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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 mars 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Président de M. Thibaut, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 891) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Destenay, brigadier au 4ème régiment d’artillerie, milicien de 1869, demande d’être renvoyé dans ses foyers. »

- Renvoi à la commission des pétitions. »


« Le conseil communal de Lubbeek demande la construction d'un chemin de fer de Louvain à Diest par Winghe-Saint-George et de son prolongement par Beeringen au camp de Beverloo. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Goegnies demandent que le chemin de fer projeté de Charleroi sur Athus parte de Châtelineau ou d'Acoz. »

- Même dépôt.


« Les membres d'une société de musique à Appels demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »

« Même demande d'habitants de Saint-Gilles (Waes). »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« M. le secrétaire perpétuel de l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts adresse à la Chambre le tome XXXVI des Mémoires couronnés et des Mémoires des savants étrangers, in-4°, que l'Académie vient de publier. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Ordre des travaux de la Chambre

M. de Theux (pour une motion d’ordre). - Je proposerai à la Chambre de décider qu'a partir de mardi, elle tiendra des séances du soir, afin de pouvoir, avant les vacances de Pâques, terminer non seulement le budget de l'intérieur, mais les différents petits projets qui sont à son ordre du jour.

Je ferai remarquer que le Sénat se réunit lundi et qu'il est important qu'il puisse, dans sa prochaine réunion, être saisi de ces projets.

- Voix à droite. - Appuyé !

M. Muller. - Je voudrais bien que M. de Theux s'expliquât sur ce qu'il appelle des séances du soir.

L'honorable membre entend-il aussi que les séances du jour continuent à se tenir à partir de 2 heures ?

M. de Theux. - Je ne puis pas changer le règlement.

M. Allard. - Notre séance a encore fini hier a 5 heures et demie.

M. Muller. - Après avoir tenu séance de 2 heures à 5 heures et demie comment voulez-vous que nous ayons encore fructueusement des séances du soir ?

Je désirerais plutôt voir tenir une première séance le matin et une autre l'après-midi.

M. de Baillet-Latour. - Si la Chambre croit devoir accélérer ses travaux, plutôt que de tenir des séances du soir, je propose à la Chambre de supprimer ses vacances de Pâques et de continuer nos travaux le mardi 11 avril. Rien ne presse ; l'ordre du jour est peu chargé. J'insiste sur ma proposition.

M. Vleminckx. - M. de Theux désire que le budget des travaux publics soit discuté dans le courant de la semaine prochaine,

M. de Theux. - Pas du tout.

M. Vleminckx. - C'est ce que vous avez dit, je crois.

- Voix à droite. - Il n'en a pas dit un mot.

M. Vleminckx. - S'il ne s'agit pas de discuter le budget des travaux publics la semaine prochaine, il n'y a aucune nécessité de tenir des séances du soir ; nous pouvons, la semaine prochaine, continuer à discuter le budget de l'intérieur, le voter et voter en outre les petits projets, sauf, après Pâques, à aborder la discussion du budget des travaux publics.

Des séances du soir ne sont pas nécessaires.

M. de Theux. - Le moyen que propose M. de Baillet n'est pas pratique ; il est certain qu'après les séances laborieuses que nous avons eues, nous ne pouvons pas nous priver de nos vacances de Pâques.

Je maintiens donc ma proposition, mais il est bien entendu que si, après avoir tenu une ou deux séances du soir, la Chambre trouve qu'elles ne sont plus nécessaires, elle pourra revenir sur ma proposition.

M. De Lehaye. - Je ne ferai qu'une seule observation.

Si, après une ou deux séances du soir, nous nous apercevons que nous pouvons épuiser en temps utile notre ordre du jour, nous renoncerons aux séances du soir, nous nous bornerons aux séances du jour. Le motif qui a engagé l'honorable M. de Theux à faire sa proposition, c'est qu'il craint qu'indépendamment du budget de l'intérieur, il sera très difficile de terminer les petits projets de loi qui sont à l'ordre du jour. L'honorable M. Vleminckx croit, au contraire, que cela peut se faire ; eh bien, si cette supposition se réalise, les séances du soir seront inutiles et elles seront supprimées.

M. Allard. - Messieurs, je ne comprends pas pour quel motif il faut avoir des séances du soir. Qu'y a-t-il donc de si urgent à l'ordre du jour, après le vote du budget de l'intérieur ? Quelques projets de loi d'érection ou de délimitation de communes, des feuilletons de naturalisation ; et pour ces projets sans importance vous allez déranger les membres de la Chambre ! Eh bien, si ces projets ne sont pas votés la semaine prochaine, alors, si vous les reconnaissez urgents, nous adopterons la proposition de l'honorable M. de Baillet-Latour, de siéger pendant la semaine sainte.

M. de Baillet-Latour. - Ou bien, la Chambre pourrait reprendre ses travaux le mardi de Pâques.

- La proposition de M. de Theux, tendante à avoir des séances du soir à partir de mardi prochain, est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Article 92 (nouveau)

La discussion continue sur l'amendement de M. Muller.

M. Pirmez. - Messieurs, je me trouve obligé de défendre l'amendement de M. Muller, car si l'honorable membre en est le père adoptif, je puis dire, avec vérité, que je l'ai mis au monde.

Cet amendement, je ne me le dissimule pas, sera repoussé ; il est dès aujourd'hui condamné. Contre cet amendement, on a élevé des demandes d'atermoiement ; on a soulevé des questions de droit ; on l'a signalé comme gros de conséquences fatales au pays ; on a fait tout ce qui montre une volonté ferme de l'écarter, mais on a négligé ce qui était seul à faire ; on n'en a pas discuté le fond, et on le rejettera sans le discuter.

(page 892) Au lieu de le discuter, on le travesti, en le couvrant de vêtements ridicules qu'on lui a prêtés. J'ai bien moins à le défendre contre des attaques qui ne sont pas produites et qui ne se produiront pas, que de vous montrer ce qu'il est, en le dépouillant de tout ce qui lui est étranger, de ce grotesque accoutrement dont on l'affuble pour vous le faire repousser.

Je pense, messieurs, que l'honorable M. de Theux s'est parfaitement rendu compte de la difficulté d'attaquer et de discuter l'amendement en lui-même. Aussi, à quoi aboutit son discours ? A une demande d'enquête. L'honorable M. Rogier vous a déjà fait remarquer hier que cette demande d'enquête n'est qu'un moyen de rejeter, sans dire qu'on rejette. Et si quelque nouveau membre de la Chambre prend cette proposition au sérieux, je crois qu'aucun de ceux qui font partie de cette assemblée depuis un certain temps ne se payera de cette défaite.

L'honorable M. Kervyn n'a pas de ces réserves : il soulève d'abord une question de droit ; il fouille dans tous les dossiers du ministère, espérant y trouver la condamnation de notre opinion d'aujourd'hui, ne se doutant pas que ce qu'il recherche si laborieusement, nous sommes prêts à le reconnaître, et que ce que nous voulons faire adopter n'est que le complément de ce que nous avons fait.

Cela fait, M. le ministre de l'intérieur vogue à pleines voiles dans les suppositions ; pour lui, notre proposition tend à faire des femmes savantes, des professeurs, à enlever la femme au foyer domestique pour la jeter dans les agitations de la vie publique ; il va plus loin ; il sait quel est notre idéal : c'est une femme célèbre de la Révolution qui est le type sur lequel nous chercherons à former les jeunes filles de nos écoles.

M. Schollaert vient à son tour et avec une loyauté à laquelle je rends hommage il nous déclare que la proposition faite par l'ancien ministère et les développements qui l'accompagnent ne contiennent rien, absolument rien de ce qui leur a été reproché par M. le ministre de l'intérieur. M. Schollaert constate seulement que cet amendement soulève des alarmes ; il en recherche la cause ; il croit découvrir cette cause, et il s'en convainc si bien qu'il devient le plus alarmiste des alarmés. Il redoute la disparition de la femme chrétienne ; il entrevoit la femme, arrachée par nous aux habitudes de réserve et de modestie, montant en chaire pour donner des cours et y séduisant ses élèves par ses attraits. Il craint plus ; il redoute de la voir se lançant dans l'arène politique finir par venir s'asseoir au milieu de nous, et, horresco referens, y continuant son œuvre incendiaire, nous faire courir les plus graves périls. (Interruption.)

Arrive enfin M. le ministre de la justice et il fait bien.

II y avait assez longtemps que M. Kervyn était, par ses collègues, abandonné à son malheureux sort. (Interruption.)

Mais, messieurs, nous avons tous remarqué que, depuis le commencement de la session, aucun des collègues de M. le ministre de l'intérieur n'est venu à son secours dans la discussion.

M. Jacobs, ministre des finances.- Parce que cela n'était pas nécessaire.

M. Bara. - Pourquoi M. Cornesse a-t-il parlé alors ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Pour vous faire sortir de votre réserve.

M. Pirmez. - M. Cornesse va plus loin que tous les orateurs qui l'ont précédé.

C'est une justice à lui rendre : l'honorable ministre connaît parfaitement le faible de la majorité ; il sait ce qu'il faut dire pour lui plaire ; il sait, comme s'il siégeait depuis un quart de siècle dans cette Chambre, les moyens avec lesquels, tout vieux qu'ils sont, le succès ne manque jamais.

M. Cornesse accuse la minorité de provocation ; de soulever sans cesse des questions irritantes et des discussions stériles ; de mettre toujours le débat sur le terrain religieux ; puis il montre, la société ébranlée jusque dans ses fondements et il fait apparaître les projets de l'Internationale, comme si nous en étions les complices.

Et quand il a dépeint la situation sous ces effrayantes couleurs et montré les dangers que recèle notre proposition, il félicite hautement M. le ministre de l'intérieur de ne pas s'y être rallié. Que ces félicitations de ministre à ministre sont attendrissantes et que tout cela est bien préparé pour se proclamer les sauveurs du pays !

Notre amendement est érigé en danger social, mais grâce au ministère et à l'honorable ministre de l'intérieur surtout, à. la fin de cette séance le danger sera conjuré : la femme aura conservé son rôle dans le monde, elle restera chrétienne ; la famille aura échappé au naufrage et les bases de la société, que nous ébranlions, seront définitivement raffermies !

Sur quoi cependant reposent ces accusations si graves sorties de la bouche de M. le ministre de la justice ?

Qu'est-ce qui les provoque ? De quoi s'agit-il dans ce débat ?

Il s'agit d'une simple demande de subside pour développer l'enseignement des filles et pour le développer sous cette condition que l'enseignement religieux fera partie du programme et que les ministres du culte seront invités à le donner ou à le surveiller.

Voilà la proposition telle qu'elle est ; il n'y a pas autre chose !

Cette proposition, messieurs, quand a-t-elle été faite ? Elle a été faite l'année dernière dans le budget rédigé par l'ancien ministère.

L'honorable ministre de l'intérieur, avec l'assurance que donne la force, l'a biffée sans daigner dire pourquoi ; nous avons pris la liberté grande de ne pas accueillir cette proscription non justifiée ; et parce que nous n'y avons pas obéi silencieusement, on nous accuse, nous, de provocation ! Il fallait donc nous taire ; après avoir fait une proposition, nous devions la laisser effacer sans ouvrir la bouche ; et parce que nous représentons cette proposition, nous sommes des provocateurs ; c'est l'honorable M. Cornesse qui le déclare !

Mais ce n'est pas tout. L'honorable M. Muller développe son amendement de la manière la plus sobre, la plus modérée. L'honorable M. Kervyn soulève, à propos de cet amendement, toutes les questions possibles ; il la signale comme une des mesures les plus graves qui aient jamais été proposées à la législature ; il fait un discours de plusieurs heures non sur la proposition réelle, mais sur une proposition imaginaire née dans son esprit et qu'il y substitue, et c'est nous qui sommes accusés d'avoir soulevé une discussion stérile ; c'est nous qui prolongeons ces débats au préjudice des intérêts du pays !

Discussion stérile, dites-vous ! Ce serait donc une chose sans importance, que de savoir si c'est la loi de 1842 ou celle de 1850 qui doit être appliquée à la matière qui nous occupe ? Soit, mais s'il en est ainsi, pourquoi donc insiste-t-on avec tant de persistance sur ce point ; pourquoi signale-t-on comme un danger social la préférence à donner à l'une de ces lois sur l'autre ?'

Mais, c'est l'Internationale qui nous menace ; c'est l'Internationale dont nous favoriserions les projets.

On oublie un peu, je pense, quand on formule une pareille accusation, les objets que poursuit cette société. Il y en a deux, si je ne me trompe : un système électoral radical qui lui donne des mandataires dans les corps électifs et la destruction de l'armée, qui lui permette d'agir à son gré.

Je demanderai à M. le ministre de la justice qui, de lui ou de moi, se rapproche, quant à ces deux points, des idées de l'Internationale ?

Revenons à la proposition qui constitue le fond de ce débat.

Je crois, pour être clair, pouvoir le résumer en trois points :

Première question : Faut-il développer l'instruction des filles ?

Seconde question : Quelle est notre situation légale en cette matière ; fait-elle obstacle à l'amendement ?

Troisième question : L'amendement peut-il être repoussé dans l'intérêt de l'enseignement religieux ?

Je m'occupe d'abord du premier point.

L'honorable ministre de l'inférieur a été effrayé du programme que j'ai, non pas tracé, mais seulement indiqué dans la note qui accompagnait le budget de l'intérieur déposé par moi l'année dernière.

Je suis bien forcé de faire connaître à la Chambre quel était cet embryon de programme que M. le ministre de l'intérieur repousse avec tant d'énergie comme constituant une extension exagérée de l'instruction des filles.

Voici en quels termes je me suis exprimé :

« Le préjugé qui tend à ne faire donner aux filles qu'une éducation superficielle est ancien ; mais il perd chaque jour de sa force. Les hommes les plus distingués, séparés d'ailleurs par les plus profondes divergences d'opinions, s'accordent à le combattre. On voit sans cesse augmenter le nombre de ceux qui se plaignent de l'importance exagérée trop souvent attachée, dans l'éducation des filles, aux études de pur agrément. Certes il ne faut exclure de l'éducation rien de ce qui peut donner dû charme à la vie, mais il faut tenir avant tout à la solidité de l'instruction, à la formation du cœur et de l'intelligence, aux connaissances qui donnent la force à la raison et la rectitude au jugement.

« Les résultats du développement de l'éducation des filles ne sont pas seulement moraux, ils ont une haute importance pratique. Dans aucun pays plus que dans le nôtre peut-être, les femmes ne sont appelés à prendre une part active aux affaires de la famille ; il faut les mettre à même de remplir avec succès la tâche qui peut leur incomber ; c'est une nécessité pour la plupart des femmes de connaître les règles de la comptabilité, de savoir une langue étrangère, de posséder plus que les éléments du calcul, de ne pas ignorer ces notions des sciences qui permettent de comprendra les phénomènes physiques les plus ordinaires dans la nature ou dans (page 893) l'industrie et dissipent ainsi les préjugés. Mettre ces connaissances, ainsi que des études d'un caractère moins pratique, comme des notions d'histoire et de littérature, à la portée de beaucoup de jeunes filles, c'est rendre un service au pays. »

Voilà l'ébauche du programme.

Or, l'honorable M. Kervyn, qui trouve ce programme exagéré, le reproduit exactement dans son discours.

Voici ce qu'il déclare : « L'éducation de la femme ne doit pas rester enchaînée dans le cadre trop étroit qu'on lui donne dans l'école primaire. »

Ainsi, M. le ministre de l'intérieur ne veut pas voir cette éducation enchaînée, j'emploie sa métaphore un peu hardie, dans le cadre trop étroit de l'école primaire. Mais, d'après lui, il faut donc qu'il y ait autre chose que de l'enseignement primaire, il faut par conséquent un enseignement moyen. Je demande, à M. le ministre de l'intérieur comment il fera pour sortir de l'enseignement primaire sans entrer dans l'enseignement moyen, à moins qu'il ne veuille entrer d'un bond dans l'enseignement supérieur.

M. le ministre continue :

« Il faut que ces connaissances puissent s'étendre ; il faut que la femme puisse se perfectionner dans les arts industriels, il faut qu'elle puisse apprendre les langues modernes, il faut que la littérature, en ce qu'elle a de bon et d'honnête, ne lui soit pas étrangère, il faut qu'elle se prépare ainsi au sein de la famille une influence qui se reproduira au delà du foyer domestique. »

Voilà exactement le sens des expressions dont je me suis servi, et nous voyons M. le ministre déclarer qu'il repousse l'extension exagérée que je veux donner à l’enseignement de la femme, alors qu'il reconnaît lui-même qu'il faut lui donner ce même enseignement !

Mais M. le ministre de l'intérieur va plus loin ; il adopte, M. Rogier nous l'a prouvé hier, un programme beaucoup plus étendu, dix fois plus considérable peut-être, un programme créé non pour les élèves, mais pour les maîtresses, ce qui ne l'empêche pas de repousser, comme exagérée, la proposition que j'ai faite.

Mais je suis en droit de dire que M. le ministre n'a pas lu un mot de l'exposé qu'il a combattu ou bien qu'il n'a pas lu le programme auquel il s'est référé, ou, supposition plus difficile à admettre, qu'il n'a pas su ce qu'il disait, lorsqu'il déterminait dans son discours, exactement avec la portée que je lui donnais, l'enseignement à donner aux jeunes filles.

A lui à choisir entre ces alternatives !

Si M. le ministre de l'intérieur veut discuter sérieusement, après m'avoir accusé de donner une extension exagérée à l'enseignement primaire des filles, il a le devoir d'indiquer en quoi mon programme est exagéré, quels sont les articles qu'il faut en retrancher.

C'est ce qu'il ne fera pas.

M. le ministre de l'intérieur aimé beaucoup mieux prêter à ses adversaires des choses auxquelles ils n'ont jamais pensé, et il a des procédés de logique les plus étonnants que j'aie jamais rencontrés. Ainsi il a imaginé que notre type était Mme Roland.

Il est curieux de voir comment il rattache l'Egérie des Girondins à l'amendement de l'honorable M. Muller. C'est un effort de logique qui probablement ne s'est jamais produit.

Voici comment il raisonne : M. Muller reprend une proposition faite par M. Pirmez ; M. Pirmez a envoyé un fonctionnaire du département de l'intérieur visiter les cours d'éducation des filles de la ville de Bruxelles ; cette école est dirigée par Mlle Gatti ; Mlle Gatti est fille de Mme Gatti de Gamond ; Mme Gatti a écrit un livre ; dans ce livre elle parle avec éloge de Mme Roland. Donc M. Muller a en vue Mme Roland en présentant son amendement ! (Interruption.)

Voilà, messieurs, voilà le raisonnement ; un sorite remarquable, comme on voit. Je trouve qu'il est fâcheux de faire tant de frais pour arriver au résultat qu'a voulu M. le ministre de l'intérieur.

Malheureuse idée que celle d'attacher le nom de cette femme célèbre à notre projet pour le déconsidérer !

On ne traverse pas des temps comme ceux où a vécu Mme Roland, sans être en butte à des attaques de toutes sortes ; M. le ministre n'eût pas dû oublier que les haines qu'elle s'attira furent surtout celles des hommes qui organisèrent la terreur, et qu'elle fut une de leurs victimes ; il n'eût pas dû penser que le nom de la femme qui, dans cette terrible époque, joua le plus grand rôle par les qualités de son esprit, devait être choisi pour écarter l'instruction.

Mme Roland eut cette gloire de dominer par son intelligence dans la réunion la plus brillante d'hommes politiques que compta jamais un parti. A qui M. le ministre pense-t-il faire croire que nous rêvions de pareils rôles pour les élèves des modestes écoles que nous voudrions encourager ?

L'honorable M. Schollaert a aussi fait la genèse de mes idées ; mes adversaires savent mieux que moi tout ce que j'ai pensé.

Emu des alarmes suscitées par ma proposition, il a recherché la source de cette proposition. Il a trouvé qu'elle provenait d'un article de la Revue des Deux-Mondes, publié en 1861. Je ne le connaissais pas, mais c'est un détail. - De la Revue des Deux-Mondes l'idée a passé dans une proportion soumise à la chambre française, - que je ne connaissais pas davantage, ce qui est encore un détail - et enfin de là dans mon esprit, d'où elle est descendue dans la rédaction du budget de l'intérieur.

M. Schollaert se trompe étrangement quand il pensé que cette question est de date si récente ; il verra M. le ministre de l'intérieur, qui est un historien du moyen âge, nous apprendre que cette question était déjà débattue à cette époque.

Il y a, en effet, très longtemps que l'on discuté sur la question de savoir quelle est l'étendue de l'enseignement à donner aux filles.

Je ne veux citer, à cet égard, que des autorités catholiques ; on y verra deux tendances très opposées s'y manifester.

Un premier système veut le réduire dans des limites très étroites. Il a été soutenu par un homme qui jouit encore d'une grande autorité, d’une autorité plus grande peut-être qu'à aucune autre époque.

Voici ce que dit le comte de Maistre à cet égard :

« Le grand défaut d'une femme, écrit-il, c'est d'être un homme et c'est vouloir être homme que vouloir être savant... Permis à une femme de ne pas ignorer que Pékin n'est pas en Europe et qu'Alexandre le Grand ne demanda pas en mariage une nièce de Louis XIV... » Il ajoute que les femmes ne doivent pas s'adonner à des connaissances qui contrarient leurs devoirs ; que le mérite de la femme est de rendre son mari heureux, d'élever ses enfants et de faire des hommes... ; que, dès qu'elle veut émuler l'homme, elle n'est plus qu'un singe ; que les femmes n'ont fait aucun chef-d'œuvre dans aucun genre... qu'une jeune fille est une folle, si elle veut peindre à l'huile et qu'elle doit s'en tenir au simple dessin... ; que, du reste la science est ce qu'il y a de plus dangereux pour les femmes, que nulle femme.ne doit s'occuper de science, sous peine d'être ridicule et malheureuse, et que par suite, une coquette est bien plus facile à marier qu'une savante. »

Je ne prétends pas qu'en fait il n'y ait rien de vrai dans cette théorie des chances de mariage ; il y aurait là une question de statistique dans laquelle je ne veux pas entrer, mais si la chose en fait est vraie, elle n'en est pas moins déplorable.

Quoi qu'il en soit, il y a là un système, et il a des partisans, sans doute ici même, qui en y mettant plus de réserve que le comte de Maistre, dans les mots surtout, penchent certainement vers sa doctrine.

II y a d'autres autorités non moins respectables qui soutiennent des opinions tout à fait contraires et que je partage en tous points.

L'évêque d'Orléans, dans un ouvrage récent dont je vous citerai tantôt de nombreux passages, a brillamment soutenu le système de l'enseignement développé de la femme.

Dans son Traité des études, Rollin s'occupe du même objet, il va jusqu'à indiquer la manière de lui enseigner le latin.

L'abbé Fleury, si raisonnable, si judicieux, si modéré, s'indignait de l'ignorance à laquelle on avait condamné les femmes, « comme si leurs âmes, disait-il, étaient d'une autre espèce que celle des hommes ; comme si elles n'avaient pas, aussi bien que nous, une raison à conduire, une volonté à régler, des passions à combattre, une santé à conserver, des biens à gouverner, ou s'il leur était plus facile qu'à nous de satisfaire à tous ces devoirs sans rien apprendre. » - « Et, disait-il encore, ce sera sans doute un grand paradoxe, qu'elles doivent apprendre autre chose que leur catéchisme, la couture et divers petits ouvrages, chanter, danser et s'habiller à la mode, faire bien la révérence et parler civilement ; car voilà en quoi l'on fait consister, pour l'ordinaire, toute leur éducation. »

Voulez-vous remonter plus haut ?

M. le ministre de l'intérieur, parlant dans un de ses ouvrages d'une femme illustre du moyen âge, de Christine de Pisan, nous apprend que dans sa Cité des dames elle s'élève contre ceux qui disent qu'il n'est pas bon que les femmes apprennent lettres.

Déjà alors donc le débat était ouvert, mais M. le ministre de l'intérieur n'est pas du côté de l'opinion qu'il lui paraissait utile de consigner.

Vous voyez donc que nous remontons bien haut et que ce n'est pas en 1864, comme le supposait l'honorable M. Schollaert, que la question est née.

(page 894) Messieurs, ce que je veux soutenir, c'est la thèse des auteurs que je viens de citer.

Il faut favoriser le développement intellectuel de la femme et, je me hâte de le dire, de la femme chrétienne, parce que l'essence du mariage chrétien est l'égalité de la femme et de l'homme.

Cette idée existait sans doute déjà chez les Romains, qui avaient si bien caractérisé en deux mots le mariage, en nous disant qu'il comporte essentiellement l'habitude indivisible de la vie ; le christianisme a adopté et fortifié cette pensée d'égalité et de communauté de vie et nous voyons que la femme chrétienne est plus que toute autre l'égale et la compagne de son mari.

M. Bergé nous disait hier que d'autres femmes partagent la condition de la femme chrétienne, et il nous citait la femme juive et la femme rationaliste. Je suis loin de contester le fait. Mais notre honorable collègue oubliait que toutes deux vivent au milieu des mœurs chrétiennes qu'elles suivent, et que si l'on sort des pays chrétiens on trouve bien rarement cette égalité qui est une conquête précieuse de la civilisation.

On entre dans les idées chrétiennes lorsqu'on réalise de plus en plus cette égalité de la femme et du mari ; pour le faire, il faut, avant tout, donner à la femme une instruction aussi développée que celle de l'homme.

Je ne prétends pas que la femme doivent faire les mêmes études que l'homme. Autre chose est l'identité des études, autre chose l'égalité de culture intellectuelle. Mais il faut développer l'intelligence de la femme de manière que la femme soit l'égale de l'homme.

Ecoutez ce que dit à cet égard Mgr Dupanloup ; il s'occupe spécialement des femmes de la haute société, mais sa pensée qui est l'égalité intellectuelle des époux s'applique parfaitement, en tenant compte de la différence des conditions, aux femmes d'une position plus modeste :

« Sans doute il n'est pas question de donner à un mari une femme qui l'ennuierait par le pédantisme de la science, prête à trancher sur tout ; mais une femme qui d'abord sache rester chez elle, chose rare par le temps qui court. »

J'appelle ici l'attention de M. le ministre de l'intérieur : l'instruction, l'amour de l'étude maintient la femme chez elle ; voilà pourquoi nous voulons la favoriser et voilà pourquoi vous êtes injustes quand vous nous accusez de vouloir, en donnant l'instruction à la femme, lui faire déserter les habitudes tranquilles du foyer domestique.

Je continue :

« Il faut une femme qui, instruite convenablement, puisse instruire ses enfants ou du moins présider utilement à leurs études, et parler d'autre chose que de toilette et de plaisirs, une femme dont les modèles existent encore parmi nous comme au XVIème siècle, qui sache écouter un mari sérieux, tenir avec lui de graves et douces conversations, s'intéresser à sa carrière, à ses études, à ses travaux, l'encourager au besoin, modestement toujours, et fortement : voilà la femme qui remplira le but de l'union conjugale, qui sera pour son mari une vraie compagne, c'est-à-dire, comme le dit l'Ecriture, une aide et un soutien dans la vie. Socia, adjutorium. »

Je dis que l'on ne peut mieux parler. Ces principes sont ceux dont je demande l'application. Voici ce que dit encore l'auteur que je cite :

« La femme chrétienne se regarde comme la compagne de l'homme, comme, son aide, tant aux choses de la terre qu'aux choses du ciel : socia, adjutorium ; comme devant le consoler et faire son bonheur, mais elle pense aussi que l'époux et l'épouse doivent s'aider l'un l'autre à devenir meilleurs, et, après avoir formé ensemble de nouveaux élus, partager éternellement la même félicité. Eh bien, pour de telles destinées, l’éducation de la femme ne saurait être trop suivie, trop sérieuse et trop forte.

« Le système contraire repose sur une appréciation païenne de leur destinée ; et aussi, on a dit avec raison, sur la paresse des hommes, qui veulent conserver leur supériorité à bon marché. L'appréciation païenne, c'est de croire que les femmes ne sont que des êtres agréables, mais passifs, subalternes, et faits uniquement pour l'amusement et le plaisir de l'homme. Mais, je l'ai dit, le christianisme en a de tout autres pensées. Dans le christianisme, la vertu de la femme comme celle de l'homme doit être volontaire, noble, active, intelligente. Il faut qu'elle connaisse toute l’étendue de ses devoirs et qu'elle sache tirer toutes les conséquences de l'enseignement divin pour elle-même, pour son mari et pour ses enfants.

« C'est une des inventions les plus coupables du XVIIIème siècle, ce siècle d'impiété et de volupté, que le préjugé contre le travail intellectuel des femmes. »

Qu'on ne vienne donc pas nous accuser de vouloir faire disparaître de la société la femme chrétienne, lorsque nous demandons que l'on développe ses aptitudes, qu'on l'instruise, qu'on lui donne des goûts intellectuels ; je dirai à ceux qui nous accuseraient de cela : C'est nous qui sommes les chrétiens ; c’est vous qui êtes les païens. (Interruptions à droite.)

M. de Rossius. - Est-ce que vous allez condamner l'évêque d'Orléans ?

M. Pirmez. - Je sais que l'on ne nous répondra pas, qu'on ne discutera pas l'amendement pas plus qu'on n'a discuté jusqu'à présent.

Messieurs, voilà le but à atteindre ; est-ce que l'état de choses actuel répond à ce but ; n'y a-t-il pas un desideratum à remplir ?

Oh ! je sais bien que c'est prendre une belle position que de se faire le défenseur de toutes les femmes, de vanter leurs vertus, leur instruction. M. Schollaert a pris ce rôle très commode, très agréable, je dirai même très galant.

Sans doute il y a beaucoup de femmes vertueuses, il y a des femmes instruites, mais je demande si la situation générale répond à ce que je viens d'indiquer. Il ne suffit pas d'invoquer des exceptions, il ne suffit pas surtout de faire appel à nos affections, il faut voir si dans le monde, tel qu'il est, les femmes sont en général telles, au point de vue de l'instruction, que nous les voudrions. ».

Je crois que, sur ce point, il faut dire la vérité tout entière et, comme vous ne l'accepteriez pas de ma bouche, je vais vous la dire par celle de Mer Dupanloup.

« L'éducation, dit-il, que reçoivent généralement parmi nous les femmes, les prépare-t-elle suffisamment à ces grands devoirs ?

« On est fondé à exprimer à cet égard bien des regrets. L'instruction des femmes, telle qu'elle est donnée dans notre siècle, ne leur apprend pas assez ce qui leur serait le plus utile, réfléchir, comparer, raisonner juste. »

Et il va plus loin.

« La vérité pénible que je. veux dire ici, dit-il ailleurs, c'est que l'éducation même religieuse ne donne pas toujours, donne trop rarement aux jeunes filles et aux jeunes femmes le goût sérieux du travail. »

Voilà donc ce qui est constaté : c'est que l'éducation même religieuse, et l'évêque d'Orléans met certainement l'éducation religieuse avant tout, n'atteint pas le but.

L'évêque d'Orléans continue en ces termes :

« La vérité pénible que je veux dire ici, c'est que l'éducation, même religieuse, ne donne pas toujours, donne trop rarement aux jeunes filles et aux jeunes femmes le goût sérieux du travail : députées de Dieu au foyer domestique, gardiennes des saintes traditions de foi, d'honneur, de loyauté, les femmes même chrétiennes, même pieuses, semblent trop souvent les adversaires du travail soit pour leur mari, soit pour leurs enfants, pour leurs garçons surtout : j'en ai vu qui avaient bien de la peine à ne pas regarder comme un larcin personnel le temps qui lui est consacré. Etait-ce la faute de leur intelligence et de leur aptitude ? Je ne l'ai jamais pensé, j'affirme même le contraire, et j'attribue cet éloignement pour le travail, d'abord à l'éducation qu'on leur donne, légère, frivole et superficielle, quand elle n'est pas fausse, et ensuite au rôle qu'on leur fait dans le monde, à la place qu'on leur réserve dans la famille, même dans certaines familles chrétiennes.

« On veut que les femmes n'étudient pas : elles ne veulent pas non plus qu'on étudie autour d'elles ; on veut qu'elles ne fassent rien ; elles ne veulent pas non plus qu'on travaille, ou du moins elles n'encouragent ni leurs maris, ni leurs enfants à rien de ce qui est sérieux et demande de la peine et du dévouement, et parfois elles vont jusqu'à s'y opposer, quand leur plaisir ou leur liberté peut en souffrir. Et c'est un immense malheur...

« Si le pauvre mari essaye de prendre un livre pour se reposer du tourbillon auquel on le condamne, madame fait une petite moue (qu'on proclame adorable parce qu'elle a vingt ans, mais qu'on trouvera bientôt insupportable) ; elle tourne autour du lettré, du rhéteur, du savant, va mettre son chapeau, revient, s'assied, se lève, passe dix fois devant sa glace, prend ses gants, et enfin éclate, maudissant le livre et la lecture, qui ne sert de rien, ne mène à rien, sinon à être un homme absorbé et assommant. Pour avoir la paix, le mari jette le livre, perd l'habitude de le reprendre, s'annihile de jour en jour par procédé conjugal, et n'ayant pu élever jusqu'à lui sa compagne, il s'abaisse jusqu'à elle.

« Il y a là un cercle vicieux déplorable ; tant que les femmes ne sauront rien, elles rendront les hommes inoccupés, et faut que les hommes ne se décideront pas au travail, ils rendront les femmes ignorantes et frivoles. »

Voilà, messieurs, la situation ; et cependant, quand, en présence d'une pareille situation, nous venons dire qu'il y a quelque chose à faire, qu'il y a des améliorations à introduire, qu'il faut parer à ce que l'évêque d'Orléans appelle un immense malheur, on nous accuse de soulever des (page 895) questions stériles. L'honorable ministre de la justice, comme son collègue de l'intérieur, ne trouve rien à faire, rien même à examiner. Champ stérile que celui de l'enseignement, peines perdues que celles qui s'y attachent. Si tout au moins l'honorable M. Cornesse voulait bien nous indiquer une discussion féconde !

Je crois, messieurs, avoir démontré à l'évidence qu'il y a la une question dont il faut nécessairement s'occuper ; j'ajoute que c'est une question dont on s'occupe partout.

Qu'a-t-on fait en France ? Pendant que les catholiques s'occupaient, comme je viens de le prouver, de ce qu'il y avait à faire, M. Duruy cherchait, de son côté, à organiser l'enseignement des femmes. Je n'examine pas quelle était la valeur de son système qui fut vivement combattu par les évêques et surtout par l'évêque d'Orléans ; le fait de l'organisation me suffit, parce que je ne veux que prouver qu'il y a là une question qui préoccupe, un mal dont il faut chercher le remède.

M. le ministre de l'intérieur dit qu'il a examiné ce qui se passe en Allemagne ; qu'il y a là un enseignement développé et qu'il est prêt à s'y rallier. Je demande à M. le ministre de l'intérieur s'il est disposé à nous présenter une loi ou un amendement qui réalise ce qui se passe en Allemagne ?

Je crois bien que je n'aurai pas de réponse, mais si je ne reçois pas de réponse, je saurai pourquoi je n'en reçois pas ; c'est parce que c'est une vaine déclaration qu'on fait sur ce qui existe en Allemagne.

Cet enseignement développé que l'on dit être prêt à importer de l'Allemagne ici, n'est pas un enseignement primaire, c'est un enseignement moyen ; et on repousse formellement l'enseignement moyen des filles ! Et qu'on ne dise pas qu'on le repousse à cause des conditions où il se donnerait. M. le ministre de l'intérieur aurait le droit de régler cet enseignement, si l'amendement était adopté, car les subsides n'étant donnés que par une allocation budgétaire, le ministre pourrait déterminer les conditions de l'obtention des subsides.

On a parlé des Etats-Unis d'Amérique ; mes honorables amis, MM. Rogier et Frère ont déjà montré avec quelle légèreté M. le ministre de l'inférieur a traité ce grand pays. Il a pris une réponse prétendument faite par une jeune fille de 17 ans ; et sur cette réponse, il a jugé un pays d'une trentaine de millions d'habitants. Ab una disce omnes.

Mais, pendant que M. Frère combattait cette singulière manière de raisonner, il m'est venu un doute dans l'esprit. M. Frère semblait tenir pour constante la réponse de la jeune fille ; je me suis dit qu'il serait peut-être bon de vérifier le fait.

M. Frère-Orban. - Vous étiez plus soupçonneux que moi. '

M. Pirmez. - Vous étiez de trop bonne foi. J'ai fait prendre, à la bibliothèque, le livre dans lequel M. le ministre de l'intérieur a puisé ce fait ; j'ai vu qu'il a un tout autre caractère.

Je ne sais si je dois lire à la Chambre le livre cité, ce n'est vraiment pas très important, car l'argument préparé par M. le ministre de l'intérieur est, malgré sa préparation, déjà tellement étrange, que je ne sais pas réellement s'il vaut la peine d'aller à la racine.

- Plusieurs voix. - Oui, oui ! Lisez !

M. Pirmez. - Au surplus, la citation, à un autre point de vue, présente de l'intérêt ; elle vous montrera ce que sont les écoles américaines ; vous verrez si elles sont telles qu'il n'y avait rien à y prendre pour nous.

Voici d'abord la version de M. le ministre de l'intérieur :

On posa à une jeune fille la question suivante :

« Si vous aviez siégé parmi les juges de Charles Ier, qu'auriez-vous fait ?

« La jeune fille se leva et répondit :

« Je l'aurais condamné à mort parce qu'il avait violé les lois de son pays. »

C'est très bien ; une jeune fille qui est toute prête à siéger parmi les juges et à condamner un roi à mort. Cela fait effet. Or, voici le livre de M. Hippeau que M. le ministre de l'intérieur a consulté.

Et d'abord, n'eût-il pas pu nous dire que, d'après M. Ilippeau, les Etats-Unis sont le pays où le sentiment religieux est le plus vivace. Et malgré les réclamations que le système d'enseignement y soulève de la part des catholiques, le fait de la puissance qu'y conserve le sentiment religieux ne devrait-il pas engager M. le ministre à bien se rendre compte d'un système qui conserve de pareils résultats ?

Mais voici le fait spécial invoqué par l'honorable M. Kervyn :

L'auteur rend compte d'une visite qu'il a faite dans une école de jeunes filles ; il dit qu'on y a expliqué certain passage de Milton d'une manière très satisfaisante ; et il ajoute :

« Je demandai alors si les élèves pourraient faire connaître quelques détails sur la vie de Millon, son caractère, le temps où il a vécu, etc. Elle m'engagea à les questionner moi-même sur tous ces points ; c'est ce que je m'empressai de faire. Elles savaient que Milton, né à Londres, en 1608, y était mort en 1674 ; qu'il avait visité l'Italie et la France ; qu'il avait, outre le Paradis Perdu, composé l’Allegro et le Penseroso, un commencement d'histoire d'Angleterre, des pamphlets politiques, etc., qu'il avait été ami et secrétaire de Cromwell, etc. » Voilà des jeunes filles bien instruites !

Je voudrais bien savoir dans quel pensionnat en Belgique on pourrait faire des questions semblables sur Corneille, sur Racine ou sur Bossuet et où les jeunes filles pourraient donner des renseignements aussi circonstanciés.

« La maîtresse pria l'une d'elles... » (Interruption.)

Je demande, messieurs, qu'on ne m'interrompe pas, si je ne puis entendre les interruptions.

M. De Lehaye. - Vous n'avez fait que cela hier.

M. de Borchgrave. - C'est ce que vous faites toujours.

M. de Liedekerke. - Je n'ai fait aucune interruption ; je me suis adressé à un de mes voisins, à qui j'ai dit qu'il n'y avait aucune de nos filles qui ne pût répondre à des questions semblables qui leur seraient posées sur Milton, sur Corneille ou sur Racine. (Interruption.)

M. Pirmez - Si vous vous faites de pareilles illusions, je comprends que vous trouviez que tout est bien. Oh ! je comprends que dans certaines familles jouissant de très grandes fortunes, où l'on peut avoir des maîtresses chèrement payées, très instruites, connaissant plusieurs langues, l'histoire et la littérature, et où ainsi on peut élever les jeunes filles d'une manière toute particulière, les cultiver en serre chaude pour ainsi dire, on obtient de pareils résultats. Mais si l'on s'occupe d'un grand nombre d'élèves, de celles qui sortent même des pensionnats aristocratiques, où l'enseignement est le plus développé, je dis qu'une instruction aussi complète n'existe pas en Belgique.

Je continue ma citation et j'arrive au passage dont a parlé M. le ministre de l'intérieur :

« La maîtresse pria l'une d'elles d'apprécier la conduite politique de Milton à propos de la mort de Charles Ier ; elle lui demanda ce qu'elle pensait de cet événement. Elle ne répondit pas. Une autre, plus hardie, dit que Charles Ier avait mérité la mort, parce qu'il avait violé les lois de sa patrie ; cette réponse parut satisfaire les autres élèves. »

Vous voyez qu'il y a loin entre une appréciation à cette déclaration mise dans sa bouche qu'elle eût-elle même prononcé une condamnation à mort ! Les femmes peuvent souvent se prononcer sur ce qui serait inconvenant qu'elles fissent !

Mais écoutez la suite :

« L'une d'elles, cependant, se leva et dit que pour son compté elle désapprouvait d'une manière absolue la peine de mort, et qu'il aurait, été beaucoup plus convenable de bannir Charles Ier ou de le tenir en prison, que de faire tomber sa tête. »

Voilà un contre-poids, et quand on veut juger tout un pays, il faudrait au moins tenir compte de tous les éléments qu'on possède. (Interruption.)

M. Hippeau ajoute :

« Il paraît que si je n'avais pas été présent à cette discussion, elle se serait prolongée et que chaque élève aurait soutenu avec chaleur ses opinions. La jeune fille qui s'était montrée si sévère pour le roi d'Angleterre avait 17 ans, l'autre 19. Je venais d'assister à l'un des exercices familiers dans les écoles d'Amérique, où dès les premières années on croit qu'il est utile de laisser à la pensée le droit de s'exprimer librement, où le maître avertit, consulte et dirige, mais ne se croit pas le droit d'imposer ses idées et ses sentiments. On ne peut nier que si cet appel à la raison individuelle, à la réflexion, au libre examen, peut contribuer à donner aux jeunes filles et aux jeunes dens une confiance exagérée et quelquefois un ton de suffisance qui a été relevé avec assez d'aigreur par mistress Trollope, il doit contribuer à leur développement intellectuel d'une manière plus efficace que l'enseignement dogmatique qui pendant si longtemps a donné pour critérium de la vérité la parole du maître. »

Nous avons donc une esquisse de ce qui se passe dans les écoles d'Amérique. Sans entrer dans une discussion historique sur Charles Ier et Cromwell où je ne justifierais ni les empiétements absolutistes de l'un, ni la sanglante décision de l'autre, je dis que les écoles où l'on élève ainsi les jeunes filles sont des écoles où on leur développe l'intelligence et que lorsqu'on voit des écoles ainsi dirigées et aussi avancées, il faut étudier et non pas repousser sous un misérable prétexte ce qui s'y passe. Comme partout, il y a sans doute, des abus à côté de bonnes choses ; regardons-y pour prendre ce qu'il y a de bon en rejetant ce qui serait mauvais.

(page 896) Mais M. le ministre de l’intérieur ne fera rien de tout cela ; l'interdit est jeté sur l'Amérique où il y a des jeunes filles dont l'une aurait pu répondre qu'elle aurait voté la mort de Charles Ier. !

M. le ministre de l'intérieur n'aurait cependant pas dû oublier que ce peuple, où il croit les femmes élevées dans les idées républicaines d'une inhumaine rigueur et disposées à justifier le bourreau, a eu, il n'y a pas bien longtemps, la plus effroyable guerre civile dont l'histoire fasse mention, et que lorsque cette guerre a été terminée par la victoire d'un des belligérants, on ne vit rien de ce qu'on a vu toujours : le déchaînement des vengeances politiques. Ce fait seul, qui prouve que l'indulgence n'est pas bannie de ce pays, n'eût-il pas dû arrêter la condamnation de M. le ministre de l'intérieur ?

Quelle sévérité pour la parole inoffensive d'une jeune fille ! Qu'elle surprend quand on voit si souvent représenter une femme, qui fut presque reine, comme le modèle de toutes les douces vertus, sans s'inquiéter de la part qui peut lui incomber dans la révocation de l'édit de Nantes !

Il y a bien des choses aux Etats-Unis qui méritent d'être étudiées. L'ouvrage que M. le ministre de l'intérieur a cité contient la statistique, pour un assez grand nombre de localités, du nombre des instituteurs et des institutrices ; il y à certainement cinq ou six fois autant d'institutrices que d'instituteurs. N'est-ce' pas là une chose remarquable et ne faudrait-ii pas examiner s'il n'y aurait pas avantagé à confier beaucoup d'écoles à des femmes ? Je ne me prononcé pas, mais il y a là un problème à étudier.

M. Schollaert déplore avec raison certains travaux violents auxquels les femmes sont souvent soumises ; je le déplore avec lui ; mais que l'on sache bien que l'on n'aboutit à rien par des interdictions ; le remède n'existe que dans l’ouverture de nouvelles carrières aux femmes ; c'est en leur permettant de trouver les ressources de la vie dans d'autres travaux plus convenables à leur sexe qu'on parera au mal ; on ne peut leur donner la force musculaire de l'homme, donnez-leur la même force intellectuelle ; elles pourront alors remplir bien des emplois d'où elles sont exclues, et dont rien ne doit les faire écarter.

N'y a-t-il pas là un vaste champ ouvert au progrès social, intellectuel at surtout moral ?

Mais que faut-il faire pour élever l'éducation des filles ?

M. le ministre de l'intérieur a peur d'une chose : du monopole de l'Etat. Voilà ce qu'il nous signale comme étant le grand danger.

Je n'aime pas les monopoles et, je le déclare très franchement, je ne voudrais pas du monopole de l'Etat en matière d'enseignement, je ne voudrais pas voir l’enseignement tout entier dans les mains de l'Etat. Je suis convaincu que si l'Etat seul avait l'enseignement, l'enseignement déclinerait, parce qu'il n'y aurait plus le stimulant de la concurrence, parce qu'il ne serait plus excité par l'instruction donnée dans les établissements libres.

Y a-t-il tracé du monopole de l'Etat en ce qui concerne l'enseignement moyen des filles ? Il n'y en a absolument rien.

Mais s'il ne faut pas du monopole de l'Etat, il ne faut pas non plus le monopole des établissements de la puissance rivale de celle de l'Etat, du clergé.

Je ne veux pas plus de l'un que de l'autre ; les deux monopoles sont mauvais parce qu'ils sont des monopoles, et les monopoles sont mauvais pour deux raisons :

D'abord, il est bon que tous puissent choisir l'enseignement qu'ils préfèrent, que ceux qui veulent l'enseignement des congrégations religieuses puissent prendre cet enseignement et que ceux qui n'en veulent pas puissent avoir un autre enseignement.

Voilà une première raison ; c'est une raison de liberté.

Il y en a une autre. Je crois que, dans l'intérêt même de l'enseignement des maisons religieuses, il faut qu'elles aient une concurrence, comme je pense qu'il faut une concurrence à côté des établissements de l'Etat. Sans la concurrence, le progrès s'arrête, parce que le stimulant fait défaut. Par l'établissement d'écoles moyennes de filles, vous exciterez les établissements libres, vous les engagerez à avoir un enseignement plus solide et plus sérieux que celui qu'ils ont aujourd'hui.

L'action de l'Etat s'est déjà fait sentir chez certains établissements religieux et à leur grand avantage ; je n'hésite pas à dire qu'il y a des établissements religieux normaux où l'instruction est plus avancée que dans les pensionnats religieux aristocratiques.

J'avoue, messieurs, que j'ai été péniblement surpris de voir l'honorable M. Schollaert manifester des craintes sur le développement de l'enseignement des filles. Il nous a surtout signalé les immenses inconvénients qu'il redoute de voir donner aux jeunes filles une éducation autre que celle de leurs mères, avoir dans la famille une position différente, avoir des connaissances qui les classent pour ainsi dire sur un rang autre que celui de leurs parents.

Je me suis rappelé à cet égard ce que nous disait un jour ici M. Schollaert, dans un discours remarquable, dans le discours le plus remarquable peut-être qu'il ait jamais prononcé.

Il nous rappelait alors que presque tous ici, et lui entre autres, et je dirai moi comme lui, si, remontant à un siècle ou un peu au delà, noua demandions ce qu'étaient alors nos familles, nous trouverions qu'elles étaient presque toutes dans une position bien différente de celle où nous sommes aujourd'hui, dans une position bien moins élevée et que c'est par le travail, par la probité et par l'éducation et l'instruction des enfants que ces familles se sont élevées et voient aujourd'hui l'un ou l'autre de leurs membres siéger dans les premières assemblées de l'Etat.

Il célébrait alors, avec enthousiasme, au bruit de nos applaudissements, ce système de liberté et d'égalité qui ouvre tous les horizons de fortune et d'honneur aux efforts du travail et de l'intelligence.

Mais comment cette marche ascendante des familles s'accomplirait-elle si les enfants devaient ne recevoir jamais que l'éducation de leurs parents, s'il fallait comprimer ces tendances à s'élever, et si l'on devait préférer la crainte jalouse de voir ses enfants supérieurs en instruction à soi-même, à cette noble et généreuse ambition, payée souvent de tant d'abnégation et de sacrifices qui convoite pour eux une destinée plus élevée !

Je demande aux aspirations généreuses de notre collègue d'en revenir à ces idées d'alors, qu'il nous exprimait dans un si beau langage.

Je vous ai exposé, messieurs, ce que je pense de l'enseignement qu'il faut donner aux jeunes filles ; je vous ai fait connaître les idées dont je suis parti en déposant au budget l'article qui est devenu l'amendement de M. Muller.

J'aborde la deuxième question que je me suis posée : Quelle est la situation légale dans laquelle vient se placer l'amendement ; doit-il être écarté par une question de droit ; en quoi modifions-nous ce qui existe ?

Tous les orateurs qui ont pris la parole sont d'accord sur un point ; tous reconnaissent que nous avons une loi sur l'enseignement primaire, faite surtout pour les garçons, mais qui s'applique aux filles comme aux garçons, et que nous avons une loi sur l'enseignement moyen qui ne «'applique qu'aux garçons. Il y a donc une lacune ; aucune loi ne traite de l’enseignement moyen des filles.

Quand les communes ont voulu développer l'enseignement des filles, nous avons constaté qu'aucun subside, faute d'allocation au budget, ne pouvait être donné à des écoles moyennes de filles, mais que si les communes se bornaient à étendre le programme de l'école primaire, elles pouvaient recevoir des fonds sur le budget de cet enseignement ; les écoles ainsi créées et subsidiées tombaient naturellement sous le régime de la loi de 1842.

Nous avons donc alloué des subsides dans ces termes et nous l'avons fait largement, avec tolérance quant à l'étendue du programme ; je crois que nous avons bien fait et que M. le ministre de l'intérieur peut parfaitement continuer cette jurisprudence.

Croirait-on que M. le ministre de l'intérieur a consacré une heure à démontrer que mes honorables prédécesseurs et moi nous avions suivi ce système, et qu'il ait apporté comme une découverte merveilleuse une note d'un fonctionnaire constatant que j'ai décidé que l'enseignement primaire développé appartient à l'enseignement primaire, c'est-à-dire que tous les degrés de l'enseignement primaire sont de l'enseignement primaire !

Ainsi quand la commune voulait développer son enseignement primaire, les écoles d'enseignement primaire développé pouvaient être subsidiées et tombaient sous l'application de la loi de 1842. Mais si une commune déclarait qu'elle voulait créer un établissement d'enseignement moyen, elle ne pouvait recevoir de subside. (Interruption de M. Dumortier.)

Vous me dites qu'il fallait présenter une loi ; mais si on l'eût présentée, vous eussiez voté contre.

Si c'est une loi qu'on désire, pourquoi le ministère actuel ne présente-t-il pas cette loi ? Vous voteriez contre encore.

M. Dumortier. - Si c'eût été une loi pour faire des écoles de filles athées, j'aurais voté contre.

M. Pirmez. - J'examinerai si une loi était nécessaire, et s'il s'agit de faire des écoles athées ; je me borne à vous rappeler que vous avez déclaré dans la discussion de la loi de 1842, que moins on s'occupe de l'enseignement des filles, mieux on fait.

M. Dumortier. - Laissez nos filles tranquilles, vous ferez très bien.

(page 897) M. Pirmez. - Vous voyez, messieurs, que nos souvenirs concordent parfaitement.

Comment se fait-il que l'honorable M. Dumortier nous dise que nous eussions dû présenter une loi qu'il eût rejetée !

Ainsi voilà bien la situation : nous pouvions donner des subsides pour l'enseignement primaire développé ; nous ne pouvions rien faire pour l'enseignement moyen.

La nécessité de remédier à cette situation s'est surtout montrée dans ces dernières années ; l'enseignement public s'est successivement organisé ; après les trois grandes branches d'enseignement, on s'est occupé des écoles industrielles, des ateliers d'apprentissage, des écoles agricoles, des écoles d'adultes ; puis, lorsque les communes ont réclamé des subsides pour donner l'enseignement moyen aux filles, nous avons constaté la lacune du budget et voilà comment vous avez été saisis de la proposition que nous discutons.

Le grand argument qu'on nous oppose, c'est que la Constitution ne le permet pas. L'enseignement, dit-on, doit être réglé par la loi.

Je crois que l'honorable ministre de la justice ne se rend pas un compte exact de la pensée de cette disposition constitutionnelle. Il ne s'est pas fait la question élémentaire que l'on doit se poser quand on veut interpréter un article de la Constitution.

Quand une constitution est faite après une révolution, ses dispositions ont toujours pour but de remédier à un état de choses antérieur contre lequel s'est fait la révolution. Parcourez les discussions du Congrès et vous verrez toujours dominer cette idée qu'il faut empêcher le retour des abus reprochés au gouvernement hollandais.

Or, contre quel abus a été écrit l'article 17 de la Constitution ?

Le gouvernement prétendait, avant 1830, qu'il avait un droit propre de régler l'enseignement en vertu de l'article 228 de la loi fondamentale et non seulement l'enseignement public mais aussi l'enseignement privé.

C'est ce droit qu'il fallait que le gouvernement ne pût revendiquer. On a donc proclamé la liberté de l'enseignement, écarté toute surveillance de l'enseignement privé, et on a établi que l'enseignement donné aux frais de l'Etat serait réglé par la loi ; mais la législature qui est investie du droit de régler cette matière et qui ne peut, de par la Constitution, en être dessaisie par le pouvoir exécutif malgré elle, a, précisément à cause de la plénitude de son droit, la faculté de déterminer jusqu'à quel détail elle veut descendre, et de laisser au gouvernement une latitude plus ou moins grande. C'est cette délégation qu'elle opère quand elle accorde au gouvernement des subsides, en lui permettant de fixer les conditions de leur octroi. (Interruption.)

L'honorable M. Julliot me dit que le budget n'est qu'une loi d'application des lois de principe. (Interruption.)

Je demanderai à l'honorable membre quelle est la loi de principe qui règle le traitement des ministres et des fonctionnaires des ministères.

M. Coomans. - On paye et tout est dit.

M. Pirmez. - Vous voyez donc que le budget est une loi comme une autre et il n'est pas contestable que cette loi a la même force obligatoire qu'une autre.

Au surplus, il n'y a pas que la loi de budget qui suffirait pour autoriser ce que nous demandons. M. le ministre de la justice nous a présenté des observations qui sont de cinq ans en retard. La loi des bourses a consacré sans distinction l'enseignement moyen communal.

M. Cornesse, ministre de la justice. - L'enseignement moyen est réglé par la loi de 1850.

M. Pirmez. - Oui, mais la loi de 1865 autorise les fondations en faveur de l'enseignement moyen des filles comme des garçons ; elle ne distingue pas.

Si donc l'on faisait aujourd'hui une fondation pour l'enseignement moyen des filles, les communes pourraient être autorisées à l'accepter.

M. Cornesse, ministre de la justice. - J'ai lu le discours de M. Bara.

M. Pirmez. - Vous ne l'avez lu qu'en partie ; je laisse à mon collègue le soin de vous répondre à cet égard.

Je me borne à constater que si les communes peuvent, en vertu de la loi, recevoir des fondations, elles peuvent recevoir des subsides.

Mais nous assistons réellement à des explications inimaginables.

Nous montrons qu'on a appliqué le système que nous produisons sans aucune contestation, à différentes reprises, qu'on a établi des écoles industrielles, des écoles professionnelles, sans loi de réglementation ; que nous répond-on ?

Ces écoles, dit-on, ne sont pas des écoles, cet enseignement n'est pas un enseignement. Oui, voilà la réponse que l'on nous fait. Et M. le ministre de la justice a cru faire hier une précieuse découverte en mettant cette théorie dans la bouche de M. A. Vandenpeereboom. Je crois qu'il n'avait pas lu, avant de la produire, la pièce sur laquelle il se fonde.

Que dit, en effet, notre honorable collègue ? Il dit que les écoles industrielles ne sont pas des écoles d'enseignement primaire, mais il se garde bien de dire que l’enseignement industriel n'est pas de l'enseignement.

Je ne sais si mon esprit est fait autrement que celui du commun des hommes, ou si c'est celui des honorables ministres qui est d'une espèce particulière, mais je constate qu'il y a un abîme entre nous et que je ne parviens pas à comprendre qu'il y ait des écoles ou de l'enseignement qui ne soient pas des écoles ou de l'enseignement.

Les écoles industrielles, dit-on, sont faites pour l'industrie ! Sans doute, mais les écoles de droit sont faites pour le droit, mais les écoles de médecine sont faites pour la médecine. Et elles ne seraient pas des écoles !

Voyez, au surplus, ce que sont les écoles industrielles. J'ai pris lu hasard le programme d'une école industrielle, celle de Renaix ; voici ce qu'il comprend : les langues française et flamande, l'histoire, la géographie, les mathématiques élémentaires dans leurs applications à l'industrie, la géométrie élémentaire, etc..

Vous trouvez, monsieur le ministre, que ce n'est pas là de l’enseignement ! (Interruption de M. le ministre de la justice.) L'honorable ministre de la justice a un esprit plus subtil que le mien ; il voit des différences qu'il m'est impossible de saisir.

Evidemment tout enseignement doit tomber sous l'article de la Constitution, mais on satisfait à cet article de la Constitution quand le gouvernement ne règle cet enseignement que par délégation de la législature, faite dans la loi du budget. (Interruption.)

On a voté un subside pour l'école professionnelle des filles à Bruxelles ; voici ce que l'on y enseigne dans les cours généraux, outre ce qui est compris dans les cours spéciaux :

1° Langue française ; 2' langue flamande ; 3° arithmétique ; 4° histoire et géographie ; 5° notions d'histoire naturelle, de physique et de chimie ; 6° notions d'éducation, d'hygiène et d'économie domestique ; 7° écriture et dessin ; 8° chant et gymnastique.

Voilà le programme. Et l'on vient nous dire que tout cela, ce n'est pas de l'enseignement !

Franchement, messieurs, j'avoue que je serais bien embarrassé de rien ajouter à ce que je viens de lire, car les documents ont un degré d'évidence où toute démonstration est superflue.

Du reste, y a-t-il autre chose dans tout cela que de vains prétextes ? Que le gouvernement nous déclare qu'il est prêt à présenter une loi sur l'enseignement des filles, et alors nous croirons à la sincérité de ses scrupules juridiques ou constitutionnels. Mais nous dire, comme le fait l'honorable M. Dumortier : « Faites une loi dont je ne veux pas », c'est avouer qu'on cherche un prétexte pour repousser l'amendement de l'honorable M. Muller.

M. Dumortier. - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

M. Pirmez. - Je prie mon respectable ami de ne rien voir dans ce que je lui dis qui ne lui soit honorable. Il a manifesté sa répulsion pour l'intervention de l'Etat dans l'enseignement des filles. M. Dumortier, comme tout membre de cette Chambre du reste, où l'on semble repousser comme une tache un changement d'opinion, tient à ne pas modifier ses sentiments ; j'ai donc le droit de croire qu'il a encore aujourd'hui son avis de 1842.

D'où je conclus très logiquement, et à l'honneur de la constance de ses opinions, qu'il voterait contre toute loi qui ferait intervenir l'Etat dans l'enseignement des filles.

Maintenant, nous pouvons mettre en parallèle la situation que nous voulons créer et la situation qui résultera du rejet de l'amendement. Et ici, messieurs, on pourra constater de quel côté est l'esprit de modération.

Si, par impossible, l'amendement passait, quelle serait la situation ?

Les communes qui voudraient créer un enseignement primaire développé verraient cet enseignement placé sous le régime de la loi de 1842 et recevraient des subsides sur le budget de l'instruction primaire. Par contre, les communes qui créeraient des établissements d'instruction moyenne seraient placées sous les principes fondamentaux de la loi de 1850, indiqués dans la note du budget et recevraient des subsides sur le budget de l'enseignement moyen.

Ainsi, les communes auraient l'option ; elles pourraient adopter le (page 898) régime de l'enseignement primaire développé, ou adopter le régime de l'enseignement moyen.

Mais nous avons un ministère qui est ami de la liberté communale, qui est arrivé au pouvoir dans le but de rétablir cette liberté écrasée sous le despotisme doctrinaire, de restituer à la commune ses franchises, d'augmenter son droit d'initiative, de donner plus de champ à son action !

Voilà ce qu'en substance on déclare dans le programme inaugural, et pour cette raison sans doute, on décide immédiatement qu'il faut supprimer l'option des communes et qu'elles n'ont qu'à se soumettre au régime qui plaît au gouvernement.

Du reste, je n'aurais pas su quelles sont les intentions du gouvernement

Ainsi, voilà bien la situation : dans notre système, alternative pour la commune de prendre l'un ou l'autre régime ; d'après le système de M. le ministre de. l'intérieur, pas d'alternative, il faut que la commune subisse sa volonté. Tout cela au nom de la modération et de la décentralisation !

J'aborde maintenant la troisième question, celle de l'enseignement religieux.

Dans la note jointe au budget, j'ai nettement indiqué que l'enseignement religieux devait faire partie du programme et que les ministres des cultes seraient invités à le donner et à le surveiller ; c'est l'article 8 de la loi de 1850.

Eh bien, je demande pourquoi on invoque la nécessité de l'enseignement religieux pour repousser l'amendement que l'honorable M. Muller a proposé ? pourquoi on refuse des subsides à des écoles moyennes de filles, dans lesquelles l'enseignement religieux figurera au programme, et devra être donné ou surveillé par les ministres du culte ! Pourquoi cette proscription de la loi de 1850 ?

L'honorable M. Rogier vous a demandé hier pourquoi vous ne vouliez pas de la loi de 1850 ? II a demandé que vous vous expliquiez sur les principes de cette loi. Pourquoi M. le ministre de la justice, qui a parlé hier, n'a-t-il pas répondu à cette question de l'honorable M. Rogier ? Il me paraît que quand on signale une loi comme constituant un danger social, c'est qu'on trouve qu'il y a quelque chose de violent dans cette loi, et dès lors, quand un homme de la position de M. Rogier pose la question, ne devrait-on pas lui répondre ?

On ne dit rien de la loi de 1850, parce que cette loi est inattaquable. Veut-on qu'il y ait une grande différence entre la loi de 1850 et celle de 1842 ; qu'au moins on dise pourquoi on se fait un fétiche de la loi de 1842 et un monstre de la loi de 1850.

Sous le rapport de l'enseignement religieux, la loi de 1850 présente autant de garanties que la loi de 1842.

Quelle est la grande différence de ces deux lois ?

D'après la loi de 1842, les dissidents ne reçoivent pas l'enseignement religieux dans l'école, la religion de la majorité des élèves est seule enseignée ; les dissidents doivent être instruits de leur culte au dehors.

D'après la loi de 1850, les dissidents peuvent recevoir l'enseignement religieux dans l'école ; bien entendu, dans un local séparé.

Quel mal peut-il y avoir à cela ? Que peut-on redouter de ce que les deux ou trois juifs ou protestants qui peuvent se trouver dans une école (et qui peuvent se trouver dans une école primaire comme dans une école moyenne) soient instruits de leur religion dans une salle de l'école au lieu de l'être dans leur temple, près de l'école peut-être ? La position du prêtre catholique, qui donnera l'enseignement religieux à presque toute l'école, sera-t-elle amoindrie parce que le ministre d'un autre culte viendra instruire deux ou trois élèves ?

J'ai déjà entendu soutenir que, lorsque l'on ne pouvait pas donner l'enseignement religieux aux dissidents faute de ministres, il ne faut pas le donner à la majorité des élèves, pour ne pas violer l'égalité. J'ai toujours combattu cette doctrine, parce que le bien que l'on peut faire aux uns ne nuit pas aux autres ; mais pourquoi vouloir priver les dissidents de l'enseignement à l'école, si on peut le leur donner sans nuire à la majorité des élèves ?

M. Dumortier suppose qu'une école où on ne donne pas l'enseignement religieux est une école où l'on fait des athées. Voudrait-il faire des dissidents des athées ? L'enseignement religieux est bon pour eux aussi ; pourquoi le leur refuser ?

Disons donc que la loi de 1850 satisfait à tout ce que réclame l'enseignement religieux.

Et remarquez, messieurs, que d'après cette loi, dont les dispositions seraient imposées comme conditions de subside, non seulement l'enseignement religieux se donne à l'école par les ministres du culte invités, mais qu'il peut intervenir une convention entre la commune et le clergé sur les conditions de cette intervention, qu'un traitement peut être stipulé, et que ces arrangements sont licites pourvu que la commune n'aliène pas son autorité sur l'établissement.

Tout cela n'est rien ; on repoussera l'amendement au nom de la politique d'apaisement ! N'est-ce pas cependant l'irritation que l’on provoque ? On sait que la loi de 1842 soulève une vive opposition, on veut l'étendre à une matière qu'elle ne règle pas ! Pour apaiser les communes qui voudraient créer un établissement d'enseignement moyen d'après les principes de la loi de 1850, on leur refusera tout subside. Nous, hommes violents, nous admettions la loi de 1842 ; les hommes de paix repoussent la loi de 1850 !

Oh ! croyez-le bien, ce n'est pas la loi de 1842 ni celle de 1850 qui fera le développement de l'enseignement religieux ; l'esprit religieux ne se crée pas par des lois ; il est au-dessus des faveurs et des protections, et c'est ce qui le relève.

On l'a dit et on ne saurait trop le répéter ; il y a des pays où l'on a pensé maintenir la religion par toutes sortes de privilèges.

Voyez l'Espagne, l'Italie, la France même où est né le fameux axiome de l'atmosphère religieuse de l'école.

L'enseignement religieux y a-t-il fructifié ? D'autres pays n'ont rien connu de ces mesures, et le résultat y a été bien autre

Voyez l'Irlande, pays catholique, où toutes les faveurs ont été pour l'anglicanisme ; le catholicisme s'y est-il affaibli ; n'y a-t-il pas plus de religion qu'en France, en Italie et en Espagne ? Si vous allez dans d'autres pays, en Hollande et aux Etats-Unis, n'êtes-vous pas obligés de reconnaître que ce sont des pays éminemment religieux et où, cependant, les écoles sont soumises à un régime qui les fait qualifier ici d'écoles athées.

On y sème l'athéisme et il croît des hommes religieux. C'est un problème de botanique que je prie M. Dumortier d'éclaircir.

Je crois que si les membres de la majorité voulaient employer leur force et leur influence dans l'intérêt de l'enseignement religieux, ils auraient autre chose à faire qu'à discuter la loi de 1842 et la loi de 1850.

Il y a d'autres obstacles que ceux des lois à la diffusion de l'enseignement religieux. On invoquait hier encore l'opinion de notre ami, M. Dolez, et l'on rappelait que, dans une récente séance du Sénat, il avait parlé de l'influence de l'enseignement religieux. Mais on oublie que l'honorable sénateur ajoutait que les idées religieuses trouvent leur plus dangereux écueil dans l'intervention du clergé dans les affaires politiques.

Engagez le clergé à cesser son active immixtion dans les luttes électorales, et vous aurez plus fait pour l'enseignement religieux que par tous les discours sur les lois d'enseignement.

Supposez deux prêtres : l'un donnant l'enseignement en vertu de la loi de 1842 et activement mêlé à la politique ; l'autre donnant l'enseignement en vertu de la loi de 1850, mais s'abstenant de politique. Lequel des deux obtiendra le plus de succès ? Je ne crains pas de le dire : ce ne sera pas celui qui aura donné l'enseignement en vertu de la loi de 1842, et qui, en faisant de la politique, se sera aliéné la moitié des parents de ses élèves ; ce sera celui qui, ayant répondu à l'invitation de la loi de 1850 et s'étant renfermé dans les devoirs de sa charge, ne trouvera que bienveillance a l'écouter.

Mais il y a, messieurs, à l'abaissement de l'enseignement religieux d'autres causes plus profondes ; ce ne sont pas seulement les hommes de la religion qui sont mêlés à la politique, on y a mêlé les choses de la religion et on les y a mêlées de la façon la plus déplorable.

Il y a une tendance funeste à faire de la religion l'irréconciliable ennemie de tout ce qui reconnaît des droits et des libertés aux peuples.

Ne voyons-nous pas chaque jour, au nom de la religion, pousser au mépris de nos libertés publiques, signaler le changement qui s'est opéré en 1789 comme un fléau de l'humanité, déclarer notre Constitution un mal que l'on ne peut que supporter en aspirant à sa destruction, parler avec un suprême dédain des institutions parlementaires, attaquer l'autorité et la personne du Roi, parce qu'il se maintient dans les limites constitutionnelles, et qu'il refuse d'en sortir pour satisfaire à des désirs que nos intérêts et devoirs nationaux repoussent ?

Croit-on qu'en froissant ainsi tous les sentiments de liberté, on ne compromette rien ?

On se plaint des attaques dirigées contre des croyances religieuses et l'on attache à ces croyances l'idée qu'elles conduisent à ne voir dans les libertés qui sont la garantie de la sécurité des citoyens qu'une concession regrettable aux circonstances des temps.

Je dis que c'est un mal et un grand mal.

On parlait hier de l'irréligion de la nation française. Voulez-vous vous rendre compte de l'influence que ces doctrines ont dû y exercer ? Voyez la (page 899) répulsion qu'elles ont soulevée chez les hommes les plus éminents parmi les défenseurs de la religion, et jugez par là de ce qu'elles ont produit dans la masse de la nation.

Si je remonte à un ou deux ans au plus, je trouve quatre hommes, illustres entre tous et d'une incontestée supériorité parmi les soutiens de la foi catholique.

L'un était sans rival le premier orateur sacré : il rompt avec éclat.

Un second était considéré comme le premier des philosophes catholiques ; il signale avec indignation une école d'erreur et de mensonge qui tend à dominer ; on l'abreuve de mépris.

Un troisième était le premier des orateurs politiques religieux. Ses services avaient commencé lorsqu'il sortait à peine de l'adolescence ; il avait alors hautement revendiqué, et il avait bien fait, la liberté d'enseignement ; toute sa vie avait été une lutte pour sa devise : Dieu et liberté ; il l'avait soutenue malgré la condamnation des tribunaux exécutant les lois de l'intolérance politique. Il meurt en poussant un cri déchirant de désespoir. En reconnaissance des services de sa vie, on défend, à sa mort, de prier pour lui. (Interruption.)

Messieurs, ne niez pas, en vous prévalant de ce que mes expressions ont de trop général ; vous connaissez le fait auquel je fais allusion. On a défendu de célébrer pour lui un service solennel. (Nouvelles interruptions.)

Que diriez-vous si, ici, un ministre défendait de faire célébrer un service solennel à Sainte-Gudule en renvoyant à une messe basse à Sainte-Catherine ou au Béguinage ?

Le quatrième des hommes dont je parle tient, par son talent d'écrivain, le premier rang dans l'épiscopat français ; c'est celui que j'ai cité pendant tout le cours de mon discours. Savez-vous ce qu'il dit de ces tendances que je signale ?

Ecoutez ce qu'il écrit au rédacteur d'un journal qui exerce la plus grande et la plus funeste influence en Belgique.

« Si votre langage était celui de tous les organes religieux parmi nous, s'il était avéré que vos doctrines sont bien nos doctrines, celles de l’Eglise, les haines que vous soulevez seraient aussi universelles qu'elles sont formidables, l'Eglise serait mise au ban des nations civilisées. »

Si je n'avais pas trouvé ces paroles dans une telle bouche, je ne les eusse pas prononcées ; elles eussent soulevé une immense clameur ; mais je puis les dire, parce qu'elles partent d'un homme que vous ne pouvez suspecter. Réfléchissez-y ; elles sont d'un immense gravité, elles vous montrent que si ces tendances que je signale se généralisaient, elles suffiraient pour faire mettre l'Eglise au ban des nations civilisées. (Interruption.)

M. Jacobs, ministre des finances. - Ces hommes se trouvaient au congrès de Malines.

M. Frère-Orban. - Ils y ont été désavoués.

M. Jacobs, ministre des finances. - Non ; ils ont été applaudis.

M. Pirmez. - Je sais bien que ces doctrines funestes ne sont pas celles de tous les hommes du parti catholique ; il en est à qui elles pèsent et répugnent ; mais je les signale parce qu'elles gagnent chaque jour du terrain.

Elles commencent à dominer dans la presse, elles ont un organe surtout dont l'autorité va en augmentant, et qui les soutient dans toute leur étendue, dans toutes leurs exagérations : c'est le Bien public. (Interruption.)

M. Bouvier. - Est-ce que vous désavouez le Bien public ? (Interruption.) Alors vous êtes excommuniés.

M. Pirmez. - Ces doctrines se répandent notamment dans le clergé ; j'en donnerai un indice : on s'y désabonne au Journal de Bruxelles, même dans les provinces wallonnes, pour prendre le Bien public. (Interruption.)

Non, je ne fais et n'ai aucun intérêt à faire de la propagande pour le Journal de Bruxelles, par qui je serai éreinté demain comme par le Bien public.

Je me tiens au-dessus de ces choses, je signale un mouvement dangereux de l'opinion. Le Journal de Bruxelles a conservé de la modération dans ses doctrines, il semble tiède ; on lui préfère un organe qui défend les thèses les plus exagérées, et on les accepte.

Oui, il y a là un danger, et ceux qui ont autorité dans le parti catholique et qui repoussent ces doctrines devraient s'unir pour les combattre énergiquement. (Interruption.)

Je vois avec satisfaction s'élever des protestations sur vos bancs ; elles constatent, ce que je savais, que ces doctrines n'y ont pas que des partisans. (Interruption.)

M. le président. - N'interrompez pas,.

M. Pirmez. - L'honorable M. Drubbel m'interrompt pour me dire que le Bien public est un journal respectable par la sincérité et la franchise de ses opinions.

Je le reconnais avec lui ; je veux bien que ces doctrines soient l'expression d'une conviction loyale, sincère, profonde ; j'ajouterai qu'elles sont soutenues avec talent.

Je n'attaque pas les hommes dont je ne conteste pas la loyauté ; je combats des doctrines que je considère comme funestes ; je signale leur danger, et je dis qu'en les rattachant à la religion, on compromet celle-ci dans la plus déplorable des alliances. (Interruption.)

J'ai sans doute le droit de manifester mon opinion sur ces doctrines. (Interruption.)

Je crois que j'ai plus que le droit, que j'ai le devoir d'en signaler les dangers.

Ce n'est pas en discutant la loi de 1842 et la loi de 1850 que vous développerez le sentiment religieux. C'est en le dégageant de ces idées d'intolérance, hostiles à toute liberté, à tout progrès, qui troublent, effrayent, et provoquent les haines ; c'est en repoussant surtout ces doctrines funestes qui sont le chemin de l'abîme qu'une voix autorisée vous a montré ! (Interruption.)

Si vous êtes indifférents à cette situation, je ne le suis pas.

J'ai rempli mon devoir, vous ferez ce que vous voudrez.

J'ai fini, nous avons fait une proposition modérée qui maintient l'enseignement religieux au programme de l'enseignement moyen comme au programme de l’enseignement primaire, et qui laisse aux communes le droit de choisir entre les systèmes qu'elles pouvaient également adopter.

La politique d'apaisement repousse toute concession, tout partage ; sa volonté doit être pleinement obéie. La politique de décentralisation ne veut pas qu'en cette matière les communes aient une liberté quelconque.

Le rejet de l'amendement sera une réalisation du programme ministériel !

- Plusieurs voix. - La clôture !

M. Bara. - Je demande la parole contre la clôture.

M. le président. - Je rappelle à la Chambre qu'il n'y a plus que dix minutes de séance, à cause de la résolution qui a été prise pour le samedi.

M. Bara. - Messieurs, je m'étonne vivement que l'on demande la clôture.

Hier, M. le ministre de la justice a parlé pendant plus de trois quarts d'heure au sujet d'un discours que j'ai prononcé en 1864. Je me suis fait inscrire hier.

L'honorable M. Pirmez a parlé et, au moment où vient mon tour de parole, on réclame la clôture.

Il me faut plus de dix minutes pour dire ce que j'ai à dire et si l'on ne veut m'accorder que ce court espace de temps, je préfère ne point parler.

M. Dumortier. - Je suis également inscrit.

Si l'on donne la parole à M. Bara, un ancien ministre, je déclare que je réclamerai aussi mon droit de parler.

Je reconnais cependant que cette discussion doit avoir une fin et si l'on veut clore maintenant, je ne m'y oppose pas.

M. Allard. - Personne ne s'est levé pour demander la clôture.

M. Muller. - Je crois qu'il est impossible que la majorité vote la clôture... (Interruption.)

M. le président. - Silence, messieurs ; ce n'est pas en criant que l'on avancera.

M. Muller. - ... alors que M. le ministre de la justice s'est occupé hier longuement des opinions qu'a émises l'honorable M. Bara et que celui-ci demande à lui répondre.

M. Elias. - M. le ministre de la justice, dans son discours d'hier, m'a lancé une accusation assez grave : à une interruption que je lui faisais, il a opposé une dénégation... (Interruption.)

M. le président. - Je dois mettre la clôture aux voix.

M. Bara. - Je demande la parole.

M. le président. - Vous avez déjà parlé sur la clôture, monsieur Bara.

M. Bara. -Je ne puis croire que la Chambre m'empêche de parler, qu'elle commette une pareille violence. (Interruption.) Messieurs, je fais appel à votre loyauté. M. le ministre de la justice invoque mon opinion -, c'est sous le bénéfice des citations qu'il vous a faites hier que vous allez voter.

(page 900) Hier, pendant le discours du ministre, je demande la parole. M. le ministre fait remarquer immédiatement qu'en m’entendant demander la parole, la Chambre aura compris que c'est de moi qu'il s'agit. Et vous voulez m'empêcher de parler !

- Voix à droite. - Oui, oui, la clôture !

M. Bara. - Dans une question aussi importante que celle que nous discutons, dans une question où il s'agit de l'enseignement de la moitié de l'humanité, vous laissez le ministre m'imputer des doctrines juridiques que je n'ai pas professées, vous le laissez parler pendant trois quarts d'heure d'un de ses adversaires, et quand cet adversaire demande à répondre, vous l'accueillez par des cris de clôture. (Interruption.) J'aurais le droit de demander la parole pour un fait personnel ; je ne veux pas le faire, parce que ce serait introduire dans cette Chambre le plus détestable précédent.

Il est impossible d'admettre que le gouvernement venant, au dernier moment, démasquer ses batteries et produire tout un système, on empêche l'opposition de répondre.

L'honorable M. Pirmez vous disait tout à l'heure : Je ne traite pas la question de droit ; M. Bara été attaqué par M. Cornesse, il répondra ; vous savez donc que notre réfutation est prête, que nous avons des arguments à vous opposer. Et vous demandez la clôture !

- Voix à droite. - Oui ! oui !

M. Bara. - Eh bien, demandez la clôture ; quant à moi, je proteste et je dis qu'il n'y a plus de liberté dans cette Chambre. (Interruption.)

M. le président. - Je mets la clôture aux voix.

- Voix nombreuses à gauche. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

98 membres y prennent part.

46 membres répondent oui.

50 membres répondent non.

2 s'abstiennent.

En conséquence, la clôture n'est pas prononcée.

Ont répondu oui :

MM. Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verwilghen, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Coomans, Cruyt, de Clercq, de Haerne, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Royer de Behr, Santkin, Snoy, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt et Van Hoorde.

Ont répondu non :

MM. Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Allard, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Boulenger, Bouvier, Brasseur, Bricoult, Couvreur, d’Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Drion, Drubbel, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Jottrand, Kervyn de Volkaersbeke, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Muller, Nothomb, Pirmez, Puissant, Rogier, Sainctelette, Simonis, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Vilain XIIII.

Se sont abstenus :

MM. Cornesse et de Kerckhove.

JS2. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.

M. Cornesse, ministre de la justice. - La Chambre étant désireuse de clore un débat déjà trop long, je n'ai pas voté contre la clôture ; d'un autre côté, à raison de la position spéciale que j'ai prise dans ce débat, je n'ai pas cru pouvoir voter pour la clôture.

M. E. de Kerckhove. - Je n'ai pas voulu voter contre la clôture, parce que, dans ma conviction, la continuation de ces débats n'est qu'une tactique de nos adversaires, pour nous faire perdre du temps. D'autre part, je crois que, dans l'espèce, il serait peu convenable de ne pas reconnaître à l'honorable M. Bara le droit de répondre à M. le ministre de la justice. J'ai donc préféré m'abstenir.

M. le président. - La suite de la discussion est renvoyée à mardi.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! continuons.

- La Chambre s'ajourne à mardi.

La séance est levée à 4 heures et demie.