(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.-
(page 849) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse des pièces parvenues à la Chambre.
« Le sieur Pierre Schmitz, relieur à Liège, né à Maestricht, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les conseils communaux de Ferrières et de Masbourg demandent la construction d'un chemin de fer de raccordement de Masbourg à Ferrières. »
M. Pery de Thozée. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
- Adopté.
« Le conseil communal de Cortenaeken demande que le chemin de fer à construire de Tirlemont à Diest passe par Bunsbeek, Hoeledcn, Kersbeek-Miscom et Cortenaeken. »
« Même demande du conseil communal de Kersbeck-Miscom. »
_Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions analogues.
« Des habitants de Neerlinter demandent que le chemin de fer a construire de Tirlemont a Diest passe par Oplinter, Neerlinter, Budingen, Geet-Belz, Rummen, Donck, Haelen et Webbecom. »
- Même décision.
« Des instituteurs à Moll demandent que la loi oblige l'Etat, la province et la commune à concourir à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires dans la même proportion qu'à celle des secrétaires communaux. »
- Renvoi a la section centrale chargée d'examiner le projet de loi instituant une caisse centrale de prévoyance des instituteurs primaires.
« Des habitants de Nieuport demandent que la loi déclare l'enseignement primaire obligatoire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
« Des habitants de Verviers prient la Chambre de voter le crédit déclaré nécessaire par le gouvernement pour la création d'écoles en nombre suffisant pour satisfaire aux nécessités de l'enseignement primaire étendu à toutes les classes de la société. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Des membres de la société de Eendracht, à Meulestede, demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »
« Même demande d'habitants de Verrebroeck, Wetteren, Berlaere et de sociétés flamandes à Gavere et à Louvain. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Rumbeke demande la révision de la loi sur le domicile de secours. »
- Même renvoi.
« M. le directeur de l'Observatoire royal de Bruxelles fait hommage de 125 exemplaires du nouvel ouvrage qu'il vient de publier sous le titre d'Anthropométrie ou traité des mesures des facultés de l'homme. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. le directeur de la Banque de Belgique adresse à la Chambre 128 exemplaires du compte rendu des opérations de cet établissement pendant l'exercice 1870. »
- Même décision.
« Les signataires de la pétition ayant pour objet le droit de porter une médaille commémorative de 1830 déclarent qu'ils ne réclament et ne réclameront aucune pension de secours en qualité de combattants de 1830. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition.
« Le sieur Vésalle demande que les frais de passage en Belgique d'un ancien souverain ne soient pas à la charge du trésor belge. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. de Haerne, retenu pour affaires urgentes, demande un congé de deux ou trois jours. »
« M. Delaet, retenu pour affaires urgentes, demande un congé. »
(page 850) « M. Sainctelette, retenu pour affaires, demande un congé de quelques jours. »
- Ces congés sont accordés.
M. le président. - Il a été déposé sur le bureau une proposition de loi. Je convoque les sections demain un quart d'heure avant la séance pour en prendre connaissance, afin d'en autoriser ou d'en refuser la lecture.
M. Jacobs, ministre des finances. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre : 1° un projet de loi contenant le budget des voies et moyens pour l'exercice 1872 ; 2° un projet de loi portant différentes modifications aux lois d'impôts.
Les principales de ces modifications sont l'abolition des droits de débit de boissons et de tabac ; l'abolition du timbre des patentes des quittances et des pétitions ; la réduction de la patente des bateliers et du droit d'enregistrement des baux à ferme et à loyer. Par contre, l'élévation de l'impôt foncier de 6,70 p. c. à 7 p. c. et la suppression des exemptions établies par la loi du 28 mars 1828 en faveur des constructions nouvelles.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de lois, qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.
M. Demeur. - Je voudrais adresser une question à M. le ministre des travaux publics.
Depuis notre dernière séance, les journaux ont annoncé le passage sur le territoire belge du ci-devant empereur des Français. Au dire des journaux, ce passage se serait fait avec honneurs et aux frais de l'Etat.
Je ne puis croire, messieurs, qu'il en soit ainsi. Je comprends que. l'on ait eu des rapports avec cet homme et même qu'on lui ait rendu des honneurs lorsqu'il était le représentant d'un gouvernement, le représentant d'un grand pays.
Il y avait alors une nécessité, notre gouvernement ne pouvait faire autrement ; mais aujourd'hui, je ne pense pas qu'on pourrait justifier des faveurs et des honneurs qui lui seraient accordés.
Je demande donc à M. le ministre des travaux publics s'il est vrai, comme on l'a dit, que le ci-devant empereur des Français a opéré son passage sur notre territoire dans des voitures d'honneur et aux frais du pays.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, vous venez d'entendre l'interpellation qui m'a été adressée. Il est parfaitement exact qu'un train spécial a été mis à la disposition de Napoléon III dès que le gouvernement fut informé qu'il avait l'intention de traverser la Belgique pour se rendre en Angleterre. L'administration des chemins de fer se fit un devoir de composer ce train conformément à ce que la courtoisie et le sentiment des convenances lui paraissaient impérieusement exiger.
Je crois, en agissant ainsi, avoir rendu hommage aux habitudes de généreuse hospitalité que la Belgique a toujours pratiquée et qu'elle pratique d'autant plus largement, que ceux qui en sont l'objet se trouvent dans une position plus malheureuse ; je crois, en agissant de la sorte, avoir mérité l'approbation de toute la Chambre.
Quant à la question d'argent, messieurs, qu'il me répugne de traiter ici, l'honorable M. Demeur peut se tranquilliser ; la caisse des chemins de fer n'y perdra rien.
- Voix à droite. - L'ordre du jour !
M. Demeur. - La question, au point de vue pécuniaire, a évidemment peu d'importance. Aussi ce n'est pas à ce point de vue que je me suis placé en faisant mon interpellation ; c'est au point de vue de la dignité du pays.
L'homme dont il s'agit est un simple particulier. J'aurais vainement demandé à M. le ministre dans, quelle loi il aurait trouvé le droit de lui accorder des faveurs et le transport gratuit. Aussi, M. le ministre n'a pas répondu directement à ma question.
M. Thonissen. - Puisqu'on paye !
M. Demeur. - Il résulte clairement de la réponse qui vient d'être faite, que le payement n'a pas eu lieu, puisque M. le ministre des travaux publics a dit que le trésor public n'y perdra rien. Par conséquent on n'a pas suivi la règle ordinaire, d'après laquelle, lorsqu'un train spécial est mis à la disposition d'une personne, le payement se fait, soit par anticipation, soit au comptant. Voilà la règle. (Interruption.)
Je crois aussi que quand nous allons en chemin de fer, nous payons notre place avant d'entrer dans le convoi, et je ne vois aucune raison pour accorder une faveur personnelle, une faveur spéciale au personnage dont il s'agit.
M. Dumortier. - C'est une politesse.
M. Demeur. - Je vois que l'honorable M. Wasseige a l'appui de l'honorable M. Dumortier, qui m'interrompt et me dit : C'est une politesse. Eh bien, je me demande, et c'est précisément la portée de la question que je pose : Pourquoi fait-on à cet homme une politesse que l'on ne fait pas à d'autres ?
- Une personne applaudit dans les tribunes réservées.
M. le président. - Faites sortir ce monsieur de la tribune.
- L'huissier fait sortir la personne qui a applaudi.
M. Demeur. - Quant à moi, puisqu'il résulte clairement de la réponse de M. le ministre des travaux publics qu'une faveur a été accordée à ce personnage, je considère comme un devoir d'exprimer en mon nom personnel le sentiment de réprobation que m'inspire, dans cette circonstance, la conduite du gouvernement.
- Des membres. - L'ordre du jour ?
M. le président. - Il n'est pas besoin d'ordre du jour, puisque personne ne demande la parole.
M. De Lehaye. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur la demande de crédits provisoires pour les départements des travaux publics et de l'intérieur.
La section centrale, à l'unanimité, propose l'adoption du projet.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport et en met l'objet à l'ordre du jour de demain.
La discussion continue sur le chapitre XVI : Enseignement moyen.
(page 859) M. Frère-Orban. - Messieurs, les principes qui ont dirigé l'administration précédente et plusieurs de ses actes ont été discutés, attaqués, incriminés par l'honorable ministre de l'intérieur. Il me fait ainsi un devoir d'intervenir dans ce débat. Je n'ai ni désiré, ni recherché l'occasion de prendre part à la discussion ; je n'étais pas inscrit pour parler et je remercie l'honorable M. Elias d'avoir bien voulu, en cette circonstance, me céder son tour de parole.
Le cabinet que nous avons devant nous a annoncé qu'il arrivait pour ouvrir une ère de pacification, de concorde et de conciliation. Il voulait bannir de nos discussions ce qu'il nommait des questions stériles, des questions qui sont qualifiées de questions religieuses, fort improprement, selon moi, et qui paraissaient surtout déplaire à une partie de l'assemblée. Est-il fidèle à ce programme ? Ne cherche-t-il pas, au contraire, avec une sorte d'empressement toutes les occasions d'agiter ces mêmes questions, de les mettre en relief, et n'accuse-t-il pas davantage, chaque jour, la différence qui doit caractériser la politique actuelle et la politique ancienne ?
C'est que l'on ne peut échapper à la logique de la situation. De vaines paroles ne peuvent servir à cacher les faits. On essaye inutilement de dissimuler les véritables desseins que l'on a mission d'accomplir ; ils se révèlent dans les actes, et les plus incrédules voient bientôt qu'au lieu de paix et de conciliation, tout se résume en une réaction violente contre la politique qui a été pratiquée jusqu'à ce jour.
Aujourd'hui, c'est en matière d'enseignement que nous avons à constater l'esprit nouveau qui se manifeste. Nous ne tarderons pas à le voir éclater ailleurs dans les autres parties de l'administration.
Cependant, l'honorable ministre de l'intérieur voudrait bien essayer de faire accroire qu'il est protégé dans son œuvre par les traditions administratives et les opinions de ses prédécesseurs. Il a oublié déjà qu'il y a peu de jours à peine, il menaçait les classes préparatoires des écoles moyennes que ses prédécesseurs ont fondées et qu'il repoussait des subsides pour continuer à développer les écoles moyennes communales en refusant de s'engager à tenir la promesse de modifier la loi pour étendre, en cette matière, l'enseignement de l'Etat. Il croit mieux réussir à propos de l'enseignement des filles. Il se livre avec une ardeur extraordinaire à toutes sortes d'investigations. II fouille tous les dossiers administratifs pour essayer d'y trouver quelque chose qui soit de nature à incriminer les actes de nos amis qui ont occupé successivement le poste de ministre de l'intérieur. Il se fait un malin plaisir de produire des notes, des opinions de fonctionnaires et de nous les opposer, croyant que l'attitude, que nous avons aujourd'hui se trouve en opposition avec les opinions qui ont été exprimées autrefois.
L'honorable ministre se complaît dans ces exercices. Faire comparaître les fonctionnaires dans cette Chambre, discuter leurs opinions el leurs actes, cola paraît tout à fait du goût de M. le ministre de l'intérieur.
Mais il m'est revenu que l'honorable ministre redoutant, pour le cas où le portefeuille de l'intérieur viendrait à lui échapper, redoutant de laisser dans les dossiers des traces quelconques des opinions administratives qui auraient été émises et qui seraient en contradiction avec la politique qu'il entend imprimer à son administration, a pris une mesure des plus extraordinaire ; il a intimé, si mes renseignements sont exacts, il a intimé aux fonctionnaires de son administration la défense de laisser dans les dossiers une trace quelconque des opinions qu'ils pourraient avoir à exprimer.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Cela est inexact.
M. Frère-Orban. - M. le ministre paraît contester ce fait. Nous entendrons ses explications ; mais, pour qu'elles puissent être complètes, je vais donner tous les détails qui m'ont été rapportés.
Avant tout, afin d'éviter des soupçons qui ne seraient point fondés, je déclare sur l'honneur que je ne tiens ces renseignements d'aucun fonctionnaire du département de l'intérieur ; que je n'ai avec ces fonctionnaires aucune espèce de relations ; que je ne les connais pas, ce qui paraîtra peut-être extraordinaire à ceux qui ignorent mes habitudes et qu'il n'y a peut-être pas trois fonctionnaires du département de l'intérieur avec lesquels je me sois trouvé autrefois, par ma position, en relations pour les affaires de l'Etat.
Mais un bruit public m'a été rapporté ; il m'a été confirmé dans des circonstances qui lui ont imprimé un caractère tel, qu'il est de mon devoir de le communiquer à l'assemblée pour provoquer les explications le M. le ministre de l'intérieur.
Un ordre de service, émanant de M. le ministre de l'intérieur, aurait enjoint aux fonctionnaires de ne laisser aucune trace de leurs opinions ou de leurs avis dans les dossiers.
Cet ordre de service a été communiqué à chacun des fonctionnaires, qui l'a lu, qui l'a visé, et l'ordre a été retiré. (Interruption.)
Je considérerais cet acte comme étant de la plus haute gravité. C'est la suppression même de l'administration. C'est une atteinte portée à la considération, à l'honneur, à la responsabilité des fonctionnaires publics.
Si cet acte n'existe point, on nous le dira ; M. le ministre de l'intérieur s'en expliquera ; mais si la mesure que je signale a été prise, nous aurons à l'apprécier ultérieurement. Il est incontestable que si les fonctionnaires sont tenus de donner en conscience leur opinion au ministre qui les consulte, ils doivent avoir la garantie que les opinions qu'ils auront exprimées seront aussi leur sauvegarde el qu'on ne pourra leur imputer d'avoir fait acte de complaisance, d'avoir forfait à leurs devoirs, d'avoir sacrifié les principes ou les personnes à des exigences qu'ils réprouvaient, d'avoir trahi le mandat qui leur est confié, tandis qu'ils se seront conduits, au contraire, en bons, loyaux et honnêtes fonctionnaires de l'Etat.
L'honorable ministre de l'intérieur ne doit pas plus redouter que nous ne le redoutons nous-mêmes, de pouvoir être jugés par les documents administratifs. Une politique sincère et droite n'a pas de telles appréhensions.
Les fonctionnaires expriment leur sentiment, leurs idées, leurs vues ; le ministre statue sous sa responsabilité. Et, pour ce qui nous regarde, quand on invoquera l'avis de l'administration que nous n'aurons pas suivi, nous n'éprouverons jamais la moindre peine ni le moindre embarras à justifier nos résolutions.
Celte fois, l'honorable ministre de l'intérieur a cru trouver, dans les dossiers qu'il oppose à ses prédécesseurs, la preuve qu'ils sont aujourd'hui en contradiction avec leurs précédents en appuyant une proposition qui a pour objet de permettre à l'Etat de subsidier l'enseignement moyen des filles organisé par les communes.
Je ferai d'abord remarquer que la proposition est due à la propre initiative du cabinet précédent, ce qui écarte toute idée de contradiction. Mais l'honorable ministre a trois raisons principales pour la repousser.
D'abord, elle serait contraire, selon lui, à tous les précédents administratifs. L'enseignement moyen des filles tombe, selon lui, sous l'application de la loi de 1842. En second lieu, s'il ne tombe pas sous l'application de cette loi, il n'est réglé par aucune loi et l'article 17 de la Constitution serait en ce cas un obstacle insurmontable à ce que des établissements d'enseignement moyen pour les filles soient aujourd'hui subsidiés par l'Etat.
Enfin, et c'est la troisième raison de M. le ministre de l'intérieur, si ces établissements pouvaient être subsidiés dans de pareilles conditions, le gouvernement s'y opposerait de toutes ses forces, parce que des établissements de ce genre, dépourvus de l'élément religieux, seraient, à son avis, mauvais et dangereux.
M. le ministre de l'intérieur s'est donné beaucoup de mal et fort inutilement, pendant toute une séance de la Chambre, pour établir, par une longue série de citations, cette proposition qui, dans les termes où je vais l'énoncer, paraîtra tout simplement une vérité triviale : l'enseignement primaire est l'enseignement primaire.
Il n'a pas été dit autre chose dans tous les documents qui ont été invoqués par M. le ministre de l'intérieur.
L'enseignement primaire peut être plus ou moins étendu. Elémentaire, il a son programme restreint dans l'article 6 de fa loi de 1842 ; supérieur, (page 860) il a sa raison d'être en vertu de l'article 34 de la même loi. L'article 6 n'indique qu'un minimum de connaissances ; il n’est pas interdit d'aller au delà, sans sortir des bornes rationnelles de l'enseignement primaire.
Les écoles établies par les communes dans les conditions ainsi déterminées par la loi tombent sous l'application de la loi de I1842/
C’est ce que personne d'entre nous ne conteste.
Mais il y a autre chose que cet enseignement primaire supérieur ; il y a autre chose que l'enseignement primaire à programme développé, pour employer une expression dont on s’est servi ; il y a ce qu'en langage législatif tout aussi bien qu'en langage ordinaire on a appelé l'enseignement moyen ; or, l'enseignement moyen des filles n’est pas réglé par la loi de 1850 ; nous le reconnaissons tous ; il est donc dans le domaine des communes comme l'enseignement est resté dans le domaine des communes aussi longtemps qu'il n'a pas été réglé par la loi. Il est au pouvoir du législateur de mettre des limites à ce droit. Il en a usé en organisant par la loi l'enseignement supérieur, l'enseignement moyen des garçons, l'enseignement primaire ; il a usé de ce droit en ce qui concerne les différentes catégories d'enseignement applicable aux hommes ; il en a usé en ce qui concerne l'enseignement primaire des filles ; cela est incontestable; bien que la loi de 1842 n'eût pas spécialement parlé de l'enseignement primaire des filles, il a été unanimement reconnu, dans la discussion et dans l'exécution, que cette loi y était applicable.
Mais, quant à l'enseignement moyen des filles, il n'existe aucune disposition légale qui enchaîne l'action des communes. Les communes peuvent donc l'organiser et si elles ont ce droit, par cela seul que cela ne leur est pas interdit en vertu du principe constitutionnel qui leur permet de régler tout ce qui est d'intérêt communal, les Chambres peuvent aussi subsidier un enseignement ainsi établi, sauf au gouvernement à mettre telles conditions qu'il trouve légitimes à l'octroi des subsides. C’est ce qui a été fait par une série d'actes, sous toutes les administrations, pour divers genres d'enseignement créés par les communes.
Avant l'avènement des libéraux en 1847, avant la loi de 1850, est-ce qu'il n'existait pas d'établissements d'enseignement moyen, même pour les garçons, organisés par les communes et subsidiés par l'Etat ?
Je ne parle pas des collèges ; je parle de l'enseignement professionnel. Nos honorables prédécesseurs, notamment M. de Theux, avaient organisé ou subsidié des écoles industrielles ou commerciales, bien qu'il n'y eût pas de loi qui réglât cette matière et sur ce point, contre la thèse de M. le ministre de l'intérieur, c’est un texte même que nous avons à lui opposer. Que porte, en effet, la loi de 1850 ? Elle porte, en termes exprès, que les écoles commerciales et industrielles qui existaient au moment où cette loi a été faite seraient placées sous le régime de la loi sur l'enseignement moyen. Et l’honorable ministre de l'intérieur, à qui cette disposition paraît avoir échappé, est condamné aujourd'hui à soutenir, pour essayer de justifier sa thèse que les écoles industrielles ne sont pas des écoles d'enseignement moyen, ne sont pas même des écoles> et qu’il faut les envisager comme des encouragements donnés à l'agriculture, à l'industrie ou au commerce ! Cela est-il vraiment sérieux ? On y enseigne les mathématiques, les éléments d'algèbre, la physique, la chimie, la mécanique, l'hygiène, etc., et ce ne sont pas des écoles ! Et l'on oublie que l'on a réclamé longtemps l'augmentation, par une loi, des écoles d'agriculture fondées par l'Etat ; on l'a fait en invoquant l'article 17 de la Constitution et il a été déféré à ce vœu. Et ce ne sont pas des écoles !
Mais l'honorable ministre de l'intérieur a trouvé un argument assez étrange pour montrer qu'il ne s'agit pas d'enseignement à proprement parler dans les écoles industrielles ou commerciales et même dans les écoles d'agriculture.
C’est que ces établissements sont dans les attributions des services administratifs de l'agriculture et de l'industrie ; ils ne font pas partie, à proprement parler, de la direction de l'enseignement. Voilà bien la preuve que c’est un encouragement que l'on donne à l'agriculture, au commerce, à l'industrie.
Mais l'honorable membre n'a pas pensé à une chose : c’est qu'il y a deux branches de l'instruction supérieure qui sont dans les attributions de son collègue des travaux publics : l'école des arts et manufactures et des mines annexée à l'université de Liège et l'école du génie civil annexée à l'université de Gand assortissent au département des travaux publics.
D'où la conclusion - que nous donnera, sans doute, M. le ministre de l'intérieur, - que les crédits destinés à ces institutions ne constituent que des encouragements donnés à l'industrie, au commerce, aux mines.
Il n’est pas nécessaire assurément d'insister sur de pareils arguments, et je puis dire qu'il ne reste rien des objections présentées à ce point de vue par M. le ministre de l'intérieur.
Ce n’est pas sérieusement que l'on peut invoquer l'article 17 de la Constitution pour soutenir que l'on ne peut subsidier l'enseignement moyen des filles qui serait organisé par les communes. Nous avons établi, en effet, que des écoles moyennes pour garçons, des écoles industrielles et commerciales, établies dans les mêmes conditions, ont été subsidiées avant toute loi organique de ces enseignements.
Il en a été de même de l'enseignement primaire avant qu'il fût organisé par la loi.
A cela l'honorable ministre a fait une réponse dont personne ne s'était avisé avant lui. Le décret du gouvernement provisoire du 12 octobre 1830, qui proclame la liberté de l'enseignement, décide que les universités, les collèges, les encouragements donnés à l’enseignement élémentaire sont maintenus jusqu'à ce que le Congrès national ait statué sur la matière. Et l'on infère de cette disposition que des subsides ont pu être alloués à des écoles quelles qu'elles fussent, en l'absence de toute loi organique. Mais le gouvernement provisoire, investi des pouvoirs souverains, a déclaré lui-même qu'il ne statuait que jusqu'à ce que le Congrès national se fût prononcé sur cette matière. Or, il l'a fait en déclarant que l'enseignement donné aux frais de l'Etat serait réglé par la loi. Si l'objection de M. le ministre de l'intérieur était fondée, il faudrait donc dire que tout ce qui s’est fait, à partir de 1831, en l'absence d'une loi organique était irrégulier et inconstitutionnel.
Le décret même, en lui donnant le sens que lui attribue M. le ministre, ne saurait couvrir ce qui s’est fait pour les écoles moyennes de garçons, autres que les collèges, pour les écoles professionnelles, les écoles d'industrie et de commerce qui n'existaient point alors et dont le décret ne parle point, ou bien s'il faut les comprendre sous les termes généraux d'encouragements donnés à l'enseignement élémentaire, on serait amené à dire qu'en l'absence d'une loi organique, l'enseignement moyen des filles peut être subsidié, comme l'a été l'enseignement moyen des garçons jusqu'en 1850, en vertu du décret du 12 octobre 1830. Mais il n'en est rien : le vrai principe, en cette matière, c’est qu'à défaut de loi, il est dans le pouvoir de la commune d'établir un pareil enseignement et que rien ne s'oppose, en ce cas, à ce qu'il soit subsidié par le trésor public.
Soyons vrais, soyons francs : il n'y a dans tout cela que de vains prétextes. La raison véritable, c’est que l'on ne veut pas développer l'enseignement des filles.
L'enseignement sera mauvais, nous dit M. le ministre de l'intérieur ; on n'a d'autre but en agissant comme on projette de le faire que de le soustraire au principe salutaire de la loi de 1842. C’est pour ravir la femme à l'enseignement religieux qu'on veut créer pour elle des établissements d'enseignement moyen.
En vain a-t-on fait observer, comme le porte la note accompagnant la proposition de mes honorables amis, anciens ministres de l'intérieur, que les subsides ne seraient accordés que sous certaines conditions déterminées dans cette note et qui étaient reprises des principes de la loi de 1850; en vain a-t-on répété que l'enseignement religieux y serait donné conformément à l'article 8 de cette loi ; rien n'y fait.
M. le ministre de l'intérieur ne veut pas d'un pareil enseignement. Les femmes en savent assez lorsqu'elles ont un enseignement primaire supérieur. L'enseignement primaire à programme développé, c’est assez pour la femme !
Nous nous permettons, quant à nous, d'accord en cela avec le sentiment des Anglais, des Américains, des Allemands, quoi qu'en ait dit M. le ministre de l'intérieur, avec le sentiment des hommes distingués qui, en France, ont essayé de faire sortir l'enseignement des filles des lignes étroites du couvent, nous nous permettons de penser qu'il y a autre chose à faire pour la femme ; que leur instruction peut être plus développée qu'elle ne l’est aujourd'hui pour le plus grand nombre.
Je m'étonne que M. le ministre de l'intérieur ait parlé si légèrement de l'enseignement à donner à la femme ; je m'étonne qu'un homme qui s'honore d'être un historien, qui s'honore de son titre de correspondant de l'Institut de France, puisse s'exprimer avec un pareil dédain sur ce qu'on peut faire pour les femmes.
A-t-il oublié qu'au XIVème et au XVème siècles, pour ne point parler de ce qui s’est produit ultérieurement et depuis la réforme, parce que vous pourriez y trouver les traces des principes pervers qui avaient alors prévalu ; a-t-il oublié qu'à ces différentes époques on a vu des femmes occuper des chaires, même dans des universités, avec la plus haute distinction ?
Est-ce que nous serions réduits à ne pouvoir donner aux femmes de nos jours une instruction que l'on reconnaissait possible pour elles au moyen âge?
Mais, toutefois, que l'on se rassure ; nous sommes fort modestes dans (page 861) nos désirs. Nous ne demandons pas, assurément, qu'on fasse des femmes et des filles de beaux esprits, des bas-bleus, des précieuses plus ou moins ridicules, ou même des femmes savantes ; nous demandons qu'on en fasse des femmes instruites, aptes à comprendre ce qui se passe de nos jours dans le monde ; qui soient en communauté d'idées avec leurs maris, qui les comprennent et les soutiennent, qui fortifient, par cela même, le lien de la famille et lui donnent une puissance qui contribue au bien de la société tout entière. Voilà ce que nous voulons ; voilà ce qui n'existe pas suffisamment aujourd'hui.
Messieurs, quand nous invoquons l'instruction développée qu'on donne aux femmes dans d'autres pays et particulièrement aux Etats-Unis, où même on leur ouvre les carrières libérales, où l'on ne craint pas de leur apprendre les éléments du grec et du latin, l'honorable ministre de l'intérieur a une réponse péremptoire à cet argument; il a lu ce qui a été écrit sur cette matière, et d'un seul mot il condamne tout un système. Une jeune fille est interrogée par un inspecteur envoyé en mission aux Etats-Unis; il lui demande : « Qu'eussiez-vous fait si vous aviez été appelée à juger Charles Ier ? - Je l'aurais condamné à mort, dit-elle, parce qu'il avait violé les lois de son pays. » Vertu républicaine ! s'écrie M. le ministre ! Une jeune fille de dix-sept ans !... Quelle perversité ! quelle cruauté !
Je n'ai pas vérifié le fait cité par M. le ministre de l'intérieur. Il y aurait peut-être lieu à quelque commentaire. Mais est-ce ainsi que l'on juge un système d'éducation ? Et puis si vous aviez interrogé les jeunes filles d'ici, probablement la plupart vous auraient répondu : « Je ne sais qui était Charles Ier, » ou tout au moins : « Je ne sais ce dont il fut accusé. » (Interruption.)
Vous vous récriez ; mais puisque l'enseignement primaire supérieur suffit aux filles, est-ce qu'on apprend l'histoire générale d'une manière approfondie dans l'enseignement primaire, même supérieur?
M. Brasseur. - Il fallait alors organiser un autre enseignement plus tôt.
M. Frère-Orban.- C'est autre chose.
M. Pirmez. - Nous verrons si vous voterez le crédit.
M. Frère-Orban. - Il y a à tout cela de grandes difficultés. Il faut que les besoins soient constatés et que les esprits soient préparés à de pareilles mesures. C'est aux communes à prendre l'initiative. Mais on ne peut tout faire en même temps. En fait d'enseignement surtout, on ne peut rien improviser, Nous avons fait tout ce qui était possible; nous poursuivions résolument notre œuvre ; il restait sans doute beaucoup à faire ; mais ce n'est pas précisément une raison de repousser ce que nous proposions.
L'honorable ministre de l'intérieur, au lieu de se rendre dans ces écoles de pestilence des Etats-Unis, aurait pu entrer dans un couvent ; il aurait interrogé quelques jeunes filles, il leur aurait demandé de lui dire l'histoire de Judith ; il leur aurait demandé : A la place de Judith, qu'auriez-vous fait? Et la jeune fille aurait été condamnée à lui répondre qu'elle aurait fait comme Judith et qu'elle aurait tranché la tête d'Holopherne. (Interruption.)
Et continuant à juger de la même manière, M. le ministre de l'intérieur monterait à cette tribune pour déclarer que l'enseignement des couvents est détestable ; que si l'on n'y inspire pas ce qu'il nomme des vertus républicaines, on y inspire d'autres vertus qui ne valent pas mieux.
Le prétexte est donc celui-ci : L'enseignement religieux ne se trouvera point dans l'école qu'on propose d'organiser. Chaque fois que l'honorable ministre de l'intérieur prononce ce mot d'enseignement religieux, chaque fois que sur nos bancs une opinion qui paraît en contradiction avec la sienne s'élève, il en prend acte : il a affaire à des gens immoraux et irréligieux ; il a mis la main sur des athées.
Messieurs, je sais que M. le ministre de l'intérieur et ceux qui le suivent ont la modestie de prétendre au monopole de la morale et de la religion.
Je le sais. La morale et la religion consistent à mettre en toutes choses avant tout la question prétendument religieuse. On ne peut assez christianiser. Quand, parfois, on n'a pas pu christianiser quelqu'un ou quelque chose, on considère qu'on a perdu sa journée. On peut, cependant, grâce aux indulgences, se montrer accommodant sur les principes les plus sacrés.
On peut, par exemple, nier la divinité du Christ et, pourvu qu'on veuille servir la bonne cause, obtenir immédiatement le concours de tous ces gens moraux et religieux par excellence, les seuls moraux et religieux ; on obtient même le concours de tout le clergé ; dans ce cas, les curés consentent à sortir de chez eux pour aller, de maison en maison, solliciter des suffrages en faveur de ces nouveaux défenseurs de la religion. On peut encore, si l'on a été condamné pour avoir provoqué, par des discours et par quelque autre acte, l'incendie des meules des libéraux, on peut encore être porté en triomphe par les hommes moraux et religieux dont nous parlons.
M. Dumortier. - Parlez donc clairement.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - C'est l'histoire de Saint-Genois !
M. Frère-Orban. - Evidemment! L'honorable M. Kervyn le dit très bien. Et l'on trouve alors, au moment où l'on sort de prison, quelque sénateur bien pensant qui offre sa voiture pour conduire triomphalement celui que la justice vient de condamner.
Eh bien, je vous dirai tout net que cette morale et cette religion-là, nous ne les pratiquons pas. Celte morale et cette religion, nous les repoussons et nous les flétrissons.
M. Dumortier. - Et vous commencez par les inventer. Elle reviendra, l'affaire de Saint-Genois, soyez tranquille.
M. Frère-Orban. - Eh bien, nous attendrons que vous ayez fait casser les jugements qui ont été prononcés.
Messieurs, nous sommes d'avis, en ce qui concerne les écoles, que l'enseignement doit y être moral et religieux. Ce principe, nous l'avons toujours soutenu, nous l’avons défendu, nous l'avons pratiqué. Mais nous soutenons que cet enseignement peut être moral et religieux en l'absence d'enseignement dogmatique dans l'école.
Nous soutenons que l'on peut parfaitement donner, soit à l'église, soit même dans l'école, mais par tous les ministres des cultes et selon les diverses croyances, l'enseignement dogmatique ; mais que l'enseignement littéraire doit être purement séculier, que l'enseignement littéraire doit être entièrement dégagé de l'esprit confessionnel.
Ni la morale ni le sentiment religieux ne sont le monopole d'aucune église. Les trois filles de la Bible : la religion juive, la religion catholique, la religion protestante, comme d'ailleurs toutes les religions dignes de ce nom, ont absolument et identiquement la même morale.
La raison comprend parfaitement que l'enseignement, d'ailleurs moral et religieux, fasse abstraction de dogmes particuliers, et je vais plus loin ; je dis que vous l'avez ainsi décidé. La loi de 1842 le décide formellement.
Que dit, en effet, la loi de 1842? Qu'on enseigne à l'école la morale et la religion, que la religion de la majorité est enseignée dans l'école, et que, la minorité - je ne discute pas ce principe - et que la minorité est dispensée d'assister à cet enseignement, à l'enseignement dogmatique, à l’enseignement confessionnel.
D'où il suit nécessairement, forcément, inévitablement, que dès qu'il y a des dissidents dans l'école, l'enseignement y est exclusivement séculier et ne peut y être qu'exclusivement séculier. Il serait, sans cela, porté atteinte à la loi de 1842 ; il y aurait violation du principe de la liberté de conscience consacré par la Constitution.
Ainsi donc trêve à toutes ces mauvaises insinuations qui ne doivent pas avoir de place dans nos discussions, qui en disparaîtront à mesure que nous éluciderons davantage cette question : l'enseignement moral et religieux dans les écoles du peuplé, abstraction faite de l'enseignement dogmatique, lequel sera donné à l'église ou, si on le veut même, à l'école, à des heures différentes, selon les confessions différentes et par les ministres des différents cultes. C'est là le principe qui est inattaquable, et que vous ne sauriez incriminer.
L'exclusion de l'enseignement dogmatique dans l'école est justifiée par les autorités les plus imposantes et elle est consacrée par une longue et salutaire expérience.
Trois des peuples signalés comme les plus religieux entre tous,- le peuple américain, le peuple irlandais, le peuple hollandais - sont régis depuis un temps très long par les principes que nous préconisons.
Aux Etats-Unis, il n'y a point d'enseignement dogmatique dans l'école et, de l'aveu de tous ceux qui ont écrit sur les Etats-Unis, de tous ceux qui ont visité ce pays, il n'en est point où le mouvement religieux soit plus considérable.
Il y a des écoles religieuses, écoles qui se trouvent à côté de l'église ; là s'enseigne le dogme.
Le maître qui enseigne les lettres humaines se garde bien de toucher à un dogme quelconque. Il inspire aux enfants des sentiments moraux et religieux et les engage à suivre la confession de leurs parents.
En Irlande, où l'immense majorité est catholique, la loi repose sur ce principe, et il a été sanctionné par le pape. Voici ce que le pape (page 862) Grégoire XVI, sur l’avis de la congrégation de la propagande, a proclama en 1841.
« Il résulte, disait-il, d'une expérience de dix années que la religion catholique ne paraissait pas avoir souffert de l'application de ce système. »
II autorisa, en conséquence, le clergé et les fidèles à s'y associer, tout en désirant obtenir du pouvoir « un ordre de choses meilleur et des conditions plus favorables. »
Contrairement à tout ce que vous défendez, à tout ce que vous soutenez, le pape fut d'avis qu'on ne devait rien dire qui fût relatif au dogme, dans ces écoles.
« Il est beaucoup plus sûr, disait-il, de faire enseigner simplement les lettres humaines dans les écoles mixtes, que d'y faire donner en même temps, d'une manière restreinte, ce qu'on appelle les principes fondamentaux et communs de la religion chrétienne. »
- Un membre. - Dans les écoles mixtes.
M. Frère-Orban. - C'est ce qu'on appelle les écoles mixtes. Ce sont les écoles ou l'on ne donne pas d'enseignement dogmatique, et il n'y en a pas d'autres en Irlande.
Je reconnais que le principe de l'école mixte a été condamné par un autre pape, également infaillible.
Mais ces écoles ont néanmoins été maintenues et sont les seules qui subsistent.
Voici, par exemple, puisque vous m'y conviez, ce qu'une reine athée, la reine d'Angleterre... - Plusieurs membres à droite. - Oh !
M. Schollaert. - On ne peut pas dire que la reine d'Angleterre soit athée.
M. Frère-Orban. - Je pensais que vous aviez compris mon ironie. Je faisais allusion à l'honorable ministre de l'intérieur, qui paraît toujours croire que l'on est athée du moment que l'on ne partage pas les idées religieuses qu'il défend.
En ouvrant le parlement, il n'y a pas bien longtemps, lorsque les écoles d’arts lesquelles on n'enseigne pas un dogme particulier étaient attaquées et que son gouvernement les voulait maintenir, voici ce que disait la reine d'Angleterre :
« Je reconnais pleinement qu'il convient d'étendre aussi largement que possible les bienfaits de l'éducation en Irlande, et vos vœux et vos recommandations recevront toujours l'attention qu'ils méritent. J'ai la plus grande satisfaction d'apprendre que l'expérience a démontré que le système actuel d'éducation nationale en Irlande a puissamment contribué à cet important objet.
« C'est mon bien vif désir de voir ce système maintenu et fortifié par une stricte adhésion à ces règles qui, en excluant toute éducation religieuse obligatoire, ont jusqu'ici garanti l'autorité paternelle, les droits de la conscience et la liberté religieuse de toutes lés classes et dénominations de chrétiens. »
Eh bien, messieurs, lorsque, en pareille compagnie, avec de pareils exemples, on soutient, dans un pays qui a proclamé la liberté des cultes, le principe que l'école peut et doit être sécularisée, que l'enseignement dogmatique doit être séparé de l'enseignement littéraire, afin de donner dans l'école une placé égale aux croyances des divers cultes, j'estime que l'on a une grande force et que l'on ne doit pas désespérer de faire prévaloir une opinion qui repose sur le respect du sentiment religieux et du droit du père de famille.
Je sais, messieurs, qu'au temps où nous vivons on agite beaucoup cette question de l'enseignement religieux.
Au fond, ce n'est pas autre chose pour le clergé qu'une question de prépondérance, de domination. (Interruption à droite.)
M. Bouvier. - C'est exact!
M. Dumortier. - Parlez donc pour les libéraux. Ce sera vrai alors.
M. Frère-Orban/ - En voulez-vous une preuve?
Que voyons-nous dans l'enseignement primaire ?
L'obligation d'apprendre le catéchisme pour faire la première communion. Cela fait, tout est dit, on est religieux, on n'en parle plus. Je demande où est, ultérieurement, l’enseignement du clergé ? Je demande s'il y a autre chose que l'église et le prône.
M. Delcour. — Vous n'en avez pas voulu dans vos écoles d'adultes.
M. Frère-Orban. - Nous avons soutenu, pour les écoles d'adultes, les principes que je viens d'exposer. Je parle de l'enseignement religieux en dehors des écoles. Le clergé ne l'organise pas, il n'en reconnaît pas la nécessité.
M. Cornesse, ministre de la justice. - De quoi vous plaignez-vous?
M. Frère-Orban. - Il me semble que nous devons traiter ces questions sérieusement. Je ne me plains pas de ce qu'il y ait trop de mouvement religieux réel dans le pays.
Je constate qu'il n'y en a pas.
Vous avez d'un côté l'indifférence, l'habitude, la pratique à suivre ; vous avez d'autre part la masse du peuple qu'on maintient dans un état de fanatisme et d'ignorance complète.
- Voix à droite. - Oh ! oh !
M. Bouvier. - On ne peut pas contester cela. (Interruption.)
M. Frère-Orban. - Voyez ce qui se passe en Hollande, voyez ce qui se passe en Angleterre, voyez ce qui se passe aux Etats-Unis et dites-moi si votre mouvement religieux est comparable à celui qui se produit dans ces pays. Vous croyez avoir fait un mouvement religieux, lorsque vous avez organisé des pèlerinages et fait boire de l'eau de Lourdes ou de l'eau de la Salette. Vous n'avez rien fait ; vous avez fait du paganisme et rien de plus. (Interruption.)
M. d'Andrimont. - De la boutique !
M. Frère-Orban. - Quant à moi, je voudrais voir les diverses classes de la société s'occuper de l'idée religieuse. Mais elles ne s'en occupent pas.
M. Dumortier. - C'est vous qui ne vous en occupez pas !
M. Frère-Orban. - Je vous dis dés choses graves et sérieuses, monsieur Dumortier.
Vous vous imaginée que tout est pour le mieux, parce que sous le coup des bouleversements qui ont ébranlé l'Europe depuis le commencement de ce siècle, sous la menace incessante de révolutions profondes et de crises sociales, vous voyez la foule plus nombreuse accourir dans les églises. Vous me rappelez, sans que je veuille établir de comparaison entre les temps, vous me rappelez une lettre célèbre de Pline à Trajan.
Le mouvement chrétien se développait de plus en plus. On pressentait vaguement un grand changement dans le monde. L'inquiétude et la crainte gagnaient les âmes et Pline constatait avec satisfaction que les temples qui étaient autrefois déserts étaient de nouveau ardemment fréquentés, que les victimes qui ne trouvaient plus d'acheteurs étaient recherchées et que l'on ne cessait pas d'offrir des sacrifices aux dieux. Et l'on ne voyait pas que le paganisme expirait.
Eh bien, au temps où nous vivons , il y a peut-être, dans l'apparence extérieure du mouvement religieux que nous voyons, quelque chose d'analogue. Les églises, qui étaient autrefois désertes, aujourd'hui regorgent de monde ; on y vient en foule ; on veut offrir aussi beaucoup de sacrifices à tous les saints ; on fait beaucoup plus de pèlerinages qu'on n'en faisait autrefois. Mais s'aperçoit-on du travail qui se produit au sein des masses, s'enquiert-on de la situation qui semble réservée à l'Europe ? Non ; on est en sécurité ; on constate avec joie qu'il y a beaucoup de monde dans les temples !
Messieurs, je reviens à la question dont l'interruption de M. Dumortier m'avait écarté, je reviens à la question et je me dis que le clergé n'a pas lui-même reconnu la nécessité d'organiser l'enseignement religieux pour les adultes. Mais dès qu'on ouvre une école, il dit : Ceci est mon affaire ; la peste y sera si je n'y suis pas.
Le nombre des adultes qui sont dans vos écoles est un infiniment petit à l'égard de la masse; il y a 600,000 ou 700,000 adultes ; il n'y en a peut-être pas 100,000 dans les écoles.
Pour les 500,000 ou 600,000 qui ne vont pas à l'école, il y a l'église et le prône ; voilà tout. Et pourquoi ceux qui vont dans les écoles, qui sont dans une condition beaucoup meilleure, qui sont dans un milieu plus relevé, plus moral, plus religieux, qui sont moins soumis aux tentations et aux besoins, pourquoi ceux-là seraient-ils frappés de mort morale, en quelque sorte, si l'enseignement religieux dogmatique n'est pas donné dans l'école ?
Néanmoins nous avons consenti à ce qu'on donnât cet enseignement à l'école. Nous l'avons inscrit chaque fois dans la loi.
Lorsque nous avons fait la loi de 1850, nous avons dit : Les ministres des cultes seront invités à donner ou à surveiller l'enseignement religieux dans l'école. Et comment les ministres des cultes ont-ils répondu à l'invitation qui leur a été adressée? Nous ne pouvons entrer dans vos écoles, ont-ils dit, qu'à des conditions précises et bien déterminées.
(page 863) Messieurs, les apôtres qui allaient évangéliser ne posaient point des conditions aux peuples chez lesquels ils s'efforçaient de faire pénétrer la religion nouvelle. Ici, il en est autrement : pour donner l'enseignement religieux à nos enfants, il fait des conditions. Et quelles conditions ? Tout d'abord, celle d'avoir une part dans la nomination des professeurs et des maîtres des écoles et des collèges ! Voilà la condition fondamentale. Elle a été notifiée en ces termes par l'évêque de Liège en 1842.
Quand, en 1850, nous avons demandé le concours du clergé, il a renouvelé exactement la même prétention, sous une autre forme : l'homogénéité du personnel enseignant ! Il lui faut l'homogénéité du personnel enseignant. A cette seule condition, il pourra donner des leçons de dogme aux enfants catholiques.
C'est encore aujourd'hui la prétention du clergé; rien n'y a changé. Et si ce qui m'est revenu est exact, c'est encore un point sur lequel M. le ministre de l'intérieur voudra bien m'éclairer, dans une école moyenne où il y a cinq professeurs, trois des plus honorables, contre lesquels aucun reproche ne paraît pouvoir être articulé, trois sont mis à l'index par l'évêque dans le diocèse duquel se trouve cette école; et le clergé ne consent à y donner l'enseignement religieux qu'à Jl condition qu'on lui sacrifie ces trois professeurs.
Eh bien, j'appréhende que le gouvernement actuel ne sacrifie aux exigences de l'épiscopat. Pour obtenir l'enseignement religieux dans l'école, dont je parle, on arrivera à faire disparaître ces professeurs. Si je me trompe, M. le ministre le dira ; si je me trompe, les faits me donneront tort; nous verrons ultérieurement.
Eh bien, messieurs, nous n'avons pas voulu souscrire à cette condition. D'autres ont, depuis, cherché un moyen détourné pour donner quelque satisfaction au clergé : on a fait ce qu'on a nommé la convention d'Anvers. C'est un règlement, - que nous avons déclaré une lettre morte, qui n'a plus été appliqué par nous, - c'est un règlement qui donne une place de droit à un membre du clergé dans lé bureau administratif et qui, de plus, contient certaine disposition qui soumet les professeurs de l'établissement à la discipline ecclésiastique.
Croyez-vous, messieurs, que cela ait suffi ? Là où le clergé n'avait à redouter ni inconvénient, ni concurrence, il a dit qu'il prêterait son concours.
Là où l'on espérait tuer l'établissement rival, on a dit : « Vous n'aurez pas mon concours. »
A Bruges, à Ypres, on a vainement offert toutes les conditions ; on est allé vainement aussi loin que possible. M. l'évêque, dans son amour pour l'enseignement religieux des enfants, disait : « J'ai mon établissement ; je préfère celui-là au vôtre, et vous n'aurez pas d'enseignement religieux. »
M. Couvreur. - Affaire de boutique !
M. Frère-Orban. - De nos jours, le même système ne se reproduit-il point ?
M. le ministre de l'intérieur s'est donné beaucoup de peine pour établir que les écoles moyennes de filles étaient des écoles primaires supérieures tombant sous l'application de la loi de 1842 et que dès lors l'enseignement religieux y devait être donné conformément à cette loi.
Je dois apprendre à M. le ministre de l'intérieur, qui en sera peut-être fort étonné, que M. l'évêque de Bruges n'est pas de cet avis ; que. des établissements pareils ne sont pas des écoles qui tombent sous l'application de la loi de 1842 ; que ce sont des écoles moyennes, et que si l'enseignement religieux doit s'y donner, il ne peut s'y donner qu'aux conditions à débattre préalablement et vous savez ce que sont ces conditions.
La ville de Bruges a établi, en 1865, une école moyenne pour les filles. Elle a été créée dans l'esprit le plus sage, le plus moral, et je n'ai pas besoin d'ajouter le plus religieux.
Je me permets, pour votre édification, et pour que M. le ministre de l'intérieur soit bien convaincu qu'il ne s'agissait ni de femmes savantes, ni de pédantes, ni de précieuses ; je me permets, dis-je, de citer l'allocution prononcée par M. le bourgmestre de la ville de Bruges à l'ouverture de cette école :
« En venant, au nom de l'administration communale, installer la maison d'éducation qu'elle va remettre à vos soins, j'aime à vous exprimer toute la confiance qu'elle a mise en vous, à vous dire tout ce qu'elle espère de votre direction et de la coopération des dames institutrices qui vous prêteront leur assistance. Nous ne nous le dissimulons pas, mesdames, la mission qu'elle vous donne est grave et laborieuse ; car nous avons l'ambition de doter la ville de Bruges d'une institution modèle qui, à l'aide du temps, né nous laisse rien à envier ni dans le pays ni au dehors. Ce que vous entreprenez exige de longs et incessants efforts. Quelque bien que vous fassiez, il vous restera toujours à faire. Pénétrez-vous bien de l'idée, qui votre œuvre ne doit pas cesser d'être perfectible entre vos mains ; cet esprit d'amélioration fera la vie de votre enseignement.
« Sans rien exagérer et sans dépasser les limites dans lesquelles l'instruction des jeunes filles doit se renfermer, nous voulons qu'elles puisent dans l'enseignement de cette maison toutes les connaissances utiles et agréables qui conviennent aux femmes les mieux élevées de ces classes dé la société qui doivent l'exemple aux autres. Mais quelque prix que nous attachions au développement et à la culture de l'esprit, ce n'est là ni toute votre tâche, ni sa partie la plus élevée. Vous né vous contenterez pas de former et d'orner l'intelligence de vos élèves, vous ne vous bornerez pas non plus à leur donner l'élégance dès manières et la distinction extérieure ; c'est sur leur cœur, sur leur caractère que s'exercera votre action la plus féconde.
« Au fond de ces jeunes âmes vous irez chercher les meilleurs sentiments que le Créateur y a mis, et c'est en les développant avec un soin pieux, avec toute la sollicitude de la mère la plus attentive, que vous étoufferez dans leur germe toutes les dispositions mauvaises qui voudraient s'y faire jour. Faites, mesdames, qu'un jour dans le monde, vos élèves ne se distinguent pas seulement par les dehors de la femme bien élevée, mais qu'elles portent au fond d'elles-mêmes une plus forte empreinte de vos leçons. Faites qu'elles se distinguent par la bonté du cœur, par la douceur du caractère, par toutes les vertus aimables de leur sexe. Faites surtout qu'elles possèdent le plus précieux trésor que l’éducation puisse donner, le sentiment profond du devoir, la plus forte armure à l'aide de laquelle la femme, comme l'homme, traverse les épreuves de la vie.
« Vous atteindrez ce but par l'influence de voire propre exemple, par celle de vos propres sentiments faisant sans cesse un affectueux et confiant appel aux sentiments de vos élèves ; vous y parviendrez en vous inspirant des préceptes d'une religion toute d'amour et de charité. De chez vous ne doivent sortir ni dés femmes savantes, ni des femmes politiques, moins encore des femmes légères ou des esprits forts. Vous élèverez nos filles en vue de la famille, dont les vertus chrétiennes de l'épouse, de la mère, de la fille, de la sœur, font le charme et la pureté. Notre administration, en substituant dans l'éducation de vos élèves votre influence à une partie de celle de leurs mères, partage avec vous une responsabilité dont les sévères obligations lui sont connues. Ces obligations seront remplies. Les sentiments religieux que la mère a fait germer dans le cœur de son enfant formeront entre vos mains un dépôt sacré que vous ne vous bornerez pas à conserver intact, mais que vous vous appliquerez à enrichir et à féconder. Vos propres principes, vos antécédents, le respect que méritent ceux qui nous ont répondu de vous, nous en donnent la garantie la plus sûre. Vous comprenez l'importance d'un devoir que personne ne pourrait méconnaître ici sans tromper cette confiance des familles dont, dès ce jour, l'établissement nouveau reçoit un témoignage si honorable, sans trahir à la fois les intentions, les devoirs, l'honneur même de notre administration.
« Mesdames, nous savons combien est laborieuse et ardue la carrière que vous parcourez. Nos égards et notre estime ne manqueront pas à celles qui se dévouent à son noble but. Je vous promets le concours bienveillant et le plus sympathique appui de l'administration communale.
« En finissant, laissez-moi vous promettre un autre concours encore. Je ne crois pas prendre un engagement téméraire en me rendant garant de la bonne volonté et des efforts de toutes ces jeunes collaboratrices qui viennent travailler avec vous au perfectionnement dé leur esprit et de leur cœur. Leurs parents leur diront avec quelle sollicitude pour elles leurs guides ont été choisis. Elles vous connaîtront bientôt elles-mêmes. Dans la sainte atmosphère d'ordre, d'activité, de bienveillance affectueuse et de vertueux sentiments que vous ferez régner autour d'elles, leur cœur ne sera pas longtemps à répondre au vôtre. Elles comprendront ce que vous faites pour elles ; sachant que leurs fautes, quand il leur en échappe, vous attristent bien plus qu'elles ne vous irritent, elles ne voudront pas affliger celles qui leur portent tant d'affection. Oh oui ! je puis hardiment le promettre pour elles, vos chères élèves sauront vous respecter, vous obéir et vous aimer. »
Cette école ainsi fondée, l'administration communale s'adressa à M. l'évêque du diocèse; elle lui écrivit la lettre suivante :
« Monseigneur,
« Notre administration ayant résolu d'établir une école payante pour jeunes filles, nous avons l'honneur de porter à votre connaissance que l'ouverture de cette nouvelle institution communale aura lieu le 6 novembre et de vous prier de vouloir bien prendre les mesures nécessaires pour que l'enseignement de la religion et de la morale y soit donné en conformité de la loi du 23 septembre 1842.
(page 864) « En attendant qu'un local définitif puisse lui être assigné, l'école sera établie place Jean Van Eyck, section F2, n° 47.
« Nous avons, monseigneur, examiné la question de savoir si la loi de 1842 est bien applicable a l'établissement dont il s'agit et de cet examen est résultée, pour nous, la conviction qu'aucune incertitude ne peut subsister à cet égard.
« La loi de 1842 s'occupe de deux espèces d'écoles primaires : les écoles primaires ordinaires et les écoles primaires supérieures. Il a été entendu dans la discussion et il est admis dans la pratique que ses dispositions s'appliquent aux écoles des filles comme à celles des garçons.
a L'article 6 de la loi qui parle des matières d'enseignement de la première catégorie de ces écoles dit :
« L'instruction primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale, la lecture, l'écriture, le système légal des poids et mesures, les éléments du calcul et, suivant les besoins des localités, les éléments de la langue française, flamande ou allemande. »
« Quant, aux matières enseignées dans les écoles primaires supérieures, voici ce que porte l'article 54 :
« Outre les objets énoncés dans l'article 6, l'enseignement dans ces écoles comprend :
« 1° Les langues française et flamande et au lieu de celle-ci, la langue allemande dans la province de Luxembourg ;
« 2° L'arithmétique ;
« 3° Le dessin, principalement le dessin linéaire, l'arpentage et les autres applications de la géométrie pratique ;
« 4° Des notions de sciences naturelles applicables aux usages de la vie ;
« 5° La musique et la gymnastique ;
« 6° Les éléments de la géographie et de l'histoire, et surtout de l'histoire et de la géographie de la Belgique. »
« Observons, en passant, qu'il a toujours été entendu que ces programmes n'étaient pas rigoureusement limitatifs ; c'est ainsi que, dans beaucoup d'écoles communales ordinaires de garçons, on enseigne certaines matières qui ne figurent pas à l'article 6, telles, par exemple, que le dessin linéaire, la langue française ajoutée à la langue flamande, etc.
« L'école payante de Bruges, d'après les matières qui y seront enseignées, est une école primaire supérieure, telle que l'entend la loi de 1842. La seule question qu'il y ait à examiner est celle de savoir si les dispositions de la loi de 1842 qui la concernent sont encore en vigueur depuis la promulgation de la loi du 1er juin 1850 sur l'enseignement moyen.
« Cette dernière loi étend le programme des écoles primaires supérieures, elle leur donne le titre d'écoles moyennes et les transporte sous le régime de l'enseignement moyen : mais ce changement qu'elle a fait subir aux écoles primaires supérieures de garçons l'a-t-elle étendu aux écoles primaires supérieures de filles ? Ce qui en règle générale sépare l'enseignement moyen de l'enseignement primaire, c'est que le premier renferme de plus que le second ou les langues anciennes ou un enseignement développé des mathématiques comprenant les éléments de l'algèbre et de la géométrie. Quand les écoles primaires supérieures de garçons ont reçu le titre d'écoles moyennes, c'est que désormais on comprenait dans le programme de ces écoles renseignement de l'algèbre et de la géométrie. Mais les écoles primaires supérieures de filles dans lesquelles ne s'enseignent ni les langues mortes ni aucune autre, branche de mathématiques que l'arithmétique, sont restées avec leur programme sous l'empire de la loi de 1842. La nouvelle école de Bruges qui, outre l'écriture, la lecture et le calcul, ne comprend que l'enseignement des langues vivantes, des éléments d'histoire et de géographie et des notions de sciences applicables aux usages de la vie, ne peut assurément être regardée comme sortant du cadre des écoles primaires supérieures et comme devant être décoré en conséquence du même titre que celles où s'enseignent soit les langues anciennes, soit les diverses branches des mathématiques élémentaires.
« Si quelque doute pouvait encore s'élever à cet égard, il serait complètement dissipé par ce qui s'est passé dans la discussion même de la loi de 1850.
« Un honorable sénateur ayant interpellé d'une manière expresse M. le ministre de l'intérieur sur la question de savoir quel serait, après la promulgation de la loi nouvelle, le régime des écoles primaires supérieures de filles, le ministre lui a répondu :
« Ce n'est pas dans la loi de l'enseignement moyen qu'il faut cherche, ce qu'on enseigne aux jeunes filles, mais bien dans la loi d'enseignement primaire », et en finissant le ministre a ajouté encore : « Les écoles seules de garçons passent de la loi d'enseignement primaire dans la loi d'enseignement moyen, voilà tout le système. »
« Il serait impossible de résoudre la question d'une manière plus directe et en termes plus exprès. Après cette interprétation si formelle, donnée à la loi par ses auteurs dans la discussion même, il ne peut subsister de doute sur sa portée.
« Nous avons voulu savoir, monseigneur, si dans d'autres diocèses des objections avaient été faites par l'autorité ecclésiastique au sujet de l'application de la loi de 1842, aux écoles payantes de filles du genre de celle s'établit à Bruges. Nous ne connaissons pas toutes les écoles de ce genre que les autorités communales peuvent avoir fondées dans toute la Belgique; mais nous avons pris, à l'égard de toutes celles dont l'existence nous a été signalée, des informations concernant la manière dont le clergé, y avait envisagé la question. Voici les renseignements que nous avons recueillis :
« A Gand, il existe deux écoles payantes de filles, dont l'une au moins est une école primaire supérieure avec programme très développé. D'après les informations données sur les lieux par M. l'échevin qui a l'instruction publique dans ses attributions, il a suffi de signaler à l'autorité épiscopale l'ouverture de ces établissements pour que le concours du clergé lui ait été donné conformément à la loi de 1842.
« M. le bourgmestre de Liège, en réponse aux questions que nous lui avons posées, nous écrit que, dans les deux instituts de demoiselles qui existent à Liège, l'enseignement comprend, outre les matières ordinaires, la géographie, l'histoire de Belgique, l'allemand, le dessin, la musique, la couture, l'économie domestique, l'histoire générale, la tenue des livres, des notions de littérature française, des notions d'histoire naturelle et la mythologie grecque. La lettre ajoute : « A l'ouverture de ces deux établissements, en 1859 et en 1863, le clergé a été invité à y donner l'enseignement religieux et il a déféré à cette invitation sans soulever d'objection. »
« Dans un autre diocèse, à Wavre, d'après ce que nous écrit le bourgmestre de la ville, l'école primaire supérieure des filles est soumise au régime de la loi de 1842 et l'inspection ecclésiastique y a lieu sans que l'administration ait eu à entamer, de ce chef, aucune négociation avec l'autorité religieuse.
« A Ixelles, une école primaire supérieure de filles, adoptée par la commune et qui se trouve par conséquent dans une position analogue aux écoles communales, reçoit également, d'après les renseignements que nous avons reçus, le concours du clergé aux termes de la loi de 1842.
« M. le bourgmestre de Namur nous apprend que l'institution de demoiselles établie dans cette ville et où l'enseignement s'étend aux mêmes matières qu'à l'école des demoiselles de Bruxelles, est soumise au régime de la loi du 25 septembre |1842. L'inspecteur ecclésiastique y surveille l'enseignement religieux.
« Après ce qui précède, monseigneur, nous croyons pouvoir affirmer que le sens attaché par nous à la législation existante est, à la fois, celui qu'établit la discussion même de cette législation et celui que l'autorité ecclésiastique lui a reconnu dans les autres diocèses.
« La loi de 1842 a toujours été considérée comme réglant l'intervention du clergé dans l'enseignement primaire à sa complète satisfaction. Dans le cours de la discussion de cette loi, ses auteurs ont avancé plus d'une fois qu'en donnant à cette intervention une extension aussi large, ils n'entendaient pas étendre les mêmes principes aux autres degrés de l'enseignement. Lors donc qu'en fondant notre nouvelle école, nous n'hésitons pas à la placer sous ce régime et que nous nous efforçons ici d'en démontrer la légalité, nous croyons, monseigneur, que notre administration donne une preuve du désir qu'elle a de voir l'enseignement de la religion et de la morale, dans le nouvel établissement, se donner sous la surveillance et à la satisfaction de l'autorité ecclésiastique,
« Elle ose espérer, monseigneur, que ces intentions seront reconnues. Vous-même, nous en sommes persuadés, vous partagerez sa manière de voir en cette question, quand vous aurez eu le loisir de l'examiner avec maturité.
« L'autorité ecclésiastique qui, partout ailleurs, veut l'application de la loi de 1842 aux écoles primaires supérieures de filles, n'y sera pas, par une exception unique, contraire, dans notre diocèse où l'autorité civile la réclame.
« Recevez etc.
« Par ordonnance : Le secrétaire, (Signé) Thooris.
« Les bourgmestre et échevins, (Signé) J. Boyaval. »
(page 865) Le 11 novembre, l'évêque de Bruges écrivit pour réfuter de point en point la thèxe de l'administration communale. J'insérerai cette pièce dans les Annales parlementaires. [insérée à la même page et non reprise dans la présente version numérisée. ]
Ainsi, refus de reconnaître un établissement de ce genre comme étant une école primaire supérieure tombant sous l'application de la loi de 1842, mars, au contraire, opinion que c'est une école moyenne devant être réglée par la loi de 1850, qui ne s'applique pas aux établissements de filles, c'est unanimement reconnu, et que l'enseignement religieux à donner dans cette école doit faire l'objet d'une convention particulière, convention qu'on ne consent à faire que pour autant qu'elle s'applique aux autres établissements de la ville de Bruges.
L'administration communale répondit, le 19 janvier 1866. et réfuta tout au long les objections qui avaient été faites par l'évêque de Bruges. [insérée également à la même page et à la page suivante]
(page 866) L’administration communale citait un certain nombre d’établissements créés également par les communes dans des conditions que l’on croyait identiques et pour lesquels le concours du clergé avait été réclamé et avait été obtenu.
(page 867) M. l'évêque de Bruges parut fort surpris de cette objection et de droit et de fait, et il se réserva de s'en entretenir avec ses collègues. Or, le 15 février 1866, il déclara dans une lettre adressée à l'administration communale, lettre que je ferai également paraître dans les Annales parlementaires [insérée en note de bas de page et non reprise dans la présente version numérisée. ], que de l'avis de ses collègues, les autres écoles pour lesquelles le concours avait été obtenu n'étaient pas dans les mêmes conditions que l'école de Bruges.
Le concours fut ainsi refusé.
Je vous demande, messieurs, s'il est permis de croire à un grand zèle pour l'instruction religieuse à donner aux jeunes filles, quand vous voyez de pareils actes s'accomplir. C'est une administration communale demandant le concours du clergé dans les conditions déterminées parla loi, déclarant que cette école tombe sous l'application de la loi de 1842 ; et l'on cherche une foule d'objections pour établir que cette école ne tombe pas sous l'application de la loi de 1842, afin de refuser l'enseignement religieux.
Est-ce là un fait isolé ? Y a-t-il des raisons particulières ? Mais non, ce n'est pas un fait isolé. A Ypres, la même chose est arrivée pour l'école des filles. Refus de concours également ; l'école du couvent suffit ; voilà la véritable raison ; il n'en faut pas chercher d'autre.
A Liège, en dehors de l'administration communale, sous le régime de la liberté, des dames, des mères de famille et, j'ose le dire, l'élite et l'honneur de la cité, se réunissent pour fonder une école pour les jeunes filles, elles l'établissent dans les meilleures conditions ; mais elle est fondée sur le principe que l'école est accessible aux enfants de différents cultes.
On déclare que les ministres des cultes seront invités à donner l'enseignement religieux dogmatique aux enfants selon la confession à laquelle ils appartiennent. Je ne sais s'il y a des dissidents dans l'école. Mais le principe est maintenu. On réclame le concours du clergé, on réclame le concours de l'évêque. Refus de donner ce concours. Et sur quel motif se fonde-t-on?
« Je vous ai signalé, dans notre entretien et dans ma lettre, les conséquences funestes qu'entraîne l'exclusion de l'enseignement religieux : l'atmosphère de l'école cesse d'être religieuse, chose que condamnent les maîtres dans l'art d'élever le jeune âge, comme étant contraire aux conditions d'une bonne et solide éducation; chose que réprouve l'Eglise, comme contribuant avec une déplorable efficacité à l'affaiblissement de la foi et des sentiments catholiques, et par là même à la ruine des âmes. Vous croyez, mesdames, qu'au moyen d'une formule dont vous n'avez pas compris l'inanité, vous échapperez à la responsabilité qui pèsera de ce chef sur votre conscience; vous croyez qu'en exécutant un engagement inexécutable, vous empêcherez votre école de tomber dans le système antichrétien de la religiosité, c'est-à-dire de l'indifférentisme. C'est une illusion. Vous annoncez que votre personnel enseignant s'abstiendra avec soin de toute discussion ? Quelle est la pensée vraie qui se cache sous ces expressions d'un vague si habilement calculé ? Cela signifie que vous interdirez aux maîtresses de votre école jusqu'à l'emploi de l'idée religieuse dans la direction morale de leurs élèves ! cela signifie qu'il ne sera pas plus question de religion , surtout de catholicisme, que d'astronomie, (page 868) dans voire école. Votre programme, je le sais, affirme que vos institutrices s'efforceront d'inspirer aux élevés l'amour de leurs devoirs moraux et religieux. Mais vous n'avez pas remarqué, mesdames, que, pour un catholique, il n'est aucun devoir religieux qui n'ait sa raison d'être, son principe et sa fin dans un dogme !
« Vous n'avez pas compris qu'il est chimérique de prétendre inspirer l'amour des devoirs religieux, sans en expliquer l'origine, la nature, les conditions, la nécessité, la sanction, c'est-à-dire sans entrer sur le terrain doctrinal, sans pénétrer au cœur des dogmes catholiques ! Il en est de même de la morale. Sur quoi peut se fonder l'amour du devoir moral ? Quels mobiles assez puissants contre les passions lui assigner, si le devoir n'a pas sa base et sa sanction dans les dogmes religieux ? Sans les dogmes et les sanctions positives, quelle énergie pour le bien inspirerez-vous à la faiblesse humaine ? quelle barrière opposerez-vous à l'insatiabilité de la volupté et des convoitises ? quelle consolation, quel espoir offrirez-vous au repentir ?
« Et puis, mesdames, s'il se trouve, comme vous le prévoyez, des protestantes ou des juives parmi vos élèves, obligerez-vous vos institutrices à leur inspirer l'amour de la religion protestante ou juive ? Or, vous ne pouvez pas, sans abjurer les principes catholiques, leur imposer cette obligation ; et ces institutrices, si elles sont catholiques, ne peuvent, sans une espèce d'apostasie, accepter une telle obligation. Mais supposons que ces institutrices, n'entendant pas mieux que vous les principes de leur religion, exécutent vos ordres : cette leçon prétendue de religion sera pour les élèves un scandale. »
Or, messieurs, si cette objection, la seule qui soit faite, si cette objection est fondée, la loi sur l’enseignement primaire, la loi de 1842 est sapée par sa base ; car en vertu de la loi de 1842, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire tantôt, l'enseignement littéraire doit être entièrement séparé de l'enseignement dogmatique, aucune allusion ne peut être faite au dogme s'il y a des dissidents.
L'honorable M. de Theux a lui-même dit comment il fallait entendre la loi de 1842, sous ce rapport. Vous vous rappelez que l'honorable M. Vleminckx avait invoqué une circulaire de l'honorable M. de Theux transmettant des instructions de MM. les évêques et d'où l'honorable M. Vleminckx inférait que l'enseignement entier devait être empreint de catholicisme, ce qui était, selon l'honorable M. Vleminckx, une violation formelle de la loi de 1842 ; l'honorable M. de Theux prend la parole et répond :
« L'honorable M. Vleminckx a parlé du règlement de 1846 et de la circulaire des évêques qui y est jointe. Dans cette circulaire, entendue dans le sens qu'a indiqué M. Vleminckx, il s'agit d'écoles exclusivement catholiques. C'est clair comme le jour. Il n'a pu entrer ni dans l'esprit des évêques, ni dans celui du ministre de l'intérieur de 1846, de prescrire aux instituteurs de donner l'enseignement confessionnel en dehors des deux demi-heures consacrées à cet enseignement lorsqu'il y a des dissidents dans l'école. C'eût été absurde ; vous voudrez bien croire que je connaissais assez la Constitution et la loi de 1842, et que j'avais assez de bon sens pour ne pas prescrire une chose qui leur serait contraire. »
Ainsi rien de plus incontestable, rien de plus indubitable.
L'enseignement dogmatique ne peut exister dans l'école primaire. S'il y a des dissidents, l'enseignement doit être purement laïque, purement littéraire et doit faire abstraction de tout dogme positif, de l'aveu même de l'honorable M. de Theux.
M. de Theux.- Sauf la partie consacrée spécialement à l’enseignement religieux.
M. Frère-Orban. - Ce qu'on refuse de faire à l'institut dont j'ai parlé, c'est ce qui se pratique dans les écoles primaires.
C'est l'absence d'enseignement dogmatique dans l'école, lorsqu'il y a des dissidents.
Si la doctrine nouvelle mise en avant par le clergé est fondée, la loi de 1842 est renversée.
Il n'y aura qu'une échappatoire. C'est qu'en vertu de la loi de 1842, c'est le ministre du culte de la majorité qui vient seul dans l'école, que, pour la minorité, on la renvoie à l'église.
On pourrait faire remarquer d'abord que ce qui est possible pour la minorité, l'est également pour la majorité. Mais il est inutile de discuter et point. Il nous suffît de constater que, de l'aveu de M. de Theux, cette préférence accordée au ministre du culte de la majorité n'infirme en rien le droit de la minorité, dont la liberté de conscience doit être pleinement sauvegardée.
Cette échappatoire ne servira donc à rien parce qu'il s'agit de savoir si l'enseignement donné à l'école peut être donné à l'exclusion de tout enseignement dogmatique.
Eh bien, messieurs, les citoyens qui voudront appliquer ce principe contre le gré du clergé seront excommuniés, mis à l'index et, s'ils ne rétractent pas leurs erreurs à l'heure dernière, ils seront menacés du coin des réprouvés.
Le ministre actuel a eu soin d'instituer une commission pour arriver à consacrer ce droit épiscopal. Il s'agit de créer des cimetières où la place des excommuniés sera marquée. Le clergé aura ainsi un moyen efficace de sanctionner ses sentences par un fait qui frappera vivement les populations.
C'est ce qu'on appellera désormais le régime de la liberté en Belgique.
Les faits abondent pour établir ce que je viens d'énoncer quant aux prétentions, aux exigences du clergé en matière d'enseignement. Il y en a qui remontent à plusieurs années ; il y en a qui ne datent que d'hier.
Au mois de septembre 1870, l'administration communale de Tournai a établi un institut communal de demoiselles. J'ai le prospectus sous les yeux.
« Tout en donnant, dit-il, au développement intellectuel plus d'importance qu'il n'en a reçu généralement jusqu'aujourd'hui, on mettra toujours au premier rang l'éducation morale et religieuse...
« L'instruction religieuse est l'objet de soins constants, notamment en ce qui concerne la préparation à la première communion. Elle est donnée, comme à l'école n°1, conformément aux prescriptions de la loi du 23 septembre 1842. »
On s’adresse à M. l'évêque de Tournai, et ce prélat s'étonne que l'administration communale fonde une école quand il juge qu’il 'n'y en a pas besoin ; il est suffisamment pourvu, d'après l'honorable évêque de Tournai, à l'enseignement des jeunes filles par les écoles existantes. Donc, la commune n'en établira pas; veto épiscopal, nonobstant la bienfaisante et merveilleuse loi de 1842.
L'honorable prélat estime qu'il ne peut favoriser d'une manière spéciale cette école en lui accordant un concours qui n'existe pour aucune institution du même genre à Tournai.
Voilà le système.
M. Bouvier. - Pas de concurrence.
M. Frère-Orban. - Voilà le système. Et l'on osera parler d'enseignement religieux ; et l'on osera venir dire : Vos écoles sans enseignement religieux sont des écoles perverses. Qui y croira ? Est-ce que vous vous imaginez que le public belge est arrivé à ce point de crétinisme qu'il ne lui reste plus qu'à s'incliner devant de pareilles exigences !
La question qui se pose maintenant est celle-ci : ll s'agit de savoir si le gouvernement se fera le complice d'un pareil système, s'il entend le favoriser, le sanctionner, s'il veut se rendre l'esclave servile de l'épiscopat.
M. Bouvier. - C'est son système.
M. Frère-Orban. - Le vote sur l'amendement qui vous est proposé dira si le gouvernement et la majorité sont disposés à se courber à ce point et si une école établie par des élus de nos communes, même lorsqu'on veut la soumettre au régime de la loi de 1842, doit être délaissée par les pouvoirs publics pour complaire au clergé. La question est de savoir si lés communes pourront établir des écoles moyennes, c'est-à-dire des écoles qui sont d'un degré supérieur aux écoles primaires à programme développé, si elles pourront établir ces écoles en vertu du pouvoir qui leur appartient de par la Constitution et si l'Etat pourra les subsidier en vertu du droit qui lui appartient de disposer des deniers publics.
M. le président. - La parole est à M. Funck.
M. Bouvier. - Est-ce que personne à droite ne demande la parole ?
M. Schollaert. - Je la demande.
M. le président. - M. Funck est inscrit depuis deux jours.
M. Funck. - Je cède volontiers mon tour de parole à M. Schollaert, à condition de pouvoir parler après lui.
M. le président. - La parole est donc à M. Schollaert.
(page 883) M. Schollaert. - Messieurs, un honorable membre du Sénat dont je ne partage pas les opinions, mais dont j'estime beaucoup le caractère, exprimait naguère le regret que les questions d'enseignement qui touchent d'une manière si intime aux intérêts les plus précieux du pays, ne fût pas ici, comme en Angleterre, élevée au-dessus des partis et de leurs discussions purement politiques.
Je me propose de traiter de l'éducation des femmes à tous les degrés de notre échelle sociale, mais avant de commencer, permettez-moi de vous exposer, en peu de mots, mes principes en matière d'enseignement et surtout en matière d'enseignement donné par l'Etat. Le reste en sera plus clair.
Je m'expliquerai, d'ailleurs, avec la plus grande franchise, sans obstination, sans parti pris, et ne demandant pas mieux que de voir redresser les erreurs que je pourrais commettre.
Je veux, ce que nous voulons tous : éclairer la génération qui nous suit ; élever aussi haut que possible ses forces intellectuelles et sa valeur morale ; et, s'il est possible, préparer à notre pays, déjà grand et estimé, des destinées plus grandes encore et plus brillantes. Nos différends, messieurs, et c'est notre honneur, ne portent pas sur le but à atteindre, mais seulement sur les moyens d'y arriver.
L'enseignement primaire, qui s'adresse particulièrement aux classes pauvres et laborieuses, intéresse éminemment l'Etat. L'Etat doit veiller à ce que cet enseignement soit donné dans les meilleures conditions et autant que possible à tous les enfants.
Si l'initiative privée, si l'initiative des individus et des corporations ne suffit pas pour donner l'enseignement d'une manière complète et de manière aussi à le rendre accessible à tous les enfants, sans distinction de cultes ou d'origine, l'Etat doit intervenir et donner cet enseignement lui-même. C'est son droit ; c'est son devoir.
Pour le décentralisateur le plus radical, comme pour le partisan du pouvoir fort, le rôle de l'Etat, sa mission la moins contestable est d'assurer, par le maintien de l'ordre, la sécurité des propriétés et des personnes.
Ce rôle ne serait pas acquitté, cette mission ne serait pas remplie, si l'Etat en négligeant, l'éducation de l'enfance laissait se former dans son sein, au centre des splendeurs et des richesses de la civilisation, une classe de sauvages qui suffit, l'histoire l'a prouvé plus d'une fois, qui suffit, à certains moments néfastes, pour détruire, en quelques jours, les fruits accumulés du travail de plusieurs générations.
Elever, j'aime ce mot, messieurs, élever les masses, les moraliser, leur donner la lumière de l'esprit et la lumière de la conscience n'est-ce pas le moyen le plus sûr et en même temps le plus respectable de prévenir ces redoutables désordres ?
Un illustre Ecossais qui travailla pendant toute sa vie à élargir le domaine du self-government et à réduire le domaine du pouvoir ; qui ne voulait de l'intervention du pouvoir, ni pour l'art, ni pour la science, ni même pour l'instruction primaire des riches, Adam Smith, le père de l'économie politique, n'hésitait pas à placer l'instruction des classes pauvres et laborieuses au premier rang des devoirs de l'Etat.
Mais Adam Smith pensait que l'Etat doit se borner à enseigner aux enfant* la lecture, l'écriture et le calcul.
Celui qui sait lire et écrire, disait-il, peut tout apprendre.
Et, dans un sens, il avait raison.
Mais permettez-moi d'ajouter que le but de l'enseignement officiel n'est pas précisément, ou, si vous le voulez, exclusivement, de mettre les citoyens en état de tout apprendre.
En ouvrant des écoles, l'Etat se propose une tâche à la fois plus étendue et plus haute. Pour lui, il s'agit non seulement d'ouvrir l'esprit des enfants, mais de leur apprendre ce qu'il est bien de faire et de les disposer à faire le bien.
En d'autres termes la principale mission de l'école est de former le moral des jeunes générations et de créer la conscience publique.
Il ne suffit pas d'apprendre à lire et écrire aux enfants pour répondre à ce grand postulat, pas plus qu'il ne suffit de donner une épée précieuse à un homme, pour être sûr que cette épée servira à la défende du pays.
Une épée, comme une plume, est un instrument. Toutes deux peuvent servir les plus saintes causes et les desseins les plus pervers.
Une plume a écrit l’Esprit des lois, mais c'est une plume aussi qui rédigeait, en 1793, l'Ami du Peuple et le Père Duchesne.
Une revue anglaise, justement célèbre mais peu cléricale, comme chacun sait, la Saturday Review faisait ressortir naguère dans un de ces articles humoristiques, où c'est moins l'esprit, quoiqu'il y en ait beaucoup, que le bon sens qui pétille, cette insuffisance radicale du programme d'Adam Smith.
Elle avançait sans hésitation que pour les enfants de certaines catégories, la simple connaissance de l'écriture et de la lecture serait plus nuisible qu'utile.
« Entre leurs mains, disait-elle, cette connaissance ne serait qu'une arme nouvelle contre la loi et la société. Elle élèverait le pick-pocket aux doigts agiles au rang de faussaire ; elle donnerait au criminel détenu le moyen de correspondre avec le criminel du dehors ; elle procurerait au conspirateur félon le moyen de combiner, du fond de sa prison, avec les félons ses complices, des plans de dévastation et de meurtre ; elle apprendrait au brutal instinct du rebelle de profession à se servir de l'argot conventionnel du communisme prolétaire ; elle fournirait à ceux qui détestent le travail et qui aiment la violence des prétextes pour justifier leur conflit avec les hommes d'ordre et de paix... Une telle éducation serait plus nuisible que l'absence de toute éducation. »
Ainsi s'exprimait la Saturday Review.
Et puisqu'il s'agit en ce moment dans cette Chambre de l'éducation des femmes, permettez-moi d'ajouter qu'une jeune fille qui saurait lire et écrire, mais à laquelle on n'aurait appris que cela, n'emploierait fort probablement son petit talent qu'à lire des romans français et à rédiger des billets doux.
Le développement intellectuel, quand il est uni au développement moral, est excellent ; mais, comme, l'ont justement observé les plus hautes autorités en cette matière, le développement intellectuel, séparé du développement moral, devient un principe de désordre et parfois un danger social.
Je ne vous lirai pas, à ce sujet, les opinions, vingt fois citées dans cette Chambre, des Guizot, des Vatismenil, des Cousin, des Barrau et des Leplay.
Je me bornerai à vous rappeler que leur doctrine sur ce point capital est en quelque sorte scientifiquement démontrée aujourd'hui.
Il y a deux ans, M. Quetelet, l'illustre secrétaire perpétuel de notre Académie, publia un livre qui nous a été distribué et qui fait, permettez-moi de le dire, le plus grand honneur au pays.
Dans ce livre, intitulé : Physique sociale de l'homme, se trouve un passage qui doit avoir frappé l'honorable M. Frère, puisqu'il y fait allusion dans son remarquable et savant mémoire : Sur l'abus des boissons alcooliques. Voici ce passage :
« Il arrive souvent que des causes qui paraissaient très influentes s'effacent devant d'autres auxquelles on n'avait pas songé, d'abord ; c'est ce que j'ai particulièrement éprouvé dans les recherches actuelles. J'étais trop préoccupé peut-être de l'influence qu'on accorde à l'instruction pour amortir le penchant au crime ; il me semble que l'erreur commune provient surtout de ce qu'on s'attend à trouver moins de crimes dans un pays, parce qu'on y envoie plus d'enfants à l'école, ou parce qu'en général plus de personnes du peuple savent lire et écrire. Ce serait plutôt de (page 884<) l'instruction morale qu’il faudrait tenir compte, car bien souvent l'instruction qu'on reçoit aux écoles n'offre qu'un moyen de plus pour commettre le crime. » (Physique sociale de l'homme, tome II, page 249.)
Voilà donc un point résolu.
Il faut autre chose à l'école que le programme de l'illustre Adam Smith. A l’écriture, à la lecture, au calcul, il faut joindre, de toute nécessité, l'éducation morale de l'enfance.
Or, messieurs, ne nous trompons pas sur ce sujet d'une gravité extrême : la morale n'est pas une chose indépendante et abstraite, qui se laisse isoler et séculariser.
D'après M. Royer-Collard, qui a laissé un si grand souvenir dans la science politique et sociale, la morale publique ne diffère du sentiment religieux que comme l'effet diffère de la cause, la conséquence du principe elle précepte de la sanction.
Elle en diffère, disait-il, mais elle en est inséparable.
La loyauté m'oblige d'ajouter que, dans la pensée de Royer-Collard qui parlait, comme moi, pour un pays libre, c'est-à-dire pour un pays jouissant de la liberté de conscience et de la liberté des cultes, la religion embrasse les diverses religions qui ont une existence publique et que l'Etat reconnaît.
Les religions diverses, prises ensemble et embrassées d'une même vue, constituaient, aux yeux de l'illustre penseur, le sentiment religieux.
C'est, ai-je besoin de l'observer ? le point de vue exact de la Constitution belge et de la loi de 1842.
Seulement, messieurs, et à mes yeux, c'est un grand avantage, les dissidents sont chez nous peu nombreux. On peut dire que la nation est catholique, et que le sentiment religieux s'appuie en Belgique, sinon entièrement, au moins pour une partie très considérable, très majeure, sur le catholicisme.
On ne pourrait donc toucher à ce sentiment, ni l'affaiblir dans une certaine mesure, sans porter à la conscience publique un immense préjudice.
Ne l'oublions pas, messieurs, la religion catholique est dans notre pays, depuis plus de douze siècles, le guide des âmes. Elle s'est assimilé et pour ainsi dire approprié tous les dogmes et tous les préceptes de la morale universelle.
Pour le peuple (et il serait facile de prouver qu'au fond le peuple a raison), l'existence de Dieu, la doctrine du libre arbitre, le dogme consolant de l'immortalité de l'âme n'appartiennent pas moins intrinsèquement au christianisme que le dogme de l'incarnation ; la loi qui défend de mentir et de voler n'est pas moins chrétienne que celle qui ordonne la sanctification du dimanche.
Sous ces rapports, le peuple ne distingue pas, et encore une fois il a raison.
Ne pensez point que les préceptes d'une vague religiosité puissent prévaloir contre ces convictions robustes et séculaires ou les remplacer.
Les masses n'ont jamais admis un Dieu abstrait, et leur génie, naturellement chrétien, répugne aux catéchismes philosophiques.
Pour la Belgique, messieurs, pour notre pays, qu'on croie ou qu'on ne croie pas, qu'on veuille ou qu'on ne veuille point, le catholicisme est, en fait, la base de la morale populaire. La conscience publique, presque tout entière, repose sur ses dogmes antiques et vénérés, et n'a pas d'autre support.
Exclure la religion de l'école, en priver la génération qui s'élève, sous un vain prétexte de sécularisation, serait, à mes yeux, la plus, malheureuse des entreprises.
En laissant périr le catholicisme dans les âmes, on risquerait fort d'y faire un vide complet et de voir crouler, avec l'ancienne foi, tout l'édifice de la morale publique.
Cela s'est vu ailleurs, messieurs, et nous pourrions, comme d'autres, être ensevelis sous les ruines que nos propres mains auraient faites.
- Des membres. - Très bien ! Très bien !
M. Schollaert. - L'honorable M. Frère a parlé de l'Angleterre. Eh bien, il vient de se passer en Angleterre un fait d'une importance immense. Ce fait est tout récent. Il a eu lieu pendant la discussion actuelle et date de quelques jours à peine.
Vous savez, messieurs, que le parlement anglais a voté, dans le courant de l'année dernière, une nouvelle loi sur l'éducation primaire, Cette loi est du 9 août 1870. Son principal objet est de procurer à l'Angleterre entière des écoles primaires.
Jusque-là, l'enseignement avait été purement confessionnel. Il n'y avait pas d'enseignement officiel proprement dit.
Pour qu'une école s'élevât, il fallait au moins un commencement de fondation émanant de l'initiative privée.
Il résultait de ce système que tous les districts n'avaient pas un nombre suffisant d'écoles et que les écoles existantes, à cause de leur caractère strictement confessionnel, ne pouvaient pas toujours être fréquentées par tous les enfants.
Pour obvier à ces inconvénients, la loi du 9 août 1870 ordonna l'établissement d'écoles de districts dans tous les endroits où l'enseignement était insuffisant. Des commissions administratives (school boards) émanant du corps électoral furent préposées à ces nouvelles écoles et investies d'un pouvoir discrétionnaire très étendu. C'est ainsi qu'on leur attribua, entre autres, le droit de décider si l'école serait sécularisée ou admettrait l'enseignement religieux.
J'analyse la loi nouvelle sans en apprécier, pour le moment, la valeur et les conséquences. Londres, quoique pourvu d'un grand nombre d'écoles, eut son board of school, principalement organisé en vue des enfants de la classe pauvre, qui pullulent dans la grande ville et y fréquentent, jour et nuit, suivant l'énergique expression de M Mundello, la sinistre université du crime.
Le 1er décembre dernier les cités de Londres et de Westminster et les huit vastes bourgs qui se groupent autour d'elles, procédèrent par une élection unique à la formation du school board de la capitale, c'est-à-dire, pour me servir des termes d'une feuille anglaise, à l'élection du parlement de l'éducation.
Ce parlement, qui représente plus de trois millions d'hommes, est composé aujourd'hui des éléments les plus divers,
Il renferme dans son sein des instituteurs et des institutrices, des ministres de toutes les confessions, des savants et des hommes d'Etat.
Et savez-vous, messieurs, quelle est la première question qu'il se posa ?
Ce fut celle de savoir si l'école serait religieuse ?
Après quatre jours de la plus sérieuse discussion, le school board de la ville la plus libérale ,- ou, ce qui vaut mieux, la plus libre du monde, - décida, par 46 voix contre trois, que l'instruction religieuse serait donnée.
Ce premier point arrêté, l'examen du comité porta sur la forme qu'il convenait de donner à cette instruction.
Se bornerait-on à une simple lecture de la Bible, sans explication et sans commentaires ? Ou, ce qui est tout différent, enseignerait-on aux enfants la religion basée sur la Bible ?
Ce point était plus complexe que le précédent.
Il était à craindre que la jalousie des sectes ne le fît résoudre dans un sens restrictif.
Mais le comité n'hésita pas. Il décida à l'unanimité, moins trois de ses membres, qu'une simple lecture de la Bible ne peut constituer l'instruction religieuse et admit, sur la proposition de MM, Angus et W, Smith :
« Que la Bible serait lue à l'école, et qu'on en tirerait les principes d'un enseignement moral et religieux en rapport avec l'esprit des enfants. »
Définissant le but de l'éducation populaire, dans son discours d'adresse, M. Reide avait dit :
« Que ce but consiste à élever la jeune génération de manière à en faire de bons citoyens et de loyaux sujets, dans la crainte de Dieu et l'amour du prochain. »
Et malgré les difficultés sans nombre, dont la multiplicité des sectes complique, en Angleterre, là question religieuse, au point de vue de l'enseignement officiel, le parlement de l'instruction comprit et ratifia la sage et noble pensée de son rapporteur.
Que l'on n'invoque donc plus, contre nous, l'autorité de l'Angleterre !
Pour ma part, messieurs, en me plaçant exclusivement au point de vue de mon pays, je crois que nous devons rester fidèles aux principes déposés dans la loi de 1842.
C'est par la religion et par elle seulement qu'on fera pénétrer dans l'esprit des enfants ces vérités premières qui éveillent et dirigent la conscience de l'honnête homme ici-bas.
On ne pourrait d'ailleurs s'en séparer sans ruiner l'enseignement public.
On a longuement parlé, messieurs, des exigences des évêques et on leur a fait d'amers reproches, auxquels il m'est impossible de répondre, ne connaissant pas suffisamment les faits auxquels ces reproches semblent (page 885)
s'adresser. Mais je sais une chose, c'est que nous avons besoin des évêques.
On connaîtrait peu les mœurs et les besoins de nos populations si l'on s'imaginait que, sans la transaction de 1842, cette transaction dont on se plaint avec tant de véhémence, l'Etat aurait les florissantes écoles dont il dispose aujourd'hui.
Tout le zèle et toute la science du monde ne sauraient y suppléer.
Vous ne me croyez pas ?
Ecrivez donc nu frontispice de vos écoles :
« Aucun enseignement religieux n'est donné ici ; la philosophie y remplace le christianisme. »
Osez cela, messieurs, et je vous garantis que vos écoles ne tarderont pas à se convertir en déserts.
M. Bara. - Il ne s'agit pas de cela. C'est du roman.
M. Schollaert. - Je ne vais pas jusqu'à dire avec M. Cousin « que le clergé, devrait combattre un tel enseignement et qu'il aurait pour lui dans ce combat la sympathie de tous les gens de bien, de tous les pères de famille et du peuple lui-même... »
Non, messieurs, je désire la paix, je ne veux rien exagérer ; mais je vous supplie de peser sérieusement mes paroles.
Si nous voulons réellement, efficacement l'instruction du peuple, conservons à nos écoles un caractère que la conscience publique puisse et veuille accepter.
Le succès est à ce prix.
Je me résume.
L'enseignement primaire doit être donné ; il doit être donné avec générosité ; il doit être accessible à tous, sans exception ; il doit tendre surtout à élever les classes pauvres et laborieuses ; enfin il doit s'appliquer aux filles comme aux garçons. L'Etat n'a pas seulement le droit de donner l'enseignement primaire. En Belgique, il en a le devoir. Tout le monde est d'accord sur ce point ; l'initiative individuelle ne suffirait pas chez nous pour remplir la mission que cet enseignement comporte.
L'union de toutes nos forces publiques et privées, politiques et sociales, y suffit à peine.
J'ai dit que l'Etat doit s'occuper de l'éducation primaire des filles autant que de celle des garçons. J'ajoute maintenant que, jusqu'ici, ce devoir a été bien imparfaitement et bien mal rempli.
Je ne parle pas ici des écoles des grandes villes et des centres populeux. En général, elles sont bien conduites, l'enseignement s'y donne d'une manière irréprochable. Je connais personnellement quelques-unes de ces écoles auxquelles l'on peut adresser les plus grands éloges et témoigner les plus vives sympathies. Mais je parle des écoles des petites communes, des écoles de nos campagnes, et je dis que là l'enseignement des filles donné par l'Etat est insuffisant et très perfectible à tous les points de vue, même au point de vue moral.
Nous avons, en tout et pour tout, 621 écoles de filles sur plus de 2,400 communes. Enoncer ce chiffre c'est prouver qu'il y a évidemment insuffisance. Il est vrai que l'on possède, outre ces 621 écoles, 1,839 écoles mixtes, c'est-à-dire qu'à côté de 621 écoles plus ou moins bonnes nous possédons 1,839 écoles essentiellement mauvaises. Je m'exprime crûment, messieurs, mais justement. L'école mixte a été envisagée, par tout le monde et dans tous les temps, comme une détestable institution.
Sous ce rapport, les capitulaires de Charlemagne sont d'accord avec Jean III et son règlement de 1302, avec Marie-Thérèse et son édit de 1774, avec M. de Talleyrand et son rapport à l'assemblée constituante, avec nos synodes épiscopaux depuis le XVIème jusqu'à la fin du XVIIIème siècle. C'est une question qui est résolue pour tous ceux qui se sont occupés d'éducation.
M. Frère-Orban. - Pas aux Etats-Unis.-
M. Schollaert. - Aux Etats-Unis, ce sont surtout les écoles moyennes où les sexes se rencontrent. (Interruption.)
Je parlerai tout à l'heure des Etats-Unis, mais je demande à la Chambre de me laisser d'abord développer ma pensée. En condamnant les écoles mixtes, je suis d'accord avec toutes les autorités européennes, avec les autorités du moyen âge comme avec les autorités modernes, avec les autorités de la révolution comme avec celles de l'Eglise, avec Talleyrand comme avec les évêques belges ; les écoles mixtes sont mauvaises. M. Nothomb l'a reconnu en 1842 ; je crois même que M. Rogier...
M. Rogier. - Je ne suis pas aussi absolu que cela.
M. Schollaert. - Soit, vous n'êtes pas aussi absolu, mais je crois que vous avez signalé la nécessité d'arriver insensiblement à la suppression des écoles mixtes.
Ce qui est certain, c'est que M. J.-B. Nothomb a dit, dans la discussion même de la loi de 1842, que c'était un des premiers points dont on aurait à s'occuper. Ce qui est certain encore, c'est qu'en 1843 des circulaires ministérielles ont proclamé la nécessité de faire cesser un état de choses généralement condamné.
Et cependant, je lis dans le rapport triennal de 1866 que l'organisation des écoles spéciales des filles, si désirable partout, ne se poursuit qu'avec lenteur, et que les écoles mixtes ne disparaîtront peut-être jamais.
Voilà, d'après moi, un résultat que je n'hésite pas à déclarer, à tous les points de vue, singulièrement humiliant et regrettable.
Il me semble, qu'il suffit de le signaler pour prouver qu'il y a quelque chose de plus urgent à faire que d'organiser les écoles moyennes des filles, c'est de supprimer les écoles mixtes.
M. Muller. - L'un n'empêche pas l'autre.
M. Schollaert. - Sans doute, mais il faut commencer par le commencement.
Cela posé, je reviens à l'Amérique et je reconnais que l'observation de l'honorable M. Frère est exacte. Il y a en Amérique des écoles où les deux sexes sont réunis et reçoivent ensemble l'enseignement.
Mais, messieurs, je crois qu'il m'est permis de dire, sans violer les lois de la galanterie internationale, que. s'il y a en Amérique beaucoup de choses, au point de vue de la liberté surtout, dont l'importation serait excellente dans notre pays, ce ne sont pas précisément les femmes américaines dont nous avons le plus besoin pour règles et pour modèles. Ceux qui voudront connaître les motifs de cette appréciation les trouveront dans les ouvrages d'ethnographie qui ont spécialement traité de la matière. (Interruption.)
M. Pirmez. - Tous les auteurs qui ont écrit sur l'Amérique sont d'un avis contraire au vôtre ; notamment celui qu'a cité M. le ministre de l'intérieur.
M. Schollaert. - Soit, je ne. veux pas insister. Je sais que l'Amérique, comme tous les pays du inonde, possède, dans les rangs bien élevés, des femmes très distinguées, très honorables et qui ne le cèdent en grâce et en délicatesse aux femmes d'aucune autre nation. Mais messieurs, quand on traite une question sociale, on ne s'arrête pas à des classes particulières. (Interruption.)
Il ne faut pas s'émerveiller trop vite des choses qu'on voit à distance.
Nos pères se préoccupaient surtout des gens dont ils voyaient fumer la cheminée. C'était peut-être un peu étroit, mais c'était prudent. Les choses vues de loin paraissent toujours irréprochables et régulières ; nous serions étonnés combien maint visage pur et beau à distance serait hérissé de poils et sillonné de rides s'il nous était donné de le regarder à la loupe ou simplement de le contempler de près.
Parmi les autorités qui ont condamné les écoles mixtes, ii en est une que je ne puis oublier.
C'est celle de M. Jules Simon, qu'on n'accusera certes pas d'être un clérical. M. Jules Simon a donné une définition parfaite de l'école mixte. C'est, écrit-il, une école de garçons où l'on reçoit des filles. Il est impossible de mieux dire. C'est du pur bon sens. Ne suffit-il pas, d'ailleurs, de la plus légère réflexion pour comprendre qu'au point de vue de la moralité, l'école mixte ne peut être encouragée ?
M. Frère-Orban. - Personne n'a prétendu le contraire.
M. Schollaert. - Sans doute, mais puisque nous avons encore un grand nombre d'écoles mixtes et que nous les trouvons mauvaises, il doit m'être permis d'engager M. le ministre de l'intérieur à porter toute son attention sur ce point dont la réforme me paraît beaucoup plus urgente que la création d'écoles moyennes. (Interruption.)
En insistant sur ce point, je n'avais aucune intention désobligeante envers l'honorable M. Frère ; je discutais une doctrine...
M. Frère-Orban. - On croyait, à mes côtés, que vous répondiez à une chose que je n'avais pas dite dans mon discours.
M. Schollaert. - Nullement.
M. Frère-Orban. - Nous sommes d'accord.
M. Schollaert. - Je reprends et je dis que la meilleure école mixte laisse à désirer au point de vue de la moralité.
(page 886) Comme la semence renferme l'arbre, l’enfant contient, en germe, l'homme tout entier.
Dès un âge très tendre, beaucoup plus tendre qu'on ne le croit communément, les instincts qui créent plus tard la famille s'éveillent et se développent au fond de son être. Pour disposer ces instincts à répondre pleinement et avec maturité aux lins capitales de la nature, on ne saurait les traiter avec une trop chaste circonspection. Rien ne doit les stimuler ; rien ne doit brusquer leur développement. Maxima débetur pueris reverentia.
Eh bien, messieurs, sans accuser l'école mixte de tous les vices qu'on se plaît parfois à leur prêter, je pense que son principal défaut consiste précisément à ne pas tenir un compte suffisant du précepte antique. En mettant constamment les sexes en regard, l'école mixte - pas un homme d'expérience n'oserait le nier - est une serre chaude ; je ne saurais en dire davantage ; mais je suis sûr que vous m'avez compris.
Et puis, à la campagne (l'école mixte n'existe que là), filles et garçons ont souvent un long chemin à faire, sans surveillance, à travers champs et bois. Qui oserait affirmer que ces courses ne présentent aucun danger ; que la pudeur, qui est l'honneur de la femme, et l'une des principales sécurités de la famille, n'y soit jamais effleurée ?
N'attribuez pas ces appréhensions à une pruderie dévote.
Lorsque la Constituante eut à s'occuper de. cette question, M. de Talleyrand condamna les écoles mixtes.
II proposa néanmoins de les maintenir, parce qu'elles ne pouvaient être immédiatement remplacées, et d'admettre les filles depuis l'âge de 6 jusqu'à celui de 8 ans à fréquenter les mêmes écoles que les garçons. La proposition fut accueillie, mais les maîtres d'école de Paris protestèrent et déclarèrent la mesure imprudente et dangereuse.
Or, messieurs, qu'arrive-t-il chez nous ? Sont-ce seulement des filles de 6 à 8 ans qui fréquentent les écoles de garçons ? Nullement ; le plus désolant arbitraire règne sous ce rapport dans nos établissements. J'ai trouvé, dans un de nos rapports triennaux, qu'il y a des écoles mixtes, en Belgique, qui sont fréquentées par des filles de 16 à 17 ans !
Et ces écoles, messieurs, sont dirigées parfois par de très jeunes instituteurs, fort instruits, fort recommandables, j'y consens, mais dénués de la prudence et de la circonspection que l'âge et l'expérience peuvent seuls donner !
Quant à l'éducation des filles dans les écoles mixtes, elle est tout simplement déplorable. Tout y est viril ; les leçons, les programmes, l'instruction morale, tout y est fait en vue des garçons.
La jeune fille y apprendra le système des poids et mesures ; elle y apprendra peut-être un peu de géographie, mais ce qu'elle n'apprendra pas, et ce qu'elle devrait nécessairement apprendre, c'est le maniement de l'aiguille à coudre et à tricoter... (Interruption.)
Oh ! je sais bien ! ce sont là des choses humbles et simples ; cela ne mérite pas votre attention ! Nous avons à discuter et à décider des questions plus graves, n'est-ce pas ? Eh bien, non, messieurs, vous vous trompez. Une aiguille diligente dans un pauvre ménage est souvent un élément de dignité et de bien-être.
II y a, messieurs, une différence énorme entre la mère de famille qui sait coudre et tricoter et la femme qui ne sait ni l'un ni l'autre. (Interruption.)
La pauvreté peut porter des habits usés jusqu'à la corde ; si ces habits sont bien entretenus, bien lavés, celui qui les porte inspire le respect. Ce qui repousse ce sont les haillons ; ils indiquent le misérable. Et d'où viennent ces haillons ? Très souvent du mauvais enseignement qu'une petite fille, devenue mère de famille, a reçu à l'école. Si la petite fille avait appris à tricoter et à coudre, sa famille appartiendrait à la pauvreté honorable ; elle ne porterait pas la honteuse livrée de la misère...
- Voix à droite. - Très bien !
M. Schollaert.- Messieurs, je voudrais aller plus loin ; et vous me permettrez, j'espère, d'exprimer un vœu de l'illustre fondateur de notre dynastie qui, comme Henri IV, ne rougissait pas lui, de s'occuper de ces petites questions qui intéressent le pauvre et sa cabane. Je voudrais que les filles du peuple pussent apprendre un peu de cuisine... (Interruption.) Un peu de cuisine, non pas de cuisine délicate et sybarite, mais de cette cuisine savoureuse et frugale qui restaure et ranime l'ouvrier épuisé. (Interruption.)
Riez ! riez ! Si nous aimions pratiquement, sincèrement, chrétiennement le peuple, nous ne ririons pas, messieurs !
Croyez-vous donc que l'ouvrier lorsqu'il rentre chez lui, qu'il trouve le feu éteint et, comme on dit vulgairement, le chat assis sur le poêle, croyez-vous que l'ouvrier s'éprenne d'un goût bien vif pour le foyer domestique ? et que le cabaret avec ses chants joyeux, ses gais compagnons et ses carafes flamboyantes ne devient pas souvent pour lui une tentation irrésistible ?
M. le président. - M. Schollaert, voulez-vous remettre la suite de votre discours à demain ?
M. Schollaert. - Volontiers, M. le président.
(page 850) M. Defuisseaux (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de fixer la séance du mardi à trois heures, afin de donner à nos collègues de province le moyen d'arriver à temps à la séance.
- Voix nombreuses. - Non ! Non !
M. le président. - Toute la Chambre est levée ; il n'y a pas moyen de discuter comme cela. Nous discuterons donc la motion de M. Defuisseaux demain au commencement de la séance.
- Voix nombreuses. - Non ! Non !
M. le président. - Ce ne sera pas long, messieurs. Reprenez donc vos placés, nous pourrons la discuter de suite.
M. de Theux. - Je ne puis me rallier à la proposition de M. Defuisseaux.
Je voudrais au contraire que la Chambre consentît à porter l'ouverture de ses séances à une heure. Messieurs, nous sommes arrivés à plus de la moitié de la session et nous n'avons rien fait. Si la Chambre veut accéder au vœu que j'exprime, je proposerai que la séance s'ouvre, à l'avenir, à une heure pour commencer à une heure et demie.
Nous faisions bien plus de besogne autrefois.
Aujourd'hui, nous n'avons plus de séance le lundi et nous avons les autres jours des séances qui commencent à près de trois heures. De cette manière nous ne faisons rien.
M. Defuisseaux. - Je suis parfaitement de l'avis de l'honorable M. de Theux, quand il dit que nous avons fait peu de chose. Mais je dois constater que l'on a diminué la séance du samedi pour être agréable à certains députés. Tout en me ralliant à la proposition de l'honorable M. de Theux, d'ouvrir, les autres jours, la séance plus tôt, je demande que la séance du mardi soit fixée à 3 heures, pour que tous nos collègues aient le temps d'arriver.
M. Allard. - J'engage la Chambre à maintenir son règlement, qui fixe l'ouverture de la séance à 2 heures. Je préviens la Chambre que si l'on fixe les séances à une heure, nous aurons au moins deux séances blanches par quinzaine.
La séance peut s'ouvrir le mardi à 2 heures. Les convois arrivent généralement avant cette heure.
(page 851) M. le président. - M. Allard propose le maintien du règlement.
C'est une question préalable que je dois d'abord mettre aux voix.
M. de Theux. - Plusieurs de nos collègues disent qu'il leur est impossible d'arriver a une heure, quand ils sont obligés de s'absenter pour un jour.
J'adhère à cette considération, qui est juste. Mais, au moins, il me semble que la séance pourrait s'ouvrir à deux heures précises. Nous gagnerions ainsi une demi-heure ; c'est quelque chose.
M. le président. - C'est un changement au règlement et des propositions de ce genre ne peuvent être résolues incidemment.
Je mets aux voix la proposition de M. Allard, qui est le maintien du règlement.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 5 heures.