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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 mars 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 901) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Les exploitants du Couchant de Mons présentent des observations contre l'arrêté royal du 30 novembre dernier qui porte que la section de Bonne-Espérance à Beaumont, du chemin de fer de Frameries à Chimay, ne sera pas construite et demandent l'exécution de la ligne de Frameries par Poissant, La Buissière et Beaumont à Chimay. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Herlen demande la construction d'un chemin de fer reliant Hasselt à Hans par Herten, Wellen et Looz. »

- Même renvoi.


« Le sieur Wybo demande une loi qui accorde à la navigation le bénéfice du transit direct applicable au chemin de fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Paul Struys, demeurant à Lille-Saint-Hubert, né à Neer (partie cédée du Limbourg) demande la naturalisation ordinaire avec exemption des droits d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Haye demande qu'il soit pris des mesures pour empêcher l'extension excessive de la culture de la betterave. »

- Renvoi a la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants de Leefdael demande que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même pied que la langue française.

« Même demande d'habitants d'Eygenbilsen, Maldegem, Waltwilder, et de membres de la société flamande de Taelzucht, à Malines, et de la société Vooruit ! vooruit !naar het recht, à Anvers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.


« Des habitants d'une commune non dénommée prient la Chambre d'allouer au gouvernement le crédit dont il a besoin, afin de créer des écoles en nombre suffisant pour satisfaire aux nécessités de l'enseignement primaire étendu à toutes les classes de la société. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le conseil communal de Stavelot demande une loi consacrant le principe de l'enseignement obligatoire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement obligatoire.


« Des habitants d'Opwyck demandent le vote au chef-lieu du canton pour les élections législatives. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la réforme électorale.


« Des directeurs de charbonnages demandent que le chemin de fer à construire de Saint-Ghislain sur Ath n'ait qu'un développement total de 21 kilomètres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Kersbeek demandent que le chemin de fer à construire de Tirlemont à Diest passe par Vissenacken, Bunsbeek, Hoeleden, Kersbeek-Miscom, Cortenaeken, etc. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Le sieur Arnold-Martin Jansen, garde-barrière à Tilleur, prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Saulet demande que les bergers ne puissent mener les moutons dans ses prairies. »

- Même renvoi.


« Par message du 27 mars, le Sénat fait connaître à la Chambre qu'il a adopté le projet de loi allouant des crédits provisoires aux départements de l'intérieur et des travaux publics pour l'exercice 1871.»

« M. Eugène Beaujean fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de sa brochure intitulée : Les Misérables de Paris du 4 septembre 1870. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« MM. Royer de Behr, Delaet, de Macar et de Smedt demandent un congé de quatre jours. »

- Accordé.

Motion d’ordre relative aux mesures pour combattre la peste bovine

M. Bouvier. - La peste bovine ayant heureusement disparu de la province de Luxembourg et aucun cas nouveau ne s'y étant plus produit depuis le 22 février dernier, le gouvernement a jugé convenable de retirer de nos frontières les divers détachements de troupes qui s'y trouvaient échelonnés pour les faire rentrer dans leurs garnisons respectives.

.le voudrais voir compléter cette mesure, à laquelle j'applaudis.

Pour combattre le fléau, défense a été faite aux cultivateurs de laisser circuler le. bétail qui a été rigoureusement, et avec raison, retenu dans les étables.

Le typhus contagieux, avec le péril qu'il engendre, ayant disparu, je viens demander à l'honorable ministre de l'intérieur, en présence de la rareté des fourrages et de l'épuisement des greniers, qu'il donne des ordres pour que l'interdiction du parcours du bétail dans les champs soit levée dans le plus bref délai.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, il est exact que, par une mesure récente, les détachements qui se trouvaient dans le Luxembourg en ont été retires, afin d'exercer dans le Hainaut une surveillance active, dont le besoin se faisait sentir.

Je ne perdrai pas de vue le vœu exprimé par l'honorable membre. Je dois toutefois faire remarquer que l'arrondissement de Philippeville, où la peste bovine s'est déclarée il y a peu de temps, touche à la province de Luxembourg, et il y aura lieu de voir si la suppression des mesures de précaution prises dans le Luxembourg ne présente pas d'inconvénients, aussi longtemps que la peste bovine n'aura pas complètement disparu de la contrée voisine. C'est, du reste, une question que j'examinerai avec le plus grand soin.

M. Bouvier. - Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir faire examiner la question dans le plus bref délai. C'est à la demande de plusieurs cultivateurs du Luxembourg que j'ai cru devoir faire ma motion, qui attend une solution pressante.

Motion d’ordre relative à la qualité des semences de froment importé

M. de Lexhy. - Messieurs, le Moniteur du 17 mars porte, à la quatrième page, une note concernant les semences de froment d'été.

Cette note a fait l'objet, dans la séance du 17 mars, d'une discussion provoquée par l'honorable M. Bouvier et je n'y serais pas revenu si les actes du gouvernement, depuis cette époque, avaient le moins du monde été conformes à ce qu'il avait annoncé.

(page 902) L’état critique dans lequel se trouvent les semailles opérées en Belgique depuis quinze jours, me force à revenir sur cette question.

La note, messieurs, dont il s'agit ne me satisfait aucunement, ni quant à la forme ni quant au fond.

Pourquoi ne pas faire de cette matière si importante l'objet d'une de ces circulaires pompeuses dont M. le ministre de l'intérieur semble posséder le secret ? (Interruption.)

Je crois que le qualificatif doit être agréable à M. le ministre de l'inférieur et je m'étonne des protestations qui se produisent.

Je m'étonne aussi de ce que la note ne soit pas accompagnée d’une traduction flamande.

J'ai le droit de m'en étonner, car l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette enceinte comprend quinze communes flamandes. Je suis très heureux, dans cette circonstance, d'être l'organe des griefs des Flamands.

Cette note a-t-elle été au moins envoyée aux administrations communales ? Car il ne suffit pas de l'insérer au Moniteur, qu'aucun cultivateur ne lit.

Il est de fait que les trois quarts au moins des semailles d'hiver sont perdues. C'est une calamité, non seulement s'il y a renchérissement des blés, mais même s'il n'y a pas renchérissement, parce qu'il y aura une perte d'engrais très considérable et qu'il se produira une perturbation profonde dans les assolements. La richesse agricole est donc gravement compromise ; les cultivateurs qui ont fait des achats de blés d'été se sont trouvés dans une position très embarrassante pour se procurer des semences convenables. Ceux qui s'occupent d'agriculture savent que, pour faire des ensemencements convenables, il faut employer des blés provenant de régions qui sont dans les mêmes conditions climatériques que la nôtre. Les froments d'été provenant d'Angleterre et du Canada sont réputés les meilleurs pour opérer les semailles de mars, en Belgique. C'est donc dans les pays du Nord qu'il fallait aller chercher les blés destinés à l'ensemencement.

On a fait de la fourniture de ces blés l'objet d'une spéculation, parce que le prix en est plus élevé que celui des blés de consommation ; le commerce a donc jeté sur le marché, principalement à Anvers, des quantités considérables de blé provenant d'Amérique. Aussi Dieu sait si nos cultivateurs ne seront pas déçus et trompés ! Ce serait, dans ce cas, un double désastre.

Dans une situation aussi critique, qu'a fait le gouvernement pour rassurer les cultivateurs et leur donner la garantie que les blés destinés aux ensemencements de mars étaient de bonne provenance ?

Le gouvernement s'est borné à indiquer trois ou quatre négociant d'Anvers comme étant détenteurs de certaines quantités de froment de mars. Selon moi, il aurait dû comprendre autrement son devoir ; il aurait dû suivre une autre ligne de conduite.

Il aurait dû agir avec perspicacité et vigueur et chercher à sauvegarder nos intérêts. Pour cela, il aurait dû consulter nos comices agricoles, nos commissions d'agriculture pour connaître approximativement les besoins ; Cela étant connu, il aurait dû faire acheter par nos agents consulaires, dans l'Amérique du Nord et surtout au Canada, des semences de blé de mars ; les agents consulaires auraient dû chercher à se munir de certificats d'origine. Les grains arrivés à Anvers, le gouvernement aurait dû les revendre au prix coûtant et en faire faire des dépôts dans chaque chef-lieu de canton.

Voilà ce qu'aurait dû faire une administration soucieuse des intérêts agricoles. (Interruption.)

Il nous aurait donné ainsi la garantie de voir diminuer la calamité que nous subissons et il aurait par suite diminué nos inquiétudes.

On objectera peut-être le principe de la liberté commerciale ; on dira que le gouvernement ne doit pas se faire marchand ; mais, messieurs, dans les cas de force majeure, lorsqu’il y a urgence, les principes économiques doivent céder le pas aux nécessités.

Le gouvernement aurait dû proposer des mesures efficaces pour protéger l'industrie agricole, et j'ai le droit de lui reprocher son incurie et son imprévoyance.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Si l’honorable membre m’avait fait l’honneur de me prévenir de l’interpellation qu’il comptait m’adresser…

M. de Lexhy.-Je vous ai prévenu samedi dernier, M. le ministre.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Vous ne m'avez point fait connaître que vous m'interpelleriez à ce sujet. Si vous l'aviez fait, j'aurais pu mettre sous les yeux de la Chambre des documents qui eussent justifié le gouvernement du reproche de négligence et d'incurie qui vient de lui être adressé.

Je ne pense pas, du reste, que le gouvernement pût aller aussi loin que l'aurait voulu l'honorable préopinant ; je ne crois pas qu'il appartenait au gouvernement d'aller acheter des blés sur les marchés étrangers et de les revendre en Belgique. Aucune loi ne lui donnait ce droit ; il ne disposait d'aucun crédit à cet effet. Ce qu'il pouvait faire et ce qu'il a fait, c'était de prêter son concours le plus empressé à toutes les sociétés agricoles, à toutes les autorités provinciales et communales qui se sont adressées à lui, afin de contribuer le plus possible à faire face à une situation profondément regrettable, sans doute, mais moins inquiétante toutefois, j'aime à le croire, que l'honorable membre ne la signalait tout à l'heure.

M. de Lexhy. - M. le ministre vient d'annoncer qu'il était en possession de renseignements intéressants et tendants à prouver que les commissions d'agriculture ont été consultées et que...

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je n'ai pas dit cela.

M. de Lexhy. - ... et que sa conduite a été parfaitement en harmonie avec les conseils que ces collèges lui ont donnés. (Interruption.) Je désirerais être mis à même de prendre communication des dossiers.

M. Vermeire. - Il y a quelques jours, on a reproché au gouvernement de n'être pas intervenu plus directement dans l'achat de grains destinés aux nouveaux ensemencements. Comme je l'ai dit alors, je crois que le gouvernement a bien fait de s'abstenir de toute intervention. Le grain manque sans doute pour faire de nouvelles semailles ; il en est ainsi dans les Flandres comme dans d'autres parties du pays. Cependant, des négociants offrent aujourd'hui aux cultivateurs des grains dont ils garantissent la bonne qualité.

Certainement, le gouvernement doit protéger tous les intérêts, dans les limites de la liberté, bien entendu ; mais je vous demande si le gouvernement aurait pu raisonnablement se substituer aux négociants d'Anvers ou d'ailleurs et vendre aux cultivateurs du grain dont il aurait garanti la bonne qualité.

Personne, messieurs, n'osera prétendre que telle soit la mission du gouvernement. Celui qui a besoin de grains pour faire ses semailles est plus apte que personne à en contrôler la qualité.

J'ajoute, en terminant, messieurs, que ce matin encore, en traversant une partie de nos campagnes, j'ai pu constater que les grains qui ont été semés au sortir de l'hiver germent parfaitement et promettent une bonne récolte.

- L'incident est clos.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Article 92 (nouveau)

M. Bara. - Je commence par remercier la Chambre d'avoir bien voulu m'entendre. Je ne désirais pas intervenir dans ce débat ; et la Chambre voudra bien reconnaître et déjà elle a reconnu, par son vote de samedi, que j'y arrive contraint et forcé.

L'honorable ministre de la justice m'a demandé si je pouvais concilier l'opinion que j'ai émise en 1864, lors de la discussion de la loi sur les bourses d'étude, avec le vote approbatif de la proposition de l'honorable M. Muller. Il a dit que si j'émettais un pareil vote, je commettrais une palinodie.

Je viens démontrer à la Chambre qu'en toute conscience je puis voter l'amendement de M. Muller sans encourir le reproche de changer d'opinion et que mes honorables collègues qui, en 1864,ont partagé mon avis, peuvent en agir de même.

De quoi s'agissait-il en 1864 ?

M. Verhaegen avait fait un legs au profit de la ville de Bruxelles pour favoriser l'enseignement supérieur.

J'ai soutenu et je soutiens encore que les communes ne sont pas compétentes, n'ont pas le pouvoir d'organiser l'enseignement supérieur et, par conséquent, ne sont pas les représentants légaux du service de l'enseignement supérieur.

Voilà quelle était ma thèse en 1864.

Cette thèse, je la maintiens. Elle est, comme je le disais alors, celle qu'impose l'intérêt de la science, celle qu'imposent la loi et la Constitution belge.

L'enseignement public est un intérêt général ; l'enseignement public, non pas seulement au point de vue du droit philosophique, doit être réglé par la société tout entière, mais, messieurs, il doit encore e |être ainsi, parce qu'aux termes de notre droit positif, de l'article 17 de la Constitution, l'instruction publique, donnée aux frais de l'Etat, doit être réglée par la loi.

En effet, messieurs, comment abandonner le règlement d'un pareil (page 903) intérêt à n'importe quelle commune ? N'importe-t-il pas à la généralité des citoyens que l'enseignement donné même dans la plus petite commune soit établi selon des règles approuvées par la volonté nationale et non d'après l'esprit qui peut animer tel ou tel groupe de citoyens ?

Ainsi, la loi de 1835 a réglé l'enseignement supérieur ; cette loi n'admet pas la possibilité d'un enseignement supérieur, créé par les communes, en dehors des deux universités de Gand et de Liège. Citez-moi, dans la loi de 1835, une disposition qui puisse permettre aux communes de créer un enseignement supérieur ; vous ne pourriez pas en citer une. Dès lors ai-je dit en 1864, le législateur a déclaré que vous ne pouviez, vous commune, créer un enseignement supérieur, et par conséquent vous n'êtes pas le représentant légal de cet enseignement, vous n'avez pas capacité pour recevoir des libéralités au profit de cet enseignement.

Voilà l'opinion que je professais pour la capacité des communes au point de vue de l'enseignement supérieur. Je soutenais la même thèse pour l'enseignement moyen et pour l'enseignement primaire.

Je disais que la loi de 1842 et celle de 1850 avaient réglé respectivement l'enseignement primaire et l'enseignement moyen et que les communes n'avaient pas le droit d'aller à l’encontre des dispositions de ces lois.

Mais M. le ministre de la justice a oublié un point : c'est que je ne parlais que des enseignements réglés par la loi. Je parlais de l'enseignement supérieur réglé par la loi de 1835, de l'enseignement primaire réglé par la loi de 1842 et de l'enseignement moyen réglé par la loi de 1850. Or, l'enseignement moyen des filles n'a été réglé par aucune loi. J'ai ajouté, - et c'est ce qui a trompé M. Cornesse - qu'aux termes de la Constitution, les communes ne pouvaient se charger d'un enseignement que par voie de délégation, et je le maintiens de la manière la plus formelle.

Tout ce qui s'est passé jusqu'en 1835 pour l'enseignement supérieur, jusqu'en 1842 pour l'enseignement primaire et jusqu'en 1850 pour l'enseignement moyen a été irrégulier ; cela s'est passé contrairement au vœu de la Constitution, parce que la Constitution avait imposé au législateur l'obligation de régler l'enseignement public.

Mais, messieurs, comment l'honorable membre ne s'est-il pas aperçu que dans un Etat, lorsque le pouvoir désigné par la Constituante pour régler un intérêt public, ne le règle pas, il se crée une situation de fait qui est respectable par elle-même et que l'intérêt public force à respecter.

Croyez-vous qu'en l'absence de lois sur l'enseignement supérieur, moyen et primaire, on eût dû se passer de ces divers enseignements, que le service de l'instruction publique eût dû chômer ? C'est absurde ; le législateur constituant ne l'a pas dit ; il n'a pas dit que tant qu'il ne serait pas fait de lois sur l'enseignement supérieur, moyen et primaire, il serait défendu à tous les corps publics d'avoir des écoles, et à l'Etat de subsidier l'enseignement. Mais il n'en est pas moins vrai que jusqu'en 1835, jusqu'en 1842 et jusqu'en 1850, tout ce qui s'est passé en matière d'enseignement a été irrégulier.

Et maintenant que j'ai défendu et maintenu mon opinion de 1864, pourquoi voterai-je la proposition de l'honorable M. Muller ? M. Cornesse, qui a cité mon discours sur la loi des fondations de bourses, en a passé la partie essentielle. Précisément la loi de 1864 a eu pour but de régulariser la situation de fait que je vous indiquais tout à l'heure. Cette loi a donné capacité aux communes pour les enseignements qui n'étaient pas réglés par la loi, et qu'elles avaient organisés ou qu'elles pourraient organiser dans l'avenir au lieu et place de l'Etat.

Et, messieurs, je le disais de la manière la plus formelle dans le discours qu'invoquait M. le ministre de la justice ; je disais :

« Les provinces et les communes se sont, dès 1830, substituées à l'Etat parce que l'Etat n'a pas rempli ses obligations, parce que la nation n'a pas satisfait à ses devoirs.

« Mais dès que la nation a repris ses droits, on est rentré dans la légalité.

« C'était un état de fait, et la loi actuelle a eu pour but de régulariser cette situation, car l'article 5 de la loi va régulariser la position de l'école des mines et de l'école des arts et métiers de Tournai. Elle va consacrer par une délégation formelle le droit qu'ont pris les communes et les provinces de créer certains établissements d'une nature tout à fait particulière. »

Ecoutez, messieurs, ce que dit cet article 5 ; il est ainsi conçu : « Les libéralités, en faveur de l'enseignement moyen, scientifique, artistique ou professionnel dans un établissement dépendant de la commune ou au profil d'un pareil établissement, sont réputées faites à la commune. »

Je ne parle pas, dans mon discours, de l'école des mines et d'une école d’arts et métiers, parce qu'on me faisait une objection au sujet de ces deux écoles, mais ce que je disais, comme le texte de l'article 5 est général, ce texte s'applique à tout enseignement moyen, scientifique, etc., non réglé par la loi, donc à l'enseignement moyen des filles, que la loi n'a pas organisé.

Ainsi, le législateur de 1864 disait à la nation : Vous avez réglé l'enseignement primaire pour les garçons et pour les filles ; vous avez réglé l'enseignement moyen pour les garçons ; vous avez réglé l'enseignement supérieur pour les jeunes gens, mais votre tâche, n'est pas complète ; il est une foule d'enseignements, scientifique, professionnel, instruction des filles, que vous n'avez pas réglés.

Eh bien, quand vous, l'Etat, vous n'avez pas fait votre devoir, la commune et la province ont le droit de le faire pour vous et on a donné une délégation formelle à la province et à la commune pour créer des établissements.

Voilà la partie de mon discours que vous auriez dû lire ! (Interruption.) Et ne venez point dire que l'article 5 est restrictif, parce qu'il parle de l'enseignement scientifique et professionnel, parce qu'il parle de l'enseignement artistique. L'article est général, son texte est même formel, il cite l'enseignement moyen. Quand cet enseignement n'a pas été réglé par une loi, l'article 5 donne capacité à la commune de l'établir. Par conséquent, l'honorable ministre de la justice est, comme l'a dit M. Pirmez, une montre qui retarde de six ans. (Interruption.) Il a complètement oublié que, depuis six ans, depuis l'époque où je prononçais le discours qu'il a invoqué, nous avons fait une loi qui donne capacité aux communes pour créer l'enseignement que la loi n'a pas créé. Si vous voulez leur enlever cette capacité, faites une loi. C'est dans le pouvoir du législateur ; vous avez parfaitement le droit de faire une loi qui réglera l'enseignement moyen des filles et, en faisant cela, vous pourrez limiter les droits des communes, si vous croyez que cela est nécessaire.

Je crois, messieurs, avoir établi que, sans abandonner aucune de mes opinions, je puis voter l'amendement de M. Muller. Mais ce qui m'étonne, c'est que l'honorable ministre de la justice déclare pencher pour la liberté absolue des communes en matière d'enseignement et refuse de voter l'amendement ; il le refuse au nom de la morale et de la religion. Il ne veut pas venir donner son assentiment à la proposition de l'honorable M. Muller parce que les bases de la société seraient ébranlées. M. le ministre de la justice, si vous avez cette conviction, comment laissez-vous, dans nos plus grandes communes, organiser un enseignement pareil ? Pourquoi ne venez-vous pas les en empêcher ? Pourquoi leur laissez-vous la liberté du mal alors que vous trouvez dans la Constitution le droit de faire une loi sur l'enseignement des filles qui empêche ces prétendus scandales ?

C'est par pusillanimité, et votre discours le dit lui-même ; vous déclarez qu'il serait dangereux de lutter avec les grandes communes.

Non, on doit faire son devoir au mépris du danger, et je ne comprends pas comment vous cédez à la peur lorsqu'il s'agit de faire respecter ce que vous prétendez être réclamé par la morale et la religion.

Une chose, messieurs, m'étonne encore. L'honorable ministre de la justice, qui trouve que les communes ont le droit de créer des écoles, repousse l'amendement de M. Muller. Mais vous accordez des subsides pour des écoles de dessin, vous accordez des subsides pour des écoles industrielles, vous accordez des subsides à l'école militaire, où l'aumônier n'a aucune espèce de droit sur l'enseignement.

Pourquoi ne pouvez-vous pas accorder des subsides à une école moyenne de filles ? Oseriez-vous dire que l'enseignement y est immoral, irréligieux ? Vous ne pouvez le prétendre ; et si vous êtes d'avis que la commune a le droit de créer des écoles, donnez-lui donc des subsides, ou dites-nous au moins pourquoi vous les refusez lorsque vous en donnez à des enseignements d'un moindre intérêt ?

Vous vous êtes servi d'un argument sur lequel je dois dire quelques mots.

Vous avez dit que l'honorable M. Kervyn, en citant l'arrêté du 12 octobre 1830, avait parfaitement justifié les subsides qui avaient été donnés aux écoles primaires et aux collèges avant les lois de 1842 et de 1850. Que dit cet arrêté du gouvernement provisoire ? Que les universités, les collèges, les encouragements donnés à l'enseignement élémentaire sont maintenus. Voulez-vous que cet arrêté subsiste, bien qu'il ait été abrogé, d'après mon avis, par la Constitution ? Eh bien, soit ! Mais si vous pouvez donner des subsides aux établissements non réglés par la loi, vous pouvez faire pour l'enseignement des jeunes filles ce que vous avez fait pour l'enseignement primaire avant la loi de 1842, et pour l'enseignement moyen des garçons avant la loi de 1850. Vous prétendez que le gouvernement (page 904) provisoire a maintenu pour le gouvernement le droit de donner des subsides à l’enseignement en l'absence d'une loi. Eh bien, si cela est, donnez à l'enseignement moyen des jeunes filles les subsides que vous avez donnés à l'enseignement moyen des garçons avant l'organisation par la loi de 1850. (Interruption.)

Vous voyez donc qu'en droit, sur quelque terrain que vous vous placiez, il est impossible d'échopper au vote de la proposition de l'honorable M. Muller.

Je termine sur ce point, en déclarant que je puis voter et que je voterai l'amendement de M. Muller, et que je ne comprends pas sur quel argument juridique le ministère et la droite pourraient fonder le rejet de cette proposition.

Puisque j'ai la parole, la Chambre me permettra d'examiner quelques points du débat important qui s'est produit devant elle.

A en croire nos adversaires, ils sont le parti de l'ordre et de la religion. Ils ont un remède à tous les maux de l'humanité. Si la société est malade, s'il existe des troubles et des désordres, si des terribles malheurs épouvantent l'Europe, c'est que leur influence n'est pas assez grande ; c'est que le clergé et les congrégations religieuses n'ont pas une assiette suffisante dans la société. Laissez-les s'étendre ; laissez multiplier leurs œuvres, laissez propager l'instruction des couvents et vous verrez que la société sera sauvée. Elle développera sa prospérité dans l'ordre et dans la liberté.

Messieurs, je crois devoir examiner ce langage, constamment répété à cette tribune et par toute la presse cléricale.

Il faut, en définitive, que l'opinion publique, quelque attentive qu'elle soit à d'autres événements, se replie aussi sur elle-même et examine dans son propre intérêt et dans celui de la Belgique, ce que veulent et peuvent faire le système et le parti qui sont aujourd'hui au pouvoir.

C'est à propos de l'enseignement qu'on nous livre les combats les plus rudes ; c'est le terrain de nos luttes traditionnelles, et pour nous combattre, on n'a qu'un mot : Vous êtes des athées ; vous voulez l'école athée. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'honorable ministre de la justice. A ceux qui demandent la séparation de l'école et de l'église, M. le ministre de la justice dit : « La sécularisation absolue est, en dernière analyse, l'école athée. »

Eh bien, messieurs, je ne suis pas un athée et je veux la séparation de l'école et de l'église.

C'est un thème assez singulier que de voir soutenir par un grande fraction de l'opinion publique, par tout un parti, que parce que le prêtre ne pourra pas, par l'instituteur, donner l'enseignement religieux dans l'école, l'école sera athée.

Je demanderai à l'honorable ministre s'il sait bien ce que c'est que l'athéisme.

L'athéisme, c'est la négation de toute divinité ; or, comment voulez-vous que ceux qui demandent la séparation de l'école et de l'église s'occupent de la négation de la divinité. Mais l'athéisme, c'est une religion...

M. Van Overloop. - Religion vient de religare et comment comprendre qu'il existe un lien avec le néant ?

M. Bara. - L'athéisme, c'est la religion du néant. C'est la religion de ceux qui n'en ont pas. L'athéisme est, si vous aimez mieux une autre expression, une croyance, un système comme un autre, c'est la croyance en une organisation déterminée qui exclut l'idée de Dieu.

- Un membre. - On ne peut pas croire au néant.

M. Bara. - Donc il n'y a pas d'athées selon vous ? (Interruption.) Votre système conduit à dire qu'il n'y a pas d'athées, puisque, pour qu'il y ait des athées, il faut que ces athées croient au néant.

Nous demandons si parce que nous disons au prêtre : Vous donnerez votre enseignement dans l'église et parce que nous défendons à l'instituteur d'attaquer les dogmes d'un culte quelconque, nous demandons si, à cause de cela, nous sommes hostiles à la religion.

Est-ce que nous voulons que l'instituteur parle contre le culte catholique, contre le culte juif, contre le culte protestant ?

Au contraire, nous le défendons formellement. Nous voulons la neutralisation absolue de l'école, c'est-à-dire que le protestant, le juif ou le catholique puisse entrer à l'école sans que ses convictions religieuses soient froissées en rien ; or, nous demandons en quoi cet enseignement est athée ?

Est-ce que l'enseignement religieux donné dans l'église par le prêtre sera plus mauvais, mois efficace, que s'il est donné dans l'école ? On serait tenir de le croire, d'après vous.

Vous devez admettre que le clergé, si l'enseignement religieux ne se donnait pas à l'école, donnerait cet enseignement dans l'église, Et son devoir l'y oblige. Il a pour mission, pour devoir de son ministère, d'enseigner la religion. S'il ne le faisait pas, il manquerait à toutes ses obligations.

Or, si l'enseignent religieux est transporté des écoles dans les églises, je ne vois pas ce que la religion pourrait y perdre.

La qualité de l'enseignement religieux change-t-elle selon qu'il est donné dans l'école ou dans l'église, par un instituteur ou par un prêtre ?

Mais je crois, au contraire, que, dans mon système, l'idée religieuse se propagerait mieux. L'église par sa gravité convient mieux pour apprendre à l'enfant les préceptes religieux et le prêtre est plus compétent pour enseigner ce qui est dogmatique. Aujourd'hui le cours de religion est donné par les instituteurs. Sont-ils capables ? Ont-ils la foi ? Vous dites : Ils sont catholiques. Qu'en savez-vous ? Ils sont obligés de l'être ou de le paraître pour obtenir ou conserver leur place, mais, en définitive, êtes-vous certains de leurs convictions ? (Interruption.)

Il y a eu un temps où l'on ne voulait d'enseignement que par des bouches ouvertes par l'Eglise ; maintenant on veut que l'enseignement religieux soit donné par l'instituteur, par le laïque, et le prêtre abandonne cette tâche, la plus importante de son ministère, et s'en remet à autrui du soin de la remplir.

Croyez-vous que le sentiment religieux ne gagnerait pas à être développé par des prêtres plutôt que par des hommes qui n'ont pas de mission directe de l'Eglise.

Si le prêtre faisait l'instruction religieuse dans le temple au lieu de s'en remettre à un tiers, je dis que la religion se propagerait davantage.

Vous n'avez donc pas de raison de prétendre qu'un système qui transporte l'enseignement de la religion de l'école à l'église, de l'instituteur au prêtre, est un système hostile à la religion. Sinon, il faudrait dire que l'église n'est pas une bonne école de religion et que le prêtre n'est pas capable d'enseigner le dogme.

Notre thèse est au contraire plus conforme que la vôtre au véritable développement de l'enseignement religieux.

Ce n'est pas du reste l'intérêt de cet enseignement qui inspire les attaques du parti clérical contre notre système. Ce que vous voulez, c'est que l'enseignement dans l'école ait un caractère confessionnel, c'est-à-dire qu'il soit empreint, depuis le commencement jusqu'à la fin, de l'esprit de la religion de la majorité des élèves.

Entrons dans une école et assistons à une leçon. C'est le meilleur moyen d'apprécier les choses.

Vous savez, messieurs, qu'aux termes de la loi de 1842, les instituteurs, à certaines époques de l'année, se réunissent, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, avec l'inspecteur provincial civil et l'inspecteur provincial catholique.

Là se donne une leçon et puis a lieu une conférence entre les instituteurs. C'est une de ces leçons que je vais vous faire connaître.

Je ne citerai pas la localité ni les noms des professeurs. J'ai à la main le procès-verbal d'une leçon.

« La séance s'ouvre à 9 heures.

« Les élèves récitent simultanément les prières du matin jusqu'aux commandements de Dieu.

« L'instituteur de la localité donne une leçon de catéchisme aux deux premières divisions, pendant qu'un moniteur et qu'une monitrice demandent la première partie du petit catéchisme aux élèves de la troisième division, le premier aux petits garçons et la deuxième aux petites filles.

« L'instituteur lit la première demande de la cinquième leçon de la troisième partie ; les élèves la récitent simultanément ; il lit également la réponse, et les élèves la répètent encore simultanément. Il fait de même pour le reste de la leçon, laquelle est ensuite récitée simultanément et individuellement. L'instituteur explique brièvement les cinq premières demandes et passe à la leçon de lecture.

« La Pâque, deuxième chapitre de la troisième époque de la Bible de l'enfance, en fait l'objet. Le premier et le cinquième paragraphes sont lus simultanément par les filles, et le deuxième et le quatrième par les garçons. Le reste du chapitre est lu individuellement par les filles. Le chapitre est ensuite relu deux fois individuellement par les filles et les garçons alternativement. L'instituteur fait fermer les livres ; il questionne sur les faits et demande la signification des mots immoler, printemps, laitues amères, ceint ; il se fait nommer les différentes saisons, l'époque et la durée de chacune d'elles.

« Il dit aux élèves de la première division d'analyser les six premiers verbes du chapitre lu, et a ceux de la seconde, d'analyser les six premiers substantifs.

« Il passe à la troisième division, laquelle avait écrit pendant la lecture de chapitre précité, Il donne une leçon de lecture et d'écriture combinées. Il s'occupe d'abord des garçons pendant que les filles continuent à écrire. Il (page 905) Il fait nommer quelques éléments de lecture peints sur un tableau, puis fait lire simultanément la phrase suivante, écrite à un tableau noir : Dieu ordonna, par Moïse, au peuple d'Israël, d'immoler, dans chaque famille, le soir du quatorzième jour du premier mois du printemps, un agneau et de le manger la nuit suivante avec des pains sans levain et des laitues amères. Il demande la signification des mots immoler et laitues amères, - ce que c'est que le printemps, - combien il y a de saisons, - la durée de chacune d'elles, il fait sur le mot agneau un court exercice d'intuition ; il dit ensuite aux élèves de copier cette phrase sur leur ardoise-carton.

« II va a la troisième division des filles où il fait, sur la phrase ci-dessus, écrite de l'autre côté du tableau noir, les mêmes exercices qu'à la troisième division des garçons.

« Il examine le devoir grammatical des deux premières divisions et le corrige. »

Ici l'instituteur fait résoudre un problème d'arithmétique et l'inspecteur provincial pose quelques questions. Le procès-verbal continue :

« les exercices pratiques sont terminés.

« Les élèves chantent à l'unisson un couplet du cantique : Travaillez à votre salut, et un second couplet du cantique : A tes pieds, ô Marie. Les garçons sortent d'abord de la salle, puis les filles par une autre porte.

« La séance est suspendue pendant quinze minutes.

« A la reprise de la séance, M.. donne lecture de son compte rendu de la dernière conférence ; il est adopté pour tenir lieu de procès-verbal.

« Les instituteurs sont invités à présenter leurs observations critiques sur les leçons qui ont été données. On fait remarquer que le ton des prières, du catéchisme et de la lecture n'est pas naturel ; que les syllabes sont peu accentuées ; que l'instituteur aurait dû parler de la bonté de Dieu dans l'exercice intuitif sur le mot agneau.

« M.... lit son travail préparatoire, partie civile, ayant pour objet les moyens auxquels l'instituteur doit recourir pour faire contracter aux enfants des habitudes de soumission et de politesse. M. le président et M. l'inspecteur ecclésiastique l'ont interrompu plusieurs fois pour corriger des expressions vicieuses ou fausses.

« M. l'inspecteur ecclésiastique adresse des félicitations aux instituteurs pour le travail qu'ils ont rédigé, lequel avait trait à la quatrième et la cinquième demandes de l'oraison dominicale.

« La séance est levée à une heure. »

Voilà donc, messieurs, une leçon de choix, une leçon solennelle faite devant les inspecteurs. C'est comme le modèle et le type des autres ; eh bien, je vous demande ce qu'on a fait. On commence par la prière ; pour la lecture, on choisit un passage de la Bible où l'on apprend qu'il faut au printemps manger un agneau avec du pain sans levain et des laitues amères. (Interruption.) Il n'y a que l'arithmétique où l'on n'introduise pas de la religion. On fait ensuite chanter des cantiques et voilà l'enseignement primaire en Belgique ! (Interruption.)

Eh bien, croyez-vous que si, au lieu d'employer tout son temps à cette besogne religieuse, on avait instruit l'enfant de choses étrangères et non hostiles à la religion, qu'il irait apprendre à l'église, mais utiles pour la vie, capables d'exercer et de fortifier son raisonnement, on n'aurait pas un meilleur enseignement ? Eh bien, c'est ce que nous demandons.

Nous ne sommes pas opposés à la religion ; donnez les exercices religieux à l'église, mais que chaque chose ait son heure et son lieu. Quand nous demandons un enseignement primaire, nous le voulons sérieux et nous estimons fort peu l'enseignement primaire qui, en dehors de l'église, entretient les enfants d'immolation d'agneau, de pain sans levain, de laitues amères, etc.

Qu'on dépouille les procès-verbaux de toutes ces réunions et on pourra étudier l'enseignement primaire sur le vif ; on verra qu'à part ce qui se passe dans les grandes villes, l'enseignement primaire est complètement entre les mains du clergé et qu'on le dirige non dans un sens religieux, mais dans un sens confessionnel, dans le sens de pratiques plus bigotes que religieuses.

L'honorable M. Schollaert parlait l'autre jour de l'Angleterre et venait dire : Voyez en Angleterre, on va lire la Bible dans les écoles et on va autoriser le commentaire de la Bible. Eh bien, je dis à M. Schollaert : Les catholiques sont-ils satisfaits de cela ? Evidemment non. Mon honorable collègue, M. Couvreur, m'assure qu'au sein du comité anglais les catholiques avaient combattu cette réforme ; je l'aurais combattue aussi. Les catholiques ne veulent pas voir faire le commentaire de la Bible dans l’école ; ils y sont opposés ; mais il faut être logique, s'ils ne veulent pas dans l'école le commentaire de la Bible, ils ne peuvent y vouloir l'enseignement du catéchisme romain. Il faut, pour être juste, que les ministres des cultes se chargent dans leurs temples de l'enseignement religieux.

En Hollande, est-ce que jadis, quand on a fait la loi de 1857, les évêques n'appuyaient pas le principe déposé dans cette loi qui veut que le prêtre n'enseigne pas la religion dans l'école ?

Ne venez donc pas dire, M. le ministre de la justice, que nous voulons des écoles athées, car c'est dire que les évêques irlandais, que les évêques anglais, que les évêques hollandais et que le pape lui-même veulent ou voulaient des écoles athées parce qu'ils sont ou étaient d'avis que l'enseignement religieux doit se donner en dehors de l'école.

Quanta nous, messieurs, nous ne sommes pas plus athées que les évêques d'Irlande, d'Angleterre et de Hollande ; nous ne sommes pas plus athées que le pape lui-même, qui a approuvé de la manière la plus absolue l'organisation de l'enseignement en Irlande ; et si, M. le ministre, vous voulez corriger votre curé, c'est votre affaire et non la nôtre. (Interruption.)

Au surplus, messieurs, il est vraiment curieux de voir continuellement nos adversaires se prévaloir, à l'exclusion de tous autres, de leurs sentiments religieux. A les entendre, eux seuls ont de la religion, des principes ; les autres n'en ont pas.

Mais, si le clergé désire tant voir l'enseignement religieux se propager, pourquoi donc, se refuse-t-il à y contribuer de tous ses moyens ?

Mon honorable collègue, M. Frère, vous l'a dit : Est-ce que le clergé va donner l'enseignement dans les écoles d'adultes ? Est-ce qu'il va donner cet enseignement dans les écoles moyennes, malgré les invitations, les prières même qu'il n'a cessé de recevoir ? Non, messieurs, il délaisse absolument les écoles d'adultes et les écoles d'enseignement moyen.

Il a objecté les difficultés que la loi opposait à son intervention, l'insuffisance des avantages qui lui sont faits. Est-ce un argument ?

Comment ! l'enseignement religieux doit sauver une quantité de jeunes gens, il doit procurer la santé de l’âme à une foule d'enfants ; eh hier, l’épiscopat recule devant cette besogne civilisatrice, parce que la loi sur l'enseignement moyen ne lui assure pas certains avantages déterminés.

On pourrait en conclure, messieurs, que le clergé ne doit attacher aucune importance à son enseignement ; car, s'il y attachait la moindre valeur, il ne reculerait pas devant de pareilles misères. Est-ce que quand les premiers chrétiens donnaient l'enseignement dans les catacombes, ils demandaient des faveurs et des avantages au pouvoir civil ; est-ce qu'ils demandaient même à l'autorité civile qu'on les invitât à donner leur enseignement ?

Ici, messieurs, le législateur invite le clergé à donner son enseignement dans les écoles moyennes ; le clergé s'y refuse. Il a mission de sauver les âmes, il n'en a nul souci ; il a pour devoir de pratiquer le précepte du Christ : lte et docete, et il laisse dans l'ignorance une foule de jeunes gens, parce qu'il est froissé dans son amour-propre, parce que le pouvoir civil ne lui a pas fait toutes les concessions, n'a pas souscrit à toutes les abdications qu'il réclame !

Mais il y a plus : ce n'est ni la loi de 1850, ni la loi de 1842 qui empêchent le clergé de donner son enseignement dans l’école moyenne de filles. La preuve, c'est la conduite qu'il tient à l'égard de ces écoles. A Bruges, l'administration communale avait offert de soumettre son établissement à la loi de 1842, le clergé a refusé d'intervenir ; l'administration communale de Tournai établit une école moyenne ; elle prie le clergé d'y donner l'enseignement conformément à la loi de 1842 ; et le clergé refuse. Pourquoi ? M. Devaux l'a dit : L'évêque refuse, et l'évêque de Bruges ne l'a pas nié, parce qu'à Bruges if y a des établissements d'enseignement des filles aux mains des religieuses, et qu'on redoutait la concurrence d'un établissement nouveau. A Tournai, il en est de même. Voilà la vérité.

En présence de ces faits, pouvons-nous croire que la conduite que nous signalons au pays a pour but de servir des intérêts religieux ? Mais dans toutes nos luttes, dans toutes nos querelles, la religion n'est pour rien. Je vais le prouver par des faits incontestables.

Voici une brochure et j'y lis ce qui suit :

« Nous avons indiqué les causes qui font la force des religions établies ; nous savons les efforts que l'on fait dans toutes pour empêcher qu'on ne les déserte ; en un mot, elles sont à la veille de leur ruine ; or, le motif en est bien simple, c'est qu'elles sont toutes, sans exception, d'origine humaine...

« Il ne faut pas que la charité publique soit abandonnée à des hommes qui n'ont que trop souvent l'habitude, tout le monde le sait, de ne céder les clefs du Ciel qu'au prix de l'abandon qu'on leur fait de celle des biens de la terre...

« Ce que l'Etat doit empêcher par tous les moyens, c'est que, terrifiés (page 906) par la crainte de châtiments dont les entretiennent à dessein leurs confesseurs, les moribonds n'abandonnent à ces mêmes associations leurs immeubles, qui finissent ainsi par tomber en mainmorte. »

Savez-vous, messieurs, qui a écrit cela ? C'est M. d'Hane-Steenhuyse, le collègue de M. Jacobs.

Comme, avant l'élection d'Anvers, on avait dit qu'en raison des opinions religieuses de M. d'Hane-Steenhuyse qui avait nié la divinité du Christ, le clergé d'Anvers pourrait bien ne pas voter pour lui, ce clergé a tenu à honneur de déclarer publiquement qu'il voterait pour M. d'Hane.

Et comment, dès lors, voulez-vous faire croire au sentiment religieux qui vous anime ?

Et comment peut-on prendre au sérieux les lamentations de Jérémie de M. Cornesse sur l'attitude prise par l'honorable M. Bergé, quand le clergé d'Anvers vote unanimement pour un homme qui a dit que toutes les religions sont d'origine humaine ?

L'auteur de cette brochure vient d'être décoré par le ministère. Est-ce pour sa brochure et sur la proposition du clergé d'Anvers ? (Interruption.)

Voici un autre fait :

En 1856, les évêques font une grande campagne contre l'université de Gand, et nous trouvons dans les mandements de l'évêque de Gand ce qui suit :

« Nous exhortons entre-temps notre clergé à avertir d'une manière sérieuse les parents que la chose concerne, du danger de perdre la foi, auquel est exposée la jeunesse dans cette université aussi longtemps que de tels professeurs (tales viri) enseignent la philosophie, l'histoire, le droit naturel, etc…

« « Les enfants (qui vont dans les établissements où le prêtre ne donne pas l'enseignement) deviennent capables des plus grandes monstruosités.

« L'enseignement moyen tel qu'il est organisé dans les écoles n'est propre qu'à semer le malheur dans les maisons, le trouble dans la famille, la désolation dans la patrie.

« A l'université, au lieu d'y trouver une forte et saine nourriture, les élèves y rencontrent du poison... »

« Vous n'attendez pas de nous, nos très chers frères, que nous réfutions de tels blasphèmes, joints à une profonde ignorance ; il suffit que nous vous les signalions et que vous sachiez qu'ils ont été enseignés dans l'université de Gand avec d'autres graves erreurs encore. »

Eh bien, l'empoisonneur de la jeunesse universitaire, le blasphémateur, l'ignorant que signale M. l'évêque de Gand à l'indignation des pères de famille, où est-il ? Il est dans cette enceinte ; il y est arrivé sur un pavois de tricornes ! Et il n'a absolument rien rétracté de son opinion. Et celui que M. l'évêque de Gand appelle un empoisonneur, un blasphémateur, un ignorant, est un de vos collègues, messieurs de la droite, qui vote avec vous, et qui a eu, dans les élections, l'appui de votre parti. Et vous voulez nous persuader que la religion est l'objet unique de votre sollicitude !

- Un membre de la droite. - Quel est ce membre ?

M. Bara. - C'est M. Brasseur qui enseignait à Gand le droit naturel, et dont M. l'évêque de Gand a dit : « Au lieu de trouver à l'université de Gand une forte nourriture, les élèves y rencontrent le poison. »

Eh bien, d'après M. l'évêque de Gand, votre parti a nommé député un blasphémateur, un ignorant, un empoisonneur. Et après cela, nos honorables collègues de la droite se font passer pour des parangons de la religion, et croient nous avoir écrasés par cette éternelle absurdité : « Vous êtes des athées ! »

Messieurs, je prie les honorables membres de cesser cette équivoque qui n'a duré que trop longtemps. Chacun sait qu'il y a à droite et même dans la presse catholique une foule de personnes qui ne sont nullement catholiques. La vérité est que le parti clérical est tout autre qu'un parti religieux et un parti catholique.

Il n'a absolument rien de commun avec la religion. Le parti clérical est un parti qui a pour but non pas de faire prédominer les idées, mais de faire prédominer les personnes, le clergé, les couvents, les moines, qui a pour but de mettre l'influence politique entre les mains du prêtre. Quel rapport cela a-t-il avec la religion ? (Interruption.) Mais, messieurs, nous devons tenir ce langage, parce qu'il n'est pas possible de vous laisser continuellement ce manteau de Joseph dont vous vous affublez ; il faut vous l'arracher. (Interruption.)

Je sais très bien qu'il est fort agréable de se mettre sur un piédestal, de se grandir, de se représenter comme le type, comme le modèle de toutes les vertus. Mais quand on est ce que vous êtes, on doit, à péril de représailles, savoir respecter vos adversaires, et ne venez pas à chaque instant prétendre que parce que nous avons une autre opinion que vous sur la marche des affaires publiques, parce que nous voulons l'indépendance et la dignité du pouvoir civil, nous sommes des hommes irréligieux.

L'honorable M. Cornesse, prétendant que le parti clérical a toujours été très partisan de la diffusion des lumières et de l’enseignement, est venu nous dire : Voyez nos œuvres. Comment ! vous n'avez rien fait, vous libéraux, vous n'avez absolument rien à votre compte, et vous venez nous attaquer. Faites comme nous : faites des écoles. Eh bien, l'honorable M. Cornesse se trompe : le parti catholique, je le reconnais parfaitement, a créé en Belgique des écoles quand il a été poussé par l'émulation des pouvoirs publics ; il a alors créé des écoles pour faire de la propagande. Mais quand il n'y a pas d'enseignement organisé, messieurs, le parti catholique ne veut pas d'écoles et la preuve, mais vous allez l'avoir ; prenez la situation la plus florissante que vous avez eue : c'est bien sous le régime espagnol. Eh bien, voyez ce que dit un auteur dont vous ne récuserez pas le témoignage :

« Exclusivement occupé de l'éducation religieuse, on néglige totalement l'instruction littéraire ; la ferveur religieuse ne cesse de grandir, mais l'ignorance croît sans cesse dans la même proportion. Tel est l'enseignement pendant toute la durée du régime espagnol qui marque la période la plus triste de notre histoire, et telle qu'au XVIIIème siècle, quand vint la domination autrichienne, il faut dire à l'opposé des historiens du XVIème siècle : « Il était rare de trouver même un bourgeois qui sût lire et écrire. »

Et qui a écrit cela ? C'est celui que M. le ministre de l'intérieur a mis à la tête de l'enseignement primaire ; il ne connaissait peut-être pas alors ce petit péché. Mais M. Lebon dans son livre a écrit que « la ferveur religieuse ne cesse de grandir, mais que l'ignorance croît sans cesse dans la même proportion. » (Interruption.)

Je ne sais si M. Lebon trouvera son chef d'aussi bonne humeur ce soir. (Interruption.) En tout cas, je serais au regret qu'il en fût autrement.

Maintenant, messieurs, si l'on veut prendre, par exemple, l’Histoirc de Bruxelles, on trouve l’Histoire de MM. Henne et Wouters que le clergé, au commencement du XVème siècle, se contentait de deux écoles à Bruxelles.

La bourgeoisie réclama et quarante ans après on en créa treize. On ne voulait qu'une école par paroisse et on limitait le nombre des enfants qui y pouvaient entrer. Quant à l'enseignement, il était insignifiant.

Même en 1838, avant la loi de 1842, savez-vous combien il y avait à Bruxelles d'enfants dans l'ignorance ? Sur 4 enfants, il y en avait 3 dans l'ignorance la plus complète. Vous aviez le droit de former des écoles, mais vous n'en avez rien fait. Et savez-vous ce qu'étaient vos collèges de jésuites dont vous parlez tant, M. Cornesse ? Je vais vous le dire :

« On comptait, à l'époque de Marie-Thérèse, dit l'auteur d'un mémoire couronné par l'Académie de Belgique, on comptait dans les diverses villes de la Belgique environ 60 collèges dont un tiers était dirigé par les jésuites, un deuxième tiers par des prêtres réguliers et le reste par des religieux de différents ordres, principalement des augustins, des oratoriens et des récollets. Bien loin qu'il en résultât la moindre émulation, on ne rencontrait qu'un esprit d'inertie qui rappelait les siècles de l'ignorance.

« Les jésuites étaient en possession de la vogue, et ils la devaient bien moins à leurs talents personnels qu'à la réputation de la société à laquelle ils appartenaient, aux intrigues qu'ils savaient mettre en œuvre pour se concilier la bienveillance publique et aux amusements de toute espèce qu'ils cherchaient à procurer aux élèves.

« Les écoles primaires, à quelques exceptions près, n'étaient que les écoles préparatoires des collèges ou des établissements dépendants des chapitres et des monastères. Il y avait bien en quelques endroits des institutions civiles sous la surveillance des magistrats, mais elles étaient peu nombreuses et la plupart des écoles étaient confiées à des vicaires ou à des clercs de paroisse qui s'attachaient beaucoup plus à l'enseignement du catéchisme qu'à tout autre objet. »

Dans ces collèges, messieurs, on avait la prétention d'enseigner le grec, et savez-vous en quoi consistait cet enseignement ? A écrire les mots latins en grec. (Interruption.)

Voilà ce qu'était votre enseignement. Le clergé n'a jamais été favorable à l'enseignement. Le clergé s'est montré favorable à l'enseignement quand il s'est agi de concurrence, de lutte.

Sa véritable doctrine est celle que l'honorable M. Schollaert a professée pour l'instruction de la femme. Il n'en veut pas ou il en veut très peu. La femme doit se tenir dans une infériorité déterminée. Du reste, c'est là le vœu du clergé. Et à ce sujet, permettez-moi de dire un mot.

L'honorable M. Schollaert est venu se poser en paladin, vous vanter la femme chrétienne et dire qu'il défendait l'opinion de l'Eglise. Il y a beaucoup à rabattre de ces éloges. Sans doute le christianisme a relevé la condition de la femme, mais le progrès des mœurs et des lumières a fait (page 907) beaucoup dans ce but. Le catholicisme ne veut pas que la femme ait une instruction étendue, et plus d'un Père de l’Eglise a formulé sur les femmes, des opinions peu avantageuses, et au VIème siècle, un concile, sur la proposition d'un évêque, a délibéré sur le point de savoir si la femme faisait partie du genre humain. (Interruption.)

M. Delcour. - Vous avez singulièrement oublié l'histoire ancienne, pour dire de pareilles choses !

M. Bara. - M. Delcour, puisque vous m'interrompez et que vous prétendez que le clergé veut l'extinction de l’enseignement, je vous dirai qu'il ne veut pas même l’enseignement religieux, et je le prouve. Je vous parlerai d'un fait qui vous est personnel et sur lequel vous pouvez me donner des renseignements.

En 1864, la convention d'Anvers était appliquée au collège de Louvain, il y avait un ecclésiastique pour donner l'enseignement religieux. L'ecclésiastique disparaît par décès ou par déplacement. Le bureau administratif maintient la convention, et de 1864 à 1870 on n'entend plus parler de l'enseignement religieux au collège de Louvain. L'archevêque de Malines ne donne pas de successeur a l'aumônier. Vous arrivez à la commune, et sans délibération nouvelle du conseil communal, l'archevêque envoie un prêtre au collège de Louvain. Voilà donc que vous privez les enfants de l'enseignement religieux parce que le conseil communal est libéral. Vous arrivez au pouvoir, et aussitôt un prêtre est envoyé. Cela est-il exact ?

M. Delcour. - Très exact.

M. Bara. - Mais alors, dites-moi, je vous en prie, ce que vous pensez de l'archevêque de Malines qui, pendant six ans, a négligé sans motif les intérêts religieux des enfants, et qui attend l'arrivée des catholiques au pouvoir pour donner un prêtre dans l'école.

Ne venez donc pas dire que c'est dans l'intérêt de la religion que vous agissez. Vous agissez dans un intérêt de concurrence et vous ne croyez pas ou vous laissez croire au public que vous ne croyez pas à l'utilité de l'enseignement religieux, puisque vous laissez les enfants pendant plus de six ans sans enseignement religieux, parce qu'il y a des libéraux à la tête d'une commune.

M. Delcour. - A peine arrivés, nous l'avons rétabli et j'ai voté, au conseil communal, la nomination du prêtre.

M. Bara. - Il ne s'agit pas de vous, je parle de. l'épiscopat et je demande comment vous sauriez expliquer que, depuis 1864 jusqu'en 1870, l'archevêque de Malines n'a pas nommé de professeur de religion au collège de Louvain, placé sous la convention d'Anvers.

Répondez ! Je vous céderai volontiers la parole. (Interruption.)

M. Delcour. - Messieurs, voici la vérité.

Il s'était passé, au collège communal de Louvain, certains faits dont je n'ai pas à entretenir la Chambre, c'est le motif qui a empêché l'ordinaire de rétablir un aumônier au collège.

Le jour où l'opinion catholique est arrivée à la commune, elle s'est fait un devoir d'exécuter la convention d'Anvers, de s'entendre avec l'archevêque et de faire cesser un grief dont on se plaignait généralement à Louvain. L'aumônier est réinstallé au collège et je suis heureux d'y avoir contribué.

M. Bara. - Heureusement que. je suis muni de pièces Il n'a pas été question de ce que vient de dire M. Delcour dans le conseil communal de Louvain. Voici comment un journal rapporte la discussion qui a eu lieu dans ce conseil :

« M. Lints. - A propos de l'article 6 de l'ordre du jour, concernant l'admission d'un aumônier au collège communal, je désirerais savoir qui a pris l'initiative dans cette affaire. Est-ce le collège ou l'épiscopat ?

« M. le bourgmestre donne lecture d'une lettre de Mgr l'archevêque de Malines informant le collège des bourgmestre et échevins que M. Van Caster a été nommé aumônier au collège communal de la Haute-Colline en cette ville.

« M. Lints. - On aurait pu procéder dans cette affaire avec plus de franchise. Pourquoi n'a-t-on pas saisi au préalable le conseil de cette question ?

« M. le bourgmestre. - Il en est saisi maintenant. Si M. Lints est contraire à la convention d'Anvers, il peut voter contre l'admission de l'aumônier.

« M. Lints. - La convention d'Anvers n’existe plus. C'est l'autorité religieuse qui la première y a renoncé en ne nommant plus d'aumônier. Je me rappelle qu'après le départ du dernier aumônier, la presse de l'opposition attaqua violemment le collège ; on espérait ainsi le faire crouler,

« M. Dedecker. - Puisqu'il vient d'être fait appel à la franchise, je demande la permission de donner lecteur de mon rapport.

« On cherche le rapport qui ne se trouve point parmi les pièces déposées sur la table du conseil. En attendant qu'on aille le prendre dans les bureaux, la discussion est suspendue...»

« Cette petite digression cesse au moment où l'on apporte un dossier. On constate que ce n'est pas celui demandé. M. Debecker se résigne à faire appel à sa mémoire et donne les explications suivantes :

« A son arrivée aux affaires de la commune, son premier soin, dit-il, en sa qualité d'échevin chargé de l'instruction publique, a été de s'occuper du collège. Plusieurs parents, appartenant à diverses opinions, m'avaient déclaré qu'ils désiraient vivement que l'enseignement moral et religieux fût rétabli au collège communal.

« C'est à la suite de ces déclarations que je me suis mis à compulser les documents concernant cette affaire et je n'ai trouvé nulle part le moindre fait relatif à ce que vient de dire M. Lints.

« Lors de la retraite, en 1864, du dernier aumônier, l'épiscopat n'ayant pas pourvu immédiatement à son remplacement, le bureau administratif du collège se rassembla et s'occupa de la question. Le président du bureau, à cette époque, proposa franchement de ne plus recevoir à l'avenir-un aumônier au collège. Las autres membres du bureau furent d'un avis contraire. Deux d'entre eux déclarèrent même qu'il y avait dans le maintien de la convention une question de loyauté.

« M. Sauveur, préfet des études, auquel on avait demandé son avis, déclara, dans son rapport, que beaucoup de parents tenaient énormément à avoir, au collège, un professeur de morale et de religion et que plusieurs élèves appartenant à des familles catholiques et fréquentant les cours du collège, se distinguaient parmi les meilleurs sujets.

« Le bureau administratif décida que la convention serait maintenue et qu'on attendrait la nomination d'un nouvel aumônier.

« Je crois donc, messieurs, qu'en signalant à l'autorité religieuse le désir qui s'était manifesté parmi la population au sujet de l'enseignement religieux au collège, j'ai posé un acte qui ne peut que recevoir l'approbation du plus grand nombre des habitants.

« M. Lints. - Je tiens à constater que c'est l'autorité religieuse qui a rompu la convention.

« M. le bourgmestre. - La convention n'a point été rompue.

« M. Willemaers reconnaît que les explications fournies par M. Dedecker sont tout à fait conformes à son rapport.

« M. Jacobs. - M. Lints a dit tantôt que l'autorité religieuse avait refusé de nommer un aumônier et que l'opposition de cette époque avait attaqué le collège dans le but de le faire crouler. Je demanderai à M. Lints s'il peut prouver ce qu'il avance.

« M. Lints. - Non, mais telle est mon opinion personnelle.

« M. Jacobs. - Alors M. Lints me permettra de protester énergiquement avec mes amis contre des insinuations aussi légères que malveillantes. »

Ainsi donc, quand on vient dire, c'est à raison de faits secrets qui se seraient passés au collège de Louvain que l'évêque n'a pas nommé d'aumônier, on dit une chose inexacte puisque vos propres amis et vous-même, car vous y étiez, vous avez protesté contre les insinuations que l'on faisait et qui tendaient à vous représenter comme ayant été hostile au collège.

Il résulte du rapport de M. Dedecker que pendant six ans l'épiscopat a laissé le collège sans aumônier. Voilà le fait, vous ne sauriez le justifier.

J'en finis, messieurs, de ma digression et je reviens à mon sujet. L'honorable M. Cornesse vante beaucoup les établissements religieux et il nous dit : Est-ce que vous en avez créé autant ?

Certainement non, et pour de bonnes raisons que je vous dirai tantôt ; mais il ne faut pas croire que les établissements religieux, comme vous le dites, ne coûtent rien à la nation.

L'honorable M. Cornesse croit avoir triomphé quand il s'est écrié : On ne demande rien à l'impôt. Sans doute, mais la nation n'en sent pas moins les charges. C'est un véritable impôt sur les successions que vous prélevez. C'est par des donations et des libéralités de personnes riches que cela se fait, et ces personnes agissent ainsi sans se nuire à elles-mêmes, mais en dépouillant leurs héritiers qui sont vous et nous, des catholiques sans doute, mais des libéraux aussi.

L'honorable ministre des finances sait à quoi s'en tenir sur ce sujet.

Dans l'affaire De Boey, il a fallu restituer une grande partie des biens malgré les efforts de l'honorable M. Jacobs qui plaidait dans cette affaire. Les biens étaient donnés à une personne qui se trouvait l'héritier apparent et ces cas sont nombreux.

(page 908) L'honorable M. Cornesse est un très bon catholique, je dois le croire, et pourtant il ne saurait pas créer une école, malgré son influence. Je le défie d'obtenir l'argent nécessaire à cet effet.

Pourquoi ? Parce qu'il n'a rien à offrir à ceux à qui il demanderait de l'argent. Comme le disait l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse, il faut offrir les clefs du paradis pour recevoir, et c'est le clergé seul qui tient ces clefs. (Interruption.)

Est-ce que les catholiques donnent plus que nous ?

En aucune manière.

Consultez tous vos consciences. Vous verrez qu'il en est ainsi. Le clergé lui-même ne donne que contraint et forcé. Vous allez voir.

Messieurs, lorsqu'on a créé l'université catholique en 1834, croyez-vous que l'on ait cru que l'université allait vivre de dons volontaires et qu'il ne fallait pas prendre de mesures pour la faire subsister ?

Voici, messieurs, la lettre de l'épiscopat à son clergé :

« Nous prions tout le respectable clergé de nos diocèses, sans exception, de donner l'exemple d'une coopération à une si belle œuvre (l'université catholique) et, sans vouloir imposer l'obligation à personne ni mettre des bornes à la libéralité de nos chers coopérateurs, nous engageons MM. les vicaires généraux, chanoines, doyens, curés de première et de deuxième classe, à prendre 20 actions (d'un franc) annuellement ; MM. les desservants des succursales, 10 actions ; MM. les chapelains, vicaires et antres ecclésiastiques, 5 actions ; nous-mêmes nous souscrivons pour 200 actions par an. »

M. Van Wambeke. - C'est volontaire, cela.

M. Bara. - Oh ! oui, très volontaire ; on ne limite pas les générosités, mais on impose chacun selon ses grades et dignités.

Et quels sont ceux qui font cela ? Ceux qui font les nominations et donnent l'avancement.

Vous voyez donc bien que vous ne devez pas vous targuer de générosité. Oui, vous excitez le zèle des catholiques, vous demandez de l'argent aux fidèles, aux moribonds pour fonder des œuvres catholiques. Mais il n'y a pas lieu de vous en vanter. Les moyens dont vous usez, nous ne les avons pas à notre disposition, et les eussions-nous, nous n'en userions pas, car nous ne voulons pas porter atteinte aux successions et aux droits des familles. (Interruption.)

Et chaque année on sait que, dans le carême, il se fait une quête dans les églises pour l'université de Louvain ; ne fût-ce que par respect humain, on est obligé de donner. (Interruption.) Oui et chaque année les évêques remercient. (Interruption.) Oh ! j'ai ici un amendement de l'évêque de Bruges où il est dit :

« Aussi saisissons-nous avec empressement cette occasion de remercier les fidèles qui chaque année offrent une généreuse aumône pour le soutien de l'université catholique et nous conjurons le Seigneur de les récompenser au centuple. »

Voila, messieurs, pour ce qui concerne la prétention de nos adversaires d'être religieux à l'exclusion de tout le monde. Mais une autre prétention de nos adversaires est d'être le parti de l'ordre ; c'est encore un point très intéressant que je me permettrai d'examiner. Nos adversaires, quand ils sont dans l'opposition, sont les défenseurs de toutes les libertés, jusqu'à la licence ; ils n'ont peur de rien, ils seraient capables de dire en exagérant un mot connu de notre honorable président : « Nous voulons jusqu'à la liberté du coup de poing. » Au pouvoir, eux seuls sont les défenseurs de l'ordre.

Messieurs, il est assez curieux d'examiner les faits sur lesquels s'établit une pareille prétention.

S'il y a des fautes regrettables à signaler au point de vue de la résistance aux lois, c'est dans votre parti.

En 1864, qu'est-ce que vous faites ? On discute une loi dans cette Chambre ; il y aune majorité légale ; elle ne vous convient pas, vous entravez les travaux législatif s; vous vous retirez, vous forcez le Roi à faire une dissolution des Chambres et à jeter le pays dans l'agitation. Comment donc auriez-vous le droit de vous plaindre si un jour les ouvriers venaient méconnaître aussi l'autorité d'une Chambre constituée légalement ? (Interruption de M. Dumortier.) Mais, M. Dumortier, les ouvriers, les perturbateurs auront toujours des raisons à invoquer.

Y avait-il, en 1864, un pouvoir légal, une Chambre légale, oui ou non ? Oui, alors vous n'aviez pas le droit de vous mettre en grève et de refuser votre concours. Vous avez pourtant arrêté le mouvement de nos institutions. Et vous êtes des hommes d'ordre !

A Anvers, on ne donne pas satisfaction à de prétendus griefs. Que. fait le parti clérical ? il refuse de nommer des sénateurs et des députés. Il fait absolument comme les ouvriers ; il veut empêcher la machine gouvernementale de marcher, comme les ouvriers veulent empêcher les machines industrielle de fonctionner, il se met en grève législative ; il refuse de remplir les devoirs qui incombent à tous les citoyens,

Voilà des points de contact que vous avez avec l'Internationale, qu'il importait de signaler.

M. Coomans. - Vos amis n'ont pas voté non plus à Anvers.

M. Bara. - S'ils n'ont pas voté, vous voudrez bien reconnaître que ce n'a pas été pour les motifs qui ont guidé vos amis. (Interruption.)

Ils n'ont pas voté parce qu'ils n'ont pas voulu employer un subterfuge pour envoyer dans cette Chambre une députation qui n'eût pas été l'expression de l'opinion anversoise. Nos amis ont préféré s'abstenir ; ils ont bien fait.

N’a-t-il pas fallu une loi pour forcer les administrateurs spéciaux à livrer les pièces et les titres qu'ils détenaient ; il a fallu l'intervention des tribunaux pour obtenir l'exécution de la loi des bourses.

On a parlé de l'Internationale. L'Internationale, messieurs, nous avons vu ses commencements, ils sont parfaitement connus. Le parti catholique savait parfaitement ce qu'était l'Internationale ; cette société ne cachait pas, du reste, ses opinions : on avait publié un livre qui est l'exposé précis de ses principes. Permettez-moi de vous en lire un passage :

« L'armée et la royauté sont intimement liées dans l'histoire. On ne peut renverser l'une sans ébranler l'anure.

« Le progrès politique, c'est-à-dire, l'abolition de la royauté et de l'armée, a pour terme final l'avènement de la république occidentale, qui seul peut clore la crise qui agite l'Europe depuis le XVème siècle.

« Il faut de l'audace en politique, surtout de la franchise. Si nous voulons renverser l'armée, attaquons la royauté ; si nous sommes démocrates, soyons républicains. Ne séparons pas les deux champions de la réaction ; mais souvenons-nous des paroles d'un éminent révolutionnaire : Morte la bête, mort le venin ! Le venin, c'est l'armée ; la bête, c'est la royauté ! »

Or, messieurs, c'est cette association internationale qui avait organisé dans ce pays les premiers meetings contre la conscription et contre les armées permanentes, avec le but de renverser nos institutions.

Qu'avons-nous vu ? Le parti catholique connaissait les tendances de l'Internationale. Cela l'empêche-t-il de se réunir à elle pour combattre le gouvernement et non pas pour abolir la conscription car il n'en est plus question depuis que le ministère actuel est au pouvoir.

Or, messieurs, écoutez ce que disait la Gazette de Liège, au moment où l'Internationale propageait ses doctrines dans le pays. C'était le 5 février 1868, nous lisons ce qui suit dans ses colonnes :

« Un nouveau meeting, tel que notre ville n'en a pas encore vu, est convoqué, dimanche, à trois heures, dans la salle de la Renommée pour émettre une solennelle protestation contre la conscription et les charges militaires.

« Les démonstrations jusqu'à présent organisées par les ouvriers de l’Association internationale des travailleurs ont eu leur caractère particulier ; autre et plus général sera celui de l'assemblée de dimanche.

« Toutes les classes sociales y seront représentées ; elle sera tenue en dehors de toutes les rivalités de parti ; la même réforme enfin y sera réclamée et par la voix catholique de plusieurs de nos amis les mieux connus, et par celle des orateurs des plus distingués du libéralisme indépendant. »

Voilà la réunion annoncée et les catholiques convoqués. La réunion a eu lieu. Une résolution est votée. Savez-vous en quoi elle consiste ?

«. On proteste contre toute aggravation des charges militaires, soit qu'elles entraînent une augmentation du budget ou du contingent, soit qu'elles impliquent une prolongation du temps de service. Une diminution du budget de la guerre et des charges militaires ainsi que l'abolition de la conscription seront réclamées. »

En conséquence, il ne s'agissait pas du tout d'une nouvelle organisation de l'armée, du système suisse ou du système prussien ; mais il s'agissait de la diminution des charges militaires et du contingent.

Les catholiques acclament cette résolution, dont aujourd'hui on n'entend plus parler. Ils se promènent en cortège par les rues de Liège, en compagnie des délégués de l'Internationale. Ils signent une pétition et l'envoient à la Chambre des représentants, et savez-vous, messieurs, qui se trouvait parmi les personnes qui se livraient à ces démonstrations ? J'y vois :

M. Grandmont, candidat catholique pour la Chambre, à Liège ;

M. Constant, également candidat catholique, à Marche ;

M. Dejaer, vice-président de la Concordia, ancien candidat catholique ;

M. Vandenberg, conseiller communal catholique, candidat à la Chambre a Liège ;

M, le comte de Limburg, sénateur ;

(page 909) M. Leleu, candidat catholique pour le conseil provincial, que M. Cornesse vient de nommer juge de paix.

Comment pouvez-vous, après cela, nous accuser de nous allier à l’Internationale, vous qui sortez d'une campagne faite avec cette société pour supprimer l'armée ?

M. Cornesse a rappelé des événements dont il aurait mieux fait de ne pas parler.

Oui, sous notre administration l'armée s'est trouvée dans la malheureuse nécessite de faire par la force rentrer dans l'ordre des ouvriers qui violaient la loi ; mais vous oubliez qu'à peine arrivés aux affaires, vous avez dû aussi, et sans émeute, faire tirer sur un ouvrier, et au lieu de jeter un voile sur ce fait dont on contestait pour vous la nécessité, vous avez donné la croix de l'ordre de Léopold au soldat qui avait tué cet ouvrier. (Interruption.)

M. Cornesse, ministre de la justice. - L'arrêté avait été préparé sous l'administration précédente.

M. Bara. - C'est inexact, nous n'avons jamais été saisis de la proposition de décorer ce soldat. Si quelqu'un dans l'armée avait conçu l'idée de faire décorer ce soldat, nous n'en savons absolument rien.

Je poursuis et continue à voir si vous êtes le parti de l'ordre.

Un prêtre est condamné pour avoir violé une loi volée à l'unanimité au Sénat, tant par les catholiques que par les libéraux. Que faites-vous ? Un sénateur, au sortir de la prison, va le chercher dans son équipage, le ramène en triomphe dans son village, où le parti clérical lui offre un banquet et un cadeau.

Et voilà comment vous faites respecter l'autorité due à la loi ! Aussi, quelque temps après, les ouvriers de Verviers allaient-ils en cortège faire une ovation à leurs camarades qui sortaient de prison pour avoir commis des désordres au sujet de la conscription.

Il y a plus, messieurs ; huit incendies et sept dévastations sont commis à Saint-Genois. (Interruption.)

M. le président. - N'interrompez pas.

M. Dumortier. - Je vous répondrai.

M. Bara. - Ce n'est pas votre réponse qui m'effraye ; vous êtes beaucoup plus gêné de ce que je vais vous dire et c'est pour cela que vous cherchez à m'intimider ; mais je ne me détournerai pas de mon devoir, vous le savez fort bien. Huit incendies, sept dévastations sont commis. Une personne est condamnée, non par la magistrature ordinaire, mais par le jury national, par ses pairs, par des hommes choisis par le sort sur une liste dressée selon la loi.

Vous arrivez au pouvoir et quelque temps après cette personne, qui avait été condamnée, est graciée. Je ne sais, messieurs, si c'est de l'avis du procureur général ; je ne sais si M. le ministre de la justice a lu même le dossier. C'est ce qu'il pourra nous dire.

Mais, messieurs, écoutez ce que disaient, le lendemain, les organes autorisés du cabinet, ce que la presse qui le défend disait de cette grâce.

Le Journal d'Anvers déclare que Depoorter est, non pas un coupable, mais une victime des haines de parti. Ce jury national qui a fait son devoir, ce jury qui avait condamné en âme et conscience, on lui jette l'injure à la face en lui disant : Vous avez transporté, dans le sanctuaire de la justice, la passion et la haine, et pour satisfaire cette passion et cette haine, vous avez condamné un innocent.

Le Journal de Bruxelles, celui dont M. d'Anethan a été le directeur, s'il ne l'est pas encore...

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Je n'ai jamais été directeur du Journal de Bruxelles.

M. Bara. - ... Beaucoup de personnes prétendent le contraire.

Le Journal de Bruxelles s'exprime en ces termes :

« Dans le fait qui nous occupe, il n'y a pas même de doute. L'injustice de la condamnation qui a frappé Depoorter est évidente, manifeste. Dès lors, il était du devoir du gouvernement de faire usage de son droit ; c'était donc pour lui le cas ou jamais de donner à la Couronne l'occasion d'exercer l'une de ses plus précieuses prérogatives.

« La grâce accordée à Depoorter est un acte de bonne justice et de réparation. »

M. Reynaert. - C'est la vérité. C'était un acte de justice, et de réparation.

M. Bara. - Ainsi, ce n'est pas un acte de clémence, c'est une réformation du verdict du jury de la cour d'assises ; c'est la justice ministérielle venant se substituer à la justice de nos tribunaux ; c'est l'homme politique qui siège au cabinet du ministère de la justice venant remplacer le jury national chargé d'appliquer la loi. (Interruption.)

Eh bien, messieurs, je le demande, que des troubles éclatent dans notre pays, que des ouvriers attaquent la propriété, qu'on les traduise devant les tribunaux ; si plus tard les ouvriers triomphent, vous leur avez donné le droit de corriger les sentences de la justice, et en mettant en liberté ceux qui auront été condamnés pour avoir violé les lois, ils pourront dire : Nous faisons ce que le parti clérical a fait. Nous réparons les erreurs de la justice. (Interruption.)

Vous avez ainsi prêché le mépris de la magistrature nationale et de la loi.

M. Reynaert. - Vous, vous l'avez avilie !

M. Dumortier. - Vous l'avez prouvé par vos actes. (Interruption.)

M. le président. - N'interrompez pas, M. Dumortier. Ne voyez-vous pas que l'orateur désire vos interruptions ? Faites-lui donc le chagrin de respecter le règlement.

M. Bara. - Il nous faut autre chose que vos accusations. Vous crierez bien fort, comme toujours, mais vous ne prouverez rien ; je vous en mets au défi.

M. Reynaert. - J'accepte le défi. Fixez un jour ! (Interruption.)

M. Bara. - Vous êtes absolument comme les chœurs de l'Opéra ; vous criez « Marchons, marchons ! » et vous ne marchez jamais. (Interruption.) Vous avez des éclats de voix, mais quand je vous mets au défi de venir avec une preuve, une seule, vous êtes impuissants !

M. Reynaert. - Le défi est accepté !

M. Bara. - Nous verrons bien quand vous le relèverez. Voilà, messieurs, ces hommes qui respectent la loi, qui respectent l'autorité judiciaire. Voilà les hommes qui veulent que les arrêts de la justice soient exécutés, et ils vont jeter l'injure à la magistrature, déclarer que les verdicts rendus par des citoyens honorables sont des verdicts de partis, inspirés par la haine et la passion, qu'il faut les annuler comme une réparation due au droit et à la vérité.

Messieurs, il n'y a pas d'ordre contre l'autorité de la loi. Il n'y a pas d'ordre sans le respect de nos institutions. Eh bien, les lois, quand elles vous déplaisent ou vous condamnent, vous déclarez que vous n'y obéirez pas ; vous désertez vos devoirs publics ; vous méconnaissez les droits de la justice, et vous vous dites ensuite les partisans et les sauveurs de l'ordre !

Vous nous avez parlé des événements graves qui émeuvent l'Europe. Cette situation impose des devoirs au parti libéral, il s'en préoccupe, il doit songer aux classes laborieuses pour les prémunir contre le malheur.

Il faut développer l'instruction, il faut l'étendre le plus possible, on ne saurait trop s'appliquer à cette tâche. Vous nous offrez quoi ? L'enseignement congréganiste. Reposez-vous sur les couvents, nous dites-vous, la société sera sauvée. Ils élèveront la jeunesse ; c'est suffisant. Comment peut-on tenir un pareil langage ? Allez voir ce qui se passe à nos portes et demandez-vous si nous pouvons nous contenter de l'enseignement congréganiste. Voyez, la France et voyez ses malheurs. Que s'est-il passé dans ce pays ? En 1850, M. Thiers, cet homme illustre, disait : « Pour que la France se tire d'affaire, il faut que l'école soit dans la sacristie. » On a suivi ses conseils à la lettre. Il n'y avait en France, en 1789, que 32,000 religieux et religieuses, il y en a aujourd'hui 110,000.

La France a, dans les écoles congréganistes et du clergé, plus de 2,000,000 d'élèves sur une population de 4 millions d'enfants. A Paris, il y a 1,000 instituteurs appartenant à des corporations des petits-frères, il n'y a que 530 instituteurs laïques, La municipalité de Paris donne aux petits-frères des locaux, des subventions ; elle facilite leur enseignement par tous les moyens dont elle dispose. Le clergé et les corporations religieuses ont toute la jeunesse française entre leurs mains. (Interruption.)

Je vous cite des chiffres officiels ; plus de 2 millions d'enfants dans les écoles congréganistes et du clergé. A Paris, il y a 1,000 instituteurs petits-frères, et 300 instituteurs laïques. En France, on n'a contrarié le clergé en rien. Tous les partis faisaient bénir leurs drapeaux par le clergé. Le soldat français montait la garde à Rome. Le clergé était tellement susceptible et tellement chatouilleux qu'il ne supportait pas même, pour enseigner les langues orientales, un homme qui n'était pas chrétien, quelque immense que fût son talent.

Toute la jeunesse vous était livrée ; vous avez pu pétrir et façonner comme de la cire molle son intelligence, son cœur et sa raison. Eh bien, ce sont les fils de vos œuvres qui oui été vaincus à Sedan et qui ont proclamé la commune à Paris. (Interruption.)

Oui, un grand philosophe l'a dit : « Celui qui a l'instruction d'un peuple est responsable de ce peuple. »

Eh bien, où est la concurrence qui vous a été faite en France ? Où sont (page 910) les obstacles qui ont été opposés au clergé et aux couvents ? Dites-moi dans quelle circonstance le pouvoir vous a contrariés ?

Cette France dont vous parliez naguère constamment, cette France sur les pas de laquelle vous vouliez nous faire marcher, ce sont vos doctrines qu'elle a apprises, pratiquées sans partage et presque de l'assentiment général, et dites-moi où elle est aujourd'hui et si jamais nation a essuyé de plus terribles malheurs !(Interruption.)

Mais il faudrait être bien coupable, il faudrait fermer les yeux à toute lumière pour ne pas s'apercevoir que ceux qui ont été des instituteurs aussi incapables, aussi imprévoyants, ne peuvent pas être proposés comme dignes d'être imités. Nous livrerions notre jeunesse à l'enseignement congréganiste ! Non.

Irions-nous reprendre pour notre compte cette expérience de vingt ans que la France a faite, et qui a abouti à sa ruine et aux plus épouvantables désastres ? Et notez que l'expérience a été complète. Non seulement le peuple français avait le clergé et les religieux pour instituteurs, mais on lui disait, le Syllabus à la main : La liberté de la presse est une peste. On lui refusait la liberté de réunion, également une autre peste. On condamnait toutes les libertés comme contenant les maux et les périls les plus grands. Et malgré ce régime, qu'est devenue la France ?

Si nous aimons notre pays, ne suivons pas un exemple qui a été aussi funeste.

L'enseignement congréganiste est impuissant à former des hommes et des citoyens ; il ne sait développer ni l'esprit, ni le cœur, ni la raison. Il se préoccupe avant tout de pratiques dévotieuses qui ne relèvent pas l'homme et qui le rendent plus crédule que religieux.

Or, ce dont nous avons besoin, c'est de bon sens, c'est de raison, c'est de lumières. Il faut que l'intelligence de l'ouvrier soit éclairée pour' qu'il puisse découvrir l'erreur et résister à ses attraits, il faut qu'il appuie l'ordre par lui-même et non par peur, par obéissance soit au prêtre, soit au maître. Il faut qu'il accepte les institutions sociales par son propre raisonnement, comme la condition la meilleure de son existence et de son bien-être.

Nous voulons plus de religion et moins de religiosité, plus de savoir et moins de superstition. Et en agissant ainsi, nous sommes à la fois les défenseurs de la religion et les défenseurs de l'ordre. (Applaudissements à gauche.)

M. de Theux. - Messieurs, une partie du discours de l'honorable orateur avait pour objet l'enseignement moyen ; c'est le seul sujet qu'il y eût à traiter et tout le monde en conviendra, les trois quarts du discours de l'honorable membre appartenaient à la discussion générale et politique. Or, si nous suivions cet exemple, cette misérable discussion pourrait traîner jusqu'au mois de juin.

Je n'ai pas voulu interrompre l'orateur, parce qu'il aurait pu croire que nous craignons la lumière. Le seul sentiment qui me guide, c'est le désir de rétablir l'ordre dans nos travaux ; cette manière de discuter ne nous laisse point en ce moment la liberté de la réplique, ni l'égalité de position ; mais puisque l'orateur s'est tellement écarté de la question, mon honorable ami, M. Dumortier, aurait le droit, s'il le désire, de répondre dans les limites qui lui conviendront.

M. le président. - L'orateur a, en effet, élargi le débat, mais ce champ avait été ouvert avant M. Bara, par M. Schollaert et par M. le ministre de la justice.

D'ailleurs les doctrines de M. Bara avaient été attaquées par M. le ministre de la justice, il fallait nécessairement laisser la réponse libre.

La parole est à M. Dumortier.

M. Dumortier. - Je remercie l'honorable M. Bara de la franchise qu'il a mise dans le discours qu'il vient de prononcer.

L'honorable M. Bara et l'honorable M. Bergé ont affirmé leurs convictions de telle manière, que tout le pays peut les comprendre. J'aime beaucoup mieux ce système que tous ceux qui ressembleraient plus ou moins à de la duplicité, et qui parleraient de notre sainte religion pour mieux la détruire. !

Je le remercie donc, je le répète, de s'être expliqué franchement.

L'honorable M. Bara nous a dit qu'il fallait la séparation absolue de l'Eglise et de l'école, c'est-à-dire mettre le bon Dieu à la porte de l’école..

Voilà son système, et je suis charmé qu'il ait affirmé sa pensée avec le courage qu'il y a mis. (Interruption.)

M. le président. - Je demande, à mon tour, le silence à la gauche.

M. Dumortier. - Quand j'entends à gauche applaudir aux paroles de l'honorable membre, je suis tenté de croire qu'elle adopte son système, mais ma conscience me dit que les applaudissements sont donnés à la forme, à l'opposition, mais que quand on voudra mettre le bon Dieu à la porte de l'école, sur les bancs de la gauche, beaucoup de membres se trouveront avec nous pour dire à M. Bara : Vous n'irez pas plus loin.

Messieurs, la Chambre me permettra de me borner à dire quelques mots, car les instants sont précieux, l'heure est avancée. Je dirai cependant quelques mots de ce qu'a énoncé l'honorable M. Pirmez, parce que cet honorable membre, ancien ministre de l'intérieur, a émis une opinion qui a une grande importance, puisqu'elle a pour but de justifier le vote que la gauche va émettre.

Le budget, dit-il, est une loi comme une autre et quand la Constitution dit que l'instruction publique doit être réglée par la loi, il prétend que la loi du budget est suffisante en cette matière et que du moment qu'une allocation est votée, le ministre peut régler l'enseignement des filles comme il l'entend.

Un pareil système est la négation la plus éclatante de la Constitution. Le budget est une loi d'application et non une loi organique. C'est ce que la Chambre a de tout temps reconnu.

L'honorable membre a argumenté ensuite de l'article 17 de la Constitution.

Que porte cet article ? Que l'enseignement est libre, mais que l'instruction donnée aux frais de l'Etat doit être réglée par la loi.

Maintenant on vient nous dire, et c'est l'opinion d'une commission de juristes, opinion dont notre honorable collègue, M. Muller, a donné lecture, que l'enseignement est un objet d'intérêt communal et que, dès lors, en vertu des articles 108 de la Constitution et 75 de la loi communale, les communes ont le droit de créer des établissements d'enseignement moyen.

Messieurs, vous le savez, pour les juristes, la loi est faite non pour ce qu'elle dit, mais pour ce qu'on peut lui faire dire. Or, les membres qui ont soutenu cette thèse n'ont pas réfléchi que l'article qu'ils invoquent doit se coordonner avec l'article 17 de la Constitution.

Oui, l'enseignement primaire est un intérêt communal, mais un intérêt communal réservé à la loi par la Constitution.

Dire qu'en vertu du deuxième paragraphe de l'article 108 de la Constitution les conseils provinciaux ou communaux sont autorisés à faire ce qu'ils veulent en matière d'instruction publique, c'est supprimer l'article 17 de la Constitution qui a réservé à la loi l'organisation de l'instruction donnée aux frais des deniers publics.

Je le répète, l'instruction est un intérêt communal, mais un intérêt dont l'exécution est réservée à la loi de par la Constitution.

Le ministère n'a donc pas, comme le prétend l'honorable M. Pirmez, le pouvoir de se substituer à la loi et de réglementer les écoles d'instruction primaire et moyenne ; à la loi seule appartient ce droit, et dès lors l'amendement de l'honorable M. Muller n'est pas acceptable.

L'honorable M. Bara soutient tout autre chose.

Pour lui, tout ce qui a été fait avant les lois d'instruction est, dit-il, illégal, et vous avez encore le droit de faire ce que la loi n'a pas régularisé.

Eh bien, c'est là une profonde erreur, et soutenir cette thèse c'est perdre de vue qu'il existait avant 1830 des décrets réglant l'instruction en Belgique, l'instruction primaire, l'instruction moyenne, décrets qui sont restés en vigueur jusqu'au moment où des lois nouvelles ont été faites.

On parle de 1830, mais pourquoi, en 1830, un pétitionnement s'est-il organisé sur la question de l'instruction publique ? Mais précisément parce que l’enseignement public manquait de base religieuse ; c'est parce que le pays voulait voir à l'enseignement public une base religieuse que dans la Constitution on a stipulé que l'Etat ne pourrait plus, par arrêté, régler ce qui concerne l'instruction et que l'instruction serait réglée par la loi.

Il n'existe pas de loi relative à l'enseignement moyen des jeunes filles, et M. le ministre de l'intérieur et ses amis ont parfaitement raison de dire que vous n'avez pas le droit de subsidier un pareil enseignement, que ce serait une violation flagrante de la Constitution et des lois et que vous ne pourrez pas, sans vous mettre en opposition avec la Constitution, voter le crédit demandé par M. Muller.

J'arrive à la seconde partie du discours de M. Bara, à la grande question de principe de l'enseignement religieux dans les écoles publiques.

M. Bara veut et il ne s'en cache pas, il veut la séparation de l'Eglise et de l’Etat dans les écoles publiques ; en même temps, il repousse de la manière la plus formelle l'accusation d'athéisme que je donne encore à ces écoles desquelles on bannirait l’enseignement religieux.

Vous-vous que je vous dise ce qu'est le système de M. Bara ? Je vais vous l'exposer d'une manière bien simple en vous citant des précédents qui vaudront bien ceux qu'il vous a cités.

(page 911) Le système de M. Bara est celui de cette fameuse cantate chantée par les francs-maçons et les enfants de Bruxelles lors de l'inauguration de la statue de Verhaegen, dans laquelle un chœur disait :

« Ouvrez, ouvrez toutes les portes,

« Le monument s'est élargi

« Pour laisser passer la cohorte

« De l’enseignement affranchi. »

Un autre chœur répondait :

« Plus de dogme, aveugle lien,

« Plus de joug, tyrans ou Messies. »

Et le chœur général ajoutait :

« Elève et maître il faut qu'ensemble nous dotions

« De mâles générations

« Les prochaines démocraties. »

Voilà le système de M. Bara : l'exclusion de l'enseignement religieux de l'école, et ses conséquences on les indique : Plus de dogme, aveugle lien, plus de joug, tyrans ou Messies.

Eh bien, ce que nous voulons, ce que le pays veut, c’est que dans l'école les sentiments religieux soient conservés à nos populations, et qu'il le soit surtout chez les femmes, parce que le peuple belge veut conserver cette sagesse qui fait son caractère et sa force, cette sagesse qui a éloigné de la Belgique les troubles, les émeutes, les révolutions qui ont surgi partent en Europe, et dont la patrie a eu le bonheur d'être préservée.

Cette sagesse du peuple belge, sur quoi repose-t-elle ? Elle repose sur le caractère religieux de nos populations, caractère que nous ne devons pas laisser perdre pour le plaisir de quelques théoriciens ou de quelques hommes qui veulent revenir au ministère en façonnant une population qui assure des votes libéraux.

On veut façonner une génération de femmes sans religion, on veut déchristianiser nos filles, nos sœurs, parce que cette génération produirait des électeurs sans foi, favorables au parti libéral et permettrait à M. Bara de reprendre son portefeuille. (Interruption.)

M. Van Wambeke. - Il attendra longtemps encore.

M. Dumortier. - Tout ce qui a été dit alors est parfaitement conforme aux doctrines de M. Bara. Tout cela est clair comme la lumière du jour. Que disait-on dans ce fameux congrès des étudiants tenu à Liège ?

On disait que la lutte, dans l'enseignement, est entre Dieu et l'homme, et qu'il fallait que l'homme mît Dieu à la porte des écoles. Voilà aussi ce que demande l'honorable M. Bara. Pour lui aussi, la lutte est entre l'homme et Dieu, parce que lui aussi veut chasser le bon Dieu de l'école.

M. Braconier. - Allez-vous nous rendre responsables de ce qui s'est dit au congrès de Liège ?

M. Dumortier. - Vous nous rendez bien responsables des sottises qui se commettent par quelques énergumènes à droite et à gauche. Et vous voulez que je ne vous rende pas responsables de ce qu'ont fait ceux qui professent précisément les mêmes doctrines que vous et qui sont vos alliés !

J'ai le droit de vous rendre responsables de doctrines émises au congrès de Liège et qui sont parfaitement conformes aux opinions formulées par vous.

M. Braconier. - Vous nous rajeunissez un peu trop.

M. Muller. - Les étudiants dont M. Dumortier invoque les opinions étaient étrangers au pays.

M. Dumortier. - Les étudiants de vos écoles parlaient de même. Que disait M. Léon Fontaine ? « Nous voulons, dans l'ordre religieux, l'anéantissement de toute religion et de toute église, arriver à la négation de Dieu et au libre examen ; dans l'ordre social, nous voulons la suppression de la propriété, l'abolition de l'hérédité. » Et M. Georges Janson disait : « Nous devons chercher nos modèles : Danton, Saint-Just, Camille Desmoulins, Marat ; je veux qu'on apporte le drapeau que tous les grands cœurs admirent, le drapeau rouge ; il n'y a qu'une chose digne de la jeunesse, c'est la république et le socialisme. »

Voilà, messieurs, où vous voulez en venir en supprimant Dieu des écoles. Rappelez-vous, messieurs, tout ce qui a été dit et fait au congrès de Liège. « La paix de l’âme, y a-t-on dit encore, est dans la négation de Dieu ; » et puis encore : « Plus de prêtre à la naissance, plus de prêtre au mariage, plus de prêtre à la mort ! » N'est-ce pas là aussi ce que vous voulez ? Voilà le système, je le mets à nu parce qu'il est bon que le pays sache quels sont vos principes et où vous voudriez le conduire.

Eh ! messieurs, ce n'est pas en Belgique seulement que ce système s’est produit.

Qu'avons-nous vu au congrès de Berne de 1868 ? On y a demandé, comme le voudrait M. Bara, la séparation complète, absolue de l'Eglise et de l'Etat ; c’est-à-dire « l'interdiction et la suppression de tout enseignement religieux dans les écoles publiques. »

N'est-ce pas encore là également ce que demande l'honorable M. Bara ? Le congrès de Berne, mû par les mêmes principes que le congrès des étudiants de Liège, demandait aussi ce que demande l'honorable membre : de part et d'autre, on constate la même franchise dans l'expression de la pensée ; seulement le congrès de Berne déduisait les conséquences de ses principes : il déclarait vouloir mettre l’enseignement religieux hors de l'école publique ; afin d'arriver à la suppression du principe religieux.

Et, en effet, dans la séance du 25 septembre 1868, il a pris la résolution suivante, sur laquelle j'appel e toute votre attention pour vous faire apprécier la direction du système de l’ex-ministre de la justice.

« Considérant, dit le congrès de Berne, que le système de séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat est le seul qui puisse se concilier avec la liberté des citoyens et l'établissement de la paix entre les nations, le congrès se prononce en faveur de ce système. En conséquence, il demande la suppression de toute reconnaissance officielle des cultes et l'interdiction de tout enseignement religieux dans les écoles publiques. »

Et M. Vogt, un des oracles de cette doctrine, disait au parlement de Francfort : « Il nous faut la séparation de l'Eglise et de l'Etat, de telle sorte, que tout ce qui porte le nom d'église soit anéanti et que ce qu'on nomme Eglise disparaisse de la terre sans laisser de traces. »

Voilà ce que veulent ces ouvriers de la dégradation des peuples, ces destructeurs de la civilisation, ces précurseurs de la barbarie qui ne manquent jamais aux peuples dégradés.

Voilà ce que proclamait le congrès de Berne, dont les principes ont causé une si légitime indignation dans toute l'Europe ; il voulait préparer une génération qui, à un jour donné, anéantît toute la civilisation chrétienne. Et voilà ce que l'honorable M. Bara vient vous proposer à son tour.

Car, qu'est-ce que c'est que cette séparation qu'il demande, sinon la guerre acharnée, la guerre impie de l'Etat contre l'Eglise ? - Pour moi je dis que les écoles publiques sans Dieu, comme il le propose, c'est la négation des croyances et le monopole de l'athéisme dans l'enseignement de l'Etat.

Je dis que l'instruction non religieuse est un privilège public accordé à l'athéisme.

La liberté des cultes, qu'il ne faut pas confondre avec l'égalité des doctrines, n'est pas la négation des cultes, c'est leur affirmation. Ce n'est pas le droit de ceux qui n'ont pas de culte, mais le droit de ceux qui ont un culte. Elle ne consiste pas dans l'absorption des droits des croyants par l'athéisme, dans la domination de celui-ci sur les cultes ; elle consiste a pouvoir exercer sans entraves le culte que l'on professe et à le transmettre librement à ses enfants. C'est ce qu'a voulu le Congrès national et ce que veut le pays, qui nous a envoyés ici pour défendre sa foi.

Les écoles sans Dieu ; telles que le voudrait M. Bara, c'est ce que demandent les solidaires, c'est ce que demandent les socialistes ; et c'est à nos dépens, avec notre argent, qu'ils voudraient en venir à ce résultat !

Eh bien, si les solidaires, si les socialistes, si les athées veulent établir des écoles, qu'ils les fondent avec leurs deniers. Les catholiques leur en ont donné l'exemple ; qu'ils fassent comme les catholiques. Mais votre générosité ne va pas jusque-là ; vos principes ne vont pas jusqu'à vous' engager à délier les cordons de votre bourse. Vous voulez faire prévaloir votre système avec les deniers de l'Etat, c’est-à-dire que ce sont les catholiques qui viendront payer un enseignement destiné à les combattre, à maudire leurs églises, toutes leurs convictions religieuses.

Vous avez bien soin de ne pas prendre cet argent dans votre poche ; vous venez le prendre dans la poche des catholiques, et cela pour vous en servir contre eux ! Et cela se passerait en Belgique, dans le pays le plus libre de l'Europe ! Cela n'est pas possible. Faites comme les catholiques, je le répète ; créez des écoles ; faites des fondations ; créez des bourses ; et vous ferez quelque chose d'utile à l'intérêt public. Mais nous ne voulons pas que vous fassiez vos affaires aux dépens des catholiques.

Vous dites que les catholiques ne font rien pour l'instruction et pour leur foi. Ah ! les catholiques ne font rien !... Vous n'avez pas toujours tenu le même langage. Vous disiez le contraire quand il s'est agi, en 1864, des bourses de fondation ; vous trouviez alors que les écoles que les catholiques avaient fondées étaient assez bonnes pour vous en emparer ; et vous vous en êtes emparés par la loi ! Vous dites aujourd'hui que les catholiques n'ont rien fait ; et vous disiez alors que les catholique avaient fait beaucoup. C'est toujours le même système : s'emparer de l'argent des catholiques pour faire prévaloir des doctrines qui leur sont hostiles et antipathiques.

(page 912) Je dis, pour ma part, qu'un pareil système est impossible. Comment ! les catholiques n'ont rien fait ! Eh bien, dès le XIIème siècle, et même dès les capitulaires, ils fondaient en Belgique, sur tous les points du territoire, toute espèce d'écoles, de collèges. Tout cela n'est rien, c'est un rêve.

Les catholiques n'ont rien fait ! Mais quand on veut s'emparer de ce qu'ils ont fait, c'est tout autre chose ; alors les catholiques n'ont pas été inactifs ; ils ont fondé et ils ont beaucoup fondé ; et c'est précisément parce qu'on avait beaucoup fondé, que vous vous en êtes emparés.

Ainsi, les arguments d'aujourd'hui n'ont aucune espèce de valeur ; ils sont démentis par vos propres actes.

Mais, dit-on, les catholiques ne sont pas favorables à l'enseignement ; ce qui les préoccupe, c'est l'esprit de domination.

J'ai déjà dit et je le répète, que si l'esprit de domination existe quelque part, c'est chez vous qui voulez fonder des écoles contre, le vœu du pays et avec l'argent des catholiques. Et si nous sommes maintenant en majorité dans cette Chambre, si le corps électoral vous a renversés, le pays a bien su pourquoi : c'est principalement le sentiment religieux qui s'est relevé dans la nation ; la nation a trouvé qu'il était temps de mettre un terme aux persécutions dont les catholiques étaient l'objet, et elle vous a renversés.

Mais, dit-on, non seulement les catholiques ne sont pas favorables à l'instruction ; ils apportent même des entraves à la marche des affaires publiques. Et en effet, un beau jour, ils sont sortis de la Chambre, pour empêcher l'assemblée de voter.

Eh bien, nous avons fait alors ce que les libéraux avaient fait un autre jour, M. Frère-Orban en tête, en sortant de cette salle, pour empêcher le vote d'un crédit qui était destiné à l'exécution de travaux publics. (Interruption.)

Oui, vous vous êtes levé, mon honorable collègue, avec toute la gauche et vous êtes sorti majestueusement de cette enceinte pour empêcher le vote d'une dépense utile. Nous n'avons donc fait que ce que vous aviez fait, avec cette différence qu'en nous abstenant de venir dans cette Chambre, nous voulions vous empêcher de nous faire voter un faux législatif, en établissant un nombre de députés sur une population qui n'existait pas, et le recensement est venu démontrer combien nous avions raison.

Nous avions tellement raison que vous n'avez jamais osé publier le recensement des populations et que vous ne l'avez fait connaître qu'après la clôture de la session, car vous ne vouliez pas vous exposer à nos reproches et à la discussion qui devait surgir pour cet indigne subterfuge, imaginé pour vous cramponner à un pouvoir qui vous échappait.

Vous savez bien que le dernier recensement qui a été fait est le démenti le plus éclatant qui ait jamais été donné aux maximes que vous professiez à cette époque et qu'il est la justification la plus complète de notre conduite.

Nous ne sommes pas, dit on, le parti de l'ordre ! Mais, messieurs, est-ce nous qui en 1857 avons organisé le désordre et les pavés dans les rues de Bruxelles ? Est-ce nous qui en 1857 avons menacé la Chambre d'être expulsée par l'émeute ? Est-ce nous qui en 1857 avons organisé ces huées qui poursuivaient tous les députés qui s'étaient déclarés partisans de la loi en discussion ?

Non, messieurs, ce sont ceux que quelques jours après arrivaient au pouvoir grâce aux pavés, venant ainsi, appuyés sur les plus mauvaises passions, reprendre le pouvoir qu'ils regrettaient si fort d'avoir perdu ! Et vous viendrez parler du parti de l'ordre lorsque vous avez donné l'exemple du plus grand scandale législatif qui en temps de paix a jamais été donné dans un grand pays, lorsqu'on a vu cette Chambre huée par les tribunes soudoyées par vous, lorsqu'on a vu les députés hués à la sortie, lorsqu'on a vu la Chambre obligée de céder devant les manifestations inconsidérées et déplorables organisées par vous ! Et vous viendrez nous accuser d'être le parti du désordre ! Mais c'est trop fort ! C'est renversant d'entendre de pareilles accusations. Je ne voulais pas, messieurs, parler de ces choses, mais vous m'y forcez en m'accusant, parce que, comme conservateur, mon devoir est de vous rappeler les faits odieux qui vous ont ramenés au pouvoir. Nous ne sommes pas le parti de l'ordre parce que nous n'avons pas respecté le jugement du jury dans l'affaire de Saint-Genois ! Eh bien, je suis un de ceux qui ont sollicité la grâce de Depoorter et je ne l'ai point demandée comme grâce, mais comme réparation, parce que, pour moi, comme pour l'honorable M. Bara lui-même, il est évident que Depoorter était la victime d'une injustice et d'une erreur judiciaire.

Et ce qui le prouve, c'est que vous avez élargi Buysens, l'unique témoin allégué contre Depoorter malgré son refus de demander sa grâce, reconnaissant ainsi que le jugement porté contre Depoorter était une iniquité. (Interruption.)

Vous aviez d'abord fait faire des démarches auprès de Buysens pour l'engager à demander sa grâce, mais il a répondu : « Je suis innocent et j'ai trop de fierté pour solliciter ma grâce. »

M. Bara. - Je n'ai rien fait de tout cela !

M. Dumortier. - On s'est alors adressé à la sœur de Buysens, lui faisant comprendre que si la grâce était demandée elle serait accordée. Mais elle a répondu courageusement : « Jamais je ne solliciterai la grâce de mon frère, car se serait reconnaître qu'il est coupable. » Eh bien, malgré ces refus réitérés, vous avez ouvert...

M. Bara. - Je répète que je n'ai rien fait de ce que vous dites ; c'est de l'invention.

M. Dumortier. - ... vous avez ouvert les portes de la prison à Buyssens sans qu'il ait demandé sa grâce, tellement vous étiez convaincu qu'il avait été condamné injustement, et cette condamnation injuste était le seul moyen de justifier celle de Depoorter.

- Un membre à gauche. - Quelle preuve avez-vous ?

M. Dumortier. - Cette preuve nous la ferons ; mes honorables collègues, MM. Reynaert, Tack et moi, nous sommes prêts à monter sur la brèche pour montrer quelle a été votre conduite, à vous qui osez nous accuser. Mais vous n'avez jamais accepté le défi ; vous parlez ici de cette affaire de Saint-Genois, parce que vous savez que nous ne pouvons pas aujourd'hui vous répondre sur une question aussi grave, dans une discussion incidente, au milieu du budget de l'intérieur avec lequel elle n'a aucun rapport. Mais puisque vous nous y forcez, nous ferons renaître la question ; nous la ferons surgir. (Interruption.) Nous vous montrerons la conduite que vous avez tenue dans toute cette affaire et les indignités qui ont été commises.

Nous maintenons que la Belgique doit rougir de tout ce qui s'est passé dans cette abominable circonstance, et nous montrerons, nous établirons que les véritables incendiaires se promènent encore aujourd'hui a Saint-Genois.

Oui, tout ce qui s'est passé dans cette affaire a comblé la mesure. Et ne soyez pas surpris qu'à la suite de cela le pays vous ait jugés. Nous arrivons ici avec le jugement du pays, et vous, vous arrivez avec la condamnation du pays. Vous voulez vous regimber contre cette condamnation ? Impossible ! Vous êtes condamnés et vous resterez condamnés !

- Des membres. - La clôture !

M. Frère-Orban. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. Lefebvre. - La clôture est demandée par plus de dix membres.

M. le président. - La clôture est demandée, mais M. Frère a demandé la parole, pour une motion d'ordre et il ne rentrera pas dans la discussion.

M. Frère-Orban. - Pas le moins du monde. Je voulais rappeler au gouvernement qu'il avait omis de répondre à certaines questions qui lui ont été faites. J'ai eu l'honneur de faire connaître à la Chambre que M. le ministre de l'intérieur, d'après ce qui a été rapporté, aurait publié un ordre de service qui a été communiqué aux fonctionnaires de son département et qui leur interdisait de laisser dans les dossiers les avis qu'ils auraient pu donner à leur chef. M. le ministre de l'intérieur, qui avait d'abord contesté le fait, m'avait laissé croire que des explications seraient données. Par motion d'ordre, je le lui rappelle.

- Des membres. - La clôture !

M. Frère-Orban. - Il me semble que c'est bien une motion d'ordre, ou jamais il n'y en aura.

En second lieu, j'ai demandé à M. le ministre de l'intérieur s'il était vrai que, pour une école moyenne, le concours du clergé ne devait être accordé qu'à la condition que l'on fît sortir de l'établissement trois professeurs contre lesquels aucun grief n'avait été articulé et contre lesquels on ne pouvait faire valoir que, je ne dirai pas leurs opinions politiques, mais leurs votes politiques.

En troisième lieu, j'ai demandé à M. le ministre de l'intérieur ce qu'il ferait dans le cas où le clergé refuserait son concours à des écoles de filles soit moyennes, soit primaires supérieures, établies par les communes, alors même que celles-ci déclareraient qu'elles entendent soumettre ces écoles à la loi de 1812. J'ai demandé si M. le ministre de l'intérieur refuserait des subsides à ces écoles.

Il me semble que ces trois points étaient bien dans le sujet que nous avions à traiter. Je demande, par motion d'ordre, que M le ministre de l'intérieur veuille bien s'expliquer.

M. Bara. - Je demande la parole pour un fait personnel.

L'honorabljeAI. Dumortier vient de dire que, de mon avis, Depoorter (page 913) était un innocent et devait être gracié. Je déclare que je n'ai jamais eu à me prononcer sur cette question. Je n'ai jamais eu à me prononcer sur la culpabilité ou la non-culpabilité de Depoorter. Il a été condamné par une cour d'assises, par un tribunal de mon pays et je tiens la condamnation pour conforme à la justice jusqu'à démonstration du contraire par les voies légales. Il est justement condamné pour moi et, je suis convaincu que M. le ministre de la justice sera de cet avis. On a donc tort de dire que la grâce de Depoorter a été une réparation judiciaire.

L'honorable M. Dumortier a prétendu que j'avais fait des démarches auprès de je ne sais quelle personne pour lui dire de demander une grâce. Je nie de la manière la plus formelle tout ce qu'a dit M. Dumortier à cet égard. C'est une pure invention ; j'y donne le démenti le plus complet. Je n'ai fait et n'ai autorisé aucune démarche dans le sens indiqué par M. Dumortier.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L'amendement de M. Muller formerait un nouvel article 92, qui serait ainsi conçu :

« Subsides à des établissements communaux d'instruction moyenne pour filles : fr. 50,000. »

Cet amendement est mis aux voix par appel nominal,

106 membres sont présents.

46 adoptent.

59 rejettent.

1 s'abstient.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption :

MM Warocqué, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Boucquéau, Boulenger, Bouvier, Braconier, Bricoult, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Lhoneux, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Mascart, Mouton, Muller, Orts, Pirmez, Puissant, Rogier, Sainctelette, Tesch, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vleminckx.

Ont voté le rejet :

MM. Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Brasseur, Coomans, Cornesse, Cruyt, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart et Vilain XIIII.

S'est abstenu :

M. Lelièvre.

M. Lelièvre. - Je suis prêt à voter toutes les allocations qui peuvent assurer la prospérité de l'enseignement public. Sous ce rapport, je serais même disposé à majorer l'augmentation sollicitée ; mais je considère l'enseignement religieux, comme indispensable, notamment en ce qui concerne l'instruction des filles et comme, en l'absence d'une loi spéciale sur la matière, l'amendement n'aurait pas pour conséquence la réalisation de cette condition, je n'ai pu émettre un vote affirmatif. Tels sont les motifs qui ont dicté mon abstention.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Frère m'a adressé tout à l'heure trois questions. La première se rapporte à un passage du discours prononcé par l'honorable membre dans la séance du 22 mars ; mais les souvenirs de l'honorable M. Frère l'ont inexactement servi quand, tout à l'heure, il disait que j'avais pris l'engagement de donner à ce sujet des explications. Mon langage a été plus clair, plus précis ; j'ai interrompu l'honorable membre en disant : « Cela est inexact ! » Je ne puis que répéter aujourd'hui la même dénégation complète et absolue.

Je regrette que l'honorable membre se soit fait, à cette tribune, l'organe de ce qu'il appelait lui-même « un bruit ».

Quant à la deuxième question, elle se rapporte, je n'en puis douter, à l'école de Rochefort. Ici encore, l'exposé de l'honorable M. Frère n'est pas exact.

Ce qui s'est passé à l'école moyenne de Rochefort remonte à une époque bien antérieure, au moment où il a été question d'y introduire la convention d'Anvers.

Au mois d'octobre 1869, il y eut une élection communale à Rochefort ; des désordres eurent lieu dans la ville. Les élèves parcoururent les rues en criant : « A bas la crapule ! à bas la calotte ! »

Une enquête fut faite et elle engagea la responsabilité de trois professeurs.

Le bureau administratif se réunit et s'il ne saisit pas immédiatement le gouvernement d'une plainte, c'est qu'il espérait que ces professeurs comprendraient que leur maintien à Rochefort n'était plus possible et qu'ils demanderaient eux-mêmes leur déplacement.

Au mois d'août 1870, le bureau administratif s'est occupé de nouveau de cette question ; il a adressé une plainte au gouvernement ; la voici, telle qu'elle résulte du rapport officiel :

« MM.... ayant pris une part active aux divisions et aux luttes locales, leur position est devenue impossible, beaucoup de parents ne pouvant leur confier l'éducation de leurs enfants. Il est donc nécessaire, dans l'intérêt de l'école, de la commune et des professeurs eux-mêmes, que leur changement de résidence leur soit accordé. »

Cette plainte, le bureau administratif l'a renouvelée au mois de novembre ; il rappelait que ces professeurs se montraient hostiles à l'autorité communale ; qu'ils avaient eu avec un membre de cette administration, qui, de plus, faisait partie du bureau administratif, une altercation inconvenante ; qu'enfin, par leurs discours et par leurs actes, ils avaient affiché en plusieurs circonstances et publiquement des principes irréligieux.

Le bureau administratif insistait énergiquement pour obtenir le déplacement de ces professeurs, qui, par leurs antécédents, s'étaient aliénés sa confiance et celle de la plupart des parents, qui n'osaient plus leur confier leurs enfants.

Si j'ai bien compris l'honorable M. Frère, il m'a demandé, en troisième lieu, si le gouvernement était disposé à continuer l'allocation de subsides aux écoles primaires supérieures de filles.

Je compte, messieurs, aller plus loin. Lorsque nous arriverons à l'article 99, qui comprend les encouragements divers à l'enseignement primaire, je demanderai à la Chambre, comme je l'ai déjà annoncé, de reporter à cet alinéa la majoration de 50,000 francs sollicitée par l'honorable M. Muller et je prends volontiers l’engagement de démontrer à la Chambre, en menant sous ses yeux le programme des écoles primaires supérieures, que nous pourrons, à l'aide de ce subside, réaliser, pour l'instruction des filles, les vœux exprimés par l'honorable M. Muller et d'autres orateurs de la gauche.

Il n'est pas à ma connaissance qu'à Tournai l'administration communale ait placé une école sous le régime de la loi de 1842. J'ai ici le texte des lettres de cette administration adressées au curé de Saint-Piat et à l'évêque de Tournai, et il n'y est pas question de cela.

M. Frère-Orban. - Le programme le dit.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Quant à l'établissement de Bruges, je n'ai pas vu non plus de rapport qui fît mention de l'application de la loi de 1842. (Interruption.)

Je n'ai eu tous les yeux aucun document qui témoignât du désir des administrations communales de Bruges ou de Tournai de placer ces écoles sous le régime de la loi de 1842 : aucune demande de subside de ce chef n'a été adressée au gouvernement. (Interruption de M. Frère.) L'honorable M. Frère me demande quelle serait, en présence du refus de concours du clergé, la conduite du gouvernement. (Interruption.) Je réponds qu'il suffit que l'établissement communal soit placé sous le régime de la loi de 1842 pour que le gouvernement intervienne par voie de subsides, lors même que le clergé refuserait son concours.

M. Frère-Orban. - Donc, on peut avoir des écoles religieuses alors que le concours du clergé n'est pas donné. C'est là ce qu'il importait de constater.

- La séance est suspendue à 5 heures.

La séance est reprise à huit heures.

Chapitre XVII. Enseignement primaire

M. le président. - Nous passons au chapitre XVII : Enseignement primaire.

J'ai reçu de M. Defuisseaux une proposition tendante à porter le chiffre de l'article 99 à 13,316,811 francs. M. Defuisseaux développera sa proposition à l'article 99. La parole est à M. Drion.

M. Drion. - Messieurs, je ne puis laisser passer la discussion du budget de l'intérieur sans attirer l'attention de l'honorable M. Kervyn sur certains abus graves, à mon avis, qui existent dans nos écoles et qui me sont signalés par un grand nombre d'instituteurs appartenant à l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.

(page 914) Dans nos communes populeuses, messieurs, le nombre des instituteurs n'est nullement en rapport avec le nombre des enfants qui fréquentent les écoles ; c'est ainsi que, d'après les renseignements que j'ai recueillis, j'ai constaté qu'un grand nombre d'écoles sont fréquentées par 130 et 140 enfants, et cela pour un seul instituteur. J'ai ici un tableau officiel indiquant la population des écoles dans les 30 communes les plus importantes de l'arrondissement de Charleroi, et je vois que l'école qui contient le moins d'enfants en a 90 ; mais, à côté de celle-ci, il y en a un grand nombre qui contiennent 130 et 140 enfants et même plus encore.

Eh bien, je vous le demande, que peut faire un instituteur qui a dans sa classe 140 enfants ? Non seulement il ne peut pas les instruire, mais je prétends qu'il lui est même impossible de maintenir l'ordre et le silence dans sa classe. Je demande donc que le gouvernement oblige toutes les communes sans distinction à nommer autant d'instituteurs ou de sous-instituteurs qu'il y a de fois 45 ou 50 enfants dans la classe, et alors seulement les progrès de l'enseignement seront sérieux. Du reste le gouvernement a reconnu lui-même la nécessité de limiter le nombre des enfants dans les classes ; c'est ainsi que je vois, dans l'arrêté royal du 10 juin 1852 portant organisation des écoles moyennes, l'article 25 ainsi conçu : « Quand le nombre des élèves d'une classe dépassera 50, cette classe sera dédoublée. »

Cette disposition reçoit généralement son application et j'en félicite le gouvernement ; mais enfin ce qui est bon pour les écoles moyennes est, à plus forte raison, bon pour les écoles primaires, puisque les enfants qui fréquentent ces dernières sont plus jeunes et, par conséquent, plus turbulents.

On s'étonne, messieurs, qu'en Belgique, après tous les sacrifices faits par le gouvernement, les provinces, les communes, on s'étonne, dis-je, de voir encore tant d'individus plongés dans une ignorance complète ; eh bien, cela provient, à mon avis, en grande partie du moins, de ce que beaucoup d'enfants fréquentent nos écoles sans rien y apprendre du tout, et cela parce qu'ils sont trop nombreux dans les classes.

Dans une petite ville très riche et très industrielle de mon arrondissement, sur 94 jeunes gens qui ont été inscrits cette année pour le tirage au sort, on a constaté que 32 individus, soit le tiers, étaient complètement illettrés, c'est-à-dire ne savaient ni lire ni écrire ; voilà où nous en sommes encore en 1871 en fait d'instruction.

Mais il existe dans nos écoles un autre abus ; dans l'état actuel des choses, l'instituteur n'est pas récompensé du zèle qu'il déploie ni de la prospérité qu'il donne à son école ; chose réellement inouïe, il en est puni ; et cela est bien facile à prouver. Je suppose un instituteur qui a dans sa classe 50 enfants indigents, il recevra, à raison de 6 francs par enfant, une somme de 300 francs annuellement pour le minerval ; que par son zèle il attire 50 nouveaux enfants dans sa classe, il en aura 80. Je suppose le nombre des enfants payants en rapport avec celui des enfants pauvres, la classe sera fréquentée par 160 enfants ; immédiatement l'autorité supérieure donnera à l'administration communale l'ordre de procéder à la nomination d'un sous-instituteur.

Mais que fera la commune ? Elle nommera le sous-instituteur et, pour ne pas grever trop fortement son budget, elle décidera en même temps que le minerval sera partagé entre l'instituteur et le sous-instituteur, et elle viendra ainsi porter atteinte à la position acquise de l'instituteur, puisque celui-ci ne recevra plus pour 80 enfants, à raison de 3 francs, qu'une somme de 240 francs, alors qu'il recevait 300 francs quand il n'avait que 50 enfants dans sa classe.

J'ai donc raison de dire que, dans le système actuel, l'instituteur est puni de la prospérité qu'il donne à son école ; il y a là une anomalie inexplicable, et que le gouvernement ne peut tolérer plus longtemps.

Je lui demande donc de ne plus permettre, dans aucun cas, aux communes de porter atteinte à la position acquise des instituteurs, et pour atteindre ce but, il y a, me paraît-il, un moyen bien simple : d'abord, obliger les communes à augmenter le minerval qu'elles payent pour les enfants pauvres ; elles doivent le porter à 8 ou à 10 francs ; ensuite, je crois qu'il serait bon d'obliger également les communes à soumettre leur budget à l'approbation des inspecteurs provinciaux ou cantonaux de l'enseignement primaire, avant qu'elles le soumettent à l'approbation de l'autorité supérieure.

J'attire sur ces différents points l'attention de l'honorable ministre de l'intérieur.

Mais on me dira, messieurs, que les mesures que je préconise ici auront pour effet d'augmenter encore les charges, déjà très lourdes, des communes pour l’enseignement ; je répondrai que c'est au gouvernement à majorer considérablement les subsides qu'il donne pour l'instruction jamais on ne lui reprochera l'argent qu'il sera dépenser au pays pour propager l’enseignement à tous les degrés ; qu'il retranche donc une bonne fois quelques gros millions du budget de la guerre, du budget devenu si impopulaire dans tout le pays ; qu'il en retranche une quinzaine de millions, qu'il les emploie à la construction de maisons d'école et à la diffusion de l'instruction dans les masses, surtout dans nos communes populeuses et industrielles, où il y a tant à faire encore sous ce rapport ; et en agissant ainsi il rendra un immense service au pays et aura l'approbation de tous.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Les observations présentées par l'honorable préopinant sont parfaitement fondées.

Depuis longtemps, on a signalé, dans différentes provinces et notamment dans le Hainaut, la situation fâcheuse qui résulte du trop grand nombre d'enfants réunis dans une classe sous la direction d'un seul instituteur.

Il y a, dans le Hainaut, des communes où l'on compte jusqu'à 180 élèves placés sous la direction d'un seul instituteur, et il résulte même de renseignements statistiques que 31 communes sur 152, dans l'arrondissement de Charleroi, soit 20 p. c, ont des écoles fréquentées en moyenne par 140 élèves, sans posséder de sous-instituteur. C'est là, je le répète, une situation incompatible avec les besoins d'une bonne instruction.

Cependant, il ne faut pas se dissimuler que, jusqu'à ce moment, les mesures qui ont été prises afin que des sous-instituteurs au traitement de 600 francs fussent adjoints aux instituteurs, n'ont guère été mises à exécution, par des motifs qui tiennent à la fois aux communes et aux instituteurs eux-mêmes.

En effet, bien souvent les communes ont cherché à se dérober à une dépense qu'elles considéraient comme onéreuse ; et l'instituteur, de son côté, a préféré supporter une tâche plus rude et ne pas avoir de sous-instituteur, afin de ne pas voir réduire son minerval.

Cette situation a déjà appelé la sollicitude du gouvernement, et une circulaire a été adressée à MM. les gouverneurs de province afin de demander l'avis des inspecteurs provinciaux et des députations permanentes sur la révision du règlement du 10 janvier 1863.

Je puis assurer l'honorable préopinant que le gouvernement ne perdra pas cet objet de vue et qu'il fera tout ce qu'il pourra pour concilier, à la fois, l'amélioration de la position des instituteurs et l'amélioration de l'instruction primaire elle-même.

M. Brasseur (pour un fait personnel). - Messieurs, dans la séance d'aujourd'hui, j'ai dû m'absenter pendant quelques instants pour m'entretenir avec des personnes qui étaient venues à la Chambre pour me parler. Pendant ce temps, l'honorable M. Bara a jugé convenable... (Interruption.)

- Voix à gauche. - M. Bara n'est pas ici ; attendez au moins son arrivée.

M. Brasseur. - Est-ce que M. Bara a attendu ma présence pour m'attaquer ?

Du reste, M. Bara pourra lire dans les Annales ce que j'aurai dit. Veuillez me laisser continuer, je n'en ai que pour une minute.

Je disais donc que M. Bara a jugé convenable de me faire intervenir dans ce débat et de se livrer à une attaque personnelle à mon égard. J'attendrai pour répondre que son discours ait paru aux Annales. Ne sachant pas exactement ce qu'il a dit, il m'est impossible, en ce moment, de me défendre.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Lorsque j'ai pris la parole au commencement de la discussion de ce budget, je me suis plaint de ce que des renseignements que j'avais demandés, il y a deux ans, à M. le ministre de l'intérieur, qui était alors l'honorable M. Pirmez, n'eussent pas encore été fournis à la Chambre.

Dans sa réponse, M. le ministre de l'intérieur actuelm'a promis de communiquer immédiatement ceux qu'il avait reçus ; et, en effet, dès le lendemain, nous étions mis en possession du document que je tiens à la main.

Je me suis empressé d'en prendre connaissance et j'ai compris alors l'hésitation que le gouvernement avait mise à nous les fournir.

Ces renseignements, en effet, sont si peu complets et justifiés qu'il n'est guère possible d'en tirer aucune conclusion sérieuse. Cependant, comme il est de la plus haute importance pour le progrès de l'enseignement primaire que nous connaissions exactement l'état matériel de ce service public, j'ai demandé la parole, dans la discussion des articles, afin de présenter, sur les renseignements qu'on nous a fournis, les observations qu'ils m'ont suggérées et pour en obtenir le complément indispensable.

Différentes notes sont produites par le gouvernement pour déterminer les besoins auxquels il reste encore à satisfaire pour doter toutes nos (page 915) communes des locaux nécessaires pour le service de l'instruction primaire. La première de ces notes est ainsi conçue :

« Relevé approximatif des dés>u& à /<.>'•* P^r compléter Vorgmbalion matérielle de l'instruction primaire ; total 28 millions, dont 10 millions à fournir par les communes, 10,800,000 francs par l'Etat et 7,200,000 francs par les provinces. »

Cette note n'est appuyée d'aucun autre renseignement ; c'est une simple indication fournie probablement par un fonctionnaire et M. le ministre n'a donné aucune autre explication a l'appui.

D'après une seconde note plus détaillée, les dépendes restant a faire encore pour doter le pays d'un système complet d'enseignement primaire s'élèveraient à 19,488,000 francs, mais, en examinant les détails fournis par l'auteur de cette note, je trouve différentes anomalies qui exigeraient des explications plus complètes que celles qui sont fournies dans ces documents.

Il signale, par exemple, la province de Limbourg comme ayant encore besoin de 213 écoles nouvelles. Or, il n'y a dans le Limbourg que 205 communes. Ces communes, d'après les renseignement que nous possédons par d'autres documents, sont la plupart dotées déjà d'écoles et même de bonnes écoles.

Je faisais partie de la section centrale chargée d'examiner le projet de régularisation des pensions des instituteurs primaires, et d'après les informations qui sont parvenues à cette section centrale, la caisse des instituteurs du Limbourg est une des plus prospères du pays.

Cela indique certainement que l'enseignement primaire y est en voie de prospérité. Et cependant, d'après le renseignement qui nous est donné aujourd'hui, il faudrait dans le Limbourg plus d'écoles encore qu'il n'y a de communes. Il faudrait autre chose qu'une simple assertion pour justifier ces chiffres.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il y a des sections de communes.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Nous y viendrons, M. le ministre. Je ne passerai pas en revue toutes les provinces, cela nous entraînerait à des détails qui fatigueraient la Chambre. J'y reviendrai, du reste, un peu plus loin, à propos d'autre chose et nous verrons qu'il y a là des données qui manquent de précision.

Un seul fonctionnaire a bien répondu à la question que j'ai posée, il y a deux ans, c'est l'inspecteur de la province d'Anvers.

Lui seul a fourni un tableau détaillé par commune, comme je l'avais demandé pour le pays tout entier. En effet, ce fonctionnaire a fourni une liste de toutes les communes qui manquent encore d'écoles.

Ces écoles sont divisées en écoles pour les garçons, en écoles pour les filles et en écoles pour les deux sexes ; en écoles à construire à neuf ou à agrandir et restaurer. Dans une colonne d'observations, il indique quand les écoles sont pour l'agglomération principale ou pour les hameaux ; quand la dépense à faire est déjà votée par la commune, ou bien quand les constructions sont déjà dans un état plus ou moins complet d'avancement.

Et bien, je demande à M. le ministre de l'intérieur de faire faire, pour le pays entier, un tableau détaillé par chaque arrondissement de chacune des provinces, semblable à celui qui a été fourni pour la province d'Anvers. Seulement au lieu de le demander aux inspecteurs provinciaux, c'est-à-dire à des hommes qui ne sont pas toujours nécessairement au courant de l'état financier des communes, parce qu'ils doivent avant tout se préoccuper de l'état des écoles, je voudrais que ces tableaux fussent fournis par les gouverneurs des provinces... (Interruption.) Naturellement de l'avis et avec le concours des députations permanentes, lesquelles demanderaient les renseignements par l'intermédiaire des commissaires d'arrondissement directement dans toutes les communes.

Lorsque ces tableaux seraient fournis par les administrations communales et provinciales, je les soumettrais aux inspecteurs de l'enseignement afin d'obtenir, de leur côté, les renseignements et les observations qu'ils croiraient devoir présenter. De cette façon nous arriverions, je pense, à un tableau complet et exact qui nous donnerait d'une manière précise et complète les besoins qui existent encore pour doter le pays d'un matériel complet pour l'enseignement primaire.

M. le ministre de l'intérieur nous faisait remarquer tout à l'heure que si 213 écoles étaient encore nécessaires dans la province de Limbourg, c'est que beaucoup de sections de communes marquent encore de locaux. Je demanderai à la Chambre la permission de présenter sur ce point un complément d'observations à celles que j'ai déjà présentées dans mon premier discours.

Je pense que la tendance qui se fait jour depuis deux ou trois ans dans les bureaux du département de l'intérieur est fâcheuse en ce que, comme je l'ai dit une première fois et comme je tiens à le répéter, elle tend à pulvériser l'enseignement primaire. Je ne crois pas qu'on soit dans la bonne voie en voulant créer des écoles complètes dans chaque section de commune ; je crois qu'il vaut mieux avoir d'abord une bonne école pourvue d'un personnel complet dans l'agglomération principale.

L'enseignement primaire dans les communes rurales, dont je m'occupe en ce moment, devrait être organisé comme suit. Au centre, une bonne école remplissant toutes les conditions nécessaires pour donner une instruction primaire complète aux enfants âgés de huit à douze ou treize ans, et dans les hameaux tout simplement des écoles préparatoires, pour recevoir les jeunes enfants de six à neuf ou dix ans, lesquels ne feraient que s'y préparer à l'instruction primaire.

Dans l'école principale, lorsqu'ils seraient arrivés à l'âge de neuf ou dix ans, ils seraient parfaitement capables de parcourir la distance d'un quart de lieue ou même d'une demi-lieue qui est généralement le maximum que les habitants des hameaux ont à parcourir pour arriver au centre de la commune ; il vaudrait infiniment mieux qu'ils eussent à faire cette marche qui ne serait en définitive un assujettissement que pour la faible minorité de la population, que de devoir aller à des écoles de hameau où nécessairement l'instruction sera toujours mauvaise et incomplète, parce que les élèves de tous les âges et de toutes les classes y sont confondus et où les nouveaux arrivants retardent constamment les progrès des plus anciens, ce qui finit par dégoûter et décourager ceux-ci.

Si au contraire une école principale est pourvue d'un personnel suffisant, on pourra y diviser les élèves en classes distinctes d'après les progrès qu'ils auront faits, et de cette façon les nouveaux arrivants ne retarderont plus les anciens.

En suivant le système que j'indique, messieurs, nous établirons l'enseignement primaire sur ses bases rationnelles et nous lui donnerons une efficacité qui lui fait encore défaut aujourd'hui ; et suivant le système d'enquête indiqué tantôt, nous arriverons à connaître d'une façon précise ce qui est encore nécessaire pour arriver à avoir un enseignement primaire complet dans toutes les communes du pays.

Quant à moi, je pense que déjà dans ce moment la plupart des communes du pays sont dotées au moins d'une école primaire ; je n'en veux pour preuve, que les chiffres déjà produits dans la discussion générale et qui donnent environ cinq mille écoles primaires pour nos deux mille cinq cents communes. Il ne s'agit donc que de compléter ce qui manque et d'améliorer le personnel et le matériel.

Quant aux écoles secondaires, quant aux écoles de hameaux, il ne s'agirait plus, en suivant le système que je viens d'esquisser, de construire des bâtiments du prix de 30,000 à 40,000 fr. comme ceux que je vois portés au tableau dont j'ai parlé pour les hameaux de certaines communes de la province d'Anvers. Je vois, en effet, dans ce tableau des chiffres de 30,000, de 35,000 et jusqu'à 40,000 francs pour des écoles de hameau. Un petit bâtiment, même une maison de paysan divisée en deux chambres et mise sous la garde d'une maîtresse, d'une jeune fille sachant simplement lire et écrire et pouvant tenir la discipline parmi de jeunes enfants de cinq à neuf ans, voilà tout ce qui serait nécessaire. De cette façon il ne faudrait qu'une dépense modique et nous pourrions arriver en très peu d'années, à doter le pays de tout l'enseignement qui lui est nécessaire.

J'insiste beaucoup sur ce point. L'enseignement primaire a une importance qu'il est impossible d'exagérer. L'enseignement primaire bien donné produit entre autres ce résultat ; c'est que l'intelligence politique, par exemple, pour ne citer que celle-là, se répandra également dans tout le pays.

Tous les jours vous voyez aux Etats-Unis les hommes qui exercent sur les affaires générales de la nation l'influence duc à leurs talents, venir des points les plus éloignés, quelquefois même des points les plus ignorés du territoire.

Les deux avant-derniers présidents, par exemple, sortaient, l'un d'un petit hameau de l'Illinois, où il n'avait pu fréquenter que l'école primaire et ne devait le reste de son éducation qu'à lui-même, l'autre sortait dans les mêmes conditions de l'Etat de Tennessee. Cela prouve qu'un bon enseignement primaire bien compris élève le niveau intellectuel de toute la nation, et que les villes seules n'en ont plus le monopole. Ceci a une importance très considérable pour la stabilité et la force des institutions d'un pays.

C'est pour arriver à ce résultat que j'ai toujours insisté, depuis que je suis sur les bancs de cette Chambre, pour porter l'attention du pays sur ce point et, c'est pour arriver par le plus court chemin, m'a-t-il semblé, que j'ai prié le gouvernement de donner à la Chambre et en même temps (page 916) au pays des renseignements aussi certains que possible sur l’état actuel des choses. Nous saurons ainsi quels efforts il nous reste à faire pour arriver au but.

Je suppose, par exemple, qu'après l'étude approfondie de la question, le tableau n°1 qui établit à 28 millions la somme nécessaire pour doter le pays d'écoles soit reconnu vrai, ou si vous le préférez, que l'assertion non prouvée de M. le ministre de l'intérieur, qui a déclaré, dans une séance précédente, que la somme de 50 à 60 millions était encore nécessaire, soit fondée ; eh bien, nous saurons dès lors, d'une façon certaine, ce que nous avons à faire pour arriver le plus tôt possible au résultat final.

Faut-il dépenser cinq millions par an ? N'en faut-il que trois, pour arriver dans cinq ou six ans au résultat ? Nous saurions ce que nous avons à faire, tandis que maintenant, nous marchons un peu à l'aveuglette, sans nous rendre compte si l'effort qu'on nous demande est bien le dernier et s'il est suffisant.

Messieurs, avant de me rasseoir, je dois motiver le vote négatif qu'à mon grand regret, je suis obligé d'émettre sur le budget de l'intérieur. J'ai toujours voté pour le budget qui contient l'instruction publique, et je n'avais aucune raison de ne pas faire, cette année, ce que j'avais fait antérieurement, rendre au peuple, en instruction, une faible part de ce qu'il paye en impôts.

Mais l'honorable ministre de l'intérieur a posé, depuis mon dernier discours, un acte que je considère comme contraire, non seulement au principe et à l’essence des institutions qui nous régissent, mais au droit que possède la nation belge de même que toutes les nations, d'avoir une bonne administration et, en outre, un acte qui, à mon avis, n’est pas de nature à maintenir le pouvoir dans la position digne, et forte qu'il doit occuper ; je veux parler, messieurs, de la nomination du bourgmestre de Wavre.

Nos institutions sont établies, vous le savez tous, messieurs, sur le principe de la souveraineté nationale, laquelle, pour les différentes branches dans lesquelles se divise le pouvoir, Etat, provinces et communes, s'exerce au moyen des élections. C’est la majorité, dans l'Etat comme dans la province, comme dans la commune, qui doit gouverner, c’est la majorité qui a le droit d'administrer.

Si ce principe est attaqué dans les communes, il le sera bientôt dans l'Etat lui-même, et nos institutions seront faussées dans leur principe.

L'honorable ministre de l'intérieur a cru devoir renverser cette règle fondamentale et il a choisi le bourgmestre, je ne dirai pas dans la minorité du conseil, mais dans la singularité, il a choisi l'homme unique.

Messieurs, il y a certainement des circonstances exceptionnelle s et rares où l'on peut se départir des règles établies ; il peut se rencontrer certaines circonstances données où l'homme unique soit l'homme nécessaire ; mais, je dois le déclarer immédiatement, dans la circonstance présente, ce n’est pas le cas ; l'homme choisi par le ministre n'était pas du tout l'homme nécessaire.

Il y a une autre règle que je regarde comme supérieure à la première : c’est le droit de tout peuple, de toute province, de toute commune, d'être bien administré.

Je crois ce droit supérieur aux Constitutions elles-mêmes, car c’est pour doter les nations d'une bonne administration, que les Constitutions et les lois sont faites et que nous sommes appelés chaque jour à faire des lois dans cette enceinte.

Or, je le demanderai à cette Chambre si nous arriverons, dans notre ville de Wavre, à ce résultat par la nomination que vient de faire M. le ministre de l'intérieur d'un bourgmestre pris en dehors de la majorité du conseil.

Non seulement, l'élu bourgmestre n’est pas administrateur, mais on peut même dire qu'il est tout ce qu'il y a de moins administrateur au monde. Je dirai même que le seul acte public qu'il ait jamais posé, c’est d'avoir désorganisé la garde civique dont il s'était fait élire le chef.

En effet, depuis que le nouveau bourgmestre de Wavre s’est trouvé à la tête de la garde civique de notre ville, ce corps, qui depuis quarante ans avait toujours rempli honorablement et vaillamment ses devoirs, ne les a plus remplis, il s’est en quelque sorte dissous, son commandant s’est même fait un point d'honneur de la non-exécution des lois qu'il avait prêté serment d'observer.

Je demanderai à l'honorable ministre si c’est là le service qu'il a entendu récompenser par cette nomination.

M. Bouvier. - C’est sans doute un clérical.

M. Le Hardy de Beaulieu. - De deux choses l'une. Ou le nouveau bourgmestre sera d'accord avec son conseil et alors le gouvernement aura fait un acte inutile.

Je demande si nous payons un gouvernement qui nous coûte annuellement près de 200 millions pour qu'il fasse des actes inutiles. Ou bien le nouveau bourgmestre entrera en lutte avec son conseil échevinal et communal et alors on aura introduit la désorganisation dans notre commune.

Je demande si nous payons le gouvernement pour désorganiser les services publics.

M. Liénart. - A la question !

M. le président. - M. Le Hardy, vous êtes tout à fait en dehors de la question. Un mot passe, mais tout un discours...

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je motive le vote négatif que je dois émettre sur le budget de l'intérieur, ce que je n'ai pu faire plus tôt.

M. Bouvier. - C’est voire droit.

M. le président. - Non, M. Bouvier, l'orateur n’est pas dans son droit.

M. Le Hardy de Beaulieu. - L'acte que je critique a été accompli après le vote de l'article du budget qui se rapporte à la matière. Je suis donc obligé de motiver mon vote en ce moment.

Je vais avoir fini, M. le président ; si vous voulez encore m'accorder une ou deux minutes, j'aurai entièrement terminé.

Eh bien, messieurs, c’est donc une nomination politique, exclusivement politique, dont nous avons été dotés dans notre bonne ville de Wavre.

Je demande si c’est là la bonne voie à suivre par le gouvernement.

Nous sommes une ville libérale depuis longtemps, la majorité a toujours été libérale depuis 25 ou 30 ans et nous étions arrivés à ce point que lors des élections nous recherchions moins les opinions du candidat que ses qualités d'administrateur. Or, par votre attitude vous allez nous forcer à faire rentrer nos élections dans la sphère purement politique, à être exclusifs les uns vis-à-vis des autres.

Je dis que vous suivez là une voie dangereuse ; les affaires communales devraient être en dehors de la politique ; ce devrait être un champ sur lequel tous les intérêts devraient se trouver d'accord ; ce devrait être un terrain sur lequel chacun devrait chercher à faire tout le bien possible. Eh bien, est-ce en prenant pour bourgmestre l'homme qui est seul de son opinion dans le conseil communal et qui ne se distingue, je l'ai dit, par aucune des qualités qui font l'administrateur, que l'on peut justifier une exception à la règle générale ; est-ce ainsi que l'on fera entrer les communes dans cette voie paisible d'où elles ne devraient jamais sortir ? Je ne le pense pas, et c’est pour cette raison que, malgré le vif désir que j'ai de voter toutes les dépenses qui concernent l'instruction publique, je me vois obligé d'émettre un vote négatif sur le budget de l'intérieur.

M. le président. - La parole est à M. Bouvier, contre le président.

M. Bouvier. - Je dois dire d'abord que ce n’est pas contre le président que j'ai demandé la parole, mais seulement pour m'expliquer ; je n'ai pas l'habitude de parler contre le président qui, je me fais un devoir de le constater, préside nos débats avec beaucoup d'impartialité.

M. le président. - Le président peut se tromper comme les autres.

M. Bouvier. - J'ai demandé la parole, M. le président, à la suite de l'observation que vous m'aviez faite.

J'ai dit que M. Le Hardy avait le droit de motiver son vote ; en voici les motifs :

L'honorable membre a l'habitude de voter le budget de l'intérieur ; aujourd'hui il a voulu indiquer en quelques mots les raisons qui le déterminent à rompre avec son passé. Il vous a dit que le ministère actuel qui d'après son programme est uniquement mû par des sentiments de modération, de conciliation, d'union, a jeté la zizanie dans la ville de Wavre en nommant un bourgmestre dans la minorité, alors que celui-ci n'avait pas la capacité administrative pour remplir convenablement ses fonctions ; qu'il avait même désorganisé la garde civique.

Bien qu'il fût question des écoles, M. Le Hardy était dans son droit en faisant comprendre à la majorité que ce ministère, loin d'être, un ministère de modération et de conciliation, ne recule pas devant la désorganisation des administrations communales pour rechercher le seul clérical que le conseil communal renferme...

M. Snoy. - Ce n’est pas exact.

M. de Vrints. - M. Snoy se trompe ; le nouveau bourgmestre de Wavre est le seul membre clérical du conseil.

M. Bouvier - ... et en faire un bourgmestre.

C’est là un fait qu'il importait de ne point laisser passer sous silence et qui a motivé la déclaration de l'honorable M. Le Hardy, déclaration qu'il était, à mon avis, en droit de présenter à l'assemblée.

M. le président. - Nous avons eu déjà deux discussions générales très longues. Je voudrais que désormais la discussion se renfermât strictement dans les limites des chapitres et des articles qui restent à voter.

(page 917) M. Le Hardy de Beaulieu aurait été parfaitement dans son droit s'il avait exposé, dans la discussion générale, les considérations qu'il a présentées en dernier lieu. Il a fait remarquer, il est vrai, que le fait sur lequel ont porté ses observations était d'une date postérieure à la clôture de la discussion générale. Il me semble qu'il aurait pu présenter ces observations avant le vote du budget, puisqu'elles tendaient a justifier son vote négatif.

Quoi qu'il en soit, je suis bien décidé à maintenir la discussion dans les bornes des chapitres et des articles sur lesquels elle porte.

- Voix à droite. - Très bien !

M. Descamps. - Après les dissertations intéressantes qui ont eu lieu dans la discussion générale du budget sur l'organisation matérielle et intellectuelle des écoles, sur les progrès accomplis en matière d'instruction primaire, sur ceux qui restent à réaliser, je n'abuserai pas longtemps des moments de la Chambre. Je me bornerai à soumettre à M. le ministre de l'intérieur quelques observations sur les inconvénients du cumul de fonctions diverses exercées par certains instituteurs communaux et sur le maintien de ce cumul, malgré les avis donnés et les mesures prises pour le faire disparaître, par les diverses administrations qui se sont succédé au département de l'intérieur.

Depuis longtemps, messieurs, l'attention du gouvernement a été fixée sur les abus du cumul exercé par l'instituteur communal, cumul qui distrait ce fonctionnaire de ses devoirs, qui lui dérobe une partie plus ou moins considérable du temps qu'il doit à l'enseignement et au perfectionnement de ses connaissances, qui le force fatalement à s'occuper d'affaires ou à faire profession d'opinions qui lui aliènent, en même temps que son indépendance, les sympathies d'une partie des familles.

Une circulaire de l'honorable M. Vandenpeereboom, en date du 24 avril 1867, prescrivit une révision générale de toutes les autorisations de cumul qui avaient été jusqu'alors accordées aux instituteurs. Une autre circulaire, émanée de l'honorable M. Pirmez et datée du 15 avril 1868, a admis en principe que les motifs qui avaient déterminé le gouvernement à se montrer tolérant au sujet des autorisations de cumul accordées aux instituteurs dans les premiers temps de la mise à exécution de la loi du 23 septembre 1842, n'avaient plus de raison d'être et devaient disparaître complètement.

« Les traitements des instituteurs, disait M. le ministre, sont beaucoup plus élevés, et l'organisation des écoles d'adultes, à la prospérité desquelles il importe de les associer, sera une nouvelle occasion d'améliorer encore leur position, rien n'empêchant de leur accorder, de ce chef, une indemnité convenable.

« Il y a donc lieu d'étendre le cercle des interdictions tracé par la circulaire du 11 juin 1844 et par une instruction ministérielle du 21 janvier suivant.

« Aux professions d'aubergiste, de boutiquier, de clerc de notaire, etc., devront être ajoutées les professions de sacristain, de clerc de paroisse, etc., etc. »

Ainsi, messieurs, les professions de boutiquier ou de marchand, celles de clerc de paroisse ou de sacristain sont formellement interdites à l'instituteur ; seules les fonctions de secrétaire communal, de receveur de bureau de bienfaisance ou de trésorier de conseil de fabrique, pourront dans certains cas, et très exceptionnellement, être permises à l'instituteur ; mais encore faut-il, pour que celle exception soit accordée, qu'il s'agisse de communes dont la population n'excède pas 700 habitants.

Or, messieurs, j'ai eu l'honneur de signaler à M. le ministre de l'intérieur un abus qui, malgré toutes les prescriptions administratives, continue à être toléré dans l'arrondissement que je représente dans cette enceinte.

L'instituteur communal d'Anvaing comme avec ses fonctions celles de clerc de paroisse, de sacristain et de marchand de charbon. Cependant les avertissements et les injonctions des autorités supérieures n'ont pas fait défaut à la commune d'Anvaing.

Le gouvernement, à plusieurs reprises et notamment dans les premiers temps de 1870, a invité la commune d'Anvaing à interdire le cumul exercé par son instituteur, à prendre des mesures nécessaires pour établir une école d'adultes suivant les dispositions réglementaires de l'arrêté royal du 1er septembre 1866 et a s'assurer ainsi des droits aux subsides de la province et de l'Etat, subsides qui lui auraient permis d'offrir à l'instituteur une compensation des avantages dont il ferait le sacrifice.

Qu'a fait la commune d'Anvaing ? Elle n'a tenu aucun compte des injonctions de l'autorité supérieure, et l'instituteur, aujourd'hui moins inquiété que jamais, continue d'exercer en pleine liberté ses fonctions aussi multiples que variées..

Et cependant, veuillez, messieurs, le remarquer, la commune d'Anvaing, où se passent ces faits, a une certaine importance relative, Sa population est de 1,300 à 1,400 âmes. Le nombre des élèves pauvres inscrits à l'école est de 87, celui des élèves solvables est de 20 à 30.

L'école communale d'Anvaing se trouve dans des conditions à pouvoir être rangée dans Ia première catégorie de celles qui ont été classées par le règlement d'administration général du 10 janvier 1866. Elle est placée dans la deuxième de ces catégories, et d'après le budget de 1870, les traitements et casuel réunis de l'instituteur s'élevaient à 1,230 francs.

Dans ces conditions, aucune considération ne peut légitimer la tolérance accordée à l'école d'Anvaing ; les principes de la circulaire du 15 avril 1868 devraient y recevoir leur rigoureuse application. Je prie en conséquence l'honorable ministre de vouloir bien nous dire s'il compte prendre des mesures pour assurer la cessation des fâcheux abus signalés.

M. Muller. - Messieurs, bien que les deux premiers amendements que j'ai soumis à la Chambre aient reçu de la majorité un accueil peu favorable, qui ne me laisse aucun doute sur le sort du troisième, je n'hésite pas à développer en quelques mots, ce dernier, et j'espère qu'il obtiendra, comme les deux autres, l'appui de mes collègues de la gauche. Cet amendement, qui se borne à reproduire une proposition budgétaire faite par l'honorable M. Pirmez pour l'exercice 1871, lorsqu'il était encore ministre de l'intérieur, est ainsi conçu : « Ajouter après le littera Q de l'article 99 un autre littera ainsi libellé :

« Frais des concours entre les écoles d'adultes ; récompenses aux élèves qui se distinguent dans ces concours (exécution des articles 24 et 34 de l'arrêté royal du 11 septembre 1868) : fr. 15,000. »

Cette allocation a été biffée par l'honorable successeur de M. Pirmez, sans qu'aucune mention ait été faite du motif qui avait pu le déterminer.

Cette fois encore, il a suivi le même procédé expéditif que pour les propositions relatives à la création des écoles moyennes de garçons et de filles.

Messieurs, tous nous devons être convaincus que le complément indispensable de l'instruction primaire, si l'on veut qu'elle produise tous ses fruits, c'est la création et l'organisation des écoles d'adultes. Combien ne voyons-nous pas d'enfants ayant fréquenté les écoles primaires, qui abandonnent immédiatement toute instruction, toute culture intellectuelle ! Combien, même, qui, quelques années après, ne savent plus ni lire, ni écrire ! L'intelligence qui s'était ouverte est perdue, on est retombé dans l'ignorance : le peu qu'on avait appris a été oublié.

L'une des organisations les plus importantes en matière d'enseignement primaire, c'est, on ne peut le méconnaître, celle des cours d'adultes ; le gouvernement et la Chambre l'ont compris : depuis quelques années déjà, le budget de l'Etat renferme des subsides en faveur des écoles d'adultes. A ces jeunes gens des classes populaires qui doivent compléter les notions élémentaires qu'ils ont acquises, il faut des encouragements, un stimulant d'émulation. Si vous supprimiez la proposition qu'avait faite l'honorable M. Pirmez dans ce but, un grand intérêt social restera en souffrance, et en laissant à l'état de lettre morte les dispositions bienveillantes de l'arrêté royal du 11 septembre 1868, vous créerez une cause légitime de plainte de la part des intéressés.

Voici, messieurs, quelques extraits de cet arrêté qui n'est, à quelques dispositions près, que la répétition d'un règlement antérieur :

« Art. 22. Chaque année à partir de 1868 des concours auront lieu par canton entre les écoles d'adultes ; les cantons d'une même commune pourront être réunis. La participation à ces concours sera obligatoire pour les établissements communaux ou adoptés, et facultative pour les établissements privés entièrement libres.

« Art. 23. Les examens porteront sur toutes les branches enseignées dans la division supérieure ; on n'admettra au concours que les élèves de cette division parvenus au terme de leurs études et âgés d'au moins 19 ans.

« Art.24. Tout concurrent qui aura obtenu plus de la moitié des points attribués à un travail parfait dans chacune des branches recevra un certificat délivré par le jury d'examen et constatant qu'il a fréquenté avec fruit la division supérieure de l'école d'adultes.

« Des livrets de la caisse d'épargne et de retraite pourront en outre être remis à ceux qui se seront le plus distingués, pourvu qu'il aient remporté au moins les deux tiers des points. Les élèves qui n'auront pas obtenu le certificat mentionné au paragraphe premier seront admis à se représenter au concours l'année suivante.

« Art. 25. Les livrets de la caisse d'épargne ou de retraite à distribuer en conformité de l'article 24, paragraphe 2, s'élèveront de 30 à 40 francs. La dépense à faire de ce chef sera entièrement a la charge du gouvernement.

(page 918) « Art. 36. Les dispositions réglementaires qui précèdent à l'exception de celles ayant pour objet les concours, sont applicables aux écoles d'adultes pour femmes ainsi qu'aux institutrices. Les écoles pour femmes ne pourront, sous aucun prétexte, être ouvertes dans la soirée. »

Ainsi, messieurs, il résulte de ces dispositions que des concours de jeunes gens adultes devaient être ouverts dans les provinces et devaient avoir lieu par canton. Pouvaient seulement y prendre part les élèves parvenus au terme de leurs études et âgés d'au moins 19 ans. lis pouvaient aspirer à un diplôme, qui serait pour eux un titre de recommandation et d'honneur ; des récompenses en livrets de caisse d'épargne ou de retraite devaient être décernées aux plus distingués !

Telles sont, messieurs, les mesures d'encouragement qui avaient été annoncées et résolues.

L'honorable M. Pirmez avait compris que l'exécution ne pouvait plus en être ajournée après la promulgation de la loi du 30 mars 1870, qui a modifié les bases électorales en ce qui concerne la province et la commune. Il y a, en effet, connexité entre les dispositions de l'arrêté de1868 qui concerne les concours d'adultes, et quelques articles de la loi de 1870. Cette loi admet une réduction du cens électoral en faveur des citoyens qui justifient avoir fait des études d'instruction moyenne. Elle porte à l'article 8 : « Ces études se justifient, suivant le cas, par des diplômes, dont la possession suppose les connaissances faisant l'objet d'un enseignement moyen de trois années au moins, et à défaut de diplômes, par des certificats délivrés par les chefs et professeurs, des établissements d'instruction moyenne. »

Or, messieurs, les cours d'adultes de la division supérieure, qui comprend trois années d'études, rentrent dans la catégorie des établissements d'enseignement moyen ; leur programme, que je crois inutile de lire, est tout différent de celui de l'instruction primaire. S'il y avait l'ombre d'un doute à cet égard, il disparaîtrait en présence de l'article 25 de la loi de 1870, ainsi conçu :

« Les écoles primaires supérieures fondées en exécution de l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842 sont considérées comme établissements d'instruction moyenne. »

Ce point avait été, d'ailleurs, déjà résolu par la loi de 1850.

Un diplôme, obtenu dans les concours d'adultes, est donc, en vertu de la loi, un titre dont il y a lieu de tenir compte pour dresser les listes de certaines catégories d'électeurs, et je ne puis m'abstenir de faire remarquer qu'avant que cette loi soit abolie, il semble que le gouvernement actuel prenne à tâche, dans la mesure de ses moyens actuels, et en attendant la réforme radicale du droit électoral qu'il nous a présentée, d'entraver et de paralyser l'exécution d'une loi toute récente qui a admis la combinaison de la capacité avec le cens.

- Un membre. - Il n'en veut pas.

M. Muller. - Je sais bien qu'il n'en veut pas. Mais ce que je ne comprends pas, c'est que, tant qu'une, loi existe, on ne l'applique pas avec sincérité et franchise ; j'ajoute que, dans les circonstances actuelles, c'était un devoir de ne pas repousser la proposition qui avait été faite par l'honorable M. Pirmez.

On a demandé à M. le ministre de l'intérieur quels étaient les motifs qui avaient pu le déterminer à repousser la proposition de l'honorable Mé Pirmez, et voici ce qu'il a répondu :

« Par circulaire du 24 décembre 1869, les députations permanentes ont été priées de donner leur avis sur le point de savoir si le moment est venu d'organiser les concours d'élèves des écoles d'adultes prévus par les arrêtés du 1er septembre 1866 et du à septembre 1868.

« Sept députations ont répondu à cette demande ; six d'entre elles estiment qu'il y a lieu d'ajourner les concours.

« Une seule a émis un avis favorable, entouré de certaines réserves.

« Dans cette situation, le concours est impossible et, dès lors, il n'y a point lieu de le prévoir au budget.

« Un membre (et c'était moi) propose de porter au budget le chiffre de 15,000 francs.

« Les causes d'ajournement des concours d'adultes lui sont inconnues, et il n'admet pas l'impossibilité de procéder en 1871 à leur organisation.

« Il y avait, ajoute-t-il, en 1866 près de 25,000 jeunes gens fréquentant les écoles d'adultes soumises à l'inspection du gouvernement et 52,000 fréquentaient les écoles libres.

« Les uns et les autres sont admis, dans la division supérieure, à concourir. Ils trouveraient ainsi un élément d'émulation et des encouragements.

« La section centrale, acceptant les raisons invoquées par le gouvernement, rejette la proposition par quatre voix contre une et une abstention. »

Il y a ici, messieurs, une erreur typographique, une transposition de chiffres : il y a 52,000 élèves fréquentant les écoles libres, et rappelez-vous qu'aux termes de l'arrêté royal les jeunes gens de cette catégorie sont, comme ceux de la première, admis à prendre part aux concours dans la division supérieure.

Comme je l'ai dit en section centrale, et sauf explication ultérieure, je ne comprends pas l'impossibilité d'organiser les concours, alors que ces concours ont lieu par canton.

Je sais bien que, dans certaines provinces, les députations ont refusé tout subside aux écoles d'adultes, parce que l'enseignement religieux n'y est pas obligatoire. Sous ce rapport, il n'est plus possible actuellement de se débattre entre la loi de 1842 et celle de 1850, puisque les écoles d'adultes, en vertu de la loi du 30 mars 1870, sont rangées dans l'enseignement moyen.

On y ouvre des cours spéciaux, complémentaires, qui doivent s'adapter aux besoins des différentes localités. La commune pourra inviter le clergé à venir donner l'enseignement religieux, et je n'en méconnaîtrais pas l'influence utile, s'il s'agissait d'antre chose que de la simple répétition da catéchisme.

Mais remarquez que les élèves des écoles d'adultes sont des jeunes gens de 17, 18, 19 ans, et au delà, à qui l'on se borne à faire ou à faire faire le plus généralement une récitation de mémoire, qui doit être fastidieuse, surtout le soir (c'est l'heure habituelle des classes d'adultes) pour des hommes déjà fatigués par le travail de la journée. A quelque opinion, qu'on appartienne, on doit se dire que la continuation du catéchisme n'est pas pour eux indispensable, et que l'enseignement développé qu'on donne à l'église peut leur suffire.

En résumé, je n'ai obtenu aucun renseignement sur les motifs qui ont pu guider un certain nombre de députations permanentes à émettre un avis favorable à un nouvel ajournement des concours prescrits par l'arrêté de 1868, et il serait très intéressant de les connaître : car si ces concours, n'ont pas été jusqu'ici organisés d'une manière générale, ce n'est pas une raison pour supprimer partout les diplômes et les encouragements pécuniaires ; c'est même un motif de favoriser par le stimulant de l'émulation, et des récompenses la création d'écoles, d'adultes là où. il n'en existe pas encore.

M. le ministre de l'intérieur doit avoir reçu au moins d'un de ses inspecteurs. provinciaux, celui de Liège, l'avis qu'il y avait lieu d'établir les concours d'adultes dans une partie de la province.

Je crois être bien renseigné à cet égard. Je me demande donc pourquoi le gouvernement hésite à donner un témoignage de vif intérêt aux communes et aux jeunes gens courageux qui donnent le bon exemple aux autres.

Ce n'est pas probablement un misérable esprit d'économie qui a guidé M. le ministre de l'intérieur dans la suppression de l'allocation qui avait été présentée par son prédécesseur ; une pensée tout autre a du présider à sa détermination.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment justifié l'amendement que j'ai soumis à la Chambre, ayant été, au sein de la section centrale, le seul membre représentant l'opinion de la gauche parlementaire, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

J'attendrai les explications du gouvernement.

M. Funck. - Messieurs, si, conformément à la disposition de la loi de 1842 qui lui en impose l'obligation, le gouvernement avait joint à l'exposé du budget de l'intérieur le tableau de répartition des fonds destinés à encourager l'enseignement primaire, il me suffirait de mettre ce tableau sous vos yeux pour établir la légitimité de la demande que je vais avoir l'honneur de vous soumettre.

A diverses reprises, l'administration communale de Bruxelles s'est adressée au gouvernement pour obtenir une part dans les subsides affectés à l'enseignement primaire et toujours ses démarches sont restées sans résultat.

En faisant cette demande, elle se fondait sur l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842 qui est ainsi conçu :

« A défaut de fondations, donations ou legs, qui assurent un local et un traitement à l'instituteur, le conseil communal y pourvoira au moyen d'une allocation sur le budget.

« L'intervention de la province, à l'aide de subsides, n'est obligatoire que lorsqu'il est constaté que l'allocation de la commune, en faveur de l'instruction primaire, égale le produit de 2 centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que cette allocation puisse (page 919) être inférieure au crédit voté pour cet objet, au budget communal de 1842.

« L’intervention de l’Etat, à l’aide de subsides, n’est obligatoire que lorsqu’il est constaté que la commune a satisfait à la disposition précédente, et que l’allocation provinciale, en faveur de l’enseignement primaire, égale le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que ladite allocation puisse être inférieure au crédit voté pour cet objet, au budget provincial de 1842.

« Chaque année, il sera annexé à la proposition du budget, un état détaillé de l’emploi des fonds alloués pour l’instruction primaire, pendant l’année précédente, tant par l’Etat que par les provinces et les communes. »

Le texte de cet article est formel ; je ne dis pas, messieurs, qu'il soit tellement impératif, tellement absolu, comme l'ont soutenu cependant certains membres de la droite, qu'il ne soit pas possible d'y déroger dans des circonstances spéciales. Je ne dis pas qu'il ne puisse se présenter des circonstances où une commune se trouve dans des conditions telles, qu'elle doive faire pour l'instruction primaire des sacrifices plus considérables que ceux qui sont indiqués dans cet article ; mais ce que je soutiens, c'est qu'il n'est pas permis au gouvernement d’établir une législation à côté de la loi ; c'est qu'il n'est pas permis de déroger à un texte positif par un arrêté ou par une instruction ministérielle, ni même par un arrêté royal,

Or, c'est ce qu'a fait l'honorable ministre de l'intérieur, par sa circulaire du 14 décembre. En vertu de cette circulaire, toutes les communes du pays, pour être admises à participer aux subsides destines à encourager l'enseignement primaire, doivent non seulement employer à ce service les 2 centimes additionnels, prévus par l'article 23, mais encore justifier qu'elles affectent à cet enseignement 10 p. c. sur les revenus des biens patrimoniaux, déduction faite des intérêts et revenus des emprunts, et 10 p. c. sur le fonds communal, déduction fuite du service de la bienfaisance.

Je vous ferai remarquer en passant que si le système était fondé, c'était le contraire qu'il fallait faire : il fallait déduire des revenus des biens patrimoniaux les dépenses de la bienfaisance ; il y a, en effet, entre ces deux services une certaine corrélation ; certains biens des communes ont souvent pour origine des œuvres de bienfaisance, il fallait surtout déduire les dettes et les intérêts des emprunts de la part que les communes perçoivent dans le fonds communal par la raison bien simple que le fonds communal est en quelque sorte le gage le plus clair des créanciers des communes. Et cela est tellement vrai, que les emprunts faits par les communes sont garantis aujourd'hui pour la plupart sur la part que celles-ci perçoivent dans le fonds communal.

Quoi qu'il en soit, je me demande pourquoi l'honorable M. Kervyn prétend modifier l'article 23 par une dispositif ministérielle ? Déjà l’honorable M. Elias, et après lui l'honorable M. Bara ont démontré tous les inconvénients du système que veut inaugurer M. le ministre de l’intérieur : ils ont établi devant vous, à la dernière évidence, les injustices flagrantes qui résulteraient de l'application de ce système. Je n'ai pas la prétention de refaire ici leurs discours, mais je constate que jusqu'à présent il n'y a pas été répondu, que toutes leurs objections subsistent, et que par conséquent tous leurs arguments restent debout.

Maintenant, messieurs, pourquoi la ville de Bruxelles a-t-elle été exclue des subsides ?

Toutes les communes importantes, toutes les grandes villes du pays y prennent part.

Anvers reçoit de l'Etat et de la province 60,550 francs ; Gand 92,109 francs ; Liège, 78,500 francs. Je ne cite que les villes les plus importantes ; Bruxelles seul ne reçoit rien.

Pourquoi cette situation exceptionnelle faite à la capitale ; pourquoi en quelque sorte cette mise hors la loi ? Personne jusqu'à présent n'a essayé de la justifier et il serait difficile, en effet, de légitimer ce qui n'est pas justifiable. Mais ce que l'on ne pourrait pas tenter directement, on l'essaye quelquefois d'une manière indirecte.

Déjà, en 1864, l'honorable M. Delcour faisait, dans de très bons termes du reste, à l'administration communale de Bruxelles le reproche grave de ne pas accomplir ses obligations en matière d'instruction primaire. Il prétendait qu'elle n'ouvrait pas un nombre suffisant d’écoles et que les enfants pauvres de la capitale restaient sans instruction, tandis que la ville se livrait à des dépenses facultatives en organisant, par exemple, l'enseignement des jeunes filles. J'ai eu l'occasion de répondre, dans la séance du 23 décembre 1864, à l’honorable M. Delcour ; je lui ai démontré que la ville de Bruxelles avait accompli plus que ses obligations en matière d'instruction primaire ; que, loin d'attendre que des enfants vinssent frapper aux portes de ses écoles, elle allait les chercher chez eux ; qu'elle avait fixé à 6 ans l’âge de l’admission des enfants dans ses écoles primaires, tandis que d'ordinaire on n'est admis dans ces écoles qu’à 7 ans ; j'ai démontré enfin que la ville de Bruxelles avait fait des sacrifices considérables pour son enseignement public, et ma réponse est restée sans réplique.

Il n'y a pais longtemps, dans la discussion générale de ce budget, le même orateur vantait bien haut les services rendus à la ville de Bruxelles par les congrégations religieuses. Il constatait, - à sa manière, bien entendu, - que la charité catholique était venue en aide à la ville de Bruxelles en établissant un nombre considérable d'écoles dirigées par des corporations enseignantes.

Je ne puis, messieurs, admettre cette affirmation, parce qu'elle constitue un étrange abus de mots. La charité catholique n'est jamais venue en aide à la ville de Bruxelles, par la raison bien simple que celle-ci ne lui a jamais rien demandé, et par la raison, meilleure encore, que la ville de Bruxelles a toujours su faire tous les sacrifices nécessaires pour son enseignement.

Mais ce qui est vrai et ce qu'on devrait dire, c'est que, non pas la charité mais l'opinion catholique a voulu faire concurrence à l'enseignement donné par la ville de Bruxelles.

Partant de ce principe que, malgré l'application de la loi de 1842, malgré l'inspection ecclésiastique, l'enseignement donné par la ville de Bruxelles est encore entaché de libéralisme, l'opinion catholique a voulu lutter contre cet enseignement.

Pénétrée de cette pensée qu'elle a un intérêt immense à former la jeunesse, elle a établi un nombre considérable d'écoles dirigées par des corporations religieuses, dont la mission avouée, officielle, est, non pas de détruire l'enseignement officiel, ce qui serait impossible, mais au moins de lui faire une concurrence redoutable et de lui enlever le plus grand nombre d'élèves possible.

En agissant ainsi, messieurs, l'opinion catholique usait de son droit ; je ne l'en blâme certes pas et je ne lui en fais pas le moindre reproche ; la liberté d'enseignement est inscrite dans la Constitution pour toutes les opinions, et elles sont libres d'en faire usage ; mais ce que je ne puis pas admettre, c'est qu'on vienne déguiser sous les apparences de la charité ce qui n'est en réalité qu'une œuvre de parti.

Et cette conviction est chez moi si profonde que je ne crains pas de faire à l'honorable député de Louvain la proposition suivante :

L'honorable M. Delcour est un homme influent et justement considéré dans son parti. Il ne doit pas être sans avoir quelques relations avec ces congrégations religieuses dont il s'est posé, dans cette enceinte, le défenseur aident et convaincu. Eh bien, que l'honorable député de Louvain obtienne de ces congrégations qu'elles affectent à d'autres œuvres de charité leur zèle, leurs efforts et leurs ressources, et je prends vis-à-vis de lui l'engagement formel, au nom de l'administration communale, que la ville de Bruxelles ouvrira un nombre suffisant d'écoles pour donner l'enseignement primaire à tous les enfants pauvres qui ne trouveront plus place dans ces écoles, et je lui réponds que pas un de ces enfants ne restera sans instruction.

C'est dans la même intention, messieurs, et toujours en poursuivant le même but que, dans l'une de nos dernières séances, l'honorable M. Coremans a jugé à propos d'établir une comparaison défavorable à la capitale entre l'enseignement primaire organisé par celle-ci et l'enseignement primaire organisé par la ville d'Anvers.

J'engage l'honorable membre, que je regrette de ne pas voir ici, je l'engage vivement à mieux se renseigner lorsqu'il traitera de pareilles questions.

Il s'épargnera ainsi le désagrément de voir renverser ses chiffres et ses allégations, et le désagrément plus grand encore de se voir pris en flagrant délit d'inexactitude.

Certes, il est permis à l'honorable M. Coremans de tresser des couronnes de fleurs à ce qu'il appelle avec affectation, je ne sais trop pourquoi, l'administration meetinguiste d'Anvers ; mais ce que je ne puis pas admettre, c'est que, pour faire un piédestal à ses amis politiques, il vienne attaquer ici une administration communale qui a rendu des services signalés à l’instruction primaire et qui s’impose chaque année des sacrifices considérables pour l’enseignement public à tous les degrés.

Déjà l’honorable M. Jottrand a rencontré l'accusation portée dans cette enceinte par l'honorable M. Coremans et il en a démontré l'inanité. Et encore mon honorable collègue s'est montré fort indulgent, et il a fait la part bien belle à nos adversaires.

Je demande pardon a la Chambre de l'occuper de ces détails de chiffres ; mais ce n'est pas nous qui avons soulevé ce débat, et puisque un membre (page 920) de la majorité nous a attaqués, nous avons le droit et même le devoir de nous défendre.

Voici quelques chiffres officiels qui vous prouveront ce qu'il faut penser des accusations de l'honorable M. Coremans.

La ville de Bruxelles dépense chaque année pour le service du personnel et les frais de ses écoles primaires une somme de 295,000 francs, ce qui fait déjà 1 fr. 72 c. par habitant. Elle porte, en outre à son budget 100,000 francs pour construction de maisons d'école. Ensemble 395,000 francs. Elle ne reçoit aucun subside. Elle dépense donc par an 2 fr. 30 c. par tête d'habitant.

En outre, il résulte d'un document officiel que j'ai sous les veux que la ville de Bruxelles a dépensé 1,990,000 francs, soit 2 millions en chiffres ronds : ce qui représente encore une rente de. 100,000 francs par an : somme que j'indique ici seulement pour mémoire.

La ville d'Anvers dépense chaque année pour le service du personnel et pour les frais de ses écoles primaires une somme de 211,190 francs, elle reçoit annuellement de l'Etat et de la province un subside de 60,535 francs ; elle dépense donc en réalité 150,000 francs ; ce qui représente environ 1 fr. 16 par tête d'habitant.

Voila donc la situation exacte, réelle, fondée sur les chiffres officiels du budget.

Anvers paye 1 fr. 16 c. par tête d'habitant, tandis que Bruxelles paye 2 fr. 30 c. dans la même proportion, c'est-à-dire environ le double.

Est-ce clair ? Et l'honorable M. Coremans qui déclarait, en interrompant, M. Jottrand, vouloir maintenir ses chiffres, comprendra-t-il enfin qu'il s'est fourvoyé, que s'il a vu quelque chose il n'a pas bien distingué, et que, pour me servir d'une expression consacrée, il a oublié d'allumer sa lanterne.

L'honorable M. Coremans n'a pas été plus heureux, dans ce qu'il a avancé, quand il a parlé de l'organisation du système du demi-temps dans les écoles primaires de la ville de Bruxelles.

Voici, en effet, comment il s'exprime :

« Bruxelles, qui subsidie si largement les plaisirs du riche, refusait à des centaines d'enfants pauvres le pain de l'intelligence, qu'ils lui réclamaient cependant comme un droit au nom de la loi de 1842.

« Pour cacher cette situation, Bruxelles vient d'adopter le système du half-lime, oubliant que ce système - excellent dans les villes de fabriques, où les enfants, travaillant dès l'âge de 7 ans, ne sauraient autrement fréquenter l'école - est déplorable à Bruxelles par l'abandon, l'oisiveté, le vagabondage auxquels il condamne les enfants la moitié de la journée, »

Je passe sous silence ces vieilles déclamations que personne ne prend plus au sérieux et qui consistent à dire que les dépenses faites par les grandes villes pour les monuments, les théâtres, les promenades et les fêtes publiques sont des prélèvements faits sur la détresse du pauvre au profit des plaisirs du riche.

Ce sont là des affirmations contre lesquelles on ne saurait assez protester parce qu'elles tendent à égarer l'esprit des populations.

Les monuments, les théâtres, les promenades, les fêtes publiques font partie intégrante de ce qui fait la splendeur des grandes villes et cette splendeur constitue leur prospérité. Or, la prospérité des grands centres de population, c'est le bien-être de toutes les classes de la société ; et quand les administrations communales des villes les plus importantes font certaines dépenses de luxe, ce n'est pas au profit des plaisirs du riche, mais bien pour attirer dans ces villes les étrangers qui par leurs dépenses alimentent le travail et font vivre toutes les classes de la société, mais spécialement les classes laborieuses, c'est-à-dire celles qui produisent.

Je passe à l'organisation du système du demi-temps, organisation dont l'honorable M. Coremans vous a parlé comme de tout le reste, c'est-à-dire, sans connaître la question.

En effet, d'après les paroles que je viens de vous rappeler, il semblerait que la ville de Bruxelles pour cacher, selon l'expression de M. Coremans, l'état déplorable de son enseignement primaire, ait introduit ce système dans l'ensemble de ses écoles ; que, pour donner l'instruction à un nombre plus considérable d'enfants, elle a doublé ses classes et qu’avec les mêmes éléments et les mêmes dépenses, elle se propose de donner l’enseignement à 18,000 enfants au lieu de la donner à 9,000. Or, messieurs, rien de tout cela n'est exact. Voici ce qui s'est passé : A diverses reprises, l’administration communale de Bruxelles avait été saisie de demandes de parents tendantes à obtenir que leurs enfants ne soient pas obligés de fréquenter les classes pendant toute la journée, les uns parce qu'ils avaient à occuper leurs enfants chez eux, d'autres parce que leurs enfants travaillaient dans un atelier, d'autres encore parce que leurs enfants fréquentaient certaines écoles spéciales, les classes du conservatoire par exemple, d’autres enfin parce que leurs enfants chantaient le matin à l’église.

Pour faire droit à ces réclamations, l’administration communale a organisé le système du demi-temps, non pas dans ses écoles, non pas même dans une école, mais dans une section d’une école, et cela précisément dans le cas prévu par M. Coremans, dans un quartier où il y a des fabriques, entre autres une filature de lin qui occupe plusieurs centaines d’enfants habitant la villes.

Toutefois, messieurs, je dois reconnaître qu’en faisant cet essai l'administration communale avait un but plus élevé. Comme vous le savez, en Angleterre et en Allemagne, des hommes sérieux, des publicistes distingués qui se sont occupés de pédagogie, des inspecteurs de l’enseignement primaire, ont soutenu et non sans quelque raison, qu’occuper les enfants pendant cinq ou sic heures par jour, c’était abuser de leurs forces ; ils ont pensé qu'en fixant si longtemps leur imagination sur les matières qui font l'objet de l'instruction primaire on les fatiguait, on rendait pour eux l'école moins attrayante, et ils ont prétendu qu'en restreignant le nombre des heures de classe à deux ou trois par jour on obtiendrait de meilleurs résultats et que les enfants retiendraient mieux ce qu'ils ont appris. Je ne juge pas en ce moment le système. La question est à l'étude, mais à coup sûr le système du demi-temps a été soutenu par des autorités si imposantes qu'il mérite au moins l'examen et qu'il est téméraire de vouloir le juger alors qu'on n'a pas sous les yeux tous les éléments et tous les documents qui doivent servir à son appréciation.

Voilà, messieurs, la vérité sur ce système du demi-temps ; voilà la vérité sur l'essai fait par la ville de Bruxelles. Comparez cette explication à l'accusation portée par M. Coremans et vous comprendrez comment on écrit l'histoire dans certaines régions politiques.

Je reviens donc, messieurs, à la question que j'avais posée en commençant.

La situation faite à la ville de Bruxelles est un véritable déni de justice. La Chambre, ne peut pas vouloir que cette situation subsiste plus longtemps, et c'est pour donner au gouvernement le moyen de faire droit à nos justes réclamations, sans rien enlever à personne, que je viens vous proposer par amendement de porter le crédit de l'article 99, de 4,440,000 fr. à 4,540,000 francs.

- L'amendement de M. Funck est appuyé.

M. Magherman. - Messieurs, les longs débats qui ont surgi dans cette Chambre, tant dans la discussion générale que dans celle des articles de l'enseignement, prouvent combien tous, tant à droite qu'à gauche, nous attachons de l'importance à la diffusion de l'instruction.

Pour arriver à cette diffusion de l'instruction, un des moyens les plus efficaces est d'assurer une bonne position aux instituteurs. Les prévisions du budget, jointes aux sacrifices que s'imposent les communes et les provinces, assurent aux instituteurs une position convenable.

Mais, messieurs, en assurant aux instituteurs une semblable position, tout, selon moi, n'est pas fait. Il faut que les instituteurs soient à l'abri des préoccupations de l'avenir, il faut qu'ils soient à l'abri des inquiétudes sur le sort qui peut atteindre plus tard leurs veuves et leurs orphelins.

Le gouvernement a voulu pourvoir à cette nécessité, en présentant, au commencement de la session, un projet de loi sur l'institution d'une caisse de prévoyance en faveur des instituteurs.

L'organisation de cette caisse de prévoyance est ardemment désirée par tous les instituteurs. La section centrale s'en occupe en ce moment. Je l'engage à accélérer son travail et à déposer son rapport en temps utile pour que, dans le cours de cette, session, nous puissions encore discuter cette loi, que le Sénat puisse s'en occuper, et enfin, que la loi puisse sortir ses effets utiles. C'est le vœu ardent des intéressés eux-mêmes et surtout des instituteurs des campagnes.

M. Drubbel. - Je ne prendrai qu'une minute à la Chambre.

Puisque l'honorable M. Funck a tout à l'heure fait connaître les grands sacrifices que la ville de Bruxelles fait pour l'instruction, il me sera permis, moi, de vous dire que la ville de Gand n'a jamais non plus lésiné et s'est toujours imposé généreusement les sacrifices les plus considérables pour l'instruction.

Qu'il me soit permis de vous rappeler seulement ce que disait, dans cette enceinte, l'honorable bourgmestre de Gand, M. de Kerchove, à la séance du 20 février 1869. Voici ses paroles :

« En 1858. la dépense du service ordinaire de l'instruction primaire à Gand était de 88,000 francs. Aujourd'hui (1869) elle est de 341,000 francs. De plus, la ville de Gand a dépensé pendant ces deux années près de 600,000 francs pour construction et reconstruction de bâtiments d'école. »

C’est la seule observation que je voulais faire, parce que l’occasion m’en a été offerte par l’honorable M. Finck.

- Plusieurs membres. - La clôture.

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits dans la discussion générale du chapitre.

M. de Rossius. - Nous espérons un discours de l’honorable ministre de l’intérieur.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je crois qu’il serait convenable de remettre la discussion à demain ; j’ai à répondre à d’assez nombreuses observations.

M. le président. - Vous aurez la parole à l’ouverture de la séance et nous nous renfermerons dans le chapitre de l’instruction primaire.

- La séance est levée à 9 heures trois quarts.