(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 599) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Vrints donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Van Noyens, instituteur à Anvers, et sa femme, institutrice, demandent que le projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires contienne une disposition réglant la pension de l'instituteur et de l'institutrice qui sont mariés ensemble. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Mosray, instituteur communal à Limal, propose des mesures pour améliorer la position des instituteurs primaires. »
M. Lelièvre. - J'appuie la requête et je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Des instituteurs ruraux dans le Hainaut prient la Chambre d'adopter, pour base de la liquidation de leur pension, les statuts de la caisse de prévoyance des instituteurs urbains, sauf à fixer à 55 ans l'âge de l'admission à la pension et d'obliger les communes à subsidier cette caisse dans la même proportion qu'elles subsidient celle des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi établissant une caisse de prévoyance des instituteurs primaires.
« Des électeurs à Audenaekcn et Berchem-Saint-Laurent demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »
- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.
« Des secrétaires communaux demandent que leur avenir soit assuré et que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Oseray demande que la loi détermine les servitudes qui grèvent les propriétés riveraines de cours d'eau non navigables ni flottables. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Zele propose des modifications à la loi sur le domicile de secours. »
- Même renvoi.
« Le sieur Oger demande qu'on fasse usage d'une presse à emporte-pièce pour annuler les titres rachetés de la dette belge. »
- Même renvoi.
« Le sieur Frédéricq, président, et Scherpenzeel, secrétaire de la société flamande de Vlaamsche Eendracht, à Lierre, demandent que dans les provinces flamandes la langue flamande soit substituée à la langue française dans tous les degrés de l'instruction et aux examens. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Dison demandent la mise en liberté des soldats français fugitifs de Prusse et arrêtés en Belgique, ou blessés amenés dans notre pays ou bien poussés sur le territoire belge par les éventualités de la guerre. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Wechelderzande demande le maintien des commissaires d'arrondissement. »
« Même demande du conseil communal de Thielen. »
- Même renvoi.
M. le président. - J'ai reçu une lettre de M. le baron de Gerlache qui m'annonce la mort de son père, ancien président du Congrès national et me charge d'en faire part à la Chambre.
Je propose à la Chambre d'écrire à M. de Gerlache pour lui témoigner les regrets de la Chambre.
M. de Theux. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de charger une députation de douze membres de la représenter aux obsèques du très honorable président du Congrès national.
Messieurs, je m'abstiendrai de toute parole élogieuse pour suivre le désir exprimé dans ses derniers moments par cet honorable président du Congrès. Mais je ferai remarquer à la Chambre que nous devons être heureux de donner au Congrès national la dernière marque de reconnaissance publique qu'il nous sera encore permis de lui témoigner.
Le Congrès, par la Constitution, a posé la base la plus ferme de notre indépendance et de nos libertés.
M. Bouvier. - Je déclare appuyer la proposition de l'honorable M. de Theux.
M. Lelièvre. - II s'agit de faire décider que la Chambre enverra une députation prise dans son sein à l'effet d'assister au service funéraire de feu M. le baron de Gerlache.
J'appuie cette proposition, à laquelle j'applaudis de tout cœur.
M. Rogier. - J'appuie également la proposition de l'honorable M. de Theux à laquelle, je pense, la Chambre s'associera.
- La proposition de M. de Theux est adoptée.
(page 600) M. le président. -M. le président. - En conséquence, une députation composée de douze membres, y compris le président, assistera aux funérailles de M. de Gerlache. Je propose que tous les membres da Congrès qui siègent dans cette Chambre fassent partie de la députation.
M. Bouvier. - Au delà du chiffre de douze membres.
- La proposition est adoptée.
M. de Zerezo de Tejada. - Dans les Annales parlementaires relatives à la séance du 9 février, mon nom figure parmi ceux des membres qui ont rejeté le crédit supplémentaire de 3,475,000 francs pour faire face aux dépenses extraordinaires de l'armée jusqu'au 15 mars prochain, tandis qu'au contraire, j'ai voté pour ce projet de loi.
Je demande la rectification de l'erreur que je viens de signaler.
M. le président. - Il sera fait droit à votre demande.
M. Hagemans. - Il y a deux ou trois ans, j'ai attiré l'attention de l'honorable M. Jamar, alors ministre des travaux publics, sur le danger réel qui existait pour les gardes-convois du chemin de fer dans le mode de contrôle des coupons. L'honorable ministre d'alors, comprenant qu'il y avait là une question d'humanité, voulut bien faire droit à ma demande et établit un système nouveau. Ce système fonctionnait déjà. Il pouvait offrir, pour quelques voyageurs très exigeants, certains ennuis, quelques inconvénients. Mais qu'étaient ces inconvénients en comparaison des dangers auxquels était exposée la vie des employés ?
Depuis son entrée au ministère, l'honorable M. Wasseige a changé tout cela : il est revenu aux anciens errements. C'est depuis le 1er février, il y a quatorze jours à peine, que l'ancien système a été repris et déjà il y a une victime. Il y en aura encore bien d'autres, j'en suis malheureusement trop certain. Chaque fois qu'un homme, qu'un père de famille, accomplissant le dangereux exercice gymnastique ordonné par M. Wasseige, périra, M. le ministre des travaux publics devra se dire : « Voilà encore un homme tué par ma faute. » C'est tout ce que j'avais à dire, messieurs.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Lorsque le nouveau système de récolement des coupons fut mis en usage, la plus grande sécurité des gardes ne fut pas le mobile du gouvernement précédent ; un contrôle plus sérieux, une vérification plus efficace, voilà ce qu'il a voulu ; car la circulation des gardes n'a pas été supprimée, elle n'a pas même été considérablement réduite ; dans nos principales stations, cette circulation était restée la même, car ces stations n'étaient pas closes et le récolement des coupons se faisait comme par le passé.
Le nouveau système ne fut jamais populaire, il soulevait des réclamations nombreuses et de tous les côtés de la Chambre. Les avantages obtenus étaient bien problématiques, il était impossible de généraliser la mesure, et une résolution importante était urgente à cause de la reprise des lignes de la Société générale, où le système n'était pas appliqué.
Dans ces conditions, je suis revenu au récolement d'après l'ancien mode, et je crois, en prenant cette mesure, avoir répondu au sentiment public. Si récemment un accident a coûté la vie à un malheureux garde, cet accident n'a pas eu lieu lorsque ce garde venait recueillir les coupons, mais lorsqu'il venait en faire la vérification. Le triste accident que je déplore aurait donc eu lieu sous l'ancien régime comme sous le nouveau et il serait de la dernière injustice de vouloir m'en rendre le moins du monde responsable, pas plus que de ceux qui pourraient encore se produire par l'application d'un mode de récolement des coupons qui a existé longtemps avant mon entrée au ministère et dont le rétablissement a été vivement réclamé par le plus grand nombre de mes collègues, qui devraient, en tous cas et en bonne justice, partager avec moi cette responsabilité, si elle était sérieuse.
M. Wouters. - L'honorable M. Hagemans s'est préoccupé à bon droit de la sécurité des gardes-convois, mais il n'aurait, ce me semble, pas dû perdre de vue la vie et la sécurité des voyageurs qui pourraient être mises sérieusement en péril si les gardes ne circulaient plus, comme par le passé, pendant la marche des trains.
Il serait à craindre, en effet, que les malfaiteurs ne prissent les compartiments du chemin de fer pour théâtre de leurs agressions.. C'est la visite inattendue des gardes qui empêche souvent et rend impossibles ces crimes affreux que nous avons vu commettre dans d'autres pays.
Telle est, messieurs, l'observation que j'avais à ajouter à toutes celles
qui ont été présentées dans la discussion précédente, et qui justifient la mesure qui vient d'être prise par l'honorable ministre des travaux publics.
M. Hagemans. - Messieurs, je trouve l'objection de l'honorable M. Wouters peu sérieuse. Les accidents de la nature de ceux qu'il cite sont heureusement d'une extrême rareté, tandis que les accidents que je signale ne sont que trop nombreux.
La Belgique est le seul pays, du reste, où le système que je combats soit en vigueur.
En France, en Angleterre, en Allemagne, il n'existe pas, et en Suisse, dont je citerai notamment l'exemple, vous voyez les gardes circuler à l'intérieur sans courir aucune espèce de danger.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Le système que préconise l'honorable M. Hagemans est certainement le meilleur, puisqu'il fait disparaître en même temps les inconvénients du récolement des coupons à la sortie des gares et toutes les chances d'accidents, mais pour l'appliquer chez nous il faudrait changer tout le matériel et renouveler lotîtes les voitures.
Je doute fort que la Chambre soit disposée à voter une dépense aussi considérable.
M. Moncheur dépose un rapport sur diverses pétitions relatives à l'érection de la commune d'Aisemont.
-Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Vleminckx. - Je demande que M. le ministre de l'intérieur veuille bien déposer tout le dossier de cette affaire, pour le moment de la discussion.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il n'y a pas de difficulté.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai promis à la Chambre de présenter, lors de la discussion du budget de mon département, toutes les explications qui m'ont été demandées successivement par les honorables MM. d'Andrimont et Bouvier.
C'est cet engagement que je viens remplir.
Lorsque j'ai prié la Chambre de reporter ce débat à un moment où, d'une manière générale, le même ordre d'idées serait soumis à ses délibérations, j'ai cru m'appuyer sur le droit du gouvernement, qui n'avait pas été prévenu de cette interpellation avant la séance où elle s'est produite, et en même temps répondre au vœu de la Chambre, qui désire rendre ses travaux aussi actifs que féconds.
M. Bouvier. - Je vous ai prévenu, M. le ministre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je parlais de M. d'Andrimont. M. d'Andrimont m'a prévenu pendant la séance.
M. Bouvier. - Moi, je vous ai prévenu par lettre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Et je vous ai répondu le lendemain, monsieur. (Interruption.)
J'avoue toutefois, messieurs, que lorsque je demandais à la Chambre de fixer la date de cette discussion au budget de l'intérieur, je ne croyais pas que cette date dût être aussi éloignée. En ce moment, le budget de l'intérieur figurait en seconde ou en troisième ligne à l'ordre du jour, et personne ne pouvait prévoir que d'autres discussions, notamment celle qui a eu lieu sur les Bassins houillers du Hainaut, dussent aussi longtemps occuper la Chambre.
Si les honorables auteurs de l'interpellation ont eu à s'affliger de ces retards, j'affirme qu'il est quelqu'un qui en a été bien plus vivement ému, c'est celui qui, en butte aux attaques les plus violentes alors même qu'il avait déclaré ne pas vouloir se défendre, s'est trouvé réduit pendant un mois entier à attendre le moment où il s'expliquerait devant la législature.
Ces explications, je promets à la Chambre qu'elles seront complètes, qu'elles seront catégoriques ; et dussé-je abuser de son attention, il importe que de toutes ces accusations il n'y en ait pas une seule qui reste debout. Je les examinerai toutes, je les aborderai successivement en commençant par les moins sérieuses pour arriver jusqu'aux plus graves.
Et d'abord, messieurs, rappellerai-je les paroles que j'avais prononcées ici, le 16 décembre, lorsque, répondant à l'interpellation de M. d'Andrimont, je m'exprimais en ces termes :
« Messieurs, dans la séance d'avant-hier, l'honorable M. d'Andrimont m'a annoncé une interpellation ayant pour but de réclamer du gouvernement des explications sur les retards qu'éprouve la mise en adjudication (page 601) des travaux des écoles normales de Liège et de Mons : c'est à cette interpellation que j'ai l'honneur de répondre.
« D'où vient l'inquiétude qui s'est emparée de l'esprit de l'honorable membre ? C'est qu'à Liège des bruits circulent, il y a des on-dit, et il suffit de pareilles rumeurs pour que M. d'Andrimont croie l'existence de l'école normale de Liège compromise.
« Je suis très heureux de pouvoir le rassurer ; je n'ai jamais songé à remettre à des congrégations religieuses la direction des écoles normales de l'Etat ; en ce qui touche l'école normale de Liège, je n'ai pas eu à examiner des propositions faites par M. Habets, par le motif très simple qu'aucune proposition ne m'a été faite. S'il y en avait eu une, je ne l'aurais pas accueillie. »
Un mois à peine s'était passé lorsque ces explications qui, selon moi, répondaient si simplement et si clairement à ma pensée, étaient, dans cette Chambre, qualifiées de machinations ténébreuses et de sourdes intrigues.
Et cependant, messieurs, que l'on veuille bien le remarquer, au simple point de vue du plus vulgaire bon sens, n'était-il pas absurde que dans cette courte interruption des travaux de la Chambre, quelques jours après la première interpellation de l'honorable M. d'Andrimont et quelques jours encore avant que la Chambre se réunît de nouveau, j'aurais cherché à déguiser ma pensée, alors que, le 11 janvier 1871, le Moniteur publiait la mention de l'arrêté d'agréation de l'école de M. le chanoine Habets ?
Comment, messieurs, c'eût été là de l'habileté de la part d'un ministre ? Ce serait ainsi qu'il aurait cherché à cacher à la législature et au pays ce qu'il avait fait !
Que s'était-il donc passé ?
Ne savait-on pas à Liège exactement ce qui avait eu lieu ? Ne connaissait-on pas les intentions du ministre ? L'agréation pouvait-elle rester inaperçue ?
Au mois de septembre ou d'octobre, il y avait eu une lettre officielle adressée à l'inspecteur provincial où on l'invitait à rendre compte de l'état matériel de l'école et de l'instruction qui y était donnée.
On avait demandé au directeur du cadastre un extrait relatif à la propriété du chanoine Habets, et un architecte avait été chargé d'en lever les plans.
Et le ministre aurait cherché à nier ce qui appartenait au domaine de la publicité, ce qui était patent, ce qui était connu de tout le monde !
M. d'Andrimont. - Je vous affirme que je n'en connaissais pas le premier mot.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - A coup sûr, il n'y avait pas de sourdes machinations ; il y avait des faits patents, publics, qu'on ne voulait cacher à personne.
J'arrive maintenant au discours de l'honorable M. d'Andrimont.
Que dans le discours de l'honorable membre, divers points de vue aient été successivement abordés, que l'honorable représentant de Liège ait parlé tour à tour des écoles normales de l'Etat et des écoles normales agréées, je ne veux pas le nier, après avoir lu le discours de l'honorable membre. Mais j'affirme que, répondant immédiatement à ce discours, j'ai considéré son interpellation comme entièrement relative à cette question si grave du remplacement de l'école normale de l'Etat par l'école agréée de M. le chanoine Habets.
En effet, messieurs, comment l'interpellation avait-elle été introduite ?
Qu'avait demandé l'honorable M. d'Andrimont ?
Il avait invité le gouvernement à s'expliquer sur les mesures qu'il comptait prendre quant à l'exécution des travaux déjà arrêtés par le cabinet précédent pour l'école normale de Liège, et voici ce qu'on lisait au commencement de son discours :
« On dit que le gouvernement veut pour les écoles normales et dans la mesure du possible substituer l'enseignement congréganiste à l'enseignement laïque... On parle d'une proposition qui serait faite par M. Habets tendante à transformer le saint établissement qu'il gère, en une école normale pour les institutrices ; ce qui se passe aujourd'hui à Liège se passera demain à Mons et plus tard à Bruges et à Gand. »
Mais, à coup sûr, messieurs, lorsque l'honorable M. d'Andrimont, passant successivement tous ces faits en revue, nous entretenait et de Mons et de Liège et de Bruges et de Gand, il faisait allusion à des écoles normales, car c'est dans ces localités qu'elles devaient être établies, soit d'après les propositions qui ont été faites, soit d'après les intentions du gouvernement précédent.
Quoi qu'il en soit, messieurs, nous avons entendu l'honorable M. d'Andrimont déclarer ici, de la manière la plus solennelle, la plus positive, la plus absolue, que jamais personne n'avait pu craindre que l'on plaçât à la tête de l'école normale de l'Etat une congrégation religieuse, ce qui eût été absurde et illégal, et l'honorable M. Dupont, ajoutant à cette affirmation, disait : « Personne n'a pu supposer un seul instant qu'il soit entré dans la pensée du ministre de l'intérieur de remplacer l'école normale de l'Etat par l'école moyenne du chanoine Habets et de donner à cette dernière le caractère d'école normale de l'Etat. »
C'est bien là ce que déclarait l'honorable M. d'Andrimont ; il vient de me faire un signe affirmatif.
M. d'Andrimont. - Pas du tout.
M. Bouvier. - Un signe négatif.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Vous disiez que personne n'avait pensé un instant qu'il était dans l'intention du ministre de l'intérieur de donner à l'école du chanoine Habets le caractère d'école normale de l'Etat. (Interruption.)
Je rappellerai vos paroles.
M. d'Andrimont déclarait, le 17 janvier :
« Je n'ai pas manifesté la crainte de voir placer à la tête de l'école normale de l'Etat une congrégation religieuse, ce qui eût été absurde et illégal. »
Cela est bien clair, je pense.
L'honorable M. Dupont faisait remarquer également que personne n'avait pu croire, un instant, qu'il fût entré dans la pensée du ministre de l'intérieur de donner à l'école du chanoine Habets le caractère d'école normale de l'Etat.
Eh bien, je regrette de le dire, nous ne sommes pas ici en présence du véritable état des choses. Il était bien différent au moment où je prenais la parole, et je vais vous en donner à l'instant la preuve la plus formelle et la plus absolue.
Le 15 du mois de décembre, le Journal de Liège reproduisait les lignes suivantes empruntées à un journal de Bruxelles (l'Echo du Parlement).
« On nous écrit que M. Dony, inspecteur provincial de l'enseignement primaire dans la province de Namur et M. Sacré, inspecteur cantonal, viennent de visiter le couvent des sœurs de Marie, à Pesches-lez-Couvin, où, dit-on, le gouvernement se propose d'établir la nouvelle école normale de filles. Ceci mérite explication. »
Ainsi, on accuse ouvertement le gouvernement de vouloir substituer a l'école normale de l'Etat l'école du chanoine Habets, et c'est cette même pensée que, quelques jours après, les honorables MM. d'Andrimont et Dupont qualifiaient d'impossible et d'absurde.
Mais, messieurs, ce n'est pas seulement par la presse que cette rumeur a été accréditée, que cette accusation a été reproduite : elle trouva un écho dans le sein du conseil communal de Liège.
Dans la séance du 9 décembre, le jour même où cet article était reproduit par le Journal de Liège, un honorable membre du conseil communal, M. Hanssens, prit la parole et s'exprima en ces termes :
« La ville de Liège a toujours été destinée à recevoir l'école normale de filles, mais j'ai vu aujourd'hui, dans les journaux, qu'il y avait grand danger que la ville ne reçût absolument rien. Il paraît, et mes informations personnelles m'autorisent à confirmer en quelque sorte le fait, que le gouvernement est déterminé à établir cette école normale dans la province de Namur, au détriment des conventions faites avec la ville, et à confier l'enseignement normal à une corporation religieuse.
« Je prie le collège de tirer au clair cette affaire et de nous dire une bonne fois ce que nous devons attendre du gouvernement ; si, oui ou non, on fera notre école normale ; si les promesses qui nous ont été faites seront exécutées, ou bien si la ville devra garder le terrain dont elle a fait l'acquisition à Fragnée, sauf à le revendre, à son grand détriment et au détriment des engagements formels qui ont été contractés. »
Ainsi la pensée qu'on a niée ici, a été exprimée au conseil communal de Liège, et M. le bourgmestre, répondante M. Hanssens, faisait la déclaration suivante :
« Dans tous les cas, vous et nous, nous ne manquerons pas à notre devoir, et nous saurons réclamer devant qui de droit l'exécution des engagements pris, d'une loi votée.
« II ne vous est pas donné de scruter la pensée du ministre, mais elle devra venir au jour ; ce sera un des résultats de nos démarches. »
En présence de cette discussion du conseil communal, en présence des articles qui avaient paru dans la presse, alors que l'honorable M. d'Andrimont lui-même appartient au conseil communal de Liège, il ne serait pas venu immédiatement à ma pensée que son interpellation était la reproduction de ces plaintes, de ces murmures !
Et je n'aurais pas eu le droit de dire au sein de la Chambre, à propos de cette transformation de l'école normale privée de M. Habets en (page 602) école normale de l'Etat, qu'il n'y avait rien de cela dans la pensée du gouvernement ! et j'avais le droit d'ajouter, ce que je puis affirmer aujourd'hui, que tout ce que les journaux avaient avancé au sujet de l'inspection faite de l'école de Pesches par M. l'inspecteur provincial et M. l'inspecteur cantonal et du projet de substitution de cet établissement a l'école normale de Liège, n'est qu'un tissu de misérables mensonges.
M. d'Andrimont. - C'est colossal !
M. Bouvier. - Vous vous appuyez sur une équivoque.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. -Je crois qu'il appartient à la loyauté de toutes les opinions de ne pas dénaturer les paroles et de rester toujours dans la vérité.
Tout à l'heure, j'avais le droit de dire que lorsqu'un journal parlait de la substitution de l'école de Pesches à l'école normale de Liège et attribuait cette intention au gouvernement, il disait la chose qui n'est pas.
M. d'Andrimont. - C'est vous qui avez affirmé la contre-vérité.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Et je n'aurais pas le droit de m'élever contre ce système dont je parlais tout à l'heure et qui tend à dénaturer toujours les faits et les paroles ! (Interruption.)
Comment ! mais j'ai reproduit tout à l'heure les paroles que j'ai prononcées d'après le texte des Annales parlementaires ; et si ce texte n'était pas assez clair, j'invoquerais un journal dont le compte rendu des séances parlementaires présente habituellement une exactitude à laquelle je rends hommage.
Le lendemain de cette discussion, voici quel était le compte rendu de l’Indépendance :
« J'affirme qu'il n'est nullement dans l'intention du gouvernement de confier l'enseignement normal aux congrégations. Tout ce qui a été dit à cet égard est complètement inexact. »
Il y eut toutefois un journal qui se donna le facile plaisir de falsifier les paroles que je prononçai. On m'y faisait dire : « Le gouvernement n'a pas la pensée d'adopter l'établissement que dirige à Liège M. le chanoine Habets, et M. Habets ne lui a fait aucune demande, aucune proposition. Est-ce assez catégorique ? »
C'est donc le lendemain même de la première discussion que nous voyons se dessiner ce système que je dois flétrir parce que la loyauté dés opinions, je le répète, ne saurait jamais sortir du cadre des faits exacts et de ce que nous nous devons les uns aux autres.
- Voix à droite. - Très bien !
- Un membre. - Quel est le journal qui s'exprime ainsi ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'est l’Echo du Parlement.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Cela ne m'étonne pas. (Interruption à gauche.)
- Voix à droite. - Ne répondez pas, M. le ministre. (Interruption.)
M. Bouvier. - Un ministre doit toujours répondre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'épargnerai, messieurs, à l'honorable M. Bouvier la peine d'insister.
Il est de mon droit et il es aussi de mon intérêt de donner des explications tellement complètes que l'honorable M. Bouvier, j'espère, les acceptera.
M. Bouvier. -- Je ne demande pas mieux.
MM. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'arrive, messieurs, ici à ce que j'appellerai la gravité des faits. J'ai, dit-on, visé dans un arrêté ministériel une décision de la députation permanente qui n'existe pas.
Voici, à cette occasion, les paroles prononcées par M. d'Andrimont ; je tiens à ne les atténuer en rien :
« J'affirme, entendez-vous, M. le ministre ? j'affirme que vous n'avez pas consulté la députation permanente de Liège, qu'elle n'a pas été appelée à donner son avis sur l'adoption de l'école du chanoine Habets. »
Et M. d'Andrimont ajoutait : « que je m'étais soustrait ainsi aux obligations qu'impose la loi, que j'avais fait litière de ses prescriptions. »
Et parmi ses honorables collègues de la députation de Liège, il y en avait qui allaient plus loin encore : l'un d'eux déclarait que la pièce n'existait pas, qu'elle était inventée. Un autre membre ajoutait qu'il y avait une véritable fraude, qu'il y avait un faux officiel.
J'aime, messieurs, à rappeler ces paroles, parce que tout à l'heure j'aurai le droit de dire qu'elles n'étaient en rien justifiées.
Mais immédiatement après, nous voyons surgir une nouvelle version. La pièce existe ; on a appris que la pièce existe. Alors paraissent de nouveaux systèmes qui consistent à dire que cette pièce n'a aucune valeur, qu'on n'a pas le droit de s'en servir et cela par plusieurs motifs : le premier, c'est que la pièce est ancienne, qu'il s'agit d'une décision récente, qu'on ne peut pas invoquer un document qui remonte à quelques années.
Mais, messieurs, à coup sûr, ceux des membres de la Chambre qui ont vécu dans les régions administratives et qui ont quelque peu la pratique des affaires, savent que chaque jour, qu'à chaque instant on statue sur des avis anciens des députations permanentes ; il suffit que l'affaire ne soit pas terminée.
Je pourrais citer ici de nombreux exemples ; j'ai eu tout récemment entre les mains un arrêté d'un de mes honorables prédécesseurs qui visait un avis d'une députation permanente qui avait près de six années. En ce moment même, le cabinet actuel est appelé à prendre une résolution sur une question importante dont il est saisi, l'approbation du legs Verhaegen, et il visera sans hésiter un avis d'une députation permanente qui remonte à près de huit années.
M. Bara. - Elle est terminée.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'affaire Habets n'est pas terminée.
Je reviendrai tout à l'heure sur ce point. C'est un de ceux que j'ai pris l'engagement d'aborder, et je remplirai cet engagement.
Il y a un autre argument que je tiens à rencontrer avant d'arriver à celui que l'honorable M. Bara indiquait tout à l'heure.
« Il faut, dit-on, qu'il y ait un avis conforme de la députation. »
M. d'Andrimont. - Qui a dit cela ?
M. De Lehaye. - Cela a été dit.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Pardon, messieurs, cela se trouve indiqué dans la pétition de la députation permanente de Liège, et cela se trouve développé dans un article d'un journal qui jouit d'une grande autorité à gauche de la Chambre.
La Chambre comprendra donc aisément qu'après avoir été pendant un mois entier en butte à tant d'attaques, je tienne à repousser non seulement celles qui se sont élevées dans cette enceinte, mais même celles qui se sont produites au dehors.
- Un membre. - C'est assez grave pour qu'on vous laisse la parole.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Voici ce qu'on lit dans le Journal de Gand du 22 janvier dernier :
« D'après l'arrêté royal de 1861, l'adoption des écoles normales privées ne peut avoir lieu par le ministre de l'intérieur que sur l'avis favorable de la députation permanente ; sinon l'arrêté royal, en exigeant l'avis de la députation, n'aurait plus aucun sens. C'est une garantie que l'arrêté royal a voulu donner contre l'arbitraire ministériel. Un avis quelconque ne suffit pas ; le ministre doit marcher d'accord avec la députation, sinon il ne peut adopter l'école privée. Or, en toute hypothèse, l'avis de 1865 était négatif ; comment, dès lors, M. Kervyn pouvait-il se baser sur cet avis pour faire précisément le contraire de ce que la députation proposait ? »
M. Bouvier. - C'est une erreur de journal dont nous ne sommes pas responsables.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'espère que mes paroles iront au delà de cette enceinte, mais je n'espère pas que ce journal rétractera son erreur.
Voici ce que porte l'article premier de l'arrêté royal du 25 octobre 1861 : « Notre ministre de l'intérieur peut, sur l'avis de la députation permanente, adopter, dans chaque province, une ou plusieurs écoles de filles pour la formation d'institutrices des écoles primaires. »
Ainsi, lorsqu'on affirmait que l'arrêté de 1861 exigeait l'avis conforme, on disait de nouveau la chose qui n'est pas.
Mais on ignorait même la discussion de la loi de 1842, car, dans cette discussion, la même question a été nettement posée. M. Lebeau disait, dans la séance du 18 août : « Je désire demander une explication. Il est dit dans l'article que les inspecteurs cantonaux sont nommés et révoqués par le gouvernement sur l'avis de la députation permanente. Ainsi le gouvernement ne pourrait pas révoquer ces fonctionnaires d'office. »
M. Nothomb, ministre de l'intérieur, répond : II est reçu que quand on dit sur l'avis, le gouvernement est simplement obligé de prendre l'avis. Quand on veut que le gouvernement soit lié par l'avis, on dit : De l'avis ou sur l'avis conforme. »
Je vois avec plaisir que personne n'insiste sur ce reproche qui a été adressé au gouvernement. Pour ce reproche, au moins, j'espère que le cabinet, que le ministre est pleinement justifié.
Mais cela ne me suffit pas. J'ai voulu rechercher quels était, en matière d'agréation d'écoles normales, les exemples que m'avaient laissés les cabinets précédents, et j'ai remarqué que lorsque l'honorable M. Vandenpeereboom adoptait, en 1864, l'école normale religieuse de Brugelette, la (page 603) députation permanente du Hainaut avait également émis un avis défavorable, et cependant le 6 juillet 1864 l'honorable M. Vandenpeereboom signait l'arrêté dont je vais avoir l'honneur de donner lecture :
« Vu l'article premier de l'arrêté royal du 25 octobre 1861, article ainsi conçu :
« Art. 1er. Notre ministre de l'intérieur peut, sur l'avis de la députation permanente, adopter, dans chaque province, une ou plusieurs écoles de filles, pour la formation d'institutrices primaires.
« L'adoption est révocable en tout temps.
« Vu la demande de la dame M. Depaquier, directrice de l'orphelinat de Brugelette, tendante à obtenir l'adoption d'une école normale d'institutrices annexée à cet établissement ;
« Vu l'avis de la députation permanente du conseil provincial du Hainaut,
« Arrête :
« Article unique. L'école normale désignée ci-dessus est adoptée à la condition qu'elle se soumettra aux diverses prescriptions légales et réglementaires concernant les institutions de l'espèce. »
Ainsi l'honorable M. Vandenpeereboom s'était servi des mêmes expressions lorsqu'il se trouvait aussi en présence d'un avis défavorable.
Il y eut toutefois, messieurs, à cette époque, certaines représentations faites par la députation permanente du Hainaut, et je demande à la Chambre la permission de donner lecture d'une pièce très importante adressée, le 19 août 1864, par l'honorable M. Vandenpeereboom au gouverneur du Hainaut :
« J'ai reçu votre lettre du 8 juillet dernier (cabinet sans n°), relative à l'adoption de l'école normale d'institutrices annexée à l'orphelinat de Brugelette.
« II est à observer, M. le gouverneur, que mon arrêté du 6 juillet portant adoption de cette école est pris en conformité des déclarations que j'ai faites à la législature, et de fait, on ne peut raisonnablement refuser à une corporation religieuse le moyen d'acquérir la capacité voulue pour l'enseignement. »
Cette déclaration, messieurs, dont je félicite l'honorable M. Vandenpeereboom, fixera, à coup sûr, l'attention de la Chambre.
M. Vandenpeereboom. - Je demande la parole.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'arrive, messieurs, à une autre question, à celle qu'indiquait tout à l'heure l'honorable M. Bara : Puis-je invoquer l'avis de la députation permanente de Liège ? L'affaire n'est-elle pas décidée, irrévocablement décidée ? N'y avait-il pas lieu, par conséquent, de réclamer une nouvelle délibération ? Ici, messieurs, ma réponse sera formelle, catégorique : l'affaire n'est pas décidée, elle n'a jamais été décidée.
Dans une des séances de la Chambre, l'honorable M. d'Andrimont a vivement insisté pour qu'il fût donné lecture d'une pétition de la députation permanente de Liège.
- Un membre. - Une protestation.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Si vous le voulez, d'une protestation adressée à la Chambre par la députation permanente de Liège. Je crois, messieurs, devoir moi-même en donner lecture, et je le regrette beaucoup pour ceux qui l'ont signée et peut-être aussi pour ceux qui l'ont provoquée.
« Séance du 18 janvier 1871.
« Ecole normale d'institutrices établie à Liège par Ml. le chanoine Habets.
« M. le gouverneur communique à la députation l'arrêté ministériel du 11 janvier courant, adoptant l'école normale d'institutrices établie à Liège par M. le chanoine Habets.
«Après s'être fait représenter le dossier de cette affaire, elle ne s'explique pas que M. le ministre vise son avis dans l'arrêté du 11 janvier, attendu que cet avis, n'ayant pas été demandé, n'a pas été donné. »
C'est la question même dont nous sommes saisis.
Il est évident que l'avis avait été demandé, qu'il avait été donné.
Ce qui nous reste à examiner simplement, c'est si l'affaire avait été terminée,..
M. Bouvier. -... en 1862.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je continue : « S'il s'agissait, par hasard, d'un avis donné le 15 décembre 1864, sur une demande de M. Habets, tendante à obtenir l'adoption d'une école normale qui n'était pas établie, elle fera remarquer que cet avis était négatif. » Il n'y a personne ici, messieurs, qui prétende qu'il faille l'avis conforme d'une députation permanente, et l'on ne comprend pas qu'un corps composé d'hommes aussi éminents, aussi distingués, ait cru pouvoir soutenir un seul instant cette opinion. (Interruption.) Ceci n'est pas une erreur de journaliste.
M. d'Andrimont. - Continuez !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Volontiers, monsieur.
« D'ailleurs, l'instruction de la demande faite par M. Habets, en 1864, avait été terminée par le refus d'adoption de M. Vandenpeereboom, du 9 janvier 1865, et il ne semble pas possible que cette affaire pût être remise sur le tapis par le gouvernement et aboutir qu'après une instruction nouvelle et un avis préalable de la députation.
« La présente déclaration sera transmise à la Chambre des représentants pour son information. « Ont signé : MM. Massart, Libert, Donckier, Lejeune, Germeau, Fabryet Laloux, greffier. - M. le gouverneur s'est abstenu.
« Pour copie conforme :
« Le greffier provincial, Laloux. »
De cette pièce,, qui commence par cette phrase embarrassée : « Si par hasard », et qui se termine par une affirmation si nette, vous verrez, messieurs, que tout à l'heure il ne restera rien.
M. Bouvier. - Nous vous répondrons.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Bouvier a promis de m'écouter loyalement. Je suis persuadé que quand il aura entendu mes explications, il ne répondra pas.
M. Bouvier. - Nous verrons.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je vous demande la permission de remonter un instant à l'époque où la députation permanente de Liège a eu à exprimer un avis sur l'agréation de l'école de M. le chanoine Habets.
Le 30 janvier 1864, un arrêté royal, rendu sur la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom, avait confirmé l'existence des écoles adoptées en déclarant que les subsides de l'Etat ne seraient plus que facultatifs.
L'honorable M. Vandenpeereboom - je l'en félicite ici de nouveau - croyait qu'il fallait, à la fois, fortifier l'enseignement de l'Etat et ne rien faire pour étouffer l'enseignement libre.
L'honorable M. Vandenpeereboom donna suite à cette pensée. Le 24 janvier 1864, il adopta l'école religieuse de Wavre-Notre-Dame, le 31 janvier 1864, l'école de Champion, et le 6 juillet l'orphelinat de Brugelette.
Ce fut dans ces mêmes circonstances, le 22 juillet 1864, que l'évêque de Liège s'adressa à M. le ministre de l'intérieur pour obtenir l'agréation de l'institut religieux de l'abbé Habels destiné à former des institutrices.
Cette affaire fut renvoyée le 22 août à la députation permanente de la province de Liège.
M. d'Andrimont. - Donnez communication complète de la demande.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je n'ai pas sous les yeux la demande d'avis. Je crois du reste qu'elle était conçue dans les termes les plus simples ; ce n'est qu'une formule qui est toujours la même dans les bureaux.
A cette époque, une polémique excessivement vive se déclara dans la presse. Il y avait eu, je tiens à rappeler tous les faits, un congrès à Malines ; des discours y avaient été prononcés ; la presse libérale y avait répondu. La question de l'enseignement libre fut vivement débattue, et ce fut sous ces auspices que l'affaire fut portée devant la députation permanente de Liège. Elle fut d'abord renvoyée à l'avis de l'inspecteur provincial M. Ghinijonet. Le 30 septembre 1864, un premier rapport fut adressé à la députation permanente. L'inspecteur provincial s'exprimait en ces termes :
«Nul doute que l'exemple donné par les religieuses de Champion, par les Filles de la Croix, etc., ne soit bientôt suivi par une infinité d'autres congrégations religieuses. Où s'arrêtera-t-on ? Peut-on assigner une limite à leur droit, lorsque ce droit lui-même ne paraît pas bien défini ? Quoi qu'il en soit, je m'en rapporte à la sagesse de l'autorité supérieure avec l'espoir qu'elle saura sauvegarder l'avenir des institutrices laïques, gravement menacé. »
Il est bon de remarquer que M. Ghinijonet admettait le droit à l'agréation.
Dans une autre lettre du 1er novembre, M. Ghinijonet, en présence d'un état de choses qui, selon lui, établissait le droit à l'agréation, indiquait le (page 604) remède. Quel était le remède ? C'était la révision de la loi de 1842. « C'est à cette conclusion, disait-il, qu'on aboutit forcément. »
Le 15 décembre, intervint la décision de la députation permanente de Liège qui se déclare défavorable à l'agréation demandée et qui vise dans sa résolution les deux lettres, les deux avis de M. l'inspecteur provincial Ghinijonet, dont je viens de mettre quelques lignes sous les yeux de la Chambre.
M. d'Andrimont. - Défavorable.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Défavorable.
- Des voix. - Vous avez dit favorable.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'est une erreur.
Le 27 décembre, la note suivante se trouve inscrite sur une pièce du dossier.
« En présence de l'avis motivé des députations provinciales, M. le ministre a décidé de ne pas donner suite à la demande au maint quant à présent. » (Interruption à droite.)
Le 9 janvier 1865, la lettre suivante est adressée par M. le ministre à l'évêque de Liège :
« Par lettre du 29 juin dernier, vous avez bien voulu appuyer de votre recommandation une demande de M. le chanoine Habets tendante à obtenir l'adoption d'une école normale d'institutrices tant laïques que religieuses, sous la direction des Filles de la Croix, à Liège.
« Conformément à l'article premier du règlement général du 25 octobre 1861, j'ai consulté à ce sujet les autorités provinciales. Or, ces autorités sont unanimement d'avis que, pour le moment, il est amplement pourvu à l'enseignement des élèves-institutrices dans la province, au moyen des deux institutions normales existantes, et qu'il n'y a pas de raison d'en adopter une troisième.
« En conséquence, j'ai l'honneur de vous informer, M. l'évêque, que je regrette de ne pouvoir, du moins quant à présent, donner suite à votre recommandation en faveur de M. Habets, et accorder à cet ecclésiastique l'objet de sa demande.
« Il est à observer, au surplus, que M. Habets a réclamé l'adoption d'une école qui n'était pas établie. »
M. Frère-Orban. - Voila qui est décisif. (Interruption.) Le programme est personnel.
M. d'Andrimont. - Il n'était pas établi. (Interruption.) Il n'existait pas. (Interruption.)
M. Bouvier. - Ce dossier est curieux.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - On peut admettre l'agréation en principe alors même que l'école n'est pas complètement organisée. Ainsi pour l'agréation de l'école d'Arlon le gouvernement s'est prononcé quand l'école normale n'était pas établie. [note de bas de page : « 8 août 1867. Au gouverneur du Luxembourg. Monsieur le gouverneur, Comme suite à votre rapport du 10 novembre dernier, n°2186-02, j'ai l'honneur de vous informer que je consens à adopter, dès qu'elle aura été complètement organisée, conformément à l'arrêté royal du 25 octobre 1861, l'école normale d'institutrices en projet dans la ville d'Arlon. Vandenpeereboom. »]
- Voix à droite. - Ah ! ah !
M. Jacobs, ministre des finances. - Est-ce encore décisif ? (Interruption.)
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Voici. Le 3 juin 1868, le ministre écrit au gouverneur du Luxembourg que l'adoption (il s'agissait de l'adoption définitive) ne serait possible que lorsque l'organisation matérielle serait complète. Or, l'agréation avait été arrêtée en principe dès le 8 août 1867, bien que ce ne soit que plus tard que l'on constate que l'établissement est complet, ce qui est nécessaire pour que l'agréation devienne définitive. (Interruption.)
M. Bara. - C'est cela.
M. d'Andrimont. - Vous avez lu de travers. (Interruption.)
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - -Dans l'affaire de l'école d'Arlon, la députation permanente a donné, le 13 août 1866, un avis favorable à l'agréation alors que l'organisation matérielle n'existait pas. Au moment où la députation permanente a exprimé son opinion qu'il y avait lieu d'agréer l'école dont il était question, elle ne pouvait que décider en principe qu'il y avait lieu à cette agréation, mais l'agréation définitive restait subordonnée à l'exécution de certaines mesures, c'est-à-dire jusqu'à l'époque où l'établissement se trouverait dans une situation matérielle satisfaisante.
Eh bien, c'est exactement ce qui s'est passé pour l'école normale de Liège.
La députation permanente a donné son avis sur le principe, et le gouvernement a statué définitivement après avoir fait constater que l'organisation était convenable.
M. Bouvier. - Lisez l'acte. (Interruption.)
M. de Zerezo de Tejada. - Il n'y a pas moyen de parler si vous interrompez toujours.
M. Bouvier. - M. le ministre ne veut pas communiquer les pièces.
MpV. - M. le ministre ne fait que cela depuis une heure.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je rappellerai qu'à Arlon...
M. Bouvier. - Lisez l'acte.
M. le président. - M. le ministre lit les pièces qui lui conviennent.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ferai remarquer que lorsque l'honorable M. Vandenpeereboom disait que « quant à présent on ne pouvait pas se prononcer sur l'école de Liège, » il faisait remarquer en même temps que, l'organisation matérielle n'étant pas complète, il y avait, par cela même, un motif de suspendre sa décision.
M. d'Andrimont. - Elle n'était pas complète.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Elle n'était pas complète, dites-vous ; mais, postérieurement à cette époque, la correspondance continua entre M. Vandenpeereboom et l'évêque de Liège sur cette question de l'organisation matérielle de l'école. Puisqu'il n'y avait pas eu de solution à cette époque, on s'en référait à une date postérieure, où le gouvernement aurait à apprécier l'état des choses et à se prononcer d'une manière ou d'une autre.
Voilà, messieurs, ce que j'ai eu à faire, et j'en donnerai tout à l'heure des preuves.
L'honorable M. Vandenpeereboom ne me démentira pas, je l'espère, lorsque je dirai à la Chambre que si, en 186-4, il n'avait pas cru pouvoir accéder aux demandes d'agréation qui s'étaient présentées, il ne les rejetait pas d'une manière absolue, mais les subordonnait à l'établissement des nouvelles écoles normales de l'Etat. Cette déclaration a été faite par l'honorable M. Vandenpeereboom à la Chambre, je pense, et surtout dans les réunions de la commission centrale de l'instruction primaire, comme on peut le voir dans les rapports triennaux. L'honorable membre s'est exprimé à cet égard de la manière la plus formelle...
M. Vandenpeereboom. - C'était tout autre chose.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Vous vous êtes occupé de l'école de Saint-Nicolas, de celle de Gosselies, et aussi de celle de M. Habets. L'honorable M. Vandenpeereboom, dans les réunions de la commission centrale, avait déclaré qu'il y avait nécessité de créer non seulement de nouvelles écoles normales de l'Etat, mais encore des écoles normales religieuses ; il disait notamment dans la séance du 28 décembre 1866 :
« La nécessité de créer de nouvelles écoles normales a été reconnue par tout le monde. Les évêques eux-mêmes ont demandé l'agréation de nouvelles écoles normales d'institutrices. »
Et l'honorable membre ajoutait :
« Je ne demande pas mieux que d'adopter de nouvelles écoles normales religieuses ; cela pourra se faire ultérieurement, » c'est-à-dire, dans la pensée de l'honorable membre, lorsque les nouvelles écoles normales de l'Etat auraient été organisées.
L'honorable M. Vandenpeereboom voudra bien reconnaître que mon appréciation est exacte.
M. Vandenpeereboom. - Vous n'êtes pas sur le véritable terrain. Les écoles normales dont il s'agissait ne ressemblent pas à celles que vous avez agréées.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ignore ce qui justifie cette objection de l'honorable membre ; car je lis dans la séance du conseil général de l'instruction primaire, du 20 août 1867, à propos de l'école de Saint-Nicolas, ce qui suit :
« M. le ministre répond que l'école de Saint-Nicolas pourra être agréée, lorsque l'Etat aura pourvu à l'organisation des quatre nouvelles écoles normales décrétées par la loi du 29 mai 1866. »
Voilà donc une déclaration bien formelle de l'honorable M. Vandenpeereboom. Ceci ne se réfère pas à une école conçue dans tel ou tel ordre hypothétique ; il s'agit de l'école de Saint-Nicolas, telle qu'elle existe, que (page 605) j'ai adoptée moi-même, et que l'honorable M. Vandenpeereboom se proposait d'agréer, dès qu'il aurait été pourvu à l'organisation des quatre nouvelles écoles normales de l'Etat.
Dans la discussion même de la loi du 29 mai 1866, l'honorable M. Vandenpeereboom disait aussi :
« Le gouvernement se montre si peu exclusif et si peu monopoleur, que, si le projet de loi est voté, il consentira à adopter de nouvelles écoles normales d'institutrices. »
Bien plus, dans une séance de la commission centrale de l'instruction primaire, l'honorable membre déclarait que l'intention du gouvernement était d'agréer une école normale religieuse dans chaque diocèse.
M. Vandenpeereboom. - Je n'étais donc pas exclusif.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ce fut dans ces circonstances, au moment où l'honorable M. Vandenpeereboom subordonnait l'agréation des écoles religieuses à un fait qui n'existait pas encore, a l'établissement des écoles normales de l'Etat, que l'honorable membre quitta le cabinet ; on était arrivé, si je ne me trompe, aux premiers jours de janvier 1868. Ce fut alors que son successeur, l'honorable M. Pirmez, crut que l'un des premiers actes de son administration devait être de se faire rendre compte de la situation en ce qui touchait l'agréation des écoles normales.
L'honorable M. Pirmez, peu de jours après son entrée au cabinet, à la fin de janvier 1868, si je ne me trompe, fut saisi d'une demande de la supérieure de l'établissement de Saint-Nicolas, qui alléguait que l'agréation de son école avait été acceptée en principe par l'honorable M. Vandenpeereboom et qui demandait à son successeur de la prononcer immédiatement.
Ici, messieurs, je me trouve en présence de documents d'une si grande importance, d'un caractère si net et si positif qu'ils doivent mettre fin à toute controverse. Vous me permettrez, messieurs, d'en donner lecture.
M. d'Andrimont. - Il y en a d'autres que vous ne voulez pas lire.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je lirai tout ce que vous désirerez.
M. Bouvier. - Nous demandons à cor et à cri que vous lisiez certaines pièces.
M. Muller. - Donnez alors lecture de l'avis de la députation permanente de Liège et de l'inspecteur provincial.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je les lirai tout à l'heure.
C'était le 27 janvier 1868 que la supérieure de l'établissement de Saint-Nicolas s'adressait à l'honorable M. Pirmez, affirmant que l'agréation était admise en principe et demandant à l'honorable successeur de M. Vandenpeereboom d'y donner suite.
Cette pièce porte la note suivante : « Nous avons plusieurs demandes de l'espèce en instance ; il faudra les réunir et les mettre sous les yeux de M. le ministre en le priant de faire connaître ses intentions. Ne pas laisser ignorer à M. le ministre que son prédécesseur était d'avis d'ajourner toute décision en attendant l'organisation des quatre nouvelles écoles normales de l'Etat. » Ajourner la décision d'une affaire en instance ! Cela veut dire, à coup sûr, que ces affaires étaient en instance, qu'elles pouvaient être sujettes à une décision. (Interruption.)
M. de Rossius. - Vous êtes dans l'erreur.
M. Vleminckx. - A l'exception de celles à l'égard desquelles une décision avait été prise.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Vleminckx dit avec raison « à l'exception de celles à l'égard desquelles une décision avait été prise. » Mais nous aurons précisément à examiner si une décision avait été prise pour l'école de l'abbé Habets, et cela s'expliquera tout naturellement par la lecture des pièces.
Le 30 janvier 1868, M. Thiéry, directeur général de l'instruction publique, transmet la note suivante à l'honorable M. Pirmez :
« La lettre ci-jointe (celle de la supérieure de l'établissement de Saint-Nicolas), que je crois devoir mettre sous les yeux de M. le ministre, rappelle une requête tendante à obtenir l'adoption par le gouvernement de l'école épiscopale pour filles établie à Saint-Nicolas-Waes. Rien ne justifie la pensée exprimée dans cette pièce que cette adoption fût adoptée en principe. Si l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire a pu émettre une opinion quelconque à ce sujet auprès des directeurs d'établissements, cette opinion est toute personnelle et n'engage en rien le gouvernement.
« La requête a été appuyée par l'inspecteur et par la députation permanente, mais le gouverneur de la Flandre orientale a vivement insisté pour qu'elle fût écartée.
« Jusqu'ici rien n'est décidé. L'honorable prédécesseur de M. le ministre avait exprimé l'avis d'ajourner toute suite en attendant l'organisation des quatre nouvelles écoles normales de l'Etat ; cet ajournement s'étendait à toutes les demandes du même genre, demandes au nombre de quatre, dont les dossiers sont ici annexés. Je prie M. le ministre de me faire connaître ses intentions. »
Et à cette pièce se trouve jointe la note suivante, qui, à coup sûr, lèvera le doute que l'honorable M. Vleminckx exprimait tout à l'heure :
« En me remettant la note ci-jointe, M. Jamart m'a fait connaître la décision prise par M. le ministre (M. Pirmez) de faire instruire toutes les demandes d'adoption d'écoles normales d'institutrices. Il est à remarquer que, sur cinq demandes de ce genre qui nous sont parvenues, quatre ont déjà fait l'objet d'un avis des autorités compétentes ou sont soumises à l'instruction. Ce sont (écoutez, messieurs) : 1° la requête de l'abbé Habets, tendante à obtenir l'adoption de l'institut des Filles de la Croix à Liège. Les avis sont du mois de décembre 1864. (Interruption.)
- Des membres. - Riez, M. Bouvier.
M. Bouvier. - Nous répondrons.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Comment l'honorable M. Bouvier, qui m'a promis un examen loyal et de bonne foi, ne reconnaît-il pas qu'en janvier 1868, il s'agissait des affaires qui avaient été instruites, qui étaient simplement ajournées et qui attendaient une solution ? La demande de l'abbé Habets est citée en premier lieu ; on ajoute : « les avis sont de décembre 1864 » et quelqu'un pourrait encore affirmer qu'en 1870 cette affaire était terminée, alors qu'en 1868, les documents que je mets sous vos yeux, et qui sortent des archives du ministère, établissent à toute évidence que l'honorable M. Pirmez s'en occupait comme d'une affaire instruite et sur laquelle on pouvait statuer !
M. Vleminckx. - C'est toujours le même procédé ; c'est de découvrir les fonctionnaires.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ne découvre personne. Je cite un document administratif, qui émane d'un fonctionnaire honorable qui constatait simplement que l'affaire Habets n'était pas terminée, que l'avis était de 1864 et que cette affaire appelait une solution.
Je m'adresse à la bonne foi de mes adversaires, et je leur demande si cette pièce du mois de janvier 1868, si cette affirmation précise, positive, qu'il y a quatre ou cinq affaires en instance, pour lesquelles les avis des députations permanentes existent déjà, n'est pas un document irréfutable ? Et, ne l'oubliez pas, ce document mentionne en première ligne la demande de M. Habets.
M. Vleminckx. - C'est une erreur d'employé.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'est une erreur d'employé ! Mais cela est signé par le directeur général de l'instruction publique.
M. Frère-Orban. - L'école normale n'existait pas.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Frère prétend que l'école n'existe pas.
M. Frère-Orban. - C'est une lettre de 1865 qui le dit. Je ne le sais pas autrement.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Mais l'honorable M. Frère serait-il disposé à contester que le principe de l'agréation n'est pas subordonné à l'organisation matérielle, que lorsque l'agréation est arrêtée en principe, il y a lieu à une nouvelle instruction, que cette instruction s'applique à l'état de l'école et à l'état de l'enseignement ; et l'agréation ne revêt un caractère définitif que lorsque le gouvernement a obtenu sur ces divers points des renseignements précis. N'ai-je pas compris le devoir du gouvernement de s'éclairer à cet égard ? Ce n'est pas d'après la situation de 1864 que j'ai eu à juger ce qu'est aujourd'hui l'école de M. Habets.
Au point de vue du principe, je pouvais viser l'avis de la députation permanente, mais j'avais un autre devoir à remplir, c'était de savoir si, en 1870, il y avait non seulement des locaux convenables, mais s'il y avait aussi un personnel convenable : c'est ce que j'ai fait.
Messieurs, je tiens à établir en ce moment que de ce système d'attaques injustes répandues dans la presse, que de tout cet échafaudage d'accusations violentes et de vagues rumeurs, il ne reste absolument rien.
Messieurs, avant d'arriver à la lecture des documents relatifs à l'organisation matérielle et scolaire des établissements de Liège et de Pesches, je voudrais relever quelque peu cette discussion.
Qu'a fait le gouvernement ? S'est-il livré à l'instruction de nouvelles demandes en matière d'écoles normales ! Ne s'est-il pas borné, au (page 606) contraire, à terminer les affaires déjà instruites par nos honorables prédécesseurs ? La mesure qu'il a prise ne se trouve-t-elle pas complètement justifiée ?
Deux voies s'ouvraient devant lui ; l'une, c'était celle qui avait été suivie par l'honorable M. Vandenpeereboom, c'était de ne pas permettre l'agréation de nouvelles écoles normales tant que les écoles normales de l'Etat ne seraient pas organisées.
Il y avait une autre voie : c'était de donner suite, loyalement, sincèrement, sans arrière-pensée, à réorganisation convenable, régulière des écoles normales de l'Etat, mais en même temps de ne nuire en rien à l'enseignement libre : c'est ce dernier système que j'ai adopté.
M. d'Andrimont. - Qu'on vous a contraint d'adopter.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Le gouvernement n'a consulté que l'intérêt de l'instruction publique. Mais quelle est donc aujourd'hui la situation, quels sont aujourd'hui les besoins de l'enseignement en Belgique ? La question mérite toute la sollicitude de la Chambre.
Et d'abord, messieurs, permettez-moi de rappeler, en quelques mots, quels sont les grands principes proclamés par la loi de 1842. La loi de 1842, messieurs, a considéré l'enseignement de l'Etat comme un devoir essentiel, mais elle a admis aussi l'existence de l'enseignement libre. Voici, messieurs, ce que disait M. Nothomb dans la discussion :
« Vous n'interdirez pas aux communes de choisir les instituteurs parmi les élèves des établissements ecclésiastiques ; telle n'est pas notre intention, et telle n'était pas non plus l'intention de la commission qui a proposé le projet de 1834. »
Et, en effet, messieurs, la loi de 1842 avait établi de la manière la plus nette, la plus formelle ce grand principe de l'action commune des écoles normales de l'Etat et des écoles normales agréées.
Le règlement du 15 décembre 1860 les avait exactement soumis aux mêmes prescriptions, et un arrêté du 25 octobre 1861, dont je félicite l'honorable M. Rogier comme je félicitais tout à l'heure l'honorable M. Vandenpeereboom, avait spécialement autorisé le ministre à adopter les écoles de filles pour la formation d'institutrices primaires.
M. de Rossius. - Malgré la droite.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Permettez-moi de jeter un rapide coup d'œil sur la situation qui existe aujourd'hui en matière d'enseignement normal d'institutrices.
Il existe neuf écoles d'institutrices laïques dirigées par des laïques. Elles renferment 503 élèves.
Cinq écoles destinées à la formation d'institutrices laïques, sont dirigées par des religieuses ; elles contiennent 311 élèves.
Enfin, il existe deux écoles destinées à la formation d'institutrices religieuses et dirigées par des religieuses ; elles renferment 56 élèves.
[en note de bas de page, les détails de ces chiffres :
[1° Ecoles destinées à la formation d’institutrices laïques, dirigée par des laïques :
[Herenthals 83 élèves, Bruxelles 28, Thielt 48, Gand 90, Mons 72, Liége 52, Visé 60, Tongres 23, Arlon 47.
[2° Ecoles destinées à la formation d’institutrices laïques, dirigées par des religieuses :
[Nivelles 82 élèves, Messines 18, Brugelette 82, Bastogne 69, Champion (laïques) 60.
[3° Ecoles destinées à la formation d’institutrices religieuses, dirigées par des religieuses : Wavre-Notre-Dame 39 élèves, Champion (religieuses), 17.
[En résumé, les écoles normales d'institutrices comptent (chiffres ronds) : 810 élèves laïques sur 60 élèves religieuses : total 870. Ces dernières sont donc, par rapport aux autres, dans la proportion de 7 4/10 p. c.]
Et c'est là la situation qui effraye les honorables membres !
Recherchons, messieurs, quels sont les besoins annuels de l'enseignement primaire en ce qui touche la formation d'institutrices.
Par suite des créations nouvelles, il faut chaque année 114 institutrices ; par suite de révocation, 1 ; par suite de décès, 11 ; par suite de démissions, d'admissions à la pension, etc., 39.
Les besoins réguliers sont donc d'environ 165 institutrices.
Or, ici se présente une question sur laquelle j'appelle toute l'attention de la Chambre.
Il est reconnu par tout le monde qu'il est désirable qu'il y ait un grand nombre d'institutrices diplômées.
Cela importe à l'enseignement ; c'est une garantie pour l'instruction primaire. A coup sûr, c'est vers ce but que doivent tendre tous les efforts du gouvernement, et ce n'est pas un résultat à dédaigner que de voir l'enseignement religieux accepter des règles posées par l'Etat, s'y soumettre et marcher dans la même voie.
Dans la situation où les choses étaient arrivées, cela était devenu, en quelque sorte, impossible.
Quelques chiffres justifieront mes affirmations.
Il sort en moyenne des écoles normales 157 institutrices laïques ; il en sort 12 des écoles religieuses.
En 1870, 188 institutrices laïques ont reçu le diplôme. Il y a eu 13 institutrices religieuses.
Voilà la situation que l'on avait faite à un enseignement auquel le législateur de 1842 avait entendu donner le même rang qu'à celui de l'Etat, lorsqu'il proclamait bien haut ce principe de concurrence comme le plus. favorable à la diffusion de l'enseignement.
Chaque année il faut 165 institutrices, et les communes qui ont à choisir ces 165 institutrices ne pourraient en recruter que 10 ou 12 munies de diplômes dans l'enseignement religieux ! Que deviendrait, en ce cas, le droit d'appréciation de la commune ?
Quel était le devoir du gouvernement, au point de vue de la liberté de l’enseignement proclamée par la Constitution ?
N'était-ce pas de sortir d'une situation qui n'était pas autre chose que la destruction de la liberté d'enseignement ?
- Voix nombreuses à droite. - Très bien !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il y a une autre considération, messieurs, qui justifie ce que j'avais l'honneur de vous dire tout à l'heure : c'est qu'il y a aujourd'hui incontestablement dans une grande partie du pays, dans une grande partie des administrations communales, même dans les districts les plus libéraux, une tendance à confier l'éducation des jeunes filles à des institutrices religieuses. Or, qu'est-ce qui en résulte ? C'est qu'au lieu d'avoir une institutrice religieuse diplômée, on se trouve en présence d'un grand nombre d'institutrices religieuses sans diplôme placées dans des écoles adoptées.
Dans les écoles adoptées, à côté de 129 institutrices laïques, on rencontre 988 institutrices religieuses, et dans les établissements privés à côté de 486 institutrices laïques, on rencontre 1,219 institutrices religieuses.
Qu'est-ce est démontré par ces chiffres ? C'est que les administrations communales et les populations sont portées à rechercher les institutrices religieuses, mais en même temps que, par suite de l'absence d'écoles normales agréées, on ne trouve parmi elles qu'un très petit nombre d'institutrices diplômées. C'est cette situation fâcheuse, regrettable que, dans l'intérêt de l'instruction primaire, il importe de faire cesser le plus tôt possible.
Ainsi pour résumer ce discours, je justifie la conduite du gouvernement par le grand principe de la liberté de l'enseignement, et je ne crois pas qu'il soit allé trop loin lorsqu'il n'a fait que sanctionner des décisions déjà préparées par l'un de nos honorables prédécesseurs, qui avait adopté ces écoles en principe, en subordonnant simplement l'agréation à une question de date. Nous poursuivrons la création des écoles normales de l'Etat, mais nous ne croyons pas pouvoir étouffer plus longtemps l'enseignement libre en le maintenant dans la situation regrettable où il se trouve aujourd'hui.
Je tiens à ne pas abuser des moments de la Chambre, mais j'ai pris vis-à-vis des membres de la gauche des engagements. J'ai promis de leur donner communication des rapports faits sur les établissements de Liège et de Pesches ; c'est par là que je termine.
(page 607) Le 5 octobre 1870, j'écrivais à l'inspecteur provincial de Liège :
« Monsieur l'inspecteur,
« Je vous prie de m'adresser, le plus tôt possible, un rapport complet sur l'organisation (matériel et personnel) de l'école normale d'institutrices religieuses établie à Liège, per M. le chanoine Habets, et placée sous la direction des filles de la Croix.
« Votre rapport devra faire connaître si cette école se trouve dans les conditions voulues pour être adoptée en exécution de l'article premier du règlement général du 25 octobre 1861. »
M. Muller. - Nous demandons d'abord lecture du rapport de M. Ghinijonet et de l'avis de la députation émis en 1864.
M. d'Andrimont. - Et la date de la première demande de M. le chanoine Habets.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - La demande du chanoine Habets a été introduite par une lettre de l'évêque de Liège. M. d'Andrimont. - Dont nous désirons avoir connaissance.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - La voici :
« Monsieur le ministre,
« Le directeur-fondateur de l'institut religieux des filles de la Croix, M. le chanoine Habets, ecclésiastique distingué par ses vertus sacerdotales, et surtout par son intelligence des œuvres e charité, désire vous entretenir d'un projet que je le félicite d'avoir conçu. Il se propose d'établir une école normale de filles pour former des institutrices tant laïques que religieuses. Son but principal est de développer, par une préparation régulière, les connaissances littéraires et pédagogiques parmi celles de ses religieuses ou des membres des autres communautés qui se destinent à l'enseignement, soit public, soit privé.
« Il aura l'honneur de vous demander, monsieur le ministre, quelles sont les conditions que l'Etat impose à ces sortes d'établissements pour leur reconnaître le caractère d'écoles normales.
« J'ose vous prier d'accueillir M. Habets avec bienveillance et de faire ce qui dépendra de vous pour qu'il puisse mettre son projet à exécution. L'institut des filles de la Croix renferme un bon nombre de religieuses qui ont reçu une bonne éducation et qui ont déjà enseigné avec succès dans les différents établissements que M. Habets a formés, tant en Belgique qu'à l'étranger. Il y a donc là tous les éléments propres à former une bonne école normale. »
M. d'Andrimont. - Donnez-nous l'avis de l'inspecteur ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il y a deux lettres de M. Ghinijonet, qui sont très longues.
M. Bouvier. - Elles doivent être très intéressantes.
M. Thonissen. - Ne pourrait-on imprimer ces documents au Moniteur ?
M. Bouvier. - Nous en demandons la lecture ; ils doivent être très intéressants. (Interruption.)
M. de Borchgrave. - Lisez-les vous-même. (Interruption.)
M. d'Andrimont. - Voilà huit jours que nous demandons de nous donner connaissance de ces pièces.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je prends la plus ancienne de ces lettres : elle est datée du 30 septembre 1864. La voici :
« Monsieur le gouverneur,
« Par votre dépêche, en date du 26 août dernier, vous me faites l'honneur de m'informer que M. le chanoine Habets, directeur de l'institut religieux des filles de la Croix, à Liège, demande l'agréation du gouvernement pour une école normale d'institutrices, qu'il se propose d'annexer à cet établissement. Vous me priez en même temps de vous donner mon avis motivé sur cette demande.
« Je ne sais, M. le gouverneur, ce qu' il me reste à dire, concernant la démarche de M. le chanoine Habets, lorsque je me trouve en présence de faits accomplis, d'actes qui préjugent la question qu'elle soulève et posés par le gouvernement dans d'autres provinces. En effet, deux ou trois écoles normales destinées exclusivement à la formation d'institutrices religieuses ont été agréées par M. le ministre de l'intérieur, dans ces derniers temps. Je serais donc mal venu d'essayer de démontrer qu'il y aurait inconvénient à accorder au chanoine Habets la faveur qu'il sollicite. La corporation des filles de la Croix paraît évidemment avoir les mêmes droits de réclamer l'agréation d'une école normale fondée à son profit, que des couvents d'un autre nom appartenant aux diocèses de Namur et de Malines.
« Ce n'est cependant pas sans appréhension que je vois la porte ouverte à la création et à la multiplication d'instituts de l'espèce. Outre qu'ils sont destinés à fournir plus d'institutrices que n'en réclament les besoins actuels de l'enseignement des filles, par conséquent à nuire au placement de nos institutrices laïques, ces établissements spéciaux vont détruire la proportion ou l'équilibre (si la chose n'est faite déjà) qui devrait exister entre le nombre des écoles normales laïques et celui des écoles normales dirigées par des religieuses. Nul doute que l'exemple donné par les religieuses de Champion, par les filles de la Croix, etc., ne soit bientôt suivi par une infinité d'autres congrégations religieuses. Où s'arrêtera-t-on ? Peut-on assigner une limite à leur droit, lorsque ce droit lui-même ne paraît pas bien défini ? Quoi qu'il en soit, je m'en rapporte à la sagesse de l'autorité supérieure, avec l'espoir qu'elle saura sauvegarder l'avenir des institutrices laïques, gravement menacé. C'est là un vœu que légitime l'expérience acquise et le vif désir de voir l'éducation de la femme imprégnée de saines doctrines sociales, de sentiments complètement en harmonie avec les institutions et les conditions de prospérité de notre chère Belgique. »
M. d'Andrimont. - N'y a-t-il pas d'autre demande ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - C'est, je l'ai déjà dit, par la lettré de l'évêque de Liège que cette demande a été introduite.
Voici maintenant la seconde lettre de M. Ghinijonet. Désire-t-en que j'en donne lecture.
- Des membres. - Oui ! oui !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Elle est du 1er novembre 1864 ; elle est adressée au gouverneur :
« Par votre dépêche du 10 octobre, vous voulez bien m'écrire qu'avant d'émettre un avis sur la demande de M. le chanoine Habets, laquelle a. fini l'objet de mon rapport du350 septembre dernier, la députation permanente désirerait être édifiée au sujet des deux questions suivantes ;
« 1° Les besoins d'une nouvelle école normale de filles se font-ils sentir ?
« 2° Le institutrices qui sortent des institutions des dames Peters et Journeaux ne suffisent-elles pas pour les écoles de filles que l'on crée dans la province ?
« Je répondrai avec toute la précision possible :
« 1° Les besoins d'une nouvelle école normale de filles ne se font nullement sentir dans la province de Liège, car 2° les institutrices qui sortent des institutions des dames Peters et Journeaux ont suffi jusqu'ici et suffiront très amplement, à partir du mois d'août 1865, pour la bonne direction des écoles de filles que l'on crée et à créer dans ladite province.
« Mais poser ainsi la question n'est pas la résoudre.
« En demandant l'agréation du gouvernement pour l'école normale d'institutrices qu'il se propose d'annexer à l'institut religieux des Filles de la Croix, à Liège, le chanoine Habets réclame-t-il l'adoption prévue par les articles 1 et 2 du règlement général du 25 octobre 1861, relatif à l'organisation de l'enseignement normal des élèves-institutrices ? Je l'ignore, les termes de sa requête ne m'ayant pas été communiqués. Que s'il s'agissait de cette espèce d'adoption, je n'hésiterais pas à soutenir que l'institut des filles de la Croix n'y a pas des droits suffisants et que, subsidiairement, cette adoption n'aurait nulle raison d'être en ce moment
« Si, au contraire, le chanoine Habets, s'appuyant sur le paragraphe 2 de l'article 40 de la loi du 25 septembre 1842, est venu dire an gouvernement : « J'ai fondé une école normale privée et viens accepter pour cette institution libre le régime d'inspection établi par la loi, il se peut que la députation permanente n'ait rien à décider dans cette affaire et que, de son côté, le gouvernement se trouve obligé de laisser faire, donc d'assister, plus ou moins désarmé, à la création d'une école normale qui sera infailliblement suivie de beaucoup d'autres de même espèce...
« En effet, l'article 10, paragraphe 2, stipule que les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d'avoir fréquenté ave 'succès, pendant deux ans au moins, les cours de l'une ou l'autre des écoles normales de l'Etat, ou les cours d'une école normale privée ayant, depuis deux ans au moins, accepté le régime établi par la loi.
« L'article 35, portant organisation des écoles normales de l'Etat, n'ayant pas de portée limitative en ce qui concerne les écoles normales privées dont parle l'article 10, je ne vois pas ce qui peut arrêter les congrégations religieuses dans leur prétention d'ouvrir à leur profit exclusif des écoles normales de garçons et de filles.
« Comme le mot d'ordre du congrès de Malines semble avoir été entendu, je ne doute pas que l'exemple donné jusqu'ici par quatre ou cinq des nombreuses congrégations enseignantes de la Belgique ne soit et bientôt généralement suivi.
(page 608) « C'est le danger que présente cette perspective qui m'a dicté le langage de mon rapport du 30 septembre. Et ce n'est certes pas la mise en application de l'une de nos plus importantes libertés constitutionnelles qui m'effraye ; ce que je souhaite le plus, au contraire, c'est que la liberté soit de mieux en mieux comprise et pratiquée en Belgique. Mes appréhensions subsistent parce que je crois découvrir, entre autres présents dont nous a gratifiés la loi de 1842, un privilège exorbitant dont vont jouir, de par la loi, les couvents qui rêvent le monopole de l'instruction.
« L'article 36 règle les conditions d'existence des écoles normales de l'Etat.
« Il déclare qu'elles sont soumises - cet article n'admet pas de restriction ! - au mode de direction et d'inspection ecclésiastique résultant des articles 6 paragraphe 2, 7 paragraphes 2 à 4, 8 et 9 de la loi du 23 septembre 1842. Le troisième paragraphe de l'article 36 ajoute : « Il y aura dans chaque école normale un ministre du culte chargé de l'enseignement de la morale et de la religion. »
« Ne s'appuiera-t-on pas sur cet article pour soutenir que toute école normale primaire ne peut exister sans l'intervention du prêtre ? Et, dans ce cas, des pères de famille associés, des établissements communaux, des associations philanthropiques, pourront-elles jouir sans difficultés du droit que vont exercer les corporations religieuses en vertu de l'article 10, paragraphe 2 ?
« Si, d'autre part, les associations et les communes ne peuvent parvenir à ouvrir aussi des écoles normales destinées à fournir un contingent proportionnel d'instituteurs et d'institutrices capables, que deviendra l'équilibre entre l'élément laïque et l'élément religieux ? En quelles mains tombera tôt ou tard l'instruction du peuple ?
« J'avoue, M. le gouverneur, que des écoles normales libres ne sont pas l'idéal que je me fais d'une institution dont la portée sociale est incalculable ; les examens de sortie pourront leur être favorables, mais que de choses importantes en matière d'éducation ne sont pas soumises au contrôle de l'examen et échapperont toujours aux yeux de l'examinateur ! Quoi qu'il en soit, il est évident qu'à côté des établissements normaux du clergé, nous devons en posséder un nombre au moins égal, sous peine de déchéance. En somme, il sera toujours plus avantageux de recourir à une révision de la loi en question que d'avoir à parer aux inconvénients qu'elle fait naître sans cesse dans son application. C'est à cette conclusion qu'on aboutit forcément. »
La conclusion était, comme vous le voyez, messieurs, la révision de la loi de 1842.
M. Muller. - Elle n'avait rien statué sur l'enseignement des filles.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Maintenant on demande, messieurs, la lecture de la décision de la députation permanente.
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Thonissen. - Il faudra lire tout le dossier alors !
M. le président. - Mais laissez donc M. le ministre de l'intérieur lire ce qu'il juge convenable de lire.
M. De Lehaye. - Mais qu'on dépose le dossier sur le bureau.
M. Bouvier. - Voila précisément ce que nous demandons.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ce n'est pas long, messieurs.
« La députation permanente,
« Vu la requête en date du 30 novembre 1864, par laquelle M. le chanoine Habets sollicite l'agréation du gouvernement pour une école normale d'institutrices qu'il se propose d'annexer à l'établissement des filles de la Croix, à Liège ;
«Vu les dépêches de M. le ministre de l'intérieur du 22 août et du 21 novembre 1864, ainsi que les rapports de l'inspecteur provincial du 30 septembre et du 1er novembre, même année ;
« Vu l'arrêté royal du 25 octobre 1861 ;
« Considérant qu'il existe déjà dans la province de Liège deux écoles normales de filles et que les besoins d'un nouvel établissement de ce genre ne se font nullement sentir,
« Est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'accueillir favorablement la demande précitée de M. le chanoine Habets.
« A Liège, le 15 décembre 1864.
‘Présents : MM. Ch. de Luesemans, gouverneur, président ; Collet, Masart, Libert, Lejeune, Donckier, Germeau et N. Laloux, greffier.
« Pour expédition conforme : « Le greffier provincial, Laloux. »
J'arrive maintenant, messieurs, à une autre lecture : c'est celle qui se rapporte à la situation actuelle des établissements normaux de Liège et de Pesches. J'avais l'honneur de vous dire tout à l'heure qu'au mois d'octobre, je m'étais adressé à M. l'inspecteur provincial de Liège pour lui demander de présenter un rapport complet sur l'organisation du matériel et du personnel de l’établissement de M. le chanoine Habets. Le 9 novembre, M. Kleyer, inspecteur provincial, me répondit ce qui suit :
« A la réception de votre dépêche du 5 octobre, administration de l'instruction publique, n°3058L, je me suis rendu à l'école normale d'institutrices religieuses établie à Liège par M. le chanoine Habets, et placée sous la direction des filles de la Croix.
« J'ai visité cet établissement dans tous ses détails, et je ne crois mieux faire, M. le ministre, qu'en vous envoyant :
« A. Le tableau du personnel enseignant ;
« B. L'extrait du cadastre indiquant l'étendue des bâtiments et de leurs dépendances ;
« C. Le plan détaillé des locaux, avec les dimensions de longueur, de largeur et de hauteur des pièces ainsi que la destination de chacune d'elles.
« Comme vous le verrez, M. le ministre, les locaux se trouvent dans de bonnes conditions.
« Cependant, il pourra ne pas être inutile de faire remarquer qu'il existe déjà deux écoles normales d'institutrices dans la province, et que le gouvernement a décidé d'en construire une troisième aux frais de l'Etat.
« Quoi qu'il en soit, si les renseignements qui précèdent ne suffisaient point, veuillez, M. le ministre, avoir l'obligeance de m'indiquer ceux que vous désirez encore recevoir, je m'empresserai de vous les faire parvenir. »
Vous remarquerez, messieurs, qu'au point de vue du tableau du personnel, ce rapport n'était pas suffisant. Il se bornait à transmettre le tableau du personnel. Il était de mon devoir, et je l'ai rempli, de demander à M. Kleyer un second rapport relatif au personnel. C'est de ce second rapport que je vais avoir l'honneur de donner lecture :
« Comme suite à votre dépêche du 24 novembre dernier, administration de l'instruction publique, n°5058L., et à mon rapport du 9, même mois, n°1951, j'ai l'honneur de vous informer que j'ai visité les classes de l'établissement d'instruction dirigé par M. le chanoine Habets, à Liège, et qui consiste en un pensionnat auquel est annexée une section normale pour la formation d'institutrices. Les cours, sauf ceux de pédagogie et de méthodologie, sont communs aux deux sections.
« Chaque maîtresse a donné deux leçons.
« Ces différentes leçons, excepté les leçons d'arithmétique, ont été données d'une manière satisfaisante, surtout celles de la dame X. qui m'ont paru irréprochables.
« En conséquence, et sous la réserve exprimée ci-dessus, j'estime que le personnel enseignant de l'école de M. le chanoine Habets réunit les conditions d'aptitude et de capacité nécessaires pour que l'établissement puisse être adopté par application de l'arrêté royal du 25 octobre 1861. »
Maintenant, pour tranquilliser l'honorable M. Bouvier, je vais donner communication des mêmes documents en ce qui touche l'établissement de Pesehes,
M. Bouvier. - Vous commencerez par le commencement ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Sans remonter toutefois à 1864. Je demanderai à la Chambre la permission de me borner à 1870.
Mais, en 1870, je trouve comme commencement l'interpellation de l'honorable M. Bouvier, à laquelle j'avais cru faire une réponse de nature à satisfaire complètement l'honorable membre.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Vous aviez compté sans votre hôte.
M. Bouvier. - Si j'avais eu les pièces, cela ne serait pas arrivé. Ou ne veut pas nous communiquer les dossiers.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Cependant un journal, dont j'ai déjà parlé, insérait, quelques jours après, les lignes suivantes qui se rapportent à l'interpellation de l'honorable M. Bouvier.
« Notre silence, disait ce journal, n'était pas une adhésion tacite à la vérité des déclarations faites par M. le ministre de l'intérieur. Le correspondant de qui nous tenons ces premiers renseignements et de la parole duquel nous ne doutons pas, nous écrit aujourd'hui pour protester avec énergie contre les allégations qui ont convaincu l'honorable M. Bouvier et la Chambre. »
J'avais donc convaincu l'honorable M. Bouvier.
M. Bouvier. - D'après le journal ! Pas du tout ; je ne suis convaincu que par les pièces.
(page 609) - Un membre. - Vous vous êtes déclaré satisfait.
M. Bouvier. - Je n'ai rien déclaré du tout.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il est évident que le journal s'est trompé. Mais on a cru que l'honorable M. Bouvier était convaincu, et je l'ai cru moi-même.
M. Bouvier. - Je suis comme saint Thomas, incrédule. Il me faut des pièces, j'ai le droit de les obtenir comme représentant du peuple.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je constate simplement que je croyais que mes explications avaient satisfait l'honorable membre, et je regrette beaucoup de m'être trompé.
Voici ce que mandait à l’Echo du Parlement son correspondant : « Je proteste de toutes mes forces, non contre le rapport de M. le directeur général de l'instruction publique, mais contre celui de l'inspecteur provincial.
« L'école des filles de Marie, à Pesches, est un simple noviciat de religieuses et n'a rien d'une école normale.
« Je pourrais vous faire adresser cinquante lettres du. pays de Couvin qui viendraient confirmer ma première communication. »
Je ne sais, messieurs, si l'honorable M. Bouvier a reçu cinquante lettres qui ont confirmé ses doutes, mais je puis affirmer à la Chambre que cette situation décrite par l'Echo du Parlement est complètement inexacte.
Il n'y a pas de noviciat à Pesches. Ce qu'on appelle le noviciat, c'est l'établissement destiné à la formation des institutrices religieuses, et lorsqu'on vient dire qu'il n'y a pas de cours normaux organisés, on est en contradiction avec tous les documents qui reposent au ministère de l'intérieur.
Voici le rapport de M. l'inspecteur provincial :
« Namur, le 19 novembre.
« Par votre dépêche du 30 septembre dernier, administration de l'instruction publique, n°612, vous me faites l'honneur de me demander un rapport complet sur 1'organisation (matériel et personnel) de l'école normale d'élèves-institutrices fondée au couvent de Pesches.
« L'établissement de Pesches est placé dans une situation salubre, et bien aménagé comme maison d'éducation.
« Il existe des salles suffisamment vastes pour les trois cours de l'école normale ; un dortoir de quarante-deux lits bien aéré et convenablement distribué est actuellement disponible.
« En outre, la maison de Pesches fournit les locaux nécessaires pour la tenue de l'école communale de filles et de l'école gardienne de cette localité. Ces classes, pourraient être, au besoin, affectées à l'école normale, soit pour les études, soit pour les exercices d'application.
« Les réfectoires, les salles de récréation, et de musique sont convenables et le mobilier est en bon état.
« En résumé, la maison de Pesches se trouve, M. le ministre, dans des conditions analogues à celles du couvent de Champion, en ce qui concerne le matériel et le personnel de l'école normale. »
J'ai voulu, messieurs, depuis l'interpellation de l'honorable M. Bouvier, prendre de nouveaux renseignements ; j'ai reçu un rapport supplémentaire de M. l'inspecteur de l'enseignement dans la province de Namur, et voici ce qu'il me dit sur la maison de Pesches, cette maison où, dit-on, il n'y a pas de cours normaux :
« Au 31 décembre 1869, date des derniers renseignements statistiques, on comptait dans la province de Namur 183 institutrices, dont 97 laïques et 86 religieuses.
« Parmi ces dernières, il y avait 77 institutrices communales et 9 adoptées.
« Dans ce nombre total de 86 institutrices religieuses, la maison de Pesches compte 29 institutrices communales et 2 adoptées soit un peu plus du tiers.
« A côté de ces religieuses communales ou adoptées, la maison de Pesches a placé 24 institutrices d'écoles gardiennes communales et 3 d'écoles gardiennes privées : soit donc 31 institutrices d'écoles primaires et 27 institutrices d'écoles gardiennes. En tout 58 institutrices.
« Enfin les écoles privées de filles, établies dans notre province, sont presque tontes confiées aux soins de religieuses de Pesches. Le nombre de ces écoles privées n'est pas renseigné dans le tableau statistique. »
J'ai ici, messieurs, une longue liste des communes de la province de Namur où se trouvent établies des institutrices communales sortant de la maison de Pesches, et, si cela peut intéresser l'honorable M. Bouvier, je lui ferai passer cette liste.
M. Bouvier. - Oui ! oui ! cela m'intéresse.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai reçu, depuis lors, d'autres renseignements sur des établissements privés où se trouvent également placées des institutrices de Pesches ; mais je crains d'abuser des moments de la Chambre et je me sens fatigué. Ce que je tiens à établir, c'est qu'au point de vue du matériel et du personnel, les écoles normales agréées répondent à toutes les exigences de la loi.
M. de Rossius. - L'honorable ministre de l'intérieur vient de nous faire entendre la complaisante apologie de sa conduite.
Un peu de modestie lui eût été plus profitable.
J'estime qu'il avait besoin de beaucoup d'indulgence.
- Voix nombreuses à droite. - Non ! non !
M. de Rossius. - Messieurs, si la droite est à ce point vibrante le premier jour de la semaine parlementaire, que sera-t-elle le dernier ?
Je dis donc que M. le ministre de l'intérieur avait besoin d'indulgence.
- Plusieurs voix à droite. - Et nous disons non.
M. de Rossius. - Et j'ajoute que l'on n'en doit pas à ceux qui payent d'audace et exaltent des actes dont la bienveillance la plus préconçue serait impuissante à les absoudre.
M. Delcour. - Je demande la parole.
M. de Rossius. - Je me demande comment il a été possible à l'honorable M. Kervyn de prononcer, je ne dis pas sérieusement, mais honnêtement, le discours que vous venez d'entendre.
- Voix nombreuses à droite. - A l'ordre !
M. de Borchgrave. - On ne peut pas dire que l'honorable M. Kervyn ne s'est pas expliqué honnêtement.
M. de Liedekerke. - On ne peut suspecter les intentions de ses collègues.
M. le président. - Je dois faire remarquer à M. de Rossius que le mot « honnêtement » employé dans ce sens, avec une négation, n'est pas parlementaire.
M. de Rossius. - Veuillez me permettre, M. le président, d'expliquer ce mot « honnêtement. »
L'honorable ministre de l'intérieur a accusé ses adversaires d'avoir travesti ses paroles, d'avoir altéré sciemment fa vérité.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je n'ai pas dit cela.
M. le président. - Je n'ai rien entendu de semblable.
M. de Rossius. - M. le ministre de l'intérieur nous a accusés d'avoir dit la chose qui n'est pas.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai parlé de la presse.
M. de Rossius. - Eh bien, quand l'attaque a eu lieu, la réponse est de droit.
M. de Borchgrave. - Oui, mais on ne peut dire ce que vous avez dit.
M. de Rossius. - Je sais, M. de Borchgrave, que vous vous octroyez le droit de dire impunément beaucoup de choses. C'est un privilège que je ne vous reconnais pas.
M. de Borchgrave. - Quand je compare la conduite de l'honorable M. Kervyn à la vôtre, je dois dire que l'avantage est pour lui.
M. de Rossius. - Voyons donc si le reproche que j'adresse à l'honorable M. Kervyn n'est pas sérieux, n'est pas légitime.
De quoi s'agit-il ? De l'interpellation de l'honorable M. d'Andrimont, de l'incident de la séance du 16 décembre.
Il s'agit des promesses qui, dans cette séance, furent faites à l'opposition par l'honorable M. Kervyn, il s'agit d'un acte que nous avons dû considérer comme une violation de ces promesses. Des explications étaient nécessaires ; l'honorable M. Kervyn vient de nous les donner.
Quel a été le procédé d'argumentation de l'honorable ministre de l'intérieur ? Il a choisi, dans le discours de l'honorable M. d'Andrimont, trois phrases qui y figurent séparément ; il en a donné lecture comme si elles avaient été prononcées à la suite l'une de l'autre, et il a eu cause gagnée, il a triomphé : il devait croire que M. d'Andrimont prêtait au gouvernement l'intention de placer M. le chanoine Habets à la tête de l'école normale de l'Etat dont le siège sera à Liège.
Rétablissons le discours de l'honorable M. d'Andrimont : il commence ainsi ; il faut bien que j'en donne lecture :
« On dit que le gouvernement, fidèle en cela aux principes qui ont été (page 610) développés et acceptés au congrès de Malines, veut pour les écoles normales, et dans la mesure du possible, substituer l’enseignement congréganiste à l'enseignement laïque. »
Voilà les prémisses de M. d'Andrimont ; il continue :
« Déjà des actes nombreux sont venus accréditer ces rumeurs.
« Récemment, le gouvernement a adopté deux écoles congréganistes, l'une à Gosselies, l'autre à Saint-Nicolas.
« Les arrêtés royaux y relatifs ont été insérés dans le Moniteur du 6 novembre dernier. »
Vous n'avez pas lu cela, M. le ministre ; vous n'avez lu que la première phrase.
- Une voix à droite. - La phrase principale.
M. de Rossius. - La phrase principale, la voici :
M. d'Andrimont disait : « Vous êtes fidèle, M. le ministre, vous êtes fidèle aux principes proclamés par le congrès de Malines ; vous voulez substituer l'enseignement congréganiste à l'enseignement laïque. »
Puis M. d'Andrimont vous citait des faits ; il vous rappelait vos arrêtés d'adoption et il ajoutait :
« Or, depuis 1866, depuis que les Chambres ont décidé l'érection des quatre écoles normales, on n'a pas songé à recourir aux couvents pour former le cœur et l'intelligence de nos normalistes, et on a eu mille fois raison. Il est encore question, c'est un on dit - les journaux s'en occupent - d'adopter la congrégation des sœurs de Saint-André, près de Bruges, et l'établissement des sœurs de Pesches, près de Namur.
« On parle même, et c'est encore un on-dit dont malheureusement je ne puis administrer la preuve, d'une proposition très sérieuse qui serait faite par un ecclésiastique de Liège, M. Habets, directeur des filles de la Croix, rue Hors-Château, proposition tendante à transformer le saint établissement qu'il gère en une école normale pour les institutrices. »
Que craignait, qu'appréhendait l'honorable M. d'Andrimont ? Le projet que l'on prêtait à M. le ministre de l'intérieur, d'adopter l'école de M. Habets.
Et vous avez pu prétendre, M. le ministre, que M. d'Andrimont vous accusait de vouloir supprimer l'école normale que l'Etat doit établir à Liège ! (Interruption.) Vous l'avez prétendu.
M. Bouvier. - Vous le prétendez encore.
M. d'Andrimont. - C'est votre seul moyen de défense.
M. De Lehaye. - Tout le monde l'a compris comme cela.
M. de Rossius. - Je ne sais comment M. De Lehaye a compris...
M. De Lehaye. - Comme tout le monde.
M. Bouvier. - Cela dépasse mon intelligence des interprétations pareilles !
M. le président. - Laissez parler l'orateur, messieurs.
M. de Rossius. - L'honorable M. d'Andrimont commençait par citer vos arrêtés d'adoption qui déjà avaient paru, et il continuait en répétant le bruit relatif à une agréation nouvelle, celle de l'école Habets.
C'était un nouveau fait d'adoption que M. d'Andrimont signalait.
Je viens de faire connaître votre procédé de discussion, M. le ministre, et maintenant, je vous dis : Il existe une école qui enseigne qu'on peut légitimement affirmer une chose fausse, bien qu'on la sache fausse, et la faire accroire sans tomber dans le mensonge, grâce à l'emploi des équivoques.
M. Bouvier. - Des réticences.
M. de Rossius. - Par l'emploi de termes ambigus que l'on parvient avec habileté à faire prendre dans un sens différent de celui qu'on y attache soi-même. (Interruption.)
Messieurs, que disait l'honorable ministre de l'intérieur dans la séance du 16 décembre ? Il affirmait qu'aucune demande de M. le chanoine Habets ne lui était parvenue. Depuis, nous avons appris qu'antérieurement à la séance du 16 décembre une demande d'agréation lui avait été adressée par le même chanoine Habets.
« En ce qui touche l'école de Liège, disait l'honorable M. Kervyn, je n'ai pas eu à examiner la proposition du chanoine Habets pour un motif très simple, c'est qu'aucune proposition ne m'a été faite. »
M. De Lehaye. - C'est cela.
M. d'Andrimont. - C'est trop violent.
M. de Rossius. - Comment ! c'est cela ? L'honorable M. d'Andrimont vous fait l’énumération de vos adoptions ; il signale un nouveau projet d'agréation, que répondez-vous ? Vous affirmez que vous n'avez reçu aucune demande du chanoine Habets. Cependant nous apprenons plus tard qu'avant la séance du 16 décembre, le même chanoine Habets vous avait adressé une requête en vue de faire adopter son couvent des filles de la Croix. Faudra-t-il croire que M. le ministre de l'intérieur, quand il faisait cette déclaration, usait d'une équivoque dans le but d'égarer la gauche, d'égarer le pays ?
- Voix à droite. - Allons donc !
M. de Rossius. - Ce n'est pas tout. Dans cette même séance du 16 décembre, l'honorable M. Kervyn s'est engagé, vis-à-vis de l'opposition, à repousser la demande de M. Habets si elle se produisait.
Répondant à M. d'Andrimont, il disait : Si une demande de. M. Habets parvient au gouvernement, elle ne sera pas acceptée.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Lisez ma phrase. (Interruption.)
- Une voix : C'est une équivoque.
M. de Rossius. - C'est précisément ce que je vous reproche ! Je vous reproche de jouer sur des équivoques.
Si l'honorable M. Kervyn, dans la séance du 17 janvier, répondant à l'honorable M. d'Andrimont qui se plaignait que la promesse faite à la gauche n'avait pas été tenue, nous avait dit : « Je me suis mépris sur la portée de l'interpellation qui m'était faite, » nous aurions passé condamnation.
Mais vous avez soutenu, M. le ministre, que l'honorable M. d'Andrimont vous avait fait une demande différente de celle qu'il a réellement faite ; que le sens de ses paroles était bien celui que précédemment vous leur aviez attribué, et pour l'établir vous êtes nécessairement tombé dans les équivoques et les réticences, procédé inadmissible que ne nous permet pas d'innocenter votre conduite.
Voulait-il user de la plus entière franchise, l'honorable ministre de l'intérieur n'avait qu'une chose à faire, une chose bien simple. Ii devait déclarer, le 16 décembre, qu'il avait reçu une missive de M. Habets réclamant l'adoption et que cette adoption serait accordée.
Mais on n'a pas voulu de la sincérité parce que son emploi n'était pas sans inconvénient.
On méditait de réduire l'importance des écoles pédagogiques de l'Etat, des quatre écoles décrétées sous l'administration libérale. Ce n'était pas le moment d'avouer qu'on augmenterait encore le nombre des écoles congréganistes.
L'honorable ministre n'a rien dit des écoles de l'Etat, de l'exécution de la loi de 1866, mais j'affirme qu'il a été question de diminuer le chiffre d'élèves projeté pour chacune d'elles, de le faire tomber à 120 au maximum, tandis que le chiffre primitivement prévu était de 150. La réunion extraordinaire des inspecteurs provinciaux n'avait pas d'autre but.
A la date du 16 décembre, l'honorable ministre espérait encore réussir à diminuer les proportions des établissements de l'Etat, et il n'osait nous avouer qu'il agréerait le couvent des filles de la Croix.
Je le déclare sincèrement à la Chambre, lorsque j'ai lu dans les Annales les déclarations échangées dans la séance du 16 décembre, lorsque j'ai pesé les termes de la demande si nette de l'honorable M. d'Andrimont, les termes de la réponse qui lui fut faite, il m'eût été impossible d'affranchir ma pensée de ce souvenir des Provinciales et de la doctrine des casuistes que tantôt j'évoquais, si je n'avais pensé qu'une violence morale a arraché à l'honorable ministre de l'intérieur l'acte qu'il a posé.
L'honorable M. Kervyn a passé sous les fourches caudines de l'épiscopat (Interruption à droite.)
M. Bouvier. - Vous ne pouvez pas nier cela ; vous êtes les enfants chéris des évêques.
M. de Rossius. - Vous avez été nommés par et pour l'épiscopat. (Nouvelle interruption à droite.)
Ah ! vous êtes indépendants ! vous osez l'affirmer ; dites-nous donc quelle est votre raison d'être, quel est votre programme ? (Nouvelle interruption.)
Le vœu de la majorité du pays !.... Qu'est-ce que cela veut dire ? Nous ne connaissons pas encore le vœu de la majorité du pays. Vous avez fait les élections sans formuler un programme. Vous en avez un cependant, et le voici : c'est la restauration de la domination cléricale en Belgique. Vous n'en avez pas d'autre. (Interruption.) Je le dis très sérieusement.
(page 611) M. Bouvier. - L'agréation des écoles congréganistes en est déjà la preuve.
M. de Rossius. - Nous sommes dans la discussion du budget de l'intérieur. Elle nous donne l'occasion naturelle de nous expliquer sur votre programme. (Interruption.)
Expliquons-nous donc.
Dans cette session, qui n’est pas très avancée encore, quelques questions qui appartiennent au domaine de la politique proprement dite ont été posées et débattues...
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - La réforme électorale.
M. Bouvier. - Belle réforme basée sur l'ignorance !
M. de Rossius. - Qu’est-ce qu'une réforme électorale ? C’est un moyen de réaliser la politique que l'on poursuit.
La réforme électorale vous, permettra d'assurer le. triomphe des prétentions cléricales. (Interruption à droite.)
Quelles solutions ont été données à ces questions du domaine de la politique, qui ont été examinées par la Chambre dans la session actuelle ? Nous avons constaté que le cabinet faisait siennes les solutions préconisées par le ministère précédent, si bien qu'il semblait n'avoir pris le pouvoir que pour appliquer avec une sagesse plus ou moins contestable, avec plus ou moins de bonheur, mais enfin pour appliquer les principes mêmes de ses adversaires. (Interruption.)
Permettez, M. le ministre, il y a un autre programme dont nous nous occuperons tantôt. Je vous parle pour le moment des choses que vous avez accomplies depuis que vous êtes au pouvoir. (Interruption.) Voulez-vous que je vous rappelle les faits ?
M. Bouvier. - Ils n'y tiennent pas !
M. de Rossius. - Commençons par la question de l'organisation militaire. Pouvons-nous oublier qu'au lendemain de la constitution du nouveau cabinet, plusieurs de MM. les ministres ont découvert au fond de leur portefeuille des arguments qui ont subitement éclairé leur jugement et les ont transformés en disciples de la thèse que la neutralité belge doit 'être armée, thèse qu'auparavant ils avaient combattue avec ardeur ?
M. Jacobs, ministre des finances. - C’est une erreur.
M. de Rossius. - MM. Kervyn et Jacobs dans l'opposition ont combattu la thèse de la neutralité armée.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Citez ce que j'ai dit.
M. de Rossius. - Vous avez soutenu que la neutralité armée était un péril pour la Belgique ; c'était votre thèse à tous deux.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je n'ai jamais dit cela.
M. de Rossius. - Vous n'avez pas dit cela !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ni moi non plus.
M. de Rossius. - Vous niez ! Nous apporterons alors, dans une prochaine séance, des preuves de ce que nous avançons.
Mais il y a plus : la foi nouvelle de MM. les ministres a été si vive qu'elle leur a donné la force et l'autorité nécessaires pour convaincre un grand nombre de leurs honorables amis qu'ils devaient, membres de la majorité, voir le salut de la Belgique dans cette organisation militaire où, membres de l'opposition, ils avaient pourtant placé sa perte.
En ce qui concerne la politique étrangère, n'avons-nous pas entendu l'honorable baron d'Anethan formuler les devoirs et les exigences que la neutralité crée à la Belgique, couvrir ainsi de son approbation tardive un acte considérable, la reconnaissance du royaume d'Italie, acte conforme a ces exigences et à ces devoirs et contre lequel, dans l'opposition, il avait dirigé les plus vives attaques.
Si j'abandonne ces hauteurs de la politique pour descendre dans le domaine des intérêts matériels, où la prospérité du pays est en jeu si ce n’est plus son existence, dois-je rappeler l'altitude de l'honorable M. Jacobs lorsque la section centrale des voies et moyens ayant pour rapporteur l'honorable M. Vermeire, posa la question de la réduction de l'accise sur la bière.
L'honorable M. Vermeire se remémorait les thèses financières que la droite avait soutenues dans les sessions précédentes ; il crut devoir adresser une demande bien timide au gouvernement. La seule réponse de l'honorable ministre des finances fut un non possumus quelque peu brutal, brutal non dans sa forme bien entendu, - je serais injuste pour l'atticisme de l’honorable M. Jacobs, - mais dans l'effet qu'il produisit de dissiper brusquement et pour longtemps toutes les velléités de diminution des impôts.
Est-ce pour marcher dans les voies tracées par le cabinet libéral que vous avez pris le pouvoir ? (Interruption.) J'ai le droit de poser cette question, car vous n'avez pas publié de programme. (Interruption.) Nous avons, il est vrai, entendu, avant le 2 août, des appels à la conciliation, à l'apaisement des partis, des phrases creuses et sonores, des affirmations vagues sur les impôts qu'il fallait réduire, sur des économies qu'il fallait réaliser. Nous avons vu depuis si vous vous entendez à dévorer les millions ! Mais de programme précis, à formules nettes et pratiques attestant un changement sérieux dans la politique, vous n'en avez pas produit.
Vous aviez un programme cependant, je le sais : l'éternel programme de la réaction théocratique. (Interruption.)
Oui, voilà votre véritable programme. Mais il était important de le cacher, car le produire, c'eût été dissiper le malentendu auquel est dû, pour une si large part, votre succès du mois de juin. Il ne fallait pas que l'heure des déceptions vînt à sonner avant la journée du 2 août. Il était indispensable de maintenir l'alliance qui avait disloqué la majorité libérale au profit de ses adversaires.
Jamais, je crois, un cabinet nouveau ne s’est trouvé dans une situation aussi étrange.
Les prétentions cléricales étant nécessairement passées sous silence, vous n'avez pu indiquer au pays quels étaient les problèmes politiques qui devaient fixer votre attention, quelles solutions vous alliez donner à ces problèmes. Vous avez été dans l'impuissance d'expliquer votre présence aux affaires.
Il devait en être ainsi. C’est l’écueil des oppositions de réserver un accueil trop facile aux velléités d'innovation.
Les innovations, à la différence des bâtons flottants, ne sont rien de loin, c’est-à-dire quand on est opposition. C’est de près qu'elles sont quelque chose, quand on a conquis le pouvoir et, qu'appelé à poser des actes, on se trouve aux prises avec les complications et les difficultés de la politique et de l'administration.
Or, quand les partis peuvent-ils arrêter un programme ? C’est lorqu'ils sont dans l'opposition. Eh bien, les partis ne devraient jamais oublier qu'ils commettent une faute très lourde quand ils décident un programme qu'ils ne pourront entièrement exécuter.
Cette difficulté de limiter ses aspirations à ce qui est d'une réalisation possible, la droite l'a d'autant moins surmontée qu'elle a été plus longtemps écartée du pouvoir et que, dans son ardeur de la conquérir, toutes les armes lui ont paru bonnes pour renverser le. cabinet libéral.
Quelle est l'idée paradoxale qui n'ait pas trouvé des parrains dans la droite ? Quels sont les intérêts froissés par les mesures les plus légitimes dont elle n'ait pas servi la défense ?
Les chefs eux-mêmes ont perdu tout sang-froid ; ils ont en quelque sorte ordonné le tir à volonté, et bientôt toute discipline a été perdue, en dépit des efforts de quelques-uns, parmi lesquels l'honorable M. Dumortier, qui tentèrent vainement de mettre un peu d'ordre, de régularité, de respect des traditions dans ces campagnes successives où la droite courait les aventures.
Voilà pourquoi vous vous êtes trouvés dans l'impuissance de faire un programme acceptable. Qu'auriez-vous mis dans ce programme ? Le suffrage universel ? La suppression de notre système financier ? Son remplacement par un impôt unique ? La suppression des armées permanentes ? Le système de l'honorable M. Thibaut en matière de milice ? Les idées de M. Kervyn en fait d'organisation militaire ? L'organisation suisse peut-être ? Nous savons aujourd'hui ce que vaut cette organisation suisse ; nous le savons par le rapport publié à la demande de l'honorable M. Jottrand.
Tout cela n'était pas possible. On n'a donc pas fait de programme. S'adressant au pays, on lui a dit : Nous serons tout ce que vous voudrez, pourvu que nous gardions le pouvoir ; faites-nous connaître vos vœux, vos aspirations, nous y conformerons notre politique.
On ne pouvait et on n'osait tenir un langage plus explicite, car le véritable programma, le programme réel dont on poursuit l'exécution, le programme qui est imposé, c’est la restauration de la domination du clergé.
Aujourd'hui, les illusions ne sont plus possibles ; elles se sont évanouies avec le dépôt de ce projet que rappelait l'honorable M. Kervyn, le projet de réforme électorale qui n'accorde rien à la capacité constatée par l'instruction ; elles se sont évanouies encore avec les mesures prises par le (page 612) cabinet dans le domaine de l’enseignement normal. Ces mesures ou, pour généraliser, la question de l’enseignement officiel suffit à marquer la distance qui nous sépare de la droite.
-Des membres. - A demain !
M. Bergé (pour une motion d’ordre-. - J'ai l'honneur d'informer M. le ministre de la guerre que j'aurai des explications à lui demander, au sujet d'un malheur qui est arrivé à Anvers. Chacun a pu lire dans les journaux que des soldats ont failli périr à l'occasion d'un convoi de munitions ; il en est même un qui est mort. Cela mérite tout au moins une explication.
M. le président. - Voici la liste de la députation qui assistera aux funérailles de M. de Gerlache :
MM. Vilain XIIII, de Theux, De Lehaye, Rogier, de Haerne, De Fré, Van Renynghe, de Naeyer, Lefebvre, de Kerckhove, Van Wambeke et de Lhoneux.
- La séance est levée à 5 heures.