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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 8 février 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 551) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Colson, ancien directeur aux vivres, offre son concours pour monter et desservir, à Paris, une agence destinée à venir en aide aux Belges enfermés dans cette ville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Monceau-Imbrechies se plaignent de l'administration des finances de la commune. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Heyd déclarent protester contre la nomination d'un garde forestier pour les communes de Harre. Heyd, Villers-Sainte-Gertrude et Mormont. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Louette-Saint-Pierre prient la Chambre d'autoriser la concession au sieur Grangier d'un chemin de fer d'Agimont sur Athus. »

- Même renvoi.


M. Lescarts demande un congé d'un jour.

- Accordé.


Projet de loi approuvant la convention consulaire entre la Belgique et l’Italie

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur la convention consulaire conclue, le 12 décembre 1870, entre la Belgique et l'Italie.

Je demande que ce projet soit mis à l'ordre du jour, à la suite du crédit de 230,000 francs.

- Le rapport sera imprimé et distribué ; le projet de loi est porté à l'ordre du jour à la suite du crédit de 230,000 francs.

Projet de loi érigeant la commune de Bressoux

M. de Rossius. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission spéciale sur le projet de loi portant érection de la commune de Bressoux.

- Ce rapport sera imprimé et distribué ; le projet de loi sera mis à l'ordre du jour à la suite d'autres projets de même nature.

Motion d’ordre relative à la création des écoles normales décrétées en 1866

M. de Rossius. - Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur voulût bien déposer sur le bureau de la Chambre, puisque nous sommes à la veille de la discussion de son budget, les dossiers relatifs aux quatre écoles normales dont la création a été décrétée en 1866.

Je demande également le dépôt des dossiers des écoles normales privées qui ont été adoptées par l'honorable M. Kervyn.

Parmi les pièces de l'instruction de ces affaires qu'il importe de faire passer sous les yeux de la Chambre, je range le rapport sur l'état des locaux des écoles normales agréées ; le rapport des inspecteurs civils sur l'état des études dans ces écoles et sur le personnel enseignant.

J'indique enfin l'avis de la députation permanente de la province de Liège donné, en 1864, et que M. le ministre de l'intérieur aurait visé dans son arrêté du 11 janvier 1871.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur ne verra aucun inconvénient à déposer ces pièces sur le bureau.

M. Bouvier. - Je demande également à M. le ministre de l'intérieur de déposer l'avis de la députation permanente de la province de Namur en ce qui concerne l'école normale de Pesches.

M. de Rossius. - J'ai demandé le dépôt des dossiers relatifs aux quatre,écoles normales agréées ; celle de Pesches était donc comprise dans ma demande.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - La motion de l'honorable préopinant reproduit, en l'étendant et en la généralisant, celle que l'honorable M. Orts a faite le 17 janvier dernier et sur laquelle la Chambre a déjà statué. La Chambre a-t-elle l'intention de revenir sur cette décision ? Je ne le pense pas.

- Voix à droite. - Non ! Non !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Elle jugera sans doute utile d'attendre les explications du gouvernement avant de décider s'il y a lieu d'ordonner le dépôt de ces documents.

Je prends, du reste, bien volontiers l'engagement de communiquer à la Chambre, dans la discussion de mon budget, les rapports sur l'état des locaux et sur l'état de l'enseignement, ainsi que les pièces spécialement indiquées par l'honorable M. Bouvier et qui se rapportent à l'établissement de Pesches.

J'espère, du reste, que le moment de donner ces explications n'est pas éloigné. Le rapport sur le budget de l'intérieur est déposé depuis la mi-décembre. Je ne doute point que la Chambre ne s'occupe bientôt de cet important objet et je forme le vœu que, dans la séance d'aujourd'hui ou dans celle de demain, elle puisse statuer sur les projets de lois à l’ordre du jour, (page 552) de manière a aborder, vendredi prochain au plus tard, le budget de l'intérieur ; j'espère même que, dans la séance d'aujourd'hui ou dans celle de demain, elle pourra voter le crédit sollicité pour construction et ameublement de maisons d'école.

Ce crédit ne donnera lieu à aucune controverse, et, s'il pouvait soulever quelques débats relatifs à la construction des maisons d'école ou aux instituteurs, il me semble que ces débats trouveraient naturellement leur place après-demain, lors de la discussion du budget de l'intérieur.

M. de Rossius. - Messieurs, il ne m'appartient pas de dire ce que fera la gauche lors de la discussion du projet relatif à la construction et à l'ameublement de maisons d'école ; mais ce qui est certain, c'est que le droit des membres de la gauche reste entier ; ils pourront examiner, à l'occasion de ce projet, les principes émis dans la circulaire de M. le ministre de l'intérieur sur les édifices scolaires ; ils auront le droit de se livrer à cette discussion, sans que la droite puisse en paralyser l'exercice.

Quant à la motion que j'ai eu l'honneur de présenter, elle n'est pas contradictoire avec celle de l'honorable M. Orts ; elle est, au contraire, la suite nécessaire de la décision prise par la Chambre.

L'honorable M. Orts réclamait le dépôt immédiat de l'avis de la députation permanente de Liége ; l'honorable ministre de l'intérieur a prié la Chambre de surseoir jusqu'au budget de l'intérieur la discussion sur l'agréation de l'école normale privée de M. Habets. La Chambre, accédant au vœu exprimé par l'honorable M. Kervyn, a décidé que le débat serait retardé. Voilà ce qui s'est passé. Il a donc été convenu que l'on discuterait. Or, nous sommes à la veille de la discussion. Si l'on discute, il faut des contradicteurs ; pour avoir des contradicteurs, la production des pièces est nécessaire.

Sans elles, la Chambre ne pourrait apprécier la conduite tenue par M. le ministre de l'intérieur dans cette affaire.

Je pense donc, à moins que M. le ministre de l'intérieur ne veuille supprimer les contradicteurs, qu'il ne peut pas refuser le dépôt, sur le bureau, des pièces que j'ai réclamées. Je persiste donc dans la motion que j'ai formulée.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable préopinant prétend que sa motion n'est pas la même que celle de l'honorable M. Orts, et qu'il s'est placé à un point de vue différent. L'honorable membre me permettra de mettre sous ses yeux les paroles prononcées par l'honorable M. Orts ; il en résulte évidemment que le point de départ est exactement le même. Voici ce que disait l'honorable député de Bruxelles :

« Je comprends très bien, messieurs, que M. le ministre de l'intérieur remette la réponse qu'on lui a demandée à la discussion de son budget ; il peut avoir pour cela des raisons dont je ne suis pas le juge. Je réserve donc sur ce point mon appréciation, mais ce que M. le ministre ne peut pas nous refuser, c'est de mettre dès aujourd'hui à notre disposition les pièces indispensables pour que nous puissions, comme lui, nous préparer à prendre part à cette discussion le jour où il conviendra à l'honorable ministre de répondre. » (Interruption.)

La motion de l'honorable M. Orts ne se rapportait, il est vrai, qu'à une pièce isolée et distincte ; mais j'ai déjà fait remarquer que la motion de l'honorable député de Liège tend à généraliser celle de l'honorable M. Orts, sur laquelle la Chambre a statué.

La Chambre, messieurs, ne jugera sans doute pas utile d'ordonner ce dépôt des pièces, alors que le gouvernement déclare qu'il prend l'engagement formel de donner dans une discussion prochaine, à quarante-huit heures d'intervalle, toutes les explications qu'on peut désirer (interruption) et lorsqu'il prend aussi l'engagement de les appuyer sur des documents dont personne sans doute ne viendra contester l'authenticité.

- Voix à droite. - L'ordre du jour !

M. Braconier. - Il y a donc des papiers secrets ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Il faudra publier tous les papiers du ministère.

M. Braconier. - Le devoir du ministère est de mettre toutes les pièces à la disposition de la Chambre.

Ces pièces sont de nature à l'éclairer et sont nécessaires pour la discussion du budget de l'intérieur.

M. Muller. - Messieurs, une loi votée par la législature depuis plus de quatre années n'a pas encore reçu sa sanction. Cette loi prescrivait la création de deux nouvelles écoles normales de garçons et de deux écoles normales de filles. Au sein de la section centrale, j'ai demandé à M. le ministre de l'intérieur de nous faire connaître l'état de situation dans lequel se trouvait l'instruction de cette importante affaire. Il est bien évident que la Chambre a le droit de demander à M. le ministre de l'intérieur e déposer sur le bureau, à l'inspection de ses membres, les dossiers qui concernent les projets d'écoles normales à établir à Mons, à Gand, à Bruges et à Liège, ce qui a été fait ou ce qui n'a pas été fait. Il est impossible, à moins, que la Chambre ne veuille se dessaisir de toute espèce de contrôle sur les actes du gouvernement et sur l'exécution loyale d'une loi qui subit des retards préjudiciables à l'enseignement primaire, qu'elle engage M. le ministre de l'intérieur à produire les dossiers dont le dépôt sur le bureau a été réclamé.

Or, dans l'un d'eux se trouvent les pièces relatives à l'établissement Habets, récemment agréé par le gouvernement à titre d'école normale. Nous ne demandons pas que vous fassiez un dépôt spécial de la pièce dont l'existence ou la date a été contestée et qui est relative à cette affaire.

Notre proposition va plus loin, nous tenons à être édifiés sur l'ensemble des écoles normales à créer et de celles qui ont été récemment agréées. (Interruption.)

A la veille de la discussion du budget de l'intérieur, que l'honorable M. Kervyn de Lettenhove désire voir fixer à vendredi, ce que nous sollicitons est de toute justice et vous ne pouvez pas le refuser.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Le gouvernement n'a jamais songé à contester le droit de la Chambre, mais c'est là un droit grave qui doit être justifié par des circonstances spéciales et exceptionnelles. La Chambre a déjà été saisie de cette question et elle a statué ; elle a résolu que la discussion serait renvoyée à l'examen du budget de l'intérieur. C'est à la Chambre de savoir si elle veut revenir sur cette décision.

- Voix à droite. - Non, non, l'ordre du jour !

M. Lefebvre. - L'ordre du jour est demandé.

M. Bouvier. - Lorsque j'ai eu l'honneur d'interpeller l'honorable ministre de l'intérieur, à l'occasion de l'école normale adoptée de Pesches, M. le ministre a lu différentes pièces qu'il a puisées dans un dossier assez volumineux. J'ai écouté très attentivement la lecture faite par l'honorable ministre sans faire la moindre observation, n'ayant pas voulu prolonger le débat, parce qu'il était dans la pensée de la Chambre, du côté de la droite comme de la gauche, que la discussion large, pleine, complète et entière aurait lieu à l'occasion du budget de l'intérieur.

Or, comment est-il possible de discuter une question aussi grave que celle qui concerne les écoles normales agréées, lorsque la Chambre ne peut pas contrôler, alors que c'est son droit, toutes les pièces du dossier dont M. le ministre a fait usage, ici même, à l'occasion de l'interpellation que j'ai faite à la Chambre.

Eh bien, voyez ce qui va arriver, je le dis dans l'intérêt de M. le ministre de l'intérieur ; il va s'en apercevoir... (interruption). S'il nous communique, le dossier, il justifiera M. le ministre.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je l'espère.

M. Bouvier. - Dans ce cas, votre intérêt exige de nous le communiquer. Si vous ne le faites pas, c'est que vous avez peur. On en croira beaucoup plus dans le public qu'il n'en est peut-être. Ainsi, vous voyez que je suis bien gouvernemental en ce moment, quand je conjure M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir produire ces pièces. Ce n'est plus dans l'intérêt de la gauche, c'est dans son propre intérêt que je le demande. Vous ne pouvez vous y refuser. Tout vous convie à déférer a notre légitime désir.

M. Frère-Orban. - C'est incontestablement le droit du gouvernement de refuser la communication de pièces qui lui sont demandées, s'il déclare que l'intérêt public lui commande de les garder secrètes. C'est son devoir, en pareil cas, de ne pas divulguer ce que contiennent ces pièces. Mais lorsque M. le ministre de l'intérieur ne donne absolument aucune raison pour ne pas déposer des documents qui sont déclarés nécessaires à la discussion, il me semble que ce serait, de la part de la Chambre, abdiquer absolument son droit que de s'incliner devant la déclaration de M. le ministre.

Que demande-t-on à M. le ministre de l'intérieur ? De simples actes administratifs. Y a-t-il inconvénient à les communiquer ? Je n'en sais rien. Si M. le ministre de l'intérieur le déclare, la Chambre appréciera. Mais, s'il n'y a pas le moindre motif de ne pas le faire, pourquoi refuser d'éclairer la Chambre ? Pourquoi la Chambre ne peut-elle pas connaître les motifs qui ont empêché, par exemple l'érection des quatre écoles normales décrétées par une loi de 1866 ? Je suis d'autant plus étonné de la résistance qu'oppose, sur ce point, M. le ministre de l'intérieur que je ne pense pas qu'il ait grande responsabilité dans cette affaire. Ce sont les ministres ses prédécesseurs qui auraient à réclamer contre la (page 553) communication du dossier, s'il pouvait comprendre quelque chose de désagréable pour l'administration précédente. Quant aux écoles normales adoptées, on demande communication des dossiers. Y a-t-il des secrets dans ces dossiers ? Qu'on le dise. Mais il ne peut pas y en avoir, il n'est guère possible qu'il y en ait.

C'est donc une simple résistance non justifiés de la part de M. le ministre de l'intérieur. Qu'il prenne, s'il le veut, le temps d'examiner les dossiers, mais je l'engage à les communiquer à la Chambre. Il empêchera un débat qui va se reproduire nécessairement à la discussion de son budget, ce qui serait extrêmement fâcheux. Car, ni le public, ni la Chambre ne s'expliqueront une opposition aussi tenace au dépôt de simples pièces administratives, dont la communication, d'après M. le ministre de l'intérieur lui-même, ne semble pas devoir présenter le moindre inconvénient.

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable membre a parfaitement raison lorsqu'il dit que le gouvernement est juge des difficultés qui s'opposent à la communication d'un dossier. La demande de communication d'un dossier ressemble beaucoup à une demande d'enquête. Et puis, messieurs, voyez jusqu'où cela peut aller : dans la session actuelle, les demandes de communication de dossiers ont été extrêmement nombreuses et si la Chambre entre dans cette voie de s'immiscer dans tous les détails de l'administration, il est évident qu'elle en viendra à cumuler le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, ce qui serait tout à fait contraire à la Constitution.

La Chambre est instituée pour faire des lois ; elle a aussi pour mission d'obvier aux abus du pouvoir exécutif, mais il ne faut pas qu'elle arrive à absorber ce pouvoir.

Je demande donc l'ordre du jour. On a réellement abusé des demandes de communication de dossiers : nous sommes encore sans budget de l'intérieur, sans budget des travaux publics, et nous avons à voter beaucoup de lois importantes.

M. Frère-Orban. - C'est la première ou la deuxième fois, je pense, depuis la constitution dû ministère actuel, qu'une demande de communication de pièces est faite et ce n'est pas une demande de cette nature qui peut fournir à l'honorable M. de Theux un motif de prétendre que l'on entrave les discussions dont la Chambre est saisie.

Je me permettrai de rappeler à la Chambre que lorsque la majorité actuelle était minorité, elle ne s'est pas fait faute de demander des communications de dossiers ; elle n'avait pas encore découvert les singulières théories qu'elle vient exposer aujourd'hui.

La minorité actuelle ne lui a pas refusé la communication du dossier de l'affaire Saint-Genois ni celle des nombreux dossiers de l'affaire des bourses d'étude.

Nous n'avons pas vu d'inconvénient à ce qu'il fût donné satisfaction à des demandes qui nous paraissaient légitimes.

Si M. le ministre de l'intérieur déclare qu'il y a dans ces dossiers des documents confidentiels dont la bonne administration des affaires publiques interdit la divulgation, la Chambre et le public apprécieront ; ils jugeront s'il est possible que, dans une affaire purement administrative, tant de secrets aient été se fourvoyer dans les dossiers dont il s'agit. Mais M. le ministre se garde bien de faire une pareille déclaration ; il se garde bien surtout de prétendre que les dossiers tout entiers se composent de pareilles pièces, car ce serait évidemment excéder les bornes de ce qui est croyable.

On ne demande d'ailleurs de communiquer que ce qui peut être communiqué, que ce que la Chambre a le droit de connaître.

On demande la production de simples pièces administratives qui doivent servir de base à la discussion prochaine du budget de l'intérieur.

Quand nous serons arrivés à la discussion de ce budget, il faudra donc que nous acceptions comme articles de foi tout ce que M. le ministre consentira à nous dire. M. le ministre de l'intérieur sera déclaré sacré, inviolable et infaillible.

M. Bouvier. - Comme le pape !

M. Frère-Orban. - Vous allez le déclarer indiscutable. (Interruption.) On m'interrompt pour me dire qu'on demandera alors la communication des pièces ; mais vous répondrez comme vous le faites aujourd'hui : Pas de communication de pièces ! Je le répète : si quelque motif d'intérêt public était indiqué, si l'on déclarait que l'intérêt de l'Etat exige le secret, je m'inclinerais, mais en présence d'un refus uniquement l'on le sur le sic volo sic jubeo, je trouve que la Chambre abdiquerait en n'exigeant pas la communication des pièces.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Frère est sans doute persuadé que je puis lui déclarer, sans la moindre hésitation, qu'il n'y a pas de secrets dans les dossiers qu'on réclame ; il me permettra aussi de faire remarquer que le cabinet actuel n'a pas été bien impitoyable en matière de communication de dossiers.

Mon honorable ami, M. le ministre de la justice, en a déposé 3, 4, 5, je ne sais combien.

M. Vleminckx. - A la demande de la droite. (Interruption.)

M. Bouvier. - Oui, oui, à la demande de ses amis.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai moi-même remis un de mes dossiers à mon honorable prédécesseur.

M. Pirmez. - C'était un dossier de mon administration.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ce dossier renfermait non seulement les actes de l'administration de M. Pirmez, mais toutes les pièces, jusqu'au jour même où j'ai remis le dossier. (Interruption.) Je l'affirme. S'il y a eu quelques autres pièces dont j'ai fait usage, elles étaient arrivées postérieurement à la remise du dossier à l'honorable M. Pirmez.

Messieurs, de quoi s'agit-il en ce moment ? Il s'agit d'un dépôt sur lequel la Chambre s'est déjà prononcée. (Interruption.)

On renouvelle à chaque instant les interpellations de tous genres. (Nouvelle interruption.) Je me demande si, quand un ministre apporte ici des documents, il est permis de douter de sa sincérité, de sa loyauté.

- Des membres à gauche. - Vous ne lisez pas les pièces.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ne crois pas devoir les communiquer aujourd'hui, après la décision de la Chambre du 17 janvier ; mais, lors de la discussion de mon budget, je donnerai à la Chambre toutes les explications qu'on me demande. C'est alors seulement qu'elle pourra dire si les pièces dont je ferai usage sont insuffisantes et si la justification du cabinet n'est pas complète.

- Voix à droite. - L'ordre du jour !

M. d'Andrimont et M. Bouvier. - L'appel nominal !

M. Bouvier. - Que signifie l'ordre du jour ?

M. le président. - Qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le dépôt de pièces demandé.

- Il est procédé à l'appel nominal.

93 membres y prennent part.

54 répondent oui. 38 répondent non.

1(M. Coomans) s'abstient.

En conséquence, l'ordre du jour est prononcé.

Ont répondu oui :

MM. Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Liénart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Simonis, Snoy, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Brasseur, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel et Vilain XIIII.

Ont répondu non :

MM. Funck, Guillery, Houtart, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Mouton, Muller, Orts, Pirmez, Tesch, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Berge, Boucquéau, Boulenger, Bouvier, Braconier, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Elias et Frère-Orban.

M. le président. - M. Coomans est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Coomans. - Je me suis abstenu pour avoir l'occasion d'indiquer les véritables mobiles de la gauche et de la droite dans cet incident.

M. le président. - Vous n'allez pas rouvrir la discussion, je suppose ?

M. Coomans.- Je ne discuterai pas, M. le président.

M. le président. - M. Coomans, vous pouvez indiquer vos motifs d'abstention mais non pas les raisons qui ont guidé la droite et la gauche.

M. Coomans. - Je modifierai l'expression de ma pensée, M. le président.

Nous n'avons pas eu peur de la publication d'une pièce officielle, et la gauche, en la demandant, n'a pas été mue par le désir de la lire, car elle la connaît par cœur. (Interruption.)

(page 554) Ce que la gauche a tout simplement voulu, c'est jeter un trente-sixième bâton dans les roues du char parlementaire. (Interruption.)

MpVù. - M. Coomans, ce ne sont point là des motifs d'abstention. Vous deviez dire cela dans la discussion.

M. Coomans. - J'ai fini, M. le président ; et je conclus en disant que je ne puis que blâmer une pareille tactique.

Projet de loi allouant un crédit complémentaire de 83,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. Descamps.- Messieurs, ainsi que vous avez pu le remarquer dans le rapport de la section centrale, la quatrième section a cru devoir féliciter le département des travaux publics d'avoir poursuivi la voie des améliorations, malgré les doutes qu'il avait émis antérieurement sur la possibilité de progresser dans cette voie et sur la convenance de faire supporter, par les budgets ordinaires, les dépenses supplémentaires qu'exige la consolidation du matériel.

La section centrale, partageant l'avis de la quatrième section, a engagé le gouvernement à persévérer dans la voie que nous avions préconisée antérieurement déjà.

Je crois, messieurs, qu'il ne sera pas inutile de rappeler succinctement en quelle occasion le gouvernement avait émis l'avis auquel la quatrième section a fait allusion.

L'article 58 du budget des travaux publics pour 1869 prévoyait l'allocation d'un crédit de 1,787,400 francs destiné à l'achat de billes et de 47,000 rails munis de leurs accessoires.

Sur cette quantité de 47,000 rails, l'administration avait mis en adjudication 40,000 rails ordinaires, mais les bons résultats qu'une visite de la voie avait permis d'espérer de l'usage des rails martelés, rendant désirables l'emploi de ce mode de fabrication pour les 7,000 rails restant à adjuger et la dépense supplémentaire à en résulter étant estimée à 24,600 francs, le gouvernement réclama ce crédit de la législature.

Le nombre de rails destinés à satisfaire aux besoins de l'administration devait être le même pour 1870 que pour 1869 ; or, l'exposé des motifs du projet de loi ajoutait : « Comme il est plus que probable que les derniers prix se maintiendront pendant l'exercice courant, j'ai l'honneur de proposer d'apporter les mêmes modifications à l'article correspondant du budget de l'exercice 1870. »

Il résultait de là que les intentions de l'administration étaient de mettre en adjudication, en 1870, comme il l'avait fait en 1869, 40,000 rails ordinaires et 7,000 rails martelés ; la section centrale chargée d'examiner le projet de loi crut que c'était par erreur que le département des travaux publics sollicitait les mêmes crédits pour le budget de 1870 ; elle était d'avis que du moment que l'administration avait reconnu la supériorité des rails martelés, elle devait solliciter des crédits suffisants pour étendre le système de martelage à la majeure partie des rails à fournir ; elle en fit l'observation au département des travaux publics et celui-ci répondit :

« La nécessité d'avoir des rails d'une qualité supérieure est incontestable ; l'intérêt de l'administration le commande, puisqu'il est établi que l'entretien et le renouvellement de la voie seraient infiniment moins dispendieux. Mais il y a lieu d'examiner si, et jusqu'à quel point, les budgets ordinaires doivent supporter, à l'occasion des renouvellements, des dépenses supplémentaires considérables que ne réclame point la production de recettes, et qui peuvent être considérées comme dépenses de premier établissement.

« C'est cette considération qui a empêché jusqu'ici l'administration d'aller plus avant dans la voie des améliorations et qui l'oblige à se borner actuellement au remplacement des rails laminés de 17, 22, 25, 27 et 3 kilogrammes, par des rails de 38 kilogrammes ; le nouveau pas qu'il s'agit de faire devant avoir pour conséquence de majorer cette nature de dépense de 40 à 50 p. c. »

La section centrale ne partagea point cette opinion ; elle eût admis difficilement que l'administration pût être arrêtée dans la voie des améliorations par les motifs qu'elle invoquait ; il lui semblait que du moment qu'il était reconnu, par des résultats incontestables d'expérience, qu'un progrès pouvait être introduit dans l'une des branches du service, l'administration ne pouvait voir son action paralysée par une simple question de forme, ou par un détail de comptabilité.

Le département des travaux publics fit connaître, toutefois, alors, qu'il comptait soumettre à la législature la question soulevée, avec les développements qu'elle comporte, lorsqu'il aurait réuni tous les éléments nécessaires à son appréciation.

Je désire savoir de M. le ministre des travaux publics si ce travail nous sera bientôt soumis, ou quelle décision il a prise sur cette question dont l'examen mérite, à divers points de vue, de fixer l'attention la plus sérieuse de la Chambre.

Après la déclaration qui avait été faite à la Chambre en 1869, la section centrale a été agréablement étonnée d'apprendre, lors du dépôt du projet de loi actuel, que le gouvernement s'était décidé à étendre le système de martelage à la moitié des rails à fournir. Elle demanda donc à M. le ministre des travaux publics si les dernières observations faites sur les rails martelés avaient permis de constater les avantages marqués qui justifiaient l'extension du système de martelage.

M. le ministre nous répondit : « L'administration a lieu de douter que les rails martelés présentent, comparativement aux rails simplement laminés, une supériorité marquée et en rapport avec l'augmentation du prix de revient résultant du martelage.

« Lorsque l'administration a fait, à la fin de l'année 1869, les commandes nécessaires pour les renouvellements de 1870, elle était sous l'impression des faits significatifs constatés au chemin de fer Grand Central belge, faits dont vous avez parlé à diverses reprises, dans vos rapports parlementaires. Elle avait, en outre été encouragée par la Chambre a développer l'usage des rails martelés. »

C'est-à-dire que M. le ministre des travaux publics laisse à la Chambre en général et à moi, en particulier, la responsabilité de la mesure prise.

Sans examiner si nous devons subir cette responsabilité, je l'assume quant à moi très volontiers, et tout entière, s'il le faut.

Et ce qui me rassure, ce sont les résultats obtenus par ceux qui ont fait l'expérimentation complète du système.

Toutefois, vous le savez, messieurs, les résultats obtenus en 1869 sur les rails posés en 1868 étaient de nature à ébranler la confiance que l'on avait mise dans les qualités des rails martelés. Voici ce que dit à ce sujet, d'après les observations faites dans le compte rendu de la compagnie du Grand Central, notre rapport sur le budget des travaux publics pour 1871 :

« Des essais nouveaux pratiqués sur des rails livrés en 1868 ont donné, après une année, de service, des rebuts qui se sont élevés jusqu'à 14,43 p. c. Ce résultat, qui semble infirmer les succès antérieurement obtenus et renverser les espérances qu'on avait fondées sur les qualités des rails martelés, s'explique cependant tout naturellement. Il fut, en effet, constaté que le martelage de ces rails avait été opéré d'une manière tout à fait imparfaite par suite des mauvaises conditions d'installation et d'outillage de l'usine qui en avait entrepris la fabrication ; or, comme on l'a fait très judicieusement remarquer, le martelage étant la base de la fabrication, un paquet mal battu donne nécessairement un rail de moindre qualité que celui qui est tout simplement soumis au laminage par la méthode ordinaire. Cette observation est d'autant plus vraie, que l'usine en question, ayant, immédiatement après, amélioré son outillage, fournit depuis, à la même compagnie, des rails dont la qualité ne laisse point à désirer. »

On reconnut, à la suite de ces remarques, qu'il y avait lieu de poursuivre l'expérience sur une grande échelle et la suite des faits, comme on va le voir, donna parfaitement raison aux prévisions.

Voici, en chiffres, les résultats obtenus à la compagnie du Grand Central pendant les trois années d'expérimentation :

1° La révision des rails posés en 1867 permit de constater, à l'expiration de la première année :

18,05 p. c. de rebut sur les rails fabriqués par les procédés ordinaires ;

3,26 p. c. seulement de rebut sur les rails martelés.

2° La révision des rails posés en 1868 donna :

14,45 p. c. de rebut sur les rails martelés.

3° Révision des rails posés en 1869 :

Les rails fournis par une usine donnèrent 2,76 p. c. de rebut.

Ceux livrés par une autre usine donnèrent 3,33 p. c. de rebut.

Mais il est à remarquer que 0.30 p. c. seulement des rails en question ont été retirés de la voie, et que les 2.70 p. c. restants ont été rebutés pour avaries, mais sont restés dans les voies où ils peuvent encore faire un long service.

Quant au coût de ces rails, nous pouvons avancer que l'écart existant entre les prix des rails martelés et ceux des rails ordinaires a, pour ainsi dire, disparu ; en effet lorsque, en octobre 1870, l'Etat commandait des rails ordinaires à 172 fr. 50 c. la tonne, les boulons à 320 francs, les crampons à 250 francs ; soit à un prix moyen de 174 francs la tonne avec accessoires, une grande compagnie obtenait (22 octobre 1870) des rails martelés au prix moyen de 172 fr. 10 c.

Peur me résumer, je crois donc qu'il est très intéressant et très (page 555) avantageux pour l'Etat de poursuivre l'expérience commencée et j'engage, en outre, M. le ministre de travaux public à soumettre, le plus tôt possible, à la législature l'importante question de comptabilité soulevée à propos des dépenses supplémentaires à faire pour consolider le matériel.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, la question de savoir quelle marche il convient de suivre, pour distinguer les dépenses de premier établissement des dépenses annuelles d'entretien et d'exploitation, avait été mise à l'étude par mon honorable prédécesseur.

J'ignore si les recherches faites dans cet ordre d'idées ont abouti à quelque résultat ; en effet, quand je suis entré au département des travaux publics, j'y ai trouvé fort peu de documents relatifs aux travaux ordonnés en vue de la solution désirée.

Quant à moi, la question ne me paraît pas avoir l'importance qu'on lui prête.

Je suis, à cet égard, complètement de l'avis de l'honorable rapporteur ; je trouve que lorsqu'une amélioration est constatée, il faut s'empresser de la réaliser sans se préoccuper de savoir à quel compte doit être portée la somme à y consacrer.

C'est une affaire de comptabilité et de pure forme, qui ne doit pas arrêter, ce me semble, un progrès dans l'exploitation des chemins de fer. Ainsi entendue, la dépense doit se classer dans le compte rendu des opérations annuelles du railway selon les distinctions à adopter.

C'est là qu'on pourra, soit en dépouillant les dépenses budgétaires, soit en analysant les crédits spéciaux, savoir ce qu'il y aura lieu de faire figurer au compte de premier établissement d'une part, au compte d'entretien d'autre part. Je ne crois pas que la Chambre ait à intervenir dans l'agencement des chiffres du doit et de l'avoir ; c'est la besogne de l'administration, et la législature ne peut vouloir intervenir que pour apprécier de haut et juger au point de vue du contrôle général à exercer sur les dépenses de l'Etat.

Quant aux rails, messieurs, les expériences qui ont été faites jusqu'à présent par le département ont laissé un certain doute sur la valeur réelle du martelage. Le doute était tel en 1870 que mon honorable prédécesseur a cru d'abord qu'il suffirait d'employer 7,000 rails à l'entretien de la voie pendant l'année, ce qui impliquait une dépense de 320,000 francs seulement. A la vérité, l'honorable M. Jamar a cependant employé à cet objet plus de 1,100,000 francs en achetant 23,500 rails martelés.

Vous le voyez, l'écart est considérable, tellement considérable que je me suis demandé ce qui a pu pousser l'honorable M. Jamar à s'éloigner, dans de si fortes proportions, des prévisions sur lesquelles reposait l'économie du budget en ce qui touche les fers de la voie. Si, en agissant de cette façon, il n'avait écouté que la confiance que doivent inspirer l'expérience, les lumières et la spécialité de l'honorable rapporteur de la section centrale dans ces matières, je serais parfaitement disposé à partager sa manière de voir.

Aussi, les raisons que vient de donner l'honorable M. Descamps seront appréciées par le département ; nous verrons si ce qu'il nous a dit est exact et s'il n'y a pas lieu de revenir à un emploi plus large et plus complet des rails martelés.

M. Jamar. - Je ne saurais partager, messieurs, la pensée de l'honorable ministre des travaux publics. Je crois, au contraire, que l'étude de la question dont a parlé l'honorable rapporteur et qui a été commencée au département des travaux publics est d'une grande importance. Il s'agit de savoir si la dépense qui donne au matériel de la voie ou au matériel roulant une valeur plus grande, doit être portée au compte de premier établissement ou prélevée sur les frais ordinaires d'exploitation ou d'entretien.

Il y a là une question à résoudre dont l'importance grandit chaque jour avec le développement prodigieux de l'exploitation des chemins de fer administrés par l'Etat.

L'étude de cette question a été commencée au département des travaux publics par la direction du service général et notamment par M. l'inspecteur général de ce service. Je ne m'étonne pas, au reste, que mon honorable successeur n'ait pu encore s'initier à tous les détails de la vaste et importante administration qu'il dirige et à toutes les questions qui s'y instruisent, eu égard au peu de temps qu'il dirige ce département.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je n'ai pas prétendu que l'étude dont il s'agit n'a pas d'importance ; j'ai dit seulement que la Chambre ne doit pas s'immiscer dans tous ces détails ; c'est une question d'administration qui doit être étudiée par le département, dont les éléments et la réponse doivent être indiqués dans le compte rendu annuel. Cela fait, la Chambre appréciera ; elle aura sous les yeux un travail sur le mérite duquel elle pourra se prononcer avec connaissance de cause, sans prendre une initiative qui n'est pas dans son rôle.

M. Jamar. - J'ai oublié d'appeler l'attention de mon honorable successeur sur l'intérêt qu'il y aurait pour la Chambre à voir distribuer, avant la discussion de son budget, le rapport de l'administration des chemins de fer, postes et télégraphes sur les opérations de l'exercice 1869.

Il y a eu forcément un retard dans la publication et la distribution de ce document par suite du changement de ministère, mais il serait désirable que ce rapport fût distribué bientôt aux membres de la Chambre, dont beaucoup ont l'habitude d'y chercher les éléments de discussion des questions intéressantes que soulève l'examen du budget des travaux publics.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ferai en sorte qu'il puisse être fait droit à la M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Si le document dont il réclame la distribution n'a pas encore été publié, c'est que le fonctionnaire qui est chargé de le rédiger a eu un tel surcroît de besogne qu'il lui est devenu impossible de s'en occuper. J'espère qu'il sera bientôt à même de reprendre ce travail ; mais s'il ne peut en être ainsi, je confierai la préparation du rapport à un autre fonctionnaire qui puisse faire en sorte que le désir de M. Jamar soit accompli.

- La discussion est close.

Vote sur l’ensemble

L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Un crédit complémentaire, à concurrence de 83,000 francs, est alloué au département des travaux publics pour faire face à l'insuffisance que présente l'article 57 (billes, rails, etc.) du budget de ce département pour l'exercice courant, auquel il est rattaché.

« Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1870. »

- Il est procédé au vote par appel nominal sur ce projet, qui est adopté à l'unanimité des 90 membres présents.

Ces membres sont :

MM. Funck, Gerrits, Guillery, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Jamar, Jottrand, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pirmez, Rembry, Reynaert, Simonis, Snoy, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Ansiau, Bara, Beeckman, Berge, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Bouvier, Braconier, Brasseur, Coomans, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delcour, De Lehaye, de Lhoneux, de Liedekerke, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban et Vilain XIIII.

Projet de loi allouant un crédit de 306,000 francs au budget du ministère des finances, régularisant le déficit provenant du vol de titres de la dette publique, commis dans les archives de la cour des comptes

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte. Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. Coomans. - Je m'imaginais, je l'avoue, que quelqu'un, M. Frère surtout, aurait pris la parole pour répondre aux observations sommaires que j'ai eu l'honneur de faire hier à la Chambre. Puisque tout le monde garde le silence, je déclare que je maintiens mes conclusions, qui sont complètement opposées au projet de loi.

L'exposé des motifs de ce projet de loi me paraît très insuffisant. On vient nous demander 305,000 francs qui ne me paraissent pas dus.

Messieurs, il y a eu négligence incontestable dans toute cette affaire. Où s'est-elle produite ? Peu importe à ma thèse. Mais elle a eu lieu ; elle doit être recherchée et ce sont les auteurs de cette négligence qui doivent en supporter les conséquences et non les contribuables, qui sont parfaitement innocents.

Que l'honorable M. Frère ne se figure pas que c'est pour lui chercher noise que je prends la parole. (Interruption.)

Vous souriez, messieurs ; eh bien, je vais vous prouver immédiatement que vous vous trompez. L'honorable M. Frère, je l'avoue, n'est pas mon ami, pas plus que je ne suis le sien. Mais j'ai des amis, de bons amis dans la cour des comptes, et je vous déclare que je les crois tout aussi responsables que l'honorable M. Frère. Vous voyez donc que je suis bien impartial.

Voulez-vous une nouvelle preuve de l'injustice de vos sourires ? Je vais vous la donner.

(page 556) En 1856, mes amis étaient au pouvoir, des amis que j'aimais. (Interruption.) On ne les aime pas tous. Ceux-là je les aimais. Eh bien, ils sont venus nous demander 300,000 francs pour célébrer le XXVème anniversaire de l'entrée du roi Léopold Ier en Belgique, et au lieu de se contenter de 300,000 francs et de respecter le vote de la Chambre, ils ont dépensé un million.

En sections, j'ai non seulement blâmé ces dépenses illégales, mais j'ai proposé de les laisser à charge des six ministres.

J'ai été nommé rapporteur de la section centrale et j'ai maintenu mes conclusions.

Vous voyez donc bien que j'ai le droit de parler comme je le fais, puisque j'ai tenu le même langage quand il s'agissait de mes amis. Il est beaucoup de gens qui ne peuvent pas se rendre ce témoignage-là.

Il y a donc des coupables dans cette affaire et on peut leur reprocher non seulement la levissima culpa, mais la gravissima culpa.

Si les débats judiciaires ne vous en ont pas convaincus comme ils m'en ont convaincu moi-même, que l'on fasse une enquête pour vérifier s'il n'y a pas lieu d'appliquer la responsabilité ministérielle, principe qui brille comme une nébuleuse dans notre firmament constitutionnel, mais qu'aucun astronome politique n'a pu mesurer jusqu'à présent. Si vous ne l'appliquez pas dans la circonstance actuelle, vous devez y renoncer à tout jamais.

Et quand je parle de la responsabilité ministérielle, c'est aussi de la responsabilité de tous les agents du pouvoir, conformément à la Constitution.

Comment, messieurs, on vient tout simplement nous dire que 400,000 francs ont été dérobés à l'Etat et que c'est à nous de les payer ! Eh bien, si dans notre petit monde officiel nous adhérons à ce raisonnement, il en est tout autrement dans la véritable opinion publique. Celle-là n'a pas cherché midi à quatorze heures, elle a dit : Il y a des coupables (je parlé de coupables par négligence, les autres, je n'en parle pas, il en a été fait justice plus ou moins).

Pour moi je crois que les coupables sont M. Frère et la cour des comptes ; M. Frère, parce qu'il n'a pas suffisamment annulé les papiers, la cour des comptes, parce qu'elle n'a pas empêché le vol de ces papiers. Comme le disait M. Frère, la cour des comptes est coupable de ne pas en avoir assuré la garde.

Elle aurait dû nous dire : Les titres que M. Frère m'a confiés étaient mal annulés, n'étaient pas annulés et le premier venu à peu près pouvait en disposer, les vendre, etc. Il n'a pas fait cela. Il est en faute, je vous signale ce danger.

Je vous jure que je regrette que ce soit M. Frère qui soit en cause. Je voudrais que ce fût un de mes amis politiques ; je parlerais bien plus haut que je ne le fais. Je vous prie, messieurs, d'excuser la vivacité de mon langage, mais je trouve très scandaleux qu'on vienne nous demander de voter, sans discours, sans explication aucune, cette somme de 305 mille francs. Je parle ainsi non seulement au point de vue de la somme, mais au point de vue du principe.

Que nous apprend la cour des comptes dans son mémoire justificatif du mois d'avril 1870 ? Bien peu de chose.

Ce qu'elle nous apprend, c'est la condamnation de M. Frère et des membres de la cour des comptes. Elle nous dit tout simplement : C'est bien heureux qu'on ne vous ait volé que 305,000 francs : on pouvait vous voler un milliard.

C'est fort peu consolant !

Eh ! nous dit encore la cour des comptes, la preuve que nous devons croire que ces titres étaient très convenablement annulés, c'est que M. le ministre des finances nous les expédiait avec la correspondance ordinaire par un simple messager.

Voilà donc un simple messager à 700 ou 800 francs d'appointements à qui vous confiez des centaines de mille francs négociables à la Bourse, à l'heure même où il passe par la place de la Monnaie !

Messieurs, cela est-il admissible ?

La cour des comptes nous fait toutes sortes de comptes, passez-moi l'expression ; elle nous dit qu'elle ne sait pas du tout pourquoi M. le ministre des finances avait supprimé l'annulation au moyen du timbre mouillé pour la remplacer par le bâtonnage au crayon rouge.

Elle n'en sait rien.

Elle devait le savoir. Elle est payée pour cela et l'honorable M. Frère devait savoir que le bâtonnage au crayon rouge ne valait rien, attendu qu'après avoir consulté nos plus savants chimistes, on a appris, ce que sait un gamin d'école primaire, que le bâtonnage au crayon rouge s'efface avec un peu de mie de pain.

Nous savions tous cela à l'âge de cinq ans ; il ne fallait pas pour cela, consulter des chimistes et les payer si cher. Nous savons tous que le crayon rouge, noir, etc., est facilement effaçable avec la mie de pain.

Les explications que nous donne la cour des comptes n'en sont pas.

Je vous enferme dans un dilemme d'où vous ne sortirez point.

Or, M. Frère est responsable avec la cour des comptes, ou l'un et l'autre sont responsables.

Il y a des coupables quelque part ; il faut qu'on me les montre. J'ai intérêt à les trouver, comme gardien des deniers publics.

Mais, il y a quelque chose de bien plus curieux dans cette affaire au point de vue personnel, c'est-à-dire au sujet de la revendication très nette que je produis à charge de l'honorable M. Frère.

J'ai demandé à l'honorable M. Frère d'appliquer, en cette circonstance, le principe qu'il a appliqué lui-même. On fait la partie belle à quelqu'un, ce me semble, à un accusé surtout, lorsqu'on lui applique la loi qu'il a faite lui-même : Patere legem quam ipse tulisti.

Or, messieurs, voici ce que j'ai trouvé. Il y a quelques années, il y a six ans environ, un receveur des actes judiciaires et du domaine lève le pied et emporte la bourse du gouvernement, c'est-à-dire une somme de 51 mille et quelques centaines de francs. (Interruption.) Celait un fonctionnaire habitant la ville de Gand.

M. le ministre des finances tout naturellement s'en prend à ce fonctionnaire, tâche de récupérer le plus possible et finit par obtenir environ 20,000 francs, mais constate un déficit de 30 mille et des francs.

Que fait M. Frère ? Il signifie aux vérificateurs et aux inspecteurs qu'ils sont responsables du délit commis par ce receveur des actes civils,... judiciaires, veux-je dire, de Gand, et il les obliges à payer chacun une somme. plus ou moins considérable, non pas en les accusant d'avoir trempé dans le vol, oh ! non, puisqu'il a reconnu leur parfaite innocence, mais en leur disant qu'ils avaient mal gardé l'argent de l'Etat. Et c'est ce qui a eu lieu.

Voici la substance d'un arrêté royal du 25 novembre 1865 :

« Vu l'article 16 de la loi du 15 mai 1846 ;

« Vu le déficit de 51,650 francs, plus les intérêts, constaté dans la caisse de Charles Lamiroy, receveur des actes judiciaires et des domaines à Gand, sur lequel 33,650 francs ne pourront être recouvrés ;

« Vu que De Villers et Pauwels, inspecteurs, Van Campenhout et Lang, vérificateurs, ont apporté dans leur contrôle un défaut d'exactitude matérielle de nature à les rendre responsables dans les limites de la loi et des circonstances ;

« Sur la proposition de notre ministre des finances, arrêtons :

« Une somme de 5,800 francs est mise à leur charge dans la proportion suivante :

« Le 1er, 2,075 fr. 22 c. ; le 2ème, 1,330 fr. 28 c. ; le 3ème 1,436 fr. 70 c. ; le 4ème, 957 fr. 80 c. »

Messieurs, je ne trouve pas cela blâmable ; je trouve au contraire que M. Frère a très sagement et très légalement agi ; je pense qu'il est des circonstances où la négligence la moins coupable, moralement parlant, doit être punie. Nous subissons tous les conséquences de nos négligences les moins malhonnêtes et je trouve très juste qu'on oblige des fonctionnaires quelconques à supporter une certaine part du dommage essuyé par l'Etat à cause d'eux. Mais ce que je voudrais, c'est que l'on étendît l'application de ce principe et qu'on ne frappât pas toujours sur les petits. Ce sont toujours les gros que nous ménageons ; oh ! les ministres ne sont jamais coupables, les ministres ne sont jamais négligents.

Chaque fois qu'ils ont quelque chose à faire sans l'assentiment préalable de la législature, ils nous disent : Nous agissons sous notre responsabilité. Messieurs, c'est là une mauvaise plaisanterie ; la responsabilité ministérielle n'existe pas ; jamais Chambre ne condamnera un ministre ; au moins elle ne l'a jamais fait, cela ne s'est jamais vu ; elle sent qu'elle est responsable des cabinets qu'elle soutient.

Et quoi ! combien de fois n'ai-je pas vu, dans notre basse administration officielle, infliger des amendes très dures à de pauvres diables qui étaient si peu coupables qu'on les laissait en place parce que leur innocence était unanimement reconnue. On leur reprochait quelques petites négligences : ils avaient laissé prendre, voler, si vous le voulez, quelques menus objets et on les condamnait. Mais, s'agit-il des chefs, la théorie change : ils laisseraient voler tout un arsenal, qu'on les laisserait parfaitement tranquilles. (Interruption.)

Comment ! on nous convie, nous qui ne connaissons rien de la manipulation des titres de la dette publique... (Interruption.)

Quant à moi, je n'en savais absolument rien ; j'étais, si vous le voulez, le plus ignorant de tous en cette matière comme en beaucoup d'autres. On nous convie donc à payer la valeur de titres de la dette publique qui ont été volés. Nous les croyions bien gardés ; et un jour nous apprenons (page 557) qu'il en a disparu pour une valeur de 300,000 à 400,000 francs ; et puis on monte au Capitole et on dit aux oies qui nichent en bas : Vous payerez ; c'est avec vos plumes que nous ferons le matelas budgétaire. (Interruption.)

Et puis - c'est encore un détail que j'oubliais,- ce receveur de Gand qui avait volé 51,000 francs, pensez-vous qu'il ait été considéré comme un bien grand coupable ? Point : peu de temps après, il a été gracié par le même ministère qui avait infligé une amende considérable à des fonctionnaires parfaitement honorables et étrangers au vol commis.

Je vous demande, messieurs, si ce n'est point là le bouleversement le plus complet de toute logique et de toute justice. Et quand on gracie un homme bien moins coupable, à coup sûr, que celui-là, on crie au scandale. Nous l'avons vu l'autre encore. (Interruption.) Si l'honorable M. Bara prétend le contraire...

M. Bara. - Je vous demande seulement de préciser le fait.

M. Coomans. - On m'a affirmé que ce receveur a été gracié. (Interruption.) Quand je parle ici de différentes choses, il est évident que je ne les connais pas toujours personnellement. (Interruption.) Mais vous-mêmes, ne parlez-vous pas bien souvent d'un tas de choses que vous ne savez pas ? (Interruption.) Il me suffit d'avoir le témoignage d'hommes honorables. Et quand même ce receveur n'aurait pas été gracié, il faut bien admettre que mon argumentation reste debout. Seulement, il y aura supplémcnt.de scandale s'il a été gracié et c'est à vous de prouver qu'il ne l'a pas été.

M. Bara. - Il me faudrait au moins le dossier.

M. Coomansù. - Je l'ai le dos scié. (Interruption.)

Il me semble, messieurs, que c'en est bien assez pour démontrer la nécessité et pour M. le ministre des finances et pour MM. les conseillers de la cour des comptes de nous fournir des explications plus acceptables que celles qu'on nous a données jusqu'à présent.

Je prierai même M. le ministre des finances d'expliquer d'une manière plus satisfaisante le vote qu'il sollicite. Quant à moi, j'engage fortement la Chambre, les deux côtés de la Chambre, - car (mes observations le prouvent assez), il ne s'agit pas ici d'une question personnelle, - j'engage fortement les deux côtés de la Chambre à ajourner le vote du projet ou à rejeter les conclusions du gouvernement et de la section centrale.

M. Frère-Orban. - Messieurs, nous savons tous que l'honorable préopinant est un Caton. Ce n'est pas moi qui voudrai contester, sous ce rapport, les vertus qu'il s'attribue. Il se proclame impartial ; il frappe également, dit-il, sur ses amis comme sur ses adversaires. C'est une justice qu'il veut qu'on lui rende. Mais l'honorable membre n'est pas encore habitué au rôle nouveau qu'il est appelé à remplir, celui de député ministériel.

Il doit y prendre garde ; les thèses qu'il met en avant sont compromettantes pour lui.

Nous avons entendu hier son indignation quelque peu comique, en nous parlant du dossier de l'honorable M. Wasseige. Le dossier de M. Wasseige !... C'était la chose la plus inique et la plus inepte qui eût jamais été produite.

Que signifiait cependant ce dossier de M. Wasseige ? Il signifiait ceci : « On dit, M. le ministre (à tort ou à raison, je ne l'examine pas) ; on dit qu'il y a beaucoup de désordres dans votre administration ; les lettres se fourvoient ; les journaux n'arrivent pas ; vos convois sont en retard. »

Certainement, il n'est entré dans la pensée de personne d'imaginer que l'on devait rendre l'honorable M. Wasseige personnellement responsable de ce que les lettres étaient mal dirigées, de ce que les journaux n'arrivaient pas à destination, de ce que les trains marchaient avec une grande irrégularité ; mais on disait à l'honorable M. Wasseige ce qu'on a droit de dire à tout ministre : « Il y a des désordres dans votre administration ; vous n'êtes point chargé de distribuer les objets confiés à la poste, pas plus que vous n'êtes chargé de diriger les convois ; ce n'est pas votre affaire ; mais votre devoir est de faire cesser le désordre ; votre devoir est de prendre les mesures nécessaires pour assurer la régularité des services publics qui dépendent de vous ; votre devoir est d'exiger que les fonctionnaires placés sous votre autorité s'acquittent ponctuellement de la mission qui leur est confiée.

Si vous n'agissez pas, si le trouble persiste, votre responsabilité commence ; vous avez la responsabilité de votre inaction.

Mais, d'après la théorie nouvelle qui vient d'être exposée, le dossier va singulièrement changer ; le dossier de M. Wasseige va se transformer ; on va ouvrir un compte dans lequel M. Wasseige sera constitué débiteur, à titre personnel, de tout dommage que les tiers et le trésor pourraient essuyer par suite des fautes, des négligences ou des malversations que (page 557) pourraient commettre les agents placés sous ses ordres. Il sera tenu de réparer de ses deniers tout préjudice causé par un employé malhonnête ou prévaricateur.

Un colis est volé au chemin de fer ; M. Wasseige est responsable ; M. Wasseige payera... (Interruption.)

M. Coomans. - Après les fonctionnaires.

M. Frère-Orban. - Après les fonctionnaires, non ; avec les fonctionnaires, oui ; d'après l'ingénieuse théorie dont vous demandez aujourd'hui l'application et qui me paraît médiocrement sourire à votre honorable ami.

Pendant les six mois de l'administration de M. Wasseige, il a été diverti plus d'un colis (interruption) ; cela ne vous a pas diverti, et cela vous divertira encore moins d'en payer la valeur. Des lettres chargées ne sont pas arrivées à destination ; elles contenaient des valeurs considérables. Le dossier va décidément s'ouvrir pour tous ces articles-là, et nous aurons, à la fin de l'année, une jolie addition.

L'honorable M. Coomans n'a pas pensé que s'il est doux d'attaquer les anciens ministres, il faut, quand on est devenu député ministériel, prendre garde aux conséquences et éviter de tirer sur ses propres amis.

M. Coomans. - Cela m'est bien égal.

M. Frère-Orban. - Oh ! je le sais et l'on vous verra de plus en plus mettre en pratique les idées et les principes que vous invoquiez dans l'opposition. Et pour vous être agréable, on va ouvrir aussi le dossier de M. Jacobs.

M. Jacobs va être responsable des- déficits des comptables. (Interruption.) Comment ne le serait-il pas en vertu des théories de M, Coomans ?

M. De Lehaye. - Cela ne constitue pas un crime.

M. Frère-Orban. - Comment ! cela ne constitue pas un crime ! Mais de plus, il y aura des faux, des concussions à l'aide desquels on aura soustrait des fonds au trésor de l'Etat.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Il ne peut pas en être responsable. (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Permettez ; vous oubliez que M. Coomans soutient que le ministre est responsable d'un vol de titres dont la cour des comptes avait la garde, par cela seul qu'un commis à prétendument négligé d'apposer un timbre sec ou humide sur ces titres. Comment, en ce cas, le ministre ne sera-t-il pas responsable du vol commis dans une des caisses de l'Etat ? (Interruption.)

Le ministre ne fait pas la recette, dites-vous ; mais ce n'est pas le ministre non plus qui doit annuler les titres, pas plus que ce n'est le ministre qui perçoit les contributions, pas plus que ce n'est le ministre qui vérifie les comptes ; cela n'est point son affaire. (Interruption.)

Mais incontestablement. Les déficits des comptables seront donc à charge du ministre des finances ; les faux et les concussions qui seront commis et qui auront pour résultat des détournements de sommes au détriment du trésor, le ministre des finances en sera responsable.

Voilà la théorie qu'est venu défendre ici M. Coomans, après l'avoir exposée dans la presse et je n'ai pas besoin de dire que je ne la prends pas au sérieux. Si l'honorable membre, au lieu de s'abandonner à son imagination, s'était donné la peine de se pénétrer des dispositions de nos lois, il aurait vu que pour tous les actes de ce genre, bien loin que ce soit au ministre que puisse remonter la responsabilité, c'est le ministre qui est chargé de les faire réprimer. Ainsi, par exemple, nous trouvons dans la loi du 29 novembre 1846, article 12, que si, dans l'examen des comptes, la cour des comptes...

M. Coomans. - C'est moi qui vous l'ai citée tout à l'heure,

M. Frère-Orban. - ...la cour des comptes trouve des faux ou des concussions, il en est rendu compte au ministre des finances et référé au ministre de la justice qui font poursuivre les auteurs devant les tribunaux ordinaires.

Eh bien, dans votre théorie il faudrait commencer par faire payer M. le ministre des finances. Si un fonctionnaire a commis non un faux, non une concussion, mais une négligence qui cause préjudice au trésor, moins que cela, s'il a commis une négligence, s'il a omis d'apposer un timbre sur un titre, et que ce titre, placé dans un dépôt public, vienne ensuite à être volé, c'est le ministre des finances qui doit payer.

M. Coomans. - Point !

M. Frère-Orban. - Point ! Mais n'est-ce pas là tout ce que vous avez soutenu ?

Mais expliquons-nous en peu de mots sur le fond de l'affaire.

(page 558) Des titres de la dette publique qui étaient au porteur ont été transformés en titres en nom et les titres au porteur ont été transmis à la cour des comptes avec les pièces justificatives. C'est ce que devait faire l'administration des finances ; elle n'avait pas d'autre obligation à remplir. Elle justifiait à la cour l'opération qui avait été faite. La cour, qui avait la garde des titres, a pris ou n'a pas pris, je n'examine pas ce point pour le moment, les précautions nécessaires.

Un vol a été commis ; les titres ont été remis en circulation. On dit : Mais le département des finances devait annuler ces titres autrement qu'il ne l'a fait ; il fallait y appliquer un timbre humide comme on le faisait autrefois et non pas des marques au crayon rouge qui pouvaient être aisément effacées.

Remarquez, pour le dire en passant, que ce sont là des opérations étrangères au ministre et des actes qui ne passent pas même sous ses yeux. Mais il fallait un timbré humide.

Eh bien, j'avoue que l'invention m'a paru assez heureuse. Les titres au porteur sont extrêmement étendus 'aujourd'hui ; il y a beaucoup de valeurs de ce genre que les particuliers ont en portefeuille. Je leur signale ce moyen bien simple d'empêcher qu'on ne les vole : c'est de les marquer d'un timbre humide. Voilà ce qu'on reproché au. département des finances de n'avoir pas fait : il n'a pas marqué ces titrés d'un timbre humide ; s'il avait apposé un timbre humide sur ces titres, cela empêchait qu'on ne les volât. Comprend-on qu'on ait jamais pu imaginer quelque chose d'aussi déraisonnable, d'aussi absurde, d'aussi ridicule que cela ? Comment le timbre humide aurait-il empêché le vol ?

On me dira ; Cela n'aurait pas empêché le vol des titres ; mais le timbre humide aurait fait qu'on n'aurait pu les remettre en circulation. Grande erreur, le timbre humide n'aurait pas plus été un obstacle que la marque au crayon rouge. Par un petit procédé chimique qui est parfaitement connu, le timbre humide disparaît tout aussi bien que le crayon rouge.

Ainsi cela ne servait absolument à rien ; ce n'était pas une préservation et il est puéril, je dois le dire, de la part de la cour des comptes, qui a commis la faute de laisser ces papiers un peu trop à l'abandon et de les exposer aux tentations de ceux qui les maniait, de venir dire : On mettait autrefois ce timbre humide et c'est parce qu'on n'a pas continué à l'appliquer, que ces papiers ont été volés, ou que, tout au moins, on en a abusé.

Mais je vais plus loin et je dis que le département des finances n'avait rien à faire et ne devait rien faire.

M. Coomans. - Ah !

M. Frère-Orban. - Voilà qui vous embarrasse un peu.

M. Coomans. - Mais pas du tout ; c'est vous qui êtes embarrassé.

M. Frère-Orban. - Il n'y paraît pas trop, je viens déjà de démontrer ce que valent deux ou trois de vos arguments. Je vous ai démontré ce que vaut la responsabilité comme vous l'entendez, où elle va.

Je viens de vous démontrer ce que vaut l'importance de ce timbre humide appliqué sur des titres pour empêcher qu'on ne les vole.

Maintenant je dis qu'il n’y a pas d'obligation pour le département des finances de mettre un timbré humide sur ces titres. Si cette obligation existait, la cour serait en faute de ne pas en avoir exigé l'accomplissement.

Pouvez-vous me montrer une disposition légale ou une disposition réglementaire qui impose cette obligation au département des finances ? Celui-ci transmet à la cour des comptés les pièces avec la justification dont il est chargé, et ainsi il a rempli son devoir. C'est à ceux qui ont la garde des titres à les garder. Le département des finances n'avait rien à faire ; il avait rempli son devoir.

On parle d'annulation, comme si la cour des comptes n'avait jamais sous sa garde que des titres qui dussent être annulés. Mais des obligations de la dette n'ont de force qu'autant qu'elles sont revêtues du visa de la cour des comptes.

S'agit-il de mettre un timbre humide sur ces titres et, si quelques-uns étaient volés, viendrait-on dire au département des finances : Vous deviez y mettre une marque quelconque, faire quelque chose pour empêcher qu'on ne les volât ? La cour des comptes serait peut-être, je ne dis pas légalement, mais moralement responsable de ce que ces titres ont été divertis ; mais je ne vois pas quel reproche on pourrait faire au département des finances.

Maintenant, faut-il montrer, à l'égard de la cour des comptes, cette rigueur dont paraît animé l'honorable préopinant ? S'il y avait eu faute, s'il y avait eu négligence, si l'on n'avait pas pris les précautions ordinaires en pareil cas, j'admettrais une certaine rigueur vis-à-vis de la cour des comptes.

Mais n'a-t-on pas pris les précautions commandées par la prudence ? Y a-t-il une faute grave à reprocher à la cour ? Dans le maniement de valeurs de ce genre-là, tout le monde est exposé ; les vols de cette nature ne sont malheureusement que trop faciles.

M. Coomans. - Ce sont les contribuables qui doivent payer.

M. Frère-Orban. - Ce sont les contribuables qui perdent, comme c'est le particulier qui perd lorsqu'il ne peut pas exercer son recours contre un tiers. Or, on estime que la cour ne peut être rendue responsable et elle seule pourrait être responsable ; dès lors la nation doit subir la perte, parce qu'elle n'a rien à reprocher à ses agents.

M. de Zerezo de Tejada. - Par exemple !

M. Frère-Orban. - Que dites-vous ?

M. de Zerezo de Tejada. - Je dis que je n'admets pas que la nation n'ait dans cette circonstance rien à reprocher à ses agents. Ils ont été tout au moins coupables de négligence. Je me plais à croire que messieurs les conseillers de la cour des comptes veillent avec un peu plus de soin à la conservation des valeurs qui leur appartiennent personnellement.

M. Frère-Orban. - Je ne dis qu'une seule chose en réponse à M. Coomans, c'est qu'il faut bien que la nation subisse la porte, si l'en reconnaît qu'il n'y a pas lieu d'exercer une action contre la cour des comptes. C'est en ce sens que j'ai énoncé que l'on n'avait rien à reprocher à ces agents, les conseillers de la cour des comptes.

L'honorable M. de Zerezo veut être plus sévère, il dit que la cour a commis quelque négligence. C'est un point sur lequel, pour ma part, je crois inutile d'insister.

Mais, quant au département des finances (je parle du département, car il n'y a rien de sérieux dans la prétention de M. Coomans, de me mettre personnellement en cause), quant au département des finances, il est désormais impossible de lui adresser aucun reproche ; il a reçu des titres de son caissier et on trouverait assurément inadmissible qu'il vînt lui dire : Pourquoi n'avez-vous pas annulé ces titres ? De même, le département des finances dit à la cour des comptes : J'ai justifié régulièrement de mes opérations ; je vous ai remis les titres et vous le reconnaissez ; j'ai fait ce que je devais faire aux termes de la loi ; vous avez mal gardé les titres, tant pis pour vous.

L'honorable M. Coomans a répété devant vous les mêmes histoires qu'il a déjà fait circuler par la presse et qui lui paraissent décisives en faveur de sa thèse :

« On a tort, écrit-il et répète-t-il, on a tort à gauche et à droite de se récrier contre nos conclusions, car elles sont justifiées par la conduite de M. Frère lui-même... Il y a quelques années, un receveur de l'enregistrement à Gand quitta furtivement le pays, laissant un assez grand déficit dans sa caisse. Le ministre des finances, M. Frère, accusa les vérificateurs et l'inspecteur de négligence et força chacun de ces fonctionnaires à payer une certaine somme à l'Etat en déduction du déficit. »

D'où la conclusion de l'honorable préopinant, que si j'ai appliqué cette mesure à des fonctionnaires qui étaient sous mes ordres et cela en exécution des lois et des règlements, il faut bien qu'on m'applique aussi la même règle. Il suppose que le ministre des finances est tenu de vérifier les comptes, de vérifier les additions, de faire en un mot toutes ces opérations matérielles qui se font dans l'administration. C'est vraiment risible !

Il faut une armée d'employés pour vérifier les comptes de l'Etat et si l'on y trouvait des erreurs préjudiciables au trésor, le ministre serait responsable parce qu'il n'aurait pas vérifié toutes les additions !

Le devoir du ministre est de punir les fonctionnaires sous ses ordres qui ont mission d'exercer ce contrôle et cette surveillance lorsqu'ils sont en faute. C'est en vertu des lois et des règlements que ces pénalités leur ont été justement appliquées.

Je pense, messieurs, en avoir dit assez pour convaincre la Chambre qu'au département des finances aucun reproche ne peut être adressé ; qu'il n'était tenu qu'à justifier de ses opérations vis-à-vis de la cour des comptes. Le département des finances a remis les titres. Si la cour des comptes les a laissé prendre, c'est à elle qu'il faut s'adresser.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, quelle que soit la responsabilité de l'administration des finances ou de la cour des comptes, il n'en est pas moins certain qu'il faut que la Chambre commence par voter le projet de loi.

En effet, il s'agit d'indemniser des tiers de bonne foi qui ont prêté sur dépôt de titres ayant toutes les apparences de titres valables.

Il n'y a pas ici seulement une question de droit, qui serait tranchée inévitablement en faveur de ces prêteurs de bonne foi, mais une question de crédit public. Il est certain que, si ceux qui achètent des titres de la rente belge pouvaient craindre de voir un jour ces titres devenir sans valeur (page 559) parce qu'il serait établi qu'on y a effacé un trait au crayon rouge, notre crédit pourrait en être fortement ébranlé.

Quelles que soient les actions que, pendant une période trentenaire, on puisse être tenté d'intenter aux membres de la cour des comptes ou bien à des fonctionnaires du département des finances, il faut commencer par voter le crédit.

Cela fait, l'Etat aura-t-il un recours contre quelqu'un ? Il n'en aura évidemment que pour autant qu'il trouve une personne en faute, car il ne suffit pas que l'administration des finances ou la cour des comptes soit en faute, ces corps n'ont pas de responsabilité collective, il faut qu'on trouve une ou plusieurs personnalités déterminées auxquelles on puisse imputer la faute et le déficit.

Je pense qu'il n'est pas exact de dire que la cour des comptes et l'administration des finances sont à l'abri de tout reproche.

Je pense que l'une et l'autre doivent s'imputer, en cette circonstance, une faute légère, une de ces fautes qui ne sont pas suffisantes pour faire peser une responsabilité pécuniaire, même à charge d'un individu déterminé.

Voici l'état des choses qui a donné lieu au vol.

Les obligations de la dette belge 4 1/2, de beaucoup les plus nombreuses, peuvent indéfiniment se reconstituer au porteur après avoir été en nom, et en nom après avoir été porteur.

Il importe que ces titres ne soient revêtus d'aucune espèce de marque. Il sont parfaitement gardés dans les caisses de la banque nationale et ne reposent pas à la cour dés comptés.

Pour les petites dettes, 4 p. c. et 3 p. c, au contraire, un titre devenu nominal ne peut plus être reconstitué au porteur. Il doit être annulé.

Les circulaires de l'administration des finances ordonnent des mesures différentes selon les espèces de dettes.

Je lis dans la circulaire du 18 février 1851, paragraphe 31 :

« Les obligations à 5 p. c. de 1840 et de 1842, celles à 4 et à 3 p. c, aussitôt qu'elles auront été reconnues complètes par les agents du trésor, seront annulées au moyen d'une forte croix en craie rouge, sur le corps même de l'obligation, et par des barres, aussi en craie rouge, sur les coupons d'intérêt.

« Les obligations à 4 1/2 p. c. des deux émissions ne peuvent recevoir aucune marque d'annulation, les inscriptions nominatives qui en dérivent étant susceptibles d'être reconstituées en titres au porteur conformément au paragraphe 49 du règlement sur la dette publique. »

Les obligations annulées, conformément aux règlements, au moyen de barres à la craie rouge, étaient envoyées à la cour des comptes où elles étaient conservées, non pas à titre de valeurs, puisqu'elles étaient annulées, mais plutôt à titres de pièces comptables,

Jamais, je pense, il n'a été prescrit de se servir comme moyen d'annulation d'un timbre humide, mais cependant dès l'origine jusqu'en 1862 on s'en est servi.

Avant la création des agents du trésor, l'annulation des titres ne s'opérait qu'à l'administration centrale où l'on y apposait un timbre humide portant le mot : « converti. » Le timbre était apposé à différents endroits du titre ainsi que sur les coupons. Ce timbrage était de nature, pensait-on, à donner toute sécurité et je ne ferai pas un grand grief à la cour des comptes de n'avoir pas veillé très soigneusement à la garde de titres ainsi annulés ; on dit qu'il est possible d'enlever les traces d'un timbre humide comme les barres au crayon ; je l'admets, mais c'est infiniment plus difficile.

Lorsque des instructions ont été données en 1851 aux agents du trésor, on leur a prescrit de marquer les pièces d'une croix au crayon, comme ils marquent toutes les pièces qu'ils renvoient à l'administration centrale. Celle-ci continuait à y apposer le timbre humide portant le mot : « converti. » Sur certaines pièces, les agents du trésor ajoutent à la barre rouge le mot « payé », à l'aide d'un timbre.

Comme ici il ne s'agissait pas de payements, cette marque n'était pas appliquée, mais à l'administration centrale on apposait sur les titres, à l'aide du timbre, le mot « converti. »

Ce procédé a été suivi jusqu'en 1862. A cette époque, on a fusionné la caisse des dépôts et consignations avec l'administration de la trésorerie ; un seul homme a été chargé des deux services ; le personnel a été simplifié, onze employés ont été supprimés sans que le travail fût diminué ; il s'est trouvé que, par suite de cette diminution de personnel, on n'a plus apposé le timbre humide. Comment cette suppression s'est-elle faite ? Il n'y en a aucune trace ; il n'y a pas, à l'administration, le moindre ordre écrit. Les employés ont-ils reçu un ordre verbal ? Impossible de s'en assurer, attendu que les deux employés qui étaient alors chargés du travail sont décédés l'un et l'autre.

Je pense qu'on aurait mieux fait, malgré la diminution du personnel, de continuer l'usage du timbre humide et cette pratique est maintenant rétablie.

Il existe un moyen plus efficace encore que le timbre humide, c'est l'emporte-pièce employé dans certaines sociétés. Mais la trésorerie a fait à son emploi de vives objections : beaucoup de nos coupons sont payés par MM. de Rothschild à Paris ; quand ils nous sont renvoyés, il s'agit de les compter ; or, les titres qui sont annulés au moyen de l'emporte-pièce, lorsqu'ils ont été fortement frappés, rentrent les uns dans les autres au point que les erreurs de numération sont très faciles. C'est ce qui a déterminé la trésorerie à ne point adopter l'usage de l'emporte-pièce.

Il n'y a plus, messieurs, de craintes à concevoir quant aux titrés restants ; la cour des comptes a brûlé tous ceux qu'elle avait encore en sa possession.

A l'avenir, il ne s'en présentera pour ainsi dire pas. Le 4 p. c. est presque entièrement remboursé, il n'y a plus que quelques titres en circulation ; le 3 p. c. ne comporte plus qu'une valeur de quelques millions.

En résumé, je crois que le département des finances aurait mieux fait de ne pas abandonner l'usage du timbre humide et que la cour des comptes, de son côté, aurait bien fait de prévoir le cas qui s'est présenté et de considérer les titres, quoique annulés, comme pouvant ressusciter par une altération matérielle. Si elle s'était décidée plus tôt à brûler les titres annulés, le vol dont l'Etat est victime n'eût pu avoir lieu.

En terminant, messieurs, je prie la Chambre de porter à 306,800 francs le chiffre de 305,000 qui figure au budget ; les intérêts qui ont couru depuis la présentation du projet exigent cette majoration.

M. Coomans. - Je reprends la parole, messieurs, pour constater que l'honorable M. Frère n'a réfuté aucune des considérations que j'ai présentées à la Chambre. La seule impression qui me reste de son discours, c'est que c'est la cour des comptes qui est seule fautive en cette affaire. Eh bien, en admettant que cela soit vrai, ma conclusion reste debout et nous nous en prendrons à qui de droit.

D'après l'honorable M. Frère, c'est la cour des comptes qui est responsable ; quant à lui, il ne l'est positivement pas, attendu qu'il n'avait pas même à s'occuper de la chose. C'est pousser un peu loin, à mon avis, une argumentation par trop personnelle.

Quoi ! vous n'aviez pas à vous occuper du plus grand des intérêts du ministère des finances : l'émission et la garde des titres de la dette publique, intérêt qui représente un revenu annuel de plus de trente millions de francs. Mais qui donc avait à s'en occuper ? Vos subordonnés ? Eh bien, soit ; prouvez qu'ils sont coupables et je serai satisfait. Je demande des coupables, n'importe lesquels, dans l'intérêt des contribuables.

Le mot « ridicule » a été prononcé quelquefois par l'honorable M. Frère ; je pourrais le lui renvoyer, je ne le fais point.

Mes observations sont très sérieuses ; elles portent sur une dépensa énorme. Or, l'honorable M. Frère s'est évertué à réfuter des arguments que je n'ai pas présentés.

Il prétend, par exemple, que, suivant moi, tout eût été sauvegardé si l'on avait maintenu le timbre humide. Je n'ai rien dit de semblable : je ne suis pas sûr du tout que l'application d'un timbre humide eût sauvegardé les intérêts de l'Etat. Mais ce que j'ai demandé à l'honorable M. Frère, et sur quoi il ne s'est pas expliqué, c'est pourquoi on a remplacé le timbre humide par un crayon rouge.

L'honorable M. Frère nous démontre que le crayon rouge est complètement inefficace.

Je le reconnais. Il ajoute que le timbre humide est complètement inefficace aussi ; c'est encore possible ; mais alors pourquoi a-t-il remplacé le timbre humide par le crayon rouge ? Quoi qu'en ait dit l'honorable M. Jacobs, je crois que le plus simple eût été de se servir de l'emporte-pièce ; à moins de mettre le feu aux titres mêmes.

Mais l'emporte-pièce, qui est usité dans beaucoup de bureaux, était un moyen préférable au timbre humide, surtout au crayon rouge ; et, comme il y avait, au département des finances, un honorable emporte-pièce, qui avait fait ses preuves, il est étonnant qu'on ne fait pas employé.

Je maintiens mes conclusions ; je prie la Chambre, dans l'intérêt du public et des principes, de ne pas voter ce crédit-là ; et, quand même je serais seul, je dirais non !

- La discussion générale est close. On passe aux articles.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Un crédit de trois cent six mille francs (fr. 306,000) est ouvert au département des finances, pour la régularisation du déficit du (page 560)trésor provenant du vol d'obligations au porteur des emprunts à 4 p. c. et a 5 p. c. commis dans les archives de la cour des comptes.

« Il sera couvert par les ressources ordinaires. »

- Adopté.


« Art. 2. La présente loi sera exécutoire le jour de sa publication au Moniteur. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

87 membres sont présents.

81 membres répondent oui.

6 membres répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Funck, Gerrits, Guillery, Hayez, Houtart, Jacobs, Jamar, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Simonis, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Ansiau, Bara, Beeckman, Berge, Biebuyck, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Brasseur, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, de Haerne, de Kerckhove, Delcour, De Lehaye, de Macar, Demeur, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban et Vilain XIIII.

Ont répondu non :

MM. Liénart, Snoy, Van Wambeke, Coomans, Defuisseaux et de Moerman d'Harlebeke.

Projet de loi ouvrant un crédit spécial au budget du ministère des affaires étrangères

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Il est ouvert au département des affaires étrangères un crédit spécial de deux cent trente mille francs (fr. 230,000) pour couvrir les dépenses qui résulteront des travaux ci-après :

« A. Service postal entre Ostende et Douvres.

« Construction et mise en place d'une paire de chaudières pour le paquebot Louise-Marie : fr. 100,000.

« B. Service du passage d'eau entre Anvers, et la Tête-de-Flandre :

« Steamer Princesse Charlotte : construction d'une nouvelle coque : fr. 80,000.

« Dito d'une paire de chaudières, réparation et montage de la machine : fr. 26,000.

« Steamer Ville d'Anvers : construction d'une paire de chaudières, renouvellement d'une partie du pont, réparation et montage de la machine : fr. 24,000.

« Total : fr. 230,000. »

- Adopté.


« « Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires du trésor. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé a l'appel nominal sur l'ensemble du projet.

79 membres y prennent part.

Tous répondent oui.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont pris part au vote :

MM. Funck, Gerrits, Guillery, Hayez, Houtart, Jacobs, Jamar, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Orts, Rembry, Reynaert, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont. Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Amédée Visart, L. Visart, Vleminckx, Wouters, Allard, Bara, Bergé, Biebuyck, Boulenger, Bouvier, Brasseur, Coomans, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, De Lehaye, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban et Vilain XIIII.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.