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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 février 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 635) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La chambre de discipline des huissiers de l'arrondissement de Bruxelles prie la Chambre de modifier les lois des 13 brumaire et 22 frimaire an VII, en ce sens que les amendes qui frappent les officiers ministériels personnellement soient supprimées et que les dispositions de l'article 3 de, la loi du 5 juillet 1860 leur soient applicables, ou qu'il leur soit permis, pour les timbres insuffisants, de les compléter au moyen de timbres adhésifs à annuler par eux au moment du protêt. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Westmeerbeek demande le maintien des commissaires d'arrondissement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le conseil communal de Tubize demande que l'instruction soit rendue obligatoire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Des habitants de Droogenbosch, Ruysbroeck demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »

- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.


« Le sieur Feuilleté prie la Chambre de statuer sur la pétition par laquelle il proteste contre son expulsion de la Belgique et demande une indemnité. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition rappelée.


« Par messages du 16 février, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« Qui ouvre au département des finances un crédit de 306,800 francs pour la régularisation du déficit du trésor provenant du vol de titres de la dette publique, commis dans les archives de la cour des comptes ;

« Qui ouvre au département de la guerre un crédit supplémentaire de 3,478,000 francs. »

- Pris pour notification.

Rapport sur une demande en naturalisation ordinaire

M. Thienpont. - J’ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur une demande de naturalisation ordinaire,.

- Cette demande sera portée sur un prochain feuilleton.

Interpellation relative à l’école d’horticulture de Gentbrugge

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Messieurs, je désire interpeller l'honorable ministre de l'intérieur au sujet de bruits qui circulent à Gand, que la presse locale a reproduits et qui ont ému à juste titre la population tout entière.

Les journaux de Gand assurent que le gouvernement a l'intention de supprimer l'école d'horticulture de Gentbrugge. Je ne puis admettre que le gouvernement puisse avoir cette intention, car on sait que cet établissement est justement admiré par l'Europe entière ; et ce serait avec une douleur profonde que la ville de Gand le verrait disparaître.

J'espère qu'il n'y a rien de fondé dans ces bruits et que l'honorable ministre de l'intérieur voudra bien répondre à mon interpellation afin de rassurer la population sur le sort qu'il réserve à un établissement dont la ville de Gand a le droit d'être fière.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je suis heureux de pouvoir déclarer aux honorables représentants de la ville de Gand qu'il n'y a rien de fondé, rien d'exact dans les rumeurs qui se sont répandues.

Il y a eu, en effet, des difficultés sérieuses quant à l'organisation actuelle de l'école horticole de Gentbrugge ; mais il n'est aucunement question de priver la ville de Gand d'un établissement auquel elle a tant de titres.

M. Drubbel. - Je m'étais déjà fait inscrire pour obtenir la parole à l'article du budget de l'intérieur relatif aux écoles d'horticulture, afin de demander à l'honorable ministre quelles sont ses intentions relativement à l'établissement d'horticulture de Gand.

J'ajouterai que je lui ai remis une note renseignant les moyens de conserver cet établissement à la ville de Gand, en le rattachant au Jardin botanique de l'université.

J'ai remis cette note dans l'intention de provoquer l'examen de l'honorable ministre de l'intérieur.

Lorsque nous arriverons à l'article du budget de l'intérieur qui concerne les écoles d'horticulture, je prierai l'honorable ministre de s'expliquer à cet égard.

M. le président. - Vous êtes inscrit, M. Drubbel.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion générale

M. Pirmez. - L'honorable M. Dethuin a dirigé, dans la séance d'hier, une série d'attaques contre le règlement des athénées et des écoles moyennes qui a paru en 1869.

Je désire lui répondre quelques mots. Je regrette que l'honorable M. Dethuin ne soit pas à son banc, il m'aurait été plus agréable de répondre en sa présence qu'en son absence.

Dans les attaques de l'honorable membre, il y a un objet principal et un objet accessoire.

L'objet principal a été de demander une augmentation de traitement pour les professeurs de l'athénée de Mons ; mais comme cette demande pouvait peut-être passer pour n'être pas assez importante, il a cru devoir y ajouter une série d'observations plus ou moins agressives et cela pour donner à son discours le ton dont manquait l'objet principal ; il s'est inspiré du proverbe : La sauce fait manger le poisson.

Je vais répondre aux deux parties de ce discours.

L'objet principal qu'a eu en vue M. Dethuin, c'est de signaler que les traitements des professeurs des athénées ne sont pas les mêmes dans tous ces établissements, Il voit là quelque chose de tout à fait exorbitant, d'extraordinaire, d'inexplicable.

« Vous voulez donc, s'écrie-t-il, avoir plusieurs espèces d'enseignement ; un bon enseignement à Bruxelles, un enseignement médiocre à Liège et à Anvers ; un enseignement mauvais à Mons et plus mauvais encore à Arlon ! »

Et ce n'est pas tout, ce qui indigne bien davantage l'honorable membre, c'est que la différence de traitement s'applique même aux professeurs de religion. De la religion à tous les prix ! dit-il, et cela lui inspire ces deux (page 636) exclamations qui se concilient mal : Quoi de plus amusant ! Et quelle impiété !

Si l'honorable M. Dethuin avait bien voulu remonter un peu plus loin que le règlement de 1869, il eût vu que ce règlement n'a rien innové en cette matière ; que déjà dans le règlement de 1860, on trouvait la classification des athénées exactement dans les termes où elle existe aujourd'hui, que le règlement de 1851 faisait absolument la même distinction.

S'il avait voulu aller jusqu'à la source et lire la loi organique de 1850, il eût trouvé une prescription formelle dans son article 17 imposant ce qu'il nous reproche d'avoir fait en 1869.

En effet, cet article porte :

« Les traitements du personnel des athénées ainsi que des écoles moyennes sont fixés par le gouvernement, d'après l'importance des localités. »

Or, je crois que l'honorable membre, quelque Montois qu'il puisse être, ne prétend pas que la ville de Mons ait une importance égale à celle de Bruxelles, d'Anvers, de Liège et de Gand.

Voilà le principal grief de l'honorable membre, c'est là-dessus qu'il a cru pouvoir fonder contre les fonctionnaires du département de l'intérieur des accusations dont l'injustice apparaît assez. Il leur reproche de rechercher des complications sans utilité, et au lieu de faire des choses importantes, de s'attacher à des vétilles.

Et ce qui provoque ces attaques, c'est un texte positif de loi ; on n'eût pu, sans le violer, agir autrement ; s'il y avait un coupable, ce serait le législateur !

Si l'honorable membre entendait mes explications, je crois qu'il devrait regretter ce qu'il a dit des fonctionnaires du département de l'intérieur. Je déclare, du reste, que j'accepte, en cette matière comme en toute autre, l'entière responsabilité de ce qui s'est fait au département de l'intérieur pendant que j'en étais chargé ; c'est moi qui eusse dû être attaqué, et je ne défends les fonctionnaires que parce que l'honorable membre en a parlé. Jadis, sous l'administration libérale, on les accusait d'un cléricalisme incorrigible ; c'est un vieux souvenir de ce temps qui leur vaut aujourd'hui d'être mis en cause. Ils doivent être bien vengés de ces accusations, puisqu'ils sont suspects aujourd'hui d'un libéralisme effréné.

Ces reproches sont aussi injustes que celui qui fait l'objet principal du discours de M. Dethuin : la division des athénées par catégories.

Si l'honorable M. Dethuin est un admirateur de l'égalité, s'il trouve quelque chose de révoltant à ce qu'il y ait plusieurs catégories de traitements, il devrait étendre sa réforme bien au delà de l'enseignement ; il devrait la demander pour les commissaires d'arrondissement ; pour les commandants de place ; pour les fonctionnaires de toutes espèces du département des finances ; pour la magistrature et surtout pour les curés, les desservants et les vicaires.

Il y a là si vaste matière à réforme que je crois que l'honorable membre, en faisant son observation, ne s'est pas douté des conséquences de son système ; ses arguments s'appliqueraient dans toutes ces matières. Vous voulez donc, disait-il à ses contradicteurs, de l'administration, de la défense nationale, de la justice, de la religion de plusieurs catégories, de la bonne, de la médiocre, de la mauvaise !

Mais si l’argument de l'honorable membre s'applique à tous ces objets avec la même force, il faut reconnaître que cette force est bien minime.

Comment admettre en effet qu'un fonctionnaire qui habite Neufchâteau ou Marche doit être traité, sous le rapport du traitement, comme le fonctionnaire qui habite Anvers ou Bruxelles ?

Ce qu'il y a de plus étrange dans les critiques de l'honorable M. Dethuin, c'est qu’il a saisi, pour diriger ces critiques contre ce qui a été fait en 1869, le moment où ce qui pouvait présenter des inconvénients dans la mesure, du reste rationnelle, des catégories d'athénées disparaissait complètement. En effet, par une mesure prise à cette époque, on a introduit des suppléments de traitement, pour les fonctionnaires de l’enseignement moyen qui demeurent pendant un temps assez long dans la même localité, sans avoir une augmentation de traitement.

J'ai sollicité et la Chambre a voté à cet effet un crédit de 32,000 francs pour les athénées et un crédit de 27,000 francs pour les écoles moyennes. Et savez-vous quel est l'effet de cette mesure ? C'est que si un professeur demeure à Mons, pendant dix ans, après avoir obtenu le maximum de son traitement, il arrive à un traitement supérieur à celui qu'un professeur de même classe, à Bruxelles, aura avant d'avoir accompli ces dix années de vétérance, de sorte que dans certaines circonstances le professeur qui se trouve dans une localité secondaire aura, au bout d'un certain temps de service, un traitement supérieur à celui d'une même classe à Bruxelles.

Il me paraît donc que si l'honorable membre avait examiné sérieusement la marche qui est suivie, il aurait tenu compte de ces circonstances ; qu'au lieu de faire des critiques qui n'ont aucune espèce de fondement, il aurait remercié l'administration d'avoir été au-devant de son désir ; mais je crois que l'honorable membre ignorait ces mesures, car il propose quelque chose de semblable comme une innovation dans le discours qu'il a prononcé !

Messieurs, le règlement des athénées mentionne le traitement des professeurs de religion comme celui des autres professeurs. L'honorable M. Dethuin a conçu, à la lecture de cette disposition si naturelle, les soupçons les plus étranges ; il s'est dit : Le règlement mentionne les professeurs de religion et leurs traitements, il y a quelque chose là-dessous. Que serait-ce bien ? C'est la convention d'Anvers qu'on veut imposer à tous les athénées du pays ! Et sans plus ample information, il nous révèle ses craintes.

Ici encore l'honorable membre a été en complet défaut de chronologie. La disposition qui se trouve dans le règlement des athénées de 1869 se trouve non seulement dans le règlement de 1860, mais encore, sans qu'on y ait changé une lettre, dans le règlement de 1851, qui est de trois années antérieur à la convention d'Anvers !

Or, comment peut-il se faire que, pour avoir reproduit dans un arrêté royal une disposition de 1851, on ait pu avoir la pensée d'introduire une chose qu'on n'aurait pas voulue en 1851 et qu'à cette époque on ne pouvait vouloir ?

Comment M. Rogier qui, en 1851, ne pouvait pas savoir qu'il y aurait un jour une convention d'Anvers, aurait-il pu vouloir l'imposer par un règlement ? Le règlement de 1869, messieurs, n'était qu'une reproduction des règlements antérieurs, avec certaines modifications déjà faites et qu'il fallait faire et qu'on devait codifier pour réunir toutes ces dispositions en une seule, et la disposition qui a effrayé M. Dethuin a été reproduite comme la plupart des autres des règlements de 1851 et de 1860.

M. Dethuin ne se fait pas une idée bien claire de ce que c'est que la loi de 1850 et de ce qu'est la convention d'Anvers.

La loi de 1850 n'admet pas du tout le prêtre à titre d'autorité dans l'école ; l'article 8 de la loi de 1850 porte que l'enseignement religieux fait partie de l'enseignement moyen. Il en résulte simplement que les professeurs de religion comme les autres professeurs doivent recevoir un traitement.

.Maintenant quel rapport cela a-t-il avec la convention d'Anvers ?

La convention d'Anvers n'est pas une loi, elle n'est même pas un règlement. C'est une convention entre le bureau administratif de l'athénée et le clergé pour régler la manière dont l'enseignement religieux doit être donné, et aucun règlement ne peut l'imposer aux athénées. Que reste-t-il des scrupules de l'honorable M. Dethuin ?

Messieurs, il y a une partie plus sérieuse dans le discours de M. Dethuin, c'est la partie qui traite du temps assigné par le programme à chacune des branches d'enseignement moyen.

J'avoue que j'ai été très surpris de me voir reprocher aujourd'hui de faire une part trop large aux études classiques proprement dites, à l'étude du latin et du grec, dans l'enseignement moyen. Je crois que si quelqu'un a provoqué des changements à cet égard et a soutenu des luttes énergiques pour faire triompher ces idées, c'est bien moi. Je ne pouvais pas me douter qu'arriverait le jour où je serais critiqué avec ardeur pour ne pas avoir fait prédominer l'élément moderne dans les études moyennes.

C'est cependant ce qui m'arrive aujourd'hui.

Je ne m'en plains pas, car je désire être critiqué, même injustement, à cet égard, parce que si l'on me blâme pour n'avoir pas été assez vite, au moins on appellera l'attention sur cette matière et on stimulera un progrès que je désire ardemment.

Si l'on me demandait si je crois le règlement de 1869 parfait, je répondrais très nettement que non. Je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin. Mais je dois rappeler dans quelles circonstances j'ai appelé l'attention sur cette question et ce que j'ai fait à cette époque.

Je n'ai pas pensé alors que l'on pût faire une réforme du jour au lendemain, que l'on pût immédiatement modifier complètement l'instruction moyenne.

J'ai au contraire déclaré alors de la manière la plus positive qu'il faudrait un très long espace de temps pour que cette réforme se fît. Je disais à la Chambre :

« Messieurs, je vous-ai fait connaître mes idées sur la question ; je sais qu'il faudra beaucoup de temps pour les réaliser, qu'il y a des résistances à vaincre.

(page 637) « Mais ce n'est pas une raison pour rester immobiles ; il faut préparer les voies et se mettre en chemin pour arriver à temps. »

Le ministre de l'intérieur ne peut pas modifier l'enseignement moyen. La loi trace un programme d'études que l'on doit suivre ; la loi indique les matières de l'examen de gradué en lettres qui influe directement sur le programme des cours.

A côté du ministre est un corps qui a une grande autorité morale et peut présenter une grande force de résistance : le conseil de perfectionnement. Il y a aussi le corps professoral qu'on ne peut faire mouvoir du jour au lendemain, dont on ne peut changer les tendances, les opinions. Il faut donc agir avec circonspection et tâcher d'arriver au résultat en modifiant successivement ce qui existe.

C'est ce que j'ai essayé de faire. Je crois que l'enseignement moyen s'attache beaucoup trop aux choses mortes, aux choses qui ne vivent pas de la vie de notre temps. Je crois qu'il faut lutter contre ces tendances ; que s'il ne faut pas supprimer l'étude des classiques anciens, il faut en faire une étude fertile pour ce qui existe aujourd'hui ; l'employer à former des citoyens non de l'antiquité ou du moyen âge, mais des citoyens d'aujourd'hui, des hommes dont l'intelligence soit douée de toutes les connaissances que notre époque réclame.

Je ne veux pas entrer dans des développements sur cette question. Je l'ai traitée très longuement et je crois même très complètement. J'espère que chaque année on gagnera, à cet égard, du terrain. Je veux montrer seulement que ce programme que j'ai signé en 1869, s'il n'est pas un programme qui satisfasse à tout ce que j'aurais voulu pouvoir faire, n'en est pas moins un pas dans la voie que l'on doit parcourir et qu'il s'y avance dans la mesure que l'état des choses permettait.

L'honorable M. Dethuin se plaint de ce que le français ne s'enseigne dans nos athénées que pendant trois heures par semaine et il se figure que la manière dont on apprend aux élèves a se servir de leur langue est tout a fait vicieuse. Il conseille l'envoi d'un inspecteur ou d'un directeur en France pour apprendre comment on y enseigne le français ; il veut bien nous apprendre que l'enseignement de la langue française ne consiste pas seulement à écrire, mais aussi à parler correctement le français et à rendre sa pensée clairement et surtout très simplement.

Je vois avec plaisir l'honorable M. Dethuin à sa place pour lui dire que, sur ce point comme sur les autres, nous avons été au devant de ses désirs et très largement.

L'honorable M. Dethuin se figure qu'on n'apprend le français dans les athénées que pendant trois heures par semaine.

Voilà l'idée d'où il part pour accuser l'administration d'avoir été d'une extrême légèreté. Nous allons voir si la légèreté, en supposant qu'elle existe quelque part, ce que je préfère ne pas admettre, si la légèreté existe de notre côté.

Si l'honorable M. Dethuin a pensé que trois heures seulement par semaine étaient consacrées à l'étude du français, il n'a pas lu la circulaire qui accompagne le programme et qui en révèle la portée.

Je vais vous lire, messieurs, quelques passages de cette circulaire et vous verrez qu'une très grande partie du temps consacré nominalement à l'étude du latin doit être employée à apprendre aux élèves à se servir convenablement de la langue française.

Voici d'abord quelques indications sur les explications dont les auteurs anciens doivent être l'objet, qui prouveront que l'histoire doit avoir sa part même dans le cours de latin.

« Pour que l'élève puisse se rendre compte des ouvrages qui sont entre ses mains, il faut qu'il connaisse l'écrivain, l'époque dans laquelle il a vécu, les circonstances dans lesquelles il se trouvait ; il ne doit rien ignorer de l'œuvre qu'on lui explique ; ce n'est qu'en comprenant bien l'œuvre qu'il traduit que l'élève y prendra intérêt et en profitera. Le professeur commencera l'explication d'un auteur par quelques notions qui le feront connaître ; ces notions seront naturellement différentes dans les classes inférieures et dans les classes supérieures ; très sommaires dans les premières, elles prendront plus d'extension dans les secondes. Le professeur ne laissera pas isolés dans l'esprit de l'élève les passages des auteurs, qu'il explique : il rattachera les faits rapportés par Hérodote, par Cornélius Nepos ou par Tite-Live aux époques de l'histoire de la Grèce ou de l'Italie auxquelles ils se rapportent ; il intéressera aux récits de César par quelques explications sur la suite des événements et la marche des armées : il n'expliquera un discours de Démosthène ou de Cicéron qu'en faisant connaître les intérêts et les passions se mouvant dans le débat auquel l'orateur intervient. »

Plus loin, messieurs, la circulaire contient un passage qui est exactement la réponse au discours de l'honorable M. Dethuin.

Voici ce passage :

« Le cours de français a été maintenu dans ses limites actuelles, mais le programme permet de lui donner une extension considérable : partout où la chose sera possible, on confiera l'enseignement du grec, du latin ou du français au même professeur. La division de cet enseignement fait que l'analyse littéraire diffère souvent, la nomenclature des figures n'est pas la même, l'exposition des principes de la poétique et de la rhétorique varie. Le professeur qui sera chargé de ce triple enseignement trouvera plus de temps pour exercer ses élèves à la composition et à l’élocution et tirera plus facilement de l'étude des auteurs anciens les résultats qu'elle doit avoir sur la manière d'écrire dans une langue vivante.

« Mais où cette unité de l'enseignement classique ne pourra être établie, il importe que les professeurs de grec et de latin tendent au même but. Les explications de tous genres dont les auteurs anciens seront l'objet se donnent en français et doivent être reproduites en français par l'élève, soit verbalement, soit par écrit ; il y a là une inépuisable matière d'exercices qui en s'attachant à la littérature ancienne, doivent apprendre l'art si important d'exposer ses idées avec ordre, de parler et d'écrire avec pureté dans la langue qu'on emploie chaque jour. Notions historiques, analyse de fragments, explications littéraires, tout se prête également à développer l'intelligence de la littérature ancienne avec une immédiate application à la formation des aptitudes littéraires d'une utilité actuelle.

« C'est dans le même sens que le programme diminue le thème au profit de la version ; on maintient le thème d'imitation fait en classe de vive voix sur les passages appris ou expliqués : c'est la préparation à la composition latine obligatoire pour l'examen ; elle fait saisir l'application des règles et des tournures des auteurs ; mais le thème écrit fera souvent place à la version écrite. On devra exiger dans les versions non seulement que le sens de l'auteur original soit fidèlement reproduit, mais que la traduction soit correcte et élégante ; l'élève apprendra ainsi à rendre dans sa propre langue les idées que lui fourniront les auteurs anciens. »

N'était-il pas au moins inutile de parler de l’« extrême légèreté » de ceux qui ont fait ce programme, en supposant que les trois heures de français seraient tout ce qui serait consacré à cette langue ?

Je ne m'appesantirai pas à vous montrer dans le cours de français les exercices d'élocution que conseille M, Dethuin ; ne sont-ils pas sur une large échelle dans le cours de latin, qui, s’il est donné comme il doit l’être, doit, à chaque instant, servir à apprendre à s’exprimer clairement et élégamment le français.

Je me hâte de dire que je ne considère pas même le cours de latin déterminé par le programme comme irréprochable, je voudrais voir supprimer les compositions latines.

Je considère comme une chimère de vouloir apprendre à notre génération à écrire et à composer en latin, et cette chimère est funeste puisqu'elle absorbe dans un travail stérile les forces les plus vives des jeunes intelligences et les rebute de l'étude par cette stérilité même.

Mais les compositions latines sont imposées par la loi, il n'était donc pas possible au ministre de les supprimer.

Voilà les explications que j'avais à donner sur ce programme à l'honorable M. Dethuin.

L'honorable membre a raison sur un point qu'il a traité ; il a signalé l'importance de l'article 8 que j'ai introduit dans le règlement de l'enseignement moyen.

J'appelle sur cet article 8 toute l'attention de l'honorable ministre de l'intérieur. Je suis convaincu que si M. le ministre veut marcher franchement dans la voie des réformes, il trouvera que je lui ai fait un legs précieux dans cette disposition qui fournit les moyens d'introduire des réformes considérables sans secousse.

Aujourd'hui, en effet, tous les athénées marchent de la même manière» avec le même programme et les mêmes exercices.

Je crois que le plus grand obstacle aux réformes gît dans cette uniformité,

Il faut bien mieux pouvoir introduire une réforme partielle dans un athénée que d'avoir à faire la même modification en même temps dans tous.

L'article 8 autorise le ministre de l'intérieur à modifier le temps consacré à chaque branche, lorsque les circonstances le permettent.

Si M. le ministre veut user de cette faculté, il pourra, lorsque le bureau administratif s'y prêtera et lorsque les circonstances seront favorables introduire des réformes dans un athénée.

Nous sommes aujourd'hui enrayés par une routine qui s'est fortifiée, par une longue durée. Dans une situation, pareille, il suffit parfois d'un exemple pour que le progrès s'accomplisse.

(page 638) Si M. le ministre partage mes idées, il lui suffira d'un athénée (celui de Liège se montre assez bien disposé) prêt à accomplir des réformes ; il verra qu'après très peu de temps, les imitateurs viendront, et que tous les athénées du pays secoueront le joug de cette routine qui arrête un progrès urgent, en nous retenant dans des habitudes qui pouvaient satisfaire les siècles passés, mais qui sont contraires à ce que réclame le nôtre.

J'ai signalé, dans le rapport sur l'enseignement moyen, l'importance de l'article 8 :

« Cette disposition, dont l'importance n'a pas besoin d'être signalée, doit permettre au ministre de l'intérieur d'accueillir les propositions qui lui seraient faites par les divers athénées pour réaliser de plus en plus les idées de réforme qui ont été signalées au conseil de perfectionnement. Elle permet de faire un pas en avant chaque fois que, dans un athénée, les circonstances s'y prêtent. Sans devoir subordonner tout progrès à une réalisation simultanée dans tous les établissements, elle autorise à sortir de cette uniformité qui empêche toute comparaison entre des mesures différentes et rend les innovations toujours difficiles, souvent impossibles. »

Je crois que le moment n'a jamais été plus convenable pour accomplir ces réformes. Le grand mal de notre instruction, c'est qu'elle est organisée de telle manière que nous sommes isolés de tous les pays de l'Europe, excepté de la France ; nous connaissons ce qui se passe en France, nous lisons les ouvrages français, mais nous ne connaissons pas ce qui se passe à nos portes, en Angleterre et en Allemagne ; nous restons étrangers aux journaux, aux ouvrages scientifiques et littéraires de ces pays. Je considère que c'est une cause de faiblesse que cet isolement de deux nations si importantes par les progrès qu'elles réalisent et la place qu'elles occupent dans le monde. Je crois que nous aurons accompli une amélioration immense en mettant notre jeune génération à même de puiser à ces sources fécondes ; pour cela il faut enseigner les langues modernes.

On nous apprend non seulement les langues d'Athènes et de Rome, mais leurs institutions : ce qu'étaient les archontes, les consuls, les censeurs, les préteurs ; on ne nous fait connaître que très peu les langues et pas du tout l'organisation de l'Angleterre et de l'Allemagne. Oui, nous en sommes là. Nous faisons vivre nos enfants dans un passé qui ne reviendra plus et nous ignorons le présent, qu'il serait si important de connaître.

Je désirerais voir l'instruction se répandre de la manière la plus large possible, l'enseignement primaire d'abord ; mais je pense que lorsqu'on attribue les grands succès de l'Allemagne ail développement de son enseignement primaire, on est dans l'erreur ; l'instruction primaire était plus développée chez les vaincus que chez les vainqueurs d'Iéna ; et même illettré, le soldat français a assez de ressources pour donner ce que la guerre réclame. Mais on serait bien plus juste, d'après moi, si l'on donnait une part dans les causes d'ailleurs si multiples des succès de l'Allemagne, à l'instruction supérieure des officiers et des classes élevées de l'Allemagne.

L'armée allemande connaissait tout ce qui était en France : politique, gouvernement, partis, armée, finances, lieux, chemins de fer.

L'armée française, elle, ignorait complètement tout ce qui existait en Allemagne, même la force de son armée et ses armes !

Cela tient uniquement à ce qu'en Allemagne on connaît la langue française, et à ce qu'en France on ne connaît pas généralement la langue allemande. Il est certain que la France est de toutes les nations la plus arriérée sous le rapport de la connaissance des langues modernes étrangères, tandis qu'en Allemagne, au contraire, on sait généralement, dans les classes élevées, le français. Il en résulte que les idées françaises se sont répandues dans le monde beaucoup plus que les idées des autres nations. Mais la France n'a rien gagné à cette exportation de ses idées qui était toute au profit de ceux qui les recevaient.

Ces nations ajoutaient aux progrès qu'elles réalisent les progrès réalisés en France ; la France en était réduite à ses propres progrès. C'est, entre beaucoup d'autres, une des causes qui font que la France s'est trouvée dans un état d'infériorité.

Messieurs, je désire voir se développer l'enseignement moyen de manière que nous puissions profiter des progrès qui s'accomplissent dans tous les pays du monde.

Pour cela je crois qu'il faut enseigner les choses vivantes plutôt que les choses mortes : les langues modernes de préférence aux langues anciennes, et on ne me fera jamais croire qu'il est plus important de savoir le grec que l'allemand.

M. de Theux. - Le meilleur moyen de bien apprécier les discussions qui viennent d'avoir lieu, est d'examiner si elles sont conformes à l'esprit de la Constitution et à la loi.

Je me suis donné la peine de relire les discussions de la loi tout entières et j'ai pris quelques notes relativement aux objets en discussion en ce moment. Je déclare d'abord, messieurs, que je ne demande rien de plus, rien de moins que la loyale exécution de la loi de 1842. Jamais je ne demanderai rien de plus, jamais je ne demanderai rien de moins que la complète et loyale exécution de cette loi.

Cette loi, messieurs, est-elle exécutée loyalement ? Elle l'a été d'abord par M. J.-B. Nothomb et ensuite par M. Vande Weyer.

J'ai administré l'enseignement primaire pendant dix-huit mois, et j'ai fait rapport sur l'exécution que cette loi a reçue pendant trois années. Ce rapport, je l'ai soumis avec confiance aux Chambres en ce qui concerne l'exécution franche et loyale de cette loi. Les Chambres ayant discuté et voté la loi, ont pu en apprécier l'exécution.

Plus tard, messieurs, lorsque des critiques se sont élevées contre la loi et que l'on a dit que cette loi pourrait être corrigée, dans une certaine mesure, administrativement, je me suis demandé ce que pouvait être une correction administrative.

Les lois doivent être appliqués telles qu'elles sont, et s'il n'appartient pas à un ministre de déroger à un arrête royal ou à un règlement général, il peut encore moins déroger à une loi et surtout à une loi qui, comme celle-ci, a été votée à l'unanimité de la Chambre et du Sénat et dont la discussion a été approfondie plus que celles de toute autre loi.

L'honorable M. Vandenpeereboom nous a dit hier de quelle manière il entendait l'application des articles 2, 3 et 10.

Qu'il me permette de lui répondre que, quant à l'article 2, il y a erreur de droit plutôt que de fait, et que quant aux articles 3 et 10, il y a erreur de droit et d'application : l'article porte que toutes les communes doivent avoir leur école primaire, mais que les communes où l'enseignement privé est bien organisé, sont dispensées d'établir cette école primaire.

Voici, messieurs, le texte de la loi et le commentaire qui l'a suivie immédiatement :

« Rien de plus clair que ces trois premiers articles de la loi du 23 septembre 1842. La commune doit l'instruction primaire aux habitants ; elle la leur doit à ses frais, à moins qu'il n'y soit pourvu d'une autre manière par des établissements privés. Le législateur, ménager dés deniers du contribuable, n'a point voulu décréter des dépenses inutiles, mettre à la charge du budget communal des frais que l'instruction privée pourrait lui épargner ; il dit aux communes : « Profitez d'abord des ressources que « vous trouvez à votre portée, dans la localité même. »

Maintenant, comment l'article 2 a-t-il été appliqué ?

« Quant aux dispenses que prévoit l'article 2 de la loi, 54 demandes, pour tout le royaume, ont été sollicitées : les députations permanentes en ont accueilli 49 et refusé 5. »

Vous voyez, messieurs, que le danger que signalait l'honorable M. Vandenpeereboom n'est pas sérieux.

Qu'est-ce qu'un nombre de 49 écoles privées, tenant lieu d'écoles communales ? Quand il y en aurait un bien plus grand nombre, cela ne nuirait en rien au pays.

L'article 3 est plus important. Il est relatif aux écoles adoptées.

Il est ainsi conçu :

« La commune pourra être autorisée à adopter, dans la localité même, une ou plusieurs écoles privées réunissant les conditions légales pour tenir lieu de l'école communale. »

Vous l'entendez, messieurs, « une ou plusieurs » : le législateur n'est pas du tout restrictif.

Eh bien, combien d'écoles ont été adoptées ?

751 demandes d'adoption d'écoles ont été adressées aux députations dans la période triennale ; 670 ont été accueillies et 61 ont été refusées. Il n'a pas été fait usage du recours au roi.

Messieurs, les écoles qui avaient été adoptées au moment de l'exécution de la loi, étaient en assez grand nombre ; et rien d'étonnant. La loi n'avait pas encore fonctionné ; l'existence de ces écoles n'était pas bien assurée ; aujourd'hui elles sont mieux organisées ; donc on peut user loyalement et libéralement de la disposition de la loi.

Je n'ai pas manqué d'user de la faculté de retrait de l'adoption. Ainsi dans la province de Luxembourg, il existait une école adoptée par la commune et dirigée par des religieuses, pour l'éducation des filles. Malgré l'adoption et malgré la prescription de la loi aux termes de laquelle les écoles adoptées doivent être visitées par les inspecteurs, cette institution religieuse s'était refusée à l'inspection. J'ai, par arrêté royal, provoqué le retrait de l'adoption.

Je dois revenir ici sur un fait tout à fait personnel. Dans une discussion déjà ancienne, on a dit que j'avais retiré un grand nombre d'adoptions. J'ai été étonné de cette assertion, et je me suis rendu dans les bureaux de (page 635) l’administration publique ; je m'y suis fait reproduire tous les dossiers relaie aux actes de retrait, et j'ai pu constater que c’était une fausse dénomination et qu'il n'y avait pas de retrait autorisé ou prescrit par la loi, sauf ce retrait que je viens de signaler.

En effet, quand un instituteur libre dont l'école avait été reconnue bonne et qu'on considérait comme adoptée, venait à mourir, on disait : Retrait d'adoption.

Quand un instituteur libre devenait instituteur communal : Retrait d'adoption.

De cette manière, on était arrivé à un nombre extraordinaire de retraits d'adoption. J'ai prescrit alors ou du moins j'ai conseillé de changer cette pratique et de ne plus qualifier ce fait de « retrait d'adoption. » Il n'en avait pas le caractère ; il n'avait rien de commun avec le retrait d'adoption.

Ceci, messieurs, est une explication nécessaire pour qu'on puisse apprécier les premiers errements de l'administration, soit de mes prédécesseurs, soit de moi-même, soit de ceux qui m'ont suivi immédiatement.

Messieurs, je veux exprimer franchement mon opinion sur l'adoption des écoles. Je crois que, dans plusieurs cas, on a tout à fait manqué le but que s'était surtout proposés les législateurs, en autorisant l'adoption, et qu'on a très fâcheusement contrarié le vœu des communes. Ainsi dans la province de Hainaut, où il y a des villages très populeux, une grande agglomération de population venant de divers pays et de diverses parties de la Belgique, exposées à de graves désordres par suite des hauts salaires, par suite du désœuvrement en dehors du travail réglementaire dans les établissements industriels, des administrations communales ont demandé l'adoption des écoles même pour les écoles des Frères, et pour les écoles de filles, on a refusé !

Cependant, je le demande, n'est-il pas dans l'intérêt du pays, dans l'intérêt social des plus évidents qu'une population ainsi agglomérée, exposée à toute espèce d'erreurs et d'entraînements, dont les enfants n'ont pas reçu d'éducation peut-être pendant plusieurs générations, soit instruite, soit formée dans son éducation par des corporations aussi avantageusement connues que celles des Frères de la doctrine chrétienne, que les plus grandes villes de France se sont fait un plaisir d'adopter ? Est-là une manière sage d'appliquer la loi ? Evidemment non.

Pour l'adoption d'écoles des filles, il y a des motifs extrêmement majeurs.

Tous les législateurs sont d'accord qu'il est utile et convenable de séparer les sexes dans les écoles, non seulement au point de vue de l'éducation, mais aussi au point de vue des travaux manuels qu'on enseigne aux enfants dans l'école des filles séparée.

Dans une école mixte, cela ne se peut pas ; mais dans une école séparée pour le sexe féminin, toutes ces sortes de travaux si utiles pour les familles, peuvent mieux s'apprendre. Et puis, moins il en coûte aux communes, plus elles peuvent multiplier ces écoles. Nous avons des communes qui ont besoin de deux ou trois écoles, peut-être plus, si elles veulent donner une éducation spéciale aux filles.

Eh bien, messieurs, par ces exigences et par l'habitude de refuser des adoptions raisonnables, on met les communes dans le cas de ne pas avoir des écoles suffisantes ou de ne pas avoir des écoles conformes à leurs besoins.

Messieurs, l'article 10 de la loi est l'article le plus essentiel de tous au point de vue de l'égalité des droits, au point de vue de la liberté. Je dirai même que c'est un article qui a la valeur d'un article constitutionnel, c'est-à-dire qu'il est exigé par la Constitution.

Messieurs, on a dit qu'après les quatre premières années, les communes seraient libres, c'est écrit dans la loi, de choisir leurs instituteurs et leurs institutrices. Mais les communes ne sont libres qu'autant que les instituteurs soient diplômés.

Or, si les établissements de l'Etat fournissent seuls les diplômes, comment voulez-vous que les communes puissent choisir librement leurs instituteurs ? On me dira, il est vrai : l'autorité administrative donne des dispenses, lorsque la pratique d'un sous-instituteur a témoigné d’une instruction suffisante, d'une capacité complète. Mais c'est toujours une dispense à obtenir du gouvernement. Ce n'est pas là notre Constitution. Que le gouvernement prescrive que les instituteurs aient reçu une certaine éducation, qu'ils fassent preuve de connaissances suffisantes pour diriger l'école, rien de plus juste ; sans cela, l'instruction serait livrée à des charlatans, au premier venu.

Cela n'était pas possible. Mais d'une autre part, il faut qu'à côté des établissements normaux de l'Etat, à côté des cours normaux adjoints à une école primaire, il y ait des institutions libres qui puissent fournir la matière nécessaire pour faire un choix libre. Sinon, la Constitution est renversée par sa base. Si une commune n'est plus libre de choisir là un instituteur qui réunisse les qualités d'instruction et de moralité voulues par la loi, la liberté d'enseignement disparaît.

Aussi, messieurs, l'article 10 de la loi de 1834, a reçu un commentaire qu'il est impossible, de décliner. Cet article a été longuement discuté, parce qu'il était un des principaux de la loi. Il dit :

« Pendant les quatre premiers années de la mise à exécution de la présente loi, toutes les nominations seront soumise l'agréation du gouvernement.

«Après ce délai, les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d'avoir fréquenté avec fruit pendant deux ans au moins les cours de l'une des écoles normales de l'Etat, les cours normaux adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures, ou les cours d'une école normale, privée ayant, depuis deux ans au moins, accepté le régime d'inspection établi par la présente loi. »

Ainsi l'école normale privée est mise exactement sur la même ligne que les écoles normales de l'Etat et que les cours normaux auprès des écoles primaires supérieures, sans aucune autre condition que de se soumettre à l'inspection prescrite par la présente loi.

Messieurs, le gouvernement, soit pour ses écoles, soit pour les écoles agréées et érigées par l'épiscopat, a établi des mesures très complètes quant à l'admission des élèves, quant au passage d'une année d'écolage à une autre et quant à la sortie des élèves avec diplômes.

Maintenant, messieurs, si une école privée qui n'est ni épiscopale ni de l'Etat, est érigée en école normale, elle doit subir naturellement l'application des règlements que le gouvernement applique à ses propres écoles, et dès lors elle offre toutes les garanties désirables

Notez en outre, messieurs, qu'après sa nomination un instituteur continue ses études, qu'il doit donner des preuves de son aptitude à l'enseignement et qu'il est révocable si celles-ci, si sa moralité font défauts.

Messieurs, on a dit qu'une école normale privée ne pouvait être adoptée qu'après avoir été constituée et après avoir fait ses preuves. Le gouvernement peut, à cet égard procéder de deux manières différentes : il peut stipuler toutes les conditiions nécessaires, pour les bâtiments, pour les mobiliers, pour le personnel et dire aux fondateurs ; Si votre école répond à ce que la loi exige, elle sera considérée comme école normale ; ou bien le gouvernement peut attendre que l'école soit établie et qu'il ait été mis à même de l'apprécier. M. Nothomb l'a déclaré dans la discussion de l'article 10.

Le choix entre ces deux manières de procéder peut dépendre des circonstances ; il peut arriver que, si le fondateur avait à craindre qu'après avoir fait tous ses frais, ses élèves ne fussent pas admis par le gouvernement, il n'osât point passer outre.

Le cas d'agréation préalable et conditionnelle se présentera rarement,. puisqu'il existe déjà plusieurs écoles normales.

Voici, messieurs, comment s'exprimait l'honorable M. Dechamps, rapporteur de la loi sur l'enseignement primaire :

« L'honorable M. Devaux a semblé croire que le droit d'inspection ne donnait aucun droit, qu'il était nominal. Evidemment, tout en reconnaissant que l'inspection devra se borner dans le cercle d'une inspection ordinaire, l'inspecteur devra faire connaître au gouvernement si dans l'école privée on enseigne toutes les matières nécessaires pour qu'elle présente le caractère d'école normale ; il déclarera que le règlement de cette école est véritablement le règlement d'une école normale ; et, comme je viens de le dire tout à l'heure, vous aurez les écoles de l'Etat qui seront le type pour juger des écoles privées.

« D'ailleurs, dans la pratique, tous ces inconvénients n'existeront pas. Il sera clair, pour le gouvernement comme pour la Chambre et pour tout le monde, que telle école est véritablement une école normale ; et si le gouvernement, par une mesure arbitraire, se refusait à reconnaître comme école normale celle qui le serait effectivement, il y aurait une telle réprobation dans la Chambre et le pays, que le gouvernement serait dans l'impossibilité de persister dans sa conduite. »

Maintenant, messieurs, je demanderai si l'honorable M. Vandenpeereboom était en droit d'imposer aux écoles des filles tenues par des religieuses qu'elles ne formeraient point d'institutrices laïques ? Evidemment non.

Il n'y a aucune restriction à imposer. Si une école normale religieuse veut se contenter de former des institutrices religieuses, libre à elle ; mais le gouvernement ne peut lui en faire une obligation.

L'article 10 est formel.

On a parlé de subsides. Assurément, le gouvernement n'est pas obligé d'accorder des subsides à des écoles normales privées, mais il a le droit de le faire.

(page 640) Du moment qu'une somme est spécialement allouée au budget, il a le droit d'en disposer.

Les établissements normaux que le ministre a reconnus comme tels n'en ont pas demandé. C'est dès lors une question qu'il est inutile de résoudre, mais c'est une question budgétaire avant tout.

L'honorable M. Vandenpeereboom n'a voulu admettre qu'une seule école normale religieuse par diocèse.

Cette interprétation est tout à fait contraire à l'article 10 de la loi ; elle ne saurait exister sans enfreindre la liberté constitutionnelle de l'enseignement. Si elles ne sont utiles, il n'y aura pas de fondateurs.

Messieurs, les écoles normales pour les institutrices sont extrêmement nécessaires. Il est vrai que la loi de 1842 n'a pas d'article particulier pour l'éducation des filles, mais nous avons un commentaire qui aura toute sa valeur aux yeux de la Chambre.

Ce commentaire émane des honorables MM. Rogier, Dumortier et Nothomb, ministre de l'intérieur.

Je prie la Chambre de me permettre de lui lire ce commentaire, qui a été fait au moment du vote de la loi ; il est extrêmement intéressant.

« M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur le projet de loi.

« M. Rogier. - J'avais appelé l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur une lacune que présente le projet relativement aux écoles des filles. En France, je crois que ce qui concerne les écoles des filles est réglé par arrêté royal. Du moins, j'ai un arrêté de 1836, qui contient plusieurs dispositions relatives à l'organisation des écoles. »

Il faut savoir, messieurs, qu'en France les institutrices étaient presque toutes formées par les corporations religieuses. C'était là la pépinière des institutrices. C'est à tel point qu'il y a dix-huit ans une seule de ces congrégations avait en France 2,600 institutrices. C'était l'établissement des Filles de la Sagesse.

« M. Nothomb, ministre de l'intérieur. - Messieurs, la loi française et le projet de 1834 ne renferment aucune disposition spéciale relative aux écoles de filles. Un premier point, c'est la séparation des sexes ; il faut, autant que possible, arriver à avoir des écoles spéciales pour les filles ; telle doit être la tendance du gouvernement, mais il est impossible de rien écrire à cet égard dans la loi. Pour les écoles d'adultes, par exemple, pour les écoles du soir, pour les écoles du dimanche, le gouvernement fera en sorte qu'il y ait des écoles spéciales de filles. Je regrette que dans les villages il ne puisse pas y avoir également des écoles spéciales pour les filles. Dans tous les cas, je crois que la loi doit garder le silence sur ce point, et qu'il faut compter sur la sollicitude du gouvernement, pour avoir un enseignement spécial pour les filles là où les circonstances le permettront.

« M. Dumortier. - Je pense, messieurs, qu'il ne faut pas ici équivoquer. Si le gouvernement voulait établir des écoles de filles dans toutes les communes, avec une hiérarchie complète des écoles normales, des écoles primaires et modèles pour les filles, je déclare que je m'y opposerais de toutes mes forces. Restons, messieurs, dans ce qui est possible, et même en restant dans ce qui est possible, nous faisons encore beaucoup. La femme doit être l'ange du foyer domestique, elle doit se dévouer aux soins du ménage, mais elle n'a point de mission dans l'ordre social. L'éducation des filles devra toujours être l'éducation la plus religieuse possible. Elle remplit aujourd'hui cette condition, et dès lors nous ferons bien de ne pas y toucher ; moins nous interviendrons dans l'éducation des filles, mieux ce sera pour la morale publique. La morale publique ne se fait pas par les lois : les lois peuvent prendre des précautions pour la conserver, mais elles ne peuvent pas la faire.

« M. Rogier. - Je ne pense pas, messieurs, qu'il y ait lieu de s'échauffer à ce point relativement à une observation très simple que j'ai faite. Je n'ai pas du tout proposé d'établir tout un système hiérarchique pour les écoles des filles. J'ai simplement fait remarquer qu'il y aurait une lacune dans le projet relativement aux écoles des filles, et je crois qu'il n'est pas du tout indifférent pour le pays que les filles du peuple sachent lire, écrire, calculer et coudre. Je crois que si le législateur prend en considération tous les besoins de l'éducation du pays, il ne doit point perdre de vue l'éducation des filles.

« Au reste, je le répète, je n'ai nullement demandé une administration particulière pour les écoles des filles. Je me suis borné à signaler une lacune. Je crois que le gouvernement fera administrativement tout le bien qu'il pourra faire, et qu'à cet égard la loi lui laisse toute latitude.

« M. Nothomb, ministre de l'intérieur. - Il n'y a pas de lacune dans la loi ; il s'y trouve beaucoup de dispositions qui pourront être appliquées aux écoles des filles et aux institutrices. Ainsi, par exemple, la disposition relative aux bourses (et je réponds ici à l'honorable M. Dumortier), la disposition relative aux bourses doit s'appliquer aux institutrices, en ce sens que le gouvernement doit pouvoir donner des bourses aux institutrices qui suivent les cours donnés dans des établissements dirigés par des congrégations religieuses. C'est ce qui se fait en France, et j'ai sous les yeux un rapport de M. Villemain qui dispose ainsi de certaines bourses. »

Vous voyez donc de quelle importance sont les écoles normales destinées à former des institutrices.

On a semblé craindre que les institutrices formées par les écoles normales de religieuses, ne connaissent pas les nécessités de la vie ordinaire.

Le danger est imaginaire, l'institutrice livrée au contact de la société par les exigences de son emploi, comprend bien vite les besoins du monde, et cherche à rendre à ses élèves le plus de services possible au point de vue de la vie de famille, et est bien plus utile que l'institutrice qui n'a pas la gravité de son état.

Ne craignez pas qu'il y ait jamais trop de garanties pour la moralité des bonnes institutrices afin qu'elles puissent inculquer ce sentiment moral à leurs élèves qui est souvent négligé par les parents, ne craignez pas cet excès de garanties ; d'ailleurs, je ne prétends l'imposer à personne, car comme chacun est libre de fréquenter telle école qui lui convient, chaque commune est libre aussi de choisir telle institutrice qui lui convient le mieux.

Messieurs, on s'est beaucoup prévalu d'une parole prononcée par M. Nothomb dans la discussion de la loi sur l'instruction primaire ; il a dit (page 641) que, d'après lui, à l'aide des deux écoles normales et des divers cours normaux, l'Etat pourrait fournir les deux tiers des instituteurs.

Cette opinion n'a pas été confirmée par les faits ; elle n'a pas fait l'objet d'un article de la loi ; le vote de cette loi n'a pas été subordonné à cette condition.

En effet, la commune étant libre de choisir ses instituteurs, et la loi permettant à chacun de fonder une école normale, en se conformant aux prescriptions de la loi, il était impossible que M. Nothomb prédit ce qui arriverait.

D'ailleurs, M. Nothomb disait que ce serait très large si l'on obtenait les deux tiers des places d'instituteurs pour les élèves des écoles de l'Etat.

Il n'y a donc eu dans cette phrase aucune espèce d'engagement et, je le répète, ce n'est pas cette phrase qui a déterminé le vote de la loi.

Messieurs, pour ne pas y revenir dans cette discussion, je dirai un mot relativement au crédit de 50,000 francs porté au budget de l'intérieur par l'honorable M. Pirmez et que la section centrale, d'accord avec le gouvernement, refuse d'accepter.

Je dis, messieurs, que si les écoles primaires sont réglées par la loi quant aux garçons et quant aux établissements mixtes (c'est le fait le plus général), il doit en être ainsi à plus forte raison des écoles moyennes de filles. Cette institution est toute nouvelle et, aux termes de l'article 17 de la Constitution, le gouvernement doit, s'il le juge utile, présenter un projet de loi organique de cet enseignement ; si la Chambre votait un crédit, sans une loi préalable, je dis qu'elle manquerait à son plus grand devoir. L'article 17 de la Constitution dit formellement que l'instruction publique, donnée aux frais de l'Etat, est réglée par la loi.

Comment ! on réglerait par la loi l'enseignement des petits enfants, des jeunes gens qui fréquentent les écoles, et pour cette instruction nouvelle, à laquelle on ne pensait pas en 1842, on voudrait se dispenser de faire voter une loi ! C'est impossible !

Si l'on érigeait les écoles moyennes pour les filles, sans les garanties d'une loi, ce serait évidemment des écoles d'indifférentisme, car ce ne serait que pour se soustraire à la loi qu'on voudrait se borner à les subsidier, en inscrivant une allocation au budget de l'intérieur. Ce serait, je le répète, des écoles d'indifférentisme.

Eh bien, je ne désire pas même par esprit d'opposition aux prôneurs de cette institution. Je ne désire pas qu'il y ait dans les familles des libres-penseuses ; je crois que ce serait fort regrettable et il est très possible que les jeunes filles formées dans ces établissements regrettassent elles-mêmes de n'avoir pas les qualités que les hommes sensés recherchent dans leurs épouses.

Je conclus en disant que nous devons rester dans le système décrété par le Congrès, et confirmé par la loi de 1842 ; c'est le système d'émulation et de libre concurrence, système qui renferme en lui-même tout ce qui est nécessaire pour satisfaire les opinions qui divisent le pays.

Je crois que la loi de 1842, ayant produit l'émulation, le zèle et la concurrence, a plus fait pour les progrès de l'enseignement, tant au point de vue du personnel qu'au point de vue de l'étendue de l'enseignement, que ne ferait jamais une loi sur l'enseignement obligatoire. (Interruption.) Oh ! notez bien que dans les pays où l'enseignement est obligatoire il y a une garantie. Ainsi, on se prévaut de l'exemple de la Prusse. Mais en Prusse l'enseignement primaire et l'enseignement moyen sont complètement sous la direction du clergé bien plus que par nos lois, incomparablement plus. Mais, messieurs, à ces conditions, je suis persuadé que même les plus grands admirateurs de l'enseignement obligatoire ne voudraient pas du système prussien : toutes nos institutions à nous sont bâties sur la liberté. Je ne comprends donc pas que ce système soit prôné en Belgique.

Autant vaudrait prôner le système militaire de la Prusse. Je crois, messieurs, que ce ne n'est pas là que les Chambres belges doivent aller puiser leurs enseignements.

Déjà, messieurs, le système militaire complètement obligatoire fonctionne dans divers pays à l'image de la Prusse ; aujourd'hui il commence à fonctionner en Russie, où l'on pourra ainsi disposer d'une armée de 2,500,000 hommes.

Eh bien, messieurs, Dieu préserve la Belgique de l'un et de l'autre de ces systèmes, soit de l'enseignement, soit de l'armement. Nous serons peut être malheureusement un jour amenés à des armements beaucoup plus considérables que personne ne l'avait prévu, ni les partisans de l'armée, ni les adversaires de l'armée, dans la discussion de la loi organique. Je dis « adversaires de l'armée », c'est-à-dire partisans d'une organisation plus économique que celle qui existe.

Nous avons vu l'Angleterre, qui avait pris l'initiative d'une réduction des forces militaires, de la diminution des dépenses, par l'organe de M. Gladstone, qui était l'auteur de ce système, présenter un système militaire nouveau qui sera probablement adopté par le Parlement.

Un jour on ouvrira probablement les yeux, et l'on verra qu'en armant toute la nation, c'est comme si l'on n'en armait qu'une partie, puisque toutes les nations seront sur le même pied.

Mais, messieurs, comme on ne peut, dans cette discussion, s'occuper du système d'armement que nous aurons à préconiser plus tard, je réserve le reste des observations sur l'état militaire de la Belgique à l'époque où la situation de l'Europe sera appréciable et pourra nous éclairer sur les besoins de notre pays.

M. David. - Autrefois, messieurs, les gardes champêtres, l'un garde champêtre en chef, l'autre garde champêtre en second, suffisaient pour exercer une police convenable à Stavelot et dans la banlieue. Depuis que le chemin de fer dessert cette localité voisine de la frontière prussienne, il y a une plus grande affluence d'étrangers. Le conseil communal a cru qu'au point de vue de la police judiciaire, il était convenable de nommer un commissaire de police.

Mais avant de prendre une décision quant à la nomination de ce commissaire, l'administration a voulu s'assurer que le traitement du commissaire de police serait le même que celui du garde champêtre en chef et ne serait pas augmenté d'office par la députation permanente de Liège.

Après avoir obtenu cette assurance écrite de la part du gouverneur de la province de Liège, le conseil communal de Stavelot s'est réuni le 2 avril 1870 et a décidé d'ériger une place de commissaire de police. Par arrêté royal du 10 mai, cette délibération a été approuvée.

Le 15 juillet, le conseil communal s'est assemblé, et conformément aux articles 123 et suivant de la loi communale, il a formé la liste de deux candidats.

Le sieur Balthazar a été nommé premier candidat à l'unanimité et le sieur Desaumont second candidat.

Ces présentations ont été transmises à M. le commissaire d'arrondissement le 3 août 1870.

Les rapports du bourgmestre, du juge de paix, du commissaire d'arrondissement et du gouverneur sur le sieur Balthazar sont des plus favorables. Ils reconnaissent, à côté de cela, l'activité et le dévouement à son devoir du sieur Desaumont ; mais ils le considèrent comme étant, en fait d'instruction et de capacité, au-dessous de son concurrent, et ne pensent pas qu'il pourrait remplir convenablement les fonctions de ministère public auprès du tribunal de simple police établi à Stavelot.

Voici l'avis donné par le bourgmestre, et les avis du juge de paix, du commissaire d'arrondissement et du gouverneur, sont, j'en suis certain, identiques. Cet avis est du 19 août 1870.

« Stavelot, 19 août 1870.

« Monsieur le procureur du roi, à Verviers,

« Satisfaisant au désir exprimé par votre honorée lettre du 18 courant, n°5500, j'ai l'honneur de vous informer que le sieur Balthazar, présenté à l'unanimité par le conseil communal comme premier candidat à la place de commissaire de police de cette ville, possède l'aptitude, l'instruction, l'intelligence et les connaissances nécessaires à l'exercice de cet emploi. Il exerce déjà à Stavelot, à la satisfaction générale, les fonctions de garde champêtre chef, depuis près de deux ans, et il a fait preuve de capacité. Sa conduite et sa moralité sont exemplaires et ses antécédents sont exempts de tout reproche. Il était ci-devant employé depuis environ dix ans au bureau du commissaire-voyer du canton, où il a acquis des connaissances pratiques très utiles.

« Le sieur Balthazar est donc, à tous égards, digne des meilleures recommandations.

« Quant au sieur François Desaumont, second candidat, garde champêtre à Stavelot, c'est un fonctionnaire actif, vigilant et très honnête ; mais sous le rapport des connaissances et des capacités, il n'est certes pas à comparer à son compétiteur premier en rang.

« Il est donc de mon devoir, M. le procureur, de vous prier de bien vouloir appuyer tout spécialement la candidature du sieur Balthazar.

« Veuillez, M. le procureur, agréer, etc.

« Le bourgmestre, (signé) Ferdinand Massange. »

Comme vous venez de le voir, messieurs, cet avis était aussi complètement favorable que possible.

Mats la nomination ne sortait pas, et le bourgmestre m'écrit afin que je tâche d'accélérer la solution de cette affaire ; le 25 septembre 1870 je me suis permis de réclamer par lettre auprès de M. le ministre de l'intérieur et de le prier de vouloir hâter cette nomination ; mais jusqu'à présent il ne m'a pas encore fait l'honneur de me répondre.

(page 64) Le collège des bourgmestre et échevins, voyant traîner la nomination outre mesure en longueur, a réclamé de nouveau, le 12 octobre, auprès de M. le commissaire d'arrondissement et toujours sans succès.

A quoi devions-nous tous ces retards dans la nomination du commissaire de police ?

Ils avaient pour cause, messieurs, les inavouables rancunes politiques de l'honorable ministre de la justice qui avait cru rencontrer le sieur Balthazar en travers de son chemin électoral, au mois de juin et au mois d'août dernier.

II a voulu le punir de son audace et l'honorable ministre de l'intérieur a aidé son collègue à se venger de cet honorable et modeste fonctionnaire communal.

M. Guillaume Cornesse, frère de M. le ministre de la justice et M. Jules Orban, fils de M. Jacques Orban, chef du parti clérical à Stavelot, sont venus fournir à M. le ministre, de la justice l'occasion opportune d'ordonner une enquête judiciaire sur le compte de Balthazar ; ils produisirent, à charge de Balthazar, des déclarations très peu précises, des déclarations fondées sur des ouï-dire et sur des on-dit. Voici, messieurs, la dénonciation de M. Guillaume Cornesse.

« M. Guillaume Cornesse. Balthazar a joué le rôle le plus actif dans les élections du 14 juin et du 2 août dernier ; il m'a été dit qu'il avait rendu visite aux électeurs, tant dans la commune qu'en dehors, notamment à Francorchamps et à La Gleize. On l'a vu aux deux élections de Verviers, surveillant les électeurs. On m'a dit qu'il distribuait, dans le train du chemin de fer, des billets de parcours : il paraît même que lorsqu'il n'était encore que simple porto-chaîne de M. Lejeune, commissaires voyer à La Gleize, il s'occupait déjà activement de politique : il paraît que c'était lui qui était chargé de ramasser les éléments pour former des pourvois contre nos électeurs ; enfin il m'a été dit qu'entre les élections du 14 juin et celles du 2. août il avait circulé, tant dans la commune qu'en dehors, avec une liste d'une association libérale, à Stavelot, et je sais qu'il l'a présentée aux sieurs..„ etc., etc. »

Cette déclaration a été corroborée, dans une mesure comique et aussi peu précise, par M. Jules Orban, frère de M. Jacques Orban. Voici ce qu'il y disait :

«. M. Jules Orban - Depuis que Balthazar a été nommé garde champêtre chef, à Stavelot, je lui ai reconnu la plus grande activité dans les, luttes électorales et je crois que sa nomination de garde champêtre chef, à Stavelot, n'a eu lieu que dans, le but de le récompenser des services rendus au parti libéral. On a vu Balthazar aux deux élections de Verviers travaillant contre le ministère. <Il m'a été rapporté que Balthazar avait rendu visite aux électeurs de la commune et de différentes communes du canton, notamment à Francorchamps et à La Gleize. Enfin j'ai appris que Balthazar avait colporté une liste d'une association libérale à Stavelot, dans le but de nuire au ministère. »

Ces citations, messieurs, sont extraites du journal l’Amblève, dont quelques numéros m'ont été envoyés par une personne de toute confiance et occupant une haute position à Stavelot, dans le but de me renseigner sur les faits, et me mettre ainsi à même de vous exposer la conduite haineuse et mesquine de M. le ministre de la justice ; je les tiens donc pour parfaitement exactes,

Malgré l'inanité, messieurs, des déclarations que vous venez d'entendre, une enquête judiciaire sera cependant ordonnée par M. le ministre de la justice.

M. le procureur du roi de Verviers l'annonce par la lettre que voici au bourgmestre de Stavelot, le 24 octobre 1870 ;

« Verviers, 24 octobre 1870.

« Monsieur le bourgmestre de Stavelot.

« En vertu d'une dépêche ministérielle du 13 octobre 1870 qui m'a été transmise hiérarchiquement, avec demande d'y satisfaire, j'ai l'honneur de vous informer que le gouvernement, avant de statuer sur la désignation du commissaire de police de Stavelot, désire connaître si l'un des candidats, M. Balthazar, alors qu'il était déjà attaché à la police de la commune, n'a pas méconnu ce qu'il devait aux fonctions qu'il occupe en colportant des bulletins électoraux, des listes de souscriptions essentiellement politiques, des circulaires offrant le même caractère et si, de plus, par sa conduite et par le rôle actif qu'il a pris dans les mêmes circonstances, il n'a pas perdu de vue ses devoirs.

« Je vous prie, en conséquence, de bien vouloir inviter le sieur Balthazar à me faire parvenir des explications par écrit sur les faits qui lui sont reprochés et à y joindre tous les documents et attestations qu'il croirait devoir invoquer en réponse aux inculpations dont il est l'objet. Vous voudrez bien également l'avertir que, s'il le juge convenable, je lui donnerai connaissance, en mon parquet, de l'enquête ouverte par moi, à ses charges, en exécution de la dépêche ministérielle. Je vous prie aussi de me retourner la présente, après qu'il aura été satisfait à son contenu.

« Agréez, monsieur le bourgmestre, l'assurance de ma considération distinguée. Le procureur du roi, Lelièvre. »

Le 26 octobre, deux jours après que le bourgmestre avait reçu cette lettre, le sieur Balthazar s'est justifié, de la manière la plus complète, des mauvais bavardages dont il était l'objet. Il dénie énergiquement tous les faits, sauf celui d'avoir colporté une liste d'adhésions à l'association libérale de Stavelot, mais il ne l'a colportée que sur l'ordre exprès du collège échevinal et cela chez des personnes désignées sur une liste dressée par le collège. J'ai ici sa protestation ; elle est du 26, deux jours après l'arrivée de la lettre du procureur du roi ; vous en jugerez, messieurs, la voici :

« Monsieur le procureur,

« Des renseignements malveillants ont été fournis contre moi à M. le ministre de l'intérieur.

« Par esprit d'opposition systématique, certaines personnes ont voulu, à tout prix, nuire à ma réputation dans le seul but d'enrayer ma nomination de commissaire de police à Stavelot, fonctions auxquelles je suis proposé par le conseil communal de cette ville.

« N'ayant aucun reproche à me faire, elles ont eu recours à des expédients qui n'auront échappé ni à M. le ministre, ni à vous, M. le procureur, car tous deux vous avez pu voir les avis qui ont été donnés par les autorités administratives et judiciaires, à la suite de ma présentation comme premier candidat à la place de commissaire de police.

« Vous le savez, les opposants me font un grief des faits les plus insignifiants et surtout un crime de mes opinions politiques jusqu'à suspecter mon impartialité dans mes fonctions.

« Une telle dénonciation, M. le procureur, basée sur l'assouvissement de passions malveillantes, me paraît être un acte bien coupable.

« Mais, je le conçois, toute plainte quelconque doit être instruite pour arriver à solution, et c'est avec raison que M. le ministre a voulu qu'une enquête fût faite.

« J'en suis heureux, M. le procureur, car le résultat que vous en ayez obtenu aura certainement dévoilé l'iniquité de mes détracteurs.

« Vous aurez pu vous assurer par vous-même, M. le procureur, que les habitants de la commune de Stavelot se sont toujours plu à me reconnaître la plus grande impartialité dans l'exercice de mes fonctions et, qu'à cet égard, je ne vois que les choses et non les hommes, comme en toute bonne justice cela doit être. C'est ce que je puis, du reste, prouver, au besoin, par de nombreuses attestations des gens les plus honorables de la localité, sans distinction de parti.

« Le fait que l'on me reproche, d'avoir présenté une liste d'adhésion pour la création d'une association libérale en cette ville, est exact ; seulement je ne l'ai fait que sur l'ordre du collège et je n'ai présenté la pièce en question qu'aux personnes dont les noms figuraient sur une liste me remise à cet effet.

« Quant aux bulletins que j'aurais distribués, le fait est complètement faux,

« J'ajouterai que je n'ai pas demandé la place de commissaire de police, dans le but d'améliorer pécuniairement ma position, puisque le traitement dont je jouis actuellement comme garde champêtre chef sera maintenu ; tout ce qui m'en reviendra, sera d'augmenter ma responsabilité.

« Enfin, M. le procureur, bien que j'appartienne à l'opinion libérale, j'affirme de nouveau qu'en ce qui concerne mes fonctions, je les ai toujours remplies avec la plus grande impartialité, sans esprit de parti, comme il convient à un honnête homme. Je défie qui que ce soit de prouver le contraire,

« J'ai la ferme conviction qu'en suite de l'enquête que vous avez faite, et des explications qui précèdent, M. le ministre se trouvera parfaitement à même d'apprécier le mobile de la singulière plainte qui a été faite contre moi et qu'il saura la réduire à sa juste valeur.

« Confiant dans l'impartialité du gouvernement, je reste, etc.

« Balthazar.

« Stavelot, 26 octobre 1870. »

Cette justification si entière et si complète, corroborée par les avis si élogieux du bourgmestre, du juge de paix, du commissaire d'arrondissement et du gouverneur, aurait suffi en toute autre circonstance pour faire tomber les cancans débités contre un fonctionnaire honorable. Mais cette fois on avait en face un adversaire politique et il fallait tâcher de le déconsidérer autant que possible auprès de ses concitoyens.

Pour obtenir ce résultat, le procureur du roi de Verviers arriva un beau dimanche matin à Stavelot.

(page 643) M. Bouvier. - Un dimanche.

M. David. - Oui, avec le train de 8 h. 15, pour y procéder à cette insolite enquête judiciaire. Et comment les choses se sont-elles passées ? D'après moi, d'une façon assez singulière.

D'après des renseignements que je dois considérer comme absolument certains, M. Jules Orban a été recevoir le procureur du roi à la station de Stavelot, il l'a conduit chez son père, M. Jacques Orban, qui est le chef du parti clérical à Stavelot. Le domestique de M. Jacques Orban a été chercher un gendarme à la caserne, afin d'accompagner M. le procureur. Le gendarme montait la garde devant les maisons visitées, afin de donner de la solennité à cette descente de justice M. Jacques Orban fit atteler son équipage gala et accompagna, ainsi que M. Guillaume Cornesse, le procureur du roi dans plusieurs de ses visites. Je pourrais vous en indiquer plusieurs, je ne vous en citerai qu'une dont on pourra constater l'exactitude. On en a fait une, entre autres, chez M. Antoine Lekeu, qui habite à quinze minutes de Stavelot.

Il est incroyable qu'en Belgique un ministre de la justice fasse descendre la magistrature au rôle humiliant et dangereux de sbire de l'inquisition ultramontaine. Ce rôle met en péril la considération dont elle doit jouir et dont elle a toujours été entourée jusqu'à présent en Belgique.

Mais, messieurs, malgré tout cet attirail judiciaire, que croyez-vous que l'enquête ait révélé ? Le seul fait que Balthazar aurait commis le crime pendable d'avoir colporté, par ordre exprès du collège des bourgmestre et échevins, une liste d'adhésion à l'association libérale de Stavelot, à des personnes spécialement désignées par ce collège.

Voilà ce que l'enquête a révélé.

D'après cela, tout le monde aurait cru à la nomination de Balthazar, qui a beaucoup de mérite et que tous les fonctionnaires consultés représentent comme un homme, capable, intelligent et intègre.

Mais non, messieurs, on nomme l'homme de paille, le second candidat, qui sent si bien lui-même son insuffisance pour remplir convenablement les fonctions de ministère public que, nommé par arrêté royal du 4 janvier 1871, dès le 18 du même mois, il prie déjà Sa Majesté de le relever de ses fonctions de commissaire de police de Stavelot.

C'est un système aujourd'hui adopté par M. le ministre de l'intérieur de nommer les seconds candidats, afin d'entraver l'administration et de compromettre les intérêts communaux, quand il s'agit de communes appartenant à l'opinion libérale.

C'est ainsi qu'à Diest la même chose s'est produite : deux candidats étaient présentés ; mais il est évident que l'administration communale désirait ne voir nommer que le premier candidat ; s'il y en avait deux, c'était en exécution de l'article 123 et suivants de la loi communale et il est certain que l'administration considérait son deuxième candidat comme impossible, mais imposé par la loi.

Ces choses-là ne se passent pas dans les communes cléricales, mais seulement dans les communes libérales.

Il est triste de devoir leur dire que dorénavant lorsqu'elles voudront voir réussir l'homme de leur choix, elles devront le porter comme second candidat.

M. Van Wambeke. - Il ne faut pas le leur dire.

M. David. - Je le dis bien haut afin de les mettre en garde contre les mauvaises nominations du ministère actuel.

M. Bouvier. - C'est un ministère de conciliation et d'apaisement qui nomme des candidats cléricaux malgré le conseil communal.

Dites-leur ça.

M. Van Wambeke. - Vous n'en faisiez jamais d'autres.

M. David. - L'honorable ministre de l'intérieur, pour satisfaire la rancune, la vengeance politique de son collègue de la justice, lui sacrifie les intérêts les plus légitimes d'une commune importante, parce qu'elle n'est pas de son bord politique. Procéder de cette façon, c'est se substituer aux administrations communales, c'est supprimer la prérogative communale, ce n'est plus administrer, c'est désorganiser les services publics les plus essentiels.

M. Bouvier. - C'est ce qu'on fait de l'autonomie.

M. David. - Cette manière de procéder de la part du ministre de l'intérieur m'étonne au suprême degré, car comme historien...

M. Bouvier. - Académique...

M. David. - Comme député, il a toujours prisé et préconisé bien haut les libertés, les prérogatives, l'autonomie des communes et il a constamment prêché la décentralisation administrative. Je dois donc m'étonner de voir les mauvaises passions politiques le guider au lieu de suivre les grands principes de l'indépendance des communes qu'il a précédemment défendus avec tant de persistance.

M. Bouvier. - Il n'était pas ministre alors.

M. David. - Ces grands principes M. le ministre de la justice ne devrait pas non plus les abjurer sitôt ; il devrait mieux se rappeler les séduisantes promesses qu'il faisait à cette fameuse réunion d'électeurs cléricaux à Verviers, dans les premiers jours de juin 1870, afin d'obtenir leurs suffrages.

Il leur disait, dans sa profession de foi de candidat-député, et j'extrais ce passage de la Gazette de Liège du 3 juin 1870, que M. le ministre de la justice n'accusera pas de falsification.

Voici ce passage :

« Partisan convaincu de la décentralisation, je suis disposé à me rallier à toute mesure qui fortifierait les libertés locales et sans désorganiser la hiérarchie administrative, assurerait efficacement à la commune son autonomie et son indépendance par le libre choix de la majorité de ses administrateurs. »

Eh bien, messieurs, en présence de tout cela, comprenez-vous la conduite de MM. les ministres de l'intérieur et de la justice. Quant à moi, je ne la comprends pas : elle donne un démenti à toutes leurs promesses, à tous leurs discours et à tout leur passé. C'est une nouvelle palinodie.

M. Lelièvre. - Je ne m'attendais pas à intervenir dans ce débat. Je croyais devoir laisser à M. le ministre de l'intérieur le soin de justifier la nomination du commissaire de police de Stavelot et d'établir qu'elle était conforme aux règles administratives, non moins qu'au droit du gouvernement. Mais on a jeté dans la discussion le nom d'un fonctionnaire public qui me tient de près et à qui on a adressé des reproches injustes et immérités. Mon silence pourrait être considéré comme une impuissance de répondre aux accusations formulées si légèrement. Je dois donc le rompre et démontrer que les inculpations dont M. David s'est fait l'organe et dirigées contre le procureur du roi de Verviers n'ont pas la moindre apparence de fondement.

De quoi s'agit-il, messieurs ?

Le procureur du roi reçoit, par dépêche transmise hiérarchiquement, l'ordre d'ouvrir une enquête sur certains faits parfaitement spécifiés.

La dépêche ministérielle lui parvient par l'intermédiaire de M. le procureur général près la cour d'appel de Liège.

Que doit-il faire ? Evidemment satisfaire à la réquisition et procéder à l'enquête.

Remarquez-le, il reçoit une délégation ; or, il est de l'essence de semblable acte que le délégué doit l'exécuter lui-même et ne peut confier sa mission à une autre personne.

D'un autre côté, il est sans pouvoir pour appeler les témoins devant lui. Il s'agit d'une enquête administrative. Or, en cette matière, les témoins ne sont pas tenus de comparaître, et cela est si vrai que chaque fois qu'il a dû être procédé à une enquête parlementaire, il a fallu une loi spéciale pour forcer les témoins à faire leur déposition.

Le procureur du roi était donc tenu, pour remplir sa mission, de se rendre sur les lieux et d'entendre en leur domicile les personnes qui devaient lui donner des renseignements.

Il se rend donc à Verviers.

C'est un dimanche ! s'écrie M. Bouvier, pensant trouver dans ce jour un motif de critique.

Mais la fixation du jour même était très naturelle. Le procureur du roi de Verviers faisait alors seul le service de son parquet, comme il l'a fait pendant trois mois. Son substitut était en vacance. Le fonctionnaire a donc choisi le dimanche parce que ce jour lui était le plus convenable, les autres jours étant consacrés à l'expédition des affaires.

M. Bouvier devra, du reste, reconnaître qu'il est impossible d'ergoter sur de pareilles mesures, que l'on ne peut argumenter d'une circonstance aussi insignifiante.

Le procureur du roi trouve fortuitement à la station M. Jules Orban. Il se rend à Verviers et se met en mesure de recevoir seul, sans l'intervention de qui que ce soit, l'enquête à laquelle il était commis.

Il se fait conduire par un gendarme chez les personnes dont il doit consigner les déclarations. Il reçoit celles-ci avec une impartialité et une délicatesse que personne ne suspectera. Il lit et relit aux interrogés leurs dépositions et écrit avec une fidélité complète tout ce qui lui est déclaré.

On a dit qu'il s'était rendu dans plusieurs maisons accompagné d'autres personnes.

C'est là un fait inexact que M. David a aussi lu dans une presse passionnée, et à son insu, très certainement, il a dit une contre-vérité.

(page 644) Le fait est que le commissaire à l'enquête n'a pénétré dans aucune maison, accompagné de qui que ce soit.

Seulement, voici ce qui s'est passé en ce qui concerne le sieur Lejeune. Ayant appris que cet individu demeurait à environ un quart de lieue de Stavelot, il demanda s'il ne pouvait se procurer une voiture pour aller en cet endroit.

Ce fut alors que M. Jacques Orban, qui était étranger à l'affaire et qui ne déposait pas dans l'enquête, lui offrit sa voiture.

Mais ce qui est certain, c'est que même chez Lejeune le procureur du roi entra seul et reçut seul encore la déclaration du témoin.

Ce n'est pas tout, revenu à Verviers le procureur du roi écrivit à Balthazar, l'invita à lui transmettre toutes pièces justificatives et à se rendre au parquet pour recevoir communication de l'enquête. En un mot, tous les documents du débat furent communiqués à l'inculpé qui put librement faire valoir tous les moyens qu'il jugeait nécessaires à sa défense.

Le procureur du roi transmit ensuite les pièces au procureur général, sans même émettre son avis sur l'affaire dont l'instruction lui avait été confiée. L'enquête fut dirigée avec tant d'impartialité que les faits constatés par l'enquête ne furent pas même déniés par l'inculpé.

Telle est la conduite pleine de loyauté qu'a tenue le procureur du roi de Verviers.

J'ai dû protester contre des assertions inexactes que l'honorable M. David, induit en erreur par des renseignements erronés, regrettera certainement d'avoir produites.

En cette occurrence, le fonctionnaire que j'ai défendu a compris ce qu'il devait aux fonctions dont il est revêtu. Il les remplira toujours, j'en suis garant, avec honneur, justice et impartialité.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, je pense que l'intention de la Chambre est de vider immédiatement cet incident.

L'honorable M. David a fait descendre la discussion générale des sphères élevées où elle s'était maintenue aujourd'hui, pour s'occuper de détails tellement mesquins que la Chambre désire, sans doute, que le gouvernement s'explique immédiatement. (Oui ! oui !)

Cette affaire a défrayé certaine presse. Elle ne méritait pas les honneurs de l'enceinte législative. M. David en a jugé autrement et il a cru devoir l'introduire dans nos débats. Sans doute, il aura pensé se rendre ainsi agréable à ses amis de l'arrondissement de Verviers, qui sont naturellement les adversaires du ministre de la justice.

Du reste, je ne comprends pas l'hostilité dont le ministère est l'objet de la part de l'honorable M. David ; car si l'honorable membre siège encore dans cette enceinte, c'est au ministère qu'il le doit. A la date du 14 juin, l'honorable M. David avait échoué, et ce n'est que par le fait de la dissolution qu'il est rentré dans cette Chambre.

Messieurs, l'affaire Balthazar est d'une explication extrêmement facile ; il ne s'agit pas ici de prérogatives communales, ni de décentralisation ; il s'agit purement et simplement, de la part du gouvernement, de l'exercice d'un droit incontestable.

Pour les places de commissaire de police, deux candidats doivent être présentés par le conseil communal au gouvernement. Le bourgmestre peut même en désigner un troisième ; le gouvernement a évidemment le droit de choisir entre les divers candidats qui lui sont signalés.

On ne dira pas, sans doute, que la commune peut forcer la main au gouvernement en indiquant comme second candidat un homme de paille. On doit admettre que la commune ne présente que des candidats sérieux ; qu'elle ne peut contraindre le gouvernement à nommer l'homme qu'elle voudrait lui imposer. A côté des présentations par la commune, il y a le droit de nomination par le pouvoir central.

Le gouvernement n'a fait qu'user de ce droit dans l'occurrence ; entre les deux candidats qui lui étaient soumis, il a cru devoir choisir le second. Pourquoi n'a-t-il pas nommé le premier candidat, le sieur Balthazar ? Il l'a éliminé, à la suite d'une instruction faite régulièrement, dans les formes ordinaires.

L'honorable M. David ignore peut-être comment on procède lorsqu'il s'agit de la nomination d'un commissaire de police. Ceux qui sont initiés à l'administration savent parfaitement qu'au ministère de l'intérieur on ne procède à la nomination des commissaires de police qu'après avoir consulté le département de la justice.

Et pourquoi en est-il ainsi ? Parce que le commissaire de police n'est pas seulement un agent de l'administration, mais qu'il est en même temps un officier auxiliaire du procureur du roi et de plus, au chef-lieu de canton, un officier du ministère public.

C’est en quelque sorte un procureur du roi cantonal. Il a des prérogatives judiciaires ; il est un véritable magistrat près le tribunal de simple police. Si j'entre dans ces détails, messieurs, c'est qu'il est plus que probable que M. David les ignore ou les a perdus de vue, (Interruption.) S'il les avait connus, il n'aurait certainement pas adressé au gouvernement l » reproche d'avoir procédé comme il l'a fait. (Interruption.)

J'avais été informé par une dépêche de mon collègue de l'intérieur que certains renseignements lui étaient parvenus sur le compte de Balthazar ; ces renseignements signalaient ce candidat comme ayant méconnu ce qu'il devait à ses fonctions, lorsqu'il était déjà attaché à la police de la commune ; on le signalait comme ayant perdu de vue ses devoirs, en se mêlant ardemment à des menées politiques, comme devant être placé dans une position difficile vis-à-vis d'une notable fraction de ses futurs justiciables.

Quel était mon devoir, messieurs, en présence de la dépêche que me transmettait mon collègue de l'intérieur ? C'était évidemment d'instruire. Et qu'a fait, dans cette circonstance, le ministre de la justice ? Purement et simplement une chose ; il a transmis au procureur général, sans instruction d'aucune espèce sur le mode de procéder, la dépêche de M. le ministre de l'intérieur en priant ce haut magistrat de bien vouloir lui fournir des renseignements. C'est à la suite de cette dépêche qu'a eu lieu l'enquête faite par M. le procureur de Verviers.

Je n'ai pas besoin, après les observations qui viennent de vous être présentées, de justifier de nouveau le magistrat qui a procédé à cette enquête et qui l'a faite consciencieusement et dans la forme qu'il a jugée la plus convenable.

Qu'est-il résulté des renseignements qui ont été fournis au gouvernement ? Il en est résulté pour nous la certitude que le sieur Balthazar s'est ardemment mêlé aux luttes politiques, qu'il s'est transformé en agent électoral, qu'il a parcouru la commune avec une liste d'adhésion à une association libérale, et que, quoique n'étant pas électeur, il s'est transporté, comme courtier électoral, le 14 juin et le 2 août, aux élections de Verviers que là il a distribué des bulletins de vote, notamment à un échevin d'une commune voisine de Stavelot.

En présence de ces faits, le ministre de l'intérieur a cru devoir faire choix du second candidat. (Interruption.)

Lorsque j'ai reçu les résultats de l'enquête, je les ai transmis à mon collègue de l'intérieur, en lui disant que ma position spéciale me déterminait à ne pas émettre d'avis sur cette affaire. Mais, je le déclare bien haut, puisqu'on fait un grief à mon honorable collègue de son choix, si j'avais eu à procéder moi-même à cette nomination, je n'aurais pas hésité à éliminer le sieur Balthazar dans les conditions où il se trouvait et qui étaient relevées dans l'enquête. (Interruption.)

Mais vous voilà bien puritain, M. de Rossius ! Comment ! il s'agit ici de l'exercice d'un droit ! il s'agit de choisir entre deux candidats parmi lesquels le gouvernement avait le droit de choisir ! L'un de ces candidats est signalé comme un courtier électoral, comme un homme ne présentant pas des garanties d'impartialité suffisantes, le gouvernement nomme le second et vous le blâmez !

Mais vous ne vous souvenez donc pas que vos amis ont largement pratiqué le système des destitutions... (interruption) qu'ils ont destitué des commissaires d'arrondissement, des gouverneurs de province, des magistrats !

- Voix à gauche. - Oh ! oh !

M. Cornesse, ministre de la justice. Et aujourd'hui vous blâmes le gouvernement qui, ayant le choix entre deux candidats, n'a pas préféré celui qui a commis des actes patents d'hostilité à son égard !

N'avez-vous pas admis et consacré ce principe que les fonctionnaires ne peuvent pas poser d'actes d'hostilité ouverte et flagrante contre le gouvernement ? Eh bien, s'il vous a été permis dans ce cas de destituer des fonctionnaires, à plus forte raison le gouvernement, lorsqu'il s'agit de faire une option, a-t-il le droit, et je dirai le devoir, de ne pas choisir le candidat dont les actes entachent et peuvent faire suspecter l'impartialité.

M. David. - Dans ma réplique, je serai extrêmement court.

Je n'ai nullement voulu incriminer le procureur du roi de Verviers. Je sais parfaitement qu'il a exécuté les ordres qu'il à reçus du ministère, il a dû obéir ; il n'est pas inamovible.

L'honorable ministre de la justice s'étonne qu'il soit le point de mire de mes attaques. Mais notre arrondissement est libéral, il l'a toujours été, et notre mission, c'est de faire ressortir les fautes que commettent nos adversaires politiques. Je dois éclairer le pays, je dois éclairer mon arrondissement, pour qu'à une prochaine élection les électeurs sachent ce qu'ils ont à faire.

M. le ministre de la justice vous dit : Nous avons suivi les errements anciens. On a procédé de tous temps de la même façon. C'est une erreur. Je me suis informé auprès de l'honorable M. Tesch, auprès de l'honorable (page 645) M. Bara pour savoir si, sous leur administration, jamais une enquête judiciaire avait été faite sur place et avec grand fracas, comme cela a eu lieu à Stavelot à l'occasion de l'affaire en discussion. Tous deux m'ont répondu : Jamais sous notre administration, pareil fait n'a eu lieu. Nous nous sommes toujours bornés à consulter le juge de paix et les autorités judiciaires qui, de leur côté, faisaient l'instruction nécessaire dans leur cabinet.

Messieurs, la faute politique que le sieur Balthazar a commise était bien légère. Vous avez entendu ce que M. le ministre de la justice a répété, la seule chose qui ait été prouvée dans l'enquête, et si l'on veut déposer cette enquête, elle le prouvera, c'est que Balthaaar avait colporté une lettre d'adhésion à une association libérale à Stavelot et cela par ordre du collège des bourgmestre et échevins. dont il dépendait at qui lui avait indiqué les personnes auxquelles il devait présenter cette liste.

Voilà le grand crime qu'a commis Balthazar et qui l'a rendu indigne de remplir les fonctions de ministère public pour lesquelles il était apte, tandis que le second candidat était incapable. Cela est de notoriété publique à Stavelot. Du reste, la généralité des habitants de la commune désirait la nomination de Balthazar.

Messieurs, ce système est la désorganisation des administrations communales libérales dans le pays et c'est un point sur lequel j'appelle l'attention de la Chambre et de mes concitoyens.

M. Bara. - M. le ministre de la justice ayant cité mon nom, je suis obligé de prendre la parole. L'honorable ministre a dit que M. David avait fait dégénérer la discussion en un débat mesquin.

Le débat concerne un pauvre petit fonctionnaire qui, aussi bien qu'un fonctionnaire de l'ordre le plus élevé, a droit à notre sollicitude.

Mais, messieurs, ce qui a nécessité l'intervention de l'honorable M. David, c'est l'acte de vengeance que le gouvernement a exercé contre un fonctionnaire et c'est cet acte, et non le débat qui le suivra, qui est mesquin.

Vous vous souvenez, messieurs, des attaques que la droite dirigeait contre le gouvernement libéral ; il n'y avait pas de jour où l'on n'apportât à la Chambre de graves accusations contre le ministère sous prétexte qu'il faisait des nominations de parti ; toutes les nominations étaient dictées par un mobile politique ; le gouvernement ne respectait pas les droits de ses adversaires !

Vous vous souvenez du réquisitoire d'un des membres du cabinet, M. Wasseige, qui prétendait que les catholiques devaient être nommés dans la magistrature et que le gouvernement les en écartait systématiquement, ce qui était inexact ; il reprochait au gouvernement de n'avoir point accordé l'entrée de la magistrature à des hommes politiques, adversaires déclarés de l'opinion libérale, entre autres à un président de la société de Saint-Vincent de Paul, à des conseillers provinciaux connus par leur hostilité à l'administration dont nous faisions partie.

Vous souteniez alors qu'il ne fallait pas tenir compte de l'opposition que ces candidats faisaient au gouvernement, tant au sein des associations politiques que dans l'exercice de leurs mandats publics.

Aujourd'hui, messieurs, que vous dit l'honorable M. Cornesse ? Il vient de reproduire la thèse soutenue au Sénat par M. d'Anethan, en 1846, il vient de notifier au pays que pour tous ceux qui n'appartiennent pas à l'opinion cléricale, depuis le bas de l'échelle jusqu'au sommet, il n'y a ni nomination, ni avancement possible. (Interruption.)

M. Cornesse, ministre de la justice. - Le second candidat qui a été nommé, M. Desaumont, était libéral.

M. Bara. - Vous dites que le deuxième candidat est libéral, mais pouviez-vous en prendre un autre ? Vous deviez nécessairement choisir entre les deux candidats et vous avez nommé le deuxième, parce que vous aviez une vengeance à exercer contre le premier. (Interruption.)

Ainsi donc, le pays est prévenu, on ne tolérera d'opposition à aucun degré de l'échelle administrative ; les petits comme les grands seront soumis à la même proscription ; les candidats et les fonctionnaires qui sont hostiles au gouvernement peuvent être certains qu'aucune faveur ne leur sera accordée.

Nous savions bien que vous arriviez au pouvoir pour exercer ces basses vengeances. (Interruption.) Je sais parfaitement, messieurs de la droite, que vous désavouez vos ministres. C'est à telles enseignes que vous leur imposez silence, lorsqu'ils veulent parler, tellement vous avez peur de ce qu'ils vont dire. (Interruption.) Vous avez donc, M. le ministre de la justice, reproduit la doctrine de M. le baron d'Anethan, d'après laquelle aucun citoyen opposé d'opinion au gouvernement ne peut être nommé à un emploi public. Et, on le sait, vous avez des listes occultes sur lesquelles chaque fonctionnaire est signalé à raison de ses opinions.

Nous avons, nous, protesté contre cette doctrine, nous ne l'acceptons pas, nous ne l'avons jamais pratiquée. Quand nous étions au pouvoir et chaque fois que nous avons abordé le terrain des nominations, nous vous avons démontré que celles que nous avions faites étaient justes et trouvaient leur justification dans les titres et le mérite des candidats en présence.

Mais vous, vous reprenez la doctrine de M. d'Anethan ; vous la proclamez énergiquement et vous la pratiquez.

Voyez, messieurs, à quel rôle le gouvernement est descendu !

Un garde champêtre s'est avisé de combattre, dans les élections, un membre du cabinet actuel. Il a fait circuler, par les ordres de son bourgmestre dont il était l'humble subordonné, une liste d'adhésion à l'association libérale.

Sa carrière est à jamais brisée ! Le gouvernement le persécutera ; il mettra le procureur du roi sur ses traces pour rechercher les moindres actes de sa vie ; il est à toujours frappé d'indignité. (Interruption.)

M. Braconier. - C'est ce qui s'est fait.

M. Bara.- Ne comprenez-vous pas qu'une pareille lutte est ridicule ? On voit d'ici le ministre de la justice descendant des hauteurs de son administration pour s'occuper de cancans et des détails d'une administration de commune et se prendre au collet avec un garde champêtre ! (Applaudissements dans les tribunes publiques.)

M. de Borchgrave. - M. le président, on a applaudi dans les tribunes publiques. C'était un coup de théâtre ; il a bien réussi.

M. le président. - Je préviens les personnes qui sont dans les tribunes qu'elles doivent écouter en silence. Si un seul signe d'approbation ou de désapprobation part encore de la tribune publique, je la ferai évacuer.

M. de Theux. - Très bien !

M. Bara. - En agissant ainsi, l'honorable ministre a manqué à un double devoir : comme ministre et comme homme.

Comme homme, il ne devait pas s'attaquer à cet humble citoyen et il ne devait pas le persécuter, à raison de faits qui s'étaient passés sous le gouvernement libéral et qui devaient être oubliés.

Comme ministre, il a fait litière de la dignité du pouvoir ; il s'est compromis en allant lutter là où le gouvernement doit fermer les yeux et laisser la responsabilité aux administrations locales.

On assure - M. le ministre rectifiera les faits s'ils sont inexacts - que tous les rapports étaient favorables au garde champêtre désigné par l'administration communale comme premier candidat à la place de commissaire de police, il s'agissait au surplus pour lui d'un bien mince avancement. On modifiait simplement ses attributions.

M. Cornesse, ministre de la justice. - De simple garde champêtre, il devenait officier du ministère public.

M. Bara. - Ses appointements pouvaient être augmentés d'une cinquantaine ou d'une centaine de francs par an !

Eh bien, parce que cet agent municipal, ce garde champêtre a été colporter une liste que le bourgmestre, son chef, l'avait chargé de présenter au domicile de quelques habitants, il ne pouvait obtenir une augmentation d'appointements de 50 ou de 100 francs !

Prétendez-vous, messieurs, que ce soit là de la modération ? (Interruption de la droite.) Vous dites que nous n'avons fait que des nominations de parti lorsque nous étions au pouvoir...

M. De Lehaye. - Vous n'avez fait que cela.

M. Bara. - Eh bien, alors nous avons des imitateurs, car nous vous surprenons faisant de la politique dans les plus petites choses.

Les avis de toutes les autorités étaient favorables à la nomination de Balthazar. Le ministre de l'intérieur consulte son collègue de la justice et alors tout change. Qui a donné l'éveil sur les antécédents politiques de Balthazar ?

L'honorable ministre ne nous l'a pas dit et jusqu'à ce qu'il nous fasse d'autres communications, je dois croire que c'est le gouvernement lui-même, que c'est l'honorable ministre de la justice, ancien adversaire de Balthazar, qui l'a dénoncé à son collègue de l'intérieur. (Interruption.)

M. Bouvier. - Comme c'est grand !

M. de Borchgrave. - Vous descendez vous-mêmes bien bas.

M. Bara. - Et remarquez-le, messieurs, aucune autorité, ni le procureur du roi, ni le procureur général, ni le commissaire d'arrondissement, ni le gouverneur n'était hostile à la nomination de Balthazar ; il allait réussir, il était au comble du bonheur ; il sera commissaire, il échoue (page 646) au port, mais il a voté contre M. Cornesse ! Péché capital ! (Interruption.)

Est-ce assez ridicule ? (Interruption.) Le soin de votre propre dignité, M. le ministre, ne devrait-il pas vous priver du plaisir de la vengeance ?

Quand vous avez ordonné cette nouvelle instruction, on a dû bien rire, au parquet du procureur général de Liège. Mais que voulez-vous ? L'ordre était donné, il fallait obéir et le procureur du roi de Verviers a dû procéder bien malgré lui, j'en suis sûr. C'est un triste rôle pour la magistrature !

Loin de moi la pensée de dire que le procureur du roi de Verviers n'a pas fait son devoir ; mais vous figurez-vous un procureur du roi allant dans des communes faire une instruction sur des faits politiques insignifiants, sur des vétilles ; est-ce ainsi que vous prétendez donner à la magistrature le prestige qui lui manquait, d'après vous, sous notre administration et que M. Wasseige est arrivé à point pour lui restituer ? (Interruption.)

L'enquête que vous avez prescrite était indigne de la justice ; vous ne deviez pas envoyer un procureur du roi à Stavelot pour connaître de faits politiques pareils. Ces enquêtes ne sont justifiables que dans des cas très graves ; quant à moi, je n'ai jamais ordonné de pareilles instructions, et je n'ai pas connaissance qu'il en ait jamais été fait sous mes prédécesseurs.

M. le ministre de la justice prétend qu'il a agi en vertu de son droit, qu'il ne voulait pas d'un agent qui avait posé des actes contre le gouvernement.

Mais je ferai remarquer que les catholiques n'occupaient pas encore le pouvoir lorsque Balthazar a colporté la liste de l'association libérale ; loin de poser des actes hostiles au gouvernement, Balthazar avait colporté une liste qui lui était favorable.

Un de mes honorables collègues, M. Pirmez, me fait remarquer que dans la circulaire de M. Kervyn de Lettenhove relative aux opinions politiques des fonctionnaires, il est dit que le gouvernement fermera les yeux sur le passé ; qu’il sévira seulement dans l'avenir ; mais il paraît que le fait Balthazar était tellement grave qu'on devait en faire une exception.

Vous avez promis de ne pas poursuivre les fonctionnaires à raison de faits antérieurs, mais Balthazar n'était pas compris dans l'amnistie.

Tels sont les faits de cet incident remarquable, le pays les appréciera. Quant à nous, nous devons retirer de ce débat quelques enseignements :

D'abord le gouvernement est décidé à se préoccuper des plus petits détails, des plus petites choses ; il ne négligera rien du passé politique des citoyens ; il scrutera avec le plus grand soin leurs antécédents.

La justice sera chargée de faire des enquêtes sur les opinions politiques des candidats, on l'astreindra à un genre de besogne dont on devrait la di penser, dans l'intérêt de sa dignité et de sa considération.

A ce double point de vue, l'honorable M. David a rendu un véritable service au pays en portant à la tribune l'incident Balthazar, qui, mesquin en lui-même, ne jette pas moins un jour nouveau sur les actes et les faits du gouvernement.

C'est la persécution de tout ce qui touche de près ou de loin au libéralisme. Soit, nous acceptons cette situation. Continuez dans cette voie, messieurs les ministres, vous verrez bientôt quelle réponse vous donnera le pays.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Vous venez d'entendre, messieurs, une véritable déclamation sur le rôle qu'aurait joué le ministre de la justice dans cette affaire. (Interruption.)

Oui, messieurs, une véritable déclamation ; il n'y a que cela au fond des paroles que vient de prononcer M. Bara. Dans la circonstance actuelle, j'aurais foulé aux pieds la dignité de la magistrature, Eh bien, messieurs, je me suis tout simplement borné à demander des renseignements sur des faits qui entachaient l'impartialité d'un candidat présenté en premier ordre à côté d'un second candidat présenté au gouvernement par la commune elle-même.

Ai-je tracé à la magistrature la ligne de conduite qu'elle avait à tenir ? Ai-je indiqué au procureur général et au procureur du roi la manière de procéder ?

M. d'Andrimont. - Il n'aurait manqué que cela !

M. Cornesse, ministre de la justice. - Comment ! Un candidat commissaire de police est signalé comme se trouvant dans des conditions...

M. Bouvier. - Par qui ?

M. Cornesse, ministre de la justice. - Par les journaux.

-Voix à gauche. - Ah ! ah !

- Autre voix à gauche. - Par votre frère.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Et quand cela serait ? (Interruption.)

Ce candidat était signalé comme s'étant activement mêlé aux luttes électorales, comme ne présentant aucune garantie d'impartialité. Le devoir du gouvernement, dans ces conditions, n'était-il pas de s'éclairer, de demander au parquet, la seule autorité à laquelle il pût s'adresser, des renseignements sur ce point ?

Le ministre de la justice, messieurs, n'a fait que cela. J'apprends que ce fonctionnaire, ce garde champêtre a oublié tellement ce qu'il devait à ses fonctions, qu'il a consenti à servir d'agent pour recruter des adeptes aune association libérale créée dans l'intervalle du 14 juin au 2 août. (Interruption.)

J'imagine qu'une administration communale qui est capable de donner de pareilles instructions à un garde champêtre, qui l'éloigné ainsi de l'accomplissement de ses devoirs, et qui méconnaît elle-même les siens en se servant de ses agents dans un but politique, ne doit pas aspirer à imposer illégalement ses préférences au gouvernement.

Je n'ai nullement songé, ai-je besoin de le dire ? à poser un acte de vengeance vis-à-vis du sieur Balthazar ; je ne le connais pas même de vue, et je ne lui porte ni haine ni rancune, mais je dis que M. le ministre de l'intérieur, s'inspirant de considérations d'intérêt public, a rempli un véritable devoir vis-à-vis des populations du canton de Stavelot, en n'investissant pas un agent politique subalterne de fonctions qui pouvaient lui servir peut-être de moyen de vengeance contre les justiciables.

Le sieur Balthazar, dont vous faites ici un héros libéral, et que vous posez en victime de l'intolérance gouvernementale, le sieur Balthazar, a toujours été signalé comme un courtier électoral émérite, on ne l'a nommé à la place de garde champêtre que pour le récompenser.

- Un membre. - Vous le connaissez donc !

M. Cornesse, ministre de la justice. - Le sieur Balthazar était un porte-chaîne du commissaire voyer du canton, un agent politique aussi obscur que passionné.

Il a reçu une première récompense par sa nomination de garde champêtre.

On vante beaucoup la capacité et le mérite du sieur Balthazar. Un seul fait suffira pour faire juger de cette capacité, tant vantée par l'administration communale.

Avant d'être proposé comme commissaire de police, le sieur Balthazar a voulu devenir commissaire voyer ; il s'est présenté au concours devant la députation permanente. Il y avait sept concurrents ; et savez-vous, d'après ce que l'on m'assure, quelle place il a obtenue ? La septième...

M. Bouvier. - Vous le connaissez donc ?

M. Cornesse, ministre de la justice. - J'ai été renseigné sur son aptitude depuis que l'honorable M. David a annoncé qu'il interpellerait le gouvernement. Voilà pourquoi je puis fournir aujourd'hui ces détails.

En résumé, messieurs, il ne s'agissait pas ici d'une nomination dans la magistrature proprement dite ; il s'agissait de choisir entre deux candidats présentés par la commune.

Le second candidat était signalé comme actif, zélé et honnête,, d'une conduite et d'une moralité exemplaires,- le gouvernement a usé de son droit en le choisissant ; si le sieur Desaumont n'accepte pas, il y aura lieu, de la part de l'administration communale, de présenter de nouveaux candidats.

L'honorable M. Bara a fait un grand étalage de son impartialité dans les nominations. Jamais l'honorable M. Bara n'a fait une nomination politique ; jamais il n'a exclu un candidat pour raison politique.

Le ciel n'est pas plus pur que le fond de son cœur ; c'est un parangon d'impartialité en matière de nominations judiciaires.

Mais pour ne citer qu'un fait, ne vous a-t-on pas reproché, en pleine Chambre, d'avoir refusé, par raison politique, de nommer M. Scheyven qui était recommandé par les sommités de la magistrature et qui se trouvait dans les conditions les plus parfaites pour être nommé ?

Je pourrais citer d'autres faits, qui ne pourraient être contestés par mes collègues de la députation liégeoise.

M. Bara. - C'est tout autre chose.

M. Allard. - Mais parlez donc de Balthazar. (Interruption.)

M. Cornesse, ministre de la justice. - Je crois, messieurs, que l'incident ne mérite pas d'occuper plus longtemps les instants de la Chambre. Le gouvernement a usé d'un droit en choisissant parmi les candidats présentés par la commune.

Si la commune a présenté un incapable comme second candidat, elle n'a pas rempli son devoir, et vous avez tort de la défendre.

(page 647) Si l'on n'a pas nommé le premier candidat, c'est qu'à la suite de renseignements fournis par une enquête impartiale, il a été établi que ce candidat s'était transformé en courtier électoral, qu'il s'était mis au service des chefs de la commune, organisant une association politique.

M. d'Andrimont. - C'était son devoir.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Que, n'étant pas même électeur communal, il s'est transporté à Verviers le 14 juin et le 2 août ; qu'il a distribué des bulletins électoraux ; qu'à tous égards, enfin, il ne se trouvait pas dans les conditions d'impartialité pour être promu à la fonction qu'il sollicitait.

Tous ces faits, messieurs, devaient fixer l'attention du gouvernement, et je crois que la Chambre approuvera complètement la conduite que mon honorable collègue de l'intérieur a tenue dans cette circonstance. Il n'a compromis ni le prestige du gouvernement, ni la dignité de la magistrature, et ce n'est pas de M. Bara que nous accepterons des leçons sous ce rapport.

- Voix à droite. - La clôture !

M. Bara. - Je demande la parole contre la clôture.

M. le président. - Vous avez la parole.

M. Bara. - Messieurs, je pense que la discussion ne peut pas être close après un discours du ministre. Je n'en ai que pour quelques instants. Je voudrais répondre un mot à ce que vient de dire M. le ministre.

M. le président. - M. David est inscrit avant vous, M. Bara.

M. David. - Je cède la parole à M. Bara.

- Voix à droite. - Non ! non ! La clôture !

M. le président. - Mais laissez donc parler M. Bara, il n'en a pas pour longtemps.

M. Bara. - La discussion, messieurs, vous le voyez, a pris un singulier caractère. La nomination du sieur Desaumont émane de l'honorable M. Kervyn qui ne dit pas un mot, tandis que M. Cornesse, l'adversaire de Balthazar, s'évertue à justifier la nomination attaquée.

La nomination de Balthazar est donc un fait dont l'honorable M. Kervyn accepte la paternité et dont l'honneur revient tout entier à l'honorable M. Cornesse.

L'honorable M. Cornesse a voulu déplacer le débat et discuter les nomination que j'aurais faites dans la magistrature.

Je lui ferai une première observation : c'est que si la théorie qu'il a professée tout à l'heure, à savoir que le gouvernement ne doit pas conférer de fonctions aux personnes qui lui sont hostiles, est vraie, les personnes dont il a parlé auraient dû être écartées. Du reste, quant aux attaques dirigées contre les nominations que j'ai faites, j'y al déjà répondu. J'ai démontré que la politique y était restée étrangère.

Quand l'honorable M. Cornesse le voudra, nous reprendrons la discussion sur ce terrain, il examinera mes nominations s'il le désire, j'examinerai les siennes, et nous verrons de quel côté s'est trouvé l'esprit de parti.

L'honorable M. Cornesse connaît très bien Balthazar, il nous en a fait la biographie, mais dans son discours, il a soutenu que ce candidat était incapable. Sur ce point, je dois lui faire observer que les rapports étaient complètement favorables à ce candidat. M. le ministre dira-t-il que c'est la seconde instruction qui l'a éclairé sous ce rapport ? Mais cette seconde instruction n'a roulé que sur les faits politiques. Vous auriez admis la capacité de ce candidat constatée par les premiers rapports, si le lièvre politique n'avait été levé. (Interruption.)

- Des membres. - Lelièvre ! Lelièvre !

M. Bara. -Messieurs, vous vous méprenez tout à fait sur mes intentions. Je n'ai pas voulu faire allusion au magistrat qui a fait l'instruction. Encore moins ai-je voulu lui dire quoi que ce soit de désagréable. J'ai reconnu qu'ayant reçu un ordre, il devait l'exécuter ; il ne pouvait faire autrement. C'est un mot échappé, sans aucune intention, à l'égard de l'honorable magistrat qui a dû obéir aux tristes ordres du ministre de la justice.

Je dis donc, messieurs, que c'est l'instruction politique qui a établi que Balthazar ne pouvait être nommé.

Maintenant, que Balthazar reste en paix ! Il est probable que le conseil communal de Stavelot lui accordera de nouveau la première candidature pour la place qu'il ambitionne.

Espérons que, grâce à nos recommandations, M. le ministre de la justice sera moins irrité contre lui, que l'honorable M. Kervyn voudra bien relire sa circulaire dans laquelle il dit que les opinions politiques des fonctionnaires ne doivent pas être recherchées, et qu'on nommera Balthazar. C’est le plus cher de nos vœux. (Interruption.)

- L'incident est clos.

Ordre des travaux de la Chambre

M. de Zerezo de Tejada. -Je propose à la Chambre de s’ajourner, suivant l'usage, après la séance de demain jusqu'au mardi 28 février.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 5 heures et un quart.