent, il ira moins au cabaret et le nombre de débitants diminuera incontestablement. Voyez alors la belle situation financière que vous aurez faite aux provinces !

Les provinces doivent établir leurs impôts sur des bases ayant plus de fixité, plus de stabilité, parce qu'elles ont moins de ressources que l'Etat, et dans ce système qui surveillera la fraude ? Qui dénoncera les débits clandestins ? Qui contrôlera les déclarations ? La province créera-t-elle des agents provinciaux pour cette besogne ? Vous mettrez à sa disposition les agents de l'Etat. On conçoit cela pour la perception du droit, mais pour la surveillance, mais pour le contrôle ? Une explication à ce sujet serait des plus intéressantes.

Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que vous voulez imposer aux conseils provinciaux ou aux conseils communaux, jusqu'ici on ne le dit pas très carrément, la mission de rétablir un impôt supprimé. Ils pourraient bien vous répondre que vous n'aviez qu'à le garder.

Je viens de dire, messieurs, que le gouvernement aurait dû établir que l'impôt foncier ne paye pas sa part, et qu'il n'y a pas moyen de faire passer le transfert par un autre chemin.

Le gouvernement oublie sans doute que la propriété foncière tend à diminuer de valeur, et que cette diminution est la conséquence toute naturelle des événements dont nous venons d'être les témoins. On l'a compris en France, et c'est pour cette raison que l'on n'a pas touché à l'impôt foncier. Bon nombre de propriétés dont on offrait un prix élevé au commencement de l'année passée, se trouvent diminuées notablement. Je connais deux fermes qu'on aurait pu vendre 5,500 francs l'hectare il y a un an, on n'en offre pas plus de 4,500 francs aujourd'hui.

En France, la dépréciation est plus sensible encore. Voilà un point qui aurait dû vous frapper.

Vous ne tenez pas compte de toutes les charges qui incombent à la propriété foncière. On a parlé des droits de mutation, de l'impôt sur les successions, des centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes ; j'ajouterai que, dans un grand nombre d'entre elles, il y a une cotisation personnelle et permanente payée encore intégralement par les propriétaires grands et petits. Ces communes ont des besoins nombreux et vous voulez absolument leur imposer une surtaxe dans un moment difficile.

Il existe une raison encore plus péremptoire pour décider le gouvernement à ne pas surcharger l'agriculture. Le gouvernement français augmentera bien certainement les droits de douanes ; tous les produits de l'agriculture belge devront passer par les exigences de M. Pouyer-Quertier, dont on connaît le système protectionniste.

La crainte d'une révision des tarifs se traduit en Angleterre par un mécontentement des plus vifs, et cette crainte, en Belgique, influe considérablement sur la conclusion des marchés.

Messieurs, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a présenté hier un système financier qui mérite d'être examiné avec une sérieuse attention. L'honorable membre a dû travailler au moins autant que l'honorable M. Jacobs pour arriver à nous présenter ses combinaisons financières. Il y a incontestablement du bon dans l'amendement qu'il a rédigé ; ainsi les eaux-de-vie étrangères, les vins, les tabacs, etc., peuvent être plus fortement imposés.

En présence d'un travail aussi considérable, j'engage vivement le gouvernement et en particulier l'honorable ministre des finances à ajourner le projet de loi à la session prochaine. D'ici là, il pourrait se mettre en rapport avec l'honorable député de Nivelles et arriver à nous offrir une combinaison mieux conçue, plus étudiée et surtout plus juste envers des intérêts dignes de la sollicitude de tous les gouvernements.

(page 1489) M. Frère-Orban. - Je ne puis pas approuver le projet de loi qui est soumis à vos délibérations. Il soulève, de ma part, trois objections fondamentales.

La première, c'est que les impôts proposés ne sont pas nécessaires, même pour réaliser les projets du gouvernement.

La seconde, c'est que l'on va troubler sans nécessité et injustement les finances des grandes villes.

La troisième, qui est plus grave encore à mes yeux, c'est que le projet de loi implique l'abandon pour le gouvernement d'un intérêt général de premier ordre, en supprimant l'impôt sur le débit de boissons et en se remettant aux communes et aux provinces du soin de laisser absolument libres ou de taxer d'une contribution quelconque les débitants de boissons alcooliques.

Sous ce triple rapport, le gouvernement me paraît manquer complètement à ses obligations et à ses devoirs.

J'ai dit d'abord que les impôts proposés ne sont pas nécessaires. En supposant, pour un instant, qu'il y ait lieu de supprimer le droit de débit sur les boissons alcooliques, le trésor peut parfaitement supporter cette réduction de charges sans réclamer une compensation. Jusque dans ces derniers temps, jusqu'aux derniers jours de cette discussion, le gouvernement avait une raison à mettre en avant ; le gouvernement nous disait : Nous avons été obligés à des dépenses extraordinaires considérables ; il faut les acquitter, nous ne pouvons abandonner aucune des ressources du trésor.

Et aucune voix ne s'était élevée pour dire au gouvernement : Vous pouvez renoncer à une partie des ressources dont vous disposez.

Mais depuis lors les choses ont bien changé : le gouvernement est venu soumettre une proposition d'emprunt de 50 millions destinés à couvrir en totalité les dépenses extraordinaires qui ont été faites et de plus à solder, à concurrence de 20 millions sur 22 millions, des travaux publics qu'il propose à la Chambre de décréter.

Lorsque, en une pareille situation, M. le ministre des finances persiste à nous répéter qu'il doit conserver les ressources du trésor pour faire face à ces engagements, il tombe dans une confusion qu'il importe de faire disparaître.

Les charges extraordinaires nouvelles seront couvertes par l'emprunt. Les charges extraordinaires votées sous l'ancienne administration sont couvertes par les excédants de ressources et seront éteintes dès 1872. Le gouvernement lui-même le reconnaît et le constate dans l'exposé des motifs du projet de loi d'emprunt.

Les excédants de revenus ordinaires deviennent dès lors complètement libres. Ils ne sont plus grevés que d'une nouvelle dépense ordinaire, l'intérêt et l'amortissement de l'emprunt, qui ne sera que pour une faible somme à charge de l'exercice 1871.

D'un autre côté, les recettes ordinaires se font et les recettes extraordinaires vont se faire d'une manière beaucoup plus rapide que ne s'effectueront les dépenses.

Le trésor se trouvera pendant plusieurs années en possession de sommes très considérables, qui n'auraient pas leur emploi immédiat, étant affectées à l'exécution de travaux qui ne s'exécuteront que successivement. Les ressources seront donc abondantes pendant assez longtemps et dès lors, eût-on même quelque nouvelle charge à supporter, il n'y aurait nulle nécessité actuelle de créer des impôts.

Si l'on veut supprimer l'impôt sur les débits de boissons en tant qu'il confère le droit électoral, on le peut, d'ailleurs, tout en conservant la ressource qu'il procure aujourd'hui au trésor.

Il suffit pour cela que les ministres et les membres de la majorité restent fidèles à l'opinion qu'ils ont invariablement défendue depuis plusieurs années et qu'ils déclarent aujourd'hui par un texte formel que l'impôt dont nous parlons est un impôt de consommation, un impôt indirect.

Et pour bien se convaincre que le seul développement de la richesse et de la population procurera, dans les temps réguliers, un accroissement normal et permanent des revenus publics, qui rend inutile tout impôt nouveau, on n'a qu'à se souvenir de ce qui s'est fait dans le passé.

Nous avons eu, messieurs, en d'autres temps des charges extraordinaires à supporter.

Nous avons eu, pour ne pas remonter plus haut, les dépenses militaires considérables résultant des événements de 1839, de 1866 et de 1867. Nous les avons acquittées et nous n'avons pas réclamé d'impôts.

Bien plus, dans le même temps nous ayons créé Anvers. Non seulement nous avons créé Anvers, mais nous avons voté des crédits considérables pour établir une artillerie nouvelle. Non seulement nous avons refait entièrement l'artillerie, mais nous avons transformé complètement l'armement de nos soldats.

Et nous n'avons pas réclamé d'impôts et nous avons fait face à toutes ces charges extraordinaires.

Que dis-je ! nous avons, dans le même temps, affecté annuellement 6,000,000 de nos ressources à l'augmentation des traitements de tous les fonctionnaires publics !

Non seulement nous assumions toutes ces dépenses et bien d'autres que je n'énumère point (je prends les plus grosses), sans réclamer de nouveaux impôts, mais nous réduisions les charges publiques.

Ainsi, nous supprimions dans le même temps des droits d'entrée sur les matières premières à concurrence de 800,000 francs.

Nous réduisions la patente des bateliers : 160,000 francs ; nous réduisions les péages sur les canaux et les rivières : 1,500,000 francs ; nous supprimions les octrois, en réduisant les charges publiques de 2,500,000 francs ; nous supprimions les barrières, en réduisant encore les charges publiques de 1,800,000 francs ; nous supprimions le droit de garantie, qui nous rapportait 200,000.francs.

Malgré tout cela, messieurs, et je suis loin de tout énumérer, nous faisions face à nos dépenses de toute nature et nous affections encore à des travaux publics plus de cent millions prélevés sur les excédants de ressources ordinaires du trésor. Et non seulement nous faisions l'abandon de toutes ces ressources que je viens d'indiquer, sans aucune espèce de compensation, mais nous abaissions les tarifs du chemin de fer dans une énorme proportion.

La suppression de l'impôt du sel et l'abaissement de la taxe des lettres à dix centimes sont les seuls dégrèvements qui ont été opérés au moyen d'une compensation au profit de l'Etat.

Or, le cabinet actuel a les mêmes moyens que ceux que nous avions alors : rien n'est changé ; la situation est la même ; il a les mêmes éléments de ressources ; et, par conséquent, il ne saurait démontrer et il n'a pas même essayé de le faire, qu'il y aurait la moindre nécessité d'imposer de nouvelles charges au pays.

Je vais plus loin, messieurs. Si l'on établissait même que nous avons des charges plus lourdes qu'on ne l'a d'abord indiqué ; si l'on prouvait, malgré les propres déclarations du gouvernement, consignées, dans l'exposé des motifs du projet d'emprunt, que les excédants de ressources ordinaires ne seront pas libres aussitôt qu'on l'a supposé, encore dans cette hypothèse n'aurait-on pas constaté la nécessité de nouveaux impôts. Le gouvernement, en effet, ne s'est pas borné à apporter ici une proposition d'emprunt de 50 millions qui couvre, à 2 millions près, les dépenses extraordinaires que nous avons votées et les dépenses pour travaux publics qui sont projetés ; mais il a annoncé une résolution qui implique dans sa pensée une augmentation considérable de ressources ; il a la compensation qu'il cherche et bien au delà : il a annoncé qu'il voulait élever les tarifs des chemins de fer.

Or, messieurs, on ne peut pas saigner ainsi les contribuables aux quatre veines ; on ne peut pas augmenter les tarifs du chemin de fer pour avoir des ressources plus considérables et augmenter encore les charges publiques de deux millions de francs, sous prétexte de compensation de l'abandon d'une ressource que le trésor pouvait, au surplus, parfaitement conserver.

Je répète donc, messieurs, que vous avez une situation assez satisfaisante pour vous permettre la fantaisie, que je ne veux pas qualifier, de sacrifier des ressources de près de deux millions, aussi bien et aussi justement établies que celles qui proviennent des droits de débit de tabacs et de boissons distillées. Vous pourriez vous dispenser de susciter les regrets et les plaintes qui naîtront surtout d'un accroissement de l'impôt foncier dans les circonstances actuelles. Vos finances, je l'ai démontré, n'exigent point maintenant de nouveaux impôts.

Les événements extérieurs n'ont eu, en effet, qu'une très faible influence sur nos affaires intérieures. Malgré les alarmes qu'on avait essayé de faire concevoir au public au début de la crise extérieure, le pays a bientôt compris qu'il devait être complètement rassuré, car jamais, depuis 1830, à aucune époque, nous n'avons eu, au moment d'événements de cette nature, une situation aussi complètement satisfaisante, inspirant une plus entière sécurité que celle que nous avons eue à dater du jour où la guerre a éclaté entre la France et l'Allemagne.

(page 1490) Immédiatement avant d'entrer en campagne, les puissances belligérantes ont déclaré qu'elles entendaient respecter notre neutralité, sauf à nous à remplir les devoirs qu'elle nous impose en gardant une neutralité loyale et forte.

Non seulement, on nous a fait cette déclaration qui a fortifié la confiance du pays dans son droit, mais, par une innovation des plus extraordinaires, l'Angleterre a contrarié une alliance offensive et défensive avec chacun des deux belligérants, s'engageant à faire respecter notre neutralité, si l'un ou l'autre voulait y porter atteinte.

Et cette sécurité du pays se traduit dans tous les faits économiques ; elle se révèle dans le mouvement de nos impôts ; elle se constate par la situation satisfaisante, je devrais dire généralement prospère, de nos affaires industrielles et. commerciales.

Il suffit, pour s'en rendre compte, de comparer deux époques que l'on se plaît quelquefois à rapprocher, mais qui ont été bien dissemblables pour nous.

En 1848, les fonds publics tombent de 50 p. c. En 1870, les fonds publics se maintiennent au pair et même au-dessus du pair.

En 1848, le travail est partout ralenti, suspendu, quand il n'est pas supprimé ; une crise intense et formidable se manifeste en Belgique en 1870 ; on n'entend de toutes parts que des plaintes sur la pénurie du matériel des chemins de fer pour transporter les matières premières et les produits fabriqués.

En 1848, les recettes de l'Etat subissent une dépression de près de 10,000,000 de francs ; en 1870,les recettes sont de 4,000,000 supérieures aux recettes effectuées en 1869.

Ce n'est pas, messieurs, que je veuille dire que les événements comme ceux dont nous avons été les témoins n'ont exercé aucune influence sur les affaires de notre pays ; loin de là ; nous avons été atteints, car il y a une loi de solidarité qui fait qu'une nation ne peut pas souffrir sans que les autres s'en ressentent ; nous avons été atteints par le ralentissement de nos affaires, c'est-à-dire que si la paix n'avait pas été si longtemps et si cruellement troublée, nous aurions eu une ère de prospérité sans précédent dans notre histoire, à en juger par l'état de nos affaires durant la crise. Et le ralentissement s'est surtout manifesté en ce qui touche les transactions sur la propriété foncière.

Ainsi, les droits d'enregistrement, de greffe et d'hypothèque ont subi, dans l'intervalle du 1er août au 31 décembre 1870, une diminution de près de 2,500,000 francs. Si l'on ajoute à cela que l'agriculture a été, cette année, particulièrement éprouvée, il doit être évident pour tout le monde que jamais le moment ne fut plus inopportun pour augmenter d'un million de francs le contingent de l'impôt foncier.

Cependant, messieurs, il faut bien le reconnaître, au milieu de la somnolence générale, le gouvernement ne rencontre pas pour ses projets une très vive opposition. Que les temps et que les oppositions sont changés ! on le rappelait l'autre jour en faisant allusion à l'impôt sur les successions en ligne directe.

Après les événements de 1848, au lendemain des journées de juin, lorsqu'on venait d'avoir les journées de mai 1849, lorsque l'empire nouveau était annoncé et prédit, lorsqu'on nous faisait craindre d'être l'enjeu de ce changement, à la veille du coup d'Etat, nos finances étaient délabrées ; elles exigeaient des remèdes prompts et efficaces ; il fallait faire face à de grands besoins et prévoir.

Nous fîmes un plan de restauration de nos finances, dans lequel l'impôt sur les successions entrait pour la somme probable de 1,800,000 francs.

Quelques-uns de nos amis ne partageaient point notre opinion au sujet de la légitimité de cet impôt sur les successions en ligne directe, et incontinent, parce qu'il y avait sur ce point une division dans la majorité libérale, incontinent, malgré les circonstances, malgré les nécessités les plus impérieuses, malgré le péril qui nous menaçait, une opposition des plus violentes, des plus implacables fut faite à ce projet de loi, et cette opposition dura deux années pour aboutir à contraindre le gouvernement, en 1851, à faire, une dissolution du Sénat sur une question d'impôt.

Dans les temps les plus difficiles et les plus redoutables, c'est de la sorte qu'agissait l'opposition. La lutte avait, au fond, un caractère exclusivement politique. Aussi, l'impôt enfin voté, l'opposition n'en parla plus et, devenue majorité, elle ne fit jamais aucune tentative de le rapporter.

Aujourd'hui on vient nous proposer de voter deux millions d'impôts nouveaux, on est très pressé de les obtenir et il n'y a pas apparence d'une division dans la majorité catholique.

Il est vrai que le gouvernement se persuade et essaye de persuader qu'il ne s'agit pas d'impôts nouveaux, qu'il ne s'agit pas de deux millions d'impôts, qu'il ne s'agit que d'une transformation d'impôts. On crée bien, somme ronde, deux millions d'impôts, mais on se réserve d'obtenir des provinces ou des communes, je ne sais, une réduction qui sera équivalente ; tout sera dit et personne n'aura à se plaindre.

Mais je doute beaucoup que le plan du gouvernement se réalise. Sans doute, les députations permanentes de six provinces, et non pas sept comme on l'a dit, ont un beau jour demandé au gouvernement de vouloir bien leur céder le droit établi sur les débits de tabac et de boissons distillées.

Mais il y a, à cet égard, deux observations à faire.

La première, c'est que cette proposition est venue à une époque où l'on avait, dans les rangs de la droite, montré une très vive opposition contre le droit de débit afin de supprimer une certain nombre d'électeurs.

Et je crois ne pas m'aventurer beaucoup en disant que les députations permanentes qui se mirent en avant ne voulaient qu'aider, favoriser le système de l'opposition ; mais ensuite, messieurs, si les députations, au nombre de six, ont fait ces ouvertures au gouvernement, en quels termes ont-elles fait ces ouvertures ? Elles ont montré la détresse financière des provinces, la situation déplorable dans laquelle elles se trouvaient, elles ont exposé au gouvernement que des ressources nouvelles leur étaient indispensables.

Elles ont proposé, si on leur faisait l'abandon de ces 1,800,000 francs, de supprimer les barrières provinciales et les barrières communales qui ne représentent en tout que moins de 900,000 francs, et de garder le surplus comme accroissement de recettes.

Que va leur dire aujourd'hui le gouvernement ? Le gouvernement va leur dire : Votre détresse restera la même. Si je vous abandonne cette ressource nouvelle, le produit du droit de débit, c'est à la condition que vous supprimiez pour une somme équivalente de centimes additionnels. Voilà le projet.

Je demande quel motif les provinces auront d'accepter aujourd'hui ce marché-là ! Quel motif auront-elles de se rendre aux désirs du gouvernement ? Elles n'y auront aucun profit. Au contraire, elles sont exposées à perdre.

Comme on le disait tout à l'heure, avec beaucoup de raison, à un revenu fixe et certain, même progressif, elles substitueraient un revenu variable, dépendant de bien des circonstances et qui, si l'argument qu'on a fait valoir est vrai, devrait se réduire incontinent, puisque le droit de débit des boissons ne s'accroissait, prétend-on, qu'en raison de l'enjeu électoral.

Voilà le marché qu'on propose aux provinces. Il me semble qu'elles seraient assez folles de l'accepter.

Si les provinces pouvaient se dire : grâce à ces ressources nouvelles, nous allons faire quelque chose d'utile, nous allons introduire quelques grandes améliorations dans la province ; nous allons contracter un emprunt qui nous permettra de nous livrer à des travaux utiles dans les diverses communes du pays, on comprendrait que les provinces acceptassent le marché, qu'elles reprissent cet impôt des boissons distillées.

Mais si c'est pour se retrouver immédiatement et incontinent dans la même situation gênée, dans la même situation embarrassée, ou si après avoir supprimé, pour être agréables au gouvernement, quelques centimes additionnels afin qu'il n'ait pas l'air d'augmenter les impôts, elles se trouvaient dans la nécessité d'augmenter immédiatement les impôts pour avoir des ressources suffisantes, la situation des provinces deviendra intolérable, et les conseils provinciaux ne pourront accepter une pareille situation.

Ils ne le pourront pas au surplus, parce que voici manifestement ce qui va se passer. Vous voulez que le lendemain du jour où les 100,000 voix de la presse iront porter dans les 100,000 cabarets du pays, qui vont tous illuminer, que la majorité catholique, dans sa bonté, dans sa reconnaissance, vient de supprimer le droit de débit, vous voulez que MM. les conseillers provinciaux se lèvent et, troublant la fête, s'écrient : Nous allons vous réimposer ; nous allons accepter cette impopularité.

La popularité sera pour le gouvernement ; on illuminera pour lui ; ce sera admirable. Le droit de débit est supprimé ! Bravo ! C'est admirable ! Il y aura des applaudissements sur toute la ligne ! Et les conseillers provinciaux iront rétablir l'impôt ! Permettez-moi de le dire, vous prenez les conseillers provinciaux pour des niais. S'ils s'exposent à une pareille situation sans avantage, sans profit aucun pour la province, ils seront évidemment des sols.

M. Van Hoorde. - Il y en aura beaucoup.

M. Frère-Orban. - Il y en aura beaucoup ? Eh bien, je ne les féliciterai pas.

Ah ! si vous offriez aux provinces un avantage sérieux, efficace, appréciable ; si leurs ressources étaient augmentées, je comprendrais que l'on pût les séduire.

(page 1491) Mais, en ce cas, le plan échoue ; il ne s'agit plus de transformation mais bel et bien d'augmentation d'impôts.

Je conçois, à la rigueur, que vous puissiez espérer que, dans les six provinces dont j'ai parlé, les conseils provinciaux ratifient les projets de leurs députations. Et encore il faut y mettre certaine complaisance. La situation est tout à fait changée. Les représentants des conseils provinciaux ont dit : Accordez-nous l'impôt de débit sur les boissons, afin que nous accroissions nos ressources. Et le gouvernement leur dit maintenant : Non, vous supprimerez d'abord une partie de vos ressources ; vous supprimerez les centimes additionnels. Il ne faut pas que moi j'aie l'air de troubler les contribuables dans leur situation ; aidez-moi donc. Réduisez vos centimes additionnels d'une somme équivalente au produit de l'impôt que je vous abandonnerai.

Il n'y a que des raisons politiques qui puissent déterminer a accepter un pareil marché. Je comprends que, par une complaisance extrême, les députations permanentes qui se sont mises en avant pour aider l'opposition à expulser des électeurs du corps électoral ; je comprends, à la rigueur, que ces députations se prêtent a votre combinaison ; mais toutes n'agissent pas dans cette voie ; mais les trois députations permanentes qui n'ont pas même voulu s'associer à la démarche des six autres, qui n'ont pas trouvé que la mesure fût bonne, qui n'ont pas voulu l'admettre, de quel droit exercerez-vous une contrainte à leur égard ? Quelle serait la situation du gouvernement vis-à-vis des provinces, s'il voulait prendre ce rôle ?

M. Muller. - C'est cependant ce que M. Cruyt a dit hier assez clairement.

M. Frère-Orban. - Cette violence exercée contre les députations permanentes qui à priori n'ont pas voulu reprendre le droit de débit, serait incompréhensible et injustifiable.

M. Coomans. - Il y aura de nouvelles élections.

M. Frère-Orban. - Et c'est à la veille de ces nouvelles élections que les conseillers provinciaux vont faire cet acte qui soulèvera contre eux une vive opposition !

Mais l'honorable ministre des finances est très rassuré, il a pleine confiance dans son plan, et voici son raisonnement : Il y aura au maximum 20 p. c. ou plutôt il n'y aura que 15 p. c. de cabaretiers dans le corps électoral nouveau que je vais constituer ; 15 ou 20 p. c, c'est le maximum ; il y a par conséquent 80 p. c. d'électeurs au moins qui ont un intérêt opposé ; or, ces électeurs, que nous dégrevons de quelques centimes additionnels, l'emporteront dans la balance, et les conseillers provinciaux sauront bien qu'ils ne sont pas menacés par les 15 ou 20 p. c. d'électeurs mécontents.

Eh bien, je crois que l'honorable ministre des finances fait de faux calculs financiers et politiques ; il y aura, dans le corps électoral, beaucoup plus d'électeurs cabaretiers qu'il ne veut bien le supposer. Il avoue, du reste, qu'il n'a pas de données exactes ; il fait une pure hypothèse ; sur 100,000 cabaretiers, il suppose qu'il y en aura 20,000 qui ne seront pas électeurs. M. le ministre des finances se trompe ; il se trompe complètement ; ce n'est qu'une hypothèse, sans doute, mais elle est tout à fait invraisemblable.

Il cherche à la corroborer par un calcul de probabilités tiré de la proportion des cotes de contribution de diverses catégories. Il se trompe, il le verra par le fait ; tous les cabaretiers entreront dans le corps électoral, non pas précisément dans toutes les communes du pays, non pas précisément dans toutes les petites communes, mais dans les grandes, dans les communes industrielles et c'est là que le nombre des cabaretiers est considérable. Voilà à quoi l'honorable ministre n'a pas pensé.

Vous nous avez appris que la cote la moins élevée de la contribution personnelle est à Bruxelles, par exemple, de 8 fr. 97 c.

M. Jacobs, ministre des finances. - Il y a des maisons exemptes à Bruxelles comme ailleurs.

M. Frère-Orban. - Il ne s'agit pas des maisons exemptes ; il s'agit de la contribution payée.

M. Jacobs, ministre des finances. - Il y a des maisons qui ne sont pas imposées.

M. Frère-Orban. - Je vous parle des maisons imposées.

M. Jacobs, ministre des finances. - Tous les cabaretiers n'occupent pas des maisons imposées.

M. Frère-Orban. - Je ne sais s'il y a à Bruxelles des maisons d'une valeur locative de 42 fr. 32 c. et en dessous et qui, à ce titre, sont exemptes de la contribution personnelle ; s'il y en a, le nombre doit en être extrêmement restreint et, dans tous les cas, ces maisons ne sont pas précisément occupées par les cabaretiers.

Les cabaretiers occupent des maisons plus considérables et acquittent une contribution personnelle. Or, si à une contribution personnelle de 8 fr. 97 c. on ajoute une patente de cabaretier, on atteint tout au moins le nouveau cens communal. Il est donc permis de présumer qu'à Bruxelles, tous les cabaretiers seront dans le corps électoral. Il en sera de même ou à peu près dans les grandes communes et dans les communes industrielles.

Mais je ne m'arrête pas à cette discussion de chiffres dans laquelle on peut fournir des arguments contradictoires, discutables ; je prends vos chiffres pour vous montrer que votre raisonnement politique est complètement faux.

Vous vous imaginez que parce que 80 p. c. sont des contribuables grevés de centimes additionnels et 20 p. c. seulement sont des cabaretiers ayant un intérêt unique en ce qui concerne cet impôt que vous allez abandonner, les 80 p. c. de voix se porteront d'un seul côté et les 20 p.c. de l'autre. Voici ce qui se présentera, ce qui est dans la nature des choses : les partis seront en présence se préoccupant médiocrement de vos centimes additionnels et c'est alors à qui achètera le contingent de 15 à 20 p. c. pour assurer le succès de l'élection.

La suppression de la taxe, si même elle vient à être établie, pourra très bien devenir l'enjeu électoral et l'on aura ainsi sacrifié l'intérêt public. Voilà ce qui se passera, et en voulez-vous une preuve prise dans vos pratiques électorales ?

Aux élections dernières à Gand, on a exploité l'affaire des officiers pensionnés. Que représentent les officiers dans le corps électoral ? Dans la localité ils ne représentaient pas 6 sur 1,000 et probablement moins encore. Eh bien, quelqu'un défendait l'intérêt des contribuables et ne montrait pas un trop vif empressement de grever les contribuables de charges nouvelles. Mais les partis que font-ils ? Pendant dix ans l'opposition a successivement dénoncé à la tribune, dans la presse, dans les meetings, l'accroissement des pensions militaires. J'ai eu des peines infinies à défendre l'intérêt des pensionnés, j'ai fait faire des travaux considérables, notamment par M. le colonel Liagre, pour essayer de convaincre les Chambres que les plaintes que l'on faisait entendre au sujet de l'accroissement du chiffre des pensions militaires ne devaient pas être écoutées.

Eh bien, tout d'un coup l'opposition change de gamme ; elle n'est plus opposée à l'accroissement des pensions militaires, et pour récolter quelques voix on ne s'occupe plus du contribuable dont on prétendait défendre les intérêts et on promet monts et merveilles aux officiers pensionnés. Les contribuables payeront les frais de cette campagne électorale. Il est vrai qu'on avait promis aux pensionnés beaucoup plus qu'on ne propose de leur allouer ; on trouve maintenant qu'il y a bien un peu d'exagération dans leurs réclamations ; on donne même raison au rapport que j'ai déposé. Mais le tour est fait.

Voilà ce qui s'est passé. Ne comptez donc pas que si, au milieu de la lutte des partis, une coalition se forme pour empêcher l'établissement, pour demander la suppression ou la réduction de la taxe sur les débits, l'influence des cabaretiers sera aisément neutralisée.

A cette occasion, messieurs, permettez-moi une réflexion. M. le ministre de finances a fait de grands efforts pour établir la proportion dans laquelle les cabaretiers se trouveront dans les nouveaux corps électoraux constitués par l'abaissement du cens. Il est arrivé à vous dire qu'il y en aura au maximum 14 ou 15 p. c, au plus 20 p. c. Cela n'est pas effrayant, dit-il.

Mais dans le corps électoral général, les cabaretiers ne figurent que pour 11 ou 12 p. c. et vous trouvez la chose effroyable ! Voilà la logique du cabinet et de la majorité.

M. Coomans. - Il y a 11 ou 12 p. c. de cabaretiers pour les élections législatives, par le droit de débit de boissons, mais il y en a un grand nombre d'autres.

M. Frère-Orban. - Il ne manquerait vraiment plus que de rayer du corps électoral les cabaretiers qui payent le cens, abstraction faite de tout droit de débit !

M. Coomans. - Vous ne comprenez pas.

M. Frère-Orban. - Je comprends parfaitement. S'il y a plus que 11 ou 12 p. c. de cabaretiers dans le corps électoral, c'est qu'ils y sont, abstraction faite du droit de débit de boissons.

M. Demeur. - Il n'y a pas 12 p. c. de cabaretiers en tout dans le corps électoral.

M. Jacobs, ministre des finances. - A l'avenir, il y en aura zéro,

M. Frère-Orban. - Je viens donc de montrer que le gouvernement déserte ici un intérêt général de premier ordre. La question est de savoir (page 1492) si une taxe éminemment morale, éminemment juste, sera maintenue ou supprimée, est abandonnée aux hasards des luttes sur le terrain communal ou provincial.

Voilà en quoi je blâme le gouvernement de déserter l'intérêt général dans des préoccupations de parti.

Il y a d'autres motifs, messieurs, pour lesquels les provinces ne pourront reprendre le droit de débit sur les boissons distillées. On l'a dit avec raison : cette taxe deviendrait excessivement onéreuse pour elles, si elles étaient obligées de créer une administration pour en opérer la perception.

Aussi l'honorable ministre des finances a-t-il dit : Je le ferai pour elles. Que ferez-vous pour elles ?

Ah ! je comprends que vous opériez la recette. Mais vous allez vous charger de la confection des rôles ; mais vous allez vous charger, pour la province, de la recherche des contribuables ; mais vous allez mettre tout votre personnel au service de l'administration provinciale. L'administration provinciale fera le règlement pour la perception de l'impôt et elle dira : Le gouvernement est chargé de son exécution. En vérité, messieurs, c'est le monde renversé. S'il ne s'agissait que de la simple perception par les agents de l'administration des finances, cela se concevrait parfaitement. Cela existe déjà ; c'est de la bonne administration ; mais pour la surveillance de l'impôt, jamais on n'a vu l'administration subordonnée charger le gouvernement de l'exercer.

Qu'en résultera-t-il, messieurs ? Et ici encore je constate un oubli complet de l'intérêt général. Les provinces n'ont pas d'agents répandus dans les diverses communes pour empêcher que des fraudes ne se commettent, - car on tentera de s'affranchir du payement du droit. L'administration provinciale va donc créer un personnel pour surveiller les cabarets, pour rechercher les débits clandestins. Est-ce que, par hasard, vous allez aussi, pour cette besogne, mettre votre personnel à la disposition de l'administration provinciale ? C'est donc le gouvernement qui va devenir l'agent de la province, et sans doute au nom de la décentralisation administrative ; Encore une fois, je vous le demande, cela est-il admissible, cela est-il possible ? Mais, messieurs, dans de pareilles conditions, vous aurez, vous gouvernement, tout l'odieux de la surveillance, de la perception d'un impôt que vous aurez abandonné.

Enfin, messieurs, on va troubler profondément les finances des grandes villes.

Etait-il donc nécessaire, était-il opportun de reprendre cette taxe sur les constructions nouvelles qui existe depuis un certain nombre d'années au profit de quelque grandes communes ?

La chose était parfaitement connue ; bien souvent, pendant que je dirigeais le département des finances, elle m'avait été signalée ; l'administration bien souvent m'avait exprimé l'avis que cette taxe revenait légitimement à l'Etat. Je m'y suis toujours opposé ; et je dis maintenant que si cette taxe n'existait pas au profit des grandes villes, il faudrait l'inventer ; ce serait une chose des plus légitimes, des plus équitables.

Les grandes communes, messieurs, voient s'accroître leur population dans une proportion considérable d'année en année ; c'est en quelque sorte une commune nouvelle qui se crée chaque année dans certains centres de population. Or, si la communauté se trouve obligée de faire face aux charges résultant de cet accroissement de population, c'est-à-dire, l'église, l'école, l'éclairage, etc., comment veut-on qu'elle y pourvoie sans créer de nouvelles ressources ?

Mais, messieurs, sa première, sa meilleure compensation, - les autres ne viennent que plus tard, - c'est la taxe sur les constructions nouvelles, et cette compensation n'a, du reste, qu'un caractère purement temporaire.

Rien donc de plus légitime que cette taxe. Et que fait le gouvernement ? Il dit : Les communes se tireront d'affaire comme elles le pourront ; elles ont des charges exceptionnelles ; tant pis pour elles.

M. d’Andrimont. - C'est un rôle commode.

M. Frère-Orban.-Voilà, messieurs, la position que prend le gouvernement.

Est-ce l'action d'un bon gouvernement qui devrait avoir à cœur de ne pas troubler les finances des villes ? Ces villes sont, sous ce rapport, dans une situation transitoire et difficile. L'institution du fonds communal a pour effet d'attribuer à presque toutes les communes des ressources qui vont grandissant d'année en année. Toutes les communes du royaume en profitent, sauf trente ou quarante communes ; ce sont précisément ces trente ou quarante communes qui ont la taxe sur les constructions nouvelles...

- Un membre. - Ce sont quatorze communes.

M. Frère-Orban. - Je ne donne pas de chiffre exact ; je me borne à faire remarquer que trente ou quarante communes sont seules exclues, pour le moment, de la répartition.

C'est à ces communes, qui sont dans une situation particulièrement fâcheuse, qu'on va faire subir le préjudice que je viens de signaler.

Eh bien, je ne pense pas que cela soit juste et bon ; je ne pense pas que cela soit de nature à fortifier le gouvernement et la majorité. Ce sont des mesures qui ne sont nullement justifiées ; la situation financière que j'ai exposée tout à l'heure vous permet parfaitement de vous passer de ces 2,000,000 pendant un certain temps, de ne pas grever de nouvelles charges les contribuables ; et, en présence de cette situation, la mesure paraîtra d'autant plus fâcheuse à l'égard des grandes communes du pays.

Et pourquoi est-on obligé d'arriver à une pareille situation ? Il faut bien le dire, c'est parce que dans l'opposition on s'est trouvé engagé par esprit de parti, par passion, par irréflexion, dans une hostilité à une loi qui est parfaitement bonne, juste et qui ne présente pas les inconvénients dont on a parlé.

Il faut bien refaire quelque peu l'historique de cette loi. On a singulièrement travesti les faits, en ce qui concerne la loi de 1838 et celle de 1849 qui y a été substituée.

La loi de 1838 a eu pour but de créer une ressource au profit du trésor. Il ne faut pas qu'on s'imagine qu'on a voulu faire exclusivement de la morale : ne nous payons pas de ces mots-là. La taxe a été imposée, parce qu'on avait besoin de cette ressource ; et elle pouvait être justement imposée.

La taxe était combinée de telle sorte que l'on espérait arriver à supprimer les petits débits. Les petits débits, c'était là ce qu'on avait en vue. On s'imaginait, en 1838, que si on supprimait les petits débits, si on pouvait concentrer la vente dans les grands débits, l'inconvénient serait moindre, la consommation des boissons alcooliques diminuerait.

De là, messieurs, la mesure qui a été prise pour établir une taxe très élevée, s'appliquant aux divers débits. Le débit dans lequel on vendait 50 titres de genièvre était imposé comme celui dans lequel on en consommait 600 litres.

Voilà la situation. Cette loi souleva' immédiatement de très vives réclamations. La taxe étant fort élevée, il s'établit incontinent beaucoup de débits clandestins.

Cela est tellement manifeste que la taxe qui, au début, donnait un million, ne procurait plus, quelque temps après, qu'un produit de 900,000 francs seulement.

Quelques-uns pensèrent que le nombre des débits était restreint, mais le grand nombre des contraventions vint établir que beaucoup de débits étaient clandestins.

La taxe ainsi établie ayant dans son principe même quelque chose de parfaitement injuste, les réclamations qu'elle souleva grandirent d'année en année et trouvèrent de l'appui au sein des Chambres.

Les contraventions constatées étaient considérables. C'est dans cette situation que nous trouvâmes la question en 1849. On disait alors : Il faut supprimer ce droit. Je répondis qu'il ne fallait pas le supprimer, qu'il fallait conserver cette recette, mais que l'impôt était mal assis, qu'il fallait le changer.

En 1849, je proposai donc la loi qui, selon M. Cruyt, n'a pas été défendue dans le cours de ce débat ; je proposai une loi qui repose sur un principe essentiellement différent de celui de la loi de 1838. Celle loi de 1838, comme le porte son texte, établissait un droit de consommation. La loi de 1849, elle, établissait un droit de débit sur les boissons distillées.

La loi de 1838 établissant un droit de consommation créait un impôt indirect et il avait été décidé, en conséquence, que cet impôt ne compterait pas dans le cens électoral.

Mais cet impôt établi comme droit de débit, ayant le véritable caractère d'une patente, devait entrer dans la formation du cens électoral.

Messieurs, que la loi de 1838 ait eu le but que je viens d'indiquer et qu'elle fait complètement manqué, c'est ce qui est constaté par des documents authentiques ; le rapport de l'honorable M. Moreau sur la loi de 1849, après avoir constaté que le but que l'on s'était proposé en 1838 était de supprimer les petits débits, s'exprime ainsi à cet égard :

« Mais le nombre des petits débitants n'a pas diminué ; ceux-ci ont continué clandestinement leur trafic et il est constant que la consommation des boissons distillées n'a pas été moins forte dans le pays depuis la mise en vigueur de la loi de 1838.

« Il n'est donc pas surprenant que cet état de choses ai donné lieu à de nombreuses réclamations, que l'on doit reconnaître justes et fondées, alors (page 1493) que l'on est convaincu que la loi de 1838 n'a pas donné le résultat que l'on se proposait d'obtenir, celui de faire cesser l'usage immodéré de boissons alcooliques. »

Maintenant, messieurs, que le droit de débit ait été considéré comme un droit de patente, c'est ce que l’honorable M. Ch. de Brouckere, qui s'y connaissait, disait dans la discussion, c'est-ce que l'honorable M. Moreau, rapporteur, confirmait en ces termes :

« Comme vient de le dire avec raison l'honorable M. Ch. de Brouckere, la loi que nous faisons est une véritable loi des patentes.

« C'est donc une loi fiscale que nous faisons et par conséquent il faut qu'il y ait une proportion équitable entre la somme que doit payer le petit détaillant et celle que doit payer celui qui vend cent fois plus de liqueurs fortes. »

Il n'y eut pour le gouvernement, au sujet de cette proposition, que des éloges. Relisez la discussion et vous verrez que tous les orateurs se lèvent pour féliciter le gouvernement de la réforme qu'il est venu proposer. Tout le monde la trouve parfaitement satisfaisante : on approuve entièrement ce qui est fait. On rappelle, dans cette discussion, que la loi de 1838 n'était qu'une loi contre les enseignes, qu'on avait fait supprimer les enseignes des cabarets, mais que les cabarets subsistaient. Pas une voix, mais pas une seule ne se fait entendre pour défendre la loi de 1838. L'honorable M. Jullien signale, dans la discussion, la situation qui va résulter du changement dans la nature de l'impôt :

« Il se pourrait, dit-il, que dans la pensée du gouvernement l'on ait à dessein qualifié dans cet article l'impôt de droit de débit, afin que l'on dût en inférer que ce droit constitue un impôt direct, lequel devrait être supputé dans le cens électoral. S'il en était ainsi, alors pour ne pas enchaîner sur cette question le vote de la Chambre, il conviendrait peut-être que tout d'abord la Chambre statuât sur le point de savoir si l'impôt qu'elle frappe doit être considéré comme un impôt indirect, un impôt de consommation, ou si, au contraire, elle entend frapper un impôt direct qui ferait partie du cens électoral, d'après la Constitution et la loi de 1831. »

La section centrale proposait une mesure, qui avait pour résultat de statuer sur cette proposition de l'honorable M. Jullien, elle proposait de déclarer que l'impôt compterait désormais pour la formation du cens électoral, mais que ce qui avait été créé sous l'empire de la loi de 1838 et avait été qualifié d'impôt indirect ne pouvait pas être compris dans le cens électoral. Je fis remarquer que cette proposition était inutile, qu'il était bien certain que l'impôt ayant été qualifié impôt indirect jusque-là ne pourrait être compté dans le cens électoral, mais que l'impôt devenant désormais un impôt direct, ii devait compter dans le cens électoral. L'honorable M. Moreau déclara que mon observation était fondée et qu'il n'insistait pas sur sa proposition.

Enfin, l'honorable M. de Brouckere proposa de déclarer expressément abrogée la loi de 1838 par un motif dont vous allez voir toute la portée. « Je crois, dit-il, qu'il faut déclarer abrogée la loi de 1838 ; sans cela, les dispositions qui ne sont pas explicitement supprimées resteront, notamment cette relative au cens électoral. »

C'est dans ces conditions que la loi fut votée à l'unanimité. Il y eut cinq opposants, mais pas un seul pour revendiquer la disposition de la loi de 1838, pour contester le droit électoral. Il y eut quatre abstentions, et encore il y en avait trois dans la gauche.

Au Sénat, après toutes ces discussions, la loi fut également votée à l'unanimité.

Eh bien, le croirait-on, messieurs ? un beau jour, plus de dix ans après que la loi avait fonctionné sans aucune espèce de réclamation ni dans la Chambre ni au dehors par voie de pétition, on s'avise, dans un collège électoral à Gand, de. croire que les cabaretiers ont été pour quelque chose dans l'insuccès des catholiques. Et voilà une insurrection contre la loi de 1849 ; et l'on est tellement aveugle que l'on commence par déclarer que c'est subrepticement, par voie de circulaire émanant de moi, que les débitants de boissons sont devenus électeurs ; on l'écrit, on l'imprime, on le dit jusque dans cette Chambre. Et lorsque j'ai démontré cette énormité, on soutient que le législateur n'a pas statué. Vous l'avez entendu, j'ai rapporté tout ce qui a été dit dans la discussion.

On soutient que le législateur n'a pas statué, que c'est par voie administrative que le droit de débit a été déclaré être un impôt direct, que c'est, en réalité, un impôt indirect ; on fait des mémoires sur cette question, on saisit la députation permanente de la Flandre orientale ; la députation permanente de la Flandre orientale décide que l'impôt est indirect. L'affaire est déférée à la cour de cassation, qui annule la décision de la députation de la Flandre orientale et renvoie devant sa sœur de l'autre Flandre. Celle-ci. éprise de la même passion de vérité, s'associe à la décision cassée ; nouveau pourvoi, et il faut un arrêt, chambres réunies, pour statuer, ce qui est d'une évidente clarté, que le droit de débit, tel qu'il a été établi par le législateur, est un impôt direct et qu'on a voulu qu'il comptât dans le cens électoral.

Voilà, messieurs, l'historique de cette loi et de l'opposition qu'elle a soulevée. Voilà la cause de cette opposition contre le droit de débit après plus de dix années, pendant lesquelles il n'avait donné lieu à aucune réclamation.

Et l'honorable M. Cruyt s'est imaginé hier que personne ne se lèverait pour défendre une pareille loi ! Quelle illusion se fait-il donc ? Qu'on ait de pareilles illusions à Gand, je le conçois, mais qu'on vienne ici dans cette Chambre, s'imaginer que cette loi ne sera pas défendue... (Interruption.) Personne ne l'a attaquée, si ce n'est vous.

M. De Lehaye. - Les députations des deux Flandres.

M. Frère-Orban. Oh ! je les en félicite. Leur opposition a été parfaitement justifiée ! Les arrêts de cassation l'ont bien prouvé !

Maintenant, messieurs, le parti catholique, très légèrement engagé dans cette opposition, sans aucun examen, sans réflexion suffisante, doit aujourd'hui essayer de se tirer d'affaire. ; mais le cas est extrêmement embarrassant ; c'est qu'on s'expose à un singulier ridicule, mais un de ces ridicules qui deviendront historiques.

Ce sera phénoménal. On n'aura jamais vu pareille chose dans le monde. C'est le cabaretier que l'on poursuit. Oh ! qu'il disparaisse, qu'il sorte du corps électoral ! Et on abaisse le cens à 10 et à 20 francs pour y faire entrer tous les cabaretiers. (Interruption.)

Il tombe sous le sens que si on n'exige que 10 ou 20 francs, il y en aura beaucoup plus que si l'on exigeait 42 francs. (Interruption.) Voyons : nous allons préciser les chiffres ; il y a 100,000 cabaretiers et M. le ministre des finances veut bien concéder qu'il y en aura 80,000 qui entreront dans le corps électoral ; il ne veut pas l'affirmer ; il n'a pas « de données exactes à ce sujet ; » il affaiblit autant que possible le nombre et il suppose que 20,000 ne seront pas électeurs ; je prétends, moi, qu'il y en aura 90,000, peut-être même 95,000, et j'ai donné les raisons qui justifient mon assertion.

L'honorable ministre des finances prétend que ce chiffre est trop élevé, voilà la situation.

Mais ce qu'il y a de plus plaisant, ce qui rendra l'aventure de l'ancienne opposition des plus singulières, c'est que ce qu'on trouve le plus regrettable dans le corps électoral, ce que l'on veut exclure, c'est le cabaretier proprement dit.

Mais le débitant de boissons peut être tout autre chose que le cabaretier.

La plupart des cabaretiers sont des débitants de boissons, mais il y a un nombre considérable de débitants de boissons qui ne sont pas cabaretiers.

Or, à qui croyez-vous qu'on s'attaque ? Aux cabaretiers ? Pas du tout C'est aux débitants de boissons, c'est-à-dire à des hôteliers, à des aubergistes, à des pâtissiers, à des confiseurs qui, par cela seul qu'ils vendent des boissons distillées par quantités au-dessous de cinq litres, payent le droit de débit.

Voilà ceux qui seront exclus du corps électoral. (Interruption.) Je vais vous citer des faits péremptoires.

Dans une commune des environs de Bruxelles, voici la situation qui se constate.

Sur 27 débitants imposés, il n'y en a que quatre qui soient exclusivement cabaretiers.

Quelle est l'influence du droit de débit sur le corps électoral dans cette commune ?

En 1866, c'est l'époque où cette enquête a été faite, mais ces choses ne varient que très peu, il y avait dix-neuf électeurs généraux, dont six imposés au droit de débit, et dans ces six débitants il en est quatre seulement qui n'auraient pas payé 42 fr. 32 c. sans le droit de débit.

Combien représentent les impôts payés par ces dix-neuf citoyens ?

Ils payaient :

Contribution foncière 902 fr. 63 c. ou 53 p. c.

Contribution personnelle 546 fr. 5 c. ou 33 p. c.

Patentes 136 fr. 95 c. ou 6 p. c.

Et enfin, le droit de débit figure pour 5 p. c. seulement dans le total des contributions payées par eux. Dans une somme de 1,687 francs, on ne compte que 90 francs pour le droit de d »bit.

Eh bien, ceux de ces citoyens qui ne complètent le cens que par le droit (page 1494) de débit, deviennent indignes, parce que, accessoirement à leur commerce, ils ont un débit de boisson.

Voulez-vous avoir la preuve incontestable de l'exagération incroyable à laquelle vous vous livrez, lorsque vous parlez de l'influence du droit de débit sur le corps électoral ?

Il suffit de calculer ce que payent de contributions les 11,000 débitants de boissons qui se trouvent aujourd'hui dans le corps électoral.

En principal et en centimes additionnels au profit de l'Etat, ils payent environ un demi-million de francs. (Interruption.) Multipliez 42 par 11,000.

M. Coomans. - Il y a plus de 11,000 cabaretiers dans le corps électoral. Il y en a 15,000 ou 16,000.

M. Frère-Orban. - La suppression du droit de débit ne fait disparaître que ceux qui complètent leur cens à l'aide du droit de débit. Nous ne nous occupons pas des autres, ils sont censitaires parce qu'ils payent la contribution foncière, la contribution personnelle ; nous ne nous occupons que de ces 11,000 ; eh bien, ces 11,000 payent en somme à l'Etat un demi-million de francs, et il faut remarquer que ce demi-million s'accroît des centimes provinciaux et communaux. Et pour combien figure le droit de débit dans cette somme ? Rien n'est plus facile à établir.

Il y a 100,000 débitants et l'impôt ne produisait pas, en 1866, plus de 1,300,000 fr. ; le maximum du produit a été, en 1870, de 1,500,000 francs, c'est donc de 13 à 15 francs par débitant.

Donc dans le demi-million le droit de débit figure pour 150,000 ou 160,000 francs ; eh bien, vous allez déclarer que les individus qui payent la contribution foncière, la contribution personnelle, la patente pour un demi-million, par cela seuls qu'ils complètent leur cens pour 15 francs au plus à l'aide du droit de débit, sont indignes d'être électeurs.

Voilà votre système et ce système se produit dans le moment même où vous faites entrer, par le cens de 10 francs et de 20 francs, le plus grand nombre possible de cabaretiers nouveaux dans le corps électoral.

Et l'honorable ministre des finances, qui se montre souvent si grave, qui rit rarement, nous dit sans sourciller que le but qu'il a poursuivi, « c'est la grande question sociale et morale de la saine composition du corps électoral. »

Ainsi, il exclut les débitants en grand nombre, il exclut cette catégorie de personnes qu'il est obligé de reconnaître lui-même très aptes au droit électoral, mais il introduit dans le corps électoral les simples cabaretiers, les individus payant patente en qualité de cabaretier.

Et après cela, on fait des tirades sur les cabaretiers ; on les flétrit ; ce sont des gens immoraux qu'il faut repousser du corps électoral ! Et l'on accusera la loi de 1849 de les avoir introduits dans le corps électoral, comme s'ils n'y étaient pas déjà en grand nombre par la patente. !

Du reste, cette histoire des cabaretiers n'est pas nouvelle, on ne l'a pas inventée pour cette discussion ; en 1836, quand on a fait la loi communale, pourquoi a-t-on attribué le tiers de la contribution foncière aux fermiers locataires ? Mais à cause des cabaretiers de la commune.

M. Dumortier. - Pas le moins du monde.

M. Frère-Orban. - L'honorable M. Dumortier, qui a fait le rapport sur la loi communale, se croit autorisé à me dire que ce n'est pas à cause des cabaretiers. A cause de qui donc ?

M. Dumortier. - A cause de l'égalité devant la loi, et pour ne pas repousser du corps électoral l'agriculture, qui est la plus respectable et la plus morale des professions.

M. Frère-Orban.- Eh bien, j'ai lu, moi, dans le rapport de la section centrale sur la loi communale, le passage que voici et que je recommande spécialement à l'honorable M. Dumorlier :

« La clause finale que nous avons admise, présentée par la cinquième section, est empruntée à la loi française. Dans les communes rurales, il arrive souvent que, tandis que tous les cabaretiers sont électeurs, la plupart des fermiers-locataires, quoique payant en réalité de forts impôts, ne jouissent pas de cette qualité, attendu que la contribution foncière est comptée au propriétaire. »

C'est donc contre les cabaretiers que cette disposition a été admise, car il arrivait souvent qu'ils étaient tous électeurs.

M. Dumortier. - Mais pas le moins du monde : c'est vous qui ajoutez ce commentaire. Nous faisions cela dans un but de justice distributive, dans l'intérêt de l'égalité devant la loi. Ne substituez donc pas votre pensée, à la mienne.

M. Frère-Orban.- C'est votre pensée que j'exprime ; je n'y ajoute absolument rien de nouveau.

M. Dumortier. - Pardon ; c'est vous qui ajoutez que, dans notre pensée, cela était dirigé contre les cabaretiers.

M. Frère-Orban. - Mais c'est la conclusion nécessaire, naturelle du passage que je viens de citer. Veuillez donc comprendre ce que j'ai l’honneur de dire. Vous avez prétendu que l'abomination de la désolation résultait de la loi de 1849 ; que c'était elle qui avait fait des cabaretiers électeurs.

M. Dumortier. - Oui, des faux électeurs.

M. Frère-Orban. - Eh bien, je prouve par vos propres paroles que, dès 1836, il arrivait souvent qu'ils étaient tous électeurs dans les communes rurales ; c'est vous qui l'avez dit.

M. Dumortier. - Vous me faites dire ce que je n'ai pas dit ; il n'est permis à personne de dénaturer la pensée d'autrui.

M. le président. - Il n'est pas non plus permis d'interrompre l'orateur, M. Dumortier.

M. Dumortier. - On me fait dire...

M. le président. - Vous n'avez pas la parole.

M. Dumortier. - Il doit m'être permis de rectifier une erreur.

M. le président. - Oui, si l'orateur y consent.

M. Dumortier. - Nous avons voulu prévenir les fraudes électorales ; relisez donc ce que j'ai dit.

M. Frère-Orban. - Nous ne pouvons pas traiter toutes les questions à la fois. Je réponds à un grief qui a été fait à la loi de 1849 ; c'est elle qui prétendument aurait fait entrer dans le corps électoral les cabaretiers en masse ; ils n'y étaient point ou presque, pas ; et j'ai eu l'honneur de citer, à ce propos, vos propres paroles dans la discussion de la loi de 1836.

M. Dumortier. - Nous avons voulu exclure les faux électeurs de par la patente de cabaretiers.

M. Frère-Orban. - Ils étaient tous électeurs.

M. Dumortier. - Mais non !

M. Frère-Orban. - Mais si, c'est vous qui le dites.

M. Dumortier. - Mais non, encore une fois ; ne dénaturez donc pas ma pensée.

M. le président. - Vous n'avez pas la parole, M. Dumortier.

M. Dumortier. - Je proteste contre...

M. le président. - Je serai obligé, M. Dumortier, de vous rappeler à l'ordre. (Interruption.)

M. Frère-Orban. - « 11 arrive souvent que, tandis que tous les cabaretiers sont électeurs, la plupart des cultivateurs ne le sont pas. » Voilà ce que vous avez écrit. Et vous prétendez que je dénature votre pensée !

Je viens maintenant à la question dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Dumortier : On veut renverser la loi de 1849 parce qu'elle donne de grandes facilités pour les fraudes électorales ! Que de puérilités on a répétées, ressassées, à propos de cette question électorale ! On vous a dit : Le nombre des débits s'est accru de 6,000 en dix ans, de 1838 à 1849 ; depuis 1849, il s'est accru de 45,000 en 18 ans.

Mais on n'a pas voulu voir, car je l'ai dit assez souvent, que de 1838 à 1849 les débits n'ont pas été tous déclarés ; qu'il y avait des débits clandestins ; que les débits étaient plus nombreux qu'ils ne paraissaient l'être en réalité. Tous les documents l'attestent.

Si vous le niez, il faut vous inscrire en faux contre les documents qui l'établissent, qui sont d'autant moins suspects qu'ils ont vu le jour sous les administrations catholiques ; il faut vous inscrire en faux contre le rapport fait par l'honorable M. Moreau sur la loi de 1849 et contre tous les discours prononcés dans cette discussion. Il était donc tout simple que vous n'ayez pas vu un progrès considérable : les débits se cachaient sous l'empire de l'ancienne loi ; sous la loi nouvelle, ils ont tous apparu. Au fond, la situation était la même.

M. Coomans. - Le chiffre des cabaretiers dans le corps électoral pour les Chambres n'est pas de 11 à 12 p. c, mais de 15 à 16 p. c. peut-être, car les 11 à 12 p. c. ne représentent que les débitants de liqueurs qui ont été inscrits en vertu du droit de débit. Beaucoup de cabaretiers resteront électeurs quand cette taxe supplémentaire sera abolie. Il y a donc aujourd'hui autant de cabaretiers électeurs pour les Chambres qu'il y en aura pour la commune quand ce projet de loi-ci sera voté, et l'argument de M. Frère est sans portée.

M. Frère-Orban. - Nous y arriverons. Nous allons pas à pas. Aucune de vos objections ne restera debout, je vous le promets.

Le nombre des cabarets est augmenté d’une manière considérable, et l'on en induisait que la consommation des boissons alcooliques grandissait.

(page 1495) Eh bien, l'argument est dans le faux. Que le nombre des débits ait été plus ou moins grand, plus ou moins grand, plus ou moins limité, la consommation est restée la même. L'honorable ministre des finances l'a reconnu ; la consommation n'a pas sensiblement changé.

Il importe donc fort peu que le nombre des débits ait été plus ou moins grand, mais il suffit qu'il soit constaté que la consommation n'est pas supérieure.

L'accroissement du nombre des débits a été exactement en proportion du développement de la population et de la richesse publique.

L'honorable M. Cruyt vous a dit qu'on ne peut contester la vérité des chiffres ; cela n'est pas toujours vrai ; mais en voici qui ne peuvent être contredits.

De 1840 a 1870, les patentes ont augmenté de 60 p. c.

Eh bien, si je raisonnais comme vous le faites : après avoir établi qu'on fait de la fraude électorale à l'aide des patentes, voyez, dirais-je, c'est grâce à cette patente, comptant dans le cens électoral, qu'on voit un accroissement de 60 p. c.

Pour les débits de boissons, la proportion a été la même. Elle aurait été même inférieure.

La première perception de l'impôt en 1849 a donné, si je ne me trompe, un million ; l'impôt a produit en 1870, 1,500,000 francs. La progression est donc de 50 p. c.

Ainsi pas d'argument, absolument pas d'argument à tirer de l'accroissement du nombre de débits, soit pour en conclure à des fraudes électorales, soit au développement de la consommation des liqueurs fortes.

Vous ne voulez pas que le droit de débit entre dans le cens électoral parce que la base du droit électoral doit être la fortune qui est une présomption de capacité, qui est une sécurité pour la société ; mais l'impôt perçu par la patente du cabaretier est-il d'une autre nature que l'impôt perçu par le droit de débit de boissons ? Est-ce que la patente, est, plus que le droit de débit, une présomption de fortune ? Evidemment non, et comme, tout à l'heure l'honorable M. Bricoult nous disait : Les chiffonniers, les vendeurs de peaux de lapins, les colporteurs et enfin une foule d'autres qui sont des patentés, est-ce qu'ils portent par hasard une bien grande fortune dans leur poche ? Et allez-vous les exclure du corps électoral ; ne les trouvez-vous pas dignes d'y figurer aussi ?

Le nombre de débits, dites-vous encore, concorde avec la vivacité de nos luttes électorales. Erreur manifeste ! Je l'ai prouvé tout a l'heure par la progression constante entre la patente et le droit de débit. Je ne nie pas assurément que, dans certains cas exceptionnels, pour les luttes communales un certain nombre de mauvaises pratiques ont lieu à l'aide du droit de débit. Mais, exercées des deux côtés, par les deux partis, elles se trouvent paralysées. On n'eût rien fait qu'on se fût trouvé exactement dans la même situation. Mais de ce cas particulier qui s'est passé à Berchem et qui revient sans cesse dans nos discussions, conclure que cela se pratique partout, c'est là évidemment une extrême exagération.

Mais, messieurs, il n'y a pas exclusivement que le droit de débit qui serve à faire de faux électeurs, toujours pour les élections communales ; j'ai cité, moi, des faits nombreux qui établissent que c'est l'élément qui entre pour la moindre partie dans la composition des fraudes de. ce genre. Les autres éléments sont beaucoup plus nombreux ; il y en a qui ne font pas apparents, comme les déclarations de la contribution personnelle, un accroissement de la valeur locative, un accroissement des portes, fenêtres et foyers ; tout cela n'est pas apparent, tout cela n'est pas contredit, tandis que pour le cabaretier il faut au moins qu'il ait l'apparence d'exercer la profession.

Je vous ai cité l'exemple d'une commune de la province de Namur, dans laquelle tous les individus mâles et majeurs étaient électeurs.

Eh bien, c'était principalement à l'aide des patentes. En faut-il conclure qu'il faut supprimer le droit de patente pour le droit électoral et le faire disparaître parce qu'il y a eu quelques abus signalés dans les élections communales ?

Car, remarquons-le bien, c'est pour les élections communales que l'on a fabriqué de faux électeurs et l'on propose de supprimer des électeurs pour les élections générales ! Il est pour ainsi dire sans exemple dans les élections générales que l'on ait fait usage du droit de débit pour fabriquer de faux électeurs, parce qu'on n'a pas intérêt à le faire. Mais parce que, dans quelques communes, sur une échelle extrêmement restreinte, on a fabriqué, pour les élections communales, un certain nombre d'électeurs à l’aide du droit de débit comme à l'aide du droit de patente, on veut supprimer des électeurs dans les élections générales.

M. Coomans. - C'est le but principal.

M. Frère-Orban. - Oui, c'est le but principal ! le but moral et honnête ! Mais, messieurs, à côté de toutes les choses surprenantes que nous voyons dans cette discussion, il y en a une qui est encore plus surprenante que toutes celles que je viens d'indiquer. Ah ! on fait de faux électeurs avec le droit de débit et votre honnêteté se révolte et c'est pour cela qu'il faut chasser 11,000 électeurs du corps électoral, Et vous maintenez la patente ?

M. Coomans. - Moi pas.

M. Frère-Orban. - Oh ! vous êtes logique ! C'est connu.

M. Coomans. - Vous m'interrogez.

M. Frère-Orban. - Je ne vous interroge pas. Vous m'interrompez et je vous réponds. On maintient donc la patente. Messieurs, vous croyez aux miracles, je l'admets ; je comprends cela, mais dans l'ordre religieux seulement. Dans l'ordre civil et politique, vous ne pouvez pas admettre les miracles ; cela n'est pas possible. Mais alors veuillez m'expliquer comment il sera interdit de faire de faux électeurs avec la patente des cabaretiers.

On supprime le droit de débit parce qu'il sert à faire de faux électeurs. Et l'on maintient la patente, avec laquelle on fera de faux électeurs. Quel moyen de l'empêcher ? Cela se fera avec beaucoup plus de facilité. Cela coûtera moins cher. Avec le droit de débit des boissons distillées, on est obligé, au moins, de sacrifier 12 francs, parce que c'est le minimum de la taxe. Mais quand il s'agira de la patente du cabaretier, on prendra le taux qui conviendra pour parfaire le cens. Voilà tout. C'est à bon marché. Il y a des patentes de cabaretiers depuis quelques francs jusque près de 200 francs, selon le rang des localités. On peut s'en accommoder facilement. On fabriquera donc des électeurs à son gré.

Et vous voulez vous persuader que c'est pour empêcher des faux électeurs que vous supprimez le droit de débit de boissons ! Vraiment cela n'est pas sérieux. Si vous êtes sincères, il faut aller jusqu'au bout, il ne faut pas vous couvrir d'un ridicule ineffaçable, il faut être logique ; il faut supprimer la patente.

Puisque vous supprimez le droit de débit, pourquoi maintenez-vous la patente qui produira exactement et identiquement les mêmes effets ?

Soyez logiques, faites un seul droit, déclarez que c'est un droit de consommation. Rien n'est plus facile. Vous nous avez répété, durant de longues années, que pareils impôts ne pouvaient pas compter dans le cens électoral ; vous l'avez décidé une première fois ainsi ; l'heure est venue de mettre les actes d'accord avec les discours.

L'honorable ministre des finances est arrêté par deux scrupules ; il dit : C'est une question de savoir si, l'impôt étant direct, on peut ne pas le compter dans le cens et j'avoue que j'hésite. C'est là son grand motif pour ne pas déclarer que l'impôt est indirect, mais, ainsi que l'a fait remarquer tout à l'heure l'honorable M. Bricoult, lorsqu'il s'agit d'enlever le droit électoral à celui qui l'a acquis, l'honorable ministre des finances n'a plus de scrupule ; il a tellement en horreur le débitant de boissons, que la Constitution ne l'arrête plus ; l'électeur a payé son droit, impôt direct, et contrairement à la Constitution, M. le ministre supprime cet électeur. C'est une chose inouïe !

Voilà la position que prend le gouvernement.

Il pourrait facilement éviter toutes les difficultés qui se pressent, déclarer l'impôt indirect, comme le faisait la loi de 1838 ; c'est un scrupule constitutionnel qui l'arrête ; mais lorsqu'il s'agit d'exécuter les électeurs, de les chasser du corps électoral, il n'y a plus de scrupule constitutionnel.

La deuxième raison donnée par M. le ministre des finances est celle-ci : J'aime mieux abandonner l'impôt aux provinces, parce qu'une fois cet impôt dans la possession des provinces, il n'en sera plus question, on ne pourra plus y revenir ; et l'honorable ministre des finances s'imagine qu'il fait la constitution du droit de débit, qu'on ne pourra plus y revenir !

Mais en quoi le pouvoir législatif serait-il arrêté le jour où il jugerait convenable de déclarer que cet impôt doit être perçu au profit de l'Etat et qu'il doit disparaître des fonds provinciaux ?

Il n'y aurait aucune espèce de difficulté. Cela n'est donc pas sérieux.

Il est incontestablement dans la puissance du gouvernement et de la majorité de transformer le droit de débit en un impôt indirect.

On pourrait déclarer qu'on établit un droit de consommation sur les quantités vendues dans tout établissement où l'on débite des boissons, distillées par quantité de moins de 5 litres. Le débitant ferait l'avance de cet impôt et se récupérerait sur le consommateur. L'impôt serait établi sur la base de la loi de 1849 ou sur toute autre représentant une sorte d'abonnement.

(page 1496) Et puis, cela fait, j'aurais décidé que ce produit, puisqu'on peut l'abandonner, serait versé au fonds communal avec une affectation spéciale à des intérêts de premier ordre ; l'enseignement primaire, la voirie vicinale et la suppression des barrières.

Dans ce système, il n'y a aucun des inconvénients de celui que propose le gouvernement.

L'intérêt général n'est pas abandonné, les finances des communes ne sont pas troublées ; elles sont au contraire améliorées, le grand but moral est maintenu et il y a de plus 2,400 et autant de communes qui bénéficient immédiatement de l'impôt.

Il y a encore un autre avantage à ce système, c'est qu'il hâte le moment où toutes les communes entrent dans la répartition du fonds communal.

Or, vous le savez tous, aujourd'hui les communes, sauf une quarantaine, prennent part au fonds communal.

La participation deviendra immédiate pour un grand nombre de villes.

La ville d'Anvers verra s'accroître désormais ses ressources dans une proportion notable.

Charleroi, Dinant, Philippeville et beaucoup d'autres localités verront leurs finances immédiatement améliorées.

Je crois, messieurs, que l'idée que je mets en avant n'a absolument aucune chance de succès. Cependant, sincèrement, loyalement, je crois que ce serait le bon système, voulant faire ce que l'on fait. Mais voici pourquoi vous ne vous montrerez pas disposés à l'accueillir.

Vous êtes embarqués dans une affaire extrêmement difficile, inextricable.

Vous supprimez 11,000 électeurs généraux et vous augmentez notablement les corps électoraux des provinces et des communes.

Plus vous réduirez le corps électoral général, plus cette disproportion deviendra choquante et plus vous vous exposerez à glisser sur la pente de la révision de la Constitution.

Voici donc que, par une déplorable manœuvre de parti, vous êtes acculé dans la nécessité de créer des impôts afin de créer des électeurs. On veut avoir une compensation.

Le but ne sera que très incomplètement atteint. Les centimes additionnels vont frapper tous ceux qui sont déjà aujourd'hui électeurs. N'arriveront dans le corps électoral que ceux à qui il manque une quotité égale à environ 5 p. c. dés contributions totales. Mais le nombre n'en sera pas aussi considérable que le nombre des électeurs que vous supprimez, loin de là.

La disproportion existera toujours. Elle sera grande, elle sera fâcheuse.

Eh bien, puisqu'il faut que vous établissiez des impôts nouveaux pour avoir des électeurs, soit. Faites-le. Mais cela n'exclut pas la meilleure proposition que je fais.

Versez au fonds communal, et vous aurez la compensation que vous cherchez, et vous aurez la satisfaction que vous voulez donner aux provinces et aux communes.

Vous direz aux communes : Vous allez être surtaxées, mais vous obtenez une compensation par l'accroissement du fonds communal. Cela vous dispense de créer des impôts ou vous permet d'en réduire.

L'intérêt moral, dans cette affaire, reste aux mains du gouvernement.

Le gouvernement n'abdique pas ; le gouvernement ne livre pas aux hasards des scrutins communaux ou provinciaux le point de savoir si les débits seront libres ou s'ils seront grevés d'impôts.

Messieurs, ce que j'indique ne sera pas accepte, je le sais parfaitement. Tout doit se faire, semble-t-il, sous le ministère actuel, autrement que d'après les règles ordinaires.

Dans la matière qui nous occupe on a pendant des années cherché à établir que l'impôt sur le débit des boissons était un impôt de consommation ; il y a eu à ce sujet des mémoires et des discours magnifiques où il est établi que c'est notre conviction à tous. Vous êtes au moment de statuer et vous faites le contraire, ou tout au moins vous ne faites pas ce que vous avez annoncé.

On avait annoncé la réduction des charges publiques, la diminution des impôts, et c'est le contraire qui se réalise.

Non, dit M. le ministre des finances, nous n'avons rien promis et vous nous accusez à tort de manquera nos engagements.

Il faut distinguer, dit-il ; les ministres, oh ! ils ont pu dire ceci, ils ont pu dire cela, cela importe peu ; le ministère n'a rien dit, et cela suffit. C'est du ministère qu'il faut s'occuper. Et puis, dit l'honorable ministre, vous avez soutenu que notre programme était obscur, et vous prétendez aujourd'hui qu'il est clair et précis que nous avons fait des promesses positives. Mettez-vous d'accord.

En ce dernier point, M. le ministre se trompe, et, pour le surplus, il fait une théorie dont je prendrai la liberté de dire un mot tout à l'heure. Ecartons d'abord la prétendue contradiction.

Le programme politique du cabinet a été trouvé fort énigmatique, oui, mais non son programme économique. Le programme politique, le voici ; en quatre lignes. Ecoutez :

« L'opinion publique, unanime pour réclamer le développement de nos institutions, ne l'est plus quand il s'agit d'en déterminer le caractère et l'étendue. La nation se prononce sur les graves questions qui la préoccupent ; le cabinet n'a pas à lui dicter de solution ; il veut se conformer à la règle, fondamentale des Etats libres : Le gouvernement du pays par le pays. »

Qu'est-ce que cela signifie ? Que voulez-vous et que promettez-vous ? On a dit que cela était énigmatique et on a eu raison. Mais dans un autre paragraphe on dit :

« Nous rechercherons tous les moyens possibles d'apporter des réductions aux charges qui pèsent sur les populations, sans désorganiser toutefois en aucune façon les services publics.

« Nous examinerons le meilleur parti à tirer de l'accroissement constant et progressif de nos recettes, au double point de vue du dégrèvement des impôts, surtout de ceux qui frappent les objets d'alimentation populaire et de l'extension à donner aux travaux d'utilité générale qui développent si puissamment la prospérité du pays. »

Personne ne vous a dit que cela fût obscur ; cela était parfaitement clair pour tout le monde ; et lorsqu'on se référait aux discours que vous avez tous prononcés, lorsqu'on reprenait les discours de l'honorable M. Kervyn qui nous avait promis la réduction sinon la suppression du droit sur la bière, ceux de l'honorable M. Cornesse qui avait pris le même engagement, sans parler des autres ; lorsqu'on cherchait ainsi la pensée des membres du cabinet dans leurs discours antérieurs à leur avènement, chacun devait se dire et se disait avec raison : C'est clair ; voilà ce qu'on nous promet, voilà ce qu'on nous fait espérer : réduction des charges, dégrèvement des impôts, tout s'y trouve en termes bien précis.

L'honorable ministre des finances s'est donc trompé quand il a prétendu qu'il n'y avait pas de contradiction entre le langage d'autrefois et les actes d'aujourd'hui, et quanta son distinguo entre ce que disent les ministres et ce que fait le ministère, il me permettra de le trouver assez dangereux et assez peu moral.

M. Jacobs, ministre des finances. - J'ai dit : Avant qu'on fût ministre.

M. Frère-Orban. - Ceci c'est encore le distinguo avec un petit amendement.

M. Jacobs, ministre des finances. - Attendu qu'aucun ministre n'a pris d'engagements à cet égard avant les élections.

M. Frère-Orban. - Non vraiment, et c'est précisément ce que je veux expliquer. Vous avez dit, avant les élections, certaines choses ; vous aviez une position dans la Chambre ; vous y avez fait des propositions, vous y avez émis des opinions.

Ce sont là des engagements, tout au moins des promesses ; c'est ce qui constitue en politique le programme que l'on fait dans l'opposition avec la volonté, si l'on est sincère, de le réaliser au pouvoir. Mais ce n'est pas ainsi que l'entend M. le ministre des finances. Ah ! oui, comme député, c'est possible ; j'avais pour objectif la citadelle du Nord, la démolition de cet ouvrage militaire, c'était mon Delenda Carlhago. Je voulais transformer la citadelle du Nord en bassin à pétrole. (Interruption.) Mais comme ministre, j'y mets cinq cents canons ; et les députés d'Anvers sont enchantés ou tout au moins ils sont muets.

M. Jacobs, ministre des finances. - En aucune façon.

M. Frère-Orban. - Comme député, on demande la démolition de la citadelle du Nord ; comme ministre, on l'arme de 500 canons !

MfJ. - Je l'ai dit également comme ministre.

M. Frère-Orban. - Vous avez dit, comme ministre, que vous l'armeriez de 500 canons. (Interruption.)

M. Jacobs, ministre des finances. - Non, non ! Vous me comprenez fort bien.

M. Coomans. - Ne parlons pas des charges militaires ; ce sont des charbons ardents.

M. Frère-Orban.- Au contraire, j'entends bien en parler, ne fût-ce que pour rappeler les promesses de réduction de dépenses militaires faites par d'honorables membres du cabinet.

M. Delaet. - Et encore.

M. Coomans. - Certainement.

(page 1497) M. Frère-Orban. - Candidats «ministres, vous étiez hostiles aux charges militaires ; mais le ministère s'est constitué pour les maintenir et peut-être même pour les aggraver encore ; ainsi le permet le distinguo de M. le ministre des finances. (Interruption.)

Députés ou candidats, on voulait de notables réductions des charges militaires ; on entre dans le ministère le 2 juillet, en pleine paix, et l'on se constitue sons la condition de ne faire le sacrifice ni d'un homme, ni d'un cheval, ni d'un canon !

Députés ou candidats, on avait des impôts déterminés à réduire ou a supprimer ; ministres, on s'est engagé à appliquer, en partie, les excédants de ressources aux dégrèvements d'impôts.

Et quand nous rappelons à MM. les ministres leurs promesses d'autrefois ; quand nous montrons qu'ils les violent : Ne nous occupons pas de ces choses-là, nous répond M. le ministre des finances ; et si nous voulons nous étayer du fameux programme de Saint-Nicolas, on nous fait entendre que les programmes de Saint-Nicolas, ce sont des jouets d'enfants. (Interruption.)

^ Le programme de Saint-Nicolas était pourtant bien explicite. C'était l'œuvre de votre tuteur, de votre collègue, d'un homme qui connaissait toute votre pensée avant la naissance des distinguo. Voici ce qu'il disait :

« Je crois, pour ma part, que le moment est venu de faire aux contribuables la part la plus large dans la prospérité publique. Plus de substitution d'impôt à un autre impôt, mais un dégrèvement sérieux. J'espère que ce sera là un des bienfaits de la nouvelle administration et son don de joyeuse entrée. »

Et le texte porte : « Applaudissements prolongés. » (Interruption.)

« J'exprime ici, continue l'orateur de Saint-Nicolas, je n'ai pas besoin de le dire, des convictions et des vœux purement personnels ; mais des symptômes connus de tous m'autorisent à croire que ces convictions sont partagées et que ces vœux seront réalisés plus haut, »

Et le texte porte : « Très bien ! Très bien ! »

Nous étions en pleine guerre au moment où l'on tenait ce langage ; c'était le 22 juillet ; et vous n'hésitiez pas à parler ainsi parce qu'il fallait séduire Je corps électoral. Ce n'était qu'un leurre. Ces promesses ne valaient pas plus que celles des ministres eux-mêmes.

Nous n'acceptons pas ce programme, nous disent-ils ; le ministère n'a rien promis ; le ministère a dit qu'il rechercherait, qu'il examinerait et il a trouvé qu'il fallait augmenter les impôts et les tarifs des chemins de fer. Et aujourd'hui il ne reste plus qu'à porter en procession, pour les mettre, à titre de reliques, à la porte de Hal, les beaux discours d'autrefois, les promesses pompeuses et les programmes qui n'étaient destinés qu'à abuser le corps électoral.

Et on croit qu'on aura de la sorte relevé les caractères, fortifié les convictions, mis en honneur la moralité publique ; on se trompe : on aura profondément corrompu les esprits.

(page 1485) MfJ. - Messieurs, le discours que vous venez d'entendre a commencé par l'apologie de son auteur ; il devait se terminer par le dénigrement des adversaires de M. Frère.

Personne n'y a été épargné ; les conseils provinciaux disposés à nous prêter la main dans la combinaison que nous cherchons à réaliser ont été traités d'avance de sots et de niais. L'honorable M. Sabatier, un des hommes les plus éminents de la minorité... (interruption) ; je ne lui aurais pas marchandé cet hommage quand il était ici ; et vous qui m'interrompez, vous ne me contredirez pas.

Le travail remarquable sorti de la plume de M. Sabatier a été traité de puérilité !

Bannissons, messieurs, de ce débat les récriminations et les mots amers ; il y gagnera, soyez-en sûrs ; ne cherchons que les raisons ; examinons le fond des choses qui nous sont soumises, sans nous égarer en récriminations respectives ; ce sera le vrai moyen de faire une bonne loi.

J'ai exposé dans mon premier discours les deux raisons péremptoires, décisives d'abolir le droit de débit des boissons, sauf à le transférer aux provinces.

La première de ces raisons est un motif de moralité. Il est démontré que ce droit de débit, qui devait être une entrave, a été un stimulant pour l'ivrognerie.

La seconde est basée sur ce qu'il ne faut pas faire découler le bénéfice électoral d'un impôt qui ne frappe ni la fortune, ni les bénéfices, qui ne frappe que la profession en haine de cette profession.

M. Frère a essayé de contester ce caractère du droit de débit de boissons.

D'après lui le véritable but du législateur de 1838 n'était pas de frapper la profession ; il était celui de tous les impôts : créer des ressources au trésor ; le résultat moral n'aurait été obtenu que par contre-coup. (Interruption.)

Il est constaté, messieurs, dans l'exposé des motifs de la loi du 18 mars 1838, que son but principal, son but essentiel est moral ; les considérations financières n'ont été que l'accessoire.

J'y lis que : « Le principal but de la loi est plutôt moral que financier. » Et cette conclusion est précédée de nombreuses considérations sur l'énorme et alarmante multiplicité des débits.

Le droit de débit n'est pas basé sur les bénéfices, comme l'est l'impôt sur les patentes, et c'est ce qui fait que la comparaison qu'a faite l'honorable membre entre le droit de débit et la patente n'est fondée à aucun degré.

« Soyez logiques, nous disait-il, supprimez la patente en même temps que les droits de débit. »

Nous sommes logiques en ne la supprimant pas, car la patente est un impôt véritable, établi au point de vue fiscal et basé sur les bénéfices, comme l'impôt personnel, comme l'impôt foncier, sont basés sur la fortune, dont ils atteignent les revenus.

Oh ! il est facile de choisir parmi les patentables quelques professions qui ne sont pas très relevées, les chiffonniers, les marchands d'os, de peaux de lapins, etc., et de se demander si ces catégories sont un meilleur élément électoral que les cabaretiers. Mais on oublie que ces catégories, frappées d'une patente comme le cabaretier, en proportion de leurs bénéfices, ont le droit de se prévaloir de leur patente comme le cabaretier de la sienne pour arriver à l'électorat, chacun en raison de ses bénéfices.

Si les chiffonniers étaient frappés d'un impôt in odio en raison de leur profession, en sus de la patente, comme le sont les cabaretiers, nous, ne voudrions pas plus les voir entrer dans le corps électoral au moyen d'un impôt établi en haine de leur profession.

L'on n'a guère répondu à ce premier ordre de considérations que j'ai développées ; on s'est borné à faire valoir que les 11,000 débitants qui font partie du corps électoral pour les Chambres, payent 500,000 francs d'impôts ; déduisez 150,000 francs pour droit de débit ; il reste 350,000 francs d'impôts ordinaires ; ces personnes ne sont-elles pas dignes de figurer dans le corps électoral ?

Je réponds : Ces personnes payent donc environ 35 francs d'impôts ordinaires chacune ; si l'on pense que 35 francs d'impôts suffisent pour entrer dans le corps électoral pour les Chambres, qu'on révise la Constitution et qu'on abaisse le cens électoral ; mais tant qu'on n'aura pas abaissé le cens électoral pour les Chambres, il faudra bien reconnaître que les cabaretiers, comme tous les autres citoyens qui ne payent que 35 francs d'impôts directs, ne doivent pas être électeurs ; il leur faut 42 fr. 52 c, et non pas 35 francs plus une amende.

J'ai dit aussi que l'impôt destiné à servir d'entrave était devenu un stimulant grâce à ses conséquences électorales ; cela a été contesté.

Si le nombre des débits a augmenté à la suite de la loi de 1849, a-t-on dit, c'est que la population a augmenté d'une part, et que, d'autre part, un certain nombre de débits clandestins se sont manifestés au grand jour (page 1486) après la loi de 1849, car le produit n'a été augmenté depuis lors que de 50 p. c., dans la même proportion que les patentes.

Messieurs, les patentes ne se sont pas augmentées de 50 p. c. depuis 1849, depuis vingt ans ; mais voici quelle a été la progression des débits ; le nombre des débits, qui était de 42,000 en 1849, est de 100,000 aujourd'hui ; augmentation non pas de 50 p. c, mais d'environ 120 p. c.

Le chiffre du produit était, en 1849, de 889,000 francs. Il est, en 1870, de 1,510,000 francs. Augmentation non pas de 50 p. c., mais encore une fois de 100 p. c.

M. Frère-Orban. - L'augmentation n'est pas de 100 p. c.

M. Jacobs, ministre des finances. - Non, de 889,000 à 1,510,000 fr. la différence n'est que de 70 p. c. C'est vrai. Je tiens à rectifier.

M. Frère-Orban. - Vous prenez l'année qui a produit le moins et l'année qui a produit le plus. Vous avez pris les deux années qui donnaient les résultats extrêmes.

Ce n'est pas ainsi qu'on fait des calculs.

M. Jacobs, ministre des finances. - J'ai pris la dernière année connue et l'année 1849, que vous avez citée vous-même ; je vais en prendre une autre, si vous voulez ; je vais prendre l'année 1850, dans laquelle vous avez eu un accroissement du nombre des débits, mais un produit total moindre, ce qui démontre que l'effet de votre loi a été d'augmenter le nombre des petits débits. Si le produit a diminué, bien que le nombre des débits augmente, c'est que les petits débits se sont multipliés sous le régime de votre loi.

M. Frère-Orban. - On n'a pas consommé plus.

M. Jacobs, ministre des finances. - Nous y viendrons ; restons un instant encore dans cet ordre d'idées.

En 1849, 42,000 débits donnent 889,000 francs de recettes, soit plus de 20 francs en moyenne par débit. Aujourd'hui, pour 100,000 débits, nous avons une recette de 1,500,000 francs. La moyenne du produit par débit descend à 15 francs.

La multiplication extraordinaire des petits débits s'est produite sous l'effet de votre loi et les petits débits sont précisément ceux qui souvent ne sont pas sérieux.

En 1850, le nombre des débits s'est accru de 10,000 ; on est arrivé au nombre de 53,000 ; les débits clandestins arrivés au jour peuvent expliquer ce chiffre ; mais, depuis 1850 jusqu'à présent, la progression a continué de 53,000 à 100,000, augmentation de près de 100 p. c.

Ce ne sont plus les débits clandestins qui apparaissent au grand jour, ce n'est pas l'augmentation de la population (elle n'a été que de 15 p. c. depuis 1850), qui expliquent cette augmentation des débits, qui est de 100 p. c. comme nombre et de 70 p. c. comme chiffre de recettes.

Ce qui démontre encore votre erreur, c'est cette observation de M. Sabatier que ce n'est pas de 1849, mais surtout de 1859 que date l'effrayante progression des débits de boissons.

Quand on a changé le caractère de l'impôt en 1849, on ne s'était pas attendu à ce qu'on en profitât à ce point dans un but électoral. Pendant dix ans on n'en a que médiocrement profité. C'est depuis que nos luttes politiques, comme le dit M. Sabatier, sont devenues très vives que la progression est devenue alarmante.

La consommation, me dit-on, n'a augmenté que de 30 p. c, tandis que le nombre de débits augmentait de 120 p. c. J'ai été le premier à le constater, mais j'attribue principalement cette augmentation de 30 p. c. dans la consommation à l'augmentation du nombre des débits.

L'occasion fait le larron. Plus vous avez de débits, plus vous avez d'enseignés (les enseignes ne serviraient à rien si elles n'appelaient les consommateurs), plus vous attirez le public dans ces débits, plus vous poussez à la consommation de l'alcool.

Je suis en droit d'attribuer les 30 p. c. d'augmentation de la consommation pour une forte part à la multiplication des débits eux-mêmes.

Messieurs, à côté des deux raisons péremptoires qui, selon moi, doivent faire disparaître le droit de débit, M. Cruyt en a cité une troisième : les fraudes auxquelles il se prête.

M. Frère l'a combattu en avançant que la fraude se commet aussi bien au moyen d'autres impôts et qu'elle se commet surtout en matière communale.

Je veux admettre que la fraude est plus fréquente en matière communale mais elle se commet largement aussi en matière d'élections générales ; on l'a démontré plus d'une fois et la Chambre se rappelle que la loi sur le payement effectif du cens électoral a été provoquée par des fraudes de ce genre dans les élections générales. C'est parce que, aux élections de Gand, en 1864, si je ne me trompe, cent à deux cents cabaretiers avaient pris part au vote, sans qu'aucun eût payé a ce moment ni les impôts de l'année courante ni même ceux de l'année précédente, c'est pour cela qu'on a fait la loi sur le payement effectif du cens électoral. (Interruption.)

Je parle des élections pour les Chambres et je constate que les abus se sont commis surtout au moyen du droit de débit sur les boissons distillées. J'admets d'ailleurs que la fraude est possible pour la contribution personnelle et pour les autres impôts.

M. Frère-Orban. - Ce n'est pas une fraude.

M. le président. - Veuillez ne pas interrompre.

M. Frère-Orban. - M. le ministre des finances m'a interrompu bien des fois.

M. le président. - M. le ministre des finances ne m'a pas prié, comme vous l'avez fait au commencement de la séance, M. Frère, de ne pas arrêter les interrupteurs.

M. Frère-Orban. - C'est pour donner une explication, si M. le ministre des finances y consent. M. Jacobs, ministre des finances. - Volontiers.

M. Frère-Orban. - Dans les faits qui ont été constatés à Gand, on a établi que des individus, dont les cotes tombaient en non-valeur, figuraient néanmoins sur la liste électorale et, en l'absence d'une loi, il devait en être ainsi. C'est à ce propos que nous avons proposé la loi sur le payement effectif du cens électoral.

M. Jacobs, ministre des finances. - Mais ces électeurs, qui laissaient tomber leurs cotes en non-valeurs, étaient des cabaretiers. C'est ce qui a été constaté à Gand.

La fraude est possible au moyen de tous les impôts directs, mais quand on trouve le moyen de l'empêcher il faut le faire, et je suis heureux de pouvoir la supprimer là où elle est le plus facile.

La plupart des contributions sont dues pour toute l'année ; la contribution personnelle est due pour toute l'année par celui qui occupe une maison pendant le premier trimestre de l'année ; la patente est due pour toute l'année par celui qui a été patenté l'année précédente, mais le droit de débit s'acquitte par trimestre ; chaque année, on peut ne payer qu'un trimestre.

Messieurs, je le déclare, n'y eût-il pas plus de facilités pour la fraude au moyen du droit de débit qu'au moyen des autres impôts, il rte suffit des deux raisons capitales que j'ai exposées pour justifier sa suppression.

Quelques membres sont entrés dans des détails au sujet de la composition nouvelle du corps électoral : Vous expulsez, nous disent-ils, du corps électoral pour les Chambres 11 p. c. de débitants et vous ne niez pas que votre nouveau corps électoral communal contiendra 15 p. c. de débitants. Où est la logique ?

M. d'Andrimont. - Il est certain qu'à Liège et dans les grands centres industriels, les cabaretiers feront toujours partie du corps électoral.

(erratum, page 1499) M. Jacobs, ministre des finances. - Le contraire est prouvé par les renseignements que m'ont transmis mes fonctionnaires.

On fait ici une confusion complète. Il y a aujourd'hui deux catégories d'électeurs-cabaretiers, la première composé .de ceux qui possèdent le cens, abstraction faite du droit de débit ; la deuxième composée de ceux qui sont électeurs au moyen du droit de débit.

C'est cette deuxième catégorie qui représente 11 à 12 p. c. du corps électoral pour les Chambres ; à côté d'elle, se trouve la première, dont la statistique n'a pas, jusqu'ici, indiqué l'importance, mais qui certainement est considérable.

Or, les deux catégories réunies ne forment que 17 p. c. du nouveau corps électoral communal et la première, la seule qui restera après l'abolition des droits de débit, sera bien moindre encore.

- Un membre. - A l'avenir ils y seront tous, pour la commune.

M. Jacobs, ministre des finances. - C'est une complète erreur. J'ai demandé des renseignements en province et voici ce qui m'a été répondu :

Dans la ville de Liège, il y a 1,882 débitants de boissons. De ce nombre 228 ne payeront plus le cens de 10 francs quand le droit de débit sera supprimé.

A Verviers, sur 636 débitants, il y en aura 254.

A Seraing, 227 sur 565.

A Huy, 42 sur 355.

Je constate qu'à l'avenir, même dans les grandes villes, un bon nombre de débitants ne feront pas partie du corps électoral communal.

M. d'Andrimont. - Vos calculs ne portent que sur les débitants de boissons et non sur les cabaretiers.

M. Jacobs, ministre des finances. - C'est de débitants qu'il s'agit dans ce débat et tous les calculs produits de part et d'autre ont été faits au point de vue des débitants.

Après la suppression des droits de débit, le nombre des débitants électeurs pour la commune sera moindre qu'auparavant, malgré l'abaissement du cens à 10 francs ; il sera moindre encore proportionnellement.(page 1487) J'ai constaté que, si même tous les débitants étaient censitaires, ils ne formeraient que 17 p. c. du nouveau corps électoral communal, tandis qu'ils forment 25 p. c. du corps électoral communal actuel.

La proportion se réduira de 25 p. c. à 17 p. c. ; et, par l'abolition du droit de débit, la réduction descendra vraisemblablement à 11 p. c.

Les discours de plusieurs de nos collègues m'ont paru avoir pour but principal de détourner les provinces de l'idée d'établir des droits de débit.

Le ministre des finances prend le rôle commode, disent-ils ; les débitants illumineront en son honneur, et c'est aux pauvres provinces qu'ils en voudront du rétablissement de l'impôt.

Loin de briguer la moindre ovation, illumination ou autre manifestation sympathique, j'assume l'entière responsabilité du conseil que je donne aux provinces de rétablir la taxe sur tes débits de boissons. Qu'elles répondent aux électeurs : C'est M. le ministre des finances qui me l'a conseillé, prenez-vous-en à lui ; je ne déclinerai pas la responsabilité.

Je suis si disposé à l'assumer que je ferai ce qui paraît une énormité à l'honorable M. Frère.

Percevoir l'impôt pour les provinces, soit, a-t-il dit ; mais mettre au service des provinces tout le personnel de l'administration des finances, se mettre ainsi à la disposition de ses subordonnés, avoir l'odieux d'un impôt sans en avoir les profits, de la part d'un gouvernement c'est trop naïf !

Messieurs, j'aurai cette naïveté. J'aurai l'odieux de la mesure sans en avoir le profit.

Je sais que tout le monde ne comprend pas ces procédés de gouvernement, mais quand je crois faire une chose bonne et utile, je ne crains pas l'odieux et je n'ai pas besoin de profit. (Interruption.) Je mettrai donc tout mon personnel à la disposition des provinces qui voudront établir un droit de débit.

M. Anspach. - Mais ce sont les conseils provinciaux qui voteront l'impôt.

M. Jacobs, ministre des finances. - Sans doute.

M. Anspach. - Les conseils provinciaux en auront donc toute la responsabilité quoi que vous fassiez au point de vue de la perception de l'impôt.

M. Jacobs, ministre des finances. - M. Anspach réfute l'argument-de M. Frère d'après lequel j'aurais l'odieux de l'impôt sans en avoir le profit.

Non, je ne puis que partager la responsabilité des provinces ; je le fais, ne pouvant la prendre tout entière pour moi.

Je ne sais, messieurs, si c'est bien agir ; je ne sais s'il y a de la grandeur à chercher par tous les moyens à détourner les provinces de l'idée d'établir un pareil impôt. J'aime mieux agir autrement.

Comment ! On reconnaît que, s'il est possible d'établir une digue efficace à l'ivrognerie, il faut le faire ; et en présence de ce grand intérêt public qu'on nous reproche de déserter, on fait tout ce qui dépend de soi pour que les provinces, que nous y convions, n'établissent pas cette digue !

Il faut tenir un autre langage ; au lieu de les effrayer, il faut engager les provinces à établir ce droit qui, entre leurs mains, a les avantages du droit existant sans aucun de ses inconvénients. Bien loin d'en dissuader mes amis, je les y engage vivement ; je me porte fort pour eux, vous devriez vous porter fort pour les vôtres.

On dit encore : Les provinces vont faire une mauvaise affaire à l'échange des centimes additionnels contre un impôt dont le caractère stable et progressif n'est pas complètement établi.

Si, messieurs, les provinces nous demandent de laisser une certaine marge entre ce qu'elles sacrifient et ce qu'elles obtiennent afin de parer à toutes les éventualités, ce n'est pas nous qui nous y opposerons ; je ne veux pas que les provinces perdent à l'échange et je suis charmé de pouvoir rassurer MM. Houtart et Bricoult en ce qui concerne la province du Hainaut. Le produit des débits y compensera la perte des centimes actuels sur les débits, la suppression de 6 centimes additionnels sur le foncier, le personnel et les patentes, et il restera encore un excédant de 8,525 francs.

Je ne m'oppose pas à ce que chaque province conserve une marge pour pourvoir à l'imprévu.

M. Frère-Orban. - Elle devrait donc frapper de nouveaux impôts ?

M. Jacobs, ministre des finances. - La coexistence des centimes et des débits provinciaux pourra produire une certaine majoration des impôts provinciaux, non une aggravation des impôts de l'Etat.

- Un membre. - La province de Hainaut n'en a pas besoin.

M. Jacobs, ministre des finances. - Si elle n'a pas besoin de marge, elle n'en créera pas.

Les provinces qui en ont besoin (il paraît que le Hainaut n'est pas dans ce cas), les provinces qui ont besoin de ressources pour exécuter des travaux publics, routes ou écoles, établiront des charges nouvelles par la coexistence des centimes et des débits provinciaux.

Il faut toujours des ressources nouvelles quand il y a des besoins nouveaux à satisfaire.

L'honorable M. Frère, en commençant son discours, l'a divisé en trois points ; depuis, beaucoup de points accessoires s'y sont glissés.

Les trois points principaux étaient ceux-ci :

Les impôts nouveaux proposés par le gouvernement sont inutiles ; on pouvait supprimer le droit de débit sans demander aucune compensation à l'impôt foncier, à l'impôt personnel et à la patente.

Second point : Nous ne ménageons pas suffisamment les finances des grandes villes.

Troisième point : Nous abdiquons, en abandonnant aux provinces un intérêt général de premier ordre, la répression de l'ivrognerie.

L'honorable membre se trompe lorsqu'il prétend que nous établissons des impôts nouveaux. Je crois avoir assez établi, à la dernière évidence, qu'il ne s'agit que d'un transfert ; inutile de revenir sur ce point.

A en juger par son langage, il serait disposé, dans la situation actuelle du trésor, à réduire les impôts ; le ministère actuel ne les augmente pas, mais lui les aurait réduits ; il aurait supprimé le droit de débit de boissons et n'aurait rien demandé en échange ; c'eût été une réduction d'environ 2 millions de francs.

Avant d'en venir aux réductions d'impôts, il faut, messieurs, se rendre un compte exact de notre situation financière.

L'honorable membre ne calcule que les charges extraordinaires ; hier encore il comprenait notre langage, mais, depuis que le projet d'emprunt est déposé, il ne le comprend plus ; nous trouverons des ressources dans cet emprunt ; nous aurons pendant longtemps une forte encaisse.

Messieurs, ce n'est pas dans l'emprunt que je veux chercher l'équilibre de nos dépenses et de nos ressources ordinaires. Il est réservé pour les besoins extraordinaires. Nous avons des dépenses ordinaires militaires tout a fait imprévues ; j'aurai l'honneur de déposer, à la fin de la séance, un projet de crédit supplémentaire au département de la guerre à concurrence de plus de 3,000,000 de francs, exclusivement par suite de la cherté des vivres et du fourrage. (Interruption.) Sans qu'un homme ou un cheval ait été ajouté à l'effectif, rien que par suite du renchérissement des vivres, une augmentation de crédit de 3,000,000 sera nécessaire pour l'année courante.

A côté de cela, nous allons avoir, par suite des travaux publics que nous proposons de décréter, les intérêts de l'emprunt à payer sur nos ressources ordinaires.

L'année dernière, une loi hardie a augmenté considérablement le droit sur les alcools ; nous comptons sur un produit très considérable. Mais, messieurs, les résultats de cette loi ne sont pas encore bien nettement définis ; une fraude considérable se pratique sur la frontière de la France ; les événements extraordinaires y ont prêté, mais elle continue, bien que le calme renaisse en France. Nous avons dû augmenter le personnel de la douane dans une forte proportion ; et nous ne savons si les résultats prévus se produiront.

Nous avons, d'un autre côté, une exportation d'alcool qui augmente et la Chambre aura peut-être à décider prochainement s'il faut maintenir la décharge à l'exportation dont jouissent les distillateurs.

Il est constaté, en effet, qu'au lieu de 9 litres, il y a des distillateurs qui arrivent jusqu'à 10,11 et même 12 litres. Si cette différence de 3 litres se multipliait et s'exportait dans une proportion notable au détriment du trésor, je vous demande où cela nous conduirait. Quoi qu'il en soit, nous ne savons pas encore quels seront les résultats de la loi votée l'année dernière et dans cet état de choses, en présence, d'un autre côté, des dépenses extraordinaires dont j'ai parlé, le moment n'est évidemment pas venu de songer à des réductions d'impôts considérables.

Pour le moment, nous devons nous borner à des transferts, Plus tard, nous pourrons faire davantage si les résultats prévus de la loi votée l'année dernière se réalisent.

M. Bara. - Encore le programme de Saint-Nicolas.

M. de Borchgrave. - Les enfants s'en amusent.

M. Jacobs, ministre des finances. - Nous sommes en présence de besoins considérables, vous connaissez les demandes dont M. le ministre des travaux publics a été assailli pendant la discussion de son budget ; on a parlé notamment de la nécessité d'augmenter encore énormément le matériel du chemin de fer.

(page 1488) Notre situation n'est donc pas assez nettement établie pour que nous puissions faire actuellement le sacrifie de recettes considérables.

Je compte traiter spécialement la question des grandes villes quand nous en viendrons à l'article 3 du projet de loi, afin de ne pas mêler cette question spéciale à celle des débits de boissons.

Quant au reproche d'abandonner une question d'intérêt général aux provinces, je me borne à faire remarquer que c'est cet intérêt général qui nous force à supprimer le droit de débit plutôt que de le maintenir tel qu'il est.

La répression de l'ivrognerie sera mieux assurée si nous supprimons le droit avec ses conséquences électorales, que si nous maintenions le droit avec ces conséquences. Mais en même temps que nous renonçons à ce droit pour le trésor, nous le transférons aux provinces, afin qu'elles nous aident, dans la mesure du possible, à réaliser le but de haute moralité que nous poursuivons.

L'honorable M. Frère nous a présenté une combinaison qui consisterait à grossir le fonds communal du produit du droit de débit et d'en faire ainsi profiter les communes pour leur permettre d'abolir leurs barrières, de favoriser l'enseignement, d'améliorer la voirie, etc. De cette façon, dit-il, un grand nombre de communes qui aujourd'hui ne participent pas aux accroissements du fonds communal, Charleroi, par exemple, pourront y participer.

Je demande, messieurs, ce que pensent de cette combinaison les représentants des villes de Liège, de Gand, de Bruxelles qui, même avec ce système, n'y participeraient pas.

Comme nous ne pouvons supprimer les débits sans prendre une compensation, nous devrons demander à ces villes de participer à la compensation au moyen de centimes additionnels, alors qu'elles ne profiteront ni directement ni indirectement du transfert des débits au fonds communal.

Ces villes payeraient sans recevoir. (Interruption.) « Vous diminuerez les subsides », me dit-on ; mais précisément ces grandes villes reçoivent peu de subsides pour les matières dont vous vous êtes occupés ; elles n'obtiennent de forts subsides que quand il s'agit de grands travaux publics.

Ensuite, l'un de nos buts, et l'honorable M. Frère l'a indiqué, est de chercher à obtenir une compensation, au moins partielle, des électeurs que la suppression des débits nous fera perdre.

Oui, nous nous félicitons de voir entrer dans le corps électoral, en compensation de ceux que la mesure va en écarter, d'autres électeurs qui y figureront à plus juste titre au moyen des centimes additionnels sur les impôts normaux. C'est là un résultat dont je ne ferais pas volontiers le sacrifice.

Si cependant une autre combinaison était présentée, j'en balancerais les avantages et les inconvénients avant de me prononcer ; mais le système de l'honorable M. Frère me paraît offrir plus d'inconvénients et moins d'avantages que le nôtre.

Je crois, par ces observations, avoir répondu à toutes les objections qui m'ont été faites.

Quant au discours de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, j'ajourne ma réponse au budget des voies et moyens. C'est un véritable budget des voies et moyens nouveau, qu'a présenté l'honorable membre. Il bouleverse tout notre système financier ; il ne tient compte ni des traités de commerce, ni du fonds communal ; aucune difficulté ne l'arrête.

Il me serait impossible de le suivre aujourd'hui dans ses nombreuses propositions avec les développements qu'elles comportent.

Cette discussion sera mieux placée au prochain budget des voies et moyens. J'ajourne jusque-là ma réponse.

(page 1497) M. Coomans. - Messieurs, l'heure étant déjà avancée, je n'ai ni le temps ni l'intention et, après le discours de l'honorable ministre des finances, je n'éprouve pas le besoin de répondre très longuement aux observations qui ont été présentées tout à l'heure par l'honorable M. Frère. Je me bornerai à deux ou trois remarques qui me paraissent assez importantes, même après les considérations sérieuses que M. le ministre des finances vient de nous exposer.

Je suis frappé d'une chose qui vous frappera sans doute comme moi : c'est que le véritable auteur de la suppression de la loi de 1838 modifiée par celle de 1849, n'est pas M. Jacobs, ni moi, ni personne de la droite, c'est M. Frère ; c'est M. Frère qui tue la loi de 1849, loi dont il vient de faire un si brillant éloge. En effet, s'il n'avait pas transformé et dénaturé la loi de 1838, nul sur nos bancs n'en aurait demandé l'abolition. Pour moi, je ne suis pas l'adversaire d'un impôt sur le débit des boissons alcooliques et je crois pouvoir sans témérité avancer que tout le monde sur nos bancs est du même avis.

Mais l'honorable M. Frère a soutenu qu'il était constitutionnel de compter dans le cens électoral ce droit de débit, et c'est ainsi qu'il a introduit et maintenu pendant vingt-deux ans 11,000 à 12,000 petits cabaretiers dans les élections législatives. Force nous a été de tourner la difficulté et de demander la suppression de la loi de 1849. Nous étions en présence de déclarations absolues faites par M. Frère comme député et comme ministre, déclarations qui semblaient lier tout son parti. En vain demandions-nous que le droit de débit cessât d'être chiffré parmi les éléments du cens ; nous n'étions pas écoutés par M. Frère.

Nous ne pouvions l'être, car il élevait contre nous un obstacle constitutionnel ; il avait tort sans doute, le droit de débit n'étant pas un impôt direct ; toutefois la barrière était insurmontable du côté de M. Frère. Voilà pourquoi il a fallu nous en prendre à la loi même de 1849, à son essence.

L'honorable membre ne peut qu'être flatté de l'importance que nous accordions à son langage. Il n'était pas un simple député, comme nous, ni un simple ministre ; ses paroles faisaient dogme, et son « jamais » était décisif.

Je regrette très fort que mon opinion à moi soit une opinion souvent isolée ; je n'ai pas l'avantage, moi, de faire légion comme M. Frère. (Interruption.) Vous étiez, vous, les années précédentes, un député légion, un ministre légion, et quand vous nous déclariez qu'il était impossible de faire droit à nos justes réclamations, nous devions désespérer, car c'eût été froisser, violer la Constitution, selon vous et les vôtres, que de revenir à la loi de 1838.

Donc nous devions demander la suppression de cette loi et c'est bien vous, je le répète, qui êtes l'auteur de la suppression de la loi. (Interruption.)

Je ne crois pas m'avancer en disant (je n'en sais rien, mais j'en suis sûr (Interruption), je n'en sais rien parce que je n'ai consulté personne ; j'en suis sûr parce que je connais l'honnêteté et la logique de mon honorable collègue), je ne crois donc pas trop m'avancer, je le répète, en disant que si M. Frère consent aujourd'hui encore à maintenir la loi de 1849 sans les cabaretiers électeurs, nous pourrions être tous unanimes pour la conserver.

M. De Lehaye.- C'est le but de la proposition que nous avons faite.

M. Coomans. - C'est là le but de votre proposition et il est bon de remarquer que la responsabilité de la suppression de la loi de 1849 retombe tout entier sur M. Frère.

Dans son argumentation toujours brillante, éloquente, mais souvent imprudente, l'honorable M. Frère frappe sur qui il n'a pas l'intention de frapper. Pour prouver qu'il faut maintenir le droit de débit dans le compte du cens électoral, il insiste depuis plusieurs années sur cette considération-ci : que la fraude est tout aussi possible avec d'autres bases du cens électoral, avec la patente, avec la contribution personnelle, qu'avec le droit de débit.

Quoi ! nous dit-il, vous vous effarouchez de quelques milliers d'électeurs créés en dehors de la base du cens !

Quoi que vous fassiez, il y en aura toujours à peu près le même nombre. On trouvera bien le moyen, à cause de l'étrange agencement de noire système électoral, d'introduire autant d'électeurs qu'on en aura besoin. Et là dessus, M. Frère nous a indiqué, depuis plusieurs années, franchement mais imprudemment, le moyen de créer des faux électeurs avec la patente et avec la personnelle.

Mais, messieurs, qu'est-ce que cela prouve ? Cela ne prouve qu'une seule chose, c'est que la base de notre système électoral est mauvaise.

Si M. Frère a raison, si la fraude est si possible, si grande, si générale qu'il le dit, mais ce n'est pas la petite loi en discussion qui en est la cause, c'est tout notre système électoral et j'avoue que l'honorable membre n'est pas pour peu de chose dans la conviction que j'ai acquise depuis longtemps que le droit de suffrage basé sur de l'argent, à la mode belge, est un détestable système.

Une remarque encore, messieurs. L'honorable membre nie les abus après les avoir expliqués ; il daigne bien reconnaître qu'ils sont possibles, mais il ne croit pas qu'ils se soient accomplis.

Eh ! messieurs, il est seul de son avis, et je ne sais pas même si M. Frère lui-même est bien de l'avis de M. Frère en ce point. Je n'en crois rien, car les abus sont tellement patents qu'il est impossible à un homme d'intelligence comme l'honorable membre de le nier et même d'en douter. En supposant même qu'il dédaigne les chiffres, chiffres officiels qu'il a posés lui-même, qui ont été imprimés sous son règne, il y a des faits que nous avons tous observés de visu. Je connais personnellement des candidats, conseillers communaux, ceux-là, il est vrai, qui ont fabriqué pour leur usage personnel 30 et même 50 et 70 électeurs.

Le candidat opposé prenait sa revanche, il en fabriquait cinquante à soixante à son tour, et l'honorable M. Frère dit : Voilà l'équilibre rétabli. Il y a des fraudeurs des deux côtés. La loi a été violée, scandaleusement violée ; mais ce n'est rien. On a fraudé des deux côtés ; c'est un régime qui peut nous aller à tous. Continuons.

Eh bien, à nous, il ne convient pas. Je vous laisse insister sur tous les petits côtés de la question que vous avez vus de près avec la loupe de (page 1498) votre sophistique. Mais, moi, j'insiste sur la grande face de la question ; c'est la profonde immoralité de votre et de notre fabrication de faux électeurs.

Le système du cens est déjà assez fragile de sa nature et assez attaqué aujourd'hui, pour que vous ne vous obstiniez pas vous-même à le corrompre et à le discréditer davantage.

Et c'est cependant ce que vous faites.

On ne peut pas raisonnablement démontrer que le propriétaire seul a le droit de suffrage. Mais en supposant que cela puisse se démontrer jusqu'à un certain point, encore faudrait-il vouloir qu'il n'y eût pas de fraude dans l'application de ce système. Mais lorsque vous entez la fraude sur un faux principe, vous êtes doublement dans l'erreur et dans le péril. Votre base du cens est mauvaise et vous en aggravez les vices, vous la rendez dix fois plus mauvaise encore par la fraude que vous permettez qu'on y applique.

Mais, dit l'honorable M. Frère, cette fraude est peut-être commise dans les élections communales, mais comme elle se fait des deux côtés, à droite et à gauche, il n'y a pas lieu de s'en préoccuper.

Quant aux élections générales, il n'en est pas ainsi. S'il y a çà et là un faux électeur cabaretier ou un faux cabaretier électeur (et c'est bien plus souvent le cas), peu importe.

Messieurs, peu importe ! Mais cette conclusion est étrange après les chiffres donnés par M. Frère lui-même. Il nous a appris, il y a déjà quelques années, qu'il y avait 11 à 12 p. c. de faux électeurs, qualifiés tels par nous.

M. Frère-Orban. - Jamais !

M. Coomans. - Je connais les chiffres et je saurai bien vous répondre. C'est sur le qualificatif que porte sans doute l'interruption de l'honorable M. Frère, mais pas sur mes chiffres ; je dis qu'il y a plusieurs années déjà, vous avez reconnu qu'il y avait 11,000 à 12,000 faux électeurs dans les comices pour les Chambres, comices composés de 105,000 électeurs.

M. Frère-Orban.- Jamais !

M. Coomans. - J'appelle, moi, faux électeurs les cabaretiers qui se sont fait inscrire avec l'appoint de ce droit de débit. Cela est bien entendu. Je les appelle faux électeurs. Appelez-les électeurs véritables, électeurs modèles, libre à vous.

Eh bien, vous avez déclaré et cela est d'accord avec les chiffres justifiés par l'honorable M. Jacobs, que sur les 105,000 électeurs, il y en a 11,000 a 12,000 que j'appelle faux électeurs, qui, dans tous les cas, ne sont électeurs qu'avec l'appoint du droit de débit de boissons alcooliques. Je dis : 11,000 à 12,000 ; mettons 14,000 maintenant ; car il y a quelques années que ces chiffres ont été produits et je pense bien que l'honorable M. Frère les aura adoucis autant que le respect qu'il a pour la statistique, et qui n'est pas considérable, le lui a permis. Il y a donc bien aujourd'hui 13,000 à 14,000 faux électeurs sur 105,000, et vous dites que cela n'est rien !

Quoi ! cela n'est rien ! Prenons une ville dont vous citez souvent l'exemple électoral, Gand, par exemple. Il y a à Gand 7,000 électeurs législatifs, sur ces 7,000 électeurs il y a 900 cabaretiers, 11 ou 12 p. c, qui sont, selon nous, de faux électeurs, des électeurs indus et intrus, 900 sur 7,000,

Et qu'arrive-t-il ? A Gand, les résultats électoraux ont été produits à diverses reprises par cinq, par six, par sept ou huit électeurs, quelquefois moins.

Un énorme résultat électoral duquel peuvent dépendre les destinées de la patrie, car il s'agit d'un grand arrondissement, moralement et numériquement parlant, un grand résultat peut être produit par cinq ou six électeurs.

Ce sont quelques électeurs qui disposent des destinées du pays ! Comment pouvez-vous dire que les 900 cabaretiers, faux électeurs, n'ont pas influé sur les élections gantoises, que les quelques voix qui ont déterminé les résultats électoraux ne provenaient pas de ces faux électeurs et que le résultat n'eût pas été tout autre si ces 900 faux électeurs n'avaient pas voté ?

En voilà assez, messieurs, pour vous démontrer quelle peut être, dans un vaste arrondissement, l'influence de quelques centaines d'électeurs dont le droit est contesté.

Mais, dit M. Frère, cela n'importe pas pour les Chambres, l'abus se produit surtout dans les élections communales et vous êtes inconséquents quand vous faites entrer les électeurs cabaretiers dans le corps électoral de la commune.

Messieurs, depuis vingt ans que je combats cette intrusion des cabaretiers non réellement censitaires dans le corps électoral, je me suis toujours placé au point de vue des élections parlementaires.

Il m'importe assez peu qu'un petit ambitieux de village sacrifie sottement quelques centaines de francs pour devenir édile ou bourgmestre, mais il m'importe beaucoup que l'abus dont je parle ne s'introduise pas dans les comices pour la législature, parce que là c'est la loi, c'est la justice, c'est la prospérité générale, c'est l'honneur de la patrie qui sont en jeu.

Il ne vous est pas permis de nier de pareils abus que vous devriez autant que nous chercher à détruire. Vous le devriez surtout, vous qui voulez maintenir le cens comme base du droit de suffrage. Entrez dans mon système, admettez le suffrage général et alors vous pourrez naturellement introduire tous vos cabaretiers dans le corps électoral.

Messieurs, un dernier mot pour expliquer une interruption que j'ai faite pendant le discours de l'honorable membre, interruption qu'il n'a pas comprise.

Il a crié à l'inconséquence parce que nous considérons comme peu grave l'introduction de 15 p. c. de cabaretiers dans le corps électoral communal et il trouve étrange que nous qualifiions d'excessive la proportion de 11 à 12 p. c. dans les comices législatifs.

J'ai fait observer immédiatement à l'honorable membre qu'il versait dans une erreur profonde, que dans les 15 p. c. d'électeurs cabaretiers pour la commune se trouvent compris tous les électeurs cabaretiers, même ceux qui ne sont pas électeurs à cause du droit de débit seulement, tandis que dans les 11,000 à 12,000 cabaretiers électeurs que la loi de 1849 a fait entrer dans les comices législatifs, ne figurent que ceux qui sont électeurs en vertu du droit de débit, et qu'il y a en réalité encore 4,000 ou 5,000 cabaretiers et hôteliers dans nos élections générales, ce qui porte à 16 p. c. au moins le nombre de cabaretiers électeurs pour les Chambres.

Voilà ce que j'ai dit à l'honorable membre. Je regrette d'avoir dû entrer dans ces détails pour me faire mieux comprendre de. lui.

Messieurs, encore un mot. On se résigne aujourd'hui à faire l'éloge des cabaretiers. Ce sont des citoyens qui ne payent pas beaucoup, mais qui payent quelque chose, et leur droit électoral est acquis, évident, respectable !

Mais, messieurs, nous avons fait remarquer plus d'une fois qu'il y a 200,000 ou 300,000 Belges qui sont beaucoup plus riches que les cabaretiers auxquels vous vous intéressez tant, qui se trouvent dans des conditions théoriques et constitutionnelles bien plus précises pour devenir électeurs et que vous n'avez jamais voulu laisser entrer dans les comices.

Je parle des fermiers-locataires.

J'en connais beaucoup et vous tous vous en connaissez qui ont 30,000, 40,000, 50,000 francs de fortune et qui ne sont pas électeurs. Pourquoi ?

Parce que l'impôt foncier, bien que payé par eu x -car je prétends qu'ils le payent et je suis d'accord sur ce. point avec l'honorable M. Bricoult - ne leur est pas compté, en vertu d'une fiction légale.

Chaque fois que nous avons demandé qu'ils fussent introduits dans le corps électoral, on s'y est opposé.

Cela n'était pas juste, car vous sortiez, ici, de la raison comme de la Constitution, car il vous eût été facile d'introduire tous ces honnêtes citoyens, honnêtes surtout dans le sens constitutionnel, puisqu'ils ont une certaine fortune, de les introduire dans le corps électoral en changeant, par exemple, un tiers de l'impôt foncier en un impôt de patente à faire payer par le fermier.

Ce n'était pas une augmentation mais un simple déplacement d'impôt.

Vous ne l'avez pas voulu. J'ai constaté, et toute votre éloquence ne prouve que cela, que vous voulez bien introduire quelques citoyens, quelques petits citoyens même, dans le corps électoral, mais à la condition que vous puissiez compter sur eux, c'est-à-dire que tout votre système d'extension du droit électoral est fait pour le cabaret et pas pour autre chose.

Inspiré par la justice distributive, je veux admettre dans le corps électoral tous les chefs de famille, les cabaretiers y compris ; mais y faire introduire ces seuls privilégiés-là ! Non.

(page 1488) M. Frère-Orban. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Dumortier est inscrit avant vous, M. Frère.

M. Frère-Orban. - C'est pour une simple rectification, M. le président.

M. le président. - La Chambre consent-elle à ce que M. Frère parle en ce moment ?

- De toutes parts. - Oui ! oui !

M. le président. - Vous avez la parole, M. Frère.

M. Frère-Orban. - L'honorable préopinant peut qualifier les électeurs comme il l'entend, mais je ne puis admettre qu'il m'attribue des pensées, des opinions et des expressions qui ne sont pas les miennes.

Ik affirme que j'aurais déclaré qu'il y avait 11,000 faux électeurs dans le corps électoral.

M. Coomans., - 11,000 électeurs que, moi, j'appelle faux.

M. Frère-Orban. - Je ne permet pas à M. Coomans de m'attribuer ce que je n'ai pas dit.

M. Coomans. - Vous avez dit cela plusieurs fois.

M. Frère-Orban. - Je le nie d'une manière formelle. (Interruption.) Je nie avoir dit qu'il y avait 11,000 faux électeurs dans le corps électoral. (Nouvelle interruption.) Les censitaires qui complètent le cens électoral par le droit de débit sont des électeurs constitutionnels, légaux tout comme les autres électeurs.

Maintenant, quant au nombre, on s'est livré à dès exagérations que rien ne justifie. Si M. Coomans veut consulter la statistique du ministère de l'intérieur pour les élections législatives de 1868, où les électeurs sont relevés par profession, il y verra qu'en tout et pour tout il y a dans le corps en cabaretiers et débitants de boissons, 11,876 sur les 105,000. M. Coomans pourra contester encore la statistique, c'est son affaire, mais je prouve pour les gens raisonnables qu'il y a dans ses calculs une exagération que rien ne justifie.

L'honorable membre nous a dit tout à l'heure qu'il était arrêté, et ses amis aussi, devant la proposition de décréter que l'impôt était un impôt indirect, parce que moi j'ai déclaré à une certaine époque que c'était un impôt direct. En quoi mon opinion peut-elle exercer une influence sur les déterminations de l'honorable membre et de ses amis ? La vérité est qu'il recule devant l'application des idées qu'il a soutenues. Il a prétendu que c'était un impôt indirect ; le moment est venu de le déclarer par un vote ; qu'il le fasse.

M. Coomans vient nous dire encore : au lieu de cette catégorie d'électeurs que l'on trouve dans le corps électoral (les cabaretiers), vous auriez dû y faire entrer les fermiers. Mais pourquoi, lorsqu'on a discuté la loi électorale, n'a-t-il pas fait une proposition dans ce sens ? Il ne l'a pas osé et il n'oserait pas davantage aujourd'hui proposer de décider que la contribution foncière sera attribuée au fermier pour lui faire le cens électoral : il sait qu'il violerait l'esprit et le texte de la Constitution. L'impôt serait acquitté par le propriétaire, dans toutes les hypothèses.

L'honorable membre a donc prouvé, par son abstention, lors de la discussion de la loi électorale, qu'il n'avait aucune confiance dans l'idée qu'il a produite plus d'une fois dans cette Chambre.

(page 1498) M. Coomans. - J'admire toujours l'audace avec laquelle M. Frère nie les propres paroles qu'il a prononcées.

Que de fois ne nous a-t-il pas dit ici qu'il y avait 11 à 12 p. c. de petits cabaretiers électeurs dans les comices électoraux pour les Chambres !

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit que c'étaient de faux électeurs.

M. Coomans. - Non, sans doute ; vous jouez encore une fois sur les mots. Non, vous n'avez pas avancé que c'étaient de faux électeurs ; le qualificatif est de moi, je l'ai déclaré maintes fois.

(page 1499)

Mais cc que vous avez déclaré, c'est qu'il y avait dans le corps électoral 11,000 à 12,000 électeurs qui n'y figuraient que par l'appoint du droit de débit sur les boissons alcooliques. D'où j'ai pu conclure que c'étaient de faux électeurs.

Mais il est évident qu'a côté d'eux il y a beaucoup d'autres cabaretiers, d'hôteliers, etc. dans le corps électoral, y compris ceux des grands hôtels de Bruxelles qui possèdent le cens électoral sans le droit de débit sur les boissons fortes.

Vous voyez donc bien que vous avez eu tort de vous lever pour me faire une réponse qui n'en est pas une.

Projets de loi accordant des crédits aux budgets des ministères de la guerre, des affaires étrangères et des travaux publics

Dépôt

M. Jacobs, ministre des finances. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre différents projets de lois allouant les crédits suivants :

1° Au département de la guerre, 450,000 francs pour travaux d'appropriation des bâtiments de,1a Cambre affectés à l'école de guerre ;

2° Au même département, 3,250,000 francs pour subsistances et fourrages ;

3° Au département des affaires étrangères, 155,000 francs pour dépenses budgétaires ;

4° Au département des travaux publics, 248,000 francs pour dépenses extraordinaires.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances dû dépôt de ces projets de loi. Je propose à la Chambré de renvoyer aux sections centrales ceux qui se rattachent au budget et lès autres aux sections.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi allouant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. Magherman dépose un rapport sur le projet de loi allouant des crédits supplémentaires au département de la justice.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et le projet de loi sera porté à la suite de l'ordre du jour.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Pery de Thozée dépose deux rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Impression et distribution.


M. le président. - Plusieurs amendements au projet de loi en discussion ont été déposés par M. le ministre des finances. Je propose à la Chambre d'en ordonner l'impression.

- Adopté.

La séance est levée à 5 heures et un quart.