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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 16 juin 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1454) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Charles-Joseph Hecq de Waha, agent de change, ancien banquier, demande la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »

« Même demande de sieur Jean-Louis-Adolphe Vander Schœpendaele, avocat, ancien conseiller communal d'Audenarde. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Des habitants de Vieux-Genappe prient la Chambre de rejeter les augmentations de l'impôt foncier proposées par le gouvernement. »

« Même demande d'habitants de Perwez et de Fexhe-le-Haut-Clocher. »

•- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi modifiant les lois d'impôt.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Pierre Schmitz. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le ministre des finances adresse le compte rendu des opérations de la caisse générale et de retraite en 1870. »

- Impression et distribution.

Projet de loi apportant des modifications aux lois d’impôts

Motion d’ordre

M. Wasseige, ministre des travaux publics (pour une motion d’ordre). - Messieurs, les journaux de l'opposition de Bruxelles me prêtent, dans leur compte rendu de la séance d'hier, un ridicule et une inconvenance. Je suis trop accoutumé aux interprétations malveillantes de ces journaux pour m'en préoccuper beaucoup. Je n'ai pas la prétention d'attendre d'eux jamais un jugement impartial. Aussi me serais-je bien gardé de relever la signification fausse qu'ils ont donnée à un geste bien simple et bien inoffensif, si je n'avais craint, en me taisant, de faire croire à un acquiescement et devant la Chambre et devant mon honorable collègue M. de Lexhy.

Voici ce qui s'est passé :

L'honorable M. de Lexhy, en citant quelques parties d'un discours que j'avais prononcé lors de la discussion de la loi sur la péréquation cadastrale, voulait tirer de ces paroles la conséquence que je devais partager son opinion sur la loi qui est maintenant en discussion.

Evidemment, messieurs, cette conclusion était forcée. La loi sur les nouvelles évaluations cadastrales, pas plus d'ailleurs que celle que nous discutons en ce moment, ne contenait une aggravation d'impôts. C'était une répartition nouvelle de l'impôt existant entre les diverses provinces. J'ai blâmé les bases sur lesquelles ces évaluations devaient se faire. Je les ai trouvées injustes pour quelques-unes de nos provinces et notamment pour celle de Namur.

Je crois que mes critiques étaient fondées ; mais il n'existe, à mon avis, aucune analogie possible entre cette loi et celle que nous discutons actuellement. C'est pourquoi, au moment où l'honorable M. de Lexhy, faisant un rapprochement que je ne puis admettre, s'adressait directement à moi, je lui ai fait de la main un geste négatif. (Interruption.)

M. Vleminckx. - Je demande la parole.

M. De Lehaye. - C'est vrai ; je l'ai vu.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Voilà le fait dans toute sa simplicité et je crois que si l'honorable membre qui demande la parole s'était aperçu d'autre chose, s'il avait cru avoir à se plaindre d'un geste inconvenant, son devoir eût été de le faire remarquer immédiatement, ce qui eût fourni l'occasion de relever immédiatement aussi son erreur.

M. Dumortier. - Et il l'aurait fait.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Maintenant, libre à certains journaux de travestir ce geste pour lui donner un caractère d'inconvenance et de ridicule qu'il n'a jamais eu ; mais ma propre dignité, la dignité du gouvernement et celle de la Chambre dont j'ai l'honneur de faire partie depuis dix-sept ans, me forcent à protester énergiquement devant le pays et devant mon honorable collègue de Lexhy, en donnant à la fausse interprétation des journaux le démenti le plus catégorique.

Je crois assez bien connaître les sentiments des convenances pour être certain de ne jamais y manquer de la façon grossière qu'on a voulu m'attribuer, et j'espère que la Chambre, au souvenir de laquelle je fais loyalement appel, me rendra la justice que je réclame de son impartialité.

M. Vleminckx. - J'ai eu le plus vif regret de voir les journaux faire (page 1455) allusion au geste qui, d'après moi et d'après ce que j'ai vu, a été fait ici. (Interruption.)

M. De Lehaye. - Je demande la parole.

M. Thonissen. - Pourquoi ne l'avez-vous pas fait remarquer immédiatement ?

M. de Lexhy. - Cela ne m'atteint pas.

M. Vleminckx. - J'ai vu M. le ministre, de mes propres yeux vu. J'étais assis à cette place. (Nouvelle interruption.)

Je vous dis que j'étais assis là. (Interruption.) Attendez donc ! Je déclare que je suis incapable de dire une chose que je n'ai pas vue. J'ai été vivement ému lorsque j'ai vu l'honorable ministre des travaux publics, en riant, je l'avoue, faire ce signe.

Maintenant on me dit : Pourquoi n'avez-vous pas relevé la chose ? Ce n'était pas à moi de la relever ; j'aurais voulu, au contraire, qu'on n'en eût pas parlé ; mais je regrette que M. le ministre ait cru devoir donner un démenti aux journaux ; suivant moi et suivant d'autres membres, ils n'ont dit que la vérité.

M. Nothomb. - A quoi bon ce débat ? Il me suffit de savoir et d'affirmer que l'honorable M. Wasseige est incapable du fait qu'on lui impute.

M. De Lehaye. - Si un ministre, quel qu'il fût, se permettait une inconvenance envers l'un de nos adversaires politiques, je demanderais immédiatement le rappel à l'ordre, et je ne comprends pas que l'honorable membre, qui prétend avoir vu M. le ministre des travaux publics faire ce geste, ne se soit pas levé à l'instant même pour protester.

Je suis persuadé que l'honorable membre est de bonne foi, mais j'ai vu le signe négatif, je l'ai vu parfaitement, et s'il avait eu le caractère qu'on lui a attribué, j'aurais proposé le rappel à l'ordre.

Je n'en dirai pas davantage, parce que je suis convaincu que la Chambre respecte trop sa dignité pour permettre que pareille chose se passe.

M. de Lexhy. - On retire donc le pied de nez !

M. Dumortier. - J'avoue, messieurs, que je suis très étonné que M. Vleminckx, qui se trouvait assis derrière le ministre, ait pu voir celui-ci faire un geste qui n'aurait pu être vu que par les personnes placées devant lui. C'est tout simplement ridicule et, sans aucun doute, si j'avais vu qui que ce fût, catholique ou libéral, se permettre une pareille inconvenance envers un député quelconque, j'aurais immédiatement demandé le rappel à l'ordre.

Il faut une malveillance qui dépasse toute espèce de bornes pour lancer une pareille accusation contre l'honorable M. Wasseige. N'était-il pas pleinement dans son droit de faire un geste négatif quand on lui attribuait un fait inexact ? Y a-t-il quelque chose de plus naturel ?

M. le président. - Je dois déclarer à la Chambre que ni mes collègues assis à côté de moi, ni moi-même, nous n'avons rien aperçu d'insolite.

J'ajoute que si j'avais remarqué un geste tel que celui qui vient d'être imité par un orateur, j'aurais cru devoir rappeler à l'ordre le membre, quel qu'il fût, qui se le serait permis.

Je crois que la Chambre désire que cet incident ne se prolonge pas davantage.

M. de Lexhy. - Je demande à dire un mot. Je suis le principal intéressé dans l'incident. (Interruption.) Se suis le principal intéressé ; mais je déclare que si le fait imputé à M. Wasseige est vrai, il n'a pu m'atteindre aucunement.

M. Dumortier. - Toute la Chambre est intéressée à la dignité du parlement.

M. Brasseur. - J'étais là-bas, près de l'honorable M. de Lexhy ; pendant qu'il parlait de M. le ministre des travaux publics, j aï regardé du côté du banc des ministres et j'ai vu le mouvement de l'honorable M. Wasseige ; c'était simplement un signe négatif, ni plus ni moins : j'affirme le fait de la manière la plus catégorique.

M. Coomans. - Messieurs, bien que je fusse ici, je n'ai rien vu ; mais je dis que l'opposition doit se sentir bien faible pour en arriver, comme dernier argument, à accuser un de ses adversaires de lui avoir répondu par un pied de nez.

Croyez-moi, messieurs, vous avez besoin d'autres discussions que celle-là pour vous relever aux yeux du pays, et je trouve que le débat sur ce sujet n'a duré que trop longtemps pour nous tous.

- Un membre : Qui l'a provoqué ?

Discussion générale

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, dans la séance d'hier, je crois avoir démontré la nécessité de supprimer les droits de débit et de les transférer aux provinces.

J'ai démontré que les provinces les ont demandés et qu'elles ne peuvent les refuser.

J'ai démontré enfin qu'à moins de besoins nouveaux, les provinces m peuvent établir ces charges nouvelles sans diminuer les charges anciennes, les centimes additionnels.

Ces centimes se trouveront ainsi reportés au budget de l'Etat au moyen d'un simple virement.

L'Etat sacrifie 1,800,000 francs ; il reprend 1,600,000 francs. Perte nette de ce chef 200,000 francs. '

L'abandon complet des 1,800,000 francs est un sacrifice que l'Etat ne peut faire en ce moment-ci sans porter préjudice à l'intérêt du trésor.

J'ai répondu hier à la plupart des objections faites dans cet ordre d'idées ; il en est une qui a été développée par l'honorable M. Elias et à laquelle je n'ai pas répondu.

C'est un doute plutôt qu'une objection.

Nous n'avons, dit l'honorable membre, aucun moyen de contrainte vis-à-vis des provinces ; les impôts existant aujourd'hui sont approuves, nous ne pouvons forcer les provinces à les réduire. Se trouvant à là veille d'une dissolution, en présence d'un corps électoral où les cabaretiers deviennent plus nombreux par suite de la réforme électorale, les conseils provinciaux oseront moins que jamais établir un droit de débit.

Je crois, messieurs, que l'on ne se place pas sur le vrai terrain quand on recherche si le gouvernement a des moyens de contrainte à l'égard des provinces.

Le gouvernement n'a pas besoin de recourir à la contrainte pour amener les provinces à faire ce qu'elles ont demandé ; mais l'honorable M. Elias se trompe complètement au sujet des rapports du gouvernement et des provinces en matière d'impôts. Il confond les provinces avec les communes.

Les communes obtiennent parfois du gouvernement l'autorisation de percevoir des centimes additionnels pendant une série d'années.

Il n'en est pas de même des provinces. Le gouvernement n'autorise pas tel ou tel impôt, il ne fait qu'une seule chose, approuver le budget provincial.

Cette approbation se donne chaque année, et l'approbation obtenue l'année précédente n'est pas un engagement d'approuver l'année suivante.

M. Elias. - Je vous défie de faire cela.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je n'ai que faire de vos défis.

Je constate que vous vous êtes trompé complètement.

M. Bara. - C'est vous qui vous trompez.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je démontre que. les provinces ne sont pas sur la même ligne que les communes. Le budget des provinces doit être approuvé chaque année par le ministre de l'intérieur. Cela n’est pas contestable, en présence de l'article 86 de la loi provinciale.

Je ne dis pas que nous n'approuverons pas le budget de telle ou telle province dans telle ou telle condition, je rectifie une question de principe, sur laquelle l'honorable membre s'est trompé du tout au tout.

M. de Rossius. - Et vous donnez un avertissement aux provinces.

M. Jacobs, ministre des finances. - Vos amis leur en ont tant donné hier que je puis bien en ajouter un aujourd'hui.

Les provinces établissent, presque chaque année, des impôts nouveaux.

Quand elles demanderont l'autorisation d'en établir, le gouvernement ne pourra-t-il leur dire : « Mais, plutôt que d'augmenter encore les centimes additionnels sur le foncier, le personnel et les patentes, voilà les droits de débit que j'ai abandonnés ; recourez à cette ressource ! » Voilà encore un moyen d'action du gouvernement.

Mais nous n'aurons pas besoin d'user de la moindre pression.

Les provinces, j'en suis persuadé, librement, sans pression d'aucune nature, établiront des droits de débit.

Elles l'auraient fait en tout temps, elles le feront surtout à la suite de la réforme électorale ; car l'honorable M. Elias se trompe encore lorsqu'il croit que la proportion des débitants dans le corps électoral va se trouver augmentée ; elle se trouvera, au contraire, notablement diminuée.

L'argument de l'honorable membre était commun aux provinces et aux communes ; J'ai établi le calcul pour les communes dans le discours que j'ai prononcé à la séance du 19 avril dernier ; j'ai établi alors que, sur 379,545 censitaires communaux actuels, il y a au moins 95,000 débitants, (page 1456) soit 25 p. c. des censitaires et, par conséquent, du corps électoral communal.

J'ai démontré que, parmi les 583,714 censitaires communaux futurs, ii y aura 100,000 débitants, soit une proportion de 17 p. c. ; la proportion baisse donc de 8 p. c, en supposant que le droit de débit soit maintenu dans le cens électoral. Mais par la loi que nous discutons et qui ne permet plus de faire entrer le droit de débit dans le cens électoral, cette proportion ne sera pas seulement ramenée de 25 a 17, elle descendra beaucoup plus bas.

J'ai lieu de penser, sans cependant avoir de données exactes à cet égard, que des 100,000 débitants, il y en aura 20,000 qui ne seront pas électeurs communaux ; un grand nombre de ces débitants, en effet, ne payent point de contribution personnelle ; plus de la moitié des maisons du royaume, vous le savez, sont exemptées de cette contribution ; ils ne payent que la petite patente de 3 fr. 74 c.

S'il n'y a que 80,000 débitants de boissons payant le nouveau cens électoral à la suite du transfert du droit de débit à la province, voici le résultat auquel nous arrivons : je déduis ces 20,000 censitaires du nombre total, qui se trouve réduit à 563,714 ; 80,000, en regard de 563,000, ne donnent plus que 14 p. c ; nous voilà tombés de 25 à 14, soit une réduction de 11 p.c. sur la proportion des débitants dans le corps électoral communal.

Et remarquez que les débitants qui resteront électeurs seront précisément les meilleurs débitants, ceux qui exercent une petite profession accessoire, ceux qui ont une petite hôtellerie, une épicerie ou un autre petit commerce.

Je passe au corps électoral provincial,

S'il y a 20,000 débitants, après la suppression des droits de débit, qui ne payent pas 10 francs d'impôts directs, il y en aura un nombre beaucoup plus considérable qui n'atteindront pas le chiffre de 20 francs. Nous arriverons à peu près à la moitié des débitants ; s'il y en a 20,000 qui ne payent pas le cens communal, il y en aura 50,000 sur 100,000 qui ne payeront pas le cens provincial.

Dans ces conditions, voici où nous arrivons : il y a 382,237 censitaires provinciaux, si l'on compte le droit de débit ; en le supprimant il en reste 332,237, parmi lesquels 50,000 débitants, soit une proportion de 15 p. c ; 14 p. e. dans le corps électoral communal, 15 p. c. dans le corps électoral provincial, et, je le répète, ces 15 p. c. seront les meilleurs parmi les débitants de boissons.

Cela est-il effrayant ?

Il est incontestable,, que le chiffre soit 14, 15, 16 ou même 20 p. c., que les débitants de boissons seront toujours l'infime minorité du corps électoral.

Je parle de la province. Dans la province incontestablement le nombre des débitants, comparé aux autres électeurs, sera l'infime minorité. Admettons qu'il soit de 20 p. c.

M. de Naeyer. - Ce chiffre est exagéré.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je crois aussi qu'il l'est ; mais, enfin, j'exagère l'objection pour que ma réponse soit d'autant plus péremptoire.

Je vous le demande, les conseils provinciaux se tiendront-ils ce langage : N'indisposons pas ces 20 p. c. du corps électoral ; ne rétablissons pas à notre profit le droit de débit de boissons, conservons nos centimes additionnels au foncier, à la contribution personnelle et au droit de patente.

Non, messieurs, les conseils provinciaux ne tiendront pas ce langage ; ils ne voudront pas que les redevables de ces impôts normaux payent dans leur province plus que l'année précédente, lorsque l'Etat leur offre le moyen de ne pas payer davantage.

Les conseils provinciaux raisonneront d'une autre façon ; ils se diront : Ceux qu'il ne faut pas indisposer, ce ne sont pas les 20 p. c. de débitants de boissons, ce sont les 80 p. c. d'autres électeurs qui payent l'impôt foncier, la contribution personnelle et le droit de patente. Ce sont ces 80 p. c. qu'il faut ménager avant tout et il y a d'autant plus de raison de les ménager que ces électeurs feront nécessairement la comparaison entre ce qui se fait dans les provinces voisines et dans la leur.

Si partout, autour d'eux, les provinces ont supprimé des centimes additionnels en maintenant le droit de débit, comment voulez-vous que la comparaison ne suscite pas les réclamations de ces électeurs surtaxés comparativement à ceux des provinces voisines ?

N'est-il pas évident que ces électeurs se froisseront de ce qu'on ait donné chez eux une prime à l’ivrognerie en supprimant les droits de débit et de ce qu'on les oblige de subir des augmentations d'impôt pour couvrir le déficit résultant de cette prime ? Les conseils provinciaux comprendront que telle sera l'appréciation des quatre cinquièmes des électeurs, et s'ils croient devoir faire la cour à une fraction du corps électoral, ce ne sera pas aux 20 p. c. de cabaretiers mais aux 80 p. c. d'autres électeurs. C'est au surplus leur faire injure que de supposer qu'ils n'oseraient pas atteindre les cabaretiers quand l'intérêt public leur en impose obligation.

Ils ne voudront pas s'exposer à voir la minorité du conseil faire porter les élections provinciales prochaines sur la question que voici : Faut-il supprimer le. droit de débit des boissons et faire payer cette prime à l'ivrognerie par le maintien des centimes additionnels à l'impôt foncier, à la contribution personnelle et au droit de patente ; ou bien faut-il maintenir cette entrave à l'ivrognerie en obtenant une réduction de centimes additionnels ?

Pour moi, messieurs, il est certain, indubitable que le transfert sera accepté par toutes les provinces.

Il n'y aura donc aucune augmentation d'impôt ; il y aura un virement, un transfert d'impôt.

L'honorable M. Elias, dans son discours, chiffrait l'augmentation de l'impôt foncier à 1,800,000 francs, autant que le produit de la loi des successions en ligne directe ; et voici son calcul :

860,000 francs par suite de l'augmentation de 6.70 à 7 p. c. de l'impôt foncier ; 400,000 francs d'augmentation sur les centimes provinciaux, conséquence de l'augmentation du principal ; 600,000 francs sur les constructions nouvelles.

D'abord, messieurs, biffons ces 600,000 francs sur les constructions nouvelles. (Interruption.)

Je me rallie à l'amendement de la section centrale, d'après lequel l'Etat ne touchera rien de ces 600,000 francs avant 1874.

Jusqu'à ce moment, ne faisons pas état de cette ressource nouvelle ; quand elle se produira, nous pourrons la faire servir à des réductions favorables à l'agriculture.

Biffons donc 600,000 francs. Les 860,000 francs, résultat de l'augmentation de la base de l'impôt foncier, je viens de démontrer qu'ils ne sont qu'un transfert qui doit être accepté par les provinces, si elles consultent l'intérêt public.

Les 400,000 francs d'augmentation indirecte des centimes provinciaux et communaux disparaîtront, je l'ai établi hier, par une réduction du nombre de ces centimes.

L'augmentation n'est pas de 1,800,000 francs, mais de zéro.

L'Etat perd 200,000 francs à l'échange de débits, qui rapportent 1,800,000 contre des centimes qui n'en donnent que 1,600,000.

Ne versons pas tant de larmes sur le sort de la propriété foncière. Je m'intéresse à elle autant que qui que ce soit. Et ce qui me démontre qu'elle ne s'alarme pas elle-même, c'est le caractère des pétitions qui se trouvent sur le bureau.

Toutes sont des formules imprimées qui ne diffèrent que par un mot de l'en-tête ; les unes portent « arrondissement de Nivelles », les autres « arrondissement de Waremme. »

Ce qui me surprend, c'est que l'agriculture n'ait d'alarmes que dans les deux arrondissements de Waremme et de Nivelles.

M. de Macar. - Il y en a d'autres et il y en aura encore d'autres.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je suis persuadé qu'il y en aura d'autres, et mes paroles auront pour résultat d'engager les membres de la minorité à faire tous leurs efforts pour que maintenant il en arrive d'autres. (Interruption.)

- Un membre. - On n'a pas eu le temps de pétitionner.

M. Jacobs, ministre des finances. - Comment ! le projet de loi a été présenté au mois de mars ; nous sommes au mois de juin ; trois mois se sont écoulés et l'on a pas eu le temps de pétitionner ! On l'a bien eu à Nivelles et à Waremme.

Je constate le fait et j'en laisse juge chacun de vous.

On a encore fait valoir que les circonstances sont peu favorables pour frapper la propriété foncière.

Je fais remarquer d'abord que nous ne la frappons pas. Mais, si mon arrondissement avait été spécialement atteint par les gelées dernières, je tiendrais un autre langage que les honorables membres qui représentent les arrondissements victimes des gelées.

Autrefois il existait des centimes additionnels ajoutés à l'impôt foncier, dans le but de créer un fonds commun qui permît de réparer les désastres exceptionnels. Si j'étais à la place de mes contradicteurs, je me réjouirais de voir l'impôt augmenté sur la généralité, le gouvernement ayant ainsi des fonds plus considérables pour venir en aide aux victimes de ces désastres.

(page 1457) Les deux questions n'ont rien de commun.

Soutenir que telle localité, spécialement atteinte par la gelée, ne doit payer ni 6.70 ni 7 p. c, je le comprends ; mais pour les localités qui sont dans le cas d'obtenir ces exemptions, il est indifférent qu'en 1871 et pendant les années où ce malheur se reproduira, l'impôt soit de 6.70 ou de 7 p. c.

Quel que soit le taux de l'impôt, elles en seront exemptes.

On a pas eu grande confiance, paraît-il, dans ce qu'on dit des vices du projet de loi, si bien qu'on a pas eu le courage de faire entendre la vérité sur ce projet aux campagnards dont on récoltait les signatures.

La pétition imprimée dont je parle ne révèle qu'un fait aux cultivateurs, l'élévation de l'impôt foncier de 6.70 à 7 p. c. Des projets du gouvernement d'abolir le droit de débit de boissons, de le transférer aux provinces, de demander aux provinces un sacrifice de centimes additionnels, rien, absolument rien. On ne leur fait connaître qu'un élément de la combinaison, l'augmentation de l'impôt foncier de 6.70 à 7 p. c.

Des pétitions recueillies dans ces circonstances sont des pétitions sans valeur.

M. de Naeyer. - Cela est évident, on a trompé les populations.

M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, ce sont des pétitions par lesquelles on a trompé les populations, en ne leur faisant pas connaître la vérité tout entière, (Interruption.)

Je vais aborder maintenant la thèse que les honorables membres combattent et contre laquelle réclament les pétitionnaires. Je suppose un instant qu'il ne s'agisse que d'une majoration de l'impôt foncier sans compensation aucune ; je laisse les provinces de côté, je prends la thèse telle qu'on l'a présentée aux populations. Je vais rechercher si l'agriculture et si la propriété foncière ont le droit de se plaindre de cette augmentation de 6,70 à 7 p. c. Est-ce messieurs, une charge exorbitante que 7 p. c. du revenu cadastral ? Je sais qu'il est difficile d'apprécier exactement ce chiffre attendu qu'il dépend d'un élément variable : le revenu cadastral.

Autrefois l'impôt foncier était dans la proportion de 9,87 p. c. du revenu cadastral en principal, plus 18 centimes additionnels, ce qui fait arriver la proportion à 11 1/4 p. c. environ. Elle est restée telle jusqu'à la loi de 1867.

En France, l'honorable M. Liénart le constate dans son rapport, la proportion est de 8 p. c. en principal.

L'ouvrage de M. de Parieu, qu'on a cité hier, nous apprend que dans les provinces rhénanes l'impôt foncier est de 20 p. c. du revenu cadastral. En Hollande, il est de 12 p. c.

Tout cela ne nous avance pas énormément, car le taux dépend de la sévérité et de la date de la péréquation qui a fixé le revenu cadastral.

Cependant l'écart entre ce chiffre de 7 p. c. et les chiffres de 12 et de 20 que j'ai cités est de nature à faire supposer que l'impôt foncier en Belgique à 7 p. c. ne sera pas exagéré.

L'impôt foncier qui, jusqu'en 1867, s'élevait à 11 1/4 p. c. de l'ancien revenu cadastral, avait déjà été diminué quand on se reporte à une époque plus éloignée. Le contingent à répartir a flotté pendant un grand nombre d'années entre 18 et 19 millions. En 1838, nous avons payé au delà de 19 millions ; en 1834, 20,643,000 francs ; en 1833, 21,851,000 francs. Nous avons payé autrefois plus que ce qu'on demande aujourd'hui à l'impôt foncier.

En 1845, l'impôt foncier fut fixé en principal à 15,500,000 francs, avec les centimes additionnels à 18,359,750 francs. Il se maintint à ce chiffre jusqu'en 1856, pour s'élever alors à 18,886,290 francs, chiffre qui fut maintenu jusqu'en 1868.

C'est alors que, sans changer notablement le total (il ne fut augmenté que de 25,000 francs), on substitua au multiple de 11 1/4 p. c. celui de 6,70.

6,70 p. c. du nouveau revenu cadastral est l'équivalent de ce qu'était 11 1/4 p. c. de l'ancien.

La nouvelle matière imposable a depuis élevé le produit de l'impôt à 19,150,000 francs.

L'honorable M. Elias, se dégageant de tous ces multiples qui sont de nature à jeter quelque confusion dans le débat, prend le chiffre global. Il compare la France à la Belgique et Voici son calcul. En France, l'impôt foncier donne 175 millions, soit moins du dixième de tous les impôts. En Belgique, il va produire 20 millions, soit le sixième des impôts. Un dixième en France, un sixième en Belgique.

Ce qu'il faudrait démontrer, pour que le calcul fût probant, c'est que la France n'est pas plus imposée que la Belgique. La proportion du foncier à la totalité des impôts serait plus différente encore, que la situation respective d« la propriété foncière en France et en Belgique au point de vue de l'équilibre des charges pourrait être la même. On peut à cet égard faire une. quantité de calculs un peu de fantaisie ; si je voulais m'en permettre un, je pourrais dire : En France, l'impôt foncier est de 173,000,000 soit 4 fr. 50 c. par tête. En Belgique, il sera de 20,000,000, soit 4 francs seulement par tête. Donc, en comparant l'habitant de la Belgique et l'habitant de la France, le premier paye moins d'impôt foncier que le second,

M. de Lexhy. - Il faut voir le territoire. C'est le point essentiel.

M. Jacobs, ministre des finances. - Non, ce n'est pas le point essentiel.

- Des membres. - Mais si !

M. Jacobs, ministre des finances. - Si vous vouliez bien m'écouter et ne pas m'interrompre.

M. de Naeyer. - On interrompt continuellement.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je dis qu'il ne faut pas considérer seulement le territoire, parce que, s'il est vrai que la population n'est pas dans le même rapport avec le territoire en Belgique et en France, cela provient ou cela cause - car c'est autant une cause qu'un effet - cela provient de ce que le sol a plus de valeur en Belgique qu'en France par suite de l'accumulation de la population et de la richesse.

Il est impossible de comparer la moyenne de l'hectare du territoire français avec la moyenne de l'hectare du territoire belge.

Mais, messieurs, il ne faut pas seulement se rendre compte de l'impôt au profit de l'Etat. En France, il y a de très nombreux centimes additionnels au profit de la province et de la commune ; tandis qu'en Belgique le chiffre de ces centimes n'est que de 27 - c'est la moyenne qu'a donnée l'honorable M. Elias - en France ils sont environ 80.

Le principal de l'impôt foncier y est de 173,000,000 ; les centimes s'élèvent à plus de 147,000,000.

En Belgique, sur les 20 millions environ au profit de l'Etat, il n'y a que 7 millions de centimes additionnels.

Cela provient de ce que, en France, les départements sont chargés d'un grand nombre d'obligations qui incombent en Belgique à l'Etat. Les dépenses du cadastre, certaines dépenses d'enseignement, certaines dépenses relatives aux aliénés, et tant d'autres, sont des dépenses départementales en France, tandis que ce sont des dépenses de l'Etat en Belgique. De là une tout autre répartition de l'impôt foncier entre l'Etat, les provinces et les communes.

Mais puisqu'on a parlé de territoire, je vais prendre un territoire qui peut mieux être comparé à celui de la Belgique : celui de la Hollande, le pays le plus voisin.

Assurément, l'on ne soutiendra pas que la moyenne du territoire vaut plus en Hollande qu'en Belgique. Il est incontestable que le sol belge a plus de valeur que le sol hollandais. Or, voici ce qui se présente en Hollande :

Pour une contenance imposable de 3 millions d'hectares, le montant de l'impôt foncier en 1871 est de 21,350,000 francs, soit par hectare un peu plus de 7 francs.

En Belgique, pour une contenance imposable de 2,821,000 hectares, le montant de l'impôt foncier, en 1871, est de 19,150,000 francs, soit 6 fr. 78 c. par hectare. Il y a une différence de près de 50 centimes par hectare en moins en Belgique qu'en Hollande. Et quand nous aurons le chiffre de 20 millions, nous aurons 7 francs par hectare en Belgique comme il y a 7 francs par hectare en Hollande.

Nous serons donc traités comme nos voisins du Nord, alors qu'il est incontestable que notre propriété a plus de valeur.

Mais laissons là l'étranger ; toutes les comparaisons sont matière à discussions ; restons en Belgique et voyons quelle a été, depuis 1830, la progression de l'impôt foncier.

Le chiffre le plus bas depuis 1833 est de 17,232,842 francs, en 1840 ; le plus élevé est de 21,831,614 francs en 1833.

Pendant quatre ans l'impôt a varié entre 17 et 18 millions (1840, 1841, 1842, 1844), pendant vingt-neuf ans entre 18 et 19 millions (1835 à 1837, 1839, 1845,1845 à 1868) ; pendant quatre ans entre 19 et 20 millions (1839,1869 à 1871) ; enfin, pendant deux ans il a dépassé 20 millions (18533et 1834).

Vous voyez, messieurs, que l'impôt foncier a été pour ainsi dire stable en Belgique ; il n'y a eu aucune augmentation sensible depuis 1830 ; l'impôt est resté stationnaire bien, que la matière imposée, la terre, ait notablement augmenté de valeur.

Qu'est-il avenu des autres impôts ?

L'impôt personnel, qui était en 1853 de 8 millions, s'est élevé a 12 millions.

(page 1458) Il a augmenté de 50 p. c.

M. Frère-Orban. - Sans augmentation de l'impôt ; par l'accroisse ment de la richesse.

M. Jacobs, ministre des finances. - .. par l'augmentation de la richesse ; mais la richesse territoriale a augmenté aussi et le produit de l'impôt foncier est resté le même.

Les patentes donnaient en 1853 un peu plus de deux millions et demi ; ce produit s'est élevé, en 1871, à 4 millions.

Augmentation : 60 p. c.

Quant au budget, dans son ensemble, il a augmenté de 100 p. c.

Le budget augmente de 100 p. c, les patentes de 60 p. c, la contribution personnelle de 50 p. c, et l'impôt foncier de quasi zéro.

Ceci, messieurs, suffira pour faire comprendre que la propriété foncière a été très ménagée depuis 1830.

C'est une observation qui a été faite depuis longtemps.

Je suis loin de dire qu'on ait eu tort ; je crois, au contraire, qu'on a eu raison, mais je constate le fait.

Jusqu'en 1867, l'impôt foncier était un impôt de répartition ; l'augmentation de la matière imposable n'influait pas sur le chiffre global à répartir ; il n'influait que sur la répartition depuis la loi de frimaire an VII, ce qui existe encore en France.

Le contingent était partagé annuellement entre les provinces. En France, il l'est encore entre les départements ; jusqu'en 1848, il en fut de même en Belgique. On résolut à cette époque de faire profiter chaque province de l'augmentation de matière imposable qui se produirait sur son territoire, de ne plus établir de solidarité entre les neuf provinces. L'article 2 de la loi du 9 mars 1848 dispose comme suit :

« Les augmentations et les diminutions qui surviendraient entre-temps, (jusqu'à la nouvelle révision cadastrale), ne donneront lieu à aucune modification du contingent provincial ; elles n'auront d'effet que sur la répartition entre les communes qui composent la province. »

Le chiffre de la province restait invariable ; mais, selon qu'il y avait plus ou moins de constructions nouvelles dans une province, le rapport entre le revenu cadastral et l'impôt variait.

L'uniformité était rompue et, suivant le plus ou moins de constructions nouvelles, l'impôt foncier descendait plus ou moins.

Si, messieurs, l'impôt foncier fut à peu près immuable pendant de longues années, on a cependant jugé équitable, à diverses reprises, d'augmenter le chiffre à répartir, en tenant compte du revenu afférent aux nouvelles matières imposables.

En 1835, l'achèvement du cadastre dans sept provinces, permit d'y fixer à nouveau l'impôt foncier. Quand, en 1845, le Limbourg et le Luxembourg eurent été cadastrés à leur tour, on augmenta le contingent des sept provinces du montant afférent aux nouvelles constructions qui, pendant ces dix ans, s'étaient élevées.

Le contingent des sept provinces cadastrées en 1835 était de 14,070,522 francs en principal ; on l'éleva, par la loi du 30 décembre 1845, a 14,258,292 francs, ce qui constitue une augmentation de 178,770 francs.

Il en fut fait de même par la loi du 31 décembre 1853, en l'absence de toute révision cadastrale. On avait constaté de nouveau qu'une matière imposable considérable s'était produite depuis la loi de 1845.

En 1845 l'on s'était basé sur le revenu constaté au 31 décembre 1843 ; il s'élevait à 137,091,265, ce qui à raison de 9 87 p. c. donnaient 15 1/2 millions.

Au 31 décembre 1852 le revenu constaté était de 161,594,482 francs ; il y avait une augmentation de matière imposable de 4 1/2 millions.

On appliqua le multiplicateur de 9.87 p. c. et le principal fut élevé de 15 1/2 millions, à 15,944,527 francs.

La nouvelle révision cadastrale, ordonnée par la loi du 10 octobre 1860, constata une nouvelle augmentation de 6,418,258 fr. de matière imposable.

Si l'on avait agi alors comme en 1845 et en 1855, on aurait appliqué à cette nouvelle matière imposable le multiplicateur de 9 87 p. cet l'on serait arrivé à un impôt foncier de 19,645,049 francs.

Au lieu de cela, on s'est contenté, pour ne pas faire coïncider la nouvelle péréquation cadastrale avec une augmentation d'impôt, on s'est contenté d'une majoration de 25,000 francs pour arriver au multiplicateur de 6.70 ; si l'on avait procédé comme en 1853 et en 1845, au lieu du multiplicateur de 6.70 on serait arrivé au multiplicateur de 0.96 1/2, autant vaut dire le multiplicateur que nous proposons actuellement : 7.

Si donc on avait procédé, à la suite de la révision cadastrale, comme en 1845 et en 1853, nous aurions eu les 7 p. c. que nous proposons à la Chambre de décréter aujourd'hui. 7 p. c. est au nouveau revenu cadastral comme 11 1/4 est au revenu cadastral ancien augmenté de la matière imposable constatée en 1865.

Est-il juste d'élever l'impôt foncier en raison de cette augmentation de matière imposable ? Les Chambres l'ont pensé en 1845 et en 1853 ; elles ont cru qu'il était plus équitable de faire profiter l'Etat de cette nouvelle matière imposable que d'en laisser le profit infinitésimal aux autres contribuables.

Remarquez, messieurs, que par l'élévation de l'impôt à 7 p. c. la propriété foncière supportera absolument les mêmes charges qu'elle supportait en 1843 et en 1853 ; pas d'aggravation, mais seulement absence d'atténuation par le fait des augmentations de matière imposable créées depuis lors. Elle en profitait dans le système de l'impôt de répartition, le multiplicateur baissait ; il ne baissera plus désormais, la terre ne profitera plus de l'augmentation de matière imposable ; elle restera grevée comme elle l'était en 1843, en 1853, sans adoucissement, mais aussi sans charges nouvelles.

Ces faits, messieurs, sont constatés dans l'exposé des motifs du projet de loi qui a fixé le nouveau revenu cadastral à 6.70 p. c.

Voici comment s'exprime cet exposé, rappelant ce qui s'était passé en 1845 et en 1853 :

« Les Chambres ont reconnu à différentes reprises qu'il est équitable de faire servir les accroissements de la matière imposable à une augmentation proportionnelle de l'impôt foncier ; il suffit de faire remarquer que cet accroissement est dû exclusivement aux nouvelles constructions dont l'évaluation entre dans la matière imposable à l'expiration du terme de l'exemption d'impôt stipulée en leur faveur par la loi du 28 mars 1828 : en ne tenant pas compte de cette augmentation, on diminue chaque année toutes les cotes foncières d'une province d'une fraction tellement minime qu'elle n'est pas appréciable et que les contribuables n'y trouvent aucun soulagement, aucun avantage sérieux ; de plus, on méconnaît le principe de l'article 2 de la loi du 3 frimaire an VII, car la contribution foncière n'est plus répartie par égalité proportionnelle, mais chaque contribuable, à raison de la province où. ses biens sont situés, paye une quotité différente ; c'est ainsi que le contingent actuel de 15,944,527 francs fixé en 1853 pour chacun à raison de la quotité de fr. 0.09 871332/1000000, se trouve réparti en 1866, dans chaque province, d'après la proportion suivante :

« Anvers, 0.09.335945

« Brabant, 0.09.186686

« Flandre occidentale, 0.09.732212

« Flandre orientale, 0.09.671477

« Hainaut, 0.09.526052

« Liége, 0.09.230822

« Limbourg, 0.09.696505

« Luxembourg, 0.09.680228

« Namur, 0.09.652910 .

« Ainsi, un même revenu cadastral de 100 francs est imposé en principal à 9 fr. 19 c. dans le Brabant, tandis qu'il paye 9 fr. 75 c. dans la Flandre occidentale, soit 54 centimes en plus ; donc l'égalité proportionnelle est rompue.

« La législation sur la matière, de même que l'équité, commande donc de faire attribuer au trésor les accroissements du revenu cadastral résultant des constructions nouvelles, et non de les appliquer à réduire d'une manière imperceptible un certain nombre de cotes de contribution foncière. La minime fraction dont la part proportionnelle de quelques-uns est diminuée annuellement se traduit pour le trésor en une perte d'environ 60,000 francs, en y comprenant les centimes additionnels.

« Conformément à ce principe, le revenu imposable au 31 décembre 1852, qui a servi de base à la fixation du contingent actuel de 15,944,527 fr., se trouvant accru au 31 décembre 1865 de 6,418,258 fr., qui proviennent des nouvelles constructions, le contingent en principal de la contribution devrait être établi à raison de la même proportion qu'en 1833,1845 et 1853, ou fr. 0.09 871332/1000000 du revenu cadastral au 31 décembre 1865 ; il s'élève à 168,012,740 francs et donnerait ainsi un contingent de 16,585,098 fr.

« en y ajoutant les centimes additionnels en cours de perception (ou 18 45/100), soit 3,059,951 fr.

« Le montant de la contribution foncière au profit de l'Etat devrait être de 19,645,049 fr.

« Il est aujourd'hui de 18,886,292 fr.

« C'est donc une augmentation de 758,757 fr.

« Le gouvernement serait en droit de demander que cette somme fût immédiatement prélevée sur l'accroissement du revenu cadastral depuis 1852 ; mais, d'une part, ne croyant pas devoir faire concorder cette mesure avec les changements à introduire dans la répartition du contingent entre (page 1459) les provinces, et, d'autre part, ne voulant pas offrir même un prétexte d'accuser le gouvernement de méconnaître l'engagement qu'il a pris devant les Chambres législatives de ne pas augmenter le contingent actuel de la contribution foncière à la suite de la révision des évaluations cadastrales, le gouvernement a pensé qu'il devait s'abstenir pour le moment de faire une pareille proposition, bien que parfaitement juste et légitime et tout à fait conforme aux principes admis par la législature dans la loi du 31 décembre 1853. La loi du budget des voies et moyens pourra ultérieurement régulariser cette situation, quand le gouvernement et les Chambres le trouveront opportun. »

Vous le voyez, messieurs, on reconnaissait en 1866 que ce que nous faisons aujourd'hui n'est que juste, que c'est la conséquence de tous les précédents ; on ne voulait pas faire coïncider l'augmentation avec une répartition nouvelle du contingent entre les provinces ; mais on déclarait hautement que le gouvernement et les Chambres restaient juges du moment où ils trouveraient opportun de faire subir à la propriété foncière cette augmentation d'impôts due par elle.

Si donc nous venions vous proposer purement et simplement une augmentation de la contribution foncière, en portant le revenu cadastral à 7 p. c, nous ne ferions que réaliser aujourd'hui ce qui a été prévu dès 1867.

Mais, bien loin d'agir comme nous serions en droit de le faire, comme on a toujours agi, nous faisons coïncider cette rectification de la contribution foncière avec une diminution des centimes additionnels que nous réclamons des provinces. Loin d'augmenter l'impôt foncier, comme on nous en accuse, nous négligeons de l'augmenter, quand nous serions en droit de le faire. Nous nous bornons à un transfert.

Je crois, messieurs, qu'en présence de ces faits, les véritables défenseurs de la propriété foncière doivent garder le silence sur sa situation et ne pas se livrer aux récriminations que nous avons entendues ; ils doivent reconnaître que ce que nous demandons, dans les conditions où nous le demandons, est, pour la propriété foncière, ce qui peut lui arriver de pins favorable.

J'en ai fini, messieurs, de cette question.

Un mot de récapitulation des conséquences du projet qui vous est soumis.

A la fin du rapport de la section centrale, se trouve indiquée la balance des augmentations et des diminutions d'impôts ; cette balance se solde, pour le trésor, par une perte de 56,000 francs. Si l'on veut chiffrer exactement la diminution des charges des contribuables, il faut ajouter à ces 56,000 francs 51,000 francs que les patentables payent aujourd'hui aux receveurs des contributions, à raison d'une rétribution de 16 centimes par article pour les frais d'inscription des patentes. Total, 107,000 francs de diminution.

Je n'aurais pas fait étalage de cette diminution de contributions dont le chiffre est minime ; mais puisqu'on essaye de représenter le gouvernement comme augmentant les impôts, j'ai le droit de constater que la véritable balance des conséquences du projet de loi donne une diminution de charges de plus de 100,000 francs pour les contribuables.

A propos de diminution de ces charges, quelques orateurs ont trouvé piquant de reprocher au gouvernement de ne pas tenir ce que, d'après eux, il aurait formellement promis, une diminution d'impôts.

Cela fût-il, le projet de loi serait un premier pas dans cette voie. Mais rétablissons les faits.

Il est bon de comparer les deux langages que l'on tient au sujet des promesses du gouvernement. Je ne parle pas du discours de Saint-Nicolas, ni des discours tenus partout ailleurs par des personnes qui ne faisaient pas encore partie du cabinet ; je m'en tiens au seul document officiel : le programme du cabinet. C'est ce programme, que le corps électoral a jugé ; c'est là qu'est réuni l'ensemble des promesses du gouvernement.

Voici la partie du programme relative aux impôts :

« Nous rechercherons tous les moyens possibles d'apporter des réductions aux charges qui pèsent le plus sur les populations, sans désorganiser toutefois en aucune façon les services publics,

« Nous examinerons le meilleur parti à tirer de l'accroissement constant et progressif de nos recettes, au double point de vue du dégrèvement des impôts, surtout de ceux qui frappent les objets d'alimentation populaire, et de l'extension à donner aux travaux d'utilité générale, qui développent si puissamment la prospérité du pays. »

Je disais qu'on tient, à l'égard de ce programma, un double langage. Quand le programme parut, quand le ministère avait à peine quelques jours d'existence : Ah ! disait-on, vous êtes des sphinx ; ce sont la des énigmes ; on ne peut deviner ce que vous voulez ; il n'y a rien dans ce programme ; vous ne promettez absolument rien aux populations : eau bénite de cour, rien de plus.

Aujourd'hui, au contraire, on nous dit : « Votre programme était des plus précis ; il y avait une réforme électorale (celle-là est faîte) ; il y avait une réduction des charges militaires ; une réduction immédiate des impôts. Tout cela était clairement énoncé dans votre programme. »

Je demande à l'opposition de mettre d'accord ces deux langages. La vérité est entre les deux. Non, le programme n'est pas si vague qu'il vous plaisait de le dire ; non, le programme n'est pas aussi catégorique que vous le prétendez maintenant.

Quand nous annoncions l'intention de rechercher les moyens de réaliser une diminution de charges ; quand nous nous réservions d'examiner le meilleur parti à tirer des excédants annuels, soit pour la diminution des impôts, soit pour l'exécution de travaux d'utilité publique, il y avait différentes questions à résoudre avant de décréter une diminution d'impôts.

Il fallait que les excédants annuels se reproduisissent et ne fussent pas absorbés par des dépenses extraordinaires, telles que celles que la guerre nous a occasionnées. Il y avait ensuite à examiner si les excédants seraient plus utilement employés à diminuer les impôts qu'à exécuter des travaux publics.

Nous nous réservions de choisir l'une ou l'autre alternative.

Hier, nous avons présenté un projet de travaux publics, et malheureusement les charges que nous avons eu à subir, par suite de la guerre, ont été telles, que nous devons demander à l'emprunt les ressources que ces travaux publics exigent.

Par suite des événements extraordinaires, nous avons dû demander en 1870 des crédits à concurrence de 27,326,850 francs ; nous en avons demandé en 1871 à concurrence de 3,475,000 francs ; total : 30,801,830 francs.

Si nous avions encore ces 30,800,000 francs, - et nous les avions au moment du programme, - nous aurions les coudées plus franches pour exécuter des travaux publics, pour opérer des réductions.

Quand on a dû faire 30 millions de dépenses extraordinaires et imprévues, ce qui à 4 1/2 p. c. représente un revenu de 1,350,000 francs, et qu'on n'augmente pas les impôts, on les réduit en réalité, quand on compare les charges aux besoins.

Voilà 1,350,000 francs de charges annuelles auxquelles nous devions suffire au moyen de nos ressources, ce sont 1,350,000 francs d'impôts qui, en l'absence de ces événements, auraient pu être sacrifiés par le gouvernement.

Voilà, messieurs, la véritable situation, voilà la véritable portée de nos engagements.

J'en reviens au projet de loi ; il n'y est pas question d'augmentation d'impôts ; il en résulte, au contraire, une certaine réduction, peu considérable, j'en conviens, mais réelle ; l'on m'a forcé à la constater en essayant de démontrer le contraire qui était aussi le contraire de la vérité.

M. Elias. - Je n'ai, messieurs, à rectifier qu'un seul fait avancé par l'honorable M. Jacobs.

M. le président. - Ce n'est pas un fait personnel, M. Elias ; je ne puis vous accorder la parole en ce moment.

M. Elias. - M. le ministre des finances m'a accusé d'avoir avancé un fait inexact.

M. Frère-Orban. - M. d'Andrimont consent à laisser parler M. Elias.

M. le président.- Cela ne suffit pas, M. Frère ; il faut encore que la Chambre y consente ; pour moi j'exécute le règlement.

La Chambre consent-elle à ce que j'accorde dès à présent la parole à M. Elias ?

- Voix à droite. - Non ! non !

M. le président. - M. Elias, je ne puis pas vous accorder la parole.

M. de Rossius. - La droite a bien peur des explications !

M. le président. - M. Elias est inscrit, M. de Rossius.

(page 1463) M. d'Andrimont.- Messieurs, le projet de loi d'impôts présenté par le gouvernement a provoqué un véritable émoi dans la plupart des grandes villes du royaume.

(page 1464) Les mesures que se propose de prendre le gouvernement sont destinées à porter la perturbation dans les finances communales, et le collège échevinal de Liège, comprenant toutes les conséquences fâcheuses qui doivent inévitablement résulter de ce malencontreux projet, a pris l'initiative, ce dont je le félicite, de faire auprès du gouvernement une démarche collective avec quatorze communes du royaume qui ont prélevé un impôt sur les constructions exonérées en vertu de la loi du 28 mars 1828.

Les quatorze communes furent donc convoquées a Bruxelles le 24 avril dernier.

Namur s’y fit représenter ; mais son bourgmestre, M. Lelièvre, notre collègue, qui n'aime pas à trop se compromettre, se désintéressa dans la question ; il ne pouvait guère en être autrement ; l'échevin des finances de la ville de Namur n'est-il pas le frère du ministre des travaux publics ?

Entre frères, il faut s'entendre.

Louvain avait écrit au collège échevinal de Liège qu'il considérait le projet de loi de l'honorable M. Jacobs comme très préjudiciable aux finances communales, mais qu'il ne croyait pas, - on ne peut pas désobliger ses amis quand ils sont au pouvoir, - qu'il ne croyait pas devoir s'associer aux démarches collectives de Liège, Gand et Bruxelles.

La ville d'Anvers elle aussi avait promis son concours. M. d'Hane-Steenhuyse, échevin des finances, devait assister à la réunion. Mais c'est en vain qu'on l'attendit ; il ne se présenta pas ; comme le chien de Jean de Nivelles, il s'enfuit quand on l'appelle. M. le ministre Jacobs probablement aura converti son collègue qui, au début, trouvait que la loi d'impôt serait très défavorable aux finances des grandes villes.

J'en trouvé la preuve dans une dépêche télégraphique qu'il a adressée a M. Verdin, échevin des finances de la ville de Liège.

Cette dépêche est ainsi conçue : « Pas répondu plus tôt par absence. Continuons démarches pour arriver à solution favorable. »

Les délégués des communes se sont rendus auprès de M. le ministre des finances pour lui exposer les dangers que présentait pour les villes, au point de vue financier, l'application de la nouvelle loi d'impôt.

M. Jacobs, ministre des finances. - Cinq.

M. d'Andrimont. - M. le ministre ne voulut pas entendre raison. Il maintint son projet, et il conseilla à MM. les délégués de reprendre au profit des villes l'impôt de débit sur les boissons alcooliques. Je vous m'pffre, disait-il, je vous en fais don.

Nous avons un proverbe wallon qui dit : Les consieux n' sont nin les payeux, autrement dit, ceux qui conseillent ne sont pas ceux qui payent. (Interruption.) A droite, on parle souvent le flamand, dès lors on doit admettre qu'à gauche, de temps à autre, on s'exprime en wallon. M. le ministre, après réflexion, l'a compris et dans son discours, il s'est bien gardé de conseiller aux villes de reprendre pour elles l'impôt de débit sur les boissons alcooliques, autrement que par les centimes additionnels actuellement existants. Il considère maintenant cet impôt sur les boissons alcooliques comme un impôt essentiellement provincial.

Vous avez lu, messieurs, les éloquentes et les concluantes protestations des grandes villes de la Belgique. Elles sont acquises au débat et c'est, pour combattre les propositions du gouvernement, une force morale dont on ne peut nier la puissance. De graves intérêts sont en jeu, et je vais essayer de les défendre avec l'énergie que donne la conviction d'un devoir à remplir.

Mais avant d'entreprendre cette tâche, qui est un peu lourde pour moi, j'ai, en ma qualité d'ancien conseiller provincial, à répondre quelques mots au discours qu'a prononcé hier M. le ministre des finances.

Quel est, quant au droit sur les boissons alcooliques, le système du gouvernement ? C'est aux provinces, d'après lui, qu'il faut transférer cet impôt.

« Les provinces seront libres de créer une entrave sérieuse à la multiplication des débits ; elles en fixeront le taux du droit à volonté, alors qu'il n'y aura à cette taxe provinciale aucune compensation électorale. »

Et plus loin, il ajoute :

« Je ne conçois pas qu'on ait émis un doute sur l'intention des provinces d'établir un droit sur les débits de boissons. Je n'ai pas seulement pour garantie de cette intention la démarche des députations permanentes, qui est bien récente encore, j'en ai un garant plus sûr, le bon sens. Il n'est pas une assemblée délibérante au monde qui, pouvant établir une véritable entrave à la multiplication des débits, hésite à le faire. »

Vous vous imaginez donc, messieurs, que les conseillers provinciaux seront benêts au point de frapper, à la veille d'une dissolution qui amènera au scrutin un grand nombre de nouveaux électeurs d'« impôts-amendes », - comme les appelle l'honorable M, Jacobs, - une forte fraction de ceux dont ils dépendent pour être réélus.

Les conseillers provinciaux, dites vous, dégrèveront l'impôt foncier. Soit. Mais combien, par cette mesure, se feront-ils de partisans ?

Service rendu, vous le savez, est bien vite oublié. Combien, d'autre part, vont-ils se créer d'adversaires en imposant les débitants de boissons ?

Plus qu'on ne le croit. Autrefois, le cabaretier payait un droit de débit de boissons et de tabac, mais en échange il jouissait du privilège de choisir ses représentants aux Chambres législatives.

Vous l'avez exclu du corps électoral, c'est vrai. Mais il restera électeur provincial à 20 francs et à coup sûr électeur communal à 10 francs.

Et vous vous imaginez que ce cabaretier se laissera frapper d'un impôt in odio sans protester par ses votes à la province et à la commune contre l'exigence d'une mesure qui l'atteint dans ses intérêts sans lui donner pour compensation le droit de suffrage aux Chambres !

Et savez-vous combien d'électeurs communaux et provinciaux débitants de boissons, vous aurez par suite de l'abaissement du cens' lecloral à 10 francs et à 20 francs ?

Moi aussi j'ai, comme M. le ministre des finances, fait dresser une statistique dont je garantis l'exactitude. J'ai voulu, pour deux quartiers de la ville de Liège, me rendre compte :

1° Du nombre de cabaretiers, actuellement inscrits sur les listes, qui resteront électeurs généraux après l'abolition du droit de débit de boissons ;

2° Du nombre de cabaretiers qui, par suite de l'abaissement du cens à 10 francs et déduction faite de l'impôt des boissons, resteront électeurs communaux.

Surpris par la rapidité avec laquelle on a procédé à la discussion des lois d'impôts, je n'ai pu me procurer pour aujourd'hui des renseignements concernant les cabaretiers électeurs provinciaux des quartiers de l'Est et du Centre.

Le nombre de cabaretiers inscrits comme électeurs au quartier du centre (1870) atteint le chiffre de 69, dont 52 continuent à payer 42 fr. 32 c, déduction faite du droit de débit de boissons, tandis que 17, après déduction du même droit, deviennent électeurs communaux, si l'on abaisse le cens à 10 francs.

Au quartier de l'Est, 96 cabaretiers sont inscrits sur les listes électorales.

Après déduction du droit de débit de boissons, 55 continuent à payer 42 fr. 52 c. et 41 deviennent électeurs communaux par suite de l'abaissement du cens à 10 francs.

Il en résulte que, contrairement à ce que vient d'avancer M. le ministre, pas un seul de nos électeurs cabaretiers, inscrits actuellement à Liège, ne sera exclu du corps électoral communal et probablement provincial ; et qu'il faudra ajouter à ce nombre déjà considérable de cabaretiers électeurs communaux et provinciaux, tous ceux dont on n'a pas encore fait le recensement, parce que le montant de leurs contributions n'atteignait pas le chiffre de 42 francs.

Mais, messieurs, de qui sont composés les conseils provinciaux ? En grande partie de bourgmestres et de conseillers communaux qui, grâce à leurs fonctions, ont acquis une certaine notoriété ; et vous vous imaginez que, pour faire plaisir à M. le ministre des finances, ils vont frapper d'un impôt in odio des gens avec lesquels ils sont continuellement en contact, dont ils dépendent lors des élections communales, puisque, grâce à votre malencontreuse réforme, vous maintenez sur les listes électorales, comme je l'ai démontré tantôt, non seulement ceux qui y sont, mais que vous y ajoutez encore quelques mille autres.

Mais si les conseils provinciaux agissaient comme le leur conseille M. le ministre des finances, ils ne tarderaient pas à avoir la guerre intestine chez eux, dans leur commune ; les cabaretiers chercheraient à leur faire payer cher la surcharge d'impôts dont ils leur seraient redevables.

M. le ministre des finances veut que les conseils provinciaux traitent les cabaretiers, sauf respect, comme des chiens : quand la province a besoin de quelques ressources, elle ajoute quelques centimes à la taxe sur les chiens ; c'est la taxe souffre-douleur.

Les cabaretiers sont, d'après M. le ministre des finances, gens taillables et corvéables à merci. A l'entendre parler, on croirait que cette profession n'appartient qu'au rebut de la population et qu'il suffit de vendre du genièvre pour être mis immédiatement au ban de la société.

Que M. le ministre se détrompe, il y a parmi les cabaretiers des gens très honorables, très estimables et qui ont droit au respect de chacun d'entre nous.

Il y a des exceptions ; mais il y a des gens malhonnêtes, immoraux, vicieux dans toutes les classes de la société, il en est, messieurs, dans, les classes supérieures qui, par de pernicieux (page 1465) exemples, qui, par leur mauvaise conduite, par leur manque d’honnêteté, répandent dans le peuple des germes de démoralisation aussi funestes, aussi délétères que les petits verres de genièvre que versent les cabaretiers.

Le cabaretier lit son journal ; il raisonne, il discute la politique, il fait du prosélytisme.

Voilà pourquoi la droite ne veut pas qu'il figure au nombre des électeurs.

Somme toute, on l'a déjà dit, en droit, un cabaretier vaut un avocat ; en fait, il vaut quelquefois beaucoup mieux. Si vous les considérez comme indignes, mettez-les en interdit et ne les laissez pas entrer dans la composition du corps électoral communal, ainsi que vous l'avez fait par votre réforme.

Avec les 10 centimes additionnels sur les patentes et les 5 centimes sur la personnelle, impôts que vous vous proposez d'établir, vous faites rentrer par une porte les cabaretiers que vous avez chassés par l'autre.

Il faut qu'un débitant de boisson soit bien pauvre pour ne pas payer en tout 10 francs pour sa patente et sa contribution personnelle.

Le voilà donc électeur à la commune ; et portant le trouble dans les élections communales, si le bourgmestre a voté l'impôt sur les boissons au conseil provincial.

Plus loin l'honorable ministre dit :

« Qu'ont fait depuis les conseils provinciaux ? Sept ou huit sur neuf conseils ont aboli les barrières et pour rétablir l'équilibre dans les finances provinciales, ils ont frappé des centimes additionnels sur l'impôt foncier, sur l'impôt personnel et sur la patente. »

Messieurs, cela est inexact, du moins en ce qui regarde la province de Liège.

Nous avons aboli les barrières provinciales, mais nous n'avons pas augmenté l'impôt foncier.

Nous avons prélevé un impôt sur les ports d'armes et sur les voitures et cela avec raison, parce que ce sont les personnes à équipages, châtelains et chasseurs, qui usent le plus largement des routes et qui profitent naturellement de l'abolition des barrières.

Quant à un centime et demi additionnel sur le foncier, sur le personnel et sur les patentes, nous l'avons établi en 1865, pour satisfaire aux besoins croissants de l'instruction primaire.

Mais, messieurs, il est une chose que l'honorable ministre des finances a oubliée et qui n’est pas sans importance.

Aujourd'hui, c’est à l'Etat qu'incombe la charge de dresser les rôles et de percevoir le droit de débit de boissons et de tabac.

Si vous transférez le droit aux provinces, celles-ci seront obligées de créer, à grands frais, des bureaux de perception.

Vous ne pouvez obliger les communes à prélever pour les provinces un impôt qui sera considéré comme odieux et vexatoire, et dont on ne manquera pas de faire remonter l'initiative de la mesure à ceux qui palperont directement l'argent.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je le ferai pour elles.

M. d'Andrimont. - Je ne sais pas comment vous vous y prendrez ; en tout cas, je tiens à vous signaler les inconvénients de la perception par la province.

J'ai toujours été adversaire d'une surtaxe sur les boissons alcooliques et, au conseil provincial de Liège, j'ai attaqué, en 1865, le projet de la députation permanente tendant à grever encore de centimes additionnels le débit de boissons et de tabac, et une des raisons que je donnais à l'appui de ma thèse était celle de la difficulté de la perception de cette taxe.

Et si vous le permettez, je vous rappellerai les paroles que j'ai prononcées à cette occasion, elles peuvent s'appliquer aux circonstances présentes :

« Considérons maintenant l'impôt qu'on vous propose au point de vue de la perception : il doit, sous ce rapport, coûter le moins cher possible.

« Eh bien, messieurs, contrairement au principe que nous venons d'énoncer, la perception des additionnels sur le droit de débit de boissons et de tabac sera excessivement onéreuse. Le gouvernement n'a pas voulu se charger de la recette pour la ville de Liège. Il paraît que pour la province il en serait différemment, suivant la lettre que le ministre de l'intérieur a écrite à la députation. Or, messieurs, j'ai lu cette lettre, je l'ai examinée et commentée, et j'en ai tiré ceci : Le receveur percevra les fonds, c’est vrai, mais vous serez tout de même obligés d'établir des rôles, de faire des avertissements spéciaux, comme cela se pratique pour la taxe sur les chiens.

« Voyons les difficultés pratiques. Vous aurez 14,000 avertissements qui rapporteront 26,000 francs ; je prends les chiffres ronds. Chaque avertissement sera donc en moyenne de 1 fr. 85 c. Ces 14,000 petits papiers vont circuler dans la province, et viendront s'ajouter aux petits papiers que vous distribuez déjà pour les chiens, aux petits papiers que le gouvernement envoie pour les boissons et pour le tabac, aux petits papiers spéciaux de l'administration communale de Liége.

« Et les frais, à combien s'élèveront-ils ? Le calcul en est facile à faire. Ces rôles coûtent 15 francs par mille pour leur confection, il faut compter en outre les frais d'impression des rôles, les frais des avertissements, extraits des rôles, les frais de distribution, les frais de recouvrement (3 p. c.) ; les frais d'impression des journaux que doit tenir le receveur, les frais du timbre de ces journaux, les frais des comptes à rendre par les receveurs, etc., etc.

« Un grand nombre de cotes se couvriront par les frais : le contribuable n’est pas obligé de payer l'impôt pour l'année entière. Il peut demander un débit de tabac de 6 francs pour six mois, pour trois mois : calculez ce que font 13 1/2 centimes additionnels sur le quart d'un débit de tabac, sur 1 fr. 30 c. ; vous aunre un avertissement pour 19 1/2 centimes : quel est le garde champêtre qui voudra se donner la peine de porter un avertissement pour une pareille somme ? Quelles difficultés, quelles vexations pour en opérer la rentrée ! En outre, un contribuable n’est pas tenu de payer pour toute l'année. Au bout de six mois, il peut déclarer qu'il renonce au commerce de boissons, de tabac, et demander la restitution des trimestres restants.

« Vous voilà obligés de faire des papiers, des écritures, des rôles, pour restituer, peut-être, 19 1/2 centimes.

« Je dis qu'il faut, pour qu'un impôt soit bon, que la perception en soit peu onéreuse. N’est-ce pas une des fortes raisons qu'on a données pour l'abolition des octrois, que leur perception absorbait le quart au moins du produit ? La nouvelle taxe sera donc sujette à de grands inconvénients de ce côté.

« Les difficultés de la perception lui donnent le cachet vexatoire dont nous avons parlé tantôt. »

Et le gouvernement, tenant compte de la difficulté de cette perception, consentit à dresser les rôles et à prélever lui-même les additionnels à la taxe des boissons alcooliques.

Je me demande comment on va faire, et pour ma part je ne serais pas étonné, connaissant les sentiments du conseil provincial de Liège, des le voir, au lieu d'augmenter l'impôt sur les boissons, supprimer les 13 1/2 additionnels sous le prétexte très juste et très fondé que les frais de perception d'un semblable impôt ne sont pas en rapport avec les produits à recueillir.

Examinons maintenant la question au point de vue des conséquences qu'aura la nouvelle loi des impôts sur l'avenir des grandes villes. L'influence est double. D'une part, on supprime une recette certaine, la taxe sur les constructions et reconstructions à laquelle avaient un droit légitime les grandes villes qui font tant de sacrifices pour l'hygiène, pour l'instruction publique et qui contribue dans une large mesure à la prospérité morale et matérielle de la Belgique ; d'autre part on surcharge les seules bases d'impôt dont elle puisse encore tirer des ressources pour faire face à de nouveaux besoins.

L'honorable ministre aura beau dire, on enlève à Bruxelles 79,000 francs, à Liège 69,000 francs, à Gand, 71,000 francs et à Verviers, 14,000 francs.

Oh ! je sais l'objection qu'on va me faire. On me dira : Ces sommes vous les perdez par fractions et vous ne commencerez à payer qu'en 1874. En 1874, nous payerons pour Liége, par exemple, 14,000 francs ;en 1875, nous payerons 28,000 francs, et puis 42,000 francs, et ainsi de suite ; mais la huitième année, nous perdrons non seulement 70,000 francs de recette, mais une somme bien supérieure, attendu que cette taxe est d'une nature essentiellement progressive et qu'elle commence seulement à rapporter à la ville de Liège, depuis que nous y créons de nouveaux quartiers ; mais dans huit ans, au lieu de 70,000 francs, c’est 120,000 francs que cet impôt nous vaudra.

Et ces 120,000 francs qui nous les rendra ?

On nous fait bien entrevoir que, dans un avenir plus ou moins éloigné, nous aurons notre part du fonds communal et que nous récupérerons d'une façon indirecte notre taxe sur les hausses, exemptées temporairement en vertu de la loi de 1828. Mais cet avenir est fort éloigné ; j'en appelle à l'honorable M. Frère, dans les hautes connaissances financières de qui j'ai plus de confiance que dans le génie fiscal de l'honorable M. Jacobs.

Le fonds communal, en 1871, sera 83 1/2 p. c.

Il faut qu'il arrive à 104 p. c. pour atteindre la quote-part qui a été fixée par la loi de 1860 et qui revient à la ville de Liège. Or, le fonds communal subit les fluctuations de la politique intérieure et extérieure, et, pour (page 1466) arriver au chiffre de 104 p. c, il faudra encore bien des années. Que feront d'ici-là, les villes de Liège, de Gand, de Bruxelles ? Je n'en suis vraiment rien. La situation me paraît excessivement grave ; et, pour vous la faire entrevoir, je vais me permettre de faire, aussi brièvement que possible, l'exposé de la situation financière de la ville de Liège. Ce sera pour nous, messieurs, un amer sujet de réflexion.

En 1860, la ville de Liège percevait :

1° Les 7 centimes additionnels à la contribution foncière et à la personnelle accordés aux communes par la loi du 21 juillet 1821, soit, fr. 43,000

2° 4 centimes additionnels à la contribution personnelle pour le service de l'emprunt de 7,200,000 francs, fr. 16,000

3° 10 centimes additionnels à toutes les contributions, fr. 78,000.

Total, fr. 137,000 La commune possédait, en outre, les taxes suivantes, d'un produit de fr. 100,000 :

A. 2 p. c. sur le revenu cadastral des propriétés immobilières, soit 20 centimes additionnels au principal de la contribution foncière ;

B. 1 1/4 p. c. sur la valeur locative imposable de toutes les propriétés de la commune, soit 29 centimes additionnels au principal de l'Etat ;

C. Un impôt de 29 centimes additionnels au principal de l'Etat sur les chevaux ;

D. 29 centimes additionnels au principal du revenu de l'Etat sur les domestiques ;

E. 2 p. c. du revenu cadastral des propriétés exemptes de la contribution foncière en vertu de la loi du 28 mars 1828 ;

F. Un impôt sur les voitures de luxe, savoir : de 6 francs sur les voitures à deux roues et de 12 francs sur les voitures à quatre roues.

Ces impôts réunis étaient évalués à la somme de 220,000 francs, chiffre rond, et ne rapportaient en 1860 que 186,345 fr. 52 c.

En 1861. - Les taxes de 1860 furent maintenues et la ville porta à son budget sa quote-part dans le fonds communal créé à la suite de l'abolition de l'octroi, soit 1,267,62 fr. 98 c.

En 1862. - Il n'y eut pas de modification.

En 1863. - La nécessité d'améliorer le régime financier de la commune, d'équilibrer les budgets et de faire face à l'augmentation des dépenses ayant été reconnue, le conseil majora de 200,000 francs les taxes locales et leur produit atteignit ainsi la somme de 440,000 francs, qui se répartit comme sait :

A. 50 centimes additionnels à toutes les bases de contributions directes de l'Etat : foncier, personnel et patente, y compris les 7 centimes additionnels accordés aux communes par la loi du 12 juillet 1821 : fr. 410,000

B. 10 p. c. sur le revenu cadastral des propriétés exemptées temporairement de la contribution foncière en vertu de la loi du 28 mars 1828 : fr. 30,000

La combinaison ci-dessus, dont le résultat amena, comme je l'ai dit, une augmentation de ressources permanentes de 200,000 francs, eut pour effet d'abolir les impôts communaux existant en 1862 et qui frappaient inégalement les diverses bases des contributions.

\1864. - Il n'amena pas de changements dans les taxes, mais leur revenu put être porté de 440,000 à 500,000 francs.

Cette augmentation provenait de l'impôt sur les propriétés exemptées de la contribution foncière, prévu en 1835 pour 30,000 francs et qui produisit 70,000 francs, et d'une progression naturelle des autres taxes.

Le 10 juin 1864, le conseil décida qu'un taxe proportionnelle à celle payée par les patentables soumis au régime commun serait perçue sur toutes professions, commerces ou industries qui, pour une cause quelconque, ne tombent pas, même temporairement, sous l'application de cette taxe locale, quoique non spécialement exemptés du droit de patente.

Cette taxe frappe notamment les sociétés anonymes ayant leur siège en dehors de la commune ; mais elle n'atteint que les bénéfices réalisés par les établissements ou agences de Liège.

Le 25 novembre 1864, le conseil remplaça les 50 centimes additionnels à la contribution foncière par 6 p. c. du revenu cadastral et transforma ainsi en impôt de quotité un impôt de répartition.

Ce changement donna une augmentation de recette d'environ 35,000 fr.

C'est dans la même séance du conseil qu'il fut résolu que la ville percevrait, à titre de charge locale, 50 centimes additionnels : 1° au droit de débits de tabacs, cigares et boissons alcooliques, et 2° aux redevances fixes et proportionnelles des mines.

Ensuite des résolutions susmentionnées, le budget de 1865 comprit sous la rubrique centimes additionnels et taxes locales :

1° 50 centimes additionnels sur les impositions directes perçues par l'Etat pour les patentes et la contribution personnelle et taxes locales à charge des sociétés anonymes ayant leur siège en dehors de la commune : fr. 320,000

2° 10 p.c. sur le revenu cadastral des propriétés exemptées temporairement de l'impôt foncier : fr. 65,000

3° 6 p. c. sur le revenu cadastral des immeubles imposés à l'Etat : fr. 150,000

4° 30 centimes additionnels aux débits de tabacs, cigares et boissons et aux redevances des mines : fr. 31,000

Total : fr. 566,000.

Le budget de 1866 n'apportera aucun changement au système des taxes ; la recette prévue fut évaluée à 600,000 francs.

En 1867, on maintint les impositions de l'exercice précédent, qui furent portées au budget pour 615,000 francs.

L'impulsion donnée aux travaux publics, à l'hygiène, à l'instruction, nécessitèrent la création d'impôts nouveaux pour l'exercice 1868.

Les nouvelles charges demandées à la population s'élevèrent à 400,000 francs et portèrent ainsi le chiffre des taxes communales à 1,004,445 francs (produit présumé), qui se subdivisa de la manière suivante :

A. 50 centimes additionnels sur les impositions directes perçues par l'Etat pour la patente et la contribution personnelle et taxes locales à charge des sociétés anonymes ayant leur siège en dehors de la commune (344,745 francs) ;

B. 12.60 p. c. (au lieu de 10 p. c. perçus précédemment) sur le revenu cadastral des propriétés bâties exemptées temporairement de la contribution foncière en vertu de la loi du 28 mars 1828 (147,000 francs) ;

C. 5 p. c. sur le revenu cadastral des autres immeubles situés dans la commune (264,400 francs).

(En 1868 eut lieu la mise en vigueur de la nouvelle péréquation cadastrale. - Le revenu des propriétés bâties et non bâties qui, en 1865, était de 2,498,230 fr. 14 c. (ancien revenu), atteignit, pour la même année (nouveau revenu), (5,131,926 fr. 49 c) ;

D. 50 centimes additionnels au principal des débits de cigares, tabacs et boissons alcooliques (24,600 francs) ;

E. 100 centimes additionnels (au lieu de 50) au principal des redevances fixes et proportionnelles des mines (28,000 francs) ;

F : 25 centimes additionnels supplémentaires au mobilier et à la valeur locative (19,000 francs) G. 50 centimes additionnels supplémentaires :

1° Sur les chevaux de luxe et mixtes ;

2° Sur les sociétés anonymes ayant leur siège en cette ville ou au dehors, soit, comme je le disais hier, en l'interrompant, à M. le ministre des finances, 100 centimes additionnels sur certaines bases d'impôt direct ;

3° Sur les banquiers, agents de change, commissionnaires en fonds publics etc. ;

4° Sur les notaires (18,900 francs) ;

H. Taxe sur les domestiques mâles (5,700 francs) ;

I. - sur les voitures (7,000 francs) ;

J. - sur les chiens (10,000 francs) ;

K. - sur les balcons (4,500 francs) ;

L. - sur les avocats (4,000 francs) ;

M. - sur les industriels (18,000 francs) ;

N. - sur les constructions et les reconstructions (55,000 francs) ;

O. - sur les assurances (25,000 francs).

Les taxes ci-dessus ont été maintenues en 1869.

En 1869, le montant des centimes additionnels aux bases directes et au produit des taxes locales de la ville de Liège s'est élevé à 1,007,700 francs.

En 1860, il était de 186,545 fr. 52 c. ; soit une différence en plus de 821,154 fr. 48 c.

La progression annuelle moyenne est donc de 82,115 fr. 48 c. Nous joignons, du reste, comme annexe à notre discours, un tableau de la progression de nos impôts de 1860 à 1869 inclus. [ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée].

(page 1467)

Ce qui, comme je l'ai dit tantôt, porte le chiffre des contributions directes de la ville de Liège à 1,007,700 francs.

Or, en 1860, les contributions directes de la ville de Liège s'élevaient à 186,515 fr. 52 c.

Il y a donc eu, en dix ans, une augmentation d'impôts de 821,155 francs ; ce qui fait 82,115 francs par an.

Et c'est ce moment que l'on choisit pour la dépouiller encore d'une recette de 70,000 francs !

Le budget de la ville de Liège, en 1871, se solde par un chiffre de :

Recettes ordinaires, fr. 3,119,494 64.

Dépenses ordinaires , fr. 3,070,145 58.

L'excédant ne s'élève qu'à fr. 49,349 06.

Et qu'on ne vienne pas prétendre que les deniers de la commune ont été dilapidés, que nos dépenses n'ont pas été utiles.

Pour l'instruction primaire seule, la ville de Liège a dépensé, en dix ans, une somme de 3,231,323 fr. 10 c. Nous avons reçu comme subside, il est vrai, et pour droits d'écolage une somme de 776,939 fr. 67 c., de sorte que l'excédant de charges pour la commune est de 2,454,383 fr. 43 c.

Nous avons assaini la ville, en perçant de nouvelles rues partout ; nous l'avons rendue plus salubre en la bordant de quais, en y faisant des canaux, en creusant, le long de la Meuse, un égout collecteur, en la dotant d'une distribution d'eau alimentaire, en créant des squares, des promenades pour le peuple.

Il reste encore beaucoup à faire ; aussi laisserons-nous au gouvernement la responsabilité de la situation fâcheuse dans laquelle il va placer les villes, par les entraves qu'il apporte à leur régime financier.

N'oubliez pas que les grandes villes font la gloire et l'honneur de la Belgique ; que ce sont elles qui sont la source principale de notre prospérité ; qu'en comprimant leur essor, vous portez préjudice au pays tout entier ; que le mal qu'on leur fait se propage de proche en proche et que tout le monde en souffre.

Messieurs, l'honorable M. Jacobs, pour créer de nouveaux impôts, n'a pas eu à se creuser longtemps la tête. Son esprit financier est, paraît-il, à l'état latent ; il a perdu une belle occasion de se produire. ! Quoi de plus simple, en effet, pour balancer une perte de revenus, que d'ajouter quelques additionnels aux impôts existants ?

Si les impôts étaient parfaits, s'ils ne soulevaient aucune critique, on excuserait peut-être cette façon primitive de procéder. Mais loin delà ; l'impôt personnel et l'impôt des patentes sont des impôts critiqués par tout le monde, condamnés depuis longtemps.

Ces impôts sont injustes ; ils créent des inégalités choquantes. Ils ne sont plus en rapport avec nos mœurs. Ils ont été établis à une époque où le commerce et l'industrie étaient à l'état naissant. Tout le monde, et M. le ministre lui-même, reconnaissent que ces bases doivent être changées. Mais cela ne l'empêche pas, pour satisfaire de mesquines vues politiques, de développer l'injustice et de rendre plus sensibles les inégalités.

Celte façon de procéder est vraiment étrange, inexplicable. Si le gouvernement a besoin de nouvelles ressources, ce n'est pas aux impôts directs qu'il doit les demander : il doit les chercher ailleurs. Il a plusieurs cordes à son arc, les villes n'en n'ont pas ; il peut, n'étant pas continuellement en contact avec les populations, il peut prendre telle mesure qui lui convient, quels que vif que soit le froissement de grands intérêts personnels.

Mais l'honorable M. Frère n'a-t-il pas eu le courage, lui, de prélever de forts impôts et sur les sucriers, et sur les distillateurs, et sur les brasseurs ? Il a osé frapper d'un droit les successions en ligne directe. Ces gens-là n'ont-ils pas crié ?

L'honorable M. Frère eût-il pu agir aussi franchement si, au lieu de siéger sur le banc des ministres, il avait fait partie du collège échevinal d'une grande ville ? Aurait-il pu créer de semblables impôts ? Evidemment non.

Enfin, messieurs, si l'Etat pressure les contributions personnelle et foncière, ainsi que les patentes, que va-t-il rester aux villes ?

La malheureuse France, messieurs, l'a si bien compris que, ayant besoin de 434 millions, elle s'est adressée à l'impôt indirect, sans demander la moindre chose à l'impôt direct. Elle n'a rien prélevé sur le foncier, ni sur le personnel, ni sur la patente. Elle sait très bien que ce sont à peu près les seules bases principales dont puissent disposer les villes obérées, elles aussi, pour se créer de nouvelles ressources.

Ce sont les tabacs qui payent ; c'est l'impôt sur le papier ; ce sont les droits sur les assurances, sur le pétrole, sur les matières brutes, - les contributions indirectes dans toute l'acception du terme, - et l'augmentation du droit sur les débits de boissons, toutes contributions dont il est inutile de vous donner la nomenclature, car vous la trouverez dans les journaux.

Mais il est incontestable que, dans tous ces impôts, vous ne trouverez pas un seul impôt direct : ce sont tous impôts indirects,

Messieurs, je dis que l'impôt foncier et l'impôt personnel ne doivent pas être pressurés par l'Etat outre mesure et je le prouve.

J'ai ici deux tableaux qui sont excessivement intéressants.

Je me permettrai, pour ne pas entrer dans un trop long exposé de chiffres, de faire publier ces deux tableaux aux Annales, parce qu'ils méritent d'être consultés [ces tableaux, non repris dans la présente version numérisées sont insérés aux pages 1469 et 1470] ; ils portent avec eux un utile enseignement.

Messieurs, on ne peut juger des conséquences que produiront les mesures prises par le gouvernement que par des exemples pratiques ; je vais donc en citer encore un.

Le quartier de la ville de Liège compris entre le faubourg Saint-Gilles, le boulevard et le quai d'Avroy, jusqu'à la chapelle du Paradis et le chemin de fer de l'Etat, d'une surface de 72 hectares environ, ne se composait, il y a environ trente ans, que de ruelles du Bas-Laveu, d'Hemricourt, du Paradis, du Saint-Esprit et Jonckeur, que la ville a fait élargir, canaliser, paver, éclairer, doter d'une distribution d'eau et de trottoirs, presque exclusivement à ses frais.

Dans ce même quartier, la ville a fait ouvrir plus de vingt rues et créé deux places.

Les canaux, le pavage, les trottoirs, l'éclairage et la distribution d'eau ont été établis dans ces nouvelles voies de communication aux frais de la ville. Les propriétaires n'ont que rarement abandonné leurs terrains pour l'assister.

La ville a dépensé de ces divers chefs 2,300,000 francs.

Avant l'élargissement des ruelles et l'ouverture des nouvelles voies de communication, l'Etat ne percevait en impôt foncier et personnel que la somme de 42,000 francs. Les terrains ne se vendaient presque pas à cette époque.

Par la largeur que la ville a donné aux voies de communication dont il s'agit, par les ouvrages indispensables sous les rapports de la salubrité et de la sûreté dont elle les a dotées, on y a élevé des habitations ayant d'élégantes façades, de nombreuses fenêtres et portes, des foyers, eu un mot des habitations de luxe et de confort, et le chiffre de 42,000 francs s'est successivement élevé, jusqu'au 31 décembre 1870, à 186,000 francs pour les impôts directs de l'Etat.

Ajoutez à cela les droits perçus par l'Etat et qu'il perçoit toujours pour les ventes et mutations : les droits d'enregistrement, d'hypothèque, etc., et l'on peut hardiment porter la recette assurée opérée depuis à 50,000 fr.

J'ai fait dresser le tableau des impôts perçus dans le quartier du Sud, quartier dans lequel se trouve la localité dont je viens de vous entretenir. L'Etat, en 1860, percevait 408,357 francs pour le foncier, le personnel et les patentes ; en 1870, il a prélevé 536,979 fr. 33 c, différence : 128,621 francs, c'est-à-dire une progression d'impôt de 53 p. c, dans un quartier neuf, où l'on bâtit encore et pour lequel, je le répète, l'Etat n'a pas dépensé un centime.

Messieurs, quand la ville, en vertu de la loi d'expropriation, a créé de nouvelles voies de communication, elle espérait récupérer une partie de ses dépenses par la taxe sur les bâtisses, et quand nous avons acheté l'île du Commerce un million, chiffre assez élevé, nous espérions recueillir par cette même taxe une compensation.

N'y a-t-il pas, vis-à-vis de la ville de Liège, une espèce d'engagement moral ? Lorsqu'on nous a vendu l'île du Commerce pour un million, cet impôt existait.. Le gouvernement nous met donc dans une situation plus fâcheuse que celle où nous nous trouvions alors. Et notez que cette île du Commerce, nous l'avons toujours sur les bras ; nous ne savons quel parti en tirer ! Il y a là une question d'équité, qu'on pourrait résoudre en décidant que les constructions qui s'établiront dans les rues percées en vertu de la loi d'expropriation publique, ainsi que celles qu'on élèverait sur l'île du Commerce continueront à payer à la ville et non à l'Etat la taxe sur les constructions nouvellement bâties et exonérées en vertu de la loi de 1828.

Messieurs, tout le monde est d'accord sur un point : c'est que, comme je viens de le dire, la propriété foncière et la propriété mobilière, dans les villes, augmentent en raison directe des dépenses qu'elles font pour les travaux d'embellissement et d'hygiène. C'est à elle donc, bien plus qu'à l'Etat, à retirer des bases d'impôt foncier et personnel la plus large part de produits.

(page 1468) A la rigueur, l'impôt foncier et personnel devrait être le principal pour les villes, et l'Etat ne devrait en profiter qu'au moyen de centimes additionnels.

Il faudrait, en un mot, intervertir les rôles.

En fait, du reste, cela ne tardera pas à se produire.

Sur le foncier, la ville de Liège prend 5 p. c. du revenu cadastral et l'Etat 7 p. c.- 2 p. c. les sépare.

Sur le personnel, nous prenons 75 p. c. en certains cas et 100 additionnels en d'autres.

Il en est de même du droit de patente.

Le moment n'est donc pas éloigné où les villes, à bout de ressources, grâce au gouvernement actuel, qui les entraîne au déficit, s'adresseront au foncier, à la contribution personnelle et à la patente, pour en retirer les mêmes produits que l'Etat ; à moins qu'elles n'abordent courageusement la révision de la contribution personnelle, qui, en répartissant plus équitablement les charges, pourrait produire plus que ne rapporte actuellement cet impôt, tel qu'il est perçu par le gouvernement.

Messieurs, on tire à boulets rouges sur les villes importantes, Gand, Bruxelles et Liège. Ce sont elles qui ont les plus lourdes charges, qui assument toute la responsabilité et qui sont exposées aux plus grandes éventualités, et ce sont elles aussi qui sont chargées d'alimenter la caisse des petites communes : la loi qui abolit les octrois en est une preuve.

- Un membre. - C'est le contraire !

M. d'Andrimont. - Que nous alimentions la caisse des petites communes, que nous alimentions la caisse de la province, du moment qu'on reste dans de justes limites, j'y consens ; mais que nous remplissions encore, par-dessus le marché, la caisse de l'Etat, cela me paraît souverainement injuste.

Vous dites que nous n'alimentons pas la caisse de la province et, par suite, la caisse dés communes rurales, puisque les provinces, elles aussi, vont à leur secours par de larges subsides.

Mais, messieurs, je n'avance jamais un fait sans pouvoir mettre la preuve à l'appui.

J'ai fait dresser un tableau des impôts perçus à Liège au profit de la province depuis dix ans et j'ai également fait faire le relevé de ce que la ville a reçu, depuis dix ans, comme subsides.

Ces tableaux, je les ferai imprimer aux Annales [inséré à la même page des Annales et non repris dans la présente version numérisée].

Eh bien, messieurs, on a perçu sur la ville de Liège, au profit de la province depuis dix ans, la somme de 1,233,143 fr. 98 c ; et savez-vous ce la provînce nous a rendu sous forme de subsides ? 194,217 fr. 2 c. !

La part d'intervention de la ville de Liège dans la dépense générale de la province a été de 1,038,926 fr. 96 c, c'est-à-dire que la ville n'a récupéré qu'un sixième de l'argent que l'on a pris hors de la poche des contribuables liégeois, que les cinq autres sixièmes ont servi à doter les communes rurales de routes, d'écoles, à réparer et à construire des églises, etc., etc.

M. de Naeyer. - Tout le monde a payé dans la même proportion.

M. d'Andrimont. - J'ai dit que c'est la somme perçue dans la ville de Liège seule qui, en dix ans, s'est élevée à 1,233,145 fr. 98 c, et que la part d'intervention de la ville dans les subsides accordés aux autres communes de la province s'élève à 1,038,926 francs, et ce chiffre, je l'avoue, dépasse les bornes en bonne justice distributive.

Messieurs, votre but nous le connaissons. Votre plan, -l'expression est un peu vive, mais elle rend parfaitement ma pensée, - votre plan est machiavélique.

Nous allons l'exposer tout crûment.

Vous venez de faire voter de force et non de bon gré, car il y avait de très vives répugnances à droite, une loi électorale dont les effets peuvent être pernicieux pour le pays, compromettre gravement nos institutions.

M. De Lehaye. - Vous avez dit qu'il y aurait des émeutes.

M. d'Andrimont.-Alea jacta est ! avez-vous dit, le sort en est jeté !

Que vous importe, à vous, du reste, les destinées du pays, les destinées des grandes villes ?

M. De Lehaye. - Autant qu'à vous. A l'ordre i

M. d'Andrimont. - Votre patrie est Rome, vos lois sont celles du Syllabus.

- Plusieurs voix à droite. - A l'ordre !

M. le président. - M. d'Andrimont, je ne puis laisser passer les paroles que vous venez de prononcer. Il n'est pas permis de dire à un seul membre et, à plus forte raison, à une fraction de la Chambre, surtout lorsqu'elle est majorité, qu'elle ne s'intéresse pas aux destinées de la nation et de ses institutions.

M. d'Andrimont. - Mon expression, M. le président, est parfaitement juste et je ne la retirerai pas.

M. le président. - Si vous ne retirez pas vos paroles, je serai obligé, bien malgré moi, de vous rappeler à l'ordre.

- Plusieurs membres. - Laissez-le s'expliquer.

M. d'Andrimont. - J'ai dit ce qui est l'expression fidèle de ma pensée !

M. De Lehaye et M. Vermeire. - Cela ne peut être dans votre pensée !

- Voix nombreuses à droite. - A l'ordre !

M. le président. - M. d'Andrimont, vous n'avez donné aucune explication. Je vous rappelle à l'ordre.

M. Bara. - M. Dumortier a été rappelé à l'ordre si souvent !

M. d'Andrimont. - Vous voulez faire produire à la nouvelle loi électorale tous ses effets avantageux pour les campagnes ignorantes et fâcheux pour les grandes villes.

Vous ne vous contentez pas d'amener au scrutin des gens qui, pour la plupart, n'ont pas toutes les garanties de capacité...

M. Vermeire. - Bien plus que ceux des villes.

M. d'Andrimont.- Il faut que vous rendiez impopulaires ces administrations communales qui, depuis de longues années, se dévouent pour gérer les affaires des grandes villes. Vous leur enlevez brusquement un revenu certain et, pour combler le déficit qui résulte de l'exclusion des cabaretiers du corps électoral, vous voulez les obliger à surcharger certaines bases d'impôt !

Vous mettez les villes de Bruxelles, de Gand et de Liège dans la nécessité de faire un appel aux contribuables à la veille d'une dissolution des conseils communaux et vous aurez soin de faire attiser le feu électoral par vos amis qui, dans les meetings, s'élèveront contre la dilapidation des deniers publics : suivant votre exemple, ils signaleront les économies à faire et, qu'une fois au pouvoir, ils se garderont bien de réaliser.

Vous espérez qu'avec ces belles promesses, vous prendrez les populations à la glu.

Le but que vous voulez atteindre et par votre loi d'impôt et par votre intempestive loi électorale, c'est le renversement des administrations communales des grandes villes, parce qu'elles sont libérales.

Prenez-y garde, messieurs, vous qui prétendez être conservateurs, ce que vous voulez faire c'est une quasi-révolution, et les révolutions, dans quelque sens qu'on les prépare, ne tournent pas toujours au profit de ceux qui les commencent.

M. De Lehaye. - La révolution de 1857 c'est vous qui l'avez provoquée !

(page 1459) M. Anspach. - Le discours que vous venez d'entendre peut se résumer dans quelques vérités qui sont incontestables.

Depuis la loi de 1860, abolitive des octrois, les grandes communes ont leur situation financière embarrassée. Il est évident que, depuis un certain nombre d'années, les grandes communes trouvent difficilement de quoi faire face aux travaux de tout genre que leur impose le progrès de la prospérité publique.

Dans ces conditions, est-il sage, est-il prudent d'enlever aux grandes villes un revenu qui est entré dans leur patrimoine ? Si les communes avaient à leur disposition des moyens simples d'imposer leurs habitants, on concevrait que le gouvernement reprenne l'impôt foncier sur les propriétés nouvellement bâties.

(page 1460) Mais il faut prendre la situation telle qu'elle est. Les grandes villes ont été jusqu'à l'extrême limite de ce qu'elles pouvaient raisonnablement faire dans le sens de l'impôt, et malgré cela elles ont de la peine à faire face aux services publics : c'est ce moment que l'on choisit pour venir leur enlever une partie de leurs ressources.

Il suffit de jeter les yeux sur les budgets des grandes villes pour voir la vérité de ce que j'avance.

Comme on vous le disait tout à l'heure, les administrations des grandes villes n'ont pas manqué de courage ; celle de Bruxelles notamment n'a pas hésité à compromettre sa force, sa popularité, en augmentant les impôts communaux.

C'est ainsi qu'en 1866 la ville de Bruxelles a d'un seul coup doublé et au delà les impôts communaux. Peut-on après cela obliger l'administration communale de Bruxelles à créer de nouvelles ressources et à surcharger encore les habitants ; peut-on lui prendre un impôt qui n'était qu'en voie de formation et qui présentait des espérances considérables pour la ville ?

Il y a ici une réflexion à faire sur la situation des grandes villes par suite du projet en discussion ; celles qui sont frappées (je n'accuse pas le gouvernement de rechercher cela dans ses combinaisons), celles qui sont frappées, ce sont les villes libérales : Anvers et Namur ne sont pas atteintes par la réforme ; elles ne perdent rien, elles seront dans une situation meilleure après la réforme qu'avant, tandis que les villes de Bruxelles, de Liège, de Gand et de Verviers, au contraire, se trouveront dans une situation très défavorable en ce sens qu'elles auront perdu une partie de leurs revenus ordinaires. On dirait vraiment que le gouvernement a voulu frapper les villes libérales et préparer la perte des administrations qui les dirigent afin de pouvoir les remplacer par des administrations cléricales et orthodoxes.

Messieurs, l'honorable M. d'Andrimont a singulièrement facilité ma tâche et je ne veux pas refaire ici son discours. Je ltens cependant à vous montrer la situation spéciale dans laquelle se trouve la ville de Bruxelles.

J'ai souvent, messieurs, eu l'occasion de dire à la Chambre que Bruxelles est la seule capitale de l'Europe qui ne jouit pas de subsides importants du gouvernement pour des nécessités de premier ordre, pour l'enseignement, pour la police, pour bien d'autres services encore.

Eh bien, Bruxelles, à côté de cette situation spéciale comme capitale, a encore une situation exceptionnelle comme commune. Elle est environnée, sans en être séparée autrement que par des limites purement fictives, et qui, bien souvent, ne sont que l'axe d'une rue, elle est, dis-je, environnée de grandes communes suburbaines ayant à peu près le même aspect et offrant, comme habitations, les mêmes avantages que la capitale elle-même. Et cependant, les habitants de ces communes, qui jouissent des fruits de toutes les dépenses faites par la capitale, ne participent en rien aux charges que ces dépenses nécessitent.

Tout au contraire, il se trouve que, depuis la loi abolitive des octrois, la répartition du fonds communal faite à ces communes a eu pour résultat de dégrever leurs habitants.

Il y avait, dans presque toutes nos communes suburbaines, ce qu'on appelait l'impôt de capitation ; cet impôt a disparu. Pourquoi ? Parce que les communes suburbaines ont eu, dans le fonds communal, une part qui leur a permis de renoncer à cet impôt. Bruxelles, au contraire, voyait ses ressources arrêtées exactement au chiffre où était parvenu, en 1860, le produit de son octroi, et s'est trouvé privé de l'augmentation normale, progressive de cet impôt ; tandis que les communes environnantes voyaient s'accroître chaque année leur part du fonds communal.

De telle sorte qu'à mesure que les communes-faubourgs dégrevaient leurs habitants, la capitale, au contraire, était obligée d'accroître les charges des siens.

M. Julliot. - Il faut annexer les faubourgs à la ville.

M. Anspach. - Si l'honorable M. Julliot peut trouver un moyen pratique et acceptable, non seulement de ce côté de la Chambre mais encore de l'autre, de réaliser cette annexion, je m'y rallierai bien volontiers.. Pour le moment, je constate la situation la plus injuste qui se puisse imaginer dans notre pays. II me suffira de vous en citer un exemple :

Il y a, à l'avenue de la Toison d'Or, d'un côté, de splendides hôtels, des habitations princières, de l'autre, au boulevard de Waterloo, de modestes habitations. Eh bien, il se trouve que ceux qui habitent ces palais ne sont pas imposés, tandis que les habitants de l'autre côté, situés sur le territoire de Bruxelles, ont à supporter des charges considérables.

Je vous le demande, messieurs, n'est-ce pas là une injustice flagrante ?

Le moyen indiqué par l'honorable M. Julliot pour la faire cesser serait, à coup sûr, le meilleur, mais je doute fort qu'il soit facile de la mettre en pratique.

Quoi qu'il en soit, cette injustice crée à la ville de Bruxelles une situation sur laquelle j'appelle toute l'attention de la Chambre.

Peut-être M. le ministre dis finances nous dira-t-il : SI Bruxelles et d'autres villes encore ont besoin de 100,000, de 200,000 francs, qu'elles pouvaient espérer de la progression normale du produit de l'octroi, que ces villes créent d'autres impôts.

Eh bien, messieurs, je crois que la ville de Bruxelles est arrivée à la dernière limite des impositions, et que si elle les augmentait encore, il pourrait fort bien en résulter un effet diamétralement opposé à celui qu'elle espérerait d'une pareille mesure ; et cela, messieurs, par la raison bien simple que la création à Bruxelles d'un impôt qui n'existerait pas dans les faubourgs aurait vraisemblablement pour résultat de provoquer une émigration de la capitale vers les communes suburbaines.

Il est évidemment tout aussi agréable d'habiter soit le quartier Louise, soit la rue Royale extérieure, que l'intérieur de la ville, et si à l'intérieur on doit payer des impôts considérables dont on peut s'affranchir en franchissant un court espace, si la mesure est adoptée, quel effet aura-t-elle pour la ville de Bruxelles ? Elle favorisera d'une façon notable l'émigration vers les communes voisines, et les recettes de la ville de Bruxelles en seraient diminuées.

Ainsi, pour la ville de Bruxelles, la perte serait irréparable.

Si le gouvernement persiste à vouloir lui enlever cette source importante de revenus, la ville de Bruxelles sera impuissante à s'imposer, quel que fût son désir, de façon à combler le déficit que M. le ministre des finances va faire.

Et cependant la ville de Bruxelles n'a-t-elle pas des titres nombreux pour mériter toute votre sollicitude ? Dans une séance précédente, je vous ai parlé de ses nécessités politiques, et il semblait qu'on était d'accord sur tous les bancs de cette Chambre pour reconnaître que la police de Bruxelles n'était pas seulement une police locale ; mais qu'elle était encore en quelque sorte une police gouvernementale, qui sauvegarde l'ordre dans la première ville du pays, dans la ville où siègent tous les grands corps politiques de l'Etat, dans la capitale du royaume dont l'importance toujours croissante exige des dépenses constamment nouvelles.

Ainsi donc la ville de Bruxelles ne pourra pas plus faire face aux sacrifices que sa situation politique même rend indispensables.

Vous ne désirez pas sans doute que l'herbe pousse dans les promenades de la ville de Bruxelles ; vous voulez sans doute que la ville de Bruxelles ait un caractère de grandeur digne de son rang de capitale ; eh bien, ce rang de capitale nous oblige, je le répète, à nous imposer des dépenses très considérables.

Nous serons dans l'impossibilité absolue de les créer, si l'on nous dépouille de cette ressource, qui était, de sa nature, progressive ; qui ne gênait personne, qui a été approuvée par le gouvernement depuis plusieurs années, et qui a été une des causes pour lesquelles la ville de Bruxelles a consenti aux travaux de l'assainissement de la Senne, parce que la construction des douze cents maisons nouvelles qui devait en résulter aurait créé pour la ville, au bout de quatre ans, un revenu de 300,000 à 400,000 francs.

Voilà la situation qui est faite à la capitale du pays ; si nous protestons de la manière la plus énergique contre la mesure qui va nous frapper, nous le faisons, non pas seulement pour la ville de Bruxelles, mais pour la capitale du peuple belge.

Messieurs, à côté de cette considération qui intéresse plus spécialement la ville de Bruxelles, je veux terminer par une observation qui s'applique à tout le pays.

Est-ce que le gouvernement ne sent pas que la vie communale, que la commune est ici la base et le pivot de toutes les libertés ?L'autonomie communale est un legs précieux que nous tenons de nos ancêtres ; c'est celle à laquelle nous sommes encore plus profondément attachés de cœur et d'âme qu'à la liberté constitutionnelle.

Or, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. d'Andrimont, il est très intéressant que les communes puissent se mouvoir avec une certaine facilité.

Un gouvernement sage et prévoyant ne devrait jamais faire péricliter l'autonomie de ces petits ménages qui forment l'ensemble du pays ; le gouvernement devrait, au contraire, contribuer à ce que cette vie communale se développât avec aisance, surtout dans les grands centres ; en effet, il doit savoir que, quand les communes souffrent, le pays entier souffre au même degré.

C'est parce que le projet de loi en discussion, dans le point spécial que j'attaque, méconnaît cette nécessité élémentaire d'un gouvernement prévoyant, que je lui refuserai mon vote.

(page 1461) M. Le Hardy de Beaulieu. - Bien que l'honorable ministre des finances se soit efforcé dans la dernière partie de son discours à démontrer qu'il ne voulait pas aggraver les impôts existants, qu'il voulait se borner a un simple transfert, il n'en est pas moins vrai, par l'émotion que ses propositions ont fait surgir, que le pays a compris que ces propositions touchent à ses intérêts les plus graves. Un illustre économiste, messieurs, a dit, il y a plus d'un siècle, et je vous prie de méditer ses paroles : « De même qu'il suffît d'abaisser le niveau des eaux au bord de la mer pour découvrir de vastes plages et pour les livrer à l'agriculture, de même il suffit de relever de quelque peu le même niveau pour submerger des plaines aussi vastes et les enlever à l'agriculture, à la production des richesses qui sont l'aliment et la force des nations. »

Il en est de même de l'impôt : il suffit de l'abaisser pour produire des résultats inespérés, de même qu'il suffit de le relever de quelque peu pour porter atteinte aux éléments les plus vitaux des nations.

C'est, messieurs, cette discussion si grave qu'on vient apporter ici à la fin de la session, et non seulement à la fin d'une session excessivement laborieuse, mais dans un moment où généralement nous sommes habitués à rentrer dans nos familles.

Etait-il nécessaire, messieurs, de soulever en ce moment une question aussi importante ? Mais elle est complètement inopportune ; nous devrons la recommencer en novembre prochain, lors de la discussion du budget des voies et moyens.

L'article 111 de la Constitution dit : « Les impôts au profit de l'Etat sont votés annuellement. Les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an si elles ne sont renouvelées. » Nous ne pouvons donc pas dans ce moment voter utilement des impôts dont la durée légale expirerait en juillet 1872.

Nous devrons reprendre ces discussions lors de la discussion du budget des voies et moyens.

Il me semble, messieurs, que la logique et la raison exigent que, la question ayant été soulevée, nous en remettions la discussion au vote du budget des voies et moyens.

Je proposerai donc d'ajourner la discussion actuelle et de la renvoyer au vote du budget des voies et moyens et, dans le cas où ma proposition ne serait pas admise, je me réserve de discuter le projet de loi à fond.

M. le président. - Veuillez me faire parvenir votre proposition écrite.

- M. Le Hardy écrit sa proposition.

M. le président. - Voici la proposition de M. Le Hardy de Beaulieu :

« Je propose d'ajourner la discussion actuelle à la session prochaine. »

- Cette proposition est appuyée.

M. le président. - Cette proposition étant appuyée fait partie de la discussion. (Interruption.) Quelqu'un fait-il une autre proposition ? (Interruption.)

La question est de savoir si la proposition d'ajournement doit suspendre la discussion principale, ou si elle en fera partie.

M. De Lehaye. - Je crois, M. le président, que vous avez parfaitement bien interprété le règlement en disant que la proposition n'interrompt pas la discussion ; elle en fait partie. Quand la discussion sera close, la proposition de l'honorable M. Le Hardy sera d'abord mise aux voix ; mais la discussion ne doit pas être interrompue.

M. le président. - D'après le règlement, la question d'ajournement doit être mise aux voix avant la proposition principale.

M. Bara. - L'honorable M. De Lehaye fait une singulière interprétation du règlement. Comment ! on propose l'ajournement d'une discussion et vous voulez continuer cette discussion ; vous prétendez que ce n'est que lorsque cette discussion sera épuisée qu'il faudra voter sur la proposition. Mais ce ne serait plus là l'ajournement de la discussion, ce serait l'ajournement du vote. Ce que demande M. Le Hardy s'est toujours fait.

En 1868, lors de la loi relative aux étrangers, l'honorable M. Jacobs a demandé l'ajournement de la discussion qui était commencée, et immédiatement on a voté.

Vous pouvez décider qu'on discutera la proposition de l'honorable M. Le Hardy, à savoir : La discussion sera-t-elle ajournée ? C'est le droit de la Chambre. Mais si l'honorable M. Le Hardy demande que vous votiez sur sa proposition avant la continuation de la discussion du fond, il doit être procédé à ce vote.

M. De Lehaye. - J'aurais compris qu'on fît ce que vient de dire l'honorable M. Bara, si l'on avait fait cette proposition lorsque le projet de loi a été mis à l'ordre du jour ; mais la Chambre ayant décidé que ce projet serait mis à l'ordre du jour, vous devez subir les conséquences de ce vote et vous ne pouvez plus demander que l'on vote sur une motion d'ajournement que lorsque la discussion sera épuisée.

M. le président. - Je vais donner lecture de l'article du règlement :

« La question préalable, c'est-à-dire celle qu'il n'y a pas lieu à discuter, la question d'ajournement, c'est-à-dire celle qu'il y a lieu de suspendre la délibération ou le vote pendant un temps déterminé sont mis aux voix avant la proposition principale... »

M. Bara. - Cet article ne dit nullement que, la discussion commencée, un membre de la Chambre n'a pas le droit d'en proposer l'ajournement. Une discussion peut être modifiée par toutes sortes d'événements ; il peut se présenter telle circonstance, tel motif qui rende la continuation de cette discussion dangereuse ou inutile. Un membre doit donc toujours pouvoir proposer l'ajournement de la discussion et cette proposition doit être mise aux voix.

Il ne s'agit pas de discussion dans l'article qu'on vient de lire, il s'agit de vote.

M. le président. - « Suspendre la délibération. »

M. Bara. - Oui, mais la délibération, c'est la discussion et le vote ; cet article n'interdit pas de demander l'ajournement d'une discussion commencée et ne dit pas que le vote sur pareille demande doit avoir lieu après la discussion. Mais quand on vous propose, au milieu d'une discussion, d'interrompre cette discussion et de l'ajourner, vous devez procéder au vote et c'est là la motion de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

M. Dumortier. - Messieurs, il est une chose que je vous prie de remarquer, c'est que la proposition faite en ce moment est exactement celle qui a été faite par M. Bara, au commencement de cette semaine, c'est-à-dire de renvoyer l'examen du projet de loi à la session prochaine.

Eh bien, cette proposition a été repoussée par la Chambre et je ne pense pas qu'elle puisse revenir sur la décision qu'elle a prise il y a trois jours. Je demande pour mon compte la question préalable.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, j'ai fait ma proposition après vous avoir démontré que le vote que nous émettrions sur ce projet de loi serait parfaitement inutile, puisque la discussion actuelle doit ou peut recommencer ab ovo à propos du budget des voies et moyens. La Chambre veut-elle discuter deux fois la même question ?

Messieurs, il y a en outre un précédent, posé dans le projet lui-même, c'est que les propositions relatives aux patentes et à l'impôt personnel ont été renvoyées, sur la motion du gouvernement même, au budget des voies et moyens.

Je ne vois donc pas pourquoi nous ne suivrions pas la même marche aujourd'hui ; nous aurions ainsi une discussion complète au mois de novembre prochain après avoir consulté les vœux des populations.

M. Dumortier.- L'honorable membre dit que ces questions doivent toujours se décider par le budget ; il perd de vue deux choses : la première, c'est que le budget n'est qu'une loi d'application ; la seconde, c'est que les lois de principe doivent être l'objet d'une discussion spéciale. Si le système de l'honorable membre était admis, vous n'auriez jamais de lois de principe.

On viendrait toujours nous dire : vous discuterez cela au budget des voies et moyens. C'est la plus grave de toutes les erreurs.

La Constitution n'a pas confondu les lois d'impôts avec le budget des voies et moyens.

Le budget n'est que la loi d'application des lois générales d'impôt.

Ces lois contiennent une foule de dispositions qui ne peuvent être discutées à propos du budget des voies et moyens. S'il en était ainsi, il faudrait, lors de la discussion de ce budget, s'occuper de toutes les bases d'impôt.

Cela est impossible.

J'oppose à la proposition de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu la question préalable.

M. le président. - L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu demande l'ajournement. L'honorable M. Dumortier opposé à cette proposition la question préalable.

(page 1462) Dans cette situation, je dois mettre d'abord aux voix la question préalable.

Il est procédé au vote par appel nominal.

65 membres y prennent part.

38 membres répondent oui.

27 membres répondent non.

En conséquence la proposition de M. Le Hardy de Beaulieu est écartée par la question préalable.

Ont répondu oui :

MM. Lefebvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Schollaert, Snoy, Tack, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Vermeire, Amédée Visart, Léon Visart, Wouters, Biebuyck, Brasseur, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Kerckhove, Delaet, De Lehaye, de Liedekerke, de Naeyer, Drion, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove et Thibaut.

Ont répondu non :

MM. Le Hardy de Beaulieu, Muller, Orts, Rogier, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, d'Andrimont, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius, Dethuin, de Vrints, Elias, Frère-Orban, Funck, Houtart et Jottrand.

M. le président. - Par suite de la décision de la Chambre, la discussion continue ; la parole est à M. Le Hardy de Beaulieu.

M. Le Hardy de Beaulieu. - J'ai déjà eu l'occasion de faire remarquer plus d'une fois à la Chambre la façon tout à fait singulière avec laquelle on traite dans notre pays les questions les plus importantes.

En Angleterre, lorsqu'il s'agit de modifier quoi que ce soit dans la législation, non seulement s'il s'agit d'impôts généraux, mais simplement de taxes purement locales, de tarifs de chemins de fer ou d'autres questions semblables, la chambre des communes se livre à une enquête minutieuse, profonde, complète ; elle s'entoure de toutes les lumières, et ce n'est qu'après avoir laissé à l'opinion publique, à laquelle tous les documents sont communiqués par la presse longtemps d'avance, le soin de se prononcer, ce n'est qu'alors que le Parlement prend une décision après avoir entendu toutes les opinions.

C'est pour donner au pays, c'est pour donner à la Chambre le temps de faire une enquête semblable et de s'entourer de toutes les lumières que peut donner l'opinion, que j'avais proposé l'ajournement que vous venez de rejeter.

Nous sommes loin, bien loin, messieurs, du self government. Nous sommes loin du gouvernement du pays par le pays que l'on fait si souvent miroiter aux regards du publics et nous nous en écartons tous les jours davantage, j'ai le regret de devoir le dire. Nous devenons de plus en plus un gouvernement administratif, un gouvernement bureaucratique où les administrations nous font connaître leurs décisions par l'organe des ministres qui sont leur porte-voix et où les Chambres ne sont vraiment plus que des bureaux d'enregistrement chargés de ratifier les volontés de l'administration et d'en prendre la responsabilité.

Voilà ce que nous sommes devenus et c'est sans doute pour le dissimuler encore, en attendant de meilleurs temps, que l'on ajourne à la fin des sessions, au moment où la Chambre est épuisée par un long travail, les discussions les plus importantes. Je n'en fais pas un reproche exclusivement à l'opinion qui est actuellement au pouvoir ; je signale un fait que j'ai reproché également à l'opinion libérale et contre lequel j'ai toujours protesté.

Messieurs, comme je vous le disais en commençant, les questions qui touchent aux impôts sont les plus vitales que nous puissions avoir à discuter. La Constitution nous a fait le devoir de les discuter annuellement : cela seul vous démontre leur importance.

Il s'agit, dit M. le ministre des finances, d'un simple transfert d'impôts ; on supprime la taxe au profit de l'Etat sur les cabaretiers, d'une part, sur les débitants de boissons, de l'autre, et on propose aux provinces ou aux communes de les prendre, et en compensation on ajoute environ 5 p. c. aux impôts existants, foncier, personnel et patentes. L'opération paraît très simple ; elle semble d'abord ne devoir soulever aucune discussion bien sérieuse.

Je crois même que le gouvernement, en la proposant, se figurait qu'en une séance le projet de loi eût été voté.

Mais, messieurs, du moment qu'il s'agit de toucher à notre système d'impôts, notre devoir est d'examiner, non seulement si les modifications proposées produiront les sommes indiquées, mais encore et avant tout, s'il y a lieu d'introduire ces modifications et ensuite si notre système général d'impôts est juste et bien établi.

Déjà des orateurs qui m'eut précédé vous l’ont fait pressentir, l'honorable M. d'Andrimont notamment vous l'a dit, sans toutefois formuler aucune proposition. Mais je tiens à prouver que notre système d'impôts n'est pas ce qu'il y a de meilleur ni de plus juste ; et c'est à cet examen que je vous convie ; c'est à cet examen que je vais me livrer ; c'est de cet examen que je déduirai les amendements que j'aurai l'honneur de proposer au projet du gouvernement.

Messieurs, que payons-nous d'impôts et comment sont-ils répartis ? Voilà la première question que je présente à votre examen.

Si j'en crois, - et je suis porté à le croire, puisque c'est un document officiel, - l'Annuaire statistique de la Belgique publié par le département de l'intérieur, les impôts perçus au profit de l'Etat en 1867 se chiffraient par une somme ronde de 130 à 140 millions. J'exclus naturellement de cette somme toutes les recettes qui ne sont pas qualifiées d'impôts par le gouvernement lui-même, quoiqu'il y eût certainement lieu de discuter en principe cette classification. Je me réserve d'examiner ce point ultérieurement, s'il y a lieu.

Les impôts perçus au profit des communes s'élevaient à 50,000,000, et enfin les impôts perçus au profit des provinces se chiffraient par 8,000,000 à 9,000,000 ; de sorte qu'on peut dire que l'ensemble des impôts payés en Belgique s'élève à 200,000,000.

C'est une somme colossale, effrayante. En Suisse, pays qui territorialement est aussi grand que la Belgique, mais qui ne contient que la moitié de notre population, le chiffre total des impôts et des revenus ne s'élève que de 30,000,000 à 40,000,000 et ce chiffre suffit à l'administration générale du pays, c'est-à-dire la confédération, les cantons et les communes, villes comprises.

Je ne sais pas si beaucoup de mes honorables collègues ont voyagé dans ce pays ; mais personne, à coup sûr, ne me contredira quand j'affirmerai qu'il n'est pas moins civilisé que le nôtre ; que les routes y sont tout aussi bien entretenues, les champs aussi bien cultivés, les écoles aussi fréquentées.

Il y aurait donc, si l'on voulait examiner la question dans son ensemble et à fond, une discussion préliminaire à soulever sur la question de savoir s'il y a lieu d'augmenter la somme totale des impôts que paye la nation belge.

Pour moi, je prendrais volontiers part à cette discussion, si on voulait l'entamer. Mais elle me semble en ce moment inopportune, car elle nous entraînerait fort loin. Ce que je veux me borner à examiner aujourd'hui, c'est la répartition, entre les contribuables, de ces 200 millions d'impôts payés actuellement en Belgique.

Il est d'abord un point sur lequel nous serons d'accord : c'est que les impôts sont généralement payés par les chefs de famille. Ce ne sont certes ni les femmes ni les enfants qui contribuent à subvenir aux charges publiques.

Or, combien y a-t-il de chefs de famille en Belgique ?

D'après les tableaux statistiques du dernier recensement, nous avons, dans notre pays, environ un million de familles. Chaque famille est donc imposée en moyenne à 200 francs, soit directement, soit indirectement. Chaque chef de famille, qu'il vive de son travail, de son industrie ou de ses revenus, doit d'abord prélever sur son revenu 200 francs pour subvenir aux charges publiques.

Mais les choses ne se passent pas tout à fait de cette manière. En effet, la statistique nous apprend et la note préliminaire au budget de 1869, sur laquelle j'ai déjà appelé plusieurs fois l'attention de cette Chambre, parce qu'elle contient des renseignements précieux pour ceux qui veulent étudier le mécanisme de nos impôts, cette note préliminaire nous indique à peu près comment se répartissent les charges publiques.

D'après les listes électorales, pour la Chambre, composée des plus forts imposés, il y a un peu plus de 100,000 chefs de famille payant au delà de 42 fr. 32 c. Pour faciliter le raisonnement, admettons, pour un instant, que ces 100,000 chefs de famille, à eux seuls, payent 20 p. c. des 200 millions ; leur charge serait donc de 40 millions et par conséquent de 400 francs pour chacun d'eux.

Chaque famille de cette première catégorie de contribuables serait donc taxée à 400 francs et les payerait.

Je doute cependant que l'on atteigne, en réalité, cette moyenne. Admettons encore, pour continuer l'analyse de la répartition des charges, que les 200,000 chefs de famille les plus imposés qui viennent immédiatement après les 100,000 premiers, contribuent pour 25 p. c. dans la totalité des impôts. Ils payeraient donc ensemble 50 millions, soit 250 francs par chef de famille.

Par conséquent leurs charges s'élèveraient au-dessus de la moyenne de l'impôt total, c'est-à-dire à 250 francs par tête.

Poussons nos calculs plus loin et admettons que les 200,000 chefs de (page 1463) famille suivants, d'après l'importance de leurs contributions, payent 20 p. c. soit 40 millions ou environ 200 francs chacun. Enfin si l'on admet que les 500,000 chefs de famille non compris dans ces trois catégories payeraient ensemble les 70 millions qui resteraient a payer, la moyenne serait donc de 140 francs par chef de famille. Or, ils n'ont pas de rentes dans cette catégorie, il faut donc bien qu'ils prélèvent ces 140 francs sur leurs salaires ou sur leur travail ou sur le produit quelconque de leur activité, pour arriver à s'acquitter vis-à-vis de l'Etat, de la province ou de la commune.

Eh bien, messieurs, en admettant même que les plus malheureux, que les plus pauvres puissent réduire, à force de privations, cette moyenne de moitié, c'est-à-dire de 70 francs, je vous demande si ce n'est pas là une situation extrêmement grave, une situation qui appelle toute votre attention. Ne voyez vous, pas que par l'élévation des impôts, par l'étendue des charges publiques, - répartissez-les comme vous voudrez, si vous ne croyez pas ma répartition exacte, - vous arrivez à empêcher les classes les plus nombreuses de la société, qui sont obligées de tirer de leur travail ce qui est nécessaire à leur subsistance et à l'entretien de leur famille, que vous les empêchez d'arriver jamais à l'épargne et que vous les précipitez, pour peu que le moindre malheur leur arrive, dans la misère et dans le paupérisme ?

Pour ma part, je ne vois pas d'autre source au paupérisme que la hauteur des impôts, que la somme considérable de sacrifices que vous demandez aux classes les plus nombreuses de la population.

M. Allard. - Mais nous ne sommes plus en nombre.

M. Demeur. - Nous ne sommes plus que 26 membres.

M. Bergé. - Les membres de la droite veulent faire du zèle en continuant la séance et ils s'en vont.

M. Jacobs, ministre des finances. - Nous sommes ici.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je parle pour le pays et non pour les membres absents. Le pays m'entend par la voie des journaux et par la voie du Moniteur. (Interruption.)

M. le président. - Je comprendrais que M. Le Hardy réclamât ; mais puisqu'il ne réclame pas, ayons l'obligeance de l'écouter.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je comprendrais que le gouvernement vînt soutenir que nous ne payons que 200 millions, et que nous sommes un gouvernement à très bon marché ; mais c'est là une discussion à laquelle il ne s'est pas livré jusqu'à présent. Mais s'il soulevait cette discussion, je lui répondrais que notre gouvernement coûte beaucoup plus cher même que le gouvernement de l'Angleterre, qui ne passe guère pour être un modèle d'économie. Je vais vous le prouver par quelques chiffres.

Déduisez du budget anglais la dette et les dépenses pour l'armée et la marine, il reste 9,300,000 liv. st. Ajoutez à cette somme les dépenses communales anglaises qui s'élèvent à environ 12 millions de liv. st., soit 300 millions de francs, vous avez un total de 550 millions de francs pour 50 millions d'habitants, soit 90 francs par tête. Faisons la même opération en Belgique, soustrayons de notre budget les dépenses de la dette publique et de l'armée ; ajoutons-y les dépenses provinciales et communales, comme je l'ai fait pour l'Angleterre et nous arrivons à 119 francs par tête au lieu de 90 francs.

Celte différence n'est certes pas en notre faveur.

Cela prouve, messieurs, que nous pourrions gouverner le pays à meilleur marché si nous le voulions sérieusement et si, au lieu d'abandonner l'administration au pouvoir exécutif seul, nous nous en mêlions nous-mêmes, et que ce n'est pas vers l'augmentation des impôts et des charges que nous devrions toujours porter notre attention, mais vers leur réduction, par la réduction énergique et soutenue des dépenses publiques.

Messieurs, je pourrais vous entretenir longuement sur le sujet des dépenses du gouvernement. Je pourrais vous prouver de la façon la plus péremptoire qu'elles sont excessives et qu'on peut les diminuer.

Mais je doute que je trouve beaucoup d'écho dans cette Chambre.

D'après moi, c'est la Chambre, et ce n'est pas la première fois que je le dis, qui est seule responsable de l'exagération de nos dépenses ; c'est elle, plus que le gouvernement, qui, sous les diverses administrations qui se sont succédé, a toujours poussé à la dépense plutôt qu'à l'économie.

Je dois donc accepter, pour la discussion actuelle, l'état de choses tel qu'il existe et j'examinerai si M. le ministre, voulant exclure les cabaretiers du corps électoral, car la discussion à laquelle nous nous livrons n'a, en définitive, d'autre but que celui-là, de l'aveu même de l'honorable ministre des finances, c'est tout simplement pour trouver le moyen légal d'éliminer quelques cabaretiers du corps électoral que le projet est proposé ; j'examine, dis-je, s'il n'y avait pas d'autres questions plus graves, plus utiles à étudier.

Notre système d'impôts est-il le plus parfait qu'il soit possible d'imaginer ? Messieurs, je ne ferai que répéter une chose qui a cours dans l'opinion publique tout entière en disant que notre système d'impôt est des plus défectueux.

Il a été établi il y a trois quarts de siècle. Il est la résultante d'une série de mauvais gouvernements guidés par de fausses doctrines économiques et d'invasions étrangères que nous avons subies. Il est le produit de la domination française dans notre pays, avec tout ce que cette domination a importé d'erreurs et d'oppressions ; on n'a presque rien changé aux impôts établis par l'empire français ; on a plutôt aggravé qu'allégé les charges de la masse.

Par conséquent, les idées économiques, les idées gouvernementales, les idées de toute nature qui se sont fait jour dans d'autres pays, qui s'y sont perfectionnées, qui ont été discutées depuis cinquante ans, ont à peint imprimé leur trace dans notre système d'impôts.

Aussi que fait notre système d'impôts si nous le prenons dans son ensemble ? Il frappe le travail, il exonère l'oisiveté. Qu'un homme veuille faire n'importe quoi, il est immédiatement frappé d'amende par l'impôt ; toutes les branches de l'activité humaine sont atteintes, aucune n'échappe à son action ; l'oisif, au contraire, est parfaitement exempt. On lui facilite tout ce qui peut satisfaire ses goûts, ses convenances, son confort ; mais le travailleur est complètement abandonné à lui-même, l'Etat n'a rien à faire pour lui, qu'il se tire d'affaire comme il peut, il doit payer, voilà tout.

Eh bien, messieurs, c'est là un très grand vice, un vice sur lequel j'appelle toute votre attention. C'est un vice qui a des conséquences immédiates et dont les conséquences lointaines doivent vous préoccuper.

Comme conséquence immédiate, il produit le paupérisme. Quand vous demandez aux populations qui doivent faire un travail journalier, plus qu'elles ne peuvent donner, vous les jetez inévitablement dans la misère. L'impôt que vous exigez d'elles a pour conséquence lointaine d'abrutir les populations, de les indisposer, et, à la longue, de les pousser à la résistance, et même à la guerre, à la révolution.

Les idées socialistes, si fausses et si absolues qu'elles soient, ne sont venues qu'à la suite des charges excessives imposées aux travailleurs. C'est quand les populations ne voient pas d'autre issue à leur misère, qu'elles se laissent entraîner. Est-ce que ces idées existent en Suisse, aux Etats-Unis ? Dans ces pays vous n'en voyez pas la moindre trace, et pourquoi ? Parce qu'en Suisse comme aux Etats-Unis, le législateur s'est efforcé, par tous les moyens possibles et surtout par une stricte économie, d'atteindre non pas le travail, non pas la production des classes les plus nombreuses, mais les revenus, mais les produits acquis, ceux qui peuvent être frappés sans ruiner la nation.

Voilà pourquoi, dans ces pays, vous voyez les populations ouvrières concourir avec les autres classes de la société à la prospérité publique avec joie et sans récriminer, jouir de la part de bonheur que leur donne la civilisation et que méritent leurs efforts et ne pas recourir pour moyen de guérison aux révolutions qui les frappent encore plus directement et plut immédiatement que les classes riches.

Le gouvernement est composé d'hommes qui désirent probablement se consolider au pouvoir, et dès lors j'aurais supposé qu'au lieu de petits changements presque invisibles ils seraient venus nous proposer des modifications réelles, fondamentales, un nouveau système d'impôts ; j'aurais supposé qu'ils auraient accordé aux classes les plus nombreuses certaines réductions de charges et qu'ils auraient demandé à celles qui ont des revenus, de contribuer, aux dépenses publiques en proportion des avantages dont elles jouissent.

Voilà ce que j'aurais compris ; mais je ne comprends pas du tout le simple transfert que nous propose le gouvernement.

Je comprends d'autant moins son insistance à faire discuter ces questions graves dans le moment actuel.

Messieurs, comme je dois aborder un autre ordre d'idées et que nous ne sommes pas en nombre, je crois qu'en demandant à remettre la suite de mon discours à demain, je ne fais qu'user d'un droit.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.